Du sous développement au socialisme.

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DU SOUS-DEVELOPPEMENT
AU SOCIALISME
LA PROBLEMATIQUE DE LA TRANSITION
DANS LES FORMATIONS SOCIALES PRECAPITALISTES
Moustapha KASSE
Professeur Agrégé
Faculté des Sciences Economiques
Université Cheikh Anta DIOP
Dakar
DU SOUS-DEVELOPPEMENT
AU SOCIALISME
LA PROBLEMATIQUE DE LA TRANSITION
DANS LES FORMATIONS SOCIALES PRECAPITALISTES
56 BIS, RUE DU LOUVRE· 75002 PARIS
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- - - - - - - - - - editions
édition originale
© éditions Silex - 1988
INTRODUCTION GENERALE
Le sous-développement en cette fin de siècle, loin de
se résoudre s'est amplifié et aggravé au point de devenir
l'une des inquiétudes majeures d'un monde caractérisé
par une révolution scientifique et technique qui a décuplé le savoir-faire de l'homme et augmenté sa maîtrise
sur la nature et les forces productives. Les acquis de la
technologie sont si larges qu'il n'existe plus aujourd'hui
aucune limite à la valorisation des dotations factorielles
naturelles des pays. Comme l'observe Roger Garaudy, les
pouvoirs de l'homme sur la nature ont tellement augmenté qu'ils modifient progressivement le destin global de
l'humanité.
Pourtant, chose curieuse, ce monde de la révolution
scientifique et techniquee est marqué par des inégalités
dans la répartition du savoir et de la richesse et par des
distorsions sociales criantes entre le Sud de plus en plus
pauvre et le Nord industrialisé. Il semble même qu'en
réalité, la pauvreté des Nations demeure la règle et la richesse constitue l'exception 9-ui concerne une minorité
de la population du globe. C est vérifié : les riches deviennent plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.
La famine et la misère ne sont pas encore vaincues
dans l'écrasante majorité des pays sous-développés où les
populations ne survivent parfois que grâce à l'assistance
internationale. Pendant ce temps, les surplus alimentaires des pays avancés soulèvent des problèmes de commercialisation et d'affectation. Les contrastes sont loin
de s'arrêter là : les techniques d'exploitation et de valorisation des matières premières sont disponibles en abondance dans le système mondial, le problème est qu'elles
ne sont pas transférées au niveau des utilisateurs potentiels du Tiers-Monde. Les capitaux sont abondants au
point de déséquilibrer et de perturber les marchés monétaires et financiers. Pendant ce temps, les pays sous-développés connaissent d'amples déficits d'épargne pour le
5
financement de leur développement, ce qui les maintient
dans une stagnation séculaire.
Toute une génération de théoriciens du développement avait préconisé des modèles de croissance fondés
essentiellement sur les principes de la société libérale :
mécanismes du marché, initiative privée, spécialisation
et ouverture sans entraves aux relations économiques internationales. Les théories élaborées affichaient des certitudes rassurantes sur le capitalisme que l'on disait capable de révolutionner les moyens de production, d'exploiter toutes les ressources naturelles et d'instaurer un
processus irréversible de croissance et d'expansion.
Cependant ces modèles de développement appliqués
depuis quelques décennies ont partout accouché d'un capitalisme misérable, peu performant et empêtré dans des
contradictions presque insurmontables : crise agro-alimentaire, détérioration des conditions de vie et de travail, déficits des finances publiques et de la balance des
paiements.
Ces déséquilibres ont imposé partout des politiques
d'ajustement et de stabilisation sous le contrôle des institutions financières internationales qui sont devenues les
principaux bailleurs de fonds des pays sous-développés.
A l'expérience, ces politiques n'ont encore réglé aucun des
problèmes majeurs du développement, ni arrivé à opérer
la relance de la croissance et de l'expansion. Dans certains pays, elles ont produit des émeutes et des menaces
pressantes de guerre civile.
Ces situations commandent de trouver en toute urgence des solutions alternatives plus performantes et plus
crédibles.
Comment se formule et se présente l'alternative socialiste ? Ou encore existe-t-il une solution socialiste à la
stagnation socio-économique des pays sous-développés?
Ce sont ces préoccupations qui sont prises en charge dans
cette recherche sur la problématique de la transition.
Nous avons voulu déterminer, comme le préconisait F.
Engels, les phases de développement économique, politique et social par lesquelles ces pays devraient passer
pour accéder au socialisme.
Ainsi, l'alternative socialiste posée en ces termes ren·
voie à un cadre méthodologique sur la transition devant
6
permettre de dégager les prémisses théoriques pour une
correcte appréciation des préalables et présupposés de
cette transition vers le socialisme. Le marxisme, s'il n'est
pas réduit à un dogmatisme stérilisant qui aboutit toujours à des schémas appauvrissants en divorce total avec
la réalité, pourrait offrir un cadre adéquat de conception
pour approcher toute la problématique de la transition.
Pendant une longue période, malheureusement, le marxisme officiel a fait preuve d'une vision mécanique et
bornée de la transition qui ne lui a pas permis de cerner
toutes les questions complexes que pose cette étape de
l'évolution sociale.
Ainsi, Imre Morton s'inscrivait en faux contre une
certaine désingularisation du général qui a eu pour effet
qu'au cours d'une période, les marxistes ont plutôt pratiqué une politique d'imitation rigide et mécanique de l'expérience de la transition en Union Soviétique. Ils considéraient les phases de la transition comme si chaque peuple avait à gravir les marches d'un même escalier avant
de parvenir au palier de l'appartement meublé du socialisme. Or la hauteur et la largeur des marches de l'escalier différent. Les travaux théoriques sur cette dialectique du général et du singulier sont rares.
Une étude exhaustive de cette dialectique devrait permettre une analyse concrète de maintes expériences et
formes de transition. En effet, comme l'observe Imre
Morton, les expériences de transition accumulées jusqu'à
présent présentent des particularités qu'il est nécessaire
de prendre en considération lorsque l'on définit le corps
constitutif du général, de la parenté des voies de transition. Cela est d'autant plus impératif que jusqu'à nos
jours, les transisions se sont réalisées dans des sociétés
qui appartenaient aux variantes du capitalisme colonial.
L'absence de théorie générale systématique de la transition chez Marx, Engels et Lénine n'est donc pas aussi
désarmante. Dès lors que les lignes théoriques seront claires, les politiques entendues comme l'ensemble des
moyens à mettre en œuvre pour atteindre des objectifs
clairement définis se préciseront aussi bien sur le plan
économique que sur le plan proprement politique.
Alors, notre champ de réflexions se trouve délimité.
Deux points seront développés: le premier portera sur
7
la théorie de la transition et le second sur les stratégies
de développement économique et social pour l'avènement
d'un Etat Socialiste.
La problématique de la transition avait donné lieu,
en Union Soviétique, à de vives controverses parmi les
intellectuels du Parti Communiste. Lénine n'avait jamais
accepté de trancher les grandes questions qui étaient en
discussion entre F. Preobrajensky et N. Boukharine et
qui portaient sur les lois de fonctionnement de l'économie socialiste et la politique économique qui devait en
résulter. Il reviendra à Staline de mettre tout le monde
d'accord en fermant d'autorité le dossier théorique et en
imposant la ligne dure de la marche forcée vers le socialisme. Ce n'est donc pas un hasard si le dossier est réouvert aujourd'hui non seulement par les chercheurs, mais
aussi par les Partis marxistes du monde entier. S'il est
caractéristique que notre époque est celle du passage du
capitalisme au socialisme, les mouvements qui gèrent la
réalisation du processus doivent savoir en indiquer les
formes et les moyens.
Depuis la révolution d'Octobre, le mouvement socialiste a connu un important développement affectant des
peuples de divers continents ayant des stades de développement inégal et des aires de civilisation complètement
différentes. En même temps, les mouvements de libération nationale qui sont à la croisée des options de systèmes manifestent une hostilité grandissante vis-à-vis du
capitalisme générateur du phénomène colonial. Le socialisme est alors présenté comme une solution aux problèmes économiques complexes et nombreux. De plus, au
sein du système d'Etats Socialistes, des divergences
idéologiques profondes portant sur la nature du socialisme et les formes de gestion sont apparues et ont pris
l'aspect d'un antagonisme au point d'entraîner un véritable schisme dont on ne mesure pas encore toute l'ampleur
et les multiples implications sur la géopolitique mondiale.
Ces faits désignent un ensemble de problèmes auxquels il faut apporter des réponses urgentes et correctes : une réappréciation et une réévaluation des voies de
passage au socialisme s'imposent. Les directions de solution ne se situent point ailleurs. C'est dans ce cadre que
nous ouvrons le débat sur la problématique de la tran-
8
sition. Il est souvent obscurci et passionné par des arrières-pensées politiques et idéologiques qui finissent par
apparaître en surface et s'ériger en souci fondamental.
Ainsi se trouveront éclipsés les problèmes théoriques
au profit de considérations strictement politiques. Il importe en conséquence de déplacer les préoccupations vers
la théorie pour dégager quelques coordonnées logiques
d'un développement non capitaliste.
Les controverses qui s'ouvrent au sein de la pensée
marxiste ont d'abord tourné autour des lois de la valeur,
de l'existence des catégories marchandes et de la planification socialiste. Seulement, comme l'observe P. Jacquemot (1), ces diverses notions en discussion ne sont
que les effets de surface de l'existence objective de rapports sociaux propres au mode de production socialiste.
Où en est-on avec sa construction effective? Ses contours généraux sont-ils définitivement établis? Peut-on
penser que l'humanité est en train de rompre définitivement avec sa préhistoire? Les voies d'accès sont-elles
connues et maîtrisées? Voilà quelques questions vitales
que soulève la transition et sur lesqeulles les discussions
n'apportent pas encore de réponses définitives et achevées. Il fallait donc « changer de terrain» comme le recommande Charles Bettelheim (2) et s'engager dans une
étude théorique de la transition qui éclaire la constitution d'un nouveau mode de production et les transformations apportées au système économique et social.
Pourtant, cette étude ne sera pas simple car le concept de transition est obscur et fait l'objet de plusieurs
appréciations contradictoires qui ne sont pas de nature
à faciliter des clarifications. Signifie-t-elle une étape de
l'évolution historique par laquelle passe nécessairement
toute société humaine (3) ou bien un passage délibéré
d'une formation économique et sociale à une autre, passage dont les diverses étapes sont rigoureusement contrôlées ? Est-elle plutôt une période au cours de laquelle des
forces contradictoires s'affrontent et poussent à une tendance à la polarisation soit vers le capitalisme, soit vers
le socialisme (4) ? Ou plus simplement un saut d'une séquence sociale vers une autre qualitativement supérieure ? Enfin signifie-t-elle une rupture organique avec l'ancienne forme sociale et la mise en place des préalables
9
préparatoires d'une nouvelle formation sociale (S) ? Chaque réponse apportée est une approche théorique particulière de la transition d'où il résulte une variété de conceptions spécifiques. Justement, cette spécificité est une
preuve du caractère partiel des théories en cours sur la
transition. Celles-ci se trouvent généralement dans l'incapacité de traduire la problématique dans toute sa complexité. La transition en effet, recouvre d'innombrables
facteurs; les uns sont objectifs et apparaissent dans les
multiples contradictions se situant dans la sphère économique, politique et sociale du système social qui était en
vigueur et les autres sont subjectifs et rendent compte
de l'action consciente et organisée des hommes pour opérer de profonds bouleversements dans les rapports sociaux en vue d'établir une nouvelle structure sociale radicalement différente.
Ces facteurs n'apparaissent pas toujours et partout
sous des formes identiques. En conséquence, les problèmes qu'ils soulèvent seront de nature différente aussi
bien dans l'espace que dans le temps. En considérant
l'analyse faite des facteurs objectifs dans la sphère décisive qu'est l'économie, le marxisme soutient que les conditions matérielles de la formation sont engendrées au
sein même de l'ancienne structure sociale (6). Cette thèse
appliquée à la transition présume que l'avènement du socialisme est profondément lié à l'achèvement du capitalisme. En effet, dans ce mode de production, l'arrivée à
maturité des contradictions décisives et fondamentales,
notamment celles exprimées dans la socialisation excessive des moyens de production et le caractère privé de
l'appropriation du profit, prépare la rupture révolutionnaire et donc l'amorce de la transition vers un système
social nouveau. Celui-ci doit divorcer d'avec toutes les
formes d'exploitation du travail. En conséquence, plus
la base économique du capitalisme est développée, plus
simple sera le processus de création des rapports sociaux
de production socialistes.
C'est dans cette optique qu'il faut comprendre la préface de Gramsci dans la « Contribution à la critique de
l'économie politique» de Marx et également l'idée avancée par Lénine selon laquelle « le capitalisme monopoliste d'Etat est la préparation matérielle la plus complète
10
du socialisme, l'antichambre du socialisme, l'échelon historique qu'aucun autre échelon intermédiaire ne sépare
de l'échelon appelé socialisme» (7). Le processus de socialisation du travail et de la production est plus complet et plus profond dans cette étape du capitalisme que
dans aucune autre. Dès lors se pose la question de savoir
si les formations sous-développées doivent passer nécessairement par un approfondissement des rapports capitalistes de production et une généralisation du processus
d'accumulation. Dans ce contexte, il est plus facile de
pousser les contradictions internes pour arriver à la rupture. Il semble d'ailleurs que le mouvement communiste
international se soit quelque peu orienté dans cette direction quand il proposait l'Etat de démocratie nationale
aux pays qui sortaient de la domination coloniale.
La déclaration des 81 Partis Communistes et Ouvriers
de Novembre 1960 en son point IV stipulait que « dans
la conjoncture actuelle, il se crée des conditions favorables, tant internationales qu'intérieures à la formation
dans de nombreux pays d'un Etat indépendant de démocratie nationale, c'est-à-dire d'un Etat qui défend, avec
esprit de suite, son indépendance politique et économique; qui lutte contre l'impérialisme ; qui lutte contre
les nouvelles formes de colonialisme un Etat où le peuple jouit de larges droits et libertés démocratiques...
ainsi que la possibilité de réaliser la réforme agraire, de
faire aboutir d'autres revendications dans le domaine des
transformations démocratiques et sociales et de participer à l'élaboration de la politique du pays» (8). Cet Etat
de démocratie nationale devrait préparer les conditions
matérielles et sociales du socialisme. En effet, cet Etat
qui consacre l'alliance de la bourgeoisie nationale, du prolétariat et de toutes les couches qui aspirent au changement est un intermède nécessaire durant lequel s'effectuent les transformations démocratiques de la société
et de la vie politique, pour donner satisfaction à toutes
les justes revendications du peuple. Il s'agit bien, comme nous le verrons, d'une étape de compromis devant
permettre une évolution contrôlée des formes capitalistes de production car comme l'observe J. Chesneaux, « le
secteur public à vocation socialiste n'a pas encore triomphé définitivement du secteur privé et la démocratie n'est
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pas encore assurée par des rapports de production socialistes. L'idéologie n'est qu'un socialisme vague et non le
socialisme scientifique» (9).
La sphère socio-politique constitutive de la seconde
catégorie des facteurs objectifs soulève également des
problèmes d'importance vitale. Le marxisme, à la suite
de Lénine, démontre que la rupture révolutionnaire ne
s'opère que dans la réunion de trois conditions
- d'abord, l'existence d'une crise politique qui se
traduit par une décomposition de la classe dominante
telle que celle-ci est placée dans l'impossibilité de maintenir le système de domination en place. L. Trotsky exprimait avec clarté cette situation politique particulière
dans laquelle ceux d'en haut ne peuvent plus gouverner
comme avant et ceux d'en bas ne veulent plus être gouvernés comme par le passé ;
- ensuite, l'existence d'une aggravation de l'exploitation qui se manifeste par une avancée persistante de la
pauvreté et de la misère. De plus, les masses opprimées
ne voient se dessiner aucune perspective de changement.
Dans un tel contexte, elles ne perdent rien que leurs chaînes en prenant les chemins des bouleversements politiques;
- enfin, l'existence d'une activité politique mobilisatrice en direction de la lutte finale contre le vieil ordre
social.
Ces facteurs objectifs doivent être profondément appuyés par un ensemble de facteurs subjectifs au nombre
desquels se trouvent l'existence d'une conscience de classe
ainsi qu'une organisation politique qui soit véritablement
à la hauteur de la situation pour lui imprimer les directions d'actions souhaitées. Ces facteurs, au total, doivent
confirmer la capacité d'adaptation des organisations à la
situation concrète.
Il faut y ajouter, pour en avoir une vision globale,
les éléments externes de nature strictement politique ou
économique et qui peuvent modifier radicalement les données internes. L'extérieur peut en effet imposer un ensemble de contraintes qui renforcent la marche en avant ou
en revanche bloquent celle-ci.
La transition se présente ainsi dans toute sa complexité, s'exprime dans la multiplicité des variables qui
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rentrent en jeu. De fait, on ne peut la réduire à une dimension exclusivement politique, économique ou sociale;
elle intègre tout cela à la fois. La théorie comme reflet
de la réalité, non pas dans toute sa globalité mais dans ce
qu'elle a de plus fondamental, doit rendre compte de cet
ensemble complexe d'éléments.
L'objet de cette étude est de tenter d'apporter quelques éléments d'évaluation, quelques coordonnées logiques et historiques de la transition au socialisme dans
des formations sociales précapitalistes caractérisées par
la pluristructuralité manifestée dans la coexistence de
plusieurs modes de production. Dans ce cas, nous avertit
I. Morton, la pensée théorique doit éviter deux écueils:
la dégénéralisation du singulier et la désingularisation du
général. Nous avons alors analysé les éléments constitutifs des singularités de la transition pour mieux cerner
les politiques à mettre en place en vue de l'instauration
d'une société socialiste à partir de formations sociales
précapitalistes ou appartenant au capitalisme retardataire.
Nous avons ainsi organisé notre réflexion autour de
deux points traitant respectivement:
- du concept de la transition et de la théorie du
passage au socialisme ;
- de la stratégie politique et économique.
Notre objectif n'est nullement de fournir des réponses définitives à des problèmes complexes, mais simplement d'apporter quelques clarifications théoriques qui
permettent d'entrevoir en toute lucidité et rigueur l'alternative socialiste dans des formations sociales précapitalistes.
13
NOTES
(1) Jacquemot (Pierre) : Essai sur le concept de transition
vers le Socialisme. Revue Algérienne vol. X, n. 3, sept. 1973.
(2) Charles Bettelheim et P. Sweezy : Lettres sur quelques
problèmes actuels du Socialisme. François Maspéro, 1972.
(3) Nous retrouvons là une formulation propre à Staline, partisan d'une conception linéaire de l'histoire dans laquelle le socialisme est une phase décisive et préparatoire à la société communiste.
(4) Cette position est défendue par Imre Morton pour qui la
transition est un jeu serré d'affrontements entre deux tendances
irréductibles. Elle s'achève avec la victoire de celle qui exprime
le socialisme.
(5) Cette attitude est propre à Charles Bettelheim et Etienne
Balibar qui estiment que la transition est « l'effet de rupture révolutionnaire de l'antagonisme entre les forces productives et
les rapports de production qui déterminent le passage d'un mode
de production à un autre (lire le « Capital », t. 2, p. 82).
(6) Cette idée est exprimée dans le « Programme de Gotha
et d'Erfurt» (Editions sociales, Paris 1966) où Marx note que
« entre la société capitaliste et la société communiste, se place
la période de transformation révolutionnaire de celle-ci en celle-là.
A quoi correspond une période de transition politique où l'Etat
ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du
prolétariat» (p. 44). Les mêmes idées sont exprimées par F. Engels dans Socialisme scientifique et socialisme utopique et dans
la préface faite par A. Gramsci dans la « Contribution à la critique de l'économie politique ». L'auteur y observe que « aucune
société ne se propose des tâches pour la solution desquelles les
conditions ne sont pas encore mûres; aucune société ne disparaît avant d'avoir exprimé toutes ses potentialités ».
(7) V.l. Lénine: La catastrophe imminente et les moyens de
la conjurer. Œuvres choisies, T. 2, pp. 150-151.
(8) Déclaration de Novembre 1960, de la Conférence tenue à
Moscou par les 81 Partis Communistes et Ouvriers. Recherches
Internationales, n. 39-40, 1963.
(9) Chesneaux (Jean) : Qu'est-ce que la démocratie nationale?
Revue « La Pensée» n. 118, Déc. 1964.
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PREMIERE PARTIE
CONCEPT DE TRANSITION ET THEORIE
DU PASSAGE AU SOCIALISME
PREMIERE PARTIE
CONCEPT DE TRANSITION ET THEORIE
DU PASSAGE AU SOCIALISME
Une vision globale des analyses de la transition laisapparaître que celle-ci est, pour la plupart des auteurs,
définie comme un intermède préparatoire du socialisme.
Pour que la phase ne soit pas perçue comme simple à
priori, il importe de voir plus précisément ses origines
profondes.
On peut aborder les lois générales d'accès au socialisme en partant implicitement et explicitement de l'idée
que le socialisme sortira des entrailles de la société capitaliste d'où l'expression de Lénine selon laquelle le capitalisme monopoliste d'Etat est la meilleure préparation
du socialisme. Ces considérations reposent sur trois éléments :
- d'abord, la parfaite homologie sociale des pays
qui amorcent le passage : les pays capitalistes avancés
présentent en effet des structures de classes identiques
donc des contradictions sociales similaires;
- ensuite, l'identité des régimes politico-économiques qui est caractéristique. Elle conditionne les formes
politiques d'administration de toute la superstructure et
les formes économiques de répartition du produit social,
de même que l'inégalité de statut des classes sociales
face aux moyens de production;
- enfin, l'identité des contradictions principales qui
se présente comme conséquence des éléments antérieurs.
La contradiction fondamentale et décisive dans un système capitaliste avancé est celle qui existe entre le caractère social de la production et la forme privative d'appropriation des surplus.
A partir de ces caractéristiques communes, se dégagent les lois générales au triple plan économique, politique et idéologique.
s(~
17
D'abord au plan économique, le passage du capitalisme au socialisme impose :
- l'abolition des formes privatives des instruments
de production, ce qui va permettre une centralisation et
une réelle socialisation des surplus;
-la socialisation de l'agriculture qui autorisera une
coopération effective de producteurs libres;
- le développement planifié qui permettra l'instauration d'un réel débat démocratique.
Au plan politique, la question la plus importante est
celle de savoir quelle est la force politique qui doit prendre la direction des luttes populaires et gérer l'édification du socialisme. Depuis le Manifeste du Parti Communiste, les fondateurs du marxisme avaient avancé que de
toutes les classes qui s'opposent à la bourgeoisie et à sa
domination, la classe ouvrière est la plus conséquente et
la plus intéressée au renversement du capitalisme. A la
différence des autres classes sociales appartenant au prolétariat, la classe ouvrière est la plus exploitée et de plus,
étant liée à la grande industrie, elle évolue avec elle à la
même vitesse accélérée. Dans des circonstances données,
elle peut s'allier avec d'autres couches sociales qui peuvent avoir intérêt au changement de la base de la société.
Une fois le pouvoir conquis, le prolétariat doit exercer
sa dictature. Car tant que le socialisme n'est pas définitivement assis, les exploiteurs continueront de nourrir l'espoir d'une reconquête des anciennes positions tout aussi
bien au niveau économique qu'au niveau politique. Il
s'agit alors pour le prolétariat au pouvoir de briser toute
l'ancienne machine étatique et de faire disparaître l'exploitation et les agents qui l'ont touiours véhiculée (1).
Ainsi s'amorce une période de profondes transformations,
de bouleversements et de luttes sociales entre les forces
du renouveau et du progrès et celles du passé.
Enfin au plan idéologique. la transition soulève des
questions de réorientations. Le problème est d'apporter
une modification des comportements des hommes vis-àvis du travail et de la propriété, mais également d'introduire une culture et une morale nouvelles en conformité
avec les normes de vie et les objectifs de l'ordre nouveau.
Ce sont donc là des lois générales qui traduisent des
tendances objectives que devra emprunter tout pays
18
qui prépare l'accession au socialisme. Bien évidemment,
des nuances sont nécessaires pour atténuer précisément
le caractère général et impératif des lois et relativiser certaines formes et tendances. L'analyse doit alors se concentrer à la fois sur les lois générales et les lois spécifiques.
Ces lois spécifiques, théoriquement, partent de deux
observations. La première est de F. Engels qui, dans une
lettre à Bebel, note qu'il serait absurde de vouloir conférer au mouvement une forme unique dans tous les pays.
La seconde est de Lénine quand il estime que « la marche
de la révolution dans les divers pays se poursuit sous des
formes différentes, à un rythme différent ». Il affirmera
plus précisément encore que «toutes les nations viendront au socialisme; cela est inévitable mais elles n'y
viendront pas toutes d'une façon absolument identique,
chacune apportera son originalité dans telle ou telle forme de démocratie, dans telle ou telle variété de dictature
du prolétariat, dans tel ou tel rythme de transformations
socialistes des différents aspects de la vie sociale.» En conséquence, précise-t-il, «rien n'est plus indigent au point
de vue théorique et plus ridicule au point de vue pratique
que de se présenter au nom du matérialisme historique
un avenir monochrome, couleur de grisailles, ce serait un
barbouillage informe et rien de plus ».
Les particularités et les spécificités qui sont à la base
de ces lois peuvent remettre en question le caractère universel des lois générales. Il s'agit là, d'une manifestation
de la désingularisation du général.
En effet, ces particularités et spécificités reperees
dans une formation économique et sociale indiquent que
les formes de passages de prise et d'exercice du pouvoir
politique et de gestion économique, seront particulières
par rapport à celles exprimées par les lois dites générales.
En d'autres termes, les lois générales élaborées partant
d'une société capitaliste avancée, ont très peu de chance
de trouver des points d'application dans des structures
socio-économiques différentes telles que celles des formations sous-développées (2).
Ces formations présentent des éléments qui constituent le fondement même de la singularité de la transition:
les modes de production articulés, leurs traits évolutifs
19
permettant d'éclairer sur la Société civile et la Société
politique ainsi que leur rapport mutuel, les processus de
formation de la Nation et de l'Etat national, les composantes de la nation et les modalités de leur intégration
en une totalité organique, l'aire culturelle, sociologique
et linguistique, impact local et régional de l'impérialisme,
historique du mouvement de libéraiton et interférence
avec le mouvement ouvrier. Il faut voir comment s'articulent tous ces éléments pour bien saisir les formes que revêt la transition. Pour les avoir ignorés, les analyses orthodoxes ont abouti à des visions mécaniques et rigides
de la transition. Elles n'ont pas alors contribué à l'enracinement et à la propagation du marxisme qui est ainsi
réduit à un dogme figé et a-historique.
Des lors, les analyses traditionnelles ne risquent pas
d'être en adéquation avec la réalité. En conséquence, la
théorie du passage au socialisme reste à élaborer pour
les formations qui nous intéressent. Cela est d'autant plus
nécessaire que le socialisme comme mode de production
est très mal connu. En dehors de sa signification trop
générale qui est la domination exercée par les producteurs sur leurs instruments de travail et de production
et ainsi que la nature particulière de l'Etat, on ne sait
plus grand chose, sinon les solutions historiques et nationales apportées à tel ou tel problème par tel ou tel Etat
édifiant le socialisme.
C'est dire que le contenu du socialisme n'est pas détachable des contingences nationales. En clair, on ne peut
retrouver les principes généraux du socialisme qu'en dépouillant les questions qu'il soulève des éléments introduits par la praxis sociale des nations.
Ces observations appellent une double action: la première est de clarification du concept de transition vers
le socialisme. Cette clarification permettra dans le fond
de saisir toutes les réalités couvertes par la mise en place
des structures ouvrant l'accès au socialisme. La seconde
consiste à apprécier la séquence historique qui résout
les diverses contradictions ou capitalisme périphérique.
Il s'agit surtout d'indiquer les préalables de l'ouverture
du passage au socialisme. En fait, ce qui a échappé profondément à certains théoriciens de la transition, c'est le
caractère organique de cette phase préparatoire qui des-
20
sine les contours généraux que devra prendre le socialisme.
NOTES
(1) V.L Lénine : preCIse avec insistance l'opportunité et l'importance de cette dictature du prolétariat. Il affirme dans « La
maladie infantile au Communisme» que « la dictature du prolétariat est une lutte opiniâtre, sanglante et non sanglante, violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative contre les forces et les traditions de la vieille société
(p. 32). De même, dans « l'Etat et la Révolution ", il note que « le
passage du capitalisme au communisme ne peut évidemment pas
ne pas fournir une énorme abondance et diversité de formes
politiques; mais leur essence sera inévitablement une : la dicta-
ture du prolétariat» (p. 37).
(2) Lénine, à plusieurs occasions, rappelle la nécessité et l'opportunité d'une correcte appréciation des particularités qui sont
déterminantes. Sa polémique avec Sereti, dirigeant du Parti Socialiste d'Italie, est sur ce point édifiante. Il observait que les
principes révolutionnaires doivent s'adapter aux particularités
des différents pays. Il écrit que « nous n'avons jamais voulu que
Sereti imite en Italie la Révolution Russe. Ce serait stupide et
nous avons suffisamment de sagesse et de souplesse pour éviter
cette stupidité ».
21
CHAPITRE PREMIER
LE CONCEPT DE TRANSITION VERS LE SOCIALISME
Il est généralement admis qu'au strict plan méthodologique, toute analyse qui se veut rigoureuse doit éviter
de commencer par une définition des concepts et catégories utilisés. Cependant, si cette opinion est vraie dans ses
grandes lignes, elle mérite d'être nuancée car, comme le
note Ota Sik, il faut à chaque étape du déploiement d'une
pensée être en mesure de définir la nature des concepts
et catégories, afin de nous comprendre les uns les autres,
de faire barrage à la phrase spéculative et à l'utilisation
des concepts abstraits que nous ne serions pas à même
d'expliciter suffisamment (1).
Une telle observation est d'un grand intérêt quand il
s'agit d'un concept-foyer, comme celui de transition dont
les significations sont multiples et recouvrent des faits
variables, très enchevêtrés et d'une extrême complexité.
Ce concept diffus fait en réalité l'objet de plusieurs définitions dont chacune sous entend une théorie déterminée.
Donc c'est à travers les définitions qui nous sont offertes
que nous pouvons réellement ouvrir le dossier théorique
compris comme un ensemble de concepts et de catégories articulés dans un système cohérent.
Il importe alors dans un premier temps de passer en
revue les différentes définitions du concept de transition
et dans un second temps d'analyser les théories impliquées.
Section 1 : Sens et portée du concept de transition
Les analyses marxistes les plus édifiantes font apparaître deux conceptions non essentiellement contradictoires du concept de transition vers le socialisme. Dans
la première, la transition est une coupure brutale ou non
avec l'ancienne totalité structurée et dans la seconde elle
est conçue comme une phase préparatoire à un nouvel
ordre social qualitativement supérieur: le socialisme.
22
Voyons de plus près ces différentes conceptions ainsi que
les conséquences qu'elles impliquent.
Un certain nombre d'auteurs comme le professeur
Charles Bettelheim définissent la transition comme une
rupture intervenant au sein d'un mode de production à
la suite d'une l-évolution sociale elle-même conséquence
de contradictions arrivées à maturité. Les bouleversements radicaux qui font suite à la révolution traduisent
une volonté de dégager de nouvelles orientations au triple plan politique, économique et social. Dès lors, observe
Charles Bettelheim, «le problème théorique de l'économie de transition concerne la théorie d'un mode de production complexe à la suite d'une rupture avec l'ancienne
totalité structurée» (2). E. Balibar se fait l'écho de cette
signification et se refuse à concevoir la transition comme un «« hiatus irrationnel entre deux périodes qui sont
soumises au fonctionnement d'une structure c'est-à-dire
qui sont leur concept spécifié» (3).
Les mérites de cette approche de la transition sont
assez nettes. En effet, la transition n'est pas un saut en
soi vers une autre structure mais elle s'en apparente par
son origine (4) qui tient à un ensemble de contradictions,
ces contradictions se situant tout aussi bien au plan économique qu'à celui de la politique et du social. Elles bloquent tout dynamisme dans la formation sociale et introduisent une situation d'insatisfaction généralisée et
une volonté organisée de changer les bases mêmes de la
société.
En conséquence, la formation sociale est condamnée et n'aura point de ressort pour résister aux attaques
frontales dont elle est l'objet. Il arrive donc un moment
précis où les forces contraires l'emportent sur toutes celles qui défendent le vieil ordre. A partir de cet instant,
rien ne sera plus fait ni conçu comme avant, autrement
dit, l'écroulement des bases de l'ancien ordre socio-économique commande l'amorce d'une évolution sociale
qualitativement différente.
Cependant, les réalités objectives propres au contexte socio-économique peuvent introduire quelques différences avec les lignes directrices affirmées dans le projet de
société socialiste. Il n'est absolument pas évident que la
transition se fasse dans les meilleures conditions histo-
23
riques (5). Dès lors, le décalage entre réalité et théorie
pose des problèmes explicités par le concept de non correspondance.
Le mode de production étant entendu comme une
combinaison de deux structures irréductibles (les forces
productives et les rapports de production), sa stabilité
relative postule une liaison dialectique adéquate entre
elles. Cette liaison est formulée dans la. loi de la correspondance qui exprime cette conformité entre niveau de
développement et rapports de production. Pourtant, ce
n'est pas le cas dans la formation sociale en transition où
on découvre un écart entre les rapports établis ou à établir (qui doivent être fondés sur une maîtrise directe des
producteurs sur les instruments de production) et le niveau effectif des forces productives.
D'une façon générale, les décalages qui peuvent se
manifester dans toutes les sphères de la société expriment la distance entre ce qui devrait être fait et ce qui
est matériellement réalisable. Ainsi compris, ils montrent
que le fonctionnement du système ne peut être assuré
que par des médiations dont la plus édifiante a été la période de la N.E.P. (6) en Union Soviétique. La non-correspondance et le décalage renvoient alors à la coexistence
momentanée de plusieurs modes de production, ce que E.
Balibar souligne à juste titre quand il écrit que « le décalage des relations et des instances dans les périodes de
transition ne fait que réfléchir la coexistence de deux
modes de production ou plus dans une seule « simultanéité », la dominance de l'un sur l'autre» (7). C'est là toute
la limite de la conception faisant de la transition une
rupture introduite au sein d'une totalité structurée.
Cette première définition, cependant, présente le défaut majeur de ne point rendre compte de toute l'instabilité structurelle de l'étape historique. En effet la rupture, si elle est effective, n'est qu'institutionnelle et n'affecte que le pouvoir d'Etat (8). Elle se circonscrit principalement dans la sphère politique et même dans ce domaine, les choses ne sont pas complètement réglées car
les forces qui soutiennent les anciennes institutions, bien
que défaites, ne sont pas totalement vaincues et liquidées.
Leur capacité de récupération demeure très forte surtout
au niveau de l'économie.
24
Ces forces sociales peuvent connaître un nouveau
dynamisme et nouer des alliances nouvelles pour aller
vers la reconquête du terrain politique perdu. Elles seront
aidées d'une part par la déstabilisation momentanée des
structures politico-économiques et d'autre part par l'incertitude qui plane à tous les niveaux des appareils politicoadministratifs et technico-économiques quant à leurs
nouvelles orientations et formes de gestion. En définitive,
elles seront particulièrement servies par la distance séparant les déclarations généreuses des nouvelles autorités politiques et l'austérité effective qu'impose la situation économique.
Le socialisme qui en est l'objectif est un projet dont
l'instauration fait suite à une série d'actions complexes
dans tous les domaines. Ni les voies y menant, ni les implications ne sont clairement connues et maîtrisées à
l'avance. L'on sait sans doute ce que le socialisme ne devra pas être mais on ne sait pas encore ce qu'il devra
être. C'est dire que la rupture avec le mode de production antérieur pourrait amener des problèmes parfois
graves parce que les éléments essentiels du mode de reproduction socialiste ne sont pas encore en place. Ces
éléments d'infrastructure et de superstructure sont à
construire dans des conditions historiques objectives qui
détermineront la nature de la formation socialiste. De
même, leur mise en place se déroule dans des affrontements extrêmement serrés de forces antagonistes. Enfin,
ces éléments constituent souvent des préalables que la
transition doit précisément résoudre.
En conclusion, ces obstacles empêchent de saisir ce
qui est fondamental dans la problématique à savoir le
caractère organique de la transition. Les formes de celle·
ci dépendent pour l'essentiel de la nature et de la forme
de la société à édifier. En ne considérant pas ce caractère, on s'expliquera difficilement les variétés structurel·
les du socialisme à travers le monde.
La seconde définition donnée de la transition fait de
celle-ci une phase préparatoire instable et contradictoire.
Ainsi Ludolfo Paramio entend par la transition vers le
socialisme « la période où un secteur de propriété existant déjà ou étant en formation, le mode de production
n'est pas dominant de par la désarticulation du système
25
productif qui le fonde; mais où le secteur socialiste n'articule pas encore le système productif» (9).
La force de cette conception de la transition réside
dans le délai de préparation et dans la dominance exercée
au niveau des structures productives et politiques par certains éléments caractéristiques du système productif.
Dans cette conception, la transition apparaît comme un
long et lent processus de transformation des structures
économiques, politiques et étatiques qui se perpétue tant
que les bases matérielles et superstructurelles du socialisme n'ont pas définitivement vaincu les forces antagoniques à toutes les échelles politique, économique et sociale. Cette victoire est le préalable nécessaire d'une véritable maîtrise du pouvoir politique dans toutes ses
composantes et du processus de production dans ses éléments majeurs.
Ces considérations sur les orientations de l'économie
et de la politique nous autorisent à dire qu'il doit en permanence exister un ajustement entre les objectifs posés
et les moyens pour les réaliser. s'il n'en était pas ainsi,
le décalage risquerait d'être la source de conflits pouvant
mettre un terme à la transition. Certains auteurs ont essayé d'analyser ce décalage en parlant d'avance ou de recul de la superstructure par rapport à l'infrastructure.
Une telle conception n'est pas dépourvue d'intérêt, seulement elle pose problème car la superstructure ne peut pivoter en permanence dans le vide et être déplacée en
fonction des orientations du moment.
Ce qui peut exister, c'est une fuite en avant qui installe les sphères dirigeantes dans des illusions totalement
décalées de la réalité objective en les entraînant à prendre des décisions dont les conditions de la réalisation
n'existent pas encore. Ces deux attitudes obligent à un
réalisme rigoureux dans l'élaboration des stratégies de
cette période complexe dans laquelle les forces politiques
d'avant-garde ne possèdent pas encore tous les moyens de
leurs options.
Dans toutes les sphères décisives de la vie, la transition laisse entrevoir une dualité conflictuelle que les concepts de non-correspondance et de décalage permettent
d'appréhender. Lénine insistait avec vigueur sur cette
dualité et rappelait chaque fois la nature hybride des
26
structures qui dévoilent une coexistence durable des éléments relevant du capitalisme et du socialisme ainsi que
des rapports économiques et sociaux différents.
Seulement dans la phase de transition, les éléments
appartenant au socialisme doivent être en permanence
renforcés par la volonté nette de les rendre exclusifs
dans l'avenir. C'est en cela que réside le fondement de
toutes les politiques qu'elles soient économique, sociale,
ou culturelle. Il s'agit d'aider partout au triomphe des
structures et mécanismes du socialisme. Ainsi, au plan
économique, comme nous le verrons plus loin, le secteur
socialiste devra être le noyau dynamique et propulseur
qui articule l'ensemble du processus productif. La socialisation des instruments de production et de travail permettra une centralisation et une meilleure utilisation
productive des surplus. De même au niveau politique,
l'appareil d'Etat est appelé à subir des mutations profondes tant dans sa nature que dans son contenu social et
dans ses orientations. Sans ces mutations, il sera dans
l'incapacité de gérer adéquatement la nouvelle formation
sociale dans les conditions d'un débat démocratique ample et profond.
Au total, les deux acceptations de la transition et les
limites qui s'y attachent permettent maintenant d'envisager les lignes directrices d'une théorie de la transition
vers le socialisme. Celle-ci passe par la définition des fondements mêmes du socialisme qui est l'objectif ultime
des structures préparatoires à la nouvelle société.
Section 2 : Les axes d'une théorie de la transition vers
le socialisme.
A ce niveau, l'objet de notre analyse est de réunir les
éléments épars en vue de dégager les axes d'une théorie
de la transition vers le socialisme dans des formations
caractérisées par un faible niveau des forces productives
et une domination extérieure prononcée.
Observons que Marx et Engels n'étaient nullement les
tenants d'un dogme figé et sans vie, ni de schémas rigides et définitifs qui auraient le pouvoir magique d'expliquer une réalité et une situation objective dans toute leur
complexité. C'est une méprise que d'avoir une telle opi-
27
nion de leurs travaux. Hommes de sciences. ils étaient
plus soucieux de pénétrer le réel pour en extraire les éléments qui peuvent fonder une praxis sociale (l0). Dans la
problématique de la transition, la doctrine ne pouvait
être achevée car cela signifierait que Marx et Engels puissent devancer le rythme historique réel des masses (lI).
En conséquence, ils n'ont fait que ce qui était scientifiquement possible à savoir : poser les pierres angulaires
et le cadre méthodologique pour appréhender correctement les contradictions du capitalisme et l'alternative socialiste ainsi que les voies pouvant mener vers cette nouvelle étape de l'existence sociale.
De fait, les directions analytiques sont ainsi clairement posées. Il s'agit de s'interroger sur le socialisme et
les conditions objectives de sa réalisation et non de piétiner sur les mots. Plus précisément encore, la réflexion
sur cette question doit être dépouillée des mythes et de
l'obscurantisme que la propagande bassement politique a
introduits dans la signification du socialisme. Ce faisant,
ou renoncera à toutes les conceptions dogmatiques et fossilisées pour avancer vers des idées novatrices sur le projet socialiste. Ce n'est de cette façon que l'on pourra spécifier les lois générales et particulières qui s'appliquent
pour l'instauration d'une société socialiste. Il s'agit en
second lieu, de formuler les voies de passage entendues
comme les préalables à réunir pour créer tel ou tel Etat
socialiste. Ces préalables relèvent aussi bien de la conjoncture interne que de la situation externe. Postulée en
ces termes scientifiques, donc non occultes, la transition
ne laisse transparaître aucune voie royale et universelle
d'accès au socialisme.
A. -
Les Fondements du socialisme.
Les idées socialistes remontent très loin dans l'histoire de l'humanité depuis la République de Platon jusqu'aux ébauches de sociétés communistes de Thomas
Moore et Giovanni Campanela.
En effet, ces auteurs s'étaient attachés à partir d'une
critique de l'ordre social, à imaginer de nouvelles formes
d'organisation sociale plus juste et plus harmonieuse par
une suppression radicale de toutes les inégalités. Moore et
28
Campanela font un effort de développement systématique
de ces nouvelles cités humaines. Le premier imagine une
île qui porte l'idéal communiste où le travail de chacun
contribue à l'épanouissement de l'ensemble de la collectivité. Le gouvernement dans cette société aura à assurer
une double tâche: diriger la production économique et
organiser une répartition égalitaire du produit social.
Dans le même ordre d'idées, Giovanni Campanela développe la nécessité de construire une société fondée sur l'amour et qui devrait vaincre toutes les formes de division
et d'opposition pour arriver à une harmonie universelle
excluant toute inégalité sociale (12).
Ces idées de socialisation de la vie ont pour finalité
la création de rapports sociaux plus harmonieux qui excluent toute propriété privée. Elles joueront un rôle décisif à partir du XVIIIe siècle dans la formation des grandes doctrines socialistes modernes.
C'est surtout au XIXe siècle avec la généralisation et
l'approfondissement des rapports de production capitalistes que les systèmes socialistes des « grands utopistes»
apparaissent. La France et l'Angleterre sont les pays où
s'élaborent ces modes de pensée. L'Angleterre était un
champ de réflexion car dans ce pays s'était formée la
première grande industrie qui selon F. Engels, « développe d'une part, les conflits qui font d'un bouleversement
du mode de production une nécessité inéluctable et d'autre part. développe seule dans ces gigantesques forces
productives les moyens de résoudre aussi ces conflits»
(13). La France présentera d'autres traits permettant l'apparition d'idées socialistes. Dès la fin du XVIIIe siècle
jusqu'au milieu du XIXe, elle connaît une vie orageuse,
saturée de mouvements politiques et sociaux, d'événements et d'idées (14). Elle propagera par toute l'Europe,
les idées du socialisme.
Ce courant du socialisme prémarxiste de Saint-Simon
(1760-1825) à R. Owen (1771-1858) en passant par C. Fourier (1772-1837) remet en question toutes les formes d'exploitation et propose un nouvel ordre économique et social avant pour but d'::tffranchir les travailleurs de la tutelle du capital. Ces changements radicaux seront le fait
des savants et des techniciens. Dans cette ligne de pensée
Saint-Simon estimait qu'il revient aux philosophes et aux
29
techniciens de concevoir un système d'organisation sociale meilleur et d'inciter les gouvernements à le mettre en
application. Cette organisation sociale doit être absolument débarrassée de tous les maux comme l'ignorance, le
parasitisme et la misère. En plus, la direction des hommes doit y faire place à l'administration des choses ce qui
annonce le dépérissement de l'Etat que Marx reprendra.
Quant à l'industrie, elle doit s'organiser en dehors des
interventions maladroites des pouvoirs publics. Sur ce
point, Saint-Simon sera vivement critiqué par Marx qui
défendra plutôt la socialisation des moyens de production. Cette idée est fortement présente dans les analyses
de Fourrier pour qui l'harmonie universelle ne peut être
atteinte que si la société arrive à exclure l'appropriation
privée, à supprimer toute exploitation de l'homme par
l'homme donc à réaliser profondément une socialisation
de la vie économique et sociale. Ainsi, ce courant prémarxiste avait perçu, parfois avec beaucoup de clairvoyance, les tares du système capitaliste et l'opportunité d'opérer le passage vers de nouvelles sociétés qui corrigent toutes les inégalités et les injustices. Les transformations décisives des nouveaux édifices sociaux doivent
être conçues par les intellectuels et les techniciens et réalisées par les populations laborieuses.
Ces analyses ont été sévèrement critiquées par Marx
et Engels. Les critiques se situent à trois niveaux:
- en premier lieu, il est reproché aux socialistes prémarxistes de n'avoir pas saisi le rôle politique du prolétariat dans la lutte pour la liquidation du capitalisme.
Pourtant, ces auteurs ne pouvaient pas sérieusement appréhender ce rôle fondamental du prolétariat car les conflits issus de l'ordre capitaliste n'étaient qu'en devenir;
dans ces conditions, comme le reconnaît F. Engels, le prolétariat était absolument incapable d'avoir une action
politique indépendante au regard de la faiblesse de sa
conscience de classe, de son état d'organisation et de ses
effectifs;
- en second lieu, le nouveau système social proposé
est sorti de la raison pensante et non des contradictions
caractéristiques du mode de production capitaliste. Or,
écrit Engels « ce n'est pas dans la tête des hommes, dans
leur compréhension croissante de la vérité et de la jus-
30
tice éternelle, mais dans les modifications du mode de
production et d'échange qu'il faut chercher les causes dernières de toutes les modifications sociales et de tous les
bouleversements politiques: il faut les chercher non dans
la philosophie mais dans l'économie de l'époque considérée» (15) ;
- en troisième lieu, la vision du monde, si généreuse
qu'elle soit reste utopique. C'est le produit d'un décalage
entre une vision abstraite de l'esprit et l'architecture complexe de la réalité objective. D'ailleurs, ces projets une
fois élaborés sont octroyés de l'extérieur ce qui traduit
une absence d'investigation sur les moyens effectifs de
leur matérialisation.
Comme pour excuser ces lacunes, Engels s'efforce de
montrer pourquoi ces courants socialistes ne pouvaient
aboutir à l'élaboration de théories justes du socialisme.
Dans cette optique, il note : {{ à l'immaturité de la production capitaliste, à l'immaturité des classes, répondit
l'immaturité des théories. La solution des problèmes sociaux, qui restait encore cachée dans les rapports économiques embryonnaires, devait être tirée du cerveau» (16).
De fait, les théories ainsi élaborées par les élites en
dehors des structures productives et sociales effectives
ne sont pas en mesure d'indiquer les causes profondes qui
légitiment l'arrivée d'une nouvelle formation économique
et sociale et qui désignent les moyens précis qu'il importe de mettre en œuvre pour accéder à cette formation
sociale.
Marx et Engels se présenteront comme les successeurs légitimes des conceptions les plus avancées des socialistes utopiques. C'est cela qui explique la boutade de
Engels selon laquelle le socialisme se rattache au fond des
idées existant. Pour ramener ces conceptions sur le plan
scientifique, il fallait les placer sur le terrain du réel.
Dès lors, il ne s'agit plus simplement d'inventer par la
pensée de nouveaux modèles de société et des moyens
d'éliminer les anomalies de la société capitaliste. Ces modèles et ces moyens sont à découvrir dans les faits matériels de la production. Donc le socialisme scientifique
découlera des contradictions du mode de production capitaliste. Quels sont alors les fondements du socialisme?
A la suite de P. Jalée (17), le socialisme scientifique
31
de Marx repose sur deux piliers: la socialisation de l'économie et l'avènement d'un pouvoir politique populaire et
démocratique capable d'assumer une gestion adéquate
des instruments de production faisant l'objet d'une appropriation sociale.
En d'autres termes, la socialisation de l'économie
passe par un impératif qu'est l'abolition de la propriété
privée des moyens de production, d'échange, de crédit et
de transport. Selon Engels, cette prise de possession des
moyens de production par la société élimine la production marchande et par suite, la domination du produit
sur le producteur. L'anarchie à l'intérieur de la production sociale sera remplacée par l'organisation planifiée
consciente (18). Cependant, cette socialisation n'est en
définitive qu'un moyen au service d'une fin ultime : la
socialisation de la vie et de l'homme (19). En effet, F. Engels observe que « la propriété d'Etat sur les forces productives n'est pas la solution du conflit. mais elle renferme en elle le moyen formel, la façon d'approcher de la
solution» (20). On peut donc déjà remarquer que la socialisation intervient dans une société capitaliste mûre où
les forces productives sont devenues trop grandes et les
contradictions qu'elles soulèvent ne se résolvent que dans
un changement radical de la base de la Société. C'est
pour cette raison que V.L Lénine affirmait que « le capitalisme monopoliste d'Etat est l'anti-chambre du socialisme » c'est-à-dire la meilleure préparation pour l'édification d'une Société socialiste. En effet, ce stade ultime
du capitalisme réalise un degré supérieur de la socialisation de la production, de la maîtrise des forces naturelles et sociales et du progrès technique et scientifique. La
contradiction principale qui entrave l'avènement de progrès encore plus importants réside dans les formes privatives dominant~s. Cependant, la transition s'est effectuée dans des sociétés qui n'avaient pas atteint un tel développement des forces productives et qui ont appartenu
soit au capitalisme retardataire, soit au c8pitalisme périphérique dépendant. La pensée théorique doit alors prendre en compte cette situation pour en tirer toutes les implications théoriques et pratiques.
Pour ce qui est du pouvoir politioue. il revêt une nature et des formes différentes et doit également avoir des
32
fonctions exorbitantes par rapport à l'ancien appareil
d'Etat. Celui-ci était considéré comme un instrument au
service du capital et des fractions hégémoniques de la
bourgeoisie. Un tel appareil politique avait principalement des fonctions répressives et de sauvegarde de l'ordre social du capital. Désormais, il doit subir de profondes transformations pour pouvoir accomplir pleinement
les nouvelles finalités de socialisation de la vie économique, politique et sociale. Il doit, par ailleurs, assurer une
démocratie réelle et non formelle c'est-à-dire une démocratie qui garantisse une participation effective des travailleurs à la gestion aussi bien de l'économie que de
l'Etat. Une telle démocratie exclut toute fonction répressive. En plus, une fois toutes ces tâches accomplies, l'appareil d'Etat doit dépérir. On retrouve là une idée des
socialistes prémarxistes que Marx et Engels ont reformulée.
En effet, lorsque l'Etat représente réellement la société globale, il devient superflu; alors « le gouvernement
des personnes fera place à l'administration des choses et
à la direction des opérations de production ». Engels précise que l'Etat en réalité n'est pas aboli mais il s'éteint
(21).
A ces deux piliers, on pourrait en ajouter un troisième
qui aurait trait à l'idéologie et à la culture. R. Garaudy
est l'auteur qui a le plus insisté sur cet aspect qui se traduirait par « une révolution socialiste dans l'idéologie et
la culture présentant le double caractère de détruire les
aliénations engendrées dans l'esprit des hommes (22) ...
et de créer les conditions permettant l'accès de tous aux
acquisitions millénaires de la science et de la culture »
(23).
Cette rapide analyse des fondements du socialisme
scientifique de Marx et Engels appelle deux observations
essentielles pour nos développements futurs.
La première est que le socialisme ainsi envisagé
prend la suite d'une formation sociale capitaliste très développée, donc arrivée à la pleine utilisation de ses capacités de production. La contradiction entre la socialisation excessive de la production et la forme privée d'appropriation des surplus en est la preuve la plus évidente. En
conséquence, dans des formations qui ne connaissent
33
pas le même niveau de développement des forces productives, les problèmes peuvent se poser tout autrement.
Cela introduira alors la nécessité d'une nouvelle conceptualisation du socialisme (24).
Cette première observation en appelle une seconde
qui lui est directement liée. Une vision globale des analyses de Marx et d'Engels permet d'établir une étroite dé·
pendance du socialisme par rapport à la structure économique et sociale. A y réfléchir, cette liaison postule l'existence d'une pluralité de modèles socialistes. En effet, le
projet socialiste sera différent selon que la transition s'amorcera à partir d'une base capitaliste avancée ou de
structures socio-économiques de faible niveau. Or, comme nous l'avons établi, la transition a toujours un caractère organique propre qui détermine les formes que prendra le socialisme. Cette thèse est importante.
Deux faits viennent l'appuyer et la confirmer. Le
premier, de nature théorique, nous est fourni par Lénine
qui observe que ni la régularité, ni la proportionnalité,
ni l'harmonie n'ont jamais existé dans le monde capitaliste et qu'en conséquence les pays qui construisent le socialisme peuvent présenter un régime politique et une
structure d'Etat différents. De ce fait, Lénine était convaincu que chaque nouvelle révolution devait dépasser
les modèles existants et offrir de nouvelles formes plus
progressives. Le deuxième fait découle de l'expérience
historique des pays socialistes d'Europe de l'Est, d'Asie
et d'Afrique. Cette expérience laisse apparaître des variétés structurelles traduisant les différences des voies et
formes d'accès au socialisme.
On est alors tout fondé pour établir une véritable typologie politieo-économique du socialisme (25) et saisir
la pluralité des modèles et les implications profondes notamment pour des formations sous-développées caractérisées par une immaturité des rapports de production et
des structures sociales. Cette pluralité est encore plus
nette lorsque l'on envisage exclusivement les voies d'accès au socialisme.
B. -
Les voies d'accès au socialisme.
Les voies d'accès au socialisme ont soulevé de très
34
vives polémiques, de vigoureuses et passionnantes controverses. Deux conceptions se sont toujours heurtées: pour
la première, la transition fait suite à une rupture révolutionnaire et violente alors que la seconde estime que les
voies d'accès au socialisme sont multiformes et ne peuvent être prédéterminées; en conséquence, le passage pacifique est une éventualité que l'on ne saurait nullement
exclure.
Ces deux conceptions continuent de s'affronter particulièrement dans les formations politiques et syndicales
d'avant-garde. Le débat de fond qu'elles postulent est de
savoir si la révolution est possible de façon non violente
(26). Pour notre part, nous estimons que la transition
dépend à la fois de facteurs internes et externes qui déterminent la nature et l'ampleur des contradictions socioéconomiques. Celles-ci, bien qu'importantes, ne sont pas
déterminantes en dernière instance quant aux formes que
prendra l'accès au socialisme qui dépend aussi du niveau
de conscience des forces sociales exploitées, de leur état
d'organisation, des rapports de force, et des perspectives
démocratiques ouvertes. Par ailleurs, il faut s'entendre
définitivement sur le fait que la révolution ne se définit
pas simplement par des manifestations violentes, mais
qu'elle signifie l'utilisation de tout moyen susceptible
d'apporter un changement radical dans les rapports de
production et dans la superstructure.
Dans ce sens, Roger Garaudy rappelle que « les deux
possibilités, violente et pacifique, sont toujours ouvertes
et leur actualisation dépend de la conjoncture» (27). En
clair, la question ne peut se résoudre dans l'absolu et les
expériences concrètes montrent des processus d'accès
multiformes dont aucun n'est pur (28). C'est dire qu'il
n'existe aucune mécanique. Les voies de passages dépendent à la fois des traditions de lutte, de l'état des classes
sociales, de leur degré d'organisation et des rapports des
forces sociales à l'échelle nationale et internationale.
De plus, cette idée de pluralité des voies de passage
introduit par un autre biais la pluralité des modèles, car
les structures que des forces radicales conséquemment
préparées mettent en place peuvent être qualitativement
différentes de celles qu'installent d'autres forces négociant prudemment le passage vers le socialisme.
35
En définitive, on peut retenir de l'examen de la théorie du socialisme scientifique que celui-ci se définit par
des critères précis qui se réduisent aux objectifs de la
nop.velle société. Les critères sont, d'abord l'avènement
d'un pouvoir prolétarien capable de diriger la vie économique, politique et sociale et d'améliorer de façon soutenue les conditions matérielles (29) d'existence des masses laborieuses et ensuite l'extension de la propriété sociale qui apporte une mutation radicale dans les rapports
sociaux de production de manière à garantir une réelle
participation des producteurs à la direction et à la gestion des unités de production. Ces principes sont altérés
par les structures économiques et sociales de la transition de sorte qu'à l'arrivée, la formation socialiste révèlera des particularités qui la différencieront du schéma
icléal.
A la lumière de ces analyses, les éléments de base
d'une théorie de la transition, entendue comme une phase préparatoire au socialisme et organiquement complexe
et structurée, se précisent mieux et permettent d'indiquer
les tâches à entreprendre.
Dans ce cas, la formation sociale se caractérisera par
un ensemble de composantes structurales dont une sera
dominante. Chaque composante sera un mode de production que les stratégies mises en place devraient bousculer
ou renforcer.
Ainsi, dans la transition doit être réglé le problème
de l'Etat qui est un appareil et non l'expression d'intérêts
abstraits de la société. Par son contenu social et son organisation, il doit être en mesure de diriger et de conduire les changements fondamentaux. Il est en permanence menacé par le phénomène bureaucratique qui peut
le transformer en une gigantesque machine hautement
répressive et inefficiente. C'est dans ce sens que Lénine
recommandait d'utiliser ({ les organisations ouvrières
pour défendre les ouvriers contre leur propre Etat» (30).
Sur le plan économique également, les tâches de la
transition vont s'avérer complexes. Le problème central
est de savoir comment arriver au renforcement du secteur socialiste pùur qu'il soit suffisamment large et effiCqce pour introduire les changements dans les rapports
de production et améliorer les conditions de travail et de
36
production. En fait, la socialisation des instruments de
production est un moyen au service d'une élevation continue du niveau des forces productives et de la productivité du travail sans laquelle la transition ne produit autre chose qu'une socialisation de la misère et de la pauvreté. Il faudrait alors que le nouvel appareil d'Etat soit
capable d'assumer des fonctions de gestionnaire. A l'évidence, l'exercice de fonctions économiques exorbitantes,
sans une préparation technique et humaine, risque d'installer l'inefficacité et le gaspillage des ressources.
Tout compte fait, une juste solution de ces problèmes de la transition nécessite une correcte appréciation
de la structure centrale de la formation sociale et des
rapports sociaux impliqués. C'est à partir de leur connaissance qu'il est possible d'établir une périodisation du
processus de transition qui selon P. Jacquemot « désigne
les changements effectivement opérés dans l'état des rapports sociaux fondamentaux et principalement quant au
rôle des producteurs immédiats dans l'articulation des
procès de production et de répartition du produit social»
(31). En somme, cette périodisation permettra de saisir les
divers facteurs perturbateurs et les obstacles qui retardent les progrès du socialisme et d'envisager les moyens
à mettre en œuvre pour les lever.
A ce niveau de la réflexion théorique, on peut tirer
quelques enseignements utiles pour les développements
ultérieurs et pour la définition de lignes directrices d'une
praxis sociale pour l'édification du socialisme.
Le premier enseignement, de loin le plus important
théoriquement et politiquement, est qu'il n'existe pas un
modèle socialiste achevé, universel et homologué que les
forces politiques progressistes appliquent dès l'instant où
elles prennent le contrôle de l'appareil politico-administratif. Les théories de la transition établissent qu'il faut
une période qui peut être longue durant laquelle les forces du progrès social négocient par des méthodes réformistes et prudentes les mutations qui rendront la prise
du pouvoir effective par les travailleurs et en même temps
leur contrôle sur les principaux instruments de producfion. Si le socialisme, en définitive, commence par le contrôle des instruments de travail, il devrait s'achever quand
les producteurs maîtriseront leur vie et auront l'initiative
37
historique. 11 est clair que le simple contrôle du pouvoir
politique ainsi que des moyens de production n'est pas
suffisant pour liquider l'analphabétisme de larges couches
sociales, les perversions bureaucratiques et le retard économique. La théorie enseigne que la transition est cette
période de grands compromis à l'échelle de toutes les
sphères déterminantes de la vie.
Le second enseignement découlant de l'analyse est
que la transition par l'instabilité des structures, l'ambiguïté des orientations et les compromis politiques nécessaires, impose une large ouverture démocratique qui doit
se traduire par l'octroi à toute personne du droit de s'interroger, de critiquer et de proposer une autre vision du
monde. Dans ce contexte, il faut alors élaborer de nouveaux instruments politiques qui permettent de penser
les problèmes et de persuader les grandes masses. Bien
entendu, selon le mot de Medhi Ben Barka, cet instrument politique ne peut être ni la police, ni la gendarmerie qui n'ont jamais été des moyens efficaces de persuasion. Il importe d'élaborer des stratégies économiques et
des valeurs idéologiques mobilisatrices c'est-àdire qui expriment les aspirations profondes des peuples à vaincre
la misère et la famine. Il est certain que ni les syncrétismes idéologiques totalement étrangers aux traditions populaires, ni les valeurs élaborées par les bureaucrates ou
les technocrates de l'élite du pouvoir ne pourront constituer le levain.
Le troisième enseignement est que pendant tout l'intermède de la transition, l'Etat n'aura pas un caractère
centralisé et autoritaire dictant d'en haut et du dehors ce
que doivent faire les masses laborieuses au plan politique
et économique. Tout bonapartisme et tout paternalisme
étatique déboucheraient irrémédiablement sur les pesanteurs bureaucratiques incapables de conduire les mutations structurelles préparatoires au socialisme. L'Etat
doit traduire les compromis et alliances sociales et rendre possible les formes autogestionnaires et la démocratie directe qui associent de larges couches au processus
de prise de décision.
Pour toutes ces raisons, la phase de transition est
extrêmement complexe et difficile à gérer. Les décideurs,
tout en mettant en place les conditions objectives pour
38
l'avènement du socialisme, doivent éviter de se condamner au dogmatisme, au conservatisme et à la fixité.
Ils doivent alors regarder avec une extrême lucidité
les choses telles qu'elles sont avec des yeux bien ouverts
sur la réalité vivante.
NOTES
(l) Ota Sik : En finir acvec les séquelles du dogmatisme en
économie politique. Planification-débats et problèmes du socialisme. Recherches Internationales, n. 47, Mai-Juin 1965.
(2) Ch. Bettelheim : La transition vers l'économie socialiste.
Edit. F. Maspéro Paris 1968. pp. 19-20.
(3) L. Althusser et Balibar : Lire le capital, tome 2. Petite
collection F. Maspéro, Paris, 1973. p. 178.
(4) Cette idée est exprimée par Marx dans sa lettre à Kugelman en date du 17 avril 1871. Marx y observait que « créer l'histoire serait certainement chose facile, si l'on pouvait le faire en
n'entreprenant la lutte que lorsqu'on a pour soi, infailliblement
toutes les chances ».
(5) Evidemment, Ch. Bettelheim note que l'économie de la
période de transition est celle du lendemain d'une coupure, donc
elle n'est pas celle des origines, mais celles du commencement
d'un nouveau mode de production» (p. 20). Cela est absolument
vrai car il ne s'agit pas de renverser une situation pour réinstaurer une autre qui lui est identique. Mais les motifs du
renversement sont à chercher dans l'ancien ordre social.
(6) N.E.P. : Nouvelle Politique Economique (<< New Economie
Policy»).
(7) E. Althusser et E. Balibar : op. cit p. 225.
(8) P. Jacquemot : op. cit.
(9) Ludolfo Paramio : Sur la nature de l'Etat soviétique.
Temps modernes, Août-Sept. 1975.
(l0) Marx rappelle dans «l'idéologie allemande» (Edit. Sociales, 1965) «qu'à l'encontre de la philosophie aLlemande qui
descend du ciel sur la terre, c'est de la terre au ciel que l'on
monte ici, on part des hommes dans leur activité réelle, et c'est
à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi
le développement des reflets et des échos idéologiques du processus vital.»
(1) Ferry Anderson: Sur le marxisme occidental, Petite Collect. F. Maspéro, p. 13; Lénine (Œuvres complètes, t. IV) affirme
plus nettement encore que nous ne tenons nullement la doctrine
de Marx pour quelque chose d'achevé... nous sommes persuadés
39
qu'elle a seulement posé les pierres angulalires de la science
que les socialistes doivent faire progresser dans toutes les directions.
(12) H. Denis: Histoire de la pensée économique. Collection
« Thémis", pp. 79-120.
(13) F. Engels : Socialisme utopique et socialisme scientifique in K. Marx et F. Engels, Œuvres choisies, édit. du Progrès,
page 126.
(134) G. Cogniot : Le socialisme utopique de Saint-Simon et
Fourier, le Socialisme petit-bourgeois de Proudhon, les Cahiers du
C.E.R.M., n. 3, 1963.
(15) F. Engels: op. cit. p. 143.
(16) F. Engels : op. cit.
(17) Pierre Jalee : Le projet socialiste: approche marxiste.
Petite Collection F. Maspéro, Paris 1976.
(18) F. Engels : op. cit. p. 161.
(19) Qui de ce fait pourra faire lui-même sa propre histoire
en pleine conscience. En somme ce sera le fond du régime de la
nécessité à celui de la liberté.
(20) F. Engels : op. cit. p. 156.
(21) F. Engels : op. cit. p. 159.
(22) De ce point de vue, le Pr Henri Bartoli souligne les effets
aliénants de l'argent. Il observe que « la monnaie devenue pouvoir et fin... corrompt les rapports de travail, la vie politique, la
justice, la presse, le sport, la vie privée, l'art, la charité même.
Le temps où les choses mêmes, qui jusqu'alors étaient communiquées, jamais échangées; données, jamais vendues, requises,
jamais achetées - vertu, amour, opinion, science, conscience,
etc... Tout enfin passe dans le commerce atteint de capitalisme
de ce temps tout autant que le capitalisme du siècle passé ».
H. Bartoli : Hypothèses marxistes (travail et condition humaine, Edit. Fayard, Paris 1963, p. 72).
(23) Roger Garaudy : Pour un modèle français du socialisme.
Collection Idées Actuelles, Gallimard, Paris, 1970.
(24) On peut dire que toute imitation mécanique ou tentative
de construire un modèle socialiste sur ces bases dans les formations sous-développées mépriserait carrément les réalités objectives. En conséquence, le décalage entre la théorie et le réel ouvre
une voie sûre à l'échec. Lénine administre de ce point de vue une
magistrale leçon de recherche non dogmatique d'une transition
vers le socialisme, assise sur le niveau effectif de développement
des forces productives. Tous les problèmes théoriques ouverts à
la discussion des intellectuels du parti ont été brutalement résolus par la force par Staline qui a physiquement liquidé tous les
protagonistes. Le combat cessa, faute de combattants avec l'exé·
cution de tous les intellectuels impliqués au début.
(25) Guy Aimard : Typologie politico-économique du socialisme, in Revue Algérienne des Sciences Juridiques, vol. VII, n. l,
Mars 1970.
(26) Ce problème des conditions de la révolution a soulevé de
vives polémiques dans les mouvements de libération nationale.
F. Fanon figure en bonne place (Les damnés de la terre, Edit.
François Maspéro) dans les défenseurs de la lutte violente à côté
40
de Che Guevara (La Guerre de guérilla, Edition François Maspéro).
(27) Roger Garaudy : op. cil. p. 305.
(28) F. Engels : Sur la question est très pragmatique. Il écrit:
«pour moi en tant que révolutionnaire, tout moyen conduisant
au but est valable, le plus violent comme celui qui semble ie
plus pacifique ». De même, Marx observe que «nous agirons contre les gouvernements bourgeois pacifiquement là où cela est
possible, par les armes quand cela est nécessaire ». Lénine ne
dit pas autre chose dans sa polémique avec les gauchistes qui
ignorent l'opportunité du compromis.
(29) Denis Clerc dans un article « marxisme et nouveaux problèmes» (Economie et humanisme, Mai-Juin 1977) souligne cet
aspect productiviste du marxisme car dans la doctrine, la mission du prolétariat est de se servir de sa suprématie politique
pour accroître au plus vite la masse des forces productives. L'auteur, à tort me semble·t-il, condamne cette problématique productiviste sans laquelle toute amélioration des conditions d'existence serait illusoire. Personne ne peut raisonnablement soutenir
un socialisme de la pauvreté ou une socialisation de la misère.
(30) N. Boukharine: Etait parfaitement conscient de la gravité du phénomène bureaucratique ce qui l'amenait à observer
que « dans les pores de notre gigantesque appareil sont nichés
des éléments de dégénérescence bureaucratique absolument indifférents aux intérêts des masses, à leur vie, à leurs intérêts
matériels et culturels ».
(31) Pierre Jacquemot : op. cil. p. 598.
4'1
CHAPITRE 2
TRANSITION VERS LE SOCIALISME ET VOIE
NON CAPITALISTE DE DEVELOPPEMENT
Des développements précédents, il ressort que la connexion des formations sous-développées au processus
productif mondial conduit au niveau de celles-ci, d'une
part à la destruction de l'économie domestique qui va
désormais se plier aux conditions de production des pays
capitalistes avancés et d'autre part au développement des
secteurs tournés vers l'extérieur.
De même, les mécanismes mis en place produisent
un ensemble d'effets qui bloquent toute élevation des forces productives; ce sont:
- un transfert de surplus dont l'aspect le plus
visible se traduit par la détérioration permanente
des termes de l'échange;
- une extension des économies productrices de
matières premières et de denrées agricoles avec
des méthodes artisanales de production;
- une faible productivité du travail et un faible
développement technique;
-une accumulation intérieure insuffisante qui ne
permet pas un développement des investissements
intérieurs.
De tels faits et mécanismes, à l'évidence, entretiennent un processus cumulatif de sous-développement
c'est-à-dire une reproduction de la stagnation et même de
la régression.
En conséquence, la voie capitaliste à la périphérie
n'offre pas d'autres issues qu'un renforcement de la désarticulation, de l'extraversion et des disparités régionales
au sein même des pays sous-développés. A cela s'ajoute
sur le plaIn social, un renforcement des inégalités créatrices d'injustices qui peuvent entretenir un climat d'instabilité et d'insécurité défavorable au développement économique et social.
Dans ces conditions, le socialisme se pose comme
42
une alternative à la reproduction du sous-développement
et doit apporter des réponses claires aux problèmes économiques et sociaux inédits. Cela lui confère toute sa singularité. La transition doit alors résoudre dans un même
processus l'élevation des forces productives et la mise en
place des bases du socialisme.
C'est cette singularité qui lui vaut la dénomination
de voie non capitaliste de développement qui a été à la
fois développée et défendue par le mouvement communiste international et certains dirigeants du Tiers-Monde.
n importe en conséquence d'abord d'expliciter cette notion de voie non capitaliste de développement et qui est
une phase de résorption des contradictions spécifiques
aux formations sous-développées et ensuite d'analyser
l'Etat de démocratie nationale proposée comme structure
étatique et organique de gestion de la voie non capitaliste.
Section 1. - Une transition vers la résorption des contradictions spécifiques aux formations sous-développées : La voie non capitaliste de développement.
La voie non capitaliste revêt en apparence une double ambiguïté quant à son objet et à la société dont elle
ouvre l'accès. Par cette expression, on veut alors désigner
toute formation sociale où toutes les actions tendent à
empêcher que le capitalisme ne prenne racine en contrôlant le procèès de production et de travail. Plus positivement, ces actions doivent contribuer à préparer et rendre possible l'avènement et la consolidation des structures socio-économiques caractéristiques d'une société socialiste. En conséquence, comme l'observe A. Bouzidi, « la
voie non capitaliste rend compte d'une période où les sociétés complexes, dans leur développement historique caractérisé par des conditions particulières, préparent les
bases de la révolution socialiste» (1). Ces sociétés complexes représentent en fait les formations sous-développées et les conditions particulières traduisent les multiples contradictions propres à l'état de sous-développement et d'arriération des forces productives matérielles
et humaines.
Les formations sous-développées sont en réalité des
sociétés complexes par la coexistence de plusieurs modes
43
de production sans qu'aucun ne soit suffisamment apte
à déployer tout son dynamisme. On a donc des composantes structurales incapables d'autonomie, ce qui se traduit par des singularités tout aussi bien au niveau économique, social que politique. Globalement, trois traits
matérialisent ces singularités (2) :
- ce sont des pays qui sortent à peine de la domination coloniale qui a totalement perturbé leur
processus d'évolution naturelle;
- l'unité nationale n'est pas effective;
- l'économie repose sur une monoproduction
agricole destinée au marché mondial, ce qui conduit à une double dépendance vis-à-vis de l'extérieur tant au niveau des exportations qu'à celui
des importations.
Toutes ces contraintes empêchent un auto-développement et constituent des facteurs de blocage de la formation sous-développée. Si on analyse ces contraintes séparément, on se rend compte qu'elles sont les conséquences
des formes d'implantation du capitalisme. En conséquence, elles ne peuvent être levées que dans des formes de
développement économique et social non capitaliste. Le
pays qui s'engage dans cette direction se donne les
moyens et les tructures d'une défense de son indépendance politique et économique, contre toute forme de domination. Il s'agit d'amorcer alors une lutte anti-capitaliste conséquente qui se matérialise dans l'instauration
progressive de rapports sociaux socialisants. Toute la difficulté résidera alors dans l'organisation de la coexistence de tendances contradictoires pour contrôler leur développement, consolider politiquement les forces sociales
progressistes et accroître le rôle des masses travailleuses
et de la classe ouvrière (3).
Il y a donc là la recherche et la structuration d'un
compromis car la rupture avec la division internationale
du travail du système capitaliste - qui est en fait la solution radicale de la contradiction entre le Centre capitaliste et la Périphérie sous-développée - est hautement
préjudiciable au développement économique et social et
surtout à l'élevation des forces productives. En effet, une
rupture brutale risque de mettre le pays à l'écart de la
technologie universelle, variable stratégique de la crois-
sance économique, et d'accentuer le retard du système
productif extraverti. En conséquence, la voie non capitaliste est un processus d'organisation de l'économie d'une
part dans le sens d'une plus grande introversion qui autoriserait un développement autocentré et nécessairement
original par rapport aux pays capitalistes développés, et
d'autre part dans le sens d'une maîtrise plus importante
des secteurs-clefs et décisifs de l'économie nationale. Le
résultat sera alors l'amorce d'un développement des forces productives qui élargira les bases matérielles de la
classe ouvrière.
La voie non capitaliste est également un compromis
sur le plan politique. Il s'agit de chercher à entraîner
toutes les couches sociales dans la lutte contre le capitalisme en leur faisant les concessions nécessaires. Il en
est ainsi parce que le prolétariat est trop faible pour se
battre sur tous les terrains et assumer correctement la
direction du pouvoir politique. Il faut donc un système
complexe d'alliances d'une part avec la paysannerie qui
souhaite une correcte solution de la question agraire, et
d'autre part avec l'intelligensia, porte-parole idéologique
du mouvement de libération nationale ainsi qu'avec la
bourgeoisie nationale qui peut avoir des intérêts à court
terme dans la lutte contre le capitalisme mondial qui
l'opprime et la rejette sur des créneaux où elle végète et
se marginalise.
La voie non capitaliste est alors une étape progressive qui peut permettre la résorption des contradictions
des formations sous-développées et partant, pourra combler le retard économique et faciliter le passage de la
petite production à la production moderne.
La gestion d'une situation aussi complexe est dévolue
à l'Etat de démocratie nationale, notion introduite par la
déclaration des Partis Communistes et Ouvriers de 1960,
notamment en son point 4.
Cette notion très controversée au départ n'est pas
une nouveauté car elle a constitué une étape importante
de l'édification du socialisme en Chine. En effet, ce pays
a donné au monde le slogan des « cent fleurs» inaugurant
ainsi l'ère de la démocratie nationale dans laquelle « les
cent fleurs fleurissent et les cent écoles rivalisent ». Bien
sûr, la querelle idéologique entre la Chine et le reste du
45
mouvement communiste a obscurci notablement le con·
cept (4). Que recouvre-t-il exactement aujourd'hui? Quelle est sa portée pratique?
Section JJ. - L'état de démocratie nationale et la voie
non capitaliste.
Le Pro Jean Chesneaux observe que la thèse sur la
démocratie nationale est par essence « incompatible avec
tout dogmatisme et schématisme, ce qui lui confère une
très grande richesse. Par ailleurs, elle s'oppose radicalement à une philosophie politique « du tout ou rien» qui
caractérisait l'époque du culte de la personnalité» (5).
Une telle thèse durant la période stalinienne aurait été
très énergiquement combattue par le Parti qui avait la
prétention de s'installer dans la vérité absolue au grand
mépris de la réalité objective.
La notion de démocratie nationale n'est nullement
une notion nouvelle. Elle fut élaborée et appliquée dans
trois situations historiques : la révolution mongole (6),
la constitution de la base révolutionnaire de Canton (7)
et le programme économique et politique du Viet-Min en
1941. Si elle ne s'est pas imposée, c'est précisément à
cause du dogmatisme dominant dans le mouvement communiste de l'ère stalinienne. Il faut s'interroger pour savoir pourquoi la thèse a été redécouverte et réactualisée
à l'heure actuelle particulièrement par les théoriciens et
praticiens marxistes. Sans doute, les impasses du dogmatisme et les interrogations qu'elles soulèvent ont créé
dans la pensée marxiste des conditions favorables pour
des recherches et réflexions neuves sur l'histoire mouvante des peuples. Deux autres éléments supplémentaires
ont aussi favorisé ces réflexions et recherches.
Le premier élément concerne le Mouvement de libération nationale et son poids économique et politique
dans la géopolitique mondiale. L'avènement des nouveaux
Etats indépendants a certes affaibli le système colonial,
mais il soulève surtout la problématique de la stratégie
que ces pays doivent adopter pour résoudre les diverses
contradictions auxquelles ils sont confrontés.
Les faibles bases économiques et l'immaturité des
classes sociales ne peuvent permettre l'amorce d'une tran-
46
sition vers le socialisme. Le manichéisme des conceptions
staliniennes ne leur ménageait aucune issue objective
qui, sans être socialiste, serait par nature anti-capitaliste.
De plus, ces conceptions soutenaient que le mouvement
de libération nationale devait être subordonné à la stratégie politique des Partis de la classe ouvrière de l'ancienne métropole (8). En clair, le socialisme à la périphérie
était conditionné à sa réalisation au Centre.
Ceci est perçu très tôt par certains courants politiques comme un blocage de toute révolution originale,
donc conforme au puissant dogme stalinien dominant.
Il fallait par conséquent corriger de telles conceptions
et dans cette optique, la thèse de la démocratie nationale
se présentait comme une alternative au développement
du capitalisme périphérique.
Le second élément, qui a du reste des liens avec le
premier, est d'ordre théorique. La décolonisation est un
fait nouveau qui, selon R. Garaudy, signifie effectivement
que {{ l'Occident n'est plus le seul centre d'initiative historique, le seul créateur de valeurs, de civilisation et de
culture» (9). Il fallait donc s'ouvrir aux problèmes que
ces pays posent et surtout les réévaluer à ·la lumière du
marxisme dépouillé de son européocentrisme. Comme
l'observe Garaudy, un algérien de culture musulmane
peut accéder au socialisme scientifique à partir d'autres
voies que Hegel, Ricardo ou Saint-Simon : il a eu son
socialisme utopique avec le mouvement des Carmathes,
sa tradition rationaliste et dialectique avec Averroes, son
précurseur du matérialisme historique avec Ibn Khaldoun; c'est sur ces traditions qu'il peut greffer le socialisme scientifique» (10). C'est donc un retour à Marx, aux
sources du matérialisme historique pour y découvrir les
instruments opératoires d'investigations sur les nouvelles formations sociales. les problèmes qu'elles posent et
les solutions possibles. L'étape de la démocratie nationale
peut répondre à de telles préoccupations théoriques à
cause de son contenu assez large et de sa formation souple. Il importe, pour mieux cerner la thèse, de préciser
son contenu et les réalités objectives qu'elle recouvre.
L'Etat de démocratie nationale peut être qualifié
comme une séquence historique lors de laquelle un ensemble de forces politiques s'entendent autour d'un pro{<
47
gramme d'orientation non capitaliste dont l'essence est
d'améliorer le niveau des forces productives et de bâtir
une société progressivement débarrassée de toute exploitation et visant l'avènement d'une indépendance économique vis-à-vis de la division internationale du travail. Il
s'agit donc d'un rejet dans cette étape du capitalisme
comme système, ce qui se traduit par la prise d'un ensemble de mesures qui facilitent l'avènement, puis le perfectionnement des rapports de production socialistes. Ces
mesures doivent comprendre entre autres:
- la liquidation de toutes les structures administratives et économiques qui maintenaient et renforçaient l'ordre ancien et la dépendance;
- la création d'une superstructure étatique et
juridique nouvelle et conforme aux profondes aspirations au changement;
- la création progressive d'un secteur public
avec une participation des producteurs directs à
sa gestion;
- le développement et le renforcement de la coopération au niveau de l'agriculture;
- la réglementation rigoureuse du secteur privé,
de ses modalités de fonctionnement et de son domaine d'intervention.
Ainsi compris, l'Etat de démocratie nationale se caractérise par trois traits essentiels qu'il importe d'analyser plus en détail.
En premier lieu, la démocratie nationale peut contribuer à la consolidation des nations et assurer une indépendance politique et économique effective dans des
pays qui viennent d'achever leur processus de libération
nationale. En effet, come l'affirme J. Chesneaux, le passage à la démocratie nationale peut être à la base d'un
sursaut national, d'une volonté collective d'indépendance et de changement. La colonisation est intervenue dans
des formations précapitalistes retardataires et a contribué à aviver les particularismes tribaux, ethniques et religieux. Or, ces particularismes font obstacle à la formation d'une authentique conscience nationale c'est-à-dire
une volonté d'organisation d'une vie commune.
La démocratie nationale, dès lors qu'elle libère les
forces en brisant les cadres étroits de la petite produc-
48
tion et ensuite en élargissant le marché national, moyen
d'une communauté de vie économique, permet la réalisation d'une unité nationale solide assise sur des éléments
objectifs et durables. De même, elle devrait rendre possible un approfondissement de l'indépendance économique
et politique.
L'indépendance politique ne peut avoir de sens que
si elle s'accompagne d'une indépendance économique.
Le capitalisme périphérique a fait la preuve de
son incapacité à élever de façon durable les forces productives matérielles et humaines et à corriger les diverses distorsions sociales issues du processus productif extraverti. Il revient, en conséquence, à la démocratie nationale de trouver des solutions adéquates qui libèrent
systématiquement les forces pour l'instauration des conditions d'un progrès économique et technique soutenu.
Elle ne peut réaliser ces tâches qu'à partir d'un contrôle des maillons décisifs du processus de production.
Cela implique une large participation des masses et ensuite la réalisation d'une démocratie effective. Les contradictions complexes et multiformes soulevées par la
situation de sous-développement ne peuvent trouver de
solutions sur le plan simplement technique.
En effet, les plans les plus ingénieux ne seront jamais
exécutés sans une large participation des masses à qui
les changements sont destinés. Cette participation, cependant, ne sera effective que si l'Etat leur assure les formes
démocratiques d'existence et par ailleurs les intéresse en
les associant à tous les secteurs et structures où se décide
le sort de la nation, en liquidant les divers privilèges, et
en prenant des mesures juridiques qui, à moyen ou long
terme, devront améliorer leur situation sociale.
Le second trait caractéristique de la démocratie nationale réside dans la base sociale hétérogène de l'Etat.
Sobolev insiste nettement sur cette base sociale mobile
de l'Etat de démocratie nationale en notant que le caractère spécifique et transitif de l'Etat de démocratie nationale sera dû au fait qu'il ne sera pas l'Etat d'une classe,
ni même de deux classes, les ouvriers et les paysans; ce
ne sera pas non plus la dictature d'une ou de deux classes.
Ce sera un Etat incarnant les intérêts de toute la partie
patriote de la nation. En d'autres termes, l'Etat est géré
,49
par un bloc de classes unies par leur patriotisme et représentées par des formations politiques dont les orientations peuvent être différentes. Cela soulève le problème
des organisations ouvrières et de la bourgeoisie nationale
dans l'alliance.
Ces questions ont fait l'objet de très vives discussions. Pour un premier courant, la classe ouvrière et ses
organisations, bien que numériquement faibles, doivent
occuper un rôle dirigeant justifié par le fait que dans
un processus de développement, la classe ouvrière progresse sur une base plus large que les autres couches
sociales et d'autre part qu'elle est la classe la plus concernée par la construction du socialisme. Elle se présente
également comme la classe la plus conséquente dans la
lutte contre toutes les formes capitalistes de domination
et d'exploitation. En conséquence, dans la lutte anti-capitaliste, on ne peut se passer d'une classe aussi déterminante pour la réalisation de l'objectif final. Quant à la
bourgeoisie nationale, la question est plus complexe et
plus controversée.
La complexité provient, comme l'observe Walter
Markov, du caractère objectivement contradictoire de cette classe (l1). Elle est, dans l'alliance, hésitante et inconséquente : elle désire maintenir le mouvement dans les
voies qui favorisent son objectif de classe à savoir indépendance politique, création d'un Etat bourgeois, deux
moyens qui mettront toute l'économie sous sa domination. Bien que cela soit vrai, il faut cependant observer
que la bourgeoisie n'est pas toujours une classe à isoler;
elle est à la fois une réalité économique et sociale dont
il faut évaluer les intérêts précis qui peuvent l'entraîner
à rejoindre la démocratie nationale pour s'opposer aux
monopoles internationaux ou métropolitains qui entravent son expansion économique et restreignent le volume
de ses profits. C'est le cas de toutes les bourgeoisies nationales liées au marché intérieur et ayant de faibles
liens avec le capitalisme mondial.
Donc, cette base sociale hétérogène de l'Etat fait que
la démocratie nationale peut déboucher sur une transition irréversible vers le socialisme périphérique et cela
explique d'ailleurs le troisième trait.
Le troisième point qui mérite de retenir l'attention
50
est une catégorie fixe et statique. C'est une mouvance
sociale complexe. J. Chesneaux précise qu'elle se caractérise essentiellement par son extrême mobilité et sa dynamique. Il en va ainsi car elle est un compromis que
Lénine décrit comme « l'abandon de certaines revendications, d'une partie de ces revendications en vertu d'un
accord avec un autre parti» (12). Mais tout compromis
traduit un certain équilibre des forces en présence; en
conséquence, tout déséquilibrage dans les rapports entraînerait la rupture. Dans le fond, tout système social
produit contradictoirement à la fois les forces qui ont
pour vocation de le détruire et celles qui ont pour objet
de le servir. Il s'agit de les conjuguer et de faire en sorte
qu'elles se neutralisent positivement.
Il apparaît à ces considérations que le processus de
consolidation et d'approfondissement de la démocratie
nationale est à la fois instable et mouvant comme dans
toute dynamique sociale de changement. Au fur et à
mesure que les anciennes contradictions sont résolues, le
système social en secrète de nouvelles de nature parfois
totalement différente. Ces nouvelles contradictions traduisent les luttes internes au sein du bloc qui dirige
l'Etat. Elles peuvent être aiguës au point de déboucher
sur des conflits aboutissant à un blocage systématique
des différentes institutions publiques. Ce n'est pas grave
tant que le mouvement est accepté.
Dans une telle situation, les masses seules détiennent
la clef de la solution. De toute évidence, elles arbitreront
en faveur des forces politiques qui défendent leurs intérêts matériels et moraux. Ces aspirations sont en principes exprimées et correctement défendues par les forces
socialistes qui tireront toute leur puissance de leur liaison étroite avec les couches laborieuses. C'est cela qui explique qu'elles ne doivent pas, au risque de disparaître,
s'éloigner des masses. Toute inconséquence ou tout avantgardisme excessif les rendront extrêmement vulnérables
de même que toute avancée par rapport aux masses les
mettra à la portée des forces conservatrices. Leur défaite
compromettra alors le processus de démocratie nationale.
De fait, la voie non capitaliste par la démocratie nationale, peut bien se présenter comme une alternative au
51
capitalisme périphérique. La lettre de Marx à Mikhailovski le l~issait par ailleurs entrevoir assez clairement.
Dans des pays sortant d'une situation coloniale et
fortement insérés dans la division internationale du travail capitaliste, la démocratie nationale peut permettre
l'économie de la phase capitaliste et éviter tous les aléas
sociaux qui s'y rapportent.
Cette phase doit aider au parachèvement de la révolution socialiste par un développement soutenu des forces
productives car le socialisme n'est possible qu'à partir
d'un niveau élevé des forces productives tant matérielles
qu'humaines. En conséquence, la voie non capitaliste
n'est nullement une troisième voie entre le capitalisme et
le socialisme. Elle veut rendre compte d'une réalité superstructurelle complexe où la force politique dirigeante
n'est pas à composante essentiellement prolétarienne.
Cette force essaie d'entraîner la totalité de la société dans
une lutte anti-capitaliste conséquente en vue de l'amorce sur des bases solides d'un processus de transition vers
le socialisme.
Ce processus appelle l'élaboration d'une stratégie de
mutations et de bouleversements profonds sur le plan
économique, politique et social. Une fois l'objectif de
construction d'une société socialiste clairement posé, il
reste à déterminer les moyens à mettre en œuvre pour
y accéder.
NOTES
(1) A. Bouzidi : op. cit. p. 332.
(2) Voir sur ce point le discours de Idrissa Diarra au VIe
Congrés de l'Union Soudanaise R.D.A. tenu à Bamako les 10, 11
et 12 Septembre 1962, qui introduisait les orientations fondamen·
tales de ce Parti. « Le socialisme est, dit-il, un choix délibéré
partant d'une considération des rapports de force au sein de la
société malienne au lendemain de l'accession à l'indépendance"..
Recherches Internationales, n. 39-40, 1963.
(3) Oulianov : La conception léniniste du développement non
52
capitaliste. Revue des Sciences Sociales, Académie des Sciences
de l'U.R.S.S..
(34) Voir à ce propos:
- Mao-Tse-Toung : A propos de la démocratie nationale. Edit.
en langues étrangères, Pékin.
- J. Chesneaux : Qu'est-ce que la démocratie Nationale?
Revue La Pensée.
- Ponomarev : Sur l'Etat de démocratie nationale.
(5) Chesneaux: op. cit. pages 11-12.
(6) Il s'agit de la révolution de 1921, où le Parti Révolutionnaire Populaire de Mongolie s'était engagé dans une lutte pour
l'indépendance nationale. Cette lutte devait s'élargir et déboucher
sur des positions du socialisme.
(7) Cette base révolutionnaire était dirigée par le Kuomintang
qui était en réalité une vaste alliance de forces anti-capitalistes
sous la direction de Sun Yat Sen (la Plateforme du Congrès de
1924 de cette organisation défendait une thèse très voisine de la
démocratie nationale).
(8) Il Y a de ce point de vue l'exemple concret du Parti Communiste Français dans la Guerre d'Algérie. Cette organisation a
fini par satelliser le Parti Communiste Algérien à telle enseigne
que celui-ci s'est mis presque en marge du mouvement de libération nationale.
(9) Roger Garaudy : Marxisme du XXe siècle; Collect. 10-18.
page 43.
(10) R. Garaudy : op. cit. p. 44.
(11) Walter Markov: Mouvement national et classes sociales
dans le Tiers-Monde: Cahiers Internationaux, n. 117, Mars-Avril
1961.
(12) V.1. Lénine: Au sujet des compromis. Œuvres choisies,
vol. 2, Edit. de Moscou, p. 258.
53
DEUXIEME PARTIE
LA STRATEGIE POLITIQUE ET ECONOMIQUE
DE L'EDIFICATION SOCIALISTE
Analyser la transition sous l'angle des stratégies politiques et économiques est une tentative de concrétisation d'une problématique abstraite. Dans une telle optique, la question est de savoir d'une part la nature exacte
de l'appareil politique devant opérer la gestion de la formation sociale en transition et d'autre part la politique
économique à appliquer. Cette recherche de solution
postule une connaissance exhaustive des problèmes soulevés dans les divers secteurs de la vie et impose un rappel des éléments caractéristiques des formations capitalistes périphériques.
Ces formations insérées dans la division internationale du travail et donc dans le processus productif mondial du capitalisme peuvent être caractérisées selon Samir
Amin, par une triple distorsion en faveur des activités
exportatrices, des branches et techniques légères et des
activités tertiaires. Chaque distorsion a des implications
importantes et toutes sont préjudiciables au développement économique et social véritable.
Le premier type de distorsion concerne la prédominance dans le système productif d'activités destinées au
marché mondial. Les pays sous-développés se spécialisent
dans des productions agricoles et minières qui ne dépendent pas d'une demande interne mais des besoins du système central. Il en résulte une forte dépendance vis-àvis de l'extérieur qui va être renforcée par les firmes multinationales qui maîtrisent et manipulent selon leurs intérêts exclusifs, tous les mécanismes de fixation des prix
sur le marché mondial. La détérioration des termes de
l'échange, qui est une expropriation des revenus des producteurs directs, s'explique en partie par l'intervention
de ces multinationales. Cette forme de distorsion confère
57
aux relations économiques internationales un aspect extrêmement important dans les formations sous-développées.
La transition doit réévaluer ces relations économiques et les réorienter dans un sens plus conforme aux
options d'un développement indépendant.
La seconde distorsion porte sur les formes légères
d'industrialisation introduites à la fois par le capital colonial et les petites et moyennes entreprises de l'ancienne
métropole. Ces entreprises trouvent à la périphérie
des conditions idéales d'expansion, de rentabilité, donc
de réalisation de substantiels profits. D'un côté, elles
disposent dans ces espaces des matières premières souvent abondantes et très bon marché et de l'autre, elles
trouvent une main-d'œuvre docile, compétente et peu
coûteuse. La conjugaison de ces deux éléments induit
des coûts de production bas et par conséquent une excellente rémunération du capital. On trouve là l'une des raisons de l'implantation des Petites et Moyennes Entreprises industrielles et comerciales dans les pays périphériques.
Contrairement aux firmes multinationales, ces entreprises ont des effets induits et de rayonnement très réduits; elles n'industrialisent donc que très faiblement. A
cela s'ajoute que leur production porte sur des biens
de consommation finale, ce qui leur confère des liens restreints avec les autres secteurs de l'économie notamment
l'agriculture. En conséquence, la problématique des voies
de l'industrialisation reste totalement ouverte et la transition doit apporter des réponses claires. Quel profil et
modèle d'industrialisation? Avec quels moyens?
La dernière distorsion concerne l'hypertrophie des
activités tertiaires. Dans les pays capitalistes avancés,
cette hypertrophie procède des difficultés particulières
de réalisation de la plus-value par suite d'un développement à grande échelle de l'automation réductrice de l'utilisation de la main-d'œuvre. Dans les pays sous-développés, elle s'explique par l'insuffisance des bases industrielles et la crise de l'économie agricole. Il en résulte un chômage grandissant. Ce secteur tertiaire, par nature improductif, se compose essentiellement de la lourde bureau-
58
cratie administrative qui devient le facteur déterminant
de la crise des finances publiques. Cela pose à la transition des problèmes complexes de reconversion des appareils bureaucratiques et l'urgente nécessité d'une politique adéquate d'emploi.
Ces trois distorsions sont à la base de l'extraversion
caractéristique des formations sous-développées; elles
renforcent les mécanismes de reproduction du sous-développement. Nous retrouvons l'idée que le sous-développement n'est pas issu d'une évolution structurelle interne,
mais procède intimement de phénomènes extérieurs, notamment la colonisation qui a réalisé au profit du capital
privé externe la transition de l'économie naturelle de subsistance à une économie marchande. La valorisation du
capital ne peut s'effectuer en dehors d'une économie marchande.
Il en est résulté sur le plan économique une connexion des processus productifs nationaux à la division
du travail, ce qui fait des relations économiques internationales une instance décisive qui bloque le développement en ce qu'elle ne permet pas une libération des forces productives et une valorisation des ressources naturelles. Sur le plan social, la conséquence est, d'une part
la création d'une bourgeoisie locale qui évolue sous les
ailes du capitalisme international et qui est incapable
de se transformer en une classe dynamique de capitaines
d'industrie et d'autre part, la constitution d'une importante bureaucratie absorbant une bonne part des maigres ressources publiques financières au détriment des
investissements productifs. Incontestablement, la perspective de prolétarisation est claire dans ces cadres car
les vagues démographiques ne peuvent être absorbées
par les secteurs productifs qui se révèlent peu dynamiques et pour la plupart inefficaces. Ces conséquences diverses désignent les problèmes auxquels la transition doit
apporter des solutions claires et définitives.
Pour ce faire, les anciens rapports de production qui
fonctionnent au bénéfice du Centre doivent être détruits.
Ce qui implique la nécessité d'une rupture avec le système capitaliste mondial, responsable de la mise en place
et de la perpétuation de ces rapports de production, en
vue de l'établissement de nouveaux types de rapports.
59
Si la rupture est un préalable logique, sa réalisation
soulève d'énormes problèmes liés aux multiples rapports
que le pays noue avec le système mondial. En effet, en
rejetant l'autarcie comme dangereuse dans la mesure où
elle ne peut résoudre aucun des problèmes économiques
et sociaux soulevés par le sous-développement, la transition doit définir les liens avec l'économie capitaliste mondiale et les agents qui interviennent directement dans les
divers secteurs productifs internes.
Résoudre de telles questions est un pas vers l'établissement de nouveaux rapports de production dans la
mesure où ces questions posent à la fois la nécessaire
socialisation des instruments de travail. La problématique de la nationalisation est ainsi posée; elle soulève incidemment les formes de gestion de la propriété sociale.
La stratégie économique de la transition ne sera nullement simple du fait de la multiplicité des problèmes
qu'elle introduit. Elle exige beaucoup de prudence et d'attention car toute solution inadéquate compromettra le
processus de transformation des bases de la société.
Cette stratégie économique s'acompagne d'une stratégie politique devant préciser les fonctions imparties à
l'appareil d'Etat destiné à gérer la transition ainsi que le
rôle dévolu aux masses laborieuses. Pour déterminer
cette stratégie, il faut au préalable procéder à une évaluation exhaustive des classes sociales, de leur niveau de
conscience, de leur capacité de mobilisation pour faire
front aux difficultés socio-économiques absolument inévitables dans une période de transition.
60
CHAPITRE 1
L'ECONOMIE POLITIQUE DE LA TRANSITION
« Toute science est un moyen de connaissance, une
réponse à des questions que la vie pose» (1). La science
économique ne fait pas exception, seulement les questions
essentielles qu'elle soulève et s'efforce de résoudre dans
la transition peuvent être totalement inédites. Les catégories économiques comme le capital, la plus-value, l'accumulation, la circulation monétaire et marchande, la reproduction, si elles subsistent intrinsèquement, revêtent néanmoins des significations et des formes de fonctionnement différentes du fait de la spécificité de leur
terrain d'apparition. En d'autres termes, tant que la production marchande continuera d'exister, les catégories et
les instruments d'analyse de la science économique demeureront. Cependant, la spécificité structurelle caractéristique de la transition impose une sorte de nouvelle économie politique dont l'objet est d'appréhender le fonctionnement particulier des catégories économiques. Cette
nouvelle économie politique est d'autant plus opportune
que dans l'édification de la formation socialiste, les processus et les rapports sociaux n'ont pas été bien appréhendés et clairement expliqués par les classiques du
marxisme-léninisme. Dans ce sens, Ota Sik note que ces
classiques « ont étudié de façon très approfondie certaines catégories et certains rapports; leurs allusions sur
certains autres points se limitent à diverses formulations
importantes, sans être même un résumé complet de la
question; certaines catégories n'ont été parfois définies
que très généralement et l'on y trouve seulement diverses remarques particulières» (2).
Ces silences et insuffisances conduisent à une réflexion sur les catégories économiques impliquées dans
le processus de développement économique et social. Cette réflexion par ailleurs, devra permettre :
- l'élaboration des axes d'une nouvelle politique
capable de combler le retard économique et d'é-
61
difier une économie performante et indépendante;
- la fixation d'un processus planifié et programmé de toutes les tâches économiques à réaliser
dans le temps et dans l'espace.
Il faut alors étudier les deux catégories économiques
fondamentales qui conditionnent toute l'édification de la
société socialiste : les rapports sociaux et la planification.
La connaissance des rapports économiques doit édifier sur les conditions de la production, de la circulation
et sur les formes de gestion les plus rationnelles. Pourtant, quelques équivoques pèsent lourdement sur une catégorie économique aussi centrale. Tant qu'elles ne seront pas levées, l'examen de certains problèmes économiques sera ardu de même que leur solution sera difficile à
réaliser.
Les mêmes observations peuvent être faites sur la
planification qui doit établir des liaisons organiques entre les unités économiques dans la sphère de la production et les moyens disponibles. Cependant, elle appelle
trois interrogations :
- par qui sera-t-elle faite?
- comment s'élabore-t-elle?
- dans l'intérêt de qui sera-t-elle faite?
Ces questions vitales ne reçoivent pas toujours de réponses universelles et uniformes, ni sur le plan théorique, ni sur le plan pratique. Il est en conséquence important, comme l'observe Youri Popov (3) de trouver une
juste mesure entre les traits universels et les traits particuliers pour mettre cette planification au service des
politiques économiques. Cela s'avère d'autant plus nécessaire que le développement planifié de l'économie a
tendance à se généraliser et que les pays socialistes ne
sont pas en mesure d'offrir des exemples édifiants car
leur intervention n'est pas toujours dépourvue d'une certaine spontanéité.
Ces problèmes n'ont pas souvent été clairement perçus car les dogmes économiques qui prévalaient à l'époque de J. Staline s'y opposaient. Ces dogmes avaient fini
par perdre de vue que dans toute science, la connaissance « non seulement du spécifique, mais encore du général est une condition indispensable à une connaissance
62
toujours plus complète des spécificités concrètes qui se
manifestent dans le monde matériel » (4). Une fois encore, le marxisme ne saurait être l'expression close et finie
du devenir social. En conséquence, il faut dépasser les
dogmes fossiles et stérilisants qui empêchent de trouver
des solutions hardies et inédites.
L'explication de ces « concepts-foyers» s'avère, en
toute conséquence, difficile à donner afin de pouvoir trouver les prémisses théoriques auxquelles doit renvoyer la
praxis.
Section J. -
Les rapports sociaux de production.
Au plan général, les rapports de production sont définis comme étant les relations qui s'établissent entre les
hommes à l'occasion de la production de la vie matérielle. Plus précisément, ils indiquent la position des individus par rapport aux moyens de production. Ainsi ces rapports de production revêtent une grande importance pour
la connaissance même de la société car ils constituent la
structure économique de la société, la base concrète sur
laquelle s'élève la superstructure juridique et économique.
A partir de cette compréhension, on peut établir une
distinction dans les catégories de relations homme-homme et les relations homme-chose. Les premières définissent à la fois les fonctions et le statut de chaque individu
dans le processus de production. Quant à leurs formes,
ces relations peuvent être de domination, de subordination, de collaboration et/ou de coopération. Chaque forme dépend des types d'appropriation des instruments de
production, donc dépend des relations homme-chose;
ainsi dans une société de classes, comme le capitalisme,
le processus de production révèle deux catégories sociales : la classe ouvrière qui crée la valeur par le travail
vendu et la classe capitaliste qui accapare les résultats
parce que simplement propriétaire des moyens de production. Dès lors, la propriété privée est justement ce
pouvoir à la fois capable d'affecter les moyens de production et de disposer des résultats. Elle porte les formes
d'exploitation mais en même temps, elle est à la base de
la répartition inégalitaire du produit social.
63
On sait que dans toute production marchande, la loi
de la valeur se présente comme un régulateur spontané
de la production et des prix c'est-à-dire que la valeur de
la marchandise est déterminée par le temps de travail
socialement nécessaire à sa fabrication. C'est cette dernière grandeur qui préside à la formation des prix. En
somme, le processus de formation de la valeur n'est pas
si séparé du processus de formation des prix (5). La
marchandise opère « un saut périlleux à la recherche d'un
prix, mais elle part avec un coût social ». Dès l'instant où
le prix est unique dans la lutte concurrentielle, la firme
qui présente de meilleures conditions de travail doit en
fait obtenir des résultats meilleurs. Ainsi la valeur va se
trouver à la base de l'élevation des forces productives.
Elle est également à l'origine de l'exploitation car dans
la pensée de Marx, la loi de non-équivalence postule une
inégalité entre la valeur du travail et son produit c'est-àdire qu'il y a production d'un sur-travail non payé qui
revient au détenteur des moyens de production.
On comprend donc que la forme de la propriété est
édifiante dans le système. Elle conditionne les formes
d'exploitation, de répartition et de reproduction. On peut
penser qu'en changeant la nature profonde de la propriété, on introduit des relations nouvelles de collabora·
tion et de coopération. La venue d'une forme sociale d'appropriation liquiderait le divorce entre processus de production et processus de distribution et, en uniformisant
le statut des producteurs, permettrait une répartition du
produit social à partir de critères identiques pour tout
le monde. En plus, cette appropriation sociale autorise la
suppression de l'anarchie de la production. En effet, dans
le capitalisme, l'absence totale de toute coordination entre les diverses entreprises entraîne une concurrence ruineuse et désordonnée préjudiciable à l'expansion économique globale. Le marché est le lieu des conflits et la
sanction des erreurs d'appréciation des entrepreneurs.
Or, cela peut être évité par l'uniformisation des centres
de décision autorisée par la socialisation des instruments
de production.
Ainsi, la socialisation des moyens de production se
trouve au centre des rapports de production et soulève
beaucoup de problèmes car si l'appropriation sociale est
64
une condition nécessaire pour l'avènement du socialisme,
elle n'en constitue pas une condition suffisante. En effet,
les problèmes se posent déjà dans la qualification même
de la propriété sociale. Que recouvre exactement l'épithète «sociale ». Signifie-t-elle que la propriété des instruments de production appartient à la société? Sert-elle
à qualifier la propriété collective comme une propriété
commune de tous les hommes? (6). Ce sont là quelques
questions qu'il faut se poser pour apporter plus de clarté
à la notion essentielle de propriété sociale des instruments de production (7).
Il y a donc des zones d'ombre sur la notion qui est
à peine esquissée dans la théorie sociale et même dans les
écrits des classiques du marxisme-léninisme. Jovan Djordjevic, pour expliciter cette notion et lui donner une traduction concrète, formule sept postulats à savoir que la
propriété sociale :
- est une formule de désappropriation des
moyens de production et des rapports sociaux
tondamentaux ;
- sert à désigner une qualité nouvelle des moyens
de production qui sont restitués aux producteurs
directs;
- est la manifestation des nouveaux rapports sociaux de production établis entre les producteurs
à l'occasion du processus de production. Par ce
biais, les travailleurs vont pouvoir constituer une
communauté de travail et disposer en conséquence des produits de leur travail ;
- exprime des rapports de solidarité de travail
et de solidarité sociale, ce qui indique que chaque travailleur est gestionnaire et chaque gestionnaire est travailleur, conduisant à l'effacement de
la distinction entre fonction de direction et fonction d'exécution;
- présuppose des motivations économiques qui
peuvent prendre la forme d'un intéressement à
l'activité économique;
- modifie le droit de propriété et le transforme
en un rapport de responsabilité non seulement à
l'égard de soi-même, mais aussi de la société tout
entière;
65
- doit dépérir et se transformer en une possession commune des moyens de travail.
Comme on peut l'observer, chaque postulat introduit
un comportement des hommes vis-à-vis d'eux-mêmes et
vis-à-vis des instruments de production. Donc, la propriété sociale n'est effective que par la réalisation du contenu de chaque postulat. L'arrivée des nouveaux rapports
sociaux est au prix de la réalisation effective de chaque
postulat.
On est donc, par l'analyse de ces postulats, renvoyé
à l'idée essentielle selon laquelle l'avènement du socialisme n'est pas inscrit dans l'ordre naturel, mais qu'il est
lié à un ensemble de préalables à la fois économiques,
sociaux, culturels et idéologiques. En d'autres termes,
le socialisme ne saurait se définir exclusivement par ses
moyens à savoir la socialisation des instruments de production et de travail, mais aussi par ses fins qui sont la
réalisation de l'homme. Pour atteindre de telles fins, on
met l'accent sur la production des biens matériels donc
sur l'économie qui devient de ce fait la sphère déterminante en dernière instance. La socialisme ne saurait signifier une collectivisation de la misère; en conséquence,
il est mobilisateur car les masses le croient capable d'élever dans les meilleurs délais la base matérielle du système productif et de satisfaire les besoins sociaux essentiels.
Le socialisme ne saurait s'accomoder de pénuries
permanentes car cela signifierait une socialisation de la
pauvreté et en ce moment, il n'apporterait pas la preuve
qu'il est un système social supérieur au capitalisme. Par
ailleurs, seul un niveau élevé des forces productives permet d'améliorer les revenus des individus. Autrement dit,
la propriété sociale ne doit pas produire la pauvreté, sinon le nouveau système social ne serait pas l'alternative
à la paupérisation des masses laborieuses.
La réalisation des rapports de production nouveaux
est un processus lent et long et n'intervient qu'à une phase avancée du développement économique et social. Dans
cette direction, Edouard Kardelj s'oppose aux conceptions selon lesquelles le problème des rapports socialistes de production est résolu dès lors que les instruments
de production sont socialisés (8). Il se peut bien que la
66
socialisation en question installe une administration hypertrophiée, inefficace et technocratique incapable de résoudre les problèmes et de réaliser les espérances soulevées par le socialisme. Il se peut même que cette bureaucratie s'établisse à son propre compte et confisque les
principaux acquis des luttes populaires (9). C'est le cas
lorsqu'elle élabore selon les critères technocratiques des
plans d'édification du socialisme desquels les travailleurs
sont totalement exclus tant au niveau de l'élaboration qu'à
celui du contrôle. Ce socialisme apporté d'en haut et en
dehors des peuples échouera incontestablement.
En réduisant la socialisation à ses traits essentiels,
se posera la nécessité d'une liquidation de l'exploitation
de l'homme par l'homme et celle de la mise en place d'un
contrôle effectif des travailleurs sur leurs moyens de travail. Il faut alors un changement radical dans l'organisation du travail et dans la direction de la production
de telle sorte que progressivement, la production soit restituée aux producteurs. Ainsi pourront alors s'établir de
nouvelles organisations de la répartition et de la distribution des produits car les travailleurs associés intimement au procès de production pourront opérer progressivement un contrôle du surproduit.
Ce sont là quelques problèmes que la politique économique doit techniquement résoudre pour ouvrir l'accès
au socialisme. Bien entendu, toutes ces questions spécifiques aux formations sous-développées doivent trouver des
réponses spécifiques. Les décideurs commettront des
erreurs graves s'ils tentent de régler ces questions par
une imitation mécanique et bornée de ce qui s'est fait ailleurs. Comme aimait à répéter Lénine, les révolutionnaires ne doivent régler leurs actions présentes, ni celles des
autres sur les révolutions du passé. Les formations sousdéveloppées doivent renouveler les formes et découvrir
des solutions originales concernant les problèmes de la
socialisation de la production qui ne soit ni exclusive de
l'initiative privée ni exclusive des producteurs.
Ce problème soulève clairement la place dévolue au
secteur privé, qu'il soit national ou étranger, dans l'édification d'une société non capitaliste. Le problème présente d'autant plus d'intérêt que les formations sous-développées ont un faible volume de capital, un stock tech-
G7
nologique limité et des cadres de direction et d'administration quantitativement et qualitativement insuffisants.
Ces facteurs, le secteur privé, notamment étranger, peut
les apporter sans difficultés particulières. Sur un autre
plan, le secteur privé est aussi introduit par les rapports
mondiaux. Que faire? Faut-il le liquider en procédant
ainsi à une rupture avec l'économie mondiale? Une telle
attitude déboucherait sur l'autarcie forcément régressive
qui ne permettrait nullement la réalisation des objectifs
du socialisme. C'est alors le lieu de souligner que les responsables doivent faire preuve de responsabilité en n'oubliant pas le célèbre conseil de Lénine qui remarquait
que les succès d'un mouvement ouvrier dépendent de sa
capacité à être à la fois révolutionnaire et réaliste. Les
tâches économiques imposent le réalisme qui passe par
l'organisation d'une économie mixte qui peut être comprise selon 1. Sachs comme « une économie où se trouvent
à la fois un important secteur public pas nécessairement
vaste mais dynamique et un grand secteur privé au sein
duquel coexistent des éléments traditionnels et modernes dans les zones aussi bien rurales qu'urbaines» (10).
On serait tenté d'assimiler cette nouvelle organisation économique à celle qui découlerait de l'ordonnance
keynésienne, qui propose aux sociétés capitalistes en crise
des transformations de leurs systèmes productifs par introduction d'un vaste secteur public qui joue des fonctions régulatrices.
Dans de telles sociétés, selon Keynes, la propension
à consommer est faible et la propension à épargner forte : c'est la conséquence de la loi psychologique fondamentale qui veut que dans une société riche, lorsque le
revenu s'accroît, la consommation s'accroît également
mais d'une quantité inférieure à l'accroissement du revenu. Cependant, l'épargne qui se constitue sur cette base
n'est pas entièrement utilisée du fait de la faible incitation à investir due à la raréfaction des occasions d'investissement. Dans ce contexte, l'équilibre qui s'établit est
un équilibre de sous-emploi. Pour en sortir, Keynes préconise trois politiques :
- le maniement du taux de l'intérêt;
- la redistribution des revenus;
- une politique d'investissement.
68
Dans le fond, la crise en question tire son origine du
déséquilibre créé entre les capacités de production et les
capacités de consommation. En posant avec clarté la problématique, Keynes a bien saisi les directions de solution
qui résident dans un accroissement de la consommation
pouvant être réalisé par la politique de redistribution des
revenus et d'investissement.
Cette dernière introduit l'impérative intervention de
l'Etat dans la mesure où le secteur privé est incapable
de saisir toutes les occasions d'investissement. L'Etat
prend alors le relais et intervient dans les domaines où
il ne doit ni gêner, ni rentrer en concurrence avec le secteur privé. Dès lors selon Keynes, hors la nécessité d'un
contrôle central pour maintenir en équilibre la propension à consommer et l'incitation à investir, il n'y a pas
plus de raison qu'auparavant de socialiser la vie économique (11).
Cependant, aucune précision n'est apportée sur le domaine et les formes de cette intervention publique. Au
total, les interventions de l'Etat dans le capitalisme contemporain sont une conséquence des difficultés du système qui, abandonné à lui-même, se trouve dans l'impossibilité d'assurer le plein-emploi. D'ailleurs, cette intervention comme le fait remarquer Paul Mattick « a transformé l'économie du laisser-faire en économie mixte; de
nouveaux progrès dans cette direction ne pourraient que
métamorphoser cette dernière à son tour» et l'auteur
d'ajouter que « l'économie capitaliste n'a jamais uniquement reposé sur l'entreprise privée; elle s'est assortie
de tout temps d'un secteur public d'une importance variant en fonction des conditions historiques qui ont régi
le développement de chacun des pays capitalistes» (12).
Cette économie mixte, quelle que soit l'idée que l'on s'en
fait, a tout de même permis de surmonter la crise et
d'entretenir l'expansion. En somme, la création d'un secteur public visant le double objectif d'une mise en valeur
des ressources et l'entretien d'une dynamique de croissance régulière, confère à l'Etat capitaliste des fonctions
économiques nouvelles qui ont notablement contribué à
amortir les crises cycliques du système.
Il ressort de ces analyses que l'économie mixte dans
une formation sociale en transition a une toute autre si-
69
gnification et un objet totalement différent. Son application exige une stricte organisation des relations entre les
deux secteurs de la vie économique. Dans un système capitaliste, ces relations ne sont pas organiques et passent
par le marché. Cependant, le secteur public dans ce cadre est un complément indispensable au secteur privé
dans la mesure où il assume des tâches économiques indispensables qui n'auraient pas été rentables pour l'initiative privée. Il en va tout autrement dans une formation en transition où l'économie mixte est organisée de
'llanière à assurer une prépondérance du secteur socialiste qui, par son dynamisme, doit articuler l'ensemble
du processus de production. Cette organisation des rapports entre les deux secteurs reste un point central de la
politique économique.
Une fois la coexistence sectorielle organisée, l'établissement du nouvel ordre social exige une solution des problèmes soulevés par les relations économiques internationales et les rapports mondiaux de production. Si le
réalisme invoqué plus haut commande d'écarter la solution radicale d'une rupture avec l'économie mondiale qui
entraînerait un coût économique et social excessif, il importe de s'orienter vers un contrôle du commerce avec
l'extérieur pour que les relations avec le marché mondial ne soient pas abandonnées au libre jeu des forces
aveugles du marché. Cela fausserait complètement le processus planifié du développement. Il faut analyser cette
question qui est techniquement importante.
En définitive, l'analyse de la socialisation montre que
la liquidation des anciens rapports de production n'est
pas une chose aisée; elle s'effectue au travers d'un long
processus d'organisation de l'économie nationale qui s'appuie sur un secteur public dynamique. Celui-ci, s'il n'existe pas, doit être créé. Ainsi se trouve posé le problème
de la nationalisation considérée comme une question essentielle.
La nationalisation est un moyen important de la socialisation et permet la constitution par le capitalisme
d'Etat d'un secteur d'évolution des rapports sociaux socialistes qui sera l'instrument d'action de la politique
économique. Marx et Engels affirmaient déjà dans « Le
Manifeste» que le prolétariat devait mettre à profit sa
70
domination politique pour exproprier les expropriateurs.
Cette expropriation entame la propriété capitaliste et permet la liquidation des rapports de production qui s'y rapportent. Cependant, cette proposition concerne des formations capitalistes avancées où la socialisation de la
production divorce d'avec les formes privées d'appropriation des moyens de production. Dans ce cas, la nationalisation des instruments de production et d'échange est
une reprise.
Elle permet à l'Etat d'une part de prendre les leviers
de commande de l'économie et d'autre part, de préparer
l'élimination des rapports capitalistes mais de façon progressive car il ne faut pas perdre de vue que dans la transition, les deux catégories de rapports coexistent. Les rapports capitalistes et traditionnels ne sont pas éliminés et
les rapports socialistes ne s'imposent pas. C'est cette coexistence qui explique le caractère hybride de toutes les
structures socio-productives de la société de transition.
Dans une formation sous-développée, où les moyens
de production sont limités et très peu développés, la nationalisation soulève des problèmes propres aux formes,
aux méthodes et aux rythmes. En premier lieu, il faut savoir sur quels secteurs elle doit porter; ensuite, il faut
dégager les formes de gestion des entreprises transférées
à l'Etat et enfin, il faut régler la question de l'indemnisation et du sort à réserver aux anciens propriétaires.
Commençons par observer que la nationalisation
n'est pas une fin en soi, mais un moyen qui permet de
mettre entre les mains de l'Etat des instruments de sa
politique. Dès lors, le principe d'un contrôle des secteursclés de l'économie est ainsi soulevé de même que la nécessité pour l'Etat de se préparer à une gestion rentable
et efficace des entreprises qui lui sont affectées. En conséquence, la nationalisation nécessite un minimum de préparation sinon l'économie risque d'être le foyer de crises
graves, précisément parce que les secteurs-clés font l'objet d'une mauvaise gestion et ne peuvent exercer aucun
rôle entraînant sur le processus productif. En fait, le développement de la nationalisation signifie effectivement
un recul de l'entreprise privée. L'Etat doit alors pouvoir
assumer entièrement toutes les tâches productives et sociales anciennement exercées par les entreprises privées.
71
Par ailleurs, la nationalisation, une fois entreprise, appelle
un processus ininterrompu. En effet, lorsque la propriété
d'Etat devient prépondérante, elle fait disparaître l'entreprise privée car celle-ci, placée dans des relations marchandes et monétaires inégales, sera incapable de soutenir la concurrence. Ainsi le domaine de l'économie publio
que ira en s'élargissant. Bien entendu, ce processus tendanciel peut être accéléré ou ralenti selon les nécessités
objectives et les capacités gestionnelles de l'Etat.
Dans une autre alternative, l'entreprise privée peut
se situer dans une position socio-économique forte au
point de gêner l'expansion normale du secteur public;
c'est un cas où la nationalisation s'impose. Au total, la
nationalisation permet une expansion sans à-coup du secteur public. Seulement, l'Etat doit être prêt à assumer
ses nouvelles responsabilités et tâches économiques pour
que les entreprises nationalisées ne constituent pas une
charge pour les finances publiques.
Tout cela impose une large et profonde préparation
pour que le secteur nationalisé puisse être économiquement bien tenu. Les programmes et plans doivent en conséquence déterminer avec précision les secteurs à nationaliser et surtout les formes que cette nationalisation
devra revêtir. En même temps, ils doivent expliciter les
modalités de gestion et le statut des producteurs vis-à-vis
de la propriété transférée à l'Etat. Il peut bien se développer un paternalisme étatique qui dicterait aux travailleurs
leur comportement pour améliorer leurs conditions
d'existence. De ce fait, ces travailleurs cessent d'être les
animateurs du progrès pour devenir de simples éléments
du système d'administration. On est alors loin des relations impliquées par la socialisation. Pourtant, toutes les
formes de gestion technico-administratives mènent à ce
paternalisme étatique. C'est pourquoi, E. Kardelj recommande d'ouvrir par l'autogestion la voie qui reliera le travailleur aux conditions, aux moyens et aux fruits de son
travail et qui fera de l'homme la principale force motrice
du progrès social.
En définitive, cette analyse des rapports sociaux de
production nous aura permis de découvrir certains obstacles qui peuvent freiner la socialisation effective des
moyens de production. Mais également, elle désigne les
positions médianes par lesquelles la transition doit passer pour liquider les anciens rapports et préparer l'instauration de rapports sociaux nouveaux.
Ces positions doivent être concrétisées par les politiques économiques; cela signifie que tout échec de ces
politiques compromettra dangereusement la marche vers
le socialisme et pourra même entraîner des conséquences
économiques et sociales plus catastrophiques que celles
de l'ancien ordre social. C'est le cas des transitions qui
avortent par infantilisme créant alors les meilleures conditions d'un retour des forces conservatrices. Le socialisme sera rendu responsable de tous les maux de la société. Les masses seront alors désabusées et montées à bloc
contre tout changement.
Dans ce cas, elles n'inculperont ni les orientations,
ni les dirigeants, mais elles s'en prendront au socialisme
que l'on taxera de système totalement inapproprié.
C'est dire que la politique économique doit mesurer
tous les enjeux et requérir les instruments les plus efficients pour atteindre des objectifs qui, même modestes,
améliorent la situation sociale des peuples que le socialisme mobilise. La planification doit être une technique de
cette rationalité.
Section II. - Le processus planifié de l'économie.
La planification, au point de vue pratique, est une
technique relativement récente. Elle a été lancée et expérimentée avec le premier plan soviétique de 1928. Il est
probable comme le souligne P. Massé (13) que « les idées
qu'elle recouvre remontent très loin dans l'histoire, mais
la dimension pratique est d'origine soviétique ». Il en va
ainsi car la planification est principalement une utilisation optimale de ressources limitées pour des objectifs
socio-économiques déterminés. Dans la Russie en pleine
mutation politique et économique, maintenue dans un
isolement total par le capitalisme mondial, il s'avérait
impérieux de trouver une technique de mise en œuvre
consciente et rationnelle des ressources pour améliorer
dans de brefs délais les conditions de production, de travail et de vie. Très vite, la planification sera l'instrument
de régulation de toute la vie économique et sociale de ce
73
pays lui conférant une importance et une dimension décisives.
Pourtant, malgré cette place capitale, les bases théoriques de départ sont extrêmement faibles si bien qu'en la
matière, la pratique a devancé la formulation théorique
(14).
Les classiques du marxisme n'offrent pas dans leurs
travaux scientifiques fondamentaux une exhaustive et cohérente formalisation du processus planifié de l'économie. Tout au plus, dans tel ou tel ouvrage, on peut découvrir quelques allusions plus ou moins vagues qui ne peuvent objectivement fonder une praxis. Cela est valable
aussi bien pour K. Marx et F. Engels que pour Lénine.
Bobrowsky le confirme dans des réflexions célèbres
quand il note: « autant la position implicite de Marx au
sujet du principe de la planification est claire, autant il
est difficile de trouver dans son œuvre des références explicites, tandis que fait défaut toute prise de position
directe et générale ». L'auteur ajoute que « les planificateurs sont partis alors armés uniquement des armes qu'ils
s'étaient forgées eux-mêmes. Ni la théorie soviétique, ni à
plus forte raison la théorie «bourgeoise », ne leur ont
fourni d'outils valables» (15).
Marx s'est en effet toujours refusé à formuler des prévisions pour les gargottes de l'avenir car la planification
est profondément une exploration de l'avenir, P. Massé
dirait une aventure calculée. Il en est ainsi parce que K.
Marx s'est toujours interdit d'être un prophète, mais un
homme de science qui par principe se refuse des positions de visionnaire sur la société à édifier.
On trouve dans son œuvre quelques références qui
sont tellement générales et tellement imprécises qu'elles
n'ont pas pu servir de lignes directrices à l'action. Les
œêmes remarques peuvent être faites de Lénine qui n'a
jamais accordé un grand crédit à la planification. C'est
plutôt l'opposition de gauche constituée par L. Trotsky et
E. Preobrajensky qui développera les thèses essentielles
de la planification. Lénine ne s'est jamais passionné pour
ce débat théorique sur la planification.
On peut donc affirmer que la pratique a enrichi la
théorie de la planification. Cette pratique démarre avec
la période de la marche forcée vers le socialisme condui-
74
te par Staline. La planification en tirera son caractère
centralisateur notablement marqué. Cet aspect empirique et historique oblige à définir la notion pour cerner
son contenu et évaluer les problèmes méthodologiques
qu'elle soulève dans son application aux formations sousdéveloppées en transition.
La pratique sociale permet de considérer la planification comme un interventionnisme permanent et généralisé de l'Etat qui prend un caractère organique et vise
à organiser le fonctionnement de l'économie et à effectuer
les mutations structurelles adéquates pour atteindre des
objectifs politiques, économiques et sociaux définis à
l'avance. C'est donc une volonté de rationaliser l'économie
et les activités économiques au niveau d'une société donnée.
Ainsi définie, la planification suppose:
- une réflexion préalable sur les objectifs à atteindre ;
- une spécification des moyens à mobiliser pour
réaliser ces objectifs;
- la détermination d'une période de réalisation
de ces mêmes objectifs.
A partir de ces bases, on comprend mieux les différences de fond existant entre la planification socialiste
et celle appliquée dans les formations capitalistes avancées. Ces pays sont venus au processus de planification
sur une base de crise. En effet, la crise de 1929 a révélé
par sa profondeur, sa largeur et son étendue que le libre
jeu des mécanismes du marché ne conduisait pas à l'équilibre de plein- emploi. Keynes ira même plus loin en établissant que toute économie abandonnée à elle-même va
irrémédiablement vers un équilibre de sous-emploi. Dès
lors, l'organisation de l'économie nationale s'impose et
elle sera faite par l'Etat à travers une planification des
activités économiques ne remettant pas en question les
grandes options de base du libéralisme économique et politique. Planification indicative ou programmation économique, la sémantique ne présente qu'un intérêt secondaire. L'essentiel réside dans les objectifs impliqués par un
tel interventionnisme de l'Etat et les moyens envisagés
pour les atteindre pendant une période déterminée. Même en acceptant la définition de Stroumiline de la piani-
75
fication comme la science de la direction, de l'administration et de la gestion de l'économie, dont l'objet est
l'économie dans sa totalité, la programmation des pays
capitalistes apparaît comme une forme de planification.
En tant que telle, elle peut différer d'une autre par le
contenu, les techniques, les démarches, les objectifs et
les moyens. Ces différences, cependant, ne doivent pas
masquer les ressemblances sur des aspects essentiels.
Voyons donc comment se présente la question dans
les pays socialistes. La planification y est présentée comme « des plans de directives qui ont un caractère obligatoire pour les organes dirigeants et qui déterminent
l'orientation du développement économique à l'avenir et
à l'échelle de tout le pays» (16). La planification concerne donc tous les domaines de l'économie nationale aussi bien la production, la consommation que la
répartition. Les décisions prises sont celles qui sont impliquées dans le projet socialiste. Ces décisions ne se réali·
sent que si les organes d'exécution disposent d'une maÎtrise totale sur les agents économiques. En conséquence,
la planification socialiste ne peut être effective sans la
propriété sociale des moyens de production. Cette socialisation, si elle est réelle, les tâches du planificateur se
trouvent grandement facilitées, car le plan disposera d'un
ensemble de moyens pour agir directement sur la structure économique qui lui est entièrement soumise et qu'il
doit en définitive promouvoir.
Dans ce contexte, le plan dispose de tous les moyens
techniques et politiques pour exercer un contrôle direct
sur les principaux agents économiques dont il détermine
les domaines d'évolution, les conditions de production et
de commercialisation, les méthodes d'administration et
de gestion économique et sociale. Le Plan se trouve ainsi
dans une parfaite position pour unifier les sphères politique et économique. Il est le bras et le cerveau politiques.
Sur le plan économique, il établit toutes les tâches et fixe
les priorités.
Il organise toutes les relations institutionnelles au
sein des unités économiques ainsi qu'entre celles-ci et
l'organe central de planification. Ces relations ont toujours existé dans tout système social, mais leur nature
change totalement dans une société socialiste. Ainsi, les
76
relations entre l'organe central et les unités économiques
étaient matérialisées par les interventions très limitées de
l'Etat dans la vie économique. Désormais, le plan exerce
des fonctions décisives de régulation de l'ensemble de
l'activité économique.
Les relations au sein des unités économiques étaient
fondées sur la forme privative des movens de production
oui permettait aux propriétaires de déterminer en toute
liberté la politique de l'entreprise. Dans une organisation socialiste. les relations entre travailleurs et gestionnaires sont administrativement réglées. Les relations entre les unités économiques dans l'ancienne société étaient
marchandes et passaient par le marché. Dans la nouvelle
société. ces relations passent par des contrats établis sous
l'autorité de l'organe central (17). De plus, le plan détermine les objectifs globaux et sectoriels que la société doit
atteindre et qui sont consignés dans les directives élaborées dont l'exécution est obligatoire. Les étapes de réalisation sont fixées et ri2:oureusement contrôlées. En définitive. le plan module toute la vie économique et sociale
et met les moyens en place pour réaliser la double tâche
d'élargissement des rapports socialistes et d'accroissement de l'efficience du svstème économique. Sur cette base. la planification se nrésente comme un interventionnisme économiaue noussé oui s'attaque aussi bien au fonctionnement qu'à. la structure même de tous les secteurs de
l'économie.
Incontestablement, cette stnlcture organisationnelle
8 permis:
- une mise en valeur extrêmement rapide des
ressources nationales;
- une transformation des structures nroductives à partir de priorités préalablement fixées;
- une élevation dans des délais-records des forces productives matérielles faisant passer le système productif de l'agriculture vers l'industrie.
La planification a donc permis une gestion rationnelle du développement économique et social et une utilisation efficiente de toutes les ressources dans le sens
d'une croissance accélérée. Son caractère centralisé. obligatoire et autoritaire a permis de mobiliser tout un peu77
pIe, de le mettre au travail pour rattraper dans les meilleurs délais son retard économique et social.
Si le système de planification a permis tous ces progrès et performances économiques incontestables qui ont
fait de l'Union Soviétique la seconde puissance mondiale,
alors qu'elle était il y a seulement une cinquantaine d'années encore un pays économiquement et socialement arriéré, il connaît néanmoins présentement certaines imperfections paralysantes que les analyses de Libermann ont
révélées. Quelques-uns de ces travers et imperfections
méritent d'être évalués.
La planification centralisée a produit au plan pratique des effets qui ont fini par confisquer son efficacité.
C'est en premier lieu le développement démesuré d'une
bureaucratie qui se caractérise par une lenteur extrême
dans l'exécution des tâches et l'introduction de processus
décisionnels inefficaces qui allongent les délais de conception et de contrôle (18). En second lieu, la centralisation
excessive introduit une rigidité trop grande de l'appareil
de production qui réagit avec retard aux sollicitations
des besoins sociaux, produit des biens de mauvaise qualité, engendre des gaspillages de ressources et de faibles
niveaux de productivité du travail, une mauvaise connaissance des capacités effectives de production et éventuellement leur sous-utilisation (19). En troisième lieu, la planification centralisée n'apporte plus une solution satisfaisante à la conciliation nécessaire entre la direction planifiée de l'économie nationale et l'initiative dans les entreprises. Ce problème était l'objet d'une vive controverse
au niveau des économistes soviétiques. Dans ce sens, Lev
Leontief remarque que « le plan de l'Etat qui a force de
loi, réglemente, normalise et prédétermine tous les aspects de l'activité d'une entreprise jusqu'aux plus petits
détails; il reste alors peu de place pour le choix des
moyens à mettre en œuvre en vue de réaliser les objectifs» (20).
La direction du plan doit donc faire coïncider les
directives données aux entreprises avec la mise en œuvre
de méthodes économiques souples. Cela suppose, observe
Lev Leontief, que le centre de gravité se déplace des méthodes strictement administratives vers des méthodes
principalement économiques de direction.
78
Or, ce n'est pas le cas et il va en résulter des gaspillages dont le montant est loin d'être soupçonné. Ainsi, les
directives données par l'organe central peuvent amener
les entreprises à faire de nouveaux investissements pour
atteindre et dépasser les objectifs fixés alors même qu'elles n'utilisent pas toutes les capacités de production internes. Cela procèdera essentiellement de la gratuité des
fonds de production qui ne permet pas à l'entreprise
d'avoir une exacte évaluation des dépenses de production.
On peut sans doute être satisfait d'avoir atteint les normes fixées, mais au prix d'un gaspillage parfois énorme
de ressources. Pour éviter cela Evseï Libermann pose l'opportunité de la réintroduction du bénéfice comme critère
fondamental de mesure de l'efficacité de l'entreprise (21).
On aurait pu poursuivre l'énumération des défauts
actuels du système centralisé de planification, mais la
théorie commence à s'en préoccuper. En effet, les travaux
de E. Libermann (22) ont révélé le débat ouvert en Union
Soviétique sur la théorie et la pratique de la planification dont C. Bettelheim et Marie Lavigne se sont fait
l'écho (23). Les problèmes soulevés par les travaux de
Vassili Nemtchinov concernant les organes de planification et les entreprises, le système de gestion autonome
planifié, le système de prix équilibré, le principe de rentabilité, l'automatisation des systèmes de direction et l'intéressement de chaque entreprise à la réalisation du plan
général, traduisent l'ampleur du débat qui a abouti aux
réformes de 1965 qui ont atténué dans tous les pays socialistes la centralisation excessive et augmenté l'initiative locale en matière de décision de production.
Vassili Nemtchinov commence par observer « qu'il
est urgent que les économistes soviétiques dégagent la
théorie d'une expérience de près d'un demi-siècle» (24).
Cette théorie est d'autant plus nécessaire que la planification pénètre tous les pores de l'économie. En conséquence, il devient impérieux que ces méthodes et techniques soient en meilleure adéquation avec la direction de
tout le processus économique.
Sur cette base, la planification a été corrigée par l'introduction d'une plus grande souplesse dans les formes
de gestion, de direction et de détermination des prix.
Dans ce sens, Vadim Trapeznikov propose d'élaborer un
79
système de stimulants économiques à l'usage des entreprises, de déterminer l'extension des droits des dirigeants
d'entreprises ainsi que des formes souples d'attribution
des primes (25).
Ce mouvement fut largement suivi dans le reste des
pays socialistes d'Europe de l'Est. On a même parlé en
République Démocratique Allemande de lignes directrices
pour un nouveau système de planification et de direction
de l'économie nationale. Il est question ici d'utiliser les
leviers économiques dans le nouveau système de planification. La Tchécoslovaquie n'est pas en reste et le XIIe
Congrès du Parti Communiste recommandait d'orienter
l'économie en vue d'un développement intensif et d'élever le niveau scientifique de la gestion de la société dans
son ensemble, notamment de la gestion de l'économie nationale. On retrouve les mêmes soucis en Pologne où des
décisions sont prises par le IVe Congrès du Parti Ouvrier
Unifié (26). Les pays socialistes redécouvrent les avertissements de Lénine selon lesquels si après avoir créé les
entreprises et les groupements selon les principes d'une
bonne comptabilité, nous ne savons pas sauvegarder nos
intérêts par des méthodes d'hommes d'affaires, nous sommes des idiots. Il affirme qu'il ne faut pas craindre de
calculer comme un commerçant car ce n'est que par de
tels calculs que l'on édifie l'économie. De telles mises en
garde ne pouvaient être perçues quand régnait le puissant
dogme de la planification centralisée.
Ces nouvelles réflexions n'ont pas manqué d'affecter
les conceptualisations caractéristiques des pays socialistes selon lesquelles « les choix et objectifs économiques
sont décidés avant tout effort d'analyse de l'application
rationnelle des moyens disponibles aux buts assignés»
(26). Ce volontarisme est issu d'une invasion, puis d'une
domination de l'idéologie et de la politique qui dictent les
lignes directrices et surtout les objectifs devant être impérativement réalisés. Les prescriptions doivent être exécutées au prix d'une violation du principe de non gaspillage, fondement de toute rationalité économique. En prenant l'exemple de l'Union Soviétique, ces choix et objectifs se résument à la priorité accordée à l'industrie lourde
et aux techniques d'avant-garde et d'autre part au rattrapage et dépassement de certains pays capitalistes pris
comme référence : les Etats-Unis. La voie est ouverte
pour une compétition quantitativiste.
La relation avec les développements antérieurs est
établie quand on sait que dans l'accomplissement des objectifs fixés, la cohérence ne s'impose pas comme contrainte ultime et impérative. Autrement dit, l'intervention politique peut ne point s'accommoder d'une recherche systématique de l'efficacité. On arrive, de ce point
de vue, à des décisions de type politique dont la réalisation n'obéit à aucune norme économique rationnelle. Un
tel volontarisme ne pouvait pas survivre aux efforts de
rationalisation du système globalisé de planification. La
voie ouverte confère une prééminence de la technique sur
la politique. En clair, l'économie désigne les choix alternatifs et la décision optimale : la politique tranche en
dernière instance.
Tous ces problèmes sont révélateurs des mutations
fondamentales et nécessaires que traverse le processus
planifié des économies socialistes.
La planification est rétablie sur le terrain d'une véritable technique d'utilisation et de répartition optimales
des ressources disponibles, pour atteindre des objectifs
prioritaires fixés comme des fins désirées. Ces fins peuvent être de nature politique, économique et sociale. En
conséquence, ni le technicien, ni l'économiste n'ont les
qualités requises pour les définir: cela relève du domaine
de l'idéologie et des organisations politiques. Autrement
dit, la politique désigne les fins, le technicien fixe les modalités de réalisation.
Cette planification améliorée peut-elle être appliquée
aux formations sociales en transition? La question a d'autant plus d'intérêt que le système planifié porte les stigmates des premiers pays qui l'ont adopté et contient des
traits spécifiques non universalisables.
Youri Popov le confirme, en observant qu'il est extrêmement important pour les jeunes Etats de trouver une
juste mesure entre les traits universels et les traits particuliers de la planification. C'est en cela que réside tout
l'art de la politique économique qui n'est pas une imitation inconsidérée, aveugle et systématique des recettes
qui ont fait leur preuve dans des structures données et
à des périodes déterminées (27). Cela se justifie d'autant
81
que la planification avant d'être une théorie a été une
simple technique. Les problèmes que les formations en
transition doivent résoudre sont : d'abord trouver une
référence acceptable et ensuite dégager les aspects méthodologiques conformes aux structures.
La planification actuellement en cours dans les pays
capitalistes ne semble pas pouvoir inspirer les formations
en transition. En effet, la planification s'explique dans ce
régime par la volonté de résoudre la contradiction ouverte par le déséquilibre entre capacités de production et
capacités de consommation. L'intervention de l'Etat y a
pour fin dernière, la prise d'un ensemble de décisions
visant à régulariser l'économie dans le sens d'une résorption du déséquilibre. Dans cette optique, cette intervention partielle et souvent indirecte, ne remet pas en question la propriété privée dans les secteurs économiques
clés. De plus, elle se réalise à partir des mécanismes du
marché national des facteurs de production.
Par ailleurs, dans ces formations en transition, le
marché est souvent en pleine formation et en conséquence, il ne saurait correctement opérer l'affectation et la
répartition des ressources et des facteurs. Les relations
économiques internationales introduisent une autre complication par le fait que l'essentiel de la production ne
procède pas d'une demande interne, mais est commercialisé sur le marché extérieur.
L'inadaptation est également effective au niveau des
instruments utilisés. La planification capitaliste fait un
large usage du tableau de Leontief des relations inter-industrielles fondées sur les échanges inter-sectoriels effectifs et permanents. Cependant, dans les formations en
transition, ce tableau pose des problèmes liés à la désarticulation inter-sectorielle qui entraîne de faibles rela·
tions entre les secteurs économiques vitaux.
Les instruments et les méthodes sont donc à chercher dans les expériences accumulées par les pays socialistes d'Europe Orientale dont deux seulement (la R.D.A.
et la Tchécoslovaquie) étaient relativement développés
au moment de leur transition vers le socialisme.
Dans cette direction, Bobrowsky observe que les pays
hier sous-développés, aujourd'hui socialistes, dont l'économie se caractérise par une croissance rapide et une
82
transformation très profonde des structures, peuvent offrir des références du processus planifié du développement.
En réfléchissant sur ces expériences, on déduit qu'elles apportent la preuve qu'il n'existe point une planification en soi, mais que celle-ci est utilisée pour résoudre,
par des moyens précis, des problèmes socio-économiques
spécifiques. Partant de cette considération, Youri Popov
avertit avec fermeté que « la transplantation automatique
des formes et méthodes de la planification contemporaine, par exemple celle de l'Union Soviétique, relèverait
de l'aventurisme économique» (28). D'abord parce que le
contexte socio-économique est totalement différent (29) et
ensuite parce que cette planification est passée par différentes étapes édifiantes avant d'avoir mis en place un
ensemble de prémisses matérielles, politiques et organisationnelles. Il serait donc préjudiciable de brûler les étapes. Enfin, même dans sa phase actuelle, la planification
pose des problèmes multiples et complexes sur le plan des
normes de gestion et sur celui de son efficacité globale.
Les formations sociales en transition, caractérisées
par la coexistence de plusieurs modes de production
obéissant à des centres de décision différents, donc à une
pluralité structurale, ne possèdent ni les moyens, ni l'homogénéité structurelle nécessaire pour l'application d'une
planification centralisatrice. L'existence d'un secteur privé comme centre autonome d'initiative impose la prise
en compte dans le processus planifié du caractère mixte
de l'économie. L'Etat, à partir de son plan, ne peut déterminer que les orientations générales du développement économique en s'appuyant principalement sur son
propre secteur. Il ne peut que fixer une politique bien
souple pour le secteur privé qu'il ne contrôle guère. La
planification pose donc l'opportunité de l'organisation
de la coexistence des diverses structures impliquées dans
le développement. Théoriquement et pratiquement se
trouve formulée la nécessité d'une voie médiane qui pourrait concilier l'orientation :t la détermination des objectifs généraux par l'Etat et l'initiative privée. Cette voie
médiane comme toute formule hybride est forcément
complexe et difficile à appliquer sur le terrain pratique
et technique.
83
Seulement, les objectifs généraux sur le plan économique sont connus et se formulent aisément dans la
transition. Il s'agit principalement d'envisager les transformations structurelles adéquates pour amorcer un processus d'accroissement soutenu des forces productives et
de mise en valeur des ressources. Ce qui se traduit par
la fixation d'objectifs quantitatifs au plan sectoriel et des
objectifs qualitatifs au plan structurel. Que faire alors?
De fait, la planification dans cette optique doit embrasser les indices essentiels de la production industrielle et agricole, des transports et des services, des sources
diverses d'accumulation et leur utilisation dans les diverses branches économiques, des équilibres des relations
avec l'extérieur, des besoins en main-d'œuvre et en cadres,
de la santé, de l'enseignement et du pouvoir d'achat, mais
elle insistera sur les mesures à prendre, les réformes à
mettre en œuvre ainsi que les moyens à mobiliser pour
la réalisation des objectifs définis.
Pour être efficace et fonctionnelle, elle doit s'appuyer
sur:
- un contrôle des investissements;
- un contrôle du commerce avec l'extérieur, des
changes et du mouvement des capitaux;
- une action indirecte sur les prix.
Cependant, il convient de remarquer avec I. Sachs
que « la planification ne peut être le substitut d'une politique économique, car elle exige, pour avoir un sens, que
la politique économique qui doit assurer sa réalisation
soit incorporée dans le plan» (30). Il faudra alors dans
les développements ultérieurs, analyser plus largement
cette politique.
Dès lors que les cadres généraux sont tracés, il reste
à déterminer la structure institutionnelle de l'économie
planifiée dans une formation en transition. Les travaux
de Mouhamed Dowidar établissent que toute économie
qui se planifie, organise sur des bases administratives,
techniques et économiques, trois relations qui rendent le
fonctionnement harmonieux de l'économie nationale:
-les relations entre l'organe central et les diverses unités économiques;
-les relations entre les unités économiques ellesmêmes;
- les relations au sein de l'unité économique.
84
On avait analysé ces relations pour appréhender la
façon dont elles ont fonctionné dans le système centralisé de planification des pays socialistes. Il importe de
voir comment elles doivent être organisées dans une formation sous-développée.
La première catégorie de relations doit fixer les liens
organiques entre le centre de planification et les diverses
entreprises chargées de réaliser les objectifs retenus dans
le plan. Dans les expériences socialistes, les unités économiques sont sous la tutelle absolue du Centre qui trace
à travers les directives, les lignes d'évolution. Autrement
dit, l'entreprise à la base ne possède aucune initiative,
elle possède peu de place pour le choix des moyens à mettre en œuvre en vue de réaliser les objectifs du plan. Dans
ce système, le caractère bureaucratique ne donne pas à
l'entreprise beaucoup de liberté pour agir efficacement
sur son environnement immédiat et réaliser une combinaison optimale des facteurs de production. Dès lors,
dans la transition, l'existence d'un Centre de planification s'impose pour réaliser une collecte de l'ensemble des
informations économiques et sociales en vue de l'établissement de la base statistique du plan, de l'évaluation
exhaustive des résultats obtenus par l'économie nationale
et surtout de la fixation des objectifs sectoriels à atteindre et les moyens à déployer. La tutelle sur les unités économiques doit être souple et se fonder sur des méthodes économiques de direction. Ces méthodes de direction
libèrent suffisamment l'entreprise publique de certaines
pesanteurs pour affronter victorieusement certaines difficultés dont la concurrence avec les entreprises privées.
Le Centre accomplit en définitive une double fonction de
coordination des différentes activités économiques et
d'harmonisation. Ces deux fonctions partent d'orientations déjà précisées concernant les voies de l'industrialisation, les relations entre industrie et agriculture, le modèle de consommation et la place des relations économiques internationales.
La seconde catégorie de relations concerne les unités économiques. Ce sont essentiellement des relations
d'échange. Dans un régime totalement libéral, elles passent par le marché, défini d'ailleurs comme le point de
jonction des demandeurs et des offreurs. Donc, la problé-
85
matique soulève l'existence et le rôle du marché. Il n'est
nullement concevable que la transition supprime les relations marchandes; elle doit seulement les surveiller et
les organiser rigoureusement car une économie ayant une
pluralité structurale ne peut fixer administrativement les
prix (31).
En le faisant, elle glisserait progressivement vers l'irrationalité. En revanche, elle doit organiser les relations
entre les diverses unités en vue de soustraire l'économie
au fonctionnement des mécanismes aveugles du marché.
Cette organisation devrait porter sur:
- les rapports qui doivent s'établir entre les entreprises du secteur socialiste ;
- les relations entre le secteur socialiste et le
secteur privé.
La formation en transition peut opérer cette organisation en utilisant des leviers économiques, des mesures
administratives ou une mixture technico-administrative,
mais ces diverses formes d'intervention ne sont pas exclusives l'une de l'autre. La première soulève des questions
qui se rapportent aux prix, aux profits et à l'intéressement
matériel. Le problème est de savoir comment déterminer
une allocation optimale des ressources sans le biais du
marché donc d'une libre détermination des prix. Oscar
Lange dans le même ordre d'idées affirme que l'Organe
Central de Planification (Planning Board) peut remplacer
les forces du marché en déterminant un prix à partir d'un
levier économique comme la loi de l'offre et de la demande. Mais il s'agit d'un processus de tâtonnement, de
« trial and error)} (32). Par delà ces problèmes, l'organisation des relations entre les unités économiques nécessite une connaissance approfondie des structures productives, des prix, des mécanismes monétaires et la disposition d'outils adéquats qui permettent une utilisation
consciente des lois économiques. Ces relations peuvent
aussi être organisées sur des bases administratives. Le
Centre intervient alors par des mesures administratives
pour centraliser les offres et les demandes et procéder
à des répartitions. Il s'agit donc d'une généralisation effective des contrats obligeant les parties en relation.
La troisième catégorie de relations à organiser se
situe au sein même de l'entreprise publique. Le socialis-
86
me appelle présentement ou à terme, le contrôle des producteurs directs sur les instruments de production. S'il
en est ainsi, il importe de trouver des formes d'organisation qui garantissent cette participation démocratique
et qui sauvegardent l'intérêt général de tous les utilisateurs des services de l'entreprise. La gestion démocratique impose la participation des travailleurs à l'élaboration, au contrôle et à l'exécution des principales décisions.
C'est le point actuel en discussion dans les pays socialistes d'Europe de l'Est et qui fut introduit par la Yougoslavie à partir du développement des formes autogestionnaires. Le problème, comme l'observe l'idéologue de la
Ligue des Communistes Yougoslaves E. Kardelj, est de
faire en sorte que « les organes de gestion économique,
sociale et d'Etat soient responsables vis-à-vis de ceux qui
les ont élus ou de ceux qui les ont nommés... Autrement
dit, les choses doivent être organisées de telle manière
qu'il n'y ait pas seulement une responsabilité «vers le
haut », mais qu'au contraire il y en ait également une
« vers le bas », envers les masses et les organes d'autogestion» (33). Le responsable de la gestion répond de celleci devant ceux qui l'ont élu. Cette forme démocratique
de gestion, dans la transition, revêt une très grande signification car elle permet d'éviter que ne se crée à travers
le secteur socialiste une classe bureaucratique qui confisquerait tous les acquis socio-économiques et se transformerait en classe parasitaire d'un entretien coûteux et improductif à cause de sa consommation ostentatoire. Cependant, cette forme de gestion doit également s'élargir,
s'approfondir pour prendre en compte les intérêts de la
société. En effet, il y a toujours une tendance plus ou
moins contradictoire entre les intérêts d'un groupe spécifié et limité et ceux de la société globale. Si une contradiction arrivait à se préciser, l'Organe Central doit
effectuer l'arbitrage nécessaire tout en sauvegardant les
équilibres globaux. Il est bien armé pour accomplir cette
tâche.
Au total, il apparaît que l'aménagement d'une structure institutionnelle adéquate et fonctionnelle pose des
problèmes extrêmement difficiles car la forme de la planification dans la transition ne peut être pure; en conséquence, ses modalités ne sauraient être simples. En ma-
87
tière de planification d'ailleurs, on ne possède jamais une
solution universelle et achevée. Le processus de planification est un processus continu d'apprentissage.
Cette structure, une fois définie, doit être au service
d'une stratégie de croissance généralisée qui s'appuie sur
une politique industrielle, agricole, de distribution des
revenus, d'investissement mais aussi sur un choix de modèle de consommation, de technologie et d'optimisation
des relations commerciales avec l'extérieur.
Les techniques proprement dites de la planification,
une fois tous ces problèmes réglés, ne soulèvent pas beaucoup de questions. Une option claire dégage toujours implicitement ou explicitement la technique la plus adaptée, donc la meilleure.
A ce niveau de la réflexion, il est possible de tirer
quelques conclusions :
A travers tous ces développements, la transition se
confirme comme une voie moyenne avec des dominantes.
Dans la sphère déterminante de l'économie, toutes les
solutions sont à chercher non pas dans les formes pures
mais dans l'économie mixte. Le secteur socialiste est simplement dominant et en conséquence, il n'articule pas
l'intégralité du processus de production. Il coexiste avec
un secteur privé plus ou moins important. Seulement, ce
secteur socialiste, par sa place et ses fonctions, doit avoir
des formes de gestion et de fonctionnement optimalistes.
Ce secteur commande l'élevation des forces productives
sans laquelle il n'existerait guère l'amorce d'une amélioration de la situation sociale des masses laborieuses.
La planification s'impose comme une organisation
irremplaçable pour actionner le développement économique et social dans le sens des objectifs socio-économiques
déterminés par la (ou les) formation politique qui gère
l'Etat et dirige la construction du socialisme. Donc, la
politique joue en matière de planification un rôle décisif;
elle doit organiser la mobilisation et la conscientisation
des masses pour qu'elles soient disponibles dans le sens
de la réalisation des fins poursuivies par le plan. L'expérience montre que les masses ne se mobilisent que si les
objectifs fixés traduisent leurs aspirations les plus profondes.
Ce souci de prendre en considération les aspirations
88
légitimes de même que celui d'associer très étroitement
les populations au processus de transformations de la
société doit trouver sa traduction dans la régionalisation
du plan.
L'objet principal de la planification socialiste est
d'établir un nouveau cadre institutionnel rendant le développement harmonieux et équilibré. La réalisation de ce
double résultat nécessite d'une part un contrôle des principaux moyens de production et d'autre part l'organisation des relations entre les principaux acteurs de l'activité économique que sont l'Organe Central de Planification, les Unités Economiques et les Travailleurs. Dans
l'expérience soviétique de planification, les contingences
politiques de l'encerclement et de la rupture brutale avec
le système de la division internationale du travail, de
même que le retard économique et la conjoncture de guerre civile permanente avaient fini par imposer partout, y
compris dans l'économie, une centralisation excessive.
Elle exigeait un contrôle à tous les échelons par les cadres et responsables du Parti qui disposaient alors de
tous les pouvoirs pour surveiller le processus productif.
Bien entendu, un tel système a abouti à deux conséquences politiquement et économiquement dramatiques :
d'une part un Etat centralisateur autoritaire et excessivement répressif c'est-à-dire ne laissant aucune place à l'initiative individuelle ou locale, aucun droit de penser autrement, et d'autre part une transmutation des cadres en
bureaucrates qui confisquent et exercent tous les pouvoirs dévolus dans l'organigramme étatique aux masses
laborieuses. La bureaucratie qui prend en charge les intérêts de la société socialiste devient un frein au développement des forces productives et à l'expansion de la révolution scientifique et technique. Marc Paillet peut, avec
une pointe anti-communiste qui n'enlève rien cependant
au caractère pénétrant de ses observations sur la dégénérescence économique, résumer celle-ci par les traits
suivants:
- économie bureaucratique qui engendre une
baisse de la productivité et de la rentabilité. Cette dégénérescence aboutit à une stagnation économique;
- système économique engendrant une déperdi-
89
tion fantastique de matières premières, d'énergie,
de main-d'œuvre;
- blocage ou faible progression de la modernisation indispensable des entreprises socialistes
qui privilégient la technologie du passé;
- développement déséquilibré de l'économie qui
se manifeste dans le maintien d'une certaine pénurie pour certains biens et production pléthorique pour d'autres;
- désintérêt des travailleurs découragés par le
manque de biens de consommation durables et
non durables, par la mauvaise qualité des biens
et services (34).
En soulignant ces aspects gangrenés de la gestion
économique technobureaucratique, on veut insister sur
certains de ses mauvais résultats pour, dès à présent, envisager d'autres formules de planification du développement socialiste. Dans la transition, comme on ne cesse de
le souligner, il faut unifier la théorie et la pratique et
non tenter de construire un modèle de développement et
des techniques étrangers. 11 importe de trouver des réponses concrètes aux problèmes concrets que le sous-développement pose. La régionalisation de la planification
est une des réponses techniques.
La régionalisation du plan procède du caractère désarticulé, pluristructuré et déséquilibré des systèmes
productifs des pays sous-développés. Elle procède aussi
de l'énorme retard des forces productives et des déséquilibres dans la répartition des secteurs économiques.
Ces déséquilibres entraînent des phénomènes de polarisation excessive de l'infrastructure matérielle et de la superstructure institutionnelle dans les zones urbaines
creusant ainsi l'écart entre villes et campagnes.
L'issue de cette situation économiquement et socialement répréhensible se situerait dans l'exploitation des
ressources locales, la stimulation de toutes les initiatives
économiques dans les diverses régions. En comptant ainsi sur les potentialités naturelles et les forces locales pour
résoudre les diverses distorsions, s'impose l'établissement
de programmes intégrés de développement économique
et social de chaque région. Le processus de planification
ne sera plus alors une mécanique unilatérale qui réalise
90
Le transfert de haut vers le bas de directives de production et de normes de contrôle. Désormais, le processus
décisionnel est inverse. Le Plan National va alors s'appuyer sur des organes régionaux décentralisés ayant vocation à promouvoir à chaque échelon régional un développement harmonieux. Cette tendance à l'octroi d'une grande initiative au niveau régional doit être un élément essentiel de la politique économique nationale.
Elle permet d'atteindre de façon efficiente les objectifs suivants :
- le développement et la mise en valeur des ressources naturelles disponibles dans chaque région;
- la répartition équilibrée et harmonieuse des
secteurs économiques ;
- la réalisation des conditions d'une décentralisation du pouvoir économique, ce qui entraîne
une plus grande démocratisation.
Ces trois tâches doivent être réalisées par le Plan National et influeront sur l'ensemble du processus de développement économique et social. La régionalisation permettra d'une part une meilleure répartition des forces
productives, la suppression des faux frais, l'élevation de
la productivité et l'augmentation de l'efficacité économique, et d'autre part une mise en valeur plus systématique
des ressources naturelles qui accroît le potentiel économique. Il y a aussi que la régionalisation pourrait apporter une solution à des phénomènes comme :
- l'exode rural qui s'aggrave du fait de la paupérisation des campagnes;
- le sous-emploi de la population active des régions périphériques;
- la dégradation du niveau de vie des populations;
- la répartition inégale de l'infrastructure sociale (dispensaires, écoles) et de l'infrastructure de
base (routes, électricité,...).
Une planification régionalisée permettra de faire participer toutes les populations et couches du pays au processus de transformations socio-économiques radicales
pour une autre restructuration du système productif interne. Le développement socialiste ne sera plus simple-
91
ment l'apanage des élites urbaines. De plus, tous les processus édifiants au plan économique et social comme la
réforme et la modernisation de l'agriculture, l'industrialisation et l'exploitation des ressources naturelles, l'utilisation des acquis de la révolution scientifique seront plus
adéquatement gérés par une planification régionale. Toutes les unités (entreprises, coopératives) de même que les
régions doivent élaborer leurs plans propres qui seront
articulés au Plan National. Bien évidemment, la régionalisation sera un travail extrêmement difficile qui exigera
une parfaite connaissance du pays, mais aussi une activité
permanente, large et intense des organisations des masses.
NOTES
(1) Ernest Mandel : Traité d'économie marxiste, Edit. Julliard, Tome II. p. 430.
(2) Ota Sik : op. cit. p. 201.
(3) Youri Popov : Aspects méthodologiques de la planification en Afrique, Revue Algérienne n. 1, Mars 1967. Voir également l'article dans le journal « El Moujahid », 1967, du Professeur Bobrowsky sur la planification dans les pays du Tiers-Monde.
(4) Ota Sik : Op. cit. p. 200.
(5) Maurice Godelier : Tente un rapprochement entre théorie
marginaliste et théorie marxiste car pour lui, les marginalistes
crurent édifier une théorie de la valeur mais développèrent en
fait des éléments d'une théorie des prix. En face d'eux, les marxistes répondirent par la théorie de la valeur alors qu'ils croyaient
en plus développer une théorie des prix, cf. « Rationalité en Economie ", Edit. F. Maspéro; 1966, p. 212.
(6) Ota Sik : S'érige contre cette logique formelle qui pose
les choses côte-à-côte et qui est incapable de concevoir l'unité
réelle du monde matériel, les rapports des phénomènes généraux
et particuliers et les divergences entre les phénomènes.
(7) Jovan Djordjevic : Contribution à la théorie de la ~roprié­
té sociale. Questions actuelles du Socialisme, n. 83, Oct.-Déc. 1966.
(8) Edouard Kardelj : Problèmes et objectifs du développement socio-économique. « Recherches Internationales» n. 45, 1965.
(9) C'est dans ce sens qu'il faut comprendre les perversions
dénoncées du socialisme dans les pays Est-Européens où la bureaucratie finit par envahir toutes les structures et à écarter
les masses de la gestion de l'économie et de la politique. Voir à
92
ce sujet Roger Garaudy, dans "L'Alternative », Edit. R. Laffont,
Paris 1973, et Wittefogel : Le Despotisme Oriental, Ed. du Seuil.
(10) Ignacy Sachs : Pour une économie politique du développement, Edit. Flammarion, Paris 1977, p. 13.
(11) J.M. Keynes: Théorie générale, p. 372. Edit. Payot. Keynes affirme avec clarté que" les conséquences de sa théorie sont
assez conservatrices ». On ne saurait être plus précis.
(12) Paul Mattick : Marx et Keynes : les limites de l'économie
mixte. Edit. Gallimard, Paris, p. 175.
(13) Pierre Massé : Le plan ou l'anti-hasard. Collect. Idées,
Edit. Gallimard, Paris 1965, p. 144.
(14) Le Pr Charles Bettelheim: rappelle sur ce point qu'il y
a plusieurs façons de concevoir une étude de la planification. Il
est possible de partir d'une analyse empirique afin de remonter
de ces tentatives à une conception théorique. Il peut en être ainsi
précisément du fait que les prémisses théoriques au départ sont
très faibles.
(15) C. Bobrowsky_: Formation du système Soviétique de planification. Edit. La Haye, paris 1956, p. 17.
(16) Charles Bettelheim : Problèmes théoriques et pratiques
de la planification. Edit. François Maspéro, Paris 1966, p. 27.
(17) Mouhamed Dowidar : Les schémas de reproduction et la
méthodologie de la planification socialiste. Edit. Tiers-Monde,
Alger, 1964.
(18) Ces délais peuvent entraîner des actes économiques qui
sortent de toutes logiques. Henri Bartoli souligne cette commande faite par une entreprise soviétique pour des habits d'hiver et
qui ne reçoit la livraison qu'en plein été. In ({ Systèmes et structures» (Les cours de Droit).
(19) W. Brus : Les problèmes généraux de fonctionnement de
l'économie socialiste. Edit. F. Maspéro.
(20) Lev Leontief: Plan et méthodes économiques de direction. Revue Internationale, n. 47, 1965, p. 118.
(21) Evseï Libermann : Encore une fois à propos du plan, du
bénéfice et des primes. Revue Internationale, n. 47, 1966.
(22) Idem : Plan, Bénéfice, Prime...
(23) Charles Bettelheim : Problèmes théoriques et pratiques
de la Planification; Calcul économique et formes de propriété.
Marie Lavigne : Le problème des prix en Union Soviétique.
Edit. Cujas. Les Economistes socialistes, Collection U. Edit. Armand Colin.
(24) Vassili Nemtchinov : Gestion et Planification sociales.
Revue Internationale, n. 47.
(25) Vadim Trapeznikov : Pour une gestion souple. Revue
Internationale, n. 47.
(26) Pierre Jacquemot : Thèse, op. cit. p. 275.
(27) La planification française confrontée au dilemme d'une
économie intégrale de marché et une direction centralisée de
l'économie, a trouvé selon P. Massé une voie médiane qui sera
moins pure dans ses principes et moins simple dans ses modalités
d'application (le plan ou l'anti-hasard, pp. 144-145).
(28) Youri Popov: op. cit. p. 62.
(29) L'auteur observe avec pertinence que l'Union Soviétique
93
a commencé à planifier dans des conditions de l'autarcie économique imposée. Ceci n'est plus le cas des formations qui amorcent leur transition et peuvent non seulement trouver des sources
internes de financement, mais aussi des sources externes et en·
suite bénéficier des expériences accumulées dans les pays d'Europe. Voir sur ce point « La planification scientifique en U.R.S.S.»
écrit sous la direction de A. Efimov, Edit. du Progrès, Moscou.
(30) 1. Sachs: op. cit. p. 21.
(31) Tant que les relations marchandes subsistent, le marché
s'impose comme structure d'arbitrage entre offre et demande
et la loi de la valeur persistera également. Or, c'est justement le
cas dans la transition. On se souvient que A. Bebel écrivait que
dans la Société socialiste, on produirait non pas des marchandises à acheter et à vendre, mais des objets destinés aux besoins
vitaux et l'argent serait remplacé par un certificat attestant la
quantité de travail accompli. Dans ce sens, G. Plekhanov notait
que dans le socialisme, le commerce équivaudrait à une cinquième roue de téléguidage ou à des bottes en omelette. Lénine
s'était attelé à révéler de telles erreurs.
(32) Voir sur ce point:
- Maurice Dobb : Welfare economic and the economics of
socialism. Cambridge University Press, 1969, 215 p.
- Marie Lavigne: Les économies socialistes. Collection U, A.
Colin, Paris 1970, SIl p.
- C. Bettelheim : Problèmes théoriques et pratiques de la
planification. Edit. F. Maspéro, 1966, 304 p.
- D. Baldwin : Economic planning and its applications.
- Oscar Lange : Economie politique et leçons d'économétrie.
(33) E. Kardelj : « Le grand dilemme : autogestion ou étatisme », in Questions actuelles du socialisme, n. 83. Voir du même Auteur son intervention au Vile Congrès de la LCY, Revue
Economique et Politique, n. 128, 1965.
(34) Marc Paillet : Marx contre Marx : la société technobureaucratique. Edit. Denoël-Gonthier, pp. 31 et 32.
94
CHAPITRE II
LES POLITIQUES
DE LA PERIODE DE TRANSITION
L'alternative socialiste procède intimement de l'incapacité du capitalisme périphérique à résorber le sous-développement économique et social. Dans le capitalisme
misérable de la Périphérie, tous les mécanismes fonctionnent au profit exclusif du système mondial : accumulation internationale, échange inégal. L'exportation des profits, l'annulation des effets multiplicatifs et le transfert
financier bloquent et confisquent le financement du développement. Le déficit structurel de la balance commerciale est résolu par un recours systématique à l'endettement extérieur. Il sera aggravé par la crise des finances
publiques. Le système social qui produit et entretient ces
mécanismes de la pauvreté ne réserve aux masses que des
perspectives de famine et de misère. Le socialisme est
presque une nécessité. Il est aussi une opportunité au
plan strictement économique. En prenant le modèle industriel, il laisse apparaître les deux secteurs : l'un est
externe et produit des biens de production et l'autre est
interne et produit les biens de consommation finale. Ces
deux secteurs comme le remarque Meir Merhav « peuvent
être concurrentiels sur le marché interne en ce qui concerne l'utilisation des facteurs de production, mais n'étant
ni sur le même marché, ni techniquement indépendants,
ces secteurs peuvent se développer de manière divergente
puisque les niveaux de production et d'emploi, et par conséquent le degré d'inversion du secteur exportateur, sont
indépendants du niveau de la demande du secteur interne mais non l'inverse» (1).
Il en va ainsi car la demande de biens de production
induite par le secteur interne est limitée par la capacité
d'importation du secteur exportateur. C'est ici qu'apparaît une différence de taille entre la formation capitaliste
et la formation sous-développée. Dans la première, le processus de développement est fonction d'une utilisation
95
optimale des facteurs de production internes, du progrès
technique et du volume de l'accumulation alors que dans
la seconde l'expansion des exportations limite le développement.
Dans ces conditions structurelles, les politiques économiques n'apportent pas les mutations décisives car
elles visent soit un approfondissement des formes d'industrialisation, soit un renforcement des capacités effectives d'exportation.
Dans le premier cas, l'expansion de l'industrie légère
atteint très vite la contrainte imposée par une saturation
des marchés internes et de surcroît, elle ne peut poursuivre son expansion qu'au prix d'un accroissement de la
dépendance extérieure. Les faibles effets d'entraînement
font que cette forme d'industrialisation affecte très peu le
reste de l'économie nationale. Sur un autre plan, elle ne
résoud que de façon limitée le problème du chômage car
il est connu que les branches légères ont des capacités
faibles d'absorption de la main-d'œuvre.
Dans le deuxième cas, les résultats définitifs ne sont
guère meilleurs. L'accroissement des capacités d'exportation se traduit par une confiscation des gains de productivité, par des mécanismes de transfert exprimés dans la
détérioration des termes de l'échange, et par l'échange
inégal. L'augmentation des prix des importations en croissance soutenue n'est compensée que par un accroissement
des quantités exportées dont les prix baissent ou à la limite stagnent. Même dans une situation de compensation
relativement parfaite, les revenus supplémentaires obtenus permettent l'achat de biens de consommation fournis par le secteur industriel lié à l'extérieur. Dans un cas
comme dans l'autre, les sources d'accumulation ne sont
pas positivement affectées pour permettre le financement
des investissements stratégiques capables d'élever les capacités de production.
Or, les politiques économiques ne remettent pas en
question les structures extraverties et les mécanismes
économiques qu'elles créent tout comme elles n'envisagent aucune modification profonde du processus productif ainsi que la spécialisation dépendante. Elles poursuivent plutôt des objectifs quantitatifs dans les différents
secteurs sans envisager de changer :
96
- les orientations de production, donc les priorités sectorielles, la spécialisation dépendante et les
finalités du développement économique et social;
- la nature déséquilibrée et dualiste du système
productif qui est à la base de l'hétérogénéité
structurelle paralysante de certaines opérations;
- les structures privées de valorisation du capital public ou privé.
L'économie du développement qui n'envisage pas de
régler ces problèmes d'orientation et de modification du
système productif et de ses mécanismes de fonctionnement risque d'aboutir au blocage du développement du
fait d'obstacles que les politiques économiques doivent
lever pour l'amorce d'un processus d'expansion. Ces obstacles se situent dans :
- l'agriculture qui, tout en étant considéré comme secteur prioritaire, ne remplit pas sa double
fonction de nourrir les villes et de créer des surplus pouvant servir au financement du devloppement;
- la démographie dont les taux d'accroissement
élevés nécessitent de lourds investissements qui
grèvent les faibles moyens financiers et contribuent à la stagnation du niveau de vie;
- la technologie importée qui, bien qu'ayant éliminé les techniques traditionnelles, ne possède
que de faibles effets de diffusion et de plus s'avère
non conforme aux capacités d'absorption de l'environnement social;
- le coût élevé des investissements qui n'autorise pas une extension des capacités de production.
Une observation même rapide révèle que ces obstacles, en dernière analyse, sont de nature structurelle et
résultent du façonnement des formations sous-développées faites pour fonctionner par et pour le système économique mondial.
Certaines théories estiment que ces contraintes peuvent être levées dans des délais relativement courts. C'est
le cas des politiques de développement préconisées notamment par W. Rostow et A. Lewis qui pensent pouvoir
résoudre les difficultés par un développement des échanges et la coopération internationale. Les échanges inter-
nationaux, dès lors qu'ils existent, sont disent-ils favorables aux partenaires. Ces auteurs pensent en conséquence
que toutes les difficultés peuvent être résolues dans un
pays sous-développé qui respecte les principes du libéralisme, accepte de se spécialiser et s'ouvre à une politique systématique de promotion du développement des
échanges et de la coopération internationale. En dernière
analyse, les relations économiques internationales confèrent aux différents partenaires des chances identiques de
développement.
Chaque pays doit alors s'ouvrir aux relations internationales en valorisant, en vue de l'échange, les facteurs
naturels pour lesquels il possède les meilleurs avantages
relatifs. De plus, l'ouverture sur le système de la division
internationale du travail, affirme-t-on, permet de bénéficier des mécanismes de péréquation des ressources financières à l'échelle mondiale. Kindelberger fera la théorie
du transfert de ressources en capital en fonction du niveau de développement. De l'étape de « jeune débiteur»
jusqu'à l'étape ultime de « créancier mûr », le capital ne
sera pas une limite sérieuse au développement économique et social. On postule alors une espèce de transferts
automatiques de ressources des pays développés vers les
formations sous-développées.
A partir de telles considérations, on a déduit que ces
formations peuvent lever toutes les contraintes. On découvre au passage le rôle essentiel que doivent jouer
l'Etat et la planification. L'Etat, même dans cette optique,
est l'initiateur du programme planifié en fonction des
ressources mobilisables. Cette planification permettrait
de résoudre les problèmes liés à l'insuffisance de la capacité d'organisation et à l'absence de coordination des diverses activités. Dans ce contexte, trois étapes s'ouvrent
dans la stratégie de développement:
-la première concerne le développement des activités exportatrices agricoles ou minières;
- la seconde s'appuie sur le développement de
l'industrie de subtitution d'importation;
- la troisième se fonde sur l'accroissement des
exportations de biens manufacturés. Sur cette
base, l'économie est dotée d'un dynamisme propre totalement impulsé de l'extérieur. Autrement
98
dit, la formation sous-développée est incapable
d'avoir une conjoncture propre et par conséquent
une politique économique endogène.
Toute cette stratégie part d'une fausse appréciation
des obstacles et de leur origine. En évaluant correctement
ces obstacles, on trouve qu'ils expriment des distorsions
structurelles profondes qui ont leur racine dans l'articulation au système capitaliste mondial. Dans ce cadre,
toute amélioration quantitative de la production bénéficie principalement au système mondial dominant. En
conséquence, toute politique économique qui se veut efficace doit commencer par évaluer les contraintes structurelles et leur origine en vue de l'établissement d'un système productif autocentré et orienté dans une voie non
capitaliste de développement.
La problématique, dans la formation en transition,
sera certes la réalisation d'objectifs quantitatifs clairement explicités dans le plan, mais doit essentiellement
comporter en même temps un ensemble d'actions destructrices des anciennes structures et génératrices de
nouvelles structures dynamiques autorisant une expansion soutenue des forces productives matérielles et humaines. Cette double action sur les objectifs quantitatifs
et sur les structures d'encadrement et de gestion du dé·
veloppement suppose l'élaboration d'une stratégie cohérente qui serve de support à la politique économique.
Les questions qu'une formation sous-développée soulève sont nombreuses et complexes: comment redresser
l'économie et relancer la croissance? Comment valoriser
les matières premières disponibles? Comment financer
l'industrialisation ? Comment profiter des progrès de la
révolution scientifique et technique? Comment enrayer
l'exode rural? Comment rendre équitable la répartition
des revenus et améliorer le niveau de vie? La politique
économique doit apporter des réponses concrètes et doit
spécifier les voies et moyens ainsi que la durée de réali·
sation des objectifs. Il va sans dire que la planification
technocratique ne sert à rien si elle n'est pas soutenue
par une volonté politique et accompagnée de modifications des stnlctures socio-économiques.
La problématique consiste alors dans la transition à
fixer des objectifs quantitatifs d'une croissance soutenue
99
et à mettre en place les structures les plus fonctionnelles
pour les atteindre. C'est dire que le Plan doit être accompagné de modifications des structures et des liaisons institutionnelles qui permettent l'avènement de conditions
favorables de fonctionnement.
NOTES
(1) Opinion citée par Hector Silva Michelena in «u sous-développement au socialisme », IDEP-ET-CS-2347-46.
SECTION 1
Les options de base dans les secteurs décisifs de la vie
économique et sociale
Le caractère privé de la propriété des instruments essentiels de production doit être prioritairement réglé.
Il n'est guère possible, sous prétexte d'éviter les dangers de la précipitation, de s'abstenir de nationaliser les
secteurs-clés de l'économie. S'il n'en était pas ainsi, la politique économique n'aurait aucun moyen d'action réellement déterminant pour ouvrir la voie au socialisme.
La question essentielle est alors de savoir ce qu'il
faut nationaliser. Trois personnalités marquantes de pays
qui avaient amorcé une voie non capitaliste ont apporté
des réponses claires à la problématique. D'abord Bachir
Boumaza, alors Ministre de l'Economie Nationale de l'Algérie, déclarait dans sa présentation de la loi des Finances que « face à ceux qui sont impatients de voir l'Etat
tout gérer, nous devons répondre qu'il faut d'abord donner à l'Etat les moyens de cette gestion. Avant d'assurer
aux masses la prise en main totale de l'économie, il nous
faut les organiser, former les hommes de notre économie,
les former aux responsabilités nouvelles... Et on exigerait
que nous gérions des cafés, des salons de coiffure de luxe
100
ou autres? Non» (1). Il y a ensuite, comme pour faire
écho à cette déclaration, ces remarques de Idrissa Diarra
qui observait au VIe Congrès de l'Union Soudanaise R.D.
A. qu'« en créant le monopole du commerce extérieur et
intérieur, nous avons enlevé dans une large partie au secteur commercial la possibilité de nous créer des difficultés importantes ... Seulement notre inorganisation générale en matière commerciale, les difficultés que nous
aurions éprouvé à nous approvisionner de la même manière constituèrent des raisons qui nous incitèrent à la
prudence» (2). Dans la même direction se situe l'opinion
défendue par D.N. Aidit selon laquelle, le secteur privé
peut être accepté à condition de donner aux travailleurs
la possibilité de défendre leurs intérêts.
Généralement, ces questions font l'objet de très sérieuses préoccupations dans les formations politiques
d'avant-garde des pays sous-développés; elles sont conscientes qu'une nationalisation mal menée peut déstabiliser les bases matérielles et sociales du régime et retarder l'avènement des rapports sociaux socialistes. Elle
peut aussi mener vers l'aventurisme économique aux
conséquences politiques incalculables. C'est pourquoi ces
formations politiques s'efforcent de régler théoriquement
toutes ces questions se rapportant à la nationalisation.
Elles ont le temps de la réflexion pour entrevoir les mesures à prendre et évaluer leurs effets économico-politiques.
Au total, dans l'approche de l'économie de la transition, il est nécessaire de tenter d'unifier la théorie avec
la pratique c'est-àdire d'indiquer les contours des tâches
concrètes d'édification du socialisme.
La nationalisation n'est pas une fin en soi, mais un
moyen qui permet d'un côté un contrôle effectif sur les
instruments de production en vue de disposer des moyens
d'action sur toutes les composantes et rouages de l'économie et de l'autre, de valoriser les ressources naturelles
dans l'intérêt principal du pays tout entier. Elle élargit
alors le secteur socialiste. Du fait de cette importance,
l'acte de nationalisation pour reprendre l'heureuse formule du Pro A.K. Boye (30) doit être méticuleusement
préparé au triple plan juridique, économico-financier et
social. Une fois déterminés avec précision tous les coûts
d'opportunité de caractère monétaire, social et politique,
101
il faut dégager un cadre juridique approprié qui règle et
liquide les droits des parties en cause.
Les décideurs doivent déterminer avec tous les intéressés, anciens propriétaires et salariés, trois tâches à
savoir
- la fixation des secteurs et entreprises nationalisables : il s'agit d'expliquer avec clarté les objectifs visés par la nationalisation et les critères
et paramètres à partir desquels la décision a été
prise. Ces explications permettent de mobiliser de
larges couches sociales pour la défense des pouvoirs publics contre tout acte de sabotage économique et de subversion politique;
- la définition des critères et les formes de calcul de l'indemnisation; c'est une question délia
cate qu'il faut cependant correctement résoudre.
De sa solution dépendront pour une large part,
les relations conflictuelles ou de confiance entre
d'une part les pouvoirs publics et de l'autre le
secteur privé étranger et national;
- la détermination des modes de gestion des secteurs et unités nationalisés; l'option de gestion
doit être clairement précisée : gestion déficitaire,
équilibrée ou bénéficiaire. Ainsi les résultats négatifs ne seront pas exploités par d'éventuels adversaires pour démontrer l'inopportunité et les
contre-performances de la nationalisation. De même, le statut des travailleurs et le rapport entre
utilisateurs et unités nationalisées doivent être
fixés.
La nécessité de clarifier et de solutionner cet ensemble
de problèmes auxquels s'ajoute celui des charges financières établit la complexité de la nationalisation et les en·
jeux qu'elle implique. Des décideurs comme A. Boumaza
et Idrissa Diarra avaient su évaluer toute la délicatesse
de la question et avaient prévenu leur opinion publiquesouvent impatiente de voir certains secteurs économiques
rapidement nationalisés par l'Etat - de la nécessaire prudence qu'il convenait d'observer pour que la nationalisation atteigne les objectifs socio-économiques que l'on est
en droit d'en attendre.
Fondamentalement, la nationalisation est le point de
102
départ obligé pour une valorisation des ressources naturelles et suppose que l'Etat dispose de moyens d'action
en vue d'opérer les transformations structurelles capables d'aider à promouvoir une croissance économique soutenue pour rattraper et combler le retard économique.
Les secteurs-clés dont le contrôle est nécessaire pour
atteindre ces objectifs de développement sont:
- les banques et le crédit: les institutions financières et bancaires seraient unifiées, mais spécialisées pour le financement des opérations productives inscrites dans le plan de développement. La
nationalisation de ce secteur est un moyen adéquat de rationalisation et de spécialisation des
Banques et du Crédit. Elle devra surtout permettre l'élaboration et l'exécution de politiques monétaires et de crédit pour d'une part mobiliser
l'éparqne intérieure en vue de sa transformation
en investissements productifs et d'autre part contrôler les transferts afin que ceux-ci tiennent
compte des impératifs du développement économique et social ;
-les transports notamment maritimes et aériens
en vue de limiter les charges en devises afférentes au frêt des marchandises et à la circulation
des personnes. Par ailleurs, la nationalisation permettra l'amorce de la création d'une marine marchande qui exploitera les façades maritimes;
- le commerce extérieur mais aussi intérieur
doit être à la fois nationalisé et rigoureusement
réglementé pour procéder à une diversification
des échanges susceptible d'améliorer l'état de la
balance commerciale et de paiements; de même,
cette nationalisation permettra un meilleur contrôle des composantes (import-export) des relations internationales. Des efforts doivent être accomplis dans le sens d'une plus grande maîtrise
du commerce intérieur pour enrayer toutes les
spéculations, approvisionner régulièrement les
marchés et offrir un support pour la commercialisation des produits locaux;
-les sources d'énergie ainsi que tous les circuits
de commercialisation et de distribution doivent
103
être totalement nationalisés en vue d'une part de
la création d'une structure unique d'élaboration
et de gestion de toute la politique énergétique
(c'est-à-dire de fixation des priorités, d'utilisation
des sources énergétiques et de détermination des
prix et de leur péréquation) et d'autre part, du
développement des recherches sur des sources
énergétiques alternatives;
- les unités industrielles et agro-industrielles qui
utilisent les ressources naturelles de base et répondent à des besoins de consommation intermédiaire (facteurs modernes pour la production agricole) du système productif ou de consommation
finale. La nationalisation permet l'élaboration
d'une politique industrielle qui s'appuie sur la
transformation des matières premières et la création de filières industrielles. Elle autorise aussi
une alimentation des fonds d'accumulation et une
élevation de la productivité du travail;
- les ressources principales du sol et du soussol pour leur mise en valeur véritable et la renonciation de leur exportation sur le marché mondial à des prix instables et non rémunérateurs.
Cette énumération non exhaustive montre que les
objectifs visés par la nationalisation des secteurs-clés de
l'économie se résument à :
- donner à l'Etat les moyens de lever toutes les
contraintes qui bloquent le développement économique et social, de liquider toutes les structures
coloniales, d'asseoir et de contrôler des politiques
sectorielles qui concourent à créer une agriculture
efficace capable de satisfaire les besoins vivriers
des populations et une industrie de biens d'équipement et de consommation;
- donner aux décideurs les moyens d'exécution
du plan de développement dans tous les secteurs
décisifs de l'économie nationale;
- accroître l'accumulation de capital pour le financement du développement par la mobilisation
dans un Fonds d'Investissement National de tous
les surplus qui se forment au niveau des unités
économiques nationalisées;
104
- réaliser les objectifs de régionalisation de l'économie, de diversification et de liquidation de certaines distorsions structurelles, etc...
L'existence d'un vaste secteur public apporte aux
décideurs et techniciens des instruments sûrs d'action directe sur les structures et les mécanismes économiques
afin de les entraîner dans le sens des objectifs fixés. Une
fois encore, il existe toujours dans un processus de nationalisation un ensemble de risques encourus par les décideurs et qui sont liés à la précipitation. L'acte de nationalisation doit être méthodiquement analysé, économiquement et financièrement évalué et politiquement préparé
pour être un succès. Il doit être populairement soutenu
et pour ce faire, les décideurs se doivent d'associer les
travailleurs à l'élaboration des décisions, à la gestion des
unités et au contrôle de l'exécution des tâches imparties
aux unités nationalisées. Les nationalisations simplement
technobureaucratiques avortent souvent pour des raisons
liées à l'absence de soutien populaire et à la confiscation
par la bureaucratie de la gestion des unités économiques.
La liquidation du sous-développement passe par la
réalisation d'une crosisance économique rapide, régulière
et au taux le plus élevé compte tenu des ressources dis·
ponibles. Des objectifs d'une telle ampleur appellent
d'une part la définition d'orientations sectorielles de production et d'autre part la planification rigoureuse de tous
les efforts productifs.
Précisément, la nationalisation doit être au service
de ces orientations sectorielles qu'il importe de clarifier.
En parcourant l'importante littérature sur la problématique du sous-développement, on s'aperçoit que tous
les courants de pensée s'affrontent sur trois problèmesclés qui déterminent tendanciellement les politiques de
développement:
- la question agraire,
- le modèle d'industrialisation,
- la place des relations économiques et financières internationales.
La stratégie non capitaliste de développement doit
apporter une réponse claire et concrète, sous forme de
politique économique, à chaque problème posé.
105
A. -
LA QUESTION AGRAIRE DANS UNE STRATEGIE
NON CAPITALISTE DE DEVELOPPEMENT.
La question agraire dans les formations sous-développées suscite des recherches variées et complexes à la
mesure de l'apport du secteur dans l'économie nationale
et de l'importance de la population active qu'il concerne
Il s'y ajoute aussi que ces pays connaissent une très profonde crise agraire qui se manifeste dans :
- l'archaïsme des outils et méthodes de production aboutissant à de faibles productivités du travail dont la meilleure illustration est la grande
disproportion entre l'apport de l'agriculture à la
production nationale (entre 20 à 30 %) et la population active utilisée (entre 60 et 80 %) ;
-le caractère autarcique de la consommation se
traduisant par le développement de l'autoconsommation, donc la restriction de l'expansion du marché;
- la faible diversification débouchant sur le développement prioritaire des cultures industrielles et de rente destinées à nourrir les activités
exportatrices au détriment des cultures vivrières;
- les relations fortement inégalitaires entre villes et campagnes se matérialisant par des distorsions en faveur des zones urbaines dans la répartition des revenus et de l'infrastructure de base
économique et socio-culturelle ;
- la persistance d'une paupérisation absolue qui
chasse les paysans des campagnes vers les villes.
L'agriculture, dans le contexte de telles orientations
de production et de structures, est incapable de remplir
sa triple fonction dans le développement économique et
social à savoir :
1.) La centralisation de surplus importants qui vont
alimenter l'accumulation en vue de l'élargissemetn de ses
propres bases matérielles, et du financement d'autres secteurs décisifs de l'économie;
2.) La libération d'une partie de la main-d'œuvre par
suite de l'amélioration de l'efficacité sectorielle du travail
agricole provenant d'une utilisation plus systématique du
progrès scientifique et technique ainsi que d'une mécanisation appropriée;
106
3.) L'élargissement des débouchés, donc du marché
intérieur, pour le système industriel et commercial.
Les réformes agraires multiples et variées n'ont pas
encore réussi à résoudre la crise du monde rural qui
s'amplifie pour revêtir aujourd'hui une dimension politiquement et socialement explosive précarisant ainsi les
fondements des systèmes politiques. Dans cette optique,
on saisit mieux la vivacité des polémiques stériles sur
la question agraire surtout qu'au plan strictement scientifique, il n'existe pas « une science ou une discipline
spécifique des problèmes agraires, encore moins des méthodes et instruments propres à l'étude de ces problèmes» (4). Ajoutons à cela qu'au plan des évaluations
quantitatives, il n'existe pas de critères neutres et socialement acceptables par toutes les parties concernées par
une réforme agraire. En d'autres termes, toutes les transformations et réformes des structures de l'agriculture
concernent des orientations ou des classes sociales précises; dès lors, elles peuvent être jugées bonnes pour des
catégories sociales déterminées et mauvaises pour d'autres.
11 s'avère alors indispensable, au regard de l'importance de l'agriculture dans la stratégie de développement
et des fonctions socio-économiques qu'elle doit accomplir,
de relancer la réflexion en explicitant:
- les contradictions socio-économiques du capitalisme formel dans les campagnes;
- la socialisation de l'agriculture comme réponse à la stagnation;
-les axes d'une politique agraire dans une stratégie non capitaliste de développement.
I. -
Les contradictions socio-économiques du capitalisme
formel dans les campagnes.
Dans « Les fondements de la critique de l'Economie Politique» (5), Marx observe que « c'est à la campagne que
commencent les transformations bien qu'elles s'y achèvent en dernier avec toutes leurs conséquences et sous
leurs formes les plus pures. C'est pourquoi, les anciens
qui n'ont jamais dépassé l'activité urbaine dans les arts,
ne purent parvenir à la grande industrie. Celle-ci impli-
107
que avant tout que la campagne, dans toute son ampleur,
soit entraînée dans la production, non pas des valeurs
d'usage, mais des valeurs d'échange» (6). Cette importance des campagnes commande qu'on l'étudie minutieusement à travers la formation et le fonctionnement des
rapports capitalistes de production qui déterminent en
dernière instance le surproduit social, sa répartition et
son utilisation. Dans les pays sous-développés précapitalistes, l'agriculture représente l'activité économique principale et la rente foncière y est la forme essentielle du
surplus. L'analyse des rapports de production doit alors
indiquer à la fois le processus de formation et d'appropriation de la rente.
Cette problématique a fait l'objet d'importantes recherches et a soulevé de vives controverses portant sur
la nature exacte des rapports de production dominants
dans les campagnes (7). Dans le cadre latino-américain, la
thèse la plus couramment défendue est celle de l'existence de rapports de production féodaux qui coexisteraient
dans une première étape avec le capitalisme et qui seraient dans une étape ultérieure pénétrés ou envahis par
les formes capitalistes. A partir du féodalisme, on interprète alors toute la réalité agricole latino-américaine
ainsi que la crise latente qui la marque. La dynamisme se
situe du côté du secteur capitaliste dont justement l'expansion est entravée par les multiples archaïsmes caractéristiques du secteur traditionnel, féodal de nature.
A y regarder de près, on trouve la théorie de la dualité sectorielle car en définitive, il existe deux systèmes
d'organisation obéissant à des rapports de production
différents, avec des méthodes et des structures sociales
également différentes.
On y ajoute même que le secteur traditionnel est
relativement isolé et fermé, ce qui est la cause de son arriération tant économique que sociale. De cette approche,
on déduit une politique de développement économique
fondée sur l'abolition des structures féodales paralysantes, donc de la grande propriété foncière.
Cette thèse sur le féodalisme (8), version du dualisme dans l'agriculture, présente d'importantes lacunes
théoriques. En effet, ce qui est caractéristique de ces rapports de production soi-disant féodaux, c'est l'extrême
108
concentration de la propriété foncière entre les mains
d'une classe de propriétaires fonciers. Selon Abdellatif
Benachenhou, les formes d'exploitation sont de deux sortes: le métayage et l'exploitation directe (9). Dans la première, le métayer doit au propriétaire une partie de la
récolte et une corvée en travail, tandis que dans la seconde le propriétaire emploie des travailleurs salariés ou du
travail forcé de ses métayers ou de ses esclaves. Mais ce
qui est important dans ce système, c'est la commercialisation de la production destinée au marché extérieur.
Ces culutres industrielles déterminent à leur tour les activités du secteur de subsistance. Tous ces éléments montrent qu'on est en présence de rapports de production
capitalistes. Quelques particularités résident cependant
dans la faiblesse de l'équipement utilisé par les unités
de production avec des niveaux de productivité faibles
et dans la forte concentration des revenus, qui n'autorise
par un rapide élargissement du marché national donc une
extension des rapports de production capitalistes. Ces
particularités traduisent le caractère inachevé de l'accumulation primitive pour reprendre la problématique théorique formulée par A. Benachenhou. Il s'agit dans le fond
d'une expression de la transition où précisément, il ne
peut exister une parfaite adéquation entre la structure
des forces productives et celle des rapports de production. Dans cette optique, on peut s'expliquer le fait que
le capital accumulé sur la base des mécanismes propres
au capitalisme n'élargit, ni ne transforme profondément
le procès de production. Les raisons apparaissent évidentes lorsqu'on s'interroge sur l'utilisation des surplus dans
les formations sous-développées.
Si les études sur la percée des rapports de production capitalistes dans les campagnes latino-américaines
sont nombreuses et variées, il n'en va pas de même pour
l'Afrique Noire (10). Il nous faut rappeler très brièvement les deux phases de l'exploitation coloniale qui ont
façonné le système productif des formations africaines
au moment où celles-ci étaient dans une situation de domination des formes communautaires et des tendances
tribo-patriarcales.
La première phase de la colonisation est celle qui
a succédé à la Conférence de Berlin (1884-1885) consa-
109
crant le partage définitif de l'Afrique. C'est une phase de
mise en valeur rudimentaire et primaire. L'avènement de
la première Guerre mondiale a affaibli notablement les
puissances coloniales qui, au sortir de cette hécatombe,
n'avaient plus les ressources financières et humaines
pour procéder à une exploitation rationnelle de colonies
assez étendues. Le système mis en place était simple. Il
fallait extraire les matières premières et les ressources
naturelles les plus immédiatement disponibles le long des
grands axes maritimes.
Pour ce faire, des installations infrastructurelles
sommaires étaient nécessaires. Les travailleurs étaient
commis de force pour les grands travaux publics. Dans
le même temps, on procédait à quelques regroupements
des villages autour des axes de communication ouverte,
ce qui permettait un contrôle administratif plus facile.
Dans les pays où se développait le système concessionnaire, les travailleurs pouvaient être requis pour des travaux dans des entreprises privées. Les cultures d'exportation se développaient au niveau des villages. L'impôt
exigé en nature se généralisa et exerça quelques effets
décomposants sur l'économie. Le paysan, se trouvant dans
l'obligation de s'en acquitter, allait développer principalement les cultures d'exportation au détriment des cultures vivrières et de subsistance. Cet aspect se perpétua
en se renforçant de telle façon que les cultures vivrières
reculèrent au point d'introduire dans les campagnes africaines d'importants déficits vivriers.
Cette forme d'exploitation coloniale contenait deux
limites essentielles ayant trait d'un côté au caractère arbitraire des méthodes employées et de l'autre aux formes
mêmes de la production.
L'utilisation abusive du travail forcé sur les chantiers publics ou privés entraîna une surexploitation du
travailleur pouvant déboucher sur des révoltes; dès lors,
l'appareil colonial se trouva dans l'obligation d'accroître
les moyens répressifs qui eurent un coût excessif et multiplièrent l'encadrement administratif, entraînant de
lourdes charges d'infrastructures. Il devient évident que
ces charges étaient trop lourdes pour les métropoles coloniales ruinées par la guerre.
La seconde phase vit apparaître des formes désuè-
110
tes de production. Celle-ci, pour être rentable, exigeait
l'existence d'une infrastructure adéquate et d'un appareil administratif. Tout cela nécessitait de lourds investissements que les métropoles ne pouvaient réaliser puisqu'engagées dans la reconstruction de leur propre économie. Le système du recrutement forcé portant sur des
travailleurs n'ayant aucune qualification n'était rentable
que pour les petites entreprises coloniales; les grandes
elles, avait de plus en plus besoin d'une main-d'œuvre
lettrée, plus qualifiée, et s'accomodent mal de l'inexistence d'un marché du travail.
Pour ces deux séries de raisons, cette forme d'exploitation était condamnée à disparaître. Après la seconde
Guerre Mondiale, le système capitaliste allait subir de
très profondes mutations structurelles. Ce nouveau capitalisme plus efficace dans ses formes d'organisation et
de gestion, plus organisé et plus exigeant, introduisit dans
les colonies de nouvelles formes de mise en valeur qui
furent plus fonctionnelles avec le renforcement du réseau
routier et ferroviaire, l'extension des cultures d'exportation et l'encouragement par diverses mesures (11) des
activités commerciales. Dans ce nouveau cadre, l'impôt
fut désormais payé en numéraire, ce qui allait d'abord accélérer à la fois le processus de dissolution des anciens
rapports de production et de monétarisation de l'économie et ensuite généraliser l'échange marchand. Ainsi, les
zones de production non marchande furent entraînées
dans ce processus et se trouvèrent dans l'obligation de
vendre une partie des récoltes pour se procurer le numéraire permettant de faire face à certains besoins sociaux. C'est à partir de ce commerce que se forma toute
une classe d'intermédiaires et d'usuriers vecteurs de l'endettement du paysannat (12).
Quant à la production agricole, elle se déroula dans
le cadre de la communauté domestique qui avait la charge, au travers de rapports de oroduction précapitalistes,
de reproduire le système social et la force du travail. En
nrenant l'exemple des pays où dominent encore aujourd'hui les rapports communautaires, on observe que tout
le procès de production est fondé sur l'organisation familiale et villageoise (13) dont la caractéristique est l'absence de propriété privée du sol. Dans ce cadre, l'accès à la
111
terre est fonction du statut de chacun dans le groupe,
lequel est déterminé par les responsabilités que l'on exerce dans la famille. On retrouve là les traits caractéristiques des modes de production « petit paysan» où l'unité
de production se réduit à la famille.
A ce niveau de l'analyse, le problème qui se pose est
de savoir comment les rapports de production capitalistes vont s'implanter dans les campagnes dans l'optique
de la transition vers ce capitalisme périphérique.
Samir Amin est incontestablement l'auteur qui a donné de cette problématique les développements les plus
lucides, les plus profonds et les plus rigoureux (14). Il
observe que la tendance du capitalisme est de devenir exclusif lorsqu'il est fondé sur l'élargissement et l'approfondissement du marché interne. Seulement, tel n'est pas
le cas pour les formations sociales sous-développées;
dans ces pays, le capitalisme introduit de l'extérieur est
dominant mais non exclusif. Dès lors, à l'homogénéité
grandissante des formations du Centre, s'oppose l'hétérogénéité persistante de celles de la Périphérie. Cependant,
cette hétérogénéité n'a aucun lien avec le dualisme sectoriel dont l'auteur rejette les prémisses théoriques. Il estime plutôt que toutes ces formations périphériques présentent trois caractères essentiels communs:
- la prédominance du capitalisme agraire et
commercial dans le secteur national ;
- la constitution d'une bourgeoisie locale dans
le sillage du capital étranger dominant;
- la tendance à un développement bureaucratique original.
C'est principalement le premier trait qui rentre dans
notre propos.
Il est d'ailleurs présenté comme le caractère classi·
que le plus frappant, le plus visible des pays sous-développés. En effet, dans ces pays, la classe dominante classique est le grand propriétaire, non pas féodal, mais planteur qui produit pour l'exportation. C'est en Amérique Latine qu'on en retrouve la forme la plus achevée, c'est-àdire la forme latifundiaire; et Cuba est l'exemple typiQue où cette forme a été mise en place sans grande transformation des structures précapitalistes. Seulement, lorsque la formation du latifundium procède de la transfor112
mation des structures précapitalistes, elle se heurte à des
résistances sociales (15). C'est le cas des pays où la communauté villageoise est dominante. Cette résistance est
justificative de la stagnation car en définitive, le capitalisme ne réussit pas à modifier les rapports de production traditionnels. Cependant, certaines conditions peuvent amener une modification de la situation et permettre l'avènement d'un capitalisme agraire, spontanément,
dans les campagnes. Ces conditions analysées par Samir
Amin sont au nombre de quatre (16) :
-l'existence d'une société traditionnelle suffisamment hiérarchisée, de manière que certaines couches de la chefferie traditionnelle disposent d'assez de pouvoir social pour s'approprier des parcelles importantes de terres claniques;
- l'existence de densités de population moyenne
de l'ordre de 10 à 30 habitants au kilomètre carré. Des densités plus faibles rendant l'appropriation privative des terres inefficace et l'offre potentielle de main-d'œuvre salariée insuffisante;
-l'existence de cultures riches permettant de dégager par hectare et par travailleur un surplus
suffisant dès le premier stade de la mise en valeur
caractérisée par une faible mécanisation et, de ce
fait, par une médiocre productivité de l'agriculture, encore extensive;
- l'existence d'une autorité politique favorable
à ce type de développement. Les facilités offertes
pour l'appropriation privée du sol, la liberté du
travail, le crédit agricole individuel ont joué partout un grand rôle dans la constitution de cette
bourgeoisie rurale.
L'avènement du capitalisme, seul susceptible d'opérer les transformations Qualitatives de l'agriculture, n'intervient que si ces conditions sont remplies. Ainsi pour
Samir Amin, l'absence de telles conditions explique que
« d'immenses zones demeurent encore hors du mouvement}) ; il s'agit là de l'Afrique « qui n'est pas partie »,
« qui ne peut pas partir ». C'est aussi l'Afrique nlrale
« sans problèmes », en ce sens qu'elle peut faire face à
sa croissance démographique sans modification des structures, par simple extension de l'économie traditionnelle
de subsistance» (17).
113
Au total, pour Samir Amin, le handicap des structures rurales primitives de l'Afrique Noire - l'absence de
grandes propriétés foncières - devrai t se muer en avantage à l'époque contemporaine. En effet, tandis qu'en
Orient et en Amérique Latine, la solidité des structures
de type semi-féodal constitue encore très souvent un obstacle majeur au développement capitaliste, dans de nombreuses régions d'Afrique noire, une bourgeoisie rurale
de planteurs modernes s'est constituée très rapidement»
(18). L'auteur introduit cependant quelques restrictions,
car finalement, le progrès n'a pas affecté l'ensemble des
Etats africains et en conséquence d'importantes régions
stagnent en dehors de cette transformation. Ainsi se trouvent résumées les positions théoriques qui, d'une part
lient le dynamisme au capitalisme et la stagnation aux
modes de production traditionnels que ceux-ci soient de
type communautaire ou tributaire et d'autre part présentent les conditions de formation d'une bourgeoisie rurale
seule capable de transformer radicalement les campagnes
africaines. Cette analyse débouche sur l'évaluation des limites propres au développement du capitalisme agraire
(19) : possibilité d'une expansion des zones stagnantes et
d'utilisation improductive des faibles revenus des Koulacks.
Cette conception est d'une très grande cohérence et
révèle des formulations tout astucieuses; cependant, elle
soulève une foule de questions. Il y a en premier lieu les
interrogations ponctuelles par lesquelles il faut commencer. Les théories de Samir Amin bien que séduisantes,
ont le défaut de reposer presque toujours sur des hypothèses non démontrées à partir desquelles l'auteur édifie
son échaffaudage de déductions. C'est le cas notamment
des conditions supposées nécessaires pour l'instauration
du capitalisme agraire. C'est mal connaître les sociétés
africaines que d'imaginer qu'elles ne sont pas suffisamment hiérarchisées. Bien au contraire, depuis la cellule
de base qu'est la famille jusqu'aux échelons supérieurs
de la société, chaque individu a un statut réel précis. Ainsi au niveau de la famille, le chef détient toutes les prérogatives de la décision sur les personnes qui lui sont subordonnées. Il décide de la répartition des terres et des
revenus et même des actes de la vie civile.
114
Evidemment, Samir Amin en affirmant l'inexistence
d'une forte hiérarchisation l'entoure au départ de condi·
tions qui, par leur importance, finissent par être la règle.
La même remarque peut être faite à propos de l'existence de cultures riches. Observons que la colonisation a imposé principalement des productions agricoles qui faisaient à l'époque, l'objet d'une demande importante au
niveau de la Métropole. On ne comprendrait donc pas
qu'elle imposât une culture pauvre. D'ailleurs, la richesse ou la pauvreté d'une culture ne peuvent décider des
formes de production, ni d'exploitation. Si nous prenons
le cas de l'arachide, elle a été pendant longtemps considérée comme une culture pauvre, ce qui s'est avéré par la
suite totalement faux au regard des diverses utilisations
dont elle fait actuellement l'objet. On sait au Sénégal
qu'une exploitation mécanisée de l'arachide était expérimentée par des entreprises privées (CFAO) et publiques
(CGTO). Les rendements obtenus étaient extrêmement appréciables (1 tonne/ha).
Seulement, si ces formes d'exploitation ont été abandonnées. cela ne tient absolument pas à une quelconque
pauvreté de la culture en question. mais simplement au
fait qu'il était plus rentable pour le système d'abandonner la production à l'exploitation familiale (donc à la petite production paysanne) dont les charges étaient beaucoup moins lourdes. Celle-ci procure un double avantage
souligné par le Comité d'Information du Sahel qui note
que « la production de denrées de subsistance (mil, sorgho) par le groupe rend possible la diminution du coût
de l'entretien de la force de travail qui s'applique à la
culture d'exportation. De plus, cette dernière peut bénéficier d'une augmentation du volume de cette forme de
travail grâce aux liens de dépendance ou de coopération
qui lient les membres du groupe domestique}} (20).
L'avantage est net du côté du système central qui
peut ainsi disposer d'une production (21) aux moindres
coûts, car les moyens de subsistance nécessaires pour la
reproduction du travail sont assurés à l'intérieur des
rapports sociaux traditionnels. Ceci montre toutes les limites Qui s'attachent à cette condition de naissance du
capitalisme à partir d'une culture riche. Le système dans
son ensemble organise la production de la façon la plus
115
rentable sans accorder un intérêt particulier à la richesse
ou à la pauvreté de la culture imposée. Quant à la condition démographique, elle ne nous avance pas plus que les
autres. Quel que soit le volume réel de la population, l'individu ne peut avoir qu'un droit d'usage sur la terre; ce
qui est, selon le mot de G.A. Kouassigan, une forme de
participation à une souveraineté collective (22). En envisageant l'hypothèse d'une forte densité démographique
ayant pour ultime conséquence l'impossibilité pour certains producteurs de trouver une parcelle de terre, il
restera à prouver que cette situation débouchera sur un
renforcement ou une instauration de la propriété privée
du sol. Il est parfaitement possible - cela s'est observé
dans certaines régions - que les vagues démographiques
excédentaires prennent les chemins de l'exode ou changent de métier; ce qui rétablit l'équilibre. Il est également possible que cet équilibre se réalise par un accroissement des prix sans lien direct avec les formes de propriété. Encore convient-il de préciser que cette hypothèse
a très peu de chance de se réaliser au regard de l'important stock de terres et du faible niveau démographique.
Que peut-on enfin penser de la quatrième condition portant sur la volonté de la puissance publique de favoriser
le capitalisme dans les campagnes? Nulle part dans les colonies, cette volonté n'a fait défaut. Dans cette direction,
certains administrateurs comme Faidherbe ont même
tenté d'introduire les formes privatives d'appropriation
du sol. Cette décision a été très rapidement abandonnée
car elle ne présentait pas un grand intérêt ni pour les
colons, ni pour les populations locales. Au total, on peut
dire avec Jean-Pierre Olivier que pour « un économiste
qui se réclame de Marx, il y a là, de bien étranges « conditions» à l'émergence d'une classe sociale: ni trop, ni
trop peu de hiérarchie, ni trop ni peu de densité, de bons
rendements et la bienveillance des gouverneurs coloniaux» (23). Par-delà ces remarques ponctuelles, les thèses de S. Amin soulèvent des interrogations plus profondes. Nous en soulignerons essentiellement deux concernant directement notre propos.
La première est que tout compte fait, S. Amin reconduit le dualisme sectoriel bien qu'il ait fermement critiqué cette vision. Quelle que soit l'astuce analytique pour
116
montrer que le fonctionnement des structures de la périphérie dépend du Centre, on retrouve dans sa démarche,
des dualités finement habillées entre: centre-périphérie
capitalisme - traditionnalité transformations dynamiques - stagnation. Cette dualité est expliquée comme
étant l'expression de l'hétérogénéité caractéristique des
structures des formations périphériques. Les connexions
ne sont que rarement apparentes dans la dynamique même des formations sociales en présence. Le premier couple Centre-Périphérique dans sa version platement dualiste est aujourd'hui sérieusement remis en question (24).
Ce ne sont pas les concepts qui sont directement en cause,
mais la réalité profonde qu'ils recouvrent. Ce qui nous
intéresse le plus immédiatement, c'est la dualité au niveau
de la périphérie entre la stagnation propre aux modes de
production traditionnels et le dynamisme caractéristique
du capitalisme.
Pour Samir Amin, «l'Afrique qui ne peut pas partir» est précisément celle où dominent les modes de production traditionnels et où le capitalisme ne peut prendre racine. En fait, le capitalisme vecteur des transformations ne peut se développer du fait de la résistance
opposée par les rapports de production traditionnels.
que l'on avait théoriquement rejetée. En effet, les campagnes arriérées et stagnantes sont bien celles qui gardent
encore les rapports traditionnels. En tant que cette situation dure, aucun développement véritable ne s'opèrera.
L'amorce de ce développement est liée à l'instauration
du capitalisme réputé dynamique par essence. La politique économique qui s'impose sera celle qui fera sauter
le blocage constitué par la traditionalité pour libérer les
forces potentielles du capitalisme agraire. s'il n'en était
pas ainsi, ce serait la stagnation. A ces conceptions, on
peut apporter les mêmes critiques que Samir Amin formule parfois à l'endroit des théoriciens du dualisme.
Dans le fond, les modes de production dans la périphérie africaine ont été profondément transformés pour
permettre au capitalisme de contrôler l'essentiel des procès de travail et de reproduction, partant l'extorsion de
la plus-value. En somme, cela semble fondamental : le
processus de réalisation est toujours historique et em117
prunte diverses formes qui expliquent les variétés structurelles du capitalisme. Qu'il y ait stagnation, c'est un
fait macroéconomique incontestable. Seulement, la stagnation n'a jamais été une entrave rigide à la rentabilité
des unités capitalistes de production.
Est-il pensable de concevoir un seul instant que le
capitalisme périphérique pouvait présenter des avantages sociaux pour les populations locales ? Concevoir cela
équivaudrait à admettre qu'à la périphérie, le capitalis.
me est porteur d'un dynamique exceptionnel. Cette affirmation assez curieuse est pourtant clairement présente
dans les formulations de S. Amin, ou en filigrane dans
certaines de ses analyses (25).
Or, il ne nous semble pas que le capitalisme puisse
induire les transformations nécessaires à cause de son
modèle d'accumulation fonctionnant exclusivement au
profit des économies du Centre et du fait que le dynamisme de ce système est historique. Il n'est en conséquence ni permanent, ni éternel. En plus, il n'existe aucune
certitude, ni théorique, ni pratique selon laquelle le capitalisme est le seul système social capable de mener à bien
les transformations. On touche au mythe qui a la vie très
dure et qui veut que les formations sous-développées ne
puissent nullement faire l'économie de l'étape capitaliste
(26).
La deuxième interrogation de fond que soulève la
théorie de Samir Amin est qu'en définitive, elle ne nous
édifie pas précisément sur la nature exacte des rapports
de production traditionnels et les divers liens de subordination entre les pouvoirs traditionnels et l'appareil
d'Etat. L'absence d'une caractérisation correcte des rapports sociaux à la campagne est donc la source de certaines imprécisions sur l'analyse du capitalisme périphérique et de ses contradictions internes.
De même, la négligence apportée aux divers liens entre les différents pouvoirs en place conduit à étudier la
récupération des structures traditionnelles et leurs transformations organiques pour servir le capitalisme.
A la suite de J.P. Olivier, nous pouvons déceler dans
les campagnes africaines trois catégories de rapports de
production articulées au capitalisme.
D'abord, les rapports de production traditionnels
118
dont les formes sont souvent maintenues car elles servent mieux dans cet état le capitalisme. Dans la plupart
des régions, les productions sont destinées à l'exportation et doivent permettre d'acquérir les revenus monétaires nécessaires à l'achat de certains produits manufacturés et au paiement de l'impôt. Les cultures de subsistance produites sous des rapports sociaux traditionnels autorisent la reproduction du travail dans les meilleures
conditions. Là où prédominent les formes communautaires, se développent des relations de solidarité au sein du
groupe domestique pour assurer la consommation quotidienne aux producteurs. Ainsi, l'entretien et la reproduction de la force du travail sont reportés sur le groupe
domestique, sur la structure familiale.
Ensuite, on trouve les rapports de production propres à la petite production paysanne. Cette production
est le lieu d'une différenciation sociale entre paysans ri·
ches et paysans pauvres. Il est le domaine, comme le souligne J.P. Olivier, d'évolution du Koulack de Samir Amin.
Celui-ci est dans la plupart des situations, un paysan-commerçant relié par des formes diverses au secteur industriel et commercial. Les revenus annexes que le Koulack
peut tirer de ses activités purement spéculatives peuvent
s'avérer plus importants que les revenus d'origine agricole. D'ailleurs, les paysans pauvres peuvent aussi avoir des
revenus annexes importants. En effet, le paysan pauvre
est obligé d'exercer des métiers auxiliaires durant les mor
tes saisons. Le Comité du Sahel note dans cette direction que « cette double combinaison : d'un côté le paysan ayant des activités commerciales et usuraires, de l'autre le paysan obligé d'exercer des activités auxiliaires
pour subvenir aux besoins du groupe domestique, traduit
un certain degré de pénétration du capitalisme dans
l'agriculture» (27).
Il y a enfin les rapports de production propres au
secteur agro-capitaliste. Il s'agit d'un sous-secteur où le
travail salarié est combiné avec des instruments de production exigeant des investissements lourds (terres, barrages, matériels hydro-agricoles, technologie).
Le capitalisme prenant pied de cette façon, impose
ses formes d'exploitation et la logique du profit optimum.
Il le fait souvent pour saisir des opportunités d'investis119
sement ou des situations de pénurie qui peuvent rentabiliser l'intervention d'unités de production ou de valorisation agricole.
Toutes les analyses, quelles que soient leurs limites
méthodologiques, la faiblesse de leur formulation et la
fragilité de leurs hypothèses, ont tout de même établi
unanimement que dans les campagnes des formations sociales sous-développées, le capitalisme ne contrôle pas
le procès de production et de travail et en conséquence
n'impose pas ses rapports de production et ses formes
d'exploitation. Cependant, dans certains cas, ces rapports
constituent le noyau central qui se subordonne aux autres modes et formes de production. C'est dire que le capitalisme dans l'agriculture ne présente pas une tendance à devenir exclusif et à prendre racine définitivement.
Ce qui est caractéristique, c'est que le capitalisme qui
s'établit est strictement formel et s'avère totalement inapte à amorcer un processus dynamique de transformation
et d'accumulation.
Il importe alors d'évaluer les potentialités du capitalisme formel dans l'agriculture, les contradictions caractéristiques pour mieux cerner les réponses socialistes à
la crise de l'agriculture.
En résumant les conclusions auxquelles les réflexions
ont abouti, on peut dire que le capitalisme dans les campagnes n'a pas systématiquement recherché (28) ni réussi à contrôler directement le procès de production et de
travail; ce qui se serait traduit par:
- la généralisation des formes privatives d'appropriation du sol et pour l'Afrique Noire la liquidation ou le
recul des structures communautaires (29) ;
- la transformation du système des forces productives avec l'introduction de nouveaux moyens de travail ;
- l'apparition et la consolidation d'un salariat agricole.
Si de telles conditions étaient réunies et fonctionnaient correctement, le capitalisme s'instaurerait pour
impulser son dynamisme propre et son mode de reproduction.
Tout dans les pays sous-développés semble établir
que l'on est loin d'un passage net vers des formes privées
d'appropriation et d'exploitation de la terre avec une stra-
120
tification socio-économique appropriée opposant d'un côté une minorité riche et de l'autre l'écrasante majorité des
paysans sans terre. La preuve la plus apparente de cette
non généralisation du capitalisme agraire réside dans le
dualisme qui voit la coexistence d'un sous-secteur moderne où évoluent sans encombre les rapports capitalistes
de production et un sous-secteur traditionnel. Le fait que
ces deux sous-secteurs ne soient pas unifiés traduit les
limites mêmes du capitalisme qui n'arrive pas à évoluer
des formes formelles vers des formes réelles, lesquelles
auraient permis l'uniformisation dans l'agriculture du
procès de production et du procès de travail.
Cette problématique a été posée et analysée avec une
rare clairvoyance par A. Benachenhou qui estime que « le
dualisme constitue un effet de surface d'une accumulation
primitive avortée» (30) qui place le capitalisme dans l'incapacité de restructurer l'agriculture. C'est là, une ligne
théorique qui permet un véritable retour à Marx et se démarque de ces formulations astucieuses fondées sur d'hypothétiques conditions d'avènement du capitalisme dans
les campagnes.
Le concept d'accumulation primitive est un concept
de transition vers le capitalisme, autrement dit l'avènement de celui-ci est profondément lié à la réalisation de
celle-là. Le processus historique du passage d'une forme
non capitaliste vers le capitalisme s'est toujours effectué
par un double mouvement : l'un destructeur des formes
précapitalistes et l'autre reconstructeur, donc de mise en
relation des éléments issus de la dissolution. Le second
mouvement amorce le commencetnent du fonctionnement
du mode capitaliste de production. Cependant, comme
l'observe A. Benachenhou, « il est pratiquement impossible de distinguer dissolution et mise en relation car l'une
est synonyme de l'autre; il en est ainsi dans tous les cas
où le capital prend possession simultanément des moyens
de production et de la force de travail et qu'il a sous sa
dépendance formelle le procès de production tel qu'il
existait déjà» (31).
Dans les formations sous-développées, le processus
de dissolution s'est réalisé sur des bases particulières. Il
n'est pas intervenu par suite de mutations structurelles
qui seraient l'aboutissement de contradictions internes
121
venues à maturité: il s'est plutôt déclenché de l'extérieur
à partir du déploiement du capital à l'échelle mondiale,
donc il tient son origine de l'impérialisme et de l'internationalisation du capital.
Ainsi, la connexion des pays sous-développés à la division capitaliste internationale du travail conditionne
aussi bien les structures productives que les formes d'accumulation au sein de l'agriculture. Elle entraîne d'une
part une spécialisation dans des productions agricoles
destinées au marché mondial et d'autre part la ruine de
l'artisanat et la substitution des biens initialement offerts
par ce secteur par des produits importés. Par ailleurs,
les artisans totalement ruinés vont se transformer en producteurs séparés de leurs instruments de travail et disponibles pour servir le capital. La conjugaison de ces deux.
conséquences détermine les formes particulières d'accumulation qui ne permettent pas au capital d'éprouver
l'opportunité d'investir totalement l'agriculture. Elles dé·
terminent aussi les formes de constitution de l'armée de
réserve.
Toute la littérature actuellement consacrée aux pays
sous-développés et les statistiques illustratives dénotent
une nette prédominance des activités agricoles dans le
processus productif. En réalité, l'agriculture joue un double rôle dont le premier est de produire les biens destinés à l'exportation et le second de produire les biens de
subsistance nécessaires à la reproduction du groupe domestique. Ces questions ont certes été effleurées mais il
faut y revenir pour bien illustrer le caractère pervers de
l'accumulation.
Le système dominant impose la nature des activités
exportatrices qui lui sont destinées. Ces structures spéculatives procurent aux producteurs le numéraire nécessaire pour le paiement de l'impôt et l'acquisition des
biens manufacturés de consommation. Les cultures vont
alors se présenter désormais comme un vecteur de la monétarisation et de l'accélération de la circulation marchande. Cependant, elles restreignent le développement
de la production vivrière. En effet, les produits vivriers
n'ayant pas de circuits modernes de commercialisation
- principalement parce qu'ils ne font pas l'objet d'une
demande extérieure, donc n'intéressent pas les opérateurs
122
modernes - ils ne peuvent satisfaire les besoins croissants en numéraire des producteurs. Dans ces conditions,
leur volume reste stagnant ou même diminue et de plus,
ils donnent naissance à une forte spéculation de la part
d'intermédiaires locaux chargés de leur commercialisation dans des circuits traditionnels. A partir de ces considérations structurelles, il importe de s'interroger sur la
répartition et l'utilisation des revenus en provenance des
activités agricoles.
Les revenus distribués à l'occasion de la commercialisation de la production agricole font l'objet d'une répartition particulière entre divers groupes sociaux évoluant
à l'intérieur ou en marge du secteur agricole. Soulignons
tout d'abord que ces revenus subissent une première
ponction de la part du système mondial à travers les mécanismes de la détérioration des termes de l'échange, expression de l'accumulation à l'échelle mondiale. La seconde ponction est le fait de la Puissance Publique dont
les finances sont essentiellement nourries par les divers
impôts et taxes qui frappent les activités agricoles. Ces
ressources contribuent à l'entretien et à la reproduction
des lourdes bureaucraties politico-administratives; la
troisième ponction est opérée par les paysans-commerçants, certains intermédiaires et divers spéculateurs. En
effet, les circuits de distribution dans le milieu agricole
sont très particuliers et secrètent une gamme d'intermédiaires et de spéculateurs qui contribuent à alourdir la
dette de la paysannerie. Les marchés des produits vivriers
étant inorganisés, ces intermédiaires trouvent là un créneau et l'occupent.
En situation d'abondance, ils achètent les surplus à
des prix très bas pour les écouler à des prix élevés dans
les périodes de soudure. Un autre procédé consiste à faire
des opérations de prêt financier à des taux usuraires
lorsque les paysans sont pressés par le fisc ou un besoin
social comme le financement d'une cérémonie. Enfin, une
quatrième ponction est faite sous forme de rente. Bien
que celle-ci n'apparaisse pas uniformément partout,
quand elle le fait, elle demeure la forme essentielle du
surproduit social (32).
Dans ce cas, le producteur est amené à verser une
123
partie de son travail soit en nature, soit en espèce au
propriétaire foncier.
A partir de cette répartition, on s'aperçoit que les
populations rurales, quelle que soit leur contribution qualitative et quantitative à la formation du produit social,
sont très loin de jouer un rôle en conformité avec leur
importance effective. Elles profitent très peu de leurs
efforts productifs. Les bas revenus dont elles disposent
expliquent qu'elles ne participent que marginalement à
l'expansion du marché national. On comprend alors pourquoi le modèle de consommation induit par le sous-système industriel ne se généralise pas à l'ensemble national : le faible niveau des revenus à la campagne en exclut entièrement les populations rurales. De plus, l'avènement de la monétarisation et des intermédiaires complique la circulation des produits vivriers si bien qu'au bout
du compte, l'agriculture ne réussit même plus à nourrir
adéquatement le paysan.
L'absence de surplus au niveau des producteurs agricoles ne permet pas véritablement une amélioration des
techniques de production. Dès lors, ces travailleurs continuent d'utiliser les techniques traditionnelles qui, bien
que parfaitement adaptées aux conditions naturelles, donnent de très faibles rendements. A ce niveau, il apparaît
plus clairement encore que le capitalisme dans les formations sous-développées restera formel (33). Les rapports
de production proprement capitalistes n'envahissent pas
tous les secteurs de la vie économique et sociale pour leur
insuffler un dynamisme propre auto-entretenu. En effet,
l'expérience historique montre que le capitalisme prend
véritablement racine dans une formation sociale lorsqu'il
réussit à faire éclater les rapports précapitalistes préexistants. La destruction, par des voies et des formes différentes, des bases de l'ancienne société entraîne en premier
lieu la libération de la force de travail (en conséquence
leur transformation en prolétaires), en second lieu la
séparation de ces travailleurs d'avec leurs instruments
de travail (ce qui entraîne l'obligation de la vente de la
force de travail, base de la création du salariat) et en troisième lieu l'accumulation capitaliste.
Ces conditions historiques d'instauration du capitalisme sont loin d'être réunies à quelque niveau où le pro-
124
blème est envisagé si bien que malgré l'imposition de
l'extérieur des rapports capitalistes, ceux-ci sont incapables de détruire, de décomposer totalement les formes
précapitalistes. Dans les cas où les rapports précapita·
listes connaissent un processus de dissolution, on constate que le capitalisme ne réussit pas ou n'éprouve pas
la nécessité d'imposer ses propres formes, sa propre dynamique. On perçoit, en conséquence, une impossibilité
de passage d'un capitalisme formel à un capitaliste réel.
C'est peut-être là le lieu d'une transition bloquée au sens
où l'entend Samir Amin. Ce blocage s'expliquerait par
un ensemble d'obstacles dont au moins quatre méritent
d'être soulignés.
Le premier obstacle a trait à la circulation des surplus des campagnes vers les villes. A. Smith. on se rappelle, avait déjà établi que dans les économies agraires,
l'agriculture demeurait la principale source d'accumulation qui alimentait le fond des investissements productifs
pour les secteurs primaire et secondaire. Or, tel ne
semble plus être le cas dans les formations agraires sousdéveloppées où les surplus qui se forment dans les campagnes prennent la direction des villes pour s'investir
principalement dans la spéculation immobilière et commerciale. La conséquence de cette utilisation des surplus
explique en partie la reproduction de la stagnation dans
les campagnes, ce, d'autant plus que lE's maigres revenus
laissés aux paysans ne leur permettent même pas l'acqui
sition de biens de production canables de changer posi
tivement les conditions de travail.
Le second obstacle souligné réside dans la faiblesse
de la snhère de la circulation; en effet, les diverses pono
tions financières opérées sur les campagnes par divers
agents et divers procédés limitent la demande solvable,
donc la circulation des marchandises. Les possibilité~
d'extension du marché dans les campagnes seront très
restreintes et en conséquence. l'étendue de la snhère de
la circulation dépendra de J'accumulation dans les villes
qui vont déterminer en fin de compte le volume du be·
son social en matières premières, en produits industriels
et alimentaires.
Il devient alors clair comme l'observe A. Benache·
nhou que le capitalisme formel ne peut se transformer en
125
capitalisme agraire réel que dans les limites qui lui sont
tracées par le développement du capitalisme dans l'industrie.
Le troisième obstacle est d'ordre financier et se présente en réalité sous deux aspects : l'accès difficile au
financement et les termes de l'échange entre produits industriels nécessaires à l'agriculture et produits agricoles.
En effet, les canaux du crédit sont parfaitement fermés
à l'agriculture, notamment traditionnelle. Ce refus de financement tient à plusieurs raisons dont la plus importante est la non intervention du grand capital dans ce
sous-secteur.
Le grand capital privé ne s'est intéressé que très peu
à l'agriculture parce que certaines cultures industrielles
sont beaucoup plus rentables dans le cadre d'une production familiale. Ces petites exploitations ne peuvent intéresser ni qualitativement, ni quantitativement des institutions financières. De plus, leur faible surface commerciale n'offre pas suffisamment de garantie et ne cadre
pas avec les critères capitalistes d'octroi de crédit. Le second aspect de ce troisième obstacle, réside dans les ter
mes de l'échange qui sont défavorables à la campagne
On retrouve ici une question importante mais qui est restée sous-analysée dans la théorie économique. Ce peu
d'intérêt procède de l'utilisation exclusive des termes de
l'échange comme instrument de mesure des relations extérieures. De ce fait, on finit par restreindre le champ
d'application des termes de l'échange qui, au sens plein
du mot, mesurent aussi les relations intersectorielles internes. Dans ce sens, ils ont fait l'objet de très vives discussions théoriques dont l'enjeu était de savoir si dans
la construction du socialisme en Union Soviétique, la
classe ouvrière ne devait pas exploiter la paysannerie. En
effet, en élevant les prix des produits industriels et en
abaissant ceux des produits agricoles, on procède à un
transfert de revenu de la paysannerie vers la classe ouvrière.
A partir de cet échange inégal, la reproduction de la
force du travail industriel s'effectue aux moindres coûts;
cela entraîne une appréciation des fonds d'accumulation
en faveur de l'industrie. Cette problématique se retrouve
dans des termes identiques dans les formations sous-dé-
126
veloppées où l'élevation des prix de biens industriels et la
relative stabilité de ceux de l'agriculture correspondent
à une détérioration des termes de l'échange défavorable
à l'expransion du capitalisme dans les campagnes. Cette
détérioration correspond en fait à une extorsion de surplus au profit des agents produisant ou distribuant les
biens d'équipement destinés à l'agriculture. Seulement,
cette élevation permanente des prix, liée à la fois au degré de monopolisation et à la situation inflationniste caractéristique des sociétés industrielles, limite l'expansion
de la demande déjà trop faible en biens d'équipements
du monde rural. Ainsi, un certain seuil de prix vite franchi exclut une bonne part de paysans à revenu moyen
qui pouvaient prétendre, par une modernisation de leur
exploitation, à améliorer leur situation sociale.
Au total, le problème financier analysé sous ce double
aspect se présente comme un obstacle à l'élargissement
et à la consolidation des bases du capitalisme. Et on voit
qu'en définitive, cet obstacle du passage d'un capitalisme
formel à un capitalisme réel est profondément lié aux
contradictions internes du fonctionnement de la formation sociale et non à de quelconques archaïsmes propres
aux campagnes ou même à l'absence de conditions particulières.
Le dernier obstacle est d'ordre politique. A. Benachenhou souligne dans ce sens que le propriétaire foncier n'a
aucun intérêt à transformer radicalement son exploitation lorsque pèse en permanence sur lui la menace d'une
réforme agraire. Celle-ci est absolument inévitable dans
des formations sous-développées où la ruralité est dominante alors même que les campagnes n'exercent pas un
rôle comparable à leur poids économique et politique.
Dans ces conditions, les paysans à revenu moyen ou ceux
qui sont en voie d'enrichissement n'éprouvent pas la nécessité de transformer radicalement les campagnes dans
le sens de l'instauration d'un capitalisme réel.
Souvent, ils préfèrent investir leurs surplus dé'll1s
l'économie urbaine accentuant ainsi la dés accumulation
caractéristique dans les campagnes (34).
Le jeu de ces obstacles établit que le capitalisme
agraire ne s'est installé définitivement nulle part car il
n'est pas une condition nécessaire et suffisante pour l'ex127
pansion et le développement d'une agriculture productrice de biens destinés au marché mondial.
Dans ce contexte, il est évident que tout réaménagement structurel entrepris par l'Etat pour établir et renforcer des rapports de production capitalistes est irrémé·
diablement voué à l'échec. L'illustration la plus édifiante
peut être décelée dans les résultats très décevants des
réformes agraires accomplies en Amérique Latine et au
Maghreb; elles ont entraîné:
- une paupérisation des paysans avec quelques
ilôts de prospérité;
- une crise agraire qui se manifeste dans l'inpacité du secteur à couvrir les besoins vivriers des
villes;
- les faibles productivités et rendements.
La misère, la famine et l'immobilisme, caractéristiques des campagnes des formations sous-développées, traduisent les multiples contradictions internes propres au
fonctionnement de telles formations.
Il n'y a dans le fond aucune fatalité de la pauvreté,
mais simplement un processus d'accumulation induisant
des formes particulières d'exploitation de la paysannerie.
La profonde inégalité de la répartition des revenus ne
montre pas autre chose. Les revenus centralisés par les
classes privilégiées sont pour l'essentiel improductivement utilisés pour couvrir des consommations de luxe.
Ce type de répartition et d'utilisation des surplus est un
facteur décisif de stagnation. Christian Morrisson apporte dans cette optique quelques réflexions édifiantes en
observant que lorsqu'on exclut l'aide extérieure, la forme
de distribution n'exerce pas une influence déterminante
sur la croissance.
En effet. le même type de distribution n'implique pas
les mêmes choix de consommation. d'épargne, de placement et d'investissement par les groupes à revenu élevé
(35). Si les bureaucraties d'Etat se renouvellent. c'est
hien sur la base des ressources tirées principalement de
l'agriculture. Les usuriers, les propriétaires fonciers et les
autres commercants tirent leurs revenus de l'ag:riculture
et les utilisent 'en placements faciles souvent dans l'immobilier ou à l'étranger (.36). La conséquence ultime est
que les surplus ne se réinvestissent pas là où ils se sont
128
formés, ce qui restreint les bases mêmes de la production.
Ces formes particulières d'accumulation et d'absorption des surplus ne peuvent entretenir une dynamique
d'expansion et de croissance économique. En revanche,
elles reproduisent de façon élargie la misère et la pauvreté dans les campagnes. Ni le système mondial par la division internationale du travail mise en place, ni les classes sociales ne militent en faveur d'une rupture avec un
tel modèle d'accumulation. Bien au contraire, ils feront
obstacle à toute velléité de changement. L'Etat peut être
amené à introduire dans des situations données, des réformes qui suppriment ou atténuent quelques-uns des
obstacles qui limitent l'extension des rapports de production capitalistes ou bien qui limitent l'action de certains
agents nationaux ou étrangers. Mais cette intervention
publique se heurtera, dans un cas comme dans l'autre, à
des difficultés énormes d'ordre politique, financier voire
simplement social qui finissent par atténuer la portée
des mesures.
En définitive, à quelque niveau que l'on envisage
l'analyse, on perçoit que les mécanismes économiques et
les structures sociales en place tendent à reproduire les
traits et phénomènes caractéristiques du sous-développement, lesquels ne laissent aux populations paysannes
d'autre issue que le maintien de la pauvreté. Les conséquences nettes des relations économiques internationales
comme la détérioration des termes de l'échange, les for·
mes particulières de répartition des revenus, donc de centralisation et d'utilisation des surplus, font puissamment
obstacle à une pénétration dynamique du progrès technique et à une profonde transformation des rapports de
production. De ce fait, on se trouve installé en permanence au cœur des mécanismes du « développement du sous
développement» selon la formule de G. Frank. Deux alternatives sont théoriquement ouvertes: d'une part, la mise
en place de puissants moyens qui ne peuvent être que
d'origine publique pour opérer le passage à un capitalisme réel ou d'autre part l'amorce d'une transition vers le
socialisme. A la suite des arguments antérieurement
avancés, il nous paraît que cette voie du capitalisme réel
est complètement bouchée car les obstacles internes et
129
externes sont si puissants et si tenaces que l'on ne dispose
pas de force socio-politique capable de les bousculer.
En plus, on n'a absolument aucune certitude que le
capitalisme même réel puisse rompre l'équilibre de la
misère et résoudre les multiples problèmes économiques,
politiques et sociaux soulevés.
D'autres orientations et options s'imposent alors.
Elles s'appuient sur la socialisation systématique de
l'agriculture.
II. -
LE DEVELOPPEMENT SOCIALISTE
DE L'AGRICULTURE
Le capitalisme formel dans les campagnes s'appuie
sur les exploitations minifundiaires qui constituent les
bases de survie de la famille rurale et sur le développement des cultures de rente destinées aux exportations.
Une telle agriculture semble inapte à générer d'importants
surplus, à accroître le niveau des revenus des producteurs ; elle doit alors être restructurée dans une voie non
capitaliste.
Pour résoudre ces problèmes, une réforme agraire
profonde brisant tous les obstacles socio-économiques
s'impose impérativement. Le premier axe de cette réforme
serait l'amorce d'une socialisation progressive de la terre qui s'exprime dans le retour de la terre à ceux qui la
cultivent. Cette organisation ne devrait pas soulever de
grands problèmes dans la mesure où les rapports de production capitalistes n'ont pas systématiquement envahi
l'agriculture. De plus, les bourgeoisies terriennes qui se
sont établies ne s'intéressent pas à la mise en valeur véritable de la terre. Celle-ci est utilisée simplement comme moyen de spéculation. C'est dire que, dans beaucoup
de pays, la socialisation ne se heurte pas à de fortes résistances sociales. En revanche, les problèmes seront sérieux quand il s'agira de trouver une formule adéquate
de coopération dans le secteur rural. Cette question est
d'autant plus importante que le socialisme européen n'a
pas trouvé une solution efficiente aux problèmes de l'agriculture. La preuve est apportée par les multiples réformes intervenues dans le secteur et la dépendance de plus
130
en plus forte de ces pays à l'égard de l'agriculture capi
taliste américaine et canadienne (37).
Les pays socialistes d'Europe de l'Est n'offrent pas
en matière de réforme agraire des expériences édifiantes
et exemplaires. Tout au plus peuvent-ils indiquer ce qu'il
ne faut pas faire en ce domaine. Les solutions sont à chercher en direction d'une systématisation de la Commune
Rurale.
Une telle forme d'organisation présente des éléments
pouvant permettre, par une transformation des structures, de résoudre les diverses inerties qui bloquent l'expansion du secteur agricole. En effet, la Commune Rurale
assure une indépendance réelle du producteur et débloque l'esprit d'initiative et d'innovation. L'agriculteur devenu maître de sa terre se trouve dans l'obligation, pour
améliorer ses conditions d'existence, de rationaliser son
travail et sa production. Il sera aidé dans cette tâche par
l'Etat. De plus, le producteur peut être politiquement responsabilisé dès lors qu'il est associé directement au
contrôle et à l'administration des structures destinées à
gérer la politique agraire (38). Dans une deuxième étape,
la coopération des producteurs libres peut s'imposer
comme forme dominante. La mécanisation de l'agriculture étant une nécessité, celle-ci ne peut nullement s'effectuer dans de petits lopins de terre qui ne sont pas des
surfaces optimales pour rentabiliser les machines-outils
utilisées.
La socialisation devra permettre à l'Etat d'apporter,
à travers sa politique agricole, l'assistance nécessaire au
secteur sans que celle-ci aboutisse à l'installation d'une
bureaucratie inefficace et paternaliste. Elle doit se traduire par une amélioration du potentiel de production qui
impose une série de mesures techno-agronomiques précises qui ne peuvent s'imposer que si elles sont comprises
et acceptées par le monde rural. Ce sera le rôle des organisations de masse de faire le travail de persuasion et de
mobilisation en faveur de telles mesures.
D'ailleurs sur ce point, E. Mandel note que « la mobilisation de milliers de paysans pour un travail régulier
qui bouleverse les coutumes ancestrales exige la présence d'une force politique et (ou) sociale mobilisatrice, capable d'obtenir cet effort volontaire des paysans» (38).
131
Les mutations structurelles, les remises en question des
orientations de production, des conditions de travail et
du statut propre de la paysannerie nécessitent que les populations rurales soient étroitement mobilisées et impliquées.
Une telle réforme agraire peut alors entraîner au plan
économique global une double conséquence : la création
d'un surplus plus important et l'établissement de rapports qui permettent une expansion du secteur industriel.
Le niveau du surplus est, dans quelque secteur que
ce soit, fonction de l'efficacité de la production et des for·
mes de répartition.
Le processus de développement agricole dans la nouvelle optique suppose que l'Etat apporte un aménagement général du cadre institutionnel dans lequel évolue le
secteur: réseau routier et de commercialisation, politique hydraulique et système d'irrigation. En somme, il
s'agit d'un ensemble de grands travaux qui rendent l'in·
vestissement agricole rentable et la production efficace
Une fois cette infrastructure mise en place, il est possible d'orienter la production dans le sens des besoins réels
de l'économie nationale. Le plan national pourra alors
quantifier les objectifs à atteindre et indiquer les moyens
à mobiliser. Dans ces conditions d'amélioration des cadres d'accueil, l'agriculture peut se développer sur des
bases saines et dégager des surplus importants.
III. - LA POLITIQUE AGRAIRE
DANS UNE STRATEGIE NON CAPITALISTE
L'agriculture abandonnée à elle·même reproduit sa
crise permanente qui se manifeste par l'archaïsme des
moyens et méthodes de production, la stagnation des
rendements et de la production, la baisse de la productivité du travail et la dégradation de la condition sociale
des producteurs. L'intervention de l'Etat dans le sens de
l'imposition de la propriété et de l'exploitation privées
n'a pas systématiquement levé les contraintes et obstacles
structurels qui bloquent l'expansion de l'agriculture. Bien
au contraire, là où elle s'est systématisée, elle s'est accompagnée d'une souffrance accrue des grandes masses
de paysans sans terre et qui n'ont bénéficié d'aucune for·
132
me d'assistance publique. Finalement, cette intervention
publique a approfondi objectivement la stratification sociale sans améliorer véritablement la production.
Le socialisme devient dans ce contexte l'alternative
à ces formes économiquement et socialement régressives
du développement agricole. Il doit devenir un système social capable de résoudre les contradictions inhérentes aux
rapports sociaux et de production qui bloquent l'expansion des activités agricoles. Dans ce système, le producteur devenu possesseur et maître de ses principaux instruments de travail sera placé dans les conditions les
meilleures pour d'une part rationaliser sa production et
son travail et d'autre part chercher systématiquement à
améliorer ses conditions d'existence. Pour ce faire, l'Etat
devra être l'artisan principal des transformations dans
le secteur rural. La tâche consistera à chercher la voie la
plus simple, la plus accessible aux paysans pour introduire toutes les mutations structurelles pour faire passer
le secteur rural du stade du sous-développement, de l'exploitation et de la mono-production vers un stade socialiste, donc de socialisation effective qui assure une indépendance totale du producteur et débloque son esprit
d'initiative, de créativité et d'innovation. Le paysan, dans
la nouvelle orientation, sera politiquement responsabilisé et associé directement à l'élaboration, à l'administration et au contrôle de toutes les institutions d'encadrement et de gestion de la politique agraire.
L'Etat devra intervenir seulement pour apporter l'assistance économique, technique et financière, de même
qu'il devra apporter tous les aménagements structurels
en fonction des impératifs de l'élargissement des bases
de l'accumulation et de l'instauration des formes de pro·
priété et d'exploitation socialistes. Il s'agit là d'un programme volontariste et hardi dont la réalisation sera forcément très lente et comportera d'énormes difficultés. Cependant, son accomplissement dépendra du degré d'adhésion et de participation enthousiaste des paysans euxmêmes. Il reviendra aussi à l'Etat de veiller à ce que son
assistance et son encadrement n'aboutissent pas à l'installation d'une bureaucratie lourde, inefficace et paternaliste qui mépriserait les capacités de création et de travail des populations rurales.
133
Plus positivement, cette intervention de l'Etat doit
se traduire par :
-la prise de mesures de nature techno-agronomique,
financière et structurelle, pouvant améliorer le potentiel
de production;
- la création d'unités de production capables, conformément aux orientations de la politique nationale, de
contribuer au développement des forces productives dans
l'agriculture et d'y diffuser les technologies progressives
et les acquis de la révolution scientifique et technique.
Toutes ces actions, en dernière analyse, soulignent
l'impérieuse nécessité d'élaborer une politique agraire,
vision prospective de ce qu'il faut faire.
Cette politique s'organise autour de cinq axes qui
doivent être articulés dans un plan national de transformation radicale de l'agriculture:
1) L'organisation de la coopération agricole
Marx établissait déjà que le mouvement coopératif
est une force transformatrice de la société. Son grand mérite, ajoutait-il, est de montrer pratiquement que le système actuel de subordination du travail, despotique et
paupérisateur, peut-être supplanté par le système républicain de l'association de producteurs libres et égaux
(39). La coopération permet en effet de résoudre toutes
les contradictions et déséquilibres introduits par les rapports sociaux dans les campagnes. Elle doit en conséquence viser la réalisation de trois objectifs (40) :
- la transformation des rapports de production;
- le perfectionnement des techniques agricoles;
- l'éducation et la mobilisation des campagnes
en vue du développement économique et social.
Selon Le Chau, ces trois objectifs sont intimement
liés et exercent une influence stimulante sur le développement et la diversification des activités agricoles.
La transformation des rapports de production permet la réalisation immédiate ou progressive de la collectivisation des instruments de production et de travail.
Au plan économique, la socialisation permet la constitution d'exploitations de tailles optimales à partir desquelles on peut obtenir une productivité du travail élevée,
134
un niveau de production appréciable. Ces objectifs contribuent à l'augmentation du surplus agricole donc de l'accumulation (41). La socialisation favorise le perfectionnement de la technique qui contribue à l'élevation des
rendements.
Il importe alors de mobiliser les paysans pour «un
travail régulier qui bouleverse les coutumes ancestrales»
(42). Bien entendu, il est impensable que les orientations
soient socialisées alors que les mentalités paysannes restent foncièrement empreintes d'individualisme et de capitalisme. Il faut alors, comme le recommandait F. Engels, convaincre les paysans que « nous ne pouvons sauver et conserver leur propriété qu'en la transformant en
une propriété et une exploitation coopératives. Car c'est
précisément l'exploitation individuelle conséquence de la
propriété individuelle qui fait la perte des paysans. S'ils
s'accrochent à l'exploitation individuelle nécessairement,
ils seront chassés de leurs terres et de leurs fermes ; inéluctablement, leur mode de production dépassé fera place à la grande exploitation capitaliste» (43). Il faudra
beaucoup de patience et un énorme travail de persuasion
et d'éducation pour amener les paysans à se mobiliser
avec enthousiasme en vue d'assumer les transformations
(44). Il importe donc de faire preuve d'une très grande
souplesse dans l'instauration de la coopération. Celle-ci
doit partir et s'appuyer solidement sur certaines structu·
res et propriétés qui lui sont favorables comme par exemple les structures communautaires en Afrique Noire.
Dans ce cadre, I. Andreev et D. Toumarkine observent
taires dans le mouvement coopératif n'est pas un idéal,
que « l'utilisation des formes et des traditions communaumais une méthode à laquelle on est conduit à recourir
dans une période de transition pour faciliter sur le plan
psychologique et social l'entrée de la paysannerie communautaire dans une époque historique nouvelle (45). D'ailleurs, dans certains cas, le succès du mouvement coopératif est fonction de l'identification et de la prise en
compte de ces structures communautaires. E. Mandel
nous rappelle que la mobilisation volontaire et enthousiaste de la paysannerie, bien qu'indispensable, est très
difficile à réussir. Toute tentative de brûler les étapes, ou
d'embrigadement aboutirait fatalement à un échec qui
135
risque de porter des torts irréparables à la coopération.
Il ne suffit pas de prendre des décrets et des lois car tous
les ordres qui viendraient d'en haut risqueraient de rester lettre morte (46); il faut alors amener le paysan à prendre une nette conscience de la nécessité des transformations car tout dans la socialisation doit s'effectuer par la
persuasion et par l'adhésion.
La coopération, pour réussir, doit reposer sur des
principes clairement définis qui doivent assurer:
- une gestion démocratique des unités coopératives qui se manifesterait dans l'élection des organes dirigeants, le contrôle du fonctionnement
et des finances ;
- une liberté totale et absolue d'adhésion ou non
à la coopérative sans aucune espèce d'obligation
ou de contrainte; cela permettrait l'instauration
d'une compétition stimulante entre les coopératives et d'autres formes d'exploitation; la coopération est ainsi condamnée à faire preuve de sa
supériorité d'organisation et d'efficience ou à
disparaître ;
- un bénéfice mutuel qui permettrait de régler
les intérêts de la coopérative en tant que personne morale et ceux de ses membres. Il sera donc
question des conditions de formation et de répartition du fonds d'accumulation, mais aussi de la
rémunération de la force du travail. Dans ce domaine aussi, la coopération doit faire la preuve
qu'elle offre à court ou moyen terme des ressources financières ou matérielles plus importantes.
La coopération est souhaitée car on estime qu'elle
est une forme d'organisation plus efficiente permettant
une meilleure valorisation de la production et du travail
agricoles. Les interventions publiques d'impulsion et d'assistance au mouvement coopératif procèdent de la conviction qu'au plan socio-économique, l'exploitation coopérative est supérieure à la petite exploitation individuelle et
par ailleurs qu'elle peut rendre des avantages accessibles
à la grande majorité des paysans. Par sa dimension et la
libération du producteur, l'exploitation coopérative permet la réalisation d'économies d'échelle qui se matérialisent dans l'utilisation la plus efficiente des facteurs mo-
136
dernes de production et la division sociale du travail favorables à une élevation de la productivité. Ce cadre
structurel réalise les meilleures conditions de génération
d'un surplus beaucoup plus important pouvant être utilisé sous forme de réinvestissements internes pour améliorer les instruments de production ainsi que le niveau
de vie des coopérateurs.
En somme, une coopération menée avec clairvoyance
et lucidité à partir d'objectifs matériels clairs, accessibles et acceptés par les paysans, constitue le meilleur
moyen, la voie la plus sûre, la plus simple pour lever les
obstacles et les contraintes à l'édification d'une agriculture moderne et efficace capable de répondre à la demande
croissante en produits vivriers et en matières premières
pour les agro-industries. Cependant, les politiques agraires devront opérer dans la quasi-totalité des pays sous-développés des réorientations de la production agricole
dans la double direction d'un abandon progressif des
monocultures de rente destinées à l'exportation et d'un
développement de nouvelles productions permettant de
satisfaire les besoins internes.
La réalisation programmée d'une infrastructure de
base pour l'agriculture:
C'est le second axe de la politique agraire qui se traduit par la mise en place progressive d'une infrastructure matérielle rendant possible l'accélération et l'intensification de la production agricole. Cette infrastructure
tourne autour:
- de l'exploitation du potentiel hydraulique et
énergétique;
- de la création d'un réseau routier permettant
le fonctionnement de mécanismes autorégulateurs
de marché avec une libre circulation des biens et
des facteurs de production.
Le développement agricole passe par la maîtrise de
l'eau et la réalisation de grands travaux d'irrigation. Ces
deux éléments constituent la condition essentielle d'un
accroissement de la production et d'une réduction des
calamités naturelles et de leurs effets. Ces dernières années, le puissant Mouvement Ecologiste Européen a re2. -
137
lancé le débat sur les choix alternatifs entre la petite et
la grande hydraulique. Beaucoup d'arguments ont été développés pour condamner les grands barrages auxquels
il est reproché :
- les effets déstabilisateurs des écosystèmes fragiles;
- les effets négatifs sur l'environnement humain
et la santé dans les abords des régions irriguées;
- les coûts excessifs des investissements accen·
tuant la dépendance financière;
- la dépendance technologique et de l'écoulement de la production découlant de la délocalisation vers les pays sous-développés des activités
industrielles.
Ce sont là quelques arguments plus ou moins raffinés que l'on oppose aux politiques de grands barrages
appliquées pour une agriculture moins tributaire des
aléas climatiques et de l'extrême instabilité de l'environnement. La solution alternative proposée par les écologistes tourne autour de la petite hydraulique aux coûts
financiers et humains beaucoup moins excessifs et aux
effets moins dévastateurs pour l'environnement physique
et humain.
Tous ces arguments demeurent quelque peu légers au
niveau économique, social et scientifique. Ils traduisent
profondément les préoccupations de personnes que la famine et la misère ne menacent guère et qui n'ont pas à
régler une crise agro-alimentaire aux effets sociaux incal·
culables, ni à trouver les voies et moyens pour élever
dans les délais les plus brefs le niveau des forces productives matérielles et humaines.
Comment peut-on demander aux pays sahéliens de
continuer à développer des systèmes agraires aux faibles
rendements et totalement dépendantes des caprices du
climat et de l'instabilité de l'environnement. Ces pays ont
besoin de contrôler toutes les composantes de la production agricole depuis l'irrigation jusqu'aux facteurs modernes de production. Ils doivent utiliser non pas de petites technologies alternatives très peu performantes,
mais les techniques les plus progressives que la révolution scientifique et technique peut mettre à leur disposition. Les formations sous-développées doivent se raccor-
138
der aux technologies les plus avancées pour refaire leur
retard économique et accroître particulièrement leur savoir-faire.
Ces visions que l'on nous offre sous des vocables
d'une apparente innocence comme technologies appropriées, technologies douces, secteur informel, autodéve·
loppement à partir des communautés de base, relèvent
de conceptions totalement anesthésiantes et rétrogrades
qui veulent maintenir les pays sous-développés dans l'arriération économico-sociale. Elles émanent toujours de
personnalités scientifiques de pays avancés qui n'ont
donc plus un problème de savoir-faire, mais de savoir
quoi faire. Que l'exploitation capitaliste ait entraîné une
exploitation bornée et anarchique de l'environnement,
c'est un fait évidemment incontestable, mais ce fait ne
saurait être le prétexte d'une hypothèque de la valorisation de la nature. C'est la technique qu'il faut maîtriser
et mettre au service du développement économique et
social.
Les grands barrages, quels que soient leurs coûts,
restent une option progressive d'une maîtrise de l'eau. Le
problème fondamental ne se situe pas dans les effets négatifs qu'ils peuvent produire, mais réside dans leur capacité à régler les problèmes-clés des politiques agraires.
Si celles-ci sont réfléchies et restent au service des masses laborieuses, elles doivent permettre l'exploitation de
toutes les potentialités de développement qui s'ouvrent
et dans cette direction la petite hydraulique ne saurait
être écartée. Il importe aussi de la développer en la corrigeant car les formes minifundiaires qu'elle secrète sont
souvent tournées vers de petites exploitations individuelles souvent économiquement inefficientes.
Les pays sous-développés ont des urgences de survie qui leur commandent d'exploiter la nature avec des
moyens qui peuvent être écologiquement répréhensibles
mais dans bien des cas, ils n'ont pas d'autres choix. Seulement, ce serait un hasard qu'ils aient les mêmes préoccupations que les mouvements écologistes qui prônent
une exploitation douce de la nature.
Si la maîtrise de l'eau est une nécessité impérieuse,
elle doit être accompagnée d'une politique énergétique
cohérente et adéquate. L'énergie est une variable essen139
tielle dans le développement agricole. Dans cette direction, un rapport de la National Academy of Sciences ob·
serve que « le processus de la croissance économique a
pris naissance au moment où la machine a remplacé
l'homme pour les travaux agricoles, industriels et domestiques... La production phénoménale de l'agriculture aux
Etats-Unis et dans d'autres grands pays exportateurs
d'aliments s'explique en grande partie par une utilisation
massive d'énergie et d'engrais, l'apport de la main-d'amvre diminuant très rapidement à mesure que s'intensifient
les pressions exercées par l'accroissement des salaires
dans les industries secondaires et tertiaires» (47). Il importe alors d'élaborer une politique énergétique qui permette d'obtenir un accroissement de la production agricole et qui pourrait s'organiser autour:
- de l'évaluation exhaustive des besoins énergétiques pour une agriculture en expansion;
- de l'exploitation de toutes les ressources éner·
gétiques disponibles ;
- de l'utilisation des technologies énergétiques
les plus progressives en vue de l'augmentation de
la production et des rendements.
Il s'agira là aussi d'utiliser toutes les sources sans aucune exclusive. Les coopératives de production doivent
être aidées pour la mise en place de programmes d'utilisation d'énergies renouvelables à des fins de développement rural.
Le développement d'une infrastructure de base est
indispensable pour créer un réseau routier désenclavant
toute les zones de production agricole et contribuant à
la constitution du marché national, structure d'allocation
des facteurs de production.
L'Etat devra, par le Plan, fixer les objectifs à atteindre, les moyens à mobiliser pour réaliser le programme
et les ressources internes disponibles. Cette programmation empêchera l'apparition de distorsions dans l'utilisation des fonds du développement économique et social.
3) La planification du perfectionnement de la technique et de l'utilisation généralisée des facteurs modernes de production agricole :
140
c'est là un aspect extrêmement important de la politique agraire. La recherche techno-agronomique est un
domaine totalement négligé. Pourtant, rien absolument
ne justifie ce traitement. Une agriculture socialiste a particulièrement besoin d'une utilisation systématique de
la révolution scientifique et technique pour atteindre des
niveaux élevés de productivité du travail.
Cela pose la nécessité de la formulation d'une politique cohérente de recherche pour le secteur agricole et
qui viserait :
- la modernisation des procédés de culture et la
rénovation des instruments de production ;
- l'expérimentation scientifique et la diffusion
de nouvelles techniques, ce qui implique la création d'unités expérimentales qui ont vocation à
être de véritables laboratoires au service du développement agricole;
- la formation de cadres compétents au plan
technico-agronomique et technico-administratif.
Cette question soulève les limites des systèmes
universitaires des pays sous-développés qui ne
s'intéressent que très marginalement aux activités rurales qui fournissent pourtant jusqu'à 70 %
des ressources nationales. Une Faculté d'Agronomie a beaucoup plus d'intérêt économiquement
et socialement qu'une Faculté de Droit ou de
Lettres.
Il circule des idées totalement erronées selon lesquelles les pavsans feront eux-mêmes la révolution technique
et scientifique. 11 faut les corriger car cette révolution
scientifique et technique sera le fait des savants et des
techniciens évoluant dans les campagnes et y opérant des
recherches systématiques. Cependant, seul l'Etat a les
moyens et le personnel pour l'impulser et l'organiser. Il
peut le faire à trois niveaux :
- celui de l'identification des produits et systèmes agraires pouvant contribuer à la croissance
économique du pays ;
- celui de la localisation dans l'espace et des
contraintes sociologiques;
- celui des technologies les plus appropriées
141
pour atteindre les niveaux de production et de
productivité les plus élevés.
Il importe alors d'identifier les priorités de recherche ainsi que les objectifs du développement technologique.
Les pays en voie de développement qui connaissent
des retards importants et qui évoluent dans des environnements naturels défavorables à l'agriculture doivent accorder une grande attention aux activités de recherche
qui auront pour objectifs d'éliminer les contraintes et
obstacles aussi bien naturels que technologiques qui empêchent une expansion soutenue de l'agriculture.
Les pays sous-développés doivent chercher à tirer
profit de la révolution verte en la systématisant et en
l'adaptant aux conditions de leur environnement. Ils
pourront ainsi développer l'expérimentation et les recherches au niveau :
- des produits chimiques pour étudier les conditions d'accélération de la croissance des plantes en vue de l'amélioration des rendements et
les effets de l'utilisation des pesticides et engrais
sur la production et les sols ;
- des manipulations génétiques pour améliorer
les espèces et accroître les rendements;
- de la photosynthèse, de la prévision météorologique.
Nous estimons que les pays sous-développés doivent
très rapidement se mettre aux techniques de l'ordinateur
qui sera d'un apport décisif pour l'agriculture du futur.
Comme l'observe Hal Helmann, dans le futur, non seulement les ordinateurs dirigeront le matériel agricole, mais
encore ils tiendront la comptabilité, surveilleront le progrès des cultures et de l'élevage, calculeront les meilleurs
mélanges de nourriture et d'engrais en fonction des besoins et des prix et même établiront les programmes d'irrigation d'après des prévisions météorologiques enregistrées automatiquement sur bandes magnétiques» (48). Il
s'agit dès maintenant de réaliser des recherches systématiques des services que l'ordinateur peut rendre dans le
processus de révolutionarisation des campagnes. C'est
dire que l'agriculture du futur doit se préparer à une utilisation des équipements et des découvertes scientifiques.
142
Cela signifie en clair que la mécanisation est un volet
essentiel de la politique agraire et doit contribuer à une
modernisation rapide du secteur rural. Elle seule permet
d'élever la productivité du travail et d'approfondir la division du travail à l'intérieur même du secteur agricole.
Il faut bien comprendre que la mécanisation est un objectif vers lequel on tend par étapes successives passant
du perfectionnement des instruments agricoles traditionnels à la machine fonctionnant sans même l'intervention
de l'homme. Tout ce processus nécessite une organisation
rigoureuse et une gestion adéquate. La planification s'impose pour une gestion rationnelle de la politique de transformations structurelles radicales des campagnes.
L'Etat sera le vecteur de tous les changements, de
toutes les modifications, comme cela a été le cas dans un
pays ultra-libéral, en l'occurrence les Etats-Unis. Dans ce
pays, comme dans bien d'autres, l'Etat est constamment
intervenu en mobilisant des moyens financiers et technologiaues massifs pour permettre aux agriculteurs d'affronter l'environnement national et international diversifié
et changeant. L'agriculture est le secteur où les principes
du libéralisme n'ont iamais fonctionné comme le h\Ïssent
croire les manuels. De plus, elle est bénéficiaire de très
importantes subventions.
4) La nécessité de la définition d'une politique adéquate
de crédit.
C'est le quatrième élément de la politique agraire qui
devrait rendre possible le financement des opérations productives et permettre à l'agriculteur de se redresser. Fautil regretter que l'on ne soit pas encore complètement revenu sur les structures bancaires d'économie de traite et
de renforcement des distorsions stnlcturelles caractéristiques du sous-développement. Le système bancaire ne
prévoit qu'accessoirement le financement des activités
agricoles. Pourtant, les besoins financiers sont énormes
dans l'optique d'une profonde révolution agraire qui exige
un recours à la mécanisation, à l'utilisation des facteurs
modernes de production et même à certains travaux d'infrastructure. Le crédit agricole permettrait alors aux exploitations d'avoir les ressources pour le financement des
143
opérations productives. L'Etat devra mobiliser des ressources budgétaires ainsi que l'épargne rurale pour disposer de moyens financiers pour l'agriculture.
La révolution agricole appelle l'élaboration d'une politique financière cohérente qui met en place un système
de crédit organisé et structuré qui permette aux paysans
d'échapper aux excès de l'usure et à la dépendance vis-àvis des divers fournisseurs de biens intermédiaires. Il
faut alors résoudre toutes les questions liées à l'encadrement du crédit, au taux d'intérêt, à la durée des prêts, au
rythme de remboursement et aux problèmes des garanties.
5) La politique de stockage et des prix incitateurs pour
les grands produits.
La désaffection des paysans pour certaines cultures
peut s'expliquer par l'absence d'une politique incitatrice
de prix. En effet, certains prix parfois administrativement
fixés ne sont pas assez rémunérateurs pour inciter le
producteur à accroître le volume de sa production et à
procéder à des réinvestissements pour améliorer ses instruments de travail. En clair, la problématique des relations inégales entre villes-campagnes à travers les relations de prix doit être résolue. Dans cette optique, M.
Gutelman montre au plan théorique que les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière et de la paysannerie sont,
quant au fond, absolument divergents tant qu'existe le
marché et que le mode de production capitaliste domine
(49). Par les rapports de prix agricoles et industriels
s'opèrent toujours des transferts de valeur des campagnes vers les villes, de la paysannerie vers les autres classes sociales. Cet échange inégal est l'essence même de
l'accumulation primitive qui profite aussi à la classe ouvrière. Il est aussi caractéristique de l'accumulation socialiste comme l'ont clairement établi les travaux de
Préobrajenskv dans « la Nouvelle Economique ». Les mécanismes de financement de l'industrialisation par la paysannerie ont été clairement analvsés. On pourrait se demander en définitive si le fait d'avoir fait payer l'industrialisation principalement par la paysannerie n'explique
pas en partie les échecs des politiques agraires et la crise
144
de l'agriculture des pays socialistes d'Europe. Beaucoup
de travaux établissent et insistent sur une désaffection
de la paysannerie des systèmes productifs et rouages
économiques officiels pour créer des structures de production et de commercialisation parallèles qui fonctionnent de façon très efficiente. Cette économie parallèle finit
par se sructurer très solidement car elle rétablit des termes de l'échange favorables aux activités rurales, corrige
en toute conséquence les déséquilibres des revenus et des
conditions d'existence entre ruraux et citadins.
Ce sont ces objectifs qui devraient être ceux de la politique des prix agricoles. Une paysannerie pauvre ne saurait contribuer à transformer les campagnes. Elle fera
même obstacle à tout processus de transformation et s'alliera plus facilement aux rentiers, ce qui montre qu'en
définitive la pauvreté n'est pas une condition nécessaire
et suffisante de la révolution socialiste dans les campagnes.
Ces cinq éléments constituent les bases d'une véritable politique agraire. Ils doivent être articulés et coordonnés dans le Plan national qui les traduirait en objectifs
et indiquerait les moyens à mettre en œuvre pour leur
réalisation.
Des mesures ponctuelles, si habiles et si appropriées
qu'elles soient ne sauraient remplacer une politique cohérente qui seule peut permettre à l'agriculture:
- de créer des surplus importants, donc d'alimenter
les fonds nationaux d'accumulation pour le financement
du développement économique et social (50);
- d'accroître et de diversifier la production agricole
et de couvrir ainsi les besoins vivriers en croissance rapide du fait de l'explosion urbaine;
- d'élever la productivité et l'efficacité du travail
permettant de libérer une partie de la main-d'œuvre pour
d'autres activités productives;
- d'élargir et de diversifier les bases de l'industrialisation.
Si l'agriculture doit accomplir ces fonctions économiques et sociales, elle doit être rationnellement réorganisée par l'Etat à qui revient l'initiative de créer des fermes ou des exploitations d'expérimentation et de recherche qui contribueront à lui permettre une plus grande
145
maîtrise du développement des forces productives dans
le secteur.
A ce niveau de notre réflexion, on peut dire que dans
les formations sous-développées, la politique agraire à appliquer doit offrir une alternative à la situation présente
de l'agriculture qui se caractérise par:
- le développement de monocultures de rente
destinées à l'exportation avec des techniques stagnantes et une faible productivité du travail ;
- la régression vers des formes archaïques d'autosubsistance ;
- la paupérisation absolue de la population entraînant un exode rural massif de travailleurs que
ni l'industrie, ni le secteur tertiaire ne peuvent
absorber par suite de leur absence totale de qualification professionnelle;
- le repli vers des visions et idéologies bornées,
totalement hostiles au progrès économique et social, favorisant les formes autarciques d'existence
et les barrières ethno-tribales.
Dans tous les pays en développement, ces politiques
agraires n'ont réussi à couvrir que très faiblement les besoins vivriers installant ainsi une très grave crise alimentaire qui se traduit par une dépendance excessive vis-à-vis
de l'extérieur. De plus, les mesures de modernisation introduites ont produit un processus de différenciation sociale entre une élite paysanne qui a profité de l'introduction de nouvelles technologies et la masse appauvrie. Dans
ce contexte, l'exode rural observé est le double signe de
la paupérisation des campagnes et de l'incapacité du secteur rural à capter et à utiliser sa propre force de travail.
Pour dépasser cette situation, une transformation radicale des structures à partir d'un autre modèle de développement économique et social s'impose. Dans cette
direction, la politique agraire doit être entièrement repensée et reformulée pour rendre le secteur apte à dégager un surplus important et à élever la productivité du
travail.
Pour ce faire, une attention particulière doit être accordée au progrès technique et à la recherche scientifique. Les pays sous-développés n'ont ni les mêmes échéances, ni les mêmes exigences que les formations sociales
146
mûres, que celles-ci soient capitalistes ou socialistes; ils
doivent trouver des raccourcis pour combler le retard de
leurs forces productives matérielles et humaines. Ils ne
peuvent le faire qu'en utilisant systématiquement et de
façon généralisée les technologies les plus avancées, les
plus progressives. Le progrès technique est à mettre, quel
qu'en soit le coût, au service du développement économique. En effet, si le progrès technique se retourne contre
l'homme, cela tient à la nature même des rapports sociaux
et de production. La recherche est à élever au rang des
préoccupations fondamentales. Les tâches en la matière
se résument principalement dans les orientations et options suivantes :
- l'élaboration d'une politique et d'une administration non bureaucratisée d'impulsion et de gestion de la recherche technico-agronomique qui aura vocation à coordonner et à harmoniser toutes
les recherches entreprises par les institutions nationales privées et publiques;
- la mobilisation des moyens financiers mais
aussi humains et matériels en vue de l'équipement et du fonctionnement de laboratoires et
autres stations d'expérimentation;
- la création de banques de données pour tous
les chercheurs et autres professionnels de l'agriculture ainsi que l'institution de puissants moyens
de diffusion et de vulgarisation des résultats obtenus;
- la réforme radicale des institutions universitaires de formation et de recherche pour les impliquer davantage dans le processus de transformation de l'agriculture.
Ces institutions mettront à la disposition de l'agriculture des cadres techniques et en même temps prendront
en charge la recherche fondamentale et diffuseront dans
la jeunesse des modes de pensée favorables à l'agriculture.
Le socialisme ne triomphera dans les formations
agraires que s'il revalorise profondément l'agriculture et
s'il permet aux paysans d'être une force sociale dynamique, politiquement et techniquement préparée à assumer
un vaste et profond mouvement de bouleversement de
147
leur environnement socio-économique. Il faudra alors
considérer les paysans non pas comme une source d'alimentation des caisses de l'Etat, mais comme une force
dynamique, capable de contribuer à la construction nationale. Les promesses faites par les hommes politiques
et les fonctionnaires n'ont pas souvent été tenues, par
conséquent, le monde rural retombe toujours dans la
prostration et l'apathie... Les vieux qu'on trouve dans les
villages sont fatigués et les jeunes des villes ne veulent
pas s'y rendre sans être assurés de pouvoir profiter de
tous les avantages du monde moderne. Il faudrait alors
revaloriser les campagnes, leur redonner leurs valeurs
culturelles et leur indiquer des méthodes de production
susceptibles de promouvoir un développement autocentré (51). Ce sont là des tâches que le socialisme seul peut
entreprendre et réussir s'il sait échapper aux travers bureaucratiques, au paternalisme, au volontarisme étatique
et aux folles prétentions d'apporter du dehors et d'en
haut les modifications structurelles du milieu rural. Il
doit alors trouver les voies et les formes les plus simples,
les plus faciles, les plus progressives, les plus accessibles
et les plus acceptables pour les masses rurales en vue de
la réalisation de toutes les transformations économiques
et sociales.
En Mrique, le socialisme ne prendra racine dans
l'agriculture que si les dirigeants se démarquent des expériences européennes, entreprennent une autocritique
rigoureuse et courageuse et réconcilient les mots et l'action.
NOTES
(1) Bachir Boumaza : Discours portant sur la loi des finances.
Alger Républicain, 31 Déc. 1963.
(2) Idrissa Diarra : Rapport d'orientation au VIe Congrès.
Compte rendu du VIe Congrès, Edit. Librairie Populaire du Mali,
1962.
148
(3) A.K. Boye : L'acte de nationalisation. Ed. Berger Levrau1t
et NEA. 1979, 213 pages.
(4) Michel Gutelman : Structures et réfonnes agraires: Instruments pour l'analyse. Petite Collection F. Maspéro. Paris 1974,
200 pages.
(5·6) Karl Marx: Les fondements de la critique de L'Economie Politique, Tome 1, Edit. Anthropos. page 477.
(7) Voir sur ce point les travaux des économistes latino-américains : Gunder Frank (Capitalisme et sous-développement en
Amérique Latine); Celso Furtado (Amérique Latine), R. Stavenhagen (marginalité, participation et structure agraire en Améri·
que Latine), P. Baran (Economie politique de la croissance. Edit.
François Maspéro, 1972, 301 pages).
(8) Voir sur ce point 'le chapitre 4, de G. Frank: Capitalisme
et sous développement en Amérique Latine (Edit. F. Maspéro,
Paris 1972 pp. 203-252) où l'auteur expose le mythe du féodalisme
dans l'agriculture et expose les différentes théories avancées.
(9) A. Benachenhou : Dualisme rural ou accumulation primitive inachevée : essai d'une nouvelle problématique théorique
INDEP-ET-ES-237S-27.
(10) Voir sur ce point :
- Samir Amin : Le développement inégal : chapitre V, Paris, Edit. Minuit.
- J. Adam: L'arachide, Paris 1905.
- A. Vanhaeverbeke : Rémunération du travail et commerce
extérieur.
C. Meillassoux : Développement ou exploitation.
Pierre P. Rey : Colonialisme, néo-colonialisme et transi·
tion au capitalisme. Edit. F. Maspéro, Paris 1971, 522 p.
(11) On peut observer que les codes des investissements sont
inspirés sur glusieurs aspects de la 'législation coloniale. Voir
notre thèse « Tourisme international: évaluation de l'impact sur
le développement des économies en voie de développement, fascicule 1 pp. 215-234.
(12) L'absence de canaux adéquats de commercialisation des
produits vivriers impose des intermédiaires qui achètent les produits à bas prix surtout lorsqu'il y a des perspectives de bonnes
récoltes. Ils les revendent à crédit dans les périodes de soudure.
Il s'ensuit un processus d'endettement du paysan vis-à-vis de ces
intermédiaires.
(12) Dans cette optique, J. Adam signale un rapport du Juge
royal de Saint-Louis en 1864 où il est noté avec clarté les avan·
tages qu'on pouvait attendre de la production de l'arachide dans
un cadre familial. Le rapport note que «l'-arachide cultivée sur
une grande échelle ne présente que des chances de ruine... Ces
inconvénients disparaissent pour la petite culture entreprise par
les Noirs qui travaillent chez eux, aidés de leurs familles sans
frais et sans dépenses.
(14) Voir l'accumulation à l'échelle mondiale (Edition Anthropos, 1970) notamment la section III qui traite des formations du
capitalisme périphérique pp. 339-376.
Les mêmes développements se retrouvent dans "le développement inégal» (Editions du Minuit, Paris 1973) au chapitre V
-
149
intitulé : Les formations sociales périphériques contemporaines,
pp. 257-339.
(15) S. Amin: Le développement inégal, pp. 292·293. Idem p.
294-295, Edit. de Minuit.
(16) S. Amin: Idem, p. 296.
(17) S. Amin: Ibidem.
(18) S. Amin : Ibidem.
(19) Ces limites sont au nombre de trois : la réduction de
l'incitation à l'accroissement de la productivité, l'utilisation improductive des revenus des Koulacks assimilés à une rente et la
faiblesse relative de ces revenus. Chacun de ces éléments s'oppose à l'extension du capitalisme agraire. Dbsel'Vons au passage
l'assimilation des revenus des Koulacks à une rente de monopole.
Alors qu'il s'agit comme dans les pays d'Amérique Latine d'un
profit. Samir est en-deça de P.P. Rey.
(20) Comité d'information du Sahel : Qui se nourrit de la
famine? Edit F. Maspéro, p. 80.
(21) A. Vanhaeverbeke : (in Rémunération du travail et commerce extérieur) observe dans ce sens que « l'exploitation familiale, pour qui l'arachide constitue un appoint aux cultures vivrières, n'a pas d'alternative à l'utilisation de son travail; il lui faut
choisir entre l'inactivité ou ce revenu arachidier sUlpplémentaire »
(p. 129).
(22) G.A. Kouassigan : L'homme et la terre, Thèse de doctorat d'Etat soutenue à Paris, 1966, p. 7.
(27) J.P. Olivier : Afrique : qui exploite qui? Revue «Les
Temps Modernes» n. 346 et n. 347, Mai 1975, Juin 1976, pp.
1745-1775.
(24) Des opinions dans ce sens sont eJq)rimées par C. Palloix,
G. Franck et même par les animateurs de la Revue « Critique
de l'Economie Politique» et qui sont proches des conceptions
défendues par S. Amin. La critique la plus limpide est celle de
J.P. Olivier qui note que « la conception même qu'il (Amin) a
de l'impérialisme (Centre-périphérie) s'oppose totalement aux
« réseaux» de G. Frank. Pour celui-ci, le mode d'eJq)loitation des
pays dominés par les pays occidentaux se trouve à l'intérieur des
premiers. De même que la bourgeoisie impérialiste pille les nations du Tiers Monde, de même les bourgeoisies urbaines de cel.
les-ci pillent les arrières-pays; chacun eX!ploite celui qui lui est
subordonné et retrocède à celui qui le domine. L'économie mondiale ne se compose donc pas de deux sous-ensembles de struc·
tures radicalement différentes, mais d'un système unique de hié·
rarchies successives... chez Samir Amin, le dualisme centre-périphérie se double d'un dualisme interne (pp. 1533-1536).
(25) Il donne même parfois l'impression d'être gêné que le
capitalisme ne prenne pas pied assez solidement. Cette attitude
curieuse fait que J.P. Olivier le présente comme un défenseur
intelligent des bureaucraties africaines et de leurs alliés.
(26) Nous trouvons par ce biais une discussion qui a longtemps agité les marxistes sur le capitalisme. Cette phase doit permettre l'élevation des forces productives et en même temps l'apparition des contradictions caractéristiques du système. A partir
de ce moment peut s'amorcer réellement la révolution socialiste.
150
(27) J.P. Olivier: Op. cit. p. 1772.
(28) En fait, le capitalisme utilise les lois de son environnement et s'y adapte. Ainsi il ne cherche 'pas à reproduire le rapport capital-travail à l'identique. La reproduction de la force de
travail est abandonnée à une structure précapitaliste : le cadre
domestique. Le coût du travail pour le propriétaire est de fait
allégé.
(29) La dégradation et la dégénérescence des structures précapitalistes et communautaires traditionnelles ne sont pas aussi
rapides; bien au contraire, ces structures continuent encore d'occuper une place importante. Elles ne sont donc pas sérieusement
ébranlées par la propriété et l'exploitation privées.
(30) Abdelatif Benachenhou : « Dualisme rural ou accumulation primitive innachevée. Essai d'une nouvelle problématique
théorique». Revue Algérienne, vol. X, n. 3 sept. 1973. pp. 614-647.
(31) A. Benachenhou : ({ Dualisme rural ou accumulation primitive inachevée, essai d'une nouvelle problématique théorique".
Op. cit. p. 621.
(32) Ernest Mandel: Dans son ({ Traité d'économie marxiste»
(tome 1, Edit. Julliard, 1964) observe avec justesse que la rente
foncière naît seulement lorsque entre la terre et le processus de
production s'intercale un propriétaire foncier (p. 367). Cerpendans cette appropriation privative de la terre n'est nullement un
phénomène caractéristique de toutes les formations précapitalistes comme il l'avance (p. 331). En effet dans les pays d'Afrique
Noire, les formes privatives sont loin d'être dominantes dans les
campagnes comme nous l'avons déjà établi; dès lors, la rente n'y
est pas un phénomène connu.
(33) A. Bouzidi : Dans « Réflexions autour de la notion de
voie non capitaliste de développement» (Revue Algérienne, vol.
XII, n. 2-3, Sept. 1975) est plus catégorique car pour 'lui, toute
voie capitaliste est complètement 'fermée aux pays dits sous-développés, la cc bonne bourgeoisie » qui a permis le développement
de l'Europe au XVIIe siècle ne peut plus exister et en plus, ces
pays ne peuvent trouver par cette classe la solution à leurs innombrables problèmes.
(34) Cette opinion est citée par J.S. Canale dans L'Afrique
noire, ère coloniale 1900-1945, (Edit. Sociales, Paris 1964. p. 200).
Le Pro Auguste Chevalier ayant visité les campagnes du Sénégal
à la fin du XIXe siècle éprouve en 1947 une impression d'immobilisme. Ces cases sont toujours misérables, les paysans toujours
en haillons; il s'interroge alors pour savoir l'utilisation qui a été
faite des revenus procurés par la vente des cacahuètes.
(35) Christian Morrisson : Répartition des revenus dans les
pays du Tiers-Monde, Edit. Cujas, Paris 1968, p. 243.
(36) Gaston Leduc : Dans son Economie du Développement,
constate l'importance de ces placements à l'étranger effectués
par les classes {lrivilégiées des pays en voie de développement.
De telles opératIOns offrent une dlscrétion et une sécurité absolues. C'est également la même opinion que développe Christian
Morrisson qui note que «ces investissements des profits, des salaires des cadres n'a rien d'assuré, les bénéfices commerciaux
sont souvent placés à l'étranger ou consacrés à l'achat de biens
151
fonciers qui confèrent un prestige social ou certains pouvoirs,.
(op. cit. p. 244).
(37) Voir René Dumont: Sovkhozes et Kolkhozes, la problématique de l'agriculture socialiste. Edit. du Seuil.
(38) E. Mandel: Traité d'Economie Marxiste, Editions Julliard
Tome 2, page 290.
(39) K. Marx: Rapport du Conseil Central de l'A.I.T. 1866,
Cité par Jean Malle : La coopération agricole face au capital.
CEP : n. 24-25, sept. 1976.
(40) Le Chau : Le Viet.Nam Socialiste, une économie de tran·
sition. Edit. Maspéro, pp. 170-187.
(41) A. Bouzidi : La question agraire dans une stratégie nationale de développement. Revue Algérienne, n. 2, Juin 1976.
(42) E. Mandel: Traité d'économie marxiste, Edit. Julliard,
p. 296.
(43) F. Engels : La question paysanne en France et en Alle·
magne, Edit. Sociales.
(44) Dans un ouvrage collectif, il est souligné que « Bien que
les Fellahs auront subi, pendant des années l'exploitation féodale,
ou capitaliste, la misère et l'oppression, ils auront acquis des habitudes tenaces de petits exploitants et seront empreints des liens
de dépendance avec les exploiteurs.
(45) 1. Andreev et Toumarkine : Les structures communau·
taires et le développement social. Sciences sociales, Académie des
sciences de l'URSS, n. 4, 1976.
(46) Ensemble d'auteurs: Réforme Agraire au Maghreb, Edit.
F. Maspéro.
(47) National Academy of Sciences: L'énergie et le Dévelop(48) Hal Hellman: Nourrir l'homme de demain, Edit. Nouveaux Horizons, 1976, p. 267.
pement rural. Washington D.C. 1977.
(49) Michel Gutelman : Op. cit. p. 198.
(50) M. Gutelman observe dans ce sens que dans toute réforme agraire, la question essentielle est de savoir où est passée la
rente? Celle-ci peut être utilisée à la consommation somptuaire
et personnelle de celui qui la perçoit ou bien elle peut être transformée en capital technique soit dans le secteur agricole lui-même,
soit dans le secteur industriel. C'est cette transformation de la
rente qui est désignée par l'expression « capitalisation de la
rente» (p. 183).
(51) Club de Dakar: Evolution passée et situation actuelle
des pays francophones. Rapport de M. lUy de l'Mrique équatoriale. Document ronéoté.
Il y est écrit que ce qui manque au niveau des gouvernements,
c'est une prise de conscience sans réserve et une appréciation
approfondIe des actions de développement menées depuis l'indépendance, une mise en évidence des défaillances humaines, politiques et administratives. Ce qui se produit dans les démocraties
à travers les débats parlementaires, les changements de pouvoir
et une presse éclairée et compétitive, n'est point possible en Afri·
que: on crée et entretient des tabous et des mythes, des terrains
sacro-saints et une communication à la hauteur de radio-trottoir.
152
B. -
Voie et modèle d'industrialisation dans la transition vers le socialisme.
Dans la transition vers le socialisme, les décideurs
politiques et les techniciens seront confrontés à l'incontournable question de l'industrialisation qui consiste
d'une part à définir un modèle d'industrialisation et
d'autre part à spécifier la structure institutionnelle de
gestion de cette industrialisation. L'expérience chinoise
en la matière enseigne que dans cette période d'édification des bases du socialisme, il faut « marcher sur deux
jambes» c'est-à-dire élaborer une politique de développement qui permette de jouer sur tous les tableaux de
la scène économique: l'agriculture et l'industrie. Dans
cette optique, la stratégie est à la fois large et souple et
s'ordonne autour d'un développement prioritaire de
l'agriculture à laquelle est lié aussi bien en amont qu'en
aval le secteur industriel.
Cette conception procède-t-elle du cadre analytique
marxiste ou est-elle propre à la Chine? Quelle voie d'industrialisation les formations sociales sous-développées
peuvent-elles emprunter? Quelles leçons peuvent-elles
tirer du processus d'industrialisation? La clarification de
telles questions ouvre les directions pour l'élaboration
d'une stratégie conséquente d'industrialisation. Pour ce
faire, il faudra :
- d'abord retracer le cadre théorique qui éclaire le dilemme industrie lourde-industrie légère,
et indique l'option la plus efficiente d'industrialisation;
- ensuite dégager les axes et les moyens de la
politique industrielle dans l'optique des formations sous-développées extraverties fortement insérées dans la division internationale du travail.
153
I. - LE CADRE ANALYTIQUE DU DILEMME
INDUSTRIE LOURDE - INDUSTRIE LEGERE
Le modèle d'industrialisation dans la pensée marxiste a pour origine théorique les schémas de la reproduction élargie développés par K. Marx. Sans reprendre le
fonctionnement des schémas, il faut apporter quelques
précisions qui permettent de mieux comprendre les formes industrielles qu'ils impliquent. Dans la reproduction
élargie, la totalité de la plus-value qui se forme n'est pas
improductivement consommée. Une part est utilisée pour
l'achat d'éléments additionnels du capital productif. Ce
qui postule que le montant du capital variable et de la
plus-value de la section qui produit les biens de production doit être supérieur au capital constant de la section
productrice des biens de consommation. C'est là la condition de base de la reproduction élargie. La réalisation
de cette condition exige que le capital variable et la plusvalue de la première section augmentent plus rapidement
que les mêmes éléments de la section deuxième. En clair,
un modèle d'industrialisation accélérée doit s'appuyer sur
un développement prioritaire du secteur des biens de production. Ce secteur contribue à la fois à l'accroissement
des biens de production et des biens de consommation.
Dans une formation capitaliste achevée, l'industrialisation est précisément rapide parce que la production des
moyens de production est plus rapide que celle des biens
de consommation. Ce qui s'exprime dans l'élevation permanente de la composition organique du capital. Cet aspect de la question a été développé par Lénine et non par
Marx qui, dans « le Capital », raisonnait à partir d'une
composition organique invariable.
Lénine abandonne cette hypothèse et établit que dans
le système capitaliste, « ce qui croît avec le plus de rapidité, c'est la production des moyens de production pour
produire les moyens de production; puis la production
pour les moyens de consommation; et plus lentement, la
production des moyens de consommation» (1).
C'est à partir de ces considérations que Staline croit
trouver la loi de la priorité de l'accroissement de la production des moyens de production dans le socialisme.
154
Pourtant, cette idée était présente dans l'analyse de Lénine lorsqu'il observait que le socialisme ne peut être
édifié que sur la base de la grosse industrie mécanisée
qui est seule capable de réorganiser l'agriculture (2).
C'est donc cette conception que J. Staline va élever au
rang d'une option doctrinale rigide, dogmatique selon laquelle une prépondérance absolue doit être accordée « à
l'accroissement de la production des moyens de production car cette production a le mérite d'assurer l'équipement de ses propres entreprises et des entreprises de
toutes les autres branches économiques; mais aussi parce que sans elle, il est absolument impossible de réaliser
la reproduction élargie )) (3).
L'industrialisation aura donc sa base dans le développement de l'industrie lourde (4). L'avènement de ce
dogme s'est réalisé à partir de la liquidation de deux conceptions qui se dessinaient depuis la NEP : celle de M.
Boukharine et celle de l'opposition de gauche représentée
par L. Trotsky et E. Preobrajensky. Le premier soutenait
que la priorité dans le développement devait être accor·
dée à l'agriculture qui seule est en mesure de créer un
surplus disponible à la fois pour l'exportation et l'expansion du secteur industriel.
Ce développement de l'agriculture permettrait en plus
de nourrir correctement les villes et de fournir les matières premières nécessaires à l'industrie. En retour, celle-ci disposerait à partir des revenus agricoles, de débouchés pour ses produits. Ces positions théoriques ont été
vivement critiquées par l'opposition de gauche qui dé·
fendait l'idée qu'il fallait développer l'industrie par une
mobilisation des ressources disponibles qui devaient fi·
nancer les nouveaux investissements productifs. Par ailleurs, ces ressources proviendraient d'une restriction des
consommations au niveau d'une agriculture intégralement
socialisée. Staline réalisera une synthèse des deux attitudes théoriques et imposera pratiquement une collectivisation forcée de l'agriculture, permettant une mobilisation obligatoire des surplus pour le financement de l'in·
dustrialisation. C'est donc sur cette base que se dévelop·
pera la conception de la croissance prioritaire de l'industrie lourde comme voie pour rattraper et dépasser le
pays capitaliste le plus avancé : les Etats-Unis. Il remar-
155
quait dans ce sens que l'Union Soviétique était en retard
de cinquante ans sur les pays avancés et qu'elle devait
parcourir cette distance en dix ans. Sur cette base se consolida la thèse selon laquelle l'industrialisation véritable
a pour fondement la loi de la croissance prioritaire du
secteur 1 que Marie Lavigne formule de la manière suivante : « dans les conditions de la grande production
moderne, la croissance plus rapide de la production du
secteur l, par rapport à celle du secteur II est une nécessité» (5).
Tous les économistes marxistes à quelques nuances
près, ont pérénisé cette ligne de pensée. Mais ces nuances peuvent avoir une signification appréciable qui remette en question l'option même du développement prioritaire impératif de l'industrie lourde.
Dans cette optique, Maurice Dobb apporte une autre
dimension de réflexion en affirmant que « l'industrialisation dépend principalement de la taille du marché et
des capacités d'exportation. En conséquence, l'industrie
lourde ne se justifie que quand elle s'applique à des pays
assez grands et sans aucune hésitation à ceux qui sont
aussi vastes que l'Inde» (6). Cet aspect de la question
revêt une grande importance quand on prend en ligne
de compte les formations africaines dont les marchés
étroits ne commandent certainement pas une industrie
lourde. L'industrie lourde en effet exige, pour être viable,
de disposer d'un marché large qui n'atteint pas très rapidement un point de saturation. C'est dire que l'objection faite par C. Bettelheim à une politique de développement prioritaire de l'industrie légère (qui ne pourrait se
justifier que si le pays est assuré d'un marché extérieur)
serait tout aussi valable pour une industrie lourde qui ne
tiendrait pas compte de la contrainte du marché (7). A
cette contrainte, peuvent s'ajouter d'autres comme le niveau de l'accumulation interne, la technologie et l'indisponibilité des facteurs de production.
La théorie économique non marxiste présente à son
tour des visas et des modèles différents en matière d'industrialisation. Elle recommande, compte tenu du stock
limité de capitaux, du faible niveau technologique et de
l'étroitesse des marchés, une industrie légère de substi·
tution d'importation.
156
L'industrie légère est proposée à partir de l'expérience britannique dont on fonde le point de départ sur le
textile qui exige très peu de capitaux et de savoir-faire
pour sa mise en valeur. Cependant, il faut observer que
cette direction de pensée est progressivement abandonnée dans la mesure où le développement de ces branches
n'a induit nulle part encore une industrialisation véritable
et irréversible. Un tel modèle n'a résolu aucune des questions fondamentales pour lesquelles l'industrie est souhaitée
- élevation des forces productives;
- résorption du sous-emploi;
- baisse du déficit extérieur et rupture de la dépendance extérieure.
Une seconde voie est ouverte dans la théorie de l'industrie de substitution d'importation qui se veut une
forme adaptée aux conditions des formations sous-développées. En effet, elle permet la production de biens de
consommation qui faisaient l'ob.iet d'une production extérieure et qui avaient une double conséquence à savoir
l'alourdissement des importations et l'accentuation de la
dépendance extérieure. En plus, une industrialisation de
ce type peut être un prolongement du secteur productif
traditionnel.
Cependant, une appréciation de fond révèle très vite
les limites d'un tel processus d'industrialisation conditionné par quelques variables. En effet, la demande interne est celle de la minorité fortunée locale qui détermine
aussi bien sa nature que son niveau. En somme, l'industrialisation répond aux exigences d'un modèle de consommation préexistant et en même temps prédéterminé
dans la mesure où sa structure est téléguidée par le système mondial. Cet aspect de la question établit d'ailleurs
que le capitalisme mondial diffuse dans les pays dominés
ses modèles et formes de consommation. En conséquence,
le passage de l'importation à la production locale n'apporte Que très peu de modification dans la mesure oh le
marché national n'est oue très faiblement élargi. De plus,
cette forme d'industrialisation ne remet pas en cause la
distribution inégalitaire des revenus : les salaires n'évoluent que très faiblement en fonction des productivités
par suite de l'extrême élasticité de l'offre de main-d'œu-
157
vre. Le cœfficient du capital dépendra donc des exigences
de consommation de la minorité. Ainsi apparaît un renforcement de l'hétérogénéité structurelle caractéristique
des formations sous-développées. Le sous-système industriel s'autonomise par rapport au reste de l'économie, ce
qui va se traduire par une absence complète de noircissement du tableau des relations inter-industrielles. Le résultat est que le système industriel, loin de constituer un
prolongement de l'appareil productif ou une transformation de ce dernier, constitue un transfert, du Centre vers
la Périphérie, d'activités productives liées à une clientèle
consommatrice conditionnée et contrôlée.
Cette tendance est encore plus nette dans le processus de délocalisation industrielle qui consiste à transférer
certains segments de production vers la Périphérie. A y
réfléchir, on s'aperçoit que les segments transférés sont
ceux qui utilisent la main-d'œuvre et les matières premières locales bon marché. On réussit ainsi à obtenir une production industrielle à des coûts très faibles donc génératrice de profits élevés. Une telle forme d'industrialisation, non seulement ne profite pas aux pays sous-développés, mais elle alourdit le déficit de leur balance des paiements. La politique de sous-traitance internationale produit des résultats identiques. Une véritable industrialisation procède d'une autre logique et d'autres objectifs
qui doivent partir des dotations factorielles de chaque
pays et des priorités imprimées au développement économique et social.
Il importe alors de préciser les axes d'une stratégie
d'industrialisation conséquente dans les formations sousdéveloppées.
II. - LES AXES D'UNE STRATEGIE
DE DEVELOPPEMENT INDUSTRIEL
Toutes les théories et controverses soulignées enseignent que l'industrialisation s'Impose dans le système
socialiste comme une priorité dans la répartition des ressources et l'organisation sociale. S'il en est ainsi, c'est
158
bien parce que le système industriel contribue d'une part
à sortir l'homme de l'emprise de la nécessité par une maîtrise de l'environnement physique et d'autre part à surmonter à moyen ou long terme tout état de pénurie.
Cette valorisation et exploitation de la nature constitue une des orientations fondamentales du socialisme
qui ne sera effectif que s'il réussit à satisfaire les besoins
fondamentaux dans les délais les meilleurs et de la façon la plus efficiente financièrement et socialement.
Les débats rapportés plus haut doivent être relancés
à la lumière des préoccupations des formations sous-développées qui se caractérisent généralement par leurs faibles bases industrielles. Dans cette direction, trois problématiques doivent être nettement élucidées:
Premièrement, quels sont les effets attendus de toute
forme d'industrialisation: autrement dit, quelles ont été
les fonctions essentielles de l'industrialisation dans les
processus historiques de développement économique et
social?
Deuxièmement, ces fonctions peuvent-elles se reproduire dans des formations sous-développées fortement articulées à la division internationale capitaliste du travail ;
autrement dit, une stratégie conséquente d'industrialisation est-elle possible dans des pays dominés et aux structures productives extraverties ?
Troisièmement, s'il n'existe aucune perspective d'une
industrialisation maîtrisée, quelle politique faut-il suivre?
Si ces trois problématiques ne sont pas bien éclaircies, on ne saura jamais maîtriser l'industrialisation et
encore moins les politiques qu'elle appelle.
a) Quelques observations sur les effets produits et
attendus de toute industrialisation
Si les débats sur les perspectives et les modèles d'industrialisation dans les pays en voie de développement
sont d'une affligeante pauvreté, cela procède souvent des
obscurités de départ sur le rôle historique de l'industrialisation dans le processus de développement économique
et social. Faute d'avoir cerné ces fonctions industrielles,
les théoriciens ont balancé entre deux extrêmes : la première qu'on pourrait qualifier d'industrialisme explique
159
toutes les évolutions socio-économiques par la révolution industriellle. En d'autres termes, c'est elle qui a introduit toutes les ruptures dans le système productif et
même social pour installer des mécanismes d'une croissance soutenue. L'industrie apparaît alors comme une
condition nécessaire et suffisante du développement économique et social. On sort de la barbarie par la transformation des outils. La seconde extrême considère l'industrialisation comme une étape moins importante rendue
possible par une révolution agraire préalable qui a fourni les moyens financiers, libéré la main-d'œuvre et offert
les débouchés. Pour sortir de ces visions extrémistes, il
nous faut réévaluer les fonctions de l'industrialisation
telles qu'elles se révèlent à l'expérience dans des pays actuellement industrialisés.
A grands traits, l'histoire des pays actuellement dé·
veloppés établit que l'industrie a produit cinq séries d'effets qui font qu'elle est considérée comme une variable
décisive du processus de transformation des forces productives matérielles et humaines. Ces effets peuvent se
résumer comme suit :
- l'accroissement de la productivité du travail et
de celle des autres sous-secteurs de l'activité économique. En d'autres termes, l'industrie en assistant les bras de l'homme et les autres secteurs
d'outils fonctionnels, a toujours augmenté leur
niveau d'efficacité (8); C'est ainsi que certains
goulots d'étranglement sont liquidés, ce qui permet l'avènement d'un travail plus efficient;
- la valorisation des ressources naturelles conformément aux besoins des autres secteurs. De ce
fait, l'industrie devient la source d'importantes
économies externes. C'est cela qui permet le fonc·
tionnement d'un système productif cohérent au
niveau des différentes activités de production;
- la formation et l'accroissement du capital productif national. Le processus d'industrialisation
est largement générateur de surplus financiers
qui peuvent être réinvestis pour accroître les capacités intra-sectorielles de production (investissement autonome) ou transférés vers d'autres utilisations productives; ainsi l'industrie se présen160
te comme une source importante d'accumulation;
- l'industrie contribue largement à la création
et à l'affermissement du marché national. Elle ne
peut exister sans élargir la sphère de la circulation des biens et briser les barrières régionales.
Elle contribue ainsi à la création d'une infrastructure
de base. Comme l'observe J.E. Rweyemamu, l'industrie a
« développé les économies en les intégrant et en les rendant souples et capables d'engendrer elles-mêmes une
croissance autonome» (9).
- l'industrie accroissant et diffusant la technologie. Elle devient ainsi un moyen d'élargissement
du potentiel scientifique et technique; un amplificateur du savoir-faire.
Ces effets attendus justifient la mise en place de politiques industrielles qui, en dernière instance, permettent non seulement une amélioration de la productivité
globale et des aptitudes techniques, mais aussi une valorisation ou une exploitation des ressources naturelles conformément aux besoins de l'activité économique.
Cependant, ces effets ne peuvent être produits dans
les meilleures conditions par n'importe quelle structure
industrielle. Si le secteur des biens d'équipement est jugé
prioritaire, c'est principalement à cause de sa capacité
à optimiser chacune des cinq fonctions retenues. On dit
alors que la forme industrielle optimum est l'industrie
industrialisante qui possède la capacité d'installer des
structures industrielles pouvant produire de vastes effets
d'entraînement et de polarisation, possédant les moyens
internes de formation et de diffusion d'une importante
technologie.
Bien entendu, les conditions de création de cette forme d'industrialisation ne sont pas toujours présentes.
Historiquement, dans ces pays développés, elles ont été
facilitées, selon J.F. Rweyemamu, par deux facteurs: la
nécessité objective de produire ces biens en l'absence de
toute autre possibilité et le fait qu'il n'y ait pas eu une
grande disparité entre les technologies modernes et les
technologies traditionnelles.
Ces deux facteurs sont largement battus en brèche
dans les formations sous-développées par les possibilités
d'importation des biens d'équipement qui ne rendent
161
plus nécessairement impérative leur production interne.
Il en est de même de l'important fossé technologique qui
sépare le secteur moderne et le secteur traditionnel. Cependant, ces particularités ne remettent pas en question
le fait que l'industrie qui maximise les effets induits est
l'industrie industrialisante.
Ce modèle d'industrialisation peut-il être édifié dans
des formations sous-développées articulées à la Division
Internationale du Travail (DIT) ? Quelles sont ses chances de succès ?
b) L'industrialisation avortée des formations
sous-développées insérées dans la DIT
Le processus d'industrialisation des formations sousdéveloppées insérées dans la DIT se caractérise selon l'expression de Samir Amin par une « distorsion en faveur
des branches et techniques légères ». Cette distorsion apparaît, au demeurant, dans les deux formes dominantes
de l'industrialisation par substitution aux importations
et de la délocalisation faisant suite à l'émergence tendancielle d'une nouvelle DIT. Il faut alors s'interroger sur
les perspectives qu'offrent ces deux modèles d'industrialisation extravertie c'est-à-dire animée financièrement et
technologiquement par l'extérieur principalement selon
la logique même de la valorisation internationale du capital.
1.) Les effets de l'industrialisation par substitution
aux importations
La littérature sur cette question de l'industrialisation par substitution aux importations est aujourd'hui
fort variée, mais il n'existe aucun auteur pour soutenir
que ce modèle a produit des effets d'entraînement sur les
économies concernées. L'unanimité semble même se faire
autour de l'idée, confirmée par les statistiques, selon laquelle l'industrie par substitution aux importations (I.S.
1.) part d'une demande préexistante formée par les besoins de la minorité fortunée liée aux activités exportatrices, spéculatives d'origine commerciale et immobilière,
ou aux hautes sphères des fonctions publiques et dotée
162
d'un modèle de consommation similaire à celui des pays
capitalistes développés. Cette demande détermine les techniques à adopter c'est-àdire le cœfficient de capital. Le
processus d'industrialisation est donc conditionné par ces
préalables et fonctionnera en circuit fermé pour les minorités locales fortunées. La conséquence, comme le souligne M. Ikonicoff, est que ni la disponibilité des facteurs,
ni la constellation des ressources à l'échelle nationale ne
sont des données significatives du choix de la technologie (10). Autrement dit, le vecteur de l'industrialisation
est la demande interne à satisfaire, en conséquence, les
effets induits sur les facteurs de production seront limités. Dans ces conditions, « 1'1.5.1., loin de constituer une
prolongation de l'appareil productif traditionnel ou une
transformation de ce dernier constitue un transfert du
Centre vers la Périphérie d'activités productives liées à
une clientèle consommatrice conditionnée et contrôlée »
(l1).
Par ailleurs, ce modèle d'industrialisation augmente,
puis accentue les déséquilibres dans le système productif
et dans la structure sociale. En effet, il exclut de la consommation des biens manufacturés de trop larges couches de la population. C'est ainsi que va se renforcer l'hétérogénéité structurelle défavorable au progrès socio-économique.
Toute la littérature sur l'industrialisation de substitution d'importation s'accorde sur un certain nombre de
constatations à savoir :
- que le modèle ne contribue ni à la création de
biens d'équipement ni à l'accroissement des économies externes des autres secteurs de l'activité
économique avec lesquels il a du reste des liens
très réduits, ni même à l'augmentation de la productivité du travail ;
- que le modèle accroît la dépendance technique
et financière, sans que celle-ci soit quelque peu
compensée par des retombées positives sur la
technologie, la productivité et l'accumulation interne de capital.
Dans cette optique, 1'1.5.1. contrôlée au triple niveau technique, financier et gestionnel est à la
163
fois un facteur d'endettement et de déséquilibre
extérieurs ;
- qu'il consolide les enclaves industrielles, désarticule l'économie et favorise la création de structures oligopolistiques non concurrentielles;
- qu'il développe des effets sociaux importants
en creusant « la dichotomie entre d'une part la
masse marginalisée des ruraux et des populations
périurbaines et d'autre part les minorités liées au
secteur moderne industriel, administratif et commercial des villes» (12).
Pour des pays dont le système des forces productives est très faiblement exploité, et qui ont par conséquent
besoin d'une industrialisation accélérée, augmentant (quel
qu'en soit le coût) la productivité du travail et des autres
secteurs, permettant une mise en valeur intégrale des
ressources naturelles, l'industrialisation par substitution
d'importation n'est pas la voie. Même si l'I.S.I. est la source d'une croissance reposant sur des actions polarisées,
elle restera toujours limitée par l'étroitesse du marché
intérieur circonscrit principalement aux hauts revenus
urbains (13). C'est pour cela que l'I.S.I. est une forme
avortée d'industrialisation c'est-à-dire qu'à terme, elle
connaîtra irrémédiablement un blocage insurmontable
qui la ramènera à une industrie fonctionnant en circuit
fermé (14). Elle ne permet pas, comme il est normalement attendu de tout processus d'industrialisation, la
construction d'un appareil productif capable d'exploiter
les ressources locales, de satisfaire les besoins en produits
intermédiaires et technologiques des autres secteurs de
l'économie nationale et de créer une chaine de déséquilibres créateurs de croissance. Le processus de l'I.S.I. restera bloqué tant que le système industriel ne s'élargira
pas à la demande des populations rurales et des autres
secteurs décisifs de la vie économique. Seulement si cette
extension s'opérait, cela signifierait que l'industrialisation cessera d'être une industrie de substitution aux importations pour devenir une industrie lourde.
En clair, l'avenir industriel n'est pas dans la stratégie d'industrialisation par substitution aux importations
qui est imposée (et non maîtrisée) dans ses différentes
composantes aux formations sociales sous-développées.
164
Un tel système fonctionne pour les économies centrales
qui en sont les principaux bénéficiaires.
Qu'en est-il de la seconde tendance que l'on observe
dans les pays sous-développés articulés à la division internationale du travail : la délocalisation industrielle?
2.) La délocalisation caractéristique de l'émergence d'une
nouvelle DIT est-elle industrialisante ?
La crise que traverse l'économie mondiale depuis la
fin des années 60 sans être aussi spectaculaire que celle
de 1929, n'en demeure pas moins plus ample, plus étendue, plus profonde et plus longue.
Au plan économique, la baisse généralisée des gains
de productivité engendraient des rétrécissements de marges bénéficiaires, voire des pertes financières. Les secteurs monopolistiques et oligopolistiques, dans le cadre
de l'administration des prix à la vente, ont utilisé l'inflation pour restaurer l'équilibre initial. Ce qui explique en
partie la brutale flambée des prix des biens manufacturés
après 1973.
Dans le même temps, l'impossibilité d'indexer sur
l'inflation mondiale les prix des matières premières et
d'autres produits finis ou semi-finis exportés par le TiersMonde, contribuait progressivement, mais inexorablement
au renforcement du déséquilibre actuel des rapports internationaux.
Au plan financier, la faillite du SMI et les dérèglements monétaires de 1968, du 15 août 1971 et de 1979 vont
aggraver le phénomène d'ensemble.
Face à la relative saturation de la demande interne
que traduisait l'essouflement de la consommation, les
pays industrialisés utilisèrent la technique dite « d'économie d'endettement international» pour élagir leurs débouchés en direction des pays du Tiers-Monde, ceci afin
de maintenir un niveau de demande compatible avec les
capacités de production. A cette fin sera mobilisé le système bancaire international qui, la nécessité de recycler
les excédents de pétrodollars aidant, multipliera les crédits de divers types sans aucune considération de la capacité objective d'endettement des pays bénéficiaires.
Ce rappel de quelques tendances de l'économie inter-
165
nationale permet d'élucider l'articulation entre termes
défavorables d'échange (sphère économique) et montée
de l'endettement (aspect financier).
Tout laisse croire que la constitution d'un monde
multipolaire autour de blocs relativement autonomes est
le moyen envisagé pour sortir de la crise. Il s'agit pour
le monde capitaliste de procéder à une restructuration
de la DIT ainsi que des rapports monétaires et de crédit.
Cette nouvelle stratégie de division des risques confère
à chaque pôle du capitalisme la possibilité de mettre sur
pied des compromis pour résoudre les tensions internes
et organiser les rapports avec la partie du Tiers-Monde
qui est à sa portée. Dans ce cadre, l'approfondissement de
la DIT au sein de chaque bloc pourrait alors se traduire
soit par une industrialisation partielle de certains pays
en voie de développement, soit par une délocalisation de
certains segments du système industriel.
Les Etats vont alors jouer des rôles essentiels dans
la mise en œuvre de ces srtatégies : protection du bloc
de la concurrence internationale, politique contractuelle
au plan interne, sécurité des investissements réalisés à
l'extérieur.
Ainsi, la sortie de la crise est envisagée à l'échelle du
système capitaliste mondial par l'éclatement de la DIT,
avec cependant son extension dans un certain nombre de
pays du Tiers-Monde qui seront alors les nouveaux pays
industrialisés (NPI). Il :,'agit donc de créer une nouvelle
hIérarchisation fondée principalement sur la maîtrise de
certains élements du pool technologique. Quel en est le
prmcipe ? Selon A. Faire, les bases objectives de la délocalisation sont l'épuisement des innovations technologiques majeures au Centre et le fait que la concurrence
devenant essentiellement une concurrence par les coûts
pousse les groupes vers des régions à faible rémunération du travail. En effet, les groupes qui ont les coûts
les plus faibles peuvent espérer élargir leurs marchés aux
dépens des autres (15).
Ce processus de délocalisation tendant à rejeter vers
la périphérie certains sergments de production concerne
principalement les secteurs industriels déclinants, certaines productions technologiquement obsolètes ou absor-
166
bant beaucoup de main-d'œuvre (16). Comme l'observe A.
Faire, « qu'il s'agisse d'unités de production de produits
banalisés contrôlées par les groupes multinationaux... ou
appartenant aux secteurs non monopolistiques de l'industrie du Centre (textile, habillement, cuirs et chaussures...),
la relative stagnation des marchés centraux provoquée
par la crise, rend considérablement plus sévère la concurrence par les coûts. Dans la mesure où la crise a déjà
réinstauré le leadership américain dans le monde occidental, on pourrait penser que rien ne s'oppose plus à un
mouvement important de délocalisation industrielle vers
les pays du Tiers-Monde, concernant l'ensemble des branches industrielles, à l'exception des industries de pointe
(17).
Ces transferts peuvent être importants et concerner
des secteurs décisifs (sidérurgie, pétrochimie). Seulement
au meilleur des cas, ils forment un processus industriel
contrôlé constituant un facteur d'articulation au marché
mondial et ayant un coût financier et social excessif. En
effet, les firmes délocalisées jouent le rôle de sous-traitantes à l'échelle internationale et cela entraîne une modification du transfert technologique vers le pays d'accueil.
La délocalsation ne saurait alors présider à une stratégie conséquente d'industrialisation. Son contrôle échappe aux décideurs. Les Zones Franches Insdustrielles installées dans les PSD offrent une parfaite illustration des
limites de la délocalisation.
L'ISl comme la délocalisation industrielle ne constituent pas des modèles d'une politique industrielle conséquente. Elles procèdent de la volonté du capitalisme mondial de dominer ses marchés extérieurs comme prolongements indispensables des marchés intérieurs, et d'opérer
un redéploiement international du capital. C'est dire que
le capitalisme périphérique extraverti n'offre aucune perspective véritable d'industrialisation indépendante et capable de produire d'importants effets induits sur l'emploi,
la technologie et la productivité. Quelle est la stratégie
d'industrialisation la plus progressive?
167
C. -
Les axes d'un autre modèle d'industrialisation.
Les axes d'une politique industrielle indépendante et
autocentrée se formulent aisément et se réduisent:
- à la définition et à la mise sur pied d'une industrialisation rurale qui ne procède d'aucune accumulation primitive, mais s'organise pour fournir
des moyens de production à l'agriculture. L'industrie doit rendre possible la révolution agricole;
- à l'installation d'un tissu industriel qui valorise les ressources du sol et du sous-sol conformément aux besoins internes des secteurs d'activités
et des populations;
- à l'élaboration d'une politique, de mécanismes
d'appropriation et de diffusion de la technologie
permettant une amélioration de la technique et
de la productivité du travail.
La réalisation de tels objectifs passe par une analyse
des articulations expressives:
- agriculture-industrie;
- industries lourdes-industries légères;
- technologie à cœfficient capitalistique élevé,
technologie utilisatrice de main-d'œuvre.
Cette analyse permettra de dégager les directions
d'action ainsi que les formes d'allocation des ressources
financières et humaines.
1.) L'industrialisation rurale: l'organisation des relations
de production inter-sectorielles.
Les formations sous-développées sont principalement
des sociétés où l'agriculture est le secteur dominant par
les ressources qu'elle procure et la population qu'elle occupe. Pour cette double raison et également pour les fonctions qu'elle a historiquement jouées dans le développement économique et social, elle est un élément essentiel,
une pièce centrale dans la stratégie des transformations
socio-économiques. La crise profonde dans laquelle est
placée l'agriculture et qui se matérialise dans la faiblesse
de la productivité du travail, le caractère rudimentaire
des outils, le faible volume des surplus formés et la dé-
168
gradation permanente des conditions d'existence des producteurs, trouve sa solution dans deux directions: d'une
part les transformations structurelles et d'autre part son
articulation en amont comme en aval avec le secteur industriel.
Disons le clairement, les formations sous-développées
ne pourront accéder à une mutation structurelle adéquate
et une transformation radicale de leur agriculture si elles
ne constituent pas un système industriel qui satisfasse
les besoins en amont et en aval de l'agriculture. En amont,
ce système industriel doit fournir les instruments de travail mécanique, les produits phyto-sanitaires, les fertilisants nécessaires pour réaliser une expansion régulière
de la production et en aval l'industrie doit contribuer à
la valorisation de la production agricole. Cela commande
la promotion des industries agro-alimentaires, dans le
textile, les cuirs, et les produits pharmaceutiques.
C'est de cette manière que l'industrie, contrairement
à l'expérience historique européenne, rendra possible la
révolution agraire indispensable. Les relations entre l'agriculture et l'industrie deviennent dès lors déterminantes
pour un développement économique équilibré. Elles vont
constituer un ensemble de systèmes complexes qui sera
au cœur des préoccupations des décideurs politiques et
des techniciens du développement.
L'élaboration d'un modèle, entendu comme schématisation grossière d'une réalité riche et complexe, est nécessaire pour représenter les diverses articulations entre
les deux secteurs et pour opérer des choix décisionnels.
Les axes pourraient être:
- premièrement, l'analyse du système rural pour
saisir l'ensemble des éléments interconnectés et
appréhender toutes les contraintes et les obstacles qui s'opposent aux transformations. Cela concerne l'éco-système, la force de travail, l'ethnie,
la culture. Cette analyse revêt toute son importance car elle devra permettre de décrypter toutes
les relations des divers éléments de la structure
agraire. On verra alors les modifications à apporter et la méthode à utiliser;
- deuxièmement, la spécification des moyens de
production nécessaires et adaptés au système ru-
169
raI considéré comme un tout intégré. Pierre Gonod (18) distingue trois catégories de moyens de
production : les moyens de production exogènes
c'est-à-dire ceux fournis par l'industrie (moyens
mécaniques, chimiques, énergie). On pourra observer que chaque catégorie de moyen peut donner lieu à la constitution d'une industrie. On aurait alors trois sous-secteurs industriels liés aux
activités agricoles : celui de l'aménagement des
infrastructures de base: réseaux d'irrigation, barrages, bâtiments de stockage, etc... ; celui des
biens de consommation intermédiaires que sont
les intrants agricoles: les machines-outils, les engrais, les produits phytosanitaires; celui enfin de
la valorisation et de la conservation de la production agricole.
Il apparaît à la simple énumération de ces domaines
d'action que le secteur agricole peut et doit, en dernière
instance définir le contenu de l'industrialisation. En d'autres termes, la structure industrielle à développer devra
être orientée pour servir principalement l'expansion soutenue de la production et des activités agricoles.
- troisièmement, les techniques de production
pouvant articuler de façon harmonieuse celles qui
sont extensives avec celles qui sont intensives.
C'est à ce niveau que l'on perçoit tout l'intérêt de
l'industrialisation rurale. Selon l'observation de P. F.
Gonod, « les unités agricoles en tant que centre de pouvoir réagissent aux perturbations économiques externes »,
Elles sont obligées d'améliorer leur forme d'organisation
et de gestion pour ne point subir de sanctions économiques négatives qui les condamneraient à la disparition.
Elles vont se trouver ainsi dans l'obligation d'instaurer une nouvelle rationalité en cherchant les combinaisons les plus efficientes des intrants industriels pour maximiser les profits. Ainsi l'industrie déclenchera au niveau de l'agriculture, non seulement un esprit productiviste mais aussi de nouvelles normes de décision, de production et de gestion des unités économiques. De même,
la propension à l'utilisation d'une technologie progressive dans le monde rural va s'élargir. La paysannerie comprendra toute seule (ou aidée par les divers services de
170
recherches et de vulgarisation) que l'obtention d'une production élevée, donc de revenus monétaires appréciables,
ne pourrait découler que d'une agriculture intensive au
plan de la productivité du sol et du travail. Or ces objectifs de productivité sont atteints par une utilisation des
engrais et de la mécanisation.
Si la socialisation de l'agriculture est recherchée,
c'est bien pour obtenir des unités économiques de dimension optimale permettant une utilisation efficiente des
intrants de l'industrie rurale. C'est l'une des raisons pour
laquelle le socialisme doit d'une part lutter, mais très démocratiquement, contre le principe travailliste de «la
terre à ceux qui la travaillent» et d'autre part mettre sur
pied de façon non bureaucratique des fermes d'Etat.
Dans le premier cas, le morcellement des terres installe des formes minifundiaires qui posent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent. Comme le note A. Bouzidi,
« saisir les terres puis les redistribuer selon ce principe ne
règle absolument pas la question de savoir dans quel
cadre doivent travailler ceux qui perçoivent la terre.
Pour quels objectifs précis doivent-ils le faire et comment
les amener à le faire effectivement» ? (19) Ce problème
est trop important; seulement il doit être réglé démocratiquement par une persuasion de la petite paysannerie
pauvre et parcellaire pour l'entraîner vers la coopération.
Dans le second cas, l'Etat devra donner l'exemple
en réorganisant de façon rigoureuse et conséquente l'agriculture. Il pourra alors créer des unités de dimension appropriée pour introduire la mécanisation et les autres
facteurs modernes de production agricole. Bien entendu,
le travers bureaucratique devra être dépisté et vigoureusement combattu.
Au total, l'unité économique qui optimise les intrants de l'industrie doit être de grande taille car s'il n'en
était pas ainsi, les investissements techno-agronomiques
réalisés ne pourraient être rentabilisés. En effet, toute
baisse tendancielle des surplus monétaires de la paysannerie serait un frein au processus recherché de modernisation de l'agriculture et des exploitations agricoles.
L'industrialisation doit permettre aux formations
sous-développées de passer dans les meilleures conditions
de la révolution verte à une profonde révolution agraire.
171
Il s'agit de mettre la science et le savoir-faire technique
au service d'un vaste mouvement de transformations radicales et profondes des structures et de la base matérielle du secteur agricole.
Le second aspect de l'industrialisation concerne la
valorisation en aval de la production. Ces industries
d'aval exercent d'importants effets sur les techniques de
production. Il s'agit principalement d'un feed-back qui
« se manifeste sous forme contractuelle dans les cas d'intégration verticale par le respect de programmes de production, de livraison, de standards de qualité, qui sont
directement liés à l'utilisation de techniques déterminées» (20). De plus, de telles industries fournissent aux
populations rurales un complexe de biens permettant de
couvrir certains besoins quotidiens. Enfin, elles contribuent dans une large mesure à la décentralisation industrielle.
En définitive, l'industrialisation rurale permet:
- premièrement, le double accroissement de la
productivité du sol et du travail et donc l'augmentation de la production;
- deuxièmement, le développement conséquent
d'une substitution aux importations et donc la
réduction du déficit extérieur;
- troisièmement, le transfert et la diffusion
technologiques ;
- quatrièmement, l'augmentation de l'efficience
d'ensemble des structures de production et même
de commercialisation.
La Chine a offert des expériences édifiantes sur la
politique d'industrialisation rurale.
Pour soutenir l'agriculture, il a été développé un système diversifié d'industries en amont et en aval du secteur selon le principe de la ligne de masse qui consiste
à « prendre les grandes entreprises comme ossature tout
en multipliant les moyennes et les petites ». Pour Patrick
Tissier, ce principe apparut très tôt comme le seul capable de traduire dans les faits les mots d'ordre « d'indépendance et d'autonomie », de «compter sur ses propres
forces », de « lutter directement» et « d'édifier le paysage avec diligence et économie» (21).
Ainsi, l'industrie rurale sera intégralement au servi-
172
ce de l'agriculture et permettra la constitution d'un réseau industriel fait de grandes et petites unités locales.
Cependant, cette expérience chinoise ne peut être reproduite de façon mimérique; seulement, elle indique des directions d'action pour valoriser économiquement et socialement le monde rural d'une part en s'appuyant sur
les acquis séculaires de la paysannerie et d'autre part en
offrant aux paysans de profondes motivations pour le travail créateur, en les libérant des pires formes d'inégalités
et d'exploitation (22).
Les Vietnamiens ont également réalisé quelques expériences d'envergure et leur politique industrielle a produit un ensemble d'effets bénéfiques qui ont permis la
liquidation de la famine.
Cette industrialisation au service du monde rural a
permis aux pays socialistes d'Asie d'atteindre des niveaux
acceptables de sécurité alimentaire. C'est là un acquis de
taille comparé aux situations désastreuses des pays du
Sahel qui est une zone d'insécurité et d'instabilité alimentaire et où les populations ne survivent que grâce à l'assistance alimentaire internationale. L'instabilité de l'environnement ne saurait ni expliquer, ni excuser les énormes erreurs des politiques agraires.
Tous nos développements établissent en conclusion
que les relations entre l'agriculture et l'industrie sont déterminantes pour l'amorce d'un processus de croissance
et d'expansion économiques et sociales. L'industrialisation, pour être effective, doit prendre en charge tous les
besoins du secteur agricole. Celui-ci connaîtra alors des
niveaux élevés de productivité et les populations rurales
auront des revenus monétaires plus importants permettant la formation d'une demande de biens de production
et de services à l'industrie. Cette dernière, à son tour, va
se consolider, améliorer ses performances techniques et
élargir progressivement ses bases.
L'industrialisation rurale permet de résoudre les distorsions sectorielles caractéristiques des formations sousdéveloDpées ainsi que la dichotomie croissante et socialement dangereuse entre villes et campagnes.
2.) Le dilemme industrie lourde-industrie légère : la nécessité de l'élaboration d'une politique cohérente
173
de filières industrielles valorisant les ressources de
base.
Dans les développements antérieurs, il a été établi
qu'historiquement, l'industrie lourde a été à la base du
développement de tous les systèmes sociaux capitalistes
comme socialistes. Tous les processus d'industrialisation
véritable sont partis de tendances lourdes qui ont introduit des mécaniques nouvelles qui vont détruire et remplacer systématiquement toutes les vieilles techniques.
Ainsi, le capitalisme a vaincu tous les autres systèmes sociaux antérieurs en révolutionnant systématiquement les
moyens de production. C'est cela qui faisait dire à Marx
que la bourgeoisie a joué un rôle historique éminemment
progressiste qui consiste à tirer l'humanité de la stagnation, de la barbarie. Dès lors, le pays qui a le plus développé les tendances lourdes a dominé la division internationale du travail et a assujetti les autres systèmes productifs.
Le socialisme, dans ses versions européennes s'est développé par l'industrie lourde. Le développement du secteur des biens de production est la condition première
de toute reproduction élargie (23).
Les formations sous-développées qui veulent réaliser
un développement rapide et autocentré de leurs forces
productives doivent avoir une politique industrielle comportant deux composantes : d'une part le développement
prioritaire des industries rurales et d'autre part la constitution simultanée de secteurs de valorisation des ressources naturelles existantes. Bien entendu, cette politique d'industrialisation doit, comme le note S. Amin, « lier
le secteur moderne de l'industrie rénové dans ses orientations au secteur des petites industries rurales qui permettent de mobiliser les forces latentes du progrès» (24).
Ce développement industriel essentiel et au service
des besoins internes, s'appuie sur les secteurs suivants:
- celui de la production des biens d'équipements
industriels (permettant de valoriser les matières
premières locales) et celui de la production de
machines-outils et d'instruments (qui peuvent
être destinés au secteur rural) ;
- celui de l'industrie chimique: industrie chimi-
174
que minérale (électro-chimie, soufre), engrais,
produits phyto-sanitaires, produits pharmaceutiques, produits de la chimie organique;
- celui de l'énergie; ce secteur est vital en ce
qu'il accompagne et conditionne le développement
industriel.
Dans ce cas, il est impératif pour les décideurs des
formations sous-développées d'élaborer une structure industrielle cohérente et introvertie.
L'Etat, dans cette optique, est appelé à jouer des
fonctions importantes au triple niveau de la définition
des secteurs prioritaires, de l'allocation des ressources et
de la participation à la création d'unités industrielles.
Cette politique est socialiste par le fait que l'Etat en est
l'initiateur et le réalisateur à titre principal. Il faudra
bien sûr éviter d'écarter les initiatives privées, même externes, qui voudraient participer à l'exploitation dans de
meilleures conditions de certains sous-secteurs industriels
et satisfaire aux moindres coûts une partie de la demande
de biens manufacturés. C'est le cas dans les industries de
transformation.
L'Etat devra éviter une intervention directe et massive dans ce secteur des industries de transformation qui
doivent être partiellement ou totalement abandonnées à
l'initiative privée. Celle-ci, aidée, encadrée et incitée par
diverses mesures (fiscales ou financières) devrait exploiter et mettre en valeur de façon efficiente les matières premières locales existantes.
Certains Etats socialistes se sont énormément distraits à vouloir contrôler toutes les filières industrielles
et ont fini souvent par installer des bureaucraties lourdes gérant de vastes domaines industriels composés pour
l'essentiel d'unités de production déficitaires et maintenues grâce à des subventions publiques. Ce gaspillage
énorme de ressources rares doit être évité en limitant l'intervention de l'Etat au niveau des unités décisives de l'industrie de base qui nécessitent de lourdes immobilisations
financières qui ne sont pas à la portée des entrepreneurs
privés nationaux ou étrangers. En effet, ces agents ne
pourraient point s'intéresser à de telles entreprises si la
rentabilité économique et financière est lointaine ou simplement douteuse.
175
Cependant, la création de complexes industriels qui
ont un caractère industrialisant entraîne trois séries de
conséquences qu'il faut entièrement assumer à savoir :
- une dépendance souvent très forte vis-à-vis de
l'engineering international;
- une dépendance financière à l'égard des institutions financières externes;
- une dépendance vis-à-vis des marchés internationaux sur lesquels il faut écouler les surplus de
production du système industriel.
Cette triple dépendance est souvent dénoncée, particulièrement par les forces politiques dites progressistes
- comme si elle était inévitable. Dans le fond, il faut sa·
voir avec exactitude ce que l'on veut dans une politique
économique : la finalité reste-t-elle la construction d'un
système industriel ou faut-il chercher les moyens partout
où ceux-ci peuvent se trouver et accepter les conséquences tout en essayant cependant de les atténuer? Cette
dépendance est le prix à payer par les pays qui ne contrôlent pas les éléments essentiels de l'industrialisation.
Ils doivent accepter cette triple dépendance pour s'en libérer progressivement avec d'une part l'émergence d'un engineering national et d'autre part la création de surplus
financiers importants. Si les formations sous-développées
refusent l'alternative de l'autarcie et de la stagnation,
leur processus d'industrialisation passera par une période longue de dépendance extérieure.
Le « raccourci de rattrapage» passe par l'acceptation de ce développement dépendant. Dans cette optique,
Mao Tsé-Toung reconnaissait que « sans aide étrangère,
en prétendant ne compter que sur nos propres forces,
nous n'y arriverons pas ». Le forcing industriel est donc à
ce prix. Il est certain qu'il comportera des gaspillages,
des retards et des pannes, mais le développement accéléré
est à ce prix.
C'est de la sorte Que le Japon, l'Union Soviétique et
la Chine se sont industrialisés. Analysons rapidement ces
trois expériences de pays qui se sont industrialisés par
une ouverture très grande sur l'extérieur et par l'acceptation de conditions dures et parfois léonines.
Pour le Japon. il faut dire après A. Emmanuel que
« ce pays loin de s'opposer à l'afflux de la technologie oc-
176
cidentale est allé la chercher. Il l'a imitée, copiée, plagiée,
contrefaite à tour de bras et à la limite de la légalité. Résultat : loin d'aggraver sa dépendance, il a, ce faisant, forgé les instruments de sa libération et mis en place les
moyens qui lui ont permis ensuite d'entreprendre ses propres recherches scientifiques et techniques (25).
Il en va de même pour l'Union Soviétique qui, depuis
Lénine, a systématiquement accepté la dépendance extérieure pour maîtriser la révolution scientifique et technique. On peut se souvenir de « la loi sur les concessions»
du 23-11-1920, de Lénine qui offrait des avantages et concessions véritablement exorbitants pour obtenir un afflux
de capitaux et de technologie. Dans ce sens, la NEP n'était
pas un recul. La Chine est aussi un exemple édifiant d'acceptation d'une dépendance externe dans le domaine de
l'industrialisation et de la technologie. Les importations
massives venaient d'Union Soviétique et maintenant elles
proviennent principalement du Japon. Dans la Conférence
sur la question des intellectuels le 20-1-1957, Mao TseToung reconnaissait la nécessité de trouver des raccourcis technologiques par recours à l'Extérieur.
C'est bien cela qui se passe actuellement en Algérie
où le processus d'industrialisation s'accompagne d'une dépendance externe et d'un endettement massif (26). Il
s'agit de contraintes avec lesquelles il faut compter. L'essentiel ne se situe pas à ce niveau de relations inégales,
mais il réside dans la définition d'objectifs réalistes, dans
la mise en place d'une structure institutionnelle pour gérer adéquatement et rigoureusement le modèle industriel
et dans la mobilisation de tous les moyens pour, à terme,
assimiler et contrôler tous les processus industriels.
Toute industrialisation lourde ayant des séquences
d'effets d'entrainement passe par la recherche dans la division internationale du travail de compromis, de formules nouvelles de collaborations capables de créer et de
donner aux formations sous-développées les conditions
d'accession dans les délais les plus brefs aux technologies et industries de pointe. C'est de la sorte que s'établiront les bases d'une économie nationale homogène, autocentrée et autodynamique.
177
3.) Définition des domaines d'action industrielle dans le
cadre des Etats africains.
Les espaces réduits des Etats africains constituent
un handicap majeur à la rentabilisation d'industries lourdes réclamant de vastes marchés, une maîtrise technologique et des capitaux considérables. L'intégration permet
de contourner les difficultés en instaurant, par le biais
d'une Division Régionale du Travail, l'organisation d'une
autonomie collective. Celle-ci devrait permettre aux Etats
membres de soutenir un rythme de développement supérieur à celui qui pourrait être atteint sans intégration et
de faciliter une industrie lourde en conciliant les ambitions de chaque Etat en la matière. Dans ce cadre, l'OUA
et la CEA (Commission Economique pour l'Afrique) ont
défini des programmes de développement industriel pour
le continent (27). Ainsi pour le Plan de Lagos, il importe
de réaliser rapidement une croissance industrielle et une
industrialisation auto-entretenue qui permettent de satisfaire les besoins nationaux. Le plan préconise pour cela,
et entre autres, les stratégies suivantes :
- la création d'une structure de production industrielle permettant de faire face aux besoins locaux ;
- l'exécution d'activités de production, de commercialisation ,de recherches propres à promouvoir la croissance économique d'ensemble;
- l'expansion et la restructuration des marchés
nationaux intégrant l'économie rurale au secteur
industriel;
- l'intégration économique sous-régionale visant
à développer les industries de base et l'industrie
des biens d'équipement sur des marchés intégrés.
Le document élaboré par la Commission Economique
pour l'Afrique, l'Organisation de l'Unité Africaine et l'Organisation des Nations-Unies pour le développement industriel apporte un schéma directeur solide et cohérent
d'une industrialisation de l'Afrique. Il a été identifié, en
effet, des projets industriels intégrés dans les sous-secteurs prioritaires : alimentation, textile, matériaux de
construction, énergie, forêts, métaux, produits chimiques,
178
ingénierie et petites industries. Les projets, selon le document, ont été choisis sur la base d'un ou de plusieurs
éléments suivants:
- priorités retenues dans le Plan d'Action de Lagos;
- fourniture de facteurs de production à d'autres
industries et activités économiques, principalement l'agriculture ;
- utilisation optimale des ressources nationales surtout pour la consommation africaine suivant l'objectif
de l'auto-suffisance ;
- remplacement des facteurs essentiels importés
dans les Etats membres dont la capacité d'importation
ne cesse de diminuer;
- une exploitation de l'effet multiplicateur des industries de base (28).
Dans cette direction, ont été recensées les variables
qui sont à la base de l'autonomie, de l'autosuffisance et
d'un développement intégré à savoir : les ressources naturelles, les matières premières et l'énergie. A partir de
ces variables vont alors s'élaborer des projets industriels.
Deux catégories de projets ont été distinguées dont les
plus importantes sont les projets des sous-secteurs industriels hautement prioritaires. Voyons rapidement le
contenu de cette grande catégorie.
a) Les sous-secteurs industriels hautement prioritaires:
Le point de départ de l'analyse du contenu de ces
sous-secteurs est très significatif. Des industries hautement prioritaires consistent en un rejet systématique de
la stratégie de substitution d'importation suivie par les
Etats africains. Il est alors décidé que « les pays africains
ne peuvent et ne devront plus continuer dans ce chemin
de substitution aux importations qui les mène vers le désastre» (29). Ils devront alors changer radicalement la
structure existante et se diriger vers l'autonomie collective et le développement de l'autosuffisance.
Ceux-ci ne peuvent se réaliser qu'à partir d'un développement systématique des priorités basées sur des ressources et des industries de base, qui ont des effets multiplicateurs et des relations optimales avec d'autres secteurs économiques.
Les activités retenues dans cette optique sont:
179
1) Les industries de transformations alimentaires.
Elles sont appelées à jouer des fonctions économiques extrêmement importantes surtout dans l'optique de
la recherche systématique de l'autosuffisance alimentaire. Elles sont à la base d'un approvisionnement régulier
en vivres et produits alimentaires, d'une sécurité alimentaire et d'une réduction progressive des importations. Par
ailleurs, elles permettent aussi la stimulation de la production rurale en offrant à celle-ci des débouchés préalables et sûrs, un accroissement des investissements agricoles, le développement des secteurs connexes et l'élevation du niveau général de la productivité du travail. Bien
entendu, pour que ces effets se produisent, il faudra élaborer une politique claire en la matière qui intègre à la
fois les activités de production, de transformation et de
commercialisation (30). Dans cette optique, les projets
suivants peuvent être réalisés s'ils ne fonctionnent déjà
de façon dispersée en Afrique :
- la transformation des céréales, racines et tubercules, cultivées localement pour la production de farine
(31) ;
- la transformation des huiles comestibles;
- la transformation de fruits et légumes;
- la production d'aliments pour bétail ;
- l'industrie de la viande, du lait et produits laitiers;
- les produits marins.
De telles unités permettent de réduire les importations (32) et d'accroître les capacités d'emploi (33). Seulement, la réalisation de cette industrie doit s'accompagner
positivement de l'imposition généralisée d'un modèle de
consommation fondé sur l'utilisation des produits locaux
et négativement de mesures protectionnistes permettant
aux entrepreneurs privés ou publics de saisir toutes les
situations de pénurie pour réaliser des investissements
productifs.
Une politique hardie, volontariste et cohérente s'impose dans ce secteur où les Etats disposent de bonnes
dotations naturelles et des besoins importants. Elle devra définir avec précision les objectifs à atteindre en terme d'autosuffisance alimentaire, de quantifier la demande à satisfaire en rapport avec la distribution des reve-
180
nus, de formuler un programme intégré de développement de l'industrie alimentaire et de déterminer une politique de prix incitatrice de consommation de la production locale. Tout cela devra être accompagné d'un train
de mesures législatives protégeant cette jeune industrie
et la production locale. Il faudra utiliser tous les moyens
de persuasion et toutes les structures institutionnelles
pour créer des habitudes de consommation de la production locale en trouvant des formules dissuasives de la
consommation des biens importés.
2) L'industrie textile et l'habillement.
Elle constitue un domaine où il est possible de réaliser assez rapidement l'autosuffisance d'autant plus qu'il
s'agit d'un secteur qui est l'objet d'une politique de délocalisation industrielle et où les innovations technologiques sont encore réduites. Cela accroît les chances d'un
développement des productions locales (tissus et fibres
artificiels) et d'une baisse des importations. Le secteur
absorbe beaucoup de main-d'œuvre surtout non qualifiée.
Ce qui devrait permettre d'améliorer l'emploi productif.
3) Les industries à base forestière.
Il s'agit d'un sous-secteur dont l'importance n'a nullement échappé aux rédacteurs du Plan de Lagos.
C'est une industrie qui peut satisfaire certains besoins dans le domaine du logement, de l'habillement, du
papier, de l'ameublement et surtout de l'énergie. Les analyses de l'UNIDO révèlent que pour ce secteur « les importations régionales de produits forestiers ont plus que
quintuplé passant de 221 millions de dollars en 1967, à
1,74 milliards en 1978, tandis que les chiffres correspondants pour les exportations ont triplé passant de 266 millions à 837 millions pendant la même période» (34).
Ces chiffres sont révélateurs des possibilités d'une industrie forestière. Ils montrent en effet qu'il existe bel
et bien une demande solvable. Les interventions indus
trielles pourraient se situer dans la création des scieries, d'usines de panneaux, de meubles où existe un très
vaste marché. En outre, ces sous-secteurs sont créateurs
181
d'emplois et peuvent contribuer à la solution du chômage
endémique.
Dans ce domaine aussi, les décideurs doivent élaborer des politiques de développement des industries forestières qui permettent une exploitation rationnelle de
ces ressources qui ont d'importants effets sur l'environnement et le milieu physique.
En effet, pour éviter un épuisement rapide et préjudiciable aux générations futures des ressources forestières, la valorisation industrielle doit être systématiquement
accompagnée de vastes et rigoureux programmes de reboisement.
4.) Les industries du bâtiment et des matériaux de construction.
Les fortes tendances à l'urbanisation (plus de 5 %)
commandent qu'un grand intérêt soit porté à ce soussecteur. A cela s'ajoute que la croissance économique et
sociale, dans les formations sous-développées est fortement tributaire des activités industrielles de la constructions. Elles contribuent entre 40 et 60 % à la formation
brute du capital en Afrique et apportent entre 4 et 10 %
du PIB.
Par ailleurs, l'industrie de la construction est très
grande consommatrice de main-d'œuvre. Toutes ces raisons sont parfaitement comprises par le Plan de Lagos
(paragraphe 56) qui recommande la création rapide d'une
base industrielle axée sur une valorisation des ressources
locales. Toutes les études mettent l'accent sur les matériaux de construction qui constituent la composante essentielle et la résultante de l'industrialisation dans le
sous-secteur. Ils procurent la valeur ajoutée la plus importante. Cependant, ils exigent d'importantes recherches
pour trouver la technologie la plus efficiente en vue de
l'utilisation systématique des matériaux locaux. C'est cela
qui permet d'abaisser les coûts de prodûuction et de mettre, en conséquence, l'habitat (par exemple) à la portée
des titulaires de revenus moyens.
182
5.) Les industries métallurgiques et mécanqiues, électriques et électroniques.
Le développement de ces sous-secteurs constitue la
clef de l'industrialisation. Ils permettent la production
d'équipements de base et des machines-outils nécessaires
à l'expansion du secteur agricole.
La sidérurgie est généralement considérée par les
formations sous-développées comme l'industrie de base
industrialisante au premier chef par l'utilisation des ma·
tières premières locales, ses effets sur l'emploi, la distribution des salaires, la hausse du niveau de vie et les
échanges commerciaux qu'elle entraîne (35). Ce secteur
immobilisant des capitaux extrêmement importants, il
importe d'étudier très rigoureusement les conditions de
sa création, ses modalités de fonctionnement et de gestion. 11 en va ainsi à cause des dimensions réduites des
marchés nationaux qui sont totalement inaptes en isolement, à rentabiliser les investissements lourds dans l'industrie de la sidérurgie et dans celle du cuivre ou de
l'aluminium. A cet égard, les politiques à élaborer devront
systématiquement s'insérer dans le cadre d'une coopération intra-africaine, régionale ou sous-régionale. Il s'agira principalement de définir des projets multinationaux
prioritaires comme :
- des unités d'acierie et de sidérurgie sur la base
des ressources existantes et utilisant les procédés de réduction directe et des fours électriques ou des hauts fourneaux classiques;
- des unités industrielles d'aluminium; à ce niveau
la CEA observe que l'Mrique possède environ 43 % des
ressources mondiales de bauxite, mais ne fournit qu'environ 15 % de la production mondiale et convertit environ 2,6 % de la production mondiale de bauxite en alumine et aluminium primaire ;
- des unités industrielles du cuivre; là encore, les
ressources naturelles existent, il s'agit de les valoriser;
Parallèlement, d'autres industries devront aussi être
exploitées comme le plomb, le zinc, l'étain. Pour chacun
de ces minéraux, s'impose la création d'unités industrielles fonctionnelles.
183
Il est reconnu aujourd'hui que le caractère indus·
trialisant ne concerne que certaines branches parmi lesquelles se placent la sidérurgie, la métallurgie, la mécanique et la construction électrique. La mise en valeur de ces
sous-secteurs appelle des capitaux importants et des tech·
nologies de pointe qui ne sont pas en possession des pays
sous-développés. C'est pourquoi les politiques à mettre en
place doivent être planifiées, réalistes et élaborées en
étroite collaboration avec les multinationales.
6.) Les industries chimiques.
Pierre Chauleur observe que c'est « une industrie qui
a pris en Afrique depuis un demi-siècle, un essor impressionnant tant sur le plan de la chimie minérale que sur
celui de la chimie organique. La grande industrie chimique fournit aux pays africains suivant leur degré de modernisation, l'air liquide, l'acide sulfurique, l'acide nitrique, la soude caustique, l'amoniaque, le chlore et les engrais minéraux dont ils ont besoin» (36). Le Plan de Lagos a parfaitement situé l'importance liée à ce secteur
(paragraphe 56 a) qui contient des effets de liaison en
aval comme en amont appréciables et qui peut permettre le remplacement de certains produits manufacturés
souvent importés.
Les principaux projets industriels pourraient s'articuler autour:
- des unités de production des produits destinés à
l'agriculture; c'est le cas des engrais et pesticides qui
contribuent d'une part à augmenter la production et d'autre part à réduire les pertes alimentaires et de production (37) ;
- des unités de production pharmaceutique qui sont
indispensables pour réduire et liquider les importations
qui se sont élevées à 1,326 milliards de dollars en 1978.
Par ailleurs, de telles unités devront contribuer à fournir
des produits à base de plantes médicinales traditionnelles (38).
- des unités de production de pesticides notamment
à base d'oxyde de cuivre, des insecticides chlorés à base
de phosphore. Des efforts gigantesques sont à faire dans
184
ce sous-secteur où les Africains sont dépendants presque
totalement des importations.
7.) Les petites et moyennes industries (PMI).
Elles jouent des fonctions essentielles dans le développement économique et social et prennent des formes
de plus en plus modernes. Dans cette direction, E. Staley
et R. Morse notent que lorsqu'un pays traverse une phase
de transition qui le fait passer du stade d'une économie
où les structures traditionnelles prédominent à celui
d'une économie plus moderne, le caractère de sa petite
industrie se modifie... son industrie artisanale se transformera, son industrie à domicile sera remplacée et ses usines petites mais modernes se développent (39). La PMI
présente des avantages importants dont quelques-uns méritent d'être soulignés:
- elle complète la grande industrie par la sous-traitance, le traitement ou la production de certains biens
indispensables à la grande entreprise et le traitement des
déchets;
- elle permet la décentralisation industrielle et la
valorisation de la petite production locale. C'est ainsi que
les villages et les petites villes rurales vont présenter certains avantages naturels favorables à l'implantation de la
PMI notamment de traitement de produits d'origine
agricole;
- elle permet la centralisation et la transformation
productive de l'épargne locale;
- elle contribue, plus que la grande entreprise, à la
création d'emplois et procède facilement à la formation
de la main-d'œuvre;
- elle favorise la naissance et la consolidation de
l'esprit d'entreprise. Comme l'observent E. Staley et R.
Morse « la puissance de la PMI réside surtout, dans sa
souplesse, ses possibilités d'adaptation, ses étroites relations personnelles et la faculté qu'elle possède, dans une
certaine mesure, de s'émanciper de l'administration bureaucratique et de tous les frais généraux qui en résultent» (40) ;
- elle contribue à la recherche et à la diffusion
technologique (41). Par ailleurs, elle atteint rapidement
185
le seuil optimum de rentabilisation de la technologie.
La PMI est véritablement une entreprise à la mesure
de la capacité créatrice et imaginative de l'homme. Structure assez souple, elle s'adapte sans grande difficulté aux
situations les plus fluctuantes et satisfait certains besoins
sociaux aux meilleures conditions de prix et de qualité.
Enfin, la petite et moyenne industrie est un instrument indispensable du développement équilibré car elle
est le cadre de production le plus approprié qui s'adapte
le mieux au secteur traditionnel en redonnant des conditions nouvelles de travail et d'efficience à l'artisanat.
Dans cette optique, elle catalyse l'exode rural qui est essentiellement le fait des artisans ruinés.
Tous ces effets positifs justifient que dans la politique d'industrialisation, un recours systématique aux PME
et PMI s'impose. Elles doivent occuper une place de choix
et remplir des fonctions socio-économiques décisives dans
la stratégie d'industrialisation. Cette importance n'a pas
échappé au Plan de Lagos qui recommande aux Etats
africains, la création d'un réseau dense et diversifié de
petites et moyennes industries, comme principal facteur
de modernisation de l'économie rurale. En effet, la PMI
peut réaliser d'une part l'intégration sans difficulté de
l'agriculture à l'économie monétaire et d'autre part sortir
le secteur rural du traditionalisme par le développement
des industries agricoles.
Pour que la PMI exerce tous ces effets bénéfiques
dans le processus d'industrialisation, il faut élaborer une
politique systématique et rigoureuse de sa promotion.
Cela nécessite les actions suivantes:
-l'élaboration d'un programme complet et cohérent
de développement des PMI; il s'agit de situer toutes les
opportunités de production, d'élaborer des projets de
réalisation englobant tous les aspects financiers, technologiques et institutionnels. Ainsi les opérateurs économiques disposeront d'une Banque de Projets et seront
mieux édifiés sur les occasions d'investissement qui s'offrent à eux;
- la définition d'une politique globale de promotion
spécifiant avec clarté d'une part les avantages et concessions accordés aux PMI, les diverses protections vis-à-vis
d'une concurrence inégale et déloyale et d'autre part tou-
186
tes les obligations qui pèsent sur elles en matière de valorisation des productions locales, de diffusion technologique, d'utilisation et de formation de la main-d'œuvre;
- la définition d'une politique de prix qui protège
(ou tente de le faire) les intérêts divergents des producteurs, travailleurs et consommateurs. La structure flexible des coûts de production permet la réalisation de cette
mécanique d'économie concertée;
- la définition de cadres appropriés de sous-traitance industrielle, qu'elle soit nationale ou internationale.
Il s'agit de délimiter les formes de la sous-traitance: la
sous-traitance de capacité et de complément, la sous-traitance de spécialité, la sous-traitance marginale lorsque
la grande entreprise reçoit trop de commandes et la soustraitance d'économie. Le cadre juridique à définir devra
protéger les intérêts des différentes parties et encourager
la promotion de la sous-traitance acceptée comme un des
instruments du développement industriel (42) ;
- la définition d'une politique de formation de cadres capables de répondre aux exigences de production et
de gestion de la PMI. Il s'agit d'une formation strictement professionnelle pour disposer d'une main-d'œuvre
qualifiée, de cadres et d'un personnel de direction compétents.
Tous ces développements montrent que si l'industrialisation est une nécessité impérieuse pour combler le retard, elle n'est pas une panacée, une voie facile ni une solution simple par suite d'une part des intérêts fort complexes qui sont en jeu et d'autre part de la pluralité des
variables qui sont impliquées. Analysant les expériences
historiques d'industrialisation dans le bassin méditerranéen, René Gendarme tire trois enseignements significatifs qu'il faut avoir souvent à l'esprit dans toute réflexion
sur l'industrialisation dans les formations sous-développées :
- le premier est que l'industrialisation n'est
qu'un des moyens pour parvenir au développement et elle ne saurait exclure les autres moyens;
elle doit même les articuler, les rendre plus urgents et plus nécessaires;
- le deuxième est qu'autant que les usines, l'industrialisation exige une transformation des hom-
187
mes, ce qui veut dire qu'industrialiser, c'est aussi
changer les structures, le contenu et le système
d'éducation;
- le troisième enfin est que le succès d'une industrialisation dépend aussi des politiques des
autres Etats du système mondial (43).
L'Etat devra intervenir systématiquement, mais dans
les aspects les plus fondamentaux de la stratégie d'industrialisation à savoir :
- la définition d'orientations et d'options claires
fixant les domaines d'intervention publique, les
moyens nécessaires à mobiliser et la durée de
réalisation des objectifs considérés comme prioritaires;
- la fixation d'une structure non bureaucratique
d'administration et de gestion de la totalité organique de la politique industrielle;
- la détermination d'un vaste cadre juridique
fixant toutes les règles de fonctionnement, toute
la législation de stimulation, d'intéressement et de
promotion de l'initiative privée nationale et étrangère;
- la détermination de politiques financière, technologique et de formation de cadres techniques
et administratifs pour le secteur industriel.
Cette stratégie d'industrialisation complexe doit être
menée de façon volontariste et permanente. Elle réclame
que l'Etat dispose de moyens sûrs d'une intervention directe pour amener les impulsions nécessaires et les transformations permettant l'avènement d'une rationalité industrielle. Ces considérations indiquent que l'Etat doit
contrôler certaines unités de base (44) pour pouvoir instaurer les conditions d'une relance industrielle crédible
et capable d'une expansion auto-entretenue.
Si le socialisme est accepté comme une alternative
crédible, cela procède du fait qu'il peut créer et entretenir un processus d'industrialisation, qu'il est une bonne
opportunité de mobilisation des moyens matériels et humains pour une transformation radicale des bases de la
société sous-développée. Ces problèmes nombreux et complexes ne peuvent être résolus par de simples initiatives
individuelles ou par les mécanismes aveugles du marché.
188
Dans les pays où les traditions étatiques sont assez
faibles, et où le personnel administratif est très peu préparé à des fonctions dynamiques et novatrices, l'Etat,
sous peine de tomber dans les pesanteurs bureaucrati·
ques, ne doit point exercer toutes les tâches industrielles.
Cela pose la nécessité de définir les formes et domaines
de son intervention. L'Etat socialiste doit contrôler, totalement ou en association avec des monopoles ou firmes
internationales détentrices des capitaux et de la technologie les industries industrialisantes. Celles-ci nécessitent
des ressources en capital et en compétences techniques qui
dépassent les possibilités des initiatives individuelles. Affirmons très clairement que la coopération et la collaboration doivent être recherchées et nouées avec n'importe
quelle firme pouvant contribuer à la réalisation de !'industrialisation. Le socialisme ne saurait être prétexte à
un quelconque immobilisme découlant d'un refus de valorisation industrielle qui serait le fait d'entreprises privées nationales ou étrangères. Le socialisme se doit de
créer non seulement les conditions capables de combler
le retard économique et social, mais aussi celles d'une indépendance industrielle. Si les pays sous-développés veulent rattraper leur retard, ils doivent brûler beaucoup
d'étapes et ils ne peuvent le faire qu'en nouant des relations étroites mais au niveau de l'avantage mutuel avec
les firmes multinationales.
D'ailleurs, celles-ci procèdent, dans le monde multipolaire en gestation, à une réorganisation de leurs stratégies dans le sens de l'approfondissement des divisions
régionales au sein de chacun des blocs. Progressivement,
elles exercent les effets de polarisation sur leurs zones
d'influence et y réalisent des processus contrôlés de délocalisation. L'Union Soviétique offre une expérience originale de relations avec les multinationales dans le cadre
de la mise en valeur de la Sibérie. Le développement de
cette région est considéré par les autorités comme un
« problème non seulement soviétique mais mondial ».
Les Etats en transition ont toutes les raisons d'entretenir des relations avec les multinationales pour l'approfondissement de leur industrialisation et même de définir une stratégie d'investissement soumise aux priorités
de développement retracées par leurs plans nationaux.
189
Cependant, ces Etats doivent avoir toutes les initiatives
et devront exercer des rôles privilégiés dont les formes et
les domaines doivent être nettement spécifiés.
En ce qui concerne les domaines d'intervention de
l'Etat, celui-ci doit disposer d'un secteur public industriel qui doit rester essentiellement un instrument d'action sectorielle. Le contrôle des industries de base découle de l'importance stratégique de celles-ci mais aussi de
leur rentabilité problématique. Cependant, l'initiative
privée doit être encouragée, stimulée et soutenue dans
beaucoup de sous-secteurs industriels car en dernière
analyse, le socialisme ne saurait se confondre avec l'étatisation. Il faut comprendre une fois pour toutes, (comme
disent les dirigeants chinois) que dans la société socialiste, l'économie et le commerce d'Etat ne peuvent tout
faire. On est alors renvoyé à l'idée qu'il faut nationaliser
ce qui est nationalisable. L'industrie est un secteur où le
risque de structuration d'une bureaucratie est très élevé.
C'est un travers très paralysant qu'il faut éviter à tous les
prix.
Pour ce qui est du domaine d'intervention de l'Etat,
il se situe en premier lieu dans les industries lourdes qui
permettent la valorisation des matières premières. Ainsi
le développement et la croissance vont pouvoir désormais
s'amorcer sur la base d'une exploitation des ressources
internes. On peut alors parler de développement endogène et auto-entretenu car la dynamique de ce processus
se situe au niveau de l'économie nationale. Le second aspect de l'intervention publique consiste en la création
d'une superstructure institutionnelle adéquate, et fonctionnelle de gestion et d'administration de la politique
industrielle.
La planification s'avèrera indispensable pour une
gestion effective et efficace de l'ensemble de la politique
industrielle. Elle devra spécifier les grands projets, maÎtriser les moyens et les sources de financement et fixer
des délais de réalisation. Elle devra encourager l'innovation et l'efficacité des PMI et PME.
Au total, la politique industrielle doit créer les liens
intersectoriels comme suit sous l'impulsion des pouvoirs
publics.
190
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HABITAT.
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b.) Les modalités de réalisation de la stratégie d'indus
trialisation.
Ayant esquissé les domaines et formes d'intervention
qui constituent les axes d'encrage de la politique indus·
trielle, il nous reste à déterminer les moyens et ressour·
ces à mobiliser. Ces questions constituent toujours les Cô'
tés faibles des stratégies d'industrialisation.
D'entrée de jeu, nous pouvons affirmer que la réali·
sation d'un vaste programme d'industrialisation indispensable pour le développement économique et social est
l'objectif primordial à atteindre. Cela exige des ressources
financières, humaines et technologiques pas totalement
disponibles au niveau interne. Que faire pour surmonter
cette situation? Deux approches sont en confrontation:
la première défendant une ligne pure et dure d'une mobilisation interne des ressources et d'une renonciation à
tout développement dépendant, tandis que la seconde est
celle qui s'appuie sur la recherche d'un compromis réa·
liste. Il est curieux de constater que le radicalisme éco·
nomique découlant de la première approche est souvent
préconisé par les idéologues des Partis Communistes
d'Europe dont les pays ont pourtant suivi un tout autre
cheminement. Les conditions socio-économiques internes
et internationales imposent aux formations sous-dévelop·
pées la mise en place d'une économie socialiste concer·
tée et ouverte qui exploite toutes les opportunités de coopération avec des partenaires privés individuels ou relevant de firmes multinationales. Les autorités publiques
doivent ériger les compromis avec ces partenaires au
rang de principe intangible et présenter les meilleures
garanties pour leur respect scrupuleux. Deux raisons justifient de telles positions.
La première est une raison d'opportunité : le radicalisme économique est une attitude généreuse et idéale,
mais que n'autorisent malheureusement pas l'ampleur
et la complexité des tâches auxquelles les formations
sous-développées sont confrontées vu la modicité des
moyens dont elles disposent pour leur réalisation. L'état
avancé du retard des forces productives matérielles et
humaines et les moyens internes limités imposent la re·
cherche de formules de coopération avec les détenteurs
192
de capitaux et de technologies. Ces compromis ne relèvent
d'aucun libéralisme; ils seront enfermés dans une politique claire d'accumulation.
D'ailleurs, il ne faut attacher aucun crédit aux thèses
développées par ces économistes au verbe haut qui, ignorant parfois totalement la situation exacte que connaissent leurs économies et méprisant tranquillement les
faits, sont incapables de dégager les lignes d'un vaste
plan de collaboration et de concertation économique qui
traduise l'équilibre des forces politiques du moment. Lénine recommandait aux décideurs de toujours avoir les
yeux rivés sur la réalité afin de trouver les meilleurs compromis.
La seconde raison de l'anti-radicalisme économique
procède de l'histoire. L'étatisation excessive au double niveau politique et économique est un produit de l'histoire
de la première révolution socialiste que le capitalisme
international avait voulu contenir et enfermer dans un
espace réduit et isolé des mécanismes de l'économie mondiale. L'Union Soviétique a été exclue dès 1917 des relations internationales. Le rideau de fer a été imposé pour
l'écarter du système de la DIT tout comme on inventera
le péril jaune pour en exclure la Chine de l'époque. La
réponse à cet isolement a été partout l'économie du Communisme de Guerre. La crise mondiale du système capitaliste et la valorisation internationale du capital comme perspective de solution posent autrement que par le
passé les questions de la coopération internationale et
celles de la gestion du socialisme. Les décideurs dans les
formations sociales sous-développées ne doivent absolument pas se tromper d'époque. Les conditions du redéploiement du capital à l'échelle mondiale, l'existence et
la consolidation d'un système mondial de pays socialistes
sont des facteurs positifs pour une meilleure coopération.
Celle-ci n'impose plus un radicalisme. Les pays socialistes d'Europe offrent une parfaite illustration de la recherche systématique d'une coopération avec la DIT et
d'une collaboration avec tous les secteurs capitalistes, et
notamment les firmes multinationales. Personne n'est
choquée de les voir s'installer solidement en Union Soviétique, en Hongrie, en Pologne, en Roumanie. Personne
ne remet en question la revendication par les pays socia-
193
listes d'Europe d'une coopération scientifique et technique systématisée avec les pays capitalistes, mais dès qu'il
est question des pays sous-développés, les attitudes changent totalement.
Il est rare de voir les auteurs dits progressistes dénoncer les codes des investissements des pays socialistes
d'Asie qui ont besoin de faire de larges concessions fiscales et douanières pour attirer les capitaux privés étrangers. Or, il n'en va pas de même pour les formations sousdéveloppées. Tout se passe comme s'il leur était totalement interdit d'avoir des rapports avec le système capitaliste mondial dans lequel sont insérées toutes les formations sociales.
Cela indique que les pays sous-développés ont une
révolution à faire vis-à-vis de leurs idéologues et parfois
de leurs alliés qui leur indiquent des visions déformées
et dogmatiques de l'édification socialiste.
Il est temps de poser économiquement les problèmes
économiques et d'éviter d'en avoir à chaque fois une perception politico-idéologique. C'est de la sorte que l'on
échappera au fétichisme politique dominant qui ramène
tout à l'affirmation selon laquelle « la politique est une
force qui commande ». Un tel slogan amène toujours à
commettre des erreurs irréparables notamment dans la
transition. Il oublie que la politique ne revêt une grande
importance que si les lois économiques sont prises en
considération, que si le pouvoir politique s'appuie sur
l'analyse rigoureuse des tendances objectives au développement économique et social.
On a souvent tendance à oublier que l'édification du
socialisme est un processus nécessairement lent et que
pour atteindre l'objectif, il ne suffit pas seulement de socialiser les movens de production. A ce propos, Lénine
rappelait qu'« il faut faire un grand pas en avant dans
le développement des forces productives» (45). Pour ce
faire, il importe de créer toutes les conditions d'utilisation rationnelle des acquis de la révolution scientifique et
technique qui peut permettre d'économiser des ressources et contribuer à l'exploitation des forces productives.
Alors. une organisation rigoureuse de la société s'impose
avec l'instauration de politiques sectorielles cohérentes
et réalistes.
194
Dans cette optique, la politique industrielle doit bénéficier de toutes ces ressources pour réaliser les raccourcis nécessaires. Il nous faut donc spécifier les politiques
de mobilisation des ressources pour la réalisation de l'industrialisation.
1.) La politique de financement du développement industriel.
Cette question revêt une importance particulière et
comporte deux aspects: d'une part, la mobilisation des
disponibilités financières internes et de l'autre, le recours
au financement extérieur donc à l'endettement. Sur le
premier aspect, le financement du développement industriel doit d'abord compter sur les ressources financières
internes et donc sur la politique d'accumulation. Cet aspect de la question va poser d'énormes problèmes et contradictions entre l'objectif d'industrialisation et celui de
la transformation radicale des campagnes. Il s'agira principalement de voir comment concilier une politique agraire visant tout à la fois le développement des forces productives et l'amélioration des conditions d'existence et de
travail des agriculteurs ainsi que le nécessaire financement de l'industrialisation devant s'effectuer par des
transferts de surplus de l'agriculture vers l'industrie. Il
y a là un problème délicat d'accumulation et d'allocation
de ressources. Ces questions doivent être réglées dans le
cadre des priorités sectorielles retenues et de la politique
de génération et d'absorption des surplus qui sera développée plus loin.
Le second aspect de la politique de financement est
le recours aux ressources externes, à l'endettement extérieur. Sur ce point également, il s'avère indispensable
d'apporter quelque lumière pour replacer les problèmes
dans leur véritable contexte. La question principale n'est
ni le niveau de l'endettement, ni son origine. Elle réside
essentiellement dans l'utilisation productive ou non des
ressources empruntées. Bien entendu, le capital emprunté n'a pas la même incidence sur l'économie interne selon
qu'il est utilisé pour construire des monuments, des aéroports modernes, ou s'il est employé productivement
pour créer des usines. En clair, si l'opération d'investis195
sement est rentable, l'endettement permet le développe
ment. Dans ce sens, A. Emmanuel observe que les grands
banquiers prêteurs constituent un groupe international de
pression en faveur de tout ce qui renforce la solvabilité et
partant, l'économie nationale de leurs débiteurs... Aussi
paradoxal que cela puisse paraître, le pouvoir de mar·
chandage des pays en voie de développement qui a dépassé cette borne s'en trouve considérablement renforcé.
En fait, le seul motif que les PVD ont aujourd'hui de con·
tinuer à honorer leurs dettes, c'est de sauvegarder leur
solvabilité et pouvoir ainsi s'endetter davantage (46). A
cela, il convient d'ajouter le fait que tous les pays qui ont
résolu le problème du financement du développement
sont passés par une phase de grand débiteur. Une fois
encore, il faut savoir ce que l'on veut. Comme l'écrit avec
clairvoyance A. Emmanuel, « on a le droit de considérer
le label national comme une fin en soi et le recours à
l'étranger comme le mal suprême. Il faut savoir de quoi
l'on parle: si l'on parle de prestige et de satisfaction morale ou d'un problème économique. Dans le second cas,
il faut savoir que l'indépendance d'un pays, quel que soit
le sens du mot, est fonction croissante du niveau de son
développement et de son potentiel économique. C'est
avant tout la faim et la misère qui rendent dépendant. »
En clair, dans un processus d'industrialisation et de
développement accéléré, il faut exploiter toutes les possibilités de financement extérieur et sur toutes les places
financières. L'endettement n'est pas nécessairement un
handicap insurmontable comme le laissent entrevoir les
bilans terriblement sombres et alarmistes de certains
secteurs d'opinion (47). Cet alarmisme se fonde essentiel·
lement d'une part sur le fait que le processus de dévelop·
pement économique et social implique des besoins de fi·
nancement que ne peut couvrir la faible épargne intérieu
re (cela rend l'endettement presque obligatoire) et d'au
tre part par le fait que l'aggravation de l'endettement à
des taux mercantiles a amené les pays du Tiers-Monde à
emprunter pour payer leur dette (48). Ce mécanisme bloqué est à lui seul insuffisant pour expliquer toutes les
craintes. Mais il ne faut pas faire de l'amalgame car ce
Qui gène profondément, ce sont les risques d'insolvabilité
des pays débiteurs.
196
La distorsion entre l'affectation et l'utilisation de la
dette extérieure, en ce qu'elle ne crée pas les conditions
d'extorsion de surplus nécessaires à l'amortissement régulier du service de la dette (principal et intérêts échus)
constitue assurément le fondement de la crise actuelle
de paiements que traversent les pays endettés et dont la
perpétuation débouchera sur une crise de solvabilité.
La rationalité économique et financière voudrait que
toute décision d'investissement, surtout lorsque celle-ci
est fondée sur un emprunt extérieur, soit subordonnée à
un nécessaire calcul coûts/avantages. Or ce principe de
base semble avoir été peu ou très médiocrement appliqué
et cela en pleine période de flambée des taux d'intérêt
internationaux, de dégradation et d'instabilité chroniques
de l'environnement extérieur rendant aléatoire la rentabilisation des projets économiques internes.
Ces risques d'insolvabilité peuvent être corrigés par
des choix d'investissement plus pertinents et des modes
de gestion plus efficients.
Dès lors, ce qui est en question, ce n'est pas l'endette·
ment, mais l'utilisation inefficiente des ressources empruntées. L'expérience des pays socialistes établit le recours nécessaire à l'endettement (49). Le premier argu·
ment est que si les ressources financières empruntées à
des coûts excessifs ne sont pas improductivement utilisées, elles permettront d'accroître le potentiel productif
et de rendre possible, et sans grand dommage pour l'économie, le remboursement. Un second argument est qu'il
n'existe pas une parfaite et rigoureuse corrélation entre
échéancier de remboursement et délai de récupération surtout si l'investissement sur fonds empruntés est réalisé par l'Etat dont la bureaucratie est lente à démarrer
les projets; en conséquence, le remboursement de la dette peut poser conjoncturellement des problèmes. La troisième argument est que l'endettement a permis à certains
pays de sortir systématiquement du sous-développement
et d'amorcer un processus irréversible d'expansion éco··
nomique. Mais il a été profitable au marché capitaliste
mondial qui a vu ses débouchés s'élargir empêchant l'avènement d'une crise de surproduction. N'oublions pas que
les pays les plus fortement endettés du Tiers-Monde sont
les grands clients, les débouchés des systèmes industriels
197
des pays capitalistes développés. Toutes ces raisons expliquent que les pays les plus en endettés du Tiers-Monde
sont systématiquement renfloués par leurs créanciers qui
ont besoin de les mettre dans les conditions les meilleures
qui rendent le remboursement possible.
Comme les pays socialistes et les pays capitalistes
(50), le Tiers-Monde devra continuer à chercher partout
les financements à ses projets prioritaires d'industrialisation et de développement. C'est une forme de réalisa·
tion d'une péréquation des liquidités et des ressources
Cette péréquation s'effectue normalement entre pays ca·
pitalistes développés par des biais divers: les institutions
financières internationales, les marchés financiers et les
institutions nationales spécialisées. Cette mobilité financière doit être réalisée en faveur des pays du Tiers-Monde,
En guise de remarques terminales sur cette question
d'endettement, nous pouvons observer que les faits sont
sans rapport avec la dramatisation excessive des problèmes relatifs à la dette du Tiers-Monde. Non seulement,
elle est négligeable en rapport avec la montagne de det·
tes des institutions américaines (Etat, Collectivités, Sociétés, personnes privées), mais moyennant des aménagements d'échéances, les pays débiteurs du Tiers-Monde ont
fait face à leurs charges de remboursements même s'il
est vrai qu'ils n'ont pu le faire que grâce à de nouveaux
crédits. Si la relance est la condition du remboursement,
emprunteurs et prêteurs doivent la rendre possible. Pour
ce faire, il faut renouveler les crédits aux emprunteurs,
revoir les échéances et les taux d'intérêt.
Pour l'Afrique, dans la recherche des moyens de financement, deux possibilités s'offrent qu'il importe d'exploiter : les emprunts aux institutions financières régionales et la coproduction (51).
La première voie concerne les emprunts régionaux
généralement insuffisamment utilisés. Dans le cadre d'une
industrialisation, les possibilités de la Banque Africaine
de Développement et des autres institutions financières
et bancaires doivent être mobilisées. En plus, les Etats
devront s'orienter vers la création de mécanismes financiers appropriés et de Fonds Spécialisés dans le financement des activités industrielles. De tels Fonds seront
alimentés par des ressources internes mais aussi externes
198
pourvu qu'ils ouvrent leur capital à des organismes, des
institutions, des opérateurs économiques et des Etats non
africains. La philosophie est de mobiliser toute ressource,
tout excédent financier disponibles dans le monde.
La seconde voie à exploiter est la coproduction. Le
Plan d'action de Lagos recommande particulièrement le
développement d'une coopération industrielle dans le cadre d'un processus intégrateur. Ces actions d'industrialisation devront être rigoureusement planifiées. C'est de
cette façon que l'on peut réaliser une autonomie collective régionale qui permette d'exploiter toutes les aires de
liberté qu'offre la division internationale du travail.
A côté de cette politique de financement, il faut définir une politique technologique appropriée.
2.) La définition d'une politique technologique appropriée
La politique d'industrialisation doit régler de la meilleure manière la question essentielle de la technologie
qui a fait l'objet ces dernières années de nombreuses et
originales recherches mais aussi de grandes controverses.
Cependant, on peut constater que ni la profondeur,
ni l'étendue et la complexité des recherches, ni même
l'âpreté et la sévérité des polémiques n'ont clarifié les
questions essentielles que voilà :
- quels sont les besoins technologiques des pays
en voie d'industrialisation? Autrement dit, quelle technologie pour quel développement?
- quelles sont les alternatives qui s'offrent et à
quels coûts?
- quels sont les moyens d'absorption et les formes de la diffusion technologique ?
- quels sont les coûts d'opportunité à tous les
niveaux?
En d'autres termes, les réponses à ce questionnement
sur la technologie sont quantitativement et qualitativement limitées. Cela procède d'une part de la mauvaise
formulation du problème de la technologie dans les formations sous-développées et d'autre part de la confiscation d'un discours scientifique par des idéologues culturalistes et environnementalistes. Les culturalistes ont évacué au nom de la culture les questions essentielles de na199
ture économique et scientifique à partir des conséquences socio-culturelles comme si la technologie n'a d'incidence notable que sur la sphère culturelle.
Dans une rencontre récente du Club de Dakar (12-14
Octobre 1981) à Vienne sur « les nouvelles technologies,
développement et identité culturelle », deux attitudes
contradictoirement troublantes ont attiré l'attention. La
première est celle du professeur Pascal Lissouba qui observe que « la technologie ne saurait faire l'objet d'un
transfert. Leur placage, leur calque béat, la transformation sans relais ni nuance dans nos sociétés ont fait plus
que perturber et désorganiser; ils ont davantage aliéné.
Il faut, et c'est l'évidence, concevoir autre chose, faire autre chose ». La deuxième attitude est celle du Professeur
Yoshimori qui déclare que« les Japonais voyaient de plus
en plus les pays asiatiques colonisés par les puissances occidentales, et ceci était ressenti par eux comme une réelle
menace à l'intégrité nationale du Japon. La seule solution
pour les Japonais face à ce défi technologique tout à fait
énorme est de concurrencer les occidentaux sur leur propre terrain, c'est-à-dire en empruntant, en assimilant systématiquement les technologies occidentales» (52). La
première intervention n'a pas le sens de l'histoire et elle
est foncièrement un recul par rapport à la seconde. Les
pays sous-développés doivent se débarrasser définitivement de ce culturalisme, qui tente de les maintenir dans
l'archaïsme et l'arriération par la préservation de valeurs
désuètes.
Ils devront également se débarrasser des visions écologistes et environnementalistes formulées par des chercheurs compétents mais qui ignorent totalement les urgences de survie des pays sous-développés. Il faut se convaincre définitivement que la révolution technologique, si
elle permet une transformation radicale du système des
forces productives, a des incidences sur plusieurs sphères
de la société dont elle modifie la base matérielle.
Elle va agir indubitablement, entre autres, sur le travail productif, la division sociale interne, sur l'enseignement, la culture et même la psychologie des hommes.
Ainsi, l'utopie consisterait à croire qu'une technologie
pourrait être socialement, culturellement et politiquement neutre.
200
Ces insatisfactions, de même que les faibles résultats des débats théoriques obtenus, imposent des réflexions préalables à la recherche d'une politique technologique cohérente et capable de faire de ces éléments des
variables décisives du développement de la production.
Le socialisme crée justement les meilleures conditions
d'accélération de la technologie et de la science car il fait
de la science le fondement pour la maitrise des forces de
la nature et pour la direction de l'ensemble des processus
sociaux d'autodéveloppement de la société et de l'industrie.
Les questions théoriques et pratiques concernant la
problématique de la technologie amènent d'abord à reprendre les controverses pour en tirer les enseignements
essentiels, ensuite à évaluer le pool technologique disponible pour les formations sous-développées, et enfin à poser les jalons d'une stratégie de maîtrise des anciennes
technologies et l'ouverture sur celles de la troisième révolution industrielle. Développons donc ces trois points.
En premier lieu, la technologie a fait l'objet de vives
controverses théoriques à la suite d'une revendication des
pays du Tiers-Monde pour son transfert sans entraves.
Depuis, bien des points de vue se sont heurtés. Il importe
d'en tirer tous les enseignements en vue de l'élaboration
d'orientations correctes, capables de faire de la technologie et de la science les outils opératoires du développement économique et social. Sur le transfert, à proprement
parler, deux opinions se sont affrontées et continuent encore de le faire autour de deux questions essentielles que
ce transfert soulève à savoir :
- le coût de la technologie au plan financier et
son incidence sur la balance des paiements;
- les effets économiques, culturels, sur l'environnement humain et physique.
Ainsi, la technologie est un impératif pour la transformation du système industriel; elle permet en outre
une exploitation efficiente des ressources naturelles, élève le niveau de productivité du travail, accroît les connaissances scientifiques et techniques. Ces conséquences
positives la rendent indispensable pour des pays caractérisés par :
201
- le retard appréciable des forces productives
matérielles et humaines;
-l'archaïsme et l'inefficience des moyens de production et de travail ;
- la faible productivité du travail qui explique
à la fois le volume réduit de la production et
des revenus.
La révolution technologique est seule à même de
rompre avec cette situation d'arriération généralisée;
de permettre de dépasser l'économie traditionnelle, régressive, en circuit fermé et la production artisanale; de
modifier les conditions de production et d'instaurer une
autre rationalité économique favorable à l'avènement
d'un processus soutenu et irréversible de croissance et
d'expansion économique. Dès lors, la technologie, quelle
que soit son incidence financière et socio-culturelle, doit
être systématiquement recherchée. Elle est profondément
un facteur privilégié d'indépendance économique et d'émancipation scientifique.
En second lieu, on peut observer que si la technologie
peut s'avérer être une variable nécessaire, elle demeure
un moyen de perpétuation de la domination extérieure.
Les pays du Tiers-Monde seront encore pour une période, des importateurs nets de technologie: or, qui possède
ce facteur contrôle l'utilisateur. Par ailleurs, les auteurs
ajoutent à ce premier aspect défavorable deux autres qui
concernent d'une part les coûts excessifs de la technologie qui auront une incidence négative sur les ressources
en devises et d'autre part l'aliénation culturelle qui finira par rendre la technologie inopérante. Ce dernier point
a été notablement développé : la technologie importée
véhicule un mode de vie, une vision du monde et une division du travail contraires à ceux du pays récepteur. En
conséquence, elle doit être rejetée ou acceptée avec prudence. Au total, pour des raisons liées à la dépendance et
aux conséquences socio-culturelles et même économiques, il est recommandé aux formations sous-développées
une extrême prudence en matière technologique. L'innovation nécessaire au développement doit être assumée
par des recherches appropriées au plan interne. S'il n'en
était pas ainsi, l'importation massive de technologie
pourrait être à l'origine d'un vaste mouvement de décul-
202
turation et de perte d'identité, tout en échouant dans l'objectif de transformation des forces productives et d'accélération du développement économique et social. Bien
entendu, pour des pays qui viennent d'accéder à l'indépendance, qui restent attachés à certaines valeurs culturelles, seules ciment d'une unité nationale fragile, un tel
discours porte. C'est sans doute pour cette raison que ce
courant de pensée est dominant au point d'imposer et
d'imprimer aux recherches et réflexions ses références et
ses normes d'appréciation. Au nom de la culture et d'une
certaine dépendance qu'introduirait la technologie, on
prône l'immobilisme, le passéisme et l'autarcie. Ces idées
sont scientifiquement non fondées et dangereuses.
En effet, la problématique de la technologie ne relève
d'aucune ambiguïté. Il s'agit pour des pays en retard de
trouver à l'intérieur ou à l'extérieur, les meilleures réponses techniques aux problèmes que soulève le développement nécessairement accéléré de leurs forces productives. Il faut trouver donc un pays émetteur qui commercialise ce bien techonologique. Le pays récepteur procède alors à un calcul économique de coûts-bénéfices dans
lequel les considérations morales n'ont absolument aucune place et ne sauraient être des éléments décisifs du
choix. Faut-il souligner que l'on n'y a jamais demandé
aux pays sous-développés de renoncer à l'importation de
certains biens de luxe ou à d'autres commodités parcequ'ils véhiculent des valeurs aliénantes ou déculturantes.
Par ailleurs, certains arguments avancés n'ont qu'une
pertinence limitée ou alors sont scientifiquement et historiquement erronés. C'est notamment le cas des conséquences culturellement négatives de la technologie importée. Une telle idée est partiellement fausse car si la
technologie est un facteur de développement, elle l'est en
ce qu'elle affecte positivement la base matérielle de la production sociale, la teneur et la forme du travail humain,
et la division sociale.
Elle favorise l'accumulation de connaissances et élève
le niveau intellectuel du travailleur. Elle peut même aplanir l'écart entre travail manuel et travail intellectuel. On
ne voit pas très clairement où peuvent se situer les aspects négatifs qui justifieraient une opposition à la technologie. L'argumentation n'est pas historiquement véri-
203
fiée. En effet, il est établi que la technique n'étant jamais
neutre, elle produit des perturbations culturelles. Seulement, la culture n'est pas une donnée fixe, immuable;
elle progresse en fonction du développement des forces
productives et du niveau général des connaissances, donc
de la technologie. L'histoire du Japon, de la Chine et de
beaucoup d'autres pays ayant opéré des mutations technologiques par transfert, le montre de façon édifiante.
En définitive, toutes ces controverses établissent que
pour s'industrialiser, il n'existe, pour les formations sous
développées que deux alternatives: l'autarcie et le trans
f ~rt. Il faut alors opérer des choix clairs. Dans le premieI
cas, qui est celui de l'autarcie, comme l'indiquent les te
nants du culturalisme, il ne faut se fixer aucune échéan
ce. On postule implicitement ou explicitement que le dé·
veloppement est un vaste processus nécessairement long
et lent qui doit cependant se dérouler de façon indépendante par mobilisation exclusive du potentiel scientifique
et technique interne. Le pays se barricade et recommen
ce par ses moyens propres tout le cheminement techno
logique de l'humanité. Bien entendu, cette orientation est
tout à fait respectable, seulement chaque fois que le pays
s'ouvrira sur l'Extérieur, ce sera pour se refermer à cause
de son retard technologique de plus en plus important.
Au demeurant, le pays sera par rapport au reste du monde dans une permanente préhistoire. Cette autarcie n'a
jamais été historiquement appliquée; ici comme ailleurs,
elle ne donnerait aucune solution.
Le rejet de ce choix irrationnel ramène en discussion, comme l'observe A. Emmanuel, les conditions qui
doivent accompagner la seule voie restante à savoir celle
du transfert et de l'utilisation des acquis technologiques
des pays développés (53). Reliées à leur politique de développement économique et social, les formations sousdéveloppées ont des besoins technologiques énormes.
Une fois encore, on peut attendre de la technologie et
de la science un parachèvement rapide de l'industrialisation, un accroissement considérable de la productivité du
travail, l'industrialisation de l'agriculture, le dépassement
des différences socio-économiques entre ville et campa·
gne ainsi que l'égalisation progressive de la base matérielle et technique.
204
Les expériences du Japon, de l'Union Soviétique et
de la Chine sont de ce point de vue extrêmement édifiantes car les technologies les plus progressives, les innovations techniques les plus avancées ont été importées et
mises au service du développement économique ct ont
contribué à combler le retard économique.
L'internationalisation du capital et de la production
présente aujourd'hui des conditions meilleures de transferts technologiques. Les formations sous-développées
doivent exploiter toutes les opportunités qu'offre la division internationale du travail. Seulement, elles doivent
éviter les innovations scientifiques et techniques de nature ponctuelle, par foyer et enclave qui entraînent un accroissement des disproportions sectorielles sans augmentation appréciable de la productivité. Elles doivent puiser
dans le potentiel scientifico-technique les technologies
qui contribuent à la réalisation d'une croissance économique accélérée, à la restructuration de la production et à
l'exploitation des ressources naturelles.
C'est seulement après avoir réglé ces problèmes du
rôle de la technologie dans le développement économique
et social, qu'il faut s'interroger sur son impact culturel.
En effet, il ne saurait être question de sous-estimer l'incidence que pourrait entraîner un recours massif à la technologie pour introduire des ruptures dans les cadences de
la croissance et de l'expansion économiques. En partant
de l'observation que la culture n'est pas une donnée immuable, il s'agit d'analyser la nature des effets déformants
que la technologie induit au niveau culturel pour ensuite
apporter les corrections au besoin. A. Emmanuel, dans
cette direction. fait observer que les peuples ont toujours
la culture de leur technologie et qu'il serait illusoire de
prétendre à l'inverse (54).
Or, dans cette époque de forte accélération de la révolution scientifique et technique, de la division internationale du travail et de la mondialisation des phénomènes
de production et de consommation, les valeurs culturel·
les nationales s'homogénéisent tendanciellement.
Ici, comme ailleurs, l'économie mondiale fait reculer
les barrières nationales étroites et organise une extrême
mobilité des modèles culturels et de consommation. Elle
impose à tous les peuples, avec des vitesses de pénétra-
205
tion différentes, la culture scientifique comme dominante. Au demeurant, dans quelques années, la micro-électronique caractéristique de la troisième révolution scientifique transformera définitivement les cultures nationales,
même celles des pays les moins avancés. Les valeurs sociales, musicales, architecturales et autres seront gérées
de façon optimale et efficiente par les ordinateurs. Il ne
sert à rien d'être passéiste et de vouloir engager des combats d'arrière-garde perdus à l'avance. Il faut plutôt procéder à une rigoureuse réorganisation qui assure les conditions optimales à l'utilisation de la technologie dans
l'intérêt du progrès économique et social. Le sens de l'histoire est de comprendre qu'à notre époque, le point de
départ obligé de tout acte culturel passera par le clavier
du micro-ordinateur.
Dans cette direction, Roger Garaudy observe que les
changements induits par la révolution scientifique et
technique posent de manière aiguë le problème de l'enseignement, de l'assimilation, de la diffusion et de la maÎtrise de ces conquêtes. L'ampleur des questions soulève :
- d'abord un problème politique par suite de l'accroissement du pouvoir technique entre les mains de
quelques hommes qui vont ainsi disposer d'une information et d'une organisation terrifiantes;
- ensuite un problème pédagogique car si la masse
des connaissances a doublé en huit ou dix ans, il ne suffit pas d'ajouter un chapitre au programme des classes
terminales pour donner aux enfants une connaissance,
même sommaire, de ce qui se crée (55).
Dès lors, la révolution technologique exige de repenser fondamentalement le problème de la culture, surtout
pour les formations sous-développées.
On est renvoyé à nouveau à l'opportunité d'élaborer
une politique qui parte d'une claire conscience que la
technologie est une impérieuse nécessité et que les pays
sous-développés doivent organisationnellement se préparer pour un meilleur usage. Parallèlement, une lutte idéologique ferme et sans concession doit être engagée contre les publicités entreprises par les écologistes et les environnementalistes qui s'opposent à l'utilisation des technologies appropriées notamment dans l'agriculture. Ils
dénoncent la chimisation et la motorisation qui condui-
206
ront, selon eux, vers des catastrophes inévitables. Ces opinions répandues à grande échelle dans les pays sous-développés sont scientifiquement mal fondées et n'ont le
moindre souci de ce qu'il faut faire pour les ventres creux
(56). Les catastrophes et les problèmes sont ailleurs, ils
résident dans la misère et la famine qui anéantissent des
populations entières en empêchant toute transformation
radicale des structures agraires.
Toutes ces réflexions, malgré leur extrême diversité,
ainsi que les recherches qui les sous-tendent, s'accordent
unanimement sur le fait que la technologie agit comme
accélérateur de l'industrialisation, du développement éco<
nomique et affecte positivement le travail social en élevant la productivité. Ce sont ces aspects que les politiques
doivent rendre optimales tout en minimisant les effets
négatifs qui pourraient apparaître, qu'ils soient de nature
sociale, culturelle ou autre. Tout cela est à relier à la fois
aux politiques de développement et aux options socialistes dont les lois, les catégories économiques et les leviers
administratifs devraient favoriser l'intensification et l'éclosion de la technologie. En dernière analyse, cette variable doit contribuer à une rapide liquidation du retard
économique par une expansion soutenue des forces productives, condition véritable d'une amélioration de la rémunération du travail et de la répartition des revenus.
La politique technologique devra résoudre toutes ces
questions liées au choix de la technologie la plus appropriée. Dans cette direction, Jacques Bugnicourt observe
qu'il existe un pool technologique comprenant quatre
composantes:
- les technologies modernes importées;
- les technologies occidentales modernes mais
désuètes en Occident;
- les technologies artisanales locales ou importées d'autres pays du Tiers-Monde;
- les nouvelles technologies adaptées issues de
la modernisation des techniques artisanales.
Cette catégorisation permet de préciser les différentes options et combinaisons possibles pour les agents directement concernés par l'utilisation de la technologie.
Les choix procèderont d'une part des objectifs visés par
le producteur et qui pourraient être l'accroissement de la
207
production, l'amélioration de la qualité ou de l'efficacité,
l'élevation du volume du profit, et d'autre part des con·
traintes techniques, sociales ou de revenu. c'est dire que
le choix procède toujours d'une certaine rationalité conforme à la politique qui est poursuivie. Donc le déterminisme technologique n'existe pas, les options correspondent à des objectifs nettement spécifiés comme l'apparition de nouveaux produits, une exploitation et valorisation des facteurs naturels, la réduction du temps de travail, l'augmentation de la productivité, etc... On ne peut
finalement exclure ou même privilégier telle ou telle composante technologique. Les critères de choix seront fonction des politiques appliquées. Il y a seulement une réserve de principe à opérer sur les technologies occidentales modernes en désuétude. L'analyse de W. Rostow et
de tous les tenants de la thèse du retard s'était évertuée
à montrer que les PSD disposant de faibles capitaux devraient acquérir les équipements vétustes des pays développés. Deux décennies n'ont pas confirmé le bien fondé d'une telle orientation.
En définitive, le problème à résoudre de façon urgente pour les pays du Tiers-Monde, concerne l'élaboration
d'une politique technologique cohérente et intégrale qui
définisse avec clarté les critères qui président au choix
technologique, à l'appropriation et à la diffusion des technologies importées, à la promotion de la recherche scientifique et technique et à la détermination des moyens et
canaux de vulgarisation des innovations.
Il s'agit en dernière instance d'élaborer une stratégie globale qui retrace toutes les politiques et actions à
entreprendre. Elle devrait s'organiser autour des volets
suivants:
Le premier volet réside dans l'élaboration d'une stratégie globale, durable et planifiée du développement scientifique et technique; ce qui suppose :
- la détermination des besoins technologiques à
moyen et long termes en fonction des options
sectorielles du développement économique et social;
- la quantification des moyens et leur répartition fonctionnelle ;
- l'établissement des priorités;
208
- la définition d'un système de formation des
chercheurs hautement qualifiés et d'un personnel
auxiliaire adapté au développement de la science et de la technique.
Cette stratégie doit faire partie intégrante de la politique socio-économique et culturelle d'ensemble dont les
objectifs demeurent l'élevation des forces productives par
une industrialisation conséquente, la construction d'une
économie nationale capable d'autonomie vis-à-vis de l'extérieur, la satisfaction des besoins matériels, l'amélioration du niveau de vie et l'élevation du niveau culturel et
spirituel des producteurs. La science et la technique deviennent ainsi des outils indispensables pour la réalisation des tâches de développement et de transformation
dans le sens de l'édification d'une société socialiste dont
il est dans l'essence et la nature de créer les conditions
les plus favorables à l'accélération de l'utilisation de la
science et de la technique au bénéfice de la société.
Le second volet de la stratégie concerne la création
et la mobilisation de tous les moyens qui peuvent non seulement concourir à une maîtrise par les agents économiques et les scientifiques des anciennes technologies, mais
aussi déboucher sur la troisième révolution industrielle.
Il faut donc combler le « gap» par un transfert contrôlé
et à moindres coûts. Deux moyens peuvent s'offrir: le
premier consisterait à encourager l'implantation de filiales de sociétés productrices de technologie et le second
serait d'en créer sur place.
Pour le premier moyen, on sait qu'en règle générale,
les sociétés-mères transfèrent automatiquement nécessairement leurs techniques de production, leur savoirfaire et cela quel que soit le niveau de développement du
pays d'accueil de la filiale. C'est cela qui fait observer à
Dimitri Germidis « une tendance à l'homogénéisation des
techniques de production dans chacune des branches industrielles indépendamment des caractéristiques socioéconomiques et culturelles des pays d'accueil» (57). La
réduction de la sophistication et de la mécanisation des
techniques observables dans les formations sous-développées ne procède que des faibles dimensions des marchés
internes. L'installation de filiales ou d'autres formes du
genre contribue au transfert technologique.
209
Le second moyen disponible est l'importation directe
par l'opérateur économique interne de la technologie appropriée. L'Etat pourrait encourager cette politique par
des subventions financières ou par des incitations fiscales et douanières avec pour objectif d'alléger les charges
de l'entreprise importatrice de technologie. Dans ces
deux cas, le transfert est encouragé pour combler tout
gap technologique ou pour empêcher qu'il ne se constitue
un autre de plus important dans l'avenir. Bien entendu,
les technologies à transférer sont celles qui contribuent
à forcer l'allure de l'industrialisation, qui permettent une
valorisation des matières premières de base, une absorption de la main-d'œuvre, un accroissement de la productivité des secteurs économiques et une augmentation des
revenus.
Les pays sous-développés doivent mobiliser leurs ressources financières et humaines pour s'ouvrir systématiquement sur les nouvelles technologies caractéristiques
des mutations fondamentales en cours, s'effectuant à partir de la filière électronique qui approfondira le développement des bio-industries.
Selon Michel Richonnier (58), les nouvelles technologies de la troisième révolution industrielle ne sont pas
toujours aussi nouvelles; ce sont principalement:
- les énergies renouvelables qui datent de plusieurs millénaires ;
- les énergies nucléaires de fusion dont les filières sont scientifiquement maîtrisées depuis
quelques décennies;
- les nouvelles technologies électroniques amorcées au milieu des années 60;
- les biotechnologies qui amènent de prodigieuses découvertes de processus nouveaux de production.
En effet, les pays sous-développés doivent être extrêmement attentifs à ces nouvelles technologies qui transformeront radicalement les conditions de production
dans tous les secteurs d'activité.
Ainsi, pour l'agriculture, on peut souligner les importants impacts suivants:
- elle deviendra plus économe en énergie et d'autres instants grâce à un double progrès : la bio-
210
conversion et la microbiologie. Cela est important
quand on sait que la révolution verte était fondée
sur un modèle à profil énergétique élevé (59) ;
- elle deviendra plus productive par suite d'une
utilisation systématique de la mécanisation et le
recours à la télédétection qui permettra d'une
part une meilleure connaissance des sols et des
climats et d'autre part un choix plus approprié
des cultures.
De telles technologies contribueront à élever la production agricole et à améliorer les bases de la production.
Pour le secteur industriel, l'automatisation, la robotisation et la microélectronique entraîneront des révolutions dont on est loin de soupçonner présentement toutes
les conséquences socio-économiques. Dans les branches
productives où ces technologies sont introduites, les gains
de productivité attendus seront exceptionnels. Dans ce
sens, on peut insister sur deux aspects : d'une part, la
rabotisation qui développera des ateliers flexibles pouvant opérer les assemblages mais aussi faire reconnaître
des formes (robots palpens) ; d'autre part, la fabrication
assistée par ordinateur qui procèdera à la production
dans des industries de séries commandées directement à
partir d'une salle de contrôle, avec une optimisation en
temps réel pour réduire au maximum les stocks et répondre à des demandes flexibles.
Dans le secteur tertiaire également, les nouvelles technologies apportent une autre dimension, une autre efficience par le recours généralisé à l'informatique et à la
bureautique. Ces facteurs modifient complètement le système décisionnel et entraînent des gains de productivité
et de temps.
En définitive, une stratégie crédible de développement technologique ne saurait se désintéresser de ces mutations en cours qui modifieront dans un futur proche les
systèmes et les conditions de production, qui bouleverseront radicalement les modes de vie et de pensée; et feront reculer les prévisions d'épuisement des ressources
naturelles. Que ces technologies impliquent des coûts financiers qui peuvent être considérables et des incidences
socio-culturelles qui seront assez importantes, ne saurait
être un prétexte pour ne point les importer et contribuer
211
à leur maîtrise. Cela d'autant plus qu'elles s'imposent tendanciellement dans les pays développés comme facteurs
de sortie de crise. Les pays sous-développés qui ont raté
toutes les révolutions industrielles et techniques doivent
s'organiser sous l'impulsion des pouvoirs publics et des
opérateurs économiques pour s'impliquer davantage dans
cette troisième révolution, capable d'accélérer le progrès
et la croissance économiques.
Le troisième volet de la stratégie technologique concerne la création d'instituts de recherche pourvus de
moyens financiers, d'équipements, de cadres, d'ingénieurs
et de chercheurs adaptés aux besoins du développement
de la science et de la technique.
Ces structures devront permettre la coordination de
la recherche avec la production, ce qui va permettre l'utilisation des acquis scientifiques dans la production matérielle. Comme l'observe une étude monographique de
l'Académie des Sciences de l'URSS, «l'achèvement des
recherches et parfois leur réalisation, nécessitent des équipements spéciaux sophistiqués, des appareils et des ma·
tériaux dont la fabrication n'est possible que dans des
conditions industrielles et exigent la création d'industries
nouvelles et d'installations dépassant par leur envergure
et leur complexité les usines les plus modernes» (60). Les
instituts de recherche auront alors pour fonction d'orienter et de réaliser les politiques de recherche-développement.
Le quatrième volet concerne la planification de la
recherche ainsi que son organisation pour une diffusion
(dans le corps de métier et chez les utilisateurs potentiels)
des acquis technologiques. L'efficacité de la recherche
s'apprécie par le volume de brevets formalisés, diffusés et
commercialisés.
Le cinquième volet intéresse une réforme fondamentale de l'Université et du système de formation technique
et professionnelle. Souvent, les Universités sont moyennageuses dans leurs structures, vieillies dans leurs contenus, totalement désuètes et incapables de gérer les mutations scientifiques et technologiques rapides (61). La
refonte du système universitaire, scolaire, de formation
et de recherche s'impose et passe par la redéfinition des
trois missions de l'Université à savoir:
212
- une mission de formation de cadres techniques
compétents, au service du développement économique et social dont la réalisation nécessite
d'abord la définition d'un contenu fonctionnel,
adapté aux besoins techniques et culturels, ensuite de méthodes appropriées de transmission du
savoir, d'infrastructures et de moyens qualitativement suffisants;
- une mission de développement de la recherche
fondamentale et de la diffusion des résultats qui
suppose des structures et des orientations de recherches épousant les options et les priorités du
développement économique et social, la mobilisation de moyens matériels, financiers et humains
importants, la définition de conditions motivantes et stimulantes pour les chercheurs et d'une
politique de coopération internationale pour une
mobilité de l'information scientifique;
- une mission politico-idéologique consistant à
diffuser des idées justes et utiles au sein de la société et impliquant la définition de normes démocratiques de fonctionnement qui assurent au personnel universitaire des libertés individuelles
sans lesquelles le progrès scientifique sera limité.
La politique universitaire est une composante essentielle de la stratégie de développement scientifique et
technique. La redéfinition des missions est aussi une redistribution des fonctions entre l'acquisition d'un savoir
normatif de sérénité et la vie active.
Le sixième volet de la stratégie de développement
technologique concerne la définition d'une matrice culturelle (62). De celle-ci devra sortir des manières de vivre,
d'appréhender le monde et de mieux « connaître l'ancien
pour mieux servir le nouveau ». c'est elle qui permet de
résister à certaines agressions de l'Extérieur (63). Par ailleurs, c'est cette matrice culturelle qui devra adapter ses
valeurs à la technologie et non l'inverse.
L'ethnocentrisme culturaliste, au nom duquel on rejette les technologies extérieures, n'est qu'une attitude de
bonne conscience que voudrait afficher une élite qui ne
remet en question ni son modèle de consommation importé, ni la distribution inégalitaire de revenus qu'il impli-
213
que. Nulle part, cette élite du pouvoir n'a renoncé (au
nom des valeurs socio-culturelles de base) aux consommations somptuaires et parasitaires qui constituent cependant une véritable distraction de ressources financières
rares et introduisent de profondes distorsions dans le tissu social.
Par ailleurs, elle occulte tous les effets politico-économiques et socio-culturels des modèles de consommation
importés. Ni la culture, ni l'indépendance nationale ne
sauraient être des arguments acceptables pour un refus
systématique de la technologie.
Pour conclure sur cette analyse concernant la technologie, il faut dire qu'en la matière, ni les propositions, ni
les bilans ne sont innocents. Les formations sous-développées ne sauraient être des exceptions historiques; elles
ne vaincront le sous-développement qu'en faisant de la
technologie un moteur du développement, un outil de la
croissance, un instrument des transformations sociales et
un facteur de l'accumulation du capital et des connaissances comme l'ont fait le Japon, la Chine et même l'Europe. Les progrès prodigieux de la révolution scientifique
et technique mettent à leur disposition un stock de savoir-faire illimité dont elles doivent user pour une industrialisation accélérée au service des besoins sociaux et des
autres secteurs de l'activité économique, pour un accroissement soutenu et permanent de la productivité du travail
et pour une augmentation et une diversification des modes de consommation.
Sous ces rapports, la technologie recherchée est celle qui répond aux objectifs du progrès. Elle peut alors
comporter des risques de nature économique (accentuation de la dépendance, alourdissement du déficit extérieur), sociale (diminution du niveau de l'emploi, organisation de la mobilité professionnelle) et culturelle. L'objet de la politique technologique est de chercher les voies
et moyens pour maximiser les avantages et minimiser les
coûts et risques. Selon le mot de Olivier Pastré, « toutes
les technologies sont de modernes Janus, avec de fantastiques promesses et, en même temps, un certain nombre
de risques qu'il faut éviter... Toutes ces promesses, tous
ces risques montrent qu'il faut faire des choix entre les
bonnes et les mauvaises technologies» (64).
214
En définitive, si la problématique de la technologie
et de son transfert demeure importante dans la transi·
tion au point qu'il faille lui trouver des solutions appropriées, l'essentiel pour les pays sous-développés est de
réaliser un saut qui ne peut procéder que d'une politique
scientifique et technique cohérente et efficace. Cette poli.
tique doit régler à partir des options de développement
et des besoins technologiques à moyen et long termes :
les moyens financiers, humains et matériels à mobiliser;
le potentiel scientifique et technologique interne et international; les choix technologiques; la coopération scien·
tifique internationale et régionale; le modèle d'enseignement et de diffusion du savoir-faire; les structures institutionnelles d'administration de la recherche.
Selon le mot de Paganiol, l'immense majorité des actions de développement économique et social exige un
effort scientifique et technique; de son ampleur, de sa
qualité et de sa pertinence découle la plus ou moins grande efficacité de ces actions (65).
Une fois les options agraires et industrielles définitivement fixées, les formations sociales sous-développées
insérées dans les rapports mondiaux de production et
d'échange doivent régler la problématique de leurs relations économiques et financières avec l'Extérieur. Quel
est le statut des relations économiques internationales?
Quels contributions et blocages peuvent-elles introduire
dans le développement socialiste des forces productives?
Quelle politique faut-il adopter vis-à-vis de la Division Internationale du Travail dont on ne contrôle pas les règles de jeu? Ce sont là quelques questions auxquelles il
faut apporter des réponses conformes aux options socialistes.
C.) Les relations économiques internationales dans la
transition vers le socialisme.
Les relations économiques internationales (REl) ont
été analysées sous bien des éclairages mais chaque fois,
on aboutit au constat qu'elles contribuent pour une large
part à la ruine des formations périphériques (65). C'est
cela qui leur confère aujourd'hui un énorme regain d'intérêt à la fois théorique et pratique. L'analyse ricardienne
et ses prolongements néo-classiques ne dégagent pas le
principe qui est le fondement même de ces relations inter·
215
nationales : le transfert de valeur des pays sous-développés vers les pays développés.
Les recherches sur les lois qui gouvernent l'échange
international se rattachent pour la plupart à la théorie
ricardienne des coûts comparatifs qui a, selon G. Haberler
« conservé sa valeur d'une manière étonnante sans grand
dommage pour ses thèses essentielles» (67). Le moment
essentiel de cette théorie est que dans une situation de
concurrence pure et parfaite et de plein-emploi des facteurs de production considérés comme immuables, si la
technologie reste invariable et les coûts absolus différents
et constants, chaque nation a intérêt à se spécialiser
parce que l'échange élève le niveau global du revenu. Les
pays défavorisés et en retard peuvent et même doivent
s'ouvrir au commerce extérieur en se spécialisant dans la
production pour laquelle leur défaveur est moins importante. Cette analyse classique est assez représentative de
l'histoire économique de son époque; ce qui fait écrire à
C. Palloix que « la théorie ricardienne est l'expression
d'une bourgeoisie en lutte contre la structure féodale et
traduit essentiellement les aspirations du capitalisme
pour construire le système international des échanges»
(68).
L'analyse néo-classique a reconduit pour l'essentiel
les thèses ricardiennes dépouillées de leur moyen scientifique, la théorie de la valeur qui, selon Taussig, n'est en
définitive qu'une hypothèse qui facilitait le raisonnement.
Leur apport se situe dans l'adjonction à l'édifice théorique, de la théorie des coûts de substitution et celle des
dotations factorielles. La première permet d'éluder définitivement la théorie de la valeur-travail et son remplacement par la valeur-utilité qui définit le coût de n'importe
quel produit par la renonciation à un autre. La seconde
justifie la nature et les diverses formes de la spécialisation
des Nations dans une division internationale du travail.
L'optimum théorique néoclassique est atteint avec les
travaux d'Hechscher/Ohlin qui établissent un couple de
relations entre d'une part les dotations en facteurs et les
courants commerciaux, et d'autre part les courants commerciaux et les prix des facteurs.
C'est ce modèle néo-classique qui sert de fondement
aux relations économiques internationales et qui recom216
mande aux nations une spécialisation poussée à partir
des dotations naturelles car celle-ci égalise les chances de
développement. Ainsi, le système mondial compense-t-il
toutes les infériorités relatives et égalise-t-il parallèlement
les rémunérations des facteurs de production. Dès lors,
tous les pays, quels que soient leur taille, leur niveau de
développement, leur position monétaire, leur contexte
historique, doivent contribuer selon le mot de P. Samuelson à l'avènement d'un commerce sans entraves car il
permet un accroissement des produits nationaux réels et
rehausse les niveaux d'existence (69).
Cependant, les faits établissent largement que la
spécialisation, dépendante de la division internationale
du travail, est un des facteurs ruineux des pays sous-développés. Les échanges internationaux montrent que l'inégalité des partenaires s'oppose absolument à une égale
distribution des avantages. La fameuse transmission externe de la croissance ne se réalise nulle part.
Il y a beaucoup de réticences pour passer « des harmonies universelles» - aboutissement de l'analyse néoclassique - à l'échange inégal, réalité vécue et quasi permanente qui traduit l'articulation des formations sousdéveloppées à la D.LT.
Dans le processus productif mondial, les mécanismes
d'accumulation se traduisent par un même mouvement
linéaire qui développe le Centre et sous-développe la Périphérie. C'est l'aboutissement ultime du développement
inégal caractéristique du système mondial des relations
économiques et de la DIT qui induit comme conséquences:
- la détérioration des termes de l'échange, baromètre de l'échange inégal;
- l'économie intégrée au Centre tandis qu'à la Périphérie, économie productrice de matières premières
avec des monoproductions destinées à l'exportation faites
avec des techniques artisanales à faible productivité;
- les impulsions de la conjoncture à partir du Centre et l'intense transposition de ces impulsions à la Périphérie;
- l'accumulation rapide du capital et l'intense progrès technique avec accroissement de la productivité et
217
des revenus au Centre; faible accumulation du capital et
progrès technique insignifiant à la Périphérie;
- la part considérable du commerce extérieur dans
le revenu national de la Périphérie, sa faible part au Centre où les investissements intérieurs exercent une influence décisive sur la conjoncture.
On peut dire que les relations économiques sont à la
base du développement dépendant caractéristique des
pays sous-développés et qui produit:
- un déficit alimentaire faisant des pays périphériques des zones d'insécurité et de fragilité alimentaires;
- un déficit structurel de la balance commerciale
résolu par une mécanique d'endettement chronique;
- un déficit des finances publiques accroissant l'extrême fragilité de l'Etat.
Ces conséquences ont entraîné la formulation par
toutes les organisations des pays sous-développés, de quatre revendications correctrices des rapports inégaux et
des mécanismes de l'accumulation:
- le financement international;
- le commerce international;
- la refonte des structures et du fonctionnement de
certaines institutions internationales;
- la coopération technologique.
Sur le premier point, tous les pays sous-développés
sont unanimes à reconnaître que la Dette Extérieure constitue un handicap énorme qui compromet tous les efforts
de développement. Cette aggravation de l'endettement ne
s'explique pas par l'accélération du développement économique, mais par le service de la dette. A titre d'exemple,
de 1973 à 1980, les pays non pétroliers du Tiers-Monde
ont emprunté environ 332 milliards de dollars mais ils ont
dû payer pour le service de la dette 338 milliards, soit
6 milliards de plus que les emprunts. Sur cette question,
une revendication claire a été formulée et comporte quatre points à savoir :
- l'annulation de la dette publique;
- l'accroissement de l'aide financière des institutions monétaires internationales;
- la mise en place de structures appropriées de rééchelonnement ainsi qu'une politique adéquate qui tienne compte de la situation spécifique de chaque pays endetté;
218
- la consolidation des dettes privées avec un moratoire négociable.
Le second point des revendications des pays sous-développés porte sur la fixation de prix rémunérateurs et
équitables des produits de base. On peut rappeler que la
participation du Sud dans la vie économique du Nord est
importante pour les produits de base comme le pétrole
(55 %), le fer (40 %), la bauxite (65 %), le chrome (80
%), le cobalt (70 %), l'étain (90 %), le cuivre (40 %) et
que les matières premières représentent plus de 7S % des
recettes du Sud. La question est alors simple et consiste
à assurer aux formations sous-développées des prix rémunérateurs qui tiennent compte à la fois de l'inflation mondiale et de l'augmentation des prix des produits manufacturés.
Le troisième point concerne la révision des institutions internationales surtout financières, qui connaissent
du reste des crises structurelles et d'orientation qui les
font dévier de leurs rôles originels. Il importe alors de
mettre sur pied de nouveaux mécanismes financiers qui
améliorent favorablement pour le Tiers-Monde, les systèmes d'allocations des ressources financières.
Enfin, le quatrième point concerne la coopération industrielle et technologique. Dans ce sens, l'ONUDI a fait
des propositions concrètes et favorables au Tiers-Monde
à savoir:
- que la commercialisation des produits industriels
du Tiers-Monde soit portée de 7 à 25 % ; ce qui nécessite
l'institution d'un système généralisé de préférences;
- la réalisation aux moindres coûts du transfert
technologique avec l'élaboration d'un code de conduite
protecteur des intérêts des pays du Tiers-Monde.
Ces revendications sont assez précises. Seulement, de
la Conférence de Paris à celle de Cancun, les interminables rencontres et dialogues n'ont encore abouti qu'à des
résultats extrêmement minces qui, en dernière analyse,
ne modifient pas les conditions du développement inégal
et ne remettent pas en question les mécanismes ruineux
des relations économiques internationales. Ces résultats
se résument à :
- l'avènement de préférences généralisées qui s'accomodent parfaitement du scénario d'une division du tra219
vail multipolaire en pleine gestation;
- l'instauration de formes de régulation et de stabilisation des prix des produits non accompagnée d'une
indexation sur l'inflation et/ou sur les prix des produits
manufacturés ;
- la prise de résolutions déconnectées de toute réalité politique et économique qui, de fait, constituent des
vœux pieux (70).
Dans ces conditions, les formations sous-développées
doivent accorder un grand intérêt aux relations économiques internationales car celles-ci peuvent annuler, par le
biais des transferts de surplus, les effets positifs des politiques écomomiques internes. En conséquence, s'impose
la nécessité de la définition d'une stratégie des rapports
avec l'Extérieur qui évalue avec rigueur les coûts supportés et les avantages retirés des échanges avec le reste
du monde.
Cette stratégie a fait l'objet de plusieurs approches.
Pour certains auteurs, les formations sous-développées
doivent observer un protectionnisme éducateur qui pourrait être accompagné par la limitation de la libre circulation des capitaux et des techniques, et l'instauration de
politiques sélectives. Pour d'autres auteurs, les pays en
transition vers le socialisme doivent rechercher systématiquement la réalisation d'une indépendance économique
vis-à-vis de la division internationale du travail. Cette vision prend progressivement la place de celle qui préconisait une rupture condamnant le pays à une autarcie.
Cette situation d'autarcie était implicitement recommandée ces dernières années par des auteurs « marxistes» conscients que c'est la meilleure voie de réponse à
l'échange inégal et la seule voie pour échapper à l'exploitation du marché mondial capitaliste. Ce repli sur soi
était conçu comme un passage obligé pour restructurer
l'économie d'une autre manière et modifier tous les comportements des agents et mettre en place de nouveaux
mécanismes de production, de consommation et de répartition. Dans cette direction, on avait espéré que le Kampuchea Démocratique offrirait une expérience édifiante
et originale d'une rupture réussie avec la DIT et l'économie marchande.
Cette expérience s'est terminée en catastrophe économique et politique avec l'instauration d'un régime fas220
ciste et sanguinaire, tristement célèbre par l'extermination de millions de citoyens. L'expérience montre que les
situations d'autarcie sont régressives à tous les niveaux
économique, politique, social et culturel. Au plan économique particulièrement, l'autarcie déclenche l'irruption
et l'organisation d'une économie clandestine, parallèle et
florissante régie par les catégories économiques marchandes.
L'indépendance économique doit être un objectif
clairement défini de même que les conditions de sa réalisation. Quel est alors son contenu réel? Selon M. E. Be·
nissad, dans les doctrines développementistes, la notion
revêt deux significations:
-la première de type juridico-économique consiste
à souligner la nécessité d'un contrôle plus ou moins systématique sur les ressources naturelles et les moyens de
production locaux;
- la seconde de type technique se réduit à l'autosuffisance tant dans le domaine des biens de consommation
que dans celui des biens de production (71). C'est cette
seconde signification qui intéresse les relations économiques internationales. En effet, cette approche se fonde
sur les comptes extérieurs et le coefficient d'importation.
Partant de ces éléments, il s'agit de créer une nouvelle rationalité pour maîtriser l'évolution des relations économiques avec l'extérieur. Comme le note Ignacy Sachs,
(( dans le jeu de la planification, les devises jouent un rôle
de jocker, car il est toujours possible de compenser les
insuffisances de la production locale en augmentant l'importation. Rien d'étonnant donc que, pour la grande majorité des pays en voie de développement, les devises deviennent la ressource la plus rare, lorsque l'on essaie
d'accélérer la croissance de l'économie et que, finalement,
le commerce extérieur impose un plafond au taux de
croissance général» (72). Dans ces conditions, une stratégie du commerce extérieur s'impose, articulée autour
d'une intervention systématique de l'Etat dans la double
direction d'une meilleure utilisation des capacités d'importation et d'une maximisation des activités et capacités
exportatrices. C'est de la sorte que l'on arrivera à ôter
le goulôt d'étranglement constitué par la pénurie de devises et la faiblesse de l'épargne intérieure. Dès lors, le
221
contrôle des relations économiques avec l'extérieur appelle une double action sur les importations et sur les
exportations.
La première action (dans la transition) est d'une importance décisive car les ressources financières étant limitées de même que l'offre de liquidités internationales,
il importe de les utiliser de façon efficiente par une sélection des importations, qui peut s'opérer en fonction de
deux critères: d'abord les besoins du système productif
et ensuite l'opportunité alternative. Selon le premier critère, il faut importer les biens intermédiaires et d'équipement indispensables pour l'entretien d'un processus d'expansion et de croissance économique. Quant au second
critère, il s'appuie sur l'idée que l'importation doit se
faire lorsqu'elle présente plus d'avantages que le produit
local. Il ne s'agit pas d'une hypothèse d'école car les velléités sont très fortes en Afrique à promouvoir un développement autocentré à l'abri d'un protectionnisme véritable ou de façade qui débouche sur la création d'un tissu
industriel caractérisé par des prix excessivement élevés
par rapport à ceux des marchés extérieurs. Le planificateur devra alors procéder à des arbitrages qui tiennent
compte de tous les avantages que l'économie nationale
tire des importations.
C'est dire après M. E. Benissad « qu'avec les préoccupations de défense ou d'amélioration du niveau de vie
des populations, la nécessité réapparaît et s'impose d'une
spécialisation de la Nation dans les tâches pour lesquelles
elle dégage (au fur et à mesure qu'elle se développe) un
avantage comparatif dynamique» (73). En dernière analyse, on peut dire à la suite de Samir Amin qu'il ne s'agit
pas seulement de constater que si la division internationale est inégale, la thèse des avantages comparés perd sa
validité (74). Cela se renforce par l'idée qu'il est impossible aux formations sous-développées de se doter de toute
la gamme de machines nécessaires pour leur croissance
et leur expansion.
Les techniques nécessaires pour opérer cette sélection sur les importations sont : l'institution d'un pennis
d'importer, le système de taux de changes multiples et le
contrôle des prix des produits importés. Selon 1. Sachs,
« l'étendue du contrôle et les mesures administratives
222
adoptées feraient l'objet de décisions spécifiques, lesquelles dépendraient, d'une part, de l'ampleur de la politique
d'intervention et d'autre part des conditions particulières
de chaque pays, de la composition et de la distribution
géographique de ses importations» (75). Les priorités et
les techniques de contrôle des importations ne peuvent
être établies que dans le cadre d'un plan global.
La seconde action est celle à entreprendre pour accroître le niveau réel des exportations. Pour atteindre cet
objectif, les mesures suivantes doivent être prises:
- un contrôle des entreprises privées étrangères
pour limiter les transferts financiers à l'extérieur faisant
suite aux bénéfices retirés des capitaux investis, à la facturation insuffisante des exportations ou alors à la facturation excessive des importations;
- un développement des industries et productions agricoles destinées aux marchés extérieurs,
nécessitant une allocation appropriée des investissements pour les activités exportatrices;
- l'introduction d'un système fonctionnel et adéquat de subventions aux exportations qui pourrait être combiné de façon plus profitable avec
une taxation à l'exportation sur les marchandises.
Ainsi, le planificateur devrait avoir, en matière de
commerce extérieur, des objectifs précis à réaliser. Bien
que ceux-ci puissent être multiples et multiformes, l'un
au moins nous semble essentiel: la couverture des importations ou la baisse de leur niveau effectif. En effet,
dans des formations sociales où existe un déficit systématique et chronique de la balance commerciale, une politique de couverture des importations est une impérieuse
nécessité et pourrait se réaliser par un développement des
activités d'exportation. Dans cette optique, la problématique des relations avec l'extérieur passerait par l'allocation des ressources aux secteurs exportateurs. L'objectif
visé pourrait être également une diminution des importations qui peut être obtenue par la politique d'importsubstitution, des mesures administratives, protectionnistes ou monétaires. Dans un cas comme dans l'autre, une
planification efficiente exige un contrôle, une maîtrise de
tous les opérateurs économiques qui ont des liens avec
l'extérieur. De plus, la planification appelle une rigoureu-
223
se politique monétaire d'accompagnement élaborée à partir de l'état effectif des réserves en devises disponibles
au moment où le pays amorce la transition.
Sur cet aspect monétaire, différentes actions sont possibles selon les réserves héritées de la société antérieure.
Dans une situation, par exemple, de liquidités excessives,
on peut envisager une politique d'achat de biens utiles,
ce qui aurait pour conséquence immédiate un alourdissement du déficit de la balance commerciale, mais n'entraînerait pas en réalité une baisse de la valeur internationale
de la monnaie. La dévaluation pourrait également se présenter comme une autre formule d'utilisation des excédents de liquidités surtout lorsque la situation de sousemploi est caractéristique. Elle contribuerait alors à augmenter les prix extérieurs et partant à décourager les
importations.
Ces considérations ne sauraient refléter toutes les situations particulières des formations sociales en transition et les diverses attitudes à prendre vis-à-vis de l'environnement international. Disons simplement que toute
planification efficace du commerce extérieur s'accompagne nécessairement d'une politique monétaire. Car comme l'observe S.C. Kolm, « ce problème monétaire extérieur peut être anodin ou mortel selon qu'on en tient
compte à temps ou trop tard » (76).
Dans le processus d'édification du socialisme, pour
des pays nouvellement affranchis et connaissant un retard des forces productives, il faut presque affamer pour
développer et créer un modèle de consommation particulier, centré sur la production locale. Cela suppose des
actions dissuasives à l'encontre de toutes les consommations somptuaires et parasitaires de biens importés par
des minorités socialement privilégiées par la fortune. De
telles dépenses alourdissent improductivement la balance commerciale et constituent une distraction de ressources financières rares. Cependant, il faudra éviter que ne
s'installent les conditions d'un monde économique parallèle c'est-à-dire la structuration d'un marché noir débouchant sur des échanges incontrôlés. A notre sens, les mesures à prendre ne devraient pas porter systématiquement
sur une raréfaction des produits, mais doit porter sur une
224
fiscalité dissuasive. Ainsi, la compression de consommation contribuerait à accroître l'accumulation interne.
Au terme de cette analyse, une double conclusion
s'impose concernant la stratégie à adopter pour les relations économiques internationales. Au plan externe, les
formations sous-développées doivent se joindre à toutes
les organisations qui ont vocation à :
- créer les conditions de l'avènement d'un ordre
économique mondial plus équitable, qui tienne
compte des intérêts de tous les partenaires à la
division internationale du travail et définisse de
nouvelles règles pour le jeu économique mondial;
- établir ou approfondir des processus intégrateurs débouchant sur l'établissement d'une division régionale du travail ou d'un ordre communautaire capable d'exploiter toutes les possibilités d'autonomie que permettent les modifications
du système des rapports mondiaux;
- agir pour l'avènement de prix rémunérateurs
pour les matières premières et l'amélioration des
termes de l'échange.
C'est en participant à ces luttes que les formations
en transition contribueront à la transformation du monde
et dégageront des plateformes d'actions cohérentes et collectives pour de nouvelles bases de la coopération internationale. Des concertations devraient être ouvertes avec
les pays socialistes qui peuvent :
- d'abord aider au développement de modes alternatifs de rapports économiques, à l'instauraration de nouvelles règles de fonctionnement
pour des relations économiques et financières mutellement avantageuses (77) ;
- ensuite apporter aux pays sous-développés une
assistance financière qui se distingue, au moins
qualitativement, de l'aide privée au développement fournie par les pays capitalistes;
- enfin instaurer une coopération qui permette
d'accroître le potentiel scientifique et technique;
- sans oublier une coopération commerciale débarrassée de tout esprit mercantile et qui repose
principalement sur l'identité de régimes sociaux
te l'unité des objectifs.
225
Les faits établissent qu'on est extrêmement éloigné
de l'instauration d'une telle coopération. Seulement, les
pays en transition doivent mettre à profit toutes les formules qui impliquent au maximum les pays du système
socialiste. C'est de la sorte qu'ils exploiteront à leur profit la compétition politico-économique entre grandes puissances.
Un bon nombre de pays sous-développés semblent
acquis à la nécessité d'engager une lutte persévérante
pour l'avènement d'un autre ordre économique mondial,
d'un système moins inégalitaire et moins discriminatoire,
pour l'élimination du protectionnisme, le règlement des
problèmes monétaires et financiers, pour l'instauration de
codes internationaux de transferts de technologies de
même que pour l'établissement d'un contrôle et d'une
réglementation de l'activité des firmes multinationales.
Ces pays estiment de plus en plus qu'il faut opposer au
monopole des consommateurs, des associations de producteurs de matières premières et renforcer ces associations par l'établissement de fonds de soutien collectif
(78).
On ne peut plus, aujourd'hui, dissocier les conditions
internes de développement, des possibilités effectives de
diversification, voire même de restructuration des relations économiques internationales à cause de l'internationalisation poussée de la vie économique. En rapprochant
la théorie des faits, l'avenir des pays du Tiers-Monde dé·
pendra de leur capacité ou non de se procurer les devises par l'exportation afin de financer les importations
des biens de croissance (79).
Il reste entendu que même si l'ordre économique
était favorable et qu'il permettait des transferts de ressources financières et techniques vers les pays du TiersMonde, cela n'aurait qu'une incidence mineure si ces ressources étaient au service de théories, d'options et d'orientations économiques inadéquates. Dans cette direction, G.
Amoa soutient que l'aide publique au développement,
de même que les autres transferts (comme l'assistance
technique) n'ont absolument pas été négligeables et se révèlent aussi importants que les moyens mobilisés par le
Plan Marshall. S'ils ont produit de minables résultats,
c'est parce qu'ils étaient au service de politiques et op-
226
tions politico-économiques inappropriées (80). Le socialisme doit présenter un modèle alternatif crédible et réaliste.
Il est donc clair qu'une transition vers le socialisme
qui s'appuie sur une stratégie de développement autocentré et au service de la satisfaction prioritaire des besoins
de base est l'alternative à l'extraversion découlant des
monoproductions d'exportation, à la stagnation des forces
productives matérielles et humaines et aux perspectives
de famine, de misère et de marginalisation des populations laborieuses. Les politiques économiques perçues
comme l'ensemble des techniques, des procédés, des mesures, des dispositions, des prévisions, doivent toutes
converger vers la direction, le contrôle et l'organisation
en vue d'atteindre le triple objectif suivant :
- une économie nationale de plus en plus indépendante, capable de disposer librement de ses
richesses et de ses ressources naturelles, d'exercer sur elles un contrôle effectif et de diriger
toute l'activité économique; une économie également capable de s'autonomiser progressivement
vis-à-vis du système mondial et de soumettre celui-ci aux nécessités de son développement;
- une élevation du niveau des forces productives par une mobilisation totale des ressources et
des capacités internes d'accumulation;
- une réorientation du développement économique et social en vue de satisfaire les besoins de
base des populations, donc d'améliorer le niveau
de vie de celles-ci.
227
NOTES
(1) V. 1. Lénine: A propos de la question des marchés.
(2) Lénine : Thèse développée lors du Ille Congrès de l'ln·
ternationale Communiste.
(3) J. Staline : Les problèmes économiques du Socialisme.
Edit. Sociales.
(4) Idem. : La situation économique de l'Union Soviétique et
la politique du parti.
(5) Marie Lavigne : Les économies socialistes soviétiques et
européennes, Collection U, Edition A. Colin, Paris 1970, p. 511.
(6) Maurice Dobb : Croissance économique et sous·développement. Edit. François Maspéro, p. 71.
(7) Charles Bettelheim: Emploi et investissement dans l'économie planifiée C.D.V. Paris 1961, p. 29.
(8) L'industrie c'est la possibilité de créer des outils qui
améliorent systématiquement les conditions de travail des producteurs et dans les branches productives. C'est ce qui fait écrire à A. Emmanuel que «sommairement parlant, la production
de richesses est fonction de la quantité d'outils et de matière
grise dont les bras de l'homme sont assistés dans le travail productif" in « le Prix rémunérateur ». Communication au Congrès
des Economistes de Langue Française, Abidjan 1979.
(9) J.F. Rweyemamu : Le modèle de développement industriel capitaliste perverti. IDEp·ET-CS-2367-18.
(10) Moïse Ikonicoff : Transfert de technologie et conditions
d'industrialisation. Revue Coopération Technique, Juin 1973.
(11) Abdel Kadel S. Ahmed : Sous-développement, industrialisation et dépendance, Revue Algérienne, Sept. 1976.
(12) Patrice Robineau : Impact de l'industrialisation sur la
production agricole et Je développement ruraL Mondes en Développement, n. 31-32, 1980.
(13) Montasser : Fait observer que la phase de substitution
n'est pas toujours caractéristique mais ce qui est important, c'est
que la production de substitution pourrait être le moteur de la
croissance. Seulement le niveau de cette production sera toujours
fonction de la demande de la minorité possédante. L'extension
ne pourrait venir que d'une nouvelle distribution des revenus ou
d'une extension des bases de l'exportation sur le marché mondial de la production interne. Il y a là une série de problèmes qui
se transforment en facteurs de blocage de l'I.S.I..
(14) Alexandre Faire: Stratégie du Nord et Stratégies du Sud,
in l'Avenir Industriel de l'Afrique. Edit. L'Harmattan, 1980, 227 P.
(15) Alexandre Faire : L'Avenir industriel de l'Afrique. Edit.
L'Harmattan, p. 100.
(16) B. Mabeuf : « Le transfert de technologie et la nouvelle
DIT ». Revue d'Economie Industrielle, n. 14, 1980.
(17) A. Faire: Op. cit. pp. 101-103.
228
(l8) Pierre f. Gonod : « Vers un rééquilibrage des relations
entre l'agriculture et l'industrie l>. Revue « Mondes en Développement l> n. 31-32, 1980.
(19) A. Bouzidi : La question agraire dans une stratégie nationale de développement. Revue Algérienne, n. 2, Juin 1976.
(20) Pierre f. Gonod : Op. cit. p. 281.
(21) Patrick Tissier : La Chine: transformations rurales et
développement socialiste. Edit. f. Maspéro.
(22) Patrice Robineau : « L'impact de l'industrialisation sur
la production agricole et le développement rural; une analyse
des effets économiques et socio-culture1s l>, in « Mondes en Développement l> n. 31-32, 1980.
(23) Voir sur ce point l'article de G. Debemis :
« Le sous-développement, analyses ou représentations l>. In
Revue Tiers-Monde, n. 57, Janvier-Mars 1974; L'auteur "Y observe
avec pertinence qu'il faut se méfier cependant des similItudes qui
dissimulent des différences essentielles. De même, il faut se méfier des recettes que l'on prétend tirer de l'expérience européenne. Elles n'ont de sens que si elles ne proviennent pas d'une réduction du processus européen d'industrialisation à des phénomènes tout à fait secondaires : le textile et non la mécanique, le
taux d'épargne et non le modèle de consommation.
(24) Samir Amin: Développement auto-centré, autonomie col·
lective et nouvel ordre économique international. L'Avenir Industriel de l'Afrique. Edit. L'Harmattan-ACCT, 1980, p. 30.
(25) A. Emmanuel : Technologie appropriée ou technologie
sous-développée. Edit. P.U.f. 1981, p. 189.
(26) G. Denis:
a) L'Algérie à la recherche de son indépendance : nationalisation et industrialisation, in « L'Afrique de l'indépendance politique à l'indépendance économique l>, Edit. François Maspéro.
b) « Les industries industrialisantes et les options algériennes l> in Revue Tiers-Monde, n. 47, Juillet-Septembre 1979.
(27) Oua: Plan de Lagos pour le développement économique
de l'Afrique, 1980-2000.
Cea : Un programme pour la décennie du développement industriel, New-York, 1983, ID-287.
(28) Cea-Oua-Onudi : Un programme pour la décennie du développement industriel de l'Mrique. Nations Unies, New-York
1983, ID-287.
(29) Cea-Oua-Onudi : op. cit. p. 117.
Par ailleurs, avec une clarté rare dans un document de l'ONU,
il est porté justement une évaluation radicale de l'I.S.1. qui devient une lourde charge avec l'épuisement rapide des devises
étrangères disponibles.
(30) Le Plan de Lagos avait prévu une dizaine d'objectifs
pour atteindre l'autosuffisance alimentaire et le fonctionnement
d'une agriculture efficiente.
(31) La CEAO (Communauté Economique de l'Afrique de
l'Ouest) a fait d'intéressants travaux sur l'industrie du mil.
(32) Les économies sur les importations peuvent être énormes
et permettre le financement ou le remboursement des prêts contractés pour monter ces industries de transformation. Pour le blé
229
par exemple, les simples accroissements de la demande ont été
de 26 % entre 1970-1978 en valeur. L'investissement annuel de
transformation des céréales d'importation est de 221 millions de
dollars en Afrique (1978).
(33) De même, cette industrie est créatrice d'emplois; le rapport de l'ONUDI établit que :
- une boulangerie de dimension moyenne 340 kg-24 hemploie 2 ingénieurs et 44 ouvriers qualifiés;
- une usine de jus d'orange de 800 kg (en 8 h) : 5 ingénieurs
et 10 ouvriers qualifiés;
- une usine de transformation de lait d'une capacité de 6.000
litres en 6 heures : 3 ingénieurs et 1 ouvrier qualifié.
(34) Cea-Oua-Unido : Op. cit. p. 134.
(35) Pierre Chauleur : L'Afrique industrielle, p. 125. Edit.
Maison neuve et Larose, 1979, 337 p.
(36) Pierre Chauleur : Op. cit. p. 161.
(37) Il faut dire que la dotation africaine est particulièrement
importante pour le phosphate (47,2 milliards de tonnes soit 70 %
des réserves mondiales). Ce sont les engrais qu'il faut développer
prioritairement.
(38) Ph. Engelhard et Dr I. Lo ont réalisé des recherches dignes d'intérêt sur la question dans le cadre d'ENDA-Tiers-Monde.
(39) Eugène Staley et R. Morse: « La petite industrie moderne et le développement» T. 1, Editions « Tendances Actuelles ",
p. 57.
(40) E. Staley et R. Morse: « La PMI et le développement"
tome 2, Edition « Tendances actuelles ». 216.
(41) Sur ce point. Kennedy et Thirwell (1972) affirment que
depuis l'origine du changement technologique jusqu'à l'application commerciale, il n'apparaît pas que les grandes entreprises
ou les industries monopolistiques soient nécessairement plus dynamiques ou progressives, ou produisent des changements technologiques fondamentaux. Dans le même sens, Alexis Jacquemin
observe en conclusion générale l'absence d'effets positifs de la
taille sur la profitabilité, sur la croissance et sur la recherche
industrielle.
(42) S. Zampetti : La sous-traitance industrielle internationale et les pays en voie de développement. Revue « Reflets et
Perspectives» n. 1, 1973.
La sous-traitance surtout internationale a permis l'industrialisation rapide et profonde de certains pays d'Asie, et a même
favorisé au Japon la création d'une structure de coûts de production extrêmement compétitifs.
(43) René Gendarme : « L'industrialisation des PVD a-t-elle
toujours été bien comprise? Réflexions à propos de quelques
expériences méditerranéennes ". Revue « Monde en Développement» n. 2, 1973.
(44) G. Destanne de Bernis: Définit les industries industrialisantes comme « celles dont la fonction économique fondamentale est d'entraîner dans leur environnement localisé et daté un
noircissement systématique de la matrice inter-industrielle et des
fonctions de production grâce à la mise à la disposition de l'entière économie d'ensembles nouveaux de machines qui accrois-
230
sent la productivité du travail, entraîne la restructuration économique et sociale, de l'ensemble considéré en même temps qu'une
transformation des fonctions de comportement au sein de cet
ensemble ». Revue Tiers-Monde, n. 47, 1971.
(45) Lénine: Oeuvres choisies. Edit. de Moscou, t. 29, p. 425.
(46) A. Emmanuel: Technologie appropriée ou technologie
sous-développée, pp. 54-55 PUF, 1981, 167 p.
(47) Le plus inquiétant, c'est l'évolution rapide de l'endettement au rythme annuel de 20 % avec des taux d'intérêts usuriers
dus au recours de plus en plus grand au système bancaire privé.
Les prêts publics et des organisations internationales ont baissé
de 61 à moins de 50 %. Ainsi de 1970 à 1979, la dette Globale est
passée selon les estimations de la Banque Mondiale de 114 milliards de dollars à 369 et selon le Comité d'Aide au Développe.
ment de 119 milliards à 388.
(48) On peut observer, avec Angelopoulos, que de 1973 à 1980,
les pays sous-développés non pétroliers ont emprunté environ 332
milliards de dollars et ont dû payer pour le service de cette dette
338 milliards soit 6 milliards de plus. Cette situation dans laquelle
les pays empruntent pour payer leur dette est grave car ils se
trouvent alors dans un système totalement stérile et sans issue.
Ainsi, les créanciers se feront des jeux d'écriture favorables et
les débiteurs ne pourront jamais liquider leur dette. Belle mécanique bloquée, qui conduira tôt ou tard à une table de négociation.
(49) L'endettement des pays socialistes est aussi caractéristique : la dette globale de ces pays a évolué comme suit :
1971: 8.357 millions de dollars.
1973 : 14.965 millions de dollars.
1976 : 47.661 millions de dollars.
1979 : 77.130 millions de dollars.
En moins de 10 ans, les crédits ont été multipliés presque
par 10 alors qu'ils ne l'ont été pour le même délai, que par 5,
pour les Pays du Tiers-Monde. Dans ce groupe de pays, fendette·
ment est passé de 97 milliards de dollars à 425 milliards. Pourtant, on a paniqué pour les pays socialistes que dans ,le cas polonais : plus pour des raisons politiques que pour des problèmes
strictement économiques.
(50) Les plus endettés en dernière analyse, sont bel et bien
les Etats capitalistes développés, ce qui fait dire que les riches
vivent de crédit. En prenant le cas des Etats-Unis, on peut observer que les prêts contractés par les entreprises, les collectivités
locales et les Etats sont passés de 3.000 à 5.000 miHiards de dol·
lars avec des déficits budgétaires qui 'Varient entre 150 et 250
milliards de dollars.
(51) Moustapha Kassé : Ordre économique communautaire :
une nouvelle stratégie du développement. CREA, 1983, 231 p.
(52) Club de Dakar : Communications et rapports de la Se
Assemblée générale :
- Pascal Lissouba : Développement et identité culturelle
(communication).
- Yoshimori : développement et identité cultureHe (communication).
231
(53) A. Emmanuel : Op. cit. p. 34.
(54) De ce point de vue, l'expérience japonaise est très édi·
fiante. Elle montre l'incidence de la technologie occidentale
importée sur la culture. Le Professeur Yoshimori note que « même si on assimile au Japon les technologies occidentales, c'est
par le biais de l'âme japonaise. C'est ainsi que l'âme japonaise et
la technologie occidentale étaient devenues une espèce de slogan
pour les japonais... Les japonais ont plutôt absorbé les autres
civilisations pour les assimiler avec leur propre civilisation. Donc
les japonais n'ont pas cette attitude qu'on peut qualifier d'ethnocentrique qu'ont manifestée les Chinois au moment de leur rencontre avec les occidentaux. Même aujourd'hui, Iles japonais sont
fiers de leur civilisation, de leur acquis économique et culturel,
mais la modestie est considérée comme 1'attitude la plus importante.
(55) Roger Garaudy : Le marxisme du XXe siècle. Collection
1().18, pp. 30 à 31.
(56) Pierre Judet : Les transferts technologiques. Revue des
Echanges, n. 155.
Cet auteur, comme d'autres, dénonce le modèle technologique
déformant et le mimétisme découlant des systèmes de formation.
Ainsi, il affirme que « la marche forcée vers la chimisation et la
motorisation conduirait à des catastrophes ». L'obstacle, le vrai,
à vaincre est la misère et la famine.
(57) Dimitri Germidis : Le transfert de technologie : une
question controversée. Revue Tiers-Monde, n. 65, Janv.-Mars 1976.
(58) Michel Richonnier : «Les nouvelles technologies : une
réponse à la crise ». Problèmes Economiques, n. 1819, 13 avril
1983.
(59) Ainsi la bioconversion permettra une récupération et une
ventilisation systématique des déchets; la microbiologie permettra une fixation de l'azote ce qui va faire baisser le recours à
l'engrais et la génétique mettra au point de nouvelles variétés
végétales et animales plus productives.
(60) Académie des Sciences de l'URSS : «Les fonctions sociales de la Science ». Revue Sociale, n. 4, 1982.
(61) De ce point de vue, Ivan IHich observe que « I.es étudiants
ont perdu leur foi et leur respect dans l'institutIOn... L'Université
doit les aider à formuler d'une façon cohérente et rationnelle
l'angoisse qu'ils éprouvent ».
(62) Moustapha Kassé : «l'élite du pouvoir au Sénégal: mécanisme de génération et système de promotion» Club « Nation
et Développement », 1983.
(63) Jean Ziegler : Le pouvoir africain. Edit. du Seuil, Collection Point, p. 24.
(64) Olivier Pastré : «Une issue à la crise : le contrôle des
mutations technologiques", Problèmes Economiques, n. 1828.
Pierre Salama dans «Le Procès du Sous-Développement»
(Cahier d'Economie Politique, 1972) observe que les objectifs du
choix sont au nombre de deux: on choisit la technique qui maximise la production du secteur des biens de consommation et l'absorption de l'emploi; on choisit la technique qui maximise le
sunplus obtenu dans le secteur des biens de consommation. En
232
d'autres termes, le surplus initial (fonds d'accumulation) permet
le jeu de l'utilisation d'une technique plus capitaliste.
(65) Pierre Paganiol : L'effort scientifique et technique. Club
de Dakar, Oct. 1982.
(66) Moustapha Kassé ; Réflexion sur quelques éléments
d'approche de la crise actuelle de _l'économie mondiale. Annales
Africaines, 1974, Edit. Pédone.
(67) G. Haberler : The Redevance of Classical TheOI'Y Onder
modern conditions. American Economic Review, May 54.
(68) Christian Palloix : Problèmes de la croissance en économie ouverte. Edit. François Maspéro, p. 61.
(69) Paul Samuelson: L'économique, Tome 2, Collection U.
Edit. Armand Colin.
(70) Moustapha Kassé : Modification de la division interna·
tionale et recherche d'un ordre économique et social équitable
pour le Tiers-Monde.
(71) M.E. Benissad : « Indépendance économique et division
internationale du travail avec référence à l'Afrique ». Revue Al·
gérienne, vol. XV, n. 2, juin 1978.
(72) Ignacy Sachs: «Pour une économie politique du développement », p. 52. Edit. Flammarion, Paris 1977.
(73) Benissad M.E. : Le nouvel ordre international d'après
le Tiers-Monde. Revue Algérienne des Sciences juridiques et économiques, vol. XVII, n. 2, juin 1980, pp. 211-220.
(74) Samir Amin: Développement autocentré, autonomie collective et ordre économique international nouveau : quelques réflexions. p. 175 in l'Occident en désarroi: ruptures d'un système
économique, Edit. Dunod, Paris 1978.
(75) Ignacy Sachs : « Pour une économie politique du développement» Op. cit. page 52.
(76) Serge Christophe Kolm : La transition socialiste, la p0litique économique de gauche. Edit. Cerf., Paris 1977, p. 137.
(77) Au XXVIe Congrès du P.C.U.S., L. Brejnev déclarait
que « le P.C.U.S. continuera à appliquer de façon conséquente
une politique visant à développer la coopération de l'URSS avec
les pays libérés, à consolider l'alliance du socialisme mondial
et du mouvement de libération nationale ». Voilà une déclaration
qui doit être exploitée pour impliquer l'URSS et ses alliés du
Bloc Socialiste dans la recherche de œlations commerciales, monétaires et financières de type nouveau et dans l'arvènement d'une
autre coopération économique et d'une division du travail moins
inégalitaire.
(78) Samir Amin : Op. cit. p. 176.
L'auteur ajoute que « la stratégie extravertie est fondée sur
une relation exactement inverse : les exportations sont d'abord
poussées au maximum, exclusivement en fonction de la demande
(des Centres) et ensuite, on se pose la question de savoir comment utiliser les recettes de ces export-ations! La division internationale inégale repose sur cette stratégie ».
(79) M. E. Benissad : Le nouvel ordre économique d'après
le Tiers-Monde. Revue Algérienne, vol. XVII, n. 2, Juin 1980.
(80) Ga-Kamé Amoa : Echanges internationaux et sous déve
loppement. Edit. Antropos. IDEP, 1974.
233
SECTION II
LES INSTRUMENTS DE REALISATION
DE LA TRANSITION VERS LE SOCIALISME
La question de l'étatisme est revenue en force dans
les préoccupations théoriques des scientifiques car, contrairement aux prévisions d'Engels, l'Etat n'a pas été détruit ni rangé au « musée des antiquités à côté du rouet
et de la hache de bronze )}. Cette omniprésence explique
que l'on soit « très dur ces temps-ci avec l'Etat)} (1). Les
fonctions technico-administratives se sont partout renforcées. Cela rappelle qu'il n'y a jamais eu une quelconque autonomie de l'Etat vis-à-vis du processus de reproduction du capital. De la période de l'accumulation primitive jusqu'à la phase monopoliste, l'Etat continue
d'être un instrument d'une impérieuse nécessité et les
fonctions économiques qui lui sont aujourd'hui imparties
le renforcent encore davantage.
Dans le capitalisme contemporain, l'Etat par la ges·
tion du procès de travail, des rapports monétaires et de
crédit, par l'aménagement d'un espace interne et externe
de déploiement du capital, contribue à l'établissement de
contre-tendances à la baisse des taux de profit. De ce fait,
il devient le lieu de solution de plusieurs contradictions
de nature économique mais aussi sociale, et se voit conférer un rôle de plus en plus déterminant dans l'élaboration d'alternatives économiques et politiques ainsi que
dans la régulation du procès de travail. On cherche à faire
de lui un instrument de reproduction harmonieuse d'un
capitalisme organisé, planifié, capable de dominer ses crises majeures. Comme le montre Nicos Poulantzas, « non
seulement les fonctions politico-idéologiques de l'Etat
sont désormais subordonnées à son rôle économique,
mais les fonctions économiques sont désormais directement chargées de la reproduction de l'idéologie dominante : voir notamment le déplacement de l'idéologie dominante vers le technocratisme ou du bien-être, bref, l'idéologie de l'Etat-Providence (3). Donc l'essentiel des inter-
234
ventions de l'Etat tendrait à faire fonctionner une partie
du capital public à taux nul ou négatif pour permettre
de meilleures conditions de valorisation du capital. Sous
ce rapport, l'Etat se renforcera et contrôlera un secteur
public qui lui permettra de réaliser cette fonction équilibrante du système.
Ce renforcement de l'Etat est encore plus net dans
les· pays socialistes où, au lieu de dépérir comme on le
laissait entrevoir théoriquement, il se fortifie chaque jour
un peu plus.
L'édification du socialisme développé n'a nullement
entamé la consolidation de l'Etat. Cette étape nécessaire
sur le chemin du communisme, écrit Djangir Kerimov,
ne manque pas d'avoir une incidence sur l'objet, la structure et les fonctions de l'Etat (4). Même dans cette société où les rapports sociaux socialistes sont venus à maturité, et dans laquelle, sur la base du rapprochement de
toutes les classes et couches sociales, l'égalité de juré et
de facto de toutes les nations et ethnies est indispensable,
l'Etat s'impose comme une organisation puissante et
complexe. Ce qui explique selon D. Kerimov son poids
immense et le fait que les activités de ses multiples organes et institutions se manifestent dans les pratiques politiques, économiques et culturelles de la société, dans la
lutte des classes et dans les relations internationales.
L'Etat est à la fois l'outil des transformations des
structures productives, de réalisation de la socialisation
des rapports sociaux et de production, l'agent de modification des superstructures institutionnelles. Ces fonctions
exorbitantes font qu'il est qualifié de totalitaire et parfois de despotique. Blandine Barret se fonde sur cet aspect pour assimiler le socialisme au frère cadet du despotisme car « les formes les plus extrêmes et les plus
oppressives du pouvoir ne sont que la quintessence de
l'Etat» (5).
Pour d'autres auteurs, il s'agit d'une perversion menant vers un paternalisme étatique (6). Quelle que soit
l'opinion que l'on peut se faire sur l'Etat dans les pays
socialistes, on pourra constater que son dépérissement
n'est pas inscrit dans un horizon proche à cause des rôles
économiques et politiques qu'il joue. Il est un instrument de régulation de la vie économique, de direction et
235
de gestion du secteur socialiste qui accomplit des rôles
essentiels dans tous les processus de consolidation du socialisme et d'édification du communisme. L'ampleur de
ces tâches, à quoi il faut ajouter d'autres aussi lourdes
au plan politique et social, indique que les sociétés socialistes d'Europe vont s'accomoder pour une très longue
période d'Etats forts et omnipotents.
Au niveau des formations sous-développées, l'Etat
doit contribuer à une double tâche de réalisation ou de
consolidation de l'unité nationale précaire et de solution
du retard économique. La première tâche est d'une importance capitale. En effet, dans la plupart des vieux
pays, c'est la Nation qui a fait l'Etat qui, selon G. Burdeau, s'est lentement formé dans les esprits et les institutions unifiés par le sentiment national (7). Il en va autrement dans la quasi-totalité des formations sous-développées, anciennement colonisées, où c'est l'Etat qui doit
faire la Nation. C'est cela qui justifie l'avènement et la
consolidation des Etats bonapartistes qui se généralisent
en Afrique où les Chefs élus se voient investis de fonc·
tions magiques et messianiques et finissent par être les
sources exclusives de tous les pouvoirs.
Alors, ils se réclament d'un Etat qui n'existe pas encore et empruntent les traits d'un modèle accompli ail·
leurs. Dans cette direction, Pascal Lissouba se livre à une
critique sévère de ce placage, de la transposition sans
relais ni nuance des ces structures étatiques importées
qui deviennent des gagne-pain pour les nouveaux maîtres.
Dans ce contexte, l'Etat pourrait être une organisation de la violence d'une ethnie sur une autre au lieu
d'être un instrument de libération (8). Il en sera ainsi lorsque les tribus résistent à la détribalisation, lorsque la
pauvreté et la misère avivent les anciennes solidarités et
cohésions tribales.
Pour la seconde tâche de nature économique, elle
se résume à :
- amener toutes les transformations structurelles
qui permettent une rupture véritable avec toutes les bases de l'économie coloniale, par essence extravertie;
- instaurer une autre politique agraire plus conforme aux besoins d'une population qui connaît un mouve·
ment urbain rapide;
236
- refondre le système industriel essentiellement axé
sur les branches et techniques légères et qui n'autorise
pas une valorisation des ressources naturelles;
- créer progressivement un système économique in
tégré et diversifié, autocentré et capable d'autonomie
vis-à-vis de la division internationale inégale du travail ;
- contrôler tous les instruments monétaires et fiscaux, les institutions financières de mobilisation des ek
cédents financiers et assurer leur transformation en investissements productifs.
La réalisation de ces tâches économiques ne peut dépendre ni d'un libre jeu de forces socio-économiques privées, ni de mécanismes spontanés, ni de micro-décisions.
Elles seront principalement accomplies par l'Etat, rouage
essentiel d'une stratégie de développement économique
et social conhérente et planifiée.
Pour cela, l'Etat devra disposer d'un double appareil:
- l'un technico-économique dont la vocation principale sera d'une part d'apporter des réponses techniques
aux différentes options de politique économique socialiste et d'autre part de trouver les moyens pour réaliser
les objectifs et de fixer les délais de réalisation;
- l'autre politico-administratif qui gèrera à la fois
les hommes, les rapports sociaux et le procès de travail.
Ce sont ces deux catégories d'appareils qu'il faut analyser en même temps que le Parti et les organisations de
masses et le bras de la transition vers le socialisme.
A.) La formation d'un secteur public comme base de
l'appareil technico-économique.
Les formations sous-développées, engagées dans l'édification socialiste, doivent mettre en place toutes les
conditions infrastructurelles et superstructurelles qui
rendent possible une croissance économique rapide, régulière, harmonieuse et aux taux les plus élevés, compte
tenu des ressources disponibles. De la sorte, elies pourront combler rapidement le retard de leurs forces productives matérielles et humaines, exploiter ieurs ressour-
237
ces naturelles, améliorer le niveau de vie des masses et
faire reculer les perspectives de famine et de misère. Toutes les mesures économiques et financières doivent converger vers la réalisation de ces objectifs. Dans cette optique, l'Etat est appelé à assumer des fonctions importantes; non seulement, il doit coordonner toutes les forces en présence, mais il se voit assigner la mission d'accomplir l'essentiel du processus de croissance.
De telles fonctions ne peuvent être exercées bien entendu, que si l'Etat dispose d'un secteur public et d'un
modèle cohérent d'accumulation permettant une centralisation systématique de toutes les ressources financières,
de tous les surplus indispensables pour l'accomplissement
des tâches de financement interne du processus de croissance économique et social. En conséquence, il importe
d'analyser d'une part les voies et moyens de la constitution d'un secteur public dynamique et capable d'augmenter la valeur du capital social et de créer de nouvelles
forces productives; d'autre part, les politiques monétaires, financières et fiscales qui permettent une véritable
centralisation des ressources et leur transformation en
investissements productifs. Ce sont ces deux éléments
qui garantissent le succès des politiques économiques de
la transition.
1. -
La constitution d'un secteur public comme levier
de commande de la stratégie de développement.
Dans la stratégie de développement, l'Etat aura une
double fonction dans l'accomplissement des objectifs :
d'une part, il doit se comporter en entrepreneur collectif et exploiter certaines activités dans toutes les sphères
de la production matérielle et d'autre part, il doit être
un organe de régulation et de direction de l'économie. De
la sorte, l'Etat exploite les trois principales fonnes de
l'accumulation:
- par augmentation en valeur du capital social et
des immobilisations de capitaux dans les unités
économiques publiques;
- par création de nouvelles forces productives
238
à partir des surplus en provenance de l'agriculture ou de l'extérieur sous forme d'aide, de dons;
- par accroissement de la productivité du travail
et des forces productives existantes, par création
d'une infrastructure de base et de conditions plus
efficientes d'exploitation.
Toutes ces actions auront pour finalité, d'une part de
faire comme dit Lénine « un grand pas en avant dans le
développement des forces productives» et d'autre part,
de constituer et d'alimenter le fonds monétaire global
d'accumulation qui détermine, en dernière instance, les
possibilités futures d'une consolidation et d'un élargissement des activités productives. En définitive, par son secteur public, l'Etat contribue aux transformations des bases de l'économie, à la refonte et à l'accélération de l'industrialisation, ainsi qu'à l'utilisation de tous les acquis
de la révolution scientifique et technique.
Bien qu'il faille se garder, comme nous le montrerons
plus loin, de présenter une conception excessivement centralisée de l'accumulation, refusant de laisser jouer certains mécanismes de nature capitaliste, le secteur public,
pris comme l'ensemble des entreprises d'Etat (y compris
les entreprises mixtes) de tous les domaines (agricole, industriel, commercial, monétaire et financier) doit être la
force motrice de l'ensemble de l'économie nationale, la
base sur laquelle l'Etat doit s'appuyer pour réaliser toutes les tâches économiques et sociales.
Un tel secteur, au regard de son importance, pose
deux problèmes: le premier, lié à son contenu, soulève la
question de la nationalisation; le second concerne la place et le rôle à impartir au secteur privé.
a) Le contenu du secteur public : la problématique de
la nationalisation.
Dans des formations qui étaient régies par le pacte
colonial, où tous les secteurs décisifs de la vie économique et les principaux moyens de production étaient détenus par le capital privé, la création d'un secteur public
soulevait la problématique de la nationalisation. Trois
questions se posent auxquelles il faut apporter des ré-
239
ponses claires :
- que faut-il nationaliser? ou encore quelles sont
les unités économiques qui doivent, pour des nécessités relevant de la politique économique et de
l'accumulation productive, être sous contrôle étatique?
- comment faut-il nationaliser? ou encore quel·
les sont les formes d'indemnisation des anciens
propriétaires ?
- quelles doivent être les formes de gestion les
plus efficientes pour les unités nationalisées ?
La nationalisation s'avère être ainsi une question
complexe avec une interférence de plusieurs intérêts
contradictoires, conflictuels. En conséquence, elle doit
être rationnellement conduite. Oeuvre de longue haleine,
elle exclut toute précipitation excessive consistant à vouloir brûler les étapes et opérer une marche forcée vers la
constitution d'un vaste secteur public. Cette étatisation
accélérée débouche sur des coûts socio-économiques excessifs, détruit l'équilibre des échanges, jette les bases
d'une bureaucratie socialement paralysante et techniquement inefficiente. C'est pourquoi des réponses nettes doivent être apportées aux questions portant sur:
- les objectifs de la nationalisation;
- les entreprises concernées et leur forme de
gestion.
La nationalisation peut procéder de raisons strictement économiques ou de simples nécessités de la politique de développement poursuivie. De l'expérience accumulée par les pays en développement, il ressort que les
secteurs nationalisés sont presque toujours des secteurs
vitaux dans le processus de production et qu'ils ont ou
peuvent avoir des effets d'entraînement sur l'activité économique ou une incidence sur la valorisation des produits
de base. La nationalisation devrait alors donner à l'Etat
un moyen supplémentaire d'insuffler un dynamisme nouveau au reste de l'économie nationale ou alors de contrôler et d'utiliser à d'autres fins productives des surplus
initialement accaparés par des personnes privées.
Cette logique ne doit pas entraîner une nationalisation précipitée et importante induisant une monopolisation excessive par l'Etat de tâches économiques pour les-
240
quelles il ne dispose pas de moyens techniques et humains
de réalisation. L'exercice de tâches économiques exorbitantes entraîne toujours des conséquences économiquement et socialement désastreuses.
La première est l'apparition à côté de l'économie officielle de fonctions clandestines sous forme d'échanges incontrôlés, de trafic et de marché noir. De telles fonctions
révèlent la constitution d'un monde économique parallèle,
rentrant ouvertement en contradiction avec les orientations de la politique économique officielle et ayant beaucoup de chance de succès. Il se produit alors, à côté de
la représentation officielle, un monde économique non
contrôlé ayant son fonctionnement, ses lois propres et
respirant à pleins poumons. Un tel univers économique
prend sa source dans le caractère irréaliste de certaines
décisions, dans la rigidité de certains statuts juridiques
prématurément octroyés et dans une conception volontariste du Plan. Les fonctions issues de ces mécanismes particuliers pervertissent la politique économique étatique.
Face aux nombreuses difficultés de tous ordres pouvant
résulter de cette situation, l'Etat peut être amené à développer un important système répressif lourd de conséquences. Dès lors, en matière de nationalisation, toute disproportion, entre pouvoirs revendiqués et assumés et la
capacité effective d'exercer ces pouvoirs, entraîne à terme
un échec de la politique économique globale (9).
La seconde conséquence d'une politique de nationalisation outrancière réside dans le développement disproportionné d'une lourde bureaucratie qui vient s'ajouter
aux effectifs pléthoriques de fonctionnaires. Il en résultera en premier lieu l'inefficacité des centres de décision et
en second lieu l'aggravation de la crise permanente des
finances publiques. Cette crise sera perçue à travers le déséquilibre entre le budget de fonctionnement et le budget d'équipement. La fonction publique finit par absorber
une bonne part des faibles surplus, compromettant ainsi
le financement interne des investissements productifs.
Les revenus distribués peuvent être à la base de la création d'une demande additionnelle; seulement, dans la situation d'inélasticité de l'appareil de production, donc de
l'offre de biens, cela ne peut qu'engendrer un processus
inflationniste perturbateur dans la mesure où l'équilibre
241
se rétablit par hausses successives des prix. Une seconde
alternative de résorption de la demande additionnelle réside dans l'augmentation des importations. Cet accroissement accentue le déficit de la balance commerciale.
Sur un autre plan, le développement de la bureaucratie fait écran au contrôle effectif des travailleurs sur les
instruments de production. Les pouvoirs conférés de
droit aux travailleurs ont tendance à être usurpés par
l'important appareil administratif, plaçant ainsi les autorités de la transition dans une réelle fiction juridique. En
effet, cette bureaucratie souvent non officiellement reconnue, puisque ne possédant pas de statut juridique clairement délimité dans la représentation officielle, finit par
occuper la place dévolue de droit aux producteurs directs.
Cette usurpation de fonction établit le lien avec la
question concernant les formes de gestion de secteur public. Le socialisme postule la nécessité d'une gestion démocratique dans laquelle les travailleurs doivent participer au contrôle direct et effectif des moyens de réalisation et de travail. La transition doit trouver les voies et
moyens de réalisation de cet objectif. Bien souvent, il est
octroyé aux travailleurs un ensemble de pouvoirs, mais
ceux-ci s'avèrent très vite fictifs dans la mesure où ces
travailleurs sont dans l'impossibilité réelle de les exercer.
C'est le cas notamment lorsque, dans la formation sociale en transition, l'on proclame la réalisation de la gestion
ouvrière alors même que les ouvriers sont dans l'incapacité matérielle et intellectuelle de l'assumer. Il se développe dans une pareille situation une bureaucratie qui va
gérer effectivement au nom de la classe ouvrière les
moyens de production. De fait, le mot d'ordre se transforme en son contraire. Car rien ne garantit que cette bureaucratie respecte en priorité les intérêts majeurs de la
classe ouvrière et contribue à la réunion de conditions
nécessaires pour une véritable gestion démocratique. Cela
d'autant plus que la bureaucratie, dans la transition, n'est
pas toujours le reflet des aspirations d'autres forces sociales ; elle a ses propres intérêts dont elle a une claire
conscience et dont elle prend énergiquement et efficacement la défense. C'est dire que le réalisme qui doit guider
la politique de nationalisation devra prévaloir dans la recherche des formes adéquates de gestion.
242
Une fois cette question de la nationalisation réglée, il
faut passer à une autre qui lui est connexe: celle de la
place et des fonctions à impartir au secteur privé.
b) Place et fonctions de l'initiative individuelle et du
secteur privé.
Généralement la création et l'élargissement du secteur
public contribuent à rétrécir la sphère d'activité de l'initiative individuelle et du secteur privé. Cependant, si le
secteur public est un instrument pour la transformation
des structures socio-économiques et l'accumulation productive, le capital privé doit aussi être utilisé dans l'intérêt du développement économique. Comme l'observait
Lénine, « pour passer au socialisme, objectif primordial
de l'orientation socialiste, il ne suffit pas de socialiser les
moyens de production, il faut faire un grand pas en avant
dans le développement des forces productives» (10). Pour
ce faire, le secteur public doit coopérer avec le capital privé national et étranger, la petite production marchande
afin d'élever le niveau des forces productives matérielles
et humaines. Il s'agit alors de créer les conditions techniques d'une étroite coexistence des deux secteurs.
Pendant longtemps, l'initiative privée était admise
comme un mal nécessaire, elle était simplement tolérée.
L'échec de l'intervention publique massive a entraîné
l'abandon progressif du radicalisme économique qui postulait, à priori, l'incapacité des méthodes libérales à
transformer les forces productives et les bases de la société. La dénonciation de secteurs publics omnipotents et
économiquement inefficients rend aujourd'hui nécessaire
des réflexions cohérentes et ordonnées sur les perspectives de l'initiative privée et les avantages qu'elle serait
susceptible d'offrir. Incontestablement, l'entreprise privée
animée par une élite dynamique et désireuse de s'enrichir
licitement en prenant des risques calculés et en faisant
preuve d'un esprit novateur, est un instrument du développement pouvant accomplir d'importantes fonctions
motrices. Les politiques économiques de la transition
doivent aider à sa promotion (11).
Le réalisme doit alors présider à l'organisation de
relations organiques entre secteur public et secteur privé
243
national ou étranger et imposer la définition de la place
et du statut juridique de ce dernier durant toute la période de transition. On est donc renvoyé au passage obligé
de l'économie mixte dans l'édification du socialisme. La
faiblesse des capitaux nationaux disponibles, le bas niveau
technologique, l'absence de cadres techniquement compétents, l'articulation à la division internationale capitaliste
du travail de laquelle les pays reçoivent une assistance
technique, économique et financière parfois considérable, obligent à l'acceptation d'un secteur privé et à la
création d'entreprises mixtes. Autrement dit, toutes les
conditions objectives imposent l'organisation d'une économie mixte. Certains auteurs, dont Ernest Mandel, rejettent systématiquement cette possibilité. Pour lui, la
thèse de l'économie mixte se heurte à une difficulté insurmontable car de son point de vue, ou bien l'ampleur des
nationalisations est réduite et l'économie n'est pas vraiment mixte du tout mais foncièrement capitaliste, ou
bien la nationalisation est considérable et la menace de
nationalisation reste suspendue sur les autres secteurs,
alors l'économie ne fonctionne plus de manière satisfaisante. Les arguments ainsi avancés pêchent par excès de
radicalisme. En effet, il importe de rappeler que la nationalisation n'est pas un objectif en soi, mais simplement un moyen; en conséquence, elle doit viser des buts
précis, concerner des secteurs déterminés et se réaliser
dans des conditions données souvent avec une indemnisation des anciens propriétaires. En clair, la nationalisation
ne doit intervenir que si elle fait avancer la politique économique et si l'Etat dispose de tous les moyens pour
faire fonctionner mieux que les anciens propriétaires, les
unités nationalisées. Donc dans la situation présente, le
privé reste encore indispensable dans beaucoup de domaines. Par ailleurs, l'Etat ne possède pas encore d'alternative à l'initiative privée dans certaines sphères de la production.
Dans cette direction, le Dr Kwamé Nkrumah note
qu'il existe « des cas dans lesquels l'importation des capitaux étrangers rapporte au pays qui importe. C'est celui surtout du jeune Etat qui cherche à se développer;
ces capitaux étrangers sont utiles et rendent de grands
services» (12).
24-1
Or, une telle situation pourrait être celle de n'importe laquelle des formations sous-développées.
Bachir Boumaza est lui aussi explicite quand il observe que «le manque de cadres impose la survivance
d'un secteur d'activité fondé sur la propriété privée des
moyens de production et sur le rôle moteur du profit»
(13). Dans la même ligne de pensée, Idrissa Diarra observe
que les relations avec le secteur privé doivent être placées
sous le signe de la prudence et qu'en voulant l'éliminer,
«on risque de gêner les conditions d'un développement
de notre économie socialiste, soit en nous coupant de
leurs sources les mieux adaptées, soit en élevant le prix
de nos importations. En réalité, il se fut davantage agi
d'une aventure que d'un acte politique conscient» (14).
Il ajoute plus clairement encore que «nous avons conscience que le secteur privé étranger a un rôle à jouer, important et réel pour nous et intéressant pour lui, durant
cette période ».
Toutes ces opinions de décideurs confrontés aux
problèmes d'édification d'une voie non capitaliste de développement s'accordant pour reconnaître l'impérieuse
nécessité de coopérer avec un secteur privé et de s'accommoder, pour un moment, des mécanismes capitalistes. Ce
pendant, il est aussi admis que les initiatives privées seront contrôlées pour qu'elles ne deviennent point les options de base. La coopération doit être mutuellement
avantageuse c'est-à-dire qu'il est attendu du secteur privé
qu'il contribue à l'élargissement des capacités de production, à la valorisation de certaines ressources, à la résorption du sous-emploi. En retour, l'Etat doit lui assurer les
conditions de réalisation du profit, un maximum de garantie et de sécurité pour son fonctionnement et son épanouissement.
C'est dans ces conditions que doit s'organiser une
économie mixte qui associe tous les acteurs du jeu économique. Cet esprit de compromis dynamique dicte souvent l'attitude à adopter en matière de nationalisation
ainsi que les formes de l'indemnisation qui doivent refléter à la fois la volonté publique de coopération avec le
capital privé et celle de trouver des solutions non conflictuelles aux problèmes qui en découlent. Il importe de
rappeler qu'à une étape de transition, Lénine insistait sur
245
« la nécessité ...de recourir, pour les problèmes essentiels
de la construction économique, aux méthodes d'action
« réformistes », graduelles, faites de prudence et de détours» (15). La tentation de brûler des étapes, d'appliquer
une politique de forçage économique comporte toujours
de sérieux préjudice pour l'économie dont les bases restent encore très fragiles (16).
Tout cela confirme que la nationalisation est une
opération extrêmement complexe et délicate à cause des
dimensions politique, économique et sociale qu'elle revêt
et aussi des incidences qu'elle peut avoir sur le succès des
politiques économiques. Pour toutes ces raisons, elle
n'obéit à aucune règle rigide et par ailleurs, sa réalisation doit respecter un certain étapisme qui éviterait aux
responsables des erreurs qui peuvent être fatales. En effet, dans la transition, toute politique erronée de nationalisation retarde la réalisation des objectifs socio-économiques progressistes d'exploitation rationnelle de toutes les ressources nationales, d'accroissement soutenu de
la production des biens et services, d'amélioration des
conditions de vie et de travail des masses laborieuses.
Dans beaucoup de pays en transition, l'Etat avait confisqué toutes les «hauteurs dominantes» de l'économie
sous prétexte qu'il est le principal architecte de l'édification du socialisme. Ainsi, se sont constitués de vastes secteurs publics mal gérés et dans l'ensemble déficitaires
entrainant la ruine des finances publiques. Aujourd'hui,
on découvre partout les méfaits de cette étatisation excessive et l'on assimile que le socialisme n'est pas impérativement la propriété publique. L'inefficacité des entreprises publiques, l'ampleur de leur déficit (et des subventions) ont amené les Etats à se désengager dans beaucoup
de domaines d'activités et à démanteler leurs secteurs en
bradant les unités économiques qui les composent. La
grande leçon à tirer réside dans le fait « que pousser un
système historique de rapports de production jusqu'à sa
forme logiquement achevée n'est pas dans tous les contextes politiques et socio-économiques la meilleure condition d'un développement accéléré des forces productives » (17). La NEP en a été une parfaite illustration.
Ces analyses nous édifient sur la nécessité d'exclure
toute absolutisation des aspects positifs et négatifs _d1,1
246
secteur public. Celui-ci doit être ramené au rang d'instrument et de moyen à côté de bien d'autres, pour réaliser les objectifs des politiques de développement et surmonter le retard économique. Bien sûr, à une étape déterminée, si les conditions sont réunies, toute la production sociale doit se dérouler principalement dans le cadre
du secteur public. Dans ce contexte, le développement des
forces productives aura des traits différents et les éléments de spontanéité seront définitivement remplacés par
la planification.
Une fois déterminé le contenu du secteur public,
l'Etat devra fixer aussi les lignes directrices de sa politique d'accumulation.
II. -
Les autres aspects de la politique d'accumulation.
La transition devrait être une période de forte croissance économique, de valorisation des ressources naturelles disponibles, d'exploitation de toutes les occasions d'investissements productifs. C'est aussi une période de mise
en place d'une vaste infrastructure matérielle de base
qu'accompagne nécessairement le développement à large
échelle des forces productives. Ces opérations indiquent
l'ampleur des besoins financiers à une période caractérisée par la restriction des crédits, un dérèglement du fonctionnement des institutions financières internationales et
des canaux traditionnels de crédit. Les Etats doivent alors
compter principalement sur leurs ressources internes
pour le financement de leur développement. Pour ce faire,
il importe de définir une politique conséquente et cohérente d'accumulation. Cette politique interne devrait s'organiser autour de trois actions qui porteraient d'abord
sur les surplus générés dans les processus de production,
ensuite sur le contrôle des divers transferts vers l'exté·
rieur et enfin sur les instruments monétaires et financiers.
a) La mobilisation des surplus pour le financement
du développement.
Dans les formations en transition, où l'Etat contrôle
247
une partie des instruments de production et d'échange,
les surplus qui forment le fonds d'accumulation ont quatre sources essentielles:
- ceux qui proviennent des unités économiques
du secteur public par suite d'un élargissement du
capital social, d'une réduction des faux frais,
d'une élevation de la production;
- ceux provenant du secteur agricole où les coûts
de reproduction de la force du travail demeurent
faibles;
- ceux provenant de l'aide étrangère;
- ceux provenant des gains nets de productivité
non récupérés par le mouvement syndical.
A y regarder de près, on s'aperçoit que les domaines
d'action pour élargir la base du surplus sont étendus;
dès lors, la problématique de l'accumulation ne se réduit
pas à une question de volume mais de mobilisation et
d'utilisation. Si la théorie économique courante ne permet
pas de saisir clairement cette question de génération et
d'absorption des surplus, c'est bien parce qu'elle la formule très mal en terme de simple fonction keynésienne
d'épargne. En effet, à partir de l'idée que les revenus sont
faibles dans les pays sous-développés, on déduit que
l'épargne est nulle ou alors extrêmement réduite. On s'interdit de fait tout effort de mobilisation de l'épargne.
Cependant, la problématique doit être posée en terme de
processus de génération des revenus et de leur utilisation
pour mieux cerner les bases de formation des surplus.
Dans cette optique, beaucoup de recherches établissent
que même dans les formations sociales les plus pauvres,
les surplus sont loin d'être négligeables. Ils sont mal mobilisés par un système bancaire inapproprié et très mal
utilisés dans le financement du développement et de la
croissance.
Dans cette ligne de réflexion, Paul Baran analyse les
parties du surplus perdues pour le fonds d'accumulation
productive. Il observe que le surplus économique dans les
formations sous-développées pourrait effectivement être
peu important en valeur absolue si on le compare à celui
des pays capitalistes avancés, mais il constitue une part
appréciable de la production globale de ces formations
sociales. Dès lors, le problème qui se pose est celui des
248
pertes (ou des fuites de surplus) pour le fonds d'accumulation productive. Celles-ci sont au nombre de quatre :
- la part du surplus agricole accaparée par les
propriétaires fonciers notamment dans les pays
où domine le grand domaine. L'agriculture constitue dans les formations sous-développées le secteur le plus important; pourtant, le surplus qui
s'y forme n'est pas utilisé pour accroître et améliorer l'équipement productif, mais il est détourné
vers des fins de consommations improductives
des classes parasitaires ;
- la part du surplus accaparée par les usuriers
et divers commerçants évoluant dans les zones
rurales. Là aussi, l'emploi est hautement improductif dans la mesure où les fonds accumulés
s'orientent vers les canaux de la spéculation, notamment foncière, dans les centres urbains;
- la part du surplus draînée à l'extérieur par les
diverses sociétés étrangères sous la forme de rapatriement des profits, de paiement d'intérêts et
d'exportation de capitaux.
L'importance de tels flux dépend du niveau des activités exportatrices, donc du degré d'insertion de la formation dans le processus productif mondial;
-la part du surplus captée par la bourgeoisie nationale et la bureaucratie d'Etat. Ces surplus servent à entretenir une consommation somptuaire de biens importés.
A ces diverses formes inutilisées du surplus s'ajoute
celle propre au surplus potentiel qui proviendrait de la
résenre de travail non employée par suite du sous-emploi
caractéristique des campagnes. Paul Baran observe dans
ce sens que « la productivité marginale des paysans est
tellement faible que le départ de l'agriculture d'une partie non négligeable de la population agricole n'entraînerait pas une diminution considérable de la production
agricole» (l8). Une mise au travail de ces chômeurs déguisés contribuerait sans conteste à augmenter le surplus effectif.
En résumant les emplois du surplus, on trouve principalement les consommations improductives de toute nature, les gaspillages et les reflux financiers vers le centre
de l'Economie mondiale. En conséquence, une politique
249
adéquate d'accumulation devrait remettre en question le
modèle de consommation et les gaspillages de toutes sortes (publics et parapublics).
Le modèle de consommation impliqué est celui qui
est imposé de l'extérieur par le système mondial, qui façonne, par divers moyens de publicité, de distribution
et de commercialisation, la consommation des minorités
fortunées.
Ces dernières, par effet conjugué de démonstration
et d'imitation, transmettent leurs normes de consommation aux couches sociales immédiatement inférieures. Ainsi se diffuse et s'amplifie la demande de biens importés
qui alourdit le déficit de la balance commerciale.
Sans proposer « un socialisme de la misère », la transition ne peut indéfiniment s'accomoder d'une reconduction pure et simple des formes de consommation improductives qui constituent un gaspillage de ressources rares. Elle doit être rigoureuse et limiter les consommations
de luxe de la bourgeoisie nationale et de l'élite du pouvoir (19).
En même temps, elle doit imposer un autre modèle
de consommation beaucoup plus conforme aux possibilités économiques et financières du pays. C'est là un premier axe de la politique d'accumulation. L'action sur la
consommation peut être menée à partir des moyens de la
fiscalité indirecte ou d'un contrôle systématique de certaines importations. Cette action doit être complétée par
une politique systématique d'austérité affectant toutes les
couches de la nation ainsi que l'Etat. Pour un pays disposant de très peu de ressources financières, la construction de lendemains meilleurs exige des sacrifices présentement. Dans ce cas, l'Etat doit donner l'exemple en refusant de satisfaire les appétits de luxe des couches dirigeantes et en réduisant son train de vie. Cette austérité
ne doit pas être gérée par décret. Il faut qu'elle soit expliquée et acceptée sans aucune contrainte majeure par les
populations. Ce rôle de persuasion incombe principalement aux organisations politiques et syndicales.
b) L'organisation et le contrôle.
Le second axe de la politique d'accumulation réside
dans le contrôle des transferts financiers.
250
Une action administrative de réglementation des
transferts peut être envisagée bien qu'elle puisse constituer un point de conflit avec le secteur privé étranger.
L'action la plus discrète reste la manipulation monétaire.
En effet, un système d'inconvertibilité monétaire, accouplé d'une surveillance par la Banque Centrale des divers
mouvements de fonds peuvent apparaître comme des mécanismes plus souples pouvant pennettre un contrôle des
transferts financiers réalisés par les sociétés étrangères
ou par leurs filiales locales.
Toutes ces mesures doivent être accompagnées par
une exploitation rationnelle des reflux financiers sous
forme d'aide, de dons et de prêts.
L'aide extérieure a été décriée ces dernières années,
mais il s'agit en réalité d'une bataille d'arrière-garde théoriquement et pratiquement très mal fondée car aucun
pays au monde ne s'est passé de l'aide à un moment où à
un autre de son développement.
Dans cette optique, les formations en transition doi·
vent exploiter toutes les opportunités offertes jusque y
compris par la compétition ouverte entre les deux systèmes sociaux hégémoniques. Elles doivent surtout exiger
l'accomplissement par les pays socialistes de leur devoir
de solidarité internationale.
Cependant, quel que soit le volume de l'apport extérieur, il ne peut nullement se substituer à l'effort interne
d'accumulation. Si les Etats ont eu des désillusions profondes en matière d'aide internationale, c'est précisément parce qu'ils attendaient que l'extérieur finance principalement leurs projets de développement économique
et social.
D'une façon générale, les moyens financiers mobilisés
sur le plan interne et externe doivent faire l'objet d'une
répartition harmonieuse entre les principales fonnes d'investissement pour la création et l'amélioration des
moyens de production, l'amélioration de la force du travail et le financement des transfonnations institutionnelles.
251
B.) Les aspects spécifiquement monétaires de L'accu-
mulation.
L'aspect monétaire de la politique d'accumulation re·
vêt une grande importance dans la mesure où la politique
monétaire est une source de financement du développement mais elle peut être aussi l'origine de graves perturbations et déséquilibres macroéconomiques.
La politique monétaire suppose l'exercice de la souveraineté monétaire mais surtout le contrôle du système
bancaire et de crédit. A ce niveau d'ailleurs, la transition
ne peut s'arrêter à la simple nationalisation du système
bancaire et de crédit au titre des secteurs-clefs de la vie
économique. Elle doit opérer une spécialisation assez
poussée des établissements ayant une vocation financière. De telles actions permettront l'élaboration d'une politique monétaire au service du financement du développement, laquelle ne saurait exclure l'utilisation du processus
inflationniste contrôlé.
En effet, l'inflation est toujours présentée comme un
phénomène ruineux et perturbateur et contre lequel il
faut se prémunir; mais on oublie dans ces considérations
théoriques de dire que cela n'est valable que dans un système libéral où l'Etat ne possède aucun moyen sérieux
de contrôle direct des principaux mécanismes économiques.
Dans une formation sociale planifiée où l'Etat dispose de leviers technico-économiques et d'un contrôle sur
le système productif, l'inflation peut bel et bien être utilisée comme moyen de financer les opérations productives. Les réflexions théoriques de M. E. Benissad (20) ap·
portent, de ce point de vue, des preuves évidentes et des
éclairages nouveaux, même dans des économies que l'on
peut qualifier de semi-libérale. Examinons de près le modèle de raisonnement proposé qui repose sur cinq hypothèses de travail :
La première hypothèse est l'existence d'une pénurie
d'épargne au regard des besoins d'accumulation de capital. Cette hypothèse est caractéristique de la situation
actuelle des formations sous-développées où les salariés
ont une forte propension à consommer et où les titulaires de hauts revenus ont tendance à ajuster leur consom-
252
mation sur celle des pays développés si bien que le volume d'épargne disponible est relativement faible (21).
La deuxième hypothèse porte sur l'existence d'une
classe d'entrepreneurs publics ou privés dynamiques, capables de saisir les diverses occasions d'investissement
qui peuvent se présenter et de profiter d'éventuelles hausses des prix.
La troisième hypothèse concerne l'existence d'une
illusion monétaire dont seraient victimes les salariés qui
se trouvent de fait dans l'impossibilité d'élever le niveau
de leur salaire réel en l'absence d'une hausse de la productivité du travail (22).
La quatrième hypothèse est l'existence d'une économie ouverte caractérisée par une diminution ou une stagnation du secteur d'exportation « par suite de la faiblesse
des élasticités-prix et revenu de la demande internationale ». E. Benissad utilise cette hypothèse d'une limitation effective des importations pour placer l'économie
dans une situation de pénurie sans recours à l'achat de
biens importés.
La cinquième hypothèse est l'existence d'un système
protectionniste qui éviterait aux entrepreneurs nationaux
le risque d'une concurrence inégale de l'étranger.
A ces cinq hypothèses pourrait s'ajouter une sixième
qui serait le respect strict des règles rigides de l'étalon-or
qui fixent des limites étroites aux variations des prix.
Dans une économie réunissant de telles conditions,
tout accroissement de la masse monétaire décidé par
l'Etat déclenche un processus d'inflation opérant une
redistribution du revenu national en faveur de la classe
des entrepreneurs nationaux.
En effet, il se crée à partir des moyens supplémentaires de paiement, une demande additionnelle qui ne peut
être résorbée que par un accroissement des prix, étant
donné la réglementation rigoureuse des importations.
Cette demande serait révélatrice d'une situation de pénurie que les entrepreneurs nationaux, disposant d'une situation de monopole, ont intérêt à exploiter.
Alors l'inflation augmente l'épargne des classes qui
ont une propension à l'épargne élevée. De fait. la rigidité
de l'offre de capitaux qui était formulée dans la première
hypothèse est levée et le financement du développement
253
est rendu possible. En effet, le modèle de consommation
étant fini et contrôlé, les entrepreneurs se trouvent dans
l'obligation d'investir leur épargne en vue d'accroître le
niveau des forces productives et satisfaire la demande intérieure.
Le processus d'expansion ainsi déclenché peut aboutir à une correction des inégalités et amoindrir le coût social du processus inflationniste.
On s'aperçoit que, dans le cadre tracé, l'inflation n'est
pas stérile et perturbatrice de l'équilibre. Au contraire,
elle a permis de libérer les ressources qui bloquaient le
financement du développement.
Toutes les hypothèses de travail mentionnées représentent les formes d'action de l'Etat dans le cadre de sa
politique économique. Il s'agit pour l'essentiel d'abord
d'assurer une indépendance monétaire réelle, ensuite de
prendre des mesures adéquates de contrôle systématique
des relations extérieures tant au plan des importations
qu'à celui des exportations et enfin de convaincre la classe ouvrière que l'élevation du salaire réel est au prix
d'une amélioration de la productivité.
Ce sont là des mesures courantes, des tâches économiques et politiques permanentes. Il restera alors les problèmes liés à l'existence d'une classe dynamique d'entrepreneurs nationaux. Dans la transition vers le socialisme,
cette place est dévolue principalement à l'Etat. Il est question de doter celui-ci des moyens d'une gestion efficiente
de l'économie qui évitent systématiquement les travers
bureaucratiques.
Ainsi, l'inflation n'est pas inévitablement un danger
devant justifier une orthodoxie monétaire paralysante.
Au contraire, elle peut se présenter comme un moyen essentiel au service de l'accumulation productive. Bien entendu, son utilisation exige une connaissance et une maîtrise parfaites des rouages essentiels de l'économie nationale et un contrôle de ses principaux paramètres.
De toutes ces analyses, il ressort que les logiques du
développement pour l'édification d'une société socialiste
capable d'amorcer un processus de croissance et d'expansion appellent la formation d'une main-d'œuvre hautement qualifiée.
En d'autres termes, l'existence d'une véritable aris-
254
tocratie du savoir et de la technique est indispensable
pour faire bénéficier à la Société des acquis de la révolution scientifique et technique qui, seule, peut modifier
dans les meilleurs délais le système des forces productives et installer de meilleures conditions d'une reproduction élargie. Comme le soulignait A. Gramsci, il n'y a pas
d'organisation sans intellectuels. C'est-à-dire sans organisateurs qui ont vocation, placés dans des structures et
conditions matérielles motivantes, à développer, utiliser
et diffuser la science et la technique. Ils contribueront
à bouleverser les modes de vie, de production et de travail, à décupler la productivité et l'efficacité du travail.
Il faut souligner clairement que dans la période de transition, les décideurs peuvent et même doivent recourir à
l'assistance technique étrangère pour réaliser certaines
tâches. Seulement, il faut éviter que les techniciens étrangers ne détournent à leur profit des fonctions nécessairement dévolues aux nationaux.
Cette assistance doit être rentabilisée rapidement et
dépérir dans des délais déterminés. Elle ne saurait se
substituer à une politique véritable de coopération scientifique (23).
Sur un autre plan, on peut retenir de nos analyses
que l'Etat, dans les diverses structures de concertation
et de dialogue, doit contribuer à créer avec les partenaires privés, une communauté de préoccupations. Il doit
aussi articuler la défense de certains intérêts du secteur
privé au jeu d'ensemble du système économique de transition vers le socialisme.
Dans la même ligne d'action, les pouvoirs publics doivent contribuer, au niveau du secteur public, à l'instauration de normes de gestion démocratiques qui associent
les travailleurs à la vie des unités économiques publiques.
C'est une garantie contre la bureaucratisation excessive
et paralysante mais surtout contre la corruption qui sont
les principaux maux d'un secteur d'Etat.
En effet, dans une entreprise privée, les frontières ne
sont pas toujours bien claires entre la corruption et des
faits comme les commissions, les jetons de présence et
les courtages. L'entreprise n'en souffre pas, or il en va
tout autrement s'il s'agit d'une société d'Etat car le ges-
255
tionnaire recevant des revnus non mérités, sacrifiera les
intérêts de la société.
Ces aspects de la politique économique sont fondamentaux dans la période de transition. Cependant, si ingénieuse, si habile que soit la politique technieo-économique, elle appelle four réussir deux supports irremplaçables : un apparei politieo-administratif et des organisations comme le Parti.
C.) L'appareil politico-administratif dans la transition.
Les appareils administratifs et politiques sont appelés à jouer des rôles moteurs dans l'édification d'une société socialiste.
I. -
L'appareil politico-administratif.
Les expériences accumulées établissent que sur une
longue période, les bâtisseurs du socialisme sont dans
l'obligation de compter avec un appareil d'Etat que rien
ne destinait à servir le socialisme. Dans ce sens, les cahiers du «cercle marxiste léniste» observent que « la
confusion entre la fonction sociale répressive de l'appareil d'Etat et ses attributions techniques interdit sa liquidation brutale et oblige le pouvoir nouveau à conserver
dans leur rôle technique inextrieablement mêlé à l'autorité politique, des bureaucrates qu'il n'est pas encore en
mesure de remplacer» (24).
Lénine s'est apesanti sur cet aspect de la question de
l'Etat dans la transition qui est en réalité très peu maniable de par son organisation et les hommes qui l'actionnent. A partir du moment où la prise du pouvoir par les
forces socialistes ne peut modifier de facto la structure
de l'Etat en tant qu'organisme autonome, la transition
doit se placer dans la perspective de création d'un nouvel appareil à la dimension de ses aspirations et de ses
gigantesques tâches socio-économiques.
C'est là que la menace d'une bureaucratisation forte
est immanente. En effet, ne pouvant contrôler l'appareil
hérité de l'ancien régime, les autorités auront tendance à
256
créer des centres de décision qu'elles maîtrisent mieux,
car on croit que ces nouveaux pouvoirs, par leur structure et leur organisation, sont plus adéquates et répondent
mieux aux nouveaux objectifs. Dans ce cas, on va accroître le poids de la bureaucratie sans supprimer ses éléments de dégénérescence totalement indifférents aux intérêts des populations et qui restent nichés dans le vieil
appareil. Il n existe pas sur la question de solution-miracle, mais la meilleure expérience enseigne que l'ancien
appareil doit être profondément réformé par étapes pour
pouvoir assumer les tâches qui lui sont dévolues dans la
nouvelle orientation. Toute précipitation dans cette situation pourrait entraîner un blocage du fonctionnement de
l'appareil et déclencher l'engrenage d'une répression dure
mais inefficace. Ce qu'il importe de faire c'est une politique systématique de formation de cadres administratifs
techniquement compétents et politiquement engagés dans
la nouvelle orientation et qui remplaceront progressivement les anciens cadres du vieil appareil.
En réalité, le temps joue contre l'ancien appareil qui
est condamné à longue échéance car il n'est plus en correspondance nécessaire avec les nouveaux rapports de
production qui se structurent. De plus, la nouvelle politique économique le place dans l'incapacité de remplir ses
anciennes fonctions. Son renouvellement sera inscrit
comme une nécessité et une exigence et les nouveaux cadres formés dans la nouvelle orientation le revendiqueront.
Cette question de cadres évolue parallèlement avec
une autre qui concerne la structure organisationnelle.
En la matière, il faut observer qu'il n'existe pas un
modèle universel d'appareil politico-administratif. L'Etat
demeure toujours un instrument qui doit être techniquement préparé pour bien assumer les tâches administratives et économiques qui lui sont dévolues. Sa structure
doit être suffisamment décentralisée pour permettre une
large participation des populations laborieuses, des travailleurs à l'élaboration, l'exécution et le contrôle de toutes ces tâches. Elle doit alors être régionalisée, autogestionnaire et surtout démocratique permettant d'éviter Up
paternalisme étatique qui étoufferait toute initiative populaire. Par ailleurs, il faudra éviter « l'octroi de pouvoirs
257
fictifs aux travailleurs» qui favoriserait un développement incontrôlé de la bureaucratie, usurpant une place
qui, dans la représentation officielle de l'organigramme
étatique, est censée être occupée par les travailleurs. Il
faut donc offrir à ceux-ci des fonctions qu'ils peuvent effectivement assumer. Le réalisme doit prévaloir et aboutir à la mise à la disposition des populations laborieuses
de moyens réels, effectifs, de contrôle de tous les appareils technico-économiques et politico-administratifs.
Bien entendu, il existera des obstacles, des handicaps
dont deux doivent être soulignés:
- la faiblesse et l'instabilité socio-économiques
des bases de l'Etat qui, endetté vis-à-vis des opérateurs économiques internes et de l'extérieur ne
dispose que de ressources financières limitées. Il
ne peut alors mener qu'avec beaucoup de difficultés une politique économique et sociale totalement discrétionnaire;
-la corruption de l'Administration et de son personnel qui instaure l'inefficacité et la lenteur
dans les procédures : « les pots de vin et consorts» encouragent l'inertie et entravent le jeu
normal des processus décisionnels. La capacité
administrante de l'Administration est réduite,
voire totalement bloquée ou détournée au profit
de circuits parallèles, occultes.
L'idéologie doit aider à dépister ces questions et à
leur trouver des solutions adéquates. Elle doit à tout moment fonctionner comme ciment entre les différentes
composantes de la société et entre les différents agents
et secteurs de l'Administration. Elle doit contribuer à
créer et entretenir une communauté d'intérêts et de préoccupations, d'une part entre les appareils de l'Etat et le
peuple, et d'autre part entre ces appareils et le système
productif. Il y a là des tâches extrêmement exhaltantes
auxquelles doit s'atteler les élites du pouvoir et les organisations populaires.
258
II. -
Les organisations politiques de masse comme
outil de la transition.
Le second moyen de réalisation du socialisme est
constitué par les organisations de masses et le Parti qui
sont des outils indispensables du pouvoir. En effet, à
quelque niveau que l'on envisage la problématique de la
transition, cette phase historique requiert fondamentalement une mobilisation créatrice des masses sans la participation desquelles les plans, les politiques et les techniques ne peuvent devenir réalité vivante.
Bien évidemment, une telle mobilisation ne peut être
que l'œuvre d'un Parti organisé et d'un type nouveau.
Pour ce faire, le Parti doit être doté d'une idéologie claire
et d'une doctrine qui apporte des réponses nettes aux aspirations matérielles et morales des populations.
Dans toute société humaine, particulièrement dans
celles qui sont caractérisées par un retard des forces
productives matérielles et humaines, les idéologies, entendues comme des visions du monde formalisées et sys·
tématisées, exprimant à la fois l'état de la société et le
rôle des groupes sociaux, jouent une fonction importante
et constituent une totalisation de l'expérience historique
et du savoir. Elles doivent exprimer les conditions de l'action à travers laquelle les individus prennent conscience
d'eux-mêmes et se donnent les raisons de transformer
leur existence par des actions multiformes sur leur environnement.
A cette tâche essentielle s'ajoutent d'autres qui consistent
- à définir, au besoin collectivement, les orientations et options de système socio-économique, de
structures productives et institutionnelles les plus
fonctionnelles. les plus appropriées;
- à élaborer les visions idéalisées et à formaliser
les valeurs de référence à partir desquelles on
mobilise les peuples et au nom desquelles on demande des sacrifices et justifie les privations;
- à déterminer des formes et mécanismes de
fonctionnement, d'administration et de gestion
des structures productives et institutionnelles;
- fixer une matrice culturelle d'où pourra sortir
259
des mameres de vivre, d'appréhender le monde
et de « mieux connaître l'ancien pour mieux servir le nouveau» comme le préconisent les Chinois.
Dans ces cas, l'idéologie est fondamentale, elle constitue comme le note J. Ziegler, un moyen de résistance
contre les agressions de l'extérieur. Elle consolide l'Etat
et le rend crédible vis-à-vis des citoyens (25).
Par ailleurs, Karl Marx observait que « la théorie
n'est jamais réalisée dans un peuple que dans la mesure
où elle est la réalisation des besoins de ce peuple» (26).
A cela, Roger Garaudy explicite que la théorie ne pénètre
dans les masses que si elle apporte des réponses précises
à leurs problèmes et en plus, qu'elle ne soit pas une utopie mais l'expression de leurs profondes aspirations (27).
Cependant, cela soulève une foule de problèmes de nature
complexe. En effet, la base de tout Parti politique est
sociale et réclame à l'organisation des hausses de salaire,
la multiplication des emplois et une nouvelle distribution
du revenu national. Or, les conditions matérielles ne permettent pas encore à l'Etat de satisfaire de telles revendications. Des campagnes d'information et même de formation s'imposent pour exhorter les masses à la patience.
Le Parti a des tâches importantes qui justifient qu'il
se distingue physiquement de l'Etat. Dans cette optique,
il est souhaitable que le Parti bénéficie d'une autonomie
vis-à-vis de l'Etat.
En conséquence, la majorité des cadres du Parti au
niveau des différentes directions, devront être en dehors
des organismes d'Etat et se consacrer exclusivement aux
activités du Parti. Ainsi sera évité le danp,er d'étouffement du Parti et sa transformation en auxiliaire de l'administration et en instrument de coercition. Le Parti étant
le cerveau, l'Etat est le bras. Les deux éléments, bien que
dialectiquement liés, ont des domaines et des formes d'action différents. L'autonomie stipule donc non pas une
séparation tranchée mais une division des tâches.
Ainsi on a vu, dans certaines transitions, l'Etat opérer un travail d'agitation pour donner conscience et directives aux masses (28). Il usurpe la place du Parti et
n'aura pas la même efficacité car, par tradition, les populations ont toujours de la retenue pour la chose publique.
Donc la séparation s'impose, ce qui permet au Parti d'ac-
260
complir sa fonction principale d'éducation des masses.
Comme le notait Mehdi Ben Barka, c'est le Parti qui doit
permettre de penser les problèmes, de penser les solutions et de trouver la voie de la persuasion. Cet instrument politique ne peut être ni la police, ni la gendarmerie
qui n'ont jamais été des moyens efficaces de persuasion.
Evidemment, la création et le fonctionnement d'une
telle formation politique se heurte à de multiples difficultés. Les organismes de direction, pour ne point sécréter une caste dirigeante trop soucieuse de ses intérêts
propres, doivent être conscients des exigences trop lourdes de la transition. Lorsque la caste dirigeante est réellement consciente de ses devoirs et en apporte la preuve,
elle peut freiner sans grande difficulté la base du Parti
qui est spontanément sociale et non socialiste. Il en est
ainsi parce qu'elle n'est pas très suffisamment éclairée
sur le fonctionnement d'une économie de transition, sur
la signification et la portée des revendications sociales
et sur l'opportunité de la priorité accordée à l'accumulation, laquelle exige une longue période d'austérité.
Il n'existe pas souvent une autre alternative pour un
pays en retard (de créer pour demain les conditions de
l'abondance) qu'une longue période d'austérité. Les expériences soviétique, japonaise et chinoise sont de ce point
de vue édifiantes. L'austérité doit partir de l'Etat qui supprimera tous les crédits budgétaires non indispensables.
Et pour les particuliers, elle passe par une compression
de certaines consommations de certaines couches sociales, la suppression des importations de biens de luxe. Il
est absolument inconcevable qu'un Etat luttant avec
acharnement contre le retard économique, la misère et la
famine des populations laborieuses, accepte de consacrer
une partie des surplus à satisfaire les appétits de luxe des
couches privilégiées qu'elles soient nationales ou étrangères.
En définitive, il apparaît qu'un appareil bureaucratique
et même d'allure technocratique est, à lui seul, incapable
de mener à terme une politique économique de croissance soutenue. Même si cette bureaucratie a une claire vision des exigences du développement, elle s'avèrera totalement incapable de pousser au maximum les efforts irremplaçables des populations. En conséquence, le suc-
261
cès d'une politique économique clairvoyante ne sera jamais sans une acceptation enthousiaste et confiante des
peuples.
Il apparaît, à partir de toutes ces analyses, que la
transition est un phénomène complexe dans la mesure où
le processus de réalisation ne fait pas appel aux seuls mécanismes de l'économie politique. Il embrasse des domai·
nes extrêmement variés allant de l'organisation du pouvoir à la participation des populations, l'élaboration des
lignes directrices et la gestion de la vie économique et
sociale. Tous ces éléments sont pensés et exécutés en s'appuyant profondément sur le niveau réel des forces productives et sur l'état d'organisation des formations politiques. C'est dire qu'une théorie globale et universelle de
la transition vers le socialisme est très malaisée à définir.
La théorie de la transition ne peut que tracer des lignes
générales d'évolution car il est difficile de présenter une
théorie achevée d'une réalité inachevée, multiforme et
bien mouvante comme l'observait L. Trotsky.
262
NOTES
(1) Blandine Barret : l'Etat et les esclaves. Edit. CalmannLévy, 1979.
(2) Nicos Poulantzas : l'Etat, le pouvoir, 'le socialisme, P.U.F.
1978.
(3) L'Etat, le pouvoir, le socialisme: Op. cit. p. 187.
(4) Djangir Kerimov : La théorie générale de l'Etat et du droit:
objet, structure et fonction. Editions du Progrès, Moscou, p. 35.
(5) Blandine Barret : Op. cit. p. 13.
Elle ajoute que « le socialisme vaincra au cri de plus d'Etat
possible ». Bene occasion de montrer l'écart entre le rêve et la
réalité, la nocivité de l'utopie.
(6) Ce paternalisme de l'Etat se traduit au niveau économi·
que par une volonté de contrôler tous les secteurs économiques.
(7) Georges Burdeau : l'Etat. Edition du Seuil, 1970; p. 37.
Dans le même ordre d'idées se placent les réflexions de Jean
Ziegler dans «le pouvoir africain» (Edit. du Seuil) où partant
d'études de cas, l'auteur cherche l'origine de l'Etat.
(8) Pascal Lissouba : « Développements et réalités culturelles»
huitième Assemblée du Club de Dakar, Vienne 12·14 oct. 1981.
(9) Le cas malien est très édifiant sur ce point. La nationalisation des secteurs difficiles de la commercialisation et de la
distribution a entraîné le monopole exclusif de l'Etat sur le corn·
merce intérieur et extérieur. La fonctionnarisation excessive et
l'inefficacité des entreprises publiques ont précipité la création
d'une situation permanente de pénurie qui a engendré le développement d'échanges incontrôlés, le trafic et le marché noir. Ces
trois éléments ont accéléré le processus inflationniste, base de
la ruine de l'économie malienne.
(10) V.1. Lénine: Oeuvres choisies, Editions Moscou, t. 29,
p. 425.
(11) Moustapha Kassé : Les contraintes à l'initiative privée en
Afrique. Club Afrique, Colloque de Lomé, Décembre 1985, 28 p.
(12) Kwamé Nkrumah: L'Afrique doit s'unir, Ed. Payot, 1964.
(13) Bachir Boumaza : «La politique économique de l'Algérie », discours de présentation de la loi des finances de 1964.
Prononcé le 30 décembre 1963.
(14) Idrissa Diarra : L'Orientation du Mali, Rapport d'activité
au VIe Congrès de l'Union Soudanaise, RDA, Bamako, 10 sep. 1962.
(15) Lénine : Oeuvres choisies, 7.33, p. 104.
(16) Dans cette optique, analysant « les conceptions politiques
et idéologiques des démocraties révolutionnaires ,» (Académie des
Sciences de l'URSS 1980), Nicolaï Kassoukhinefustige cet empressement qui peut compromettre la vie non capitaliste, car la
misère n'engendre pas d'elle-même la révolution, p. 131.
(17) L. Gontcharov : Aspects actuels du développement des
forces productives des pays d'Afrique, in « Problèmes du dévelop-
263
pement contemporain de l'Mrique », Académie des Sciences de
l'URSS, Moscou, 1980, p. 69.
(18) Paul Baran : Economie politique de la croissance, Edit.
François Maspéro, p. 206.
(19) L'échec de la transition au Mali est dû en partie à cette
hésitation à imposer un modèle national de consommation. La
radicalisation de la marche vers le socialisme s'est accompagnée
d'un développement des consommations de luxe. Une austérité
étatique réclamée au seul petit peuple alors que la classe diri·
geante n'y était point astreinte. Cela a fait nwtre des inégalités
et des frustrations.
(20) M.E. Benissad : Un modèle théorique et empirique de dé·
veloppement par l'inflation. Revue Algérienne des Sciences Juridiques et Economiques, n. 2, Janv. 1969.
(21) De Seers : Inflation and growth : a summary experience
in Latin America.
(22) N.R. Prebisch : Economic development in Latin America
and its economic problems.
(23) Moustapha Kassé : «L'élite du pouvoir : mécanismes de
génération et système de promotion ». Club Nation et Développement, 1983.
(24) Cahiers Marxistes-Léninistes : Sur la phase actuelle de
la lutte des classes en Algérie (mars 1965), rapport écrit par
Bruyelle, Linhar et Riss pour le compte du Cercle des Etudiants
communistes de l'Ecole Normale Supérieure.
(25) Jean Ziegler: Le Pouvoir africain, Edit. du Seuil, p. 24.
(26) Karl Marx: Contribution à la critique de la philosophie
de l'Etat, de Hegel. T. l, p. 106.
(27) Roger Garaudy : Clefs pour Karl Marx. Edit. Seghers,
1972, p. 59.
(28) Lénine notait qu'il y avait «une période où les décrets
étaient une forme de propagande, on se moquait de nous mais
cette phase était lé~itime quand les bolchevicks ont pris le pouvoir et ont dit au sImple paysan, au simple ouvrier : voici comment nous voudrions que l'Etat fut gouverné; voici un décret:
essayez-le. Au simple ouvrier ou paysan, nous expliquons d'emblée nos conceptions» Oeuvres choisies v. 33, p. 309).
264
CONCLUSIONS GENERALES
Analyser une problématique comme celle de la transition n'est pas une tâche simple et cela tient à quatre
raisons.
La première est que dans une telle problématique, les
outils d'analyse sont d'une imprécision caractérisée, ce
qui leur confère une trop importante charge polémique,
source de controverses ambiguës et obscures. Ces difficultés imposent au départ une recherche d'outils conceptuels permettant d'approcher le plus précisément possible les phénomènes impliqués dans la problématique.
La seconde est liée aux multiples interférences avec
la totalité des sciences sociales. La transition est à la lisière de chacune de ces sciences, car elle présente à la
fois une dimension politique, économique, juridique et
sociale sans que l'on puisse véritablement savoir où se
situe exactement la sphère déterminante. Cette complexité
rend son étude globale difficile car rien dans les traditions universitaires et les systèmes de formation ne nous
prédestine à pouvoir opérer une vision globale de nature
profondément pluridisciplinaire. La conséquence fatale
est que le phénomène de la transition est chaque fois
abordé avec les lunettes déformantes des spécialisations,
ce qui place le chercheur dans l'impossibilité de faire une
appréciation plurielle, partant une analyse exhaustive des
diverses dimensions concernées par le phénomène.
La troisième raison tient au jeu des variables dont
il est difficile de sérier les plus importantes et les plus influentes. De surcroît, ces variables ont leur domaine propre d'évolution et obéissent bien des fois à des lois particulières de cheminement. Il en est ainsi dans la mesure
où la transition est à la fois l'analyse de « ce qui est» et
de «ce qu'il faut faire» et cela complique son évaluation.
La quatrième raison provient de l'absence de théorie
cohérente et achevée. Il existe certes dans le marxisme
classique et contemporain quelques références décisives
265
éparses mais pas une systématisation ou une synthèse
théorique exhaustive.
Cette problématique, d'une approche difficile, a
pourtant un intérêt vital, lié à l'impasse dans laquelle se
trouvent les analyses courantes des formations sous-développées confrontées à des options de système.
Tous les obstacles signalés imposent une réflexion
qui, forcément, péchera par excès de globalisme mais qui
aura l'avantage de poser les lignes directrices d'une réflexion que des études cliniques ponctuelles peuvent illustrer, compléter et corriger éventuellement.
Les résultats auxquels nous sommes parvenus s'inscrivent bien dans ce cadre et en conséquence peuvent
sembler minces: les formations sous-développées, abandonnées à elles-mêmes, vont irrémédiablement vers le capitalisme périphérique dont les diverses distorsions induisent une amplification du sous-développement. Dans
cette perspective, l'alternative socialiste s'impose sous la
forme d'une longue étape transitoire qui, partant d'un
niveau donné de structures productives, pose un ensemble
d'interrogations qui n'ont pas toujours de réponse nette
et claire dans les outils des théoriciens les plus habituels
de la transition. Dans le fond, il n'existe pas de modèle
universel de socialisme que les forces progressistes appliquent dès l'instant qu'elles prennent les rênes du pouvoir
politique. Il faudra une longue période de luttes politiques et économiques pour vaincre les structures génératrices de la misère et l'environnement externe souvent
hostile afin d'installer les bases d'une société qualitativement supérieure qui résolve l'ensemble des problèmes
impliqués dans le sous-développement.
Cette période de transition impose des stratégies et
des politiques exprimées dans des orientations claires,
leur réalisation étant souvent médiatisée par des compromis divers qui traduisent l'équilibre momentané des forces politiques et des structures. On découvre là un enseignement de Marx et de Lénine selon lequel le mouvement
dialectique n'est pas dans l'absolu linéaire, mais il est un
processus tortueux dont chaque méandre ou détour traduit les formes historiques pour dépasser les obstacles
majeurs qui se dressent à la réalisation des finalités ultimes.
266
Ces finalités, dans une formation en transition, sont
double: élever de façon permanente le niveau des forces
productives matérielles et humaines et offrir de meilleures conditions sociales d'existence aux populations. Ces
tâches impliquent un bouleversement des structures et
conditions de la production ainsi que leur restructura·
tion dynamique dans la direction des axes fondamentaux
du projet de société socialiste. En conséquence, le développement n'est réellement concevable que dans une formation sociale en transition vers le socialisme.
Dans cette optique, les exigences de ce développement deviennent transparentes. Elles concernent d'abord
la création d'un appareil d'Etat dominant et populaire
s'appuyant sur un secteur public en voie de socialisation,
démocratiquement géré et dont les actions s'insèrent dans
un processus planifié. Seul un tel Etat est en mesure, en
dernière analyse, de disposer des moyens essentiels pour
rompre définitivement la dépendance économique et mo·
biliser tout le potentiel de production indispensable à une
croissance soutenue et rapide. C'est ensuite la primauté
accordée à l'accumulation interne qui suppose l'élimination de toutes les structures et obstacles qui s'opposent à
sa réalisation effective. La création et le renforcement des
cadres institutionnels s'imposent également, permettant
une combinaison optimale des facteurs de production, un
progrès de la productivité du travail et une mise en va·
leur des ressources nationales. c'est enfin une participation enthousiaste des masses laborieuses aux efforts de
développement. Un appareil bureaucratique, si compétent
soit-il, avec des conceptions techniquement justes des exigences du développement, ne peut mener à bien une politique de développement économique et social rapide. Le
succès de celle-ci est fonction du degré d'engagement des
masses laborieuses et des intellectuels. Ainsi se trouve
posé le rôle des cadres et de l'intelligentsia dans la transition.
Les cadres sont un maillon essentiel de tout processus de transformation. A. Gramsci dans ce sens observait
qu'une masse humaine ne se distingue pas et ne devient
indépendante d'elle-même sans s'organiser et il n'y a pas
d'organisation sans intellectuels c'est-à-dire sans organisateurs et sans dirigeants. Sans que l'aspect théorique du
267
groupe théorie-pratique se distingue concrètement dans
une couche de personnes spécialisées dans l'élaboration
intellectuelle et philosophique. De ce point de vue, les intellectuels ont un rôle fondamental à jouer dans la transition. Seulement, ils ont historiquement des attitudes
souvent obscures. S'ils fournissent les commis les plus
zélés du capitalisme, ils ont également donné à la classe
ouvrière ses meilleurs dirigeants. En conséquence, la
transition doit susciter des intellectuels et des cadres
d'un type nouveau issus du peuple et restant en contact
permanent avec lui (1).
Rien ne peut remplacer des cadres ayant une claire
vision des objectifs et priorités de la lutte pour le développement économique et social. Des techniciens et experts étrangers, si avisés qu'ils soient, ne sauraient apprécier à la place des intéressés ce que doit être l'importance des objectifs et les moyens à mettre en œuvre pour
les atteindre. Egalement, la compétence et le savoir des
techniciens du développement ne peuvent absolument
pas se subsistuer à la conscience politique claire des objectifs et des priorités des politiques économiques et
sociales.
Ces intellectuels et cadres font partie intégrante des
couches privilégiées et occupent une position-clef dans
l'exercice du pouvoir politique et économique. Ils ne peuvent pas ne pas être affectés par certaines mesures directes de la transition comme la suppression des importations de luxe ou le nivellement par le bas de l'échelle des
salaires. Dans cette optique se pose la question de savoir
si ces élites sont prêtes à assumer toute leur responsabilité en se suicidant comme petits bourgeois pour réapparaître comme prolétaires. La victoire du socialisme est
à ce prix dans des formations sociales où les élites jouent
des rôles politico-économiques sans commune mesure
avec leur poids social effectif.
268
NOTES
(1) E. Baraundi : S'interroge, pour savoir si les intellectuels
du Tiers-Monde qui, même contestataires, deviennent facilement
ministres peuvent faire une politique du peuple. Il y répond partiellement lorsqu'il écrit que « les petites filles et les petits garçons qui vont à l'école pour la première fois n'accepteront plus,
demain, les conditions d'existence de <leurs parents. Mais ils seront
trop nombreux pour que la société leur fournisse des situations
corruptrices en nombre suffisant. Une fois fermée la grande porte de l'arrivisme individuel, ils se tourneront nombreux vers des
solutions collectives c'est-à-dire la révolution".
260
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ACHEVE D'IMPRIMER EN JUIN 1988 SUR LES
PRESSES DU CASTELLUM, 8, RUE DE BERNE ANIMES
Dépôt légal 2" trimestre 1988
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