SÉCURITÉ ET DÉVELOPPEMENT Les attentats du 11 septembre 2001 ont projeté la question de la sécurité en tête des préoccupations des peuples et des États. La concertation Comprendre et agir pour une paix juste rappelle que la sécurité viendra d’abord et avant tout par l’appui constant à un développement durable, l’instauration progressive d’une paix juste, le respect intégral des droits humains et une généreuse ouverture aux populations migrantes et réfugiées. Toute stratégie de lutte contre la violence en général et la violence terroriste en particulier doit reposer sur un combat sans merci au cercle vicieux pauvreté, désespoir, violence et plus de pauvreté. C’est la lutte pour le développement. Or cette lutte est largement détournée par la vision qui domine le monde depuis une vingtaine d’années et que l’on désigne par la mondialisation néolibérale. Trois mots clés résument cette vision inhumaine, antidémocratique et génératrice d’inégalités, de pauvreté et d’exclusion : privatisation, déréglementation, libre échange. Privatisation Des secteurs économiques entiers sont passés du contrôle étatique au capital privé : hydrocarbures, télécommunications, postes, télévision, chemins de fer, transport aérien, banques… Partout où ces privatisations ont eu lieu, on a assisté à une détérioration marquée des conditions de travail : diminution de la main d’œuvre, baisses salariales, perte d’avantages sociaux, accroissement des écarts de revenus entre les hauts cadres et les employés, etc. Hydroélectricité, santé et eau sont les cibles privilégiées maintenant. Déréglementation Le milieu de la finance veut que l’État lui cède ses activités économiques et sociales; il exige aussi que ce dernier « allège le carcan réglementaire nuisible à l’investissement » : normes de travail, équité salariale, réglementation du travail des enfants, respect des droits syndicaux et de l’environnement, etc. sont vus comme autant de « nuisances » pénalisant la « compétitivité », « des tracasseries imposées par les gouvernements et qui tuent l’emploi ». 1 Libre échange Pour s’engager plus avant dans l’investissement et l’emploi, les milieux d’argent ont imposé le libre échange comme une avenue incontournable des politiques économiques. L’ouverture des marchés leur étant désormais garantie, ils choisissent les lieux de leur implantation en fonction de critères comme les coûts de main d’œuvre et les privilèges accordés par les États : exonérations fiscales, subventions de toutes sortes, limitation des droits syndicaux, etc. Les centres de décision se retrouvent désormais déplacés des instances démocratiques (les parlements et les gouvernements) vers les instances contrôlant les capitaux (les entreprises), qui visent uniquement l’augmentation de leurs profits et n’ont de comptes à rendre qu’à leurs plus gros actionnaires. Au niveau international, l’ONU et ses filiales sont supplantées dans les faits par des instances des pays riches (G8, G20, OTAN) ou par des organismes où le pouvoir des différents pays est fonction de leur contribution économique (Banque mondiale, Fonds monétaire international) ou de leur importance dans le commerce international (OMC). Cette évolution se traduit dans l’immédiat par une accentuation des écarts de richesse entre les pays du Sud et ceux du Nord, et par l’aggravation des causes principales de cet écart : l’échange inégal et une gestion usuraire de la dette. Par le biais des cadres stratégiques de réduction de la pauvreté (programmes d’ajustements structurels mis à jour), la plupart des pays du Sud se voient forcés d’abandonner toute tentative de développement basé sur les besoins de leur population et de brader leurs ressources naturelles et leurs services publics (eau potable, télécommunications, transport aérien, chemins de fer, autoroutes, etc.) aux multinationales du Nord. COMPRENDRE L’économie et le développement sont soustraits à la participation des populations Les décisions sont prises dans le secret, au sein de cercles fermés (G8, G20, OMC, etc.), dans des réunions dont la population et ses parlementaires sont tenus à l’écart. 2 Ces cercles sont « animés » par les institutions financières internationales dominées par les grandes puissances et les milieux financiers. Les gouvernements ne rendent jamais compte à leur population ni à leur parlement des positions défendues par leurs représentants au sein de ces institutions. Ils découragent et répriment, souvent avec violence, les manifestations populaires exprimant des désaccords avec les orientations de ces cercles fermés et de ces institutions financières. Les pays du tiers monde sont exclus des discussions et des décisions qui, pourtant, les concernent au premier chef. Cette exclusion se fait particulièrement à travers la marginalisation de l’ONU et de ses agences en faveur des cercles fermés. Les femmes sont les premières victimes de ces orientations. Au-delà des slogans démagogiques sur la place des femmes dans le développement, très peu est fait pour les écouter et pour reconnaître la spécificité de leurs besoins et de leurs pratiques. Il n’est qu’à voir les réponses des gouvernements aux revendications de la Marche mondiale des femmes de l’an 2000 pour s’en convaincre. « Écouter les réflexions de pays clients sur des sujets comme la stratégie de développement ou l’austérité budgétaire n’intéresse pas beaucoup le FMI. Trop souvent, il s’adresse à eux sur le ton du maître colonial ». Joseph E. Stiglitz (ancien vice-président de la Banque mondiale, prix Nobel d’économie 2001) La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) appelle à la fin des ajustements structurels et souligne que les pays les plus pauvres « se trouvent dans un cercle vicieux de pauvreté généralisée renforcé par des conditions extérieures négatives telles que l’instabilité des prix des matières premières, un endettement insupportable et un système d’aide répondant avant tout aux besoins et aux préoccupations des donateurs ». Le commerce international est inéquitable Le commerce international est de plus en plus défavorable aux pays du tiers monde (c’est ce qu’on appelle l’échange inégal). Leurs produits d’exportation (ressources naturelles, produits agricoles, produits des industries légères faisant appel à une main d’œuvre abondante et bon marché) leur rapportent de moins en moins, et leurs importations (produits technologiques, « savoir-faire ») sont de plus en plus onéreuses. 3 Exemples de l’impressionnante baisse des prix entre 1980 et 2000 Café ($/kg) Sucre ($/kg) Source : Banque mondiale GDF 2001. 1980 1990 2000 4,81 1,97 1,91 0,88 0,28 0,18 Cette évolution conduit à des conditions de travail et de vie intolérables pour des millions de travailleurs, hommes, femmes et enfants du tiers monde : des salaires de misère et des circuits de distribution façonnés pour faire la fortune des multinationales et des courtiers, intermédiaires entre les producteurs du Sud et les consommateurs du Nord. « Les pays ayant connu la plus forte hausse des exportations durant les dernières décennies, comme l’Asie du Sud-Est par exemple, ont connu aussi une hausse visible de l’emploi féminin. Mais les femmes payent cher le processus de mondialisation : des conditions de travail déplorables, des salaires minables, peu de droits et des rythmes de travail épuisants et monotones mettent en danger leur santé et leur vie. (…) Toujours et partout, le travail à bon marché des femmes sert de tremplin aux économies nationales vers le marché mondial ». Christa Wichterich, La femme mondialisée, Actes Sud, 1999. La dette des pays du tiers monde est gérée de manière usuraire Les pays du tiers monde sont livrés à l’aveuglement technocratique des institutions financières internationales. La gestion de la dette de ces pays se traduit par une entreprise de reconquête coloniale : vente à des entreprises étrangères des principales entreprises minières, énergétiques, agricoles, etc., prise de contrôle des services publics comme la distribution d’eau potable par des firmes privées occidentales, ouverture sans entraves des marchés aux produits du Nord, adoption de budgets nationaux dictés par les technocrates de la Banque mondiale et du FMI. FMI et Banque mondiale : des instruments des États occidentaux. Bien que la majorité des décisions se prennent sur le mode du consensus, en cas de vote, la minorité de blocage est de 15%. Or, Les États-Unis disposent de plus de 16% des voix, ce qui leur donne, en fait, un droit de veto. 4 L’aide publique au développement est très insuffisante et mal orientée Dans les années 80, les pays donateurs se sont fixé un objectif : porter le montant de l’aide publique au développement (APD) à 0,7% du PNB, le double des montants alloués à l’époque. Dans les faits, les budgets de l’APD ont diminué presque de moitié. Au Canada, ils sont passés de 0,43% du PNB, en 1988, à 0,29%, en 2001. Parallèlement à cette diminution, l’APD a évolué en un instrument de mise en œuvre des plans d’ajustements structurels et des stratégies catastrophiques émanant du FMI et de la Banque mondiale : « Les pays donateurs sont devenus des inconditionnels de la conditionnalité ». Alors que dans les années 80 on parlait de conditionnalité démocratique (pour recevoir de l’aide, tel pays se voyait encouragé à entreprendre une démocratisation de son fonctionnement), aujourd’hui, la conditionnalité est de type néolibéral : pour recevoir de l’aide, il faut se conformer aux diktats du FMI, privatiser, libéraliser le commerce, éliminer les protections douanières de ses produits, déréglementer. Par ailleurs, la partie des budgets de coopération qui permettait aux organismes indépendants de sensibiliser et d’éduquer le public aux réalités internationales a été réduite de manière encore plus dramatique que l’ensemble. Des groupes d’éducation ont même subi des coupures de 100%. Enfin, les budgets affectés à la concertation entre les différents organismes de coopération internationale pour leur permettre de jouer leur rôle de conseil et de critique des politiques gouvernementales, ont été également réduits parfois de 100%. Le défi est donc triple : augmenter substantiellement les budgets de coopération internationale en remettant concrètement à l’ordre du jour l’objectif de 0,7% du PNB; réorienter ces budgets vers les objectifs de lutte à la pauvreté, de justice sociale et de développement humain. Rappel : 70% des 4, 5 milliards de personnes qui vivent avec moins de 2$ US par jour sont des femmes et des enfants; réserver des montants suffisants pour les initiatives non gouvernementales, en particulier pour les programmes de sensibilisation et d’éducation du 5 public et pour la concertation organisée des organismes de coopération et de solidarité internationales. AGIR S’INFORMER Des sources d’information alternatives sur les questions de développement existent pour ceux et celles qui désirent avoir des points de vue différents de ceux des grands monopoles de presse et des milieux d’affaires. Publications d’ici : bulletins des ONG, la revue Recto-Verso Des journaux : le Monde diplomatique (mensuel) Des revues et périodiques : Alternatives-Sud Sites Web www.forumsocialmundial.org.br/home.asp cmaq.net/index.php?lang=fr www.ffq.qc.ca/marche2000 www.attac.org www.cybersolidaires.org www.aqoci.qc.ca ENCOURAGER LE COMMERCE ÉQUITABLE Après le pétrole, le café est le second produit en importance dans les échanges commerciaux internationaux. C’est un produit contrôlé par 4 grands monopoles aux moyens considérables leur permettant de manipuler les conditions du marché. Pendant ce temps, les conditions de vie des petits producteurs (hommes, femmes et enfants des pays de production) se détériorent constamment. C’est avec ce produit très populaire qu’est partie l’idée à la fois simple et géniale du commerce équitable: créer des circuits de distribution alternatifs permettant de payer des prix décents aux producteurs en « économisant » les profits faramineux des monopoles. Le commerce équitable ne se limite plus au café; cacao, artisanat, bananes, thé, sucre, arrivent désormais sur ce marché. Encourager ce commerce, c’est contribuer concrètement, sans qu’il en coûte vraiment, à un monde plus juste. Il y a des distributeurs de produits équitables dans la plupart des régions. Consulter les sites suivants : Équiterre : www.equiterre.qc.ca 6 Oxfam-Québec : www.oxfam.qc.ca Plan Nagua : www.plannagua.org S’IMPLIQUER L’action n’a de chances de contribuer significativement au changement que si elle est collective et organisée. La politique étrangère fait partie de la politique, le gouvernement fédéral y consacre une part importante de ses budgets, pourquoi ne fait-elle jamais l’objet de discussions lors de nos campagnes électorales? Lors des débats parlementaires ? Faites savoir à vos élus que c’est important pour vous. Posez-leur des questions sur leurs points de vue à ce sujet. Faites-leur connaître vos propres opinions. Lors des campagnes électorales, exigez des candidats des engagements sur des points précis concernant la justice et le respect des droits humains, la paix dans le monde et le rôle que vous voyez pour le Canada. Des groupes de solidarité internationale, des groupes de défense des droits des nouveaux arrivants, des groupes de défense des droits humains, des groupes d’appui à l’ONU et à ses diverses agences, des comités justice et paix dans les paroisses, des groupes de femmes, des syndicats, existent dans toutes les régions. Appuyez ces groupes en participant à leurs activités, en participant à leur financement autonome si vous en avez les moyens, en donnant de votre temps bénévole pour les renforcer. Les pages d’opinion des journaux, les tribunes téléphoniques des radios sont de bons moyens pour faire valoir des points de vue solidaires et participer à la sensibilisation et à l’éducation du public aux questions de paix et de justice. Écrivez, appelez. Il n’est pas nécessaire, loin de là, d’être des experts pour avoir voix au chapitre. 7 Pour la concertation Comprendre et agir pour une paix juste, il est impérieux que le gouvernement canadien veille à ce que les institutions financières internationales (IFI) soient réellement au service des peuples en devenant vraiment démocratiques, transparentes, imputables devant les parlements, soumises aux chartes qui garantissent les droits humains, et qu’elles relèvent de l’ONU; appuie toutes organisations et structures susceptibles de rendre le commerce international plus équitable et donc plus respectueux des droits syndicaux et des droits humains en général; élimine la dette des pays du tiers monde et fasse pression, dans tous les forums internationaux, pour que tous les autres pays riches fassent de même; atteigne le plus rapidement possible, et avec un échéancier défini, l’objectif de consacrer 0,7% de son PNB à l’aide publique au développement (APD) et de réorienter cette dernière vers des objectifs de développement humain. Recherche et rédaction : Concertation Comprendre et agir pour une paix juste, coordonnée par l’AQOCI Mise en page et graphisme : Québec Ar, Tél.: 514-808-1493 e-mail : [email protected] Ce document a été réalisé grâce à l’appui de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), nous les en remercions. Toutefois le contenu ne reflète pas nécessairement ses points de vue et n’engage que les membres de la concertation. Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Québec. 4e trimestre 2002. Comment la politique étrangère menée par les Etats-Unis depuis la guerre du Golfe a-t-elle créé un potentiel de haine expliquant les attentats du 11 septembre ? Quel est le pouvoir de conviction du Jihad ? Les terroristes ont-ils un projet ? Quels sont ses liens avec l'argent : celui des affaires, celui de la drogue et du crime, celui des hydrocarbures ? Quel contenu économique potentiel peut prendre la nouvelle alliance entre Washington et Moscou ? Derrière ces questions conjoncturelles percent des interrogations plus profondes. Le triomphe du marché marque-t-il la fin de l'histoire ou bien se dirige-t-on vers le choc des civilisations ? Ces enjeux fondamentaux ont des répercussions directes sur l'économie, selon trois axes au moins : le mode de fonctionnement global de l'économie mondiale, la transformation de certains secteurs aujourd'hui clés, la prise en compte des risques et des incertitudes. Depuis la chute du mur de Berlin, le monde semblait engagé dans un processus inéluctable de globalisation libérale marqué par la domination des marchés, le recul du pouvoir des Etats et le développement des échanges. Cette tendance lourde est-elle vouée à s'inverser ? L'économique l'emportait hier encore sur le politique. Les attentats ont ouvert la voie à une demande accrue d'Etat, à une demande de protection et de régulation qui pourrait inverser la tendance... Tous les secteurs sont touchés, mais certains plus que d'autres : 8 énergie, transports, tourisme, nouvelle technologie, banque, etc. Quelles sont les évolutions envisageables dans ces secteurs particulièrement structurants de toute l'activité économique ? Le traitement du risque, des incertitudes, de la sécurité est devenu une question majeure, qui peut déboucher sur une demande de plus d'Etat et conduire les entreprises à redéfinir leurs orientations stratégiques. Face à ces problèmes aujourd'hui décisifs, des économistes ont choisi de prendre la parole pour tenter de clarifier l'évolution de l'économie mondiale après le 11 septembre 2001. 9