GOURVERNANCE, REFORMES ECONOMIQUES ET CROISSANCE DURABLE EN AFRIQUE Par Professeur Moustapha KASSE INTRODUCTION Tous les Pays en voie de développement (PVD) font de la croissance économique un objectif à la fois majeur et prioritaire. Encore convient-t-il de préciser qu'ils veulent une croissance rapide. Le taux doit être le plus élevé possible compte tenu des ressources dont ils peuvent disposer. Cette croissance doit en outre être continue, régulière et indemne autant que possible des fluctuations en baisse comme en hausse par trop fortes. Enfin, elle doit être équilibrée. Le moyen qui s'impose pour atteindre ces objectifs est l'investissement. En effet, le taux de croissance est une fonction du taux d'accumulation du capital ou encore du taux d'investissement. Plus l'investissement sera élevé, plus la croissance sera forte. En plus, elle ne sera équilibrée que si le volume d'investissement est le même que celui de l'épargne. Par conséquent, une croissance rapide et équilibrée nécessite un volume suffisant d'épargne pour financer l'investissement. En clair, le problème de la croissance dans les PVD devient avant tout un problème d'épargne. Dès lors, pour réussir leur programme de développement économique et social, ces PVD doivent mobiliser tout le potentiel d'épargne pour relancer ce levier essentiel de la croissance qu'est l'investissement. Cependant, la faiblesse des systèmes financiers africains ne permet pas de canaliser le faible volume d'épargne disponible en vue de sa transformation en investissement productif. L'alternative est alors le recours aux investissements directs étrangers (IDE) qui permettent de drainer des capitaux et d'accéder en même temps aux nouvelles technologies. Le constat qu'on peut faire est que, même si on note un retour des IDE dans les pays du Sud depuis le début des années quatre-vingt, leur flux vers les pays en développement (PVD) demeure toujours relativement faible et atteint moins d'un tiers du flux des IDE. Flux d'investissement direct étranger (IDE) : répartition géographique de 1990 à 1995 IDE vers Pays industrialisés PED (A) PECO Total (B) A/B 1990 169 34 0, 3 203 16,75 1991 114 41 2,5 158 25,95 1992 114 50 3,7 168 29,76 1993 129 73 5,5 208 35,09 1994 133 87 5,8 226 38,51 1995 203 99,6 12 315 31,62 - Error! Unknown switch argument. - PED : pays en développement PECO : pays d'Europe centrale et orientale Source : CNUCED, World Investment Report, 1996 Par ailleurs, l'analyse de la répartition de ce volume d'investissement dans les pays non membres de l'OCDE fait apparaître d'importantes disparités entre les régions bénéficiaires. Si les pays d'Amérique Latine et d'Asie s'inscrivent dans cette dynamique, l'Afrique en est presqu'exclue. Ainsi, la part de l'Afrique passe de 6,8% en 1990 à 4,6% en 1995. En regardant de plus prés, on s'aperçoit que ce sont les pays exportateurs de pétroles (1) qui sont évidemment les principaux récipiendaires de ces capitaux : Angola, Gabon, Nigeria. Au demeurant, 60% des IDE se sont orientés vers le Nigeria. Flux d'investissement direct étranger dans les pays développement : répartition géographique 1990 1994 1995 en mds de $ en % en mds de $ en % PED 33,7 100 87 en mds de $ en % 100 99,6 100 64,6 29 5,7 68 26,5 4,6 Dont : Asie 22,1 65,5 56,2 Am. Latine 8,9 26,4 25,3 Afrique 2,3 6,8 5 Am. Latine : Amérique Latine Mds : milliards 68,2 26,6 4,6 $ : dollars Source : CNUCED, World Investment Report, 1996 Flux d'investissement direct étranger en Afrique (en milliards de dollars) 1990 1991 1992 1993 1994 1995 Selon la CNUCED, il y a investissement direct étranger "lorsqu'un investisseur basé dans un pays le pays d'origine acquiert un actif dans un autre pays (pays d'accueil) avec l'intention de le gérer". Il y a trois types d'IDE : la participation au capital (fusions, acquisitions et créations de nouvelles installations dites green fieds réinvestissement des bénéfices et autres flux de capitaux (emprunts et prêts à court ou long terme réalisés entre la société mère et sa filiale). 1. - Error! Unknown switch argument. - PED AfriqueDont : A.S.S. A.N. 33,7 2,303 1,137 1,166 41,1 2,809 1,884 0,925 50,3 2,987 1,492 1,495 73,1 3, 300 1,804 1,496 87,0 5,084 2,982 2,102 99,6 4,657 2,895 1,762 A.S.S. : Afrique sub-saharienneA.N. : Afrique du Nord Source : CNUCED, World Investment Report, 1996 Cette marginalisation de l'Afrique dans l'orientation des IDE concerne aussi les investissements français dont les flux globaux sont passés de 3,727 milliards de FF en 1993 à 1,156 milliards de FF en 1994 c'est dire que la dévaluation du franc CFA n'a point provoqué l'afflux de capitaux attendus. Pour les grandes entreprises françaises, elles ne comptent en Afrique sub-saharienne que 1030 filiales dont 720 en zone franc soit 12,6% du total (3,3% pour le Maghreb et 5,5% dans la Zone Franc). Elles sont accompagnées par des PME-PMI indépendantes attirées par l'Afrique pour 25,3% de leurs effectifs à l'étranger. L'Afrique continue à recevoir principalement des ressources publiques qui forment l'essentiel des flux globaux de capitaux bien que, ces derniers commencent également à manifester une nette tendance à la baisse. En effet,l'ASS a reçu en 1995, plus du tiers de l'aide publique qui y représente maintenant prés de 5% du PNB soit sept à quinze fois plus qu'en Asie ou en Amérique Latine. En définitive, la corrélation étant bien établie entre niveau d'investissement et taux de croissance, l'objectif de cette réflexion va tourner autour de deux interrogations majeures : -Quels sont les facteurs explicatifs de la faiblesse des flux direct étranger vers l'Afrique sub-saharienne -Que faire pour renforcer les capacités nationales à attirer les privés en général et les IDE en particulier ? I- d'investissement investissements LES FACTEURS DE BLOCAGE DE L'AFFLUX DE CAPITAUX EN AFRIQUE La faiblesse constatée de l'investissement en Afrique ne saurait être expliquée par les simples facteurs classiques tels les contraintes à l'importation et le taux d'intérêt mais le "problème repose sur l'environnement tout entier à partir duquel se prenne les décisions d'investissement et la perception d'un risque aggravés par des signaux flous conflictuels de la politique économique" (2). CelleCHIBBER & al. : Reviving private investment in developing countries : empirical studies and policy lessons, North Holland, Amsterdam, 1992, p. 10. 2. - Error! Unknown switch argument. - ci repose plutôt sur une pluralité de facteurs que l'on peut regrouper en deux catégories : - les facteurs d'ordre strictement économique (cadre macro-économique, etc.) et les facteurs institutionnels, politiques et sociaux. 1) Les facteurs strictement économiques Depuis les Années 80, L'ASS traverse une crise économique et sociale à la fois débilitante et profonde qui se manifeste sous trois formes d'abord la détérioration des principaux indicateurs macroéconomiques et macro financiers, ensuite la désintégration des structures de production et des infrastructures de base et enfin la dégradation du bien-être social notamment la santé, l'éducation, le logement et l'écologie. Ceci a entrainé une chute profonde de l'espace politique: processus démocratique limité par moment confisqué, guerres civiles, conflits ethniques. Il est clair qu'un tel cadre global comporte trop de risques et d'incertitudes pour l'afflux et la rentabilité des investissements. L'analyse de l'environnement économique qui est, en dernière instance, la sphère la plus déterminante a révélé au moins quatre foyers de distorsions qui, incontestablement, peuvent limiter ou dissuader la poussée des IDE à savoir : - - l'environnement macroéconomique défavorable avec l'inefficience des politiques sectorielles et les distorsions de la structure des incitations économiques ; la très faible efficacité du capital humain par suite de la crise permanente des systèmes éducatifs et de formation ; la dégradation et l'inadéquation des infrastructures de base ; coûts défavorables des facteurs techniques. a) Un environnement macro-économique défavorable Depuis la fin des Années 70, les pays d'Afrique confrontés à la stagnation de la production, aux déséquilibres financiers, à la massification de l'endettement ont mis en place des politiques de stabilisation et d'ajustement dont l'un des objectifs importants est de permettre l'accroissement de l'investissement privé (3). En réalité, ce sont les investissements d'aujourd'hui qui font les profits de demain et les emplois d'après-demain. Les Nouveaux Pays Industrialisés et le Japon en ont fait une variable déterminante. C'est ainsi qu'un pays comme le Japon consacre 30% de son PIB à l’investissement (4). Au Sénégal, ce taux BIGSTEN A. : Constraints on african growth in New directions in development economics by LUNDAHL M. & NDULU B., Rouledge, London, 1996, p. 60. 3. 4. BOISSONNAT J. : Une crise de l'argent, L'Expansion, 4/17 Mars 1993, p. 79 - Error! Unknown switch argument. - d'investissement, de l'ordre de 12% dans les années 80, il est estimé en 1996 à 16,6%. Toutefois, plus de deux decennies d'application des PAS n'ont pas encore permis de sortir de la crise et d'amorcer un processus irréversible, ce qui s'explique aisément à travers la fonction d'investissement de IBARRA (1995) (5) : It It-1 wkt 1 ── = k0 + k1 ── + k2 + Et [Δln(yt)] + k3 Et Δln ── + k4 [θt] Kt-1 [ Kt-2] [ Pt ] La variable dépendante est ici le taux d'investissement et ses différents arguments sont respectivement : le taux d'investissement à l'année t-1, la variation anticipé de l'output global si la réforme macroéconomique est durable, le coût anticipé des services du capital et enfin, la globalité (θ t) que l'environnement macroéconomique se dégrade du fait de l'abandon de la réforme liée à l'application des PAS. Cette probabilité est le point nodal et elle est négativement liée à l'investissement privé et peut être affectée par plusieurs facteurs. D'abord par des facteurs politiques ; c'est le cas lorsqu'il y a risque que le gouvernement reporte des mesures annoncées ex ante, c'est également le cas lorsqu'il y a incertitude quant à l'avenir du régime politique en place. En second lieu, cette probabilité s'accroît s'il y a risque de crise de la balance des paiements dû à une politique monétaire ou fiscale expansionniste, une appréciation du taux de change réel, une baisse non anticipée des secteurs d'exportation. Toutes choses qui sont caractéristiques à des degrés divers -il est vrai- de l'environnement économique des pays africains. En effet, les indicateurs d'augmentation de l'investissement privé du cadre macro-économique sont, en général, défavorables avec un double déficit des finances publiques et de la balance des paiements, un taux de change surévalué, une inflation rampante, un encours de la dette insupportable et un taux de croissance inférieur à celui de la croissance démographique. Et ces distorsions sont assez dissuasives de de l'investissement. Concernant le déficit budgétaire l'étude économétrique réalisée par EASTERLY & REBELO en 1993 et portant sur une centaine de PVD arrive à la conclusion qu'un déficit budgétaire énorme exerce un effet d'éviction sur le secteur privé résultant d'un faible accès de celui-ci au crédit bancaire, d'un taux d'intérêt réel élevé et d'un taux de change réel s'appréciant de plus en plus et donc un impact défavorable sur la croissance(6). En effet, le taux d'épargne, l'allocation Luiz Alberto IBARRA : Credibility of trade policy reform and investment = the mexican case. Journal of Development Economics, vol. 47, pp. 39-60. 5. 6. DIAGNE A., Op. Cit.,1998, p. 11 - Error! Unknown switch argument. - des ressources réelles et financières et les incitations à l'innovation rencontrés par le secteur privé sont affectés à la fois par la fiscalité et les dépenses publiques. Le niveau d'endettement exerce à son tour un effet négatif sur l'investissement. Dans une étude sur le comportement de l'investissement privé dans les PED, CHIBBER & al. (1992)(7) ont établi que dans les pays où les politiques sont volatiles et le poids de la dette élevé, l'investissement a souvent tendance à baisser. En effet, un niveau appréciable de l'encours de la dette accroît la vulnérabilité de l'économie aux "hocs externes" et en même temps, il devient un indicateur du risque de volatilité de la politique économique pour les investisseurs potentiels. Allant encore plus loin, FAINI & DE MELO (1992) (8) ont établi que l'accès aux flux d'IDE est souvent retardé dans les pays à dettes élevées. Le montant de la dette de l'Afrique sub-saharienne est estimé en 1995 à 223 milliards de dollars, soit l'équivalent de 265% des recettes d'exportations des pays concernés(9). Au Sénégal, l'encours de la dette s'éléve à environ 67,1% du PIB en 1996. De surcroît ; une part importante de cette dette est le fait de l'Etat qui l'a souvent utilisée comme un moyen pour résoudre la crise des finances publiques. Enfin le système bancaire et financier est un instrument essentiel de mobilisation de l'épargne et de sa transformation en investissement. Cependant, suite aux faillites bancaires des années 80, le système bancaire affiche désormais une méfiance vis-à-vis des opérateurs privés; cela va induire des difficultés plus grandes pour obtenir des prêts à long terme en raison de la crainte des mauvais prêteurs. Dans ce contexte va fonctionner l'effet d'AKERLOFF par lequel les mauvais prêteurs chasse les bons d'où la disparition, à terme, du marché du crédit. Par ailleurs, la maîtrise de facteurs tels les infrastructures et les facteurs techniques s'avèrent indispensables au bon fonctionnement d'un cadre macroéconomique adéquat. b) L'inadéquations des infrastructures Compte tenu de leur contribution à l’efficience du marché, J.W. MELLOR & A. RAISUDDIN (1988) (10) attribuent aux infrastructures un rôle important dans la mobilité de la population, des biens et de l'information permettant la réalisation du potentiel de production. En effet, lorsque les coûts d'utilisation du marché à des fins de transaction sont relativement élevés par rapport aux bénéfices qu'en 7. CHIBBER & al., op. cit., 1992 FAINI & DE MELO : Adjustment investment and the real exchange rate in developing countries, in CHIBBER & al., op. cit., 1992 8. 9. ALIBERT J. : L'évolution de la dette africaine, Afrique Contempor, n.178, p. 41 MELLOR J.W & RAISUDDIN A. : "Agricultural price policy for developing countries", IFPRI, John Hopkins University press, London, 1988, p.24 10. - Error! Unknown switch argument. - tirent les acteurs, les marchés ont tendance à échouer. La faiblesse de la densité routière, de la couverture en moyens de télécommunications, de la couverture sanitaire peuvent favoriser un processus de "sélection adverse" En d'autre terme, l'augmentation des coûts de transactions (coûts de transport, coûts d'obtention de l'information, etc.) a pour effet de dissuader les investisseurs potentiels voire d'éliminer les investisseurs du marché en raison de l'ampleur des coûts de transactions ; ce qui se traduit, en définitive, par la baisse du taux d'investissement. c) Coût défavorable des facteurs techniques Pour les facteurs techniques tels que l'eau, l'électricité, la main d'œuvre qualifiées, leurs coûts se comparent défavorablement à ceux des pays de l'OCDE et à ceux des NPI. Par exemple, le coût de l'eau et de l'électricité au Sénégal est 2,5 à 3 fois plus élevé que dans les pays comme l'Inde, la Corée du Sud et le Brésil. Quant à l'eau, son m3 d'eau coûte 31% plus cher par rapport aux USA, 96% par rapport aux pays concurrents tels le Kenya, l'Ethiopie, etc. Coûts comparés des facteurs techniques en 1994 Coûts de l'électricité Coût de industrielle l'eau en km/h m3 Coût des Taux de Taux de Pétrole télécom. fret fret litre Avec les maritime Aérien principaux Conteneur Kg partenaires commerciaux - Mn Concurrents Concurrents mo yens médians 0,10 0,07 0,75 0,52 2,07 1,60 1680 1400 1,56 1,80 - Sénégal 0,13 0,46 1,57 850 1,25 0,65 Ghana 0,03 0,70 1,61 1500 0,85 0,51 Madagascar 0,08 0,15 3,49 1100 1,45 0,52 Nigeria - 2,81 2,81 2100 3,33 0,53 Côte d'ivoire 0,9 0,57 1,64 1125 125 0,61 - Error! Unknown switch argument. - Maurice 0,9 0,46 0,83 1890 2,20 0,74 Source : Banque Mondiale, Sénégal : Ajustement structurel du secteur privé, juin 1994 C'est dire que le coût élevé des facteurs de production constitue une entrave à l'afflux d'IDE. En tous les cas, une des priorités au plan macro-économique devrait être de réhabiliter le profit par rapport à la rente. De stimuler l'investissement (qui agit sur l'offre, en la modernisant, et sur la demande, en distribuant un supplément de revenus dans les industries d'équipement) de préférence à la consommation. 2) Les facteurs institutionnels, politiques et sociaux. Au chapitre de ceux-ci, on distingue essentiellement les facteurs d'ordre institutionnel, politique et sociaux. a) Les facteurs d'ordre institutionnel et politique En réalité, les avatars de l'Etat et de son administration en Afrique tirent leur source des rapports qu'ont entretenu les pays africains, essentiellement les pays francophones, avec l'ancienne métropole (la France) et qui a fait d'eux des otages de leur avatariseme. Selon ABWA D.(1997)(11), «La France a développé des rapports de maître à collaborateur au détriment du partenariat qui aurait consisté à s'associer à des indigènes qui, tout en cherchant à satisfaire les intérêts de la France, sauvegarderaient en même temps les intérêts de l'Afrique». La collaboration dictée par la France aux Africains a laissé chez ces derniers de nombreuses séquelles dont deux semblent les plus pernicieuses : la mentalité d'assisté et le règne de la médiocrité. Cette mentalité d'assisté est la caractéristique essentielle de tout collaborateur qui est en fait un individu qui répugne à prendre des initiatives ou qui n'en prend que lorsqu'il est convaincu qu'elles vont plaire au maître. En effet, cette mentalité d'assisté par rapport à leur maître (l'ancienne métropole), ils vont également l'imposer à leur concitoyen réduisant au minimum la propension de ces derniers à l'initiative. Il est ainsi généralement admis en Afrique francophone que l'initiative ne doit venir que du supérieur hiérarchique et comme chacun dispose d'un supérieur, même au niveau le plus élevé de l'Etat, c'est la paralysie quasi-généralisée. On a là une explication plausible de l'incapacité de la bureaucratie en Afrique –plus particulièrement en Afrique ABWA D. : De la collaboration au partenariat : le défi du 21ème siècle des relations France-Afrique, African Journal of International Affairs, Vol.1, 1997, p.1 11. - Error! Unknown switch argument. - francophone- à servir d'interface crédible aux investisseurs. Il est de plus en plus admis qu'une économie efficiente requiert un environnement d'institutions efficientes. b) Les facteurs d'ordre social Au chapitre des facteurs sociaux, le constat que l'on peut faire est la précarité dans laquelle est confinée une grande partie de la population dans beaucoup de pays africains. Au Sénégal, le nombre de ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté est estimé à 30%. En effet, les 60% des sénégalais vivants en milieu rural ont vu leur revenu par tête baisser de 4,6% en moyenne au cours des deux dernières décennies. Dans la période 1979-1995, les revenus en milieu rural atteignent à peine 16% des revenus réels urbains qui, eux même, connaissent une tendance à la baisse (source : DPS, MEFP). Comme dans la plupart des pays africains, la mise en place des PAS a eu des conséquences négatives sur le pouvoir d'achat des ménages sénégalais. D'où l'émergence de groupes vulnérables confrontés à des problèmes sérieux d'insécurité alimentaire. La Banque Mondiale a répertorié trois groupes ayant un accès inadéquat à l'alimentation : les pauvres des villes, les ruraux sans terre et les petits producteurs. Si en milieu rural, l'insécurité alimentaire tire sa source de politiques agricoles inadéquates, en milieu urbain, par contre, la mise en oeuvre, dans le cadre des PAS, de la politique d'absorption qui a précédé l'ajustement du taux de change en est la principale cause. En raison de la contradiction des objectifs qui caractérisait cette politique : d'une part stabiliser l'économie puis relancer l'activité, d'autre part, réduire les dépenses. Cette dernière consistait à comprimer la demande globale en réduisant les revenus, or ce faisant, on rétrécit le marché d'où, par enchaînement, une baisse de l'activité économique et des revenus et donc l'augmentation des groupes vulnérables. L'accès au surplus alimentaire dégagé par les zones rurales et aux produits de premières nécessités importées devient dès lors difficile pour tous ces groupes vulnérables. L'investissement est un objectif intermédiaire de la croissance qui ne peut être atteint que si les conditions de vie de la population permettent de libérer une main-d'oeuvre en bonne santé pour produire et être rémunérée afin de participer à la demande. II - BONNE GOUVERNANCE ET RENFORCEMENT DES CAPACITES NATIONALES POUR ATTIRER LES INVESTISSEMENTS PRIVES EN VUE DE LA CROISSANCE Les efforts qui ont été déployés depuis le début des années 80, dans le cadre des - Error! Unknown switch argument. - politiques d’ajustement structurel pour restaurer la primauté du marché, ont eu des effets positifs sur l’équité – par exemple le biais urbain des politiques agricoles s’est fortement atténué. De même, un groupe relativement important de pays africains ont renoué avec la croissance économique. L’expérience n’a pas tardé à montrer néanmoins qu’il suffit pas que de bonnes politiques économiques soient élaborées, que le secteur public soit considérablement réduit, pour qu’une croissance forte et durable s’installe. Le nouveau paradigme a sous estimé la grande complexité des mesures requises pour que les marchés fonctionnent correctement après des décennies d’interventions étatiques massives. Il a même laissé penser qu’une condition suffisante du développement est le libre fonctionnement des marchés. On a fini par comprendre que l’Etat ne va pas disparaître même dans les pays en développement où l’économie de marché s’est le mieux implantée. Il a un rôle crucial à jouer dans l’élaboration et la mise en œuvre des réformes favorables au marché. De la qualité de l’action étatique dépend la réussite des réformes à promouvoir. Un constat a mené les institutions internationales et les autres acteurs du développement à mettre l’accent sur la bonne gouvernance et à élargir leur vision des réformes à entreprendre pour accélérer la croissance et promouvoir l’équité. Le concept de « Bonne gouvernance » apparu il y a une dizaine d’années dans le domaine du développement, est utilisé pour la première fois en 1989, dans une étude de la banque mondiale. Il s’agissait à l’époque, pour les promoteurs des programmes d’ajustement structurel (PAS), de corriger l’approche « économiciste » de ces programmes et de mettre davantage l’accent sur l’importance de leur environnement normatif et institutionnel. Le concept a été par la suite affiné par de nombreuses institutions internationales et partenaires au développement (PNUD, Banque Mondiale, OCDE, …). Ainsi la Bonne Gouvernance désigne la capacité d’un pays à créer un cadre d’ordre et de stabilité, à formuler et à exécuter des politiques performants et à construire un environnement au développement économique et social. La bonne gouvernance intègre donc toutes les dimensions de l’activité économique et sociale, ainsi que les mécanismes d’allocation et de répartition des ressources. Elle recouvre deux volets importants : - le volet politico-institutionnel, qui concerne avant tout l’Etat en tant que agent de régulation ; - le volet relatif à la gestion des ressources. Il faut dire que, depuis une dizaine d’années, sous l’instigation des partenaires au développement et des institutions internationales, des efforts louables sont entrepris en Afrique pour mettre en œuvre la bonne gouvernance. Ces efforts sont orientés vers plus de participation, de responsabilité, de décentralisation et de transparence. En effet, de nombreux programmes visant à étendre le champ de la responsabilité - Error! Unknown switch argument. - publique (politique ou administrative) ont été mises en œuvre ces dernières années. Les principaux donateurs ont contribué, toute fois, à rapprocher les décisions prises du lieu de leur mise en œuvre et à accroître la soumission des autorités publiques au droit, notamment, à travers la décentralisation et le contrôle de l’égalité qui l’accompagne, d’une part, le renforcement de l’indépendance de la justice, d’autre part. Dans le même temps, ils ont renforcé la transparence, grâce à un appui conséquent aux médias indépendants, à la publication des procédures de passation des marchés publics, à la création de structures d’observation des élections et au renforcement des capacités. Toutes ces mesures ont contribué à promouvoir et à renforcer l’Etat de droit, support essentiel de la bonne gouvernance. En dépit de ces progrès, il est à craindre que les politiques de bonne gouvernance ne puisent être aussi efficaces qu’elles devraient l’être pour accélérer le processus de croissance durable en Afrique. On doit se demander ainsi les conditions d’une application effective des politiques de bonne gouvernance. En fait la gouvernance est liée pour une grande part à la conception de l’Etat. Et deux principales conceptions de l’Etat émergent aujourd’hui : 1°) la vision jacobine, inspirée de ROUSSEAU, qui repose sur une conception utopique du pouvoir politique et de la vie démocratique, autrement dit sur un postulat général de bienveillance des hommes politiques et de l’administration. Cette conception est caractérisée par l’absence des incitations monétaires et de sanction ; 2°) la conception inspirée de MONTESQUIEU, qui consacre la non bienveillance des gouvernements et prend compte, à cet effet, l’influence des groupes d’intérêt. L’organisation de l’Etat est repensée en terme de contre pouvoirs. La plus ou moins bonne gouvernance étant indéniablement liée à la forme d’organisation de l’Etat, force est de reconnaître que le modèle jacobin, utile à une certaine époque, est devenu inadapté voire inefficace à cause essentiellement de la complexité de la société et de l’économie. Or, les pays africains semblent prisonniers de la vision jacobine dont ils ont hérité de colonisation française et qui devient un véritable vecteur de corruption. Les institutions internationales sont elles aussi prisonnières de cette vision jacobine. Les politiques d’ajustement dont elles préconisent l’application prônent une réduction des salaires réels – déjà très bas – dans la fonction publique, mettent en place des incitations au départ volontaire des fonctionnaires, incitations dont profitent les employés de l’Etat les plus dynamiques qui peuvent saisir les opportunités des conditions de travail plus favorables qui leur sont offertes hors de la fonction publique (le secteur privé). - Error! Unknown switch argument. - La théorie du choix public et la nouvelle économie publique dont elle fournie une marque, en écarte l’hypothèse que les décideurs politiques ne sont guidés que par la poursuite de l’intérêt général. En lieu et place de cette vision platonique, la théorie du choix public insiste sur le fait que ces décideurs, comme on le suppose dans la théorie économique standard, se comportent comme «l’homoéconomicus» : ils maximisent leur bien être économique personnel. Sans doute, il serait excessif d’aller jusqu’au bout de la logique de la nouvelle économie politique qui déboucherait sur ce que Jagdish Bhagwati 1989 a appelé «le paradoxe du déterminisme » (paradox determinacy). Si les politiciens et les bureaucrates déterminent leurs actions dans le but de maximiser leur bien être personnel, alors l’analyse normative n’a aucune chance d’influencer la politique. Il faut cependant reconnaître qu’il faut s’interroger sur les conditions préalables à la mise en place des politiques de bonne gouvernance qui sont dans une large mesure à l’application des politiques économiques profondes dont l’Afrique a besoin. Supposons que, en suivant J. J Laffont (1999), pour repenser la structuration du gouvernement au sens large – ministres et administrations – l’organisation du secteur public, les modalités pratiques de l’action administrative et la séparation des pouvoirs, le concept clé soit la délégation de pouvoir. Il convient alors de réfléchir sur le système d’incitation à mettre en place pour que les fonctionnaires tout autant que les hommes politiques acceptent d’appliquer des réformes économiques, source d’une croissance durable et d’une plus grande équité. L'objectif est clair : créer un environnement favorable et rendre l'investissement privé plus attractif de sorte attiré, plus particulièrement, l'IDE. 1) Au niveau économique Il faut mettre en oeuvre, voire consolider un environnement macroéconomique stable. Un environnement macro-économique est dit stable s'il se caractérise par un niveau faible et constant de l'inflation, un déficit budgétaire soutenable, un taux de change adéquat, un encours de la dette supportable et un système bancaire efficace. Par ailleurs, la levée des restrictions quantitatives sur le commerce, la baisse voire l'élimination du contrôle des prix, la réduction et la simplification des barrières tarifaires au commerce, des facteurs de production plus compétitifs -après des études en amont sur les mesures d'accompagnements minimales- participeraient à donner de bons signaux aux investisseurs. Cet environnement entretenu dans le temps constitue le gage d'une crédibilité et d'une meilleure lisibilité de la politique économique sur la base de laquelle les agents formulent leurs anticipations. Il facilite les décisions d'investissement et de planification, encourage l'épargne et l'accumulation privée du capital" et sécurise les investisseurs étrangers. Il s'agit, en réalité, de créer les conditions d'une nouvelle efficience. Cela passe nécessairement par un train de mesures pour - Error! Unknown switch argument. - corriger les distorsions qui caractérisent les économies africaines. Et c'est ce à quoi s'attellent les PAS et on a pu noter quelques résultats, même s'ils sont faibles. Il s'est agi de procéder à la libéralisation et à l'ouverture des économies de sorte à favoriser une dynamique d'efficacité grâce à la valorisation des avantages comparatifs, à la construction d'avantages compétitifs, à une allocation plus efficiente des ressources ; soit, en définitive, la promotion du développement à travers la croissance du secteur privé. a) La libéralisaiton des économies Le soucis d'une allocation optimale des ressources suggère la privatisation des entreprises para-étatiques et étatiques qui constituaient la source majeure des crises financières de l'Etat. Une opinion répandue veut que la faiblesse des résultats des Etats que par l'inefficacité des réformes. Mais si, le rapport publié par la Banque Mondiale en 1989 constate la faiblesse des résultats enregistrés dans le cadre des PAS, elle reconnaît, en définitive, la nécessité d'avoir -au-delà de l'ajustement– une vision de développement à long terme à la fois crédible et cohérente. La non prise en compte de cette dernière explique, en grande partie, le tassement voire la régression de l'investissement, de la production et de l'emploi qui ont accompagné la mise en place de la Nouvelle Politique Industrielle (NPI) dans certains pays comme le Sénégal. Dans ce pays, la rapidité de la mise en oeuvre de la NPI n'a pas permis les adaptations nécessaires : il aura fallu moins de deux ans après le 14 avril 1986 –date de libéralisation des produits de la mécanique et de la métallurgie- pour que tous les secteurs jusque-là protégés de la concurrence extérieure –à l'exception du ciment et du sucre- soient libéralisés. Ce qui fit assimiler cette cure à un "remède de cheval" par certains industriels. Par contre, en Côte d'Ivoire, le processus s'est étalé sur cinq ans avec des études minutieuses qui ont permis la mise en place d'une surtaxe dégressive qui s'est appliquée à différents produits étrangers en vue d'amortir le choc d'une ouverture sur des secteurs sensibles. De plus, les révisions fréquentes de la fiscalité de porte, la hausse continue des impôts et leur complexité dans le cadre de cette NPI n'ont pas manquer de perturber les industriels. La création de zones franches décloisonnées (combinant en même temps la zone franche industrielle, la zone franche commerciale et la zone franche de services ; toutes ces zones ayant comme dénominateur commun : l'entreprise exportatrice bénéficiant d'un statut d'entreprise franche) sur l'ensemble du territoire et à la lumière des expériences passés (dispositions fiscales volatiles (12), procédures lourdes, coût prohibif des facteurs de production) et extérieurs – Entre février 1993 et février 1991, le syndicat patronal des industriels sénégalais (SPIDS) avait noté une progression de 66,7% des impôts prélevés sous différentes formes. Par contre dans le même temps, l'impôt sur les propriétés bâties avait baissé de 20%. 12. - Error! Unknown switch argument. - chinoises(13) notamment - seraient un moyen de cristalliser et de rendre plus saillants les signaux d'incitations envoyés aux investisseurs étrangers. b) L'amélioration des infrastructures Néanmoins, en dépit des changements significatifs dans leur environnement macro-économique, les firmes et/ou les entreprises peuvent éprouver des difficultés à profiter de ces nouvelles opportunités si une meilleure attention n'est pas apportée à l'amélioration des infrastructures et au développement du capital humain qui constituent des externalités positives souvent recherchées par les investisseurs d'où rôle prépondérant des investissements publics. Du reste, l'accumulation de capital physique permet d'accéder à la technologie tandis que l'investissement en capital humain facilite l'absorption et le développement des nouvelles technologies. Les investissements publics constituent, par ailleurs, le seul moyen d'irradier l'économie d'infrastructures qui constituent en réalité le socle de la croissance. 2) Au niveau juridique et institutionnel Il n'existe pas de modèle standard d'un environnement juridique, réglementaire et judiciaire propice à l'investissement et donc à la croissance mais l'expérience des pays développés suggère que cet environnement doit comprendre : - - des mécanismes justes et prévisibles veillant à l'application des contrats dans les cours de justice de première instance et de premier appel ; des mécanismes administratifs et des entités d'arbitrage ainsi que tout un ensemble de moyens de résolutions des litiges moins formels ; un système bien défini de lois et réglementations économiques adaptées aux besoins du marché, notamment les droits de propriétés, le code du travail et le nantissement ; la transparence, la responsabilisation et caractère ouvert de l'information relative à la gouvernance qui repose sur une séparation claire des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ainsi que des lois à l'appui de cette séparation du pouvoir. L'harmonisation du droit des affaires dans tout l'espace de l'Union Economique et Monétaire Ouest-Africain (UEMOA) de par la mise en place de l'Organisation pour Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) participe ainsi à cette volonté d'offrir à l'investissement et aux entreprises un cadre juridique favorable au climat des affaires. En Chine, l'astuce pour attirer les capitaux étrangers –ceux de la diaspora chinoise, en particulier– a consisté à permettre l'implantation d'entreprises bénéficiant d’un statut d’entreprise franche sur tout l'ensemble du pays. 13. - Error! Unknown switch argument. - C'est qu'en réalité, l'absence de démocratie et des libertés individuelles affectent le taux d'accumulation et l'efficacité des facteurs de productions. Pour MICHAILOFF S. «l'Etat doit demeurer l'arbitre et le responsable de l'élaboration des règles du jeu et de leur respect ; règles du jeu qui s'imposent à tous et à luimême au premier chef». Les entreprises ont besoin pour travailler d'un environnement adéquat et stable où les règles connues et comprises de tous s'appliquent à tous sans passe-droit ou dérogation. En d'autres termes, les entreprises souhaitent un Etat de droit, en rupture avec le système de "gestion par l'exception". C'est que l'investissement direct, domestique ou étranger, par nature irréversible, est fortement influencé par la crédibilité des gouvernements qui mettent en oeuvre les réformes. Ainsi, dans la situation d'incertitude née du manque de confiance des investisseurs aux Etats africains et de la réputation entachée des institutions internationales (suite aux échecs répétés des PAS qui, en outre, ne semble pas avoir d'horizon temporel défini), on a assisté, excepté dans le secteur pétrolier et les investissements de la France -dont les motivations s'inscrivent dans une dynamique de coopération particulière-, à un arrêt puis, à un retrait des firmes étrangères, animées, en définitive, par une certitude négative. Ce mouvement s'est d'autant plus accentué que les firmes ont substitué au marché de l'Afrique, les "marchés de développement" émergents de l'Asie du Sud-Est et de l'Amérique Latine où se développent des opportunités d'investissement. Dès lors, la restauration d'institutions crédibles devrait constituer le credo des Etats africains dans la quête d'une reprise de l'afflux d'IDE. CONCLUSION Il est clair que pour le cas de l'Afrique sub-saharienne, on note, hormis le secteur pétrolier et les investissements préférentiels de la France, une forte désaffection des IDE. En effet, des travaux ont pu révéler que les IDE n'y sont pas déterminés par leurs arguments classiques (taux de croissance du PIB, taux de croissance anticipé du PIB, taux de croissance démographique, revenu par tête, encours de la dette, taux d'investissement, coefficient de variation des exportations). C'est qu'en fait l'inconstance et le floue qui entourent les politiques économiques et, en définitive, les institutions africaines, ont fini par créer un désintérêt des investisseurs étrangers. C'est dire, qu'en définitive, la reprise des investissements en Afrique dépend de la restauration de ce qu'ARROW appelle les "institutions invisibles" : la confiance et la réputation.