DOSSIER
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La Lettre du Sénologue - n° 19 - janvier/février/mars 2003
Marqueurs biopathologiques pronostiques et/ou prédictifs
●Y. Denoux
(Service d’anatomie pathologique, centre François-Baclesse, Caen)
Les marqueurs biologiques utiles en oncopathologie mammaire sont
ceux qui se révèlent pertinents en clinique du point de vue pronostique
ou prédictif de la réponse aux traitements. Dans le consensus américain
de 2000 (1) hiérarchisant les facteurs de pronostic selon leur validité cli-
nique établie, seuls les récepteurs hormonaux apparaissaient dans la
catégorie I (facteurs reconnus), avec les facteurs histologiques (grade,
type, index mitotique) et le TNM ; l’oncoprotéine HER2, le Ki67, la
phase S et la P53 entraient dans la catégorie II (facteurs bien étudiés
mais en cours de validation clinique) ; beaucoup d’autres étaient en
cours d’étude (angiogenèse, Bcl-2, pS2, cathepsine D…). De nombreux
marqueurs sont maintenant évaluables en histopathologie sur coupes de
tissu. Quelles ont été les avancées ces deux dernières années ?
Les récepteurs hormonaux (estrogènes et progestérone), facteurs
majeurs pronostiques et prédictifs de la réponse aux traitements
anti-estrogéniques et anti-aromatases, doivent être systématique-
ment recherchés par immunohistochimie (IHC) dans les carci-
nomes infiltrants du sein. Leur évaluation, bien que semi-quantita-
tive, est reproductible et corrélée aux résultats biologiques (2). Les
essais cliniques concernant l’utilisation de tamoxifène dans les car-
cinomes intracanalaires pour réduire le risque de rechute (3) amè-
neront certainement les pathologistes à rechercher ces récepteurs
dans les carcinomes in situ de type canalaire (CCIS). L’étude
immunohistochimique de la sous-unité ß des récepteurs d’estro-
gènes est commencée. Il semblerait que la surexpression de cette
sous-unité soit liée à une résistance aux anti-estrogènes (4).
L’oncoprotéine HER2 a fait l’objet de nombreux travaux. Bien
que son caractère pronostique soit bien établi, surtout dans les N+,
son rôle prédictif semble plus utile au clinicien. Le tamoxifène ren-
contre des résistances chez les patientes RH+ présentant une surex-
pression de HER2 (5). Le trastuzumab ne peut être efficace qu’en
cas de surexpression (3+) recherchée par IHC ou d’amplification du
gène HER2 recherchée par FISH (fluorescent in situ hybridization)
ou CISH (chromogenic in situ hybridization). Les corrélations entre
ces différentes techniques sont excellentes (6). Les résultats sont
concordants dans plus de 90% des cas lorsque les réactions sont
effectuées sur la tumeur initiale ou sur les métastases (7).
L’étude de la prolifération tumorale est un complément parfois
utile dans les décisions thérapeutiques. La recherche par immuno-
histochimie sur coupe en paraffine du MIB1 (Ki67) est souvent plus
accessible que la quantification de la phase S par cytométrie en flux
(CMF), qui nécessite un matériel frais ou congelé. Cela explique sa
plus grande utilisation, les problèmes restant liés à l’analyse et à la
recherche d’un seuil de positivité pronostique, qui semble se situer
dans les études aux alentours de 25%. Le MIB1 et la phase S sont
des facteurs pronostiques corrélés aux marqueurs histopronostiques
classiques et se révèlent indépendants dans certaines études multi-
variées de cancers du sein N- (8). Une étude rétrospective de 2001
portant sur 669 carcinomes N- de moins de 5 cm avec phase S basse
(CMF et/ou MIB1) montre une survie sans rechute de l’ordre de
95% à 5 ans, quel que soit le traitement adjuvant administré (9).
Peu de travaux concernent l’aromatase en IHC : une étude récente
(10), menée sur 102 carcinomes, montre une étroite corrélation
entre l’expression de l’aromatase et celle de COX-2, sans toutefois
de corrélation avec la réponse aux anti-aromatases.
La combinaison d’une surexpression d’EGFRet de HER2 confère un
très mauvais pronostic aux tumeurs, alors que la surexpression de c-
erb B4 semble donner une meilleure survie (11). Les études de relation
entre l’expression d’EGFR en IHC et la réponse aux thérapeutiques
ciblées (inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR) sont en cours.
En ce qui concerne le diagnostic, l’expression de la E-cadhérine, pro-
téine membranaire, est perdue dans les carcinomes lobulaires infiltrants
et in situ, ce qui n’est pas le cas dans les carcinomes canalaires. La dis-
tinction morphologique entre CLIS et CCIS ne pose habituellement
pas de problème, sauf dans les formes “frontières”. Étant donné la prise
en charge clinique différente pour chacune de ces deux entités, il paraît
important de bien les classifier. L’IHC utilisant l’E-cadhérine et une
cytokératine de haut poids moléculaire permet, selon Bratthauer et al.
(12), de mieux appréhender ce diagnostic différentiel.
La mise en évidence de marqueurs pertinents utilisables en rou-
tine est une nécessité pour adapter au mieux les thérapeutiques
dans les cancers du sein. Le développement actuel des méthodes
de screening à grande échelle (transcriptome, protéome et tissue
microarray) permettra sans doute d’améliorer la précision de
nos
classifications fondées sur des facteurs biohistopronostiques. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Déjà paru :
Mathieu MC.
Détermination du
statut HER2/neu sur coupes dans
les cancers mammaires. La lettre
du sénologue 2002 ; 17 : 20-2.