II) Perception des exploitations engagées dans une agriculture respectueuse de l’environnement Afin de mieux comprendre la vision qu’ont les agriculteurs de la réglementation environnementale, nous nous sommes intéressés à la manière dont ils percevaient la démarche des agriculteurs se convertissant à des formes d’agricultures plus respectueuses de l’environnement, voire à l’agriculture biologique. Dans cette optique nous avons posé les trois questions suivantes : -quelle perception avez vous des exploitations converties à l’agriculture biologique -pensez vous que l’avenir du secteur repose réside dans ce type d’exploitations -seriez vous prêts à « faire plus » que ce que la réglementation impose en matière environnementale transition A) Perception des exploitations bio La majorité des réponses obtenues permet de dégager 3 opinions majoritaires : -le bio est un marché de niche, réservé à une « élite » de consommateurs -l’agriculture traditionnelle peut s’inspirer de techniques mises en places sur ce types d’exploitations -le bio est un secteur résiduel de « chasseurs de primes », plus proche du « jardinage » que de l’agriculture Pour la majorité des personnes interrogées, les exploitations biologiques représentent une forme d’agriculture innovante par les techniques mises en place, dont on peut s’inspirer, mais qui est et restera un marché marginal. Les raisons évoquées sont multiples : les contraintes sur les exploitations sont trop importantes, nombreux sont ceux qui ne veulent pas travailler de cette manière, d’autant qu’ils perçoivent déjà comme abusives les contraintes environnementales classiques liées à la conditionnalité des aides européennes. Un producteur laitier et céréalier du Maine et Loire illustre ce point de vue : « Étant un ancien Bio, je crois que ce mode de production emporte, du fait de ses règlements hyper verrouillés, une carence dans la recherche d'innovations permettant d'améliorer les rendements (c'est pour ça que j'ai quitté la bio il y a 10 ans) , et par conséquent empêche l'accès pour le plus grand nombre de consommateurs à des produits contenant peu voire pas résidus de phyto à un prix abordable et donc que le bio restera limité dans son développement à cause de ça ,à une élite aisée ». Cette problématique des « rendements » trop faibles est une constante dans les « reproches » adressés à l’agriculture biologique . L’argument que cette forme d’agriculture ne permettra pas de nourrir la population mondiale est une réponse que l’on retrouve dans la quasi totalité des réponses (voir B). Cependant à l’inverse de l’opinion de ce céréalier, plusieurs réponses évoquent la possibilité que les exploitations biologiques permettent un développement en matière de recherche agronomique, dégageant des innovations utiles pour les exploitations traditionnelles, notamment Michaël Poyon, jeune agriculteur intervenant pour l’émission de Service Public « Quelle sera l’agriculture de demain » sur France Inter le 24 février 2011, qui explique qu’il a divisé son exploitation en deux parties, l’une traditionnelle et l’autre en agriculture biologique, afin de l’utiliser comme laboratoire à idées pour l’exploitation principale, qui lui assure la majorité de ses revenus. La seconde critique avancée est que les produits issus de ce mode de production sont chers : les consommateurs ne sont pas tous économiquement susceptibles d’y avoir accès ; d’autant que le consommateur lambda est bien souvent perçu comme n’ayant la volonté d’acquérir des biens alimentaires qu’à moindre coût. Un second céréalier du Maine et Loire témoigne en ce sens : « ça (le bio) doit rester un marché de "niches" : produire des gros volumes à bas prix pour le consommateur qui ne veux bourse délier pour son alimentation n'est pas en adéquation avec les contraintes du bio ». La production est perçue comme un marché marginal, tant en volume produit qu’en débouchés mercantiles, répondant aux exigences d’une clientèle urbaine, aisées faisant le choix idéologique de consommer ces produits. Ce céréalier de l’Allier explique par exemple qu’il ne conçoit l’achat de ces produits que « par un pourcentage limité (de la population ) seulement car le consommateur achète , globalement , le moins cher que possible et se pose la question de la qualité uniquement pour se donner bonne conscience ». Plusieurs témoignages désignent d’ailleurs avec mépris cette clientèle par les sobriquets « bobos » ou « écolo-bobos » ; la majorité des personnes interrogées se contentant de considérer le secteur comme un marché à couvrir, de faible envergure certes mais intéressant, notamment via les circuits courts et la vente directe. Une troisième critiques, relativement courante, s’axe sur les qualités supposées des produits bios, qui sont venté par les médias comme étant plus sains que les produits issus de l’agriculture traditionnelle. De nombreux agriculteurs remettent en cause cette idée, tant sur leurs qualités intrinsèques (qualité, saveur) que sur leur supposée compatibilité avec un mode de développement durable. Cet éleveur ovin de l’Aude par exemple explique que selon lui « L'AB est une formidable escroquerie ! Des études ont été menées tant sur les valeurs nutritives que gustatives mais aussi au niveau des limites de résidus, le bilan est décevant pour le bio j'entends. Quant à l'idée reçue que tout le monde s'en fait, les bios s'ils s'interdisent les produits de synthèse, ne s'exonèrent pas d'êtres écolos avec des métaux lourds comme le cuivre ! Pareil pour des molécules dites naturelles, Roténone pour ne pas la nommer,et qui tarde à être retirée parce qu'ils n'ont rien d'autre pour la remplacer ! C'est pour ces raisons entre autres que le bio est la plus belle des arnaques du siècle ! ». Un exploitant céréalier et légumier du Morbihan , quant à lui, fait remarquer l’injustice de dénigrer les autres productions par cette très sympathique tournure : « moi je ne suis pas en bio, et mes cultures ne sont pas en plastique ? » On retrouve ici la problématique de l’image de la profession, en particulière des médias, qui sont accusés d’être au service des « écolos », dénigrant les production traditionnelles. Cet autre agriculteur, producteur laitier de l’Isère, s’en prend au bilan écologique des exploitations : « il faut arrêter d'enjoliver le bio qui est un gros consommateur de pétrole. Le bio est trop présenté comme une solution miracle, certains bilans énergétiques d'exploitations bio sont très mauvais et certains d'exploitations conventionnelles très bon. autrement dit ce sont des exploitations qui, quand on transforme tout en joules ou en calories, consomment plus qu'elles ne produisent ! ». Enfin, une frange marginale des personnes interrogées perçoivent les exploitants en agriculture biologique comme des « chasseurs de prime » ; des personnes qui profiteraient des aides de la Politique Agricole Commune et des prix élevés de leurs marchandises ; comme ce laitier de l’Oise très virulent : « je ne respecte absolument pas les nouveaux bio car ils passent en bio uniquement pour le pognon ». D’autres propos vont dans le même sens mais en mettant en avant l’hypothèse d’une prise de position philosophique, comme cet agriculteur de la Somme : « moitié des bio font le pas par convictions l'autre pour chasser les aides. Certaines de leurs idées sont bonnes. En tout cas ça remet en question pas mal d'habitudes. » D’autres réponses sembleraient contredire cette image de « profiteurs », allant dans le sens de la non viabilité des exploitations biologiques « c'est bien pour faire du jardinage, j'en ai visité plusieurs pendant mon cursus scolaire, tous travaillent ailleurs pour gagner leur vie ». Conclusion/transition B) Avenir de l’agriculture et exploitations biologiques La réponse à la question de savoir si l’agriculture biologique est l’avenir de l’agriculture est quasi unanime (70 réponses sur 84 sondés) : la forme biologique ne pourra pas être l’avenir de l’agriculture, parce qu’elle ne permettra pas de nourrir la planète, comme un producteur de céréales de Seine et Marne l’exprime très clairement : « C'est pas avec du bio qu'on pourra nourrir les 9 milliards d'habitants de cette planète prévus en 2050 ». Cette idée de « nourrir le monde » est très fréquente dans les réponses : les agriculteurs présentent leur métier comme ayant pour fonction de nourrir la société, non pas d’être «jardiniers ». Cette vision de l’agriculture devant subvenir aux besoins mondiaux fait parfaitement écho aux nouvelles orientations de la politique agricole commune, formulées le 18 novembre 2010 par la commission européenne dans un document consacré à la PAC à l’horizon 20201, et qui exprime la nécessité de maintenir une production abondante dans le but de satisfaire les marchés mondiaux et notamment ceux des pays en développement. Cette fonction de production massive pour une alimentation suffisante d’un point de vue mondial semble donc être très bien intégrée dans les mentalités des producteurs français. Ceux-ci se désolent que l’opinion publique chérisse les exploitations biologiques et ne se pose pas la question de la capacité de cette forme d’agriculture à réponde aux besoins essentiels de la population, reprochant aux médias une approche idéologique. Ce céréalier et éleveur de la Moselle interrogé sur l’idée d’une possible amélioration de l’image du monde agricole via une agriculture plus verte, témoigne de l’agacement de la profession face aux attaques sur la qualité des produits issus de l’agriculture intensive : « Avons nous besoin encore d’améliorer notre image quand on voit le niveau de traçabilité des produits Français par rapport à toutes les importations actuelles diverses et variées ??? C'est le consommateur qui manque de respect envers nos produits. L’abondance , à prix sacrifiés ou au prix de sacrifices, ont fait oublier à Monsieur tout le monde qu'il y a des hommes , des familles qui font que leur assiettes débordent au point de jeter comme nos parents ne l'aurait jamais fait après guerre . La protection de l'environnement , sous la forme actuelle , ressemble plus à une mode pour faire plaisir à l'opinion publique. Le terrain , c'est autre chose .... » Pour autant une partie des réponses, minoritaire, évoque la nécessité de rechercher une agriculture intensive mais plus « verte » ; en adéquation avec les aspirations de la population, tout en permettant une production suffisante ; comme le propose ce producteur laitier du Maine et Loire : « Je crois que les politique (en favorisant trop le bio) font une erreur de perception du potentiel de production de la nature , ils ont été manipulés par des lobbies 1 http://ec.europa.eu/agriculture/cap-post-2013/communication/index_fr.htm écolos , surfant sur la vague de "terrorisme intellectuel-de-findu-monde" actuelle Ils auraient été mieux inspirés de faire une sorte d'inventaire des différents modes de production ,et de faire le tri dans tout ça , il existe un mode de production écologiquement intensif ,non polluant , durable , non expérimental , qui est au point , qui ne coûte rien au contribuable , c'est cela qu'il faut médiatiser et développer ,et là l'image de l'agriculture n'aura plus de problèmes ». Parmi ces personnes prônant une agriculture intensive mais écologique, deux tendances se dégagent : ceux qui proposent le recours à « l’agriculture raisonnée »2 ; et ceux, extrêmement minoritaires (deux réponses sur 84) qui proposent la forme de l’agriculture écologiquement intensive3. Une autre partie des personnes interrogée ne fait pas référence à un type particulier d’agriculture, mais évoque une « voie médiane », tirant les enseignements des techniques biologiques et conventionnelles ; comme le propose ce viticulteur du Var : « L'avenir réside dans une adaptation des moyens face aux problèmes rencontrés, que se soit conventionnels ou "bio". Quand j'ai une tache de chiendent, je prends du glyphosate4, pour entretenir mes vignes toute l'année, je travaille mon sol en intégralité. C'est un mix des deux.» Conclusion/transition 2 Concept de l’agriculture raisonnée : D'après le décret nº2002-631 du 25 avril 2002, « les modes de production raisonnés en agriculture consistent en la mise en œuvre, par l’exploitant agricole sur l’ensemble de son exploitation dans une approche globale de celle-ci, de moyens techniques et de pratiques agricoles conformes aux exigences du référentiel de l’agriculture raisonnée »1. Le référentiel porte sur le respect de l’environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité au travail et le bien-être des animaux. Ses 103 exigences nationales (quatre-vingt-dix-huit initiales en 2002, cinq supplémentaires en 2005) concernent notamment2,3 : • l’accès de l’exploitant et de ses salariés à l’information et la formation nécessaires à la conduite de l’exploitation agricole ; • la mise en œuvre d’un système d’enregistrement et de suivi des opérations effectuées et des produits utilisés pour les besoins des cultures et des animaux ; • la maîtrise des intrants agricoles ainsi que des effluents et des déchets produits par l’exploitation ; • l’usage justifié de moyens appropriés de protection des cultures et de la santé des animaux de l’exploitation ; • l’équilibre de la fertilisation des cultures ; • la mise en œuvre de pratiques culturales permettant la préservation des sols et limitant les risques de pollutions ; • la participation à une gestion économe et équilibrée des ressources en eau ; • la prise en compte de règles dans les domaines de la sécurité sanitaire et de l’hygiène ; • la prise en compte des besoins des animaux en matière d’alimentation et de bien-être ; • la contribution de l’exploitation à la protection des paysages et de la diversité biologique. » 3 Agriculture écologiquement intensive : Mouvement et ensemble de pratiques agricoles inspirées de l’agroécologie et de l’agriculture de conservation. L’expression a vu le jour lors du Grenelle de l’Environnement en 2007. En profitant des fonctions naturellement productives d’un écosystème et en les optimisant, il apparaît possible d’obtenir des rendements comparables à ceux de l’agriculture conventionnelle tout en réduisant le recours aux intrants chimiques et la dégradation de l’environnement. 4 Le glyphosate (N-(phosphonométhyl)glycine, C3H8NO5P) est un désherbant total, c’est-à-dire un herbicide non sélectif, autrefois produit sous brevet, exclusivement par la société Monsanto à partir de 1974, sous la marque Roundup. Le brevet étant tombé dans le domaine public en 2000, d'autres sociétés produisent désormais du glyphosate. C) S’engager au delà des obligations réglementaires Cette question à mis en évidence deux tendances contradictoires: -un dégoût majoritaire pour les engagements supplémentaires -la volonté d’une minorité de faire plus mais sous certaines conditions transition 1) Un dégoût majoritaire La majorité des réponses (62% des personnes interrogées) exprime une forme de dégoût pour tout engagement supplémentaire, cette position étant justifiée par un effet « ras le bol » des contraintes accumulées de la législation environnementale ; législation qui est souvent perçue comme difficile à appliquer, comme le rappelle ce laitier de l’Isère : « pour moi il faudrait déjà que je me mette en conformité avec les (normes ) existantes ce dont je n'ai financièrement pas les moyens ». Le poids financier des contraintes actuelle semble être un problème majeur pour les exploitants, les investissements demandés (phytobac5 ; local phytosanitaire ; buses anti- 5 Système de récupération et de dégradation des effluents phytosanitaires (eaux de rinçage et de lavage du pulvérisateur). Son fonctionnement repose sur le principe du pouvoir épurateur des sols : dans le sol, les substances actives sont naturellement dégradées par les micro-organismes. Le phytobac est constitué d’un mélange de terre et de paille isolé du milieu environnant. Tout comme dans le sol, les produits phytosanitaires sont ainsi dégradés principalement sous l’action des bactéries. dérives6 etc) n’ayant aucun impact positif sur le chiffre d’affaire de l’exploitation, la dépense étant simplement sèche , comme le dénonce « Palmito » sur le forum Agriculture et Convivialité : « le problème est que ce n'est jamais valorisé, autrement dit la totalité est a la charge de l'agriculteur: le céréalier, l'éleveur, le maraîcher, l'arboriculteur et j'en oublie, jamais il n’a une plus value sur le produit pour ces raisons la, on peut nous en mettre sur la gueule tant qu'on veux il n'y a pas 50 filières avec 50 prix, et je pense entre autres aux éleveurs qui on des contrainte de dizaines voire de centaines de milliers d'euros imposées pour le bien être animal ; et la, puisque c'est un bon exemple, on pourrait imaginer que celui qui est en conformité bénéficie d'un « plus » a la vente ? Nada paye et tais toi ! ». Sur ce point nous avons cependant reçu une réponse contraire de la part de « Westvar » sur le forum Agriculture et convivialité, viticulteur, pour qui les contraintes environnementales peuvent avoir une valorisation financière : « J'ai une autre particularité : étant viticulteur en coopérative. j'arrive à vendre mes contraintes environnementales , pas directement bien sur , mais les courtiers sont friands de cahiers des charges , qualifications HVE , etc. . . Et ça influence souvent leurs choix et conforte leur confiance aux producteurs ». La situation de ce viticulteur reste cependant exceptionnelle, les autres branches ne bénéficiant pas du même avantage. Ces dépenses de mise en conformité sont d’autant plus mal perçues qu’elles touchent des exploitations dont les revenus sont déjà affaiblis par la conjoncture économique et le système de distribution des produits via les grandes surfaces , comme le rappelle ce laitier des Vosges : « Les normes environnementales sont contraignantes, inadaptées et au service des lobbys mais pas de l'environnement. Elles devraient passer par une législation protégeant un rapport de force financier entre l'agro industrie, la distribution et les paysans lilliputiens financiers face à ces monstres. Aucune législation environnementale efficace ne s'adaptera au "libre échange" ». L’aspect économique n’est pas le seul mis en avant pour justifier du refus de s’engager dans des mesures plus contraignantes. Certains exploitant ayant déjà souscrits par le passé des engagements environnementaux de type CTE/CAD7 refusent de recommencer l’expérience, ayant été déçus du fonctionnement. La critique s’adresse tout particulièrement au système de contrôle, qui est vu comme un moyen de pénaliser les agriculteurs et de « reprendre » par des pénalités ce qui est accordé au titre de la valorisation financière initiale ; ce dont témoigne « Philaubers » du forum Agriculture et Convivialité : « Votre jachère elle fait que 29 ares ! Il faut au moins 30! Allez une prune 600€. Et votre bande enherbée 2,95m de large ! ( je précise qu'il faut 3 mètres mini) Et encore une prune 300 € ». L’administrateur du forum, « Patogaz », témoigne également d’une expérience négative : « Les contrats environnementaux , je ne veux plus entendre ce nom à mes oreilles, j' ai fait un CTE et j' ai eu un contrôle européen (envoyé par une dame de la fédé admin chambre ) : 3 ans de contrôle fiscal , environnemental et social. Donc pour moi , c' est bien terminé quelle que soit la carotte , je ne joue plus à qui perd gagne , et autres attrape mouches. Le schéma est toujours le même : on te bouffe XXXX €uros en frais de dossiers et le reste on essaye de te le ramasser avec un petit contrôle de pute donc à ce jour , plus de dossier , plus d' aide environnementale 6 sont des outils qui se fixent sur les pulvérisateurs et qui permettent de mieux maîtriser la dérive (l'entraînement des gouttelettes de pulvérisation par les déplacements d'air). Ces outils sont homologués par l'Etat avant leur utilisation. 7 CTE : Contrat Territorial d’Exploitation, ayant été supprimé au profit du CAD (Contrat d’Agriculture Durable). Contrat créé en 1999, prévu pour promouvoir les mesures agro-environnementales sur la base de volontariat : les agriculteurs recevaient des aides publiques et s’engageaient en contrepartie à respecter des normes environnementales plus contraignantes que la législation de l’époque. et plus de contrôleur parce que je serais capable de m' énerver et de finir mes jours en prison ». Un autre membre du forum, « Dgé » quant à lui dénonce la « fourberie » des contrôleurs qui viendraient sur les exploitations pour contrôler les engagements contractuels mais qui dépasseraient leur mission pour contrôler les engagements issus de la conditionnalité des aides – les contraintes minimales obligatoires – et en profiteraient pour les dénoncer à l’administration : « avec chaque engagement contre rémunération, on s'expose à de nouveaux contrôles, qui contrôlent plus que l'engagement, et on s'expose à des sanctions financières ». A la lecture des différents commentaires sur les contrats environnementaux on peut se demander si la dimension contractuelle de ces engagements a été bien comprise par les exploitants. Il semble ressortir des discussions que les contrats sont vus comme un moyen, à l’échelle de la Politique Agricole Commune , de compenser par des aides publiques le paiement à prix dérisoires des produits agricoles. Les contrats environnementaux semblent avoir été conclus par les exploitants dans cette perspective et n’ont pas été compris comme étant des engagements strictement contraignants ; d’ou une certaine difficulté à admettre la rigueur des contrôles. L’expérience malheureuse de « Philaubers » quant à elle nous paraît également relever d’un mauvais conseil juridique, qui n’a pas insisté sur la rigueur à apporter aux engagements contractuels. Ressort enfin une critique plus générale des engagements environnementaux, sous l’angle de la critique de la politique agricole en général et du refus des exploitants de la « suissasion8 de l'agriculture française », selon les termes du « Mécréant » du forum Agriculture et Convivialité : « : Je pense que si j'avais envie d'être jardinier de l'environnement, je me ferais embaucher a 35 h par semaine avec 5 semaines de congés payés par une collectivité, avec avantages divers et variés. Or je suis éleveur… donc chef et propriétaire de mon entreprise, je bosse tous les jours, 35 heures deux fois par semaine, sans avantages sociaux ni congés payés. Autant dire que je refuse de mettre le doigt dans ce genre d'engrenage. et que j'entend rester maître en ma demeure. Et je ne vais pas me prostituer pour quelques poignées d'euros. La "volonté politique" aujourd'hui est de"compenser" la non rentabilité de l'exploitation agricole par un "travail extérieur" qui peut prendre la forme de CTE etc. Sauf que l'agriculture c'est en principe un boulot a temps plein; et qu'on a pas forcement vocation a vouloir faire un autre job ». On retrouve ici encore la question de la fonction de l’agriculture, qui est la question sousjacente que l’on retrouve dans toutes les discussions que nous avons pu avoir avec les exploitants. L’orientation générale de la PAC voudrait les voir s’engager dans une logique d’aménagement du territoire, alors qu’ils se perçoivent d’abord comme ayant pour métier de nourrir la « société » au sens large. Le refus de ces exploitants de prendre des contraintes supplémentaires contre rémunération est ici idéologique, elle marque leur désaccord avec la politique agricole actuelle. On remarque également une profonde indépendance des exploitants agricoles « chefs d’entreprise », qui refusent que des tiers leur imposent une manière de travailler qu’ils n’auraient pas choisi, ce qui transparaît dans le témoignage de ce céréalier Aisne quand on lui 8 Le système agricole suisse se caractérise par une technique de paiements directs découplés de la production, venant rémunérer des prestations écologiques obligatoires et facultatives tenant notamment à l’entretien des paysages, à une faible utilisation des produits phytosanitaires et une gestion écologique des sols. Ces paiements sont conditionnés au maintien de surfaces de « compensation écologique », c’est à dire des surfaces ne pouvant être mises en culture. Celles-ci doivent représenter au moins 7% de la surface des exploitations. Pour une présentation synthétique, l’administration suisse a produit un document reprenant les éléments clefs du système agricole fédéral, téléchargeable à cette adresse. demande comment il définit la notion de norme environnementale : « une obligation interdisant une activité sur un espace m'appartenant ». La notion de propriété est ici très claire, cet agriculteur se sent maître en sa demeure et refuse d’être privé de sa totale indépendance quant à ses modes de production. Cette conception marque le très net encrage de la notion de propriété telle que définie par le code civil de 1804 – droit de propriété absolu – et le refus de concevoir la terre agricole comme un bien « commun » ; celle-ci reste le support de l’activité économique. La position de cet éleveur ovin de l’Aude nous semble révélatrice de cette mentalité agricole : « Je pars du principe que la production conditionne l'entretien de l'espace par elle même. L'évidence veut qu'on ne laisse pas s'embroussailler l'espace quand il est nécessaire à l'entretien des bêtes. Raisonnablement je préfère une rémunération décente de ma production, faire de bons agneaux pour qu'ils soient bien payés, donc en démarche qualité Label Rouge qui a elle aussi des contraintes qu'on accepte de fait ». On retrouve ici plusieurs éléments caractéristiques : un agriculteur qui préfère les contraintes Label Rouge, liées à sa production, librement consenties et non imposées ; un agriculteur qui se sait travailler correctement, soucieux de la qualité de sa production, qui entretien correctement l’espace sans qu’on le lui impose parce qu’il considère que cette action fait partie intégrante de son métier et qui tire son revenu de sa seule production et pas de subsides étatiques. Cette vision qu’on les agriculteurs de leur profession explique les réticences actuelles mais aussi historiques vis à vis de la réglementation environnementale en particulier, mais aussi de la PAC en général. Au-delà de ces réponses , certaines construites, d’autres nous paraissant plus comme des réponses de colère, apparaît une minorité d’agriculteurs pour qui s’engager plus serait possible, mais sous certaines conditions, 2) Réformer le système pour des agriculteurs plus engagés Environ un tiers des agriculteurs interrogés (32% des sondés) exprime l’idée qu’ils seraient prêts à s’engager dans des dispositifs environnementaux plus poussés, mais à la condition d’une réforme du système actuel, qu’ils jugent inadapté. Les remarques et conditions d’un éventuel engagement s’organisent autour de deux axes : -des questions de mise en œuvre pratique au plan interne -des questions liées à la concurrence internationale La première série de questions posant problème relève de considérations pratiques , à savoir des questions de financement, de temps de travail et du caractère obligatoire de la législation environnementales. L’incitation financière semble être le premier moteur d’un possible investissement personnel ; comme nous l’a indiqué un célèbre éleveur bovin du marais poitevin : « Il est toujours possible de faire plus tout en sachant le mieux est parfois l'ennemi du bien. Seul un accompagnement financier peut-être de nature à inciter les exploitants agricoles à produire des "biens publics". » Cependant incitation financière ne rime pas forcément avec subvention publique. Si la logique contractuelle ne semble pas forcément être mise à mal, les agriculteurs ne semblant pas s’opposer au système de rémunération supplémentaire pour une prestation environnementale spécifique (comme le curetage des fossés, l’entretien des haies etc), de nombreuses voix prônent une possibilité de valorisation des contraintes environnementales directement sur les produits, à l’image de l’agriculture biologique qui est recherchée par le consommateur pour ses qualités spécifiques et dont le prix tient compte. Si la question financière reste essentielle pour les exploitants, elle s’articule également avec la problématique des contrôles, et pose la question du caractère obligatoire de la législation environnementale. Paradoxalement, les exploitants déclarent en majorité trouver normal que le secteur soit réglementé, mais souhaiteraient une législation non contraignante…ce paradoxe nous apparaît surtout comme la manifestation d’un problème de « soutenabilité » de la législation environnementale, tant du point de vue des contraintes techniques que du poids financier que les investissements environnementaux représentent ou de la lourdeur des amendes pour infraction. « Baba » du forum Agriculture et Convivialité rapporte que « les engagements environnementaux contre indemnisation font beaucoup réfléchir car ils impliquent de la paperasserie supplémentaire, des contrôles où si t'es pas dans les clous X% de tes primes PAC sautent, des actions à effectuer sur le terrain qui vont à l'encontre du bon sens, du temps en plus pour lequel l'indemnité n'est pas rentable. Un exemple : sur mon secteur j'ai le droit de demander la Prime à l'Entretien des Zones Menacées d'Abandon, je ne la sollicite pas car il faut effectuer un pourcentage de débroussaillage chaque année, et l'année ou tu pourras pas le faire tu te fais plomber, donc on coupe quelques buissons sans rien demander à personne juste pour entretenir nos parcours et prairies ». Apparaît ici le besoin d’un peu plus de souplesse dans l’appréciation des infractions environnementales, un exploitant de bonne fois pouvant être condamné une année, alors qu’il aura pu avoir un parcours exemplaires les années précédentes. La question du surcoût en temps de travail est également abordée, qu’elle soit – ici – évoquée en terme de travail administratif, le terme « paperasserie » étant très souvent invoqué ; voire en temps de travail effectif supplémentaire comme le rappelle prosaïquement cet exploitant en polyculture de Côte d’Or : « les jours font 24h,les semaines 7 jours, les années 365 jours » ou « Le Mécréant » du forum Agriculture et Convivialité interrogé sur les CTE : « Sauf que l'agriculture c'est en principe un boulot a temps plein; et qu'on a pas forcement vocation a vouloir faire un autre job ». transition Le second point dénoncé par les exploitants pose la question de la capacité de l’agriculture européenne à faire face à une concurrence étrangère bien moins freinée par des contraintes environnementales. De nombreuses réponses avancent l’idée que les normes internes de l’union faussent la concurrence internationale, les produits étrangers, jugé de moindre qualité mais produits à des coûts bien inférieurs, peuvent entrer sur le territoire et sont proposés à la vente en supermarché, en concurrence directe avec les produits « nationaux ». Le consommateur demandeur de qualité par principe mais recherchant le plus bas coût est accusé d’acheter « étranger » et de bouder les produits locaux. Cette situation apparaît intolérable aux yeux des exploitants, à qui l’on demande de faire toujours mieux mais qui ne peuvent pas vendre leur marchandise à cause des distorsions de prix de revient. Un idée avancée serait d’afficher la provenance de tous les produits de manière particulièrement évidente pour le consommateur, afin de favoriser un potentiel réflexe d’achat de proximité.