sieurs questions médicales et éthiques,
que nous développons ci-dessous. Ces
questions, à ce jour non résolues, s’ins-
crivent ici dans une thématique très
spécialisée, mais elles constituent ce-
pendant les questions de fond de l’exer-
cice de la médecine.
LA CLASSIFICATION
NOSOLOGIQUE
La bêta-thalassémie est une maladie au-
tosomique récessive fréquente à l’éche-
lon mondial mais rare en France, tou-
chant principalement des sujets origi-
naires d’Afrique du Nord et d’Italie [1].
Elle est caractérisée par la diminution
de production de l’hémoglobine A adul-
te normale, par défaut de production
des chaînes bêta-globine qui, appariées
aux chaînes alpha, la constituent. C’est
l’électrophorèse de l’hémoglobine ou
l’étude de l’hémoglobine par chromato-
graphie liquide à haute performance
faite à distance de toute transfusion qui
confirment le diagnostic. Le mécanisme
principal de l’anémie est une dyséry-
thropoïèse par destruction des érythro-
blastes médullaires, l’hémolyse périphé-
rique étant relativement secondaire [2].
La première question posée au clini-
cien est celle de la classification nosolo-
gique de la maladie. En effet, au cours
des bêta-thalassémies, la détermination
génétique de la ou des mutations res-
ponsables ne permet pas de prédire avec
certitude l’expression phénotypique et
de savoir si le patient aura une forme
majeure (transfuso-dépendante) ou une
forme intermédiaire, où le taux sponta-
né d’hémoglobine ne nécessite pas de
support transfusionnel systématique.
Les formes majeures de bêta-thalassé-
mie s’accompagnent d’une anémie gé-
néralement précoce (entre six et vingt-
quatre mois) et nécessitent un program-
me transfusionnel au long cours. Les
formes intermédiaires sont de diagnos-
tic plus tardif (généralement après l’âge
de cinq ans). La survenue ultérieure
d’un hypersplénisme peut augmenter
les besoins transfusionnels. La bêta-tha-
lassémie intermédiaire peut également
être classée en forme modérée ou sévè-
re selon le degré spontané d’anémie.
Cette classification n’est pas seulement
théorique, car elle conditionne très
concrètement l’annonce diagnostique,
puisque les conséquences thérapeu-
tiques et le pronostic sont très diffé-
rents. Aussi, dans le cas d’Anam, le dis-
cours aux parents était-il malaisé, es-
sentiellement fondé sur… l’expectative,
c’est-à-dire sur la surveillance clinique
et biologique du taux d’hémoglobine et
de sa tolérance. Dans le cas d’Anam, la
présentation clinique laissait espérer
une forme intermédiaire rendue symp-
tomatique par l’hypersplénisme. La
splénectomie, cependant, n’a pas per-
mis l’arrêt du programme transfusion-
nel. Au total, il s’agissait d’une thalassé-
mie intermédiaire de forme sévère.
LA SPLÉNECTOMIE
Dans notre observation, la question de
la splénectomie, compte tenu de la splé-
nomégalie clinique associée à des stig-
mates biologiques d’hypersplénisme
(thrombopénie, leucopénie), a été po-
sée très rapidement dans l’objectif d’une
épargne transfusionnelle. La splénecto-
mie est en effet indiquée en cas d’hyper-
splénisme avéré ou pour diminuer les
besoins transfusionnels lorsque ceux-ci
dépassent 200 ml/kg/an [3].
La splénectomie n’est cependant pas un
geste anodin. Ses risques sont mul-
tiples. A côté de celui, très bien docu-
menté, de la susceptibilité infectieuse
aux germes encapsulés, des complica-
tions vasculaires plus fréquentes et ma-
jorées en cas de splénectomie ont été
rapportées chez des patients thalassé-
miques : thromboses veineuses pro-
fondes, complications thromboembo-
liques, accidents vasculaires cérébraux
et hypertension artérielle pulmonaire,
suggérant un rôle aggravant de la splé-
nectomie [4].
LE TRAITEMENT CHÉLATEUR
La gravité de l’anémie des formes sé-
vères de bêta-thalassémie nécessite un
régime transfusionnel au long cours,
dont l’objectif est d’améliorer l’espéran-
ce et la qualité de vie en permettant une
croissance et une activité normales. Ce
traitement, s’il a permis d’augmenter
très sensiblement la survie des patients
thalassémiques, entraîne cependant des
complications propres : surcharge en
fer, allo-immunisation, infections vi-
rales. Si ces deux dernières sont actuel-
lement très bien contrôlées, respective-
ment par le phénotypage sanguin éten-
du et par les contrôles virologiques sys-
tématiques, la surcharge en fer demeure
la complication inévitable et cruciale :
chaque culot globulaire apporte en effet
200 mg de fer, alors que l’élimination du
fer est limitée à 1,5 à 2 mg/j. Une accu-
mulation progressive du fer est ainsi iné-
luctable, aggravée notamment dans les
formes intermédiaires par une hyperab-
sorption digestive inappropriée du fer
alimentaire. La toxicité du fer s’exerce
principalement sur le myocarde, le tissu
hépatique et les glandes endocrines,
rendant compte des complications
usuelles survenant chez les patients sur-
chargés en fer : insuffisance cardiaque,
cirrhose hépatique et hépato carcinome,
insuffisance gonadotrope, diabète. En
l’absence de traitement chélateur du fer,
l’atteinte cardiaque dans les cohortes
historiques touchait, dès l’âge de seize
ans, près de deux tiers des patients poly-
transfusés et était mortelle dans l’année
suivant les signes cliniques [5]. De ce fait,
un traitement chélateur est systémati-
quement associé aux transfusions au
long cours, et le contrôle de la surcharge
en fer est le déterminant principal de la
survie des patients thalassémiques [6].
Pendant de nombreuses années, le seul
chélateur disponible a été le Desféral®,
déféroxamine, qui ne peut être adminis-
tré que par voie sous-cutanée ou intra-
veineuse, ce qui rend très pénible la
compliance au traitement. La disponibi-
lité récente d’un traitement chélateur
oral efficace et bien toléré a permis que
la mise en route de la chélation soit
grandement facilitée. L’impact sur la
mortalité et la morbidité de la surcharge
en fer de ce traitement est en cours
d’évaluation.
Le suivi de la surcharge en fer nécessite
des outils diagnostiques performants.
La ferritine, marqueur sérique de routi-
ne, est souvent prise en défaut ; son
taux est en effet imparfaitement corrélé
Médecine
& enfance
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