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V. Fournier L’Encéphale, 2006 ;
32 :
632-7, cahier 5
S 636
attention à cette fragilité de la personne âgée. Prendre en
soin, donner des antidépresseurs, écouter les personnes,
avoir une attention auprès d’elles, peut donner à un mois
d’intervalle, quelqu’un qui n’a pas du tout la même vision
des choses, parce qu’il a retrouvé la maîtrise de son destin,
qu’il avait perdue à un moment donné. Il faut donc extrê-
mement prudent et ne pas être rigide dans un sens ou dans
l’autre.
Question
(Pr Daniel Sechter, Psychiatre, Besançon)
La liberté s’entend en fonction du contexte. J’ai le sou-
venir, quand j’étais interne dans le Service des Profes-
seurs Deniker et Lôo, d’un monsieur âgé, philosophe, par-
ticulièrement connu, qui a tué sa femme et qui a été
hospitalisé. Ce monsieur, Althusser, a donné lieu à toute
une campagne de presse.
C’est un philosophe âgé, qui a
librement choisi de traverser une période éventuellement
dépressive et décider de soulager et son épouse et lui-
même, du fait d’une décadence irréversible.
Il a été hos-
pitalisé ici, à l’hôpital Sainte-Anne. Il a bénéficié d’un trai-
tement par électrochocs. Il a guéri de son épisode de
mélancolie délirante, avec une souffrance extrême du
geste effectué, lors de cet état psychiatrique pathologique,
reconnu comme tel.
Il faut chaque fois se poser des questions et faire du
sur-mesure. Le sur-mesure doit être évalué avec une
réflexion à plusieurs.
Question
(Dr Laurent Glénisson, Psychiatre, Bordeaux)
Je fais des consultations en gériatrie. Je voulais poser
la question, à propos de la dépression, comment évaluez-
vous la clinique ? Est-ce que vous ne pensez pas qu’en
étant justement dans une position très neutre, qui entend
toutes les parties, il n’y a pas quelque chose qui « aseptise »
un peu la relation, qui enlève ce que le médecin peut appor-
ter de dimension humaine personnelle, qui en psychiatrie
joue beaucoup, même si l’on doit se garder de tout ce qui
est contre-transférentiel. Cela n’évacue-t-il pas un peu cette
dimension qui constitue une partie importante de la psy-
chiatrie de liaison, de manière non codifiée ?
Réponse
L’objectif est rempli effectivement, puisque je vous ai
provoqués, semble-t-il. Toutefois, je ne voudrais pas que
vous receviez mes propos de façon simpliste.
Il nous importe de développer justement l’approche
personnelle, et non pas de réifier les patients. Nous
prenons le temps, au cours des entretiens, de faire émer-
ger la situation spécifique de la personne, et nous ne
faisons que du cas par cas, absolument pas de systéma-
tique. Et c’est bien cela l’objectif du centre d’éthique clini-
que, de poser des recommandations générales sur les
indications.
Vous savez comme moi que la littérature internationale
considère la pose d’une sonde de GPE comme une mau-
vaise indication médicale chez la personne âgée démente.
Notre idée est de revenir là-dessus et de voir comment
la question est posée aux équipes. Nous ne sommes
jamais saisis nous-mêmes ! C’est une équipe qui nous sai-
sit ou une famille et en général, jamais en urgence, après
plusieurs mois, voire quelques années, parfois. Nous ne
donnons jamais d’avis médical, même s’il y a des méde-
cins parmi nous. Par contre, nous poussons les médecins
dans leurs retranchements pour savoir ce qu’eux pensent
sur le plan clinique, quelle est leur relation personnelle
avec le patient, comment elle a évolué.
Nous avons une convention de travail avec le labora-
toire de philosophie des Sciences biologiques et médica-
les de la chaire d’Anne Fagot-Largeault au Collège de
France. Nous travaillons également avec le département
de Droit de la Santé à l’Université Paris V, avec Frédérique
Dreyfus-Netter.
Nous travaillons avec des équipes de sociologues,
notamment de l’École des Hautes Études, avec des psy-
chanalystes, des psychologues, des économistes de la
santé, de hauts administrateurs de la fonction publique
hospitalière… Donc, l’équipe est multidisciplinaire, et à
chaque fois, il y a un soignant et un non-soignant de l’ori-
gine que je viens de vous indiquer.
Après une série d’observations successives, émergent
parfois des questions que nous mettons en débat. Notre
travail est essentiellement du cas par cas, afin d’aboutir
à la reconstitution ou l’expression de liens pour les faire
ressortir.
Quand la question du lien ne se pose pas ou que la rela-
tion est extrêmement facile et bonne entre le médecin et
son patient, nous ne sommes pas saisis. Ceci ne remet
pas en cause le travail, quand il est fait. C’est uniquement
quand il n’y a plus de dialogue. Cela arrive peu souvent,
mais toutefois de temps en temps.
Nous ne remettons jamais en cause la compétence
médicale ou professionnelle, puisque nous ne donnons
pas de deuxième avis médical. La compétence dont nous
parlons, est une notion courante en éthique clinique et en
éthique médicale, en général. Peut-on respecter ce que
nous exprime une personne ? Avant de le savoir, il faut
vérifier son état de compétence.
Par contre, nous demandons souvent aux médecins,
s’ils parlent au titre de l’art de la science ou de leur expé-
rience passée professionnelle.
Nous explorons avec eux leurs compétences profes-
sionnelles, essentielles pour mettre en balance les diffé-
rents arguments sur lesquels nous travaillerons par la
suite.
Remarque
(Pr Vincent Camus, Psychiatre, Tours)
Accepteriez-vous cette définition de votre travail
comme celle d’une aide à la décision, en situation de con-
flit, dans l’appréciation des risques ?