Pr Moustapha KASSÉ $bn 300 250 200 150 100 50 o 1981 82 83 84 85 86 87 88 89 90 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ éditions NEAS-CREA (Dakar) L'AFRIQUE ENDETTEE © Nouvelles Editions Africaines du Sénégal et Centre de Recherches Economiques Appliquées Dakar, juillet 1992 Pr Moustapha KASSÉ ENDETTEMENT ET POLITIQUE ECONOMIQUE EN AFRIQUE DE L'OUEST Nouvelles Editions Africaines du Sénégal NEAS Centre de Recherches Economiques Appliquées C.R.E.A. Université Cheikh Anta Diop DAKAR A ma fidèle épouse et à mes enfants MAMAOOU, Bousso, AzIZ et VIEux-DIOOIO pour le soutien qu'ils m'apportent dans mes tâches quotidiennes de recherche. Introduction La problématique de l'endettement est devenue une préoccupation primordiale dans la recherche et la politique économiques et donne lieu déjà à une littérature très impressionnante bien que de valeur inégale. La question est évoquée à toutes les rencontres internationales. Partout, il est perçu comme un problème difficile et complexe par son volume, sa croissance rapide et les menaces d'insolvabilité des emprunteurs. Il reste encore préoccupant par l'absence de solutions concertées acceptables par tous les acteurs impliqués malgré le fait qu'il introduit une situation dangereuse par les risques énormes qu'il fait courir à l'ensemble du système productif mondial et à l'ordre monétaire et financier confronté à une crise persistante. Enfin, il pose des problèmes complexes à la science économique qui ne dispose pas encore d'outils opératoires de diagnostic, d'analyse et de prévision. C'est sans doute cela qui explique les bilans terriblement sombres que présentent de l'endettement les professionnels de l'économie, les experts financiers et les techniciens du développement. Tous ces spécialistes semblent s'accorder sur l'idée que la dette enclenchera des dérapages qui déboucheront un jour sur des issues aux conséquences redoutables. Pourtant, il y a quelques décennies la théorie et la pratique de l'endettement étaient plus rassurantes. La dette était considérée comme un instrument de la politique économique et un moyen privilégié de financement de la croissance. L'on concevait alors qu'une économie connaissant un déficit intérieur d'épargne ou momentanément affectée par un choc extérieur qui déséquilibre sa balance de paiement, devrait recourir aux marchés monétaires nationaux ou internationaux. On avançait même que cela était un facteur incontournable d'adaptation de l'économie et de relance de la croissance. La théorie économique avait fini par accréditer l'idée que toute économie nationale lancée dans une dynamique de croissance devrait passer impérativement par une phase plus ou moins longue 7 d'emprunteur avant de s'achever sur une phase de prêteur mûr. On admettait ainsi que cc le paiement du service de la dette ne s'oppose pas au développement, puisqu'il peut être initié à partir des bénéfices réalisés par la production pour le marché mondial, ce qui justifie du même coup l'intégration à ce marché et le respect du prix mondial comme norme de l'activité interne» (G. Debernis). Pourtant, les faits semblent infirmer cette vision prospective. Tout le monde s'accorde pour reconnaître qu'il existe un problème d'endettement que laissent apparaître les statistiques qui s'accumulent et permettent, en leur état actuel, de faire trois observations. La première observation concerne l'évolution exponentielle de la dette des pays du Tiers-Monde. Selon la Banque Mondiale qui tient un répertoire exhaustif, l'encours de la dette totale (publique et privée) des pays en développement est passé de 109,3 milliards de dollars en 1973 à 830 milliards de dollars en 1982 pour se fixer à 1.292 milliards de dollars en 1987, les projections pour 1990 étant de 1.319 milliards de dollars. Dans le même temps, le service total de la dette a évolué de 10,2 milliards de dollars en 1973 à 63,8 milliards de dollars en 1982 et 102,1 milliards pour 1987 soit pour cette dernière année plus de 22 % des recettes d'exportation. La dette à court terme, qui n'est pas prise en compte dans ces statistiques, vient s'y ajouter pour aggraver davantage la charge de l'endettement extérieur. Pour 1983, la dette des pays en voie de développement non producteurs de pétrole était d'environ 664,3 milliards de dollars dont 53 % étaient dûs à des banques commerciales. En 1988, elle s'élève à environ 800 milliards de dollars dont 68,2 % sont dûs à des banques commerciales. Les agrégats les plus significatifs établissent que l'endettement a progressé au rythme de 20 % dans la période 1970-1984 et de 26 % entre 1984-1989, alors même que le taux de croissance économique d'ensemble a été respectivement pour les deux périodes de 5,9 %. Cela semble indiquer que l'accroissement de la dette publique ne procède pas d'une accélération du développement économique et social, mais provient d'autres facteurs qui l'animent et l'entretiennent en l'amplifiant. Cette évolution divergente de l'encours de la dette et du PIB explique la détérioration de quelques ratios significatifs comme le ratio de la dette totale décaissée au PIB (qui est passée de 14,3 % en 1973 à 23,5 % en 1982) et le ratio de la dette sur les exportations (piUS de 25 % depuis 1986) qui a atteint aujourd'hui un niveau insupportable. Tous ces ratios semblent indiquer que les PVD ont contracté une dette sans commune mesure avec leurs capacités effectives de remboursement. Au demeurant, les charges auxquelles ils auront à faire face obèrent leurs finances nationales et les obligent à modifier les priorités de leur développement économique et social. De même, l'endettement par son caractère massif devient un facteur d'interconnexion à l'économie mondiale, à sa division du travail et à ses rapports monétaires et de crédit souvent inégaux. C'est dans ce sens que l'on parle de l'arme financière par laquelle les créanciers tiennent 8 en respect leurs débiteurs en les dépossédant progressivement de toute gestion de leur développement. La deuxième observation se rapporte à la modification des sources de financement en faveur du système bancaire privé. Depuis quelques années, on constate une très forte diminution des ressources publiques qui se réorientent vers les pays les plus pauvres des PVD, ceux-là même qui ne peuvent pas avoir accès au marché international des capitaux. Alors, les banques privées ont pris le relais du financement. Ainsi, la part de la dette totale à moyen et long termes imputable aux prêts bancaires s'établissait à 49,6 % en 1982,56,8 % en 1983 et 61,2 % en 1989 contre moins de 25 % en 1973 pour leurs principaux emprunteurs. La proportion est bien supérieure dans le cas des grands pays exportateurs qui sont considérés par les banques commerciales comme de meilleurs débiteurs potentiels. Le rapport de la dette envers les banques au montant de recettes d'exportation est, à cet égard, un indicateur caractéristique de l'importance que revêtent de bonnes performances à l'exportation pour l'accè5 au financement bancaire. Selon des calculs effectués par la CNUCED pour l'année 1981, le rapport dette bancaire à long terme/exportation était d'environ 100 % pour les exportateurs d'articles manufacturés , de 40 % pour les autres pays ayant un revenu par habitant supérieur à 500 dollars, mais de quelque ~O % seulement dans le cas des pays les plus pauvres. Cette intervention des banques privées introduit une certaine fragilité du système financier international qui se manifeste, entre autre, par le fait que les banques, comme des magiciens, ont réalisé dans les PVD des prêts dont elles ne possédaient pas les ressources. A titre d'exemple, on avait observé que les cents premières banques mondiales dont les fonds propres s'élevaient à environ 100 milliards de dollars, avaient néanmoins octroyé à l'Amérique latine des crédits qui dépassaient 200 milliards de dollars. Elles ont alors abusé de la création monétaire ou ont transformé des dépôts à court terme en prêts à long terme dans le but de bénéficier de taux d'intérêt variables (crédits roll-over) et de plus en plus mercantiles. Cette privatisation de la dette est à la base de l'introduction de conditionnalités impliquant l'intervention manifeste des banques dans la gestion de la politique économique des Etats. En d'autres termes, le face à face Etats endettés/ banques commerciales va compliquer un peu plus la recherche d'une issue à la dette. La troisième observation est relative au caractère à la fois dispersé et concentré de la dette. Elle touche à des degrés divers tous les PVD mais reste cependant concentrée au niveau de quelques pays à revenus élevés. En 1982, treize pays seulement sur les cent sept qui sont concernés par les statistiques de la Banque Mondiale détenaient près de deux tiers de la dette du Tiers-Monde, cette proportion s'élevant à un peu moins de 80% pour les vingt premiers pays les plus endettés. A eux cinq , le Brésil, le Mexique, l'Argentine , le Chili et le Vénézuela devaient 163 milliards de dollars, soit près du tiers de l'encours total de la dette des pays en déve- 9 loppement. En ce qui concerne l'Afrique, cetle répartition inégale apparaît dans le tableau suivant: 1984 1975 Dene publique Dette privée Total Montant "4 Montant "4 Montant "4 Dette publique Dette privée Montant "4 Montant "4 28,0 98 0,7 2 Total 1 Afrique à faible revenu (26 pays) ................. 8,1 92 Afrique au Sud Sahara (42) pays) ................ 0,7 14,0 93 1,0 Tous PVD (107 pays) 125,7 77 36,5 Montant "4 28,7 100 7 15,0 100 57,3 94 3,6 6 60,9 100 23 162,2 100 553,0 83 112,5 17 665,5 100 La détérioration accélérée de la situation d'endettement extérieur des pays du tiers-monde et plus particulièrement des gros débiteurs a multiplié les demandes de rééchelonnement et nourri les débats passionnés sur la dette. Ceux-ci ont été axés principalement sur des questions telles que: - la nature conjoncturelle ou structurelle des problèmes de la detle ; - les origines et la structure de l'économie d'endettement; - les effets sur le système financier international et sur les pays du tiers-monde ; - les solutions préconisées par les institutions financières internationales (FMI, SM) et les grands pays créanciers pour le remboursement; - les politiques alternatives à l'économie d'endetlement. Ces trois observations établissent que l'endettement des PVD constitue un élément supplémentaire d'instabilité du système monétaire international. Pour appuyer ce propos, en 1982/1983, les perspectives de cessa· tion de paiements de certains pays endettés majeurs d'Amérique latine, révélaient les risques d'écroulement du système financier international qui est resté précaire et fragile depuis l'abandon des règles de fonctionnement du Gold Exchange Standard. Le krach n'a été évité que grâce à l'établissement de plans de sauvetage sous l'égide du FMI. Pendant les dix premiers mois de l'année 1983, vingt deux pays en développement ont demandé le rééchelonnement de leurs dettes officielles et bancaires, contre seulement une moyenne de 4 pays par an au cours de la période 1975-1980. Dans le même temps, le montant total des dettes réaménagées s'élevait (en moyenne annuelle) de 1,5 milliard de dollars à 60 milliards de dollars. Ces chiffres montrent toute l'ampleur des risques-pays qui ne peuvent laisser indifférents les divers prêteurs. Dans cette situation, les banques privées se trouvent placées dans l'obligation technique non seulement de ne point pouvoir rejeter les demandes de consolidation mais de renouveler aux emprunteurs les 10 10n 8,8 8 crédits indispensables. Ainsi s'installe une situation de dette perpétuelle où un endettement entraîne un autre d'un montant supérieur traduisant déjà une parfaite incompatibilité entre le service de la dette et le développement. Comment la théorie économique a-t-elle réagi à cette problématique à tous égards importante? S'est-elle comportée comme une théorie scientifique énoncée selon les règles de la logique formelle et capable de fournir d'une part les outils indispensables pour mesurer l'endettement et expliquer ses mécanismes de formation et de propagation et d'offrir d'autre part des moyens et des solutions pour régler définitivement la question? Peutelle établir une évaluation exacte, un diagnostic rigoureux et une thérapeutique appropriée? Peut-elle déterminer la répartition optimale des ressources internes et externes ainsi que la capacité d'emprunter et d'assurer le service de la dette? La théorie économique devrait fournir les normes d'évaluation aux experts et aux décideurs, seulement si elle s'avérait inapte à le faire au plan pratique. alors elle ne peut avoir aucune prétention scientifique. Car en définitive, selon le mot de J. Attali, pour qu'une cc théorie soit vraie, on n'exige plus qu'elle soit universelle et invariante; il suffit qu'elle fournisse un ensemble de recettes permettant de gérer au mieux l'irréversible" (1). En conséquence, si la théorie économique n'est pas porteuse de sens pour l'action et pour l'explication, elle devient un discours abstrait et déconecté sur l'ordre social. Dans ce domaine, les économistes académiques ont élaboré des modèles à la suite du Pro Kindelberger pour établir les liens entre développement et endettement. Les travaux les plus remarquables ont été réalisés par Chenery et Strout sur le double déficit ex-ante d'épargne et de devise (2), par Saigal qui a adapté le modèle de Katano au cas Tanzanien en vue de déterminer le taux optimal d'investissement et la structure chronologique optimale des flux de capitaux pour l'amorce d'une croissance autoentretenue et équilibrée (3) ; par G. Feder qui a tenté d'intégrer à l'analyse de la croissance les politiques d'emprunt extérieur et de la capacité de remboursement du service de la dette (4) ; par W.R .. Cline qui a orienté la réflexion sur la capacité d'endettement et par Abramovic qui a établi les liens entre des variables comme le niveau des réserves, le volume des exportations, l'évolution du taux d'épargne et la capacité de remboursement (5). (1) J. Allali : Les trois mondes: pour une théorie de l'après crise, Edit. Fayard, Paris, 1981,335 p. (2) AB. Chenery et AM. Strout Foreign: Assistance and economic development, AER, 1956. (3) J.-C. Saigal, La réalisation de la croissance auto-entretenue: différentes stratégies possibles pour la Tanzanie. Collection d'études sur le développement, AEA Abidjan et Dakar, 1978, p. 15 et 16. (4) G. Feder, Economie Growth. Foreign Laons and Debt Sevicing capacity of developing countries. World Bank Statf Working Paper n° 274, février 1978. (5) Abramovic, Economie Growth and External debt. J. Hopkins Press, 1964, p. 152-192. 11 Ces modèles formalisés intégrant la dette partent de l'hypothèse que les politiques de croissance sont limitées dans les PVD par le déficit des ressources, ce qui rend nécessaire des apports de capitaux extérieurs. Les ressources externes confèrent alors aux utilisateurs une certaine marge de manoeuvre dans la gestion de leur balance de paiements en dehors de leur rôle de soutien à la croissance économique. Dans cette direction, Chenery et Strout observent" qu'un pays qui s'engage dans la transformation de son économie sans assistance extérieure doit satisfaire à toutes les exigences d'une croissance accélérée au moyen de ses propres ressources.ou d'importations payées par ses exportations. Le succès suppose donc un accroissement simultané des compétences, de l'épargne intérieure et des recettes d'exportation ainsi que de l'affectation de ces ressources accrues de manière à satisfaire l'évolution de la demande qui accompagne la hausse des revenus ». Cependant, cette évolution peutêtre compromise par un échec dans un seul domaine. Dès lors, " en écartant ces contraintes, l'assistance étrangère peut permettre une utilisation plus complète des ressources intérieures et par conséquent accélérer la croissance. Certains des goulots d'étranglement potentiels (savoir-faire, épargne ou devises, etc...) peuvent être temporairement relâchés en introduisant des ressources extérieures dont le paiement peut être différé »(6). Les autres formulations théoriques ont presque, en dehors de celle de Salgal, la même préoccupation qui est de trouver le lien entre les variables économiques de la croissance (taux de croissance d'ensemble, taux interne d'épargne, coefficient marginal de capital, taux d'investissement, flux de ressources extérieurs, exportation) et la capacité de remboursement du service de la dette. En d'autres termes, le développement appelle toujours un endettement et la théorie doit alors contribuer à déterminer la capacité d'absorption de ressources externes ainsi que les possibilités de remboursement. L'analyse heuristique réalisée par Abramovic en donne la meilleure illustration. Elle définit les phases que traverse un pays désireux de mettre en place, grâce à l'endettement, une stratégie productive pouvant lui assurer une croissance satisfaisante. Cet ordre d'idées a fini par s'imposer même à Saigal qui avait pourtant une orientation originale : introduire des instruments d'analyse et des moyens d'une stratégie au départ liés aux structures économiques des PVD. Cette recherche avait amené l'auteur à se poser la question de savoir si l'aide économique extérieure ne freine pas le taux d'accroissement de l'épargne intérieure et si elle a, en toute circonstance, un effet positif sur les perspectives de développement à long terme d'une économie. Si tel était le cas, les autorités politiques et économiques devraient alors recourir de plus en plus aux forces propres de "économie (self reliance) d'autant plus qu'il devient de plus en plus difficile d'accéder à ces capitaux quels qu'ils soient. (6) Chenery, The IWo-gap approch ta Aid development : reply ta Bruton, A.E.R., juin 1969, p. 446-449. 12 Cependant, Saigal finira par intégrer dans l'analyse le recours à la dette en estimant que les besoins en ressources financières sont de plus en plus importants alors même que l'épargne locale s'avère largement insuffisante. En définitive, comme pour nous rassurer, Saigal avance que la planification devra prendre en compte le service de la dette. Quel aveu d'impuissance! Il apparaît que ces théories, malgré leur finesse et leur cohérence n'ont pas réussi à fixer le niveau optimal d'endettement et les capacités de remboursement en liaison avec les politiques internes de croissance et les perturbations économiques et financières de l'environnement extérieur. Cet insuccès apparent procède de la non intégration de variables essentielles de l'endettement comme les taux d'intérêt appliqués aux prêts, la structure de la dette et sa privatisation qui a entraîné des montages financiers très particuliers, le choix souvent non pertinent des investissements, l'évolution erratique des taux de change qui introduisent des perturbations monétaires permanentes et les politiques de développement appliquées qui se fondent sur l'ajustement de l'ordre économique interne à l'économie mondiale. Tout compte fait, les théories de l'endettement sont l'interface des théories de la croissance, c'est-à-dire qu'elles commencent par fixer un objectif de croissance, pour ensuite déterminer ce qui fait défaut (double déficit d'épargne et de ressources en devises) en vue de quantifier le volume d'endettement nécessaire pour promouvoir la croissance. D'ailleurs, la structure des modèles d'endettement est identique à celle des modèles de croissance: mêmes hypothèses, identité des fonctions macroéconomiques, etc. Or, on sait aujourd'hui que les modèles de croissance sont inopérants et pêchent par un excès de globalisme ce qui fait qu'ils n'ont pas réussi à expliquer dans le Tiers-Monde toute la complexité de la dynamique de croissance, ni à permettre l'élaboration d'une politique de croissance auto-entretenueou tirée par les exportations. Au total, les théories d'endettement telles qu'elles apparaissent ont de très faibles capacités explicatives. Elles n'ont pas pu prévoir l'accélération de la dette et tous les enjeux qui s'y attachent. Malgré leur très grande sophistication, elles s'avèrent encore incapables d'évaluer les faits d'endettement, de les analyser au plan technique pour mesurer leurs incidences sur la croissance et les structures économiques et enfin de prospecter l'avenir pour une gestion adéquate de la dette. Cette limite des théories nous prive d'un cadre méthodologique adéquat et nous impose une évaluation essentiellement empirique qui parte des faits et chiffres observés. Par ailleurs, les observations globales sur l'évolution de l'endettement et les théories explicatives usuelles indiquent l'opportunité d'un élargissement du débat pour résoudre des questions devenues aujourd'hui absolument urgentes et incontournables concernant les mécanismes de génération et de propagation de la dette ainsi que les solutions à un phénomène qui perturbe les équilibres économiques et affaiblit à perpétuité les pays emprunteurs installés dans un état de crise permanente les 13 rendant incapables d'amorcer une relance de la croissance en vue d'atteindre entre autres objectifs le remboursement de la dette. Nous avons axé cette recherche sur l'Afrique de l'Ouest, c'est-à-dire l'ensemble des 16 états regroupés au sein de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) et de l'UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine). Cet espace offre des situations d'endettement assez contrastées et encore mal étudiées. Globalement et en comparaison avec les grands pays endettés d'Amérique Latine, la dette Ouest-Africaine n'est pas particulièrement lourde. On observera que celle du Mexique, en 1984, était deux fois et demie plus élevée. C'est seulement en rapport avec les capacités effectives de remboursement que la dette soulève des problèmes quasi insurmontables.Cette capacité de remboursement est révélée par les ratios de solvabilité que sont les rapports de la dette au PNB et aux exportations. Ces ratios se présentent comme suit: Principaux ratios d'endettement des pays de la CEDEAO :1970-1987 Encours de la dette extérieure publique et privée (dette totale à long tenne) en pource ntage du PNB PAYS Bénin Burkina-Fasso 1970 1980 1987 15 7 30 57 44 69 Service de la dette extérieure publique et privée en pou,.. centage des expor· tations de biens et services 1970 Encours de la dette publique extérieure en pourcentage du PNB Service de la dette publique extérieure en pourcentage des exportations de biens et services 1980 1987 1970 1980 1987 2,4 2,9 15,9 57 2,4 n.c. n.c; n.c. n.c. 44 69 6,8 n.c. 21 15 2,9 7,5 15,9 7,5 15 7 30 6,8 n.c. n.c. n.c. 1970 1980 1987 Côte-d'Ivoire 20 21 15 48 124 7,5 25,9 40,8 19 44 90 7,1 24,0 19,6 Gambie 10 44 151 0,5 1,2 12,9 10 44 151 0,5 1,2 12,9 Ghana 23 26 45 5,5 8,3 20,3 23 26 45 5,5 8,3 19,2 47 63 119 53 78 n.c. 17,2 n.c. 47 63 78 n.c. 17,2 n.c. 321 108 n.c. n.c. n.c. 321 108 n.c. 37,0 6,3 3,6 11,1 19,0 6,3 2,5 9,9 18,2 46,9 14 119 53 42 109 n.c. 8,1 1,4 3,4 37,0 2,5 9,9 5 16 11,7 Cap-Vert n.c. Guinée Guinée-Bissau n.c. Mali 39 71 Mauritanie 14 Lbéria Niger 42 109 96 215 73 n.c. 39 71 96 8,1 1,4 215 60 3,4 4,0 3,6 11,1 6,0 n.c. 18,2 33,5 Nigéria 4 28 5 22,3 4 33 10,0 4,0 3 12 1,8 34 2,8 22,1 4,3 16 111 69 110 Sénégal 68 2,9 21,6 21,4 Sierra-Léone 14 33 55 10,8 14,3 n.c. 14 33 55 10,8 14,3 n.c. Togo 16 91 3,1 8,1 14,2 16 82 91 3,1 8,1 14,2 n.c. 82 7,1 Source: Banque Mondiale, Rapport 1989 sur le développement dans le monde. 14 Ces indicateurs ne laissent aucun doute sur l'apparition rampante d'une crise potentielle de solvabilité pour presque tous les pays de la sous-région dont au moins six en 1987 étaient engagés pour plus de leur production intérieure; ce sont la Côte d'Ivoire, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Libéria, la Mauritanie et le Nigéria. Par ailleurs, le ratio de solvabilité est plus mauvais dans la CEDEAO que dans l'ensemble des PVD, ce qui explique parfaitement le degré de dégradation de la situation ouest-africaine et en conséquence le désintérêt des investisseurs privés du Nord. L'endettement des pays d'Afrique au Sud du Sahara en général, et de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) en particulier, présente un certain nombre de caractéristiques qu'il convient de souligner. En effet, sur une dette extérieure globale d'environ 142 milliards de dollars en 1987, chacun des 43 pays africains au Sud du Sahara concernés par les statistiques de la Banque Mondiale (les données ne sont pas disponibles pour le Mozambique et l'Angola) ne doit en moyenne qu'environ 3,3 milliards de dollars. A titre de comparaison, cette moyenne en 1987 représente 21,5 milliards de dollars en Amérique Latine et aux Caraïbes ; 13,7 milliards de dollars en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique ; 9,2 milliards de dollars en Asie du Sud et 14,6 milliards de dollars en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En considérant par contre le ratio du service de la dette publique extérieure aux exportations de biens et services, on obtient pour l'ensemble des 43 pays africains subsahariens étudiés un chiffre de 14,7 % en 1987 contre seulement 7,2 % en 1980 et 5,3 % en 1970. En déglobalisant, on observe par exemple que ce ratio est encore plus élevé pour certains groupes de pays africains pauvres :19,6% pour les 9 économies sahéliennes et 17,9% pour les économies à faible revenu (Nigéria non compris du fait de son poids relatif important). De même, en rapportant l'encours de la dette publique extérieure au PNB, on mesure une fois de plus le caractère écrasant du poids de la dette pour les fragiles économies africaines sub-sahariennes. En effet, de 13 % seulement en 1970, ce ratio passe brutalement à 21 % en 1980 pour finalement atteindre le niveau record de 81 % en 1987. Plus grave, en considérant le sous-groupe africain des économies à faible revenu, on obtient un taux de 92 % en 1987 contre seulement 22 % pour l'Asie du Sud et 28 % pour l'ensemble mondial des économies à faible revenu. Il ressort de ces statistiques que la situation d'endettement extérieur de l'Afrique sub-saharienne ne présente ni la même acuité, ni la même importance relative que celle des autres parties du monde en développement notamment l'Amérique Latine. Et pourtant, elle est une source de préoccupation croissante pour leur développement et leurs créanciers internationaux. En réalité, il existe deux raisons principales à cela: - la première procède de la rapidité avec laquelle augmente l'endettement extérieur de l'Afrique sub-saharienne telle que nous venons de l'illustrer ; 15 - la deuxième raison tient au fait que les recettes d'exportation des pays d'Afrique au Sud du Sahara proviennent pour l'essentiel de produits primaires dont les prix sont soumis à de fortes fluctuations et à des baisses tendancielles qui aboutissent à une détérioration de leurs revenus. Dès lors, les milieux financiers internationaux n'accordent plus aux africains la même confiance manifestée aux pays exportateurs de produits manufacturés, dont les recettes d'exportation sont plus stables et plus prévisibles. Pour les pays d'Afrique de l'Ouest membres de l'Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA), la dette extérieure est passée de 270,4 milliards de FCFA en 1973 à 3 901 milliards en 1983 et à 5 511 milliards en 1988. En l'espace de 15 ans, elle aura donc été multipliée par plus de 20. Il faut dire qu'à l'image de l'ensemble du continent africain, cette croissance exceptionnelle de la dette dans les pays de l'UMOA a été déterminée par les modifications de l'environnement extérieur, les développements économiques internes et bien entendu l'évolution subséquente de la position du compte courant. C'est ainsi que dans un premier temps, de 1973 à 1976, l'ajustement des pays de la zone au premier choc pétrolier a conduit à un recours modéré à l'endettement extérieur, effectué pourtant à des conditions douces. Mais en 1976-1977, la brusque flambée des cours des matières premières (café, cacao, phosphates notamment) a incité plusieurs Etats à accroître leurs programmes d'investissements publics et à les financier par des emprunts extérieurs à des conditions onéreuses. Ces emprunts furent, pour l'essentiel, contractés auprès des banques internationales privées désireuses de recycler leurs excédents de liquidités provenant des placements des pays pétroliers. Cette politique se poursuivra de 1978 à 1980. Le second choc pétrolier en 1979 va entraîner une forte détérioration de la situation du compte courant dont le financement sera assuré par des ponctions sur les réserves de change accumulées en 1977. Mais à partir de 1980, la persistance et surtout l'élargissement du déficit courant impliqueront un recours, de plus en plus accentué aux emprunts extérieurs, aux concours du FMI et aux avances du Trésor français en compte d'opérations. Dans le même temps. la récession mondiale s'étend, conduisant à un ralentissement du commerce international, à un effondrement des cours des matières premières, à une forte hausse des taux d'intérêt et à l'amplification du désordre monétaire international. Ces nouveaux développements aggravent le déséquilibre des paiements extérieurs nets des pays de l'UMOA dont le niveau évalué à - 465,7 milliards FCFA en 1979, atteint573 milliards en 1986 pour se situer à - 6599,7 milliards au 30 juin 1989. L'ampleur de ces besoins de financement, dans un environnement international de taux d'intérêt élevés et de surévaluation du dollar (198287), justifie l'explosion de la dette tout au long des années 80 malgré une 16 réduction concomitante du volume des investissements publics. Ainsi, en l'absence du compte d'opérations, il est probable que l'endettement extérieur public des pays de l'UMOA aurait atteint des montants encore plus élevés entre 1979 et aujourd'hui. Cette analyse montre l'ampleur du phénomène contemporain de l'endettement ainsi que ses incidences multiples et multiformes. Incontestablement, il déterminera le cours de l'histoire immédiate des économies en voie de développement au plan économique, politique, social, voire culturel, et. probablement, il induira des modifications radicales des choix et options de développement par suite du poids que prennent les institutions financières et bancaires internationales. En effet, il risque de s'opérer des transferts de souveraineté monétaire des Etats aux banques créancières et cela ne manquera absolument pas d'avoir des incidences décisives sur la gestion du développement et sur les politiques économiques. Il est bien évident que si l'on continue à accumuler des dettes les pays finiront par être incapables d'en assumer le service. Alors la question se posera inévitablement de savoir qui doit payer cette insolvabilité, comment répartir les coûts et que faire après? Quelle solution au problème de la dette africaine face à l'attitude négative des créanciers? Faut-il attendre d'hypothétiques négociations multilatérales sans être sûr d'enrayer définitivement les causes profondes de l'endettement ? Ne faut-il pas s'attaquer aux politiques qui ont généré cet endettement massif et permanent? Quelles politiques appliquer pour relancer l'économie, exploiter toutes les ressources nationales et augmenter les richesses pour rendre les pays aptes à se passer de l'endettement ? Ce sont là des questions auxquelles cette analyse tente de répondre. En effet, si l'endettement est capable de mettre en péril une partie de l'économie mondiale, il devient très important de s'en préoccuper. Pour ce faire, nous proposons d'analyser les statistiques disponibles pour avoir une vision quantitative fiable de la dette, de son évolution et de sa répartition par grandes sources de financement. Ainsi, on sera mieux à même de comprendre les risques d'insolvabilité et les politiques mises en place et conduites dans le cadre des conditionnalités des institutions financières internationales comme la Banque Mondiale et le FMI. Ces politiques sur beaucoup d'aspects font retomber sur les populations le poids financier d'erreurs passées et conservent à leur profit l'otage que l'on sait déjà être incapable d'honorer ses engagements. Les limites des programmes rigoureux d'austérité appellent impérativement la recherche de solutions alternatives c'est-à-dire de nouveaux cadres de référence au développement économique et social. Nous avons examiné toutes ces questions complexes en trois points intimement liés mais que nous avons séparé pour des raisons purement pédagogiques: - la problématique de l'endettement économique à travers les pays Ouest-Africains regroupés dans la CEDEAO et l'UMOA ; 17 - les mécanismes de propagation et d'élargissement de la dette extérieure ; - les politiques de redressement et d'ajustement ainsi que leurs incidences au plan socio-économique. 18 PREMIERE PARTIE L'ETAT DE L'ENDETTEMENT EN AFRIQUE DE L'OUEST 19 Théoriquement, la montée de l'endettement dans les pays du TiersMonde en général et de l'Afrique de l'Ouest en particulier ne devrait relever d'aucun mystère ni susciter aucune inquiétude. Les modèles de développement mis en place, s'inspirant des présupposés de l'analyse néo-classique et keynésienne croyaient aux vertus d'une croissance transmise de l'extérieur.. En postulant que les pays sont en retard de développement et qu'ils doivent réaliser une croissance rapide, aux taux le plus élevé possible compte tenu des faibles bases de l'accumulation productive, la réalisation de tels objectifs passerait nécessairement par le recours à des ressources financières externes qui viendraient compléter l'épargne intérieure déficiente. Du coup l'endettement est inscrit dans la logique même du développement. Les travaux du Pr Charles Kindelberger devraient apporter quelques clarifications en établissant une corrélation entre la croissance et le niveau d'endettement considéré comme une variable essentielle du financement du développement(1). Malgré tout, des appréhensions et des doutes commencent à habiter les partisans des politiques de croissance en économie ouverte. Qu'est-ce qui les inquiète véritablement dans l'allure que prend l'endettement du Tiers-Monde ? Est-ce pour eux le temps de quelques incertitudes théoriques prenant leur source dans l'évolution irrémédiable vers une crise généralisée d'insolvabilité, qui instaurerait une crise économique spectaculaire. Comment se présente cette évolution de la dette des pays d'Afrique de l'Ouest et quels sont les mécanismes explicatifs? Au plan global les statistiques rendues disponibles par les Etats et les Institutions Internationales (Banque Mondiale, Fonds Monétaire International, OCDE) permettent d'observer trois moments dans la montée de l'endettement des pays du Tiers-Monde, Le premier va de 1970-1979 et englobe le premier choc pétrolier. La dette dans cette période est passée pour la Banque Mondiale de 114 milliards de dollars en 1970 à 369 (1) Ch.-P. Kindlberger, The World economic slowdown sine the 1970'5. Economie Internationale, Collection .. Tendances actuelles ", 7' édit., Paris, 1983. 21 milliards et pour l'OCDE, elle a évolué de 119 à 388 milliards de dollars. Bien que les deux agrégats ne soient point numériquement identiques, ils ont progressé cependant au même rythme annuel de 20 %. Le deuxième moment est l'expression d'une phase d'accélération de l'endettement qui se fixe à 450 milliards de dollars avec une aggravation surtout du service de la dette, qui, se situant à 87 milliards en 1980, est monté à 100 milliards l'année suivante. C'est la période où beaucoup d'emprunts vont désormais servir à payer des dettes. Dans cette période, les prêts en provenance des organisations internationales et des organismes publics vont baisser et passeront d'environ 61 % à 51 %. Les banques privées prendront le relais et introduiront des éléments d'instabilité: conversion de dépôts à court terme en prêts à long terme, engagements financiers excédant de loin les fonds propres. Le dernier moment de l'endettement est celui d'une augmentation encore plus substantielle dans une situation de dépression de l'économie mondiale. Cette situation était aggravée par la montée des taux d'intérêt, la surévaluation du dollar et la montée du protectionnisme. Des perspectives de banqueroute se dessinaient particulièrement pour les grands endettés du Tiers-Monde, les cessations de paiement et les demandes de rééchelonnement s'étaient multipliées. Dans cette situation, des évaluations diversifiées se font, des bilans qui souvent manquent d'innocence s'établissent et des opinions se forment. Pour certaines, les dettes du Tiers-Monde vont ébranler l'édifice économico-financier mondial par la faute des institutions financières internationales qui, par des montages financiers trop laxistes, ont fait preuve d'une folie suicidaire. Pour d'autres, au contraire, cette attitude alarmiste n'a aucun fondement rigoureux ni théoriquement ni pratiquement car, en dernière analyse, tous les pays riches vivent à crédit et sur des montagnes de dettes. C'est la cas surtout des Etats-Unis où la simple dette des collectivités locales est l'équivalent de six fois "ensemble de la dette du TiersMonde et des pays d'Europe de l'Est. Il importe, pour avoir des idées plus nettes, d'analyser les comportements caractéristiques de la dette des Etats d'Afrique de l'Ouest, pour ensuite cerner les facteurs et les mécanismes de sa propagation. De la sorte, on sera plus édifié sur les aspects de la dette qui suscitent tant d'interrogations, de controverses mais aussi d'inquiétude. CHAPITRE 1 - LA MONTEE DE L'ENDETTEMENT EN AFRIQUE DE L'OUEST ET DANS L'UMOA Bien que l'endettement de l'Afrique de l'Ouest remonte avant les indépendance des Etats, on s'accorde à établir que le premier envol a véritablement démarré après le premier choc pétrolier de 1973. Les pays pauvres et pauvres en pétrole se sont retrouvé avec des déficits commer22 ciaux qu'ils ont financé par recours au système financier international qui était dans une situation de surliquidité et cherchait en conséquence des placements à tous les prix. Comparativement aux grands endettés d'Amérique latine, la dette des (16) pays d'Afrique de l'Ouest regroupés au sein de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l'Ouest) est relativement modeste. Elle équivaut à la moitié de la seule dette du Mexique. Toutefois, rapportée aux indicateurs économiques comme le PIB et les exportations, elle prend un poids insupportable. Pour y faire face, et au regard de "insuffisance de l'aide publique au développement, les Etats de la CEDEAO vont recourir de plus en plus à l'endettement extérieur pour éviter l'asphyxie financière. 1) L'ampleur de l'endettement Selon le Rapport 1989 de la Banque Mondiale sur cc le développement dans le monde ", l'encours de la dette extérieure publique et à garantie publique de l'ensemble des seize pays ouest-africains est passé de 16,2 milliards de dollars en 1980 à 53,7 milliards en 1987et 70,3 milliards en 1989. Ces chiffres recouvrent les dettes à moyen et long terme contractées à l'extérieur par le secteur public ou des organismes publics ainsi que les dettes de même échéance contractées à l'extérieur par le secteur privé et dont le remboursement est garanti par un organisme public. Ils ne comprennent donc pas les dettes à échéances inférieures à un an, ni les tirages auprès du Fonds fiduciaire, ni les dettes remboursables en monnaie nationale, ni non plus les investissements directs. Or, ces " omissions " peuvent représenter parfois jusqu'à 50 % des obligations extérieures reprises en compte dans le système d'enregistrement de la dette. C'est ainsi par exemple qu'en 1980, l'ensemble ce ces seize pays ouest-africains totalisait en réalité une dette extérieure globale de 24 milliards de dollars pour les 16,2 milliards enregistrés au titre de la dette publique et à garantie publique, soit une cc omission" de 48 % (voir tableau page 24). Le principal enseignement qu'il convient de tirer de ces précisions statistiques est que les chiffres connus de la dette extérieure ouest-africaine ne rendent qu'imparfaitement compte de la situation des obligations extérieures des Etats; ils n'en sont donc que plus inquiétants. Au niveau global, on constate que la dette extérieure de la sous-région s'est accrue à un rythme moyen annuel soutenu de 19,8 % entre 1970 et 1982 et, modifiant la base, de 24 % entre 1980 et 1987. Rapportée au PNB global de la sous-région (69,4 milliards de dollars en 1987), elle absorbe 92,8 % de ce lu i-ci en 1987 contre seu lement 9,3 % en 1977 et 16 % en 1982. 23 1\) ~ (I)"O <: 0°0 c: .... c III ... Dette il long terme !il.• "iii""Tl ~ llJ~1l> C PAYS Il> CD~ CD Q) .D~ ~~fS s::::0Q. ° CD ° :J~5 Dette publique et il garantie publique 1970 1980 1987 41 21 348 20 4328 106 1128 1032 125 573 929 794 121 8450 273 2207 2010 391 1152 1847 1868 1259 27769 Dette privée non garantie 1970 1980 Recours au crédit FM Total de la dette extérieure Dette il court terme 1987 1970 1980 1987 1970 1980 1987 970 1980 1989 n.c. 68 204 n.c. 416 n.c. n.c. 35 n.c. 334 n.c. 5801 5801 137 1312 1117 131 708 720 1177 756 130 15412 342 3078 2176 449 1761 2157 2010 1578 32832 4189 1056 1186 c !! m m Q,"o CD- Il> ëD- .CD en CD CD CI) li) JJ~C )( Bénin Q)~::' Burkina-Fassa Cap-Vert n.c. iô~~ Côte-d'Ivoire Guinée 255 5 487 312 Guinée-Bissau n.c. 158 238 27 32 452 100 59 40 :goll> 0°0. ~ 3 CD $= li) Ill- l3 8 Gambie f:i :;) C -o~ (1)0_ o.~ro ~.~ 3 ~ : ro O~ro "o~~ Ghana ". (])~ ...... Libéria 3. .0 Mali 0. ro ë Mauritanie 3~CO ro -..J Il> ~ li) ro ~ Niger 3 i Nigéria °~ 0. .ro DI Sénégal "0 i ~ Sierra-Léone ro CD Togo ~ lX> ~ ffi' Total C ro 2227 299 685 734 399 4204 958 351 913 16203 3068 513 1042 53693 0 0 0 0 0 0 414 3264 0 0 10 30 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 305 254 1097 352 9 42 0 0 0 0 0 0 0 0 0 46 3 0 4 9 0 0 0 0 0 0 167 1835 3942 62 0 0 0 11 0 10 0 0 0 0 0 n.c. 115 31 0 0 0 0 0 0 8 43 5 1 53 11 34 0 0 98 28 14 0 0 0 576 23 778 30 2 291 75 47 91 0 267 n.c. 65 n.C. 67 11 1265 24 108 138 31 175 94 119 75 1657 319 63 102 4452 n.c. n.c. n.c. 0 1059 23 131 n.c. 80 n.c. 5 81 24 n.c. n.c. 83 n.c. 78 n.c. 159 3553 219 54 113 295 2341 n.c. 5669 n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. n.c. 833 n.c. 863 n.c. 8854 n.c. 1284 433 1041 n.c. n.c. n.c. 24004 70296 .... (D. co~ ...... m Oc: 1 ... .... m co_ 0)0 ...... D) 3iD =0. -m 0(1) ::::J'a UlD) 0.0< m(l) 0.0. 2,m ... iiii.) (1)0 -m C m » o Ces chiffres indiquent manifestement une détérioration croissante de la situation d'endettement extérieur, n'ayant du reste épargné aucun des seize Etats de la CEDEAO. C'est ainsi que sur le plan individuel, si en 1980, la dette extérieure publique et privée absorbait entre un minimum de 5 % (Nigéria) et un maximum de 119 % (Guinée-Bissau) du PNB contre respectivement 4 % (Nigéria) et 71 % (Mali) en 1970, ces deux taux extrêmes atteignent respectivement 44 % (Burkina-Faso) et 321 % (Guinée-Bissau) en 1987. En valeur absolue, le Nigéria et la Côte-d'Ivoire demeurent les Etats de loin les plus endettés de la CEDEAO puisqu'à eux deux, ils détenaient 67 % de la dette extérieure totale contre 54 % en 1982. Ils sont suivis par le Sénégal, la Guinée Conakry, le Ghana et la Mauritanie qui, à eux quatre, détenaient 17 % de la dette totale en 1987 contre 24 % en 1982. On sait cependant que ce n'est pas tant la valeur absolue des engagements extérieurs qui importe, mais plutôt leur valeur relative rapportée à la capacité de remboursement du pays débiteur. Et dans cette optique, les données deviennent presque inversées lorsqu'on sait par exemple que la dette extérieure du Nigéria - réputée la plus lourde de la région - ne représentait que 5 % de son PNB en 1980, 6 % en 1981, 9 % en 1982, mais brutalement 111 % en 1987. A l'inverse, en excluant la Gambie et le Cap-Vert, deux petits pays sous-peuplés (respectivement 800 000 et 300 000 habitants en 1987), le pays le moins endetté en valeur absolue - à savoir la Guinée-Bissau traînait le poids relatif le plus important avec une dette extérieure représentant 119 % de son PNB en 1980 et 321 % en 1987. De même, en rapportant le service de la dette extérieure publique et privée aux exportations de biens et services (principal indicateur de la capacité effective de remboursement), la situation demeure alarmante dans la région. C'est ainsi que les taux variaient entre un minimum de 2,5 % (Libéria) et un maximum de 46,9 % (Niger) en 1987 contre respectivement d'une part 2,8 % (Nigéria) et 25,9 % (Côte-d'Ivoire) en 1980 et d'autre part seulement 0,5 % (Gambie) et 10,8 % (Sierra-Léone) en 1970. Pour 1989, la structure de l'endettement est la suivante: Endettement de la CEDEAO en 1989 1) Pays à faible revenu gravement endetté PNB par tête 1 Bénin 2 Ghana 3 Guinée 4 Guinée·Bissau 5 Libéria 6 Mali 7 Mauritanie 8 Niger 9 Nigéria 10 Sierra-Léone 11 Togo en dallars Dette par tête en dollars Dette totale en millions dollars 356 345 460 174 404 241 474 266 242 220 368 256 213 392 468 712 263 1 029 211 289 261 328 1 177 3078 2176 449 1 761 2157 2010 1578 32839 1 056 1 186 Total .............................................................................. 49467 2) Pays à revenu intermédiaire gravement endetté PNB par têle en dallars Dette par tête Dette totale en dollars en millions dollars 722 1 316 616 574 12 Côte-d'Ivoire 13 Sénégal 15412 4189 3) Pays à faible revenu modérément endetté 403 223 14 Gambie 342 4) Pays à revenu entermédlalre modérément endetté 15 Cap-Vert 764 130 352 5) Autres pays 16 Burkina-Fasso 291 1 86 1 756 1 RECAPITULATION: • Dette de 48 Etats africains • Dette de la CEDEAO Salt . . . 249,220 milliards 70,296 milliards 28,30 % de la dete africaine. En considérant le cas du sous-groupe des sept pays appartenant à l'UMOA (Bénin, Burkina-Faso, Côte-d'Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo), on observe une situation explosive de l'endettement dans la région. En effet, l'encours du service de la dette y passe de seulement 47,2 milliards FCFA en 1975 à 652,8 milliards en 1983,758,0 milliards en 1985 et 504,0 milliards en 1987, absorbant depuis 1984 en moyenne 35 % des recettes d'exportation (voir tableau). U.M.O.A. - 1975 1976 Bénin Burkina-Fasso Côte-d'Ivoire 1,4 1,1 Evolution du service de la dette extérieure (en milliards de francs CFA) 1977 1978 1,0 1,3 1,6 1,2 1,2 1,3 29,6 44,0 66,6 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1,1 1,5 5,9 15,2 24,8 37,8 38,5 28,9 26,4 2,0 3,6 4,1 5,8 6,8 9,5 20,0 13,2 11,9 447,3 504,0 498,1 364,1 318,9 89,7 128,8 173,3 206,0 320,5 Mali 0,7 1,0 1,7 2,0 1,9 1,8 2,5 2,7 12,8 28,6 34,3 39,0 31,0 Niger 1,8 2,3 2,3 2,1 2,8 8,2 17,2 36,2 37,4 44,1 44,3 33,1 31,1 Sénégal 8,8 10,6 13,9 22,4 26,0 37,4 25,2 21,4 72,5 79,7 82,3 65,0 62,0 Togo 3,7 5,7 13,9 10,8 7,9 12,7 11,0 11,0 51,2 47,6 39,S 27,6 22,7 Union 47,2 652,8 751,3 758,0 560,9 504,0 65,9 100,7 129,9 170,5 238,5 271,9 412,8 Source: Banque Mondiale· External Debt. System, BCEAO countries· : 1986 : 1 § US =340 F CFA; 1987: 1 § US =330 F CFA. Suivant la même tendance, l'encours de la dette publique extérieure y explose en moins d'une dizaine d'années passant de 1 120 milliards FCFA en 1979 à 5511 milliards en 1988 (voir tableau). UMOA - Evolution de l'encours de la dette publique extérieure (en milliards francs CFA) 1979 1980 1981 Bénin Burkina-Fasso Côte-d'Ivoire Mali Niger Sénégal Togo UMOA 62 52 745 219 55 133 73 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 76 116 191 258 278 293 310 327 336 71 52 120 172 186 181 193 223 253 972 1396 1815 2186 2488 2372 2306 2550 2600 303 422 569 621 571 555 541 568 608 87 184 203 275 334 327 340 366 380 187 273 426 668 785 826 869 914 975 209 257 271 342 352 331 361 348 359 1120 1 602 2251 3026 3901 4994 4885 4920 5296 5511 (') Mali inclus à partir de 1984. Source: BCEAO, Dakar, 1989. Cependant, la source principale des problèmes de la dette dans les pays de l'Union Monétaire Ouest-Africaine réside dans la faiblesse des emprunts contractés en francs français (FF). Bien souvent, beaucoup de partisans de la Zone Franc ont soutenu que les fluctuations du FF par rapport aux principales devises n'avaient pas d'jncidence significative sur la dette extérieure des pays africains membres de ladite zone, dont ceux de l'UMOA, du fait de leurs relations financières privilégiées avec la France. Cette assertion qui implique que la plupart des emprunts de ces pays soient libellés en FF est démentie par l'expérience de l'UMOA. En effet, comme l'indique la répartition de "encours de la dette de l'UMOA par devises, la part des emprunts contractés en FF a constamment varié au cours de la période 1973-1983 entre un seuil maximum de 35,4 % et un minimum de 22,5 %. Depuis lors, la situation n'a pas sensiblement évolué. En fait, la structure de la dette des Etats de l'UMOA fait apparaître, à partir de 1976, une nette prédominance des emprunts libellés en dollars US, à l'exception notable des années 1980 et 1981. Ainsi, l'essentiel des prêts bancaires internationaux se faisant dans la devise américaine, principale monnaie de réserve du système monétaire international, la dépréciation prononcée du FF vis-à-vis du dollar au cours de la décennie 1980 (de moins de 4 FF en 1980 à plus de 10 FF en 1987 pour 1 dollar US) a nota27 blement aggravé les problèmes de la dette dans l'UMOA à l'instar de l'ensemble de la région. L'ampleur des difficultés engendrées par l'alourdissement ininterrompu de la dette ouest-africaine va conduire dès la fin des années 1970 aux premiers rééchelonnements dans la région et qui vont par la suite se généraliser à "ensemble des pays tout au long des années 1980. C'est ainsi que de seulement 15 milliards FCFA rééchelonnés en 1980, les pays de "UMOA se retrouvent avec 313 milliards en 1985 et 174 milliards en 1988. Sur une dizaine d'années, le montant cumulé des rééchelonnements pour les sept pays membres (voir tableau) atteint la somme de 1 558 milliards FCFA, soit l'équivalent de 6 milliards de dollars US. UMOA - Rééchelonnements obtenus par les pays : 1980-1988 (enmilliards de francs CFA) 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 Bénin Burkina-Fasse Côte-d'Ivoire Mali Niger Sénégal Togo UMOA 16 217 235 252 273 26 14 4 38 30 9 28 27 20 37 21 20 23 17 16 19 15 14 13 15 27 40 88 281 313 312 308 174 174 (*) Mali inclus à partir de 1984 Source: BCEAO, 1989. Dakar. A l'évidence, les économies africaines ne peuvent soutenir à la longue de telles charges excessives au titre des échéances annuelles en intérêts et en capital, sans compromettre dangereusement leur croissance et la poursuite de leur développement, par instauration d'un cycle de déflation qui réduirait leur capacité de remboursement déjà insuffisante. 2) Les caractéristiques principales de la dette L'une des caractéristiques majeures de la dette extérieure ouest-africaine réside dans la part prépondérante prise progressivement par les emprunts auprès des sources privées dans l'encours global de la dette. En effet, celle-ci est passée de 25,9 % de la dette totale en 1970 à 50,6 % en 1982 et 58,3 % en 1988. 28 Ce retournement de situation est d'autant plus remarquable qu'il s'inscrit dans une tendance inverse à celle de l'ensemble des pays africains subsahariens pour lesquels les taux correspondants sont de 40,8 % en 1970,31,5 % en 1982 et 34,1 % en 1988. En réalité, une déglobalisation permet d'observer que cette tendance à la prépondérance des crédits d'origine privée dans l'encours de la dette extérieure ouest-africaine à partir de la fin des années 1970 tient essentiellement au comportement des deux principaux emprunteurs de la région (Nigéria et Côte-d'Ivoire) où le boom pétrolier (pour le premier) et cacaoyer pour le second ont conduit à des emprunts massifs et imprudents auprès d'un système bancaire international intéressé et complaisant. La conséquence d'un tel laxisme ne s'est pas fait attendre : ce sont l'alourdissement de la dette et l'accumulation d'arriérés de remboursement conduisant à la situation où la dette extérieure absorbe en 1987 111 % du PNB nigérian et 124 % de celui de la Côte-d'Ivoire, et dont plus des deux tiers ont été contractés auprès de sources privées. Une autre caractéristique importante de la dette ouest-africaine est qu'elle ne contribue pas significativement à accroître la production nationale, ni a fortiori les exportations. En effet, alors même que la dette extérieure s'est accrue au rythme annuel moyen de près de 20 % entre 1970 et 1982 et de 24 % entre 1980 et 1987, le taux moyen de croissance du PIS des Etats de la région restait en général faible, voire négatif (3,1 % entre 1973-1980 et - 0,1 % entre 1980-1987). Il en est de même pour les exportations de marchandises: 1,2 % entre 1973-1980 et - 2,3% entre 1980-1987. Une telle situation tient au fait que, bien souvent, les emprunts extérieurs n'ont pas servi à financer des investissements productifs, mais plutôt des dépenses d'infrastructures à rendement différé pour la plupart ainsi que des dépenses de prestige par nature improductives. Enfin, une dernière caractéristique de la dette extérieure ouest-africaine réside dans sa mauvaise gestion qui a été en partie à l'origine des difficultés de service de la dette à partir de 1982. Cette mauvaise gestion de la dette procède en effet de facteurs comme: - la multiplicité des organismes publics pouvant contracter des emprunts au nom de l'Etat; - la méconnaissance quasi totale des emprunts non garantis contractés par le secteur privé et remboursables en devises; - l'absence de structures adéquates de gestion de la dette dotées de moyens et de pouvoirs nécessaires pour collecter et centraliser les informations en vue d'un suivi efficace et d'un contrôle opérant de la croissance de l'endettement. Dans la pratique, cette mauvaise gestion de la dette conduit fréquemment à des ruptures de trésorerie en devises impliquant des demandes subséquentes de réaménagement de certaines échéances. 29 3) L'endettement commercial et la situation relative des Etats Pour illustrer la situation relative des Etats ouest-africains en matière d'endettement commercial, nous avons choisi de considérer le cas typique constitué par les pays de l'UMOA parmi lesquels figure le deuxième gros emprunteur de la région (la Côte-d'Ivoire). La structure de la dette de ces pays, à l'instar de l'ensemble de la région, s'est profondément modifiée depuis la deuxième moitié des années 1970, se traduisant par une régression relative des concours publics (gouvernementaux et internationaux) au profit des financements extérieurs aux conditions du marché. C'est ainsi qu'en 1985, l'endettement commercial y atteint 62,5 % du total du service de la dette du fait du coût onéreux et des échéances plus courtes des prêts consentis par les sources privées (crédits bancaires et crédits fournisseurs). Ce ratio, pour la même année, varie d'un minimum de 3,3 % (Mali) à un maximum de 78,8 % (Bénin). le principal emprunteur du groupe (la Côte-d'Ivoire) affichant un taux substantiel de 77,2 %. En 1986, la tendance demeure sensiblement la même avec respectivement pour les trois pays ci-dessus qui continuent d'occuper les mêmes positions 2,0 % ; 75,4 % et 74,1 % (voir tableau). Service de la dette axtérieure en 1985 et 1986 dans l'UMOA (en millions de francs CFA) 1985 Bénin Burkina Côte·d'Ivolre Mali Niger Sénégal Togo Delle multilatérale Delte bilatérale Delte bancaire Crédits fournisseurs 5037 3471 30505 1220 7577 6196 7036 1367 70303 48266 362709 39749 7714 26914 993 211 8026 13004 22116 3175 20177 44635 19636 2647 9300 30800 7500 1300 Total 40233 22176 521027 35832 46321 87095 48 900 78,8 37,8 77,2 3,3 54,6 25,5 17,9 Delte multilatérale Delte bilatérale Delte bancaire Crédits tournisseurs 5958 3653 28296 1 170 8708 7055 2943 1283 78358 50164 329716 34299 8204 29897 900 203 8455 14480 19871 1 966 23079 51022 12367 1 535 7900 36 800 7500 2100 Total 39077 19989 492537 39204 44772 88003 54 300 75,4 21,1 74,1 2,0 48,7 15,7 17,6 Part de la delte commerciale (%) 1986 Part de la delte commerciale (%) Source: Banque Mondiale, BCEAO, Cinquième Club de Paris, 1987. 30 CHAPITRE Il - LES EXPLICATIONS DE LA MASSIFICATION DE L'ENDETTEMENT EN AFRIQUE DE L'OUEST La décennie des années 1960 a été caractérisée par une conjoncture mondiale particulièrement favorable, avec une expansion économique au niveau des pays industrialisés et une très forte accélération des échanges internationaux. Cet ensemble de facteurs a été positif pour une bonne partie des pays du Tiers-Monde, particulièrement ceux dont les revenus sont élevés et dont les dotations factorielles naturelles importantes constituent un potentiel de développement. Ces pays ont connu dans cette période des taux de croissance élevés compris entre 4 et 8 % ; ceux-ci s'expliquent d'abord par la conjoncture mondiale favorable qui accroit la demande externe de ces pays, ensuite à la relative stabilité des prix à la fois des matières premières, et surtout des biens d'équipement et des produits manufacturés et enfin par l'importance des transferts de ressources financières d'origine publique. Dans chaque région émergent quelques pays semi-développés qui élargissent l'aire géographique du capitalisme. Par leurs performances économiques réelles et potentielles, ils vont bénéficier d'une crédibilité vis-à-vis du système mondial, pour trouver les moyens d'amorcer et d'entretenir une dynamique interne de croissance. Ce sont ces pays qui, par la suite, négocieront au moins 90 % des grands prêts consentis au Tiers-Monde. Toutefois, dans les années 1970, s'opère un renversement de tendance avec le quadruplement des prix des produits pétroliers, l'augmentation des prix des biens d'équipement et de consommation, la détérioration des cours des matières premières et l'élévation des prix des produits alimentaires. Cette situation a entraîné un double déficit de la balance des paiements et des finances publiques et cela particulièrement au niveau des pays sous développés les plus fortement reliés à la division internationale du travail. Cette montée des déséquilibres sera aggravée par d'autres contradictions du système mondial comme les ruptures des équilibres économiques, la ruine de l'édifice monétaire international, la redistribution des surplus financiers en faveur des pays arabes du Golfe. Les pays déficitaires du Tiers-Monde offrent des opportunités d'opérations financières mercantiles. Les banques privées réalisent des crédits à la fois souples et coûteux pour les utilisateurs. Ainsi il apparaît que l'endettement tient à plusieurs phénomènes et ne saurait alors s'expliquer par une cause unique. A la lumière de l'analyse de l'évolution de la dette en Afrique de l'Ouest les facteurs de l'endettement procèdent: - d'abord de l'extrême précarité des modèles d'accumulation et de développement appliqués par les États en se fondant sur la rente minière ou agricole pour la formation des surplus; - ensuite du recours au système financier international pour la résorption des déséquilibres physico-financiers internes ; 31 - enfin de l'utilisation des institutions financières privées évoluant sans règles rigides et échappant au contrôle des Banques centrales. 1) La précarité des modèles d'accumulation et de développement en Afrique de l'Ouest fondés sur la rente minière ou agricole L'analyse économique établit J'importance de l'accumulation du capital dans le développement économique et social. L'élargissement des forces productives matérielles et humaines, la mise en valeur des ressources de base, le renouvellement du processus de production sur des bases élargies sont impossibles sans accumulation, sans disponibilité d'un surplus important. Or, tel n'est pas le cas en Afrique de l'Ouest, où l'accumulation primitive ne s'est pas opérée par suite d'un fonctionnement régulier des présupposés du capital, de la distraction d'une partie des surplus par des groupes sociaux homogènes, très peu hiérarchisés et de la mise en place de mécanismes de transfert des plus-values vers l'ancienne métropole. Dès lors, au moment des indépendances, la plupart des Etats ne disposaient pas de surplus économiques pouvant être mobilisés pour le financement du développement. Certains ont même hérité des formes particulières de mise en valeur coloniale, d'une crise de leurs finances publiques. Par la suite, les déficits courants absorberont les maigres ressources, qui se formeront dans le système économiques. A l'indépendance, les États Ouest-Africains ont mis en place des modèles d'accumulation et de développement se fondant essentiellement sur la rente minière ou agricole. L'exploitation systématique des matières brutes visait à obtenir les devises nécessaires pour couvrir les importations et financer les autres activités. Quant à l'agriculture, elle a eu pour objectif d'abord d'accroître et d'améliorer les ressources en devises ; ensuite de procurer des revenus monétaires aux producteurs ce qui permet d'élargir les bases objectives du marché national et enfin de libérer une partie de la main-d'œuvre pour d'autres secteurs d'activité. Ainsi ces politiques ont développé les activités exportatrices et articulé les systèmes productifs internes à l'économie mondiale. Les résultats furent partout désastreux. Ce modèle d'accumulation et de développement que tous les pays ont adopté, quelle que soit du reste leur option de système, est à la base de quatre situations que sont: - l'amplification du déficit de la balance commerciale par suite d'un mouvement contradictoire d'augmentation en valeur des importations (du fait d'une inflation persistante et du caractère incompressible de la demande de biens importés) et d'une baisse des exportations liée au caractère oligopolistique des marchés des matières premières et des faibles élasticités de la demande; - l'approfondissement du déficit fiscal consécutif au désarmement douanier et fiscal, de même que d'autres concessions pour inciter le capital 32 privé étranger, à la dévalorisation du capital public et à la forte évasion fiscale des titulaires de revenus importants: capitalistes et rentiers; - le déficit alimentaire provenant d'une grave crise agro-alimentaire qui se matérialise par la baisse de la production vivrière par tête et l'avènement de pénuries alimentaires de plus en plus importantes; pénuries dues aux faibles productions vivrières des systèmes agraires locaux, à une forte demande alimentaire liée à l'explosion urbaine et à la généralisation du modèle de consommation urbain fondé sur des biens importes; - les transferts multiples qu'opèrent les entreprises étrangères et certains opérateurs nationaux. La conjugaison de tous ces facteurs, aggravée bien souvent par des chocs extérieurs (tendances conjoncturelles de renforcement de la détérioration des termes de l'échange, l'élévation des taux d'intérêt, surévaluation ou même la sous-évaluation des monnaies fortes), produit le déficit des paiements extérieurs et des finances publiques obligeant les Etats à recourir au financement extérieur. En d'autres termes l'endettement est un produit du modèle de développement et se présente comme un moyen d'ajustement et d'équilibre. Ainsi, en Afrique de l'Ouest, on observera que l'alourdissement de la dette extérieure s'est accentué à la suite de la détérioration des finances publiques et de la mise en oeuvre de certains projets de développement. Le poids de la dette va constituer un sérieux handicap et annihiler tous les efforts de développement accomplis par les pays. Une part de plus en plus importante des recettes d'exportation est absorbée par le service de la dette. 2) Le recours au système financier international pour la résorption des déséquilibres physico-financiers internes. Dans les années 1960, la marge de manœuvre dont disposait le système financier international pour résorber les déséquilibres financiers des pays était très étroite. Le financement ne pouvait provenir que des mouvements autonomes de capitaux (investissements directs, crédits, aides publiques bilatérales ou multilatérales) ou de mouvements compensatoires du FMI qui sont des crédits octroyés selon des conditions très strictes. Dans ces circonstances, les déséquilibres extérieurs des Etats étaient soumis à des règles très rigoureuses. De plus, le système avait mis en place des mécanismes financiers pour assurer la régulation et permettre le retour à l'équilibre. C'est dire que les règles du jeu monétaire issues de Bretton Woods étaient bien observées et les mouvements financiers étaient soumis au contrôle strict des Banques centrales. Cependant, dans les années 1970, ces institutions ont évolué très rapidement et le système financier international a éclaté sous le double effet de l'énorme accroissement des liquidités et de leur manipulation par les banques commerciales privées et les multinationales. Celles-ci opèrent à 33 l'échelle internationale et échappent totalement au contrôle des Banques centrales. Les pays du Tiers-Monde, confrontés à des besoins énormes de financement par suite d'une chute en valeur de leurs exportations et d'un gonflement de leurs importations, vont recourir au marché financier surliquide où les pétrodollars surabondants cherchaient à se placer. Au vu de cette conjoncture favorable, les pays du Tiers-Monde ont établi des projets industriels destinés à la substitution aux importations donc à la consommation des élites (automobiles, électro-ménager, petite électronique, etc.) et, en même temps, ils élaborèrent de vastes et coûteux programmes d'investissements dans les infrastructures socialeset de base. En somme ces pays s'accommodent d'importants déséquilibres et sont assurés de pouvoir recourir à l'endettement pour les résorber. De la sorte, ils deviennent des clients artificiellement « solvabilisés » des industries des pays développés. Ainsi, il ressort de ces constats que l'endettement du Tiers-Monde peut exercer une double incidence positive sur les économies des pays industrialisés. D'une part, il fonctionne comme un facteur de relance économique et de soutien aux exportations des pays riches. D'autre part, il participe à la stratégie de redéploiement du capital qui consiste à créer des divisions régionales du travail permettant une délocalisation industrielle et une redistribution des autres activités productives. Cet aspect est remarquable en Amérique Latine. En dernière analyse, l'endettement participe à la constitution et à la consolidation de blocs géo-politiques relativement autonomes autour des cinq pôles du monde: les Etats-Unis, l'Europe, le Japon, l'URSS et la Chine. A l'intérieur de chaque bloc s'opère une division du travail qui peut permettre tout au moins une industrialisation partielle de certains pays du Tiers-Monde au prix d'un endettement massif. Parmi ceux-ci, on peut noter le Brésil, le Mexique, Israël, l'Egypte, le Nigéria, la Côte-d'Ivoire. Comme maintes fois souligné, les Banques privées ont joué un rôle extrêmement actif dans l'amplification de l'endettement. 3) Le rôle des Banques Privées dans l'accélération de l'endettement L'accroissement de la part des crédits bancaires privés dans la dette (60 %) par rapport aux crédits publics et internationaux, indique les rôles essentiels joués par le système bancaire dans l'expansion de l'endettement. Le caractère technique de cette privatisation de la dette en fait un élément particulièrement sous-étudié. On a souvent fait observer que face à un marché financier largement demandeur, les Banques privées ont mis en place des mécanismes financiers qui ont rapidement pris le relais de l'aide publique au développement qui non seulement a baissé en volume mais s'est réorientée vers le financement des pays les plus pauvres du 34 système mondial. Il importe d'analyser de plus près ce comportement bancaire dans la montée de l'endettement. La période 1974-1982 a été marquée selon P.B. Ruffini par cc la bancarisation de la dette des PVD c'est-à-dire l'émergence, comme bailleur de fonds principal de ces pays, du groupe des banques multinationales en remplacement des agences officielles, nationales ou internationales. Une telle substitution a conduit à une modification importante des caractéristiques des flux financiers vers les pays en développement »(2). Comment cette évolution s'est-elle opérée? Le premier choc pétrolier a permis l'accumulation d'énormes surplus financiers qui furent déposés à court terme auprès des grandes banques internationales. Celles-ci devaient leur trouver des emplois immédiats en les plaçant sur le marché interbanque alimentant ainsi le développement des euro-marchés et les moyens des institutions financières bénéficiaires des ressources nouvelles. Ces dernières ont cherché des placements auprès des PVD qui avaient d'énormes besoins financiers pour couvrir leurs factures pétrolières et financer les investissements intérieurs. Les placements dans les PVD étaient d'autant plus importants que les besoins financiers des grandes entreprises multinationales des pays développés s'amenuisaient du fait de la récession réductrice de l'activité économique. Dans ces conditions, les banques privées réalisent des financements qui ont modifié systématiquement la composition de leurs actifs qui comprennent désormais un portefeuille de plus en plus volumineux de créances sur les PVD. L'amplification de ce processus pose à la fois le problème de l'évaluation des risques-pays encourus par les banques commerciales et celui de leur responsabilité dans la montée de la dette et son utilisation laxiste. Selon un praticien de la Banque, R. Bertieaux, cc pour limiter les risques d'un caractère nouveau, la pratique bancaire développa des méthodes plus ou moins sophistiquées de plafonnement des risques par pays, de diversification du portefeuille-crédits par le jeu de la syndication. On crut trouver une protection supplémentaire en recherchant de préférence aux risques privés, des risques ccsouverains» c'est-à-dire des crédits à des Etats ou à des entités jouissant de la garantie des Etats »(3). Pareille recherche de sécurité se fonde sur l'opinion que la puissance publique ne risque jamais d'être insolvable. Une institution comme la BRI (Banque des Règlements Internationaux) observe que sur toute la période 1974-1982, les banques ont commis de très graves erreurs d'appréciation dans leur activité de prêt à l'étranger, ce qui fait dire à H. Bourguinat qu'elles ont adhéré trop tardivement au discours vertueux de la rigueur. (2) P.S. Rulfini, La montée de l'endettement des PVD au cours de la décennie 1970: un examen à partir du comportement bancaire, Congrès des Economistes de langue française, Clermont-Ferrand, 24-26 mai 1984.22 p. (3) R. Sertieaux, .. Rôle respectif des banques privées et des organisations internationales à l'égard du financement des pays en difficulté ". Congrès des Economistes, ClermontFerrand, mai 1984, 19 p. 35 Cette sous-évaluation des risques a entraîné une distribution excessive de crédits, donc un gonflement des créances sur le Tiers Monde mais aussi une dégradation progressive des ratios de fonds propres des banques. Bien sûr, cette générosité et ce laxisme des banques s'expliquaient par la situation surliquide des marchés financiers qui a déterminé le choix d'un accroissement des actifs au détriment de la qualité des créances. Les banques commerciales se sont trouvées avec des ressources énormes à court terme qu'elles ont prêté à long terme aux PVD par le mécanisme des crédits roll-over qui consistent pour les banques commerciales à consentir de leurs dépôts à court terme, des crédits à moyen terme à taux flottant pour ajuster, par ce biais, le taux des intérêts débiteurs aux variations des taux de dépôt à court terme. En d'autres termes, les crédits roll-over permettent de transformer les dépôts à court terme des banques en crédit à long terme. R. Bertieaux observe que ces divers procédés, en facilitant le recyclage des pétrodollars ont contribué à accroître le volume des crédits aux PVD, mais ils portaient en germe les difficultés futures auxquelles auraient à faire face bon nombre de banques engagées dans ces opérations de financement des PVD. Au total, face à un marché financier largement demandeur dans le Tiers-Monde et à la baisse des liquidités du fait de l'adoption par les pays développés de politiques monétaires plus restrictives, destinées à freiner les anticipations inflationnistes, les Banques privées ont créé des mécanismes financiers facilement mobilisables et coûteux pour les bénéficiaires. Elles ont mis en place une organisation créatrice de liquidités financières par le biais du développement des opérations inter-bancaires. Il s'agit de la création du capital-prêt. Le système bancaire prend ainsi d'énormes risques en vue de bénéficier des taux d'intérêt mercantiles. Cette ruée vers les pays périphériques les plus avancés, les plus stables et les plus crédibles avaient amené les banques à engager des ressources qui dépassent de très loin leurs fonds propres. Cela apparaît, à titre d'illustration, dans le niveau élevé du ratio prêUfonds propres qui se présentait comme suit: Ratios Prêts/fonds propres Banques City Corpo Bank of America Chase Manhattan Bank Morgan Guaranty Trust Manufactures hanover Trust Chimical Bank Continental Illinois Banker Trust First Chicago Wells Fargo '" 36 . .. . . . . .. '" . .. 174,5 % 158,2 % 154,0 % 140,7 % 262,8 % 169,7 % 107,5 % 141,2% 134,2 % 126,6 % Cette technique de financement et de mobilisation facile des ressources, sera très amplement exploitée par les pays qui poursuivent des stratégies de croissance et de valorisation de certaines ressources. Pourtant, pour les emprunteurs, les crédits bancaires ainsi octroyés sont inadaptés et soulèvent deux problèmes ayant trait l'un à l'échéance et l'autre au coût. Concernant l'échéance, on peut observer que les PVD ont besoin de ressources de longue durée pour financer leurs investissements et faire face à des difficultés conjoncturelles. Or, le système bancaire ne met à leur disposition que les crédits de court terme. Dès lors, le délai de remboursement ne va point coïncider avec le délai de maturité et de rentabilité des opérations financées. Cette contradiction ouverte n'est même pas réglée par les crédits roll-over à moyen terme. Une seconde catégorie de problèmes soulevés par les crédits bancaires privés est relative aux coûts. les frais financiers supportés sont excessifs et ne peuvent point être couverts par les ressources dégagées par des investissements. C'est dire qu'ils compromettent au départ la rentabilité même des projets. Par ailleurs, la pratique des taux d'intérêt variables introduit un autre élément de complication dans la gestion des crédits bancaires et pénalise les pays emprunteurs. En définitive, il semble de plus en plus que le développement de l'endettement aboutit à une situation dans laquelle la survie même des institutions financières privées dépendra de la solvabilité de leurs clients. En effet, les Banques privées ayant très mal apprécié les risques étaient obligées, dans les situations de difficultés des débiteurs, d'accepter "accumulation d'arriérés de paiement et le report des échéances qui entraînait inévitablement leur faillite ainsi que celle des entreprises avec lesquelles elles ont de plus en plus de liaisons étroites. Cette situation affecte l'ensemble de l'économie mondiale. Si les banques peuvent alors attendre pour le recouvrement du principal de la dette qui est un actif mobilisable, elles ne peuvent le faire pour les charges d'intérêt dont les pays doivent impérativement s'acquitter. La perspective d'insolvabilité qui se dessine tendancielle ment devient alors la source d'inquiétude à la fois pour les créanciers et leurs économistes car un défaut de paiement serait extrêmement lourd de conséquences économiques, financières et sociales. Il entraînerait sans nul doute un écroulement de certaines banques privées, un ébranlement de l'édifice du système financier international et la faillite des entreprises nationales et multinationales alliées au capital financier. Au demeurant, tout le monde mesure parfaitement ces enjeux de la dette et se préoccupe de la nature de la crise qu'elle génère et entretient. S'agit-il d'une crise de solvabilité ou d'une crise de liquidité? Telle est la question que les créanciers du Tiers-Monde et leurs experts se posent et qui les éloigne de leurs conceptions initiales selon lesquelles l'endettement est un moyen indispensable de financement du développement. En fait, le recours de plus en plus fréquent des pays d'Afrique de l'Ouest au rééchelonnement de leurs engagements extérieurs, pour des 37 montants de plus en plus importants, dénote une crise aiguë et durable de la dette. Il est alors tout à fait légitime de s'interroger pour savoir s'il s'agit d'un problème de liquidité ou plus profondément d'une situation d'insolvabilité issue d'un blocage de la mécanique économique. Les difficultés de la dette auxquelles sont confrontés actuellement la plupart des Etats Ouest-Africains peuvent tenir soit d'une insuffisance de leurs réserves de change, soit d'une insuffisance de leur capacité de remboursement. Dans le premier cas, la dette pose un problème de liquidité et dans le second, elle soulève une question plus grave de solvabilité. Ces questions importantes de l'incidence à moyen et long terme de la dette sur les politiques de développement économique et social méritent d'être précisées et analysées. Cependant, malgré les innombrables difficultés des pays à faire face au paiement du service de la dette, malgré les énormes difficultés d'insolvabilité des débiteurs, on continue d'observer une assez forte accélération de l'endettement. Les crédits bancaires augmentent pendant que diminue de façon notable l'aide publique au développement. Ces deux éléments ne manqueront pas d'avoir des incidences négatives sur les politiques économiques et financières internes et les déséquilibres déjà profonds. Il importe alors d'analyser de plus près tous les facteurs qui président à l'accélération de l'endettement pour mieux comprendre leur dynamisme. Ce sera l'objet de cette seconde partie de l'analyse. 38 DEUXIEME PARTIE Facteurs d'accélération et mécanismes de propagation de l'endettement Que l'endettement soit devenu un phénomène massif, toutes les statistiques permettent de le constater, bien qu'avec de notables différences quantitatives tenant principalement aux concepts et méthodes de comptabilisation différents d'une source à une autre. Prenons le volume de l'endettement du Tiers-Monde: pour 1979, la Banque Mondiale l'évalue à 369 milliards et le Comité d'Aide au Développement de l'OCDE l'estime à 388 milliards de dollars. Cet écart n'est tout de même pas négligeable pour être accepté comme une simple marge d'erreur. Il existe un réel problème de méthodologie de comptabilisation qu'il ne faut pas occulter. Comme l'observe Marie France L'Hériteau, en passant des grandeurs nominales aux grandeurs réelles, on donne au phénomène de l'endettement un éclairage tout à fait différent. De même, selon les variables macro-économiques auxquelles on rapporte le volume de l'endettement, on obtient des appréciations différentes(1). Cependant, pour normaliser les instruments de mesure et unifier le langage, il est élaboré une batterie d'indicateurs qui sont à la fois des outils d'intervention et de prise de décision, des instruments d'évaluation et des étalons de comparaison internationale. Dans le domaine de l'endettement, ces indicateurs sont utilisés à deux fins principales: apprécier le niveau des ponctions du service de la dette sur les ressources internes et évaluer l'incidence de l'endettement sur l'économie et principalement sur la formation brute du capital fixe. Ainsi, comme au niveau de la macroanalyse, les indicateurs agrégés vont se présenter comme des raccourcis de l'analyse et permettre un transfert de la réflexion théorique vers la stratégie. Dans cette direction, les bailleurs de fonds ainsi que les experts des pays débiteurs élaborent plusieurs indicateurs qui se classent en deux catégories essentielles: les indicateurs liés à la balance des paiements et ceux liés aux ressources. La première catégorie d'indicateurs procède du fait que la dette est fonction de la balance des paiements. En conséquence les indicateurs les (1) Marie F. L'Hériteau, Dette extérieure et modèle de développement. Revue TiersMonde, tome XX, n° 89, octobre-décembre 1979. 41 plus usuels servent à quantifier l'endettement et surtout à analyser la capacité du pays à honorer ses engagements. Dans ce cas, quatre ratios sont généralement calculés à savoir: - Le ratio du service de la dette par rapport aux exportations de biens et services qui indique la part des recettes en devises absorbée par le service de la dette. On avance souvent que ce ratio, quand il est inférieur à 10 %, est acceptable, mais. dès qu'il se fixe au-dessus de 20 % cela signifie que le pays débiteur va connaître de graves problèmes de service de la dette. Pour l'UMOA, il est passé de 5,1 % en 1970 à 18 % en 1980 et il s'est élevé à 34 % en 1982 pour la Côte-d'Ivoire. On observera enfin que ce ratio est évolutif et dépend des fluctuations amples et imprévisibles des exportations des PVD. - Le ratio des revenus et des remboursements du capital par rapport aux recettes d'exportations qui permet surtout d'apprécier les engagements extérieurs d'un pays. - Le ratio des amortissements payés par rapport aux prêts reçus, est par excellence le ratio de reconduction de la dette et montre dans quelle mesure l'amortissement de la dette a été refinancé par de nouveaux emprunts. Ce ratio pour l'UMOA est passé de 23,8 % en 1982 à 32,9 % en 1984. - Le ratio des paiements d'intérêt par rapport aux exportations de biens et services qui est un indicateur d'appréciation des revenus versés aux prêteurs étrangers. La deuxième catégorie d'indicateurs comprend trois ratios: - Le ratio de l'encours de la dette extérieure par rapport au PIS. Ce ratio permet d'apprécier le degré d'implication du secteur étranger dans l'économie nationale, la solvabilité et la valeur des ponctions opérées sur les ressources pour le compte du service de la dette. Dans la plupart des Etats, le ratio montre que le niveau atteint est supérieur au PIS : 110 % pour la Côte-d'Ivoire, 163,7 % pour le Mali, 108 % pour le Sénégal et 151,4 % pour le Togo et cela pour l'année 1985. - Le ratio des transferts nets de ressources par rapport aux investissements indique la contribution de l'épargne extérieure au processus de développement du pays bénéficiaire. - Le ratio du service de la dette publique par rapport aux recettes publiques ; il est surtout très important pour les pays de l'UMOA dans la mesure où les difficultés du service de la dette extérieure se manifestent plus comme une insuffisance de ressources publiques que comme un problème de disponibilité de réserves de change. Ces ratios sont d'une très grande utilité à la fois pour l'analyse et pour la gestion même si leur calcul se heurte aux déficiences remarquables des statistiques disponibles. Ils constituent des paramètres permettant l'insertion de l'endettement dans la politique économique et financière. 42 Cependant, ces ratios comme tout indicateur doivent être manipulés avec beaucoup de prudence, car, ce sont des éléments pouvant faire l'objet de plusieurs modes de calcul. Par exemple, le ratio montant de la dette sur PNB donne des taux alarmants, alors que le résultat change si l'on considère le ratio dette sur exportations car celles-ci ont notablement augmenté en volume ces dernières années. Enfin, l'éclairage se modifie à nouveau si on passe du montant du capital au montant des remboursements de l'intérêt dus annuellement. En d'autres termes, chaque auteur possède sa propre batterie d'indicateurs qui confortent son argumentation. Selon que l'on est créancier, débiteur ou simple expert, on indexe toujours le ratio qui alarme ou rassure. En somme, en manière d'endettement, ni les chiffres, ni les bilans, ni les diverses comptabilités ne sont neutres. Malgré le flou des instruments ainsi que leur impressionnante imprécision, ils révèlent de quelque côté qu'on les manipule une augmentation soutenue du volume de la dette. Quelles en sont les causes profondes et les conséquences sur le développement économique et social? Sans avoir cerné avec précision tous les facteurs et les mécanismes d'accélération de l'endettement, il sera probablement impossible de qualifier la nature de la crise de la dette et les perspectives de son évolution, et d'appréhender conséquemment tous les enjeux qui lui sont intimement liés. Il est manifestement facile de soupçonner que l'endettement pourrait être une arme financière redoutable aux mains de créanciers qui pourraient s'en servir pour contrôler et téléguider les orientations économiques et politiques des débiteurs. Surtout quand ceux-ci sont affaiblis et financièrement asphyxiés. Ainsi, se dessine tout l'intérêt de l'analyse des facteurs de massification de la dette. Comme il a été observé plus haut, l'endettement n'apparaît pas comme le résultat d'une cause unique, donc son accélération et son augmentation relèveront aussi de la combinaison de plusieurs facteurs externes et internes. CHAPITRE 1. - LES FACTEURS INTERNES D'AGGRAVATION DE L'ENDETTEMENT Bien que la distinction entre facteurs externes et facteurs internes ne soit pas facile, on peut définir les facteurs internes comme un ensemble de variables d'origine interne contribuant à l'accroissement de la dette et directement contrôlables par les Etats. Il reste que si nous prenons par exemple l'environnement géoclimatique défavorable (sécheresse, désertification) et qui prévaut dans la majeure partie de la sous-région, nous pouvons le classer comme facteur externe ; mais, ce faisant, nous occulterions le fait que les gouvernements concernés n'ont pas adopté et mis en œuvre des politiques adéquates pour en minimiser les effets négatifs. La même observation vaut également pour le déficit vivrier et les importations 43 alimentaires auxquelles il conduit ou pour la mauvaise gestion de la dette qui est pratiquée. Dès lors, nous pouvons retenir comme facteurs internes explicatifs de la montée rapide de l'endettement en Afrique de l'Ouest: Etats - les modèles de développement adoptés dans la quasi-totalité des d'Afrique de l'Ouest et les erreurs de gestion; les politiques de gestion de la dette et d'allocation des ressources; les fuites de capitaux ; les facteurs naturels. 1) Les modèles de développement Les modèles de développement appliqués depuis plus de deux décennies ont imposé des politiques sectorielles (industrielle et agricole) qui sont pour une part essentielle responsables des désastres économiques ayant conduit au recours massif aux marchés financiers et au crédit des banques commerciales. Inspirées de la théorie keynésienne et néo-classique, les stratégies de développement faisaient de la croissance l'objectif économique et politique majeur. La croissance désirée devrait être rapide, régulière, harmonieuse et débarrassée de toute fluctuation trop forte en baisse comme en hausse et enfin être équilibrée en faisant correspondre et s'ajuster les capacités de production et de consommation. Ces stratégies souvent conduites dans une logique libérale ont débouché sur des politiques agricoles, industrielles et tertiaires intégrées au système financier mondial et mettent au centre l'investissement privé étranger qui détermine à la fois les transferts de surplus, l'allocation des ressources, les choix technologiques et les modes de consommation. L'analyse traditionnelle du couple déficit de la balance des paiements/endettement est très partielle pour rendre compte de l'accélération de la dette extérieure. Car on peut observer des pays fortement endettés avec cependant des balances de paiement excédentaires ou tout au moins équilibrées. Ce sont les politiques de développement qui sont, en dernière analyse, génératrices à titre principal de l'endettement. Cela apparaît dans: - le développement prioritaire des activités exportatrices agricoles ou minières où les recettes et les surplus sont fonction des marchés mondiaux de matières premières caractérisés par des cours instables et aléatoires. On connaît maintenant avec beaucoup plus de précision le phénomène de la détérioration séculaire des termes de l'échange cc soit formel c'est-à-dire comptabilisé comme une non équivalence des valeurs en termes de prix courants, ou informel, c'est-a-dire dissimulé à l'intérieur de la structure même de ces prix courants comme une non-équivalence de leurs éléments. Dès lors, à l'époque contemporaine, les exportations de la Périphérie vers le Centre évaluées aux prix mondiaux existants, non seule- 44 ment n'excèdent pas les importations, évaluées sur la même base mais leur sont inférieures »(2). Il s'ensuit un transfert de valeurs réelles dans le sens Périphérie-Centre; - l'instauration d'un modèle de consommation extraverti destiné à satisfaire les besoins de la minorité privilégiée par la fortune et ceux des élites urbaines. Un tel modèle accélère les importations de biens de luxe, modernise l'infrastructure de base et promeut une industrialisation dépendante qui repose sur la substitution des importations. Ce modèle de consommation entraîne également des importations qui ne peuvent être financées que par les exportations ou l'emprunt. J. C. Sanchez Arnau cite à titre d'illustration l'introduction de la fabrication ou du montage des voitures qui engendre la nécessité de construire des routes, de trouver des biens d'équipement et des technologies. Ce qui entraîne une série d'opérations conduisant à un premier type d'endettement lié aux crédits qui accompagneront les capitaux étrangers et un second lié aux importations. Malgré cet alourdissement de la dette, l'introduction de l'automobile n'aura satisfait que les besoins des élites et des classes moyennes mais ne règle ra ni le problème du transport, ni celui du développement des biens exportables pour se procurer des devises en vue de couvrir les importations croissantes; - le déficit alimentaire qui est une autre conséquence du développement des cultures de rente au détriment des cultures vivrières et de généralisation du modèle de consommation urbaine axé sur des produits vivriers d'importation. Les villes qui se développent par suite de l'échec des politiques agricoles, amplifient le déficit vivrier. Dans ce cas, une bonne partie des réserves en devises sont consacrées à payer une facture alimentaire de plus en plus lourde. Si ces réserves ne sont pas disponibles, le pays recourt alors à l'endettement ou à l'assistance alimentaire; - les distorsions très grandes en faveur des activité hautement improductives dont l'armement devient de plus en plus une composante essentielle en terme d'immobilisation des ressources humaines, matérielles et financières. Le matériel militaire est coûteux aussi bien à l'achat qu'à l'entretien et il est à la base d'un endettement lourd dont les montants restent encore sous le sceau du confidentiel. Les ressources humaines les plus saines de la nation sont extraites de la vie active et rendues totalement oisives. Tous ces éléments ont contribué à la constitution d'un déficit des ressources mais aussi de la balance des paiements qui était couvert par l'aide publique au développement (APD). Cependant, l'APD a amorcé une tendance à la baisse (de 53 % des ressources dans les années soixante à un peu plus de 20 % dans les années quatre-vingts) pour se réorienter (2) A. Emmanuel, L'échange inégal et la revendication de prix rémunérateurs par les pays en voie de développement, Revue Tiers-Monde, repris par" Problèmes économiques ", na 1684 du 30 juillet 1980. 45 principalement vers les pays les plus pauvres dénommés PMA dans le jargon onusien. Le financement privé prend le relais et réalise des financements généreusement octroyés sur des projets pas toujours rentables ou sur des investissements somptuaires appelés éléphants blancs. Cela confirme que les modèles de développement ont produit à la fois l'accélération de l'endettement et sa privatisation par le système bancaire international. 2) Les politiques inefficientes de gestion de la dette et d'allocation des ressources, L'insuffisante gestion de la dette constitue indéniablement une des caractéristiques des pays en développement . Dans ces Etats, la gestion de la dette était souvent confiée, jusqu'à une date récente, à un service du Ministère chargé des Finances ou du Plan. La plupart des gouvernements ont créé par la suite une structure autonome: Caisse Autonome d'Amortissement (Bénin, Côte d'Ivoire, Sénégal) ou Société Nationale d'Investissement (Togo). Mais, bien souvent, ces structures n'ont pas été dotées de pouvoirs et de moyens indispensables à une gestion réelle et efficace. En matière de pouvoirs, la multiplicité des centres de décision habilités à contracter des emprunts au nom de l'Etat a conduit à tous les abus, tous les scandales et a empêché une coordination véritable des actions et une centralisation des informations. C'est ce qui explique que les difficultés d'évaluation et de recensement de la dette demeurent préoccupantes. Une bonne connaissance de la dette est pourtant un préalable indispensable à une bonne gestion. Ainsi, une planification de la dette par l'établissement d'un calendrier prévisionnel des tirages, des paiements d'intérêts et d'amortissements, s'avère impossible dans ces conditions. De même, tout arbitrage entre les sources de financement et les devises d'emprunt est difficile à réaliser dans les conditions actuelles d'organisation. Il saute aux yeux que dans bien de pays le volume, la structure et l'utilisation de la dette ont été sciemment obscurcis par ceux-là même qui l'ont négocié. S'agissant des moyens, les ressources humaines et matérielles des organismes chargés de la gestion de la dette sont bien souvent limitées. La formation du personnel aux méthodes et techniques modernes de gestion de la dette est généralement négligée. La dotation en matériel est des plus rudimentaires, si bien que le traitement de la dette n'est pas informatisé ou même automatisé. A l'évidence, l'importance d'une gestion rapide, fiable et rationnelle n'a pas encore été perçue ni politiquement, ni techniquement. L'allocation non optimale des ressources d'emprunt constitue une autre des causes internes des difficultés du service de la dette dans les Etats d'Afrique de l'Ouest. Ainsi une part non négligeable des prêts extérieurs, surtout dans les années 1977-1979, a été affectée, par plusieurs Etats, au 46 financement d'investissements de prestige ou à des projets de rentabilité douteuse. Faute d'études et d'analyses approfondies, des erreurs ont été commises dans le choix de certains sites de barrages ou dans la construction de certaines usines, dont le coût de réalisation a été surfacturé par les fournisseurs pour un matériel partois vétuste ou totalement obsolète. De nombreux investissements, financés sur emprunts extérieurs, non seulement ne génèrent pas les ressources nécessaires pour couvrir le service correspondant de la dette, mais encore absorbent des aides reçues par l'Etat. La multiplication des projets d'infrastructure ou d'utilité générale dont la contribution au développement économique est appréciable, pose égaIement des problèmes. Dans la mesure où de tels projets ne dégagent pas directement des ressources pour faire face au service de la dette correspondante et ou ils entraînent des charges récurrentes d'un montant élevé, l'Etat doit pouvoir accroître ses recettes et produire une épargne budgétaire suffisante pour couvrir ces différentes charges. Or, les Etats dans leur ensemble, sont confrontés depuis l'année 1980, à des difficultés de trésorerie inextricables se traduisant par des cessations de paiement qui ne leur permettent même plus d'assurer le traîtement des fonctionnaires. 3) La fuite des capitaux La fuite des capitaux est aujourd'hui un des phénomènes majeurs qui accentue les problèmes de liquidité des pays d'Afrique de l'Ouest. D'importants placements sont en effet maintenus à l'extérieur dans les places financières reputées stables et sûres. Ils sont le fait de sociétés tant privées que publiques mais aussi de particuliers dont l'origine des richesses n'est pas toujours licite. Ces transferts unilatéraux selon les estimations de l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) ont représenté entre 50 et 60 milliards de dollars en 1982 pour les pays du Tiers-Monde non producteurs de pétrole. Cette question est aujourd'hui assez préoccupante par son ampleur et ses incidences négatives sur les ressources provenant de la dette. Les institutions financières internationales (FMI et BM) entreprennent des évaluations quantitatives et s'inquiètent des tendances déjà observées. Il leur restera à perfectionner les analyses pour mieux cerner les groupes sociaux et les mécanismes responsables de cette fuite des capitaux vers les grandes places financières sûres. En attendant, la Banque Mondiale et le FMI ont observé que le phénomène est quantitativement important. Ainsi, en Argentine entre 1973 et 1983, la fuite des capitaux a représenté 71 % de la dette alors qu'au Mexique, durant trois années (1982-1985), pour un endettement de 17 milliards de dollars, la fuite a été de 24 milliards. Des recherches entreprises par l'Université de Washington ont confirmé toutes ces tendances pour des pays comme le Brésil, le 47 Vénézuéla, le Mexique qui ont, à eux seuls, transféré vers les Etats-Unis entre 1982 et 1985, 48 milliards de dollars. De tels faits sont des motifs réels pour imposer une plus grande rigueur aux pays. Comme le note H. Bourguinat, ceux-ci ne doivent pas être exonérés de cette utilisation des fonds empruntés(3). Pour l'Afrique, ces fuites sont principalement opérées par les multinationales qui procèdent par des transferts licites sous forme d'intérêts, de dividendes, de bénéfices et illicites, par le double moyen d'une sur-facturation des biens et services vendus aux filiales et d'une sous-facturation des achats locaux. Dans des pays comme ceux de l'UMOA, à ces transferts s'ajoutent les sorties de billets de banque qui atteignent par an un volume de 150 milliards et sont sans commune mesure avec les besoins du commerce et les dépenses de voyage des résidents. En définitive, l'ampleur des fuites dépend principalement du degré d'extraversion et d'articulation à l'économie mondiale. Dans ce contexte, des ressources financières importantes sont détournées des circuits des économies nationales et vont accentuer les déficits de liquidité et d'épargne. On s'aperçoit alors que ce sont les pays endettés du Sud qui financent les pays du Nord. 4) Les autres facteurs internes d'aggravation de la dette Certaines études établissent qu'une série de facteurs divers peuvent aussi contribuer à l'aggravation de l'endettement. Parmi ceux-ci, on retient pour les plus importants: les facteurs naturels, la mauvaise gestion des environnements instables, les erreurs de politique économique et financière et les rééchelonnements répétés. La sécheresse ces récentes années a contribué à une détérioration des conditions intérieures de production qui sont aggravées parfois par des accidents imprévisibles. C'est le cas entre autres des feux de brousse qui ont ravagé en 1983 le Bénin, la Côte d'Ivoire et le Togo. Il en est résulté une contraction de la commercialisation vivrière, un rétrécissement des disponibilités agricoles d'exportation et des recettes de l'Etat. L'endettement est alors intervenu pour financer ces déséquilibres. Des erreurs de politique économique et financière sont aussi à l'origine du problèmes de la dette. Ainsi, selon le Plan d'Action de Lagos, il se produirait en Afrique un gaspillage d'environ 30 à 40% des productions vivrières, en raison de la médiocrité des méthodes de traitement, de commercialisation, de transport et d'entreposage. Pareille situation a pour conséquence une augmentation des importations alimentaires qui font de (3) H. Bourguinat. L'économie mondiale à découvert. Edit Calman-Lévy. Paris, 1985, 270 p. 48 l'Afrique une zone d'insécurité agro-alimentaire grave la soumettant ainsi à la dépendance de ceux qui contrôlent le pouvoir vert et l'alimentation mondiale. D'ailleurs, le continent africain a remplacé l'Asie (4) dans le recours à l'assistance alimentaire internationale par suite d'une dégradation prolongée de sa production vivrière et de l'explosion de sa demande alimentaire due à deux facteurs: l'accroissement démographique et l'urbanisation accélérée. Pour combler ce déficit grandissant, l'Afrique augmente ses importations surtout céréalières ce qui lui vaut des pertes de ressources budgétaires et de réserves de change dont le montant aurait pu être affecté au service de la dette. Il est par ailleurs bien connu que les négociations d'emprunts donnent souvent lieu à des corruptions (commissions, ristournes, pots de vin) et même à des détournements de fonds qui traduisent un manque de rigueur dans la politique financière des Etats. Enfin, le dernier facteur interne qui est à la fois cause et conséquence est le rééchelonnement qui devient une pratique courante des Etats en Afrique de l'Ouest. Certains pays ont déjà établi des records dans les recours successifs et dans des délais de plus en plus rapprochés au Club de Paris et à celui de Londres. Or, le rééchelonnement, en supprimant l'amortissement régulier du capital, fait monter le volume global de la dette. En effet, les rééchelonnements ont été rendus nécessaires ces dernières années pour éviter à certains pays débiteurs d'être déclarés officiellement défaillants, toutefois, ils ont un coût qui peut se révéler important en termes de commissions, de taux d'intérêt et de crédibilité financière. Les échéances futures sont ainsi plus élevées et la situation à moyen terme devient critique. Observons qu'un pays qui rééchelonne doit verser des commissions qui viennent s'ajouter à sa dette. De plus, il doit continuer à payer les intérêts afférents au montant global de l'encours qui comprend la partie rééchelonnée. Il s'ensuit que les intérêts à verser sont supérieurs à ceux qu'ils auraient dû être si le pays avait été en mesure d'assurer les remboursements du principal de sa dette. Dans certains cas, il est imposé sur la portion de la dette rééchelonnée un taux d'intérêt plus élevé que sur les prêts antérieurs, en raison des risques plus grands encourus sur les nouveaux prêts. Il arrive alors dans les rééchelonnements en chaine que l'échéancier après rééchelonnement soit supérieur à l'échéancier initial. Même si les bailleurs interviennent pour couvrir le cc gap .. , l'accumulation de la dette posera des problèmes insurmontables sur le moyen terme. Enfin, la perte de crédibilité financière consécutive à un rééchelonnement de la dette se paie par des conditions de prêt, plus dures (taux d'intérêt plus élevés, échéances plu~ courtes) pour les emprunts ultérieurs sur les marchés de capitaux. (4) On soulignera que le gouvernement indien avait considéré que l'aide alimentaire constituait un moyen de pression sur sa politique. Il avait alors décidé en 1975 de renoncer définitivement à cette aide et d'élaborer une politique agricole permettant de restaurer une certaine autonomie alimentaire. Des succès appréciables ont été remportés dans ce domaine avec un taux élevé de couverture des besoins alimentaires. 49 CHAPITRE Il - LES FACTEURS EXTERNES D'AGGRAVATION DE L'ENDETTEMENT Les facteurs extérieurs interviennent aussi comme des contraintes qui contribuent à l'érosion des ressources internes et partant, poussent à l'endettement. Les plus déterminants de ces facteurs sont: - l'environnement économique international; - les politiques monétaires restrictives qui élèvent les taux d'intérêt; - les échanges internationaux et la détérioration des recettes des exportations. 1) L'environnement économique International Le comportement de l'environnement économique international, à l'exception de l'année 1977, a défavorisé les pays en développement non exportateu rs de pétrole : chocs pétroliers de 1973 et 1978, stagnation du commerce international, chute des cours des produits de base jusqu'au début de l'année 1983, flambée des taux d'intérêt, amples fluctuations des taux de change, baisse de l'aide publique au développement, restriction de l'accès aux financements bancaires internationaux. La conjugaison de ces facteurs a abouti à une profonde détérioration de la situation des pays d'Afrique de l'Ouest et a décuplé leurs besoins de financement, aggravant la situation de leur endettement. Ces difficultés sont en outre exacerbées dans des pays comme ceux de l'UMOA par l'implantation des firmes multinationales ou étrangères qui, compte tenu d'une réglementation des changes libérale et de la liberté des transferts, drainent d'importantes ressources intérieures vers l'extérieur. A une échelle globale, une étude réalisée par W.R. Cline(5) établit que les incidences des chocs externes ont contribué à concurrence de 401 milliards de dollars, à l'augmentation de la dette globale des pays en développement évaluée à 482 milliards de dollars entre les années 1973 et 1982. Ces incidences se décomposent comme suit: - 260 milliards de dollars au titre des deux hausses du prix du pétrole; - 41 milliards de dollars au titre de l'élévation des taux d'intérêt audessus de leur moyenne calculée pour la période 1961-1980 ; - 79 milliards de dollars au titre de la détérioration des termes de l'échange pour les seules années 1981 et 1982 ; - 21 milliards de dollars au titre de la chute du volume des exportations, liée à la récession économique mondiale pour les deux mêmes années. A partir de ces considérations et d'hypothèses sur le niveau prévisible de certains agrégats des relations économiques internationales, l'auteur a (5) Cline William R., International debt and the stability of the world economy, distribué par MIT Press, Cambridge London. 50 simulé l'évolution probable de l'endettement extérieur des dix-neuf pays en développement les plus débiteurs. Pour la seule année 1986, la sensibilité de ces pays aux chocs externes s'établirait ainsi: - une aggravation du déficit de leur compte courant de l'ordre de 53,4 milliards de dollars, si la croissance moyenne dans les pays industrialisés se réalisait à compter de l'année 1984 à un taux de 1,5 % l'an au lieu de 3%; - une amélioration de la situation de leur compte courant, évaluée à 7,8 milliards de dollars, si le prix du baril de pétrole venait à tomber de 31 dollars à 25 dollars; - une chute des paiements d'intérêts d'environ 29 milliards de dollars, si le niveau moyen des taux d'intérêt nominaux était ramené de 13,8 % à 10 % l'an; - une détérioration du compte courant, chiffrée à 3,5 milliards de dollars, conjuguée à une aggravation de 11,9 milliards de dollars de la situation de la dette, au cas où la dépréciation moyenne du dollar atteindrait 10 % vis-à-vis des principales autres devises au lieu de 5 %. Ces chiffres sont suffisamment éloquents pour établir que, contrairement aux analyses néo-classiques, les relations économiques et financières ne confèrent pas toujours les mêmes chances de développement aux différents partenaires. Cette érosion des ressources des pays en développement, du fait des chocs externes, sera aggravée par l'inflation qui a une incidence sur la dette. Le quadruplement en termes nominaux de la dette, intervenu entre les années 1972 et 1979, correspond seulement à prix constants à une augmentation de 56 %. Par ailleurs, la dette ne s'est accrue dans la même période qu'à un taux réel moyen de 6,6 % supérieur à celui du PIS (5,2 %) mais inférieur à celui des exportations (7,3 %). Par conséquent, l'évolution de la dette apparaît dans cette période compatible avec celle des agrégats réels contrairement à une certaine opinion généralement répandue. Cependant, à partir de 1980, des changements vont s'opérer du fait de la détérioration des finances publiques des pays et d'une conjoncture internationale récessive caractérisée par une croissance ralentie, parfois négative, au niveau des pays industrialisés, des taux d'intérêt excessifs, une restriction du commerce international, une érosion accélérée du pouvoir d'achat des devises, une instabilité des marchés de change et une baisse des prix des matières premières. L'inflation persistante a eu pour effet d'alourdir le service de la dette et d'accélérer, en termes constants, l'amortissement des prêts, tout en faisant apparaître une dégradation des indicateurs usuels et un affaiblissement de la situation financière des pays débiteurs. Ainsi, le service initial d'un prêt à 20 ans est doublé lorsque le taux d'inflation, nul à l'origine, s'élève de 15 %. Dans Je même temps, les pays en développement n'ont pas bénéficié du transfert de ressources réelles, généralement opéré du créancier au débiteur par l'inflation, cet effet ayant 51 été contrecarré par l'adoption des taux d'intérêt variables indexés sur la hausse des prix. La cure de désinflation engagée depuis 1980 dans les pays industrialisés a encore aggravé la situation des pays en développement car la rigidité à la baisse du taux d'intérêt a accru leur niveau réel positif, favorisant ainsi un transfert effectif de ressources des débiteurs aux créanciers. 2) Les politiques monétaires restrictives, l'augmentation des taux d'Intérêt et la surévaluation du dollar Depuis 1978, les situations des paiements se sont renversées avec une montée des déséquilibres dans les pays industrialisés. Ainsi, aux Etats-Unis, les entreprises, les familles et le gouvernement, vivent à crédit. L'endettement des entreprises est passé de 900 milliards de dollars en 1974 à 2589 en 1984, celui des ménages de 671 milliards en 1974 à 1 832 milliards en 1984 et enfin l'Etat voit sa dette évoluer de 543 milliards en 1974 à 1 573 en 1984. Comme dans les pays du Tiers-Monde, on observera également l'avènement et l'aggravation du double déficit commercial et budgétaire. Le déficit commercial s'est amplifié, passant de 2,3 milliards de dollars en 1971 à environ 100 milliards en 1984 tandis que le déficit budgétaire qui était de 127 milliards de dollars en 1979 s'est fixé à 220 milliards en 1984 et 230 milliards en 1988. Manifestement, les Etats-Unis vivent à crédit sur une montagne de dettes et se trouvent dans la nécessité de financer ces déficits. Deux mesures monétaires vont y aider: la surévaluation du dollar rendue possible par la non convertibilité de cette monnaie en or introduite depuis le 15 août 1971 et l'élévation des taux d'intérêt devenue possible depuis l'abandon en octobre 1979 du contrôle des taux d'intérêt pour celui de la masse monétaire. Aujourd'hui les choses s'aggravent car le surendettement s'est élargi affectant tous les agents: les ménages, les collectivités locales, les entreprises et l'Etat. Ainsi, entre 1970 et 1990 la dette des entreprises et des ménages est passée de 1 400 à 10 500 milliards de dollars (soit deux fois le PNB). La dette publique a évolué de 1 000 milliards en 1981 à 3 000 milliards en 1990 alors que la dette extérieure gravite autour de 400 milliards de dollars. Les deux volets de la politique monétaire vont entraîner d'abord une déréglementation du système bancaire et la promotion du capital financier; ensuite la libération de la banque et du crédit qui deviennent les instruments de mobilisation des ressources et de régulation de la demande de monnaie; enfin le pompage au profit des Etats-Unis de toutes les poches excédentaires de liquidité. De la sorte, le dollar surévalué et les taux d'intérêt élevés permettent une mobilisation des capitaux et de l'épargne étrangère au profit de l'économie américaine qui présente des garanties de stabilité et de crédibilité et où la reprise économique devient de plus en 52 plus effective. Ce pays va alors vivre bien au-dessus de ses moyens et s'en tirer en exploitant au maximum la position clef du dollar dans le système économique et financier mondial. Quelle va être alors l'incidence de cette politique monétaire sur les PVD? Les taux d'intérêt nominaux ont été relevés sur les marchés financiers internationaux et sont passés du simple au triple entre 1976 et 1981. On peut dire que l'escalade de la dette extérieure à partir de 1973 a principalement été un phénomène voulu par les débiteurs et les créanciers. En effet, on était dans une conjoncture mondiale euphorique où les pétrodollars surabondants cherchaient à se placer au moindre risque et au moindre coût puisque les taux d'intérêt réels étaient généralement négatifs. Il en va aujourd'hui différemment avec les politiques monétaires appliquées dans les pays développés qui ont abouti à l'avènement de taux d'intérêt élevés. De récentes études du Fonds Monétaire International ont d'ailleurs souligné l'impact des taux d'intérêt sur la situation de la dette des pays en développement. De 1977 à 1982, le coût moyen de la dette à taux fixe est passé de 5 % à 7,9 % l'an, tandis que celui de la dette à taux variable s'élevait de 7,8 % à 17,5 %. Le coût moyen pondéré des emprunts extérieurs des pays en développement a ainsi augmenté de 5 % à 10 % l'an. Dans le même temps, la part de la dette à taux variable se renforçait et devenait prépondérante, en relation avec la modification de la structure de la dette vers une prédominance des prêts bancaires dont le coût est indexé sur celui du L1BOR (taux de base pour les prêts interbancaires à Londres). Or, selon des tests économétriques réalisés par le FMI, une variation de 1 % du L1BOR entraîne une variation de même sens des paiements d'intérêts au titre de la dette des pays en développement, variation évaluée à environ 2 milliards de dollars par an, soit une modification de 0,5 % du ratio des paiements d'intérêts par rapport aux exportations de biens et services. En outre, cette variation exerce une influence de sens contraire sur le produit national brut de ces pays dont le volume serait modifié d'environ 0,1 %. L'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), a montré que le coût moyen pondéré des ressources d'emprunts des pays en développement excède d'au moins quatre points le taux d'inflation mondiale. La réduction de ce coût dans les proportions ci-dessus aurait pour effet une amélioration de deux points du ratio des paiements d'intérêts par rapport aux exportations de biens et services et un relèvement de 0,4 point du taux de croissance des pays en développement. Cette observation montre que le niveau excessivement positif des taux d'intérêt réels a non seulement accru le coût de l'endettement des pays en développement, mais a encore restreint leur capacité à s'acquitter de leurs obligations. Selon les statistiques de la Banque mondiale, le taux d'intérêt moyen appliqué à la dette privée contractée par les pays d'Afrique au Sud du Sahara a pratiquement doublé en quatre années seulement, passant de 53 7,8 % en 1977 à 14,5 % en 1981, pour retomber à 12 % en 1982. Il reprend son ascension en 1983 pour se fixer à 16,3 % en 1987. Il en est résulté une augmentation considérable des paiements d'intérêt au cours de cette période. Ainsi, de 345,7 millions de dollars en 1978, les paiements d'intérêt de la région sont passés à 949,4 millions de dollars en 1980 et 1,4 milliard de dollars en 1982. En 1987, ils atteignent 3,2 milliards de dollars. Les augmentations les plus sensibles ont concerné les deux pays les plus fortement endettés à des taux d'intérêt variables, à savoir le Nigéria et le Côte-d'Ivoire dont les paiements d'intérêt sont passés respectivement de 49,5 millions de dollars et 172,2 millions de dollars en 1975 à 721,5 millions de dollars et 596,7 millions de dollars en 1987. L'augmentation des paiements d'intérêt a, bien entendu, alourdi de manière significative la charge du service de la dette dont ils représentaient plus de la moitié en 1987 (53,1 %) contre 49,5 % en 1982 et à peine 27,5 % en 1975. Tous ces chiffres illustrent l'incidence perverse des politiques monétaires et de la montée des taux d'intérêt sur la dégradation de la situation financière des pays d'Afrique de l'Ouest. Les taux d'intérêt réels positifs ont produit des transferts de ressources en termes réels en faveur des créanciers. D'ailleurs, la Banque Mondiale (Rapport de 1984) estime que les taux d'intérêt réels (c'est-à-dire les taux d'intérêt nominaux déflatés par les prix à l'exportation des pays en voie de développement pour mesurer la charge des paiements d'intérêt par rapport aux recettes d'exportation) sont passés de moins de 10 % en 1980 à 19,4 % en 1982. Ceci sous le triple effet conjugué de la hausse des taux nominaux, de la baisse des prix à l'exportation et du renchérissement du dollar. Malheureusement, c'est cet environnement qui va se maintenir jusqu'en 1987. contribuant ainsi à aggraver le problème de la dette en Afrique de l'Ouest tout au long des années 1980. Mais il faut noter que depuis la fin 1988, une détente sensible s'est amorcée sur les taux d'intérêt et le taux du dollar (les deux phénomènes étant du reste partiellement liés) tandis que les prix à l'exportation des produits de base ont accentué leur tendance à la baisse. Malheureusement, cette évolution a contribué à annuler "effet théoriquement favorable que les pays Ouest-africains étaient en droit, depuis deux ans, d'attendre quant à l'évolution de leur problème d'endettement. 3) Les échanges Internationaux et la détérioration des recettes des exportations Les échanges extérieurs de la région ouest-africaine se sont dans l'ensemble notablement dégradés ces dernières années sous l'influence d'un accroissement soutenu des importations que n'arrive pas à compenser le rythme lent et fluctuant de la croissance des exportations. Il 54 en résulte une détérioration des termes de l'échange qui affecte tous les pays de la CEDEAO aggravant alors le déficit de leur balance commerciale. L'ampleur du phénomène est résumée dans le comportement des termes de l'échange dans la période 1979-1982. TERMES DE L'ÉCHANGE: 1980 Bénin Burkina Côte-d'Ivoire Ghana Libéria Mali Mauritanie Niger Nigéria Sénégal Sierra-Léone Togo =100 1979 1981 1982 1979-1980 1980-1989 115 113 119 136 121 107 101 112 67 110 121 108 95 106 91 68 91 107 92 82 110 101 82 101 75 97 91 61 92 102 97 89 92 89 84 112 -13 -12 - 6 -26 -17 - 7 - 1 -11 49 - 9 -17 - 8 -25 - 3 - 9 -39 - 8 + 2 - 3 -11 - 8 -11 -16 + 12 Source: Kathie L. Krumm : Dette extérieure de l'Afrique au Sud du Sahara. Origines, montant et décisions à prendre. Document de travail, Banque Mondiale, p. 59. Les exportations ouest-africaines sont encore composées pour une large part de produits de base non - ou peu - transformés dont les cours mondiaux ont subi une baisse importante ces dernières années, qui s'ajoute à la baisse des volumes exportés, Ainsi, sur la période 1970-1982, le taux de croissance moyen du volume et des prix des principaux produits de base exportés par les Etats de l'Afrique de l'Ouest, a évolué comme suit: Volume Minerai de fer Phosphate Café Cacao Huile d'arachide Huile de palme Maïs Bois Coton .. . . . . . . .. . -5,1 2,2 -1,0 -1,2 -4,6 -6,7 -6,9 -2,3 -4,0 PrIx -4,6 1,7 1,8 3,0 -4,0 -3,2 -4,2 3,6 -1,9 Source: Banque Mondiale. 55 Les taux de croissance moyens positifs des prix de certains produits de base pourraient laisser croire à une amélioration des termes de l'échange sur l'ensemble de la période: mais il n'en est rien. Les relèvements des cours des matières premières ont généralement coïncidé avec les hausses des prix du pétrole. Ainsi, l'indice global des prix des produits primaires non pétroliers a augmenté de 28 % en 1974 et de 12 % en 1979-1980, ce qui correspond aux deux chocs pétroliers de la décennie. Entre 1980 et 1982,les prix des matières premières autres que le pétrole ont diminué de 27 % en dollars courants. Au cours de cette période, la perte de revenu résultant de la détérioration des termes de l'échange a atteint 1,2 % du PIS de ('Afrique au Sud du Sahara. Les variations des taux d'intérêt, des taux de change et des liquidités internationales ont joué un rôle décisif dans cette situation depuis 1977. En effet, on peut observer que toute variation des taux d'intérêt se répercute directement sur le volume des transactions, des stocks et de la demande spéculative. Le volume des transactions pour une catégorie de produits dépend de son utilisation comme matière première ou comme consommation finale. Une augmentation des coûts des facteurs de production due, par exemple, à une hausse des taux d'intérêt réels, relève le coût de production du produit fini et abaisse les quantités produites. Cela peut restreindre la demande de facteurs, et donc de produits de base. Des taux d'intérêt élevés réduisent aussi le volume des stocks et la demande spéculative de produits de base, car ils en font augmenter le coût d'opportunité. Par ailleurs, le niveau élevé des taux d'intérêt, surtout aux Etats-Unis, a eu pour effet de comprimer la demande en produits primaires facturés en dollars. Ainsi, l'instabilité du système financier international a contribué à faire chuter les cours des matières premières - et donc les recettes d'exportation - des pays Ouest-Africains et, par conséquent. elle a pesé négativement sur leurs termes de l'échange. On pourrait ajouter que les effets du protectionnisme des grandes nations développées a joué un rôle non négligeable dans les faibles performances à l'exportation des Etats de la région Ouest-Africaine. La perspective est toute autre au niveau des importations qui, elles, ont considérablement et régulièrement augmenté sous le double effet du renchérissement du prix du pétrole et de l'augmentation des achats de produits alimentaires. En définitive. si les pays industrialisés refusent un déficit commercial et s'ils poursuivent leur politique protectionniste vis-à-vis des produits du Tiers-Monde, il serait complètement illusoire de trouver une solution à l'endettement et même au développement dans le cadre de la DIT. En ce qui concerne le prix du pétrole, il n'est guère besoin de s'étendre sur ses effets dans les pays ouest-africains non producteurs. Il faut simplement observer que, dans bien des pays, la facture pétrolière a été multipliée par dix et cela pouvait représenter jusqu'à 6 % du PIS en 1982 contre 1,3 % à peine en 1970. 56 Le second facteur de hausse des importations est l'augmentation considérable des achats de produits alimentaires, qui est la conséquence de la baisse tendancielle de la production céréalière par habitant et de la sécheresse endémique qui sévit dans la plupart des Etats de la région Ouest-Africaine. Entre 1969-1971 et 1980-1982, la production de céréales (maïs, mil, riz paddy, sorgho et blé) de l'Afrique sub-saharienne a augmenté à un taux moyen annuel de 1,5 % alors que la population totale se reproduisait au rythme annuel de 3 %. Dans de telles conditions, les importations de céréales sont passées de 225 millions de dollars en moyenne au cours de la période 1969-1971 à 2,3 milliards de dollars en moyenne dans les années 1980-1982. De 1982 à 1989, la tendance générale au déclin de l'agriculture vivrière s'est maintenue malgré un léger fléchissement de la production dans la zone sahélienne suite au retour des pluies en 1985-1986 et 1987. A ces facteurs de renchérissement des importations, il conviendrait d'ajouter la dépréciation des monnaies ouest-africaines, résultant de la volatilité des taux de change des grandes monnaies internationales et de l'extraversion économique des pays de la région, qui se traduit par une forte dépendance de la croissance, de la consommation et de l'industrialisation à l'égard des exportations et des importations. Des seize pays ouest-africains, sept ont une monnaie liée par une parité fixe au Franc français (les pays de l'UMOA) ; trois ont des monnaies rattachées au dollar (Libéria et Sierra Léone) ou à la livre sterling (Gambie) ; les monnaies de la Guinée et de la Mauritanie sont respectivement rattachées au DTS et à un panier de monnaie tandis que celles du Ghana, de la Guinée-Bissau et du Nigéria flottent librement ; quant à la monnaie cap-verdienne, elle est liée à la zone escudo. Or, entre 1980 et 1983, le taux de change effectif réel (c'est-à-dire la moyenne des taux de change pondérée par le volume des échanges) du Franc français s'est déprécié de plus de 25 % et celui de la livre sterling de près de 14 % tandis que celui du dollar s'appréciait de près de 33 %. Ces variations ont eu des répercussions certaines sur le comportement des monnaies ouest-africaines, toutes choses égales par ailleurs. Les mêmes effets se sont reproduits, mais cette fois-ci à l'envers, depuis la fin 1987 jusqu'à aujourd'hui, c'est le dollar qui a amorcé une forte dépréciation vis-à-vis du franc français et de la livre sterling. L'ensemble des facteurs externes ainsi analysés ont tous contribué soit à ponctionner les ressources en devises, soit à réduire les gains en devises (exportations) des économies ouest-africaines, les obligeant ainsi à recourir à l'endettement pour faire face aux déséquilibres et aux obligations financières. De cette analyse, il ressort que plusieurs facteurs se conjuguent pour accroître l'endettement en Afrique de l'Ouest. Les turbulences d'une économie mondiale totalement éclatée et l'extrême fragilité du système financier international ont contribué à la massification de l'endettement qui devient l'unique solution aux déséquilibres qui naissent de l'articulation des 57 pays à la DIT. Par ailleurs, l'absence de politiques cohérentes et correctrices de l'aggravation de la dette, pose la question des issues de cette crise de l'endettement en Afrique de l'Ouest. \1 importe d'élucider cette question pour mieux cerner les perspectives de solution. CHAPITRE III - LA NATURE DE LA CRISE DE L'ENDETTEMENT: CRISE DE LIQUIDITE OU CRISE D'INSOLVABILITÉ Malgré la très grande hétérogénéité des situations nationales. les difficultés de la dette en Afrique de l'Ouest se compliquent chaque jour davantage et suscitent beaucoup d'interrogations qui renvoient à la nature même de la crise d'endettement. La question est posée de savoir si cette crise d'endettement est une crise liée à une conjoncture dépressive ou alors si elle est une crise de solvabilité tenant aux déficiences des systèmes productifs incapables de générer des ressources suffisantes pour couvrir les services de la dette. En partant des facteurs conjoncturels, comme la chute des cours des matières premières, les taux d'intérêt élevés, le renchérissement du dollar et la baisse des aides financières sans contrepartie, on pourrait penser que l'amélioration de ces facteurs entraînerait une disparition totale ou partielle de la dette. Si cette preuve était faite, la crise de l'endettement ne serait qu'une crise de liquidité. Trois arguments militent en faveur de cette opinion et établissent que les difficultés de la dette tiennent davantage à une insuffisance des réserves de change qu'à une insuffisance structurelle de leur capacité de remboursement. Voyons comment ces arguments se présentent concrètement dans le cas des pays de l'UMOA. Le premier argument est que la baisse continue des cours des matières premières jusqu'en 1982 et les difficultés d'écoulement des récoltes de café et de cacao ont incontestablement réduit d'au moins 30 à 40 % les recettes d'exportation des Etats de l'Union, selon certains calculs du Fonds monétaire et de la Banque Mondiale. Sur cette base, on peut on évaluer à environ 450 milliards de francs CFA la perte correspondante de ressources pour la seule année 1982. En dehors de quelques éclaircies (1983, 1985 et 1986), la situation s'est depuis lors aggravée. Le second argument procède du fait que le niveau excessivement positif des taux d'intérêt a considérablement alourdi les charges d'intérêts pour tous les pays en développement. Cependant. le niveau de ces taux compromet également les investissements dans les pays industrialisés et constitue une source potentielle de regain des tensions inflationnistes. La réduction prochaine de ces taux est probable et découlerait des pressions internes et externes dont sont de plus en plus l'objet, les gouvernements des nations industrialisées. Le troisième argument en faveur de la thèse du problème de liquidité est constitué par les amples fluctuations des taux de change. notamment du dollar. La vive et constante appréciation du dollar par rapport au franc 58 depuis l'année 1981 avait non seulement alourdi en moyenne le service de la dette des pays de l'UMOA d'environ 20 % par an, mais avait encore entraîné une détérioration de leur compte courant, accroissant ainsi leurs besoins de financement Toute fixation du cours du dollar qui le situerait à un niveau plus conforme aux parités des pouvoirs d'achat des différentes monnaies, allégerait sensiblement le poids du service de la dette pour les Etats de "UMOA. Ce qui est le cas actuellement. Certainement, il faut nuancer de telles opinions. En effet, les variables conjoncturelles impliquées dans l'endettement ont des comportements que déterminent les seules nécessités des politiques nationales et de valorisation du capital des grandes puissances industrielles. Dès lors, il serait dangereux de subordonner la solution du problème d'endettement au renversement d'une tendance qui pourrait se révéler beaucoup plus durable qu'on ne le pense généralement. Tout au plus peuton espérer une détente sur les fronts du taux d'intérêt et du taux de change qui allégerait la crise de liquidité tout en augmentant les ressources disponibles pour le développement des forces productives. Si maintenant, nous nous intéressons aux causes structurelles, nous devons alors reconnaître que pour le moyen terme, l'Afrique de l'Ouest est confrontée à une crise de solvabilité, dont la solution passera par la mise en œuvre de réformes substantielles des structures économiques. En effet, les pays concernés ont à faire face dans les prochaines années au service d'une dette importante, dans une conjoncture caractérisée par un rétrécissement des flux de capitaux extérieurs d'origine publique et privée. Les projections faites par la Banque mondiale du service de la dette sont présentées dans le tableau suivant. Les chiffres sont en millions de dollars. Projection du Service de la Dette de quelques pays africains (en millions de dollars) CREANCIERS PUBLICS CREANCIERS PRIVES 1985 1986 1985 1986 1987 1988 1989 1990 TOTAL Principal Intérêts Principal Intérêts Principal Intérêts 810,4 1 030,2 810,4 1 030,2 1 013,2 1 016,2 949,6 320,2 2 121,3 3 060,8 2 121,3 3 060,8 2 657,7 2 040,5 1 554,1 826,6 2 931,7 4 091,1 2 931,7 4 091,1 3 670,9 3 670,9 3056,7 2503,7 498,8 499,3 498,8 499,3 473,2 433,8 389,9 345,2 1 140,8 978,6 1 140,8 978,6 712,0 465,4 269,3 128,7 1 139,6 1 477,9 1 139,6 1 477,9 1 185,2 899,2 659,2 473,9 Source: Banque mondiale: World Debt Tables, 1983-1984 édition. 59 Face à ces obligations financières en rapide progression, les perspectives économiques restent plutôt sombres sur le reste de la décennie puisque sur la base des tendances actuelles, la Banque Mondiale ne prévoit qu'une légère croissance du PIS (2,4 % en moyenne annuelle) pour l'ensemble des pays africains importateurs de pétrole, à la condition que les décaissements nets d'APO passent de 4,7 milliards de dollars en 1980 à 7,5 milliards de dollars en 1985 et 11,5 milliards de dollars en 1990. Les statistiques actuellement disponibles sont encore loin de confirmer pareille tendance. Entre 1980 et 1989, il Y a eu une détérioration générale des indicateurs macroéconomaques, une plus grande désintégration des structures de production, une dégradation plus prononcée des niveaux de vie et du bien-être social. C'est dire que les difficultés vont s'amonceler et devront s'aggraver si ('on tient compte de la baisse des libéralités dans les prêts et du fait que : - une fraction importante et croissante du service de la dette extérieure, correspondant à la dette multilatérale ne peut pas être rééchelonnée; - les rééchelonnements ne peuvent être indéfiniment extensibles et renouvelables ; - les échéances de certains réechelonnements commencent en 1986 sans que la situation n'ait subi le moindre changement dans le sens de son amélioration. A ce niveau, il apparaît que l'ampleur du poids de la dette assombrit toute perspective de développement en Afrique de l'Ouest. La crise qui s'installe risque d'être durable par suite de la présence de très nombreux facteurs de propagation et d'approfondissement. Les possibilités d'expansion et de croissance sont notablement amoindries voire totalement annulées par l'encours excessif de la dette. De plus, la situation est compliquée par une réduction. des sources extérieures de financement qui, du reste, se montrent de plus en plus réticentes à mobiliser les capitaux pourtant indispensables pour le développement des Etats Ouest-Africains. Pendant ce temps, la crise agro-alimentaire de l'Afrique de l'Ouest s'approfondit par suite de la conjugaison de trois facteurs qui ont été déjà soulignés à savoir: -la faible croissance de la production agricole (1,3 %) conjuguée avec une forte croissance démographique, (3,0 %) qui entraîne une baisse de la production agricole par tête; - le recul de la production vivrière au profit des cultures de rente qui contribue à accentuer le déficit alimentaire si bien que l'Afrique de "Ouest qui importait 2 millions de tonnes de céréales en 1950 en importe aujourd'hui environ 20 millions; - la forte expansion urbaine et l'incohérence de la croissance accélérée des villes qui accroit la demande d'infrastructures sociales de base et les charges improductives de l'Etat. 60 A cela viendront s'ajouter comme autres facteurs aggravants: l'élévation de la facture pétrolière ; l'accroissement des charges financières de l'Etat par suite de l'existence d'un vaste secteur public et parapublic fortement déficitaire et maintenu par des subventions ; la diminution des dons et autres transferts unilatéraux et la dépréciation des recettes d'exportation. Les conditions et les éléments sont ainsi réunis pour l'élargissement de la crise des finances publiques et de la balance des paiements. Cette dégradation financière interne est non seulement incompatible avec l'objectif de croissance et de développement, mais inquiète les bailleurs de fonds et tous les créanciers des pays d'Afrique de l'Ouest. Cette crise appelle de toute urgence des solutions qui soient à la fois acceptables par les créanciers et les débiteurs et qui puissent restaurer la capacité de remboursement et ne plus servir de prétexte pour masquer les mauvaises politiques de gestion économique. Dans cet ordre d'idées, en considérant que les pays si fortement endettés ne pourront jamais payer aux conditions de leurs créanciers et que d'autre part les banques commerciales détentrices de la part la plus importante de la dette ne supporteront pas un non remboursement, les propositions de la discussion se situent à trois niveaux: - la mise en œuvre de programmes d'ajustement strucrutel selon le modèle des conditionnalités des institutions monétaires et financières internationales; - l'organisation de rééchelonnements appropriés à chaque cas de figure et qui tiennent compte de tous les paramètres favorables à la croissance et au développement; - la création d'un organisme multinational recevant dans son portefeuille les créances des pays développés. Il est vrai que bien d'autres plans sont en circulation et rivalisent d'originalité mais ils ont en commun que la solution de l'endettement nécessitera la révision des règles du jeu économique des pays débiteurs et l'établissement d'un compromis acceptable par toutes les parties concernées. Présentement, l'ajustement semble être la solution préconisée par les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds pour créer une nouvelle donne économique à même de rétablir les grands équilibres macrofinanciers, de relancer la croissance et en conséquence de rendre possible le remboursement des dettes. Comment fonctionne cette nouvelle politique et quelles sont ses performances en Afrique de l'Ouest? C'est l'objet de la troisième partie de cette réflexion. 61 TRO/S/EME PARTIE POLITIQUES D'AJUSTEMENT OU CHANGEMENT DE MODELE DE DEVELOPPEMENT CHAPrrRE 1 - LE MODELE D'AJUSTEMENT ET DE STABILISATION PRECONISE PAR LES INSTITUTIONS FINANCIERES INTERNATIONALES Tout le monde s'accorde pour admettre que la montée rapide de la dette entraîne des charges insupportables pour les économies nationales. Par ailleurs, le paiement de la dernière dette entraîne toujours le début d'un autre endettement créant ainsi un cycle infernal dont la seule issue est une dégradation économique et financière qui compromet tout processus de croissance. L'unanimité s'est faite également sur les facteurs d'accélération et d'amplification de l'endettement. Les désaccords qui se manifestent sont bien mineurs et portent sur le poids respectif que tel ou tel facteur peut prendre dans l'accélération de la dette extérieure en Afrique. Quant aux conséquences, elles sont identiquemenr évaluées par tous les auteurs quelles que soient leur famille de pensée. Ainsi néo-classiques, keynésiens et autres marxistes partagent les idées selon lesquelles: 1) Sur le plan économique, la crise de la dette réduit voire anéantit toutes les possibilités de croissance et de développement des Etats ouestafricains. De fait, une part de plus en plus importante des ressources intérieures est affectée au service de la dette, au détriment du financement du développement. L'affaiblissement de la demande intérieure qui en résuhe hypothèque toute possibilité d'expansion; 2} Sur le plan financier, l'augmentation soutenue du volume de "endettement réduit les investissements publics et partant exerce un impact déflationniste sur l'ensemble de l'économie. L'Etat, pour faire face à ses charges et accroître l'épargne budgétaire, se trouve dans l'obligation de relever la fiscalité intérieure, de supprimer les diverses subventions à la consommation, de relever les tarifs publics et les taux d'intérêt, de comprimer les dépenses publiques. En somme, il s'opère une modification de la politique de répartition du revenu au profit de l'extérieur; 65 3) En matière de politique extérieure, les règlements au titre de la dette dégradent davantage la balance des paiements déjà structurellement déficitaire. Toutes ces conséquences, de même que leur ampleur, sont aujourd'hui communément admises à la fois par les pays créanciers, les débiteurs, les théoriciens et les divers experts. On peut donc dire qu'en matière de diagnostic, jamais les économistes n'ont réussi une aussi parfaite identité de vue entre des écoles aussi différentes et aussi opposées par leurs orientations et leurs méthodes.Tout laisse à penser que les théories sont prises à défaut par les faits. Cependant dès l'analyse des mécanismes de l'endettement, les oppositions traditionnelles réapparaissent et certaines théories économiques révèlent leurs faiblesses. La question de la dette est le microcosme des relations économiques internationales, des questions des échanges et du développement. Rapporté à la théorie néo-classique selon laquelle le libre échange favorise l'efficacité de la production mondiale et confère des chances de développement aux divers partenaires, l'endettement se présente comme un élément qui infirme justement cette vision optimiste des relations économiques et financières internationales. Des décennies de spécialisation et de commerce sans entrave ont produit l'économie de l'endettement dont les conséquences ultimes sont, en dernière analyse, le blocage du développement économique et social par asphyxie financière. Il apparaît alors que les mécanismes de l'endettement révèlent toute la fragilité de la théorie économique néo-classique qui est pourtant le référentiel souvent présenté comme infaillible. Qu'en est-il maintenant de la thérapeutique? En d'autres termes, quelles sont les politiques proposées pour résoudre la dégradation économique, financière et sociale des pays endettés? Comment les sortir des mécanismes d'accumulation et d'élargissement de la dette et des problèmes que pose son service? Les solutions sont-elles internes, ce qui suppose une modification du système productif ainsi que ses règles de génération et d'absorption des surplus? Les solutions sont-elles pour l'essentiel externes ce qui passerait par la renégociation impliquant la participation de tous les acteurs à l'endettement. L'importance et la variété de ces questions indiquent les enjeux multiples et complexes de la crise d'endettement et conduisent à plusieurs propositions de solution dont aucune ne connaît encore un début d'exécution. Il en est ainsi des solutions strictement financières parfois très pertinentes par rapport aux données techniques mais qui se heurtent toujours à l'attitude négative des créanciers. Les plus en vue de ces solutions sont certainement les politiques d'ajustement et de stabilisation qu'inspirent les institutions financières internationales et notamment le FMI et la BM dont les interventions en Afrique de l'Ouest sont de plus en plus marquées au point de concerner tous les seize Etats de la CEDEAO. En effet, il est de la mission du FMI, dans le 66 cadre des accords de confirmation et des accords élargis, de venir en aide aux pays connaissant des difficultés de balance de paiements. Le Fonds pose des conditionnalités trop strictes visant à s'assurer d'une part que les politiques économiques mises en œuvre garantissent le remboursement de la dette et d'autre part que. les ressources financières mobilisées soient affectées à des opérations qui permettent réellement de restaurer l'équilibre de la balance des paiements. On peut observer déjà que les PVD critiquent avec acharnement ces conditions d'octroi de prêts qui sont trop rigides et souvent inadaptées à leur situation économique et financière et qui s'inspirent d'une orthodoxie financière contestée. Malgré tout, l'aggravation de la crise financière a amené le recours au FMI dans le processus de renégociation de la dette. Depuis 1979, ces renégociations se sont élargies en Afrique de l'Ouest comme l'indique le tableau suivant: Rééchelonnements de la dette en Afrique de l'Ouest 1980-1988 Date de l'accord Début de la consolldaUon Durée de la consolldaUon Montant rééchelonnée (en millions de dollar. US) Club de Londres Mal 1985 Novembre 1986 Avril 1988 Décembre 1983 Janvier 1986 Janvier 1983 25 48 96 501 691 2211 Club de Paris Mai 1984 Juin 1984 Juin 1986 Décembre 1987 Décembre 1983 Janvier 1985 Janvier 1986 Janvier 1988 13 12 36 16 265 242 520 567 Club de Londres Mars 1984 Avril 1986 Odobre 1983 Odobre 1985 24 39 27 52 Club de Pari Novembre 1983 Novembre 1984 Novembre 1985 Novembre 1986 Avril 1988 Odobre 1983 Odobre 1984 Décembre 1985 Décembre 1986 Décembre 1987 12 14 12 12 13 32 40 40 33 43 Février 1984 Mal 1985 Mal 1981 Juillel1984 38 24 78 20 PAYS Côte-d'Ivoire Niger Sénégal Club de Londres (Suite D. 68) 67 Montant rééchelonnée (en millions de dollara US) Date de l'accord Début dela consolidation Durée de la consolidation Octobre 1981 Novembre 1982 Décembre 1983 Janvier 1985 Novembre 1986 Novembre 1987 Juillet 1981 Juillet 1982 Juillet 1983 Janvier 1985 Janvier 1986 Novembre 1987 12 12 12 18 16 12 84 64 105 87 79 Club de Londres Mars 1980 Octobre 1983 Décembre 1979 Décembre 1982 - 69 84 Club de Paris Février 1981 Avril 1983 Juin 1984 Juin 1985 Mars 1988 Janvier 1981 Janvier 1983 Janvier 1984 Mai 1985 Janvier 1988 24 12 16 12 15 122 118 65 35 125 PAYS Club de Paris n Togo Source: Banque Africaine, numéro 298 du 13 février 1989. Le rééchelonnement et l'obtention de nouveaux crédits du FMI et même des autres institutions financières seront de plus en plus subordonnés à la mise en place de programmes d'ajustement et de stabilisation. Ces programmes et surtout les conditionnalités liées à leur mise en œuvre ont toujous fait l'objet de vives controverses sur leur pertinence et leur performance. Ils ont également suscité de vives contestations du fait des tensions qu'ils créent et des menaces qu'ils exercent sur les précaires édifices sociaux particulièrement en Afrique de l'Ouest. Certains auteurs soutiennent que les politiques d'ajustement bien que pouvant améliorer le déficit de la balance des paiements ont un coût social excessif. Par ailleurs, elles ont beaucoup d'incidences négatives sur le processus socioéconomique. D'autres estiment que les conditionnalités pouvaient même retarder le processus de croissance économique et empêcher une répartition appropriée des revenus. C'est donc au niveau des solutions que se révèlent tous les enjeux de l'endettement massif. Quelles solutions proposent les divers créanciers aux pays qui, par le poids de leur dette, présentent des signes de faillite et d'insolvabilité ? Ces solutions ont-elles des incidences positives sur la poursuite de la croissance et du développement? Ont-elles pour principale préoccupation la restauration de la solvabilité des débiteurs? Quelle marge de manœuvre cèdent-elles aux pays endettés? N'y aura-t-il pas de plus en plus un transfert de souveraineté politique et économique au profit 68 des créanciers faisant ainsi de la Dette du Tiers-Monde une arme financière pour maintenir le lien de dépendance et de rapports économiques inégaux? Toutes ces questions vitales donnent une indication des enjeux que cachent les solutions technocratiques qui, en réalité, ne sont que d'une neutralité bien apparente. Elles montrent également la nécessité d'une évaluation rigoureuse des politiques d'ajustement et de stabilisation, et de leurs effets économiques, politiques et sociaux, en vue d'une recherche de solutions et de stratégies alternatives qui permettront véritablement aux pays ouest-africains de s'en sortir et d'amorcer des processus de développement au service des besoins de base comme le recommande le Plan de Lagos. Pour ce faire, nous analyserons deux points: - les politiques d'ajustement et de stabilisation et leurs incidences sur le modèle de développement; - les solutions alternatives. 1) Les politiques d'ajustement et de stabilisation préconisées par les Institutions fananclères Internationales(1) Beaucoup de recherches ont montré que les Etats Ouest-Africains ont, dans leur majorité, abordé la décennie des années quatre-vingts avec une crise économique et financière qui se manifeste par la faible croissance de la production et le déficit de la balance des paiements et des finances publiques. Ces déséquilibres ont été surmontés par des politiques d'endettement massif qui sont devenues, aujourd'hui, absolument insoutenables. Partout, l'encours de la dette a atteint des niveaux parfaitement insupportables par une production stagnante et des exportations qui régressent surtout en valeur. Dans ce contexte des bailleurs de fonds et notamment le FMI imposent une politique d'ajustement économique et financier devant permettre d'atteindre" un déficit du solde courant qui peut être soutenu par des entrées de capitaux à des conditions compatibles avec les perspectives de développement du pays, sans que celui-ci ait à recourir à des restrictions sur les échanges et les paiements .. (2). La mobilisation de nouvelles ressources en provenance surtout des institutions financières est strictement liée à une restructuration économique et financière car selon le FMI" il n'est ni souhaitable, ni possible de financer des déficits importants et durables de la balance des paiements sans chercher à réduire ou à éliminer les causes profondes de ces difficultés qui sont dues à des déséquilibres structurels de l'économie ". Le Fonds ajoute que" si les déficits sont éliminés par le recours à des restric(1) Nous avons entrepris une étude factuelle de l'ajustement dans un ouvrage récemment publié et intitulé: .. Sénégal: crise économique et réajustement structurel .. , Edit. Les Nouvelles du Sud, 1990. (2) Bulletin du FMI, Supplément spécial, mai 1981. 69 tions des échanges internationaux, ou s'ils sont simplement financés par des emprunts extérieurs, il est probable qu'ils réapparaîtront rapidement peut-être sous une forme plus aiguê renforçant ainsi la sévérité des mesures de redressement nécessaires »(3). En définitive, l'utilisation des ressources du FMI sera toujours liée à des dispositions et mesures rigoureuses qui forment les conditionnalités ou encore les cc packages » du Fonds dont les interventions se sont accélérées au point de représenter 17,5 % de ses opérations. Les évolutions et les grandes tendances analysées, établissent que le volume de l'endettement va augmenter si la conjoncture économique mondiale continue de se détériorer et d'être défavorable. Dans ce contexte, le FMI se présentera comme le bailleur de fonds incontournable des Etats africains, l'institution qui va commander et coordonner l'attitude des autres bailleurs de fonds et des créanciers publics et privés. De fait, il exercera progressivement des fonctions exorbitantes de gestion et de régulation des économies endettées et cela l'installera alors au cœur des processus de renégociation des dettes, de la mise en place des accords et de l'établissement de nouveaux mécanismes de financement dans le cadre de programmes qui constituent les politiques d'ajustement et de. stabilisation. Ainsi, les régulateurs principaux de l'ordre économique et financier mondial, le FMI et la Banque Mondiale, vont concentrer de fait beaucoup de pouvoirs de réflexion et de décision économiques pour mieux imposer un développement libéral assisté, sous perfusion permanente mais sécurisant pour les créanciers. Dès l'instant où ces politiques concernent la quasi totalité des seize Etats de la CEDEAO, on est en droit de se demander d'abord si elles sont compatibles avec les priorités et objectifs nationaux de développement économique et social et ensuite si elles permettent de sortir de la crise par une relance de la croissance? La réponse à ces questions appelle une évaluation des politiques d'ajustement structurel au niveau théorique c'està-dire celui de la pertinence ou non des présupposés théoriques et doctrinaux et au niveau pratique c'est-à-dire celui des performances des expériences en cours. 2) Les politIques d'ajustement et de stabilisation préconisées par le FMI Les politiques d'ajustement préconisées par le Fonds sont formulées en trois étapes : - la première consiste pour les experts en l'établissement d'un bilandiagnostic de J'économie et l'identification de toutes les causes de la montée des déséquilibres économiques et financiers; (3) Bulletin du FMI, ibid. 70 - la deuxième étape concerne l'élaboration des objectifs économiques et financiers ainsi que celle de la durée de réalisation des programmes retenus; - la troisième est celle de la formulation des ajustements nécessaires des politiques économiques compte tenu des objectifs du pays et de l'évolution des facteurs extérieurs. L'ajustement n'est pas un phénomène inconnu dans l'analyse économique. Il est souvent conçu comme une politique de réallocation des facteurs et des ressources en vue du retour vers l'équilibre et la relance du processus de croissance et d'expansion. Cette réallocation est alors obtenue par des variations conjuguées et simultanées des prix relatifs, des revenus et des taux de change. Les politiques d'ajustement doivent permettre de résoudre les déséquilibres économiques et financiers et rendre possible le retour à une croissance saine et durable. Lorsque les déséquilibres sont de nature temporaire et peuvent se corriger d'eux-mêmes dans un intervalle de temps raisonnable, un financement temporaire adéquat - souvent fourni par le FMI dont c'est la mission - sera suffisant pour en venir à bout(4). Ce financement sera accompagné, le cas échéant, de correctifs compensatoires susceptibles de modifier les mouvements de marchandises ou de capitaux. Si tel n'est pas le cas, il faut alors mettre en œuvre d'autres mesures capables de favoriser le retour à une balance des paiements valable au cours d'une période raisonnable, c'est-à-dire ajuster l'économie à une nouvelle situation estimée acceptable. Dans la dégradation persistante de la balance des paiements et des finances publiques, l'ajustement pour le Fonds est devenu un impératif. Dans son rapport de 1981, il est souligné que le Fonds a un rôle important à jouer en aidant les pays à concevoir des programmes d'ajustement appropriés et en dosant dans des proportions judicieuses l'ajustement et le financement. Dans le cas de l'Afrique ces mesures sont-elles effectivement suffisantes pour relancer la croissance et le développement? Globalement, les experts du FMI mettent l'accent sur l'élaboration des politiques d'ajustement : - d'abord par une approche monétariste de la politique économique avec une restriction de la demande; - ensuite par certaines mesures comme la dévaluation de la monnaie, le relèvement du taux de l'intérêt, la hausse des prix surtout des services publics, etc. ; - enfin par les restrictions salariales et les réductions de toutes les subventions qui faussent une libre détermination des prix. (4) CeNe mission de gestion des politiques d'ajustement est devenue une fonction majeure depuis que le Fonds s'est révélé incapable de stabiliser le Système Monétaire International et de le doter de nouveaux mécanismes et de nouvelles règles de fonctionnement. 71 Ces programmes d'ajustement s'inspirent de la théorie néo-classique et de la doctrine libérale: théorie quantitative de la monnaie, théorie des parités de pouvoir d'achat et théorie des coûts comparatifs. La théorie quantitative de la monnaie est invoquée pour expliquer et justifier que tout processus d'inflation est ruineux et entraîne de multiples distorsions qui auront une incidence négative à la fois sur la balance des paiements et sur "allocation des ressources pour la croissance(S). Or, la demande excessive de monnaie est la source principale de l'inflation et des difficultés des paiements. Dès lors, les experts du Fonds s'efforcent d'évaluer un agrégat monétaire déterminant dont le niveau dépend à la fois du volume du crédit intérieur, de la dette extérieure et du déficit budgétaire. Ces trois éléments vont alors constituer les variables macro-économiques sur lesquelles il faut agir pour enrayer ou amoindrir l'inflation. Ainsi la limitation du crédit devra avoir une incidence sur les décisions du secteur privé et public. Elle pourra contraindre le secteur public à réduire de ce fait ses déséquilibres. Quant à la restriction de l'endettement, elle doit se traduire par une compression de crédit et un contrôle de ses effets sur l'accumulation inteme car en fait, il faut veiller à ce qu'une dette excessive ne vienne compromettre la réalisation des investissements productifs. Le déficit budgétaire constitue le dernier élément de la demande excessive de monnaie. Ce déséquilibre pour le Fonds procède de l'entretien d'une fonction publique pléthorique et surtout de subventions au secteur public et parapublic. Ces trois variables macro-économiques seront surveillées strictement et maintenues à des niveaux relativement bas pour empêcher une élévation de la masse monétaire qui serait génératrice d'inflation. La théorie de la parité des pouvoirs d'achat, quant à elle, montre que l'évolution du change doit refléter le différentiel d'inflation existant entre deux pays. Elle constitue la référence dans l'élaboration des politiques des taux de change et de l'intérêt. Les taux d'intérêt selon le FMI sont souvent maintenus dans les pays en voie de développement à des niveaux bas. Il en résulte alors une érosion et une mauvaise affectation de l'épargne intérieure. Enfin, c'est à la théorie des coûts comparatifs qu'on fait appel pour justifier la nécessité d'un commerce sans entrave sur la base d'une spécialisation des Nations dans les productions où elles ont les meilleures dotations factorielles naturelles, car le commerce extérieur élève la rémunération des facteurs. Il est donc avantageux pour tous les partenaires à l'échange. Donc les nations doivent s'ouvrir aux relations écono(5) Pourtant ni l'expérience (Amérique latine, Nouveau Pays Industriels) ni la théorie n'ont établi que l'inflation en soi est ruineuse et la sagesse monétaire payante. Certains pays s'éternisent dans la stagnation Il la suite d'une orthodoxie financière anti-inflationniste. Les réflexions de grande hauteur de H. Benissadr (Un modèle théorique et empirique de déll'8loppemant par /'inflation, Revue Algérienne des Sciences Juridiques et Economiques n° 2, juin 1969) ont montré au double plan historique et théorique qu'il est possible de financer le développement par l'inflation. 72 • miques internationales car l'ouverture des frontières confère les mêmes chances de développement aux partenaires. Les techniciens du Fonds évoquent la théorie des coûts comparatifs pour recommander la promotion des échanges internationaux qui sont un moyen pour réaliser le bien-être mondial. Sur ce fond doctrinal d'apparence très cohérente, le FMI finit, par élaborer une politique générale d'ajustement qui a la prétention d'être valable pour tous les pays en voie de développement. Le caractère universel de ces solutions procède du fait que pour le FMI. le diagnostic permet d'établir pour tous les pays du Tiers-Monde un mal identique : les difficultés de balance des paiements. Dans ce contexte, le programme d'ajustement doit permettre de parvenir dans un délai raisonnable à une situation de paiements extérieurs équilibrés. Le programme d'ajustement s'articule souvent en cinq mesures qui agissent et se renforcent mutuellement pour permettre de restaurer les grands équilibres internes et externes et d'améliorer la solvabilité. La première mesure porte sur la croissance économique. Dans l'optique du FMI, les pays en voie de développement doivent réaliser une politique de croissance rapide. Le taux doit être le plus élevé possible compte tenu de toutes les ressources matérielles et humaines, internes et externes dont ils peuvent disposer. Cette croissance doit être, en outre, continue, régulière et débarrassée de toute fluctuation trop forte en baisse comme en hausse. Cependant, théoriquement, le taux de croissance est une fonction du taux d'accumulation du capital ou encore du taux d'investissement. En effet, plus l'investissement productif est élevé plus la croissance sera rapide. En conséquence, il faut mobiliser toute l'épargne disponible pour financer ces investissements productifs. Mais également il faut résoudre toutes les distorsions qui empêchent une réallocation des ressources en faveur des secteurs productifs. Ce serait le cas des prix relatifs. des taux de change surévalués qui découragent la production de biens d'exportation et de substitution aux importations. Une telle orientation a un caractère productiviste et tend à stimuler les projets productifs au détriment des investissements sociaux qui concernent généralement la santé, l'éducation et d'autres sous-secteurs sociaux qui sont, dans la logique du Fonds, réputés non rentables. La seconde mesure des politiques d'ajustement concerne la monnaie et le crédit qui doivent être manipulés pour aboutir d'une part au maintien de la demande intérieure à un niveau compatible avec l'équilibre et d'autre part à la réduction des pressions inflationnistes. Comme établi plus haut, l'accent est mis sur la nécessité d'un contrôle strict des agrégats financiers liés à la demande comme le crédit intérieur, le volume de la dette et le déficit budgétaire. Un emballement de l'un quelconque de ces agrégats peut se traduire par l'avènement d'une demande excessive de monnaie génératrice d'inflation qui, à son tour, introduit une distorsion négative dans l'allocation des ressources. 73 Dès lors, les mesures qui permettent cette compression de la demande sont de trois ordres: - d'abord, le contrôle du crédit de la Banque Centrale au Trésor, permet de contenir le déficit budgétaire dans des limites étroites poussant, en dernière analyse, l'Etat à restreindre la croissance de ses dépenses et surtout à modifier la répartition des ressources financières publiques en faveur des secteurs liés à la croissance économique. Ainsi, l'ajustement budgétaire s'avèrera nécessaire dans ce contexte de restriction des crédits au Trésor et il s'organisera en deux composantes, d'une part de mobilisation des ressources supplémentaires par le moyen de la fiscalité et de l'emprunt auprès du secteur non bancaire et d'autre part de restriction des dépenses totales et de modification de leur destination ; - ensuite, la réduction du volume du crédit bancaire aux secteurs productifs en vue d'une compression éventuelle de l'expansion globale du crédit; - enfin. la hausse du taux de l'intérêt particulièrement pour stimuler l'épargne intérieure. Le FMI estime que, généralement dans les pays en voie de développement, les taux d'intérêt ainsi que d'autres prix sont maintenus à des niveaux qui ne correspondent à aucune réalité économique entraînant en toute logique une augmentation de la demande de consommation et une érosion de l'épargne nationale. Ces deux derniers phénomènes expliqueraient, pour une bonne part la stagnation et le déclin de la production. La troisième mesure de la politique d'ajustement concerne la vérité des prix et des salaires. La politique des prix revêt une importance décisive car dans l'analyse néo-classique, le prix est un indicateur de rareté, un instrument irremplaçable d'allocation des ressources. Il importe alors de combattre toutes sortes de distorsions dans les mécanismes de fixation des prix relatifs. Or, celles-ci proviennent généralement des prix administrés fixés arbitrairement à des niveaux très bas et des diverses subventions qui ne correspondent à aucune logique économique mais grèvent inutilement les finances publiques. Des mécanismes de libre détermination des prix doivent alors être mis en place pour que les prix qui se forment reflètent les raretés relatives et opèrent une juste rémunération des facteurs. Il en va de même pour le salaire considéré comme le prix du travail. Le niveau de cette variable économique sera déterminé en fonction des paramètres du marché du travail, mais en plus, les travailleurs ne pourront obtenir aucune rémunération qui ne soit en conformité avec leur productivité. La quatrième mesure se rapporte à la politique budgétaire qui s'organise autour des axes suivants: - une régénération des recettes par une amélioration de l'administration fiscale et douanière, et par le développement d'emprunt surtout au niveau du secteur non bancaire: 74 - des mesures tendant à la réalisation d'économies budgétaires et qui passent par une compression des dépenses publiques notamment par une réduction du train de vie de l'Etat, par une diminution et un contrôle plus rigoureux de la masse salariale et enfin par la suppression de toutes les subventions au secteur public et parapublic. Ces différentes mesures visent principalement la régulation de la demande par le freinage des dépenses et l'accroissement des recettes. Les réformes budgétaires deviennent alors des instruments de la politique générale d'ajustement structurel. Toutes les opérations que réalise l'Etat, quelle que soit leur nature, sont consolidées dans le programme d'ajustement. Le rayon d'action éconornique et sociale de l'Etat est de la sorte terriblement réduit, ce qui explique que dans le processus d'ajustement, les mécanismes spontanés du marché doivent l'emporter sur tout interventionnisme étatique réputé, à la fois coûteux, inefficace et paralysant. La cinquième mesure, de loin la plus importante concerne la dévaluation. La dévaluation des taux de change est considérée par les institutions financières, comme le moyen privilégié d'ajustement et de stabilisation, l'instrument approprié pour mener une rapide relance de la croissance et assurer un retour vers l'équilibre souhaité de la balance des paiements. Pourtant, les choses sont très loin de se passer de cette manière ce qui justifie, du reste, l'extrême réticence des pays à la dévaluation considérée par la Banque Mondiale (Rapport sur le développement, 1984) comme une mesure dont la nécessité devient de plus en plus urgente et inévitable. Cependant, le succès d'une telle mesure est lié à deux conditions essentielles que les pays africains ne remplissent pas à savoir : d'une part la compétitivité des prix par rapport aux concurrents et d'autre part la flexibilité de l'appareil de production par rapport à une modification des prix relatifs. Au contraire, toute dévaluation entraîne de manière quasi automatique une hausse drastique du coût des importations incompressibles (biens intermédiaires et d'équipement), des tensions inflationnistes persistantes, une amplification de la fuite des capitaux, une perte de pouvoir d'achat des producteurs et des consommateurs, une instabilité sociale permanente créant, en définitive, un climat peu propice à l'investissement. Dans l'état actuel des économies africaines les inconvénients d'une dévaluation l'emportent de loin sur les avantages attendus. Il ne s'agit nullement d'une cc attitude négative et dogmatique" mais d'une observation des faits et des situations tels qu'ils se présentent réellement. Bien sûr cette mesure exerce, à l'expérience, des effets négatifs sur la balance de paiements et cela le Fonds le reconnaît lorsqu'il écrit dans un document qu'une cc dépréciation du taux de change se produit souvent à court terme par une détérioration de la balance commerciale parce que dans la plupart des pays, les prix à l'importation ont tendance à varier plus rapidement en termes de monnaie locale que les prix à l'exportation et que 75 le volume des exportations et importations réagit plutôt lentement ". Le Fonds sait également que les pays en développement n'ont qu'une faible prise sur les prix en monnaies étrangères des importations et des exportations. Pourtant, malgré ces limites, le Fonds reconnaît une certaine efficacité à la dévaluation qu'il érige au rang des mesures impératives de l'ajustement. Cette foi en l'efficacité des mécanismes de la dévaluation procède, chez les experts du FMI, de la forte conviction que les monnaies africaines sont surévaluées et qu'en conséquence la dévaluation établirait une structure de prix relatifs qui stimulerait les activités exportatrices et exercerait des effets dissuasifs sur les importations. Tous ces effets devraient aboutir à l'instauration d'un climat favorable au commerce international et produire un équilibre des échanges extérieurs. La dévaluation non seulement améliorerait la balance des paiements mais elle opérerait une réallocation des revenus favorables aux agents liés aux activités exportatrices. Ceux-ci finiront par se retrouver avec la part la plus importante du revenu national. Donc à terme, par leurs actions de production et d'investissement, ces agents pourront contribuer à l'équilibre de la balance des paiements. Ces cinq volets forment le programme d'ajustement proposé indistinctement comme une taille unique aux pays qui recourent aux services du FMI. Mais, à y regarder de près, ils constituent un ensemble de mesures qui affectent de façon irréversible les orientations et les structures d'un pays. Il s'agit en fait de la mise en place, parfois jusque dans les moindres détails, de politiques économiques d'un modèle de développement qui repose sur l'idéologie et les principes du libéralisme et dont le fonctionnement est lié à la division internationale du travail. C'est la référence à cette philosophie économique et à ses présupposés théoriques qui explique la très grande cohérence des politiques d'ajustement. Les causalités privilégiées pour reprendre Marie-France L'Hériteau ont abouti à ces certitudes combinant les enseignements de la théorie quantitative de la monnaie et ceux de la parité des pouvoirs d'achat. Elles peuvent être schématisées ainsi(6) : Politiques de crédit laxiste.............. ~ , , --...creation 't' ~Hausse .=.- d e mone aire ues priX des Hausse de la masse . / salariale '/ 'f't bd' , Del u getalre Endettement / Défit ba1ances et/ou '~" paiements Devaluation de la monnaie nationale Ces politiques d'ajustement inspirées et soutenues par les Institutions Financières Internationales et les bailleurs de fonds ont suscité beaucoup (6) D'après Marie-France L'Hériteau, Endettement et ajustement structurel: la nouvelle canonnière, Revue du Tiers-Monde, tome XXIII, n° 91, 76 de controverses. Il importe alors d'en évaluer les résultats au double plan théorique et pratique. 3) Les limites pratiques des politiques d'ajustement D'une manière générale et en toute logique économique les déficits structurels des balances de paiement dans les pays en voie de développement traduisent les déséquilibres au niveau de la production, de la demande globale et des prix des produits et des facteurs. De ce fait, si l'offre est insuffisante, ce qui se reflète dans des distorsions des prix intérieurs, il importe d'améliorer l'affectation des ressources pour renforcer les bases matérielles de la production des biens et de restreindre la demande en attendant de pouvoir élargir les capacités productives de l'économie. En somme, du fait qu'il est impossible de s'accommoder de déséquilibres permanents, l'ajustement économique et financier devient un exercice inévitable et devrait permettre la correction des distorsions, la relance de la croissance par une réorientation des ressources au profit des secteurs productifs et la limitation des consommations improductives privées ou publiques. Cependant, l'expérience établit que les économies contemporaines ont tendance à s'accommoder de plus en plus de déséquilibres des balances de paiement qu'elles règlent par le recours systématique à l'endettement extérieur. Ce n'est que lorsque la charge de la dette ainsi contractée devient trop lourde ou lorsque se réduisent les possibilités de nouveaux emprunts qu'elles se tournent vers le FMI. Or, l'utilisation des ressources du FMI est subordonnée à la mise en œuvre de programmes d'ajustement dont les lignes directrices ont été analysées. Ceci explique pourquoi l'ajustement est presque toujours associé à l'intervention du FMI. Dès lors, le succès, ou l'échec d'un programme d'ajustement est principalement le succès - ou l'échec - du FMI, qui en est le principal concepteur et également le contrôleur certes discret mais ferme et déterminé. La question de l'évaluation de l'efficacité des programmes financiers est au centre d'un débat qui oppose depuis quelques années le Fonds à certains experts et chercheurs. Cette évaluation des PAS peut s'opérer à trois niveaux : - celui de la pertinence théorique du modèle de référence; - celui des performances en rapport avec les objectifs; - et celui des conséquences non économiques. Ainsi, une étude récente publiée par l' " Overseas Development Institute of London» conclut, selon Tony Killick qui en est le Directeur, que: " les programmes soutenus par le Fonds dans les pays en développement n'ont qu'une efficacité restreinte »(7). (7) Revue Finances et Développement, numéro de septembre 1984. 77 L'étude, menée sur la base de documents internes du FMI, résume ainsi qu'il suit les effets constatés des programmes financés par le Fonds: s'ils visent à renforcer la balance des paiements, les résultats sont statistiquement peu significatifs et souvent bien en deçà des objectifs fixés ; ce n'est qu'en quelques occasions que les programmes ont donné lieu à une forte augmentation des entrées de capitaux provenant d'autres sources et l'on n'a pas observé de relation systématique entre les programmes et la libéralisation durable des échanges et des paiements; les effets déflationnistes des programmes sont généralement peu marqués. Les différentes monographies réalisées sur les expériences d'ajustement montrent qu'en Afrique de l'Ouest, les programmes ont enregistré de très médiocres résultats, ont contribué au délabrement des systèmes productifs et à la désorganisation des appareils administratifs et institutionnels. L'initiateur et le père spirituel des Programmes d'Ajustement Structurel Eliot Berg vient de reconnaître dans une étude de réalisée au Sénégal et au titre évocateur « L'ajustement ajourné .. que cette stratégie appliquée depuis 1979 n'a produit aucun résultat significatif malgré les énormes sacrifices imposés à la population(8). Eliot Berg accuse au premier plan la Banque Mondiale qui a établi un diagnostic incorrect et une mauvaise conception du programme et en définitive a commis des erreurs et des imperfections dans la conception et le suivi des réformes stratégiques et institutionnelles. Au second plan l'auteur dénonce, ce que tous les intellectuels africains font depuis les indépendances, la médiocrité des assistants techniques résidents et recommande le recours aux compétences locales. Ces critiques nous les avons développé avec d'autres économistes depuis les années 1980 lors de l'élaboration du fameux Plan BERG dont l'auteur vient de faire une autocritique. De plus, en termes de coûts/bénéfices, nous pouvons nous poser la question de savoir quels sont les coûts économiques et sociaux supportés pour résoudre les déséquilibres et relancer la croissance, et si ces coûts ont permis effectivement aux politiques d'ajustement d'atteindre leurs objectifs. a) Les coûts économiques et sociaux des politiques d'ajustement Les mesures qui ont été analysées devraient aboutir à un programme cohérent de compression de la demandè.globale, de libéralisation du commerce extérieur, de modification de la répartition du revenu et de diminution du pouvoir d'achat des masses laborieuses. Il s'agit d'évaluer les diverses conséquences sociales de ces différentes mesures. La compression de la demande qui joue un rôle moteur dans l'ajustement économique et financier se réalise par un ensemble d'actions visant à réduire le niveau des dépenses afin de les rendre compatibles avec celui (8) Eliot Berg. L'ajustement ajourné: réforme de la politique économique au Sénégal dans les années 1980, USAI D, Dakar, 1990, 63 p. 78 de la production. Ces mesures sont: la diminution des dépenses publiques, l'élimination des subventions, "augmentation des ponctions fiscales, le ralentissement de l'expansion de la masse monétaire, le relèvement des taux d'intérêt et la hausse des prix même administrés. Ces mesures entraînent des conséquences sociales assez lourdes particulièrement pour les populations les plus démunies: accroissement du chômage, réduction des revenus et du pouvoir d'achat, diminution des salaires réels par suite de l'augmentation des prix. Tout cela sera aggravé par les ponctions fiscales supportées par les salariés, les producteurs du secteur moderne et les consommateurs urbains. Quant à la réduction de la masse de crédit, elle affecte particulièrement les petites et moyennes entreprises qui risquent de voir leurs affaires tomber en ruine faute de moyens de financement. En ce qui concerne la dévaluation, il est établi théoriquement et pratiquement qu'elle n'a guère cette vertu d'améliorer automatiquement l'équilibre de la balance commerciale. Bien au contraire, dans les pays africains, elle renchérit les importations sans pouvoir favoriser les exportations composées essentiellement de matières premières dont la détermination de la demande et des prix échappe totalement aux pays producteurs. Les statistiques et beaucoup de monographies convergent pour établir que la formation internationale des prix des matières premières dépend principalement de facteurs extra-économiques qui s'imposent comme des données exogènes sur lesquelles les PVD n'ont aucune prise. Dès lors, la dévaluation n'accroit en aucune manière le volume des exportations si tant est que celles-ci sont indéfiniment extensibles. A cela s'ajoute cette autre observation extrêmement pertinente de A. Emmanuel: on délibère comme si 1 000 tonnes de café à 1 000 dollars apportaient au pays exportateur autant de devises que 500 tonnes à 2 000 dollars. Les sacs, les engrais, les machines de décorticage et leurs carburants, les moyens de transport, toutes choses payées en devises, sont entièrement ignorées. Dans ces conditions, les changements introduits par les programmes d'ajustement affectent principalement les catégories les plus pauvres de la population, en modifiant à leur détriment la distribution interne des revenus. Il en est particulièrement ainsi de l'inflation qui affecte plus durement cette frange de la population dont l'épargne est le plus souvent détenue sous forme monétaire. En définitive, on peut dire que le prix immédiat à payer par un pays qui engage un processus d'ajustement est fort élevé, particulièrement pour les catégories défavorisées de la population qui, ne disposant pas de moyens de se prémunir, supportent en fin de compte une bonne partie du poids de l'ajustement C'est cela qui fait dire que les institutions financières internationales proposent aux Etats des programmes de cc guerre civile, une prime à la .. révolte" ". En effet, l'application de la thérapie d'ajustement tend toujours à entraîner des mouvements sociaux très amples, qui peuvent soit préparer une instabilité politique soit introduire des perturbations sociales 79 parfaitement préjudiciables à la paix civile. Les émeutes populaires intervenues dans certains pays après une augmentation des denrées de première nécessité en sont une parfaite illustration. En ce qui concerne les effets directs de ces programmes d'ajustement sur les secteurs de base du développement que sont l'éducation, la formation, la science et la recherche en Afrique de l'Ouest, le tableau de la page 80 nous indique clairement deux tendances majeures lourdes de signification: - d'abord, entre 1965 et 1980 (période sans ajustement), le taux de scolarisation a constamment augmenté dans l'ensemble des seize pays ouest-africains, doublant en moyenne dans les enseignements primaire et supérieur et triplant dans l'enseignement secondaire; - ensuite. entre 1980 et 1986 (période d'ajustement), ce taux s'est difficilement maintenu dans le primaire, a sensiblement baissé dans le secondaire (surtout au Togo, au Ghana et en Guinée) et a chuté en moyenne de près de moitié dans le supérieur. Ce constat est d'ailleurs corroboré par la baisse continue de la part de l'éducation dans les dépenses totales des Etats ouest-africains depuis 1980 (début de la plupart des programmes d'ajustement dans la région). A titre d'exemple, le Nigéria, géant économique de la région (population, PNB) ne consacrait en 1987 que 2,8 % de ses dépenses publiques au secteur de l'éducation contre 4,5 % en 1980. Situation de l'éducation dans les pays de la CEDEAO 1965-1986 Nombre d'Inscrits en pourcentage du groupe d'âge PAYS 1Bénin ........................... 2 Burkina-Fasse ............... 3Cap-Vert ....................... 4 Côte-d'Ivoire .................. 5Gambie ........................ 6Ghana........................... 7Guinée ......................... 8Guinée-Bissau ............... 9 Libéria .......................... 10 Mali ............................. 11 Mauritanie..................... 12 Niger ........................... 13 Nigéria ......................... 14 Sénégal ........................ 15 Sierra-Léone .................. 16 Togo ............................ Enseignement primaire Enseignement secondaire 1965 1980 1986 1965 1980 34 64 21 112 80 52 73 31 67 76 25 65 35 108 78 75 63 29 60 n.c. 22 46 29 n.c. 55 n.c. 102 3 1 n.c. 6 6 13 5 2 5 4 1 1 5 7 5 5 16 3 8 19 13 37 14 6 23 8 10 5 19 11 14 12 n.c. 60 21 69 31 26 41 24 13 11 32 40 29 55 34 27 97 46 54 122 34 Enseignement supérieur 1986 1965 1980 1986 16 6 14 20 20 35 9 11 n.c. 7 15 6 n.c. 13 n.c. 21 Source: Banque Mondiale, Rapport sur l'Afrique subsaharienne : sance durable n, 1989. « 0 0 n.C. 0 n.c. 1 0 n.c. 1 0 n.c. n.c. 0 1 0 0 0 n.c. 1 0 n.c. n.c. 3 3 n.c. n.c. n.c. 2 4 1 n.c. n.c. n.c. n.c. 0 1 n.c. 0 0 1 2 3 3 2 1 n.c. 2 2 De crise à une crois- Même la Banque Mondiale (Afrique subsaharienne : de la crise à une croissance durable, 1989, p. 76) fait un constat identique en remarquant que: cc depuis "indépendance, l'Afrique a fait de remarquables progrès dans la valorisation des ressource humaines, mais on constate un ralentissement inquiétant, dû principalement à des difficultés financières et à l'accroissement de la population. Si les tendances actuelles se poursuivent, c'est la base même du développement à long terme qui se trouvera menacée ". Or, la perspective de l'ajustement mis en œuvre depuis plus d'une décennie en Afrique de l'Ouest débouche irrémédiablement sur le sacrifice d'un secteur social éminemment stratégique pour le développement que sont l'éducation, la science, la formation et la recherche appliquée. b) Les résultats économIques des politiques d'ajustement Dans la majorité des cas, les programmes d'ajustement en Afrique de l'Ouest tournent autour des objectifs principaux de : - promotion de la croissance économique; - réduction de l'inflation à un taux annuel acceptable; - amélioration de la position de la balance des paiements ; - dévaluation qui modifierait positivement les prix relatifs avec une réorientation du commerce. A ces objectifs prioritaires s'ajoutent d'autres d'une moindre importance tels que: - la réduction du ratio du déficit du secteur public/PIB ; - l'amélioration de l'affectation des ressources intérieures afin de favoriser l'épargne et l'investissement intérieur; - le contrôle de la dette et son maintien à un niveau compatible avec la capacité du pays à assurer le service de la dette. A l'expérience, on a souvent observé des écarts grandissants entre les objectifs fixés dans les programmes d'ajustement et ceux effectivement réalisés. Cette observation montre les faiblesses caractéristiques des politiques d'ajustement et révèle leur difficulté à résoudre la crise économique et sociale dans les PVD. Dans un article célèbre, S.K. Thasan notait que " l'expérience des pays africains montre que des divergences ont tendance à apparaître non pas tant au niveau du diagnostic des pays (bien que naturellement, les autorités aient plus que le Fonds tendance à blâmer surtout les facteurs exogènes) ni au niveau de la détermination des objectifs économiques et financiers des pays (bien que la suffisance des données puisse les rendre difficiles à quantifier), mais au niveau de l'élabo(9) Voir également Moustapha Kassé, .. Les effets sociaux des programmes d'ajustement communication au Séminaire Régional du CAFRADES organisé à Tripoli du 20 au 25 août 1990 .. Sur l'impact social .. des PAS par la CEA. >l, 81 ration des politiques d'ajustement nécessaires »(10). Sur ce plan, les divergences portent sur les questions suivantes: 1) l'approche monétaire stéréotypée de la politique économique; 2) les justifications des mesures orientées vers le marché, comme la dévaluation du taux de change, le relèvement des taux d'intérêt, la hausse des prix alimentaires ou des services publics; 3) l'importance très secondaire apportée aux considérations de justice sociale et J'inopportunité politique de mesures comme la dévaluation du taux de change, des restrictions salariales ou la réduction des subventions à la consommation. Ainsi, sur un autre plan, S.K. Thasan reconnaît que l'ajustement peut entraîner le recul de la production et de l'emploi car, il ne s'intéresse qu'aux aspects financiers qui ouvrent l'accès aux ressources du Fonds. Dans la même ligne de pensée, le Directeur du Département Afrique du FMI et son adjoint se sont livrés à cet exercice dans un autre article publié dans la revue: « Finances et Développement » et intitulé: « Les programmes d'ajustement en Afrique ... Partant de l'évaluation de vingt et un pays africains ayant des programmes en cours entre 1980 et 1981 et pour lesquels le Fonds avait engagé 4,3 milliards de DTS à la fin de l'année 1981 (contre 455 millions de DTS à la fin de l'année 1979), les auteurs observent que : - les objectifs liés à la croissance économique ont été atteints dans 20 % des cas environ; - les objectifs relatifs à l'inflation ont été réalisés dans près de la moitié des cas ; - les objectifs ayant trait à la situation extérieure ont été atteints dans 40 % des cas environ. Par ailleurs, les deux auteurs remarquent que les ratios correspondant aux dépenses publiques ont presque toujours dépassé les montants prévus, de sorte que la part du déficit budgétaire dans le PIS a été supérieure aux prévisions dans deux pays sur cinq; en conséquence, le taux de croissance du crédit net au secteur public n'a pas été conforme aux objectifs. Et comme le crédit au secteur privé a lui-même été souvent supérieur aux prévisions, il en est résulté un dépassement des objectifs d'expansion du crédit intérieur net dans près de la moitié des cas environ. Le moins que l'on puisse dire, face à ce constat, c'est que les politiques d'ajustement malgré leurs coûts sociaux parfois excessifs n'ont pas toujours été performantes. Elles n'ont pas permis de résoudre les déséquilibres et de sortir les pays de la crise par la relance des investissements. Dans le meilleur des cas, elles ont fait reculer les échéances mais n'ont (10) S. Kanesa-Thasan. Le Fonds et les politiques d'ajustement en Afrique, Revue Finances et Développement, septembre 1981. 82 réglé aucune des distorsions fondamentales, ainsi, la croissance ne s'est nulle part améliorée de façon notable tout comme les déséquilibres extérieurs n'ont pas été résorbés. Bien au contraire, l'endettement s'est aggravé et l'inflation s'est partout maintenue. D'ailleurs, l'inflation n'est pas apparue en Afrique, comme un phénomène déterminé uniquement par une expansion excessive de la masse monétaire et du crédit. Elle procède souvent de rigidités structurelles et de paramètres liés aux relations économiques et financières avec l'extérieur. Si les politiques de stabilisation ont produit d'aussi faibles résultats, c'est parce qu'elles reposent sur des élaborations théoriques complètement inappropriées ou insuffisantes. 4) Les limites théoriques des politiques d'ajustement Tous les faits analysés ont montré très clairement que les politiques d'ajustement ont échoué en Afrique de l'Ouest dans leur triple objectif consistant à équilibrer la balance des paiements, à comprimer l'endettement en restaurant en même temps la solvabilité, à relancer la croissance et le développement économique. Ces performances modestes s'accompagnent de graves et profondes dépréciations de la situation sociale. Des théories et approches non pertinentes expliquent, pour une bonne part, ces médiocres résultats. La théorie néo-classique de la monnaie et des relations économiques internationales qui inspire et éclaire la démarche des experts du FMI s'est avérée incapable de donner une explication cohérente et acceptable des phénomènes comme l'inflation et ses effets d'érosion des économies faibles, l'échange inégal et son incidence sur l'accumulation productive des pays sous-développés. L'inflation est saisie au simple niveau de sa conséquence immédiate: l'élévation des prix. En ne considérant que cet aspect, l'effet est pris pour la cause. Les politiques anti-inflationnistes qui découlent de ce fonds doctrinal comme par exemple la politique monétaire restrictive des agrégats financiers, la politique budgétaire excessivement prudente et la politique de réduction de la demande intérieure, n'ont nullement à enrayer les tensions inflationnistes. Bien au contraire, ayant abouti à une restriction de l'offre globale, ces politiques ont réussi à créer une pénurie qui a entraîné une augmentation des prix. Par ailleurs, la dévaluation s'est avérée une mesure inadéquate puisqu'elle s'est traduite souvent par une dépréciation plus importante de la balance commerciale. En effet, comme le reconnaissent d'ailleurs les experts du Fonds, les prix à l'importation varient plus rapidement en termes de monnaie locale que les prix à l'exportation. Pour qu'une dévaluation améliore la balance commerciale, il faudrait non seulement que le taux de change influence réellement les prix à l'importation et à l'exportation, mais qu'il existe une élasticité du volume des échanges extérieurs par rapport aux prix Ces conditions sont impossibles à réunir par un pays en voie de 83 développement qui n'a aucun moyen de contrôle sur le processus de formation des prix internes et externes. Evaluant les politiques d'ajustement adoptées en Afrique, la Commission Economique pour l'Afrique (CEA) observe que l'on continue à cc se poser la question de savoir si une dévaluation opérée dans des pays tels que les pays d'Afrique en développement constitue l'instrument approprié pour amener un rapide rétablissement de la croissance et assurer l'amélioration souhaitée de la balance des paiements »(11). Par ailleurs, il n'est pas facile de déterminer le taux de change <c optimal » à retenir pour établir la structure souhaitable des prix relatifs. La théorie néo-classique des relations économiques et financières internationales est également fortement contestée dans ses fondements comme dans ses résultats. En effet, la théorie de la spécialisation à partir des dotations naturelles qui postule que l'ouverture permet une meilleure rémunération des facteurs internes de production repose sur des hypothèses inexactes comme /'immobilité des facteurs en flagrante contradiction avec l'ouverture extérieure, le caractère immuable de la dotation en facteurs de production. Dès lors, on peut dire que cet ensemble d'hypothèses fragiles et non vérifiées ne peut conduire à une politique juste. De plus, même si la théorie néo-classique postulant que le commerce sans entraves est mutuellement avantageux aux partenaires, était exacte au niveau de sa formulation abstraite, au plan des faits elle est complètement prise à défaut. En effet la montée du protectionnisme, particulièrement remarquable au niveau des pays développés, montre une certaine remise en cause des règles du jeu de la spécialisation et de l'ouverture. Enfin une dernière faiblesse de l'analyse réside dans la théorie des prix et de leur processus de détermination. Il apparaît que si toutes les conditions d'une économie concurrencée sont réunies, les prix du marché se présentent comme des instruments d'allocation des ressources, les signaux en fonction desquels sont prises et coordonnées les décisions individuelles des agents économiques. En définitive, le système des prix, par des ajustements incessants, assure la coordination des décisions individuelles. Mais cela suppose réunies toutes les hypothèses de la concurrence pure et parfaite, celles de la rationalité des agents et celles de l'existence de marchés parfaits. Or de telles hypothèses ne sont vérifiées dans aucun Etat africain. Il apparaît donc que le discours du FMI est porté par des théories extrêmement fragiles à la fois dans leurs hypothèses comme dans leur méthodologie et démarche. Par ailleurs, la théorie néo-classique révèle d'autres lacunes dans l'application: elle est incapable de rendre compte des particularités structurelles des pays en voie de développement. En effet, si abstraitement, l'on considère cette théorie comme celle des rapports marchands, ainsi que l'autorise le texte de Walras, on s'aperçoit que les catégories utilisées sont peu pertinentes dans des pays qui sont à dominante non capitaliste. Une (11) CEA-BAD, Rapport économique sur l'Afrique, Abidjan, 1984. 84 large part des échanges y sont non marchands, l'espace économique est hétérogénisé par des cloisons et barrières rendant le marché totalement imparfait. La croissance ne peut être auto-entretenue par suite de l'existence de multiples déséquilibres. Enfin, les régimes autoritaires qui prévalent ne connaissent pas de débats démocratiques donc de processus de génération de choix collectifs par interaction des choix individuels. Si en revanche, on confère à la théorie néo-classique une acceptation systémique, pour en faire une théorie de l'équilibre stable d'un système complexe, les catégories usuelles n'ont plus, ni la même signification, ni la même portée analytique. En conséquence, la théorie proposée est en porte-à-faux avec la réalité qu'elle se propose de servir et de transformer. En cela, les propositions des politiques d'ajustement comme la compression de la demande globale, la croissance par allocation des ressources en faveur des secteurs productifs, la vérité des prix, la non intervention de l'Etat et la promotion de l'entreprise individuelle, se heurtent à des contraintes structurelles complexes et souvent infranchissables. De telles propositions induisent des effets pervers trop éloignés des résultats attendus. Cette analyse établit que le modèle de développement qui a prévalu jusqu'à maintenant en Afrique de l'Ouest a échoué dans la réalisation du triple objectif des politiques économique et financière. - Elever le niveau des forces productives matérielles et humaines et faire de la croissance un phénomène irréversible. - Construire des systèmes productifs polyvalents et capables d'autonomie vis-à-vis de la division internationale du travail. - Améliorer le niveau culturel et le niveau de vie des populations laborieuses. Ce modèle de développement a conduit les pays qui l'ont appliqué vers des difficultés économiques et sociales dont l'endettement n'est qu'un effet de surface. Dans ce contexte, les politiques d'ajustement et de stabilisation ont une double finalité: d'une part, ajuster davantage les systèmes productifs des pays en voie de développement à la division internationale du travail et d'autre part, tenter de restaurer la solvabilité par rétablissement des grands équilibres financiers. De la sorte, on rassure la communauté financière internationale pour qu'elle continue de mobiliser les ressources indispensables aux économies de l'endettement qui vont ainsi perpétuer leurs déséquilibres internes. Quelles que soient les évaluations réalisées, les politiques d'ajustement ont produit certains effets dont trois méritent d'être soulignés: - L'apparition d'une plus grande différenciation sociale par la formation et la consolidation d'une couche sociale liée aux secteurs exportateurs. 85 En effet, il est connu que certaines mesures des politiques d'ajustement, comme la dévaluation, opèrent des transferts de revenu réel en faveur des opérateurs économiques liés aux activités exportatrices. Or, ces opérateurs s'avèrent incapables de transformer le système productif dont ils tirent de l'immobilisme des rentes de situation. Ils ne s'intéressent qu'aux activités d'import-export et sont peu concernés par les politiques de relance des investissements directement productifs. Leur domaine d'intervention les amène à ravaler les pays au rang de cc supermarché .. contribuant ainsi à la liquidation progressive des industries naissantes encore fragiles pour soutenir une compétition avec l'extérieur. - L'apparition de matrices culturelles et de modèles de comportement extravertis des élites. Ces matrices aux prétentions exclusivement technocratiques affichent souvent un mépris pour les identités culturelles, assimilées à des systèmes de valeurs archaïques et opposées à la philosophie du progrès et de la technologie. Ces élites du pouvoir manipulant ce discours ésotérique ne se sentent nullement concernées par la recherche d'identité alternative devant aboutir à des institutions et modèles nouveaux, permettant l'instauration de nouvelles formes d'Etat, de gestion de l'agriculture et de l'appareil industriel. De même, matière de technologie en vue du développement, aucun effort ne sera entrepris pour une utilisation rationnelle des savoir-faire locaux. On n'a pas encore évalué avec exactitude le coût financier et social du mimétisme. Cependant, on peut déjà observer qu'il constitue un facteur de blocage et d'inefficacité qui empêche de chercher et d'utiliser des modes d'organisation administrative, économique, sociale et technologique plus appropriés et nécessairement moins coûteux. L'échec du développement par décret provient principalement de l'absence de compréhension et d'intériorisation des tâches et comportements économiques par les acteurs du développement. - La propagation du modèle de consommation fondé sur les biens importés est un autre élément déterminant. Les politiques d'ajustement opèrent souvent une redistribution des revenus favorables aux couches sociales aisées et aux élites dont les consommations à fort contenu en devises accroissent les importations et contribuent à creuser le déséquilibre de la balance commerciale. Ce modèle de consommation a tendance à s'élargir par des effets conjugués de démonstration, d'imitation et d'urbanisation. Ce dernier phénomène est devenu essentiel car les tendances lourdes à l'urbanisation font exploser la demande infrastructurelle et alimentaire qui impose des charges financières insupportables par les ressources internes. L'endettement devient le seul moyen pour financer ces dépenses. Toutes ces situations se déroulent sur un fond de stagnation, voire même de régression économique et sociale. La croissance demeure 86 exceptionnelle et revêt toujours un caractère extraverti, entretenue de l'extérieur par les institutions financières et les bailleurs de fonds. Dès lors, dès que les crédits internationaux manquent tout est bloqué. En somme, le développement se déroule dans un cercle vicieux: pour rembourser la dette, il faut s'endetter pour animer la croissance. On s'installe ainsi dans une sorte de mécanisme " d'une dette perpétuelle .. pour reprendle la formule de H. Bourguinat avec des emprunts renouvelés chaque fois qu'ils viennent à échéance. D'ailleurs, sans crédit, les PVD ne seraient pas des clients pour les industries du système central. En effet, la nature des crédits octroyés aux PVD - crédits exports garantis, crédits financiers d'accompagnement et les contrats d'équipement - montre que l'endettement a particulièrement renforcé les exportations des pays industrialisés vers le Sud. Il a donc permis d'élargir les débouchés extérieurs de systèmes économiques menacés de crise de surproduction par suite du développement de la production de masse. Tout cela montre que les nouveaux experts ne sont pas porteurs de remèdes infaillibles aux distorsions structurelles et au blocage du développement et l'aveu d'insuccès que vient de faire Eliot Berg dans son étude sur l'expérience sénégalaise est de ce point de vue édifiant du temps perdu et des sacrifices inutiles imposés aux populations. L'application des politiques d'ajustement a souvent conduit à une augmentation de l'endettement et parfois à un mouvement tendanciel de régression sociale. Dans ce contexte, les pays s'engagent dans l'engrenage d'un processus infernal dans lequel le paiement d'une dette entraîne un endettement encore plus important. Alors, on emprunte pour payer les emprunts. Les aires de liberté et de choix économiques se réduisent à une peau de chagrin et le développement s'effectue sous tutelle dans les limites étroites fixées par les bailleurs de fonds privés et publics. Selon le mot de H.A. d'Orfeuille, "certains Etats sont ainsi soumis à deux, trois, quatre tuteurs qui prétendent imposer chacun ses conditionnalités .. (12). Dans ces conditions, il faut changer de terrain et chercher des solutions altematives globales et coordonnées qui permettent de sortir de l'économie d'endettement et d'amorcer un autre développement qui libère les initiatives créatrices des populations et leur liberté d'entreprendre. Comme l'observait J.M. Keynes" la difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles mais d'échapper aux idées anciennes qui ont poussé leurs ramifications dans tous les recoins de l'esprit des personnes .. (13). Les résultats économiques et sociaux produits par les PAS appliquées depuis les années soixante-dix doivent inciter à abandonner les idéologies abruptes même si elles se veulent libérales. La crise économique et financière persistante impose de concevoir autrement le développement. (12) H. Rouille d'Orfeuille, Le Tiers-Monde, Edit. La Découverte, Paris, 1987, p. 74. (13) J.M. Keynes, Théorie générale, Edit Payot, p. 16. 87 CHAPITRE Il - LES AXES D'UNE AUTRE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT La crise s'est durablement installée en Afrique de l'Ouest imposant dans la majeure partie des seize pays membres de la CEDEAO des politiques d'ajustement structurel et cela depuis le début des années 1980. Les économies régressent partout avec des taux de croissance nuls, parfois même négatifs. Les agricultures périclitent et n'arrivent pas à couvrir les besoins alimentaires en expansion rapide du fait de l'accélération de l'urbanisation et de "explosion démographique. Les industries sont en déclin faute de débouchés et de réorientations appropriées. La répartition des revenus est de plus en plus inégalitaire avec une majorité de la population vivant dans la pauvreté absolue. La dépendance vis-à-vis de l'extérieur s'est renforcée surtout au plan monétaire et financier. L'endettement s'accroît et entraîne des charges qui absorbent les maigres ressources générées par les systèmes productifs. Du côté de l'Etat, les choses ne vont guère mieux. La crise est si profonde que partout le fait non gouvernemental s'impose: secteur informel, démultiplication des organisations non gouvernementales, initiatives la base. L'instrument s'est détérioré dans plusieurs cas, au point de faire dire à G. Challand qu'en Afrique les Etats sont à la dérive(14) car les structures institutionnelles et administrative qu'ils ont sécrétées non seulement étaient inadaptées mais ont aussi manqué de fonctionnement démocratique. Si bien que derrière les discours et les proclamations astucieuses, le bilan économique, politique, social et culturel reste très décevant. L'Afrique abrite les pays les plus pauvres du monde. L'analyse montre qu'une décennie d'application scrupuleuse des politiques d'ajustement structurel conduites dans une parfaite logique de libéralisme, d'austérité et de rigueur ne débouche pas encore sur la relance économique et la résorption des déséquilibres des finances publiques et des balances de paiement. Bien au contraire, ces politiques ont souvent conduit à une paralysie à la fois économique, politique et administrative présentant alors toutes les caractéristiques d'une société bloquée minée par des contradictions qui réunissent toutes les conditions d'une implosion sociale. Cela apparaît dans les émeutes qui ont ébranlé certains Etats Ouest africains: Nigéria, Sierra-Léone, Libéria, Sénégal, Côte-d'Ivoire, Guinée, Niger, Togo, Mali, etc. Dans le fond, ce qui est en cause, c'est le modèle de développement dépendant et inadapté aux réalités locales ainsi que son système d'accumulation fondé sur la rente minière et agricole. Ce modèle, qu'il soit d'inspiration libérale ou socialiste, fonctionne par et pour l'économie mondiale (14) G. Chaliand, L'enjeu africain: Géostratégies des puissances, Edit. Complexe, 1984, p.24. 88 avec des structures administratives lourdes et coûteuses mais aussi inefficientes puisque totalement en inadéquation avec la base économique et la réalité sociale. C'est cela qui explique "identité des phénomènes négatifs, que les pays se réclament du libéralisme ou du socialisme : distorsions sociales profondes entre une élite et la masse appauvrie, gabegies économiques avec extension de la corruption et pouvoirs coercitifs alors même que le modèle d'administration importé ne peut fonctionner parfaitement sans débat démocratique. Par rapport à cette situation deux solutions sont en discussion: la solution libérale et la déconnexion. La première solution est celle de l'ajustement structurel. Elle connaît en ce moment un regain d'intérêt dans la théorie économique et politique. Ainsi, les travaux de Guy Sorman sont de ce point de vue édifiants(15). L'auteur, à l'issue d'une longue enquête de trois ans dans dix-huit pays du Tiers-Monde sur les cinq continents, dresse un bilan sévère des résultats économiques enregistrés par la plupart des PVD tout au long de ce dernier quart de siècle. Il s'emploie notamment à montrer que, contrairement aux idées reçues, l'échec du développement dans le Tiers-Monde est dû, non pas au soidisant cc pillage organisé par les firmes multinationales et l'impérialisme ", mais plutôt et essentiellement aux mauvaises stratégies et politiques de développement internes appliquées par des gouvernements ce irresponsables " et obnubilés par le mythe de l'Etat entrepreneur et omnipotent, modèles qui ont conduit à l'avènement de ce la politique de pauvreté de masse ". Apparaît alors, les causes de l'échec des politiques agricoles dans la plupart des PVD (surtout en Afrique) qui tiennent, entre autres éléments: - aux politiques de prix agricoles irréalistes qui découragent la production locale au profit des importations alimentaires; - à l'inefficacité des structures parapubliques d'encadrement du monde rural et de gestion du programme agricole; - à un ensemble de facteurs exogènes défavorables: écologie, climat. Quant au modèle industriel, ses faibles performances résident notamment dans: -l'inefficacité de la politique de ce protection éducative" qui, contraire- ment aux objectifs recherchés, a plutôt créé des rentes de situation préjudiciables à la concurrence, à la modernisation, à l'investissement, à l'Etat (fiscalité) et à l'ensemble de la collectivité (consommateurs) ; - l'insuffisance du développement des ressources humaines (formation appropriée, éducation, santé...) qui ne permet pas d'améliorer substantiellement les gains de productivité et de rendre le travail plus efficace. (15) Guy Sorman, La Nouvelle Richesse des Nations, Edit. Fayard, 1987, 334 p. Voir du même auteur: La solution libérale, Edit Fayard, 1984, 285 p. où il s'adresse à tous les libéraux de toutes les formations politiques. 89 De manière générale, les partisans du libéralisme soulignent, après la Banque Mondiale et le FMI,que les prix dans les pays africains ne reflètent pas les raretés relatives des facteurs et des biens. C'est le cas notamment du prix sur le marché des biens dont la formation est faussée par les interventions multiples de l'Etat, du salaire qui ne reflète pas l'excès d'offre de main-d'œuvre sur la demande, des taux d'intérêts réels négatifs qui empêchent la formation d'une épargne indispensable et des taux de change découlant de monnaies surévaluées qui encouragent les importations et rendent peu compétitives les exportations. Enfin, G. Sorman souligne l'importance du secteur informel dont le dynamisme permet de tempérer les contre-performances économiques et les soubresauts sociaux qui auraient dû en découler. Logiquement, il en déduit avec un argument justifié par le relatif succès du modèle Sud-Est asiatique (Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong et Singapour) que la seule voie de sortie de l'ornière du « maI-développement .. pour le reste du Tiers-Monde demeure: la solution libérale, nouvelle source d'enrichissement matériel et donc de développement des nations pauvres. Cette analyse contient beaucoup d'idées discutables qui autorisent de douter sur la pertinence des recommandations pour une solution libérale qui, comme une baguette magique serait la clef de tous les problèmes. En effet, concernant par exemple la détérioration des termes de l'échange (surtout pour les produits agricoles exportés par les PVD), malgré les dénégations à savoir que les prix relatifs sont favorables aux produits manufacturés des pays développés parce qu'ils incorporent à travers le temps, un surcroît de progrès technique qui améliore la qualité et les performances. S'agissant de la politique de « protection éducative .. en matière d'industrialisation, l'auteur la rejette systématiquement parce qu'il pose mal le problème. En effet, ce n'est pas l'esprit de la mesure qui est en cause (car la « protection éducative .. représente simplement un moyen permettant de porter les industries naissantes à maturité avant de les livrer à la concurrence), mais plutôt la manière dont elle a été appliquée et surtout la mauvaise compréhension qu'en ont eue les industriels bénéficiaires. Il faut simplement objecter ici à G. Sorman en citant l'exemple des ordinateurs brésiliens qu'il a lui-même choisi à titre d'illustration, que le développement industriel extraordinaire du Japon s'est au départ fondé sur cette démarche. Pour ce qui est des recommandations pressantes faites au reste des PVD de suivre l'exemple des NPI (nouveaux pays industriels) comme les « quatre sœurs d'Asie du Sud-Est ", il convient de remarquer que ce modèle de développement fondé sur la conquête des marchés extérieurs n'a été rendu possible dans les années 1960 que grâce à un environnement international favorable (marchés extérieurs porteurs, faible coût de l'énergie, capitaux moins chers, relative stabilité monétaire internationale, faible 90 protectionnisme ...). De plus, ce résuhat a exigé un coût social si important (57 heures hebdomadaires de travail à Taïwan et 66 heures en Corée du Sud) que seuls des régimes dictatoriaux pouvaient facilement imposer. Ce qui est plus difficilement acceptable dans des environnements démocratiques. La recette libérale ne semble avoir réellement bénéficié qu'à quelques pays d'Asie du Sud-Est dont il faut étudier avec minutie et scrupule le processus historique d'édification de ce système. Tous les miracles hâtivement décrétés ont tourné en désillusion avec un cas pathologique: le Chili des cc Chicago boys" qui ont réussi a installer un processus cumulatif de récession à partir de 1981 avec une chute du PNB de 15,7 % (en 1982), une diminution du pouvoir d'achat par tête d'habitant, une baisse des salaires minimaux de 50 %, et un chômage affectant un tiers de la population. Face à l'échec de certaines politiques libérales de recentrage, et eu égard à la nature de l'actuelle division internationale du travail, une seconde alternative est proposée par Sarmir Amin: la déconnexion. La théorie de la déconnexion est aujourd'hui très connue. Elle est la conclusion de l'analyse de S. Amin qui estime que cc si l'éclatement du système mondial est la seule issue à l'impasse du monde contemporain, le modèle de la transition à l'abolition des classes se présenterait comme celui de la cc transition de l'Antiquité au féodalisme ", plutôt que comme celui de la transition au capitalisme, qui a été un modèle de cc révolution ". La déconnexion serait alors la condition d'une réponse populaire à l'intervention des superpuissances et de l'impérialisme qui cherchent à modifier l'évolution en fonction de leurs objectifs propres. Elle serait le seul moyen de recréer un espace d'autonomie propre à libérer le dynamisme des conflits sociaux fondamentaux .. ( 16). L'auteur estime alors que cette rupture avec l'économie mondiale relève d'une stratégie introduisant une réorientation des modes de production, des priorités du développement, de l'accumulation et des modes de consommation. Cette théorie est discutable au plan de ses fondements comme à celui de sa réalisation pratique. Sans rentrer dans une évaluation critique qui nous amènerait à une incursion sur les analyses vastes et profondes de Samir Amin, nous pouvons faire deux observations: la première est théorique et la seconde relève de la pratique. Il est théoriquement inconcevable de considérer une déconnexion sans préciser les options de système, la politique à mettre en place, la nature des classes sociales qui entreprennent la rupture et les structures institutionnelles de réalisation et de gestion de l'ordre social. Si ces préalables ne sont pas réglés très clairement, la déconnexion devient cc une véritable coquille creuse ". Sur le plan pratique, la théorie de la déconnexion ne nous dit jamais comment les petits pays comme ceux d'Afrique de l'Ouest (Gambie, Cap-Vert, Guinée Bissao, (16) Samir Amin, La déconnexion, Edit. La Découverte, 1986. - Crise, socialisme et nationalisme, in .. La crise, quelle crise? ", Edit. F. Maspéro, 1982, p. 164-239. 91 Mauritanie) confrontés à des handicaps naturels presque infranchissables (étroitesse des marchés, absence de capitaux et bases technologiques réduites) peuvent organiser une sortie, en isolement du système mondial. Egalement, il n'est pas précisé les coûts économiques, financiers et sociaux à supporter - et encore moins qui les supportera - du fait de l'impossibilité d'une auto-suffisance dans les domaines agricole, industriel et technologique. Enfin, les résultats de la tentative du Kamputchéa démocratique d'établir de 1975 à 1979 une déconnexion radicale ne militent pas en faveur d'une rupture brutale avec la DIT. Elle s'est achevée par une dictature extrêmement sanguinaire qui a liquidé plus du tiers de la population en quelques années et a imposé la famine et la misère à des millions de Cambodgiens. Dans ce pays l'expérience de déconnexion n'a produit que ruine et désolation. Gunder Frank dans cette direction observe que cc le modèle d'une déconnexion sans révolution socialiste préalable a échoué en grande partie, avant même que les pressions croissantes des années récentes ne jouent dans le sens de la reconnexion y compris pour les pays socialistes. L'optimisme de Samir Amin sur la possibilité d'une déconnexion et de l'autonomie semble donc peu réaliste .. (17). Les intellectuels africains doivent être beaucoup plus imaginatifs et comprendre que face aux problèmes inédits et complexes auxquels leurs peuples sont confrontés, ils devront être leur propre maître et trouver de nouvelles directions d'une pensée novatrice indépendante et féconde en vue de formuler de nouvelles théories - au triple plan économique, politique et idéologique - pouvant aider l'élaboration de programmes alternatifs à la fois réalistes et cohérents. En dehors des solutions radicales - libérale ou de déconnexion - il existe un modèle alternatif capable de relancer l'économie à partir d'une modification des politiques sectorielles (dans le sens d'une meilleure exploitation des potentialités nationales,de l'instauration de nouvelles règles en mesure de mobiliser tous les acteurs du développement en libérant leurs initiatives créatrices) et de mettre en place des structures institutionnelles plus appropriées aux réalités économiques et sociales locales car c'est surtout à ce niveau que l'on peut le mieux appréhender tous les problèmes qui se posent. C'est en fixant les axes de ce modèle alternatif qu'il faudra analyser la nature et l'ampleur des relations avec l'extérieur, plus précisément l'apport du reste du monde au développement. Cela d'autant plus que les Gouvernements, les Elites africaines et les spécialistes perçoivent les PAS comme des politiques imposées et appliquées avec très peu de conviction. Egalement, ils comprennent à l'expérience, que ces politiques manquent encore d'efficacité. Dès lors, ils les appliquent moins par certitude que pour simplement pouvoir bénéficier des ressources indispensables à leur survie. Sous ce rapport, le plan de Lagos est un excellent point de départ dans l'élaboration d'une autre stratégie de développement économique et social. Après avoir constaté la dégradation économique et financière de l'Afrique 92 et observé les impasses des modèles de développement, il avait avancé les thèses d'un développement endogène et autocentré au service des besoins essentiels donc des consommations de développement. Il s'agit alors d'analyser: - au plan interne, les nouvelles approches de développement économique et social qui s'imposent au double niveau théorique et pratique; - au plan externe, les propositions pour résoudre les problèmes de l'endettement. CHAPITRE III - LA SOLUTION INTERNE: LE CHANGEMENT DE MODELE DE DEVELOPPEMENT ET D'ACCUMULATION De nouvelles approches en matière de développement économique et social s'imposent au double plan théorique et pratique. Le point de départ obligé est la remise en question des théories économiques et sociales ayant servi de support aux politiques économiques qui ont abouti au maldéveloppement de pays qui ne survivent désormais que grâce à la générosité et à la bonne volonté internationales. Le moment est, sans doute, venu de couper avec l'intégrisme des PAS et les crispations autour des questions de l'équilibre financier à court terme qui occultent les vrais problèmes du développement économique. La problématique véritable se situe dans les changements à opérer au niveau de l'appareil de production, des échanges et de l'organisation économique et sociale dans son ensemble. L'élaboration du modèle de développement endogène et autocentré appelle la détermination d'un certain nombre de priorités et la redéfinition des politiques sectorielles avec de nouvelles options. Parallèlement, des actions doivent être menées sur le plan international pour appuyer et compléter les réformes internes. En effet, avec la crise actuelle de la pensée du développement et en l'absence d'un paradigne convaincant, il faut s'en tenir à des idées simples et cohérents. a) Les prém Ices pour un développement endogène et autocentré 1) L'aspect Institutionnel: Il est fondamental et constitue la première base sur laquelle doit s'appuyer tout modèle de développement qui se veut réellement efficace et démocratique. A la suite du théorème de LAFFER affirmant que cc trop d'impôts tuent l'impôt ", il est déduit que cc trop d'Etat tue l'Etat .. et qu'en conséquence, il faut cc moins d'Etat et mieux d'Etat ". Dans la situation présente de crise économique, de restructuration, de relance de la croissance et d'insertion 93 dans le système mondial par valorisation des crénaux porteurs. l'Etat devient un instrument indispensable de régulation des politiques économiques et financières, de coordination des activités et d'organisation de l'espace. Cependant, l'aggravation du déficit des finances publiques, l'accroissement de la dette extérieure et les mesures d'austérité et de rigueur des programmes d'ajustement structurel perturbent les capacités de gestion de l'Etat et menacent sa fonctionnalité économique et sociale. Une réforme s'impose pour redonner autorité et confiance à l'instrument étatique, pour restaurer sa crédibilité et l'équité de ses différentes procédures. Il faut alors créer un nouveau management public qui réalise une parfaite compatibilité entre trois logiques spécifiques celle de l'Administration, celle des Opérateurs économiques et celles de la Société civile. A ce niveau, la première grande réforme qu'il importe urgemment d'entreprendre afin de redonner l'initiative aux populations et assurer ainsi leur participation active et consciente à la construction nationale concerne le redimensionnement de l'Etat sur un mode non administratif. La restructuration de l'Etat dans la perspective de la mise en place d'un cc Etat modeste .. passe par la redéfinition du rôle de celui-ci dans la nation et son recentrage progressif sur ses activités traditionnelles que sont la défense, la sécurité publique, l'éducation, la santé et la justice auxquelles il faut ajouter un rôle nouveau d'impulsion et de coordination de l'activité économique nationale. Cette réforme n'est donc pas synonyme d'un désengagement précipité de la puissance publique dont la mission régulatrice est fortement indispensable surtout dans cette phase de restructuration économique qui impose une nouvelle donne économique avec de nouvelles politiques sectorielles et une modification profonde des structures et des conditions de production. Dans ce domaine, il importe d'entreprendre un train de réformes devant aboutir à : - un Etat dynamique parce que devenu souple dans ses interventions et animé par un personnel administratif compétent, motivé et opérationnel; - un Etat efficace car rationalisant tous ses choix et recherchant pour un coût d'intervention minimum, la meilleure performance ou de façon duale, la charge minimale possible pour un rendement donné; - un Etat de plus en plus démocratique dans ses mécanismes de promotion et dans la mise en place de structures de dialogue et de concertation avec tous ceux qui ont la charge de le faire fonctionner; - un Etat de moins en moins parasitaire pour les finances publiques et surtout moins paralysant pour l'activité économique car devenu moins bureaucratique. Quand à la réforme administrative, elle découle de la nécessité de décongestionner l'Etat et devrait articuler à la fois une plus grande responsabilisation des communauté de base, le transfert de l'initiative du pouvoir à la périphérie sans affaiblissement de l'unité et de la solidarité nationales. 94 Il faut aujourd'hui approfondir cet acquis que la démocratie ne soit plus confisquée ni par l'élite urbaine numériquement minoritaire, ni par les professionnels de la représentation populaire, mais par le peuple lui-même. De la sorte, on débarrassera la démocratie de ses connotations jacobines par une revalorisation des pouvoirs locaux par le transfert de certaines compétences et de moyens appropriés pour leur exercice réel. Ainsi les droits des minorités, leurs différences ainsi que leurs identités culturelles seront mieux préservées. Cette décentralisation administrative doit s'accompagner de son pendant économique dont elle favorisera du reste l'émergence, ce qui devrait contribuer à fixer les populations dans leur terroir, équilibrer le processus du développement sur le plan régional et limiter l'intervention de l'Etat principalement et prioritairement aux impulsions et coordinations de tout ce mouvement. Le deuxième grand volet de la réforme institutionnelle devrait se rapporter, dans la mouvance démocratique actuelle sur le continent, à la mise en place d'institutions politiques et judiciaires plus adaptées au contexte culturel et social africain et qui garantissent, du point de vue de leur conception, les sacro-saints principes d'indépendance et d'équilibre des pouvoirs. On remarquera ici que la force des démocraties occidentales réside d'abord dans la mise en place et le renforcement d'un solide pouvoir judiciaire d'arbitrage actionné par des juristes compétents, éclairés, véritablement indépendants et disposant de suffisamment d'autorité et de prérogatives étendues pour faire respecter la légalité sous toutes ses formes? Dès lors, la consolidation de la démocratie en Afrique passera par l'instaurationn d'une magistrature indépendante vis à vis des autres pouvoirs. A défaut, un réaménagement important des institutions politiques et judiciaires actuellement existantes doit être entrepris dans le sens du renforcement des principes sus-énoncés. Il faut cependant reconnaître toute la complexité de cette nouvelle démarche ainsi que celle des données en cause: la dynamique sociale, l'anthropologie politique, le rôle de l'Etat moderne africain dans la perspective du développement au regard des véritables racines de cet appareil de conception et de culture étrangères, etc... Néanmoins cette nouvelle approche semble plus apte à éclairer la problématique de la stratégie de développement à la base en tant qu'une des alternatives à la crise africaine. 2) Les fondements d'une nouvelle logique d'accumulation productive La crise du système étatique et de ses dépendances que connaît le continent se révèle avant tout comme la résultante de la grave crise économique et financière subséquente à l'adoption d'un modèle inopérant qui a amené un processus d'absorption des surplus à des fins non productives. En effet, le reste du surplus généré, après le laminage du système des prix 95 internationaux, est improductivement utilisé dans des consommations somptuaires, des investissements publics coûteux et impertinents et dans l'entretien des populations urbaines qui forment la base sociale des régimes politiques. Par conséquent, la rupture fondamentale qu'il convient d'opérer sur le plan économique, au regard de l'environnement international actuel, concerne le changement progressif, quels qu'en soient par ailleurs les coûts politiques et sociaux à court terme, d'un tel modèle d'accumulation. A la place, il faudra envisager de substituer un modèle de développement national et populaire (parce que justement démocratique) basé sur la satisfaction prioritaire des besoins essentiels des populations (nourriture, logement, santé, éducation ... ). Une telle modification de la stratégie de développement en vue d'une totale implication et d'une large participation des populations passe par la reformulation des politiques sectorielles, la valorisation de l'initiative privée, une nouvelle politique de revenu, la modification des rapports villes/campagnes, enfin la rationalisation et la démocratisation de la consommation. La reformulation des politiques sectorielles se conçoit aisément puisque devant prendre en considération les mutations en cours sur l'échiquier international à savoir: - l'épuisement des bases internes de la croissance (rente agricole et minière) du fait de la saturation des marchés internationaux, la montée fulgurante de substituts performants et l'évolution rapide des techniques de production; - le regain de protectionnisme dans les pays développés confrontés à un chômage considérable croissant, ce qui sacrifie l'industrie manufacturière africaine (textiles, cuirs et peaux ...) fragile et peu compétitive; - la réorientation des flux de capitaux au détriment de l'Afrique du fait des bouleversements politiques récents survenus en Europe de l'Est et du regain de dynamisme économique de l'Amérique Latine et de l'Asie du Sud-Est. Quant à la valorisation de l'initiative privée, elle découle de l'option fondamentale d'Etat modeste, redimensionné et moins interventionniste, mais également de "avènement du darwinisme économique. Elle doit accompagner et soutenir la modification des politiques sectorielles, ellesmêmes résultant du changement du modèle d'accumulation et de la prise en compte des mutations actuelles de l'économie mondiale. Ce train de réformes doit intégrer une nouvelle politique de répartition qui, dorénavant, rattache davantage le revenu au mérite, à la compétence et à l'efficacité. En effet, les trop fortes inégalités de revenu, la formation rapide de colossales fortunes sur la base de la corruption et des détournements de deniers publics sont des facteurs de blocage des progrès de la démocratie. Car les hommes, s'ils sont égaux sur le plan politique, risquent de ne point l'être au niveau économique et social. Cela pose incidemment le problème de la sécurité sociale sans rapport avec le rendement réel de 96 certaines catégories socio-professionnelles semble constituer une prime à l'immobilisme et aux comportements léthargiques. Il faut aussi modifier les rapports entre la ville et la campagne subséquemment à la définition d'une nouvelle politique de répartition qui privilégie le producteur rural et sauvegarde ses intérêts, au besoin, au détriment des consommateurs urbains. C'est la seule manière véritable d'inverser les flux de l'exode rural, de relancer la production agricole et d'arrêter l'urbanisation actuellement rapide, anarchique et chaotique en Afrique. Parallèlement, il importe de rationaliser et de démocratiser la consommation en cassant la logique du modèle basé sur la privilégiation des biens de consommation importés. Ce qui suppose une réorientation effective de la politique de développement qui mette l'accent sur la satisfaction prioritaire des besoins de base dont le contenu en importation est minime, favorisant ainsi la densification du tissu productif interne et la consolidation de l'économie nationale. Cette nouvelle politique économique, pour se réaliser, implique l'élaboration et la mise en œuvre d'une nouvelle politique sociale qui prenne les allures d'une véritable cogérance sociale nationale basée sur la concertation, le dialogue, le consensus, en somme un véritable partenariat qui rompe d'avec des schémas sociaux figés, fondés sur des conceptions étroites,archaïques et surannées de luttes de classes. C'est à ce niveau que la démocratie occidentale doit être améliorée car elle ne comporte pas de dimension sociale et ignore superbement dans sa mise en œuvre comme dans son fonctionnement les criantes inégalités économiques. Si en Afrique, les expériences démocratiques en cours ne prennent pas en charge les indispensables transformations sociales, elles risquent de s'enfermer dans des caricatures de liberté et d'être condamnées à demeurer étrangères aux populations et surtout à une marginalisation des masses urbaines et rurales. En conséquence, elles resteront fragiles et vulnérables tant qu'elles n'intégreront pas la dimension sociale aggravée par le déséquilibre démographique et urbain. Au rythme actuel de croissance des villes (entre 6 et 9 %) plus de 50 % des populations vivent déjà dans des agglomérations bidonvillisées précaires, gangrenées et explosives. Contrairement à l'Europe où l'industrialisation a pratiquement absorbé l'armée de réserve, dans les villes d'Afrique les populations s'entassent et vivent de débrouille, de petits métiers, de délinquances et de prostitution. Ce phénomène est selon le mot de Henri Rouillé d'Orfeuil cc un cancer, le cancer d'une société qui a perdu le pouvoir de se réguler, de gérer sa force de travail et son espace .. mais aussi et surtout la capacité d'élaborer des politiques économiques efficientes. Car l'exode rural est le produit des politiques agraires catastrophiques. Dès lors, les agglomérations urbaines, où les besoins sociaux sont immenses et insatisfaits du fait (18) Ensemble d'auteurs, Science économique et développement endogène, UNESCO, Paris, 1986, 271 p. 97 des déséquilibres des finances publiques, concentrent tous les manques et les frustrations et peuvent exploser à la suite de n'importe quelle étincelle. Pour faire aboutir le train de réformes économiques, politiques et institutionnelles et survivre dans la jungle économique d'aujourd'hui, les Etats africains devront élaborer des chartes sociales nationales basées sur les principes directeurs ci-après: - une confiance réciproque entre le Patronat, les Syndicats et les Pouvoirs publics; - un plus grand réalisme de part et d'autre ; - une volonté farouche de l'entreprise (patron et employé) d'amélioration continue des gains de productivité; - une sécurité sociale consensuelle, variable et modulable en fonction des spécificités du secteur d'activité et des vicissitudes de l'environnement de l'unité de production. C'est une manière de repenser les anciennes formes de syndicalisme trop défensif qui formulent plus de refus que de propositions. Avec de telles orientations, les syndicats participeraient mieux à l'amélioration de la capacité concurrentielle de l'entreprise, ce qui obligerait tous les partenaires à un effort de réorganisation du travail et de répartition plus équitable des surplus. Par ailleurs, dans un tel contexte, les travailleurs disposeront d'espaces grandissants de libertés collectives et pourront alors jouer des rôles plus déterminants dans la vie sociale. Les politiques de croissance économique, là ou elles ont réussi à élever le niveau des forces productives matérielles, se sont toujours accompagnées de distorsions sociales comme l'accentuation des inégalités, la destruction de l'environnement physique et parfois humain, le détournement du potentiel productif au profit d'une minorité tout en laissant insatisfaits les besoins essentiels. Il en va ainsi parce que les finalités de la croissance sont souvent obscures et ne visent pas clairement une diminution ou un recul de la famine et de la misère. Théoriquement d'ailleurs, le processus est entraîné par le volume de la consommation ostentatoire des minorités fortunées. Dans ce contexte, l'indicateur de mesure des performances du système économique est situé dans les éléments constitutifs du modèle de consommation des minorités privilégiées par les mécanismes de formation et de répartition inégalitaires des revenus. Tout se passe alors comme si les normes d'appréciation de la société résidaient plus dans l'enrichissement des couches privilégiées que dans la misère qu'elle produit. L'accélération de la pauvreté de masse, l'extension de l'aire de la misère sont des coûts trop lourds qui peuvent et doivent être évités par une réorientation du système productif. L'approche du développement par les besoins est actuellement présentée comme l'alternative aux politiques de croissance, aux finalités imprécises et aux conséquences sociales lourdes et explosives. Si le développement signifie un processus progressif de satisfaction des besoins 98 humains, un partage équitable des fruits du travail, il faut soumettre la production des biens et services, la technologie et la recherche dans les différents secteurs, l'utilisation des ressources matérielles et financières à l'objectif central de satisfaction des besoins. Ceux-ci vont de ce fait revêtir une importance capitale au double plan des stratégie et des mécanismes du développement économique et social. Au niveau de la stratégie, la nouvelle approche du développement doit organiser le processus productif interne, le modèle de consommation, les formes de répartition et de gestion des ressources pour atteindre avec le maximum d'efficience l'objectif de satisfaction des besoins. Quant à l'approche du développement par les besoins elle implique que soient repensés en conséquence les mécanismes et leviers économiques. Les formes de régulation interne, les politiques fiscales, budgétaires, monétaires de même que les relations avec l'extérieur sont à structurer compte tenu des nouvelles orientations. La recherche économique découvre aujourd'hui l'intérêt de cette nouvelle approche des besoins de base ou encore des consommations de développement qui permettent de conserver à l'intérieur du pays la plus grande part du surplus. Le développement selon A. Debernis consiste fondamentalement à élever le niveau de satisfaction des besoins de chaque groupe social dans l'ordre et la hiérarchie de ces besoins et à construire une base autonome d'accumulation. Dans ce sens Mc Namara, président de la Banque mondiale déclarait que cc les gouvernements des pays en voie de développement devraient se préoccuper davantage des besoins humains essentiels. Cette stratégie appelle l'adoption de nouvelles politiques et le redéploiement des ressources .. (19). Cette stratégie présente au moins trois avantages: - elle permet d'abord d'établir un ordre de priorités, des objectifscibles qui intéressent la population, donc l'attention du système productif est portée vers le bas; - elle permet ensuite de transcender les tendances à la compartimentalisation ; - elle établit enfin un programme précis de développement prospectif. Ainsi donc, le développement économique s'identifie au développement de l'homme et à la lutte contre la pauvreté pour une autre utilisation et répartition des ressources provenant des efforts productifs de la société tout entière. La littérature récente, par des polémiques multiples et multiformes, tente de définir le contenu et la composition du concept de besoin(20). Au (19) Mc Namara, Discours prononcé devant le Conseil des Gouvernements. Dans la même ligne de pensée observe que" ceux qui pendant des siècles ont vécu dans la pauvreté et dans le relatif isolement de leur village, finissent par s'accommoder de celte existence ... Ils l'acceptent ". Cela confirme la boutade" dites-moi combien de misères matérielle et spirituelle vous avez, je vous dirai quel genre de société vous avez ". (20) Ensemble d'auteurs, /1 faut manger pour vivre... controverses sur les besoins fondamentaux et le développement, PUF, Paris, 1980,324 p. 99 niveau du contenu, tout normalement, le concept recouvre à la fois la nourriture, l'habitat, la santé et l'éducation - c'est-à-dire des éléments dont la possession est indispensable à l'épanouissement de l'homme. Bien sûr, une société peut accorder la priorité à tel ou tel bien compte tenu des carences, ou de son potentiel productif ou même de l'état de ses forces productives. Ainsi, les pays sahéliens, depuis la grande sécheresse de 1973, ont donné la priorité à l'autosuffisance alimentaire car cette catastrophe a révélé que la crise alimentaire n'était pas seulement celle des années de sécheresse mais qu'elle était permanente et générale. Elle affecte la majorité des populations rurales. Pourtant, malgré son ampleur, les moyens de la résoudre existent. En effet, la profondeur des conséquences de la sécheresse a entraîné des recherches poussées sur l'ensemble des mécanismes producteurs de misère et de famine. On s'est alors aperçu que: - le système productif était extrêmement mal orienté en ce sens que toutes les ressources matérielles, humaines et financières étaient utilisées pour l'augmentation des taux de croissance économique; - la répartition inégalitaire empêche les populations de disposer de moyens de produire pour elles-mêmes ou d'acheter leur nourriture alors que les consommations ostentatoires des élites fortunées étaient largement couvertes. Il s'agit alors d'un détournement des ressources vers des objectifs autres que la satisfaction des besoins des populations laborieuses. Pour revenir à de telles orientations, il fallait : - spécifier l'objectif central d'autosuffisance alimentaire; - envisager toutes les implications économiques notamment les mutations à opérer au niveau de l'agriculture; - envisager les transformations des structures socio-économiques et politiques qui permettent la réalisation de l'objectif-cible. Que l'approche comporte des limites et des pièges, cela est absolument indéniable. En effet, certaines réflexions ont attiré l'attention sur quelques problèmes que soulève l'approche du développement par les besoins fondamentaux, à savoir : - qu'elle risque de relancer l'individualisme qui est la philosophie ultime sur laquelle elle repose profondément; - qu'elle connote le positivisme et le rationalisme, en conséquence, elle va véhiculer certaines valeurs négatives; - qu'elle risque d'imposer un style occidental de vie. Ces problèmes ont certainement une grande portée et doivent être considérés comme des contraintes possibles par les techniciens du développement qui, dans la détermination des politiques, chercheront à les dépasser. Ainsi la préservation des formes communautaires de production 100 et d'existence sociale pourra faire obstacle à l'avènement de l'individualisme si tant est que ce phénomène est apprécié comme préjudiciable. Il en va de même du style de vie européen qu'il ne s'agit pas de rejeter en bloc d'autant plus que dans les pays sous-développés du Sahel, ceux qui ne sont pas occidentalisés et qui n'ont aucune prétention de l'être forment la majorité. D'autres réflexions mettent l'accent sur le fait que l'approche par les besoins risque d'occulter la façon dont la misère est produite et d'établir une liste de prescription de ce qu'il faut faire pour pallier les effets de la pauvreté. Là encore, dans le cas des pays ouest-africains les mécanismes de la pauvreté de masse sont théoriquement et pratiquement bien circonscrits et contrairement aux idées émises par J.K. Galbraith, la pauvreté est la contrepartie naturelle de la prospérité des riches(21). De même, l'élimination de la pauvreté ne saurait se cantonner à des prescriptions réductrices des rigueurs des conditions sociales des pauvres. Elle passe par des politiques, c'est-à-dire une restructuration de l'ordre économique interne dans tous les mécanismes générateurs de richesse. Sur cette base, on peut dire que cette approche est une politique effective de libération car elle permet d'une part, de trouver les voies et moyens pour garantir à tous les producteurs directs un niveau de vie décent et d'autre part, de les faire participer effectivement à la répartition du produit de ('effort collectif. Cette stratégie autoriserait également: -l'utilisation des ressources et du génie propre des populations; - la confiance en sa propre capacité de développement; - l'adaptation des moyens à l'environnement et aux ressources locales; - l'exercice d'un pouvoir interne décentralisé associant les populations de base à la gestion de leurs propres affaires. En conséquence, elle devrait permettre non seulement la réalisation d'un développement économique et social optimal, mais aussi une large participation populaire car l'individu se sentira directement impliqué et concerné par les résultats des politiques appliquées. Un tel développement pourrait être l'affaire des peuples, non des seuls bureaucrates, technocrates et gestionnaires. L'apport de ce personnel par ailleurs indispensable se situera principalement au niveau technique c'est-à-dire la recherche des moyens de réalisation d'une parfaite définition et qualification des besoins ainsi que leur adaptation à la production. Le développement endogène devra s'organiser en vue de la satisfaction des besoins fondamentaux de nourriture, d'habitat, de santé et d'éducation. Pour ces éléments qui forment les consommations de développement, ce n'est pas réellement la pénurie des ressources (si insuffisantes qu'elles soient) qui explique la misère dans le Tiers-Monde, mais (21) J.K. Galbraith, Théorie de la pauvreté de masse, Edit. Gallimard, Paris, 1980, 164 p. 101 plutôt leur distribution inégale, aggravée par l'imitation inconsidérée des modèles de consommation des sociétés industrialisées. Ainsi le développement apparaîtra comme une totalité structurée qui intègre à la fois plusieurs dimensions: sociale, culturelle, écologique, institutionnelle, administrative que l'économie uniformisera en prenant appui sur l'intégralité des forces internes. Le modèle de développement ainsi défini va alors reposer sur les prémices suivants: 1) une modification progressive et modulée des relations avec la division internationale du travail, et une, réorientation du processus productif interne vers la satisfaction des besoins fondamentaux de nourriture, de santé, d'éducation et de logement; 2) une recherche systématique de la diversification de la production agricole pour briser la monoproduction d'une spéculation destinée au marché mondial; 3) la construction d'un système économique polyvalent, réellement complémentaire qui s'appuie sur le développement prioritaire d'une agriculture fondamentalement transformée; 4) un choix technologique approprié par rapport aux structures économiques internes; 5) une prise en considération de l'environnement, et des cadres de vie des hommes et de la société en général; 6) une intervention modulée de l'Etat pour coordonner les forces et facteurs du développement, compenser toutes les infériorités relatives, apporter les modifications structurelles opportunes et mobiliser tous les acteurs du développement. Une telle stratégie de développement endogène sera nécessairement populaire car selon l'observation de Samir Amin « le développement extraverti dans toutes les phases de l'évolution du système bénéficie effectivement aux classes dominantes privilégiées qui se constituent en alliances avec les monopoles. Inversement et complémentairement, un développement populaire ne peut être que national et autocentré »(22). Toutes les articulations des politiques économiques doivent partir de ces prémices et orientations qui servent d'infrastructure théorique. Ainsi la croissance économique n'apparaîtra plus comme une fin en soi mais un moyen qui se réaliserait par: - une répartition des ressources financières et matérielles rationnelle et conforme aux objectifs assignés aux divers secteurs; - une gestion adéquate des ressources en devises et de tous les facteurs de production rares; (22) Samir Amin, L'impérialisme et le développement inégal, Edit. de Minuit, Paris, 1976, 193 p. Voir également du même auteur L'avenir du maoïsme, Edit. de Minuit, première partie concernant. les trois modèles de développement n, p. 7-37. 102 - une priorité absolue à ('agriculture pour un approvisionnement vivrier régulier et une bonne couverture des besoins alimentaires des villes. Le développement endogène se déroulant dans un environnement instable et souvent hostile impose beaucoup de rigueur dans la gestion des ressources naturelles ainsi que dans leur allocation qui doit être impérativement optimale. b) La réorganisation des politiques sectorielles Il s'agit essentiellement de redéfinir d'autres politiques sectorielles qui cadrent mieux avec les nouvelles préoccupations du développement économique et social. 1) Au niveau de l'agriculture L'agriculture est un secteur considéré dans tous les Etats comme prioritaire et décisif pour le développement économique et social. Or, abandonnée à elle-même, elle reproduit sa crise permanente (archaïsme des rapports sociaux de production, faible croissance de la production et de la productivité, dégradation des conditions d'existence et de travail des producteurs, etc.) qui fait finalement de l'Afrique un continent vulnérable aux pressions alimentaires. C'est cela qui explique les propos sévères de René Dumont qui observe que" l'Afrique tropicale qui se suffisait en 1958 et importait 2 millions de tonnes de céréales en fait venir 13 ou 14 millions en 1980. Ce qui n'empêche ni les famines spectaculaires du Sahel. .. , ni la sous-alimentation chronique ... Agriculture déficitaire, économie ruinée, les pays d'Afrique tropicale sont en faillite. En faillite donc en mendicité: désormais, ils ne mangent et encore pas tous que s'ils tendent respectueusement la main .. (23). Il faut alors en toute urgence redéfinir une nouvelle stratégie de développement agricole visant la réalisation de trois objectifs que voici: - l'autosuffisance alimentaire et la couverture des besoins vivriers en augmentation rapide du fait de l'accroissement démographique et de ('accélération de l'urbanisation; - l'accroissement des surplus pour nourrir les fonds d'accumulation productive en vue du financement du développement; - la croissance de la productivité du travail par actif rural et par hectare cultivé, ce qui permettrait la libération d'une partie de la maind'œuvre pour d'autres secteurs. Pour atteindre de tels objectifs il s'avère indispensable de réhabiliter l'agriculture, de procéder à sa réorganisation systématique et à la réalloca(23) René Dumont, Impérialisme français et sous-développement africain, Petite Collection F. Maspéro, p. 30. 103 tion des moyens matériels et financiers. Il s'agira alors de mettre en place une toute autre stratégie de développement agricole qui fasse jouer au secteur son rôle de principal foyer d'accumulation. Cette stratégie devrait s'articuler autour de six propositions: a) Une autre orientation de l'agriculture au double niveau des productions et de la réhabilitation des structures paysannes La politique agraire doit développer en priorité les cultures vivrières pour couvrir les besoins des larges masses parallèlement remettre en cause les structures de production, les conditions de travail et le statut même du paysan. En réalité, l'option en faveur des cultures de rente et des activités exportatrices est la cause principale de la crise agro-alimentaire dont la moindre des conséquences est certainement le déficit vivrier qui absorbe une bonne part des devises. b) L'organisation sur des bases claires et non bureaucratiques de la coopération agricole L'objet sera principalement de résoudre toutes les contradictions et déséquilibres découlant des rapports sociaux dans les campagnes. En effet, les sociétés rurales africaines sont profondément cc communaucratiques .. et solidaires. Elles s'accommodent difficilement aux formes salariales d'essence capitaliste. C'est pourquoi la coopération demeure le mode d'organisation paysanne le plus approprié. Cette coopération éloignée des modèles bureaucratiques obéit à quatre principes: - l'instauration des conditions d'une gestion démocratique de toutes les coopératives, ce qui peut éviter le conflit avec les hiérarchies traditionnelles; - la garantie permanante d'une adhésion libre; - la mise en place et le respect strict de mécanismes clairs de formation et de répartition des revenus; - le passage du simple au complexe dans les formes d'organisation et ceci conformément aux différents contextes locaux. c) La réalisation programmée d'une Infrastructure de base nécessaire à l'expansion et à la diversification de la production agricole Pour des pays où l'agriculture dépend très fortement des aléas climatiques, il faut briser au plus vite cette dépendance grâce à une politique hydraulique adéquate qui passe par la réalisation de travaux d'irrigation. 104 Des évaluations précises doivent être faites des coûts et avantages respectifs de la grande et de la petite irrigation et sur cette base, élaborer et appliquer une politique cohérente et programmée de maîtrise de "eau pour réduire les effets des calamités naturelles. d) Une planification du perfectionnement des techniques, agricoles et de l'utilisation généralisée des facteurs modernes de production agricole Il est communément admis que l'intensification de la production agricole appelle la mise en place d'une politique technologique appropriée et relativement complète qui exploite à la fois les savoirs-faire locaux et les nouvelles technologies de la troisième révolution industrielle. Celles-ci sont très économes en énergie grâce à un double progrès: la bioconversion et la microbiologie. Cela est très important quand on sait que la révolution verte était basée sur un modèle à consommation énergétique élevée. Par ailleurs, ces nouvelles technologies sont plus productives du fait de l'utilisation de la mécanisation et du recours à la télédétection qui permet une meilleure connaissance des sols et des climats et un choix plus approprié des cultures. La politique technologique devrait alors comprendre: - la modernisation des procédés de culture et la rénovation permanente des instruments de travail; - l'expérimentation scientifique, la diffusion et la vulgarisation de nouvelle techniques; - la formation de cadres hautement qualifiés de conception et d'exécution, mais aussi le recyclage et la formation sur le tas de paysans modèles. Il faut observer que ce sont les paysans eux-mêmes qui devront être les principaux artisans de la révolution technique de l'agriculture et non point ces lourdes bureaucraties paternalistes, inefficaces et coûteuses entretenues pour apporter et imposer sans préalable et du dehors des modifications structurelles ou technologiques. e) Une politique adéquate de crédit agricole Une politique de crédit est d'une urgente nécessité pour le financement des exploitations agricoles dont les besoins en capitaux tendent à s'accroître. L'organisation du crédit doit procéder à la fois des acteurs du développement agricole et de l'Etat. En plus, elle doit être structurée à telle enseigne qu'elle permette aux petits agriculteurs surtout d'échapper aux excès des usuriers. Son efficacité commande qu'elle règle les problèmes d'encadrement des taux d'intérêt, de la durée des prêts, des rythmes de remboursement et des garanties. 105 Faut-il sérieusement regretter que l'on ne soit revenu, nulle part sur les structures bancaires d'économie de traite et de renforcement des distorsions structurelles caractéristiques du sous-développement ? La restructuration indispensable de l'économie rurale ainsi que la modernisation des campagnes imposent de développer des marchés financiers ruraux en parfaite harmonie avec le système bancaire national et les autres institutions financières. f) Une politique de prix suffisamment Incitatrice pour les grands produits agricoles La désaffection des agriculteurs pour certaines productions s'explique par l'absence d'une politique cohérente de commercialisation. Le fait, par exemple, que les prix au producteur de certaines céréales varient moins que proportionnellement à ceux de l'inflation courante, a entrainé une stagnation de la production. Le paysan cultive, tout logiquement ce qui lui est nécessaire pour sa survie et celle de sa famille. Une politique incitatrice s'impose. Elle permettrait d'accroître les revenus des producteurs ainsi que leur degré d'indépendance et de sécurité. Les paysans démunis et pauvres ne seront jamais en mesure d'opérer les révolutions et les mutations indipensables du milieu rural. En définitive, la réhabilitation de l'agriculture par auto-promotion paysanne passe fondamentalement par une amélioration des revenus qui met les producteurs dans les conditions matérielles adéquates pour instaurer des politiques d'autosuffisance alimentaire, améliorer la productivité du travail et des autres facteurs de production et accumuler pour l'autofinancement. Cette politique de revenu doit s'accompagner systématiquement du développement d'une part des moyens de stockage pour la constitution d'un stock régulateur et de sécurité alimentaire et d'autre part une réorganisation des circuits de distribution et de commercialisation souvent monopolisés par les usuriers et spéculateurs de toutes sortes. Des efforts extrêmement importants devraient être consentis en direction de la modification du modèle de consommation extraverti. L'agriculture pour se développer doit impérativement conquérir les marchés urbains par une politique cohérente de promotion du cc consommer national .. et de contrôle des importations de biens alimentaires. Cette politique agraire dans la stratégie nationale de développement est seule à même de produire une révolution agricole. C'est-à-dire l'introduction de mutations structurelles et comportementales qui garantissent une croissance irréversible et régulière de la production et de la productivité. Cependant, la capacité et la profondeur des réformes agricoles dépendent aussi d'une politique industrielle appropriée et cohérente. D'énormes efforts financiers doivent être consentis. Au niveau de l'Afrique, une étude 106 de la FAO établit que pour atteindre l'autosuffisance alimentaire, il faut investir environ 10,5 milliards de dollars pour la seule période 1985-1990. Ce montant n'incluait pas les investissements dans les services de soutien à "agriculture tels que la commercialisation, les transports, la recherche et la formation de la main-d'œuvre. 2) Au niveau de l'Industrie Il importe de prendre une autre orientation et de mettre en place une structure industrielle cohérente dans laquelle les usines ne seront pas des îlots faiblement articulés au reste de l'économie, mais des unités d'un ensemble intégré d'activités. L'agriculture sera la base de cette stratégie. En effet, elle peut animer trois catégories d'activités industrielles: - celles permettant l'aménagement des barrages et autres infrastructures concemant l'irrigation; - celles en amont pour la production des intrants et équipements agricoles; - celles en aval pour la valorisation intégrale des produits de l'agriculture. Les unités ainsi créées devront permettre le développement accéléré de l'agriculture avec une haute efficience au niveau sous-régional grâce à la réalisation des conditions véritables d'une révolution verte avec semences sélectionnées, pesticides, produits phytosanitaires et un réseau rationnel d'irrigation. Dans une telle organisation, l'industrie sera la fille de l'agriculture. Cependant, cela ne sera pas sans poser des problèmes liés notamment: - au fait que l'utilisation systématique des facteurs modernes de production peut ne point intéresser certaines cultures ou formes d'exploitation qui resteront alors en marge du processus de modernisation; - à la faiblesse des revenus paysans ou à leur inégale répartition qui peut être une limite importante à la généralisation de l'emploi des intrants (la modernisation risquant de créer une différenciation sociale avec un processus de « koulakisation ») ; - au fait que la demande externe peut continuer d'exercer d'importantes fonctions locomotives. En effet, les agro-industries risquent d'être bloquées par l'étroitesse des marchés internes ; il leur faut alors trouver des débouchés externes en expansion pour assurer leur croissance. En somme, cette stratégie de développement intégrée de "agriculture et de l'industrie est la seule à même de conduire à l'indépendance économique et à l'autosuffisance alimentaire. L'indépendance économique est recherchée pour : - une plus grande maîtrise du système productif au niveau, des décisions techniques et productives; 107 - une maîtrise et un contrôle du modèle et des comportements de consommation; - le contrôle des surplus qui se forment et leur emploi interne plus conforme aux besoins de la majorité de la population. Quant à l'autosuffisance, elle concernera principalement les produits alimentaires mais aussi les biens manufacturés de consommation et d'équipement. Dans l'optique d'une lutte contre le sous-développement, ces deux objectifs d'indépendance économique et d'autosuffisance ne sont pas synonymes d'autarcie ou de rupture brutale avec la division internationale du travail. Il ne s'agit pas en effet d'un rejet absolu et sans discernement de toute théorie des avantages comparatifs. Il faut même les exploiter au maximum au double niveau de la disposition de devises et du transfert de technologie. Cette stratégie doit procéder d'abord d'une volonté réelle de promouvoir un développement endogène et autocentré à partir d'un secteur agricole dynamique et d'un tissu industriel fonctionnant pour satisfaire les besoins fondamentaux ainsi que la demande de biens de consommation intermédiaires des autres secteurs de l'activité économique. Cette stratégie doit appeler ensuite une gestion étatique rigoureuse qui doit veiller à ne point installer une bureaucratie lourde, coûteuse, inefficace et paternaliste tendant à se structurer dans la représentation officielle en une technocratie prétentieuse qui méprise la couche sociale pour laquelle elle devrait travailler. Cette gestion étatique doit enfin éviter l'exercice, par la puissance publique, de fonctions économiques exorbitantes qui pourrait anesthésier l'initiative créatrice des acteurs économiques et entraîner un gaspillage de ressources rares. A ce niveau il faut préciser que ces derniers temps, avec la généralisation des politiques d'ajustement et du crédo libéral, on a eu des mots durs pour l'Etat dont la faillite présumée devrait imposer d'impératives corrections de trajectoire. Dans cette ligne de pensée, on a redécouvert les formules suggestives de Poujade : moins d'Etat et mieux d'Etat pour traduire les nouvelles préoccupations de désengagement progressif de l'Etat de la vie économique. On accumule partout des indices et des faits pour établir la crise d'efficacité de l'Etat. Dans la foulée, on accuse le secteur public et parapublic de perturber les lois harmonieuses du marché, de bloquer la concurrence stimulante et de stériliser l'innovation et les initiatives créatrices des individus (24). Toutefois, ces questions sur le rôle de l'Etat dans le développement sont trop importantes au double plan théorique et pratique pour être résolues par de simples métaphores et analogies. L'anti-étatisme affiché est en porte-à-faux avec les réalités contemporaines qui placent l'Etat au rang d'agent de la régulation et de l'accumulation. Partout l'Etat développe les (24) Moustapha Kassé, L'Etat et le Secteur public, CREA, 1985, 305 p. 108 conditions de la mise en valeur du capital et met en place des politiques de sorties de crise et de relance économique.Les expériences des Nouveaux Pays Industrialisés d'Asie et d'Amérique Latine (NPI) mille fois exhumées et opposées aux pays africains comme des exemples de succès, montrent que l'Etat a rempli des fonctions économiques et politiques exorbitantes par le biais d'un secteur public massif et d'une planification permanente. Cette praxis s'appuie partout sur une philosophie et des dogmes d'un Etat fort, centralisé et souvent autoritaire à même de réaliser la croissance dans la stabilité. Ces constats imposent de dépasser la controverse stérile Etat-Marché considérés comme deux systèmes antagoniques d'affectation des ressources et qui prétendument devraient conduire à deux modes opposés de régulation: le libéralisme (marché) et le socialisme comme un interventionnisme étatique. Dans tous les systèmes sociaux, l'Etat se présente, en permanence, comme un instrument irremplaçable dans l'organisation et le fonctionnement d'une Société moderne. Les fonctions qui lui sont imparties au triple niveau politique, social et idéologique (garant de la paix civile, du référentiel culturel, du bien-être, etc.) lui confèrent nécessairement des rôles économiques dont la réalisation n'est nullement incompatible avec l'existence d'un marché ou d'un plan. Progressivement, on observe des ruptures dans les fonctions de l'Etat si bien que, même dans les pays socialistes de forte tradition interventionniste, le plan accomplit les tâches que le marché ne peut réaliser et inversement. L'État se doit de coordonner et d'impulser les activités dans les domaines décisifs où il ne peut nullement gêner l'initiative des opérateurs économiques nationaux. A chaque fois, l'intervention de l'Etat doit viser des objectifs précis. Par exemple dans le développement agricole, l'Etat peut créer des fermes - qui pourraient être des instruments d'appui et d'aide aux forces productives dans l'agriculture. Toute forme d'expérimentation techno-agronomique pourrait être d'abord réalisée dans ces unités pour être ensuite généralisée aux autres exploitations privées. 3) Au niveau des relations économiques Internationales La problématique des relations économiques internationales a été abordée sous plusieurs éclairages et chaque fois, on aboutit à la conclusion que dans leurs formes actuelles, elles contribuent à la ruine des formations sous développées par le biais de mécanismes comme l'échange inégal dont le baromètre réside dans la détérioration des termes de l'échange. Ainsi, au cours de l'année 1986, l'Afrique a perdu environ 19 milliards de dollars du simple fait de la chute des produits de base. Dans le même moment, les recettes d'exportation ont diminué de 50 milliards alors que les apports nets de capitaux manifestaient une nette tendance à la baisse. 109 Les avantages annoncés par les théories néo-classiques ne se sont pas encore produits dans les pays du Sahel les plus fortement articulés au marché mondial par le biais des secteurs exportateurs de produits des monocultures de rente prédominantes. Les relations économiques internationales n'ont pas compensé les infériorités relatives dans les dotations en facteurs malgré l'existence d'une spécialisation poussée et d'un commerce sans entraves. De plus, les chances de développement sont inégales et se distribuent en fonction du poids économique des partenaires. L'importance et le poids des activités exportatrices, de même que le volume sans cesse grandissant des importations, commandent l'élaboration d'une stratégie des relations avec l'extérieur dans la double optique d'une indépendance économique et l'établissement d'un commerce extérieur équilibré. La première optique conditionne tout et postule que les pays d'Afrique de l'Ouest doivent se fixer pour objectif la réalisation d'une moindre dépendance économique, ce qui passe par: - le contrôle des principales ressources nationales. Cela permet d'une part, de maîtriser le système productif interne notamment les surplus qu'il crée et d'autre part, de l'orienter dans le sens de la réalisation des objectifs majeurs; - la réalisation de l'autosuffisance alimentaire. Ces objectifs sont à inscrire dans un horizon temporel plus ou moins spécifié avec désignation des moyens et délais de réalisation. La seconde optique est liée à la recherche d'un commerce extérieur équilibré consistant à organiser les rapports avec l'extérieur de sorte que les exportations couvrent les importations ce qui implique : - d'abord que l'on établisse le volume et la composition des importations incompressibles et vitales pour le fonctionnement du système interne des forces productives; - ensuite que l'on découvre et développe les secteurs exportateurs susceptibles de procurer des devise nécessaires au financement des importations. En somme, comme l'observe 1. Sachs, l'objectif en matière de relations extérieures est cc de maximiser la capacité d'importer du pays par la promotion des exportations ou de réduire sa dépendance en matière d'importation : on choisira celle des deux solutions qui tire la meilleure partie de l'investissement donné .. (25). Dans tous les cas, les pays dans le cadre d'un développement endogène doivent repréciser, redéfinir la place des relations économiques internationales et les actions qu'il importe de prendre pour tirer les meilleurs avantages de celles-ci. (25) 1. Sachs, Pour une économie politique du développement, Edit. Flammarion, 307 p. 110 CHAPITRE IV NATIONAL LES PROPOSITIONS D'ACTIONS AU NIVEAU INTER- Deux types d'action pourraient être envisagés et les pouvoirs publics devraient aider à leur réalisation effective pour mieux appuyer et compléter les politiques intérieures. 1) A l'échelle Internationale L'expérience montre qu'il est totalement impossible pour les pays du Tiers-Monde de devoir à la fois supporter les charges de la dette et poursuivre le processus de croissance comme le laissent supposer les travaux de Abrarnovic (26). Cet auteur a rendu célèbre l'analyse selon laquelle un pays désireux de mettre en place, grâce à l'endettement, une structure productive pouvant lui assurer une croissance satisfaisante doit traverser trois phases. La première phase est celle au cours de laquelle "investissement domestique excède les possibilités d'épargne et l'endettement s'avère nécessaire non seulement pour financer l'écart entre les deux variables, mais aussi la charge de la dette. Les intérêts sont payés au moyen d'emprunts porteurs d'intérêt à leur tour. Il en résulte un processus cumulatif d'endettement. Seulement, l'économie élève sa base productive ainsi que la propension moyenne à épargner pour l'élimination à terme du déficit. La deuxième phase est celle qui voit l'épargne domestique atteindre le niveau de l'investissement. Sans que cesse le recours à l'endettement pour le financement de la charge de la dette, bien que sa croissance se ralentisse. Cependant, l'épargl'le domestique s'élevant toujours, elle parvient progressivement à combler le volume d'endettement. La troisième phase est celle au cours de laquelle l'épargne intérieure est suffisante pour financer l'investissement et le service de la dette. En prenant alors les exportations comme variable déterminante de la capacité de financement du servic~ de la dette, Abramovic met en évidence des hypothès'es d'enclenchement du processus conduisant à la troisième phase : exportations représentant 10 % du Revenu National et augmentant au rythme annuel de 4 %, taux marginal d'épargne de 20 %. Même en acceptant l'analyse dans son fond, les hypothèses sont extrêmement éloignées de la réalité du Tjers-Monde contemporain. D'abord les exportations régressent en valeur du fait de la détérioration des prix internationaux selon les mécanismes bien connus de l'échange inégal(27). (26) D. Abramovic, Economie growth and External Debt, J. Hopkins Press', 1964, p. 154192. (27) Il faut se souvenir de l'analyse d'A. Emmanuel sur l'Echange inégal dont les théories principales, nous dit l'auteur, sont formulées en termes de salaires: on n'est pas pauvre parce qu'on vend bon marché: on vend bon marché parce qu'on est pauvre. Donc la seule norme du prix international découle de la pauvreté des offreurs. 111 Ensuite l'épargne intérieure qui est fonction des faibles revenus provenant pour l'essentiel des relations économiques et monétaires avec l'extérieur est à son tour nulle ou de très faible niveau. Tout cela indique que la dynamique interne de croissance à elle seule ne réglera pas le problème de l'endettement. La preuve, les grands pays endettés du Tiers-Monde, après des efforts gigantesques d'ajustement, ont réussi certes à améliorer l'équilibre de leurs balances de paiement mais au prix d'un endettement encore plus massif. A l'extrême, on peut dire que les pays empruntent, non pas pour financer des investissements de relance économique mais pour éponger leur dette. Il est donc impossible d'envisager que Jes emprunteurs se sortent de la dette par leurs propres efforts internes. D'un autre côté, il est impossible d'exiger des banques commerciales qui détiennent les deux tiers des créances des pays du Tiers-Monde de supporter un non remboursement. Cela ébranlerait les précaires équilibres du système financier international et compromettrait les activités productives à l'échelle mondiale. C'est dire que la solution de la dette passe impérativement par une négociation globale et multilatérale qui préserve, autant que faire se peut, les intérêts de toutes les parties concernées. Comme Je souligne H. Bourguinat, cc il faudra bien concilier les inconciliables et que chaque catégorie prenne à sa charge une partie du fardeau »(28). Du côté des pays débiteurs, il reviendra aux Etats de s'accorder autour d'une plateforme techniquement élaborée et institutionnellement souple pour pouvoir prendre en compte des points comme : - l'annulation des dettes publiques; - la consolidation des dettes privées ou la mise en p~ce de mécanismes de consolidation soit des arriérés, soit des paiements futurs; - l'organisation de rééchelonnements appropriés à la situa~on économico-financière de chaque pays; - la mise en place de nouveaux mécanismes qui permettent la mebilisation de nouvelles ressources financières. La Déclaration sur la situation économique en Afrique adoptée par la 21" Session ordinaire de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Organisation de l'Unité Africaine (18-20 juillet 1985) observe que la situation financière de l'Afrique est grave et qu'en 1985, les pays d'Afrique vont rembourser plus qu'ils n'ont reçu du Fonds Monétaire International. En conséquence, la Conférence a proposé entre autres: - la réduction de l'élément cc devise» de la participation des pays aux projets financés par les institutions financières internationales; - le transfert massif de ressources financières à des conditions libéraies; (28) H. Bourguinal, op. cit., p. 189. 112 - le rééchelonnement de la dette extérieure qui doit se faire sur plusieurs années avec une période de grâce minimum de cinq ans. Pour ce qui concerne la dette, de nombreuses recommandations sont faites mais elles constituent pour l'essentiel des variantes des propositions de la Commission Pearson de 1970 qui étaient les suivantes: - définir les conditions d'allégement de la dette, de manière à éviter les réaménagements répétés et fréquents: - évaluer les besoins éventuels en aide extérieure à des conditions favorables : - considérer l'allégement de la dette comme une forme légitime d'aide: - assortir l'aide publique au développement de conditions appropriées. En particulier, le taux d'intérêt ne devrait pas excéder 2% l'an tandis que la durée des prêts s'étalerait de 25 à 40 ans et comporterait un délai de grâce de 7 à 10 ans: - inclure des clauses de dérogation temporaire dans les accords de prêts, prévoyant sous certaines conditions, des allégements convenus d'avance (différés de paiement au titre des amortissements et des intérêts, exceptionnellement renonciation à de tels paiements) ; - étendre le bénéfice de l'allègement de la dette non seulement aux situations de crise, mais également à des cas bien précis, afin de maintenir la capacité d'épargne ou d'importation des pays débiteurs, la consommation par tête d'habitant, de pallier une baisse des exportations ou une rentabilité insuffisante des investissements, moyennant l'adoption de politiques correctives par les bénéficiaires: - instituer un cadre multilatéral approprié pour la renégociation de la dette et la mobilisation de nouveaux apports de capitaux, afin de garantir un transfert net de ressources aux pays débiteurs, seul mécanisme susceptible d'assurer un ajustement stable et harmonieux de ces économies: - mettre en place un dispositif institutionnel pour le rééchelonnement de la dette, fonctionnant selon des normes et des procédures bien définies, pour éviter un traitement discriminatoire des pays débiteurs: - inciter les pays débiteurs à modifier leurs politiques à très court terme et adopter en leur faveur des modes de règlement plus appropriés à leur situation financière et à leurs capacités réelles de remboursement. L'application de ces diverses recommandations aurait à l'évidence permis à la communauté internationale de réaliser l'économie d'une crise de la dette des pays en développement. Mais les égoïsmes nationaux ont prévalu sur la stabilité internationale et l'esprit de coopération mondiale. Il aura fallu la crise des années 1970 pour faire retrouver les vertus de la commission Pearson. 113 Lors de l'Assemblée Générale du FMI, en 1985, le trésorier américain James Baker avait annoncé son plan en trois points: - les banques commerciales devraient consentir une augmentation de 20 milliards de dollars sur trois ans aux quinze pays sélectionnés parmi les plus endettés (Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela, Pérou, Chili, Equateur, Colombie, Uruguay, Bolivie, Côte d'Ivoire, Maroc, Nigéria, Philippines et Yougoslavie) ; - la Banque Mondiale et les autres banques de développement devraient procéder elles aussi à une augmentation de 9 milliards de dollars de leurs engagements; - les pays bénéficiaires de ces nouveaux prêts devraient procéder à des réformes économiques dans le sens de la promotion d'une économie libérale soumise aux lois aveugles du marché. Ce cc Plan Baker" ne suscita que des réponses décevantes. Les banques multilatérales de développement ne disposaient pas de ressources propres suffisantes pour fournir le financement nécessaire. De même, la plupart des banques commerciales ne souhaitaient pas ouvrir de nouveaux crédits à des pays déjà aux prises avec de graves difficultés. Au total, seuls les cc prêts concertés" que les banques s'estimaient forcées de consentir dans le cadre de mesures de réaménagement visant à éviter des cessations de paiement, furent accordés. A la suite de cet échec, le cc Groupe des Sept " réuni au Sommet de Toronto en juin 1988 adopta un nouvel éventail d'options pour l'allégement de la dette des pays endettés les plus pauvres, situés pour la plupart en Afrique. Ces options, qui concernent exclusivement la dette officielle, se rapportent à : - la remise d'un tiers des versements de services échus et le rééchelonnement du reste; - le prolongement des échéances existantes; - la réduction de taux d'intérêt à des niveaux inférieurs à ceux du marché. Il faut dire que les économies que les pays bénéficiaires sont censé réaliser sur leurs paiements dans le cadre du cc Plan de Toronto» sont insignifiantes (environ 0,7 % chaque année) par rapport à leur dette globale. De plus, l'éligibilité au bénéfice de cc Toronto .. reste assujettie à la mise en œuvre par les pays débiteurs de programmes d'ajustement du FMI et de la Banque Mondiale. Pour remédier à cette difficulté de la cc Stratégie de Toronto ", certains pays créanciers ont pris de vigoureuses initiatives individuelles en vue d'alléger substantiellement la dette des pays à faible revenu. C'est ainsi que la France, les Etats-Unis, le Canada, la Belgique, la Finlande, la Norvège, la Suède et la Grande-Bretagne ont converti en dons la plupart de leurs prêts concessionnels de développement consentis aux pays 114 d'Afrique subsaharienne. Dans ce cadre, la France à elle seule, a annulé purement et simplement toute les dettes d'aide au développement au profit de trente-cinq Etats africains et correspondant à un montant de 2,5 milliards de dollars. Il n'empêche! A peine 2 % de la dette totale de l'Afrique est touchée par ces mesures spectaculaires d'annulation. Il s'y ajoute comme l'observe Adebayo Adedeji (Secrétaire Exécutif de la CEA) que cc cet allégement est largement annulé par l'augmentation (externes de stock) de la dette africaine intervenue au premier semestre de 1989 du seul fait de la hausse des taux d'intérêt .. (29). En avril 1989, et face à l'enlisement et l'impasse de la crise de la dette, le Secrétaire au Trésor des Etats-Unis Nicholas Brady invite les banques: - à passer aux cc pertes et profits .. une partie de la dette du TiersMonde, à faire profiter les débiteurs de la décote du marché secondaire; - et à accorder des dérogations temporaires quant aux paiements d'intérêts et aux remboursements de principal pendant une période pouvant aller jusqu'à trois ans. A la différence des plans précédents, le cc plan Brady .. confère au FMI et à la Banque Mondiale un rôle beaucoup plus plus actif que dans le passé en matière d'allégement de la dette et consistant à donner aux banques commerciales des garanties quant aux futurs paiements de service, de façon à inciter ces dernières à ouvrir de nouveaux financements. A ce titre, le FMI et la BM promettent de fournir chacun 12 milliards de dollars pendant les trois prochaines années. Cependant, à peine la moitié de ce montant constituera un financement additionnel, le reste devant en réalité provenir de réaffectations. En outre, le Japon s'est engagé à mobiliser 10 milliards de dollars en prêts parallèles pour ces opérations d'allégement, ainsi que d'autres fonds destinés au financement du développement des pays endettés. Globalement, l'initiative BRADY reprend donc, en les amplifiant, les procédures et schémas précédents de traitement de la crise de la dette. L'accent mis sur l'annulation partielle des créances commerciales va engendrer un sacrifice très lourd pour les banques privées dont plusieurs vont avoir des difficultés supplémentaires à surmonter. De même, l'implication croissante de financements multilatéraux nécessite un effort accru des pays riches, c'est-à-dire en dernière instance, de leurs contribuables. Or, la poursuite de politiques d'ajustement difficiles dans le contexte social et politique actuel représente un prix trop élevé à payer par les pays surendettés. En théorie donc, le partage du fardeau de la dette devrait être équitable. Mais en pratique, les contraintes de chacune des parties prenantes, parfois l'absence de volonté politique et surtout les rigueurs d'un environnement économique international fortement instable constituent autant d'obstacles sur la voie d'un règlement concerté du problème de la dette. (29) ONU: La dette: Crise pour le Développement, Département de l'Information, mars 1990, p. 41. 115 Le retard de la reprise économique dans les pays industrialisés, la persistance des désordres monétaires, la poursuite de l'inflation et la détérioration des prix des matières premières montrent que les années qui viennent seront marquées par un accroissement considérable des besoins de financement du Tiers-Monde. Cette situation sera encore aggravée par les déficiences des mécanismes des marchés financiers qui ne paraissent plus en mesure d'assurer les financements risqués des pays du TiersMonde. Les milieux bancaires avec la montée des risques-pays sont réticents à tout accroissement de leurs engagements. Dans ces conditions, la question se pose de savoir que faire pour résoudre les besoins financiers du Tiers-Monde? Dans tous les cas, les moyens proposés par le Plan Baker sont dérisoires et insignifiants par rapport aux besoins en ressources financières. Les efforts attendus de la Communauté Internationale sont beaucoup plus appréciables au double plan quantitatif et qualitatif et ils appellent la mise en place de mécanismes financiers capables de mobiliser des ressources importantes. Dans cette direction, il faudrait des interventions massives et concertées des Etats et des Institutions financières internationales pour apporter certaines garanties aux prêteurs contre les risques de non remboursement des emprunteurs et pour la conservation ainsi que la progression du pouvoir d'achat de leurs placements. Ces garanties institutionnellement organisées devraient rétablir la confiance des banques et autres prêteurs. Cependant, les pays industrialisés de leur côté doivent promouvoir des politiques économiques de relance qui puissent entraîner une nouvelle baisse des taux d'intérêt, une expansion du commerce international, un redressement des prix des matières premières et une plus grande stabilité des marchés de change. De même, ces pays doivent accepter un déficit commercial sans lequel il n'y aura d'issue ni à l'endettement ni au développement. Après la Conférence de Trinité (septembre 1990), les accords conclus avec la Pologne et l'Egypte (mai 1991) sont, à plus d'un titre exemplaire, et indiquent la voie à suivre et à élargir à d'autres pays. En effet, le Groupe des Sept se fondant sur des critères à la fois techniques (proportion trop élevée de la dette au point de constituer une hypothèque pour la croissance) et politiques (avec la nécessité de soutenir la politique audacieuse de transformation entreprise par la Pologne et le rôle de premier plan joué par l'Egypte dans la Guerre du Golfe) avait recommandé une réduction d'environ 50 % de la valeur nette actualisée de la dette exigible des deux pays. Ces accords en contradiction avec les pratiques usuelles du Club de Paris indiquent effectivement les mesures positives à prendre pour alléger de manière substantielle la dette officielle des pays à revenus intermédiaires. D'ailleurs, les Africains ne sont pas restés inactifs en matière de recherches de solution au problème de la dette. 116 Le Plan d'action de Lagos comporte trois propositions fondamentales en la matière. La première concerne la création d'un Fonds Monétaire Africain (résolution 254 b) dont l'un des rôles consisterait à aider les pays membres à mobiliser des prêts sur les marchés internationaux de capitaux et à garantir ces prêts. La deuxième a trait à l'institution d'un Fonds africain de garantie mutuelle et de solidarité, chargé de l'intermédiation sur les marchés internationaux de capitaux (résolution 254 cl. La troisième recommande à la communauté internationale d'accroître son assistance financière et technique aux pays les moins avancés, selon des procédures et des critères améliorés, tout en procédant à l'annulation de la dette de ces pays (résolution 275 a). De nombreuses autres recommandations du Plan d'action de Lagos, visant à améliorer le financement des pays africains, contribueraient accessoirement à alléger leurs besoins d'endettement. Il s'agit notamment de la mise en place de systèmes sous-régionaux de compensation et de paiements, regroupés plus tard en une union africaine de paiements, de la création d'institutions sous-régionales de financement du développement, de celle de marchés financiers à l'échelle nationale, sous-régionale et régionale, de l'institution d'une Banque du Commerce Extérieur et d'investissement des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (résolution 253). Le Plan d'action recommande également un renforcement des ressources de la Banque Africaine de Développement (résolution 254 a), une reforme fondamentale du système monétaire international, la mise en place d'un cadre financier international adéquat pour soutenir les efforts de développement des pays africains, un accroissement de l'assistance et de l'aide financières à l'Afrique (résolution 255). En matière d'énergie, il est proposé au profit des pays africains, l'octroi de tarifs préférentiels et la création d'une caisse de compensation (résolution 289), de même que l'institution d'un Fonds africain pour le développement de l'énergie (résolution 294). Pour les pays les moins avancés, il est recommandé l'adoption de mécanismes internationaux de financement de leurs besoins en pétrole, leur assurant également une réduction des charges correspondantes et leur garantissant des approvisionnements réguliers (résolution 175 b). 2) Les améliorations du PAL: la contribution de la BAD La Banque Africaine de Développement (BAD), lors de la 3 session extraordinaire de l'OUA (30 novembre 1987) exclusivement consacrée à la problématique de la dette, a émis, par la voix de son Président, une proposition de solution à la fois réaliste et techniquement bien conçue. L'idée de base est qu'il faut trouver un mécanisme de refinancement qui soit de loin préférable aux rééchelonnements qui constituent un engrenage coûteux 8 117 dont aucun pays débiteur ne peut se sortir véritablement. La réalisation de ce refinancement passe par la reconversion de la dette extérieure en obligations à long terme (20 ans) avec un taux d'intérêt fixe. Dans ce cadre, le paiement du service de la dette peut être soit négocié et fixé à des niveaux compatibles avec les priorités et les objectifs de développement des pays débiteurs. Ces obligations seront gérées par un Fonds d'Amortissement qui jouera le rôle d'un organe d'encaissement des versements des pays débiteurs émetteurs des obligations et de décaissement en faveur des créanciers. Il devra alors générer des ressources propres lui permettant d'apurer, à la fin de l'échéance, la dette du pays. C'est pourquoi il établira un taux d'intérêt acceptable par toutes les parties concernées. Enfin, le Fonds sera administré par un Comité de gestion comprenant des représentants des pays créanciers et des pays débiteurs ainsi que des membres de la communauté financière internationale. Il aura pour compétence d'abord l'évaluation des performances économiques et financières réalisées par les pays endettés en vue de proposer des mesures d'ajustement et ensuite la recherche et la mobilisation des ressources additionnelles pour les pays ayant de pressants besoins financiers. Egalement, la Session spéciale des Nations Unies (New-York 21-27 mars 86) consacrée au redressement et à l'endettement de l'Afrique SubSaharienne a élaboré une série de recommandations pertinentes à la communauté internationale. Elles consistent à : - l'acceptation du programme prioritaire qui s'articule autour de la mise en œuvre accélérée du Plan de Lagos, l'amélioration de la situation alimentaire et la réhabilitation de "agriculture, l'allégement du fardeau de la dette, l'élaboration d'une plate-forme d'action commune aux niveaux sous régional, régional et continental; - l'amélioration des structures et du cadre de la coopération en particulier par la stabilisation des prix des produits de base, l'instauration de prix rémunérateurs, l'abandon des politiques protectionnistes et de celles qui sont défavorables aux exportations africaines; -l'allégement du fardeau de la dette par une conversion de cette dette en dons et en prêts remboursables à très long terme (40 ans) ; le réaménagement de la dette commerciale avec un abaissement des taux d'intérêt; - la promotion et l'appui au secteur privé et à l'entreprise africaine. La réalisation de ce plan de redressement qui relancerait le développement et la croissance, nécessite un financement annuel de 33 milliards de dollars dont les 16 milliards serviraient à couvrir le service de la dette africaine. On s'aperçoit que les idées originales ne manquent pas mais elles se heurtent toujours au refus obstiné des pays créanciers et des institutions financières internationales, donc de la communauté internationale. 118 3) Solution régionale: l'action essentielle doit être la concertation pour l'Instauration d'une division régionale du travail La restructuration de l'économie mondiale s'opère au moment où le Continent Africain est confronté à une crise économique et financière d'une rare profondeur qui va le marginaliser davantage pour en faire la périphérie du Monde. La Division Internationale du Travail met progressivement en place de nouvelles modalités de fonctionnement. Les systèmes productifs nationaux se réorganisent et se préparent, dans la perspective d'un monde multipolaire, à affronter les rudes batailles de l'économie mondiale caractérisée par une compétition féroce qui ne donnera aucune chance aux faibles. Face à ce darwinisme économique, l'Afrique devra s'intégrer ou périr. Ce problème est maintenant parfaitement bien compris même si les solutions d'intégration, en place depuis au moins deux décennies, ont produit de très médiocres résultats. Des initiatives neuves et d'une grande envergure doivent être prises pour avancer résolument dans la voie de l'unité politique et économique de la sous-région. En effet, il est aujourd'hui largement prouvé qu'aucun des Etats africains, quelles que soient sa taille, ses ressources naturelles et sa population ne constitue, en isolement, un cadre viable de développement économique et social. Alors quelle sous-région ? En Afrique, l'intégration doit être conçue comme des cc poupées de gigognes » dont l'ensemble constitue une entité mais dont chacune prise individuellement représente l'image réduite de l'entité décomposée. Il faut, en conséquence, définir un espace sous-régional réalisable et efficient et lui affecter des responsabilités économiques, financières et politiques. Seulement, les schémas d'intégration qui ont été appliqués en Afrique de l'Ouest, depuis la fin des années soixante se sont avérés complètement inaptes à jeter les bases d'une véritable économie sous-régionale. Les raisons tiennent à la fois à la mauvaise qualité des modèles d'intégration qui ne rendent pas convergents les politiques économiques et sociales nationales, à l'inexistence de mécanismes fiables de correction des inégalités et de partage des avantages, à l'absence d'une volonté politique effective devant se matérialiser par un abandon réel de souveraineté. Au niveau politique, le fédéralisme et le confédéralisme doivent être relancés à la lumière des expériences historiques accumulées (Union Ghana-Guinée, Fédération du Mali, Union Ghana-Guinée-Mali, Conseil de l'Entente, Confédération sénégambienne, etc.). Cela devrait passer par la création de formations politiques à dimension sous-régionale et la constitution d'un Parlement supranational où les membres seront répartis non par nationalité mais par appartenance à des familles politiques (libéraux, sociaux-démocrates, travaillistes, marxistes de toute chapelle, nationalistes, etc.). 119 Toutes ces structures supranationales prendraient en charge la défense des intérêts de la sous-région et de ses différentes institutions et pourraient soutenir et consolider les processus d'intégration. Au plan économique, la tâche principale est de doter la sous-région d'une stratégie communautaire de développement dans laquelle les Etats renoncent à leur souveraineté en faveur de la Communauté dans les secteurs agricole, industriel et tertiaire. Ainsi, l'intégration se présenterait comme la seule forme qui permettrait de briser les cadres étroits des nations ouest-africaines. La stratégie pour un développement accéléré passerait, d'abord par l'élaboration d'une politique économique concertée établissant une Division Régionale du Travail (DRT) articulée sur la création de pôles de développement diffusant des effets d'entraînement sur les économies nationales, ensuite par une spécialisation intersectorielle qui accorde la préférence aux activités productives correspondant aux dotations factorielles naturelles des Etats et enfin par une mise en place d'un système monétaire et de crédit au service du financement du développement régional. Ce processus intégrateur fera sauter les goulots d'étranglement constitués par l'espace étroit, la faiblesse des capitaux et des technologies et autoriserait des politiques économiques optimales et efficientes(30). L'autonomie collective qui est un besoin économique devient possible. Dès lors, on peut avancer que l'intégration, quelle que soit sa forme, se présente comme un processus dont la finalité est d'offrir aux Etats et aux divers acteurs un espace qui permette de bénéficier des économies d'échelle ainsi que d'une plus grande efficience en matière de production et d'échange. Certaines tâches de développement auxquelles les pays ne pouvaient faire face en isolement du fait de leurs handicaps naturels deviennent réalisables. La mise en mouvement de ce processus d'intégration passe par: - la création d'un ordre communautaire qui s'appuie sur une division régionale du travail; - la création d'un système monétaire régional qui oriente et réglemente les politiques monétaires et financières. La création d'un ordre communautaire en Afrique de l'Ouest pourrait avoir une double incidence: aider à l'organisation d'une autonomie collective pour le développement, offrir une alternative crédible au développement misérable de la périphérie et aux mécanismes de reproduction du sous-développement. L'ordre communautaire restructuré devrait déboucher sur: - une uniformisation tendancielle des processus nationaux de production en partant de la création d'unités économiques communautaires dans les secteurs vitaux pour les économies nationales; (30) Moustapha Kassé, Le Développement par /'Intégration, Edit. NEAS, Dakar, 1991, 250 p. 120 - une uniformisation des rapports monétaires et financiers et de crédit mettant progressivement en place les conditions d'une politique monétaire communautaire; - une uniformisation tendancielle des politiques économiques nationales pour la réalisation des objectifs du développement économique et la résolution des contraintes et tensions sociales internes. Un tel ordre pourrait alors se présenter schématiquement comme suit: Uniformisation des processus r r---~------. Div[ston Régionale 1 d; prOductiol"-,1 l Marché Régional 1 ,...---------, Commerce Extér[eur L l""'" du Travail 1 I...- ! Système Monétaire Région31 I~ Politiques Economiques des Etats ----!. La Division Régionale du Travail (DRT) devrait s'organiser autour de trois axes: - l'établissement d'un programme sous-régional sur la double base des dotations factorielles naturelles et des impératifs de développement accéléré des pays; - la spécialisation des divers secteurs notamment industriels; - le développement des investissements communs et de la coproduction. Sur le premier axe, la DRT partirait de l'établissement d'un vaste programme comportant des tâches à réaliser à court, moyen et long termes. Il s'agit de fixer des priorités dans l'espace et dans le temps à partir d'une négociation générale portant sur la répartition et la spécialisation des activités économiques. L'établissement de ces priorités devrait tenir compte de deux impératifs souvent contradictoires : la rationalité générale du développement sousrégional et les intérêts individuels des Etats. Le second axe concerne la spécialisation. Il s'agit principalement d'élaborer un modèle de spécialisation industrielle permettant de réaliser des filières de valorisation de production agricole et minière et des économies d'échelle. Sur ce point on peut partir des industries existantes, bien 121 que certains auteurs estiment que leur existence doit être considérée comme un phénomène néfaste et désintégrateur. A notre sens, ce fait ne constitue point un handicap majeur et insurmontable car les capacités industrielles actuellement installées restent bien en deçà des besoins nationaux. Le troisième axe se rapporte au développement des investissements communs et à la coproduction. On peut partir de l'idée que l'investissement commun est un placement en commun de fonds et peut en conséquence s'effectuer sous des formes différentes: en moyens financiers, en équipements ou en nature. Il peut avoir plusieurs objets comme: - la réalisation d'infrastructures en matière de communication et télécommunication reliant les pays entre eux, de grands travaux d'aménagement des bassins des fleuves, l'édification de barrages hydro-électriques; - le développement d'une coproduction (de biens matériels. ou de services) pour l'exploitation de certaines activités productives avantageuses pour les économies nationales. Dans l'organisation de cette DRT, les politiques économiques des Etats pourraient bénéficier des avantages liés aux économies d'échelle et à la spécialisation. De même, elles permettraient, à partir des interdépendances techniques et des liaisons par les produits et les revenus, un élargissement et une expansion du marché. En fait, si la co-entreprise est une coproduction, chaque pays devrait apporter en plus des moyens, un marché actuel et potentiel. Cependant, de par le monde, les processus d'intégration révèlent que l'infrastructure de transport de communication et de télécommunication a exercé des fonctions motrices en créant un espace interconnecté condition première de la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes. Ce problème est prioritaire en Afrique de l'Ouest et doit recevoir un traitement choc par la mise en place et l'exécution d'un programme sectoriel intégré et réalisable dans les meilleurs délais. Qu'en est-il maintenant des rapports monétaires, financiers et de crédit? Les aspects monétaires des politiques économiques en Afrique de l'Ouest ont été souvent occultés et traités dans des optiques technocratiques et d'orthodoxie de gestion financière dans laquelle la monnaie apparaît plus comme un fétiche que comme un instrument de développement. Les experts recommandent toujours aux Etats des comportements frileux vis-à-vis de la monnaie, une auto-défense permanente contre l'inflation et toute sorte de déséqui~bre financier. Il importe alors de mettre un accent particulier sur ces questions afin, d'une part, de dégager avec le maximum de clarté, les politiques monétaires, et d'autre part, d'indiquer les lignes directrices de création d'un ordre monétaire régional. Les mécanismes monétaires. comme le rappelle R Nurske ne sont pas créés pour eux-mêmes, ce sont des instruments destinés à faciliter la 122 production et les échanges. En conséquence, la monnaie doit refléter les mécanismes productifs et s'y conformer. Dans un processus d'intégration qui restructure le procès de production, la monnaie doit être au service des politiques économiques poursuivies et remplir alors deux fonctions : le financement des opérations économiques communautaires et la facilitation des échanges multilatéraux en conférant aux divers usagers l'utilisation d'un espace plus étendu pour les transactions réelles et financières et une plus grande certitude pour ces mêmes transactions. La création d'un système monétaire en Afrique de l'Ouest devrait présenter certains avantages par: - l'organisation d'une zone de stabilité dans un ordre monétaire et financier précaire et instable ; - le changement du contexte de lutte contre la persistance de l'inflation, la variation erratique des taux d'intérêt et de l'endettement; - l'instauration progressive d'une coopération monétaire et financière. Dans le cadre de l'Afrique de l'Ouest comprenant plusieurs monnaies et une pluralité de zones monétaires, la mise en place d'un système monétaire régional passe par : - l'établissement d'un système de changes et l'organisation de règles de stabilité qui permettront de définir une unité de monnaie composite dont la valeur serait établie par un panier de toutes les monnaies des pays membres; - l'établissement et l'organisation de règles de convertibilité qui permettent aux monnaies de se soutenir mutuellement par la mise en œuvre de mécanismes de crédits réciproques; - la mise en place d'un système de création monétaire et d'un Fonds Monétaire Régional qui recevrait en dépôt les réserves de change des pays membres et leur fournirait la monnaie régionale en contrepartie. Il importe pour avancer dans cette direction de vaincre les préjugés solidement établis pour mettre en place un système monétaire et financier et pour organiser ses connexions. C'est de la sorte que l'on pourrait: - promouvoir l'utilisation des monnaies des pays membres dans les transactions commerciales; - permettre une utilisation efficiente et optimale des réserves extérieures; - stimuler la coopération et les consultations monétaires entre pays; - prendre en charge collectivement les problèmes de l'endettement. C'est dire que les pays ont tout à gagner à la construction immédiate d'un SMR même s'il est bien connu qu'il n'est pas dans la nature de la monnaie de régler tous les problèmes. Face aux restructurations du système économique mondial et aux difficultés monétaires et budgétaires 123 grandissantes en Afrique de l'Ouest, le moment est venu de mettre en place ce système monétaire Ouest-Africain qui participerait à la création d'un espace de stabilité et d'autodéfense monétaire, de financement du programme économique, de correction des déséquilibres macrofinanciers ; et, en définitive, d'instauration d'une véritable politique monétaire. En attendant d'y arriver, la coopération, en ce domaine, revêt une grande urgence. Elle passe par des paiements courants libres d'un pays à un autre, des parités monétaires régionalement définies et réglementées, "harmonisation des législations bancaires et la co-production de produits et d'instruments bancaires et financiers. En définitive, l'intégration ne se pose pas impérativement en termes d'abolition des frontières nationales mais d'élargissement de la Communauté d'intérêts. Quels pourraient être alors les domaines de réalisation de l'intégration ? Le secteur le plus immédiatement concerné est l'agriculture. En la matière, l'intégration doit viser principalement la promotion d'une agriculture capable de satisfaire les besoins alimentaires en expansion rapide et d'accroître quantitativement et qualitativement les excédents. La politique agraire communautaire pourrait s'articuler autour de la création: 1) D'entreprises régionales de gestion de la politique hydraulique. Ces unités doivent aider, par le contrôle de l'eau, à accroître les surfaces irriguées ce qui permet de lutter contre les effets néfastes de la sécheresse et de diversifier la production agricole. 2) D'unités de production, de commercialisation et de distribution des facteurs modernes de production agricole. Ces facteurs constituent des consommations intermédiaires nécessaires pour l'intensification de l'agriculture et l'accroissement des rendements. En Afrique, les Pouvoirs publics entreprennent la réforme des agricultures par la mise en place de PASA (Programme d'Ajustement du Secteur Agricole) portant, d'une part sur la privatisation de la production, des mécanismes de financement et de la distribution, et d'autre part sur un ensemble de mesures destinées à accroître la sensibilité des producteurs aux incitations économiques. Ces politiques doivent être intégrées et harmonisées pour faciliter: - la création d'un marché agricole sous-régional par la suppression des taxes intérieures, l'harmonisation des protections et l'amélioration des moyens de transport ; - et la concertation sur les principales filières d'exportation destinées aux marchés internationaux par la réduction des coûts, l'atténuation des fluctuations des prix, l'amélioration de la productivité et la promotion de techniques modernes de commercialisation. 124 Cependant, il convient de préciser que la politique régionale n'est pas le substitut mais le complément indispensable des politiques agraires nationales qui doivent fixer: - la place de l'agriculture dans le développement économique et social; - la structure d'encadrement et de gestion de l'agriculture; - les objectifs à attendre et les moyens à mobiliser; - la politique des prix rémunérateurs et incitateurs. L'industrie est un secteur qui devrait être structuré autrement dans le processus intégrateur. Les dotations et aptitudes naturelles de la région permettent d'entrevoir au moins quatre unités communautaires en matière industrielle. Il s'agit: - de de de de la sidérurgie autour de l'exploitation du fer et du cuivre; la bauxite ; la construction navale; l'industrie nucléaire à des fins non militaires. Ces unités constitueront des pôles de développement qui s'organiseraient en vue d'une mise en valeur intégrale des principales ressources minières disponibles au niveau des Etats. L'énergie est devenue une variable stratégique, un paramètre essentiel des politiques de développement économique et social. La crise pétrolière a montré d'une part la trop grande dépendance de la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest vis-à-vis de leurs fournisseurs et d'autre part l'absence de politique cohérente. Il importe alors d'élaborer et de gérer un plan communautaire en matière énergétique qui s'articulerait autour de la création: 1) d'une Agence Communautaire de l'Énergie. Celle-ci pourrait prendre en gestion les coûteuses et lourdes prospections, former des cadres techniques et animer toutes les autres unités intervenant dans le secteur. 2) d'une unité de raffinage; 3) d'une unité de distribution et de stockage. Toutes ces initiatives seront parachevées par la mise sur pied d'une Caisse Communautaire de Péréquation et de Stabilisation qui aurait pour mission d'élaborer des politiques de compensation des intériorités relatives et de prix. La deuxième composante de la politique énergétique concernerait l'énergie renouvelable qui devrait être développée par une double action de régionalisation de la recherche et de la production. La réalisation de l'intégration passe aussi par le secteur tertiaire. Il faut insister particulièrement sur le tourisme dont les incidences socio-écono125 miques sont très importantes et les investissements particulièrement lourds. La politiques communautaire présenterait un triple avantage: - de centralisation des ressources financières; de développement d'un tourisme intra-régional ; de promotion d'une carte touristique relativement diversifiée. Sur cette base. on pourrait envisager de créer les unités communautaires suivantes : - un Office communautaire de développement touristique; une Agence régionale de voyages et de promotion touristique. Ce programme économique, techniquement mis en forme dans un Plan Sous-Régional qui définirait les objectifs à réaliser, les moyens à mobiliser, les délais de réalisation et les différentes articulations avec les Plans nationaux, devrait être pris en charge par une communauté Rénovée des Etats d'Afrique de l'Ouest. Ce lie-ci serait dirigée par une Haute Autorité dotée de fonctions exécutives et de compétences suffisamment larges pour réaliser une meilleure exécution de l'ensemble de la politique économique et financière sous-régionale. Une Assemblée Parlementaire, devrait être mise en place et exercer un contrôle démocratique sur les activités politiques, économiques et sociales assumées par toutes les institutions d'intégration. Toutes ces structures économiques et politiques devront être complétées par la création d'une Cour de justice chargée de régler les éventuels différends inter-étatiques. Au demeurant, le succès de ce processus d'intégration dépend d'abord de l'existence d'une volonté politique inébranlable mais aussi de l'application scrupuleuse des décisions, des accords et des programmes de la Communauté. Il est vrai que l'émergence d'une figure politique charismatique de dimension régionale ou d'un Etat organisé pouvant jouer le rôle de locomotive peuvent contribuer à l'accélération du mouvement d'intégration. La cadence sera fonction de la qualité des schémas unitaires et de l'adhésion des populations. 126 Conclusion générale Au fil de cette réflexion, il nous est apparu que l'endettement de plus en plus massif de l'Afrique de l'Ouest et du Continent prend des allures inquiétantes et soulève des questions sur son processus de formation, ses incidences et enfin ses perspectives de solution. La plupart des pays sont dans une crise latente d'insolvabilité ou en cessation de paiement à un moment où leurs besoins en ressources financières deviennent énormes pour relancer la croissance par l'investissement productif. Cette situation critique est évoquée dans toutes les rencontres internationales sans qu'une solution véritable et satisfaisante, pour tous les acteurs, soit trouvée. Les actes sont encore bien en deçà des intentions affirmées. Tout au long des pages de cette recherche, nous avons été habité par une double interrogation à savoir; 1) Comment la dette en Afrique de l'Ouest s'est-elle aussi rapidement massifiée? 2) Quelles sont les solutions à cette crise? Sur la première question, nos analyses révèlent que plusieurs facteurs très importants ont contribué à des degrés différents à l'accumulation d'une dette qui hypothèque aujourd'hui très lourdement le développement des pays du tiers-monde et d'Afrique de l'Ouest en particulier à telle enseigne que le Continent se trouve dans l'incapacité d'assurer à la fois son développement et le paiement de sa dette. Manifestement, si des facteurs variés comme le double déficit de la balance des paiements et des finances publiques, les chocs pétroliers, les achats d'armes, la fuite des capitaux, les intérêts de la dette, sont à la base de l'accroissement de l'endettement, ils nous permettent de formuler trois observations importantes dans la recherche de solutions décisives à la crise actuelle : 127 - La première observation concerne l'existence d'une co-responsabilité des créanciers et des débiteurs dans l'envolée de l'endettement. Tous les acteurs de la dette ont chacun une part, plus ou moins grande responsabilité, dans la formation et la progression de celle-ci. D'abord, la responsabilité la plus lourde est, certainement, celle des pays débiteurs qui ont appliqué des modèles de développement et conduit de façon inconséquente la gestion de leur développement avec des choix d'investissement impertinents qui sont à la base de l'utilisation inefficiente des capitaux empruntés. Ensuite, les Gouvernements des pays créanciers assument aussi une grande responsabilité dans la mesure où ils ont poussé leurs opérateurs économiques, comme les banques privées, à prendre des engagements, sur certains pays, souvent sur la base de critères plus politiques qu'économiques. Enfin, les banques commerciales ont commis de graves imprudences et des fautes d'appréciations des risques en se lançant dans des politiques laxistes de prêts. Même les organismes multilatéraux ne sont pas en reste avec les politiques souples et ajustables de mobilisation de leurs ressources. De ce point de vue, Lionel Stoleru dans son excellent ouvrage cc L'Ambition internationale" raconte l'histoire du mari dont le sommeil agité et perturbé par une dette lourde le fait tourner et retourner dans le lit au point de finir par réveiller sa femme. Celle-ci lui demande ce qui lui arrive, et il répond : cc Tu sais bien que je dois rembourser demain matin 100 000 francs à notre voisin M. Dupont, et que je n'en ai pas le premier sou! " La femme se lève alors, ouvre la fenêtre en grand et crie à tue-tête: cc Monsieur Dupont! Mon mari n'a pas un sou pour vous rembourser demain matin! " après quoi, elle referme la fenêtre, se remet au lit et dit à son mari: cc Allons! Tu peux dormir. Maintenant c'est lui qui ne dort plus. " La responsabilité collective de l'endettement commande la nécessité de rechercher systématiquement une solution globale et concertée impliquant toutes les parties concernées: les pays débiteurs, les créanciers, les bailleurs de fonds et les institutions financières multilatérales. Selon le mot de Susan George cc nous sommes tous des passagers d'un même train, même si certain d'entre nous voyagent en première ". La seconde observation est que les pays d'Afrique de l'Ouest, comme ceux du Continent, ont plusieurs fois payé leurs dettes par des transferts réguliers ou occultes. En additionnant les différents transferts vers les pays créanciers sous forme de fuite de capitaux, d'achats d'actifs, de paiement d'intérêts de la dette et surtout de transfert de surplus par le système des prix internationaux, on aboutit à des décaissements de ressources financières qui excèdent de loin les encaissements de capitaux. Ces problèmes sont maintenant assez bien maîtrisés, même celui très discuté et très complexe du système international des prix, qui selon G. Debernis, empêche l'accumulation de part importante du surplus qui resterait éventuellement disponible dans le pays. Il est maintenant unanimement admis que le capital international qui surfacture ses équipements, vend cher ses 128 services d'assistance technique, sous-rémunère les produits du TiersMonde, capte, par ces divers biais, une part très substantielle des surplus. C'est sans doute pour cette raison que cc les pays qui ont voulu se donner les conditions de leur développement (accumulation nationale autonome, modernisation) aient dû se libérer de la contrainte du système des prix mondiaux, en se dotant d'un tarif douanier permettant la mise en place d'un système de prix relatifs favorable au développement des capacités productives ". La troisième observation est que les politiques conventionnelles de la dette s'avèrent complètement incapables de promouvoir le développement et d'assurer le remboursement. Un dirigeant du Tiers-Monde observait à la fois avec amertume et clairvoyance que cc plus nous voulons, et nous ne pouvons le faire que si nous vendons nos produits à des prix rémunérateurs, plus nos créanciers ferment leurs marchés ou nous imposent des baisses de prix qui nous empêchent de rembourser ... Sans amélioration sensible de ses recettes en devises, on ne voit pas, selon le mot de Philippe Engelhard, comment l'Afrique financera son développement. Dès lors, quoiqu'on dise et quoiqU'on fasse, il faudra bien qu'on réduise le poids de la dette des pays africains et qu'on trouve les moyens de soutenir les cours des matières premières de base qu'ils exportent. Il ne serait certes pas souhaitable de les inciter à produire des marchandises dont la demande décline ou stagne sur le marché mondial. Pendant une période de transition plus ou moins longue, il faudra tout de même qu'on se décide à subventionner d'une façon ou d'une autre leur agriculture. Il n'est que grand temps de mettre en pratique des options et de nouveaux instruments de gestion de l'endettement: moratoire, remise de dette, swap de la dette ou d'actif, capitalisation des intérêts, mobiliérisation de la dette et rachat par le débiteur. De toutes ces solutions, celle qui nous semble la meilleure est, sans doute, cc la remise à zéro des compteurs .. par l'effacement pur et simple de la dette. Cependant, cette solution serait inefficace si elle n'est pas accompagnée par de profondes réformes économiques et sociales. En définitive, il apparaît clairement que l'endettement est la conséquence d'un modèle de développement extraverti, coûteux en ressources et insoutenable. Ce modèle appliqué en Afrique de l'Ouest depuis les années soixante est rentré dans une crise grave qui se manifeste dans la baisse de la production par tête d'habitant, la détérioration des revenus et du pouvoir d'achat, la diminution de l'emploi rémunéré et l'élargissement du chômage, l'approfondissement des déficits alimentaires. Parallèlement, les indicateurs sociaux se détériorent par suite de la baisse de la part moyenne des dépenses d'éducation, de santé et de la culture dans les budgets nationaux. La généralisation des Programmes d'Ajustement Structurel depuis plus d'une bonne décennie n'a pas encore réussi à arrêter ce processus de déclin économique et social ainsi que le cycle infernal dans lequel le paiement d'une dette entraîne la formation d'une autre plus volumineuse. 129 Tous ces faits et évolutions ont pris à défaut les théories économiques notamment celles d'inspiration néo-classique qui n'ont pas su expliquer, encore moins prévoir les crises que connaissent les pays en voie de développement comme elles n'ont pu offrir des stratégies et des politiques appropriées, justes et efficaces. En effet, les faibles performances des politiques d'ajustement apportent la preuve des limites des théories économiques libérales et conservatrices. La réthorique des institutions internationales qui se fonde sur un plaidoyer en faveur de la libéralisation des économies, l'apologie du retour à la vérité des prix et aux vertus des mécanismes du marché, la critique acharnée de l'intervention de l'Etat dans l'économie et le vigoureux réquisitoire contre les entreprises publiques, s'avèrent insuffisants à l'explication et à l'action. Dès lors, il semble que la vertu essentielle de ce discours libéral est de rassurer les créanciers sur l'ordre économique et sa capacité à permettre le recouvrement des dettes. Au demeurant, et cela introduit la deuxième question sur les solutions, en l'absence d'un paradigme pertinent et convaincant, nous avons alors formulé des axes de nouvelles politiques sectorielles d'abord en nous fondant sur un ensemble d'idées simples mais cohérentes et ensuite en nous gardant de tout fétichisme économique. Cette direction d'analyse permet de trouver un modèle alternatif aux Programmes d'Ajustement Structurel qui se fonde sur un développement endogène, décentralisé, démocratique et durable. Il s'agit, tout en reconnaissant l'apport décisif de la concertation à l'échelle externe (régionale et internationale), de promouvoir un développement national, de dégager de nouvelles politiques d'accumulation, de réformer les structures et de renverser toutes les tendances régressives. L'endettement dans une économie ainsi assainie devient inoffensif. Les propositions contenues dans le Plan de Lagos améliorées par le CARPAS (Cadre Africain de Référence pour les Programmes d'Ajustement) récemment élaboré par l'intelligentsia africaine sous l'égide de la Commission Economique pour l'Afrique (CEA), recentrent le débat autour de la stratégie du développement endogène et de l'intégration africaine qui seule peut faire que l'avenir de l'Afrique appartienne véritablement aux africains. Cette stratégie s'appuiera sur l'utilisation des ressources et du génie propre des pays, la confiance aux populations et en leur capacité d'organisation et de développement et enfin dans la définition d'objectifs socio-économiques en rapport avec les ressources disponibles et l'environnement. Un tel développement concernera et en conséquence mobilisera le plus grand nombre d'acteurs sociaux qui seront associés à la définition des options et des objectifs de la société. En ce sens, ce sera un développement populaire et démocratique. Les mutations et les changements intervenus au niveau de "économie mondiale, les progrès prodigieux de la révolution scientifique et technique et l'universalisation des régimes démocratiques révèlent que l'humanité est maintenant en mesure de soutenir un développement solidaire et de créer 130 un space économique capable d'accroître la production et d'améliorer le niveau de vie de l'ensemble de la population mondiale. Dans la mouvance de la nouvelle donne économique et politique, il faudra lever, pour l'Afrique, l'hypothèque de la dette afin de lui permettre d'opérer dans les meilleures conditions la restructuration de son environnement économique (ajustement structurel et changement de modèle) et politique (amorce d'une transition démocratique qui a besoin de paix sociale et de sérénité économique), la redéfinition de son modèle culturel (valeurs et identités) et la réalisation de son intégration pour faire face à l'émergence des nouveaux blocs du monde multipolaire et à l'impérative compétition pour équilibrer les comptes extérieurs. 131 TABLE DES MATIERES Introduction Première partie: L'état de l'endettement en Afrique de l'Ouest Chapitre 1- La montée de l'endettement en Afrique de l'Ouest et dans l'UMOA 1) L'ampleur de l'endettement....................................... 2) Les caractéristiques principales de la dette................................. 3) L'endettement commercial et la situation relative des Etats ... ......... 7 19 22 23 28 30 Chapitre Il - Les explications de la massification de l'endettement en Afrique de l'Ouest 1) La précarité des modèles d'accumulation et de développement en Afrique de l'Ouest fondés sur la rente minière ou agricole................. 2) Le recours au système financier international pour la résorption des déséquilibres physico-financiers intenes 3) Le rôle des banques privées dans l'accélération de l'endettement 33 34 Deuxième partie: Facteurs d'accélération et mécanisme de propagation de l'endettement..................................................................... 39 Chapitre 1- Les facteurs internes d'aggravation de l'endettement...... 1) Les modèles de développement 2) Les politiques inefficientes de gestion de la dette et d'allocation de ressources 3) La fuite de capitaux 4) Les autres facteurs internes d'aggravation de la dette.................. Chapitre 11- Les facteurs externes d'aggravation de l'endettement.... 1) L'environnement économique international................................. 2) Les politiques monétaires restrictives, l'augmentation des taux et la surévaluation du dollar 3) Les échanges internationaux et la détérioration des recettes des exportations...... ...... ...... ...... ...... ...... ... ... ...... ...... ...... ...... ...... .... Chapitre III - La nature de la crise de l'endettement: crise de liquidité ou crise d'insolvabilité.............................. 31 32 43 44 46 47 48 50 50 52 54 58 133 Troisième partie: Politiques d'ajustement ou changement de modèle de développement...... .. Chapitre 1- Les modèles d'ajustament et de stabilisation préconisés par les institutions financières internationales................................. 1) Les politiques d'ajustement et de stabilisation préconisés par les institutions financières internationales...... 2) Les politiques d'ajustement et de stabilisation préconisées par le FMI.................................................................................... 3) Les limites pratiques des politiques d'ajustement...... ...... a) Les coûts économiques et sociaux des politiques d'ajutement b) Les résultats économiques des politiques d'ajustement 4) Les limites théoriques des politiques d'ajustement............ 70 77 78 81 83 Chapitre Il - 88 Les axes d'une autre stratégie de développement......... Chapitre III - La solution interne: le changement de modèle de développement et d'accumulation...... a) Les prémisses pour un développement endogène et autocentré 1) L'aspect institutionnel............................................................ 2) Les fondements d'une nouvelle logique d'accumulation productive.. b) La réorganisation des politiques sectorielles 1) Au niveau de l'agriculture......... a) Une autre orientation de l'agriculture au double niveau des productions et des structures b) L'organisation sur des bases claires et non bureaucratiques de la coopération agricole.................................................................. c) La réalisation programmée d'une insfractructure de base nécessaire à l'expansion et à la diversification de la production agricole......... ..... d) Une planification du perfectionnement des techniques agricoles et de l'utilisation généralisée des facteurs modernes de production agricole...... . e) Une politique adéquate de crédit agricole f) Une politique de prix suffisamment incitatrice pour les grands produits agricoles 2) Au niveau de l'industrie........................ 3) Au niveau des relations économiques internationales Chapitre IV - Les propositions d'action au niveau international... 1) A l'échelle internationale............ 2) Les améliorations du PAL: la contribution de la BAD 3) Solution régionale: l'action essentielle doit être la concertation pour l'instauration d'une division régionale du travail... ......... ...... ........ ..... Conclusion générale 134 63 65 69 93 93 93 95 103 103 104 104 104 105 105 106 107 109 111 111 117 119 127 Impressions DUMAS - 42100 SAINT-ÉTIENNE Dépôt légal: 4' trimestre 1992 N° d'imprimeur: J 1152 /1111'1';11,1 l'II FrmlCe ENDETIEMENT ET POLITIQUE ECONOMIQUE EN AFRIQUE DE L'OUEST L'endettement est dans la turbulence et les désordres actuels du système économique et financier mondial, un sujet complexe de controverse, de désarroi et d'alarme pour les théoriciens du développement. les experts, les débiteurs et les divers créanciers. Bien que la dette africaine n'atteigne pas encore des proportions impressionnantes, ni même l'acuité de celle de l'Amérique Latine elle n'en demeure pas moins spectaculaire par sa croissance exponentielle, ses changements remarquables de structure et les perspectives incidentes d'insolvabilité qu'elle annonce. A partir du cadre de l'Afrique de l'Ouest, ce livre évalue la montée rapide de l'économie d'endettement, analyse les facteurs et les mécanismes d'accélération et d'aggravation de la dette et apprécie les diverses propositions de solution. La généralisation du recours à l'emprunt pour le remboursement de l'emprunt a fait progressivement entrer la quasi totalité des Etats africains dans le dispositif de tutelle des institutions financières internationales et des bailleurs de fonds qui ont partout poussé à la mise en place de programmes d'ajustement imposant une éprouvante austérité pour rembourser la dette extérieure par la relance de la production et de la croissance. Après plus d'une décennie de politique d'ajustement, il devient important de s'interroger sur les performances des programmes appliqués et sur leur capacité à relancer la croissance et à générer des ressources permettant aux pays d'honorer leurs engagements. Cet ouvrage n'est donc pas un bilan clos de l'endettement, encore moins un catalogue de solutions prétentieuses, il est le produit d'une recherche qui soulève des questions et apporte quelques débuts de réponses concernant les solutions alternatives à l'endettement. Moustapha Kassé est professeur agrégé d'Economie à l'Université Cheikh Anta Diop où il a dirigé, pendant plus d'une décennie. le Département des Sciences Economiques. Il enseigne dans plusieurs universités africaines et européennes et il est, actuellement. Directeur du Centre de Recherches Economiques Appliquées (CREA). Il a publié plusieurs ouvrages sur les économies africaines, dont le dernier en date est" Crise économique et Ajustement structurel au Sénégal >J. ISBN: 2·87693-018·8