La greffe de moelle osseuse

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Médecine
& enfance
La greffe de moelle osseuse
ECHANGES
Communication de P. Frange, service
d’immunologie, hématologie, hôpital NeckerEnfants Malades, Paris, lors d’une réunion de
l’association Echanges pédiatres de villepédiatres hospitaliers
Rédaction : H. Collignon
Rubrique réalisée avec l’association Echanges
pédiatres de ville-pédiatres hospitaliers
’intérêt pour la greffe de moelle
osseuse s’est développé suite aux
bombardements d’Hiroshima et
de Nagasaki en 1945. En étudiant les effets de l’irradiation mortelle sur la souris, en 1949, Jacobson découvre l’effet
protecteur de la rate, contenant du tissu
hématopoïétique. En 1950, Lorenz
montre que cette protection peut également être apportée par la transfusion
intraveineuse de moelle osseuse. Alors
qu’on pense dans un premier temps que
la protection contre les radiations est
liée aux éléments humoraux de la greffe
de moelle de la souris donneuse, on démontre en 1955 non seulement que cette protection est liée à des éléments cellulaires, mais aussi que les cellules du
donneur, transfusées, repeuplent la
moelle irradiée. En 1959, J. Mathé décrit le succès d’une première greffe de
moelle osseuse allogénique, réalisée
chez cinq médecins présentant une
aplasie médullaire à la suite d’un accident d’irradiation survenu en Yougoslavie ; il démontre la prise de greffe transitoire en étudiant les antigènes des globules rouges du receveur. En 1959,
E. Donell Thomas décrit le premier succès de greffe de moelle après chimiothérapie à haute dose dans une leucémie.
En 1966, 417 greffes de moelle allogénique familiales ont déjà été publiées
dans la littérature, avec toutefois une
survie prolongée du patient dans seulement trois cas. La découverte du système HLA par Jean Dausset en 1967, qui
lui vaut le prix Nobel de médecine en
1980, marque une étape importante
dans l’histoire de la greffe de moelle. La
première greffe HLA compatible est réalisée en 1968 chez un malade présentant un déficit immunitaire constitutionnel. Des greffes HLA compatibles
sont ensuite pratiquées chez des malades atteints de leucémie ou d’aplasie.
Dans les années 80, la greffe de moelle
se développe encore davantage grâce
au recours, non plus seulement à des
donneurs de la même famille que le malade, mais également à des donneurs
non apparentés.
L
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LES INDICATIONS
DE LA GREFFE DE MOELLE
Les indications potentielles de la greffe
de moelle sont actuellement assez étendues ; elles concernent notamment :
첸 certaines pathologies malignes du
système hématopoïétique, de mauvais
pronostic, nécessitant pour être traitées
l’administration d’une chimiothérapie
intensive. Celle-ci provoquera une aplasie médullaire profonde que viendra
« corriger » l’injection de la moelle osseuse du donneur ;
첸 les aplasies médullaires acquises ou
constitutionnelles ;
첸 certaines formes sévères d’hémoglobinopathies (notamment certaines
b-thalassémies et drépanocytoses) ;
첸 de nombreuses formes de déficit immunitaire constitutionnel ;
첸 certaines formes sévères d’ostéo pétrose ;
첸 certaines maladies métaboliques,
comme la mucopolysaccharisode de type I (maladie de Hurler).
Dans ce dernier cas, l’objectif de la greffe est d’apporter au malade une nouvelle moelle produisant des leucocytes dépourvus de l’anomalie génétique, et
donc capables de synthétiser l’enzyme
déficiente et de la « distribuer » aux cellules de l’organisme. Dans la maladie
de Hurler, cela permet notamment de
préserver les enfants de la détérioration neurocognitive induite par la maladie. Toutefois, la greffe ne permettant que de stabiliser le retard psychomoteur de l’enfant, et non de rattraper
le retard déjà acquis, elle doit être réalisée le plus précocement possible.
Dans certaines autres maladies métaboliques, comme la mucopolysaccharidose de type II (maladie de Hunter), la
greffe de moelle osseuse n’est plus indiquée, car, bien que permettant une production de l’enzyme déficiente, elle ne
préserve pas l’enfant des complications
neurologiques et intellectuelles de la
maladie.
Les ostéopétroses constituent un groupe
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hétérogène d’anomalies osseuses rares
et héréditaires, caractérisées par une
augmentation de la masse osseuse à la
radiographie et dues à un dysfonctionnement des ostéoblastes ou des ostéoclastes. Les formes sévères se compliquent d’une diminution des cavités médullaires intra-osseuses, qui provoque
une aplasie médullaire progressive. En
outre, ces maladies se manifestent par
une fragilité de la trame osseuse, avec
risque fracturaire élevé, et par une hyperostose de la voûte crânienne pouvant
entraîner un rétrécissement de la base
du crâne (avec risque d’hypertension intracrânienne) et une compression des
nerfs crâniens (risque de cécité et/ou de
surdité). Dans les formes sévères liées à
un dysfonctionnement ostéoclastique, la
greffe de cellules souches hématopoïétiques (dont sont dérivés les ostéoclastes) permet de guérir la maladie
avec reprise de la formation d’une trame
osseuse normale. Dans ce cas, cette greffe (quand elle est indiquée par la sévérité de la maladie) doit être réalisée à un
jeune âge, avant que n’apparaissent les
complications neurologiques et sensorielles définitives. Les ostéoblastes
n’étant pas dérivés des cellules souches
hématopoïétiques, la greffe de moelle
osseuse est par contre inefficace pour
traiter les formes d’ostéopétrose liées à
un dysfonctionnement ostéoblastique.
LE CHOIX DU DONNEUR
Rappelons que le système HLA est principalement composé :
첸 des molécules HLA de classe I (notamment les locus HLA-A, HLA-B, HLAC), présentes à la surface de toutes les
cellules de l’organisme (à l’exception
des globules rouges) ;
첸 des molécules HLA de classe II (notamment HLA-DP, HLA-DQ, HLA-DR),
présentes à la surface des cellules présentatrices d’antigènes.
Le système immunitaire utilise les molécules HLA pour différencier notamment
les cellules du « soi » de celles du « non
soi ». Toute cellule comportant des différences au niveau du système HLA sera
donc reconnue comme étant du « non-
soi » et entraînera une réponse du système immunitaire visant à son élimination.
Dans une greffe de moelle osseuse, le
donneur « idéal » est donc un frère ou
une sœur HLA-identique au malade
(greffe dite « géno-identique »). En cas
de nécessité de réaliser une greffe et en
l’absence d’un tel donneur « idéal », on
peut dans certains cas avoir recours à un
donneur volontaire non apparenté identique pour les molécules HLA-A, B, C, DR
et DQ. On parle alors de greffe « phénoidentique ». Néanmoins, ces greffes exposent à plus de complications que celles
réalisées à partir d’un donneur apparenté HLA-identique. Dans l’exemple des
déficits immunitaires combinés sévères,
les greffes de cellules souches hématopoïétiques permettent de guérir plus de
70 % des enfants lorsqu’elles sont réalisées à partir d’un donneur HLA-identique, mais plus de 90 % des enfants
lorsque ce donneur est apparenté.
Enfin, dans certaines pathologies potentiellement létales à court terme et en
l’absence de donneur HLA-identique, il
est parfois proposé de réaliser une greffe
à partir d’un des parents de l’enfant,
tous deux à moitié identiques dans le
système HLA (greffe dite « haplo-identique »). Ces greffes nécessitent souvent
une chimiothérapie plus intensive pour
limiter le risque de rejet et sont suivies
d’un risque très important de complications immunologiques et infectieuses,
pouvant entraîner un décès dans plus de
50 % des cas pour les enfants atteints de
déficits immunitaires constitutionnels.
sous-cutanées de facteur de croissance
granulocytaire (GCSF) pendant quelques jours. Puis le contingent de cellules souches passées dans la circulation
sanguine est recueilli par cytaphérèse,
selon une technique basée sur le même
principe que le don de plaquettes.
L’avantage de cette procédure est de
pouvoir éviter le recours à une anesthésie générale ;
첸 de sang placentaire (« sang de cordon »). Celui-ci contient en effet une
concentration importante de cellules
souches hématopoïétiques. Il peut être
prélevé directement sur le cordon ombilical après la naissance d’un enfant, puis
conservé sous forme congelée sans limite de temps en vue de la réalisation
d’une greffe ultérieure. Dans une famille où un enfant présente une pathologie
nécessitant une greffe de cellules
souches hématopoïétiques, il est donc
possible de conserver le sang placentaire lors de l’accouchement d’un nouveau
bébé dans sa fratrie. D’autre part, il est
proposé aux femmes enceintes accouchant dans certaines maternités de faire
don de façon anonyme du sang placentaire de leur bébé (1).
Actuellement, on recense environ
15 millions de donneurs volontaires de
moelle osseuse dans le monde. La répartition géographique de ces donneurs
est très hétérogène, avec notamment
une représentation prédominante de
donneurs de nationalité allemande
(32/100 000) (2).
LES SOURCES
DE CELLULES SOUCHES
La greffe de moelle osseuse est toujours
précédée d’un « conditionnement », destiné d’une part à détruire les cellules tumorales en cas de leucémie, d’autre part
à prévenir le rejet de la greffe en détruisant les cellules du système immunitaire
du receveur. Aujourd’hui, ce conditionnement est réalisé le plus souvent par
chimiothérapie et/ou immunothérapie
(la radiothérapie corporelle totale n’a
actuellement que des indications très
restreintes), en réduisant le plus possible les doses pour en limiter les effets
secondaires. Après ce conditionnement
Les cellules souches hématopoïétiques
nécessaires à la greffe sont généralement isolées à partir d’un prélèvement
de moelle osseuse réalisé sous anesthésie générale. Elles peuvent également
être issues :
첸 d’un prélèvement de sang périphérique. Dans ce cas, on réalise une « stimulation » de la moelle osseuse du donneur par des injections quotidiennes
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LA GREFFE EN PRATIQUE
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durant huit à quinze jours, les cellules
souches hématopoïétiques du donneur
sont injectées par voie intraveineuse ;
elles vont automatiquement prendre
place dans les os du receveur et reprendre peu à peu la production des différentes cellules sanguines.
A court terme, le pronostic vital est mis
en jeu du fait des complications
toxiques liées à la chimiothérapie et du
risque infectieux majeur (bactérien, viral et fongique), ce qui justifie la réalisation de la greffe dans des conditions
d’isolement très contrôlées. A moyen
terme, la principale complication est
immunologique : c’est la réaction du
greffon contre l’hôte, liée à la reconnaissance des tissus de l’hôte par les
lymphocytes T du donneur. Elle est
d’autant plus fréquente que la différence de compatibilité HLA entre donneur
et receveur est importante.
La reconstitution complète d’un système immunitaire parfaitement compétent prend généralement douze à vingtquatre mois après une greffe de moelle
osseuse.
Le retentissement du conditionnement
sur la fertilité future de l’enfant est bien
établi pour les chimiothérapies de
longue durée, en cas leucémie aiguë par
exemple ; il est probablement moindre
pour les enfants ayant reçu comme seule chimiothérapie le conditionnement
précédent immédiatement la greffe de
moelle osseuse. Néanmoins, ce risque
conduit à proposer chez les jeunes filles
prépubères la réalisation d’une ovariectomie unilatérale avant la chimiothérapie, en vue d’une cryoconservation pour
une éventuelle réimplantation ovarienne à l’âge adulte en cas d’hypofertilité
avérée. Pour les garçons pubères, une
cryoconservation de sperme est systématiquement proposée. Enfin, chez les
garçons non pubères, certaines équipes
proposent depuis quelques années de
réaliser une biopsie testiculaire pour
cryoconservation, dans le cadre contrôlé d’études encore expérimentales.
POUR L’AVENIR
Le premier objectif est bien sûr l’adaptation des conditions de réalisation de la
greffe de cellules souches hématopoïétiques, afin d’en améliorer les chances
de succès tout en diminuant le risque de
complications. Cela passe notamment
par l’utilisation, lors du conditionnement, de chimiothérapies adaptées à la
pathologie de l’enfant, à son état clinique et au degré de compatibilité HLA
entre donneur et receveur.
Dans un grand nombre de pathologies
génétiques actuellement traitées par
greffe de cellules souches hématopoïétiques, l’avenir sera lié au développement des thérapies géniques. Les premiers essais cliniques de thérapie génique couronnés de succès ont été effectués il y a plus de dix ans chez des enfants atteints de déficits immunitaires
combinés sévères, leur permettant de
retrouver un système immunitaire fonctionnel et une qualité de vie satisfaisante. Ce succès initial a été pondéré par la
toxicité observée : plusieurs enfants ont
présenté une prolifération monoclonale
lymphocytaire T par expression aberrante d’un proto-oncogène liée à l’intégration du vecteur rétroviral utilisé.
Des essais de thérapie génique sont actuellement en cours, à des stades cliniques ou précliniques, dans le cadre de
déficits immunitaires héréditaires, de
maladies hématologiques ou métaboliques (b-thalassémie, drépanocytose,
maladie de Fanconi, adrénoleucodystrophie, leucodystrophie métachroma첸
tique…).
(1) La liste de ces maternités est téléchargeable à : http://www.
dondusang.net/content/medias/media1709_cvnSaWAnIItAvuq.pdf?finalFileName=Liste_des_maternités.pdf.
(2) Les démarches à effectuer et renseignements relatifs au don
de moelle volontaire et anonyme sont consultables à l’adresse
suivante : http://www.dondemoelleosseuse.fr.
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