Un Synode spécial des Évêques
pour le Moyen-Orient
Le 6 juin dernier, à Chypre, le pape Benoît XVI remettait aux
patriarches et aux évêques catholiques du Moyen-Orient l’ins-
trument de travail du Synode spécial des évêques pour le Moyen-
Orient qui doit se tenir à Rome du 10 au 24 octobre∞∞: «∞∞L’Église
catholique au Moyen-Orient∞∞: communion et témoignage∞∞», «∞∞La
multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur
et une seule âme∞∞»(Ac 4, 32), tel sera le thème de cette assemblée.
La version française du document de travail a été publiée dans la
Documentation Catholique1.
C’est le 19 septembre 2009, à Castelgandolfo, que Benoît XVI
a fait part de son intention de réunir ce Synode∞∞:
«∞∞Je ressens comme un devoir essentiel de promouvoir cette syno-
dalité très chère à l’ecclésiologie orientale et saluée avec satisfaction
par le Concile Œcuménique Vatican II. L’estime que les Assises conci-
liaires ont réservée à vos Églises dans le Décret Orientalium Ecclesia-
rum, et que mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II a réaffirmée sur-
tout dans l’Exhortation apostolique Orientale Lumen, est pleinement
partagée par moi, avec le vœu que les Églises orientales catholiques
«∞∞fleurissent’ pour remplir avec une vigueur apostolique renouvelée
la mission qui leur est confiée… promouvoir l’unité de tous les chré-
tiens, spécialement orientaux, selon le décret sur l’œcuménisme…∞∞»
(Orientalium Ecclesiarum, no1). L’horizon œcuménique est souvent
connexe à l’horizon interreligieux. Dans ces deux domaines, c’est
toute l’Église qui a besoin de l’expérience de cohabitation que vos
Églises ont mûrie depuis le premier millénaire chrétien∞∞».
L’idée de tenir un tel Synode venait d’Irak. Devant les difficul-
tés que rencontrent les Églises dans ce pays, Mgr Louis Sako,
évêque de Kirkouk, avait émis l’idée d’un rassemblement de
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Vies
consacrées, 82 (2010-4), 243-247
1. no2449, pp. 609-630.
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toutes les Églises en communion avec Rome afin de dégager un
consensus, mais la décision a été prise par le Pape, comme le
montre le texte cité plus haut.
En réalité, la synodalité chère à l’ecclésiologie orientale, dont
parle Benoît XVI, ne correspond pas exactement à la pratique syno-
dale de l’Église latine. Selon le droit oriental, chaque Église est gou-
vernée par un Synode, présidé par le Patriarche. C’est le Synode qui
élit les évêques et le patriarche et qui prend toutes les décisions
nécessaires à la vie et à la mission de l’Église. Le Synode qui tient ses
assemblées à Rome est très différent. Créé par Paul VI, au terme de
Vatican II, le Synode n’est pas un organe habituel de gouvernement.
Il apporte un éclairage sur une question posée par le Pape qui reste
libre de la décision finale. Ce type d’assemblée n’a donc pas le sens
d’un synode qui serait célébré par une Église patriarcale en Orient,
même si elle est un pas vers plus de synodalité dans l’Église.
Le Synode romain va devoir se pencher sur une situation
complexe et diversifiée. Ce Synode en effet concerne des pays
arabes et non arabes et il couvre une vaste aire géographique
allant de l’Egypte à la Turquie et de l’Iran à Israël, en passant par
les pays du Golfe, l’Irak, le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Palestine
et Chypre. Ce sont quelque quatorze millions de chrétiens sur
une population totale de trois cent trente millions.
Dans ces divers pays, les Églises Orientales catholiques sont
toutes présentes (melkite, syrienne, maronite, copte, armé-
nienne et chaldéenne) avec leurs spécificités liturgiques, cano-
niques et pastorales, ainsi que l’Église latine. Ces Églises ont à la
fois besoin d’exister dans leur singularité et une plus grande
communion entre elles. Elles ont un urgent besoin, certes à des
degrés divers, de connaître le renouveau que l’Église latine a vécu
dans l’élan du IIeConcile du Vatican. Très souvent sont présen-
tes également sur le même terrain les Églises orientales qui ne
sont pas encore en pleine communion avec Rome, églises non-
chalcédoniennes et orthodoxes. S’il n’y a plus avec elles de dés-
accord sur la foi au Christ, il n’en va pas de même concernant la
primauté de Pierre. Il n’empêche que, dans l’état actuel des
choses, bien des ponts pourraient être jetés pour donner un
témoignage uni de foi et de charité et travailler à l’avènement
d’une paix solide et durable. Le prochain Synode romain ne peut
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pas oublier ces Églises non-catholiques, même si elles ne sont
pas présentes à ses délibérations.
Arabes ou non, la plupart de ces pays sont marqués par une
présence forte de l’Islam. Les chrétiens sont partout minoritai-
res, mais cela ne veut pas dire qu’ils soient pour autant persécu-
tés et qu’ils ne puissent pas jouir d’une réelle possibilité d’ex-
pression. Il fut un temps où le Liban était majoritairement
chrétien, ce n’est plus le cas, mais la Constitution libanaise
réserve aux chrétiens la présidence de la République (un chré-
tien maronite), et certains autres postes. L’influence chrétienne
au Liban dépend pour une large part de la qualité de ses leaders,
religieux (le patriarche maronite) et laïcs engagés dans la vie
politique. L’Islam est arabe ou turc, voire même persan, il y a de
réelles différences même si c’est la même religion et la même
langue, du moins celle du Coran. L’Islam lui-même est traversé
par des courants divers, entre autres sunnites et chiites, et il n’est
pas rare que les chrétiens soient facteurs d’unité.
Dans cette perspective, l’émigration qui affecte à des degrés
divers ces pays doit être étudiée avec soin. Dans un pays comme
l’Irak où l’État a de grandes difficultés à s’affirmer, les chrétiens sont
en situation très inconfortable qu’on peut assimiler à une quasi-
persécution. Nous sommes alors en présence d’une émigration
forcée. Au Liban, où l’émigration surtout chrétienne reste forte, la
situation est très différente. Les chrétiens partent, non parce qu’ils
sont persécutés, mais qu’ils craignent de l’être dans un futur plus
ou moins proche, vu qu’ils deviennent minoritaires. Ils partent
parce que les conditions économiques leur sont défavorables,
qu’ils ne trouvent pas d’emploi à la hauteur de leurs compétences,
qu’il leur est plus difficile qu’hier d’avoir une famille nombreuse (la
démographie musulmane est plus forte que celle des chrétiens). En
Palestine, c’est encore autre chose, ce sont les tracasseries sans
nombre de l’État d’Israël qui poussent des chrétiens autochtones
à émigrer et les étrangers à renoncer à s’établir en Terre Sainte. Mais,
en même temps, il faut savoir que les musulmans les plus lucides
sont très conscients que l’émigration des chrétiens est pour eux-
mêmes une perte, c’est notamment le cas en Terre Sainte où la
réduction du nombre des chrétiens risque de mettre face à face l’ex-
trémisme juif et l’extrémisme musulman.
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Les conversions des chrétiens à l’Islam sont au total peu nom-
breuses, mais vu l’affaiblissement numérique des chrétiens, elles
sont vécues plus dramatiquement. Un nombre relativement
important de jeunes chrétiennes (on parle de quinze mille chaque
année en Egypte) deviennent musulmanes à l’occasion d’un
mariage. On observe aussi dans les pays du Golfe la conversion d’un
certain nombre d’ouvriers étrangers pour faciliter l’embauche.
Qui dit émigration, dit diaspora. Certaines Églises orientales
ont des diasporas qui comptent plus de fidèles que sur leur terri-
toire propre. Quel sera le statut canonique de ces diasporas∞∞? Épar-
chie ou exarchat propre∞∞? Quel lien alors avec la Conférence épis-
copale du pays concerné∞∞? N’est-il pas préférable comme en France
de renoncer à l’établissement d’une hiérarchie propre et d’avoir un
unique ordinariat commun à tous les orientaux présents dans un
même pays∞∞? C’est d’ailleurs tout le problème des migrants catho-
liques où qu’ils soient, faut-il les maintenir dans leurs spécificités
en créant pour eux des diocèses propres ou chercher à les assimi-
ler à l’Église locale en favorisant l’unité de juridiction∞∞?
Que de problèmes complexes à aborder en quinze jours de
Synode∞∞! Il est peu probable que l’assemblée synodale soit en
mesure de les étudier tous.
Le document de travail invite les Églises orientales à un véri-
table renouveau ecclésial du clergé et du peuple qui transforme
leur vie quotidienne et leurs engagements au cœur de la société.
C’est vrai que, pour de multiples raisons, il y a souvent un déca-
lage entre les vénérables liturgies orientales, la vie spirituelle des
gens et leurs engagements. L’Écriture Sainte, pourtant écrite dans
la langue originelle de ces vieilles églises (hébreu, araméen ou
grec) est en fait peu connue des fidèles, pour ne rien dire du clergé.
Les conflits sanglants (Kurdes, Irakiens, Palestiniens, Israé-
liens et Libanais en ont particulièrement souffert) qui ont
déchiré et déchirent encore ces régions devraient pouvoir
trouver une solution dans le pardon des offenses et la réconcilia-
tion plus que dans des représailles qui créent un cercle vicieux
de violence sans fin. C’est dans la vocation et la mission de ces
Églises que de former les chrétiens au pardon, à la réconciliation
et à l’ouverture à l’autre.
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L’œcuménisme comme le dialogue interreligieux incombent à
ces Églises plus qu’à tout autres, mais ces engagements ne s’impro-
visent pas, ils supposent éveil et formation du clergé et des fidèles.
Il est souhaitable qu’à ce Synode, la vie consacrée soit repré-
sentée par quelques supérieurs majeurs, car la vie consacrée est
une réalité vivante en ces pays. Elle est surtout présente à travers
la vie religieuse apostolique. La vie monastique au sens strict
n’existe plus que dans des communautés de rite latin. La vie reli-
gieuse apostolique ne connaît pas la même crise de recrutement
qu’en Europe occidentale et le Liban, par exemple, compte des
instituts masculins et féminins encore suffisamment forts pour
tenir hôpitaux et écoles. Au Liban, l’enseignement catholique le
plus souvent congréganiste représente plus de 70% des établis-
sements scolaires.
En régime chrétien, toute terre est sainte dès lors que l’Évan-
gile y est annoncé et qu’une communauté chrétienne y est fon-
dée, mais l’on ne peut pour autant sous-estimer l’importance de
cette terre que le Seigneur Jésus a sanctifiée de sa présence phy-
sique, de sa prédication et du don total de sa vie, de cette terre
où, au lendemain de la Pentecôte, l’Évangile s’est prioritairement
diffusé, donnant naissance à des communautés chrétiennes. Les
chrétiens d’Orient ont vocation et mission de faire vivre cet héri-
tage et il est de notre devoir de les y aider.
Fr. Pierre RAFFIN, o.p.
évêque de Metz
15, Place Sainte Glossinde
BP 690
FR- 57019 Metz Cedex
Mgr Pierre Raffin s’est récemment rendu au Liban et en Syrie, avant tout
pour célébrer un anniversaire∞∞: son arrivée au Liban en septembre 1960
en temps que coopérant (il y enseigna pendant deux ans au petit sémi-
naire de Ghazir). Sa présentation du Synode pour le Moyen-Orient célé-
bré à Rome en ce mois d’octobre n’en prend que plus de poids.
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