Kass‚_Politiques_sociales_et_mondialisation.doc

publicité
LES POLITIQUES SOCIALES EN AFRIQUE FACE A LA
MONDIALISATION.
Par Professeur Moustapha KASSE
Consultation Régionale sur la Dimension sociale de la mondialisation,
à ARUSHA du 6 au 7 Février 2003
Chance pour les uns, menace pour les autres, le phénomène de la
mondialisation qui, pour beaucoup de monde, semble déterminer
désormais l’avenir de la planète suscite de plus en plus de débats
passionnés, de controverses savantes et de harangues politiques aussi
simplistes que péremptoires. Mais d’abord, de quoi s’agit-il lorsqu’on
parle de mondialisation ? A première vue, la mondialisation est
présentée comme une nouvelle configuration de l’économie mondiale.
Deux faits empruntés à Robert REICH dans son ouvrage
« L’économie mondialisée »1 illustrent parfaitement bien cette vision
de la globalisation:
Le premier fait : L’équipement de Hockey sur glace est conçu
en Suède, financé au Canada, assemblé à Cleaveland et distribué en
Europe et en Amérique du Nord.
Le deuxième fait : Un microprocesseur est conçu en Californie
et financé en Allemagne, il contient des mémoires à accès aléatoire
fabriquée en Corée du Sud.
Voilà pourquoi, à l’origine, la mondialisation était essentiellement
perçue comme un fait économique et financier qui indiquait la
suppression progressive de barrières douanières et réglementaires
pour les entreprises industrielles, commerciales et financières
permettant la délocalisation des activités dans l’espace mondial. Les
1
Robert REICH (1993): L’économie mondialisée, collection NH, 336p.
1
multinationales se trouvent ainsi au cœur d’un processus productif
mondial commandé par l’exploitation des dotations factorielles
naturelles des pays. Aujourd’hui, le phénomène s’est élargi et touche
à la fois les domaines culturel, social et politique, conduisant à une
série d’interrogations.
Pourtant, le concept malgré son utilisation quasi universelle
fait l’objet de plusieurs compréhensions tant au niveau des
chercheurs qu’à celui du public. Le sujet est vaste, complexe,
largement débattu, souvent diabolisé au détriment d’analyses
robustes avec des statistiques crédibles. Ainsi, comme le note
BOYER, «quand des ouvriers d’un abattoir de poulets se mettent en
grève pour contester un aménagement de leurs horaires de travail,
on décrète qu’ils se battent contre la mondialisation qui impose sa
rationalité aux entreprises de ce secteur étroitement dépendant
de ses performances à l’exportation. Tel gouvernement choisit de
renoncer à exercer ses prérogatives pour s’aligner sur les positions
des lobbies favorables au tout-déréglementation, il se justifie en
se fondant sur les nouvelles exigences de la mondialisation2 ».
Bien que les termes même de "mondialisation", "globalisation",
"internationalisation"
soient à la fois flous et empreints
d’ambiguïté, chacun pense que leurs conséquences (sans pouvoir les
cerner précision) sont importantes. Pour certains auteurs, nous
entrons dans l'ère de la mondialisation à partir du moment où un
pourcentage significatif du PIB de la nation est réalisé avec
l'extérieur alors que pour d'autres, ce pourcentage est moins
significatif que la «dépendance » ou «l’indépendance» de la nation
vis-à-vis de décisions prises par des acteurs de l'étranger : firmes
ou Etats compte tenu du caractère de "price taker" ou de "price
maker" que détiennent ces acteurs sur le marché mondial. Pour
d'autres enfin, la mondialisation exprime l’ensemble des
mécanismes qui contribuent à leur ruine par le biais des mécanismes
connus de l’échange inégal caractéristique des distorsions dans le
processus de formation des marchés internationaux et de
2
R. Boyer et al : Mondialisation au-delà des mythes, Edit. La Découverte,1997, 174p.
2
distribution des revenus. Les deux phénomènes sont intimement
liés.
Pourtant, malgré sa forte présence dans plusieurs secteurs et
plusieurs régions du globe, la mondialisation n’est pas encore
universelle. Au contraire, une de ses particularités marquantes est
qu’elle est asymétrique et non homogène, dans la mesure où toutes
les activités économiques, financières comme culturelles ne se
mondialisent ni au même rythme ni de la même manière. Certaines,
telles que la finance et les entreprises sont mondialisées depuis des
siècles, alors que d’autres, comme la collaboration institutionnelle,
l’équité sociale, et l’action des gouvernements restent, encore
fortement chevillées dans des frontières géographiques nationales
dont elles portent les marques. C’est bel et bien une mondialisation
à plusieurs vitesses entraînant des chocs asymétriques. Cette
mondialisation polyforme peut-elle contribuer positivement à la
croissance
économique
de
l’Afrique
sub-saharienne,
au
développement de l’emploi et à l’éradication de la pauvreté et à la
réduction des inégalités ? Offrir-t-elle les mêmes chances et les
mêmes avantages à tous les partenaires ou participants? Quel sort
réserve-t-elle aux Etats particulièrement dans les pays ou les
acteurs sont fragiles et débiles et ont alors besoin de la puissance
publique ? Quelles sont ses conséquences directes et indirectes sur
les différents partenaires singulièrement les plus faibles d’entre
eux?3
Au plan économique, les caractéristiques essentielles de la
mondialisation se manifestent à travers quatre interdépendances
révélatrices d’une forte asymétrie à savoir :
- l’interdépendance par les marchés qui se traduit par la
disparition des frontières géographiques, l’abaissement des
barrières tarifaires et non tarifaires ;
- l’interdépendance par la production se caractérisant par une
décomposition internationale des processus productifs qui
s’appuie sur un réseau de filiales ou de sous- traitants et le
Moustapha KASSE (2003) :De l’UEMOA au NEPAD : le nouveau régionalisme africain, Edt. Nouvelles du
Sud, 256p
3
3
nomadisme de segments entiers des appareils de production
selon la logique des avantages comparatifs ;
- l’interdépendance financière qui procède d’une interconnexion
des places financières mondiales fonctionnant vingt-quatre
heures sur vingt-quatre grâce à la conjugaison de trois
éléments que sont la déréglementation, le décloisonnement des
marchés et la désintermédiation ;
- l’Interdépendance par les nouvelles technologies de
l’information et de la communication (NTICs) qui, avec les
transports, favorisent la mobilité et la flexibilité des capitaux,
des biens, des services et des personnes,
Evaluant la mondialisation, M. Beaud4 observe avec raison son
caractère fortement contrasté. En effet, jamais le monde n’a disposé
d’autant de techniques et n’a produit autant de richesses. Malgré
tout jamais l’humanité n’a crée autant d’inégalités et de pauvreté
montrant ainsi sa marque socialement duale. Le Produit mondial a
connu au cours du siècle une croissance exceptionnelle : en dollars de
1975, il est passé de 580 milliards en 1900 à 25000 milliards au
milieu des années 90 ce qui représente en moyenne 4500 dollars per
capita.5
Cependant ce tableau idyllique est altéré par une succession de
crises graves qui sont autant de périls économiques, financiers et
sociaux dont la dernière en date a été la déroute de certains
Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie et d’Amérique Latine qui étaient
souvent proposés comme modèle de référence pour sorti les PVD du
sous-développement. Certaines publications de la Banque mondiale
indiquaient que l’Asie était l’avenir du monde. En effet, la
globalisation financière s’accompagne de la montée en puissance de la
finance spéculative qui rendait de plus en plus instable les équilibres
des marchés boursiers et des marchés de changes. En somme, le
système financier international complètement déréglementé et
décloisonné produit des risques, des incertitudes et des
4
5
M.Beaud : Histoire du capitalisme de 15000 à nos jours, Edt. Seuil, 380p
PNUD (1999) : La mondialisation à visage humain, Rapport Mondial sur le Développement Humain
4
dysfonctionnements que les Institutions Financières Internationales
n’ont pas pu gérer faute de ressources suffisantes et d’instruments
adéquats de régulation. C’est le cas de la crise financière en Asie, au
Mexique, au Brésil et en Uruguay.
I/ LES INCIDENCES DE LA MONDIALISATION DE
PARADOXES ET D’INEGALITES.
Les statistiques montrent que le monde est en phase de
polarisation, avec un fossé de plus en plus large entre les pays
pauvres et les pays riches. Concrètement, le cinquième le plus riche
de la population mondiale dispose de plus de 80% des ressources et le
cinquième le plus pauvre de 1%. Quelques 2,7 milliards d’individus (sur
6 milliards) vivent avec moins de 2 euros par jour et ils seront
environ 4 milliards en 2015.
Au cours des trente dernières années, la part des 20% de
personnes les plus pauvres dans le revenu mondial est tombée de
2,3% à 1,4%. Dans le même temps, la part des 20% les plus riches
passait de 70% à 85%. L’écart de revenu entre les 20% plus riches et
les 20% les plus pauvres a ainsi doublé, passant de 30/1 à 6/1.
La fortune des 358 milliardaires en dollars que compte la
planète est supérieure au revenu annuel cumulé des 45% d’habitants
les plus pauvres de la planète. Au cours des trois dernières
décennies, la proportion d’individus habitant des pays ayant connu une
croissance annuelle de leur revenu supérieure à 5% a plus que doublé
(passant de 12 à 27%), mais la proportion de la population mondiale
connaissant une croissance négative de ce revenu a plus que triplé,
passant de 5% à 18%.
Ces inégalités font aujourd’hui l’objet d’intenses controverses
particulièrement au niveau du fonctionnement de la mondialisation.
Globalement, les inégalités se sont creusées entre les pays et au sein
de la plupart d’entre eux. Ainsi, dans les pays opulents d’Europe
occidentale, le nombre de pauvres n’a cessé d’augmenter depuis vingt
ans. Toutefois, ces inégalités et ces pauvretés excessives deviennent
inacceptables et dangereuses car elles constituent le terreau sur
5
lequel se recrutent les terroristes qui menacent les démocraties du
monde.
L’économie monde analysée du point de vue de son fonctionnement
se déroule dans un contexte de paradoxes et d’inégalités. Elle est
façonnée selon le Professeur K. VALASKAKISalaskakis par trois
dualités sources de très graves conséquences pour l’ensemble des
PVD :6
- la fracture sociale entre riches et pauvres ;
- le fossé grandissant entre inclus et exclus (chômage
structurel) ;
- et l’impuissance absolue de l’Etat qui se manifeste dans le fait
que les gouvernements, malgré les meilleures intentions du
monde, n’arrivent pas à gérer l’interdépendance planétaire.
1°) La première dualité est relative à la fracture sociale
entre riches et pauvres.
En effet, malgré la «crise» économique en Europe, depuis le
milieu des années soixante-dix, on peut constater que les pays de
l’OCDE sont trois ou quatre fois plus riches, aujourd’hui qu’à l’époque
des Trente Glorieuses (1945-1975) années de forte croissance
économique mondiale, à un moment où l’Etat-providence était
omniprésent et nullement contesté. De plus et malgré la crise, les
statistiques officielles sous-estiment considérablement l’abondance
dont les élites bénéficient à présent, car les améliorations
qualitatives dans les produits ne sont pas prises en compte. Les biens
matériels et les services accumulés au double plan qualitatif comme
quantitatif montrent que la crise économique contemporaine est plus
une crise d’abondance que de rareté. Dans la grande majorité des
secteurs de l’économie mondiale, la surproduction est la
caractéristique dominante. Les grands secteurs productifs
industriels comme agricoles affichent d’énormes surplus amenant par
moment la destruction des excédents agricoles pour peser en
6
K. Valaskakis : Mondialisation et gouvernance, Revue Futurible, Avril 1998
6
hausse sur les processus de formation des prix . Il n’existe plus ni
pénurie ni insuffisances alimentaires : si la famine persiste encore
dans plusieurs parties du monde, ce n’est pas par manque de denrées
alimentaires. Il en va de même pour les matières premières
stratégiques comme les métaux et l’énergie qui sont aussi, grosso
modo, en situation de surproduction.
En établissant un bilan même approximatif de la mondialisation à
la fin des années quatre-vingt-dix, on constate clairement que, dans
l’ensemble, elle a enrichi environ 30% de l’humanité. Les 70% restant
n’ont pas encore été conviés au banquet : ils se trouvent marginalisés
et exclus. En définitive si la mondialisation s’est donc avérée une
excellente mécanique de la croissance des biens, des services et des
revenus ; toutefois, elle se révèle parallèlement comme un très
mauvais instrument de redistribution et de partage.
La dualité entre l’économie de la famine et celle de l’abondance
n’est pourtant pas le résultat d’une conspiration quelconque de la part
des nantis. Elle est l’issue normale et non-maîtrisée d’une dynamique
de marchés «darwiniste» et discriminatoire, qui privilégie la survie
des plus forts, récompense généreusement les gagnants et ne
réserve presque rien pour les perdants et les faibles. Avant la
mondialisation, la solidarité sociale au sein des pays conférait à l’Etat
des fonctions allocatives des ressources qui permettaient non point
de corriger mais d’atténuer l’ampleur des inégalités et des menaces
de fracture sociale. L’impôt progressif et les politiques de lutte
contre la pauvreté mettaient en place des mécanismes de
redistribution qui prenaient une partie des bénéfices des gagnants
pour les concéder aux perdants.
Depuis la mondialisation, ces mécanismes sont sévèrement
réduits car toute politique de redistribution pourrait avoir des
répercussions négatives sur la compétitivité en augmentant les
charges et ferait obstacle à la stratégie des entreprises pour se
déployer sur les meilleurs marchés avec bons prix. Ainsi, la politique
de redistribution est considérée comme un frein à la mobilité sur le
marché mondial en voie de décloisonnement. D’où la tendance au
nivellement par le bas des revenus et le renforcement de la
7
dualisation de toutes les sociétés engagées dans le processus de
mondialisation entre riches et pauvres. En l’absence de tout système
de régulation sociale, les classes inférieures vont voir leur revenu
réel baisser substantiellement.
2°) La deuxième dualité entre le travail et le chômage.
Cette seconde dualité que l’on associe à la mondialisation est le
chômage structurel qui creuse un fossé croissant entre les «inclus»,
c’est-à-dire ceux qui ont un travail rémunéré et les «exclus».
Cependant, pareille dualité ne devrait pas être assimilée à la
première sous peine de fausser la problématique. Il faut observer
que le marché du travail suscite beaucoup moins de recherche et de
réflexion que le marché global des biens et services. Il n’a longtemps
concerné que les personnels hautement qualifiés : la fuite des
cerveaux et la formation des ressources humaines. Cependant,
aujourd’hui, la question de l’impact de la mondialisation sur l’emploi
fait l’objet d’une plus grande attention de la part des économistes.
Car nous semblons vivre dans des « société de chômage » au Nord
comme au Sud. Les Pays de l’OCDE comptent présentement plus de
35 millions de chômeurs. En Afrique, il s’agit d’un véritable chômage
de masse qui affecte plus de la moitié de la population active.
Dans les pays industrialisés, le débat sur les marchés du travail
montre que le chômage n’est pas de récession mais de technologie,
c’est-à-dire qu’il n’affecte pas comme l’observe L.Stoleru 7, « ni les
salaires dont le niveau continue d’augmenter ni l’économie qui peut
voir sa croissance et sa productivité s’améliorer ». C’est pourquoi,
paradoxalement, ce chômage structurel qui ébranle ces sociétés
développées est un indicateur d’abondance plutôt que rareté.
Comme on l’imagine, les bouleversements introduits par les
Technologies de l’Information et de la Communication s’étendent aux
deux aspects de l’activité humaine : l’homme dans sa vie en société et
l’homme dans sa vie au travail. Le chômage est alors le reflet de
cette trop forte poussée technologique qui modifie complètement le
7
L ? Stoleru : L’ambition internationale, Edt. Seuil, Paris 1987, 319p.
8
profil des emplois futurs. En effet, « contrairement à une idée qui
refait surface périodiquement, notamment dans les périodes de
chômage, la machine ne tue pas l’emploi, elle l’oblige à se déplacer et
à se recomposer : la productivité rend inutile dans certains emplois
dans certains secteurs, C’est cela qui explique toute la complexité
des politiques de lutte contre le chômage »8.
Globalement et à l’image de la situation mondiale, le
développement du chômage en Afrique procède essentiellement de la
conjugaison des principaux facteurs qui suivent :
- D’abord, la croissance démographique rapide (2,9 % par an en
moyenne sur le continent) qui renforce le caractère jeune de la
population et livre annuellement sur le marché du travail des
dizaines de milliers de nouveaux demandeurs d’emploi ;
- Ensuite, la montée des déséquilibres internes et externes qui
ont entraîné la mise en œuvre de Politiques d’Ajustement
Structurel. Ces PAS se sont d’abord donné comme objectif
d’assainir les économies et de restaurer un cercle vertueux de
croissance par élimination ou réduction des déficits,
compression de la demande, suppression des distorsions pour le
fonctionnement des marchés, privatisation et promotion du
secteur privé. Même si les modalités des réformes économiques
changent considérablement dans le temps, les objectifs sont
restés permanents. Au fur et à mesure que des efforts sont
accomplis pour mettre en œuvre les programmes, plus
apparaissent de façon nette leurs limites, ce qui suscite le
besoin de nouvelles réformes plus complexes réputées mieux
adaptée. En fait, la succession des programmes établit que
l’assainissement ne finit jamais. Ce qui fait dire à Mac Kinnon
que «la libéralisation des économies ressemble à la traversée
d’un champ de mines ; chaque pas risque d’être le dernier ». Ces
politiques ont eu pour corollaire d’importantes pertes d’emploi
dans l’ensemble des secteurs d’activités économiques ;
- En outre, les gigantesques progrès technologiques. En effet,
l’introduction de plus en plus importante des innovations
8
J.B.Foucauld :Une nouvelle donne pour l’emploi, Revue Echanges et Projets, janvier 1994
9
technologiques dans le processus productif est fortement
réductrice de main d’œuvre, notamment dans des économies de
sous-emploi structurel du facteur travail ;
- Et enfin, le double échec des politiques agricoles et des
systèmes éducatifs contribue d’une part à l’avènement de
jeunes chômeurs urbains issus de l’exode rural et qui
s’efforcent de se reconvertir vaille que vaille dans des activités
informelles et d’autre part la venue sur le marché de jeunes
citadins diplômés ou non en quête d’un emploi pour lequel ils ne
possède pas toujours les qualifications professionnelles
requises.
Dans ce contexte, on est en présence, en Afrique d’un marché de
l’emploi avec d’un côté une augmentation rapide de la demande
d’emploi émanant essentiellement des jeunes et des femmes et de
l’autre une insuffisance sectorielle de l’offre.
3°) La troisième dualité est relative à l’impuissance des
acteurs et notamment l’Etat face à la multiplication des risques
et à l’absence d’une régulation de la globalisation.
Cette troisième dualité de la mondialisation concerne la
montée des interdépendances sans augmentation symétrique des
moyens pour les gérer. En effet, on peut constater aujourd’hui une
multiplicité de risques et d’incertitudes inhérents à l’organisation
économique, politique et sociale mondiale. Tout cela s’accompagne d’
d’un déficit évident de régulation qui impose l’urgence d’une
mobilisation politique pour redéfinir toutes les institutions de
gouvernance et élaborer de nouvelles règles et de nouveaux
mécanismes à moins de croire que la main invisible du marché est à
même de réaliser tous les équilibres. Dans cette direction trois
ordres de questions se posent relativement à l’instauration d’ une
gouvernance mondiale :
- Quelle devrait être l’architecture institutionnelle de la
régulation internationale ?
10
- Comment réformer et gouverner les institutions existantes
pour assurer la légitimité des décisions ?
- Quels seront les mécanismes de l’arbitrage entre les objectifs
et les intérêts?
Les réponses sont sans doute multiples et parfois
contradictoires mais elles devraient être guidées au moins par deux
idées maîtresses : le caractère inopérant des solutions individuelles
des Etats et conséquemment la nature plurielle des solutions. Au
demeurant, les problèmes soulevés qui sont relatifs à la place des
Institutions de Bretton Woods, à leurs orientations, à leurs
interventions et à la participation des pays en développement doivent
trouver des solutions pertinentes et acceptables par tous les
acteurs. Il en va de même des dossiers d’interdépendance planétaire
qui exigent des réponses mondiales (plutôt que locales) difficiles à
obtenir comme l’environnement, les grandes épidémies comme le Sida
ou des phénomènes comme la désertification dont les actions pour les
maîtriser ne peuvent être que collectives et universelles pour être
efficaces.
Ces dernières années, il a été beaucoup question de coiffer les
institutions spécialisées par une instance plus politique ou économique
(Conseil de Sécurité Economique Mondial) qui serait en mesure de
fixer les orientations majeures, d’instituer et de gérer les
arbitrages intersectoriels. Il est vrai que ce rôle de surveillance et
d’arbitrage est actuellement dévolue au G8 qui a décidé en 1991 de
confier au FMI l’assistance aux pays en transition, qui a lancé en
1995 à Halifax les premières réflexions sur la réforme de
l’architecture financière mondiale, qui a lancé l’initiative en faveur
des pays lourdement endettés, qui a exigé l’ouverture des
négociations commerciales multilatérales et qui vient de demander le
soutien au Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique
(NEPAD). Mais les limites de cette instance des pays les plus riches
sont connues : d’une part, elle ne représente qu’une faible part de la
population mondiale et d’autre part ses réunions deviennent de plus
en plus des événements médiatiques plus riches en images qu’en
contenu et enfin elle est trop fortement contesté par la nouvelle
11
citoyenneté internationale ayant pour tribune le Forum de PortoAlegre.9
II/ L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE ENTRE MARGINALISATION,
PAUVRETE ET PRECARITE.
Les statistiques montrent que le monde est en phase de
polarisation, avec un fossé de plus en plus large entre les pays
pauvres et les pays riches. Concrètement, le cinquième le plus riche
de la population mondiale dispose de plus de 80% des ressources et le
cinquième le plus pauvre de 1%. Quelque 2,7 milliards d’individus (sur
6 milliards) vivent avec moins de 2 euros par jour et ils seront
environ 4 milliards en 2015.
Au cours des trente dernières années, la part des 20% de
personnes les plus pauvres dans le revenu mondial est tombée de
2,3% à 1,4% alors même que celle des 20% les plus riches passait de
70% à 85%. L’écart de revenu entre les 20% plus riches et les 20%
les plus pauvres a ainsi doublé, passant de 30/1 à 6/1. La fortune des
358 milliardaires en dollars que compte la planète est supérieure au
revenu annuel cumulé des 45% d’habitants les plus pauvres de la
planète.
Quels sont les mécanismes qui ont conduit à la formation de ces
fortes inégalités et quelles en sont les conséquences ? Ces questions
font aujourd’hui l’objet d’intenses controverses au niveau de l’analyse
du développement car ces inégalités et ces pauvretés excessives
deviennent inacceptables et dangereuses et constituent le terreau
sur lequel se recrutent les terroristes qui menacent les démocraties
du monde.
1°) Processus
continent.
de
mondialisation et
marginalisation
du
La participation de l’Afrique à l’économie mondiale a fortement
diminué au des cinq dernières décennies aussi bien du point de vue de
9
Moustapha Kassé : Récession mondiale et terrorisme, Journal Info7 du 02 fev.2002
12
son PIB, de ses exportations que des IDE reçus. Selon l’OCDE, la
part de l’Afrique dans le PIB mondial mesuré en parité de pouvoir
d’achat entre 1950-2000 a baissé d’un tiers alors que sa part dans
les exportations a été divisée par 3. Il en va de même pour les
investissements directs étrangers comme cela a été établi plus haut.
D’un autre côté l’économie mondiale a une assez faible incidence
sur la croissance des économies africaines. Cela s’explique d’abord
par la base de son système productif composée essentiellement de
produits primaires et ensuite par son insertion faible dans des
réseaux diversifiés de commercialisation
On peut donc dire que les paramètres que pose la mondialisation
ignorent le continent. Ni les investissements croisés, ni les échanges
internationaux sur la base de la croissance de la production mondiale,
ni la globalisation financière, ni les réseaux transnationaux, ni les
firmes globales, nulle part on ne trouve une place à l’Afrique. A ces
facteurs s’ajoutent d’autres qui sont endogènes et contribuent à la
marginalisation du continent. Au titre de ces facteurs on peut citer :
-
l’absence d’infrastructures adéquates de communication ;
l’étroitesse des marchés ;
les incertitudes et risques nés des conflits ;
la mauvaise qualité des administrations publiques.
Les Programmes d’Ajustement Structurel ont tenté d’introduire
des réformes ayant pour objectif l’assainissement des économies en
vue de la restauration de leur compétitivité extérieure par la
réduction des déficits budgétaires, une pression sur les salaires, la
suppression des subventions, la privatisation et le dégraissage de la
fonction publique.
Une fois assainie, les économies devraient
amorcer une croissance durable tirée par les IDE et les exportations.
En définitive, on s’aperçoit qu’en fait l’assainissement ne finit jamais,
les IDE se font attendre, la croissance n’est pas durable et la
pauvreté est encore loin d’être éradiquée.
13
2°) La pauvreté de masse et la défaillance des systèmes de
protection sociale : les réponses de l’ajustement au DRSP.
Le continent africain est la région du monde la plus pauvre, sa
production moyenne par habitant à la fin des années 90 est
inférieure à ce qu’elle était en 1960, sa part dans le commerce
mondial a reculé. Au niveau social, la situation est simplement
catastrophique avec 250 millions de personnes qui n’ont pas accès aux
service de santé, 140 millions d’analphabètes et 2 millions d’enfants
qui meurent chaque année avant leur premier anniversaire. Le
continent s’intègre difficilement dans le concert des nations : en
marge de l’expansion industrielle mondiale, il risque d’être exclu de la
révolution mondiale des technologies de l’information et des
télécommunications (Rapports de 1999 et 2001).
Le bilan de 10 années de recherche et de lutte contre la
pauvreté est fortement contrasté. Les actions de lutte conte la
misère et la famine ont donné quelques résultats positifs indéniables
avec l’augmentation de la production alimentaire du système
périphérique et le recul de la faim. Toutefois, depuis les années 70,
le nombre de pauvres augmente au même rythme que la population
(Kankwenda,1999) sans que l’on soit à mesure de répondre aux
questions fondamentales à savoir : i) Comment mesurer la pauvreté ?
ii) Quels sont les groupes les plus vulnérables ? iii) Quelles sont les
conditions de vie des pauvres et des très pauvres ? iv) Quelle
politique efficace faut-il mettre en œuvre ?
Les analyses sur la pauvreté sont marqués par trois visions qui
peuvent coexister ou alterner dans un même pays : une vision
technocratique, une vision assistantielle et une vision caritative.
La vision technocratique est celle des organisations
internationales. Elle est selon Bruno LAUTIER «exprimée sur le mode
de la pathologie et emploie souvent un langage mi-médical, miguerrier : la pauvreté est une maladie, à éradiquer et pour cela il faut
mettre en place des stratégies pour les pauvres». Il s’agit d’une
maladie du corps social et en conséquence, le réalisme imposant de
limiter se ambition, il faut scinder la pauvreté en deux ou trois, pour
éliminer «une pauvreté absolue» qu’il est nécessaire de supprimer en
14
premier. Il est donc normal que cette vision mette l’accent sur les
éléments de quantification en vue de déterminer la proportion de
pauvreté absolue qu’une société peut supporter sans risque de faire
imploser son ordre social.
Cette vison implicite n’est pas appuyée par une bonne
connaissance des mécanismes et des facteurs de la pauvreté : les
causes macroéconomiques et structurelles (économie mondiale,
politiques internes introduites par les PAS, l’endettement) et les
causes sociales (double explosion démographique et urbaine,
exclusion économique et sociale, absence de protection sociale et
rupture des solidarités traditionnelles).
II/ COMMENT SORTIR DE LA PAUVRETE ET QUELLE
POLITIQUE DE PROTECTION SOCIALE ?
L’Afrique sub-saharienne compte selon les plus récentes
statistiques environ 250 millions de pauvres soit 45% de sa
population. Il semble que le rythme de croissance de la pauvreté est
plus rapide que celui de la production et des revenus. Ce processus
est aggravé par une forte et incohérente croissance urbaine et une
démographie galopante deux phénomènes conjugués qui font exploser
la demande sociale. Comme quoi, la main invisible du marché est
fortement prédatrice de la condition sociale.
Dans la Déclaration du Millénaire, l’objectif de réduire de
moitié la pauvreté entre 1990 et 2015 est proclamé. Le Secrétaire
Général de l’ONU, Kofi Annan, le Secrétaire général de l’OCDE,
Donald Johnson, le Directeur Général du FMI, Horst Köhler, et le
Président de la Banque mondiale, James Wolfensohn ont
solennellement proclamé que
leurs différentes institutions
s’emploieraient à faire de cet objectif de développement le
fondement commun de leurs actions et de leurs programmes et la
mesure de leur efficacité. Au regard de la progression de la pauvreté
dans le continent, est-il possible de sortir d’ici 2015 de la pauvreté
comme le souhaite le Programme du millénaire et le NEPAD. Si tant
est que le lien existe, il faut alors au minimum réaliser un taux de
15
croissance annuel moyen de 7%. Cela nécessite des investissements
colossaux de l’ordre de 65 milliards de dollars pour des pays dont
l’épargne intérieure est quasi inexistante.
1°) La croissance économique peut-elle éradiquer la pauvreté ?
La vision technocratique de la pauvreté établit un lien entre la
croissance et l’éradication de la pauvreté passe par la croissance
économique. C’est pour cette raison que les PAS posent le postulat
selon lequel la croissance viendra à bout de la pauvreté. Car, même si
elle profite principalement aux « riches » par le biais ou non des IDE,
elle peut avoir un effet d’entraînement positif sur le revenu des
pauvres. Cette proposition bien que n’étant pas absurde suppose
l’existence d’un Etat capable de redistribuer les richesses. Rien ne
prouve que cette condition est réalisable pour des politiques qui font
dépérir prématurément l’Etat.
Cependant, il est établi que même si croissance économique, la
pauvreté et la qualité de vie ne sont pas automatiquement liées, elles
vont souvent de pair. Dans ce sens, certaines recherches tentent
d’établir que pour empêcher simplement la hausse du nombre de
pauvres absolus pendant les 15 prochaines années, il faudra un taux
de croissance de 5%. Réaliser l’objectif de développement
international qui consiste à réduire de moitié l’incidence de la grande
pauvreté d’ici 2015, exige une croissance d’au moins 7% par et une
plus juste répartition des revenus. Si les termes de l’échange de
l’Afrique continue de se détériorer, la réduction de la pauvreté
demandera une croissance encore plus élevée. Alors la question se
posera de savoir ce qu’il importe de faire des pauvres si ce niveau de
croissance ne se réalise pas.
Toutes les réformes initiées par les gouvernements, en
partenariat avec les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux,
ces deux dernières décennies, visent principalement à la relance de la
croissance économique. Elles ont permis dans la majeure partie des
cas la réalisation de taux de croissance plus élevés et
l’assainissement des finances publiques. Cependant, les indicateurs
16
sociaux restent toujours à un niveau faible traduisant une
paupérisation des populations vulnérables qui sont surtout en zone
rurale.
De plus, ces réformes ont aussi contribué au creusement des
inégalités par accaparement des richesses nationales par une
minorité. Cette forme de répartition des richesses soulève la
question de distribution équitable des fruits de l’effort collectif
entre les différentes couches de la population. Une fraction de plus
en plus importante de la population africaine est exclue des
processus de production qui constituent le mécanisme essentiel de
répartition des richesses à travers la distribution de salaires.
Après deux décennies d’application des réformes économiques
en vue du déclenchement d’un cercle vertueux de croissance, le
continent est traversé par une crise sociale d’une très grande
ampleur qui se manifeste dans l’accroissement du couple pauvreté et
chômage. Cela entraîne une forte dégradation des conditions de vie :
pénurie et insécurité alimentaires, diverses épidémies, non-accès aux
services de base. Ce processus de paupérisation des populations
s’accompagne paradoxalement d’un affaiblissement des formes
modernes comme traditionnelles de protection sociale. En effet, le
continent africain administrait la preuve d’une indiscutable
« solidarité », découlant principalement d’un ensemble d’obligations
et de droits complexes destinés à préserver la cohésion du groupe et
à réduire l’incertitude économique. La logique du « don et du contre
don », sans doute latente dans ce tissu d’obligations réciproques,
instaure un contrat-social implicite. Or,
ce contrat-social est
entrain de se déliter dangereusement. Dès lors, la protection sociale
cesse de s’appuyer sur les réseaux de la famille élargie qui n’est plus
en mesure de répondre aux sollicitations de ses membres les plus
faibles et les plus démunis dans un contexte de crise économique. Au
niveau des structures formelles les choses ne vont pas mieux suite à
la crise profonde du système public de sécurité sociale, symbole de
« l’Etat-providence » qui accuse une triple crise d’efficacité ( effets
pervers de prélèvements excessifs); une crise de légitimité avec côté
17
recettes une redistribution à rebours et côté dépenses la solidarité
déviée avec des difficultés d’évaluation et une crise d’adaptation.
Pris en tenaille entre l’accroissement soutenu des dépenses et le
tarissement des sources de financement du fait de l’assainissement
économique et financier, le fonctionnement du système de
redistribution et de protection sociale est de plus en plus bloqué. La
crise économique et financière va finir par liquider tous les filets de
protection et de redistribution. La conséquence est alors
l’instauration de la pauvreté, de la précarité et de l’exclusion. Malgré
on s »est entêté à recommandé aux pays africains de poursuivre et
d’approfondir l’ajustement structurel qui seul est à même de relancer
la croissance économique pour éradiquer la pauvreté. A la suite de
Philip ENGELHARD, on peut se demander si la croissance viendra à
bout de la pauvreté.
2°) Le changement de perspective avec la mise en place de la
stratégie pour la réduction de la pauvreté (DRSP).
Aujourd’hui, l’échec des politiques d’insertion dans la
mondialisation se traduit par un impact négatif sur l’emploi, sur les
revenus et sur la prestation des services sociaux. Ces politiques sont
perçues comme un facteur d’aggravation de la misère ou d’expansion
de la pauvreté qui devient un phénomène de masse et touche un
nombre sans cesse croissant d’individus, de groupes d’individus et de
couches sociales. Face à cette situation et en réponse aux
nombreuses critiques relatives aux faibles performances des PAS, la
Banque mondiale et le FMI changent de discours et mettent en place
un «nouveau programme de lutte contre la pauvreté ».
Incontestablement, c’est un véritable regain d’intérêt pour la
pauvreté dont l’allégement est à nouveau inscrit dans l’agenda
mondiale du développement.
Les nouveaux Programmes ne sont pas imposés d’en haut par des
experts avec des conditionnalités, mais sont préparés par les pays qui
sont mieux à même de cibler leurs politiques de la lutte contre la
pauvreté.
18
Les DSRP contiennent quatre éléments essentiels :
 une description du processus de préparation, fondé sur la
participation des acteurs;
 un diagnostic de la pauvreté, avec l’identification des
obstacles au recul de la pauvreté et à la croissance ;
 des objectifs, des indicateurs (par exemple taux annuels
de croissance ou scolarisation primaire) et des systèmes
de suivi, fondés sur le diagnostic de la pauvreté ;
 des mesures prioritaires que les pays s’engagent à prendre
- dans les limites imposées par leur budget- pour
atteindre les objectifs établis.
Il apparaît alors que toutes les initiatives complètement laissées
aux pays de manière à ce qu’ils prennent en charge leurs réformes
économiques en enclenchant un exercice fondé sur une large
concertation et participation de tous les acteurs du développement
économique et social a savoir : les pouvoirs publics et les donateurs,
les communautés locales et les organisations civiles, comme les
organisations non gouvernementales (ONG), les syndicats, les
organisations religieuses et les Instituts de Recherche.
3°) Les nouveaux programmes sont-ils efficients pour réduire au
plus vite la pauvreté de masse ?
Les DRSP sont des Programmes encore récents dont les
évaluations ne sont pas encore faites au regard de l’absence de
statistiques. Cependant, ils comportent trois points très positifs :
- la prise en compte des indicateurs de la pauvreté
dans l’allocation des ressources ;
- la création d’un mécanisme de contrôle social et sa
reconnaissance par la loi sur le dialogue national
sont, sans aucun doute, le grand succès du
processus ;
- la constitution de filets de protection adéquats et
souples partant de l’identification des domaines
potentiels de vulnérabilité et les filets de
protection sociale ou autres ripostes appropriés.
19
Ces filets de protection devraient se traduire par la
mobilisation de ressources en faveur des pauvres dans les périodes
d’austérité, la maîtrise de l’inflation et le maintien du chômage à un
bas niveau. Ces ressources seront mobilisées par la Banque mondiale
et surtout par le FMI qui vient de remplacer la Facilité d’Ajustement
Structurel Renforcé c’est-à-dire ses facilités de prêts
concessionnels par la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté dont
l’objectif est de faire reculer la pauvreté.
4°) Qu’en est-il de l’emploi en Afrique
Les conséquences de cette montée fulgurante du chômage en
Afrique sont à la fois d’ordre économique et social :
 Au plan économique
La marginalisation et l’exclusion d’une frange de plus en plus
croissante de la population des circuits de production empêche
progressivement toute possibilité d’élargissement du marché
intérieur. Il s’en suit alors une production déclinante, des capacités
productives inemployées qui augmentent les coûts unitaires des
produits fabriquées Cette situation peut être source d’inflation, de
contraction de la consommation finale du fait de l’insuffisance des
salaires distribués et enfin de risque important de réduction de la
demande globale (consommation + investissement) du fait
d’éventuelles restrictions d’investissement par les producteurs
rendus pessimistes par l’évolution d’ensemble du marché. A ce niveau,
le risque est grand de voir s’enclencher un dangereux processus de
déflation économique généralisé et dont les effets économiques et
sociaux à court, moyen et long termes seraient catastrophiques pour
les pays qui de surcroît ont besoin d’une croissance rapide et au taux
le plus élevé possible compte tenu des ressources disponibles.
 Au plan social
L’amplification du chômage a tendance à exacerber les
distorsions sociales déjà existantes et à en créer de nouvelles. Les
couches sociales se stratifient davantage : les classes moyennes
s’appauvrissent, les « économiquement faibles » sont rejetés à la
20
misère et à la survie, la pauvreté se développe, les jeunes marginaux
potentiellement actifs et ainsi rejetés par la production et la société
développe un sentiment de frustration et de « laissés-pour-compte »
qui trouve son exutoire dans la recrudescence de la délinquance, la
dépravation des mœurs et le désordre social.. Face à des
perspectives aussi inquiétantes, que faire ?
 Nécessite d’élaborer
efficaces de l’emploi
des
politiques
réalistes
et
Il faut commencer par reconnaître tout de suite qu’en matière
de résolution de la crise de l’emploi, il n’existe pas de panacée, ni de
formules achevées. Il importe par conséquent, dans le cas précis des
pays africains ’imaginer des combinaisons assez originales, ce qui
n’exclut pas d’emprunter et d’adapter au contexte socio-économique
et syndical local toutes les formules qui ont fait leurs preuves sous
d’autres cieux .
Pour ce faire, notre modèle en la matière devra prendre en compte
et articuler les 5 éléments constitutifs qui suivent :
1. La mise en place de nouveaux cadres de concertations
permanentes entre tous les partenaires sociaux en vue de
tendre vers la réalisation d’un véritable consensus social,
condition de base de toute politique de lutte contre le
chômage et de sortie de crise.
2. L’adaptation, sur la base du consensus précédemment réalisé,
de l’ensemble du dispositif législatif et réglementaire en
matière de travail et de politique d’emploi au nouvel
environnement de crise afin d’en atténuer et de
déconcentrer les effets sociaux négatifs ; cette démarche
devrait de surcroît faciliter et accélérer l’adaptation de
l’appareil productif national aux contraintes extérieures,
notamment dans l’aspect concurrentiel.
3. L’élaboration de mesures vigoureuses de promotion des PME
(Petites et Moyennes Entreprises) généralement reconnues
comme étant de grandes pourvoyeuses d’emplois. Pour cela, il
21
importera aux pouvoirs publics de lever toutes les rigidités
et d’alléger les procédures administratives de création des
PME, de prendre certaines dispositions fiscales incitatrices
à leur égard, de faciliter dans la mesure du possible leur
accès aux institutions financières réputées méfiantes à leur
endroit.
4. L’institution de mécanismes permettant aux agents déflatés
des entreprises publiques ou privées de bénéficier d’un
crédit de reconversion et même aux chômeurs (ayant déjà
travaillé) de disposer d’indemnités de licenciement pour
créer de nouvelles PME.
5. L’exploitation et l’adaptation de certaines mesures en cours
d’application notamment dans les pays développés comme :
 le développement du système de préretraite. Si les
employeurs ont jugé le système très coûteux pour eux, à
l’expérience, il ressort des statistiques officielles que des
licenciements pour un effectif équivalent auraient coûté
encore plus chers. De plus, l’impact psychologique et social
a été très favorable contrairement à ce qu’auraient
représenté des licenciements brutaux et massifs.
 le travail à temps partiel, la réduction du temps de travail
et la flexibilité de
l’emploi sous des formes
concertées. Dès que la loi assouplit les dispositions en
vigueur, la porte est ouverte à toutes les combinaisons
possibles de partage du travail qui améliore d’ailleurs la
productivité et réduit l’absentéisme. Ainsi, selon la
spécificité de la branche d’activité et les contraintes
particulières liées à l’exploitation, plusieurs entreprises en
France, en Belgique ou encore en Allemagne ont déjà mis
en œuvre avec des succès variables une nouvelle
organisation de travail fondé sur ce principe. La journée
normale de travail est ainsi sectionnée et le personnel se
répartit en plusieurs équipes roulantes. La productivité a
22
augmenté, la production aussi et certaines entreprises ont
même pu embaucher des travailleurs supplémentaires.
 Le développement de systèmes nouveaux comme : les
travaux d’utilité collective (TUC) ; en France et qui sont
ouvertes aux jeunes de 16 à 25 ans sans emploi et qui ne
suivent pas une formation .
 La nécessité de promouvoir à grande échelle et par des
politiques appropriées le secteur informel et la Toute
Petite Entreprise.
Toutes les études montrent aujourd’hui le rôle de premier plan
que joue le secteur informel dans les économies africaines aussi bien
dans la production de la valeur ajoutée que la création
d’emplois. « Faute d’alternatives de développement impulsé par les
pouvoirs publics, un nombre sans cesse croissant de citadins africains
trouvent dans leurs propres initiatives et leur ingéniosité les moyens
de s’affirmer et de survivre »10. Déjà dans beaucoup de pays le
secteur contribue pour plus de 50% au PIB et peut fournir jusqu’à
plus de 60% des revenus. Dans l’avenir selon certaines statistiques le
secteur devrait fournir 93% des nouveaux emplois dans les villes
alors que présentement presque deux personnes sur trois en vivent.
Pour ce faire, il faut alors que les pouvoirs publics lui accordent sa
place dans la stratégie de développement pour en faire le levier de la
croissance.
Dans cette direction, P.ENGELHARD observe avec justesse
«qu’il sera difficile de sortir de la pauvreté aussi longtemps qu’on
aura pas assimilé un fait essentiel : une grande partie de la
production du continent africain émane des petites entreprises
familiales urbaines et des petites exploitations rurales dont
l’efficience économique, cependant, est souvent très faibles, en dépit
de performances parfois étonnantes ».11 L’Etat doit alors aider ces
entreprises à devenir plus efficiente en accroissant leur productivité
du travail par la formation, la disposition d’un outillage et l’ouverture
10
11
C. Maldonado, Ngauufryau et al : L’économie informelle en Afrique francophone, Edit. BIT 2001
P. Engelhard : L’Afrique miroir du monde, Edit. Arlea, 1998 p63
23
de crédits fonctionnels c’est-à-dire en leur créant un environnement
incitatif et approprié.
Le secteur informel est même entrain de se constituer en
économie mondiale. D’abord, ses acteurs contribuent à la réalisation
effective des processus d’intégration régionale avec un dynamisme
déconcertant par édictions de propres règles de circulation et
d’échange de biens et de la monnaie : flux commerciaux, taux de
change parallèles. Ensuite, les acteurs établissent des réseaux de
plus en plus denses qui essaiment en Europe, en Amérique et en Asie.
Que Conclure sinon que la libéralisation internationale des
économies et des finances en multipliant les risques et les
incertitudes commande une gouvernance mondiale ?
La mondialisation inéluctable aujourd’hui soulève de nombreux
défis d’ordre économique, politique, culturel et social qui appellent
sans nul doute des solutions à la fois urgentes et inédites. La
globalisation résulte d’une triple mutation :
- géopolitique avec l’effondrement du monde bipolaire ;
- économique et financière
- technologique
avec la révolution des technologies de
l’information et de la communication
Comme nouvelle donne mondiale, la mondialisation modifie
conséquemment et profondément les modèles politique, social et
culturel ainsi que les environnements institutionnels. Quoi de plus
normal puisque l’on connaît depuis longtemps que la base matérielle
commande et détermine toutes les superstructures. C’est dire que
ces mutations ne sont pas des calamités mais constituent plutôt sur
bien des points des avancées progressistes qui ont donc une valeur
positive. C’est un énorme progrès de constater aujourd’hui que
l’internationale est bien devenue le genre humain. Il faut s’organiser
pour tirer le meilleur parti de ces avancées de l’humanité tout en
étant très alertes sur les risques potentiels. Comme l’observe Pierre
SECKA «La mondialisation, à la différence de la décolonisation (où les
Etats pouvaient choisir par referendum d’être indépendants ou de
24
demeurer sous le joug colonial) n’est pas une denrée à prendre ou à
laisser dans sa totalité. Elle a ses vertus et ses défauts ; fortement
enraciné dans son contexte, elle épouse parfaitement son temps et
s’impose de ce fait à tous ».
Face aux différentes contraintes inhérentes au processus,
quelles mutations socio-économiques doit opérer l’Afrique pour
profiter du phénomène ? Ne doit-elle pas se démocratiser davantage,
former ses acteurs, transformer ses structures et adopter sa
culture ?12 Les questions sont d’autant plus pertinentes que la
globalisation impose de nouvelles conditions de proximité et
d’intimité entre entités économiques et sociales pourtant considérées
jadis éloignées qui font que les idées, les identités et les modes de
vie se mondialisent avec rapidité. Les nouvelles technologies ont
complètement gommé le temps et ont relativement homogénéisé les
pratiques de régulation sociales ainsi que les goûts et les
consommations.
Toutefois l’émergence inéluctable et irréversible de cette
mondialisation a consolidé les dualités externes et internes aux
sociétés, creusé les irrégularités et les inégalités et approfondi les
exclusions des acteurs les plus démunis et les fragiles souvent sans
leur offrir un ascenseur social. La dissolution des filets traditionnels
de protection sociale, les ruptures des solidarités familiales ainsi que
la restructuration des rapports sociaux (Mathieu, 1990 ; Vidal, 1992),
mettent en urgence à l’ordre du jour, la question sociale. La crise de
l’État providence, le coût croissant du système formel d’assurance,
d’assistance, et l’émergence de nouveaux risques sociaux résultant
des mutations technologique et de l’emploi commandent la
réactivation des politiques sociales et de solidarité. Face à tous ces
nouveaux risques une nouvelle gouvernance de l’ordre interne et
externe se pose.
12
Pierre-Roche Seka. Op.cit
25
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
I- OUVRAGES
1- ADDA,J. : La mondialisation de l’économie ; Collection Repères, La Découverte tome 1 et 2
2- Banque mondiale : L’Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle Washington Dc
3-Banque mondiale : Un programme d’action concertée pour le développement stable de l’Afrique
au sud du Sahara, octobre 1984
4-Banque mondiale, BIRD : Nouvel engagement planétaire en faveur de la lutte contre la
pauvreté 2000-2001
5-Banque mondiale : Pour un développement durable Résumé publié par et l’Environnement
(exercice 1994).
6-R.Boyer : La mondialisation, Edit. La découverte
7-Centre des Nations-Unies sur les sociétés transnationales Critères pour la gestion d’un
développement durable (New-York 1991).
8-Engelhard,P.: L’Afrique miroir du monde, Edit. Arléa.
9-Lafy, G (1996) Comprendre la mondialisation, Paris Economica
10-Hugon,P (1997) : Economie politique internationale et mondialisation, Economica, 112 p
11- Kankwenda : La pauvreté Ed. Karthala
12-M.Kassé(2003) : De l’UEMOA eu NEPAD : le nouveau régionalisme africain, Edit.
Nouvelles du Sud, 256 p
13-M. Kassé : Sénégal : crise économique et ajustement, Nouvelles du Sud, Paris 91
14-M.Kassé et B.Hammouda : Repenser Betton Woods : les réponses africaines, Karthalla
15-M. Kassé et B. Hammouda (2003) : Le NEPAD et les enjeux du développment, Edit.
Maisonneuve La Rose
16 Krugman P(1996) : Econmie internationale, De Boeck, Bruxelles
17 Krugman P (1998) : La mondialisation n’est pas coupable, Edit. La découverte
18-PNUD : Rapport mondial sur le développement humain : De1990 à 2001. De Boeck
19- SALL Alioune, La compétition future des économies Africaines». éd Karthala
20- Stiglitz J. :
21- Reich,Robert: L’économie mondialisée. éd : Nouveau Horizons 1993,.
16-Ian Scoones : Nouvelles orientations du développement pastoral Edition : CTA – KARTHALA
17-P.Tersiguel et C.Becker : Développement durable au Sahel Edition : Karthala-sociétés,
espaces, temps.
18 -J . Vallin : La population mondiale. La découverte Paris1995.
26
II- ARTICLES
1-Attact (200),
Les peuples entrent en résistance.
2-Abdellatif Benachnou
Environnement et développement
Revue : Tiers – Monde, Tome XXXIII N° 130 p.247 – 264, puf.
3-Abdellatif Benachnou
Défis, savons, décisions dans le contexte du développement durable
Revue : Tiers-Monde, Tome XXXIII n° 130, p.373-392 puf.
4-M.Damian, B. Candliri et P.Berthand.
La libération des échanges est-elle une change pour un développement durable ?
Revue : Tiers-Monde Tome XXXVIII n°150, p.427-443.
5-C. Delclach
Développement économique et développement social en Amérique Latine
Problèmes économiques n°2564 du 15/04/1998
6-Louis Fontvieille
La dimension humaine dans les théories du développement
Revue Economies et sociétés, F 38, Mars 2001
7-M.Kassé
Intégration des indicateurs sociaux dans un système planifié
Institut du Sahel, Bamako, 1985
8-Problèmes économiques
Développement, une nouvelle approche ?
n°2, 684 – 18 octobre 2000.
9-G.Ranis, F. Stewart, A. Ramirez.
L a croissance économique permet-elle aux pays pauvres de se développer.
Problèmes économiques n°2688 – 2689 du 15 – 22 novembre 2000.
10- H. Rattiner
Tendance et perspectives du développement durable en Amérique Latine
Revue : Tiers-Monde, Tome XXXIII n°130 P.329-338 ? PUF
11-P. Streeten
Des Institutions pour un développement durable
Revue : Tiers-Monde, Tome XXXIII n°130, p.453-469, puf.
27
Téléchargement