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L’Encéphale (2007) Supplément 3, S114–S119
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peut aussi s’accompagner de perturbations thymiques (le
plus souvent de nature dépressive), parfois au premier plan
du tableau clinique [3].
Faire la différence entre un trouble de l’humeur associé
à un trouble lié à l’utilisation de substances et un trouble de
l’humeur induit par une substance n’est pas toujours facile.
Le DSM-IV [1] propose 4 critères de différenciation :
la chronologie d’apparition des symptômes thymiques par
rapport à la prise de substances ;
la durée des symptômes thymiques ;
l’intensité des symptômes thymiques par rapport au type,
à la quantité et à la durée de la consommation de subs-
tances ;
en n l’existence d’antécédents de troubles de l’humeur.
Si, sur un plan théorique, ces critères apparaissent
cohérents, leur mise en application en pratique clinique
s’avère plus dif cile [28].
Il est souvent dif cile, chez un patient, de situer le
début d’un trouble bipolaire. De nombreuses études chez
l’enfant et l’adolescent montrent que l’émergence d’un
trouble bipolaire caractérisé est en général précédée d’une
première phase, précoce, marquée par des manifestations
thymiques de faible intensité, spontanément résolutives,
souvent sous-estimées et rapportées a posteriori, qui pour-
raient correspondre à des prodromes ou à des formes atté-
nuées du trouble [10, 25]. De même, le passage de la
consommation de substances à la dépendance se fait-il le
Troubles bipolaires et abus de substances
D. Bailly
Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, Hôpital Sainte-Marguerite, 270 boulevard de Sainte Marguerite,
13009 Marseille
Introduction
Il y a plus de 80 ans, Kraepelin [21] soulignait déjà la forte
prévalence de l’alcoolisme observée chez les patients pré-
sentant une maladie maniaco-dépressive. Depuis, de nom-
breuses études ont con rmé la fréquence de l’association
troubles bipolaires - troubles liés à l’utilisation de substan-
ces. Si de nombreuses données cliniques montrent que la
présence d’un trouble lié à l’utilisation de substances
représente un facteur de mauvais pronostic chez les
patients présentant un trouble bipolaire, des études récen-
tes suggèrent cependant des différences dans le devenir de
ces patients en fonction de la chronologie respective d’ap-
parition des troubles.
Des problèmes diagnostiques persistants
De par leurs effets directs, aigus et/ou chroniques, sur les
systèmes de neurotransmission qui opèrent au sein du cer-
veau, les substances psychoactives sont susceptibles d’in-
duire de nombreux troubles mentaux. Des troubles de
l’humeur, de type dépressif, maniaque ou mixte suivant la
nature de la substance considérée, peuvent ainsi être
observés au cours des états d’intoxication. Une intoxica-
tion par des substances stimulantes (amphétamines,
cocaïne), par exemple, peut être à l’origine d’un état
hypomaniaque ou maniaque, suivi d’une phase dépressive
au cours de laquelle les tentatives de suicide ne seraient
pas rares. De même, le sevrage de certaines substances
* Auteur correspondant.
L’auteur n’a pas signalé de con its d’intérêts.
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Troubles bipolaires et abus de substances S115
plus souvent de manière insidieuse et progressive, pouvant
s’étaler sur plusieurs années, la consommation débutant
généralement précocement, durant l’enfance, sans que
l’on sache très bien quelles peuvent être ses conséquences
sur les plans cognitif, affectif et social [2]. Par ailleurs, si
la durée des troubles thymiques induits par une substance
n’excède pas, en général, un mois, leur intensité peut
varier considérablement en fonction de nombreux paramè-
tres, tenant à la fois aux produits consommés, à leurs
modalités d’utilisation, mais aussi à l’état physiologique du
sujet et au contexte psychosocial de la consommation [3].
Dans ces conditions, même en reprenant de façon soigneuse
l’histoire clinique des troubles, il est souvent dif cile d’ap-
préhender la nature exacte des relations qui unissent trou-
ble bipolaire et trouble lié à l’utilisation de substances. En
fait, le plus souvent, seuls le sevrage et une période d’abs-
tinence suf samment longue peuvent permettre de préci-
ser le rôle étiologique possible de la consommation de
substances dans la survenue du trouble bipolaire.
Données épidémiologiques et cliniques
Fréquence de l’association troubles bipolaires –
troubles liés à l’utilisation de substances
La prévalence sur la vie entière des troubles liés à l’utilisa-
tion de substances (abus/dépendance) chez les sujets pré-
sentant un trouble bipolaire varie, selon les études, entre
59 % et 69 % [7, 16, 27, 34]. Dans l’enquête ECA, les résul-
tats ont montré que le fait de présenter un trouble bipo-
laire pouvait multiplier par 11 le risque de présenter aussi
un trouble lié à l’utilisation de substances [27]. Parmi les
substances faisant l’objet d’un abus ou d’une dépendance,
on retrouve, par ordre de fréquence décroissante : l’alcool,
le cannabis, et les substances stimulantes (cocaïne, amphé-
tamines) [7, 16, 26, 44]. Qu’ils soient associés ou non à un
trouble lié à l’utilisation de substances, les troubles bipo-
laires de type I sont plus fréquents que les troubles bipolai-
res de type II [27, 39].
La prévalence sur la vie entière des troubles bipolaires
chez les sujets présentant un trouble lié à l’utilisation de
l’alcool est de l’ordre de 44 %, et chez les sujets présen-
tant un trouble lié à l’utilisation de drogues de 34 %. Le
risque de présenter un trouble bipolaire se trouve ainsi
multiplié par 5 environ chez les sujets présentant un abus
ou une dépendance à l’alcool, et par 8 chez les sujets pré-
sentant un abus ou une dépendance aux drogues [27].
Toutes ces données soulignent la très forte comorbidité
observée entre troubles bipolaires et troubles liés à l’utili-
sation de substances, et montrent que le fait de présenter
l’un des deux troubles augmente considérablement la pro-
babilité de présenter l’autre trouble.
Données sociodémographiques
Les sujets présentant un trouble bipolaire associé à un
trouble lié à l’utilisation de substances sont, en moyenne,
plus jeunes que ceux présentant un trouble bipolaire isolé.
Si plusieurs explications ont pu être proposées (effets géné-
rationnels, début plus précoce du trouble bipolaire, repé-
rage et demande de soins plus rapide), l’étude par tranches
d’âge réalisée par Cassidy et al. [7] suggère fortement un
taux de mortalité plus élevé en cas d’association trouble
bipolaire - trouble lié à l’utilisation de substances.
Dans la plupart des études portant sur des sujets pré-
sentant un trouble bipolaire, l’association à un trouble lié
à l’utilisation de substances est retrouvée signi cativement
plus fréquemment chez les hommes que chez les femmes
[7, 9, 16, 26, 34, 38]. À l’inverse, chez les sujets présen-
tant un abus ou une dépendance aux drogues, la présence
d’un trouble bipolaire associé apparaît plus fréquente chez
les femmes que chez les hommes [29].
En n, si les résultats concernant le statut marital appa-
raissent contradictoires, la plupart des études montrent
que comparativement aux sujets présentant un trouble
bipolaire isolé, les sujets présentant un trouble bipolaire
associé à un trouble lié à l’utilisation de substances ont un
niveau académique signi cativement plus faible [39].
Caractéristiques du trouble bipolaire
lorsqu’il se trouve associé à un trouble lié
à l’utilisation de substances
Globalement et comparativement aux sujets présentant un
trouble bipolaire isolé, l’âge de début du trouble bipolaire
apparaît plus précoce en cas d’association à un trouble lié
à l’utilisation de substances [8, 18, 44]. De même, appa-
raissent plus fréquents les formes à cycles rapides et les
états mixtes [22, 24].
L’évolution du trouble bipolaire apparaît également
globalement plus péjorative lorsqu’il se trouve associé à un
trouble lié à l’utilisation de substances, avec un nombre
total d’épisodes affectifs plus élevé, une durée des épiso-
des affectifs plus longue, et des rémissions de moins bonne
qualité tant sur le plan symptomatique que sur le plan
fonctionnel [11, 20, 33, 36, 37, 43].
Ces données semblent cependant varier en fonction de
la chronologie respective d’apparition du trouble bipolaire
et du trouble lié à l’utilisation de substances.
Caractéristiques des troubles liés à l’utilisation
de substances lorsqu’ils se trouvent associés
à un trouble bipolaire
Lorsqu’ils se trouvent associés à un trouble bipolaire, l’évo-
lution des troubles liés à l’utilisation de substances apparaît
en général intermittente [39], avec une nette augmentation
de la consommation de substances, et notamment d’alcool,
lors des épisodes affectifs. Cette augmentation de la consom-
mation d’alcool se retrouve signi cativement plus fréquem-
ment lors des phases maniaques (> 60 % des cas) que lors des
phases dépressives (20-30 % des cas) [5, 11, 36].
Salloum et al. [32] ont étudié l’impact de l’abus d’al-
cool sur la symptomatologie des épisodes maniaques. Dans
ces cas, les épisodes maniaques se caractérisent par un
nombre plus élevé de symptômes, une augmentation de
l’impulsivité et une plus grande fréquence des comporte-
ments violents.
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Comorbidité psychiatrique
Peu d’études se sont intéressées aux autres troubles men-
taux associés. L’étude de Weiss et al. [39] montre que la
prévalence sur la vie entière des troubles anxieux, des
troubles du comportement alimentaire et du trouble hype-
ractivité avec dé cit de l’attention est signi cativement
plus élevée chez les sujets présentant un trouble bipolaire
associé à un trouble lié à l’utilisation de substances que
chez les sujets présentant un trouble bipolaire isolé.
Antécédents familiaux
L’étude de Winokur et al. [43] montre que l’association
trouble bipolaire + alcoolisme est retrouvée plus fréquem-
ment dans les antécédents familiaux des sujets présentant
eux-mêmes un trouble bipolaire associé à un trouble lié à
l’utilisation de l’alcool, comparativement aux antécédents
familiaux des sujets présentant un trouble bipolaire isolé.
Ce résultat suggère que l’association trouble bipolaire
+ alcoolisme pourrait revêtir un caractère familial.
Sévérité globale des troubles
Globalement, les troubles apparaissent signi cativement
plus sévères chez les sujets présentant un trouble bipolaire
associé à un trouble lié à l’utilisation de substances que
chez les sujets présentant un trouble bipolaire isolé. Cette
sévérité plus grande des troubles se traduit notamment par
un nombre plus élevé d’hospitalisations, une fréquence
plus élevée des tentatives de suicides, et une altération
plus marquée du fonctionnement psychosocial et de la qua-
lité de vie des patients [7, 8, 11, 20, 39].
In uence de la chronologie d’apparition
des troubles sur leur évolution
Quel que soit l’âge considéré, toutes les études montrent
que les troubles liés à l’utilisation de substances peuvent
apparaître avant, en même temps, ou après le trouble
bipolaire [12, 17, 35, 40]. Ces études montrent aussi que
les caractéristiques et l’évolution des troubles diffèrent en
fonction de leur chronologie respective d’apparition.
Âge de début des troubles
Deux études ont évalué l’âge de début du trouble bipolaire
et des troubles liés à l’utilisation de l’alcool en fonction de
leur chronologie respective d’apparition. Leurs résultats
sont tout à fait concordants. Lorsque le trouble bipolaire
apparaît en premier, son âge de début est comparable à ce
qui est observé chez les sujets présentant un trouble bipo-
laire isolé, et signi cativement plus précoce que lorsque ce
sont les troubles liés à l’utilisation de l’alcool qui apparais-
sent en premier (en moyenne, 17 ans lorsque le trouble
bipolaire apparaît en premier vs 24-26 ans lorsque les trou-
bles liés à l’utilisation de l’alcool apparaissent en premier).
À l’inverse, l’âge de début des troubles liés à l’utilisation
de l’alcool ne diffère pas quelle que soit leur chronologie
d’apparition par rapport au trouble bipolaire (en moyenne,
17-19 ans) [12, 35].
Caractéristiques du trouble bipolaire
Si l’étude de Goldstein et Levitt [17] ne met en évidence
aucune différence signi cative quelle que soit la chronolo-
gie d’apparition des troubles, à l’inverse, l’étude de
Strakowski et al. [35] retrouve une fréquence plus élevée
des formes à cycles rapides et des épisodes mixtes lorsque
le trouble bipolaire apparaît en premier, et un index psy-
chotique plus élevé lorsque ce sont les troubles liés à l’uti-
lisation de l’alcool qui apparaissent en premier.
Les deux études s’accordent en revanche sur l’évolution
du trouble bipolaire. Celle-ci se caractérise par des rémissions
signi cativement plus rapides et plus complètes lorsque ce
sont les troubles liés à l’utilisation de l’alcool qui apparaissent
en premier. Parallèlement, le temps total passé en rémission
apparaît aussi, dans ce cas, signi cativement plus long. Ces
différences semblent essentiellement dues au nombre des
épisodes maniaques d’une durée > 6 mois, qui est retrouvé
signi cativement plus élevé lorsque le trouble bipolaire appa-
raît en premier. Aucune différence n’est retrouvée, quelle
que soit la chronologie d’apparition des troubles, en ce qui
concerne le nombre total des épisodes affectifs et le nombre
des épisodes dépressifs d’une durée > 12 mois [17, 35].
Une étude de Fossey et al. [13] suggère cependant que
les différences notées dans l’évolution du trouble bipolaire
en fonction du caractère primaire ou secondaire des trou-
bles liés à l’utilisation de substances pourraient être dues
essentiellement aux variations observées dans l’âge de
début du trouble bipolaire.
Caractéristiques des troubles liés à l’utilisation
de substances
Malgré des résultats contradictoires [12], plusieurs études
suggèrent une sévérité plus grande des troubles liés à l’uti-
lisation de substances lorsque ceux-ci apparaissent en pre-
mier. L’étude de Strakowski et al. [35], par exemple, montre
que lorsque les troubles liés à l’utilisation de substances
apparaissent en premier, la dépendance à l’alcool et au can-
nabis (par rapport à l’abus) est retrouvée avec une fré-
quence signi cativement plus élevée que lorsque le trouble
bipolaire apparaît primaire. De même, l’index de sévérité
des troubles liés à l’utilisation de l’alcool et plus globale-
ment des troubles liés à l’utilisation de substances est
retrouvé signi cativement plus élevé lorsque les troubles
liés à l’utilisation de substances apparaissent en premier.
Ces résultats, associés aux précédents, suggèrent forte-
ment le rôle étiologique joué par la consommation de subs-
tances dans l’apparition, secondairement, d’un trouble
bipolaire.
Comorbidité psychiatrique
Seule l’étude de Goldstein et Levitt [17] s’est intéressée
aux autres mentaux associés. Ses résultats montrent que la
prévalence sur la vie entière des troubles anxieux est signi-
cativement plus élevée lorsque les troubles liés à l’utilisa-
tion de l’alcool apparaissent en premier. Aucune différence
n’est retrouvée, quelle que soit la chronologie d’apparition
des troubles, en ce qui concerne la prévalence des troubles
de la personnalité.
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Troubles bipolaires et abus de substances S117
Antécédents familiaux
L’étude de Goldstein et Levitt [17] ne retrouve aucune dif-
férence, quelle que soit la chronologie d’apparition des
troubles, dans les antécédents familiaux d’alcoolisme ou
de dépression. Seule l’association alcoolisme + dépression
apparaît signi cativement plus fréquente chez les parents
du premier degré des sujets présentant un trouble bipo-
laire et un trouble lié à l’utilisation de l’alcool apparus en
même temps. Ces résultats sont à rapprocher de ceux obte-
nus par Winokur et al. [43] et semblent con rmer le carac-
tère familial de l’association troubles de l’humeur – troubles
liés à l’utilisation de l’alcool.
Facteurs favorisant l’apparition
d’un trouble lié à l’utilisation
de substances chez les sujets
présentant un trouble bipolaire
Grunebaum et al. [18] ont comparé des sujets présentant
un trouble bipolaire associé à un trouble lié à l’utilisation
de substances à des sujets présentant un trouble bipolaire
isolé. Les résultats montrent que les sujets présentant un
trouble bipolaire associé à un trouble lié à l’utilisation de
substances se caractérisent par une plus forte prévalence
du sexe masculin, des niveaux d’impulsivité et d’agressi-
vité plus élevés, une prévalence sur la vie entière du trou-
ble des conduites et des troubles de la personnalité du
cluster B (personnalités antisociale, borderline, histrioni-
que et narcissique) plus élevée, une fréquence plus élevée
des tentatives de suicide, et un âge de début du trouble
bipolaire plus précoce. L’analyse en régression logistique
multivariée montre cependant que seuls le sexe masculin,
un âge de début plus précoce du trouble bipolaire et un
niveau d’agressivité plus élevé sont associés aux troubles
liés à l’utilisation de substances, suggérant que ces fac-
teurs pourraient jouer un rôle favorisant dans leur surve-
nue.
Le trouble des conduites étant à la fois un trouble fré-
quemment associé aux troubles bipolaires chez l’enfant et
l’adolescent et un facteur de risque pour la survenue à
l’adolescence d’un trouble lié à l’utilisation de substances,
Wilens et al. [41, 42] ont étudié son rôle possible dans l’ap-
parition d’un trouble lié à l’utilisation de substances chez
les enfants et les adolescents présentant un trouble bipo-
laire. Les résultats montrent que le risque de survenue d’un
trouble lié à l’utilisation de substances chez les enfants et
les adolescents présentant un trouble bipolaire n’est asso-
cié ni au trouble des conduites ni à la présence d’autres
troubles psychopathologiques. L’âge de début du trouble
bipolaire semble par contre jouer un rôle, l’apparition d’un
trouble lié à l’utilisation de substances étant plus fréquente
chez les sujets ayant vu débuter leur trouble bipolaire à
l’adolescence ( 13 ans) que chez les sujets ayant vu débu-
ter leur trouble bipolaire durant l’enfance.
Deux études se sont intéressées aux facteurs tempéra-
mentaux susceptibles de favoriser la survenue d’un trouble
lié à l’utilisation de substances chez les patients présen-
tant un trouble bipolaire. Les résultats montrent que des
scores élevés aux échelles de recherche de nouveauté [19]
et de recherche de sensations [4] sont retrouvés chez les
sujets présentant un trouble bipolaire associé à un trouble
lié à l’utilisation de substances comme chez les sujets pré-
sentant un trouble lié à l’utilisation de substances isolé.
Bizzarri et al. [4] ont comparé 4 groupes de sujets :
2 groupes de patients présentant un trouble bipolaire avec
et sans trouble lié à l’utilisation de substances associé, un
groupe de patients présentant un trouble lié à l’utilisation
de substances sans autre trouble psychiatrique associé, et
un groupe de sujets témoins sains. Les résultats montrent
que les patients présentant un trouble bipolaire associé à
un trouble lié à l’utilisation de substances et les patients
présentant un trouble lié à l’utilisation de substances isolé
se distinguent des 2 autres groupes non seulement par des
scores signi cativement plus élevés à l’échelle de recher-
che de sensations mais aussi par des scores signi cative-
ment plus élevés aux échelles explorant la tendance à
l’automédication et la sensibilité aux effets des substan-
ces. De plus, les raisons avancées pour rendre compte de la
consommation de substances apparaissent comparables
chez les patients présentant un trouble bipolaire associé à
un trouble lié à l’utilisation de substances et chez les
patients présentant un trouble lié à l’utilisation de subs-
tances isolé : amélioration de l’humeur, euphorie, apaise-
ment des tensions et de l’anxiété, soulagement de l’ennui,
augmentation de l’énergie.
Au total, l’ensemble de ces données suggère fortement
que les facteurs susceptibles de favoriser l’apparition d’un
trouble lié à l’utilisation de substances chez les patients
présentant un trouble bipolaire ne se distinguent pas des
facteurs habituellement retrouvés comme prédictifs de la
survenue d’un abus ou d’une dépendance.
Traitement
Si tous les auteurs s’accordent pour dire que le traitement
des patients présentant un trouble bipolaire associé à un
trouble lié à l’utilisation de substances est particulière-
ment dif cile, comparativement aux données épidémiolo-
giques et cliniques, ce sujet n’a fait l’objet, à l’heure
actuelle, que de très peu d’études.
Goldstein et Levitt [17] ont étudié la demande d’aide et
de soins chez les patients présentant un trouble bipolaire
associé à un trouble lié à l’utilisation de l’alcool en fonc-
tion de la chronologie d’apparition des troubles. Les résul-
tats montrent que lorsque l’un des deux troubles apparaît
en premier, le délai entre le début des troubles et la
demande de soins est, en moyenne, de l’ordre de 5 à 7 ans.
À l’inverse, lorsque les deux troubles apparaissent en même
temps, la demande de soins est signi cativement plus
rapide (1,5 an en moyenne).
Comparativement aux patients présentant un trouble
bipolaire isolé, l’adhérence au traitement apparaît signi -
cativement moins bonne chez les patients présentant un
trouble bipolaire associé à un trouble lié à l’utilisation de
substances [20, 36].
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D. BaillyS118
Plusieurs études ont, au cours de ces dernières années,
cherché à évaluer l’intérêt des traitements thymorégula-
teurs chez les patients présentant un trouble bipolaire
associé à un trouble lié à l’utilisation de substances. En
règle générale, la réponse au lithium apparaît signi cative-
ment moins bonne chez les patients présentant un trouble
bipolaire associé à un trouble lié à l’utilisation de substan-
ces [16, 23, 33]. Une étude contrôlée contre placebo a
cependant démontré l’ef cacité du lithium chez des ado-
lescents présentant une dépendance à l’alcool et/ou aux
drogues (cannabis principalement) secondaire à un trouble
bipolaire [15]. Par ailleurs, si une étude en ouvert a pu
suggérer l’intérêt du valproate chez les patients présentant
un trouble bipolaire et une dépendance à l’alcool [6], une
étude contrôlée contre placebo plus récente, sur 24 semai-
nes, a montré que le valproate pouvait s’avérer ef cace sur
les conduites d’alcoolisation, sans différence signi cative
cependant par rapport au groupe placebo en ce qui concerne
l’évolution des symptômes dépressifs et/ou maniaques
[30]. Cette même étude a également montré que l’ef ca-
cité du valproate était signi cativement moindre lorsqu’à
la dépendance à l’alcool s’associait un trouble lié à l’utili-
sation du cannabis [31]. Compte tenu de ces résultats
nuancés, Frye et Salloum [14] proposent, dans une revue
de la littérature, de tester d’autres stratégies médicamen-
teuses : intérêt des nouveaux antipsychotiques (quétiapine,
clozapine) ? intérêt d’adjoindre au traitement thymorégu-
lateur d’autres médications, notamment celles ayant fait
la preuve de leur ef cacité dans le traitement des troubles
liés à l’utilisation de substances (naltrexone, acamprosate,
topiramate) ?
En n, l’étude de Weiss et al. [39] montre que la dispa-
rition des troubles liés à l’utilisation de substances amé-
liore très sensiblement le pronostic du trouble bipolaire,
notamment dans les domaines concernant la qualité de vie
et le fonctionnement psychosocial des patients. L’évolution
des patients bipolaires ayant présenté un trouble lié à l’uti-
lisation de substances reste cependant signi cativement
moins bonne que celle observée chez les patients présen-
tant un trouble bipolaire isolé.
Conclusions
Faire face à un patient présentant un trouble bipolaire
associé à un trouble lié à l’utilisation de substances est une
situation fréquemment rencontrée en pratique clinique.
C’est aussi le plus souvent une situation particulièrement
dif cile à gérer. Si de nombreuses études ont tenté d’ap-
préhender la nature des relations possibles entre ces trou-
bles, peu de données sont actuellement disponibles
concernant les stratégies de soins à adopter. Compte tenu
des différences observées dans l’évolution des troubles en
fonction de leur chronologie respective d’apparition, il
semble cependant justi é de hiérarchiser les cibles théra-
peutiques en fonction du caractère primaire ou secondaire
des troubles liés à l’utilisation de substances. Il s’agit là
d’une donnée qui mériterait certainement d’être intégrée
dans les recherches futures.
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