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INCIDENCES ECONOMIQUES DE LA CRISE
IVOIRIENNE SUR L’UEMOA.
Par Professeur Moustapha KASSE
INTRODUCTION
L’éclatement du conflit en Côte d’Ivoire met à nu l’extrême fragilité des
Etats en Afrique de l’Ouest Depuis la crise du Biafra, la conflictualité s’est
étendue à presque tous les pays de la sous-région
Le conflit ivoirien est d’une importance capitale au regard d poids de la Côte d’Ivoire
dans l’économie comme dans la géostratégie régional en effet au niveau économique , la CI
représente environ 13% du PIB de la CEDEAO et se classe tout de suite après le Nigeria.
Cette importance est encore plus grande lorsqu’il s’agit de l’URMOA espace dans lequel, elle
représente 40% du PIB et constitue en fait la locomotive de cette organisation tant au niveau
de l’économie réelle que l’économie financière.
Au plan géostratégique le rôle de la Côte d’Ivoire est encore plus déterminant
particulièrement au niveau de la dynamique démographique c’est-à-dire de la mobilité des
populations et des modifications de leur répartition spatiale. Il faut observer que l’Afrique de
l’Ouest dans son ensemble est une région de peuplement accéléré donc en déséquilibre
permanent et soumise à de fortes tensions de caractère économique, politique, social et surtout
écologique. Tout en étant source de conflictualité et d’instabilité, ces migrations qui vont des
régions pauvres vers des régions mieux dotées en ressources ou vers les villes n’en demeurent
pas moins une condition du progrès économique et social. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, sur
les 16 millions d’habitants, selon certaines sources, les 30 à 40% sont constitués d’étrangers
ce qui en fait un pays d’accueil en tout point comparable
 au Sénégal des années 1940 en plein essor de l’économie arachidière
entraînant l’affluence des guinéens (navétanat),maliens et mauritaniens
( cette population immigrée fait 2% de la population totale),
 au Ghana qui prit la relève entre 1940 et 1970 qui comptabilisait plus
de trois millions d’immigrés comme le pays le plus prospère de la Région
 au Nigeria qui a accueilli environ 4 à 5 millions d’étrangers entre 1960
et 1980 suite au boom économique issu des deux chocs pétroliers.
Ces mouvements migratoires ont souvent débouché sur des crises graves dès
essoufflement de l’économie entraînant des transferts massifs de populations
vers leur pays d’origine : reflux du Ghana en 1969, du Nigeria en 1983 et cela
dans des proportions non encore égalées a commencé sous la colonisation et s’est
particulièrement élargi au rythme des phases de croissance économique. La
configuration des migrants est la suivante (en 1998) : 57,5% de burkinabés,
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20,4% de maliens, 12% de sénégalais, 5,9% de guinéens, 3,4% de ghanéens, 2,8%
de béninois, 2,6% de nigérians. C’était l’époque ou on ironisait sur l’arrivée
massive des migrants :
Détente : Hé dawa !
Train vient, toi vient
Avion vient toi vient
Camion vient toi vient
Rien vient, toi vient qu’en même
Toutefois, il faut noter que 47,3% des migrants sont nés dans le pays.
Dans les années 70, avec une forte croissance économique (entre 7 et
12%), la Côte d’Ivoire présentait de meilleurs critères de « pays émergents »
que la Corée ou la Chine de Taiwan. C’était l’époque du «miracle ivoirien ». Le
pays aborde les années 80 avec une crise aiguë de l’économie de rente qui va
déstabiliser totalement tout le système social, politique et institutionnel avec
une extrême fragilisation de l’Etat.
Les événements de Septembre 2002 qui ne sont en fait que le
prolongement de ceux de la Saint Sylvestre1999 soulèvent trois interrogations :
- Quels sont les fondements de la crise ivoirienne ?
- Quelles sont les conséquences sur les économies de la sous-région ?
- Quelles sont les perspectives de sortie de crise ?
I/ Difficultés d’analyse de la géopolitique du
chaos : l’extrême imbrication de facteurs
multiples et complexes.
L’étude des conflits en Afrique de l’Ouest souffre de l’inexistence de
grilles analytiques capables de construire leur logique ainsi que leurs enjeux. La
construction d’une nouvelle grille est d’autant plus difficile que ces conflits sont
en pleine mutation avec l’émergence d’une nouvelle génération de rébellion qui
conteste l’ordre politique fut-il démocratique. Bien sûr, ces conflits sont
influencés par l’évolution de la situation internationale, mais leur dynamique est
néanmoins déterminée par les acteurs locaux.
A partir de là, il devient important d’étudier et de comprendre les
motivations et les objectifs des différents acteurs : gouvernements, populations,
forces armées, réfugiés.
La crise ivoirienne comme toutes les crises du même genre en Afrique
de l’Ouest procède de l’imbrication de plusieurs facteurs d’ordre économique,
politique, social et autres. Pendant au moins trois décennies, ce pays se
présentait comme un havre de paix et de stabilité dans un environnement de
turbulence caractérisé par des crises politiques résolues par l’instauration de
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pouvoirs militaires suite à des guerres civiles dévastatrices comme au Nigeria, au
Libéria, en Sierra-Léone.
Les fondements de la stabilité ont été ébranlés par une crise économique
et financière qui a totalement rompu les équilibres et liquidé les mécanismes de
redistribution de l’économie de rente mis en place par le Président F.H. BOIGNY.
Cette grille de lecture ressort de l’ouvrage récent (2002) de F.Régis MAHIEU
intitulé « Côte d’Ivoire : De la déstabilisation à la Refondation ». Les auteurs
montrent que «Deux décennies de Plans de stabilisation et d’ajustement ont
complètement déstabilisé l’économie et la société ivoiriennes » et fait apparaître
une «nouvelle pauvreté » qui n’est pas seulement issue des faiblesses
structurelles de l’économie. Sans aller dans le détail, nous pouvons étayer notre
propos par quatre(4) observations :
1)
Les PAS ont entraîné la liquidation de la Caisse de Stabilisation
et la privatisation des entreprises publiques des secteurs café
cacao. Ces mesures vont détruire la source financière de la
stabilité politique et asphyxier(compromettre) le financement
des importants équipements pour le développement du Nord.
2)
Les PAS ont exacerbé les inégalités sociales et territoriales et
ont surtout augmenté la pauvreté devenue un phénomène de
masse
3)
La réduction des terres disponibles pou l’agriculture au niveau
des campagnes a entraîné la révision des conditions d’accès à la
terre (Loi foncière de 1998) qui réserve désormais la propriété
de la terre aux nationaux ; les étrangers pouvant cependant les
exploiter jusqu’à leur décès. Cette conception divorce d’avec celle
du Président HOUPHOUET qui répétait à souhait que la terre
appartient à ceux qui la mettent en valeur. Comment se pose le
problème aujourd’hui :
- en 1960 la CI avait 16 millions d’ha de forêts et comptait 3,230 millions
d’habitants ;
- en 2000,il ne reste plus que 2 millions d’ha pour une population de 16
millions d’habitants.
4)
La liquidation de nombreuses entreprises publiques vont avoir une
triple conséquences : la baisse des activités, le chômage et la
diminution des revenus.
Ces politiques d’ajustement ont non seulement eu des effets dépressifs
sur les résultats économiques de l’Etat mais ont fait que l’immigration donc « les
allogènes », sont désignés comme la cause principale de la pauvreté des
«autochtones». La coexistence des autochtones et des allogènes repose sur
l’abondance des ressources disponibles et l’autoritarisme du pouvoir politique qui
se fait le garant de la sécurité et du bien-être pour tous. La montée des
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déséquilibres et l’avènement de la crise se traduisent par l’affaiblissement de
l’Etat, la détérioration de la situation sociale et des conditions du bien-être.
Dans ce contexte, les étrangers deviennent facilement l’exécutoire et leur
situation est manipulée, exploitée par les élites du pouvoir, les acteurs du
marché politique ou l’armée.
II) Effets de polarisation et d’entraînement sur
les économies de la sous-région ?
L’économie ivoirienne est la locomotive de la sous-région ouest africain ce
qui apparaît à trois niveaux :
1) au niveau macroéconomique
Quelques chiffres donnent une parfaite illustration de cette situation :
- 13% du PIB de la CEDEAO, elle est la 2ème puissance économique et
financière après le Nigeria (35% du PIB pour plus de 56% de la
population) ;
- 40% du PIB de l’ ensemble de l’UEMOA
Le système productif est assez diversifié particulièrement au niveau du
Secteur primaire(25% du PIB assis sur 3filièrescacao, café et coton) comme au
niveau du secteur secondaire
La Côte d’Ivoire est une des fortes places financières d’Afrique de
l’Ouest. Elle est le siége de la Banque Africaine de Développement, de la Bourse
des Valeurs Mobilières, de la Commission bancaire de la BCEAO et de la West
African Growth Fund. De plus, elle possède un réseau financier assez
puissant avec
 16 banques avec un tel réseau le pays absorbe prés de 52% des crédits
bancaires de l’UEMOA soit plus de 1000 milliards de francs CFA
 7 établissements financiers ;
 30 compagnies d’assurance.
Détenant la part la plus importante des avoirs de la BCEAO, elle contribue
à la surliquidité des Banques des pays environnants comme le Burkina FAso, le
Togo, le Bénin et le Niger. De plus elle assure au Nigeria, un matelas confortable
de devises ce qui fait de ce pays un membre de fait de la Zone franc du l’
importance des effets d’ escompte. Ce pays sera celui qui va le plus profiter des
mesures de la BCEAO.
Cette situation explique que le pays reçoit la part la plus importante des
Investissements Privés Directs Etrangers : 14,5% du total de l’Afrique de
l’Ouest et 38% le Nigeria exclut.
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2) au niveau commercial
La prospérité de la Côte d’Ivoire a été construite autour d’une
infrastructure à la fois dense et variée qui la relie à son hinterland composé du
Burkina Faso, du Togo, du Bénin, du Mali, de la République de Guinée et plus loin
du vaste marché nigérian . Cette infrastructure comprend
 un réseau routier de 70 000 km dont 7000 sont bitumés ;
 un réseau ferroviaire desservant le Burkina et certaines villes de
l’intérieur
 deux ports en eau profonde : Abidjan et San Pedro
 trois aéroports internationaux
Cette infrastructure est le support d’un intense commerce intra-régional
animé par des productions locales comme la cola, les bananes, le bétail etc….Mais
en même temps, elle permet d’ouvrir plusieurs pays enclavés sur le marché
mondial.
En conclusion ; la crise intervenue en coupant le pays en deux et en
installant une situation d’instabilité et d’incertitude a d’une part complètement
ruiné le processus de reprise économique et financière et d’autre amené des
détournements de trafic qui vont amplifier les déséquilibres existants.
3) les stratégies de contournement
Depuis la première crise de décembre 1999, les opérateurs économiques
de même que les Etats mettent en place progressivement des solutions
alternatives pour assurer les importations et des exportations.
C’est ainsi que des ports de contournements sont trouvés : Téma, Lomé,
Cotonou, Takoradi et exceptionnellement Conakry et Dakar
III) Quelles sont les perspectives de sortie de crise
L’importance de la crise ivoirienne a entraîné l’élaboration de plusieurs
plans de sortie de crise d’abord celui de la médiation, celui du Président
L.Gbagbo et enfin celui d’un Groupe d’intellectuels africains pour la Paix
(Cotonou, décembre 2002).
Si nous voulons véritablement apporter une contribution sérieuse pour le
retour de la paix, nous devons partir de deux pétitions de principe et cinq
décisions majeures:
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- 1) Les deux pétitions de principe :
 le premier est la reconnaissance du pouvoir légitime issu du
suffrage universel. En clair les institutions républicaines sont
confirmées. C’est une condamnation implicite et explicite de
toute conquête du pouvoir par la force.
 le deuxième est la nécessité de préserver la Côte d’Ivoire une
et indivisible. C’est une condamnation des ruptures actuelles
entre le Nord et le Sud.
- 2) Les cinq décisions d’accord partie:
 La première décision concerne la recherche et l’élaboration
d’une plate forme de consensus national autour des questions qui
divise la classe politique ivoirienne. Ces questions sont d’ordre
politique, social et militaire. Il importe de les recenser
explicitement et de trouver des points d’accord précis sur
chacune des questions. Dans le fonds il faut établir : Comment
assurer la sécurité des divers acteurs ? Comment établir des
relations de confiance entre eux ? Quelles garanties internes
et/ou externes?
 La deuxième décision est relative au démantèlement et à la
liquidation de toutes les forces paramilitaires qui sèment la mort
et la terreur.
 La troisième décision concerne la formation d’un gouvernement
chargé de gérer le Consensus de Paris sous la direction du
Président légitime.
 Le quatrième décisions se rapporte aux assurances à donner aux
populations allogènes et aux pays voisins pour la cessation de
toutes les hostilités.
 Le cinquième élément concerne un double engagement de la
France au plan économique et militaire de maintien d’une force
d’interposition et de dissuasion jusqu’aux prochaines élections
présidentielles.
EN CONCLUSION,
Il est important par dessus tout de revoir profondément la politique de
communication qu’il faut recentrer sur les valeurs républicaines et de paix. Il
faut créer une image positive d’un Président et d’un Gouvernement
déterminés à chercher la paix et l’apaisement pour réconcilier la Côte
d’Ivoire avec elle-même. Il faut alors imposer au moins aux médias d’Etat une
ligne éditoriale fondée sur les verts du consensus national au détriment des
7
développements outrancière ment patriotiques et guerrier que l’on retrouve
actuellement.
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