Médecine
& enfance
décembre 2012
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Rubrique réalisée avec l’association Echanges
pédiatres de ville-pédiatres hospitaliers
La greffe de moelle osseuse
Communication de P. Frange, service
d’immunologie, hématologie, hôpital Necker-
Enfants Malades, Paris, lors d’une réunion de
l’association Echanges pédiatres de ville-
pédiatres hospitaliers
Rédaction : H. Collignon
ECHANGES
L’intérêt pour la greffe de moelle
osseuse s’est développé suite aux
bombardements d’Hiroshima et
de Nagasaki en 1945. En étudiant les ef-
fets de l’irradiation mortelle sur la sou-
ris, en 1949, Jacobson découvre l’effet
protecteur de la rate, contenant du tissu
hématopoïétique. En 1950, Lorenz
montre que cette protection peut égale-
ment être appore par la transfusion
intraveineuse de moelle osseuse. Alors
qu’on pense dans un premier temps que
la protection contre les radiations est
liée aux éléments humoraux de la greffe
de moelle de la souris donneuse, on dé-
montre en 1955 non seulement que cet-
te protection est liée à des éléments cel-
lulaires, mais aussi que les cellules du
donneur, transfusées, repeuplent la
moelle irradiée. En 1959, J. Mathé dé-
crit le succès d’une première greffe de
moelle osseuse allogénique, réalisée
chez cinq médecins présentant une
aplasie médullaire à la suite d’un acci-
dent d’irradiation survenu en Yougosla-
vie ; il démontre la prise de greffe tran-
sitoire en étudiant les antigènes des glo-
bules rouges du receveur. En 1959,
E. Donell Thomas décrit le premier suc-
cès de greffe de moelle après chimiothé-
rapie à haute dose dans une leucémie.
En 1966, 417 greffes de moelle allogé-
nique familiales ont déjà été publiées
dans la littérature, avec toutefois une
survie prolongée du patient dans seule-
ment trois cas. La découverte du systè-
me HLA par Jean Dausset en 1967, qui
lui vaut le prix Nobel de médecine en
1980, marque une étape importante
dans l’histoire de la greffe de moelle. La
première greffe HLA compatible est réa-
lisée en 1968 chez un malade présen-
tant un ficit immunitaire constitu-
tionnel. Des greffes HLA compatibles
sont ensuite pratiquées chez des ma-
lades atteints de leucémie ou d’aplasie.
Dans les années 80, la greffe de moelle
se veloppe encore davantage grâce
au recours, non plus seulement à des
donneurs de la même famille que le ma-
lade, mais également à des donneurs
non apparentés.
LES INDICATIONS
DE LA GREFFE DE MOELLE
Les indications potentielles de la greffe
de moelle sont actuellement assez éten-
dues ; elles concernent notamment :
certaines pathologies malignes du
système hématopétique, de mauvais
pronostic, nécessitant pour être traitées
l’administration d’une chimiothérapie
intensive. Celle-ci provoquera une apla-
sie médullaire profonde que viendra
« corriger » l’injection de la moelle os-
seuse du donneur ;
les aplasies médullaires acquises ou
constitutionnelles ;
certaines formes sévères d’hémoglo-
binopathies (notamment certaines
b-thalassémies et drépanocytoses) ;
de nombreuses formes de déficit im-
munitaire constitutionnel ;
certaines formes sévères dostéo -
pétrose ;
certaines maladies métaboliques,
comme la mucopolysaccharisode de ty-
pe I (maladie de Hurler).
Dans ce dernier cas, l’objectif de la gref-
fe est d’apporter au malade une nouvel-
le moelle produisant des leucocytes dé-
pourvus de lanomalie génétique, et
donc capables de synthétiser l’enzyme
déficiente et de la « distribuer » aux cel-
lules de l’organisme. Dans la maladie
de Hurler, cela permet notamment de
pserver les enfants de la détériora-
tion neurocognitive induite par la ma-
ladie. Toutefois, la greffe ne permet-
tant que de stabiliser le retard psycho-
moteur de l’enfant, et non de rattraper
le retard déjà acquis, elle doit être réa-
lisée le plus précocement possible.
Dans certaines autres maladies ta-
boliques, comme la mucopolysacchari-
dose de type II (maladie de Hunter), la
greffe de moelle osseuse n’est plus indi-
quée, car, bien que permettant une pro-
duction de l’enzyme déficiente, elle ne
préserve pas l’enfant des complications
neurologiques et intellectuelles de la
maladie.
Les ostéopétroses constituent un groupe
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hétérogène d’anomalies osseuses rares
et héréditaires, caractérisées par une
augmentation de la masse osseuse à la
radiographie et dues à un dysfonction-
nement des ostéoblastes ou des ostéo-
clastes. Les formes vères se compli-
quent d’une diminution des cavités mé-
dullaires intra-osseuses, qui provoque
une aplasie médullaire progressive. En
outre, ces maladies se manifestent par
une fragilité de la trame osseuse, avec
risque fracturaire élevé, et par une hy-
perostose de la voûte crânienne pouvant
entraîner un rétrécissement de la base
du crâne (avec risque d’hypertension in-
tracrânienne) et une compression des
nerfs crâniens (risque de cécité et/ou de
surdité). Dans les formes sévères liées à
un dysfonctionnement ostéoclastique, la
greffe de cellules souches hématopoïé-
tiques (dont sont dérivés les ostéo-
clastes) permet de guérir la maladie
avec reprise de la formation d’une trame
osseuse normale. Dans ce cas, cette gref-
fe (quand elle est indiquée par la sévéri-
té de la maladie) doit être réalisée à un
jeune âge, avant que n’apparaissent les
complications neurologiques et senso-
rielles définitives. Les ostéoblastes
n’étant pas dérivés des cellules souches
matopoïétiques, la greffe de moelle
osseuse est par contre inefficace pour
traiter les formes d’ostéopétrose liées à
un dysfonctionnement ostéoblastique.
LE CHOIX DU DONNEUR
Rappelons que le système HLA est prin-
cipalement composé :
des molécules HLA de classe I (no-
tamment les locus HLA-A, HLA-B, HLA-
C), présentes à la surface de toutes les
cellules de lorganisme l’exception
des globules rouges) ;
des molécules HLA de classe II (no-
tamment HLA-DP, HLA-DQ, HLA-DR),
présentes à la surface des cellules pré-
sentatrices d’antigènes.
Le système immunitaire utilise les molé-
cules HLA pour différencier notamment
les cellules du « soi » de celles du « non
soi ». Toute cellule comportant des dif-
férences au niveau du système HLA sera
donc reconnue comme étant du « non-
soi » et entraînera une réponse du systè-
me immunitaire visant à son élimina-
tion.
Dans une greffe de moelle osseuse, le
donneur « ial » est donc un fre ou
une sœur HLA-identique au malade
(greffe dite « no-identique »). En cas
de nécessité de réaliser une greffe et en
l’absence d’un tel donneur « idéal », on
peut dans certains cas avoir recours à un
donneur volontaire non apparenté iden-
tique pour les molécules HLA-A, B, C, DR
et DQ. On parle alors de greffe « phéno-
identique ». Néanmoins, ces greffes ex-
posent à plus de complications que celles
réalisées à partir d’un donneur apparen-
HLA-identique. Dans l’exemple des
déficits immunitaires combinés sévères,
les greffes de cellules souches hémato-
poïétiques permettent de guérir plus de
70 % des enfants lorsqu’elles sont réali-
es à partir dun donneur HLA-iden-
tique, mais plus de 90 % des enfants
lorsque ce donneur est apparenté.
Enfin, dans certaines pathologies poten-
tiellement tales à court terme et en
l’absence de donneur HLA-identique, il
est parfois proposé de réaliser une greffe
à partir d’un des parents de lenfant,
tous deux à moitié identiques dans le
système HLA (greffe dite « haplo-iden-
tique»). Ces greffes nécessitent souvent
une chimiothérapie plus intensive pour
limiter le risque de rejet et sont suivies
d’un risque très important de complica-
tions immunologiques et infectieuses,
pouvant entraîner un décès dans plus de
50 % des cas pour les enfants atteints de
déficits immunitaires constitutionnels.
LES SOURCES
DE CELLULES SOUCHES
Les cellules souches hématopoïétiques
nécessaires à la greffe sont générale-
ment isolées à partir d’un prélèvement
de moelle osseuse réalisé sous anesthé-
sie nérale. Elles peuvent également
être issues :
d’un prélèvement de sang périphé-
rique. Dans ce cas, on réalise une « sti-
mulation » de la moelle osseuse du don-
neur par des injections quotidiennes
sous-cutanées de facteur de croissance
granulocytaire (GCSF) pendant quel -
ques jours. Puis le contingent de cel-
lules souches passées dans la circulation
sanguine est recueilli par cytaphérèse,
selon une technique basée sur le même
principe que le don de plaquettes.
Lavantage de cette procédure est de
pouvoir éviter le recours à une anesthé-
sie générale ;
de sang placentaire (« sang de cor-
don »). Celui-ci contient en effet une
concentration importante de cellules
souches hématopoïétiques. Il peut être
prélevé directement sur le cordon ombi-
lical après la naissance d’un enfant, puis
conservé sous forme congelée sans limi-
te de temps en vue de la réalisation
d’une greffe ultérieure. Dans une famil-
le où un enfant présente une pathologie
nécessitant une greffe de cellules
souches matopoïétiques, il est donc
possible de conserver le sang placentai-
re lors de l’accouchement d’un nouveau
bébé dans sa fratrie. D’autre part, il est
proposé aux femmes enceintes accou-
chant dans certaines maternités de faire
don de façon anonyme du sang placen-
taire de leur bébé (1).
Actuellement, on recense environ
15 millions de donneurs volontaires de
moelle osseuse dans le monde. La -
partition géographique de ces donneurs
est très hétérogène, avec notamment
une représentation prédominante de
donneurs de nationalité allemande
(32/100000) (2).
LA GREFFE EN PRATIQUE
La greffe de moelle osseuse est toujours
précédée d’un « conditionnement», des-
tiné d’une part à détruire les cellules tu-
morales en cas de leucémie, d’autre part
à prévenir le rejet de la greffe en détrui-
sant les cellules du système immunitaire
du receveur. Aujourd’hui, ce condition-
nement est réalile plus souvent par
chimiothérapie et/ou immunothérapie
(la radiothérapie corporelle totale n’a
actuellement que des indications ts
restreintes), en réduisant le plus pos-
sible les doses pour en limiter les effets
secondaires. Après ce conditionnement
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durant huit à quinze jours, les cellules
souches hématopoïétiques du donneur
sont injectées par voie intraveineuse ;
elles vont automatiquement prendre
place dans les os du receveur et re-
prendre peu à peu la production des dif-
férentes cellules sanguines.
A court terme, le pronostic vital est mis
en jeu du fait des complications
toxiques liées à la chimiothérapie et du
risque infectieux majeur (bactérien, vi-
ral et fongique), ce qui justifie la réali-
sation de la greffe dans des conditions
disolement très contrôlées. A moyen
terme, la principale complication est
immunologique : cest la réaction du
greffon contre lhôte, liée à la recon-
naissance des tissus de lhôte par les
lymphocytes T du donneur. Elle est
d’autant plus fréquente que la différen-
ce de compatibilité HLA entre donneur
et receveur est importante.
La reconstitution compte d’un systè-
me immunitaire parfaitement com-
tent prend généralement douze à vingt-
quatre mois après une greffe de moelle
osseuse.
Le retentissement du conditionnement
sur la fertilité future de l’enfant est bien
établi pour les chimiothérapies de
longue durée, en cas leucémie aiguë par
exemple ; il est probablement moindre
pour les enfants ayant reçu comme seu-
le chimiothérapie le conditionnement
précédent immédiatement la greffe de
moelle osseuse. anmoins, ce risque
conduit à proposer chez les jeunes filles
prépubères la réalisation d’une ovariec-
tomie unilatérale avant la chimiothéra-
pie, en vue d’une cryoconservation pour
une éventuelle réimplantation ovarien-
ne à l’âge adulte en cas d’hypofertilité
avérée. Pour les garçons pubères, une
cryoconservation de sperme est systé-
matiquement proposée. Enfin, chez les
garçons non pubères, certaines équipes
proposent depuis quelques anes de
réaliser une biopsie testiculaire pour
cryoconservation, dans le cadre contrô-
d’études encore expérimentales.
POUR LAVENIR
Le premier objectif est bien sûr l’adapta-
tion des conditions de réalisation de la
greffe de cellules souches hématopoïé-
tiques, afin d’en améliorer les chances
de succès tout en diminuant le risque de
complications. Cela passe notamment
par l’utilisation, lors du conditionne-
ment, de chimiothérapies adaptées à la
pathologie de lenfant, à son état cli-
nique et au degré de compatibilité HLA
entre donneur et receveur.
Dans un grand nombre de pathologies
génétiques actuellement traitées par
greffe de cellules souches hématopoïé-
tiques, lavenir sera l au développe-
ment des thérapies géniques. Les pre-
miers essais cliniques de thérapie -
nique couronnés de succès ont été effec-
tués il y a plus de dix ans chez des en-
fants atteints de déficits immunitaires
combinés sévères, leur permettant de
retrouver un système immunitaire fonc-
tionnel et une qualité de vie satisfaisan-
te. Ce succès initial a été pondéré par la
toxicité observée : plusieurs enfants ont
présenté une prolifération monoclonale
lymphocytaire T par expression aber-
rante d’un proto-oncogène liée à l’inté-
gration du vecteur rétroviral utilisé.
Des essais de thérapie génique sont ac-
tuellement en cours, à des stades cli-
niques ou précliniques, dans le cadre de
ficits immunitaires réditaires, de
maladies matologiques ou métabo-
liques (b-thalassémie, drépanocytose,
maladie de Fanconi, adrénoleucody-
strophie, leucodystrophie métachroma-
tique…).
(1) La liste de ces maternités est téléchargeable à : http://www.
dondusang.net/content/medias/media1709_cvnSaWAnIItA-
vuq.pdf?finalFileName=Liste_des_maternités.pdf.
(2) Les démarches à effectuer et renseignements relatifs au don
de moelle volontaire et anonyme sont consultables à l’adresse
suivante : http://www.dondemoelleosseuse.fr.
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