PROGRAMME DE FORMATION-RECHERCHE

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PROGRAMME DE FORMATION-RECHERCHE
Culture monétaire, culture budgétaire en Allemagne et en France.
Divergences et convergences franco-allemandes.
Sur la voie d’une nouvelle gouvernance européenne ?
COMPTE RENDU DE LA JOURNÉE D’ÉTUDE
Cultures budgétaires en France et en Allemagne
Institut Historique Allemand (Paris), le 18 novembre 2013
La rencontre s’inscrit dans le projet de recherche « Culture monétaire, culture budgétaire en
Allemagne et en France. Divergences et convergences franco-allemandes. Sur la voie d’une
nouvelle gouvernance européenne ? », mené sur la période 2012-2014 par le CIRAC, le
Centre de recherche Civilisations et identités culturelles comparées des sociétés européennes
et occidentales (CICC) de l’Université de Cergy-Pontoise et l’Institut Franco-Allemand de
Ludwigsburg (DFI), avec le soutien du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches
sur l’Allemagne (CIERA).
Accueillie sous l’égide de l’Institut Historique Allemand (IHA), la journée d’étude a permis
d’analyser les cultures budgétaires des deux pays. À une première partie historique a succédé
une seconde partie portant sur la comparaison des politiques budgétaires française et
allemande depuis 2000, ainsi que sur la question du respect des règles du Pacte de stabilité et
de croissance (PSC) et des disciplines du nouveau Pacte budgétaire européen.
Cette manifestation vient compléter une première journée axée autour des cultures monétaires
en France et en Allemagne (compte rendu disponible sur le site du CIRAC : www.cirac.ucergy.fr/debats.php). À l’automne 2014, le programme de formation-recherche s’achèvera par
un colloque sur le thème de la gouvernance économique et financière de l’Europe.
Grandes étapes et évolutions des politiques budgétaires
en France et en Allemagne
Heinz Grossekettler, Professeur émérite à l’Institut für Finanzwissenschaft (Université
de Münster) et ancien Président du Conseil scientifique du ministère fédéral des
Finances, a axé son analyse sur la période allant de l’adoption de la Loi fondamentale en
1949 jusqu’à la fin des années 1990. Il a rappelé le cadre juridique de la politique budgétaire
allemande, pour s’interroger ensuite sur l’existence de constantes au fil du temps.
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Outre-Rhin, la législation en matière budgétaire repose sur le fédéralisme coopératif. Ce
modèle ne satisfait pas au principe de congruence, qui suppose à la fois l’équivalence fiscale
et la responsabilité démocratique entière quant aux coûts et aux bénéfices. Dans la Loi
fondamentale, la Constitution financière (Finanzverfassung) détermine la répartition des
compétences budgétaires entre l’État fédéral et les Länder. Le principe fédéraliste de gestion
séparée et autonome qui y est énoncé est néanmoins nuancé par le renvoi à trois lois fédérales
qui intègrent une dimension coopérative :
la loi sur les critères (Maßstäbegesetz) concernant la péréquation financière entre le
Bund et les Länder (qui expire en 2019) ;
la loi pour la promotion de la stabilité et de la croissance de 1967, qui instaure un
pilotage global de l’économie ;
la loi relative aux principes budgétaires (Haushaltsgrundsätzegesetz), qui veille
notamment à la concordance entre les règles budgétaires du Bund et des Länder.
Par la suite, Heinz Grossekettler s’est efforcé d’identifier certaines constantes à moyen et à
long terme en matière de politique budgétaire, à l’aune de cinq périodes : la première phase de
reconstruction jusqu’au milieu des années 1950, l’« âge d’or » des années 1955-1965, les
expériences keynésiennes et la stagflation jusqu’au début des années 1980, la politique de
consolidation des années 1980 et la deuxième phase de reconstruction qui a suivi la
réunification. Il en a conclu que les seules véritables constantes observables résident dans
l’aversion de la population allemande pour tout endettement public excessif (par peur de
l’inflation qui en découle) et dans un droit budgétaire conçu de telle sorte qu’il préserve la
viabilité des finances publiques.
Du côté français, Frédéric Tristram, Maître de conférences à l’Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne et Chercheur à l’Unité de recherche Institutions et dynamiques
historiques de l’Économie (IDHE), a indiqué que la culture budgétaire est évolutive, se
nourrissant de l’économie et de la société. Son intervention a abordé la formation progressive
de la culture budgétaire autour de trois périodes, pour s’intéresser ensuite aux permanences de
l’histoire budgétaire.
La période allant de 1945 à 1958 est caractérisée par la difficile maîtrise budgétaire d’un État
reconstructeur, avec l’application de mesures de solidarité (au-delà du cadre assurantiel).
L’orthodoxie financière passe au second plan : des immobilisations longues sont financées par
de l’épargne courte. Par ailleurs, l’absence de majorité stable dans un régime d’assemblée et
l’absence de texte encadrant les procédures budgétaires viennent compliquer la gestion des
finances publiques. La période suivante, allant jusqu’au premier choc pétrolier, est marquée
par l’équilibre budgétaire faisant suite à une double rupture réglementaire et doctrinale, avec
l’ordonnance organique de 1959 et le plan Pinay-Rueff. Cet équilibre est atteint grâce à une
forte croissance. Depuis 1973, un nouveau paradigme budgétaire s’est imposé, fondé sur une
nette augmentation des dépenses et des recettes, sur une nouvelle répartition des dépenses et
des recettes et sur l’apparition d’un niveau élevé de déficit et d’endettement.
Depuis 1945, quelques constantes peuvent néanmoins être observées : un niveau structurellement élevé de dépense publique en France, l’acceptation d’un niveau élevé de prélèvements
obligatoires (en raison de l’attachement à un État protecteur et de l’existence d’impôts
relativement « indolores », comme la TVA et la CSG) et l’ambition inachevée d’un réglage
conjoncturel par le budget, dans un cadre conceptuel d’arbitrage entre équilibre budgétaire et
croissance. Selon Frédéric Tristram, le déficit est en effet encore trop perçu en France comme
une condition de la croissance. Dès lors, la culture budgétaire française est entrée en crise.
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Lors de la discussion qui a suivi, Frédéric Tristram a notamment précisé que le système de
parité fixe de la monnaie unique permettait aujourd’hui à la France de financer sa dette
publique à des taux historiquement bas grâce à une sorte de quasi-assurance de l’Allemagne
sur la dette française.
Pratiques de politiques budgétaires
Michael Thöne, Directeur exécutif de l’Institut de recherche de sciences financières de
l’Université de Cologne (FiFo), a souligné qu’il était difficile de parler d’une « culture
budgétaire allemande ». Il y a une culture budgétaire différente et des intérêts budgétaires
différents selon que l’on considère le Bund, les Länder, les partis politiques, les hommes
politiques ou les citoyens. Le frein à l’endettement mis en place depuis 2009 est cependant
celui d’une culture budgétaire allemande commune, celle de la responsabilité collective, du
sens de la prévention des crises et des risques graves (« Nasenpolitik »).
Michael Thöne a présenté une suite de tableaux comparatifs, sans porter de jugement de
valeur mais mettant en exergue les différences chiffrées entre la France et l’Allemagne en
matière de culture budgétaire. Tandis que la France a actuellement un niveau de recettes et de
dépenses publiques qui s’élève à 57 % du PIB, celui de l’Allemagne avoisine les 45 % après
avoir connu un pic à 48 % à la suite de la crise de 2008. La part des dépenses sociales dans le
budget de l’État allemand atteint environ 16 %, tandis que celle de la France se situe aux
alentours de 20 %. Et enfin le pourcentage de la dette par rapport au PIB est de 80 % en
Allemagne, pour 90 % en France. Curieusement, alors que l’État français a un niveau de
dépenses de santé largement supérieur à celui de l’État allemand, le taux de satisfaction vis-àvis des remboursements de soins est beaucoup plus élevé en Allemagne qu’en France (91 %
contre 78 %). Les écarts sont également importants au niveau du système judiciaire : tandis
que 61 % se disent satisfaits de leur système judiciaire en Allemagne, ils ne sont que 50 % en
France.
Même si Michael Thöne a eu la délicatesse de ne pas l’exprimer, la conclusion de ces
tableaux est apparue clairement aux yeux du public : tout en étant largement inférieures à
celles de la France, les dépenses publiques allemandes créent un niveau de service public
largement supérieur à celui de la France dans un certain nombre de domaines clés comme la
justice, la sécurité, la sécurité sociale ou l’éducation. Il est donc possible de pratiquer des
économies substantielles en matière de politiques publiques, sans tomber dans une politique
d’austérité mettant à mal la qualité du service public.
Si Michael Thöne avait mis l’accent sur la part de responsabilité des États dans la maîtrise de
la dette, Jérôme Creel, Directeur adjoint au Département des études de l’Observatoire
Français des Conjonctures Économiques (OFCE) a, lui, mis l’accent sur les contraintes
extérieures, européennes et conjoncturelles qui pèsent sur l’évolution de la dette en France.
Par ailleurs, un hommage a été rendu à l’Agence France Trésor qui continue de parvenir à
émettre de la dette qui trouve preneur sur les marchés à des taux relativement bas.
Les tableaux produits visaient à prouver que la dette publique (actuellement 94,9 % du PIB)
était certes élevée mais soutenable, avec un taux de croissance en ralentissement, ce qui
dénote un effort de maîtrise des dépenses. Jérôme Creel a remis en cause l’aspect arbitraire du
pourcentage de 60 % du PIB comme maximum autorisé pour un endettement d’État : ce
chiffre n’est pas absolu mais a une histoire. Il est le fruit d’un calcul fait sur les taux
d’endettement et des projections d’évolution à l’époque de Maastricht. Par ailleurs, les
projections en termes de rythme de remboursement de la dette ont été calculées sur la base
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d’une hypothèse trop optimiste de taux de croissance de 5 % annuels. Le pacte de Maastricht
semblait donc être fait pour ne pas être respecté. Enfin, les définitions du déficit public sont
multiples et il convenait de les cerner avant de porter un jugement sur leur maîtrise : le déficit
structurel primaire, le déficit structurel (comprenant la charge de la dette), ou encore le déficit
conjoncturel sont des catégories dont l’évolution est regardée avec attention par les analystes
et qui doivent nuancer le jugement à porter sur l’évolution du taux d’endettement global. Ces
définitions sont importantes lorsqu’il s’agit par exemple d’éviter que les dépenses d’investissement ne soient considérées au même titre que des dépenses sociales.
Jérôme Creel a invoqué la part essentielle de la crise conjoncturelle (crise financière de 2008)
dans l’aggravation de la situation budgétaire française et met en garde contre les politiques
d’austérité trop dures qui portent un important risque déflationniste pesant en retour sur la
capacité de remboursement de l’État français.
La discussion dans la salle a cependant souligné qu’une politique de réduction importante
des dépenses publiques telle que la menait l’Allemagne n’avait non seulement pas porté
ombrage à la croissance, mais lui avait permis de dégager des marges de manœuvre pour une
priorisation sur des dépenses d’investissement notables, en particulier dans le domaine de la
recherche. La crainte, exprimée par de nombreux chefs d’entreprise présents dans la salle, est
celle d’une situation de non-retour de l’endettement propice à un dérapage inflationniste et un
alourdissement considérable des charges sociales, qui ruineraient systématiquement tous les
efforts de productivité entrepris et priveraient les entreprises d’une marge de manœuvre
nécessaire à l’investissement.
La table ronde « Les contraintes budgétaires liées au Pacte de stabilité et de croissance (PSC)
et au Pacte budgétaire européen (TSCG), dont le Mécanisme européen de stabilité (MES),
sont-elles praticables et adaptées pour sortir l’économie européenne de la crise ? » était
animée par Rainer Klump, Directeur du département Développement économique et
Intégration à l’Université Goethe de Francfort-sur-le-Main.
Dans un premier temps, Christian Kastrop, Directeur adjoint de la division Questions
économiques générales et Directeur de la section Finances publiques, macroéconomie et
recherche au ministère fédéral des Finances, a rappelé qu’avant la crise, l’Union
européenne était confrontée à des difficultés institutionnelles liées à un déficit de gouvernance
financière et économique, à un manque de crédibilité de la clause de non-renflouement, dite
de « no bail-out », ainsi qu’à une sous-estimation des déséquilibres macroéconomiques et des
interactions entre secteur bancaire et finances publiques. Apparaît dès lors la nécessité de
consolider les finances des États membres, de procéder à des réformes structurelles à
l’échelon national et de créer un cadre favorisant la stabilité économique et la solidité des
finances publiques.
Après cinq ans de crise, et notamment grâce à la politique de la Banque centrale européenne
(BCE), les déficits structurels et les spreads souverains ont reculé dans de nombreux pays.
Toutefois, selon Christian Kastrop, la nette augmentation des spreads dans les pays en crise
en 2011-2012 reflète le manque de confiance des marchés financiers dans la capacité des
institutions européennes à résoudre la crise. Un premier pas a été néanmoins franchi à la fois
vers la stabilité budgétaire, avec la révision du PSC et le Traité sur la stabilité, la coordination
et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG), vers la stabilité
économique, avec notamment les règlements sur la prévention et la correction des
déséquilibres macroéconomiques, et vers la stabilité des marchés financiers, via une meilleure
régulation du secteur. Si des mécanismes de gestion de crise ont été mis en place avec le
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Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le MES, une meilleure prévention des crises
doit être instaurée. Les mesures à venir portent pour leur part sur la coordination ex ante des
réformes nationales, les dispositions contractuelles sur les réformes structurelles, le
« mécanisme de solidarité » et la dimension sociale de l’Union économique et monétaire
(UEM).
Concernant les possibilités de réforme, Christian Kastrop a identifié les avantages et les
inconvénients d’une approche centralisée et d’une approche décentralisée pour évoquer
ensuite la question épineuse du budget de la zone euro. À l’avenir, la maîtrise des chocs au
sein de l’UEM continuera de dépendre du degré d’ouverture des économies, de la flexibilité
du marché du travail et du marché des produits, de la flexibilité des prix et des salaires et de la
mobilité.
Dans un second temps, Sandrine Gaudin, Sous-directrice des Affaires européennes à la
Direction générale du Trésor (ministère de l’Économie et des Finances), a souligné que
bien que la France et l’Allemagne n’aient pas la même culture budgétaire, quand il s’agit de
l’euro, les responsables des deux pays ont su démontrer qu’ils étaient d’accord sur l’essentiel.
Pour Sandrine Gaudin, il faut « banaliser » la mise en œuvre des règles dont l’UEM s’est
dotée. Ces règles étaient indispensables : les politiques budgétaires étaient certes encadrées,
mais l’UEM était dépourvue d’une surveillance des déséquilibres macroéconomiques. Il faut
également « banaliser » le rapport publié par la Commission européenne, qui pointe
notamment les surplus commerciaux allemands.
Le FESF et le MES ont été créés comme des outils de gestion de crise. Par conséquent, ils ne
permettent pas de consolider l’UEM, zone monétaire sans équivalent dans le monde. Si la
clause de no bail-out est inscrite dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
(TFUE) et doit le rester, le TFUE a été modifié pour pouvoir créer le MES, qui ne devra servir
qu’en dernier ressort. Pour parachever l’UEM, les eurobonds et les project bonds ont été
évoqués. Aujourd’hui, le budget de l’UE n’a aucune fonction de stabilisation économique en
cas de choc. Or l’euro n’est pas un projet économique, mais un projet politique qu’il faut
conforter en renforçant l’outil de coordination budgétaire et, surtout, en se dotant d’un outil de
stabilisation.
La notion de transfert budgétaire est un sujet très controversé au niveau franco-allemand. Il
s’agit aujourd’hui de relever les défis de la pédagogie (pour expliquer les règles relatives à
l’UE) et de l’appropriation démocratique (auquel pourrait répondre le projet de capacité
budgétaire de la zone euro). Dans ce contexte, le Parlement européen devrait être davantage
associé à la prise de décision concrète et opérationnelle.
Au cours du débat qui a suivi, Christian Kastrop a précisé que les mesures de stabilisation
nationales doivent être renforcées. Il a en outre évoqué la possibilité d’instaurer, pour une
période transitoire, des transferts directs de revenus pour aider les pays en grande difficulté à
mettre en œuvre des réformes structurelles.
Pour clore cette journée, Henrik Uterwedde, Directeur adjoint de l’Institut Franco-Allemand de Ludwigsburg (DFI) a relevé qu’au-delà des différences franco-allemandes en
matière de culture budgétaire, un travail en commun était possible dans le cadre de l’UEM.
Les actes de cette journée d’étude seront intégrés à un ouvrage collectif à paraître en 2015.
Patricia Commun, Solène Hazouard
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