S156 M. Maron, et al
Facteurs de risque suicidaire
et typologie du trouble bipolaire
Le risque suicidaire chez les patients bipolaires est des
plus élevés parmi les troubles psychiatriques. Même si les
bénéfi ces de l’accès aux soins et la prise en charge ont pu
permettre de diminuer la prévalence suicidaire, jusqu’à 80 %
des patients bipolaires présenteront au cours de leur exis-
tence un comportement suicidaire et le risque de mortalité
suicidaire en cas de trouble bipolaire est estimé à plus de
15 fois le risque en population générale [1- 5]. Cette fré-
quence importante s’accompagne par ailleurs d’un rapport
signifi catif proche de 3 entre les tentatives de suicide et
les morts par suicide [6], largement plus élevé que dans
la population générale où ce rapport est plus proche de
10 tentatives pour une mort par suicide, et plus marquée
chez les hommes chez lesquels on retrouve une fréquence
moindre de gestes suicidaires mais une mortalité plus élevée
par suicide que chez les femmes [1].
En raison de cette grande fréquence des conduites
suicidaires et de la sévérité des gestes suicidaires associées
au trouble bipolaire, il a été suggéré des traits communs plu-
rifactoriels de vulnérabilité biologiques, neuro- anatomiques,
cognitifs, comorbides entre suicide et trouble bipolaire,
pouvant expliquer une surreprésentation et une surmortalité
retrouvées dans l’ensemble des études épidémiologiques [7-
9]. Ces études ont tenté de mettre en évidence des facteurs
de risque et de vulnérabilité suicidaires : Rihmer décrit des
facteurs primaires psychiatriques (maladie et comorbidités,
antécédents suicidaires personnels et familiaux), secondaires
psychosociaux (expériences passées et facteurs de stress
actuels), et tertiaires démographiques (sexe, âge, groupe à
risque), de poids variable. Si certains de ces facteurs comme
les antécédents familiaux de suicide, l’âge de début du
trouble bipolaire, la polarité de l’épisode thymique princeps,
les troubles de la personnalité ou les facteurs événementiels
de vie personnels sont indépendants de tout épisode aigu,
certains autres comme par exemple les caractéristiques
symptomatiques d’un épisode, la présence d’une polarité
dépressive ou de symptômes dépressifs, le type de trouble
bipolaire ou les comorbidités anxieuses, sont à mettre en lien
avec la présentation clinique de ces différents épisodes [4,10].
C’est dans ce cadre qu’il convient de préciser de quelle
manière un lien peut être établi entre d’une part le type
de trouble bipolaire chez un patient donné et d’autre part
le risque de suicide ou de conduites suicidaires qu’il est
susceptible de présenter à un moment donné de l’évolution
de la maladie. Cette approche est d’autant plus pertinente
qu’il semble évident de considérer le trouble bipolaire de
manière diachronique comme une maladie au long cours avec
des caractéristiques historiques de la maladie présentes,
et non pas seulement de manière descriptive comme la
succession d’épisodes de polarités variables et opposées qui
permet d’en obtenir le diagnostic. Par exemple, des études
ont mis l’accent sur l’importance du facteur chronologique
dans le risque suicidaire : risque plus grand dans la première
année de la maladie ou au décours d’une admission ou d’une
sortie d’hospitalisation [9,11].
Ainsi, l’identifi cation au sein des troubles bipolaires de
sous- groupes cliniques et de types évolutifs à risque élevé
de suicides ou de gestes suicidaires en tenant compte de
l’histoire naturelle du trouble pourrait naturellement per-
mettre d’identifi er des patients à haut risque, mais aussi
de pouvoir envisager, au moins de manière théorique, des
mesures préventives basées sur cette identifi cation.
Il a en effet été montré que, dans le cadre de troubles
de l’humeur, le risque de suicide est plus élevé au cours
des épisodes dépressifs majeurs (70- 89 %), moindre en cas
de manie dysphorique et mixte (11- 20 %), et quasiment
nul en cas d’épisode de manie euphorique ou de période
euthymique [5,12,13]. Cependant Valtonen a montré que les
idéations suicidaires étaient plus fréquemment rencontrées
au cours des phases mixtes de la maladie, de même pour les
tentatives de suicide, dont le risque relatif est deux fois plus
important en cas d’états mixtes et dépressifs qu’au cours
des épisodes dépressifs majeurs, en comparaison des phases
maniaques, hypomaniaques, euthymiques, cyclothymiques
et pharmaco- induites [11].
Trouble bipolaire I, trouble bipolaire II
et suicide
Malgré l’impact supposé des épisodes dépressifs majeurs
sur la suicidalité, et le fait que les patients bipolaires II
passent plus de temps en situation dépressive, l’existence
d’une différence dans l’incidence des comportements et
idéations suicidaires entre les troubles bipolaires I et II est
fortement controversée. Certaines études montrent des taux
supérieurs de tentatives de suicide chez les bipolaires II [14],
là où d’autres n’en retrouvent pas ou les rapportent à des
facteurs cliniques ou comorbides (anxiété, personnalité, abus
de substance) indépendants du sous- type considéré [15]. Par
exemple, dans une étude récente, Undurraga ne montre pas
de différences en terme d’idéation ou d’actes suicidaires
entre les deux sous- types, et pose la question des facteurs
de risque qui apparaitraient indépendants du type de trouble
bipolaire, comme la présence d’un d’état mixte ou des carac-
téristiques mélancoliques de l’épisode en cours, rejoignant
l’idée qu’une différence entre les deux sous- types pourrait
s’expliquer plus par le temps passé en période de fort risque
suicidaire (phases dépressives et mixtes de la maladie) que
par la simple distinction des sous- types Bipolaire I/Bipolaire II
qui ne saurait constituer un argument suffi samment pertinent
en pratique clinique [16,17].
Polarité prédominante et suicide
La distinction entre trouble bipolaire I et II, ou même la
référence à l’épisode index comme facteur évolutif et
pronostique semble moins pertinente que la référence à la
polarité prédominante au long cours. Il peut en effet être
utile de mettre en évidence des facteurs de risque plus
spécifi ques qui pourraient être liés aux modalités évolu-
tives propres de manière quantitative (nombre d’épisodes,
polarité de ces épisodes) de la maladie bipolaire chez un
même patient, au- delà de la description diagnostique, et de
défi nir des profi ls cliniques plus susceptibles d’être associés
aux comportements suicidaires.
Le concept de polarité prédominante dans les troubles
bipolaires a été introduit par Colom et al. pour défi nir des
sous- groupes de patients bipolaires dont la maladie est
caractérisée par des récurrences principalement dépressives,
maniaques ou mixtes [18]. Au- delà d’une division catégo-
rielle de la maladie bipolaire en fonction de la description
clinique des épisodes récurrents chez un même patient,
cette distinction pourrait permettre d’envisager une lecture
dimensionnelle et évolutive du trouble qui tienne compte
des caractéristiques les plus spécifi ques du trouble bipolaire