Vieillissement, refus de l’alimentation et états dépressifs :

S 632
L’Encéphale, 2006 ;
32 :
632-7, cahier 5
Vieillissement, refus de l’alimentation et états dépressifs :
l’expérience d’une équipe d’éthique clinique
V. FOURNIER
(1)
(1) Directrice du Département d’Éthique médicale au Centre Hospitalier Cochin-Port Royal.
Rewriter I. Fabre.
Je suis médecin cardiologue, particulièrement engagée
dans l’information aux patients, à leur entourage, avec
toute l’importance de l’alliance thérapeutique.
Je ne connais rien ni à la psychiatrie, ni à la gériatrie,
et je ne suis pas non plus une éthicienne. Je suis médecin
de santé publique et c’est à ce titre-là que nous avons mis
en place et développé le centre d’éthique clinique qui est
une première en France depuis trois ans maintenant, et
dont je vais vous expliquer un peu le fonctionnement.
Je voudrais vous poser une question qui peut paraître
provocante, mais qui très régulièrement me tracasse,
notamment depuis que je fais de l’éthique clinique, mais
pas depuis ce moment-là uniquement. Est-ce qu’un état
dépressif est toujours un état pathologique, faut-il toujours
le soigner, éventuellement contre la volonté de la
personne ? C’est une question que j’imagine vous con-
naissez bien et sur laquelle vous pourrez nous aider à
réfléchir.
LE CENTRE D’ÉTHIQUE CLINIQUE DE COCHIN
Le terme d’éthique est beaucoup utilisé d’une autre
façon que la nôtre, et nous n’avons d’ailleurs aucun brevet
sur cette appellation. Nous proposons une aide à ceux qui
sont confrontés à une décision médicale difficile, c’est-à-
dire souvent un conflit de valeurs.
On peut être saisi par des patients, leur famille, leurs
proches, ou les équipes soignantes. On travaille toujours
au cas par cas, sur une décision en cours, non pas rétros-
pectivement, mais prospectivement. On propose
d’accompagner cette décision, cette réflexion préalable à
la décision, de façon collégiale, multidisciplinaire, et par
l’intermédiaire d’un tiers neutre, c’est-à-dire qui n’est pas
concerné par la décision en cours, qui n’a pas d’enjeu dans
la décision en cours.
Notre posture est toujours la même : un
a priori
de neu-
tralité, c’est-à-dire qu’
a priori
toutes les positions expri-
mées sont éthiquement recevables. Nous essayons de
comprendre ce qui anime la personne qui exprime cette
position de façon équivalente chez l’un et chez l’autre.
Nous sommes sollicités en général parce que les deux
parties ont des positions contraires, par exemple sur un
refus de soins.
Récemment, nous sommes intervenus sur un refus de
soins d’une patiente de 65 ans, hospitalisée pour une dou-
leur vertébrale très importante. On découvre chez elle une
métastase vertébrale d’un cancer primitif pancréatique.
Elle n’a aucun antécédent médical et refuse tout traite-
ment à partir du moment où elle connaît son diagnostic.
Cela pose problème à l’équipe soignante qui estime qu’on
pourrait lui rendre service. Mais pourquoi refuse-t-elle ?
Est-elle dans un état normal ou pas ? Sa position est-elle
liée à une métastase cérébrale ou un problème
psychiatrique ? Faut-il faire honneur à ce refus de soins,
faut-il le respecter ?
Ce qui nous intéresse est de savoir, qui dit quoi, qui
pense quoi et pourquoi. Ensuite, nous réfléchissons
ensemble, qui est légitime pour décider en la circonstance,
et pourquoi.
Notre méthode de travail est toujours la même : nous
menons des entretiens en binôme, avec un soignant et
un non-soignant. Nous donnons une place équivalente à
chacune des paroles. Ensuite, nous discutons de la situa-
tion de manière multidisciplinaire, selon une procédure
précise, avec des personnes formées à l’éthique clinique
et médicale. Nous ne prenons aucune décision, mais ten-
tons de débrouiller l’écheveau des arguments en cause.
Notre position est donc consultative et réflexive.
Nous avons été sollicités à plusieurs reprises sur cette
question difficile : quels déterminants éthiques conduisent
à la décision de mise en place d’une sonde d’alimentation
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ou de gastrostomie artificielle (GPE), chez des personnes
âgées, chez lesquelles se pose la question de la compé-
tence mentale en général, du fait d’une maladie dégéné-
rative, type Alzheimer ?
Les endoscopistes voient ces patients, souvent des
patientes, en bout de chaîne, et ont l’impression d’être
considérés comme des prestataires de service. Ils veulent
savoir comment la décision a été prise et sur quels argu-
ments.
UNE HISTOIRE…
Nous avons mis en place une étude avec les endosco-
pistes, en collaboration avec deux services de gériatrie,
l’un à l’Hôpital Broca, l’autre à l’Hôpital Charles-Foix. Nous
avons systématiquement accompagné les trois semaines
précédant la décision de pose d’une sonde ou non, en
essayant de rencontrer toutes les parties à la décision, le
patient, ses proches, les différents membres de l’équipe
soignante.
Cette étude a été menée pour savoir qui pense quoi et
pourquoi ? Quelle décision est prise in fine, pourquoi ?
Pourquoi tel argument a prévalu dans telle circonstance
plutôt que tel autre ? S’il y a des différences entre les deux
structures participant à l’étude, comment les explique-t-
on ?
Cette étude a inclus 35 patients entre mars 2004 et juin
2005. Voici quelques résultats issus de l’analyse. Il y a
50 % d’hommes et de femmes. L’âge moyen est de 84 ans
±
7. Il y a eu 5 décisions de GPE posées à Charles-Foix
sur 20 patients inclus et une à Broca, sur 15 patients
inclus. 50 % des patients inclus sont morts à 6 mois, dès
lors que l’on commence à discuter l’indication d’une GPE.
57 % des patients sont sous traitement antidépresseur.
Monsieur X., 80 ans…
Monsieur X., 80 ans, a une maladie d’Alzheimer connue
depuis dix ans. Il vit chez lui, jusqu’à août 2004. Il est régu-
lièrement suivi en hôpital de jour pour la maladie d’Alzhei-
mer et traité. En août 2004, il est hospitalisé en urgence
en psychiatrie, après avoir été violent une nouvelle fois
avec sa femme.
Le médecin traitant dit qu’il faut les séparer, et qu’il n’est
plus possible que cette femme s’occupe seule de son mari.
Celui-ci est finalement hospitalisé de force en psychiatrie.
Il comprend très bien sa situation. Quand les infirmiers
psychiatriques viennent l’amener de force à l’hôpital psy-
chiatrique, il se tourne vers sa femme et lui dit : « Tu es
folle, tu m’amènes à l’hôpital psychiatrique. »
Au bout de 48 heures, il est transféré en gériatrie, l’hôpi-
tal psychiatrique estimant que son état ne relève pas d’un
problème mental. Après plusieurs jours, il est amputé de
la jambe gauche, du fait d’une ischémie aiguë. En post-
opératoire, le patient refuse catégoriquement de se nour-
rir. Le médecin attribue ce refus à une dépression réac-
tionnelle aux agressions successives représentées par
l’institutionnalisation et l’amputation, et pense qu’il faut
absolument mettre une GPE pour passer ce cap difficile.
La famille du patient juge cette idée déraisonnable.
La question est de savoir si la dépression de Monsieur
X. est pathologique et nécessite d’être traitée, d’une cer-
taine façon contre lui. Il refuse de se nourrir et n’est pro-
bablement plus capable de refuser les médicaments, y
compris antidépresseurs.
Peut-on mettre en cause sa compétence mentale ? Est-
elle mise en cause du fait de la maladie d’Alzheimer ou
du fait de la dépression ? Faut-il respecter le refus de GPE
demandé par la famille, au motif que le patient a exprimé
sa volonté de ne plus se nourrir ? Faut-il au contraire le
traiter par GPE et mettre des antidépresseurs dans la
sonde, considérant que cet état est réactionnel et patho-
logique et que le meilleur intérêt de Monsieur X. est d’être
traité, y compris contre lui-même ?
Monsieur Y., 94 ans…
Monsieur Y., 94 ans, se trouve brutalement hospitalisé
en attente d’un long séjour, parce qu’il ne « s’en sort » plus
tout seul à la maison. Il arrête alors de se nourrir car cette
institutionnalisation lui est extrêmement brutale. Son seul
désir est de rester chez lui. L’équipe soignante pense qu’il
faudrait poser une sonde de GPE pour l’alimenter artifi-
ciellement, car sinon, il va perdre ses forces. Ils estiment
que l’état de Monsieur Y. est réactionnel et devrait s’amé-
liorer.
Ce patient est confus et s’exprime peu. Selon l’équipe
soignante, il y a un début de maladie d’Alzheimer (le MMS
est à 15) et le patient n’est pas compétent. Ils appellent
le centre d’éthique clinique.
Nous rencontrons Monsieur Y. dans sa chambre et
sommes habillés en civil. Il ne sait pas très bien qui nous
sommes, et contre toute attente, parle de façon suivie, de
son refus de nourriture, de sa condition de vie depuis qu’il
est hospitalisé et de la façon dont il envisage l’avenir. Ce
qu’il dit, relève pour nous d’une grande cohérence et nous
ne sentons pas cet homme incompétent.
Pour autant, il se peut que ce soit un hasard et que le
reste du temps, Monsieur Y. soit différent. Peut-être que
ce qu’il exprime, est un certain degré d’incohérence ou
d’incompétence au regard de ce qu’il est usuellement.
Mais cet homme est-il vraiment dépressif, est-il
incompétent ? Si oui, est-ce du fait de la maladie d’Alzhei-
mer et faut-il traiter sa dépression ? Faut-il mettre une
GPE ?
LA NOTION DE COMPÉTENCE
EN ÉTHIQUE CLINIQUE
La
compétence
est une notion essentielle à l’exercice
de l’éthique clinique. Nous tentons d’apprécier le poids
qu’il faut accorder à ce qu’exprime une personne concer-
née dans une décision médicale. Le principe d’autonomie
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est mis en balance, par exemple, avec d’autres principes
comme celui de non-malfaisance ou de bienfaisance.
La compétence, au sens de l’éthique clinique, n’est pas
la même que celle au sens juridique, médical, ou psycho-
logique du terme.
Nous essayons de vérifier si la décision ou l’action por-
tée par la personne, peut être considérée comme auto-
nome, c’est-à-dire intentionnelle, avec un discours qui a
compris les enjeux et les conséquences de la décision
qu’elle veut prendre, en dehors d’influences qui la contrô-
leraient au-delà de sa volonté.
Mais, est-ce que l’inconscient est une influence qui vous
contrôle au-delà de votre volonté ? Nous débattons
souvent de cette question lors de réunions cliniques avec
les psychiatres. Ceux-ci disent que les gens, surtout
dépressifs, mais aussi les non déprimés, ne sont pas com-
pétents.
Le « je » ne les intéresse guère, contrairement à ce
qu’exprime l’inconscient, même si la personne n’en est
pas consciente. Eux le comprennent. Il ne faut pas accor-
der d’importance à ce qu’exprime la personne, parce
qu’elle n’est pas autonome.
Nous aimerions débattre de cette question avec vous.
N’est-on pas en droit d’être dépressif, quand on devient
vieillissant, malade, institutionnalisé, avec un projet de vie
qui n’est pas forcément très attrayant ? Faut-il absolument
tenter de combattre cet état dépressif ? Est-ce une bonne
solution que beaucoup des personnes âgées institution-
nalisées soient sous antidépresseurs ?
QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION
Nous nous demandons si le refus d’alimentation n’est
pas parfois le dernier espace d’expression de liberté de
personnes âgées démentes. N’est-ce pas une dernière
façon de s’exprimer qui pourrait avoir un certain sens,
même s’il n’exprime pas des choses très sensées par
ailleurs ?
À ce titre, ne doit-on pas respecter le refus d’alimenta-
tion, comme l’état dépressif qui peut le sous-tendre ?
Faut-il mettre la sonde d’alimentation artificielle, au moins
par stratégie d’essai thérapeutique, pour être sûr que la
personne prendra un traitement antidépresseur, et que
véritablement ce n’est pas sous l’empire d’une dépression
qu’elle refuse de se nourrir ?
Ces nombreuses questions autour de la sonde de gas-
trostomie et dépression sont très illustratives de la notion
de compétence en psychiatrie.
Madame Z., 52 ans…
Nous avons récemment été saisis sur l’histoire sui-
vante. Madame Z., 52 ans, se rend à l’étranger pour béné-
ficier d’un don d’ovocytes. Cette femme se retrouve
enceinte de jumeaux. Elle déclare à l’équipe soignante :
« Un oui, mais deux non ! ». L’équipe estime que Madame
Z. est incompétente, parce que les conditions de sa gros-
sesse constituent un choc psychologique.
La question de la compétence en éthique clinique se
pose tous les jours. Dès que des patients nous posent pro-
blème, on a facilement tendance à dire que c’est parce
qu’ils sont incompétents.
DISCUSSION AUTOUR DE QUESTIONS
ET REMARQUES
Question
(Dr Christophe Arbus, Psychiatre, Toulouse)
Pourriez-vous définir plus précisément la notion de
compétence ?
Réponse
Nous travaillons beaucoup sur cette notion de compé-
tence qui évolue dans le temps, ce qui la rend extrême-
ment difficile. Il y a de nombreux écrits. Je ne voudrais
absolument pas que mes propos soient schématiques.
L’idée consiste à vérifier comment la personne concer-
née a les moyens d’une expression libre vis-à-vis de la
décision à prendre. Mais la liberté s’entend aussi en fonc-
tion d’un contexte. Nous sommes tous dans des contex-
tes, des histoires de vie. On peut avoir choisi les contrain-
tes auxquelles on est soumis, ou on peut se dire que la
décision prise est la plus libre possible, vue la circonstance
dans laquelle on est, y compris psychique.
La deuxième idée, en matière d’éthique clinique, est de
ne regarder que la compétence qui a la décision médicale
en débat, et non la compétence en général. Ce qui compte
vis-à-vis de la question posée sur une décision médicale,
est de savoir si le patient a quelque chose à dire qui a du
sens, qui paraît compréhensible, dans son contexte à lui.
Cette notion de compétence que nous recherchons, en
éthique clinique, est donc bien particulière.
Question
(Dr Christophe Arbus, Psychiatre, Toulouse)
Est-ce que cela à voir avec la notion de discernement
du Code Pénal ?
Réponse
Non. Nous considérons que certaines personnes dites
incapables et protégées au plan juridique, sont parfaite-
ment capables de compétence au plan de la décision
médicale qui les concerne.
Par exemple, des personnes sous tutelle peuvent
s’exprimer sur la stérilisation des personnes handicapées.
À l’inverse, des personnes non protégées sur le plan juri-
dique, ne sont pas en état de compétence suffisante pour
prendre une décision à un moment donné, parce qu’elles
sont sous l’emprise d’un événement (traumatisme, coma,
maladie…).
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Question
(Pr Vincent Camus, Psychiatre, Tours)
On a l’impression dans vos propos, qu’il peut y avoir
une décision de conflit dans les prises de décision de cer-
tains confrères psychiatres.
Je suis assez frappé, car en tant que psychiatre de
liaison, ayant longtemps fait ce travail de liaison auprès
des personnes âgées, spécifiquement, pendant de nom-
breuses années, je ne peux que totalement approuver la
définition que vous donnez de la compétence.
Alors, je découvre que je faisais peut-être de l’éthique
clinique sans le savoir ! Je suis un peu surpris, car il me
semble que le travail du psychiatre, amené parfois à inter-
venir dans ces situations, est aussi de ne pas seulement
faire des interprétations « Moi, je connais le contenu latent
du discours, et je peux considérer que ce patient n’est pas
compétent ».
Il me semble que le travail de beaucoup de psychiatres,
dans ces situations, est de remettre en perspective ce que
veut dire l’attitude non verbale du patient, et j’ai peut-être
perçu une attitude un peu caricaturale des psychiatres
dans vos propos. Je voulais un peu les tempérer, car je
pense que nous psychiatres, sommes souvent intervenus,
avec des positions proches, tant sur la perception que sur
la méthode.
Je crois que la fonction du tiers, le travail multidiscipli-
naire, le fait de donner la parole à chacun, en présence
de tous, rejoint les éléments de perception clinique de
modèles et de méthodes, auxquels le psychiatre de liaison
peut recourir dans sa pratique.
Réponse
J’ai sûrement été caricaturale, mais c’est pour grossir
le trait et permettre le débat. Je suis sûre que tous les psy-
chiatres ne sont pas comme cela !
L’idée est de voir chacun en tête-à-tête. Nous sommes
deux de notre côté, pour avoir cette approche à la fois
médicale et non médicale, parce qu’il nous semble qu’il y
a des enjeux bien au-delà du médical dans ces décisions
extrêmement fortes, souvent. Nous ne voyons pas les per-
sonnes ensemble, pour que puissent s’exprimer des cho-
ses en dehors de la réunion collective, dans un premier
temps au moins.
Question
(Dr Viviane d’Assonville,
Psychiatre à Chelles et Montreuil)
J’ai personnellement travaillé très longtemps en psy-
chiatrie de liaison, plus d’une vingtaine d’années, et c’est
la raison pour laquelle je vais poser cette question un peu
provocante : n’y a-t-il pas des personnes âgées tout à fait
compétentes et pas du tout déprimées, qui font le choix
du refus de sonde ?
Réponse
Bien sûr que oui.
Remarque
(Dr Guy Zworowski, Psychiatre)
J’ai l’impression que vous réifiez les patients, que vous
les instrumentalisez, en ne les considérant pas comme
des êtres humains, mais plutôt comme des cas cliniques.
On pèse le pour et le contre, sans prendre totalement en
considération l’être humain qui est en eux.
Lorsque vous avez parlé d’état dépressif, je dirais qu’il
n’est qu’une définition. Doit-on se baser sur une définition
ou doit-on aussi chercher l’humain ? Là, j’ai l’impression
que nous sommes dans un état purement matériel, sans
considérer l’état humain. Et cela m’étonne d’autant plus
que vous êtes éthicienne et qu’
ethos
, en grec, signifie l’art
de vivre ensemble. C’est le
mos, moris
en latin, qui est la
même chose.
Question
(Dr Anne Gut, Psychiatre, Paris)
Combien de fois voyez-vous la famille ? Combien y a-
t-il d’entretiens ? Vous avez parlé d’un binôme avec un
non-soignant, qui est-il ?
Remarque
(Dr Thierry Gallarda, Psychiatre, Paris)
J’avais entendu dire un jour le professeur Françoise
Forette, à propos de la maladie d’Alzheimer, que finale-
ment, la meilleure position éthique du point de vue médical
est la compétence professionnelle.
En vous entendant parler de compétence du patient,
j’ai l’impression que vous questionnez beaucoup plus la
compétence médicale. Or, il n’y a pas un jour qui se passe
en psychiatrie, où l’on ne peut pas faire honneur à un refus
de soins. C’est un peu troublant d’entendre cela. Je vou-
drais avoir votre réaction à ce sujet.
Remarque
(Dr Marie-Pierre Pancrazi,
Géronto-Psychiatre, Paris)
Je suis un peu troublée, car il me semble que cela pose
la question du lieu d’accueil de ces personnes. Vous avez
cité des cas extrêmement disparates, et je m’interrogeais
particulièrement sur ce monsieur, étiqueté dément à partir
d’un MMS.
On sait très bien que des personnes arrivées brutale-
ment en situation d’urgence, de changement de lieu de
vie, peuvent être en état de sidération, et que l’on peut
tout à fait porter un diagnostic grave, au niveau du pro-
nostic ou de la compétence.
Si l’on se donne la peine de les prendre en charge et
de les nurser, on retrouve des patients qui retrouvent un
niveau totalement normal après. Je pense qu’il faut faire
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attention à cette fragilité de la personne âgée. Prendre en
soin, donner des antidépresseurs, écouter les personnes,
avoir une attention auprès d’elles, peut donner à un mois
d’intervalle, quelqu’un qui n’a pas du tout la même vision
des choses, parce qu’il a retrouvé la maîtrise de son destin,
qu’il avait perdue à un moment donné. Il faut donc extrê-
mement prudent et ne pas être rigide dans un sens ou dans
l’autre.
Question
(Pr Daniel Sechter, Psychiatre, Besançon)
La liberté s’entend en fonction du contexte. J’ai le sou-
venir, quand j’étais interne dans le Service des Profes-
seurs Deniker et Lôo, d’un monsieur âgé, philosophe, par-
ticulièrement connu, qui a tué sa femme et qui a été
hospitalisé. Ce monsieur, Althusser, a donné lieu à toute
une campagne de presse.
C’est un philosophe âgé, qui a
librement choisi de traverser une période éventuellement
dépressive et décider de soulager et son épouse et lui-
même, du fait d’une décadence irréversible.
Il a été hos-
pitalisé ici, à l’hôpital Sainte-Anne. Il a bénéficié d’un trai-
tement par électrochocs. Il a guéri de son épisode de
mélancolie délirante, avec une souffrance extrême du
geste effectué, lors de cet état psychiatrique pathologique,
reconnu comme tel.
Il faut chaque fois se poser des questions et faire du
sur-mesure. Le sur-mesure doit être évalué avec une
réflexion à plusieurs.
Question
(Dr Laurent Glénisson, Psychiatre, Bordeaux)
Je fais des consultations en gériatrie. Je voulais poser
la question, à propos de la dépression, comment évaluez-
vous la clinique ? Est-ce que vous ne pensez pas qu’en
étant justement dans une position très neutre, qui entend
toutes les parties, il n’y a pas quelque chose qui « aseptise »
un peu la relation, qui enlève ce que le médecin peut appor-
ter de dimension humaine personnelle, qui en psychiatrie
joue beaucoup, même si l’on doit se garder de tout ce qui
est contre-transférentiel. Cela n’évacue-t-il pas un peu cette
dimension qui constitue une partie importante de la psy-
chiatrie de liaison, de manière non codifiée ?
Réponse
L’objectif est rempli effectivement, puisque je vous ai
provoqués, semble-t-il. Toutefois, je ne voudrais pas que
vous receviez mes propos de façon simpliste.
Il nous importe de développer justement l’approche
personnelle, et non pas de réifier les patients. Nous
prenons le temps, au cours des entretiens, de faire émer-
ger la situation spécifique de la personne, et nous ne
faisons que du cas par cas, absolument pas de systéma-
tique. Et c’est bien cela l’objectif du centre d’éthique clini-
que, de poser des recommandations générales sur les
indications.
Vous savez comme moi que la littérature internationale
considère la pose d’une sonde de GPE comme une mau-
vaise indication médicale chez la personne âgée démente.
Notre idée est de revenir là-dessus et de voir comment
la question est posée aux équipes. Nous ne sommes
jamais saisis nous-mêmes ! C’est une équipe qui nous sai-
sit ou une famille et en général, jamais en urgence, après
plusieurs mois, voire quelques années, parfois. Nous ne
donnons jamais d’avis médical, même s’il y a des méde-
cins parmi nous. Par contre, nous poussons les médecins
dans leurs retranchements pour savoir ce qu’eux pensent
sur le plan clinique, quelle est leur relation personnelle
avec le patient, comment elle a évolué.
Nous avons une convention de travail avec le labora-
toire de philosophie des Sciences biologiques et médica-
les de la chaire d’Anne Fagot-Largeault au Collège de
France. Nous travaillons également avec le département
de Droit de la Santé à l’Université Paris V, avec Frédérique
Dreyfus-Netter.
Nous travaillons avec des équipes de sociologues,
notamment de l’École des Hautes Études, avec des psy-
chanalystes, des psychologues, des économistes de la
santé, de hauts administrateurs de la fonction publique
hospitalière… Donc, l’équipe est multidisciplinaire, et à
chaque fois, il y a un soignant et un non-soignant de l’ori-
gine que je viens de vous indiquer.
Après une série d’observations successives, émergent
parfois des questions que nous mettons en débat. Notre
travail est essentiellement du cas par cas, afin d’aboutir
à la reconstitution ou l’expression de liens pour les faire
ressortir.
Quand la question du lien ne se pose pas ou que la rela-
tion est extrêmement facile et bonne entre le médecin et
son patient, nous ne sommes pas saisis. Ceci ne remet
pas en cause le travail, quand il est fait. C’est uniquement
quand il n’y a plus de dialogue. Cela arrive peu souvent,
mais toutefois de temps en temps.
Nous ne remettons jamais en cause la compétence
médicale ou professionnelle, puisque nous ne donnons
pas de deuxième avis médical. La compétence dont nous
parlons, est une notion courante en éthique clinique et en
éthique médicale, en général. Peut-on respecter ce que
nous exprime une personne ? Avant de le savoir, il faut
vérifier son état de compétence.
Par contre, nous demandons souvent aux médecins,
s’ils parlent au titre de l’art de la science ou de leur expé-
rience passée professionnelle.
Nous explorons avec eux leurs compétences profes-
sionnelles, essentielles pour mettre en balance les diffé-
rents arguments sur lesquels nous travaillerons par la
suite.
Remarque
(Pr Vincent Camus, Psychiatre, Tours)
Accepteriez-vous cette définition de votre travail
comme celle d’une aide à la décision, en situation de con-
flit, dans l’appréciation des risques ?
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