II) Perception des exploitations engagées ... l’environnement

II) Perception des exploitations engagées dans une agriculture respectueuse de
l’environnement
Afin de mieux comprendre la vision qu’ont les agriculteurs de la réglementation
environnementale, nous nous sommes intéressés à la manière dont ils percevaient la démarche
des agriculteurs se convertissant à des formes d’agricultures plus respectueuses de
l’environnement, voire à l’agriculture biologique.
Dans cette optique nous avons posé les trois questions suivantes :
-quelle perception avez vous des exploitations converties à l’agriculture biologique
-pensez vous que l’avenir du secteur repose réside dans ce type d’exploitations
-seriez vous prêts à « faire plus » que ce que la réglementation impose en matière
environnementale
transition
A) Perception des exploitations bio
La majorité des réponses obtenues permet de dégager 3 opinions majoritaires :
-le bio est un marché de niche, réservé à une « élite » de consommateurs
-l’agriculture traditionnelle peut s’inspirer de techniques mises en places sur ce types
d’exploitations
-le bio est un secteur résiduel de « chasseurs de primes », plus proche du « jardinage »
que de l’agriculture
Pour la majorité des personnes interrogées, les exploitations biologiques représentent une
forme d’agriculture innovante par les techniques mises en place, dont on peut s’inspirer, mais
qui est et restera un marché marginal. Les raisons évoquées sont multiples : les contraintes sur
les exploitations sont trop importantes, nombreux sont ceux qui ne veulent pas travailler de
cette manière, d’autant qu’ils perçoivent déjà comme abusives les contraintes
environnementales classiques liées à la conditionnalité des aides européennes. Un producteur
laitier et céréalier du Maine et Loire illustre ce point de vue : « Étant un ancien Bio, je crois
que ce mode de production emporte, du fait de ses règlements hyper verrouillés, une carence
dans la recherche d'innovations permettant d'améliorer les rendements (c'est pour ça que
j'ai quitté la bio il y a 10 ans) , et par conséquent empêche l'accès pour le plus grand nombre
de consommateurs à des produits contenant peu voire pas sidus de phyto à un
prix abordable et donc que le bio restera limité dans son développement à cause de ça ,à
une élite aisée ».
Cette problématique des « rendements » trop faibles est une constante dans les « reproches »
adressés à l’agriculture biologique . L’argument que cette forme d’agriculture ne permettra
pas de nourrir la population mondiale est une réponse que l’on retrouve dans la quasi totalité
des réponses (voir B). Cependant à l’inverse de l’opinion de ce céréalier, plusieurs réponses
évoquent la possibilité que les exploitations biologiques permettent un développement en
matière de recherche agronomique, dégageant des innovations utiles pour les exploitations
traditionnelles, notamment Michaël Poyon, jeune agriculteur intervenant pour l’émission de
Service Public « Quelle sera l’agriculture de demain » sur France Inter le 24 février 2011, qui
explique qu’il a divisé son exploitation en deux parties, l’une traditionnelle et l’autre en
agriculture biologique, afin de l’utiliser comme laboratoire à idées pour l’exploitation
principale, qui lui assure la majorité de ses revenus.
La seconde critique avancée est que les produits issus de ce mode de production sont chers :
les consommateurs ne sont pas tous économiquement susceptibles d’y avoir accès ; d’autant
que le consommateur lambda est bien souvent perçu comme n’ayant la volonté d’acquérir des
biens alimentaires qu’à moindre coût. Un second céréalier du Maine et Loire témoigne en ce
sens : « ça (le bio) doit rester un marché de "niches" : produire des gros volumes à bas prix
pour le consommateur qui ne veux bourse délier pour son alimentation n'est pas en
adéquation avec les contraintes du bio ». La production est perçue comme un marché
marginal, tant en volume produit qu’en débouchés mercantiles, répondant aux exigences
d’une clientèle urbaine, aisées faisant le choix idéologique de consommer ces produits.
Ce céréalier de l’Allier explique par exemple qu’il ne conçoit l’achat de ces produits que
« par un pourcentage limité (de la population ) seulement car le consommateur achète ,
globalement , le moins cher que possible et se pose la question de la qualiuniquement pour
se donner bonne conscience ».
Plusieurs témoignages désignent d’ailleurs avec mépris cette clientèle par les sobriquets
« bobos » ou « écolo-bobos » ; la majorité des personnes interrogées se contentant de
considérer le secteur comme un marché à couvrir, de faible envergure certes mais intéressant,
notamment via les circuits courts et la vente directe.
Une troisième critiques, relativement courante, s’axe sur les qualités supposées des produits
bios, qui sont venté par les médias comme étant plus sains que les produits issus de
l’agriculture traditionnelle. De nombreux agriculteurs remettent en cause cette idée, tant sur
leurs qualités intrinsèques (qualité, saveur) que sur leur supposée compatibilité avec un mode
de développement durable. Cet éleveur ovin de l’Aude par exemple explique que selon lui
« L'AB est une formidable escroquerie ! Des études ont été menées tant sur les valeurs
nutritives que gustatives mais aussi au niveau des limites de résidus, le bilan est décevant
pour le bio j'entends. Quant à l'idée reçue que tout le monde s'en fait, les bios s'ils
s'interdisent les produits de synthèse, ne s'exonèrent pas d'êtres écolos avec des métaux
lourds comme le cuivre ! Pareil pour des molécules dites naturelles, Roténone pour ne pas la
nommer,et qui tarde à être retirée parce qu'ils n'ont rien d'autre pour la remplacer ! C'est
pour ces raisons entre autres que le bio est la plus belle des arnaques du siècle ! ». Un
exploitant céréalier et légumier du Morbihan , quant à lui, fait remarquer l’injustice de
dénigrer les autres productions par cette très sympathique tournure : « moi je ne suis pas
en bio, et mes cultures ne sont pas en plastique ? » On retrouve ici la problématique de
l’image de la profession, en particulière des médias, qui sont accusés d’être au service des
« écolos », dénigrant les production traditionnelles.
Cet autre agriculteur, producteur laitier de l’Isère, s’en prend au bilan écologique des
exploitations : « il faut arrêter d'enjoliver le bio qui est un gros consommateur de pétrole.
Le bio est trop présenté comme une solution miracle, certains bilans énergétiques
d'exploitations bio sont très mauvais et certains d'exploitations conventionnelles très bon.
autrement dit ce sont des exploitations qui, quand on transforme tout en joules ou en calories,
consomment plus qu'elles ne produisent ! ».
Enfin, une frange marginale des personnes interrogées perçoivent les exploitants en
agriculture biologique comme des « chasseurs de prime » ; des personnes qui profiteraient
des aides de la Politique Agricole Commune et des prix élevés de leurs marchandises ;
comme ce laitier de l’Oise très virulent : « je ne respecte absolument pas les nouveaux bio car
ils passent en bio uniquement pour le pognon ».
D’autres propos vont dans le même sens mais en mettant en avant l’hypothèse d’une prise de
position philosophique, comme cet agriculteur de la Somme : « moitié des bio font
le pas par convictions l'autre pour chasser les aides. Certaines de leurs idées sont bonnes. En
tout cas ça remet en question pas mal d'habitudes. »
D’autres réponses sembleraient contredire cette image de « profiteurs », allant dans le sens de
la non viabilité des exploitations biologiques « c'est bien pour faire du jardinage, j'en ai visité
plusieurs pendant mon cursus scolaire, tous travaillent ailleurs pour gagner leur vie ».
Conclusion/transition
B) Avenir de l’agriculture et exploitations biologiques
La réponse à la question de savoir si l’agriculture biologique est l’avenir de l’agriculture est
quasi unanime (70 réponses sur 84 sondés) : la forme biologique ne pourra pas être l’avenir de
l’agriculture, parce qu’elle ne permettra pas de nourrir la planète, comme un producteur de
céréales de Seine et Marne l’exprime très clairement : « C'est pas avec du bio qu'on pourra
nourrir les 9 milliards d'habitants de cette planète prévus en 2050 ».
Cette idée de « nourrir le monde » est très fréquente dans les réponses : les agriculteurs
présentent leur métier comme ayant pour fonction de nourrir la société, non pas d’être
«jardiniers ». Cette vision de l’agriculture devant subvenir aux besoins mondiaux fait
parfaitement écho aux nouvelles orientations de la politique agricole commune, formulées le
18 novembre 2010 par la commission européenne dans un document consacré à la PAC à
l’horizon 20201, et qui exprime la nécessité de maintenir une production abondante dans le
but de satisfaire les marchés mondiaux et notamment ceux des pays en développement. Cette
fonction de production massive pour une alimentation suffisante d’un point de vue mondial
semble donc être très bien intégrée dans les mentalités des producteurs français.
Ceux-ci se désolent que l’opinion publique chérisse les exploitations biologiques et ne se pose
pas la question de la capacité de cette forme d’agriculture à réponde aux besoins essentiels de
la population, reprochant aux médias une approche idéologique. Ce céréalier et éleveur de la
Moselle interrogé sur l’idée d’une possible amélioration de l’image du monde agricole via
une agriculture plus verte, témoigne de l’agacement de la profession face aux attaques sur la
qualité des produits issus de l’agriculture intensive : « Avons nous besoin encore
d’améliorer notre image quand on voit le niveau de traçabilité des produits Français par
rapport à toutes les importations actuelles diverses et variées ??? C'est le consommateur qui
manque de respect envers nos produits. L’abondance , à prix sacrifiés ou au prix de
sacrifices, ont fait oublier à Monsieur tout le monde qu'il y a des hommes , des familles qui
font que leur assiettes débordent au point de jeter comme nos parents ne l'aurait jamais fait
après guerre . La protection de l'environnement , sous la forme actuelle , ressemble plus à
une mode pour faire plaisir à l'opinion publique. Le terrain , c'est autre chose .... »
Pour autant une partie des réponses, minoritaire, évoque la nécessité de rechercher une
agriculture intensive mais plus « verte » ; en adéquation avec les aspirations de la population,
tout en permettant une production suffisante ; comme le propose ce producteur laitier du
Maine et Loire : « Je crois que les politique (en favorisant trop le bio) font une erreur de
perception du potentiel de production de la nature , ils ont été manipulés par des lobbies
1 http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/communication/index_fr.htm
écolos , surfant sur la vague de "terrorisme intellectuel-de-findu-monde" actuelle Ils auraient
été mieux inspirés de faire une sorte d'inventaire des différents modes de production ,et de
faire le tri dans tout ça , il existe un mode de production écologiquement intensif ,non
polluant , durable , non expérimental , qui est au point , qui ne coûte rien au contribuable ,
c'est cela qu'il faut médiatiser et développer ,et l'image de l'agriculture n'aura plus de
problèmes ».
Parmi ces personnes prônant une agriculture intensive mais écologique, deux tendances se
dégagent : ceux qui proposent le recours à « l’agriculture raisonnée »2 ; et ceux, extrêmement
minoritaires (deux réponses sur 84) qui proposent la forme de l’agriculture écologiquement
intensive3.
Une autre partie des personnes interrogée ne fait pas référence à un type particulier
d’agriculture, mais évoque une « voie médiane », tirant les enseignements des techniques
biologiques et conventionnelles ; comme le propose ce viticulteur du Var : « L'avenir réside
dans une adaptation des moyens face aux problèmes rencontrés, que se soit conventionnels ou
"bio". Quand j'ai une tache de chiendent, je prends du glyphosate4, pour entretenir mes
vignes toute l'année, je travaille mon sol en intégralité. C'est un mix des deux.»
Conclusion/transition
2 Concept de l’agriculture raisonnée : D'après le décret nº2002-631 du 25 avril 2002, « les modes de production
raisonnés en agriculture consistent en la mise en œuvre, par l’exploitant agricole sur l’ensemble de son
exploitation dans une approche globale de celle-ci, de moyens techniques et de pratiques agricoles conformes
aux exigences du référentiel de l’agriculture raisone »1.
Le référentiel porte sur le respect de l’environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la san et la sécurité au
travail et le bien-être des animaux. Ses 103 exigences nationales (quatre-vingt-dix-huit initiales en 2002, cinq
supplémentaires en 2005) concernent notamment2,3 :
l’accès de l’exploitant et de ses salariés à l’information et la formationcessaires à la conduite de
l’exploitation agricole ;
la mise en œuvre d’un système d’enregistrement et de suivi des opérations effectuées et des produits
utilisés pour les besoins des cultures et des animaux ;
la maîtrise des intrants agricoles ainsi que des effluents et des déchets produits par l’exploitation ;
l’usage justifié de moyens appropriés de protection des cultures et de la san des animaux de
l’exploitation ;
l’équilibre de la fertilisation des cultures ;
la mise en œuvre de pratiques culturales permettant la préservation des sols et limitant les risques de
pollutions ;
la participation à une gestion économe et équilibrée des ressources en eau ;
la prise en compte de règles dans les domaines de la sécurité sanitaire et de l’hygiène ;
la prise en compte des besoins des animaux en matière d’alimentation et de bien-être ;
la contribution de l’exploitation à la protection des paysages et de la diversité biologique. »
3 Agriculture écologiquement intensive : Mouvement et ensemble de pratiques agricoles inspirées de
l’agroécologie et de l’agriculture de conservation. L’expression a vu le jour lors du Grenelle de l’Environnement
en 2007. En profitant des fonctions naturellement productives d’un écosystème et en les optimisant, il apparaît
possible d’obtenir des rendements comparables à ceux de l’agriculture conventionnelle tout en réduisant le
recours aux intrants chimiques et la dégradation de l’environnement.
4 Le glyphosate (N-(phosphonométhyl)glycine, C3H8NO5P) est un désherbant total, c’est-à-dire
un herbicide non sélectif, autrefois produit sous brevet, exclusivement par la société Monsanto à partir de 1974,
sous la marque Roundup. Le brevet étant tombé dans le domaine public en 2000, d'autres sociétés produisent
désormais du glyphosate.
C) S’engager au delà des obligations réglementaires
Cette question à mis en évidence deux tendances contradictoires:
-un dégoût majoritaire pour les engagements supplémentaires
-la volonté d’une minorité de faire plus mais sous certaines conditions
transition
1) Un dégoût majoritaire
La majorité des réponses (62% des personnes interrogées) exprime une forme de dégoût pour
tout engagement supplémentaire, cette position étant justifiée par un effet « ras le bol » des
contraintes accumulées de la législation environnementale ; législation qui est souvent
perçue comme difficile à appliquer, comme le rappelle ce laitier de l’Isère : « pour moi il
faudrait déjà que je me mette en conformité avec les (normes ) existantes ce dont je n'ai
financièrement pas les moyens ».
Le poids financier des contraintes actuelle semble être un problème majeur pour les
exploitants, les investissements demandés (phytobac5 ; local phytosanitaire ; buses anti-
5 Système decupération et de dégradation des effluents phytosanitaires (eaux de rinçage et de lavage du
pulvérisateur). Son fonctionnement repose sur le principe du pouvoir épurateur des sols : dans le sol, les
substances actives sont naturellement dégradées par les micro-organismes. Le phytobac est constitué d’un
mélange de terre et de paille isolé du milieu environnant. Tout comme dans le sol, les produits phytosanitaires
sont ainsi dégradés principalement sous l’action des bactéries.
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II) Perception des exploitations engagées ... l’environnement

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