Trouble Bipolaire et Hyperactivité de l’Adulte N. Besnier

© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
L’Encéphale (2007) Supplément 3, S96–S102
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état maniaque, une instabilité chronique de l’humeur, voire
un trouble bipolaire à cycle rapide [23].
Le caractère asymptomatique des périodes intercriti-
ques est également remis en question. Il est notamment
établi qu’il persiste en période d’euthymie des dé cits
cognitifs, en particulier des fonctions exécutives et de l’at-
tention [41].
Ainsi, une approche dimensionnelle de la symptomato-
logie, l’exploration des antécédents psychiatriques dans
l’enfance, des antécédents familiaux, de la biographie et
du tempérament, permettraient d’identi er de nouvelles
formes cliniques de trouble bipolaire dont la prévalence
serait proche de 6 % [1].
Cependant, l’élargissement des critères diagnostiques
nécessite de questionner les frontières qui séparent le
trouble bipolaire d’autres pathologies. Le Trouble Dé cit
d’Attention-Hyperactivité (TDAH) de l’adulte serait parti-
culièrement dif cile à distinguer de certaines formes sub-
syndromiques ou atypiques de troubles bipolaires, voire du
trouble bipolaire de type II.
Le TDAH de l’adulte : une pathologie frontière ?
Bien qu’encore insuf samment connu des praticiens, le
TDAH concernerait, selon les études, entre 1 et 6 % de la
population adulte [55]. Cette pathologie est responsable
d’une altération signi cative du fonctionnement dans les
domaines professionnel, familial, social et sanitaire.
Les symptômes de TDAH, qui apparaissent avant l’âge de
7 ans, persistent à l’âge adulte dans 35 % à 66 % des cas
Trouble Bipolaire et Hyperactivité de l’Adulte
N. Besnier(a)(b)
(a) Service du Pr AZORIN, Pôle de psychiatrie CHU Sainte Marguerite, 270 avenue de Sainte Marguerite, 13009 Marseille
(b) UMR 6193 CNRS-Université de la Méditerranée, Institut des Neurosciences Cognitives de la Méditerranée, Faculté de
Médecine, Marseille
Introduction
Vers une nouvelle clinique du trouble bipolaire
Selon sa conception classique, le trouble bipolaire est une
pathologie cyclique de l’humeur dans laquelle des phases
aiguës (dépression, manie, manie mixte, hypomanie) alter-
nent avec des périodes de normothymie a priori asympto-
matiques [2, 19]. Suivant ces critères, le trouble bipolaire
affecte 1 % de la population mondiale. La plupart des étu-
des épidémiologiques décrivent un sexe ratio proche de 1
et un âge de début compris entre 15 et 24 ans.
De nombreux travaux, cependant, soulignent les limites
de ces critères. En premier lieu, les formes précoces de
trouble bipolaire, débutant chez l’enfant ou l’adolescent,
sont insuf samment diagnostiquées. Leurs spéci cités cli-
niques (irritabilité prévalant sur l’euphorie, fréquence des
syndromes mixtes, des formes à cycles rapides et des trou-
bles du comportement, évolution chronique) contribuent à
cette sous-évaluation [49].
D’autre part, la conception classique du trouble bipo-
laire ne permet pas d’appréhender la multiplicité et l’hété-
rogénéité des présentations cliniques. Ainsi, certains états
dépressifs, associés à des symptômes d’excitation (tachyp-
sychie, logorrhée, irritabilité) ou à une instabilité émotion-
nelle, échappent aux critères diagnostiques de trouble
bipolaire établis par les classi cations contemporaines ; ces
« dépressions mixtes », incorrectement traitées par une
monothérapie antidépressive, risquent d’évoluer vers un
* Auteur correspondant.
L’auteur n’a pas de con its d’intérêts.
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selon les travaux [4, 33, 43, 54]. Outre les différences
méthodologiques de ces études, les dif cultés diagnostiques
du TDAH chez l’adulte peuvent expliquer ces disparités.
Tout d’abord, l’évaluation rétrospective des symptômes
dans l’enfance, nécessaire au diagnostic positif, est asso-
ciée à un biais dans le recueil de données [34] ; pour en
réduire l’importance, il est recommandé de multiplier les
sources d’informations : le patient, sa famille, le médecin
traitant, les livrets scolaires. En outre, les symptômes sont
labiles et non spéci ques : seules leur association et leur
évolution au cours du temps permettront d’orienter le dia-
gnostic. En n, les critères fournis par les entretiens clini-
ques standardisés, développés à partir de la forme
pédiatrique de TDAH, sont peu adaptés à la sémiologie de
l’adulte.
Le TDAH de l’adulte se différencie cliniquement du
TDAH de l’enfant par la prédominance des troubles de l’at-
tention, alors que les symptômes appartenant à la dimen-
sion hyperactivité/impulsivité diminuent [37].
Outre les symptômes cardinaux, la symptomatologie de
l’adulte hyperactif est caractérisée par la recherche de
nouveauté, des dif cultés de plani cation et d’organisa-
tion, une déstructuration du sommeil. Des symptômes
affectifs sont très fréquemment associés : labilité émotion-
nelle, irritabilité, impulsivité, intolérance au stress.
Certaines manifestations pourraient être secondaires aux
symptômes cardinaux de l’hyperactivité ainsi qu’aux consé-
quences de ces symptômes sur le niveau de fonctionne-
ment : le sentiment de démoralisation, de découragement,
la mauvaise estime de soi, l’anxiété de performance et
l’anxiété sociale seraient consécutifs aux échecs et aux
frustrations accumulés au cours du développement et qui
émaillent bien souvent le parcours des enfants, adolescents
puis adultes hyperactifs [11].
Ainsi, le trouble bipolaire et le TDAH présentent des
dimensions cliniques communes : des symptômes moteurs
(agitation, hyperactivité) ; des symptômes affectifs (trou-
bles de l’estime de soi, labilité émotionnelle, irritabilité) ;
des traits de personnalité (impulsivité, recherche de nou-
veauté).
Dans la première partie de ce travail, nous présenterons
quels arguments contribuent, ou non, à établir le diagnos-
tic différentiel entre ces 2 pathologies.
Dans un second temps, nous développerons les aspects
épidémiologiques et cliniques de l’association du trouble
bipolaire et du TDAH.
En n, la fréquence de leur comorbidité nécessite de
passer en revue les résultats des études familiales et des
données étiopathogéniques permettant de rapprocher, ou
bien de mieux distinguer ces 2 pathologies.
Les arguments du diagnostic différentiel
Chez l’adulte, le sexe ratio ne permet pas de distinguer le
TDAH du trouble bipolaire ; en effet, si dans le TDAH de
l’enfant, le sexe ratio est compris entre 2 et 4 garçons pour
une lle, cet écart se réduit avec l’âge, oscillant entre 1/1
[6] et 1,8/1 [26] à l’âge adulte.
L’âge de début reste un élément extrêmement débattu ;
les symptômes de TDAH doivent être présents avant 7 ans
pour en établir le diagnostic, alors que le terrain classique
de début du trouble bipolaire est l’adulte jeune. Cependant,
de plus en plus de travaux soulignent que le trouble bipo-
laire pourrait débuter à l’adolescence, voire chez l’enfant
[49]. En outre, de récents travaux suggèrent l’existence de
formes de TDAH à début tardif [12, 58].
L’examen des symptômes affectifs pourrait, en revan-
che, contribuer au diagnostic différentiel. Chez les adultes
souffrant de TDAH, les accès d’excitation ne sont pas asso-
ciés à une élation de l’humeur ; s’il existe des phases de
échissement thymique, celles-ci ne s’accompagnent pas
de ralentissement psychomoteur ni de syndrome somati-
que. La survenue d’une humeur euphorique ou dépressive
chez l’adulte hyperactif est souvent brutale, imprévisible
et passagère, s’atténuant en quelques heures. En n, cer-
tains symptômes (élation de l’humeur, désinhibition
sexuelle, idées de grandeur, caractéristiques psychotiques)
seraient spéci ques du trouble bipolaire [21].
La différence d’évolution de ces 2 troubles (cyclique
dans le trouble bipolaire, chronique dans le TDAH) reste un
argument fondamental. En outre, le trouble bipolaire s’ag-
grave avec l’âge, alors que le TDAH s’améliore ; établir un
diagnostic suppose donc de considérer l’évolution du trou-
ble sur une longue période, depuis l’enfance jusqu’au
moment de l’évaluation.
En revanche, les 2 pathologies sont associées à une
altération signi cative du fonctionnement professionnel,
social, affectif, ainsi qu’à des comorbidités psychiatriques
élevées, en particulier les abus de substances, les condui-
tes suicidaires et les troubles de personnalité.
Les troubles dysexécutifs et attentionnels sont remar-
quables dans ces 2 pathologies [24, 41]. Cependant, l’em-
ploi des tests neurocognitifs échoue à distinguer
l’hyperactivité des troubles thymiques [48, 62]. De plus,
ces dé cits ne sont pas spéci ques de ces troubles ; l’éva-
luation neuropsychologique est donc peu pertinente pour le
diagnostic différentiel.
En conclusion, ce sont essentiellement des entretiens
cliniques répétés, évaluant la symptomatologie actuelle et
rétrospective et son évolution au cours du temps, qui
contribueront à établir le diagnostic différentiel entre ces
2 pathologies.
Cependant, l’existence de formes comorbides com-
plexi e remarquablement l’évaluation diagnostique et la
décision thérapeutique.
Comorbidité trouble bipolaire –
TDAH chez l’adulte
Les données épidémiologiques suggèrent que le trouble
bipolaire et le TDAH pourraient être fréquemment associés
chez le sujet adulte. Ainsi, entre 14 et 20 % des sujets bipo-
laires souffriraient, également, d’hyperactivité [45, 59].
Plus récemment, State et al. [51] ont observé que 34,1 %
des sujets bipolaires hospitalisés pour un état maniaque
présentaient un TDAH.
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Réciproquement, le trouble bipolaire serait fréquent
chez les sujets hyperactifs, sa prévalence variant entre
10 % et 20 % selon les études [38, 59].
La majorité des travaux soulignent la précocité du trou-
ble bipolaire chez les patients comorbides, avec un âge de
début compris entre 12 et 17 ans [25, 38, 53]. En outre,
l’évolution serait plus sévère qu’en cas de trouble bipolaire
isolé.
Le TDAH des sujets ayant reçu un double diagnostic
serait caractérisé par une plus grande proportion de symp-
tômes de la dimension hyperactivité/impulsivité en compa-
raison aux symptômes d’inattention [25, 38, 53].
Wilens et al. [56] ont comparé un groupe de patients
souffrant de TDAH et de trouble bipolaire à un groupe de
patients souffrant de TDAH isolé. Il n’y avait pas de diffé-
rence de sexe ratio entre les 2 groupes. Les résultats ont
montré que les patients comorbides présentaient plus de
pathologies psychiatriques associées et un moins bon niveau
de fonctionnement global que les sujets hyperactifs sans
trouble bipolaire associé. Le TDAH était, en termes de
nombre de symptômes, plus sévère dans la situation comor-
bide. Lorsqu’il existait un trouble bipolaire associé, le
TDAH était de sous-type mixte, c’est-à-dire associant des
symptômes des dimensions inattention et hyperactivité/
impulsivité dans 96 % des cas.
Plus récemment, l’étude de Nierenberg et al. [38] a
comparé un groupe de patients bipolaires hyperactifs à un
groupe de patients bipolaires sans hyperactivité. Les résul-
tats ont montré une prédominance masculine dans le
groupe comorbide (2 hommes pour une femme). Le trouble
bipolaire était plus grave lorsque les sujets avaient une
hyperactivité associée : moins de jours de rémission, plus
d’épisodes aigus, plus grand pourcentage de jours durant
lesquels l’humeur était irritable ou exaltée. Les bipolaires
hyperactifs avaient une moins bonne qualité de vie (moins
de jours de bien-être au cours des deux années précéden-
tes) et un moins bon niveau de fonctionnement que les
sujets souffrant de trouble bipolaire isolé. Les sujets
comorbides présentaient plus d’antécédents de conduites
suicidaires (prévalence vie entière : 45,0 % vs 33 %), de
comportements violents (39,5 % vs 19,4 %) et délictueux
(42,4 % vs 21,9 %) et de comorbidités psychiatriques,
notamment de troubles anxieux et addictifs (Odds Ratio
supérieur à 2 pour chaque addiction).
Certains problèmes méthodologiques pourraient aug-
menter de manière artefactuelle la prévalence de cette
comorbidité.
Tout d’abord, les symptômes communs risquent d’être
comptabilisés dans les 2 troubles ; une étude a néanmoins
montré que la majorité des sujets bipolaires hyperactifs
conservaient ce double diagnostic après soustraction de
l’in uence de la symptomatologie commune [36].
D’autre part, la majorité des études concernent des
patients déjà suivis pour un diagnostic psychiatrique. Or la
probabilité, pour un patient donné, de souffrir d’une patho-
logie psychiatrique est d’autant plus importante qu’une
autre pathologie a préalablement été diagnostiquée. De
tels biais, appelés « biais de Bergson », pourraient être à
l’origine d’une surévaluation de la comorbidité.
Néanmoins, l’ensemble des données traduit la fré-
quence et la sévérité de l’association entre le trouble bipo-
laire et l’hyperactivité à l’âge adulte. Il est ainsi légitime
de questionner l’existence d’une vulnérabilité commune,
notamment par l’examen des études familiales et étiopa-
thogéniques.
Trouble bipolaire et TDAH de l’adulte :
une susceptibilité commune ?
L’importante prévalence du TDAH chez les apparentés de
sujets souffrant de trouble bipolaire atteste d’une suscep-
tibilité croisée entre le trouble bipolaire de l’adulte et
l’hyperactivité. Selon Winokur et al. [59], 20 % des appa-
rentés de premier degré des adultes bipolaires souffrent de
TDAH. Le travail de méta-analyse mené par Faraone [16] a
montré que la prévalence du TDAH serait plus importante
chez les enfants de bipolaires (15 %) que chez des enfants
témoins (5 %). Plus récemment, Chang et al. [10] ont
observé une prévalence du TDAH de 28 % chez les enfants
de patients bipolaires.
À l’inverse, la mise en évidence d’un trouble bipolaire
chez les parents d’enfants hyperactifs a été moins solide-
ment établie, puisque 2,6 à 9 % des parents d’enfants hype-
ractifs présenteraient un trouble bipolaire [16].
L’objectif des travaux de Wozniak et al. [60] était de
déterminer les diagnostics psychiatriques chez les parents
d’enfants bipolaires ; les résultats ont montré une surre-
présentation du trouble bipolaire, du TDAH mais aussi de la
condition comorbide trouble bipolaire + TDAH.
Un autre argument en faveur d’une vulnérabilité com-
mune entre TDAH et trouble bipolaire est la mise en évi-
dence d’une coségrégation entre ces deux troubles. Les
sujets inclus dans l’étude de Faraone et al. [16] étaient des
enfants souffrant de trouble bipolaire et de TDAH comorbi-
des. L’existence de troubles psychiatriques chez leurs
parents a été évaluée. Lorsque les parents présentaient un
TDAH, un trouble bipolaire était associé dans 55 % des cas,
tandis que lorsque les parents n’étaient pas hyperactifs, la
prévalence du trouble bipolaire n’était que de 5 %.
La fréquente comorbidité entre le trouble bipolaire et
le TDAH pourrait témoigner d’une vulnérabilité commune à
ces 2 troubles, comme en attestent les résultats des études
familiales. L’examen des connaissances actuelles dans le
domaine de l’étiopathogénie du trouble bipolaire et du
TDAH permettrait une meilleure compréhension du lien qui
unit ces 2 pathologies.
Trouble bipolaire et TDAH :
modèles étiopathogéniques
Modèles neurocognitifs
Le trouble bipolaire et le TDAH partagent certaines dimen-
sions symptomatiques, tels que des dé cits des fonctions
exécutives. Parmi ces fonctions, l’inhibition, qui permet de
ltrer les informations et les réponses inappropriées, serait
particulièrement dé citaire, notamment dans le TDAH.
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Selon le modèle de Barkley [3], le dé cit d’inhibition
chez les sujets hyperactifs serait à l’origine des perturba-
tions de l’élaboration, l’exécution et le contrôle de la
réponse motrice, ces dysfonctionnements se traduisant par
des conduites impulsives et inappropriées à l’environne-
ment.
Ce dé cit d’inhibition serait sous-tendu par une altéra-
tion fonctionnelle du contrôle exercé par le cortex préfron-
tal sur les structures sous-corticales. De nombreux arguments
issus de la neuropsychologie et de la neuro-imagerie ont
permis d’étayer ce modèle chez l’enfant et l’adolescent ;
chez l’adulte, quelques travaux récents permettent égale-
ment d’illustrer ce modèle.
L’étude de Seidman et al. [47] a comparé, en neuro-
imagerie anatomique, des patients hyperactifs et des sujets
témoins. Les résultats ont montré que le nucleus accum-
bens, structure impliquée dans l’inhibition, l’impulsivité et
la motivation, avait un volume plus important chez les
patients hyperactifs que chez les sujets témoins. Par
ailleurs, le volume des cortex dorsolatéral et cingulaire
antérieur, fondamentaux pour le contrôle de l’action, était
réduit chez les patients hyperactifs.
En neuro-imagerie fonctionnelle, l’étude de Bush et al.
[9] a montré une plus faible activation du cortex cingulaire
antérieur chez des patients hyperactifs par rapport à des
sujets témoins au cours de la réalisation du Counting
Stroop, tâche qui sollicite les processus d’inhibition.
Ces données suggèrent qu’il existe dans le TDAH de
l’adulte un dé cit d’inhibition qui pourrait être impliqué
dans la symptomatologie. Cependant, un manque de spéci-
cité est reproché à ce modèle ; en effet, un dé cit de
contrôle cortical est identi able dans plusieurs pathologies
psychiatriques, notamment dans le trouble bipolaire.
Des données cliniques et de recherche témoignent de
l’importance du dé cit des fonctions d’inhibition dans le
trouble bipolaire. Au cours du test de Stroop en IRM fonc-
tionnelle, on observe, chez les sujets bipolaires par rapport
à des sujets sains, une diminution de l’activation du cortex
préfrontal ventral gauche [8]. Dans l’étude de Malhi et al.
[32], une version émotionnelle de ce test évaluait la mise
en jeu des processus d’inhibition lors de la présentation de
stimuli neutres ou émotionnels ; chez les patients bipolai-
res euthymiques, l’activation du cortex préfrontal ventral
gauche était d’autant plus dé citaire que les stimuli
étaient de valence émotionnelle forte. Ces résultats met-
tent en évidence l’in uence des émotions sur la mise en
jeu des processus d’inhibition. Ainsi, le trouble du traite-
ment des émotions pourrait représenter un modèle étiopa-
thogénique de trouble bipolaire.
Les patients bipolaires présentent des dé cits de la
reconnaissance, de la production et de la régulation des
émotions. Ces anomalies seraient associées à des dysfonc-
tionnements d’un réseau cortico-sous-cortical dont la par-
tie ventrale ou « affective » (amygdale, striatum, cortex
cingulaire antérieur) est impliquée dans la reconnaissance
et la production des émotions, et la partie dorsale ou
« cognitive » (hippocampe, cortex dorsolatéral) dans la
régulation de la réponse émotionnelle [39]. L’étude de
Yurgelund-Todd et al. [61] permet d’illustrer ce modèle.
Les performances de patients bipolaires euthymiques au
cours d’une tâche de reconnaissance des émotions faciales
ont été comparées à celle de sujets sains. La présentation
de stimuli faciaux exprimant de la peur entraîne chez les
sujets bipolaires une hyperactivation de l’amygdale gauche
et une hypoactivation du cortex dorsolatéral droit par rap-
port aux sujets témoins ; ces données suggèrent que la pro-
duction de réponses émotionnelles inappropriées, liée à
une hyperactivité des structures limbiques, est associée à
un dé cit de la régulation des réponses émotionnelles exer-
cée par les structures corticales.
Ainsi, le TDAH et le trouble bipolaire seraient caracté-
risés par des troubles du contrôle cognitif de la réponse,
sous-tendus par un dysfonctionnement des interactions
cortico-sous-corticales. La régulation du traitement émo-
tionnel, peu abordée dans le domaine de la recherche pour
le TDAH, semble plus spéci que du trouble bipolaire.
D’autres types de modèles pourraient contribuer à rap-
procher, ou bien à mieux distinguer ces 2 pathologies.
Modèles neurobiologiques
De nombreux arguments attestent d’un dysfonctionnement
du système dopaminergique, aussi bien dans le TDAH que
dans le trouble bipolaire.
Certaines dimensions cliniques communes, telle que les
troubles de la motricité (agitation, hyperactivité, ralentis-
sement psychomoteur dans la dépression bipolaire) et de la
motivation (instabilité motivationnelle dans le TDAH, anhé-
donie/hyperhédonie dans le trouble bipolaire), ou encore
la comorbidité avec des abus de substances, sont des argu-
ments en faveur d’une dérégulation de la transmission
dopaminergique.
Les travaux de Dougherty et al. [15] puis de Krause
et al. [28] ont mis en évidence une augmentation de la
densité du transporteur de la dopamine dans le striatum
chez des adultes hyperactifs par rapport à des adultes
témoins. Cette anomalie était réversible après administra-
tion de Méthylphénidate, dont la principale cible pharma-
cologique est le transporteur de la dopamine.
Un des modèles animaux de TDAH les mieux connus cor-
respond aux souris KO-DAT ; génétiquement dépourvues de
transporteur de la dopamine, elles sont caractérisées par
une hyperactivité locomotrice, un dé cit d’inhibition, des
cits de mémoire et des apprentissages. La correction de
ces anomalies comportementales par le Méthylphénidate
est un argument en faveur de l’hypothèse dopaminergique
dans le TDAH [17].
Or, les anomalies comportementales de ces souris sont
également remarquablement améliorées par l’administra-
tion de thymorégulateurs, tels que le Lithium ou le Valproate
[42]. Ainsi, ce modèle animal dopaminergique est étudié
comme modèle du trouble bipolaire aussi bien que comme
modèle de TDAH.
Les bases étiopathogéniques du TDAH et du trouble
bipolaire sont donc caractérisées par des anomalies neuro-
biologiques au moins en partie communes. Cependant,
d’autres systèmes monoaminergiques, en particulier séro-
toninergique et noradrénergique, sont impliqués. Le déve-
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loppement de ces données étiopathogéniques et la mise en
évidence d’une vulnérabilité familiale commune nécessi-
tent d’examiner les résultats des études génétiques.
Données génétiques
Dans le trouble bipolaire, les principales études d’associa-
tion ont souligné l’importance de gènes impliqués dans la
transmission monoaminergique : transporteur de la dopa-
mine, transporteur de la sérotonine, tyrosine hydroxylase,
monoamine oxydase A [5, 20, 31, 40].
Dans le TDAH, la majorité des études d’association ont
montré une implication des gènes intervenant dans le sys-
tème dopaminergique, en particulier les gènes codant pour
les récepteurs dopaminergiques D4 et D5 ; en revanche, les
données concernant l’implication du gène du transporteur
de la dopamine dans le TDAH sont peu concordantes [30].
L’état actuel des connaissances suggère que malgré une
vulnérabilité familiale et des perturbations biologiques en
partie communes, le TDAH et le trouble bipolaire sont des
pathologies distinctes, dont le diagnostic différentiel est
essentiellement fondé sur des arguments de nature clini-
que. La réalisation de ce diagnostic différentiel et l’identi-
cation des situations comorbides ont des implications
thérapeutiques majeures.
Implications thérapeutiques
La spéci cité de l’ef cacité des thymorégulateurs chez les
patients souffrant de trouble bipolaire et des psychostimu-
lants chez les patients hyperactifs constitue l’un des prin-
cipaux enjeux du diagnostic de l’un et/ou l’autre de ces
troubles.
Par ailleurs, les effets de la prescription de psychosti-
mulants dans le trouble bipolaire, au premier rang desquels
le Méthylphénidate, sont controversés. Plusieurs travaux
sont en faveur d’un risque de déstabilisation thymique :
induction d’états maniaques chez des enfants, des adultes
et des individus à risque de trouble bipolaire [27, 44] ;
aggravation de l’évolution et de l’intensité de la sympto-
matologie [50] ; début plus précoce du trouble bipolaire
chez les sujets préalablement exposés aux psychostimu-
lants [13]. En revanche, certaines études ont montré une
amélioration de la symptomatologie maniaque chez des
sujets traités par psychostimulants [18, 35]. Lydon et al.
[29] ont souligné le béné ce d’un traitement par
Méthylphénidate chez des sujets bipolaires sur les fonctions
cognitives, notamment attentionnelles, mais également
sur les symptômes dépressifs ; au bout de 14 mois, aucun
état maniaque n’a été rapporté chez les patients traités.
Les antidépresseurs, en particulier l’Atomoxetine et les
antidépresseurs tricycliques tels que la Désipramine, ont
fait la preuve de leur ef cacité dans l’hyperactivité ; néan-
moins, ces psychotropes favoriseraient le développement
d’épisodes maniaques ou hypomaniaques chez des patients
bipolaires [7, 22]. En revanche, Wilens et al. [57] suggèrent
l’ef cacité thérapeutique du Buproprion sur les symptômes
de TDAH et de dépression bipolaire.
En n, les thymorégulateurs pourraient avoir des effets
béné ques chez les sujets hyperactifs sur les fonctions cogni-
tives, l’impulsivité et les symptômes affectifs associés [14].
Le traitement des patients souffrant de trouble bipo-
laire et d’hyperactivité associée reste peu codi é. L’étude
de Scheffer et al. [46] a montré la tolérance et l’ef cacité
de l’association d’un traitement par Valproate et amphéta-
mines chez les sujets comorbides. Cependant, les patients
comorbides seraient moins sensibles aux agents antimania-
ques [52].
Il semble recommandé de traiter les épisodes aigus et
d’instaurer un traitement thymorégulateur, puis d’intro-
duire un traitement spéci que de l’hyperactivité une fois
atteinte la stabilité thymique. Des études prospectives
dans cette indication chez l’adulte sont nécessaires a n
d’évaluer l’ef cacité et la tolérance de cette association
médicamenteuse.
Conclusion
Le trouble bipolaire et le TDAH partagent des dimensions
cliniques et étiopathogéniques communes. Néanmoins, une
analyse clinique rigoureuse et la prise en compte de l’évo-
lution de la symptomatologie permettent, dans de nom-
breux cas, d’établir le diagnostic différentiel. La comorbidité
entre ces 2 troubles, fréquente, est une situation clinique
sévère dont la prise en charge est complexe. Selon certains
auteurs, l’association trouble bipolaire et TDAH pourrait
constituer une entité nosographique spéci que. Certains
arguments soutiennent cette hypothèse, tels que l’exis-
tence d’une coségrégation entre ces deux troubles, ou
encore les spéci cités cliniques de la condition comorbide :
prédominance masculine, irritabilité majeure, moindre
réponse aux traitements antimaniaques, trouble bipolaire
de début plus précoce.
Pour une meilleure compréhension du lien entre trouble
bipolaire et TDAH chez l’adulte, la mise en place d’études
comparatives des deux pathologies serait nécessaire.
Cependant, la validation préalable de critères diagnosti-
ques facilitant le diagnostic différentiel ou l’identi cation
des situations comorbides est essentielle. Cette étape est
également indispensable à l’élaboration de stratégies de
prise en charge thérapeutique.
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