L’Encéphale (2011) 37, 238—240 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP COMPTE-RENDU 8e Workshop international sur la neuroplasticité, 23—24 octobre 2010 8th neuroplasticity International Workshop, October 23—24, 2010 Le 8e Workshop International sur la neuroplasticité s’est tenu en octobre 2010 sous la présidence du Pr. Jean-François Allilaire (groupe hospitalier Pitié-Salpétrière, Paris). Il a développé les aspects de la neuroplasticité liés aux troubles bipolaires, au suicide, et aux interactions gèneenvironnement. Mitochondries et métabolisme énergétique dans le trouble bipolaire La première conférence de ce workshop, consacrée à la régulation des équilibres énergétiques cérébraux dans le trouble bipolaire, a été présentée par le Pr Trevor Young, titulaire de la chaire de psychiatrie à l’université de Toronto et chercheur reconnu dans le domaine des bases moléculaires des troubles bipolaires et de leur traitement. T. Young a tout d’abord rappelé le poids considérable — et souvent sous-estimé — que représentent les troubles neuropsychiatriques par rapport aux autres champs médicaux et dans lequel les troubles bipolaires ont une part notable. Sur le plan thérapeutique, il a rappelé que l’efficacité préventive respective des différents traitements médicamenteux, évalués sur le long terme, varie de façon notable selon que le trouble bipolaire est à polarité dépressive prédominante (DPP) ou maniaque prédominante (MPP) ; certaines molécules sont plus efficaces dans la première forme, d’autres dans la seconde — la lithiothérapie étant située en position médiane [14]. La prévention reste d’ailleurs très insuffisamment efficace, comme le montre l’accélération des épisodes, c’est-à-dire la diminution régulière du délai avant rechute, au fur et à mesure des épisodes successifs. Sur le plan neurobiologique, de nombreux corrélats de ces troubles, plus ou moins solidement étayées, ont été décrits chez les patients bipolaires : des facteurs génétiques (concernant le transporteur de la sérotonine, la monoamine-oxydase A, la tyrosine hydroxylase, le BDNF. . .), des 0013-7006/$ — see front matter doi:10.1016/j.encep.2011.05.001 données neuropathologiques (réduction de la densité neuronale et gliale), des données biologiques concernant les trois principaux neurotransmetteurs, mais aussi le stress réticulaire endoplasmique, les processus d’inflammation, les facteurs neurotrophiques, les dysfonctions mitochondriales, ou encore le stress oxydatif [9]. Sur le plan thérapeutique, il a été montré que le lithium possédait des propriétés neuroprotectrices, notamment en prévenant l’atrophie neuronale induite par un stress chronique. De même, le volume hippocampique apparaît, de manière bilatérale, augmenté chez les bipolaires après un traitement par lithium au long cours [15]. L’importance des dysfonctions mitochondriales dans le trouble bipolaire est un champ d’intérêt récent. T. Young a rappelé que le fonctionnement de la chaîne énergétique mitochondriale et l’expression des gènes antioxydants sont diminuées dans le cerveau des bipolaires, comme l’ont montré des études en post-mortem, et que des altérations des fonctions mitochondriales, accompagnées de lésions de l’ADN mitochondrial, sont retrouvées dans le trouble bipolaire [12]. T. Young a proposé un modèle des lésions oxydatives dans le cortex frontal des patients bipolaires, dans lequel l’agrégation des protéines oxydées s’accompagne d’une diminution des fonctions protéiques. Le niveau de glutathion et de glutathion-S-transférase dans le cortex préfrontal, qui est diminué dans des troubles psychiatriques comme les troubles dépressifs majeurs et la schizophrénie, l’est également dans le trouble bipolaire en l’absence de thymorégulateur, alors que ce taux est restauré par les thymorégulateurs. Expérimentalement, les thymorégulateurs (lithium ou valproate) tendent à diminuer l’oxydation protéique induite par le glutamate dans les neurones [13]. Lors d’essais cliniques, la N-acetyl-cystéine, précurseur du glutathion, améliore les symptômes dépressifs dans le trouble bipolaire [2]. D’autres données montrent l’implication du système antioxydant du glutathion dans le trouble bipolaire, avec une carence progressive de ce système (glutathionréductase et glutathion-S-transférase) aux stades tardifs de la maladie ; cela peut être mis en parallèle avec le fait que les niveaux sériques de BDNF sont également diminués essentiellement dans les stades tardifs de la maladie, avec une accélération de ce processus avec l’âge [10]. 8e Workshop international sur la neuroplasticité, 23—24 octobre 2010 Neuroplasticité et suicide La conférence de Maura Boldrini, qui enseigne la neurobiologie clinique en psychiatrie à la Columbia University de New York, a porté sur les liens entre neuroplasticité et suicide [5]. Les facteurs impliqués dans la neurogénèse ont été étudiés largement chez l’animal : cette neurogénèse apparaît augmentée par l’enrichissement environnemental, l’exercice, l’apprentissage, l’administration de BDNF ou celle d’œstrogènes, tandis qu’elle est diminuée par le stress et par l’âge. Les antidépresseurs comme les thymorégulateurs augmentent la neurogénèse, en particulier au niveau du gyrus denté hippocampique — de manière sensiblement différente selon les produits. L’angiogénèse cérébrale apparaît également altérée par la dépression et améliorée par les antidépresseurs, angiogénèse et neurogénése étant deux phénomènes en interaction réciproque. Par ailleurs, on retrouve dans certaines pathologies neurologiques (maladie d’Alzheimer, épilepsie temporale, maladie de Huntington. . .) une augmentation des cellules immatures. La génération de nouvelles cellules neurales, impliquant les cellules neurales progénitrices (Neural progenitor cells [NPC]) est l’un des axes étudiés par Boldrini, et qu’elle a longuement développé, en en soulignant toute la complexité. Ainsi, les antidépresseurs IRS augmentent le nombre de divisions mitotiques à partir des NPC qui sont déjà en cours d’amplification, mais ne modifient pas l’évolution des NPC quiescents. Boldrini a étudié en post-mortem, après autopsie psychologique, les marqueurs des différentes étapes du processus de maturation des NPC au niveau de l’hippocampe. Les principaux marqueurs étudiés étaient le Ki67, marqueur des étapes relativement précoces de maturation/différenciation neurale, exprimé dès la phase de différenciation gliale du cycle cellulaire ; la nestine et le NeuN, distribués de manière distincte dans le gyrus denté ; et la mesure du développement vasculaire. Les données issues des dosages de nestine montrent que le nombre et la densité des NPC, en particulier dans le gyrus denté antérieur, apparaît augmenté chez les sujets dépressifs majeurs sous IRS et chez ceux sous lithium, comparés aux contrôles et aux dépressifs non traités ; elles montrent également l’absence de lien entre l’existence ou non d’un suicide et l’évolution des NPC. Les données issues des dosages de Ki67 montrent que les antidépresseurs tricycliques augmentent le nombre de cellules neurales mitotiques dans le gyrus denté [4] et cela, de manière plus marquée pour les sujets n’ayant pas eu d’événement adverse majeur dans l’enfance, par rapport à ceux en ayant subi. L’étude des réseaux vasculaires montre que les antidépresseurs augmentent la vascularisation dans le gyrus denté, vascularisation qui est corrélée avec le nombre de NPC dans cette structure et avec son volume. Enfin, la densité de NPC et la complexité capillaire dans le gyrus denté diminuent avec l’âge [3]. Au total, les résultats de Boldrini montrent plus de divisions cellulaires et de NPC dans le gyrus denté des sujets déprimés traités par antidépresseurs par rapport aux contrôles ou aux déprimés non traités, confirmant ainsi les données de la littérature animale. De même, la vascularisation augmente dans le gyrus denté des sujets déprimés traités par antidépresseurs par rapport aux contrôles ou aux 239 déprimés non traités, la complexité capillaire et les NPC diminuant avec l’âge. Enfin, le gyrus denté augmente de volume sous traitement antidépresseur chez les déprimés, confirmant les données qui montrent une augmentation du volume hippocampique sous antidépresseur chez les sujets souffrant de stress post-traumatique. Les événements de vie traumatiques précoces paraissent réduire la duplication cellulaire au niveau du gyrus denté et diminuer son volume ; la susceptibilité dépressive observée chez ces patients pourrait donc en partie être liée à une inhibition de la neurogénèse hippocampique. Neuro-imagerie et interaction gène-environnement Bill Deakin, professeur à l’université de Manchester, où il est responsable de l’unité de psychiatrie et de neuroscience, a présenté, durant la troisième conférence de ce workshop, divers travaux de son équipe, visant à développer de nouvelles pistes thérapeutiques dans le domaine de la dépression. Il s’appuie pour cela sur la recherche des modifications dans l’expression des gènes de vulnérabilité à la dépression dans les modèles animaux, validés par les associations retrouvées entre les polymorphismes de nouveaux gènes et les mesures de vulnérabilité dépressive, et par l’utilisation de marqueurs endophénotypiques des processus pathogéniques sous-jacents. Les endophénotypes comportementaux de dépression utilisés habituellement sont l’anhédonie, l’anxiété/stress aigu et le stress chronique, endophénotypes qui peuvent être étudiés de manière expérimentale chez l’animal et par imagerie et épreuves cognitives chez l’homme. L’imagerie cérébrale peut ainsi être utilisée pour visualiser les systèmes neuraux impliqués dans les processus centraux sous-jacents aux symptômes dépressifs. L’une des procédures expérimentales proposées par Bill Deakin concerne les récepteurs de type 1 aux cannabinoïdes (CNR1). Les souris knock out pour le gène du CNR1 ont une réponse augmentée au stress et les antagonistes du CNR1, comme le rimonabant, ont un effet dépressogène chez l’homme [1]. Au sein de cohortes de patients recrutés à Manchester et Budapest, Deakin et al. ont corrélé le génotype du CNR1 avec différentes données cliniques (personnalité, événements de vie, expériences infantiles, symptomatologie clinique), cognitives (fonctions mnésiques et de reconnaissance faciale émotionnelle) et d’imagerie (imagerie fonctionnelle durant les épreuve cognitives et lors de challenges pharmacologiques). Un polymorphisme génétique (single nucleotide polymorphism [SNP]) du CNR1 a été retrouvé associé à l’impact d’événements de vie récents sur le score de dépression (interaction gène—environnement). Une autre variation génétique a été associée à la dépression et au neuroticisme ; Deakin et al. montrent ainsi que le gène du CNR1 est associé à un haut niveau de neuroticisme et interagit avec les événements de vie récents pour acquérir une valeur prédictive de l’existence actuelle de symptômes dépressifs [8]. Parallèlement, l’étude des polymorphismes génétiques du BDNF et de la voie des neurotrophines (CREB, TrkB. . .) montre une implication importante vis-à-vis de la dépression, en interaction avec les événements de vie stressants 240 infantiles et récents. L’expression hippocampique du BDNF et de ses récepteurs est modifiée par la dépression et par les traitements antidépresseurs [6]. Des résultats montrent que certains allèles du CREB et du BDNF sont associés avec une diminution de volume hippocampique, des performances altérées aux tâches de mémoire et d’apprentissage, et l’importance des ruminations anxieuses. Les analyses réalisées par l’équipe de Manchester montrent des effets significatifs des SNP des neurotrophines lorsqu’on prend en compte les événements adverses dans l’enfance et les ruminations. Par ailleurs, les études d’imagerie fonctionnelle ont montré que certains SNP du CREB et du BDNF sont corrélés avec une augmentation des processus de reconnaissance d’émotion faciale triste, comme le montre l’activation d’un plus grand nombre de régions cérébrales. Une étude couplée génétique/imagerie montre, par exemple, que le polymorphisme Val66Met du BDNF modifie l’activité amygdalienne en réponse à des stimuli émotionnels : il est retrouvé une augmentation d‘activation de l’hypothalamus lors d’une exposition à des visages émotionnellement tristes, en interaction avec des antécédents d’événements défavorables dans l’enfance [7,11]. Deakin souligne donc que des régions génomiquement disparates codant pour la voie des neurotrophines peuvent montrer des interactions similaires avec des antécédents d’événements adverses infantiles. Ils influencent la façon dont le cerveau traite l’information émotionnelle. Finalement, Deakin plaide pour une approche génétique sous-tendue par des hypothèses précises, qui permet de souligner certaines subtilités dans les résultats qu’il ne serait pas possible d’obtenir avec les études sur le génome entier (genome-wide association with disease). Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Pour en savoir plus [1] Aso E, Ozaita A, Valdizán EM, et al. BDNF impairment in the hippocampus is related to enhanced despair behavior in CB1 knockout mice. J Neurochem 2008;105(2):565—72. [2] Berk M, Copolov DL, Dean O, et al. N-acetyl cysteine for depressive symptoms in bipolar disorder — a double-blind randomized placebo-controlled trial. Biol Psychiatry 2008;64(6):468—75. [3] Boldrini M, Arango V. Antidepressants, age and neuroprogenitors. Neuropsychopharmacology 2010;35(1):351—2. Compte-rendu [4] Boldrini M, Underwood MD, Hen R, et al. Antidepressants increase neural progenitor cells in the human hippocampus. Neuropsychopharmacology 2009;34(11): 2376—89. [5] Boldrini M, Underwood MD, Mann JJ, et al. Serotonin-1A autoreceptor binding in the dorsal raphe nucleus of depressed suicides. J Psychiatr Res 2008;42(6):433—42. [6] Dunham JS, Deakin JF, Miyajima F, et al. Expression of hippocampal brain-derived neurotrophic factor and its receptors in Stanley consortium brains. J Psychiatr Res 2009;43(14):1175—84. [7] Elzinga BM, Molendijk ML, Oude Voshaar RC, et al. The impact of childhood abuse and recent stress on serum brainderived neurotrophic factor and the moderating role of BDNF Val66Met. Psychopharmacology (Berl) 2011;214(1):319—28 [Epub 2010 Aug 12]. [8] Juhasz G, Chase D, Pegg E, et al. CNR1 gene is associated with high neuroticism and low agreeableness and interacts with recent negative life events to predict current depressive symptoms. Neuropsychopharmacology 2009;34(8): 2019—27. [9] Kato T. Molecular neurobiology of bipolar disorder: a disease of mood-stabilizing neurons? Trends Neurosci 2008;31(10):495—503. [10] KauerSant’Anna M, Kapczinski F, Andreazza AC, et al. Brainderived neurotrophic factor and inflammatory markers in patients with early- vs late-stage bipolar disorder. Int J Neuropsychopharmacol 2009;12:447—58. [11] Montag C, Reuter M, Newport B, et al. The BDNF Val66Met polymorphism affects amygdala activity in response to emotional stimuli: evidence from a genetic imaging study. Neuroimage 2008;42(4):1554—9. [12] Munakata K, Fujii K, Nanko S, et al. Sequence and functional analyses of mtDNA in a maternally inherited family with bipolar disorder and depression. Mutat Res 2007;617(1—2): 119—24. [13] Shao L, Young LT, Wang JF. Chronic treatment with mood stabilizers lithium and valproate prevents excitotoxicity by inhibiting oxidative stress in rat cerebral cortical cells. Biol Psychiatry 2005;58:879—84. [14] Vieta E, Berk M, Wang W, et al. Predominant previous polarity as an outcome predictor in a controlled treatment trial for depression in bipolar I disorder patients. J Affect Disord 2009;119(1—3):22—7. [15] Yucel K, McKinnon MC, Taylor VH, et al. Bilateral hippocampal volume increases after long-term lithium treatment in patients with bipolar disorder. Psychopharmacology (Berl) 2007;195(3):357—67. C. Spadone AP—HP, CHU Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 1 juin 2011