C i n q

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Cinquante ans de politiques publiques en Afrique de l’Ouest et
la crise persiste toujours.
Par
Professeur Moustapha Kassé
Doyen Honoraire de la FASEG et membre des Académies
www.mkasse.com [email protected]
Introduction
L’indépendance des années 60 était attendue avec enthousiasme et
beaucoup d’espérance. Elle devait pensait-on permettre aux pays de s’engager
dans un développement accéléré autour de trois objectifs: l’élévation du niveau
des forces productives matérielles, la réduction des déficits extérieurs et de la
dépendance et l’amélioration du niveau de vie des populations. 50 années après,
malgré quelques succès notables mais encore limités, ce sont les désillusions avec
la dégradation des indicateurs économiques et sociaux et la montée de la pauvreté
de masse.
Le diagnostic chiffré est apocalyptique : parmi les 49 pays les moins avancés
(PMA), les 35 sont en Afrique Sub-saharienne ; sur une population totale d’un peu
moins de 1 milliard, plus de la moitié est dans la pauvreté absolue; plus de 50% de
la population est âgée de moins de 20 ans et le taux de chômage atteint un niveau
record. Plus de 50% de la population résident dans les campagnes en sous-activité
criante : les paysans y travaillent en moyenne 600 heures par an quand leurs
homologues d’Asie font 10 ou 15 fois plus.
L’Afrique subsaharienne est presque aussi pauvre aujourd'hui qu'au moment
des indépendances. Pour toutes ces raisons et sans doute bien d’autres, elle est le
siège d’instabilités qui bloquent sérieusement son décollage.
Les difficultés actuelles des économies ouest africaines
dont la
manifestation la plus tangible réside dans la persistance de déséquilibres internes
et externes, trouvent leur origine lointaine dans les bouleversements des structures
économiques intervenus durant la période coloniale. Ces changements ont imposé,
partout en Afrique de l’Ouest, un mode spécifique de valorisation conforme à la
logique de la division internationale du travail. Cette situation, malgré la crise de
l'ordre économique et monétaire mondial des années 70 et la persistance d'un
cycle de sécheresse, dans la bande sahélienne, sera gérée par la mise en place
de plusieurs politiques publiques qui n’ont pas réglé pour l’essentiel la sortie du
sous-développement.
Modelé et inséré dans l'économie mondiale fortement productiviste,
les pays d’Afrique de l’ouest, du fait de leur spécialisation régressive dans des
productions primaires à faible valeur ajoutée locale, présentaient le double
handicap de ne pouvoir ni accélérer la constitution d'un important fonds
d'accumulation à l’échelle des nations, encore moins de promouvoir un
développement équilibré, autonome et autoentretenu. Une analyse plus structurelle
et donc plus approfondie, pour bien appréhender les crises et les ruptures au
niveau de ces économies, commande de remonter à la racine, c'est-à-dire à
l'organisation socio-économique standard dont les fondements remontent à la
colonisation. Ce modèle repose sur quatre(4) éléments caractéristiques qui, de nos
jours, persistent encore pour l’essentiel :
La forte sensibilité de la croissance aux variations de la Production et de
l'exportation des produits de rente ;
1
L’utilisation insuffisamment productive des ressources tirées de la rente
agricole et minière et des apports extérieurs (Aide Publique au
Développement) ;
La répartition fortement inégalitaire des revenus au profit des élites et
des hyper consommations urbaines ;
L’extrême vulnérabilité des économies à l’égard des variables exogènes
comme les variations erratiques du climat qui conditionnent l’instabilité
des productions physiques, des cours mondiaux des matières premières
qui déterminent le niveau de la rente agricole et minière et les
turbulences du système monétaire international qui commande les
évolutions des taux d’intérêt.
Cette organisation sociale produit une double extraversion structurelle qui
caractérise les économies ouest africaines contemporaines : l'extraversion du
système productif essentiellement orienté vers la satisfaction prioritaire de la
demande extérieure et celle de la structure de consommation marquée par des
importations massives et couteuses de produits alimentaires et de biens
manufacturés non localement fabriqués. Il en découle une distorsion entre
capacités de production et capacités de consommation. Sur le plan monétaire,
concernant les pays francophones, cette logique économique a été
accompagnée par la surévaluation structurelle du franc CFA. Dès lors,
l'ensemble de la zone africaine francophone étaient artificiellement soustraite de
la concurrence que les autres pays industrialisés économiquement plus performants
pouvaient éventuellement livrer à la France sur ces marchés captifs.
Subséquemment, ces derniers servaient de débouchés relativement faciles pour les
exportations industrielles françaises.
Quelles sont les politiques publiques qui ont été appliquées depuis 50 ans ?
I/ L a g esti on d u d év eloppemen t et l es
publi que s au l en d emain des ind épend anc es.
pol i ti ques
En accédant à l’indépendance en 1960, la plupart des pays francophones
d’Afrique de l’Ouest comptabilisait plus d’un siècle de domination coloniale directe
qui les marquait politiquement, économiquement, socialement et culturellement.
Ils ont hérité de la colonisation d’une agriculture spécialisée dans la production des
cultures de rente et des cultures vivrières exsangues, d’un tissu industriel
encore embryonnaire et d’un secteur tertiaire (commerce, assurance, banques,
transports) contrôlé essentiellement par le capital privé étranger. Les
infrastructures de base étaient nettement insuffisantes et les cadres
nationaux peu nombreux. Devant l'immensité des tâches de construction
d'une nation jeune et nouvellement indépendante, et tenant compte du très
faible niveau de développement des forces productives matérielles et humaines,
de l’inexistence d’un secteur privé et d’une bourgeoisie nationale, l'Etat décida de
prendre en charge la promotion du développement, occupant progressivement une
position stratégique dominante dans toutes les sphères de l’économie nationale.
C'était le début de la mise en place des institutions de "l'Etat développeur".
La planification fut adoptée comme devant être l’instrument qui définit les
tâches et objectifs du développement ainsi que les moyens de les réaliser. Elle doit
fixer les ressources à mobiliser et déterminer les délais de réalisation des
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objectifs ; elle devient un instrument essentiel de régulation et de direction de la
vie économique et sociale.
Les objectif déclarés et poursuivis par les politiques publiques étaient: 1)
d'élever rapidement et substantiellement le niveau des forces productives
matérielles et humaines en récupérant le surplus économique jusque-là accaparé
par le capital étranger et en le réinvestissant ; 2) d'élargir la base productive
interne. Il devait théoriquement en résulter l'amorce d'un processus cumulatif et
irréversible d'accumulation productive et de développement soutenu de
l'économie.
1°) La gestion du développement par l’Etat développeur
La majorité des dirigeants ouest africains avaient opté pour des stratégies du
développement qui s’inspiraient des grandes idéologies de l’époque : l’option
capitaliste libérale (Côte d’Ivoire), l’option socialiste (Mali, Guinée et Ghana) et le
socialisme africain(Sénégal). Toutefois, ils étaient tous d’accord pour des
politiques publiques endogènes ; autocentrées et auto entretenues qui devraient
engendrer un processus soutenu de croissance économique.
Quelle que soit la nature des options, l'Etat était amené à occuper des
fonctions exorbitantes et à jouer les premiers rôles au plan administratif,
économique et social, même s'il n'en avait manifestement pas ni les traditions, ni
les moyens matériels et humains. Cette intervention massive dans le double
appareil technico-économique et politico-administratif était justifiée par six séries
de raisons à savoir :
le souci d'un meilleur contrôle sur les grands services d'utilité publique en
vue de rendre fluide et transparent le jeu des mécanismes économiques
et monétaires ;
la main mise grandissante sur les secteurs clés de l'économie d'abord pour
améliorer leur fonctionnement et ensuite pour en faire des instruments
d'accumulation productive pour le financement du développement et des
facteurs sociaux ;
la volonté de disposer d'instruments opérants d'action et de gestion de la
stratégie du développement ;
la volonté de promouvoir et de contrôler la réalisation de certains projets
importants pour l'ensemble de l'économie nationale mais dont le
financement n'est pas 'à la portée du secteur privé et de l'initiative
individuelle ;
le contrôle de certains établissements bancaires et financiers en vue
d'orienter le crédit et sa répartition en fonction des priorités retenues
dans la politique de développement;
le contrôle des secteurs d'importation et de commercialisation des
denrées alimentaires pour éviter les pénuries et la spéculation.
La réalisation de ces tâches économiques avait fini par entrainer la
constitution d'un vaste secteur public et para-public dont la gestion s’est avérée,
par la suite, désastreuse pour les ressources financières de l'Etat. Ainsi, on a
observé, dans la période 1970-1980, des faillites retentissantes d'entreprises
publiques entrainant des conséquences financières et sociales très lourdes et des
déficits qui ont été couverts par des subventions budgétaires.
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Ces charges sont venues se greffer au déficit croissant de la balance
commerciale découlant d'une part de l'élévation des dépenses d'importation de
produits vivriers et pétroliers et d'autre part de la baisse de valeur des exportations
par suite d'une détérioration des cours et d'une baisse de production.
2°) Les politiques sectorielles ont été à la fois mal conçues et
inappropriées.
Les politiques agricoles mises en œuvre depuis 1960, aggravées par le poids
de divers facteurs exogènes (fluctuations pluviométriques, attaques biologiques),
ont installé, partout en Afrique, une crise agro-alimentaire dans les campagnes.
L'exode rural qui s'en est suivi a contribué à vider les zones rurales de leurs bras
valides. Or, au même moment, les faibles performances enregistrées au niveau du
secteur industriel n'ont pas permis de résorber cette main-d’œuvre additionnelle
issue du milieu rural. Il ne restait plus à celle-ci que la seule possibilité d'un
reversement direct (et sans transition) dans le tertiaire, généralement informel,
spontané et non structuré.
Dans le secteur industriel, l'option d'une politique d'i ndustrialisation
substitutive aux importations juxtaposée à la création d’enclaves
industrielles que constituent les exploitations minières, n'a pas favorisé la
mise en place d'un véritable tissu industriel suffisamment intégré au reste
de l'économie nationale.
Quant au secteur tertiaire, son hypertrophie anormale attestait
particulièrement de l'incapacité des deux premiers secteurs à absorber
efficacement le flux additionnel de main d'œuvre qu'implique la croissance
démographique.
Enfin, au niveau du quaternaire, si d'appréciables efforts ont été
réalisés en matière d'éducation, de formation et de santé, d'énormes
besoins restaient encore à satisfaire et seront de plus en plus limités dans
leur réalisation par les contraintes budgétaires draconiennes auxquelles
les pays devraient faire face.
En effet, toutes les caractéristiques défavorables ci -dessus
énumérées et amplifiées par le dérèglement économique et monétaire
international du début des années 70, précipiteront les pays d’Afrique de
l’Ouest dans un cycle ininterrompu de déficits et de déséquilibres de
divers ordres dont le caractère éminemment structurel commence à être
de mieux en mieux perçu.
La persistance de ces déséquilibres économiques et financiers et
particulièrement le double déficit de la balance des paiements et des
finances publiques, débouche inéluctablement sur la montée de
l'endettement extérieur qui sera amplifié par l'utilisation peu efficiente
des emprunts conjuguée à un durcissement des conditions d'emprunt . Cette
situation ouvre la double problématique de la crise de paiements et de
solvabilité.
II/ Crise mondiale, montée des déséquilibres et ajustement
structurel.
La fin des années 60 coïncide avec l'effritement tendanciel du modèle
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économique de type "fordien" et se manifeste notamment par:
la baisse continue des gains de productivité au niveau de l'activité
économique ;
l'accroissement soutenu de la part du travail improductif ;
et l’épuisement de la norme de consommation de masse axée pour
l'essentiel, dans les pays développ és, autour de l'automobile,
l'immobilier et les appareils électroménagers.
1°) De la crise mondiale à l’essoufflement des économies de
rente : l’ajustement à la division internationale du travail.
Cet essoufflement de la croissance "fordienne" s'accompagne, au début des
années 70, de deux événements majeurs : d'une part, la suppression de la
convertibilité illimitée du dollar US en or, à partir du 15 août 1971, qui met ainsi
fin à 26 ans de stabilité monétaire internationale, et d'autre part, l'avènement du
premier "choc pétrolier" qui s'est manifesté sous la forme d’un relèvement massif
et inattendu du prix du baril de pétrole par les pays membres de l'OPEP en
octobre 1973.
Cet éclatement de la crise économique mondiale des années 70-80, en
déréglant le système économico-financier international, viendra extérioriser toutes
les faiblesses structurelles des économies ouest africaines, notamment :
la non émergence d'une agriculture performante capable de satisfaire
une demande alimentaire fortement croissante et d'améliorer le pouvoir
d'achat du monde rural ;
la persistance d'une industrie mono polaire peu compétitive et fortement
protégée ;
l'avènement d'un sous-emploi de plus en plus massif qui a ff e c t e
p a rt i c u l i è re m e n t
les
jeunes
et
p ro g re s s i v e me n t
va
s ’ é t e n d re a u x d i p l ô m e s d u s y s t è me
d ’ e n s e i gn e m e n t
s u p é r i e u r et de formation ;
l'hypertrophie du secteur public et parapublic caractérisée par les
pesanteurs d'une bureaucratie lourde et paralysante ayant une forte
propension à élargir ses privilèges en contribuant ainsi à accentuer les
déficits chroniques et cumulatifs des finances publiques et de la
balance des paiements.
Dans ce contexte, les pays d’Afrique de l’Ouest frisent la catastrophe en
traversant une triple crise économico-financière, agro-alimentaire et
d’endettement ; cela va alors entrainer une détérioration de la situation politique
et sociale et une fragilisation des Etats.
Les Institutions Financières Internationales (FMI, Banque mondiale) devenues
les principaux bailleurs de fonds des pays d’Afrique vont intervenir massivement
dans le débat sur le développement en dédoublant leur pouvoir financier par un
pouvoir intellectuel servi par une très forte concentration d’experts autour d’une
épure qui forme le fameux « consensus de Washington » fondement des fameux
programmes d’ajustement structurel (PAS) qui seront imposés à tous les pays sans
aucune exception.
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2°) Les réformes et programmes inspirés par la Banque
mondiale et le FMI pour sortir de la crise : the same size for
all.
L’épure de l'ajustement s'inspire de la théorie néo-classique et de la
doctrine libérale: théorie quantitative de la monnaie, théorie des parités de
pouvoir d'achat et théorie des coûts comparatifs. A partir de ce fond doctrinal, le
FMI élabore une politique générale d'ajustement qui a la prétention d'être valable
pour tous les pays confrontés à des déséquilibres macroéconomiques : the same
size for all. Le caractère universel de ces solutions procède du fait que pour le
FMI, tous les pays africains ont un mal identique: les difficultés de balance des
paiements et celles des finances publiques. Ainsi, les économies sont considérées
comme des « boîtes noires » qui réagissent de façon uniforme aux mêmes
stimulants : salaire, prix, taux d’intérêt, taux de change. Cette épure permet de
mieux comprendre les divers enchaînements des réformes préconisées par le FMI
pour atteindre les grands équilibres. Il est imparti à la Banque mondiale la
responsabilité de créer le cadre institutionnel incitatif, de réformer tous les
centres de pouvoir pour accompagner la mise en œuvre des politiques sectorielles
et d’imposer la bonne gouvernance considérée comme la capacité institutionnelle
de gestion des affaires publiques.
Toutes les politiques publiques sont désormais articulées autour de la
priorité accordée aux équilibres financiers internes, aux exportations (dans une
conjoncture de re st rict ion de la De man de au No rd e t de la montée du
protectionnisme), à la manipulation des taux de change (dans une période
d'instabilité et d'érosion monétaire), au désengagement de l'Etat et à l'ouverture
plus grande à l'initiative privée (au moment où l'Etat libéral devient du fait de la
crise, un instrument de régulation et de relance par ses importants déficits et
le gonflement de sa demande).
Globalement, on peut résumer tout le processus d’ajustement en deux
séquences temporelles aux objectifs spécifiques: le volet de court terme et le
volet de moyen et long termes. Concernant le volet court terme, on peut observer
que, dans la courte période, et en raison de l'ampleur des déséquilibres
enregistrés, les autorités nationales ont principalement axé leurs efforts sur la
maîtrise de la demande intérieure et son adaptation à l'offre de ressources
disponibles. Le but visé est le rééquilibrage de la balance des paiements courants
ainsi que celui des finances publiques. Il fallait réduire la pression exercée par le
besoin de financement de l'Etat sur les crédits à l'économie destinés au soutien de
la production intérieure. Au niveau budgétaire, il est recommandé de comprimer
les dépenses courantes, notamment en gelant le recrutement de personnel dans la
fonction publique, en initiant des départs volontaires des agents antérieurement
en poste, en évitant de les remplacer et en supprimant la quasi-totalité des
subventions publiques. Parallèlement, les entreprises publiques doivent être
restructurées ou privatisées et les exemptions fiscales et douanières ont été
réduites voire supprimées. Des efforts sont engagés en vue d'améliorer le
recouvrement des impôts et de fiscaliser, à terme, le secteur non structuré.
A propos du volet moyen et long terme, il est constitué d’une série
d'initiatives et de mesures mises en œuvre par le Gouvernement et destinées à
éliminer les goulots qui étranglent l'appareil de production et à libérer ainsi les
capacités d'offre. Dans ce sens, les programmes d'ajustement vont être orientés à
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partir de la fin des années 80 vers la recherche de la croissance de l'activité grâce
à l'instauration progressive d'une plus grande concurrence intérieure, à
l'abaissement du coût des facteurs techniques de production et à la conquête des
marchés extérieurs.
3°) Les impasses et la faillite de l’ajustement structurel :
trois décennies perdues pour le développement.
Les PAS se sont d’abord donnés comme objectif l’assainissement des
économies et la restaurer un cercle vertueux de croissance par élimination ou
réduction des déficits internes et externes, compression de la demande,
suppression des distorsions pour le fonctionnement des marchés, privatisation et
promotion du secteur privé. Même si les modalités des réformes imposées
changent considérablement dans le temps, les objectifs sont restés permanents.
En fait la succession des programmes établit que l’assainissement ne finit jamais.
Ce qui fait dire à Mac Kinnon que « la libéralisation des économies ressemble à la
traversée d’un champ de mines ; chaque pas risque d’être le dernier ».
En définitive, après trois décennies d’ajustement, on peut observer sans
conteste l’incapacité de ces politiques à sortir les pays de la crise et amorcer un
cycle vertueux de croissance saine et durable. A l’analyse, les indicateurs
économiques les plus caractéristiques montrent que les résultats sont dérisoires.
La croissance n’est toujours ni assez soutenue ni suffisamment forte
pour éradiquer la pauvreté rampante. Les PAS n’ont pas réussi à initier
de nouvelles dynamiques de croissance durable : sur une période
suffisamment longue (1970-2000) et même dans les moments les plus
favorables (immédiat post-dévaluation), la croissance est presque un
pari perdu : elle n’a pas permis une amélioration appréciable du bienêtre national ni contribué à l’éradication de la pauvreté.
Les déficits internes et externes demeurent toujours chroniques.
L’endettement est toujours insoutenable.
Les coûts sociaux deviennent excessifs.
Les réformes ne sont pas internalisées par les acteurs.
En définitive, la Banque mondiale (1993) reconnaît elle-même, que le
processus d’ajustement interne suivi en Afrique n’a pas donné les résultats
escomptés même les plus modestes. Les divers plans à moyen terme de
redressement économique et financier ainsi que les documents cadres de politique
économique n’ont guère pu corriger les déséquilibres externes et internes par une
compression des dépenses intérieures, un ajustement des prix et des salaires, et
des politiques commerciales idoines. Rétrospectivement, il apparaît que la
politique déflationniste a conduit à une sévère compression budgétaire et à la
réduction des dépenses publiques dans les domaines prioritaires. L’insuffisance des
moyens administratifs a sérieusement limité l’efficacité des politiques
commerciales qui n’étaient que des expédients, et aucune politique crédible des
revenus n’a été mise en place. Le processus d’ajustement interne, qui n’a guère
été mené jusqu’au bout, n’a donc pas provoqué la dépréciation nécessaire du taux
de change réel et les exportations s’en sont ressenties, les industries nationales
n’étant pas en mesure de concurrencer les importations, et les investissements
privés ont diminué.
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III/ Ajourner l’ajustement ou réformer les réformes? Vers quelle
trajectoire ?
Le caractère globalement décevant des performances enregistrées par les
PAS qui s’accompagnent, par ailleurs, d’une profonde dépréciation de la situation
sociale, était prévisible au regard du référentiel théorique manifestement
impertinent et inadéquat qui sous-tend les politiques et programmes imposés.
1°) Les impasses de l’ajustement.
Si les politiques d’ajustement structurel se sont avérées aussi peu efficaces,
c’est parce qu’elles ont, comme le note J.Stiglitz, confondu les moyens avec les
fins : la libéralisation, la recherche des grands équilibres, les privatisations sont
prises comme des fins plutôt que des moyens d’une croissance durable, équitable
et démocratique. Elles se sont «beaucoup trop focalisées sur la stabilité des prix
plutôt que la croissance et la stabilité de la production. Elles n’ont pas su
reconnaître que le renforcement des institutions financières est aussi important
pour la stabilité économique que la maîtrise des déficits budgétaires et de la masse
monétaire. Elles se sont concentrées sur les privatisations, mais n’ont guère
attaché d’importance à l’infrastructure institutionnelle nécessaire au bon
fonctionnement des marchés, et particulièrement à la concurrence.
Au plan strictement institutionnel, l'affaiblissement de l'Etat et son extinction
programmée ont conduit parfois au développement de la corruption et à la
constitution de fortunes sur la base de situation de rente, alors que son
désengagement et la libéralisation économique se sont traduits par l'émergence, dans
la plupart des pays, de nouveaux acteurs politico-financiers qui ont cherché à
contrôler l'économie.
Les nombreuses évaluations critiques de l’ajustement menées par des chercheurs
universitaires (T.Mkandawiré, Samir Amin, Ben Hammouda, M.Kassé, M.Diouf etc.)
ont abouti à l’exigence de trouver de meilleures réponses techniques mieux
chevillées à la réalité. C’est le thème du nouveau discours sur le « postajustement » dont l’un des points de départ est la réfutation des PAS au double
niveau de leur pertinence et de leurs performances. En définitive, il faut se garder
de vouloir coûte que coûte maintenir des recettes magiques fondées sur un
fétichisme économique douteux et qui, de surcroît, entraîneraient des coûts sociopolitiques énormes. En acceptant tout simplement qu’il n'existe pas de « modèle
universel », hors de l'espace et du temps, c'est à dire valable en tous lieux et en
tous temps, les IFI doivent au minimum admettre une mise en compétition de leur
modèle et de leurs méthodes. L’Ajustement est mort, vive les Documents
Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DSRP). En effet, en réponse aux
nombreuses critiques relatives aux faibles performances des PAS, la Banque
mondiale et le FMI changent de discours et mettent en place un «Nouveau
Programme de Lutte contre la Pauvreté ». Depuis le démarrage, il y a bientôt une
décennie, le bilan des DSRP est mitigé et les critiques fusent pour qualifier le
dispositif de "processus néo-coloniale" qui ne rompt pas fondamentalement avec la
logique de l’ajustement.
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2°) A la recherche d’un nouveau discours de développement :
chercher du côté des pays émergents : Comment ont-ils fait ?
Peut-on continuer de laisser à l’extérieur la définition de nos stratégies et
des trajectoires de notre propre avenir ?
Aujourd’hui, les réflexions doivent s’orienter vers la recherche d’une
politique alternative en évitant de tomber dans des propositions de stratégie de
développement dépourvues de réalisme et qui seraient alors vouées à l’échec.
Cette réflexion est engagée dans le nouveau discours sur le post-ajustement même
au niveau des Institutions de Bretton Woods pour trouver les conditions
fondamentales d'un développement conçu comme un projet émancipateur
multidimensionnel. Si l’on veut aller plus loin que de simples réformes des
réformes, il faut orienter les réflexions vers la recherche d’un modèle alternatif
tourné vers une nouvelle croissance économique sans laquelle il n’existe pas de
développement. Il s’agit fondamentalement d’une véritable remise en cause qui
ne doit pas refléter seulement une réforme de l’ancien cadre du développement
économique que l’on souhaiterai rendre un peu plus efficace par incorporation
d’un peu plus de justice sociale et distributive. Elle doit également redéfinir les
orientations (approche positive) et les politiques à mettre en œuvre (approche
normative).
Notre tâche d’intellectuel est d’appréhender la situation d’ensemble des
pays africains, d’identifier les éléments qui permettent de définir le nouveau cadre
général en phase parfaite avec l’axiomatique de la rationalité économique. Les
éléments à inclure dans ce cadre de concepts peuvent être :
l’assainissement du cadre macroéconomique pour retrouver les grands
équilibres ;
la définition d’objectifs strictement économiques qui permettent de
s’engager dans la voie d’un développement durable et d’échapper au
piège de la pauvreté;
la restructuration des institutions de gouvernance et la reconstruction de
l’Etat en vue de la création d’un environnement institutionnel plus
incitatif pour les politiques de développement ;
la promotion du secteur privé et des investissements directs étrangers ;
la mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes dans le cadre
d’une estimation réaliste de la dotation en ressources naturelles et qui
accordent à l’agriculture et aux technologies un rôle moteur dans la
réalisation de la croissance ;
l’élaboration de politiques publiques efficaces d’allocation optimale des
ressources en faveur des activités productives;
le choix d’une politique de redistribution des revenus qui maximise les
potentialités endogènes de développement ;
la réhabilitation de la planification du développement économique et
social ;
la mobilisation de la communauté internationale dans le cadre d’un
nouveau partenariat qui accroisse les ressources financières à long terme
et les investissements privés directs étrangers ;
l’implication de la société civile dans l’élaboration et l’exécution des
projets.
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Ces éléments peuvent être la trame de politiques qui permettront comme
en Asie, l’avènement d’économies africaines émergentes c’est-à-dire capables
d’enclencher un processus vertueux et irréversible de croissance. Au demeurant, il
est possible d’inverser la problématique en nous interrogeant sur les politiques
publiques conduites par ces pays et qui ont permis de vaincre le sousdéveloppement et la misère en l’intervalle d’une génération.
Ma Conclusion est toute trouvée :
La conclusion sur ce panorama des politiques publiques est celle de mon
ouvrage : Economie du Développement avec Références Africaines (2 tomes aux
Editions Panafrica/Nouvelles du Sud, Paris 2010, p 473) : Malgré l’ampleur et la
profondeur de la crise économique, politique et sociale africaine – détérioration
des principaux indicateurs macroéconomiques, déficits structurels, endettement
insoutenable, inflation galopante, malnutrition, famines et pauvreté – les défis du
développement peuvent être relevés, mais par une mobilisation des savoirs, des
ressources et des acteurs au premier rang desquels les populations. Dans cette
optique, l’Afrique doit s’en sortir et « Revendiquer sa place dans le 21ème siècle »
en mettant en œuvre des stratégies claires et pertinentes qui améliorent la
production, offrent des emplois et réduisent la pauvreté.
Cet ouvrage est une sorte d’exégèse de ce que «nous avons appris pour
soutenir cette affirmation. Beaucoup de bonnes raisons justifient cet optimisme et
reposent toutes sur les recherches relatives à la science du développement, les
expériences accumulées en matière de stratégies et de politiques économiques et
les engagements ciblés de la communauté internationale pour accélérer la
croissance et le développement de l’Afrique. Faire repartir l’Afrique n’est plus un
souhait mais, une exigence forte face à la mondialisation déferlante qui, sans
gommer les Etats-nations, les oblige, au contraire, à plus d’efficacité et de
responsabilité.
Que reste-t-il à faire ? Agir !!!
L’heure de vérité semble sonner pour toute l’élite africaine : le milliard
d’africains et les 400 millions de pauvres disséminés en une poussière d’Etatsnations et paradoxalement assis sur la réserve mondiale de matières premières
n’accepteront plus d’être la banlieue de la mondialisation.
Les élites politiques et intellectuelles d’Asie nous donnent l’exemple. Elles
ont interrogé leurs sociétés pour y découvrir et valoriser les comportements les
plus favorables au développement et ont formulé une vision : travailler à être
parmi tous les peuples du monde et aussi dans le système mondial tel qu’il va se
construire. Elles ont alors choisi de « se battre » pour être au même niveau que
ceux qui, autrefois, les ont colonisés. Cette volonté inébranlable est traduite par
les premières paroles de l’hymne national Chinois : «Debout ! Nous qui refusons
d’être esclaves !». Ce refrain devrait être le programme de tous les africains de
bas en haut. Voilà comment on entre dans la mondialisation. Elles ont trouvé la
direction à suivre à savoir la modernisation à outrance par la «réforme et
l’ouverture». Elles ont trouvé les moyens qui faisaient défaut à leur
développement : le financement contrôlé par les capitaux étrangers et le
commerce international. Enfin, elles ont utilisé leur propre tête pour penser leurs
problèmes en vue de leurs trouver leurs propres solutions.
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