8eWorkshop international sur la neuroplasticité, 23—24 octobre 2010 239
Neuroplasticité et suicide
La conférence de Maura Boldrini, qui enseigne la neurobiolo-
gie clinique en psychiatrie à la Columbia University de New
York, a porté sur les liens entre neuroplasticité et suicide
[5].
Les facteurs impliqués dans la neurogénèse ont été
étudiés largement chez l’animal : cette neurogénèse appa-
raît augmentée par l’enrichissement environnemental,
l’exercice, l’apprentissage, l’administration de BDNF ou
celle d’œstrogènes, tandis qu’elle est diminuée par le
stress et par l’âge. Les antidépresseurs comme les thy-
morégulateurs augmentent la neurogénèse, en particulier
au niveau du gyrus denté hippocampique — de manière
sensiblement différente selon les produits. L’angiogénèse
cérébrale apparaît également altérée par la dépression et
améliorée par les antidépresseurs, angiogénèse et neuro-
génése étant deux phénomènes en interaction réciproque.
Par ailleurs, on retrouve dans certaines pathologies neurolo-
giques (maladie d’Alzheimer, épilepsie temporale, maladie
de Huntington...) une augmentation des cellules immatures.
La génération de nouvelles cellules neurales, impli-
quant les cellules neurales progénitrices (Neural progenitor
cells [NPC]) est l’un des axes étudiés par Boldrini, et
qu’elle a longuement développé, en en soulignant toute la
complexité. Ainsi, les antidépresseurs IRS augmentent le
nombre de divisions mitotiques à partir des NPC qui sont déjà
en cours d’amplification, mais ne modifient pas l’évolution
des NPC quiescents. Boldrini a étudié en post-mortem,
après autopsie psychologique, les marqueurs des différentes
étapes du processus de maturation des NPC au niveau de
l’hippocampe. Les principaux marqueurs étudiés étaient le
Ki67, marqueur des étapes relativement précoces de matu-
ration/différenciation neurale, exprimé dès la phase de
différenciation gliale du cycle cellulaire ; la nestine et le
NeuN, distribués de manière distincte dans le gyrus denté ;
et la mesure du développement vasculaire. Les données
issues des dosages de nestine montrent que le nombre et la
densité des NPC, en particulier dans le gyrus denté antérieur,
apparaît augmenté chez les sujets dépressifs majeurs sous
IRS et chez ceux sous lithium, comparés aux contrôles et aux
dépressifs non traités ; elles montrent également l’absence
de lien entre l’existence ou non d’un suicide et l’évolution
des NPC. Les données issues des dosages de Ki67 montrent
que les antidépresseurs tricycliques augmentent le nombre
de cellules neurales mitotiques dans le gyrus denté [4] et
cela, de manière plus marquée pour les sujets n’ayant pas
eu d’événement adverse majeur dans l’enfance, par rap-
port à ceux en ayant subi. L’étude des réseaux vasculaires
montre que les antidépresseurs augmentent la vascularisa-
tion dans le gyrus denté, vascularisation qui est corrélée
avec le nombre de NPC dans cette structure et avec son
volume. Enfin, la densité de NPC et la complexité capillaire
dans le gyrus denté diminuent avec l’âge [3].
Au total, les résultats de Boldrini montrent plus de
divisions cellulaires et de NPC dans le gyrus denté des
sujets déprimés traités par antidépresseurs par rapport aux
contrôles ou aux déprimés non traités, confirmant ainsi les
données de la littérature animale. De même, la vasculari-
sation augmente dans le gyrus denté des sujets déprimés
traités par antidépresseurs par rapport aux contrôles ou aux
déprimés non traités, la complexité capillaire et les NPC
diminuant avec l’âge. Enfin, le gyrus denté augmente de
volume sous traitement antidépresseur chez les déprimés,
confirmant les données qui montrent une augmentation du
volume hippocampique sous antidépresseur chez les sujets
souffrant de stress post-traumatique. Les événements de vie
traumatiques précoces paraissent réduire la duplication cel-
lulaire au niveau du gyrus denté et diminuer son volume ; la
susceptibilité dépressive observée chez ces patients pourrait
donc en partie être liée à une inhibition de la neurogénèse
hippocampique.
Neuro-imagerie et interaction
gène-environnement
Bill Deakin, professeur à l’université de Manchester, où il est
responsable de l’unité de psychiatrie et de neuroscience,
a présenté, durant la troisième conférence de ce work-
shop, divers travaux de son équipe, visant à développer
de nouvelles pistes thérapeutiques dans le domaine de la
dépression. Il s’appuie pour cela sur la recherche des modi-
fications dans l’expression des gènes de vulnérabilité à la
dépression dans les modèles animaux, validés par les asso-
ciations retrouvées entre les polymorphismes de nouveaux
gènes et les mesures de vulnérabilité dépressive, et par
l’utilisation de marqueurs endophénotypiques des processus
pathogéniques sous-jacents.
Les endophénotypes comportementaux de dépression
utilisés habituellement sont l’anhédonie, l’anxiété/stress
aigu et le stress chronique, endophénotypes qui peuvent
être étudiés de manière expérimentale chez l’animal et par
imagerie et épreuves cognitives chez l’homme. L’imagerie
cérébrale peut ainsi être utilisée pour visualiser les systèmes
neuraux impliqués dans les processus centraux sous-jacents
aux symptômes dépressifs.
L’une des procédures expérimentales proposées par Bill
Deakin concerne les récepteurs de type 1 aux cannabinoïdes
(CNR1). Les souris knock out pour le gène du CNR1 ont
une réponse augmentée au stress et les antagonistes du
CNR1, comme le rimonabant, ont un effet dépressogène
chez l’homme [1]. Au sein de cohortes de patients recru-
tés à Manchester et Budapest, Deakin et al. ont corrélé
le génotype du CNR1 avec différentes données cliniques
(personnalité, événements de vie, expériences infantiles,
symptomatologie clinique), cognitives (fonctions mnésiques
et de reconnaissance faciale émotionnelle) et d’imagerie
(imagerie fonctionnelle durant les épreuve cognitives et lors
de challenges pharmacologiques). Un polymorphisme géné-
tique (single nucleotide polymorphism [SNP]) du CNR1 a été
retrouvé associé à l’impact d’événements de vie récents sur
le score de dépression (interaction gène—environnement).
Une autre variation génétique a été associée à la dépres-
sion et au neuroticisme ; Deakin et al. montrent ainsi que le
gène du CNR1 est associé à un haut niveau de neuroticisme et
interagit avec les événements de vie récents pour acquérir
une valeur prédictive de l’existence actuelle de symptômes
dépressifs [8].
Parallèlement, l’étude des polymorphismes génétiques
du BDNF et de la voie des neurotrophines (CREB, TrkB...)
montre une implication importante vis-à-vis de la dépres-
sion, en interaction avec les événements de vie stressants