CIRAC, juin 2013 1
PROGRAMME DE FORMATION-RECHERCHE
Culture monétaire, culture budgétaire en Allemagne et en France.
Divergences et convergences franco-allemandes.
Sur la voie d’une nouvelle gouvernance européenne ?
COMPTE RENDU DE LA JOURNÉE D’ÉTUDE
Cultures monétaires en France et en Allemagne
Institut Historique Allemand (Paris), le 22 avril 2013
Cette rencontre constituait le premier volet du projet « Culture monétaire, culture budgétaire
en Allemagne et en France. Divergences et convergences franco-allemandes. Sur la voie
d’une nouvelle gouvernance européenne ? », mené avec le soutien du Centre Interdiscipli-
naire d’Études et de Recherches sur l’Allemagne (CIERA). Organisée par le CIRAC, l’Institut
Franco-Allemand de Ludwigsburg (DFI) et le Centre de recherche Civilisations et Identités
Culturelles Comparées (CICC) de l’Université de Cergy-Pontoise, la journée d’étude, accueil-
lie sous l’égide de l’Institut Historique Allemand (IHA), portait sur les grandes évolutions des
politiques monétaires en France et en Allemagne fédérale depuis la Seconde Guerre mondiale,
puis sur les débats d’actualité, avec l’analyse des positions françaises et allemandes en ma-
tière de politique monétaire nationale.
Dans la continuité de ce projet, une seconde journée d’étude sera consacrée aux cultures bud-
gétaires en France et en Allemagne à l’automne 2013. Puis, au printemps 2014, un colloque
axé sur la problématique actuelle de la gouvernance économique et financière de l’Europe
viendra conclure ce programme.
Grandes étapes et évolutions des politiques monétaires
en France et en Allemagne
Au cours de son exposé, Manfred J. M. Neumann, Professeur émérite à l’Institut de poli-
tique économique internationale de l’Université de Bonn, a rappelé les principales cons-
tantes de la politique monétaire allemande depuis 1945 que sont la stabilité monétaire, l’in-
dépendance de la banque centrale et la prévention du risque de change, dans un contexte de
promotion de l’ouverture des marchés et de libre fixation des prix.
La stabilité monétaire constitue le principal objectif de la politique monétaire allemande, no-
tamment pour des raisons historiques (hyperinflation de 1921-1923 et inflation étouffée de
1935-1948). Ce principe est ainsi ancré dans la loi de 1957 portant création de la banque cen-
trale allemande (Bundesbank), en vue de doter le pays d’une économie de marché perfor-
mante et de garantir la paix sociale. La deuxième constante, c’est-à-dire l’indépendance de la
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banque centrale par rapport au pouvoir politique, a été souhaitée par les Américains dès 1948
pour empêcher tout risque de guerre. En dernier lieu, la prévention du risque de change a con-
nu deux grandes phases. De 1948 à 1972, le deutsche mark est indexé sur le dollar (lui-même
indexé sur l’or) dans le cadre du système monétaire de Bretton Woods. Cette période se carac-
térise par une tendance à l’appréciation de la monnaie ouest-allemande. À partir de 1973, le
taux de change devient flexible et des objectifs en termes de masse monétaire sont fixés. Le
deutsche mark intègre le Serpent monétaire européen, remplacé en 1979 par le Système mo-
nétaire européen (qui a subi quelques crises avant l’introduction de l’euro).
Se pose désormais la question des écarts de compétitiviqui, au sein du système de monnaie
unique de la zone euro, ne peuvent plus être corrigés par les réajustements de parité. L’Alle-
magne se distingue en effet par l’importance et la spécialisation de son secteur industriel, qui
lui offre un avantage en termes de compétitivité internationale, ainsi que par le niveau de ses
investissements en recherche et développement, proche de celui établi par la stratégie de
Lisbonne en 2000. Le maintien d’un euro pérenne et stable, fondé sur une gestion monétaire
rigoureuse, constitue ainsi pour l’Allemagne une priorité de la politique monétaire commune.
Du côté français, Michel Margairaz, Professeur d’Histoire économique contemporaine à
l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Responsable de la Mission historique de la
Banque de France, a structuré son propos en trois parties, respectivement dédiées aux fonde-
ments de la politique monétaire française entre 1945 et 1960, aux critiques émises contre ce
système et aux mutations culturelles des années 1970 et 1980.
En 1945, la politique monétaire est mise au service de l’effort de modernisation de l’appareil
productif et subordonnée à la politique du crédit, à la fois quantitative et sélective (des taux
d’intérêts privilégiés sont utilisés pour promouvoir certains secteurs économiques priori-
taires). La loi du 2 décembre 1945 nationalise la Banque de France et les quatre grandes
banques de dépôt, créant par ailleurs un Conseil National du Crédit chargé de fixer la poli-
tique du crédit. Le système de promotion inflationniste et de répartition sélective du crédit qui
prévaut alors risque de rigidifier l’économie. Il est remis en cause à plusieurs reprises :
à la fin des années 1950, par la Commission Rueff-Armand ;
en 1966-1967, par les mesures Debré-Haberer de libéralisation ;
en 1969, par le rapport Marjolin-Sadrin-Wormser sur « le marché monétaire et les
conditions du crédit », prônant la politique d’open market.
Le risque d’inflation résultant du choc pétrolier de 1973 va progressivement transformer le
système avec la consolidation de l’encadrement du crédit, le ciblage de la masse monétaire, la
désindexation des salaires sur les prix, les efforts pour alimenter l’économie par les marchés
financiers et la critique de l’hétérogénéité du système financier. Le plan de rigueur de 1983
rend public le changement de priorités : la stabilité monétaire prime désormais sur le soutien à
l’emploi. Les mesures de 1984-1986 viendront ensuite modifier les lois de 1945 et libéraliser
le marché financier.
Pratiques de politique monétaire
En guise d’introduction à sa présentation, Hans-Helmut Kotz, Senior Fellow au Centre d’é-
tudes financières (Université Goethe de Francfort-sur-le-Main), a souligné le rôle central
des relations franco-allemandes dans l’Union européenne et la création de la monnaie unique.
L’Union économique et monétaire (UEM) fait l’objet d’une restructuration institutionnelle de-
puis 2010 et s’est engagée progressivement, dans le contexte de la crise de la dette souveraine
et de la pression des marchés, sur la voie d’une plus grande européanisation avec le Fonds
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européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilité (MES), le
Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et le semestre européen.
Hans-Helmut Kotz a ensuite explicité le point de vue allemand sur l’UEM. Outre-Rhin, la
BCE est considérée comme une institution indépendante visant principalement à assurer la
stabilité des prix, la politique budgétaire devant prévenir tout déficit excessif. Pour les Alle-
mands, la crise résulte du non-respect du Pacte de stabilité et de croissance commencer par
l’Allemagne et la France en 2003). Aujourd’hui, le MES est accepté en tant que mécanisme
de résolution de la crise, tandis le Pacte de stabilité et de croissance s’est vu renforcer par le
« Six-Pack », le « Pacte euro plus » (ou « Pacte pour l’euro ») et le TSCG. Si des étapes vers
une union bancaire ont été franchies avec la création récente d’un mécanisme unique de
supervision bancaire, l’émission d’eurobonds n’est en revanche pas à l’ordre du jour du côté
allemand.
Dans un second temps, Pascal Kauffmann, Professeur de Sciences économiques à l’Uni-
versité Montesquieu – Bordeaux IV, a évoqué les débats et controverses autour du rôle de la
BCE, puis les débats sur les autres politiques macroéconomiques.
Un désaccord modéré s’exprime autour de la politique monétaire non conventionnelle, utilisée
en cas de crise économique et financière et caractérisée par l’assouplissement qualitatif (qua-
litative easing), l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et l’assouplissement des
conditions de crédit (credit easing). Les inquiétudes allemandes sont liées à l’abaissement de
la qualité des garanties sur les prises en pension et à l’importance de la création de monnaie
de la banque centrale. Les controverses portent également sur l’atteinte au principe d’indé-
pendance de la BCE que représentent, selon l’Allemagne, les programmes de rachat de dette
publique.
À l’échelon macroéconomique, les débats concernent en premier lieu la politique de change.
La France, qui considère l’ajustement par le change comme un instrument macroéconomique
usuel dans le reste du monde souhaiterait à cette fin renforcer l’Eurogroupe. En deuxième
lieu, la question de la mise en place d’un « gouvernement économique » soucieux de promou-
voir la croissance dans l’UEM est posée par la France. Enfin, la création d’un fonds européen
de garantie de dépôts bancaires s’avère délicate en raison de ses implications en termes de fé-
déralisme budgétaire.
La table ronde « Convergences et divergences franco-allemandes sur la politique monétaire
européenne. État des lieux et perspectives » était animée par Rainer Klump, Responsable du
département Développement économique et Intégration à l’Université Goethe de Franc-
fort-sur-le-Main.
Au cours de ce débat, Luc Moulin, Ancien PDG de Howmet au sein du groupe Pechiney
et Membre de l’ancienne Association pour l’Union Monétaire de l’Europe (AUME), a
rappelé combien la situation géopolitique et économique de l’Europe était incertaine à la fin
des années 1980, du fait de l’instabilité des taux de change. Dans ce contexte, des industriels
européens se rassemblent pour fonder l’AUME, dont les 600 sociétés membres ont joué un
rôle décisif dans l’introduction d’une monnaie de change unique. Cependant, le projet d’union
économique et monétaire mis en place reste imparfait, car la dimension économique a été ou-
bliée par les responsables politiques. Les entreprises peinent à investir et sont plus ou moins
compétitives puisque, selon les pays européens, les temps de travail et les charges sociales
diffèrent. Pour poursuivre l’UEM, l’Union européenne devra donc s’orienter vers davantage
de fédéralisme.
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Christian Kastrop, Directeur adjoint de la division Questions économiques générales et
Directeur de la section Finances publiques, macroéconomie et recherche au ministère fé-
déral des Finances, a rappelé la nécessité de définir un concept de gouvernance de l’UE dans
les années à venir. Dès lors se pose la question des préférences nationales sur le plan de l’éco-
nomie, des finances et de la protection sociale. Il convient de mettre en place un cadre poli-
tique qui, du point de vue allemand, permette aux marchés de jouer pleinement leur rôle au
sein d’une fédération pour l’instant encore hybride et incomplète.
Jacques Mistral, Économiste, Conseiller spécial à l’Institut Français des Relations Inter-
nationales (IFRI), a précisé que depuis 2008, la République fédérale d’Allemagne contribue
activement à la gestion de la crise économique et financière. Néanmoins, Jacques Mistral re-
proche à l’Allemagne d’avoir souhaité impliquer le secteur privé en cas de difficultés finan-
cières futures d’un pays de la zone euro, d’avoir considéré pendant des mois la crise grecque
comme un problème de nature morale et d’occulter la question des torts du créditeur. Pour au-
tant, le gouvernement allemand, en faisant preuve d’une grande flexibilité, est à la recherche
permanente d’un compromis européen indispensable à la réalisation d’une union monétaire
européenne plus solide et plus étroite.
Peter Schaefer, Doctorant à l’Université de Trente/Paris IV Sorbonne, a ensuite montré la
persistance en Europe de conceptions diverses en matière de politique monétaire. Il est par ail-
leurs revenu sur les éléments de la crise des années 1930, pour se pencher enfin sur la respon-
sabilité des élites nationales et européennes. Selon lui, celles-ci doivent aspirer à une politique
économique et monétaire qui réduise les déséquilibres économiques entre pays de la zone
euro.
Paul Welfens, Président de l’Institut Européen des Relations Économiques Internatio-
nales (EIIW) à l’Université de Wuppertal, a rappelé les avantages économiques émanant de
l’euro et du marché unique. Après avoir réfuté les arguments du nouveau parti anti-euro Alter-
native pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD), Paul Welfens a souligné la
nécessité de mettre en place une union politique à l’échelon européen, assortie d’un frein à
l’endettement.
Pour clore cette journée, Henrik Uterwedde, Directeur adjoint de l’Institut Franco-Alle-
mand de Ludwigsburg (DFI) et René Lasserre, Directeur du CIRAC, ont précisé qu’en
raison des différences d’approche franco-allemandes résultant de deux chocs historiques assez
distincts, il reste un long chemin à parcourir pour concilier les cultures monétaires des deux
pays. Néanmoins, cette tâche semble réalisable si les conceptions et les préoccupations qui les
sous-tendent sont soigneusement explicitées et ouvertement discutées.
Les actes de cette journée d’étude seront intégrés à un ouvrage collectif à paraître en 2015.
Solène Hazouard, René Lasserre, Raphaël Manseau
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