Émergence et industrialisation Rosa Luxembourg.

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Fondation Rosa Luxembourg
Dakar le 05 Avril 2014
QUELLES TRAJECTOIRES VERS
L’EMERGENCE?
Les enjeux de l’industrialisation au Sénégal.
Professeur Moustapha Kassé
Doyen Honoraire Faculté des Sciences Economiques et de Gestion
Président de l’Ecole de Dakar
Membre des Académies de Sciences et Techniques
du Sénégal et du Maroc
Officier de l’Ordre National du Lion
Officier des Palmes académiques
www.mkasse.com
05 Avril2014
Je vous invite à méditer ces trois citations:
1.
Antonio GRAMSCI: « La façon d'être du nouvel intellectuel ne peut
plus consister dans l'éloquence, (...) mais dans le fait qu'il se mêle
activement
à
la
vie
pratique,
comme
constructeur,
organisateur,"persuadeur permanent" parce qu'il n'est plus un
simple orateur - et qu'il est toutefois supérieur à l'esprit
mathématique abstrait »
2.
Nelson MANDELA : « Une vision qui ne s’accompagne pas d’action
n’est qu’un rêve. Une action qui ne découle pas d’une vision, c’est du
temps perdu. Une vision suivie d’action peut changer le monde ».
3.
Aimé CESAIRE: « Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué
savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement,
l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme ».
1
Propos préliminaires, réactiver le débat
qui fortifie la démocratie pluraliste.
1. Aujourd’hui, l’espace médiatique est monopolisé par les politiciens qui
distillent des discours d’une remarquable médiocrité. Il n’en était pas ainsi
dans les années 70 et 80 avec l’occupation de la scène par des débats
animés par des organisations comme le CND, le GRESEN, le Dialogue 93, le
CPD, le Forum Civil et beaucoup d’autres associations savantes.
2. Pourtant, le débat est la condition de l'élaboration d'un diagnostic partagé et
d'un projet dont chacun perçoit le sens, parce qu'il a été associé à sa
construction.
3. Dans ce cadre il faut déplorer la splendeur et la décadence des élites
africaines et sénégalaises, à l’inverse, leurs homologues asiatique ont
construit en l’intervalle d’une génération de redoutables machines
économiques et financières.
2
I/Quelle signification donnée au nouveau concept
de l’émergence?
L’émergence est devenue un référent que l’on utilise de façon abusive sans la définir,
sans établir ni sa substance, ni la grammaire en conséquence on la fétichise ce qui
ne facilite pas le débat. Qu’y a-t-il derrière cette notion assez récente et peu discutée
dans la littérature académique et qui se présente à la fois comme un concept flou,
polysémique et à très forte connotation idéologique. Elle a la prétention de dépasser
les insuffisances des quelques lexiques caractérisés autrefois les pays en
développement comme : les pays sous-développés, les pays en développement, les
pays du sud, les pays du Tiers-monde, les pays pauvres etc.
Au-delà de son utilisation généralisée dans les discours de mobilisation économique
de quelques pays africains dont le Sénégal, il faut questionner la notion par delà la
logique financière qui avait présidé à sa genèse. Deux interrogations se posent:
 La première est une interrogation d’économie normative : Quelle est l’économie politique de
l’émergence et ses liens avec l’Economie du Développement?

La seconde est d’économie positive: Comment mettre en œuvre les trajectoires de
3
changements économiques, politiques, institutionnels
et sociaux? Bien souvent, on sait, ce qu’il
Cette dernière interrogation renvoie à l’élaboration et à la gestion
de politiques économiques, financières et sociales d’une nouvelle
croissance rapide, au taux le plus élevé possible compte tenu des
ressources disponibles, une croissance qui soit à la fois
harmonieuse et débarrassée de toute fluctuation trop forte en
hausse comme en baisse, une croissance innovante et plus
solidaire qui règle la trilogie infernale précarité, pauvreté et
chômage. Cela nous renvoie au fameux carré magique des
problématiques du développement qui se résument comme suit :
1. Les tendances lourdes qui vont façonner l’avenir de la société.
2. Les opportunités productives et les politiques sectorielles pour
les exploiter.
3. L’ atténuation du degré de vulnérabilité liés aux divers chocs
exogènes.
4. La
mobilisation des agents les plus potentiellement
dynamiques pour la réalisation des politiques.
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II/ L’industrialisation comme pivot des politiques
sectorielles dans les économies émergentes?
Au lendemain des indépendances, l'élite africaine, chercheurs, techniciens
comme décideurs croyait que l’émancipation économique du continent
passerait par une industrialisation volontaire et rapide. Cette conception
s’appuyait à la fois sur les théories tiers-mondistes en cours en Amérique
Latine et l’insolente réussite des pays comme le Japon et plus tard les
dragons d'Asie qui seront les pays émergents.
Malgré plusieurs expériences (Plan de nagos, les 2 DDI), l’Afrique est restée largement
sous-industrialisée et semblait alors condamnée à n’être qu’un réservoir de matières
premières d’origine agricole et minière. Dans ce cadre, les politiques industrielles
étaient bloquées par une puissante machine idéologique qui véhiculait deux idées :
 La première est formulée par la Banque mondiale et ses partisans qui
estimaient, jusqu’à la fin des années 90, qu’une politique industrielle n’est pas
nécessaire pour le continent africain, dans la mesure où le marché mondial
peut fournir à ces pays, aux moindres coûts, les produits manufacturés dont ils
ont besoin.
 La seconde idée émane de certains théoriciens qui considèrent qu’avec la
mondialisation la nature
même de l’industrialisation a, aujourd'hui,
radicalement changé : l’industrialisation est péremptoirement déclarée hors de
portée des pays africains.
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Toutefois, la crise de l’économie mondiale et la recomposition multipolaire, l’échec
des politiques néolibérales qui avaient éteint tous les moteurs de la croissance et
coupé les bras de l’Etat, permettent aujourd’hui d’entrevoir un nouvel horizon
industriel qui place ce secteur au centre du jeu économique. C'est le moment pour
l’Afrique de saisir les nouvelles opportunités avec l’achèvement de la domination
absolue de l’Occident, européen puis américain. Celle-ci n’aura duré que deux
siècles (le 19ème et le 20ème). C’est la révolution industrielle et la prédation des
matières premières des pays du Sud qui avaient permis à l‘Europe de dominer le
système productif mondial.
Aujourd’hui, l’Europe est progressivement rattrapée puis distancée par d’autres
zones géographiques : hier par l’Amérique du Nord et présentement par l’Asie et les
pays émergents avec le basculement de la richesse industrielle, financière et
technologique mondiale: d’ici 2030, plus de la moitié de la production mondiale se
fera en Asie et plus de la moitié des biens échangés le seront également avec la
même région. La Chine deviendra la première puissance.
Dans le contexte des années de l’indépendance, Il était affirmé que
l’industrialisation africaine c’est pour plus tard exactement ce que l’on
disait, il y a 50 ans de pays comme la Chine et la Corée du Sud qui sont
devenus, aujourd’hui, par l’industrialisation des pays émergents et qui ont
crée en l’intervalle d’une génération un cadre favorable à l'accumulation de
richesses avec conséquemment la résorption de la pauvreté et de l’emploi.
C’est dire que l’Afrique a pris 50 années de retard qu’il faut rattraper.
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Sommairement, la production de richesses est fonction de matières
premières, de la quantité d’outils et de matière grise dont les bras de
l’homme sont « assistés » dans le travail productif. Or nous naissons tous nus
et incultes et passons par un âge de la pierre. Par la suite, ce sont ces
dotations qui feront la différence des performances économiques et sociales.
III/ Qu’en est-il pour le Sénégal ?
Au lendemain de son indépendance en 1960, le Sénégal comptait parmi les pays les mieux dotés
en infrastructures industrielles de toute l’Afrique Occidentale Française (AOF). Son niveau sur
beaucoup de points était comparable à un pays comme la Corée
Le schéma industriel construit par l’Etat volontariste et développeur comportait 4 filières
déterminantes:
1.
Celle des agro industries qui valorisent toutes les chaines de valeur et développent les
interdépendances avec l’agriculture, la pêche AFRICAMER) et l’élevage. Quatre filières
intégrées comme le textile (SOTIBA-SIMPAFRIC), l’huilerie (LESIEUR, la SEIB), la
transformation des fruits et légumes et l’industrie cuir et peaux (BATA)
2.
Celle des industries pétrochimiques et énergétiques avec deux grandes unités : les ICS, la
SAR et la cimenterie.
3.
Celle des industries de valorisation de la façade maritime avec Dakar Marine et le
développement du tourisme balnéaire avec la constitution des Zones d’expansion
touristique etc.
4.
Des institutions de financement et d’encadrement des PME et PMI : la BNDS, la
SOFESEDIT, l4union Sénégalaise des Banques, la Banque sénégalo Koweitienne, la Banque
Commerciale du Sénégal, la SONEPI .
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Pareille stratégie avait permis l’émergence des pays asiatiques comme
la Corée qui avaient, dans les années 60, de bien moindre dotations
factorielles naturelles. D’ailleurs, nous avons établi l’état comparatif
des situations de départ entre la Corée, le Sénégal et la Côte
d’Ivoire.
En plus, ce schéma s’il était mis au cœur des politiques économiques
devrait amener l’exploitation des potentialités de croissance de nos
terroirs et désengorger Dakar. La décentralisation par polarisation
était possible.
Au bout du compte, les mécanos du néolibéralisme avec
les PAS (la fameuse trilogie libéralisation, privatisation et
dérégulation) ont complètement démantelé le schéma
industriel, au moment même où l’extension du système
éducatif et la démographie galopante augmentaient, à
un rythme effréné, les demandes d’emploi et la
dégradation de la condition sociale.
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Ces recettes néolibérales qui visaient la construction du
capitalisme sans développer une classe entrepreneuriale
locale ont éteint tous les moteurs du système productif par
liquidation des politiques sectorielles et des entreprises
appelées à les réaliser (plus de trois cents). En détruisant les
usines, elles ont mis dans les rues des milliers de travailleurs.
A partir d’une évaluation complète, nous avons tenté de
reconstruire les fondements d’un nouvel horizon industriel
avec l’élaboration de stratégies qui exploitent toutes les
opportunités de la géopolitique et de la géostratégie
mondiale.
Que faire, nous avons construit, en partant des expériences,
un modèle qui gravite autour de 5 piliers qui doivent être
techniquement articulés:
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1,Faire de l’industrie un enjeu national pour reconstruire sa
réémergence par valorisation des dotations factorielles à partir
des innovations et des technologies offertes par la R&D, de
dispositifs organisationnels innovants et d’acteurs dynamiques
(PME et PMI) pour porter la politique industrielle.
2.Etablir les supports institutionnels (clusters et pôles de
compétitivité) et financiers (système financier flexible et de
proximité) d’appui à la politique industrielle ?
3.Créer des externalités positives dans les domaines de
infrastructures routières, énergétiques et hydraulique et celui de la
formation des ressources humaines.,
4.Promouvoir une politique sociale fondée sur 2 principes justice
sociale (équité) et égalité de chance ?
5. Rompre avec le modèle de consommation extraverti et soutenir
le patriotisme économique (préférence nationale)
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Quelle conclusion ?
Nous situant dans la problématique dans les trajectoires de l’émergence , il faut
scruter le PSE qui par rapport à nos recherches manque terriblement
d’ambition. Il est possible comme nous l’avons montré en mobilisant la
communauté nationale et le partenariat mondial à une croissance qui dépasse 2
chiffres.
Pour y arriver, il faut un Etat fort, démocratique, actif et capable d’impulser et
d’organiser la société, de créer des externalités positives au niveau des
infrastructures de base (routes, énergie, école, assainissement), de guider et
coordonner les politiques sectorielles (industrielles, agricoles et des services
technologiques et financiers pour accroitre l’offre de production), d’encadrer les
institutions de financement du développement, de promouvoir, appuyer et
impliquer le secteur privé, de défendre un patriotisme économique clairvoyant
et enfin de mettre en œuvre une politique sociale qui, au-delà de la justice
sociale et de l’égalité des chances, se fixe de combattre le triple fléau de la
précarité, du chômage, de la pauvreté et. Les chantiers sont phénoménaux,
l’industrialisation doit être un des pivots.
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MERCI CHERS AMIS
Nous espérons votre participation massive au Colloque que le
LARED et l’ASE-Ecole de Dakar organisent du 22 et 24 Avril 2014
à l’Hôtel KING FAHD
Le thème:
« Un nouvel élan industriel pour
l’Afrique. Quels enjeux pour le
Sénégal ? »
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Les obstacles institutionnels et les contraintes que les stratégies doivent
lever. Il concerne
1°) L’absence d’un Etat « Pro » dans le modèle asiatique qui se traduit par
l’absence d’une stratégie et politique industrielle cohérente fondée sur
l’exploitation des tous les atouts notamment l’orientation des secteurs
miniers et pétroliers vers la transformation sur place de sorte que la valeur
ajoutée finale se réalise en tout ou partie dans les économies nationales.
2°) L’inexistence d’une fiscalité des entreprises industrielles comportant de
véritable préférence pour les PMI .
3°) L’absence d’un environnement juridique et réglementaire offrant des
garanties aux investisseurs nationaux et étrangers.
4°) L’inexistence d’une infrastructure de base pour éviter au pays les goulots
d’étranglement tels que le manque d’eau et d’énergie à prix compétitif.
5°) Absence d’un marché financier actif et ouvert et de systèmes financiers
de proximité de façon à ce que chaque catégorie d’entrepreneur privé puisse
s’adresser à une institution financière adaptée à ses besoins de croissance ou
de diversification
6°) Absence d’un ordre économique et monétaire régional capable de créer
des projets intégrateurs produisant des externalités positives pour les Etats
membres.
7°) Absence de données fiables qui soient à la disposition des investisseurs à
la recherche d’opportunités de placer leurs capitaux
8°) La création d’un esprit entrepreneurial
9°) Absence d’un patriotisme économique qui accentue le déseéquilibre
commercial.
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Pourquoi s’industrialiser ? En effet, la performance économique
mondiale, ces dernières années, montre que l’industrialisation, et en
particulier l’industrie manufacturière joue un rôle capital dans le
développement général des nations. Les pays dotés de secteurs
hautement industrialisés, connaissent une croissance économique plus
grande, créent des emplois en plus grand nombre et réduisent
considérablement l’incidence de la pauvreté.
A cet égard, l’industrialisation est conçue, pas seulement comme un
moteur de la croissance, mais un élément de la transformation socioéconomique, technologique et financière qui permet à un pays en
développement d’accéder au statut d’économie de marché développée.
Le développement économique d’un pays est aujourd’hui basé sur le
dynamisme de son secteur industriel. Aussi l’industrie doit-elle être
classée au premier plan de tout programme d’action en faveur du
développement d’un pays. Elle ne doit pas être considérée comme une
priorité mais la priorité car les pays développés sont tous industrialisés
et les pays en développement le sont moins.
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