Syllabus (2015-2016)

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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
PRESSES UNIVERSITAIRES DE BRUXELLES
Histoire des Temps modernes
Bruno BERNARD
Chargé de cours
D/2015/0098/126
6e édition – Tirage 2015-16/1
HIST-B-110_Z
HIST-B-_Z$
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« C’est l’usage que l’homme fait de la Science qui peut être fautif et non la
Science elle-même. »
Frans van den Dungen (1898-1965)
Professeur à l’ULB ; recteur en 1941, il s’oppose
publiquement aux nazis par la fermeture de
l’ULB et participe aux cours clandestins.
Le label FSC : la garantie d’une gestion responsable des forêts
Les Presses Universitaires de Bruxelles s’engagent !
Les P.U.B. impriment depuis de nombreuses années les syllabus sur du papier recyclé. Les différences de qualité
constatées au niveau des papiers recyclés ont cependant poussé les P.U.B. à se tourner vers un papier de meilleure
qualité et surtout porteur du label FSC.
Sensibles aux objectifs du FSC et soucieuses d’adopter une démarche responsable, les P.U.B. se sont conformé aux
exigences du FSC et ont obtenu en avril 2010 la certification FSC (n° de certificat COC spécifique aux P.U.B. : CU-COC809718-HA).
Seule l’obtention de ce certificat autorise les P.U.B. à utiliser le label FSC selon des règles strictes. Fortes de leur
engagement en faveur de la gestion durable des forêts, les P.U.B. souhaitent dorénavant imprimer tous les syllabus
sur du papier certifié FSC. Le label FSC repris sur les syllabus vous en donnera la garantie.
Qu’est-ce que le FSC ?
FSC signifie “Forest Stewardship Council” ou
“Conseil de bonne gestion forestière”. Il s’agit d’une
organisation internationale, non gouvernementale,
à but non lucratif qui a pour mission de promouvoir
dans le monde une gestion responsable et durable
des forêts.
Se basant sur dix principes et critères généraux,
le FSC veille à travers la certification des forêts au
respect des exigences sociales, écologiques et
économiques très poussées sur le plan de la gestion
forestière.
Les 10 principes et critères du FSC
1. L’aménagement forestier doit respecter les lois nationales,
les traités internationaux et les principes et critères du FSC.
2. La sécurité foncière et les droits d’usage à long terme sur
les terres et les ressources forestières doivent être clairement définis, documentés et légalement établis.
3. Les droits légaux et coutumiers des peuples indigènes à la
propriété, à l’usage et à la gestion de leurs territoires et de
leurs ressources doivent être reconnus et respectés.
4. La gestion forestière doit maintenir ou améliorer le bienêtre social et économique à long terme des travailleurs forestiers et des communautés locales.
5. La gestion forestière doit encourager l’utilisation efficace
des multiples produits et services de la forêt pour en garantir la viabilité économique ainsi qu’une large variété de
prestations environnementales et sociales.
Quelles garanties ?
Le système FSC repose également sur la traçabilité du
produit depuis la forêt certifiée dont il est issu jusqu’au
consommateur final. Cette traçabilité est assurée
par le contrôle de chaque maillon de la chaîne de
commercialisation/transformation du produit (Chaîne
de Contrôle : Chain of Custody – COC). Dans le cas du
papier et afin de garantir cette traçabilité, aussi bien le
producteur de pâte à papier que le fabricant de papier,
le grossiste et l’imprimeur doivent être contrôlés.
Ces contrôles sont effectués par des organismes de
certification indépendants.
6. Les fonctions écologiques et la diversité biologique de la
forêt doivent être protégées.
7. Un plan d’aménagement doit être écrit et mis en œuvre.
Il doit clairement indiquer les objectifs poursuivis et les
moyens d’y parvenir.
8. Un suivi doit être effectué afin d’évaluer les impacts de la
gestion forestière.
9. Les forêts à haute valeur pour la conservation doivent être
maintenues (par ex : les forêts dont la richesse biologique
est exceptionnelle ou qui présentent un intérêt culturel ou
religieux important). La gestion de ces forêts doit toujours
être fondée sur un principe de précaution.
10.Les plantations doivent compléter les forêts naturelles,
mais ne peuvent pas les remplacer. Elles doivent réduire
la pression exercée sur les forêts naturelles et promouvoir
leur restauration et leur conservation. Les principes de 1 à
9 s’appliquent également aux plantations.
Le label FSC apposé sur des produits
en papier ou en bois apporte la garantie que ceux-ci proviennent de forêts
gérées selon les principes et critères
FSC.
® FSC A.C. FSC-SECR-0045
FSC, le label du bois et du papier responsable
Plus d’informations ? www.fsc.be
A la recherche de produits FSC ? www.jecherchedufsc.be
Cette page d’information n’est pas comptée dans le prix du syllabus.
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Évaluation
des enseignements
Dès le quadrimestre terminé,
évaluez vos enseignements
Pour :
⇢ Donner une rétroaction à vos enseignants
⇢ Proposer des améliorations
⇢ Participer à l’évolution des enseignements
⇢ Valoriser les activités d’enseignement
Une évaluation
à plusieurs dimensions
Portant sur :
⇢ La prestation des enseignants
⇢ L’organisation de l’enseignement
⇢ Le déroulement des séances
⇢ L’évaluation des apprentissages (examens)
4 www.ulb.be/enseignements/evaluation
L’évaluation institutionnelle des enseignements est
organisée par l’ULB.
Elle a lieu dès que les enseignements sont terminés.
Elle se déroule en deux campagnes d’enquête en ligne
après les sessions de janvier et de juin.
L’étudiant répond anonymement à un questionnaire
pour chaque enseignement auquel il a participé. Chaque
questionnaire est analysé et les résultats sont envoyés aux
enseignants et à la commission pédagogique facultaire.
Les étudiants et les enseignants ont l’obligation de
participer aux évaluations.
BERNARD Bruno
Histoire des civilisations : Temps modernes
POURQUOI CE COURS ?
Il s’agit, pour l’essentiel, de montrer et d’expliquer en quoi les Temps modernes, qui
s’étendent de la seconde moitié du XVe au début du XIXe siècle, et consacrent la maîtrise
croissante de l’homme sur le monde et sur son propre destin, ont préparé (notamment à
travers une plus grande valorisation du travail et du profit, ainsi que du bonheur et de la
liberté individuelle), l’avènement du libéralisme et de la démocratie parlementaire, de la
société largement laïcisée dans laquelle nous vivons, ainsi que d’une nouvelle anthropologie,
individualisée et de plus en plus dégagée des préjugés religieux, culturels et raciaux.
Le cours s’articulera donc autour des principaux traits de civilisation de la période, qu’il s’agit
de comprendre dans sa singularité, et non de juger.
J’attirerai particulièrement l’attention sur un certain nombre de tensions présentes en
permanence au sein de nos sociétés. Notamment celle entre une vision rationnelle, laïque et
plutôt optimiste de l’homme et de son action sur le monde (qu’expriment bien par exemple
la pensée humaniste, certains courants de la Réforme, ou encore les Lumières), et une vision
plus sentimentale et souvent aussi plus pessimiste (que l’on retrouve notamment dans les
mouvements dévots de la période baroque, dans le jansénisme, ou encore dans le
romantisme, qui naît dans le dernier quart du XVIIIe siècle).
Je m’appuierai régulièrement sur le commentaire d’œuvres particulièrement représentatives
des courants de pensée et des traits de mentalité propres aux différentes générations qui se
sont succédé au cours des Temps modernes, qu’il s’agisse d’ouvrages philosophiques,
politiques, littéraires ou artistiques. Ceux-ci seront naturellement traités non en fonction de
critères formels ou esthétiques, mais essentiellement eu égard à ce qu’ils révèlent en termes
de contenu idéologique.
HIST-B-110_Z
PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles
I
BERNARD Bruno
Histoire des civilisations : Temps modernes
I - DICTIONNAIRES ET ATLAS

Le Petit Robert des noms propres, Paris Le Robert, 2005 (1987)1 (très pratique
pour une information succincte et rapide)

Michel MOURRE, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1996
(1968) (pour une information plus complète)

Encyclopedia Universalis, Paris, 2008 (1968) (pour une étude approfondie)

Georges DUBY, Grand atlas historique, Paris, Larousse, 2004 (1978)
II - MANUELS

Jérôme HELIE, Petit atlas historique des Temps modernes, Paris, Armand Colin,
2000 (Coll. U - Série « Petit atlas historique »)

François LEBRUN, L’Europe et le monde. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand
Colin, 2008 (1987) (Coll. U)

André CORVISIER, Précis d’histoire moderne, Paris, Presses Universitaires de
France (PUF), 1999 (1971)

Une Histoire du monde aux Temps modernes, (ouvr. coll.), Paris, Larousse,
2008
III - QUELQUES SYNTHESES THEMATIQUES

Anne-Laure ANGOULVENT, L’esprit baroque, Paris, PUF, 1994 (Coll. « Que saisje ? », n° 3000)
1
Entre parenthèses est indiquée la date de la première édition. Dans la plupart des cas, l’ouvrage en question a
été revu et augmenté depuis lors.
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II
BERNARD Bruno

Histoire des civilisations : Temps modernes
Philippe ARIES et Georges DUBY (dir.), Histoire de la vie privée, tome 3 De la
Renaissance aux Lumières (Roger CHARTIER dir.), Paris, Le Seuil, 1999 (1986)
(Coll. « Points Histoire », n° 262)

Fernand BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme. XVe-XVIIIe
siècle, 3 tomes, Paris, Le Livre de Poche, 1993 (1979) (Coll. « Références »)

Peter BURKE, La Renaissance européenne, Paris, Le Seuil, 2002 (2000) (Coll.
« Points Histoire », n° 310)

Pierre CHAUNU, Conquête et exploitation des nouveaux mondes. XVIe siècle,
Paris, PUF, 1995 (1969) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Jean DELUMEAU, La Civilisation de la Renaissance, Arthaud, 2005 (1966) (Coll.
« Les Grandes Civilisations »)

Jean DELUMEAU, Monique COTTRET, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire,
Paris, PUF, 1996 (1971) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Jean DELUMEAU, Thierry WANEGFFELEN, Naissance et affirmation de la
Réforme, Paris, PUF, 2003 (1965) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Jacques GODECHOT, Les Révolutions (1770-1799), Paris, PUF, 1986 (1963)
(Coll. « Nouvelle Clio »)

Bernard GUENEE, L’Occident aux XIVe et XVe siècles. Les Etats, Paris, PUF,
1998 (1971) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Hervé HASQUIN (dir.), La Belgique autrichienne, 1713-1794. Les Pays-Bas
méridionaux sous les Habsbourg d’Autriche, Bruxelles, Crédit Communal, 1987

Paul HAZARD, La crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris, Le Livre
de Poche, 1994 (1961) (Coll. « Références »)

Jonathan I. ISRAËL, Les Lumières radicales : la philosophie, Spinoza et la
naissance de la modernité (1650-1750), (trad. de l’anglais), Paris, Editions
Amsterdam, 2005 (2001)
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III
BERNARD Bruno
Histoire des civilisations : Temps modernes

Dominique POULOT, Les Lumières, Paris, PUF, 2000 (Coll. « Premier Cycle »)

Francis RAPP, L’Eglise et la vie religieuse à la fin du Moyen Age, Paris, PUF,
1999 (1971) (Coll. « Nouvelle Clio »)

Jean ROHOU, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, Paris, Le
Seuil, 2002

Paolo ROSSI, La naissance de la science moderne en Europe, Paris, Le Seuil,
1999 (Coll. « Faire l’Europe »)

Guy SAUPIN, Naissance de la tolérance en Europe aux Temps modernes,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1998 (Coll. « Didact Histoire »)

Quentin SKINNER, Les fondements de la pensée politique moderne, Paris,
Albin Michel, 2001 (1978) (Coll. « Evolution de l’Humanité »)

Raymond TROUSSON, Histoire de la libre pensée. Des origines à 1789,
Bruxelles, Editions du Centre d’Action Laïque, 1993, (Coll. « Espace de
Libertés »)
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IV
BERNARD Bruno
Histoire des civilisations : Temps modernes
TABLE DES MATIERES
POURQUOI CE COURS ? ....................................................................................................... I
I - DICTIONNAIRES ET ATLAS.............................................................................................................................. II
II - MANUELS ...................................................................................................................................................... II
III - QUELQUES SYNTHESES THEMATIQUES ........................................................................................................ II
TABLE DES MATIERES .......................................................................................................... V
INTRODUCTION .................................................................................................................. 1
I - QU'EST-CE QUE LES « TEMPS MODERNES » ? ........................................................................................................... 1
II - DEFINITION DES TEMPS MODERNES ET PROBLEMES DE DATATION ................................................................................ 2
1. Le début des temps modernes............................................................................................................... 2
2. La fin des temps modernes.................................................................................................................... 3
3. Le progrès .............................................................................................................................................. 4
III - LES GRANDES CARACTERISTIQUES DES TEMPS MODERNES .......................................................................................... 4
1. La redécouverte de l’Antiquité et la renaissance d'une société urbaine ............................................... 4
2. L'apparition d'un capitalisme commercial puis industriel ..................................................................... 4
3. Les progrès scientifiques et techniques ................................................................................................. 4
4. Les Grandes Découvertes ...................................................................................................................... 5
5. Des Etats centralisés en Europe ............................................................................................................ 5
6. L'individuation ou individualisation....................................................................................................... 5
TEXTE 1 ........................................................................................................................................................ 6
PREMIERE PARTIE AVANT 1450 : LA VILLE, L’UNIVERSITE, L’ÉTAT, FERMENTS D’UNE
NOUVELLE SOCIETE ............................................................................................................. 7
I - L'ESSOR DES VILLES ET SES CONSEQUENCES............................................................................................................... 7
1. Les cités de l'Italie du Nord.................................................................................................................... 8
2. Les banques et le crédit ......................................................................................................................... 9
3. Une nouvelle éthique, plus favorable aux activités économiques et commerciales.............................. 9
4. La révolution technologique : métallurgie et agriculture .................................................................... 10
- dans la métallurgie ........................................................................................................................................ 10
- en agriculture ................................................................................................................................................ 11
5. En 1348 la peste noire marque le début d'une période de dépression économique ........................... 11
6. La démographie des sociétés préindustrielles ..................................................................................... 12
- Les dégâts des guerres .................................................................................................................................. 13
II - LES UNIVERSITES : FOYER DU DEBAT POLITIQUE ET RELIGIEUX .................................................................................... 13
1. Les premières universités .................................................................................................................... 13
2. La redécouverte de l'Antiquité classique en Italie ............................................................................... 14
- les textes ....................................................................................................................................................... 14
- les traces archéologiques .............................................................................................................................. 15
3. L'affirmation du libre-arbitre et ses conséquences ............................................................................. 16
4. Les nouvelles relations entre les Etats et l'Église................................................................................. 17
- Théocratie et césaropapisme ........................................................................................................................ 17
- La lutte entre papes et empereurs (XIe - XIIIe s.) et la querelle des Investitures .......................................... 17
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V
BERNARD Bruno
Histoire des civilisations : Temps modernes
- Philippe le Bel et la naissance du gallicanisme .............................................................................................. 19
- La théorie de la supériorité du concile sur le pape ....................................................................................... 20
- le Grand schisme (1378 - 1417) ..................................................................................................................... 21
5. Jean Gerson et la contestation de la monarchie absolue .................................................................... 22
6. Les précurseurs de la Réforme ............................................................................................................ 22
- Pierre Valdo ................................................................................................................................................... 23
- John Wycliffe (1329 - 1384) et les Lollards .................................................................................................... 23
- Jean Hus ........................................................................................................................................................ 24
- La devotio moderna ...................................................................................................................................... 25
III - L'EVOLUTION DES PRINCIPAUX ÉTATS EUROPEENS ENTRE 1200 ET 1450 ................................................................... 26
1. La mosaïque italienne ......................................................................................................................... 26
2. La Reconquista espagnole et les premières expéditions portugaises en Afrique ................................ 27
- L'Espagne musulmane et les califats de Damas et de Bagdad ...................................................................... 27
- les premières expéditions maritimes portugaises en Afrique ....................................................................... 29
- Les grands empires africains ......................................................................................................................... 31
3. La guerre de Cent Ans (1337-1453) ..................................................................................................... 32
4. Le Saint Empire romain germanique et la Bulle d'Or de 1356............................................................. 32
5. La Scandinavie sous la domination danoise ........................................................................................ 33
6. La monarchie polonaise et la dynastie des Jagellon ........................................................................... 34
7. La Russie d'Ivan III : un État enclavé.................................................................................................... 34
8. L'Empire ottoman en expansion .......................................................................................................... 35
DEUXIEME PARTIE HUMANISME, RENAISSANCE, REFORME (V.1450- V.1550) .................. 36
I - LES GRANDES DATES .......................................................................................................................................... 36
II - L'HUMANISME ................................................................................................................................................ 37
1. Le processus d’individuation ............................................................................................................... 37
- la « civilisation » des mœurs ......................................................................................................................... 38
- la notion d'intimité ........................................................................................................................................ 38
- Une vision « démiurgique » de l’homme ...................................................................................................... 38
- Quelques Humanistes ................................................................................................................................... 39
Texte 2....................................................................................................................................................... 39
- Le mécénat .................................................................................................................................................... 39
Texte 3....................................................................................................................................................... 40
2. Le renouveau des études philologiques et la critique des textes sacrés.............................................. 41
3. Les principaux vecteurs culturels de l'humanisme .............................................................................. 42
- Vecteurs géographiques................................................................................................................................ 42
- Vecteurs techniques : l'imprimerie et l'estampe........................................................................................... 43
4. Le caractère unificateur de la démarche scientifique ......................................................................... 44
5. L'Europe des intellectuels et l'affirmation des caractères nationaux .................................................. 45
III - LA REFORME PROTESTANTE .............................................................................................................................. 46
1. la recherche d'un humanisme chrétien ............................................................................................... 46
- Renaissance et Réforme ................................................................................................................................ 46
- Érasme : le premier intellectuel « européen » .............................................................................................. 47
2. Le luthéranisme ................................................................................................................................... 48
- Luther et la question du salut........................................................................................................................ 48
- La dénonciation des dérives de l'Église romaine ........................................................................................... 48
- La rupture avec Rome et la mise au ban de l'empire .................................................................................... 49
- la création de l’Église réformée ..................................................................................................................... 50
- l’expansion du luthéranisme au nord de l’Europe ........................................................................................ 51
3. Les courants radicaux : anabaptisme et guerre des Paysans .............................................................. 51
- Thomas Münzer ............................................................................................................................................ 51
- les Anabaptistes à Münster ........................................................................................................................... 52
4. Le calvinisme ....................................................................................................................................... 52
- Jean Calvin (1509-64) .................................................................................................................................... 52
- La Genève calviniste ...................................................................................................................................... 53
- L'expansion du calvinisme en France et en Europe ....................................................................................... 54
5. La « Réforme catholique » ou « Contre-réforme » .............................................................................. 54
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VI
BERNARD Bruno
Histoire des civilisations : Temps modernes
- le Concile de Trente (1545-63) et l’action du pape Paul III Farnèse .............................................................. 54
- Ignace de Loyola et la fondation de la Compagnie de Jésus ......................................................................... 55
IV - L'ESSOR ECONOMIQUE..................................................................................................................................... 56
1. Une mentalité plus favorable au travail et au commerce ................................................................... 56
- la question de la dérogeance ........................................................................................................................ 56
- le prêt à intérêt ............................................................................................................................................. 57
- la création des premières bourses ................................................................................................................ 57
2. La naissance de l'économie politique .................................................................................................. 57
- Jean Bodin et l’inflation ................................................................................................................................. 57
- Le mercantilisme ........................................................................................................................................... 58
V - NOUVEL URBANISME ET UTOPIES SOCIALES ........................................................................................................... 58
VI - LES GRANDES DECOUVERTES ............................................................................................................................ 61
1. Les Portugais font essentiellement du commerce côtier ..................................................................... 62
- L'ouverture de la route des Indes.................................................................................................................. 62
- L'Inde moghole .............................................................................................................................................. 63
- la découverte du Brésil .................................................................................................................................. 63
2. Les Espagnols conquièrent et exploitent les territoires et les populations .......................................... 64
- Christophe Colomb........................................................................................................................................ 64
- Le traité de Tordesillas (1494) ....................................................................................................................... 65
- La Casa de Contratación de Indias et les encomiendas ................................................................................. 66
- Balboa traverse l'isthme de Panama ............................................................................................................. 66
- Le tour du monde de Magellan ..................................................................................................................... 67
- Cortés et le Mexique, Mayas et Aztèques .................................................................................................... 68
- Pizarre et le Pérou : l'empire quechua ou Inca.............................................................................................. 68
3. Anglais et Français en Amérique du Nord ........................................................................................... 69
4. Les conséquences économiques des Grandes Découvertes................................................................. 70
- un énorme afflux de métaux précieux .......................................................................................................... 70
5. Le débat sur la colonisation................................................................................................................. 70
- les dégâts de la colonisation : hécatombes et esclavage .............................................................................. 70
- Las Casas : le premier anticolonialiste ? ........................................................................................................ 71
- La naissance du relativisme culturel .............................................................................................................. 72
6. L’Extrême-Orient : Chine et Japon ....................................................................................................... 73
- la Chine.......................................................................................................................................................... 73
- Le Japon......................................................................................................................................................... 73
VII - MACHIAVEL .................................................................................................................................................. 74
1. La montée du pouvoir princier en Italie du Nord................................................................................. 74
2. Machiavel ............................................................................................................................................ 74
Texte 4....................................................................................................................................................... 75
VIII - VERS LA MONARCHIE ABSOLUE ........................................................................................................................ 75
1. Les Etats européens à l'aube des temps modernes ............................................................................. 75
2. La France : fin de la féodalité et centralisation du pouvoir ................................................................. 76
- la fin de la féodalité ....................................................................................................................................... 76
- la centralisation ............................................................................................................................................. 76
- Le règne de François Ier (1515-47) ................................................................................................................. 76
3. L'Angleterre et l'anglicanisme : le règne d'Henri VIII (1509-47) .......................................................... 77
- Édouard VI (1547-53) .................................................................................................................................... 79
4. Charles Quint et les divisions religieuses dans le Saint Empire ........................................................... 79
5. La naissance de la Suède ..................................................................................................................... 80
6. La Pologne : tolérance religieuse et élection du souverain ................................................................. 80
7. Soliman le Magnifique et l'apogée de l'empire ottoman .................................................................... 81
TROISIEME PARTIE LES GUERRES DE RELIGION ET L'AGE BAROQUE (V. 1550 – V. 1660)
LA DIFFICILE NAISSANCE DU PLURALISME RELIGIEUX........................................................ 83
I - LES GRANDES DATES .......................................................................................................................................... 83
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VII
BERNARD Bruno
Histoire des civilisations : Temps modernes
II - BAROQUE ET CLASSICISME : SENTIMENT ET RAISON ................................................................................................. 84
1. Un conflit entre deux visions du monde .............................................................................................. 84
2. Le Concile de Trente (1545-1563)........................................................................................................ 85
- Le refus de tout compromis avec les protestants ......................................................................................... 85
- la restauration de la discipline ...................................................................................................................... 86
3. Le baroque : un instrument de la propagande catholique .................................................................. 87
- Les résistances............................................................................................................................................... 87
4. Les progrès de l'individuation.............................................................................................................. 89
- Dans la vie quotidienne ................................................................................................................................. 89
- Dans les arts et la littérature ......................................................................................................................... 90
- La naissance de l'écrivain à succès ................................................................................................................ 91
- la naissance de l’opinion publique ................................................................................................................ 91
- La culture des salons et le rôle nouveau des femmes ................................................................................... 92
5. Les bases de la science moderne sont posées ..................................................................................... 93
- Bernardino Telesio ........................................................................................................................................ 93
- Giordano Bruno ............................................................................................................................................. 93
- Francis Bacon ................................................................................................................................................ 93
- Descartes ....................................................................................................................................................... 93
Texte 5....................................................................................................................................................... 93
- Galilée ........................................................................................................................................................... 94
- William Gilbert .............................................................................................................................................. 95
- William Harvey ............................................................................................................................................. 95
- Johannes Swammerdam (1627-1680) ........................................................................................................... 95
- Les libertins érudits et le matérialisme, en France et en Italie ...................................................................... 95
6. Dévots et Jansénistes .......................................................................................................................... 95
- les dévots ...................................................................................................................................................... 96
- le jansénisme................................................................................................................................................. 96
III - LA QUESTION DE LA TOLERANCE RELIGIEUSE ......................................................................................................... 97
1. Tolérance négative, tolérance positive ............................................................................................... 97
2. Les premiers défenseurs de la tolérance ............................................................................................. 97
3. Les « Politiques » ................................................................................................................................. 98
4. Les guerres de religion en France ........................................................................................................ 98
- Catherine de Médicis et Coligny recherchent le compromis......................................................................... 98
- La Saint-Barthélemy et ses conséquences..................................................................................................... 99
- L'abjuration d'Henri de Navarre et l'édit de Nantes .................................................................................... 100
- La politique antiprotestante et « machiavélienne »de Richelieu ................................................................ 101
4. L'Angleterre sous Marie Tudor et Élisabeth Ière ................................................................................. 101
- Marie Tudor (1553-58) ................................................................................................................................ 101
- Élisabeth Ière (1558-1603) ............................................................................................................................ 102
5. L'Espagne de Philippe II ..................................................................................................................... 103
6. Le Saint Empire : la Paix d'Augsbourg et l'exercice de la parité ........................................................ 103
IV - L'EXPANSION ECONOMIQUE ISSUE DES GRANDES DECOUVERTES ............................................................................. 104
1. Une conjoncture économique positive jusque vers 1620 .................................................................. 104
2. L’interventionnisme........................................................................................................................... 105
3. L'essor du capitalisme ....................................................................................................................... 105
- Bourses, sociétés à actions, expansion du crédit ........................................................................................ 106
- l’accroissement des inégalités ..................................................................................................................... 107
4. Les résistances au nouveau cours des choses. .................................................................................. 108
- les corporations ........................................................................................................................................... 108
- la noblesse................................................................................................................................................... 108
V - LES GRANDES PUISSANCES ECONOMIQUES EUROPEENNES: ..................................................................................... 108
1. Le « siècle d'or » espagnol (1520-1640) ........................................................................................... 108
2. En France : le poids de la démographie et de l’Etat .......................................................................... 109
3. Les Provinces-Unies au cœur du marché européen ........................................................................... 111
4. L'Angleterre : une image de l'avenir.................................................................................................. 112
VI - LE DEBAT SUR LE POUVOIR DU SOUVERAIN ......................................................................................................... 114
1. La question du tyrannicide ................................................................................................................ 114
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VIII
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Histoire des civilisations : Temps modernes
2. La théorie de la monarchie absolue .................................................................................................. 114
- Les Machiavéliens et la raison d'État........................................................................................................... 114
Texte 6..................................................................................................................................................... 115
- L'essor de la tragédie : Shakespeare, Corneille, Racine ............................................................................... 115
- Jean Bodin et Thomas Hobbes : la peur du chaos social ............................................................................. 115
Texte 7..................................................................................................................................................... 116
3. Le constitutionnalisme ...................................................................................................................... 116
- Grotius et le droit des gens ......................................................................................................................... 116
- La politique l’emporte sur la religion .......................................................................................................... 117
VII - LES PRINCIPALES MONARCHIES EUROPEENNES ENTRE 1550 ET 1660 ..................................................................... 118
1. La poursuite de la construction des identités nationales .................................................................. 118
2. Philippe II et le soulèvement des Pays-Bas ........................................................................................ 118
- L'indépendance des Provinces-Unies .......................................................................................................... 119
3. La montée de la centralisation en France ......................................................................................... 119
- Richelieu ...................................................................................................................................................... 119
- La Fronde ou les Frondes ............................................................................................................................ 120
- La réaction absolutiste ................................................................................................................................ 122
4. Échec de l’absolutisme et mouvements républicains en Angleterre ................................................. 122
- Élisabeth Ière ................................................................................................................................................ 123
- Jacques Ier Stuart ......................................................................................................................................... 123
- Charles Ier .................................................................................................................................................... 123
- Cromwell et les Niveleurs ............................................................................................................................ 124
5. Le Saint Empire romain germanique ................................................................................................. 126
- La guerre de Trente Ans .............................................................................................................................. 126
- Les Traités de Westphalie de 1648 .............................................................................................................. 127
6. L'expansion de l'État prussien ........................................................................................................... 127
7. L’hégémonie suédoise sur la Baltique ............................................................................................... 127
8. L’avènement des Romanov en Russie ............................................................................................... 128
9. L'Empire Ottoman ............................................................................................................................. 128
QUATRIEME PARTIE LE SIECLE DES LUMIERES ET LE CLASSICISME (V.1660 – V.1775)
ABSOLUTISME ET « IDEE NOUVELLE DU BONHEUR » .......................................................130
I - LES GRANDES DATES ........................................................................................................................................ 130
II - LE NEOCLASSICISME ........................................................................................................................................ 131
1. Le règne de Louis XIV et la réaction contre le baroque ..................................................................... 131
2. La redécouverte de l'Antiquité gréco-romaine .................................................................................. 132
3. Les réactions au néoclassicisme ........................................................................................................ 133
- « Style rocaille », « rococo », « chinoiseries » et Gothic Revival ................................................................. 133
- Les débuts du romantisme .......................................................................................................................... 134
- Quiétisme et piétisme ................................................................................................................................. 134
III - VERS LE LIBERALISME ECONOMIQUE.................................................................................................................. 134
1. Deux pays pionniers : les Provinces-Unies et la Grande-Bretagne .................................................... 134
2. L'éloge du travail ............................................................................................................................... 135
Texte 8..................................................................................................................................................... 135
- L'intérêt personnel, moteur du progrès ...................................................................................................... 136
- le débat sur le luxe ...................................................................................................................................... 136
Texte 9..................................................................................................................................................... 136
Texte 10................................................................................................................................................... 137
3. Physiocrates et libéraux français....................................................................................................... 137
- Turgot et la guerre des Farines.................................................................................................................... 139
4. L'évolution des économies européennes ........................................................................................... 139
- Le colbertisme ............................................................................................................................................. 139
- La question du prêt à intérêt ....................................................................................................................... 140
- Le grand commerce colonial ....................................................................................................................... 140
- Les colonies ................................................................................................................................................. 141
- La révolution agricole en Angleterre ........................................................................................................... 141
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IX
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Histoire des civilisations : Temps modernes
- Les débuts de la révolution industrielle en Angleterre ............................................................................... 141
- le salariat ..................................................................................................................................................... 142
IV - LES LUMIERES ET LE TRIOMPHE DE LA RAISON..................................................................................................... 143
Texte 11................................................................................................................................................... 143
1. La conversion des élites au cartésianisme : le primat de l'expérience .............................................. 143
2. Le nouveau statut des sciences ......................................................................................................... 144
- Les académies ............................................................................................................................................. 144
- La médecine ................................................................................................................................................ 145
- La vulgarisation des connaissances scientifiques ........................................................................................ 146
3. L'alphabétisation et ses conséquences.............................................................................................. 146
4. L'Encyclopédie ................................................................................................................................... 147
5. Quelques découvertes scientifiques décisives ................................................................................... 148
6. Le progrès des conditions de vie : hygiène, santé, démographie, confort ........................................ 148
- L'hygiène ..................................................................................................................................................... 148
- La santé ....................................................................................................................................................... 149
- la démographie ........................................................................................................................................... 149
- le confort ..................................................................................................................................................... 149
7. Le débat sur le progrès ...................................................................................................................... 150
Texte 12................................................................................................................................................... 150
Texte 13................................................................................................................................................... 150
8. L'anticolonialisme.............................................................................................................................. 151
V - L'AVENEMENT DE L'INDIVIDU ........................................................................................................................... 152
1. Une nouvelle sociabilité .................................................................................................................... 152
- les sociabilités « restreintes » ..................................................................................................................... 152
2. La recherche du bonheur individuel .................................................................................................. 153
- Le maintien des contraintes collectives et le règne de la réputation .......................................................... 154
VI - LE COMBAT POUR LA TOLERANCE ..................................................................................................................... 154
1. Gallicanisme et césaropapisme ......................................................................................................... 154
- la dissolution de la Compagnie de Jésus. .................................................................................................... 155
2. La question de l'intolérance en France sous Louis XIV et Louis XV .................................................... 155
- La Révocation de l'Édit de Nantes ............................................................................................................... 155
Texte 14................................................................................................................................................... 156
- le jansénisme et la bulle Unigenitus ............................................................................................................ 156
- Voltaire et les affaires Calas et La Barre ...................................................................................................... 157
3. Plaidoyers pour la tolérance.............................................................................................................. 158
- Spinoza (1632-1677) ................................................................................................................................... 158
- Pierre Bayle (1647-1706) ............................................................................................................................. 158
- John Locke (1632-1704) .............................................................................................................................. 158
- Voltaire (1693-1778) ................................................................................................................................... 158
- Denis Diderot (1783). ................................................................................................................................. 159
- le curé Meslier ............................................................................................................................................. 159
VII - MONARCHIE ABSOLUE, DESPOTISME ECLAIRE ET REGIME PARLEMENTAIRE ............................................................... 160
1. L'absolutisme louis-quatorzien.......................................................................................................... 160
- « L'Europe française » ................................................................................................................................. 161
2. Le déclin espagnol ............................................................................................................................. 161
3. Le despotisme éclairé ........................................................................................................................ 161
- La Prusse de Frédéric II................................................................................................................................ 162
- La politique de Marie-Thérèse et Joseph II et son application dans les Pays-Bas autrichiens .................... 164
- La Russie sous Pierre le Grand et Catherine II ............................................................................................. 166
4. Le recul des Ottomans ....................................................................................................................... 168
5. La monarchie constitutionnelle anglaise........................................................................................... 168
Texte 15................................................................................................................................................... 169
Texte 16................................................................................................................................................... 170
CINQUIEME PARTIE L'ERE DES REVOLUTIONS (VERS 1775 - 1800) LE LIBERALISME ET
LES DEBUTS DE LA QUESTION SOCIALE.............................................................................172
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Histoire des civilisations : Temps modernes
I - LES GRANDES DATES ........................................................................................................................................ 172
II - LA REVOLUTION AMERICAINE ........................................................................................................................... 173
Texte 17................................................................................................................................................... 174
III - LA FIN DE L'ANCIEN REGIME ............................................................................................................................ 175
1. Joseph II et la révolution brabançonne ............................................................................................. 175
2. En France : l’entêtement suicidaire des privilégiés ........................................................................... 177
IV - L'AVENEMENT DE LA BOURGEOISIE ................................................................................................................... 178
1. De nouvelles valeurs .......................................................................................................................... 178
- la liberté ...................................................................................................................................................... 178
- la sûreté....................................................................................................................................................... 178
- L'égalité ....................................................................................................................................................... 178
- La fraternité................................................................................................................................................. 179
- La question de la traite des Noirs et de l'esclavage..................................................................................... 179
2. La mise en œuvre d'une politique de libéralisme économique.......................................................... 179
- Turgot .......................................................................................................................................................... 179
- Joseph II....................................................................................................................................................... 180
- Les lois d'Allarde et Le Chapelier ................................................................................................................. 180
V - LA REVOLUTION FRANÇAISE ............................................................................................................................. 181
1. Les droits de l'homme et l'émancipation de l'individu ...................................................................... 181
Texte 18................................................................................................................................................... 181
2. Vers une société sécularisée .............................................................................................................. 182
- La constitution civile du clergé .................................................................................................................... 182
- l'instauration de l’état-civil.......................................................................................................................... 182
- La séparation de l'Eglise et de l'État ............................................................................................................ 182
3. La question sociale ............................................................................................................................ 183
Texte 19................................................................................................................................................... 183
Texte 20................................................................................................................................................... 183
- L'affirmation du droit à une vie décente ..................................................................................................... 184
Texte 21................................................................................................................................................... 184
CONCLUSION ...................................................................................................................185
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Histoire des civilisations : Temps modernes
INTRODUCTION
I - QU'EST-CE QUE LES « TEMPS MODERNES » ?
Les Temps modernes vont, en principe, de la Renaissance à 1789.
Cette période est marquée par la maîtrise croissante de l'homme sur le monde et sur son
propre destin. Elle a préparé le libéralisme et la démocratie parlementaire, aboutissant à
une société laïcisée, à une nouvelle anthropologie ainsi qu'une nouvelle conception de
l'homme qui est celle d'un monde dans lequel chaque individu est censé faire ses choix et
c'est un trait particulier de la société occidentale que d'être individualiste, alors qu'autrefois
l'individu faisait partie d'une communauté, d'un groupe dont il était le membre.
L’individuation crée une société de plus en plus libérée des préjugés religieux, culturels et
raciaux. Toutefois, il y a en permanence des tensions dans la société, notamment entre les
partisans :
- d'une vision rationnelle, laïque et plutôt optimiste de l'homme qui peut se transformer,
choisir son destin : c'est la pensée humaniste ; ce sont les courants de la Réforme
protestante, les idées du siècle des Lumières, notamment celles de tolérance religieuse et de
progrès.
- ou une vision plus affective, plus pessimiste, plus sentimentale et moins rationnelle, qui a
une image de l'homme plutôt négative comme dans les mouvements dévots de la période
baroque et que l'on retrouve aussi chez Jean-Jacques Rousseau, dans le jansénisme, dans le
romantisme. Elle est porteuse notamment de cette idée de l'homme coupable du péché
originel vis-à-vis de la nature...
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Histoire des civilisations : Temps modernes
II - DEFINITION DES TEMPS MODERNES ET PROBLEMES DE DATATION
Le mot « moderne » est difficile à définir. Étymologiquement il vient du latin modernus,
déformation de hodiernus (hodie veut dire « aujourd'hui ») : « ce qui est actuel ».
En réalité, les limites des temps modernes sont arbitraires car les choses se font
progressivement, et il n'y a pas de cassure brutale.
1. Le début des temps modernes
Deux dates sont possibles :
1453 : qui marque la chute de Constantinople (auj. Istanbul) capitale du dernier empire
chrétien d'Orient avec le renversement des empereurs romains d'Orient par les Turcs
ottomans. Aujourd'hui, cette date, trop « européocentrique », n'est plus celle qui est
généralement retenue.
1492 : qui marque la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb. C'est la première
fois que l'on traverse l'Atlantique.
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Histoire des civilisations : Temps modernes
1492 est d’ailleurs aussi la
date qui marque la fin de la
Reconquista espagnole, la fin
des États musulmans en
Espagne.
Aujourd'hui, tout le monde
retient la date de 1492
comme étant celle du début
des temps modernes. Il s'agit
néanmoins
d'une
date
symbolique, arbitraire, mais qui ne constitue en rien une frontière formelle.
2. La fin des temps modernes
Pour les pays francophones et latins: la Révolution française de 1789 marque un tournant
majeur.
En Belgique, la Révolution française a certes des conséquences en Belgique, notamment
avec la survenue d'une Révolution Brabançonne et d’une Révolution Liégeoise. Mais 1830,
date de la naissance du royaume de Belgique marque pour certains historiens le véritable
début de la période « contemporaine ».
Les historiens anglo-saxons et germaniques ne situent pas la fin des temps modernes à
1789. Les Anglais n'ont, en effet, pas connu de Révolution en 1789 et la Révolution
américaine a commencé en 1776. Les historiens anglo-saxons préfèrent donc parler de Early
modern (en allemand : Frühmoderne) et de modern pour la période « contemporaine » qui
commence en 1914, avec la Première Guerre Mondiale.
Tout cela veut dire que la conception des temps modernes « à la française » n'est pas
universelle.
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Histoire des civilisations : Temps modernes
3. Le progrès
Il n'est pas continu et selon Voltaire c'est une ligne ascendante brisée, «un trend positif »
comme on dit en économie, mais avec des mouvements de recul et des résistances. La
Renaissance et le XVIIIe siècle sont des périodes de progrès alors que le XVIIe siècle est
plutôt marqué par un recul par rapport à certaines évolutions de la Renaissance comme
l'illustrent les guerres de religion qui marquent un retour des fanatismes.
III - LES GRANDES CARACTERISTIQUES DES TEMPS MODERNES
Les Temps modernes posent les bases du monde contemporain :
1. La redécouverte de l’Antiquité et la renaissance d'une société urbaine
Les temps modernes vont retrouver des modes de pensée et de comportements plus
proches de l'Antiquité : la Renaissance, qui en est clairement issue, commence en Italie au
XIVe siècle. Les Temps modernes voient aussi la renaissance des villes.
2. L'apparition d'un capitalisme commercial puis industriel
Toutes les régions ne connaîtront pas ce même développement, car ce seront surtout les
régions les plus avancés économiquement, l'Italie du Nord et la Flandre, puis plus tard
l'Angleterre, la Wallonie et les Provinces-Unies, qui verront apparaître ce capitalisme.
3. Les progrès scientifiques et techniques
Ces progrès donnent à l'homme, la possibilité et/ou le sentiment de maîtriser l'univers. Des
découvertes capitales comme celles du microscope et du télescope font prendre conscience
à l’homme qu’il peut prendre connaissance d’un monde invisible à l’œil nu. Cela crée le
sentiment que l'homme arrivera un jour à tout connaître et comprendre.
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Histoire des civilisations : Temps modernes
4. Les Grandes Découvertes
Les continents donnent une vision nouvelle du monde, différente de celle que l'on
envisageait au Moyen Âge. Ces découvertes ont entraîné une hégémonie européenne sur
l'ensemble du monde avec notamment les phénomènes de colonisation.
5. Des Etats centralisés en Europe
Quelques grands Etats européens vont se cristalliser, tandis que d’autres encore morcelés
(Italie, Allemagne) ne se constitueront qu'au XIXe siècle.
De grandes monarchies
centralisées s'organisent notamment en France, Espagne et Angleterre, et quelques
républiques comme les Provinces-Unies.
6. L'individuation ou individualisation
C'est le fait que la société repose désormais sur les individus. C'est une spécificité
européenne (auj. « occidentale ») qui n'existe pas partout dans le monde. Cette conception
de la société a été apportée ailleurs par les Européens et elle est soit adoptée, soit rejetée
car d’origine étrangère par certaines sociétés non-occidentales.
Dans cette société, le destin de l'individu lui appartient ; c'est à lui de faire ses choix et il
peut en effet faire ses propres choix religieux, politiques, culturels, sexuels, en toute liberté.
Ce phénomène est quelque chose qui naît pendant cette période des temps modernes et qui
est soutenu par ceux qui considèrent que c'est pour l’homme une libération des contraintes
collectives.
C'est à partir de là, que l'on voit naître une société pluraliste, c'est-à-dire où aucun courant
politique, religieux ou culturel ne peut prétendre à l'unanimité, ni à l’emporter
définitivement. La diversité fait partie de la société, et les choix politiques sont réversibles.
Aucune certitude ne peut être imposée par les uns aux autres.
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Histoire des civilisations : Temps modernes
TEXTE 1 « Auparavant (la société ancienne), l'orientation majeure de la civilisation était une adhésion
à un ordre antérieur et supérieur aux hommes. Leur attitude était dominée par une
aspiration à la sagesse et au salut dans l'intégration à un ordre divin, naturel,
communautaire et idéologique, préétabli, qui définissait le bien, le juste, ainsi que le statut et
la personnalité même des individus. Par la suite au contraire, remplaçant cette soumission
par une volonté de domination pour la satisfaction de leurs désirs, les hommes ont entrepris
de se rendre« maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes discours de la méthode, VI),
d'émanciper leur pensée des dogmes, traditions et autorités, de substituer aux communautés
holistes de libres associations d'individus, et même de soumettre la religion à la conscience
personnelle ».
Jean ROHOU, Le XVIIe siècle : une révolution de la condition humaine (Paris, 2002)
Après avoir écrit le Discours de la méthode, René Descartes s'est réfugié en Hollande (pays
protestant) car il savait qu'en publiant ce texte, il serait censuré par l'Église catholique. Le
seul fait d'écrire que l'homme peut se rendre « maître et possesseur de la nature » rend
l'auteur hérétique et passible d'un procès ecclésiastique. Il a insulté Dieu, seul maître de la
nature. Quel orgueil pour l'homme que de croire qu'il va en devenir le « possesseur »!
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Histoire des civilisations : Temps modernes
PREMIERE PARTIE
Avant 1450 : la ville, l’université, l’État,
ferments d’une nouvelle société
La plupart des traits de civilisation des Temps modernes, notamment les concepts politiques,
trouvent leur origine dans les derniers siècles du Moyen Âge.
En effet, dès le XIIe siècle apparaissent les premiers signes d'une modification des
structures politiques et économiques issues de la féodalité.
Trois grands éléments apparaissent durant cette période et préfigurent ce que seront les
temps modernes : les villes, les universités, les Etats.
I - L'ESSOR DES VILLES ET SES CONSEQUENCES
Du IIIe au Ve siècle, l'empire romain fait l'objet d'invasions germaniques et ces invasions
aboutissent à son effondrement en 476, date à laquelle l'empire romain cesse d'exister en
Occident.
L'empire romain se replie sur Constantinople et ne possède donc plus que la partie
extrême-orientale de l'Europe. Aucun Etat centralisé ne le remplace en Occident. et la
civilisation urbaine s’écroule. La population des villes décroît alors, les monuments se
dégradent et se transforment en carrières. L'insécurité règne ce qui conduit à la mise en
place de la féodalité, laquelle instaure, en échange d’une protection, un lien de dépendance
vis-à-vis des seigneurs.
L'économie devient essentiellement rurale, basée sur les grands domaines agricoles. La
plupart des constructions sont en bois, à la différence des maisons construites en pierre de
l'époque romaine.
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Histoire des civilisations : Temps modernes
Au XIIe siècle, on assiste à un essor démographique assez important, que l'on n'explique pas
vraiment, mais qui sera à l'origine du début de changements importants. Des défrichements
agricoles seront nécessaires pour nourrir la population. Les villes commencent à se
repeupler. Des villes nouvelles se créent (que l'on appellera souvent « Villeneuve »,
« Villefranche ») et les seigneurs leur accordent des avantages en échange de leur
soumission.
La société ne s'urbanise cependant que progressivement, et les villes demeurent de taille
très modeste : en Europe, seules trois ont plus de 100 000 habitants : Paris, Rome et Naples
(à titre de comparaison, au IIIe siècle, Rome avait plus d’un million d’habitants, tout comme
Bagdad, au IXe, ou Nankin, au XIVe ; au XVie siècle, Tenochtitlan/Mexico comptera 500.000
habitants, et Istanbul 700.000).
1. Les cités de l'Italie du Nord
Florence vers 1490, estampe (Chroniques de Nuremberg, 1493)
Parmi ces villes, qui cultivent le souvenir de leur passé sous l’Empire romain, les cités de
l'Italie du Nord sont les plus en pointe du point de vue politique. Ce sont aussi des villes très
commerçantes : au bas Moyen Âge, les deux plus riches régions d'Europe sont le Nord de
l’Italie et les Flandres (Bruges par exemple). Dans ces villes, qui étaient la plupart du temps
soumises à l'évêque ou au seigneur, vont se former des corps politiques municipaux élus
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par la bourgeoisie locale. Ces municipalités élues vont se dégager, petit à petit, de
l'influence des seigneurs et de l'Église.
La première de ces villes à s'émanciper est Pise, dès la fin du XIe siècle.
Puis d'autres villes d'Italie du Nord vont suivre l'exemple de Pise et se regrouper dans une
Ligue lombarde pour défendre leur libertas c'est-à-dire leur indépendance vis-à-vis des
pouvoirs supérieurs, notamment celui du Saint Empire romain germanique. Ces villes
doivent en effet à l'empereur, leur suzerain, une certaine solidarité militaire et financière.
Au XIIIe siècle, on assiste à la revanche des seigneurs: le mouvement d’émancipation des
villes est vaincu par la force.
2. Les banques et le crédit
Ce phénomène commence vers 1180 environ en Italie du Nord. Les banquiers, que l'on
appelle des Lombards, du nom de leur province d’origine, sont de grands marchands qui
prêtent leur argent contre intérêt.
L'Église catholique est totalement opposée à ce prêt à intérêt; pour elle, cela constitue un
vol (nous verrons que les protestants penseront différemment). Cette interdiction morale
est régulièrement contournée par l’usage de la lettre de change, instrument de paiement
différé semblable au chèque, mais grevé d’un escompte (la banque prélève des agios sur la
somme remboursée au créancier).
Malgré ce conflit entre l'Église et l'économie, les banquiers lombards vont créer des
succursales, s'installer en Flandre, en France, en Angleterre, en Allemagne, autour de la
Méditerranée. Ces banquiers sont si riches qu'ils prêtent parfois aux rois.
3. Une nouvelle éthique, plus favorable aux activités économiques et
commerciales
Ceux qui font des profits sont assez mal vus de la population et de la société qui est en
grande majorité catholique. D'autre part, la société médiévale, qui décomposait la
population entre ceux qui prient, ceux qui font la guerre, et ceux qui travaillent, évolue, et la
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bourgeoisie apparaît avec le commerce des villes. Cette catégorie sociale nouvelle va peu à
peu se rebeller contre ces valeurs ecclésiastiques désuètes, contre l'immobilisme d'une
société dans laquelle les privilèges de l'Église apparaissent énormes.
Simultanément, l'économie monétaire métallique (le papier-monnaie, qui a été introduit en
Chine dès le XIe siècle, n’est utilisé en Europe qu’à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle)
se répand en Europe, en conséquence de la découverte de mines d'argent en Europe
centrale, au XIVe siècle.
Cette catégorie de bourgeois qui représente 10 à 15 % de la population s'enrichit et gagne
de l’influence. Elle va devenir un élément moteur du changement de la société.
Parmi les nouvelles valeurs, on découvre donc le travail et le profit, alors que le travail n'a
jamais été une valeur aristocratique ; l'aristocratie ne travaille pas - pour elle, le travail n'est
pas une valeur mais une tâche réservée aux manants et aux pauvres. Quant à l'Église, elle
prône et fait plutôt la charité.
4. La révolution technologique : métallurgie et agriculture
- dans la métallurgie
On augmente la température des hauts-fourneaux qui sont construits en briques
réfractaires et dans lesquels on fond le métal. C'est d’abord dans les environs de Liège que
les progrès les plus importants sont faits, au cours du XIVe siècle. Puis, à Liège et en
Angleterre, on voit apparaître aux XIVe et XVe siècles le charbon de terre, qui remplace le
charbon de bois. Il permet d'atteindre des températures plus élevées apportant ainsi une
plus grande pureté du métal. C'est donc une avancée technique importante. L'outillage de
fer sera en effet, de meilleure qualité.
La découverte de mines d'argent en Europe centrale va augmenter la production de ce
métal, et la circulation monétaire.
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- en agriculture
Il ne faut pas négliger le rôle important des moines
cisterciens qui ont été les meilleurs exploitants agricoles
de la fin du Moyen Âge, améliorant la rentabilité des
abbayes qui possédaient de grands domaines. Ils
pratiquent le défrichement et construisent des fermes
modèles dès le début du XIIe siècle.
On note également des progrès dans la traction animale
(les bœufs s'avèrent meilleurs que les chevaux pour tirer
Deux colliers d'épaule
les charrues). On invente « le collier d'épaule » qui apporte une plus grande force de
traction.
Les chariots s'équipent d'un avant-train mobile à partir du XIVe siècle qui leur permet de
mieux négocier les virages.
Les sources d'énergie au bas Moyen Âge sont principalement l'eau et le vent : les moulins
constituent une source énergétique naturelle et essentielle.
5. En 1348 la peste noire marque le début d'une période de dépression
économique
Il s'agit cette fois d'un élément négatif. À côté d'une démographie qui progresse sans que
l'on comprenne véritablement pourquoi, survient au milieu du XIVe siècle (1348) la peste
noire, catastrophique par ses conséquences. Elle vient de Mongolie, avec laquelle il existe
un courant commercial qui passe par la mer Noire.
Les échanges avec les marchands italiens se font dans une ville de Crimée : Caffa (auj .
Feodossia). En 1346, des bateaux génois partent de Caffa vers l'Italie avec à bord des rats
infestés. Le rat n'est pas l'agent de transmission mais son principal vecteur. La transmission
se fait en réalité, à partir des puces du rat qui piquent l'homme, lequel devient alors
contagieux.
1347 : la maladie se répand en Méditerranée et suit les courants commerciaux
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1348 : toute l'Europe occidentale est touchée entraînant une hécatombe massive : 12 à 60
% de la population, selon les villes et les régions, est touchée. Cologne, Paris, Naples,
Valence, Francfort, Bâle et Londres perdent plus du tiers de leur population entre 1348 et
1350.
Il n'y a pas de traitement et on ne comprend pas ce fléau, dont on croit que la transmission
est aérienne et que l'on rattache à la volonté de Dieu. Aussi, utilise-t-on des fumées pour
tenter de contrarier la transmission et la diffusion de la maladie.
Cette peste a eu des conséquences économiques désastreuses, constituant un énorme frein
à la consommation et au commerce. Il a fallu un siècle pour que l'Europe récupère son
niveau de population d'avant 1348.
À cette crise économique, s'ajoute une crise morale : la religion tient en effet une place
importante et la peste est considérée comme « un signe du ciel », un châtiment de Dieu.
Naissent alors des sectes religieuses appelées millénaristes, qui prédisent la fin du monde et
annoncent le châtiment de Dieu, ce qui va alors déclencher deux courants de pensée :
- l'un considérant que l'homme est pécheur et doit se repentir
- l'autre considérant que puisque c'est la fin du monde, les lois morales ne comptent plus.
Dans le Decameron, œuvre littéraire (1348-53) de l’Italien Boccace, ce dernier met en scène
des jeunes gens réfugiés dans une propriété de Toscane, à l’abri de la peste, et dont le
comportement amoureux est totalement désinhibé par ce contexte de « fin du monde ».
6. La démographie des sociétés préindustrielles
La fécondité des femmes est quasi naturelle à cette époque et on observe en moyenne la
naissance de sept enfants par femme. Cependant, la mortalité est aussi très importante : un
enfant sur quatre meurt dans la première année ; un second meurt dans les 20 premières
années. Cela limite donc l'expansion démographique, tandis que l'espérance de vie
moyenne est de l'ordre de 40 ans.
À côté de crises majeures comme la peste de 1348, il peut y avoir des variations
démographiques dues aux famines et aux guerres.
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- Les dégâts des guerres
Le premier désastre, d’un point de vue numérique : ce sont les épidémies (plus de 50% des
décès). Les populations des campagnes se réfugient dans les villes, qui sont dès lors
surpeuplées, ce qui entraîne des problèmes d’approvisionnement, mais aussi d’hygiène,
notamment celui de l’évacuation des eaux usées car il n’y a pas de tout-à-l’égout. Les fosses
septiques débordent et contaminent l’eau des puits et des rivières.
D’autre part il n’y a pas de casernes (qui ne feront leur apparition qu’au XVIIIe siècle) et les
soldats, souvent porteurs de maladies, logent chez l’habitant.
Les combats se déroulent en été et les récoltes ne peuvent être faites. D’où des famines. Au
total, plus de 80% des décès ne sont pas liés directement aux combats.
La baisse de population provoque une chute des naissances, tout comme la diminution de la
fertilité des femmes, atteintes de carences alimentaires. Ces classes d’âge peu nombreuses
(dites « classes creuses ») ont des répercussions démographiques sur plusieurs générations.
On observe cependant après les guerres un phénomène spontané de rattrapage qui corrige
en partie le déficit démographique.
II - LES UNIVERSITES : FOYER DU DEBAT POLITIQUE ET RELIGIEUX
1. Les premières universités
Bologne est la première université du monde. Elle est créée par des juristes en 1088.
Suivront notamment : Oxford (1167), la Sorbonne (1170), Cambridge (1229), Salamanque
(1239), Vienne (1365). L’université de Louvain ne sera fondée qu’en 1425, celle de Leyde en
1575.
Elles naissent souvent dans le sillage d’anciennes « écoles cathédrales ». Les universités sont
toutes créées ou patronnées par l'Église et les professeurs sont tous membres du clergé;
aucune université n'est créée alors par l'État. Elles sont de très petite taille : quelques
dizaines de professeurs, quelques centaines d’étudiants au maximum. Toutes se consacrent
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uniquement à l'enseignement de la théologie et des « deux droits » : droit civil et droit
« canon », c’est-à-dire celui de l'Église catholique.
À la fin du XVe siècle, il y a environ 80 universités en Europe.
2. La redécouverte de l'Antiquité classique en Italie
- les textes
Dans ces universités, on redécouvre l'Antiquité latine et grecque. Cette réappropriation
s'est d'abord faite en Italie où l’on n'a jamais perdu tout à fait le contact avec l'Antiquité au
cours du Moyen Âge, même si beaucoup de textes ont disparu. Aux XIVe et au XVe siècles on
va s’attacher à redécouvrir certains textes et certains monuments du passé. L'université de
Bologne a, de ce point de vue, joué un rôle important car on va y étudier le droit romain
(c'est une spécificité de l'université de Bologne que de remettre au goût du jour le droit
romain pour en faire une relecture et s'en inspirer le plus possible pour l'appliquer au droit
que l'on pratique en Italie, à l'époque du bas Moyen Âge).
Il faut ici signaler le rôle particulier d'un érudit italien, à la fois
poète et moraliste qui pratique le latin : Pétrarque ou
Francesco Petrarca (1304 -1374). Il a fait des études de droit à
Montpellier et à Bologne, a beaucoup voyagé, est allé en
France et en Allemagne. C'est un érudit, un personnage
d'envergure européenne. Il est le premier moteur de la
Renaissance en matière littéraire et philosophique. C'est en
effet, à partir de ses recherches assidues de textes anciens
que des intellectuels vont se mobiliser, faire la visite d'un
certain nombre de bibliothèques, d'archives... pour retrouver
ces textes latins et grecs antiques perdus ou simplement
oubliés, se lancer dans l'exploration d'un certain nombre de couvents, de monastères où l'on
conservait des textes anciens que l'on recopiait.
Francesco Petrarca
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Il va le premier nommer « temps obscurs» la période de dix siècles séparant l'effondrement
de l'empire romain du XIVe (notre moyen âge) qui marque le début de la Renaissance.
L’histoire des « temps modernes » commence donc par la « redécouverte » de textes et de
monuments qui ont plus de 1000 ans.
Il existe cependant un deuxième vecteur de transmission des textes antiques : c'est celui du
Califat de Cordoue (929-1031). Dans ce royaume musulman d'Espagne, on conserve et
étudie les textes anciens grâce à des traductions en arabe. En effet, à partir des XIe-XIIe
siècles, un certain nombre de savants espagnols chrétiens ont commencé à retraduire en
latin (alors la langue universelle de savants) des textes qui étaient perdus dans leur version
latine d'origine. Ce ne sont donc plus des originaux mais des textes latins, grecs et juifs
autrefois traduits en arabe (ils avaient été rassemblés à Bagdad, dans la « Maison de la
Sagesse » - Bayt al-hikma - fondée à la fin du VIIe siècle par un calife omeyyade, et qui fut
ouverte aux savants à partir de 832) et qui sont maintenant retraduits en latin.
- les traces archéologiques
Une partie des bâtiments de l'Antiquité était enfouie dans le sol, dont on sait que le niveau
monte de siècle en siècle (voir l’exemple de l’aula magna qui, sous la Place royale de
Bruxelles, abrite les vestiges du palais dans lequel Charles Quint a abdiqué).
Des fouilles sont organisées autour de Rome par les intellectuels de
l'époque, à savoir les évêques, les cardinaux, les papes qui deviennent
les premiers collectionneurs d'art et d'antiquités. Se crée ainsi au XIVe
siècle, et se développe au XVe siècle un musée pontifical regroupant des
objets d'art. L'idée de collection et de musée existe déjà à Rome dès le
XVe siècle, et c'est à Rome que ce mouvement commence.
Retrouvant l'art antique et ses sujets profanes, on s'inspire aussi des
canons artistiques de l'Antiquité. La première statue de nu depuis plus
de 10 siècles est le David de Donatello, qui fait alors scandale.
Le David de Donatello
(1443)
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3. L'affirmation du libre-arbitre et ses conséquences
Le libre-arbitre, c'est le fait que l'homme est maître de ses décisions. Or, la philosophie
médiévale a longuement débattu de cette question :
- ou bien Dieu a créé l'homme et dirige tout; les hommes ne sont alors que des
marionnettes, c'est ce que l'on appelle le serf-arbitre dans lequel la volonté de l'homme est
déterminée par Dieu, l'homme ne pouvant vouloir que ce que Dieu veut qu'il veuille.
Jusqu'au XIVe siècle c'est cette position du serf-arbitre qui l'emporte.
- ou bien Dieu a laissé aux hommes une certaine liberté de faire des choix, de pencher vers
« le bien » ou « le mal » : c’est la thèse du libre-arbitre.
Au XIIIe siècle, un théologien dominicain italien, Thomas d'Aquin
(Tomaso d'Aquino: village dont il est originaire), qui enseigne en Italie et
en France, insiste sur le libre arbitre et gagne de l’influence. Il veut
concilier la foi et la raison. Ce faisant, il valorise la connaissance et
déclare que « par la science, l'homme peut connaître le monde » et que
ses idées créatrices peuvent être bonnes et profitables. Cette image
optimiste de l’homme s'oppose évidement à celle, pessimiste, fondée sur
le péché originel d’Adam et Eve. Par cette mise en valeur du libre-arbitre et d’une vision
optimiste de l’humanité, Thomas d’Aquin laisse la liberté à l'homme de décider de ce qui
est bon ou mauvais pour lui-même.
Un de ses disciples, le moine franciscain anglais Guillaume d'Occam ou d’Ockham (première
moitié du XIVe siècle) qui enseigne à l'université d'Oxford va plus loin : puisque Dieu a donné
à l'homme la capacité et la liberté de s'approprier les richesses terrestres de l'univers et de
les faire fructifier à son profit, sciences et techniques ne doivent pas connaître de limites.
Cette opinion a d’importantes conséquences politiques : si les sciences et les techniques
peuvent évoluer, les institutions politiques peuvent également se transformer. Les Etats ne
sont pas créés par Dieu mais par les hommes, qui sont donc libres de se rassembler pour
désigner leurs chefs, ou se constituer en communautés. Ce sont donc là des idées
proprement révolutionnaires.
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Autre conséquence: il n'est pas clairement mentionné dans les Ecritures qu'il doit y avoir un
pape à Rome. Cette hiérarchie ecclésiastique est donc une création humaine. Des textes
parlent d'Ecclesia, mais ce mot grec signifie « assemblée » et non une institution verticale.
Les écrits de Guillaume d'Occam portent donc en germe des idées politiques et religieuses
proprement révolutionnaires.
Il devra d’ailleurs se réfugier à Munich où il sera protégé par l’électeur Louis IV de Bavière,
échappant ainsi à la persécution de l'Église et des souverains alliés du pape. (Il est à noter
que ce n'est pas l'Église qui frappe : elle condamne dans ses tribunaux, et c'est l'État qui
exécute ensuite la sentence).
L'archevêque Simone Saltarelli, aux pieds d'Innocent VI,
admoneste Guillaume d'Ockham. À droite du pape, l’empereur
Charles IV de Luxembourg (chapelle des Espagnols, église SantaMaria-Novella à Florence)
4. Les nouvelles relations entre les Etats et l'Église
- Théocratie et césaropapisme
Soit l'État domine l’Église: c’est le césaropapisme.
Soit l'Église domine l’Etat: c’est la théocratie dans laquelle les lois civiles se confondent avec
celles de la religion.
- La lutte entre papes et empereurs (XIe - XIIIe s.) et la querelle des Investitures
Au niveau le plus élevé, elle oppose les empereurs du Saint Empire romain germanique et
les papes pour la domination sur l’espace européen
- « Saint » : parce qu'il est catholique
- « Empire » parce qu’il prétend à l’imperium européen
- « romain » parce qu'il prétend être l'héritier de l'empire romain disparu, balayé par les
invasions barbares.
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- « germanique » car cet empire est basé essentiellement en Allemagne, même s'il domine
aussi l'Italie du Nord ou la Bohême par exemple..
Les conflits entre les papes et les empereurs ne sont pas de nature religieuse, mais il est
question de savoir qui a le pouvoir et qui perçoit les revenus ? Ce conflit est donc purement
politique, les empereurs ne se mêlant pas de religion.
La querelle des Investitures porte, elle, sur la nomination et l'installation des prélats de
l'Église : les évêques et les abbés des grandes abbayes.
Qui du pape ou de l'empereur doit les nommer ? Que se passe-t-il pour les revenus de
l'abbaye ou de l'évêché durant la période, qui dure parfois plusieurs années, séparant la
mort d'un prélat et la nomination de son successeur ?
Pour le pape, en tant que chef de l'Église, c'est à lui que revient le pouvoir de nommer les
évêques et les abbés. Mais l’empereur (comme certains souverains) demande un droit de
regard sur ces nominations car cela se passe dans son empire.
Concernant les revenus : pour le pape il s’agit de revenus ecclésiastiques. Pour le souverain,
il y a vacance de l'Église, et durant ce temps-là les revenus reviennent au pouvoir civil.
Le pape n'a pas d'armée mais sa puissance est d'ordre spirituel. Il peut en effet
excommunier l'empereur, l'exclure de la communauté chrétienne et inviter ses sujets à
s'affranchir de leur obéissance envers un souverain excommunié. L'empereur ne peut alors
plus entrer dans une église et participer au sacrifice divin. La puissance du souverain est,
elle, d'ordre militaire.
En 1122, le concordat de Worms est signé entre le pape et l'empereur allemand Henri V et
qui met fin à la querelle des Investitures. Le pape donne l'investiture spirituelle (l’anneau et
la crosse), l’empereur l'investiture temporelle (le sceptre) pour les biens fonciers et les
fonctions régaliennes de l'évêque; ainsi, le souverain conserve-t-il un droit de regard sur
cette nomination et reste maître chez lui. Mais il restitue à l'Église les biens et « régales
temporelles », c'est-à-dire le droit de percevoir les revenus d'un siège épiscopal vacant, et
garantit en outre paix et assistance à l'Église.
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Selon la papauté, le souverain pontife a reçu de Dieu deux glaives : l'épée spirituelle et
l'épée temporelle. Il donne l'épée temporelle au souverain, à l'empereur ou au roi de France
ou d'Angleterre.
Pour l'empereur c’est le contraire : c’est lui qui a reçu de Dieu le pouvoir, avec comme
contrepartie, le devoir et l'objectif de protéger l'Église.
En général les souverains catholiques sont réticents à laisser trop d’influence à la papauté
dans leurs Etats.
- Philippe le Bel et la naissance du gallicanisme
En France, au début du XIVe siècle, un conflit survient sur le thème des investitures entre le
roi de France, Philippe le Bel, et le pape.
En 1302, le roi obtient le soutien du clergé français contre le pape de Rome, sur les
questions économiques, notamment celles des investitures en cas de vacance d’évêché ou
d’abbaye.
En 1303 Philippe le Bel est excommunié par le pape Boniface VIII. C'est l'équivalent d'un
appel aux Français, les sujets de l'Église sont invités à ne plus respecter et ne plus obéir au
souverain qui est mis au ban de la société.
Le souverain envoie des troupes en Italie. Guillaume de Nogaret gifle le pape c'est:
«l'attentat d'Anagni» (du nom de la ville où a lieu l’événement).
Le pape étant mort trois semaines plus tard, les troupes françaises investissent la ville de
Rome et obligent les cardinaux à élire un pape. On les enferme dans une église et on les
affame : un pape français est élu : Clément V.
Clément V déplace la papauté de Rome à Avignon : de 1305 à 1378 la papauté est en
Avignon, alors à la frontière de la France.
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La cité des papes à Avignon
Ainsi apparaît le gallicanisme, c'est-à-dire d'une Église française relativement indépendante
par rapport à Rome mais cette indépendance ne s'exerce que sur le plan temporel, c(est-àdire politique et financier. Dans ces matières l’Église de France obéit d'abord à son roi avant
d'obéir au pape. Théologiquement, elle demeure cependant soumise au pape...
- La théorie de la supériorité du concile sur le pape
Le pape est-il un souverain absolu ? Ou bien les conciles (réunissant les cardinaux et les
évêques) lui sont-ils supérieurs ?
La théorie conciliariste a commencé à prendre de l'ampleur dès le XIIe siècle. Pise, ville de
l'Italie centrale où il y a beaucoup d'intellectuels ecclésiastiques, est partisane de la
supériorité des conciles sur le pape.
Un docteur en théologie de la Sorbonne, d'origine italienne, Marsile de Padoue publie en
1324 le Defensor pacis. Il y défend l'idée selon laquelle le défenseur de la paix n'est pas le
pape mais l'empereur, qui dispose du pouvoir temporel suprême. Marsile va jusqu'à
proposer que les conciles soient convoqués par les empereurs. Quant au pape, il n’est qu’un
évêque élu par le concile, seul pouvoir suprême dans l’Église, pour en être le porte-parole.
Comme Guillaume d'Occam, dont il est l'ami, Marsile de Padoue sera condamné pour ses
idées, devra fuir la Sorbonne et la France pour se réfugier à Munich chez le prince électeur
Louis IV de Bavière, tout comme Guillaume d'Occam, dont l’électeur partage les idées
avancées.
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En 1438, le roi de France Charles VII déclarera également, dans une Pragmatique Sanction,
que le concile est supérieur au pape.
- le Grand schisme (1378 - 1417)
Certains ecclésiastiques, notamment italiens, s’opposent à l’installation des papes en
Avignon. En 1378, un pape concurrent du pape d'Avignon est élu en Italie où l’on ne
reconnaît plus le pape d'Avignon, bien qu'il ait décidé de se réinstaller à Rome. Il y a donc
deux papes concurrents à Rome.
En 1409 un troisième pape est élu. De 1409 à 1415 il y a donc trois papes en fonction,
chacun ayant ses partisans parmi les souverains européens.
Le clergé se divise... Cela pose un problème à la fois religieux et politique.
Les souverains vont intervenir, considérant que ce désordre religieux génère également un
désordre dans l'État. L'Église est en effet un important élément de la paix sociale, elle est
présente dans tous les villages et dispose d'un meilleur maillage du territoire que celui de
l'État. Les messages de l'État à la population sont souvent relayés par les autorités
ecclésiastiques : les deux pouvoirs sont étroitement liés.
Dès lors, ce sont l’empereur et les grands souverains européens qui vont provoquer la
réunion d'un concile, à Constance, en 1414 -1415. La ville est assez centrale en Europe,
située aux confins de la Suisse et de l'Allemagne.
Jean XXIII et Grégoire XII acceptent de démissionner, mais l’Espagnol Benoît XIII n'accepte
pas la procédure. Déposé par le concile, il s'installe en Espagne, prétendant qu'il est le seul
pape légitime. On élit finalement un nouveau pape, reconnu par l'empereur et les grands
souverains européens : Martin V.
Ce qu’il est intéressant d'observer c'est :
- la victoire du conciliarisme sur la « monarchie » pontificale
- l'importance de la prise de pouvoir des souverains qui ont convoqué ce concile et y ont été
très influents : l’Église, n'a pas réussi à régler seule ce problème et elle est désormais
affaiblie face au pouvoir civil.
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5. Jean Gerson et la contestation de la monarchie absolue
Jean Gerson (1363-1429) est professeur de théologie à la Sorbonne. Il a participé au concile
de Constance, et y a soutenu avec force les libertés de l'église gallicane.
Partisan du conciliarisme, il en applique les principes à la politique :
- le pouvoir appartient fondamentalement à la collectivité et non pas à un individu.
- les souverains ne sont que les « ministres » de la collectivité
- Ils doivent gouverner pour le bien commun, l'intérêt général.
Cette thèse met évidement en danger le pouvoir absolu des souverains.
6. Les précurseurs de la Réforme
Ce sont des mouvements que l'on dit « évangéliques » et qui apparaissent dès le XIIIe siècle.
Le discours de ces mouvements est toujours le même et sera aussi celui de Luther, qui lui
réussira à s’imposer.
Ils contestent essentiellement :
- le pouvoir temporel de l'Église : elle doit s'occuper que de questions de théologie et non
de politique
- son enrichissement, qui prend des proportions importantes en cette fin de Moyen Âge :
elle doit au contraire se consacrer à faire la charité
Ces mouvements donnent un rôle important à des laïcs, qui ne sont pas membres du clergé.
Ils sont souvent soutenus par des prédicateurs qui se répandent alors dans toute l'Europe :
les Franciscains et les Dominicains, ordres religieux mendiants, qui ont fait vœu de pauvreté
et vivent de façon itinérante.
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- Pierre Valdo
Le mouvement des « Vaudois » naît à Lyon au XIIIe siècle.
Pierre Valdo (ou Valdès, †1217) est un marchand de Lyon qui, à
la suite d'une crise religieuse, donne tous ses biens pour vivre
l'idéal de pauvreté apostolique. Il défend un idéal de pauvreté
de l'Église et, puisque celle-ci n'est pas capable de mettre en
pratique sa propre doctrine, il fonde un mouvement connu sous
le nom de « Fraternité des Pauvres de Lyon » qui vivra selon
l'Évangile. Ce mouvement vaudois est réprimé dans la violence
(4.000 morts environ).
Statue de P. Valdo sur le Mémorial
Luther, à Worms (Allemagne)
- John Wycliffe (1329 - 1384) et les Lollards
En Angleterre cette fois, John Wycliffe (1329 - 1384). John Wycliffe
est un théologien qui milite pour un retour aux évangiles, pour un
certain « augustinisme » (en référence à saint Augustin, voir cidessous la devotio moderna) et défend ce que l'on appelle « le
sacerdoce universel », c’est-à-dire le droit pour tous (et non
seulement pour les ecclésiastiques) d’exécuter des fonctions
ecclésiastiques, de participer activement à la vie de l'Église.
Tout se fait alors en latin dans l’Église, ce qui empêche toute participation des fidèles, dont
une grande partie est analphabète. De plus le culte s’exerce dos tourné aux fidèles et
derrière un jubé (une clôture), qui sépare le chœur de la nef de l’église. La Bible est
réservée aux ecclésiastiques, en posséder une chez soi est passible de condamnation. Seul
le clergé peut lire, interpréter et expliquer aux fidèles les textes sacrés. Wycliffe et ses amis
entreprennent donc la traduction en anglais de la Vulgate (1397), bravant par là l'interdit de
l'Église.
Wycliffe affirme qu'il existe une relation directe entre l'homme et Dieu, qui s’exerce sans
l'intermédiaire des prêtres. De ce fait, tout chrétien est pour lui capable de donner les
sacrements. La hiérarchie, qui sépare l'Église des fidèles, ne correspond pas au message
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évangélique : c’est même un véritable abus de pouvoir. Conciliariste, il préconise la
désignation du pape par tirage au sort.
Il critique aussi la corruption de l'Église d'Angleterre et plaide pour un partage des richesses
ecclésiastiques.
Enfin, il veut séparer l'Église et l'État : les domaines temporel et spirituel doivent être
clairement distincts, et l’Église doit se limiter au domaine spirituel, préparer les croyants au
« Jugement dernier » et à la vie après la mort.
Les partisans de Wycliffe « les Lollards », (les « chuchoteurs »), répandent son enseignement
après sa mort. Ce mouvement débouche sur des révoltes religieuses mais aussi contre le
pouvoir civil et contre les inégalités sociales. En 1414, une insurrection parcourt
notamment les campagnes du Kent.
- Jean Hus
1Jean Hus (†1415), ecclésiasƟque tchèque, professeur de théologie à l'université de Prague.
Il soutient les mêmes idées que John Wycliffe. Il est amené à Constance de force pour
défendre y être jugé par le concile.
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Il est alors condamné pour hérésie, et brûlé publiquement. En Bohême, ses partisans, les
Hussites, continueront militairement son combat jusqu’en 1471, date à laquelle leur ville
fortifiée de Tabor (en République tchèque) sera prise. Le courant hussite subsistera ensuite,
plus ou moins clandestinement, en Bohême-Moravie et s’entendra ensuite notamment aux
Etats-Unis.
- La devotio moderna
Ce courant soutient l'idée, qu'au lieu de se battre politiquement pour faire changer la
société, il est plus important de se changer soi-même, de l'intérieur, de se préparer à
paraître devant Dieu après la mort.
En 1381, à Deventer (Pays-Bas) Geert Groote, un diacre (un laïc, auxiliaire de l’Église,
notamment dans la gestion des aumônes), fonde le mouvement des «frères de la Vie
Commune ». C'est une communauté mystique qui cherche à vivre le message des évangiles
en s'isolant de la société, dans la pauvreté et en s'adonnant à des exercices spirituels afin de
se réformer moralement.
Leur théologie est notamment inspirée de celle de saint Augustin, un des « pères de
l'Église » c'est-à-dire un des fondateurs de la théologie chrétienne. Il a vécu en Afrique du
Nord, en Tunisie notamment, au IVe siècle. Sa théologie « pessimiste » insiste sur le péché
originel, et considère que l'homme est foncièrement mauvais. Le but de la vie est de donc
de racheter le péché originel d'Adam et Eve et de l'humanité en général pour obtenir le
pardon de Dieu. La vie terrestre n’est qu’un « passage », un « pèlerinage » vers ce but
ultime. Pour saint Augustin et ses adeptes, « la grâce de Dieu » est indispensable à l’homme
pour qu’il soit sauvé : la foi et les bonnes actions ne suffisent pas. Luther puis Calvin
reprendront par la suite ce thème d'une vision pessimiste de l'homme et d'un homme
complètement dépendant de la grâce de Dieu pour son salut éternel.
Ces idées sont synthétisées dans un ouvrage datant des environs de 1420, attribué à Thomas
a Kempis (un Allemand, originaire de Kempen) : L’Imitation de Jésus-Christ. Le Christ y est
posé en modèle d’une « vraie vie chrétienne ».
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En 1496-97, durant sa jeunesse, Luther séjournera durant deux ans à Magdebourg (nord de
l'Allemagne), dans une communauté des frères de la Vie Commune. Il en sera fortement
marqué.
III - L'EVOLUTION DES PRINCIPAUX ÉTATS EUROPEENS ENTRE 1200 ET 1450
1. La mosaïque italienne
L'Italie n'existe pas en tant qu'État à cette époque. Tout le nord de l'Italie, sauf les
« républiques maritimes » de Gênes et de Venise, est sous l'autorité (assez lointaine
cependant) de l'empereur du Saint Empire romain germanique.
Les deux républiques possèdent un contado c'est-à-dire des terres intérieures qui leur
permettent de s’approvisionner. Toutes deux sont dirigées par un doge, élu au sein d’une
des grandes familles commerçantes qui constituent une véritable oligarchie.
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Outre la Toscane (Florence) et Pise, il existe deux autres Etats importants dans le nord de
l'Italie : le Milanais, ou Lombardie, et le Piémont-Savoie autour de Turin, à cheval sur les
Alpes.
Les Etats du Pape occupent tout le centre de l'Italie. Les papes sont donc aussi des
souverains avec des territoires, une petite armée et des revenus agricoles. (Les papes ont
réussi à conserver ce statut depuis, notamment grâce à Mussolini qui les à fait admettre au
rang de chefs d'État – l’état du Vatican – avec les privilèges diplomatiques que cela confère).
Au sud de l'Italie, Naples est la capitale du royaume des Deux-Siciles. Ce royaume est aux
mains de la famille française d'Anjou de 1250 à 1442. Puis il passe aux Aragon espagnols qui
s'en emparent militairement avec l'aide des Vénitiens.
2. La Reconquista espagnole et les premières expéditions portugaises en
Afrique
- L'Espagne musulmane et les califats de Damas et de Bagdad
622 est la date qui marque le début de l'Islam dans l’Arabie saoudite actuelle.
Très
rapidement,
environ,
les
en
Arabes
un
siècle
musulmans
conquièrent toute l'Afrique du Nord
jusqu'aux confins de l'Espagne.
En 711, les Arabes pénètrent en
Espagne (alors occupée par Wisigoths
et Vandales) et la conquièrent très
rapidement remontant vers la France.
Réductions successives du royaume wisigoth de 711 à 714.
En 732, ils sont vaincus à Poitiers, ce qui met un terme à leur progression. Ils se replient
ensuite au-delà des Pyrénées, où une Espagne musulmane prend forme sous le nom d’Al
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Andalus (« le pays des Vandales »). Al Andalus dépend du calife de Damas, alors chef
temporel et spirituel du monde musulman, héritier légitime de Mahomet. En 750, le calife
abbasside de Bagdad le remplace à la tête du monde musulman. L'Espagne musulmane
cultive son particularisme (musulmans, juifs et chrétiens y cohabitent, c’est la convivencia)
et recherche l’autonomie : en 756, un Emirat de Cordoue est créé au sud de l'Espagne, et va
se transformer en califat indépendant en 929.
En 1258 Bagdad est assiégée, prise, mise à sac et détruite par les Mongols. Les héritiers des
califes abbassides se réfugient en Égypte, à Alexandrie où règne depuis 1250, suite à un
coup d’état, la dynastie des Mamelouks (« esclave blanc » en arabe), des militaires d'élite
issus de Turquie et du Caucase qui étaient entrés au service des sultans égyptiens.
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Le mausolée des Mamelouks au Caire
Les Mamelouks reprennent dès lors le flambeau du califat, au sein duquel l'Espagne
demeure autonome. [=> En 1517, les Turcs ottomans reprendront le califat, devenant ainsi
les nouveaux maîtres du monde musulman.]
Après avoir vaincu les Arabes à Poitiers, les chrétiens entreprennent une lente Reconquista
de l’Espagne. Elle va durer sept siècles et demi, de 732 à 1492 (en 1636, Le Cid, de Corneille
est une de ses plus célèbres représentations littéraires).
A partir du XIIIe siècle, la situation se fige avec :
- au sud : le royaume de Grenade (dont Cordoue est la capitale intellectuelle et religieuse)
qui recouvre l'Andalousie actuelle.
- au nord : le royaume du Portugal à l'ouest ; le royaume de Castille au centre ;le royaume
d'Aragon à l'est, le long de la Méditerranée.
- les premières expéditions maritimes portugaises en Afrique
Elles sont impulsées par le frère de Jean Ier, roi du Portugal : Henri le Navigateur (13941460) qui s'intéresse beaucoup aux découvertes maritimes. Il lance à partir du Portugal, des
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navires vers les côtes du Maroc afin d’y installer des comptoirs (places de commerce
fortifiées sur la côte).
Quatre pôles d'intérêt poussent les Portugais:
- le blé : le Portugal est relativement peuplé et manque de ressources
- le sel : c'est une denrée stratégique car permettant la conservation des viandes. Il y a des
gisements de sel au Sahara, dont les Arabes font commerce.
- l'or : que l'on trouve dans le Sahel et sur les côtes d'Afrique occidentale (golfe de Guinée)
- les esclaves : les Portugais savent que les Arabes réduisent depuis des siècles en esclavage
les Noirs africains faits prisonniers. Cette main-d’œuvre gratuite les attire.
En 1415 la ville côtière de
Ceuta (auj. espagnole) est
prise.
Puis les Portugais continuent
de descendre le long des côtes
africaines
jusqu'au
cap
Bojador en 1434 (au sud du
Maroc)
En 1445, ils arrivent au CapVert.
Toutes
ces
expéditions
maritimes sont permises, en
grande
partie,
grâce
aux
progrès techniques.
Pour naviguer dans ces régions parcourues de courants maritimes inconnus, il faut disposer
de techniques de navigation qui permettent de s'éloigner des côtes dangereuses. La
boussole (invention chinoise, comme le papier et la poudre à canon) est perfectionnée vers
1250.
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On ajoute aux voiles latines traditionnelles et triangulaires des voiles rectangulaires, en plus
grand nombre, venant équiper des bateaux que l'on appelle caravelles.
Le gouvernail est perfectionné : autrefois on se dirigeait avec une rame actionnée par un
marin situé à l'arrière du bateau. Au XIIIe siècle, on invente le gouvernail d'étambot, qui est
attaché à la quille du bateau.
En 1410, un cardinal et chancelier de France, Pierre d'Ailly a publié une carte, l'Imago
Mundi, sur laquelle l'Afrique était raccourcie de plusieurs milliers de kilomètres au sud par
rapport à ce que l’on sait aujourd’hui. Les Portugais considèrent dès lors qu'il n'est sans
doute pas difficile de la contourner par le sud pour aller en Orient.
Qu'est-ce qui attire les Portugais en Asie ?
- les épices : elles sont extrêmement chères car il y a eu une invasion mongole en 1150,
rendant le Proche-Orient difficile d'accès et dangereux par voie de terre, ce qui a fait
énormément monter les prix ; les Arabes font de gros bénéfices en les revendant aux
Vénitiens et aux Génois, qui disposent pratiquement du monopole en Europe, et que les
Portugais veulent concurrencer.
- la légende du « royaume du prêtre Jean », totalement imaginaire et réputé très riche.
D’abord situé en Inde aux XIe-XIIe siècles, on le voit désormais en Éthiopie, à l’est de
l'Afrique. On pourrait donc le rejoindre en contournant l’Afrique par le sud. Les Portugais
espèrent veulent à la fois s’approprier ses richesses et aider les chrétiens d'Éthiopie et du
sud de l’Egypte (les coptes, coupé du monde chrétien depuis l’invasion arabe de l’Afrique du
nord au VIIe siècle, et qui ont développé une forme particulière de christianisme) à lutter
contre les musulmans. C'est en quelque sorte, une idée de « croisade ». [=> En 1526, un
corps expéditionnaire portugais débarqué au Kenya rejoindra en effet les chrétiens coptes
d'Éthiopie.]
- Les grands empires africains
Avant l'arrivée des Portugais en Afrique il existe en Afrique noire trois grands empires :
L'empire Songhaï ou du Mali au nord-ouest, qui va du Sénégal au Nigéria en suivant à peu
près le cours du fleuve Niger. L'empire Kongo au centre-ouest de l'Afrique, qui va du Gabon
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à l'Angola sur la côte occidentale de l'Afrique centrale. Le Monomotopa ou Grand
Zimbabwe au sud-est, situé le long du fleuve Zambèze dans des pays dont le nom sera
influencé par le Zambèze : la Zambie actuelle, le Mozambique et les îles Zimbabwe.
3. La guerre de Cent Ans (1337-1453)
Elle oppose Français et Anglais pour la possession du royaume de France, mais un troisième
partenaire intervient : le duc de Bourgogne. La « Bourgogne », dont Bruxelles et Dijon sont
les villes principales, s’étend alors des Flandres, au nord-ouest, à la Bourgogne d’aujourd’hui
au sud-est. Le duc de Bourgogne est le principal rival du roi de France. Il s’allie souvent avec
le roi d’Angleterre pour tenter d’assouvir ses ambitions sur la couronne française.
Le conflit dure de 1337 à 1453 avec des périodes de trêve.
Ce conflit a lieu pour une raison plus ou moins imprévue : l'alliance en 1152 entre Henri II de
Plantagenêt et Aliénor d'Aquitaine.
Les rois d'Angleterre sont ducs de Normandie, et détiennent des territoires que revendique
le roi de France. Mais les Plantagenêt sont aussi comtes d'Anjou : avec l'Aquitaine toute la
façade atlantique de la France est aux mains des Anglais. Ainsi, le roi d'Angleterre est le
plus important vassal du roi de France qui ne peut le considérer que comme un concurrent,
ses propres domaines étant plus petits que ceux de son vassal.
Les conséquences du conflit sont :
- la montée d’un protonationalisme en France et en Angleterre
- une remise en cause de la féodalité car un vassal plus puissant que son roi pose problème
- cela invite à plus de centralisation du pouvoir pour contre les effets « pervers » de la
féodalité (par mariage et héritages un vassal peut devenir plus puissant que son roi)
4. Le Saint Empire romain germanique et la Bulle d'Or de 1356
C'est une confédération d'Etats, très peu centralisée, et qui comprend plus de 300 entités
de trois types:
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- des royaumes, comme la Bavière ou la Saxe
- des principautés ecclésiastiques, gouvernées par des princes-évêques, comme les évêchés
de Cologne ou de Trèves
- des villes libres, comme Francfort ou Hambourg
L’empereur, qui est l'un des quatre souverains importants de l'Europe avec le roi de France,
le roi d'Espagne et le roi d'Angleterre, exerce seulement une domination politique (et de
type féodal) sur le Saint Empire. Mais il veille à son unité, religieuse notamment.
Il est élu : en 1356 la Bulle d’Or fixe le nombre de « grands Electeurs » à sept:
- trois ecclésiastiques : les princes évêques (ou archevêques) de Trêves, Mayence et
Cologne, toutes trois au centre-ouest de l’Allemagne
- quatre laïcs : le roi de Bohême, le margrave de Brandebourg (au nord-est de l'Allemagne,
autour de Berlin), le comte palatin du Rhin (le Palatinat se trouve au nord-est de la France
actuelle, autour de Karlsruhe), le duc de Saxe (au centre-est de l'Allemagne actuelle, autour
de région Dresde).
Au XVIIIe siècle, le duc de Bavière sera le huitième grand Electeur.
À partir de 1438, à part deux exceptions (qui provoqueront d'ailleurs des conflits armés),
tous les empereurs sont choisis dans la famille des Habsbourg, originaire de Suisse, mais
dont la plupart des domaines se trouvent dans l’Autriche actuelle.
Il arrive que l’élection soit achetée : ce sera notamment le cas de Charles Quint en 1519.
5. La Scandinavie sous la domination danoise
Trois royaumes se partagent cet espace géographique : le Danemark, la Suède et la Norvège.
Depuis 1397, ils sont unis par l'union de Kalmar (une ville située sur la côte orientale de la
Suède) qui consacre en fait la domination danoise sur la Scandinavie. Le Danemark de
l'époque possède en effet une bonne partie du nord de l'Allemagne actuelle et est donc
beaucoup plus important qu'aujourd'hui. L’union de Kalmar subsistera jusqu'en 1523.
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6. La monarchie polonaise et la dynastie des Jagellon
Elle est beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui, notamment à l’est où elle englobe une
bonne partie de l’actuelle Biélorussie et quelques territoires baltes. La dynastie des grandsducs de Lituanie, les Jagellon (Jagiello en polonais), convertie au catholicisme, règne aussi
sur la Pologne de 1386 à 1572 (c’est une « union personnelle » seulement : les deux
royaumes demeurent indépendants l’un de l’autre). Craignant les ambitions territoriales des
Habsbourg, la Pologne s’allie au XVIe siècle aux Turcs ottomans.
Issu des croisades, l’ordre des chevaliers teutoniques, à la fois militaire et religieux, s’est
replié au début du XIIIe siècle sur les rives de la Baltique avec pour objectif de contenir
l’avancée vers l’ouest des Slaves et de les convertir au catholicisme. Peu à peu ils se
constituent un véritable « royaume » sur les rives sud-est de la mer Baltique devenant
dangereux pour la Pologne. Battus par Ladislas II Jagellon en 1410 (bataille de Tannenberg),
ils se replient vers la Prusse orientale (auj. la région de Kaliningrad/Königsberg) et se
soumettent au roi de Pologne. [=> En 1525, le grand-maître sécularisera l’ordre et se
proclamera duc de Prusse]
7. La Russie d'Ivan III : un État enclavé
A cette époque, la Russie n'est pas encore un état « européen ». Elle est beaucoup plus
tournée vers l'Est et on la considère plutôt comme un pays « asiatique », où règne
notamment le servage [qui sera légal jusqu’en 1861].
Ivan III (1462-1505) est le premier souverain qui donne un certain prestige à la Russie. Il
épouse la fille du dernier empereur de Byzance. Les Russes ont été convertis au
christianisme par des missionnaires byzantins orthodoxes et l’essentiel des relations
diplomatiques de la Russie sont dirigées vers le sud et l'empire byzantin. L’orthodoxie ayant
été vaincue par la conquête ottomane, les Russes reprennent le flambeau du christianisme
« d’Orient ». [=> En 1547, Ivan IV, dit le Terrible, s'autoproclamera « tsar », c’est-à-dire
Caesar. Le tsar de Russie est « le nouveau César ». Au travers de cette proclamation, il se
présente comme l’héritier et du christianisme. Après Rome et Byzance, la Russie se voit
comme le troisième empire chrétien, et Moscou comme « la troisième Rome »].
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8. L'Empire ottoman en expansion
« Ottoman » vient du nom du souverain Osman (ou Otman) Ier(1281-1326), fondateur de la
dynastie.
En 1453, Mehmet II, dit le Conquérant (1429-81) prend Constantinople, entraînant la chute
de l'empire byzantin.
En 1463, la Bosnie et la Serbie tombent entre leurs mains et ils poursuivent leur expansion
vers le nord-ouest. Ils sont aussi présents en Méditerranée : la ville d'Otrante, dans le sud
de l’Italie, est occupée pendant environ un an (1480-81).
Les Ottomans contrôlent aussi les rives de la Mer Noire et la Crimée, où aboutissent
traditionnellement les caravanes venues d’Orient. Ils y côtoient les commerçants génois et
vénitiens qui achètent les produits orientaux pour les revendre en Occident. Un accord
commercial (péage au passage du détroit turc des Dardanelles) permet à ceux-ci de
continuer ce commerce maritime :
- d’épices (poivre, cannelle, noix de muscade, clou de girofle), utilisées dans la cuisine mais
aussi et surtout dans la pharmacie.
- de porcelaines de Chine, dont on ne connaît pas encore en Europe le secret de fabrication
[=> il ne sera découvert en Saxe qu'à la fin du XVIIe siècle]
- de soieries, également venues de Chine.
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DEUXIEME PARTIE
Humanisme, Renaissance, Réforme (v.1450- v.1550)
I - LES GRANDES DATES
1453 : prise de Constantinople par les Turcs ottomans
1455 : à Mayence, Gutenberg publie le premier ouvrage imprimé
1477 : Maximilien de Habsbourg épouse Marie de Bourgogne
1485 : les Tudor montent sur le trône d'Angleterre
1492 : fin de la Reconquista espagnole
1492 : premier voyage de Christophe Colomb en Amérique
1498 : ouverture de la route des Indes par Vasco de Gama
1500 : les Pays-Bas bourguignons deviennent espagnols
1511 : les Portugais atteignent le détroit de Malacca
1513 : Machiavel : Le Prince
1513 : Balboa découvre l'océan Pacifique
1516 : Charles Quint monte sur le trône d'Espagne
1517 : Luther affiche ses 95 thèses à Wittenberg
1517 : transfert du califat d'Égypte aux Turcs ottomans
1517 : les Portugais arrivent à Canton
1519 : Charles Quint est élu empereur
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1519 – 1521 : Cortez conquiert le Mexique
1519 - 1522 : l'expédition de Magellan fait le premier tour du monde
1529 : les Turcs Ottomans assiègent Vienne
1531 – 1533 : Pizarre conquiert le Pérou
1534 : acte de Suprématie d'Henri VIII
1540 : fondation de la Compagnie de Jésus
1541 : Calvin s'installe à Genève
1542 : les Portugais arrivent au Japon
1543 : Copernic expose ses thèses hélio centristes
1545 : ouverture du Concile de Trente
II - L'HUMANISME
1. Le processus d’individuation
L'individuation est ce phénomène par lequel, de façon lente mais croissante (tout le monde
n’évolue pas au même rythme et c'est un mouvement qui prendra des siècles pour
l’emporter finalement, en Occident au moins, dans le dernier quart du XXe siècle) progresse
l'idée que l'individu n’est pas seulement le membre d'un groupe (de groupes) et comme tel
soumis à de nombreuses contraintes collectives, mais qu’il doit surtout jouir d’une
autonomie individuelle dans tous les domaines. Cette idée qui, aujourd'hui en Occident,
apparaît assez évidente n'était pas du tout bien reçue autrefois. Les choix individuels
n’étaient pas la règle, et les contraintes sociales, religieuses et morales s’imposaient aux
individus, que ce soit dans la famille, le quartier, la paroisse, le métier, le groupe d’âge, la
classe sociale, etc.
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- la « civilisation » des mœurs
Les mœurs se « civilisent », s’affinent, peu à peu. Cela a d’abord été décrit, en 1969, dans
l’ouvrage du sociologue allemand Norbert Elias (Über den Prozeß der Zivilisation, traduit en
français par La civilisation des mœurs). Il y montre que la civilisation occidentale moderne
est le résultat d'un lent processus de domestication des pulsions, que ce soient celles de la
violence, la sexualité, etc..
Ceci est en partie lié à la ré-urbanisation de la fin du moyen âge et à l’avènement d’une
classe bourgeoise qui en découle. Celle-ci veut se distinguer du peuple par ses « belles
manières ». On raffine par exemple les manières de table : il est désormais considéré comme
choquant de manger avec les mains (couteau et fourchette personnels apparaissent), ou de
s’essuyer sur la nappe.
C’est l’Italie, pays de l’humanisme, qui est à l'avant-garde de ce point de vue en Europe [=>
ses coutumes se répandront notamment en France à l’occasion des guerres d’Italie qu’y
mèneront, fin XVe-début XVIe siècle, Charles VIII, Louis XII et François Ier. C’est en Italie aussi
que paraîtra, en 1528, le premier grand manuel de savoir-vivre : Il Cortegiano (Le Courtisan)
de Balthazar Castiglione.]
La définition de « l'honnête homme » repose surtout, désormais, sur la domination de soi, le
raffinement des mœurs et de l'esprit.
- la notion d'intimité
De plus en plus, on distingue ce que l'on peut faire et pas faire en public. On estime
désormais qu'il y a des gestes ou des fonctions corporelles qui doivent être réservés à
l’intimité. La « chaise percée » est inventée au XVe siècle et se répand ensuite peu à peu des
cours aristocratiques aux maisons bourgeoises.
- Une vision « démiurgique » de l’homme
Démiurge signifie « créateur ». C’est une vision positive de l'homme qui ira croissante. On
valorise le savoir, la connaissance qui permettent d'accéder à une vie meilleure et de
transformer la nature au profit de l'homme (ce qui va à l’encontre du message de l'Église).
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- Quelques Humanistes
Par « Humanistes » on désigne un certain nombre d’érudits,
représentatifs d’un mouvement intellectuel qui remet en cause
les « vérités » chrétiennes, en s’appuyant notamment sur les
sciences et sur la redécouverte de l’héritage de l’Antiquité
gréco-latine.
L’Italien Jean Pic de la Mirandole (1463-1494) fréquente
l'université de Padoue, y apprend l'hébreu, s'intéresse à la
kabbale juive et aux sciences occultes. Il fréquente à Florence
l'Académie, une société de pensée fondée par les Médicis, dans laquelle on étudie
notamment l'œuvre de Platon [voir ci-dessous à propos du mécénat]. C'est à la fois un
philosophe, un érudit, un linguiste, un personnage important protégé par Laurent de
Médicis. Il a des idées avancées, dangereuses même pour sa sécurité car ce qu'il dit va à
l'encontre du message de l'Église catholique.
Texte 2 « Toutes les autres créatures ont une nature définie, régie par des lois (...); Toi, tu n'es limité
par aucune barrière; c'est de ta propre volonté (...) que tu détermineras ta nature ». Pic de la
Mirandole, De la dignité humaine (1496)
L'homme peut donc se transformer, progresser, dominer ses instincts. Il est libre de faire
des choix et est seul responsable de ses actes. Pic de la Mirandole donne ainsi de l'homme
une vision démiurgique, celle d’un homme « créateur de lui-même ». [=> bientôt, on le
verra avec Descartes, l'homme va justifier l’utilisation de la nature à son profit].
Ces idées sont notamment partagées par l’écrivain français François Rabelais, les poètes
italien Torquato Tasso (dit « Le Tasse ») et portugais Luis de Camoens.
- Le mécénat
La « protection » et l’entretien des artistes et des intellectuels par les « Grands», c'est-àdire des riches et des puissants, se répand d’abord en Italie. L'exemple le plus célèbre est
celui de Laurent de Médicis à Florence. Il abrite Marsile Ficin (Marsilio Ficino, 1433-99),
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grand intellectuel florentin et traducteur des Dialogues de Platon, dans une villa sur les
hauteurs de Florence pour y faire, avec d'autres savants, des recherches (auj. la « Villa
Médicis » abrite le centre culturel français à Florence). Inspirée de la Grèce antique,
« l’académie » de Florence sera le modèle d'un grand nombre de sociétés de pensée et de
recherche formées autour de savants durant la Renaissance, mais aussi plus tard.
Les papes, souvent eux-mêmes lettrés, intellectuels, collectionneurs sont également
d’importants mécènes.
Pour les artistes et les intellectuels, c’est le signe désormais d’une reconnaissance
individuelle. Au moyen âge, il était souvent difficile d'identifier les auteurs de fresques ou
autres œuvres d'art, et la créativité individuelle était rarement encouragée. À la renaissance,
l'artiste va devenir un personnage plus important, mieux considéré et qui va très souvent
signer ses œuvres. Léonard de Vinci, artiste emblématique de la Renaissance, cultive
l’individualisme : pour lui, «un artiste ne doit pas imiter la manière d'autrui», ni d’ailleurs
chercher à reproduire telle quelle la réalité, mais plutôt à l’interpréter.
Le progrès technique (la découverte, en Italie au XIIIe siècle, des lois de la perspective, et
l’invention, en Flandre au XIVe, de la peinture à l'huile) permet par ailleurs d’individualiser
désormais les portraits. Les deux régions alors les plus riches d’Europe contribuent de la
sorte au progrès de l’individuation.
Texte 3 « Jusqu'au XIVe siècle, l'artiste n'était qu'un artisan voué à l'anonymat, travaillant selon les
traditions et les commandes, qui définissaient le sujet, les dimensions, les caractères de
l'œuvre. Maintenant, dans ces deux régions (Italie et Flandres), se développe la création
originale et l'idée de génie. Les peintres signent plus fréquemment leurs œuvres. Bientôt les
plus célèbres seront couverts d'honneur et d'argent. Or, cette promotion est liée à l'entrée
dans l'économie de marché, à l'individualisation (c'est l'heure des premiers portraits
ressemblants) et un une nouvelle maîtrise du monde par le réalisme et la perspective, dont la
mise au point progresse du XIIIe au XVIe siècle »
Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine (Paris, 2002)
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Jan Van Eyck, L'homme au turban rouge (1433)
En Allemagne, Albrecht Dürer (1471-1528) est le premier peintre et graveur à
commercialiser lui-même ses œuvres, qu’il signe de ses initiales. Le plus souvent, il ne
travaille pas sur commande mais selon son inspiration.
Hans Holbein, artiste allemand, développe l’art du portrait à la cour d'Angleterre. En France,
François Clouet fait de même.
Quelques écrivains commencent à jouir d’une notoriété internationale : c’est le cas de
Rabelais et de Machiavel.
2. Le renouveau des études philologiques et la critique des textes sacrés
Au début du XVIe siècle on commence à étudier les textes sacrés (essentiellement la Bible)
d’un point vue neutre, philologique, on est ainsi amené les « désacraliser ».
Pour cela la maîtrise des « trois langues » (hébreu grec, latin) est nécessaire. On crée donc
des « collèges trilingues ». Le premier est fondé à Alcala de Henares, près de Madrid, en
1498. La connaissance de l'arabe, encore présente alors en Espagne, est d’ailleurs aussi utile
puisque certains textes sacrés ont été traduits en arabe
En 1517, un second collège trilingue est fondé à Louvain, université la plus septentrionale du
monde catholique. En 1530, François Ier en crée un troisième à Paris. Où, dès 1514-17 est
parue la première Bible « polyglotte » (dans les trois langues).
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L'exégèse des textes comprend non seulement l'étude philologique mais aussi des
commentaires. En 1440, l’universitaire italien Lorenzo Valla (1407-57) dénonce la fausse
donation de Constantin, empereur romain du IVe siècle converti au christianisme et qui
aurait « donné » à l'évêque de Rome un pouvoir suprême sur la chrétienté (la nécessité de
l’établissement d’un « pape » n’était nulle part mentionnée dans la Bible). Etudiant le texte
de la donation, Valla constate que le vocabulaire qui y est employé ne date pas du IVe siècle,
mais du VIIIe. Ce texte est donc un faux, fabriqué dans une abbaye, et sur lequel les papes
basent leur pouvoir. Cela arrange évidemment certains souverains, opposés à un trop grand
pouvoir du pape.
3. Les principaux vecteurs culturels de l'humanisme
- Vecteurs géographiques
Ce sont des endroits où se produisent les contacts culturels qui facilitent l'expansion de
l'humanisme.
Le premier est Avignon. De 1305 à 1378, les papes y sont installés avec leur cour. Pétrarque
y passera quelques années, tout comme un certain nombre d'intellectuels italiens, français,
anglais ou allemands. Ainsi, les idées et les modes de l'humanisme vont se répandre en
Europe du nord et du nord-ouest.
Le second, ce sont les guerres d'Italie. Trois rois de France : Charles VIII, Louis XII, François
Ier, « descendent » en Italie fin XVe-début XVIe siècle, notamment pour y défendre les droits
de la maison française d'Anjou sur Naples. Lors de ces campagnes, qui durent plusieurs mois
voir plus d’un an, le souverain et sa cour ne font pas que combattre. Ils y entrent en contact
avec « les modes italiennes » en matière culturelle (beaux-arts, raffinement de la vie
quotidienne).
La cour pontificale, notamment sous Jules II (1503-13), important mécène, possède deux
des œuvres majeures de la sculpture antique, dont l’influence sur l’art européen des temps
modernes est déterminante:
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- l'Apollon dit « du Belvédère » (exposé au Belvédère à
partir de 1509) d'époque romaine, redécouvert au début
du XVIe siècle, très typique du classicisme romain. Il
inspire
notamment
Raphaël,
leader
du
courant
« classique » de la Renaissance.
L'Apollon du Belvédère (IVe siècle av. notre ère) (Rome, musée du Belvédère)
-
le
Laocoon,
œuvre
« hellénistique », découverte en
1506 dans les régions orientales de
l'empire. L'inspiration en est très
différente : musculature saillante,
aspect
« torturé »
notamment
inspireront
Michel-Ange
et
annoncent l’art baroque.
Le Laocoon (Musée du Vatican)
- Vecteurs techniques : l'imprimerie et l'estampe.
Inventé en Chine, et fabriqué à partir de chiffons, le papier est importé en Europe au XIIe
siècle, par les Génois et les Vénitiens. Il est demeure longtemps un produit de luxe, et ne
commence à supplanter le parchemin qu'au XVe siècle. C'est alors que naît l'imprimerie. En
1455, à Mayence, l’Allemand Gutenberg invente l'imprimerie à partir de caractères mobiles
en plomb (les Chinois utilisaient depuis le XIe siècle des caractères mobiles en bois) qu'il faut
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assembler un à un, avant de pouvoir imprimer feuille par feuille à l'aide d'une presse à bras.
Les quantités restent modestes au début. Les progrès de l'imprimerie sont très rapides pour
l’époque : entre 1450 et 1550, tous les grands centres urbains européens voient s'installer
au moins une imprimerie, et le nombre d’ouvrages publiés chaque année est multiplié par
cinq en un siècle.
Cela induit une extension à la bourgeoisie de l'alphabétisation, jusqu’alors réservée aux
clercs et aux aristocrates,. Cependant, les femmes demeurent nettement moins
alphabétisées que les hommes.
L'estampe est née au début du XVe siècle. On encre une plaque de bois ou de cuivre gravée
avant de l’appliquer sur le papier. L'estampe devient pour plusieurs siècles le seul moyen de
reproduction des images.
Progrès connexe : l'usage des lunettes. On en trouve trace dès la fin du XIIIe siècle dans les
deux plus riches régions d’Europe: l'Italie du Nord et les Flandres, mais cela demeure rare.
Après les débuts de l'imprimerie, l'usage des lunettes devient plus fréquent et l’optique
progresse dans la correction de la myopie (la presbytie n'est pas encore corrigée).
4. Le caractère unificateur de la démarche scientifique
C'est en 1537 qu'apparaît en français le mot « méthode » (lat. methodus ; gr. Methodos, de
meta et hodos : « le chemin qui mène au but »).
En 1537 également, le mathématicien italien Niccolo Tartaglia prône, dans son ouvrage
Nova Scientia, le « mécanisme » contre le « vitalisme ». Jusqu’alors, le vitalisme (des
« forces vitales » gouvernent la nature) l’emportait dans les milieux scientifiques. Or les
expériences menées par Tartaglia montrent qu'il est possible d'expliquer les phénomènes
naturels par des lois, celle de la « physique ». [Il influencera Descartes dans son Discours de
la méthode]. Le savant devient d'abord un mathématicien, un technicien : les sciences « de
la nature » commencent à se séparer clairement des sciences « humaines ».
Au XVIe siècle, la vérification expérimentale devient au XVIe siècle la seule preuve admise
communément par les savants du XVIe siècle. Seules des expériences renouvelées donnant,
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dans des conditions identiques, des résultats constants sont considérées comme
scientifiquement probantes.
En 1543, deux importants progrès sont annoncés :
- en astronomie, Nicolas Copernic (Mikolaj Kopernik), un Polonais, émet l'hypothèse de
l'héliocentrisme et la démontre par ses calculs et par l'observation. Avec l'héliocentrisme, on
reconnaît que le soleil est le centre de notre système planétaire, ce qui contredit la Bible où
la terre est considérée comme « le centre du monde » créé par Dieu. [Les idées de Copernic
seront reprises par Galilée, qui sera condamné par l'Église, voir ci-dessous].
- en médecine, le Bruxellois André Vésale (Andries van Wesel) décrit de façon assez précise
l'anatomie humaine. Il a dû pour cela pratiquer des dissections (notamment à Montpellier,
une des universités les plus réputées en Europe pour la médecine) interdites par l’Église.
5. L'Europe des intellectuels et l'affirmation des caractères nationaux
Le latin est la langue universelle des intellectuels et des savants, dont la plupart sont aussi
des ecclésiastiques, qui voyagent de plus en plus entre la France, l'Angleterre, les Pays-Bas,
l'Italie et l'Allemagne. Le Hollandais Érasme (1469-1536) est l’emblème de cette mise en
place d’une communauté intellectuelle européenne.
Dans le même temps, on assiste cependant à une montée en puissance des identités
nationales, notamment pour les raisons suivantes :
- la guerre de Cent Ans (1337- 1453) entre Français et Anglais.
- la volonté des souverains européens de s'assurer un meilleur contrôle de leurs Etats face
aux " grands féodaux"
- les conflits qui opposent la papauté romaine et une partie de l’Italie au Saint Empire
romain germanique.
- la Réforme protestante en Allemagne
- la rivalité coloniale entre l'Espagne et le Portugal
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- le contrôle des universités (en principe soumises à l’Église) par l’Etat, qui souhaite qu’on y
enseigne la défense des intérêts du souverain avant ceux de l’Église et du pape
- la création de styles artistiques différenciés : gothique, puis classicisme national en France;
styles espagnol et portugais plus exubérants, influencés par les découvertes coloniales ;
gothique « tardif », puis « style anglo-normand » en Angleterre, caractérisés par les hautes
et étroites fenêtres et l'utilisation de colombages décoratifs
- le développement d’histoires « nationales » : on recherche les documents historiques et
on les publie, les récits des chroniqueurs commencent à construire un début de « mémoire
nationale »
- le XVIe siècle voit aussi la naissance de littératures nationales. En France, Joachim du
Bellay publie en 1549 Défense et illustration de la langue française où il tente de fixer les
règles d'une langue française unifiée et uniformisée. Le « français d'oïl », celui qui du centre
et du nord de la France s’impose sur le « français d’oc » (occitan), parlé au sud qui vient du
sud occitan. En Italie le Dante, Boccace, l'Arioste, Le Tasse magnifient la langue et la culture
italiennes. [=> Camoens publiera en 1572 Les Lusiades, poèmes à la gloire du Portugal et de
ses expéditions maritimes. En Angleterre, la fin du XVIe siècle sera l’époque de Shakespeare.
Cervantès publiera son Don Quichotte au début du XVIIe siècle.].
III - LA REFORME PROTESTANTE
1. la recherche d'un humanisme chrétien
- Renaissance et Réforme
La plupart des chrétiens n'ont pas un accès direct aux « Écritures » (la Bible et les
Évangiles), en principe réservées au clergé et aux universitaires, très souvent membres de
l'Église.
Quelques
traductions
en
langue
« vulgaire »
ont
toutefois
paru
clandestinement avant le XVIe siècle: en Angleterre par exemple, dès 1395. Les Ecritures
deviennent ainsi accessibles à tous ceux qui savent lire, mais aussi aux fidèles auxquels on en
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fait la lecture, ce qui favorise la formation chez ces « laïcs » (ceux qui ne sont pas membres
du clergé) d’interprétations personnelles, redoutées par l’Église.
De plus, la prédication itinérante des membres de deux ordres religieux dits « mendiants »,
les Dominicains et les Franciscains, est souvent très critique à l'égard des richesses de
l’Église, du pouvoir temporel exercé par certains évêques (notamment dans le Saint Empire)
et du comportement parfois peu moral du clergé.
- Érasme : le premier intellectuel « européen »
Didier Érasme est né à Rotterdam en 1469 et mort à
Bâle en 1536. Bâtard né de l'union d'une femme mariée
et d'un prêtre, il est placé encore enfant dans le couvent
des Augustins (adeptes de la devotio moderna) à Steyn,
en Hollande. Devenu prêtre sans grande vocation, il
demande au pape la permission de servir comme
précepteur pour la haute bourgeoisie et la noblesse.
C'est ainsi qu'il va beaucoup voyager.
Érasme, par Hans Holbein (Musée du Louvre)
En Angleterre, il fait la connaissance de John Colet et de Thomas More, les deux grands
humanistes anglais. Sujet de Charles Quint (roi d'Espagne et héritier des Pays-Bas
bourguignons, voir ci-dessous) il en deviendra, grâce à sa brillante réputation intellectuelle,
l’un des conseillers. A Venise, il se lie d'amitié avec le célèbre imprimeur Alde Manuce (Aldo
Manuzio), spécialiste des éditions de textes grecs de l’Antiquité, créateur notamment de
l’écriture italique, et premier imprimeur à employer le point-virgule et l’apostrophe, et
rencontre des intellectuels grecs qui ont fui Constantinople prise par les ottomans.
Sa grande œuvre littéraire, L’Eloge de la folie (Encomium Moriae, 1511).Y faisant parler « la
folie » contre l'Église et les Grands, il ne prend pas de risques vis-à-vis de la censure. Avant
lui, l’Allemand Sébastian Brant avait utilisé le même procédé en 1494 dans La nef des fous
(Das Narrenschiff)
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Bien qu’il critique l'Église, Érasme reste cependant catholique et préfère tenter de la
réformer de l'intérieur que de créer une église concurrente comme le fera finalement Luther
(qui lui non plus, au départ, ne désirait pas se séparer de Rome).
2. Le luthéranisme
- Luther et la question du salut
Au début du XVIe siècle, on croit fermement à la vie après la mort,
au paradis, à l’enfer, au purgatoire. La perspective d’une vie
éternelle passée dans le feu de l'enfer est extrêmement
angoissante.
« Faire
son
salut »,
devient
Martin
Luther
donc
un
enjeu
extrêmement important.
Très
Martin Luther en 1529 par
Lucas Cranach l'Ancien
croyant,
le
Saxon
(1483-1546)
est
particulièrement angoissé par cette question. Influencé par
l’augustinisme et par la devotio moderna il a une vision très
pessimiste de l’homme et ne le voit « sauvé » que par la grâce de Dieu. C’est la thèse du
serf-arbitre : seul Dieu, tout-puissant, peut décider de sauver l'homme et ses « bonnes
actions », sa foi elle-même, ne suffisent pas, ce qui est particulièrement angoissant.
Docteur en philosophie de l’université d’Erfurt, il entre chez les Augustins en 1505. En 1510,
il est envoyé en mission Rome, centre de la chrétienté. Il est profondément choqué par le
faste, la richesse, la « corruption » (Rome est la ville européenne où il y a le plus grand
nombre de prostituées) qui règnent dans cette capitale de la Renaissance
- La dénonciation des dérives de l'Église romaine
En 1513, il est nommé professeur de théologie à l'université de Wittenberg. Il va bientôt
dénoncer les dérives de l'Église romaine, à l’occasion de la question des Indulgences. Rome
a des besoins financiers importants pour reconstruire le palais du Vatican. On crée donc
cette taxe, perçue en échange d’une intercession de l'Église auprès de Dieu afin qu’il
pardonne les péchés.
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En 1516, une grande campagne de levée d'Indulgences est lancée dans toute l'Europe en
réalité. Le « marché » en est disputé entre différents ordres religieux qui y voient une
possibilité de s’enrichir au passage. Dans le nord de l'Allemagne c'est Albert de Brandebourg
(1490-1545), archevêque de Mayence et de Magdebourg (à ne pas confondre avec le
premier duc de Prusse mentionné plus loin), l'un des sept princes Électeurs, qui obtient le
marché (il en profite pour rembourser ses dettes aux banquiers Fugger !). Il charge un moine
dominicain, Johannes Tetzel, de prêcher en faveur de cette campagne d'Indulgences.
Luther, qui sait ce qui se passe à Rome, est furieux, d’autant plus que les Dominicains sont
les grands rivaux des Augustins. Il s'oppose donc violemment à cette campagne et
commence à faire la liste de tous ses griefs contre l'Église de Rome, telle qu'elle fonctionne.
En 1517, il affiche sur la porte de l'église de Wittenberg ses 95 « thèses » condamnant les
corruptions et les fautes de l'Église. Des ecclésiastiques et quelques princes laïques
l’appuient, comme le chevalier Ulrich Von Hutten, ami d’Érasme.
Il dénonce notamment la corruption financière et morale de l'Église ; sa trop grande
immixtion dans les affaires temporelles ; l'ignorance de certains membres du bas clergé ;
l'ivrognerie, la luxure, le népotisme au sein de l'Église.
- La rupture avec Rome et la mise au ban de l'empire
En décembre 1520, Luther brûle sur la place publique de Wittenberg la bulle Exsurge
Domine par laquelle le pape l’a excommunié en juin, ainsi qu’un exemplaire du droit canon.
Pour lui, en effet, la justice n’est pas l’affaire de l'Église, mais des princes, Dieu seul détenant
par ailleurs la justice « suprême ».
L'empereur du Saint Empire, Charles Quint, est inquiet de ce début de contestation car
l'unité de religion est une garantie essentielle de la paix dans l’empire. En 1521, il convoque
à Worms (ouest de l’Allemagne) une diète (ou Reichstag, assemblée des dignitaires du Saint
Empire). Luther y refuse de se rétracter et se réfugie chez son souverain immédiat, le duc de
Saxe Frédéric le Sage, prince-Électeur. Charles Quint met Luther « au ban de l'empire », il
est donc menacé d’arrestation.
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Réfugié dans la forteresse de la Wartburg, située sur un piton rocheux près d’Erfurt, il
commence à y traduire la Bible en allemand. Pour lui, en effet, chaque fidèle doit avoir un
contact direct avec les Écritures – et par là même avec Dieu - et s’en faire sa propre opinion.
- la création de l’Église réformée
En 1522, soutenu par de nombreux princes laïques de l'empire du nord de l'Allemagne, il
rentre à Wittenberg et décide de créer une nouvelle église, l’Eglise réformée (qu’on nomme
aussi « évangélique », ou plus tard « luthérienne », pour la distinguer de celle fondée par
Calvin ; voir ci-dessous).
Il refuse que son Église s'implique dans les affaires temporelles (civiles, politiques,
économiques) car la religion ne doit s'occuper que du rapport entre l’homme et Dieu. Ce
qui implique une position politique de soumission au pouvoir civil quel qu'il soit :
l'important ce n’est pas cela, c'est le royaume de Dieu, la vie après la mort. Luther est donc
opposé à toute révolte politique ou sociale contre les princes (voir ci-dessous : Th. Münzer
et les Anabaptistes).
Il n'y a pas de hiérarchie dans l'Église luthérienne, ni pape, ni évêques, et les pasteurs, qui
peuvent se marier, sont des individus comme les autres et ne sont là que pour organiser les
cérémonies religieuses et prêcher. Les ordres monastiques sont abolis
Cette Église a du succès surtout en Allemagne du Nord et dans le nord de l’Europe. Dans le
nord du Saint Empire, de nombreux princes se convertissent, parfois par intérêt. En effet :
- les énormes biens de l'Église sont confisqués à leur profit
- l’absence d’interventions politiques de la part de l’Église réformée les libère d’une
importante pression
- les juridictions ecclésiastiques étant abolies, les affaires qui en dépendaient reviennent à
la justice civile
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- l’expansion du luthéranisme au nord de l’Europe
En 1525, le grand-maître de l'Ordre Teutonique Albert de Brandebourg (1490-1568, à ne
pas confondre avec l’évêque de Mayence et Magdebourg cité plus haut) se convertit au
luthéranisme. Luther ayant aboli les ordres religieux, les chevaliers teutoniques deviennent
des chevaliers laïcs et le grand-maître se proclame « duc de Prusse » du nom des principaux
territoires occupés par l’Ordre. Un nouvel État vient de naître.
La même année, le roi de Suède se convertit également au luthéranisme, suivi par Henri VIII
d’Angleterre en 1534 (voir ci-dessous) , puis le roi Danemark en 1536.
Dans quelques grandes « villes libres » du sud de l’Empire, une majorité de la population a
fait de même, à Augsbourg, Francfort, ou Strasbourg par exemple.
3. Les courants radicaux : anabaptisme et guerre des Paysans
Certains disciples de Luther vont former des courants plus radicaux.
- Thomas Münzer
Ancien Augustin, devenu prédicateur, Münzer trouve Luther trop modéré sur le plan
politique et social. Influencé par le « millénarisme » (un courant né avec la « grande peur »
de l'an 1000 où l’on a cru à la venue de l’Antéchrist et à la fin du monde) il est partisan d'une
révolution sociale, de l’abolition du servage, des corvées, et des dîmes (prélèvement de
10% des récoltes), ainsi que d’un partage immédiat des richesses. Münzer est également
l’inspirateur du mouvement des Anabaptistes, pour lesquels, si un
premier baptême peut « protéger » un nouveau-né cas de décès en
bas âge (ce qui est fréquent alors), un second baptême, à l’âge
adulte, est nécessaire pour confirmer la foi d’un individu. Prêchant
dans le sud de l'Allemagne, Münzer y mène en 1525 un mouvement
insurrectionnel : « la guerre des Paysans », attaquant et pillant les
châteaux. Il est rapidement pris et exécuté avec ses partisans.
Thomas Müntzer
(billet de 5 marks de l’ancienne
RDA)
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Luther a clairement pris position contre Münzer et condamné son action qu'il assimile à de
l'anarchie. Pour lui, « les paysans ont de la paille dans la tête » (extrait des Propos de table
de Luther relevés par l'un de ses commensaux).
- les Anabaptistes à Münster
Les choses se passent dans la ville épiscopale catholique de Münster, à proximité de la
frontière hollandaise. En 1534, deux anabaptistes hollandais, le pécheur Jean de Leyde et le
boulanger Johann Matthijs prennent, avec
leurs disciples, le contrôle de la ville, et y
instaurent le partage des biens, et la
polygamie. Ils seront finalement écrasés
militairement par les troupes de l'évêque,
appuyé par des soldats protestants envoyés
par Luther, qui condamne toute anarchie.
Les cages où furent exposés les cadavres des chefs anabaptistes.
4. Le calvinisme
C'est le deuxième grand courant de la Réforme protestante. Il survient après le
luthéranisme, apparaît en France et se développe d’abord à Genève.
- Jean Calvin (1509-64)
C'est un intellectuel humaniste, professeur de théologie et membre du
« collège trilingue » de Paris. Il fréquente la cour et l'entourage de
Marguerite d’Angoulême (ou de Navarre), sœur du roi François Ier, qui
s’entoure d’artistes et d’intellectuels pratiquant une certaine liberté
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d'esprit. On les appellera « libertins », au sens de la liberté de pensée, notamment en
matière de religion. Le roi les tolère dans la mesure où cela demeure dans un cercle fermé.
Mais, le 1er novembre 1533, alors que le luthéranisme s’étend en Allemagne, lors de la
rentrée universitaire à la Sorbonne, le discours du recteur Nicolas Cop (en partie rédigé par
Jean Calvin) est marqué par une réelle influence luthérienne. En octobre 1534, sont affichés
dans diverses villes de France, et jusque sur la porte du roi au château d’Amboise, des textes
luthériens proclamant que : « la messe est idolâtrie, le culte des saints aussi ». Recherché,
Calvin se réfugie chez Marguerite de Navarre, installée à Angoulême pour ne pas faire
scandale à Paris. Il part peu après pour Bâle, ville comptant de nombreux imprimeurs. Il y
publie en 1536 son principal ouvrage L'institution de la religion chrétienne.
Reprenant le principe luthérien de la grâce nécessaire pour le salut, il va plus loin encore, et
considère que la grâce de Dieu est accordée à des hommes prédestinés et que lui seul
connaît. Cette conception, plutôt angoissante puisque le chrétien ne sait pas s’il a été ou
non « élu » par Dieu, est paradoxalement aussi en partie libératrice : les calvinistes sont par
exemple les plus libéraux en matière économique, là où l’Église catholique persiste
notamment à interdire le prêt à intérêt.
- La Genève calviniste
Calvin s’installe en 1541 dans cette petite république indépendante (elle ne rejoindra la
Confédération helvétique qu’en 1815) et en prend bientôt la direction. Il y instaure une
véritable théocratie : la ville est dirigée par le « Consistoire », assemblée de six « pasteurs »,
dont Calvin, et de douze « anciens », des bourgeois choisis parmi les plus « sûrs » de la ville.
Plus rigoriste que Luther, Calvin instaure à Genève une véritable dictature morale : la vie
quotidienne doit être entièrement conforme aux préceptes religieux : distractions et jeux
sont interdits.
L’intolérance s’installe aussi : l'exemple de Michel Servet (Miguel Serveto), un théologien et
médecin espagnol réfugié à Genève, l’illustre bien. Membre d’un courant protestant radical,
les antitrinitaires (qui nient la divinité du Christ), il est aussi panthéiste (Dieu est partout
dans la nature). Inquiet de ces « déviances », Calvin le fait chasser de Genève. Peu après,
Servet étant entré au service d'un évêque français, il le dénonce à celui-ci comme hérétique.
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Chassé par l’évêque, Servet, qui ignore d’où provient cette dénonciation, se réfugie à
Genève où il est arrêté, condamné et brûlé pour hérésie en 1553.
- L'expansion du calvinisme en France et en Europe
Le calvinisme se développe en France, dans les régions de l'Ouest, en Normandie, en PoitouCharentes, et dans le Languedoc. Si quelques « grands noms » se convertissent (le prince de
Condé, l’amiral de Coligny) les protestants demeurent cependant très minoritaires en France
(environ 10%).
Ils sont toutefois considérés comme « dangereux » par les autorités car ils troublent l’unité
du royaume : dès 1523, qualifiés de « blasphémateurs », ils risquent le bûcher ; en 1540,
François Ier publie l'édit de Fontainebleau dans lequel il condamne les « prétendus
réformés », et interdit en France toute autre religion que le catholicisme.
Son fils et successeur, Henri II ira encore beaucoup plus loin : en 1547 il instaure une
« chambre ardente », c'est-à-dire un tribunal d'exception qui siège jour et nuit pour juger les
hérétiques. En trois ans, environ 500 calvinistes sont condamnés à mort et brûlés. La
censure d’état est établie sur les livres.
Ailleurs, le calvinisme s’étend surtout dans les Provinces-Unies (actuels Pays-Bas), en
Angleterre et en Écosse où John Knox établit en 1560 l’Église presbytérienne (très
décentralisée). Le Palatinat, la Bohême, la Pologne et la Hongrie sont également concernés,
mais les calvinistes n’y seront jamais majoritaires.
Au total le protestantisme forme un substrat globalement favorable aux futurs
bouleversements de la société européenne : l’individuation, le pluralisme, la
démocratisation.
5. La « Réforme catholique » ou « Contre-réforme »
- le Concile de Trente (1545-63) et l’action du pape Paul III Farnèse
La guerre franco-espagnole retarde la réunion du concile, que le pape Paul III (1534-49)
convoque finalement à Trente (Trento) dans le nord de l’Italie. Les sessions du concile
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s’étaleront sur une vingtaine d’années, avec des interruptions. Il s’agit de répondre aux
critiques protestantes :
- en réformant les abus : la discipline doit être rétablie au sein de l’Église.
- mais on ne touche pas au dogme, ni aux structures de l’Église. Traduction des Ecritures,
prédestination, baptême des adultes, mariage des prêtres, suppression des ordres
monastiques ou de la hiérarchie ecclésiastique sont considérés comme pures hérésies.
L’Église catholique, conforme à la volonté de Dieu, est seule à détenir la « Vérité ».
En 1542, Paul III a créé le tribunal du Saint-Office (de son nom complet la « Sacrée
congrégation de l'Inquisition romaine et universelle ») chargé de juger le comportement et
la foi des ecclésiastiques. C’est le Saint-Office qui condamne, en 1633, l’astronome italien
Galilée (Galileo Galilei, 1564-1642) pour avoir démontré la justesse de la thèse
héliocentriste de Copernic (voir plus haut). Pour sauver sa vie, Galilée acceptera de se
rétracter, avant de vivre en résidence surveillée jusqu’à la fin de ses jours.
- Ignace de Loyola et la fondation de la Compagnie de Jésus
Avec quelques disciples, le gentilhomme espagnol Ignace de Loyola (Iñigo Lopez de Loyola),
veut ré-évangéliser la Terre Sainte. En 1534, il se rend à Rome afin d’obtenir l’appui du pape.
Paul III les détourne de cet objectif et leur assigne plutôt la « reconquête » de l’Europe à la
foi catholique. Créée en 1540, la Compagnie de Jésus est placée sous la protection spéciale
du pape auquel elle prête un vœu exclusif d’obéissance. Ordre séculier d’élite, les Jésuites
fondent de nombreux collèges où ils dispensent un enseignement de très grande qualité,
exerçant ainsi une grande influence. C'est le principal instrument de la « reconquête
catholique », de la Contre-Réforme, mais d’autres ordres religieux miltants sont également
créés à la même époque, comme par exemple les Théatins, les Oratoriens ou les Carmélites.
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IV - L'ESSOR ECONOMIQUE
1. Une mentalité plus favorable au travail et au commerce
On s'oppose de plus en plus à l'oisiveté : ne pas travailler est désormais de plus en plus mal
vu. L’Utopia de Thomas More (voir ci-dessous) veut que tous travaillent six heures par jour,
y compris les nobles et le clergé, car c’est une contribution normale au bien commun. Or, la
société européenne est fondée depuis les débuts du moyen âge sur une tripartition entre
oratores (ceux qui prient), bellatores (ceux qui combattent) et laboratores (ceux qui
travaillent).
De même, la Réforme protestante a supprimé les communautés religieuses régulières (les
monastères et couvents) parce qu'elles sont oisives. L’éthique du travail est une
caractéristique importante de la mentalité protestante.
L’espagnol Juan-Luis Vives (†1540), qui vit dans les Pays-Bas espagnols (voir ci-dessous)
propose à la ville de Bruges dans son De Subventione pauperum un projet visant à donner du
travail à tous pour supprimer la mendicité et supprimer l'assistanat. Il considère en effet
l'oisiveté et la dépendance comme dégradantes.
Tout cela va à l’encontre de l’exercice de la charité largement exercée par l’Eglise, qui aide
une bonne partie de la population en difficulté (mendiants invalides, nombreux en raison de
l’inefficacité de la chirurgie ; veuves, orphelins et vieillards pour lesquels il n’y a pas
d‘assistance sociale publique) à survivre.
- la question de la dérogeance
En France et en Espagne notamment, on considère que le fait de travailler est dégradant
pour un noble. Les nobles en effet sont voués uniquement à l’activité militaire au service du
souverain. Travailler – y compris investir ailleurs que dans l’achat et la mise en valeur de
terres - c'est donc « déroger », perdre son statut de noble. Cette règle arrange bien les
bourgeois, qui seuls peuvent ainsi exercer des activités commerciales. Si, en 1556, les nobles
bretons normands et marseillais ont obtenu du roi de pouvoir s’adonner au grand
commerce maritime, les députés du tiers-état représentant la bourgeoisie aux États
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généraux de 1560 refusent, par crainte de la concurrence, de voter les nouvelles exceptions
à la dérogeance demandées par la noblesse. Celle-ci ne va donc que très peu contribuer à
l’essor économique de la France, ce qui sera un handicap important. On verra qu’en
Angleterre et dans quelques autres pays européens, la noblesse a au contraire tout à fait le
droit de commercer.
- le prêt à intérêt
Il est interdit par l'Église, qui le considère comme immoral. En 1522, le roi de France,
François Ier a besoin d'argent et bien que défenseur de l'Église, il passe outre cette
interdiction et emprunte à ses sujets par le biais de l’Hôtel de Ville de Paris. Celui-ci va en
effet émettre ce que l'on appelle des rentes. Les particuliers lui prêtent de l’argent en
échange d’une rente à vie.
Les protestants ont vis-à-vis de cette question une attitude beaucoup plus libérale, Luther et
Calvin prônant respectivement des taux d'intérêts annuels maximum de 5 % et 12 %.
- la création des premières bourses
Le mot « bourse » vient de celui d'une famille de commerçants brugeois, les Van der Beurse.
La bourse est d’abord l'endroit où se font les importantes transactions commerciales et
financières. Une première ouvre à Bruges au XVe siècle, d’autres se créent à Anvers et à
Amsterdam au début du XVIe siècle. Bientôt toutes les grandes places commerciales
européennes ont leur « bourse ».
2. La naissance de l'économie politique
- Jean Bodin et l’inflation
Juriste et économiste français du XVIe siècle, Il étudie le
phénomène de l'inflation, que les Grandes Découvertes (voir cidessous)
ont
provoqué
en
Europe,
en
y
accroissant
considérablement la quantité de métaux précieux. D'autres
économistes, italiens, anglais, allemands ou espagnols ont
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également commencé depuis le début du XVIe siècle à publier des ouvrages d’économie
politique. C’est une science nouvelle: celle de la gestion de l'État. Une théorie l’emporte à
cette époque, celle du « mercantilisme ».
- Le mercantilisme
Il s’agit de maximaliser le stock monétaire d’un État, d’avoir dans les coffres un maximum
de monnaie métallique, d’or et d’argent surtout. Pour les transactions quotidiennes, on
utilise plutôt la monnaie dite « de billon », en cuivre, parfois mêlé d’argent. Il n'existe pas
encore alors de papier-monnaie. Pour les transactions différées dans le temps ou à distance
on utilise des lettres de change (voir ci-dessus).
Partant du principe que le stock monétaire dans le monde est relativement stable, la seule
façon pour un Etat d’accroître sa richesse est d’appauvrir ses voisins. On agit
essentiellement pour cela sur les droits de douane, à l’entrée et à la sortie.
Il faut faire entrer un maximum de métal précieux et en laisser sortir le moins possible. On
abaisse donc les droits d’entrée sur les matières premières dont on manque, afin de les
transformer puis revendre plus cher et en partie à l’étranger ces produits manufacturés (on
abaisse les droits de sortie pour ces produits). A l’inverse, on élève les droits d’entrée pour
les produits manufacturés étrangers susceptibles de concurrencer la production
« nationale ».
Le mercantilisme domine l’économie politique au XVIe et au début du XVIIe siècle. [=>Le
libéralisme le supplantera, d’abord en Angleterre et dans les Provinces-Unies, au cours du
XVIIe siècle]
V - NOUVEL URBANISME ET UTOPIES SOCIALES
Les villes médiévales sont faites de rues étroites, tortueuses, sans aucun souci de géométrie.
À la Renaissance, en Italie dès le XVe siècle, apparaissent, des quartiers nouveaux, bâtis sur
un plan géométrique, avec des rues larges, bordées d’hôtels particuliers, avec cour à l’avant
et jardin à l’arrière. L'urbanisme y est plus espacé, moins dense. L’hygiène et la santé y
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gagnent car l’air y est mieux renouvelé (le tout-à-l’égout n’existe pas encore), ce qui limite
les risques de propagation des maladies.
Depuis les XIVe et XVe siècles, grâce au retour de la sécurité dans les campagnes, nobles et
riches bourgeois italiens se font construire des villas où ils aiment y séjourner en été. C’est
aussi une marque de distinction sociale dont la mode va se répandre dans toute l’Europe au
XVIe siècle.
Quelques intellectuels pensent également à une réforme générale de la société dans un
sens plus égalitaire, parfois même collectiviste.
Thomas More (1478-1535) est juriste mais aussi le chancelier
roi d'Angleterre Henri VIII (voir ci-dessous). C’est, comme
Érasme, un catholique réformateur.
Dans Utopia (1516), « le pays de nulle part », il critique les
dégâts sociaux et sociétaux (maisons et églises abandonnées,
notamment) que provoque l’appropriation privée des terres
par les enclosures, et imagine au contraire une forme de
société proto-communiste. Il insiste sur le fait que ses
« Utopiens » pratiquent mieux le christianisme que les
chrétiens du XVIe siècle. Cet ouvrage est donc surtout pour lui
Portrait de Thomas More
par Hans Holbein (1527)
une occasion de critiquer l’Église et les mœurs de son temps.
Utopia contient 54 villes de six mille habitants chacune, une taille « idéale » selon More pour
organiser de bonnes relations sociales. Le gouvernement d’Utopia est élu, ce qui est à la fois
révolutionnaire et une allusion à certaines cités grecques de l’Antiquité. Les citoyens sont
égaux, ce qui veut dire qu'il n'y a plus de noblesse, plus de privilèges alors que c'est, depuis
des siècles, le fondement même de la société européenne.
La terre est une propriété collective, travaillée à tour de rôle par tous les individus adultes, à
raison de six heures de travail par jour. Les revenus des habitants sont distribués par l'État,
qui est le seul employeur.
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La vie quotidienne est très réglementée : on se lève à quatre heures du matin, on se couche
à vingt heures. Les repas sont pris en commun et en musique. Le comportement moral des
individus est très contrôlé.
Les mariages ont obligatoirement lieu entre 18 et 22 ans, et l'adultère est puni de mort. Le
« suicide assisté » est envisagé pour les malades incurables, les cadavres sont brûlés (ce qui
est sacrilège pour l’Eglise catholique qui croit en la résurrection des morts)
La religion est unique et se réduit à croire qu’il n'y a qu'un seul Dieu, créateur du monde et
éternel. Il n'y a donc plus besoin d’un clergé nombreux. Athéisme et « fanatisme » sont
totalement condamnés.
On constate clairement que, comme beaucoup d’utopies sociales postérieures, ce projet a
des aspects totalitaires qu’on retrouve également dans La Citta del Sole (« La Cité du
Soleil », écrite en 1602 (publiée en latin à Francfort, en 1623) par l’Italien Tommaso
Campanella (1568 - 1639).
Dominicain originaire de Calabre, il a des idées
très avancées. Suspecté de magie (il s'est
intéressé à la kabbale juive), il est emprisonné
durant 27 ans par l’Inquisition. C’est en prison
qu’il écrit son ouvrage, dont le sous-titre est
Réforme de la religion chrétienne.
Il prône un communisme intégral et est
considéré comme l’un de ses précurseurs. Les
enfants par exemple sont élevés en commun,
car le foyer conjugal n’est pas la base de la
société. Les mariages sont d'ailleurs très
souvent imposés : il faut procréer dans l’intérêt
de la société et de l'espèce. Les travaux agricoles se font en commun durant quatre heures
chaque jour. Le logement est collectif, tous portent un habit identique afin d’exclure toute
distinction sociale.
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Ecrivain français, François Rabelais (1483-1553) est
d’abord moine, puis prêtre et médecin. Il est
notamment l’auteur de Gargantua (1534) où il décrit
la vie des moines de l'abbaye imaginaire de
« Thélème ». Au contraire de l’Utopia de Thomas
More, c’est la liberté qui y règne. On y a supprimé les
horloges, tout comme les vœux de chasteté et
d’obéissance que prononcent traditionnellement les
moines. Le but de la vie est de s’enrichir
matériellement, spirituellement et intellectuellement.
Pour Rabelais, la liberté est le bien le plus précieux pour l’homme.
Juriste, Francis Bacon (1561 - 1626) est garde des Sceaux et
chancelier sous Jacques Ier d’Angleterre. Sa New Atlantis (« La
Nouvelle Atlantide », 1620) est une utopie scientifique et
technocratique. Ce n'est pas un changement social qu'il
espère, mais plutôt l’heureux résultat des progrès scientifiques
et technologiques. Pour lui, le gouvernement doit être confié à
des savants non élus. Tout ce qui est scientifiquement possible
doit être réalisé : la science ne doit pas avoir de frontières,
notamment celles imposées par l'Église, car Dieu a donné à l’homme une intelligence qui lui
permet d’agir sur la nature. Bacon va jusqu'à envisager des manipulations génétiques et la
création de nouvelles espèces.
VI - LES GRANDES DECOUVERTES
Ce sont les découvertes maritimes faites par Portugais et les Espagnols entre 1450 et 1530
(voir cartes ci-dessous).
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1. Les Portugais font essentiellement du commerce côtier
Globalement, les Portugais ne cherchent pas à conquérir les territoires ; ils s'installent sur
les côtes (le plus souvent de force) pour y installer des comptoirs (places commerciales
fortifiées).
- L'ouverture de la route des Indes
Après la prise de Ceuta en 1415, les Portugais commencent à descendre vers le sud le long
des côtes. Vers 1450, ils passent le Sénégal et atteignent le Golfe de Guinée, en Afrique de
l’Ouest. Cette région, très riche en métaux précieux (or), en épices (poivre) et en esclaves,
les retient longtemps. Les esclaves africains sont capturés par les Portugais eux-mêmes ou
achetés aux peuples de la côte qui les ont fait prisonniers. Depuis des siècles, les Arabes
pratiquaient l’esclavage des Noirs, et le Africains eux-mêmes réduisaient temporairement les
vaincus en esclavage.
Ce ne sont donc pas les Européens qui l’ont créé, mais ils vont, du XVIe au XVIIIe siècle lui
donner une énorme extension, en
faisant un véritable marché et les
exploitant parfois jusqu’à la mort sur
les plantations portugaises ou dans les
futures colonies américaines.
Monument dédié aux découvertes portugaises
dans le quartier de Belém à Lisbonne.
En 1475, ils atteignent l'Équateur.
En 1487, Bartolomeu Dias franchit pour la première fois le "cap des tempêtes" aujourd'hui
appelé le cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud. Parti de Lisbonne, Vasco de Gama
arrive le 20 mai 1498 à Calicut (auj. Khozikode), sur la côte sud-ouest de l'Inde, où il fonde
un comptoir. Bientôt, les Portugais contrôlent le détroit d'Ormuz, qui ferme le Golfe
Persique par où transitent les marchandises qui vont d'Orient en l'Occident sur des bateaux
chinois et arabes.
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En 1505, est créé l'Estado da India, c'est-à-dire de l'administration portugaise des Indes. Il ne
s'agit surtout du contrôle des comptoirs portugais installés sur les côtes de l’Océan Indien.
L’exploration continue vers l’est, notamment vers les îles Moluques où se trouvent
l'essentiel des épices. En 1511 les Portugais franchissent le détroit de Malacca (au sud de la
Malaisie actuelle).
- L'Inde moghole
L'Inde dans laquelle arrivent les Portugais est un royaume hindou dirigé par une toute
nouvelle dynastie musulmane, celle des Mongols timurides de Babur Shah (1504-30),
bientôt appelés « Moghols ». Tout le nord de l'Inde et les régions allant à l’ouest jusqu'à la
Turquie on en effet été progressivement conquis, à partir du XIVe siècle, par les Mongols
conduits alors par Tamerlan (Timur-lang). Cette conquête a coupé la traditionnelle « route
de la soie »
et celle des épices, rendant plus difficile et donc plus coûteux
l'approvisionnement de l'Occident. [=> L’empire moghol va subsister dans le nord de l’Inde
jusqu'au milieu du XIXe siècle. Les colons anglais, arrivés au XVIIIe siècle, ont en effet garanti
son autorité et son autonomie politique – c’est le système dit de l’indirect rule – car leur seul
intérêt était de contrôler l’économie indienne].
- la découverte du Brésil
Amilcar Cabral, un marin portugais débarque sur la côte nord du Brésil actuel en 1500. Il
semble que cette découverte soit due au hasard des courants, car on ignorait alors
l'existence de l’Amérique du Sud. Mais il se trouve aussi qu'à l'occasion du partage qui avait
eu lieu en 1494 à Tordesillas (voir ci-dessous) entre Espagnols et Portugais, la limite
occidentale extrême des territoires portugais avait été située 370 lieues à l'ouest des îles
portugaises du Cap-Vert (en face du Sénégal). Cette ligne passant au milieu du Brésil actuel,
certains historiens pensent que les Portugais connaissaient déjà en 1494 l’existence de
l’Amérique du Sud, mais rien n’a jamais pu être prouvé à ce sujet.
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2. Les Espagnols conquièrent et exploitent les territoires et les populations
En contraste avec la politique des Portugais, les « conquistadors » Espagnols ne restent pas
sur les côtes mais pénètrent à l’intérieur des terres afin de les exploiter et d’y évangéliser les
populations (les Portugais tentent aussi de convertir les autochtones qu’ils soumettent ou
côtoient). Il se trouve d’ailleurs que les Espagnols vont découvrir de très importants
gisements d’or et d’argent.
- Christophe Colomb
Cristoforo Colombo (1451-1506) est un marin génois chevronné, qui participe à de
nombreuses expéditions maritimes en Méditerranée et dans l'Atlantique avant de faire
naufrage, en 1476, au large de Lagos, au sud du Portugal.
Il continue dès lors son métier sur des navires
portugais, et épouse la fille du gouverneur portugais
des Açores. Il s’intéresse à la cartographie, notamment
à l'Imago Mundi de Pierre D'Ailly (voir ci-dessus), et
peut-être aux travaux du géographe florentin Paolo
Toscanelli. Comme Pierre D'Ailly celui-ci se trompe sur
la distance existant à l’ouest entre l'Europe et l'Asie
(on ne connaît pas l’existence de l'Amérique, mais on
sait depuis Ptolémée, au IIe siècle, que la terre est
ronde, une idée cependant longtemps oubliée avant
d’être définitivement prouvée au XIIIe siècle). Les deux
cartographes voient la terre beaucoup plus petite qu'elle n'est et estiment la distance entre
l'Europe et l'Asie à deux ou trois semaines de navigation.
Cette distance ne fait pas peur à Christophe Colomb qui est déjà allé en Islande. Il
entreprend donc en 1480 des démarches auprès du roi Jean II de Portugal, qui refuse
finalement en 1485, car le Portugal est alors essentiellement tourné vers l'Afrique et la
future « route des Indes ».
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Colomb se tourne alors vers l'Espagne et obtient en 1492 la protection de la reine Isabelle
de Castille, avec laquelle il signe les « capitulations de Santa Fe » : il obtient le titre d’amiral
et de vice-roi des Indes (on est persuadé qu’il va débarquer en Asie), ainsi que 1/8e des
revenus des terres conquises pour la couronne espagnole, à laquelle revient tout le reste. Il
a en outre obligation d’évangéliser les populations conquises, et son expédition sera
accompagnée de prêtres.
Parti le 3 août 1492 sur trois bateaux, Colomb et sa centaine d’hommes d’équipage, qui
commencent à manquer de vivres, n’arriveront que neuf semaines plus tard, le 12 octobre
1492, en vue de l’île des Antilles qu’il baptisera San Salvador. Assez bien reçus par les
indigènes, ils ne rentrent qu’en mars 1493 au Portugal. Il fera trois autres voyages dans ces
régions, colonisant notamment Cuba et Saint-Domingue, et allant même jusqu’au Costa-Rica
en sur les côtes du Venezuela actuel. Il mourra persuadé d’avoir découvert des îles voisines
du Japon et des côtes inconnues de l’Asie. En 1507, le cartographe allemand Martin
Waldseemuller propose de baptiser « Amérique » ces régions, d’après le prénom
d’Amerigo Vespucci (1454-1512), un navigateur florentin qui y a fait trois voyages
d’exploration sur des navires espagnols.
- Le traité de Tordesillas (1494)
Signé dans une petite ville proche de Valladolid par Isabelle de Castille, son mari Ferdinand
d’Aragon et le roi Jean II Portugal, il trace dans l’Océan Atlantique et les territoires adjacents
une ligne de démarcation entre les zones de conquête espagnoles et portugaises. En 1529,
un traité semblable est signé à Saragosse pour l’Océan Pacifique. Représentant de Dieu sur
terre, le pape avalise ce partage.
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Les Portugais ont ce qui est à l'est de la ligne, soit l'Afrique et l’Asie, les Espagnols ce qui est
à l'ouest. L’accord est notamment nécessité par le fait que les Espagnols doivent traverser
les mers portugaises pour rejoindre leurs colonies américaines.
- La Casa de Contratación de Indias et les encomiendas
Les Espagnols organisent de façon très centralisée leurs conquêtes et l'exploitation
économique des territoires. Créée à Séville en 1503, non loin du port de Cadix d’où partent
les navires, la Casa de Contratación (« la maison du contrat ») est le centre administratif de
la colonisation espagnole. C’est là que se signent les contrats entre le souverain et les
« entrepreneurs de conquêtes », les encomiendas qui précisent, comme dans le cas de
Colomb, que les terres découvertes appartiennent au souverain espagnol, qu'un petit
pourcentage des revenus ira au conquistador et que celui-ci se voit « confier » les
populations locales qui travailleront de gré ou de force au bénéfice des Espagnols.
- Balboa traverse l'isthme de Panama
Les Espagnols Vasco Nuñez de Balboa et Francisco Pizarro explorent l'Amérique centrale et,
en 1513, traversant le continent qui n’est large à cet endroit (Isthme de Panama) que de 80
km environ, il découvre à l’ouest un océan qu’il baptise « Pacifique ». On sait dès lors de
façon certaine que ce n’est pas l’Asie que Colomb a découvert et exploré.
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- Le tour du monde de Magellan
Ce nouvel océan met les Européens au défi de rejoindre cette fois réellement l’Asie par
l’ouest. Patronné par Charles Quint, le Portugais Magellan (Fernao de Magalhaes) part en
1519, avec 280 hommes et cinq caravelles, pour un tour du monde. Il longe l'Amérique du
Sud, la contourne par le détroit qui porte aujourd’hui son nom, puis traverse l'Océan
Pacifique et y découvre un certain nombre d'îles, notamment les îles Philippines (baptisées
en 1527 du nom du fils de Charles Quint, le futur Philippe II d’Espagne), qui seront attribuées
définitivement à l’Espagne en 1529, par le traité de Saragosse (voir ci-dessus). Magellan
meurt aux Philippines en 1521, lors d’un combat avec les indigènes. En 1522, son équipage
rentre en Espagne par la route des Indes, contournant l’Afrique. Seuls 35 hommes et un
bateau arrivent à Cadix, près de trois ans après leur départ. Les combats mais aussi le
scorbut, maladie des marins due à une carence en vitamine C, ont décimé le reste de
l’équipage.
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- Cortés et le Mexique, Mayas et Aztèques
Hernán Cortés (1485-1547) est le prototype du conquistador sans scrupules : violent, avide
et souvent irrespectueuse vis-à-vis des souverains espagnols.
Depuis le XIVe siècle, l’empire aztèque domine le Mexique. Cortés va essayer de diviser pour
régner en s'alliant avec les ennemis des Aztèques : les Mayas, implantés surtout au Yucatan,
une presqu’ile à l’est du Mexique, et qui ont dominé le Mexique aux XIIe et XIIIe siècles,. Le
vaste empire aztèque est très centralisé et très urbanisé. La capitale, Tenochtitlan, (sur le
site de Mexico), au plan géométrique, compte 500 000 habitants, chiffre que n’atteint alors
aucune ville européenne.
En 1520-21, Cortés envahit le Mexique et s'empare des richesses disponibles. Tout cela avec
500 hommes seulement, mais avec des armes à feu, inventées en Europe au XVe siècle, et
des chevaux, animal alors inconnu au Mexique. Les Espagnols bénéficient aussi d’une
légende aztèque annonçant le retour d’un Dieu vengeur, avec lequel Cortes et ses hommes
sont confondus.
Les Espagnols s’emparent aussi des importantes mines d'argent (et aussi d’or, de cuivre, de
mercure) exploitées par les Aztèques à Zacatecas, ce qui va considérablement augmenter la
richesse de l’Espagne pendant plus d’un siècle. De nouvelles plantes comestibles comme la
pomme de terre et le maïs sont également ramenées en Europe, même si on les destine
d’abord au bétail. Les Européens ne commenceront à les consommer qu’au XVIIe et surtout
au XVIIIe siècle. Le cacao, pris uniquement sous forme de boisson amère (parfois même
comme médicament), et le tabac, d’abord « prisé » plutôt que fumé, font aussi leur entrée
dans la vie quotidienne des colons avant de se répandre en Europe à partir de la seconde
moitié du XVIIe siècle [originaire d’Ethiopie, le café, importé en Europe par les Vénitiens
devient à la mode en Europe vers le milieu du XVIIe siècle ; d’origine chinoise, le thé est
introduit en Europe par les Hollandais au XVIIe siècle et se popularise au XVIIIe)
- Pizarre et le Pérou : l'empire quechua ou Inca
Fr-ancisco Pizarre (Pizarro) est un conquistador comme Cortés. Au Pérou, dans l'empire très
centralisé des Quechuas (grosso modo, le Pérou et la Bolivie actuels), les Incas constituent
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une oligarchie privilégiée en même temps qu’une « caste sacerdotale »: ils gèrent le
rapport avec les dieux, gouvernent l'État et possèdent environ deux tiers des terres. Même
s’ils disposent d’un réseau de sentiers dense et bien entretenu, les Quechuas ignorent le
cheval, et la roue, deux éléments qui donnent aux 200 hommes et 37 chevaux emmenés par
Pizarre une grande mobilité.
Pizarre arrive au Pérou en 1531. Ses hommes pratiquent systématiquement la terreur et le
pillage pour s’emparer de l’or que le pays recèle en abondance. On estime qu’ils sont
revenus de l’expédition avec 18 kilos d'or chacun en moyenne. Les Espagnols découvrent
aussi les mines d’argent de Potosi (auj. en Bolivie), extrêmement rentables, et qui seront
exploitées de 1545 à la fin du XVIIIe siècle.
Comme au Mexique, le Pérou est « christianisé » par la force, en commençant pas son chef
politique et religieux, le grand Inca Atahualpa, qui est étranglé après sa conversion publique
et son baptême. Ceci afin de montrer aux populations locales que le dieu des Européens est
plus puissant que ceux des Incas qui n'ont pas su protéger l’Inca. Les populations se
soumettent assez facilement.
3. Anglais et Français en Amérique du Nord
Ils tentent d’investir l'espace laissé vacant au nord-ouest par les Espagnols et les Portugais,
et cherchent aussi une route maritime vers l’Asie qui contournerait l'Amérique du Nord.
Dès 1497, l’Italien Giovanni Cabotto (John Cabot), part de Bristol et explore les côtes
d'Amérique du Nord
Il découvre l’île de Terre-Neuve, zone de pêche extrêmement
prolifique. En 1508-09, son frère Sebastian explore le Labrador et la baie d'Hudson,
essayant sans succès de trouver un passage vers l’Asie.
En 1523-24, financé par François Ier, le Lyonnais d’origine vénitienne Giovanni da
Verrazzano longe les côtes de l’Amérique du Nord et atteint Terre-Neuve. En 1534, le
Français Jacques Cartier, financé lui aussi par le roi de France, part explorer ces mêmes
régions. Il entre dans la large embouchure du fleuve Saint-Laurent, croyant y trouver un
passage vers l’ouest. Il remontera jusqu’aux emplacements actuels de Québec et Montréal.
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Ces navigateurs ne sont pas des colonisateurs, mais plutôt des explorateurs. Il faudra
attendre le XVIIe siècle pour voir le Français Samuel Champlain implanter en 1608 une petite
colonie à Québec.
4. Les conséquences économiques des Grandes Découvertes
- un énorme afflux de métaux précieux
En Europe les principaux gisements de métaux précieux sont situés dans le sud de
l'Allemagne et en Bohême. Mais ils sont très inférieurs en production aux gisements
américains : en quelques décennies, la quantité d’argent disponible en Europe est
multipliée par trois, la quantité d'or par deux.
L'un des résultats de l'accroissement de cette masse monétaire est l'inflation. En une
cinquantaine d'années, les prix sont multipliés par six en France.
Autre conséquence : l'Espagne et le Portugal sont désormais des pays riches, mais ce
sentiment de prospérité est relativement artificiel, car ils ne vont pas suffisamment en
profiter pour développer leur économie, préférant profiter des richesses acquises pour
procéder à des achats à l'étranger. Un exemple de ce manque d'esprit entrepreneurial : les
vêtements sacerdotaux des prêtres sont cousus de broderies de fils d'or et d'argent. Au
Mexique et au Pérou, le savoir-faire nécessaire n’existe pas et les meilleurs artisans en
Europe sont les Lyonnais. On importe donc les métaux précieux des colonies espagnoles
pour faire fabriquer ces broderies en France puis renvoyer le produit fini vers les colonies
espagnoles. La France récolte ainsi le fruit d’une certaine insouciance espagnole.
5. Le débat sur la colonisation
- les dégâts de la colonisation : hécatombes et esclavage
Au moins 80 % des indigènes décèdent à la suite de la colonisation des Amériques.
Ces décès ne sont pas majoritairement dus aux combats et aux massacres délibérément
pratiqués les colons. Ce sont surtout les effets :
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- d’abord du choc microbien face aux maladies contagieuses des Européens contre
lesquelles les populations indigènes ne sont pas immunisées, la grippe notamment
- du travail forcé, notamment dans les mines, les colons utilisant la main-d’œuvre locale,
sans se soucier de son bien-être ou de sa santé
- de la fuite des indigènes vers des zones inhospitalières, plus difficiles à exploiter.
Dès 1501 a commencé la déportation des Noirs d’Afrique vers les colonies américaines :
environ 5 millions de Noirs seront ainsi déportés au cours des Temps modernes.
- Las Casas : le premier anticolonialiste ?
Fils d'un colon espagnol, Bartolomé de Las Casas
(1474-1566) est lui-même colon à Cuba. Choqué par
le sort fait aux indigènes sur les plantations, il entre
dans les ordres et est fait prêtre en 1507. En 1517, il
rencontre Charles Quint en Espagne et tente de le
convaincre d’améliorer le sort des indigènes. En 1522 il
rejoint l’ordre mendiant des Dominicains. Devenu
prédicateur,
il
soutient
la
colonisation
et
l‘évangélisation, mais demande qu’on traite les
« Indiens » correctement, comme des travailleurs
espagnols. Face à l’opposition des colons, il se rend à plusieurs reprises en Espagne où il
obtient notamment le soutien de Francisco de Vitoria (†1546), dominicain, juriste qui plaide
à l’université de Salamanque pour le « droit naturel », un droit universel de la personne
humaine préfigurant les droits de l’homme. Las Casas dédie en 1542 à Charles Quint (roi
d’Espagne, 1516-1555) sa Brevisima relación de la destrucción de las Indias (« Brève
relation de la destruction des Indes »). La même année, Charles Quint édicte les Leyes
Nuevas qui ordonnent aux colons de traiter humainement les populations colonisées, sans
grand effet sur le terrain cependant.
Las Casas, promu évêque de Chiapas en 1543, est plutôt un humaniste qu’un
anticolonialiste. Et encore… Pour protéger les Indiens qu’il souhaite voir traiter comme des
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sujets espagnols, il va jusqu’à appuyer la déportation de Noirs africains qui commence dans
les Antilles dès les années 1510-1515 (voir ci-dessous).
A plusieurs reprises cependant, l'Église condamne clairement l'esclavage :
- lors du concile de Trente
- sous le pape Urbain VIII, à la fin du XVIe siècle
- sous le pape Benoît XIV, « pontife « éclairé », au milieu du XVIIIe siècle
- La naissance du relativisme culturel
C’est le fait de considérer qu'il n'y a pas de valeurs universelles, mais que chaque civilisation
a ses propres valeurs, et qu'elles se valent. Dans ce cas, l'Occident n'avait pas le droit
d'imposer ses valeurs au reste du monde.
L'un des premiers exemples de relativisme culturel se trouve chez Bartolomé de Las Casas
qui estime qu'il faut respecter les coutumes des Indiens d'Amérique, y compris les sacrifices
humains et le cannibalisme.
Les Grandes Découvertes posent aussi la question de l'unicité de l'espèce humaine. Il y a
des débats au sein de l'Église, pour savoir si les « Indiens » sont des hommes comme les
Européens ou non. En fait, la question est surtout de savoir s'ils ont une âme. Car dans ce
cas, ils peuvent être convertis et « sauvés » du point de vue de la religion. Sinon, ce sont
seulement des animaux perfectionnés, qui peuvent être traités comme tels.
En 1550 a lieu à ce sujet, à Valladolid, une controverse où Las Casas soutient la thèse
humaniste face au théologien Juan Gines de Sepúlveda. Mais l’Eglise ne tranche pas
nettement.
Enfin, du XVIe au XVIIIe siècles des explorateur européens tentent d’ étudier de façon
relativement neutre ces peuples et leurs coutumes : ce sont les timides débuts de
l’ethnologie. Mais celle-ci ne deviendra une discipline scientifique qu’aux XIXe et XXe siècles.
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6. L’Extrême-Orient : Chine et Japon
Sur la côte chinoise, un comptoir est fondé par les Portugais à Canton en 1517, à Macao en
1533 (elle restera portugaise jusqu'en 1997). En 1543, ils débarquent dans le sud du Japon,
dans l’île de Kyushu.
Chaque fois, les Portugais sont accompagnés d'évangélisateurs jésuites.
- la Chine
La dynastie Ming règne depuis 1368, et ce règne se poursuivra jusqu'à la fin du XVIe siècle.
La Chine des temps modernes est un pays extrêmement centralisé, où l'empereur a un
pouvoir absolu sur une administration très nombreuse et très hiérarchisée. La Chine compte
alors environ 70 millions d'habitants (auj. : 1, 3 milliard).
À la fin du XVIe siècle, la dynastie Ming est renversée par une invasion venue du Nord, celle
des Mandchous. En 1644, la dynastie mandchoue des Qing (« Tching ») s'installe, et règnera
jusqu'en 1912. Elle connaît deux règnes particulièrement longs : ceux de Kangxi (1661-1722)
et celui de Qien-Long (1736-1796). Au XVIIIe siècle, en Europe, l'empereur chinois sera
considéré (notamment par Voltaire) comme le modèle du « despote éclairé » (voir cidessous).
Au début, les Chinois acceptent assez facilement la venue des européens. Les empereurs
chinois sont notamment intéressés par les connaissances astronomiques et astrologiques
des jésuites qu’il prennent comme conseillers. Ceux-ci tentent évidemment de convertir
l’empereur, ce qui faciliterait la conversion du pays. Mais sans succès.
- Le Japon
Dans cet empire très militarisé, la dynastie Ashikaga se repose sur les shogun
(« commandant en chef contre les barbares ») pour ce qui est du contrôle du territoire. Être
sacré, l’empereur est retiré dans son palais et ne se montre pas à la population.
Au départ, les missionnaires jésuites y sont bien accueillis. et font rapidement des centaines
de milliers de conversions. Mais cela va finir par inquiéter le pouvoir.
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En 1573, la dynastie des Ashikaga est renversée par un coup d'Etat militaire entrepris par le
général Hideyoshi dont le régime dure de 1573 à 1598 : les persécutions contre les
chrétiens commencent.
Après une période de troubles, la dynastie des Tokugawa règne de 1603 à 1868.
Des persécutions radicales vont peu à peu éliminer toute présence chrétienne au Japon.
En 1638, tous les étrangers sont expulsés. Seuls les Hollandais peuvent continuer à faire du
commerce avec les Japonais. Ils n’ont en effet pas tenté de convertir les Japonais au
calvinisme. Ils sont cependant étroitement encadrés et n’ont accès qu’au port de Dejima
(sur une île artificielle près de Nagasaki), qui leur est réservé et dont ils ne peuvent sortir [=>
Cette situation perdurera jusqu'au milieu du XIXe siècle].
VII - MACHIAVEL
1. La montée du pouvoir princier en Italie du Nord
Dans la plupart des grandes villes italiennes, une oligarchie détient le pouvoir. Dans
certaines cités, des dynasties princières se sont formées : les Médicis à Florence ; les Este à
Ferrare et Modène ; les Gonzague à Mantoue ; les Visconti à Milan. La vie politique y est
extrêmement mouvementée, avec des vengeances familiales, des coups d'Etat, des
meurtres, etc.
2. Machiavel
Nicolas Machiavel (Niccolò di Bernardo dei Machiavelli,
1469-1527) est un haut-fonctionnaire de la République
florentine. Opposé en 1512 au retour au pouvoir des
Médicis, Il va connaître la torture, la prison et l’exil.
En 1513, il écrit Le Prince (lat. De Principatibus ; ital. Il
Principe) qui se présente comme un manuel de
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Machiavel par Santi di Tito
(Palazzo Vecchio, Florence)
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gouvernement pour un prince souverain. En politique, il faut mettre de côté les principes de
la morale si l’on veut assurer la stabilité du pouvoir et la paix publique. La liberté des
citoyens ne vient qu’ensuite.
Texte 4 « Quand la sécurité de son pays repose entièrement sur la décision à prendre, aucune
attention ne doit être portée à la justice ni à l'injustice, à la bonté ni à la cruauté, au mérite ni
à l'ignominie. Au contraire, toute autre considération étant mise de côté, il faut adopter sans
hésitation le parti qui sauvera l'existence et préservera la liberté de son pays. »
Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, livre IV (1531)
La fin justifie donc les moyens, l’efficacité passe avant tout. Même s’il y a une part d’ironie
dans l’ouvrage de Machiavel, un grand nombre d’hommes d’Etat des XVIe et XVIIe siècles
suivront ses conseils [=>ci-dessous le cardinal de Richelieu, lequel appliquera avant la lettre
ce qu’on appellera au XIXe siècle la Realpolitik]]
Le Prince sera très critiqué pour son cynisme, par Érasme notamment, et il sera
naturellement censuré par l’Église.
VIII - VERS LA MONARCHIE ABSOLUE
1. Les Etats européens à l'aube des temps modernes
De façon générale, ils se structurent et renforcent leur administration. Les souverains
cherchent tous à obtenir le monopole :
- en matière fiscale
- dans le domaine juridique
- du point de vue de la force armée (de plus en plus professionnelle, et où la pratique de
l’architecture militaire et l’usage des armes à feu se perfectionent)
Ces trois monopoles constituent la « colonne vertébrale » d’un Etat au sens moderne.
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2. La France : fin de la féodalité et centralisation du pouvoir
Avec 16 millions d'habitants au début du XVIe siècle, la France est de loin l’Etat le plus
peuplé en Europe (l'Espagne n’a alors que 6 millions d’habitants ; l'Angleterre et le Pays de
Galles 4 millions seulement).
- la fin de la féodalité
Fin XVe-début XVIe siècle, on assiste à la fin des valeurs dites chevaleresques. Louis XI (146183) est, avant la lettre, le modèle du souverain « machiavélien », fourbe et cynique. Lors des
guerres d’Italie (1494-1513), les armées de Charles VIII et de Louis XII pratiquent
systématiquement le pillage, l’incendie, le viol, le meurtre, la prise d’otages afin d’inspirer la
terreur et de conquérir plus vite le pays .
Le souverains cherchent à diminuer le pouvoir des grands féodaux notamment les ducs de
Bourgogne, alors principaux rivaux des monarques français.
- la centralisation
On réunit le moins possible les Etats généraux, que le souverain convoque lorsqu’il le
souhaite (le plus souvent pour des raisons fiscales) et où siègent le clergé, la noblesse (qui
représente le peuple des campagnes), et le tiers-état (qui représente la bourgeoisie
urbaine). Ils ne sont pas réunis entre 1484 et 1560.
Afin de progresser vers un monopole juridique de l’Etat central, Louis XII ordonne en 1505 la
codification des coutumes. Jusque-là le droit était oral et se transmettait de génération en
génération. Quelques textes seulement existaient. On commence donc un relevé de
l'ensemble des lois de toutes les provinces du royaume.
- Le règne de François Ier (1515-47)
Souverain autocratique (« car tel est notre bon plaisir ») il prend de nombreuses initiatives
centralisatrices :
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- fiscale : il crée trois impôts permanents : taille, gabelle et
aides
- linguistique : désormais seule la langue d'oïl (celle de
centre et du nord de la France) est langue officielle.
- démographique : les curés tiennent des « registres
paroissiaux » où sont notés baptêmes (donc pas toutes les
naissances, car il y a une forte mortalité infantile), mariages
et funérailles. Dès 1539, l’Église doit fournir à l’État un
double de ces registres, afin de mieux connaître les
ressources fiscales et de recrutement militaire. [=>ce n'est
François Ier vers 1527, par Jean Clouet
qu'à partir de la Révolution française de 1789 que seront
créés les registres actuels de l'état-civil].
En 1516, François Ier signe avec le pape le Concordat de Bologne. Désormais c'est le roi qui
choisira les évêques et les abbés des grandes abbayes, le pape se contentant de les
consacrer. La politique gallicane l’emporte sur « l’ultramontanisme ».
3. L'Angleterre et l'anglicanisme : le règne d'Henri VIII (1509-47)
Très pauvre dans sa partie nord et au Pays de Galles, l’Angleterre a surtout deux grands
atouts en matière économique et commerciale :
- l'élevage de moutons y est répandu, permettant de nourrir la population et d'exploiter la
laine, tissée en Angleterre et dans les Flandres
- la pêche et le commerce maritime, favorisé par des Navigation Acts depuis le règne
d’Henri VII (1485-1509) : les navires anglais ont le monopole du transport de certaines
marchandises
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Bon chrétien, Henri VIII est cependant désireux de contenir le pouvoir de l'Église et de la
subordonner à l'État. Entouré de juristes et de théologiens césaropapistes, il commence dès
1525, sous divers prétextes à confisquer un
certain nombre de biens ecclésiastiques.
Vers 1527, n’en ayant pas de fils survivant
(seule leur fille Marie Tudor survit, mais elle ne
peut monter sur le trône), il souhaite faire
annuler par le pape son mariage avec
Catherine d'Aragon, qui est aussi la tante de
Charles Quint. Cette démarche déplait bien
entendu à l'Espagne et à ses alliés.
Henri VIII par Hans Holbein le Jeune
D’autant qu’une autre raison pousse Henri VIII à se séparer de Catherine d’Aragon : il veut
épouser sa maîtresse, Anne Boleyn. Pour obtenir l’annulation de son mariage, il plaide le
fait que Catherine a d’abord été mariée à son frère aîné, Arthur, décédé en 1502. Or un
passage de la Bible interdit d’épouser la veuve de son frère. Le pape Clément VII Médicis, qui
est sous l'influence de Charles Quint, refuse, essentiellement pour des raisons politiques
(craignant son passage au protestantisme, la France, soutenait la cause d’Henri VIII).
Henri VIII décide donc, en 1531, de rompre avec Rome et de se proclamer seul chef de
l'Église d'Angleterre. En 1533, il épouse Anne Boleyn [=> qui lui donnera une fille, la future
Elisabeth Ière]. Le chancelier Thomas More, qui a démissionné en 1532 et refuse de
reconnaître la légitimité du divorce du roi, sera condamné à mort et exécuté en 1535.
En 1534, Henri VIII édicte le Supremacy Act (l’acte de Suprématie) qui officialise la rupture
avec Rome et crée une Église d’Angleterre qui mêle traditions catholique (hiérarchie,
ecclésiastique, messe) et protestante (suppression des ordres réguliers et des monastères,
mariage des ecclésiastiques).
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Le roi confisque les vastes domaines de l’Église, qui représentent plus d’un quart du
territoire. Cela aura des conséquences importantes pour la société anglaise car la couronne
va peu à peu revendre ces biens. De nombreux bourgeois enrichis vont ainsi s'installer à la
campagne pour y mener un genre de vie aristocratique, transformant couvents et prieurés
en manoirs. Cette nouvelle classe sociale, la gentry constitue une particularité de la société
anglaise.
- Édouard VI (1547-53)
Fils d’Henri VIII et de sa troisième épouse, Jane Seymour, il a à peine dix ans lorsqu’il monte
sur le trône. Il est encadré par deux régents qui, calvinistes convaincus, vont donc faire
l'Église anglicane vers le protestantisme.
4. Charles Quint et les divisions religieuses dans le Saint Empire
En 1519, Charles Quint est élu empereur par
les sept princes-Électeurs. Né à Gand, en 1500,
son arbre généalogique est particulièrement
impressionnant.
Il est le fils de Philippe le Beau (†1506), et le
petit-fils de la duchesse Marie de Bourgogne
(†1482) et de l’empereur Maximilien de
Habsbourg (†1519). Sa mère est Jeanne la
Folle (†1555), la fille d’Isabelle de Castille (†1504) et de Ferdinand d’Aragon (†1516).
Il hérite donc :
- par son père, de droits sur les États bourguignons (dont les « Pays-Bas », grosso modo la
Belgique et le Luxembourg actuels) et le Saint Empire (où un Habsbourg est pratiquement
certain d’être élu)
- par sa mère, des royaumes espagnols de Castille et d’Aragon, qu’il unifie à son accession
au trône, en 1516 (sa mère est écartée en raison de son état mental).
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Les territoires qu’il contrôle sont immenses, allant du sud de l’Espagne à la mer Baltique, et
encerclant la France. Il va d’ailleurs les étendre également à une partie de l’Italie.
Après la condamnation de Martin Luther à Worms en 1520 (voir ci-dessus), Charles Quint
lutte contre l’expansion du protestantisme. C’est d’ailleurs dans nos régions, qui sous son
règne sont devenues « Pays-Bas espagnols » (ils étaient jusqu’alors « bourguignons ») que
commence la persécution contre les protestants : en 1520 deux moines Augustins luthériens
sont condamnés à mort et brûlés à Anvers. La répression s’accentuant, en 1529 ont lieu les
premiers affrontements armés entre princes catholiques et protestants dans le Saint
Empire. Les protestants se sont unis au sein de la Ligue de Smalkalde (Schmalkalden, ville
de Thuringe, en Allemagne orientale).
En 1547, à Mühlberg (Saxe) Charles Quint est vainqueur. En 1548, dans l'Intérim
d'Augsbourg (une ville de Bavière), il réaffirme la catholicité du Saint Empire. Cette situation
ne dure pas, et les combats reprendront très vite.
5. La naissance de la Suède
Sous la domination du Danemark depuis 1397 (voir ci-dessus), la Suède et la Norvège sont
des états principalement agricoles. Le Danemark contrôle alors les deux rives du détroit du
Sund (la rive orientale est aujourd’hui suédoise), ce qui lui permet de prélever un péage très
rentable sur l’entrée et la sortie des bateaux qui font du commerce en mer Baltique.
En 1518, un noble suédois, Gustave Vasa, prend la tête d’une révolte contre le Danemark.
Fait prisonnier, il s'évade. En 1523, les Danois sont repoussés du territoire suédois et
Gustave Ier est proclamé premier roi de Suède. En 1525, il se convertit au protestantisme
luthérien, qu’embrasse bientôt l’immense majorité des Suédois.
6. La Pologne : tolérance religieuse et élection du souverain
La prospérité économique (exportations de bois et de blé), la coexistence pacifique, unique
en Europe, de nombreuses confessions religieuses (catholiques, protestants, orthodoxes,
mais aussi juifs, favorablement accueillis dès le XIIIe siècle, ou même musulmans, au sud-est
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du royaume) et la stabilité politique caractérisent la Pologne au XVIe siècle, mais ne vont pas
durer.
En 1572, la dynastie lituanienne des Jagellon cesse de régner sur la Pologne. Un régime
d'élection du souverain par une diète de plusieurs milliers de nobles (elle siège en plein air)
se met en place. En 1652 sera instauré le liberum veto qui accorde à tout noble la possibilité
de contester une élection, désormais soumise à la règle de l’unanimité. La diète est dissoute
dans ce cas, extrêmement fréquent, ce qui menace le pays d’anarchie. Lorsque le futur roi
Henri III de France est élu roi de Pologne en 1573, il se trouve rapidement dans l’incapacité
d’y exercer le pouvoir et rentre peu après en France.
Au XVIIe siècle, la Contre-Réforme s'impose en Pologne, notamment sous l'action des
Jésuites. La tolérance religieuse n’y est plus qu’un souvenir.
7. Soliman le Magnifique et l'apogée de l'empire ottoman
L'empire ottoman connaît une expansion
importante dans la première moitié du XVIe
Soliman (Suleyman Ier, 1520-66) poursuit les
conquêtes de son prédécesseur Mehmet II qui
avait déjà commencé à avancer le long du
Danube, sur lequel il navigue pendant que ses
troupes font des conquêtes dans les régions
avoisinantes.
En 1521, Belgrade est prise, et la Croatie tombe
peu après. En 1526, la victoire de Mohács ouvre
Soliman II le Magnifique
aux Ottomans les portes de la plaine hongroise.
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La Hongrie est conquise, et les troupes impériales (Charles Quint a hérité de l’Autriche des
Habsbourg) reculent jusqu'à Vienne dont Soliman fait le siège en 1529, mais il échoue.
L’avant-garde turque fera même des incursions jusqu’aux environs de Linz (ouest de
l’Autriche actuelle). Les Turcs sont repoussés en Hongrie où ils vont rester durant un siècle et
demi.
A l’est, les Ottomans prennent Bagdad en 1534. En Méditerranée orientale, et parfois plus à
l’ouest aussi, des corsaires « barbaresques » travailleront pour le sultan jusqu'à la fin du
XVIIIe siècle.
Suite à ces extensions territoriales, Istanbul (Constantinople), capitale désormais d’un
puissant empire, atteindra, vers 1600, les 700. 000 habitants, ce qui en fera la plus grande
ville d'Europe.
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TROISIEME PARTIE
Les guerres de religion et l'âge baroque (v. 1550 – v. 1660)
La difficile naissance du pluralisme religieux
I - LES GRANDES DATES
1555 : Paix d'Augsbourg dans le Saint Empire
1555-1556 : abdications de Charles Quint
1558-1603 : règne d'Élisabeth Ière Angleterre
1563 : fin du Concile de Trente
1566: début de la révolte des Pays-Bas espagnols
1570 : grave défaite navale des Turcs ottomans à Lépante
1572 : massacre de la Saint-Barthélemy à Paris
1581 : proclamation de la République des Provinces-Unies
1593 : Henri IV se fait catholique pour monter sur le trône de France
1603 : les Stuart succèdent aux Tudor sur le trône d'Angleterre
1610 : assassinat d'Henri IV
1613 : la dynastie des Romanov s'impose en Russie
1618-1648 : guerre de Trente Ans dans le Saint Empire
1624-1642 : Richelieu exerce le pouvoir
1628 : découverte de la circulation sanguine par William Harvey
1632 : Galilée : Dialogue sur les deux grands systèmes du monde
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1635 : Richelieu fonde l'Académie française
1637 : Descartes : Le discours de la méthode
1648 : Traités de Westphalie
1648-1653 : la Fronde
1649-1658 : exécution de Charles Ier Stuart et dictature de Cromwell
II - BAROQUE ET CLASSICISME : SENTIMENT ET RAISON
1. Un conflit entre deux visions du monde
Le classicisme, régulier, symétrique, sobre, s'inspire de l'Antiquité. Le baroque, plus
exubérant, est une création de la Contre-réforme catholique.
L'art baroque est clairement un art de propagande faisant appel à l'émotion du spectateur,
par sa magnificence, notamment dans les bâtiments religieux. Le but est de produire du
merveilleux, de séduire le spectateur. La religion catholique prône d’ailleurs la simple
soumission à un ordre éternel : la parole de l’Église doit être crue par le croyant sans qu’il se
pose de questions.
On est dans un contexte bien différent avec le protestantisme qui se veut une religion plus
intellectuelle, dans la mesure où elle fait appel à la réflexion individuelle des croyants : il
faut lire les Écritures, traduites en langue « vulgaire » afin de se faire sa propre idée. On
cultive donc plus l’esprit rationnel ainsi qu’une certaine austérité bourgeoise à côté de
laquelle l’art baroque paraît outré et décadent. Un style classique et assez dépouillé
correspond mieux à la mentalité protestante.
Ainsi, en Allemagne du Nord, en Scandinavie, en Angleterre et dans les Provinces-Unies,
une certaine forme de sobriété classique va s'imposer.
La société des pays catholiques se distingue également de celle des pays protestants par la
place et l’attitude de la noblesse. Après 1600, en France comme en Espagne, elle se ferme
de plus en plus, notamment dans l’armée où elle monopolise les grades d'officiers. La
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pratique du duel est considérée par la noblesse comme l’un de ses privilèges que les
souverains, inquiets d’une possible hécatombe parmi des sujets utiles à l’armée, s'efforcent
sans succès d’interdire. Fidèle à la tradition féodale, la noblesse est d’ailleurs opposée au
renforcement du pouvoir central tout comme à l’armée de métier.
Dans les pays protestants, si la noblesse reste prestigieuse, son rôle politique est plus
modeste, et la bourgeoisie commence à imposer ses valeurs.
2. Le Concile de Trente (1545-1563)
- Le refus de tout compromis avec les protestants
Presque un tiers de la population européenne n’est plus catholique au milieu du XVIe siècle.
L'influence des Jésuites dans la reconquête catholique, la Contre-Réforme est majeure : ils
représentent la pointe avancée de la réflexion catholique. Ils réaffirment le principe du
libre-arbitre selon lequel l’homme est responsable de ses actes devant Dieu. Les "œuvres"
sont donc déterminantes pour le salut éternel, contrairement aux thèses protestantes de la
grâce et de la prédestination (voir ci-dessus).
Pour les catholiques, l’Église n'est pas la « congrégation des fidèles » dont parlent les
protestants. C’est un corps institué par le Christ et conduit par un berger que l'on appelle le
pape.
L’Église refuse la traduction des Saintes Ecritures en langue vulgaire : les fidèles n’ont pas à
interpréter l’Écriture Sainte, seul le
clergé doit y avoir accès et en donner le
sens, souvent symbolique.
Réunion du concile de Trente à Sainte-Marie-Majeure
(Musée diocésain de Trente)
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- la restauration de la discipline
L’évêque (ou son représentant) doit visiter une fois par an chacune des paroisses dont il a la
charge, afin de vérifier le comportement des prêtres, la connaissance qu’ils ont de la
théologie, la bonne tenue des registres, etc.
Pour les fidèles, la communion devient obligatoire une fois par an au minimum, à Pâques.
Les affaires de mœurs sont susceptibles d'être traduites devant les tribunaux
ecclésiastiques, seuls compétents dans les questions relatives au mariage, puisque seul le
mariage religieux existe.
Dans un grand nombre de pays catholiques de l'Europe du XVIe siècle, on relève d’ailleurs
l'âge du mariage sans consentement des parents à 25 ans pour les femmes et 30 ans pour
les hommes (mais on peut se marier plus tôt si les parents sont d'accord). C’est aussi, pour
l'Eglise, un moyen d’augmenter les chances de voir des jeunes gens s’engager dans les
ordres.
Enfin un Index est créé en 1559, contenant la liste des ouvrages interdits (qu’on dit alors
« mis à l’Index »). Parmi ceux-ci figure la Bible, dont la lecture est réservée aux membres du
clergé et aux personnes autorisées par celui-ci. En France, en 1564, la permission de l’évêque
suffit ; à partir de 1593, il faut celle du pape lui-même. En Italie, en Espagne, au Portugal et
dans les états des Habsbourg, la possession non-autorisée d’une Bible sera sévèrement
punie jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, mais rien n’empêchera qu’elle soit diffusée
clandestinement partout, y compris dans des traductions « en langue vulgaire ». En 1697, les
Jésuites en donnent même une traduction « officielle » en français, afin de lutter contre les
« mauvaises » traductions.
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3. Le baroque : un instrument de la propagande catholique
La Chapelle Cornaro à Rome (1645-52)
C’est un art spectaculaire, qui joue sur la dramatisation, souvent sur le trompe-l’œil.
Au XVIIIe siècle, il va évoluer vers le rococo, notamment en Italie, dans les pays
germaniques et en Europe centrale, ou même en France où il sera brièvement à la mode
sous Louis XV. Le rococo est une sorte de « maniérisme » de l'art baroque, une
sophistication allant jusqu'à la déstructuration des formes, la dissymétrie, la création de
formes quasi végétales, loin du premier baroque tel qu’inventé XVIe siècle en Italie.
- Les résistances
Cependant, il y a dans certains pays catholiques, des résistances, notamment en France où le
pouvoir qui impose sa mode, fait le choix d'une plus grande sobriété. L'art baroque semble
trop ornementé, pas assez solennel et équilibré. Le mot « baroque » a d’ailleurs longtemps
eu une connotation péjorative en français, synonyme de quelque chose d’excessivement
« chargé ».
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Il y a deux pays où le baroque n'a absolument pas sa place : l'Angleterre et les ProvincesUnies, pays protestants où la bourgeoisie impose ses valeurs. En Angleterre, c'est le
palladianisme qui va l'emporter, du nom de l'architecte italien Andrea Palladio (1508-1580)
né à Vicence, à proximité de Venise, et qui a construit de nombreuses « villas » en Vénétie,
notamment au bord du Pô.
Villa Almerico Capra, dite la Rotonda (1556)
Ce goût classique et qui fait référence à l'Antiquité va influencer les architectes anglais. Dans
la première moitié du XVIIe siècle, Inigo Jones va construire pour les anglais des villas dans le
goût palladien. Ce style n'est pas réservé à l'aristocratie, car la gentry va également adopter
le style palladien.
Dans les Provinces-Unies, l'architecture est très sobre, c'est la même qu'aujourd'hui. La
peinture hollandaise met en avant des valeurs bourgeoises dans les tableaux de Vermeer,
de Franz Hals et de Rembrandt (1606-1669). Les portraits de groupes très réalistes
montrent des bourgeois dans le cadre de leurs fonctions municipales, dans leur société de
chasseurs, ou lors de banquets, tous habillés de noir et témoignant d’une certaine austérité
sensée refléter une vie simple, honnête et morale.
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Dans les Pays-Bas espagnols
catholiques
au
contraire,
l’Anversois Peter Paul Rubens
(1577-1640) peint des sujets
religieux ou mythologiques où
chairs
et
exubérantes,
couleurs
postures
et
décors irréels reflètent tout le
« merveilleux »
de
l’art
baroque.
Rubens, Le massacre des innocents
4. Les progrès de l'individuation
- Dans la vie quotidienne
On se « civilise » (le mot est apparu en français en 1568). Le besoin d'intimité est croissant,
l'espace privatif dans les habitations nobles et bourgeoises se développe. Dans les maisons
des classes populaires, urbaines ou rurales, il y a une pièce unique (« la salle » en français,
« the hall » en anglais, « die Stube » en allemand) chauffée par une cheminée et entourée de
coffres. Parfois une alcôve fermée par des rideaux et où l’on dort offre un peu d'intimité. On
commence à voir apparaître dans les maisons bourgeoises des pièces spécialisées :
chambres, bureau.
Au XVIIe siècle, apparaît dans certains châteaux ou hôtels particuliers le couloir, qui permet
de passer d'une pièce à l'autre sans gêner l'entourage. Il ne va cependant se généraliser
qu’au XIXe siècle.
La pudeur se répand et l'on voit apparaître au XVIIe siècle, dans les milieux les plus aisés, les
toilettes, un siège caché par une « petite toile ». En 1623, un architecte parisien, Pierre le
Muet prévoit dans son Traité d'architecture, qu'une maison "moderne" comporte une
toilette à chaque étage (il faudra pratiquement trois siècles pour y parvenir).
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- Dans les arts et la littérature
C'est dans la deuxième moitié du XVIe siècle que naissent le théâtre (jusqu’alors, seuls
existaient les « mystères », tableaux vivants à sujet religieux, et les farces du théâtre forain)
et l'opéra.
Le « Théâtre olympique » construit par Andrea Palladio en 1580, permet de donner des spectacles dans un décor à l'antique
((à Vicence, près de Venise)
Nés d’abord dans les cours royales et seigneuriales, ces spectacles profitent d’une
urbanisation croissante. Shakespeare en Angleterre, ou Lope de Vega en Espagne,
s’inspirent à la fois du théâtre antique et de la Commedia del Arte italienne.
Sur le plan des arts, on assiste à l'essor des collections privées (le « musée » ouvert au public
n'existe pas encore). Ces œuvres, souvent accompagnées de curiosités de la nature sont
exposées dans des « cabinets de curiosités » (studiolo en Italie, Wunderkammer en
Allemagne) La plupart des grands souverains et aristocrates ont le leur, comme certains
riches bourgeois. La visite est réservée aux personnes autorisées et aux voyageurs issus de
classes aisées.
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- La naissance de l'écrivain à succès
Le phénomène reste encore marginal. Le premier best-seller, les Lettres provinciales de
Blaise Pascal paraît en France en 1656-57. Quelques dizaines de milliers d’exemplaires
vendus en sont vendus en quelques semaines et les Provinciales font toutes les
conversations dans les salons de Paris et des grandes villes françaises.
Philosophe et savant, Blaise Pascal (1623-62) fait parler un « provincial » découvrant ce qu'il
appelle « la morale relâchée des casuistes », c'est-à-dire des Jésuites qui, pour mieux
reconquérir les âmes, se montrent trop indulgents vis-à-vis du péché. Pascal en effet est
proche des Jansénistes, un courant catholique rigoriste et moralisateur, très influencé par
l’augustinisme, qui est né au début du XVIIe siècle des écrits de l’évêque d’Ypres Cornelius
Jansen, dit Jansénius.
Les Jansénistes se rapprochent des protestants par la critique de l'Eglise catholique, mais
veulent la réformer de l'intérieur. Pascal passionne de semaine en semaine le public et le
fait rire en se moquant des confesseurs Jésuites.
- la naissance de l’opinion publique
Avec ce genre de publications à succès, une « opinion publique » est en train de se former,
grâce notamment à l’alphabétisation qui progresse dans les milieux bourgeois. Le débat sur
le tyrannicide (voir ci-dessous) au début du XVIIe siècle, ou encore l’épisode de la Fronde
(voir ci-dessous) entre 1648 et 1653 y contribueront également.
La presse elle-même naît peu avant le milieu du XVIIe siècle. A partir de 1631, patronnée
par Richelieu et dirigée par le protestant converti Théophraste Renaudot, paraît chaque
vendredi sur quatre pages la Gazette de France, premier journal français. Étroitement
contrôlée par le pouvoir, elle contient des nouvelles de la cour de France et des cours
étrangères, sans commentaire. En Allemagne et en Angleterre, des feuilles similaires
apparaissent à la même période.
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- La culture des salons et le rôle nouveau des femmes
Les jeunes filles des milieux privilégiés sont en effet désormais éduquées dans des collèges
ou des pensionnats jusqu’à l’âge de 15 ou 16 ans. Dans le cadre de la Contre-Réforme, deux
ordres religieux féminins, les Ursulines (1535) et les Visitandines (1610) se consacrent
spécifiquement à l'éducation des filles des milieux aisés. Dans les pays protestants,
l’alphabétisation des filles est encore plus systématique, même si cela ne mène pas à une
plus grande émancipation.
À l’époque, dans les milieux aisés, le mariage est surtout une alliance entre deux familles,
un mariage « de raison » ou d’argent. Mari et femme menaient donc souvent une vie assez
indépendante et quelques femmes ont eu l’idée de recevoir une fois par semaine, de « tenir
salon ». Afin de ne pas se faire concurrence, chacune, à Paris et dans les grandes villes, avait
son jour de la semaine. Etaient reçus, les habitués, familiers de la maison, mais aussi leurs
invités. C’est l’occasion pour ces femmes de jouer un rôle dans la vie sociale et culturelle.
Par le biais des salons, certaines commencent à avoir une certaine influence, qui deviendra
plus importante à la fin du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe (voir ci-dessous).
Si les femmes ne peuvent alors jouer au théâtre ou à l’opéra (où des hommes jouent leurs
rôles), certaines, émules de Christine de Pisan (1364-1430), se font connaître par leurs
écrits telles Louise Labé (†1566), une poétesse qui anime à Lyon un salon littéraire, ou Marie
de Gournay (†1645), l’amie de Montaigne. A Venise des poétesses et courtisanes
entretiennent des « cours d'amour » dès le XVIe siècle. Dans les Pays-Bas espagnols existent
des « chambres de rhétorique», sortes de sociétés de poésie où s’illustrent quelques
femmes, dont à Anvers, au XVIe siècle, Anna Bijns.
La reine Christine de Suède (1632-54) se passionne pour les arts et la littérature. En 1654,
elle quitte le pouvoir pour aller s’établir à Rome où elle mourra en 1689. Convertie au
catholicisme, elle y tient pendant plusieurs décennies un salon littéraire et artistique.
Si l’éducation et le rôle culturel des femmes progressent globalement pendant cette
période, les exemples cités ci-dessus ne sont que de brillantes exceptions. La femme mariée
restera en effet juridiquement « mineure » jusqu’au XIXe siècle au moins.
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5. Les bases de la science moderne sont posées
- Bernardino Telesio
Contestant, dans son De rerum natura juxta propria principia (« De la nature des
choses selon leurs propres principes », 1565-1587), la vision théorique, statique et
« définitive » de l’univers proposée par Aristote (IVe siècle av. notre ère), vision qu’on
enseigne alors dans toutes les universités, ce docteur en philosophie de l’université de
Padoue plaide au contraire pour l’ouverture à de nouvelles découvertes grâce l’observation
par les sens, et sans préjugés philosophiques ou religieux, de la nature. Il est le véritable
père de la science moderne, auquel ont rendu hommage tous les auteurs cités ci-dessous.
- Giordano Bruno
En 1584, le moine dominicain italien Giordano Bruno écrit que l'univers est infini,
contredisant ainsi les Écritures, et suggérant l'existence des galaxies. Accusé de panthéisme
il est arrêté, condamné et brûlé, à Rome en 1600.
- Francis Bacon
Dans son The Advancement of Learning (1605) puis le Novum Organum Scientiarum (« Une
nouvelle méthode pour les sciences», 1620) l’Anglais Francis Bacon, faisant le bilan de ses
longs travaux scientifiques, conclut que seule la méthode expérimentale permet de
connaître le réel.
- Descartes
En 1637, René Descartes (1596-1650) publie Le discours de la méthode. Après une carrière
miliaire dans différentes armées, il s’est installé en Hollande afin de ne pas être inquiété par
la censure de l’Église catholique, et s’y consacre aux sciences et à la philosophie.
Texte 5 « Il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et (...) au lieu de
cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique
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par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux
et de tous les autres corps qui nous environnent, (...) nous les pourrions employer (...) à tous
les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la
nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui
feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités
qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans
doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ».
Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, chap. 6
(1637).
Proche des idées de Bacon, Descartes déclare que :
- le monde peut s'expliquer par les lois mécaniques, il suffit de les découvrir
- l'expérience en est le moyen
- le « doute méthodique » doit être la règle : il faut mettre en doute tout ce qui n'est pas
démontré (y compris donc les affirmations contenues dans les textes sacrés)
Descartes a aussi l'intuition de l'atomisme : "tous les corps sont faits d'une même matière,
différemment arrangée" (Démocrite avait déjà émis cette hypothèse au IVe siècle av. notre
ère)
Cette approche est notamment due aux progrès de l'optique (microscopes et télescopes) : la
réalité est plus complexe que ce qui est perceptible à l’œil nu.
- Galilée
Professeur de mathématiques et astronome, il écrit en 1623 : « le monde est écrit en
langage mathématique ». L’esprit humain est donc capable de l’expliquer scientifiquement.
En 1632, Galilée démontre, à l’aide de la lunette astronomique qu’il a perfectionnée, la
thèse héliocentrique de Copernic qui met le soleil (et non la terre) au centre de la galaxie, et
évoque aussi l'atomisme. Or, l’Église n’admet pas que l’on puisse, à l’aide d’un instrument
fabriqué par l’homme, voir plus que ce que l’on voit à l’œil nu, car cela ouvre la perspective
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de découvertes susceptibles de remettre en cause les Écritures. Les ouvrages de Galilée sont
donc mis à l'Index, et il est condamné en 1633 par le Saint-Office.
- William Gilbert
Ce physicien anglais découvre en 1600 les lois du magnétisme et de l’électricité statique.
- William Harvey
Explique en 1628 la circulation du sang et le rôle du cœur. Il sera l’un des fondateurs de la
Royal Society (voir plus loin).
- Johannes Swammerdam (1627-1680)
Ce médecin hollandais découvre l’existence des ovaires. A Leiden est ouvert en 1690, le
premier « théâtre anatomique » destiné à la dissection des corps humains.
- Les libertins érudits et le matérialisme, en France et en Italie
Les libertins érudits sont des penseurs, des savants qui s'affranchissent des dogmes,
notamment religieux. On les appelle aussi des « esprits forts » ou des « libres-penseurs ».
En Italie, à l'université de Padoue un cercle s’est constitué autour de Pietro Pomponazzi
(†1525), un matérialiste athée pour lequel l'âme meurt en même temps que le corps. C’est
une remise en cause de la croyance chrétienne en la résurrection.
En France, un petit groupe s'organise autour des savants Pierre Gassendi, Gabriel Naudé et
Savinien de Cyrano de Bergerac. Mais défendre des idées hétérodoxes peut être dangereux :
en 1619, à Toulouse, le libertin érudit italien Lucilio Vanini est brûlé pour athéisme (ainsi
qu’en raison de son homosexualité).
6. Dévots et Jansénistes
Ces deux mouvements, catholiques et fondamentalistes, s’opposent au « laxisme » de
l'Église et des Jésuites.
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- les dévots
En France, le « parti dévot » est constitué de gens issus souvent de milieux aisés et qui vont
tenter d’influencer le souverain et la cour en faveur d’une religion plus intérieure, et d’un
certain mysticisme. En 1604, le cardinal de Pierre de Bérulle (1575-1629), chef des dévots,
introduit en France l’ordre des Carmélites réformé par sainte Thérèse d’Avila, où l’on fait
vœu de silence, afin de « se fondre en Dieu ».
- le jansénisme
En 1608, Angélique Arnaud réforme une abbaye dont elle est l'abbesse : Port-Royal-desChamps (qui dépend de Port-Royal, à Paris), une orientation dévote. Elle rencontre alors
l'abbé de Saint-Cyran, lui-même disciple du Hollandais Cornelius Jansen, évêque d’Ypres, dit
« Jansénius » (1585-1638), auteur de l’Augustinus, connu dès 1625 par des copies
manuscrites avant d’être imprimé en 1640.
En 1625, la réforme est étendue à Port-Royal à Paris. Richelieu s'en inquiète : en 1638, SaintCyran est arrêté. Entre-temps, le mouvement a en effet pris de l'expansion et est passé sous
l'obédience janséniste.
Dans l’Augustinus, Jansénius critique:
- les Humanistes et leur admiration pour l’Antiquité préchrétienne
- les « esprits forts » en général, et « l’orgueil » des hommes face à Dieu
Il souligne que l’homme est mauvais depuis le péché originel, et que la vie sur terre n’est
qu’une épreuve de réhabilitation face à Dieu. Comme les protestants, il estime la grâce de
Dieu nécessaire au salut.
Les Jansénistes vont tenter de réformer l’Église de l'intérieur. Pour eux, elle est trop
compromise dans les affaires temporelles et trop soumise au pouvoir civil.
Dès les années 1630, les autorités politiques et religieuses françaises s’allient contre les
Jansénistes. Ce conflit durera pratiquement jusqu’à la fin de l’ancien régime (voir cidessous).
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III - LA QUESTION DE LA TOLERANCE RELIGIEUSE
1. Tolérance négative, tolérance positive
Tolérer a deux sens possibles:
- on tolère ce que l'on ne peut empêcher : c'est une attitude pragmatique, de tolérance
« négative » (angl. toleration)
- on accepte le pluralisme : c'est la tolérance « positive » (angl. tolerance).
2. Les premiers défenseurs de la tolérance
L’Europe de la seconde moitié du XVIe siècle connaît trois confessions chrétiennes rivales et
la plupart des pays européens sont confrontés au problème de leur coexistence.
Cela mine en partie l'idée de « vérité absolue » et profite à un certain relativisme. On verra
que celui-ci est la condition de la mise en place de la laïcité moderne. [=> Celle-ci, qui
n’adviendra qu’après la Révolution française, sépare l'Église (les Églises) de l'État, lequel
désormais neutre sur le plan religieux, admet la coexistence des différents cultes].
Afin d’éviter la guerre civile, Érasme, bien que catholique, est partisan de la tolérance.
Selon Sébastien de Castellion, calviniste tolérant, puisqu'il n’y a aucune certitude en matière
de foi, on n'a pas le droit de forcer les consciences.
Montaigne et Jean Bodin, tous deux catholiques, mais penchant vers le déisme (à l’image du
prédicateur Pierre Charron, dont la devise est « Je ne sais ») pensent de même.
Mais s’engager dans ce sens amène à la relativisation du religieux et à sa minorisation par
rapport au politique, ce que l’Église catholique ne peut pas accepter.
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3. Les « Politiques »
Ceux qu’on appelle, en France dans la seconde moitié du XVIe
siècle, « les Politiques » (ce qui signifie « les pragmatiques »)
sont des responsables qui veulent faire passer la sauvegarde de
l'intérêt général avant les oppositions religieuses. Pour eux, la
paix publique et la sécurité des citoyens sont l’essentiel.
Michel de L'Hospital (1507-1573) un « Politique » est, en 1560,
chancelier de Catherine de Médicis. (†1589). Veuve d’Henri II, elle assure la régence pour
son fils Charles IX, qui n’a que dix ans (le roi de France est majeur à treize ans). L’Hospital
conseille la pacification : pour lui, on est d’abord citoyen avant d'être catholique ou
protestant.
Il organise en 1561 le « Colloque » de Poissy, une
négociation entre représentants
catholiques et protestants Mais, les bonnes résolutions prises à Poissy ne vont pas tenir très
longtemps.
4. Les guerres de religion en France
- Catherine de Médicis et Coligny recherchent le compromis
De 1560 à 1572, Catherine de Médicis, conseillée par Michel de L'Hospital, mais aussi par
l’amiral Gaspard de Coligny, un protestant modéré, tente de rechercher l'apaisement et
d’éviter la guerre civile. En 1562, par exemple, elle propose au concile alors réuni à Trente
d’autoriser la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres, et d’interdire le
culte des images, trois points directement repris du protestantisme.
Mais, les extrémistes catholiques, menés par le duc Henri de Guise et son frère Louis,
cardinal, excluent toute reconnaissance officielle du culte réformé. En 1562 toutefois,
Catherine de Médicis promulgue, au nom du roi, un édit l’autorisant hors des villes, afin de
ne pas y créer un « scandale » qui provoquerait les catholiques. En 1571, les protestants
obtiennent dans le sud de la France, où ils sont assez nombreux, quatre « places de sûreté »,
villes fortifiées où ils peuvent se réfugier en cas de persécution.
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De 1560 à 1589, les trois fils d’Henri II et de Catherine de Médicis (Charles IX, qui meurt à
l’âge de 23 ans, François II, mort à vingt ans, et Henri III) se succèdent sur le trône. Aucun
n’ayant de descendant mâle, la reine-mère et régente (qui demeure influente jusqu’à sa
mort) arrange en 1572 le mariage de leur sœur Marguerite de Valois, dite « la Reine
Margot », avec Henri, roi de Navarre (royaume situé dans le sud-ouest de la France).
Descendant de saint Louis par son père Antoine de Bourbon, cousin des rois de France, Henri
est le chef du parti protestant. Elevé par une mère protestante (Jeanne d’Albret, fille de
Marguerite d’Angoulême), il s’est cependant converti au catholicisme lors de son
adolescence passée à la cour, avant de revenir ensuite au protestantisme. Peu religieux,
c’est surtout un opportuniste, plutôt enclin à la tolérance.
Ce mariage d’une « fille de France » avec un protestant est ressenti par le parti catholique
comme une grave provocation. De plus, à cette occasion, plusieurs milliers de protestants
vont venir à Paris, ville où le culte est formellement interdit, même s’il y a des protestant qui
le pratiquent discrètement.
- La Saint-Barthélemy et ses conséquences
Le mariage a lieu le 18 août 1572, et les festivités se poursuivent pendant plusieurs jours.
Dans la nuit du 23 au 24 août, jour de la Saint-Barthélemy, le clan catholique, rassemblé par
les Guise, procède au massacre
systématique
des
protestants
présents à Paris, environ 3.000
d’entre eux sont tués à l’arme
blanche, poussés par les fenêtres ou
jetés dans la Seine. Henri de Navarre
est cependant épargné,, mais il doit
pour la seconde fois se convertir au
catholicisme. Au cours des semaines
suivantes le massacre se poursuit en
province :
environ
20.000
protestants y perdront la vie.
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Après cela, les protestants n'ont plus la moindre confiance envers les catholiques : la guerre
civile est inévitable. Elle ne cependant dure pas de façon continue : trêves et périodes de
combats se succèdent pendant près de vingt ans. En 1576, le parti catholique se constitue en
Sainte Ligue autour des Guise, avec le secret objectif de mettre Henri de Guise sur le trône.
En 1588, Henri III fait assassiner les Guise. Il sera lui-même assassiné l’année suivante par le
moine « ligueur » Jacques Clément.
- L'abjuration d'Henri de Navarre et l'édit de Nantes
A la mort d’Henri III, Henri de Navarre, qui a depuis longtemps rejoint le camp protestant,
devient l'héritier légitime du trône. Le parti catholique rejette l’hypothèse d’un souverain
protestant. En 1593, Henri abjure solennellement le protestantisme pour la troisième fois
afin, d’accéder au trône ("Paris vaut bien une messe" aurait-il dit). Ne pouvant être sacré à
Reims (la ville du sacre des rois de France) en raison d’une forte opposition catholique, il est
reconnu comme le roi Henri IV (1589-1610) à Chartres, en 1594.
Sa « conversion » est donc purement politique et opportuniste : la France est très
majoritairement catholique et il le reconnaît avec réalisme.
En 1598 cependant, il signe l’Édit de Nantes, qui autorise le culte protestant à certaines
conditions :
- la liberté de conscience est reconnue : on accepte il y ait des Français qui puissent ne pas
avoir les mêmes idées religieuses que les catholiques
- la liberté de culte est limitée à un certain nombre de villes (deux par « bailliage », une
circonscription territoriale), mais Paris est exclu
- les temples protestants devront être discrets, des maisons particulières sans aucun signe
extérieur
- les protestants ont accès aux emplois publics,
- 151 places de sûreté sont créées
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Henri sera assassiné en 1610 par le catholique François Ravaillac (qui sera torturé puis
écartelé peu après ; voir ci-dessous).
- La politique antiprotestante et « machiavélienne »de Richelieu
De 1624 à 1642, Richelieu, un homme d’Église, est le principal ministre de Louis XIII (16101643), fils d’Henri IV et de Marie de Médicis. (le mariage d’Henri avec Margot a été annulé
par le pape).
Opposé à l’édit de Nantes, il veut réduire, sinon supprimer, les droits accordés aux
protestants français, qui sont les alliés « naturels » de pays ennemis de la France comme
l’Angleterre. Le port de La Rochelle, une « place de sûreté » sur la côte atlantique, lui paraît
être la source de trop grands contacts entre protestants des deux pays. En 1628, l’armée du
roi, conduite par Richelieu lui-même, en fait le siège, l’accusant de « trahison ».
[A cette occasion, il faut signaler que l’Espagne, pays très catholique mais ennemi de la
France, fait preuve d’un comportement très « machiavélien » en soutenant discrètement les
Rochelais assiégés. Plus tard, Richelieu lui-même soutiendra les princes protestants contre
les Habsbourg catholiques lors de la guerre de Trente ans dans le Saint Empire].
Après la chute de La Rochelle, Richelieu fait signer au roi en 1629, l’édit « de grâce » d'Alès.
Cet édit qui « pardonne » les protestants pour leur rébellion contre le souverain, supprime
les 151 places de sûreté créées par l’édit de Nantes, considérées par Richelieu comme des
foyers de révolte.
4. L'Angleterre sous Marie Tudor et Élisabeth Ière
- Marie Tudor (1553-58)
Après la mort d’Édouard VI, et neuf jours seulement de
règne de la protestante Jane Grey, une nièce d’Henri VIII
(elle est arrêtée et sera décapitée en 1554), c’est la fille
aînée de celui-ci, Marie Tudor qui monte sur le trône.
Catholique convaincue, comme 30 à 40 % des Anglais, elle
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replace l’Eglise anglaise sous l’obédience du pape et épouse le roi d’Espagne Philippe II (voir
ci-dessous), un mariage plus politique que sentimental. Le protestantisme est désormais
interdit en Angleterre. En cinq ans, Bloody Mary ("Marie la sanglante") fait procéder à
environ 300 exécutions.
- Élisabeth Ière (1558-1603)
Fille d'Henri VIII et d'Anne Boleyn, Élizabeth Ière est protestante.
Toutefois, comme Catherine de Médicis elle va essayer jusqu’en
1570 de s'entendre avec les catholiques (près d’un tiers des
Anglais) pour assurer la paix intérieure.
Mais, en 1570, Élisabeth est excommuniée puis « déposée » de
son trône par le pape. Il y a des complots pour l'assassiner et
l'on sait que Philippe II, veuf de Marie Tudor, les soutient (il
note, en marge d’un rapport : « d'abord assassiner la reine »),
tout comme le pape.
Après son excommunication, Élisabeth opte pour la répression. En 1584, le catholicisme est
interdit en Angleterre. 200 exécutions de catholiques, souvent des prêtres, auront lieu sous
son règne.
Certains manoirs ou maisons bourgeoises ayant appartenu à des catholiques conservent
encore les priest holes ("des cachettes de prêtres", souvent pratiqués dans l’épaisseur des
murs) où ses dissimilaient, en cas de perquisition, les missionnaires catholiques, souvent des
Irlandais. Le culte a en effet continué à être pratiqué clandestinement à divers endroits.
En tant que chef de la High Church anglicane, Elisabeth se méfie aussi, il faut le signaler, des
calvinistes radicaux.
En 1588, les complots ayant échoué, Philippe II envoie vers les côtes anglaises ce que l'on a
appelé par dérision l'Invincible Armada, une flotte de 200 bateaux prêts à envahir
l'Angleterre. Vaincue par les anglais, l’Armada sera dispersée par une tempête, certains
navires étant finalement coulés au nord de l'Écosse.
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5. L'Espagne de Philippe II
Fils de Charles Quint, Philippe II (1556-98) est un roi très catholique et particulièrement
intolérant.
Après la Reconquista, de nombreux Juifs (en 1492) et Musulmans (en 1526) ont été expulsés
vers l’Afrique du Nord. Certains, cependant, ont choisi de rester en Espagne et de se
convertir au catholicisme : on appelle Marranes les Juifs convertis ; Morisques les
musulmans convertis. La plupart de ces conversos continuent cependant à pratiquer
clandestinement leur religion et sont par ailleurs l’objet d’une méfiance de la part des
chrétiens espagnols. Parfois, ils sont même dénoncés. Certains relaps (ceux qui sont revenus
à leur religion après s’être convertis) sont même brûlés sur le bucher.
Pour tenter de « remédier définitivement » à ce problème, Philippe II ira jusqu’à faire
enlever des enfants pour les faire éduquer dans la religion catholique ailleurs en Espagne.
En 1566, une révolte éclate dans les Pays-Bas espagnols (grosso modo le Benelux actuel,
moins la principauté de Liège ; Charles Quint a conquis les provinces hollandaises). Les
protestants sont minoritaires dans les Pays-Bas mais une partie des nobles catholiques les
soutiennent contre l’intolérance espagnole. Cette révolte a également un aspect
« national », et fiscal, l’Espagne imposant lourdement les riches Pays-Bas.
6. Le Saint Empire : la Paix d'Augsbourg et l'exercice de la parité
En 1555, Charles Quint qui n’a pu museler les princes protestants signe la Paix d'Augsbourg.
Trois religions sont reconnues dans l’Empire, mais seuls les princes ont la liberté religieuse :
Selon le principe du Cujus regio, ejus religio (« de tel prince, de telle religion ») leurs sujets
doivent les suivre.
Cependant, à certains endroits, une tolérance pragmatique s’installe.
Ainsi, le royaume de Hongrie appliquera-t-il, à partir de 1606, une stricte égalité entre les
confessions catholique, luthérienne et calviniste.
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Ainsi, dans la ville bavaroise d’Augsbourg, luthériens et catholiques se partagent les églises
en alternance. Une étude a cependant montré qu’il y a très peu de contacts entre les deux
communautés, sinon en matière commerciale. Le nombre de conversions est inférieur à 1 %
de même que celui des mariages mixtes, où l’épouse est d’ailleurs systématiquement rejetée
par sa communauté.
Un autre exemple est la petite ville d’Altona, enclave danoise proche de la « ville libre » de
Hambourg. À partir de 1610, il y a à Altona, ville qui ne vit que du commerce sur l’Elbe, une
totale tolérance des cultes. Le réalisme économique prime sur les convictions religieuses
Dans la principauté de Brandebourg, autour de Berlin, luthérienne depuis 1525, on tolère
catholiques et calvinistes dans la seconde moitié du XVIe siècle pour des raisons
économiques. Quand, en 1613, le margrave passe au calvinisme, il continue cette politique
de tolérance en faveur des luthériens et des catholiques.
A partir de 1632, la ville de Maastricht est gérée conjointement par le prince-évêque de
Liège et les États-généraux (le parlement) des Provinces-Unies. Les deux religions y
coexistent sans trop de difficultés alors que dans le reste de sa principauté le prince-évêque
est plutôt intolérant envers les protestants.
C’est donc d’abord par pragmatisme économique ou politique que s’installe la tolérance.
IV - L'EXPANSION ECONOMIQUE ISSUE DES GRANDES DECOUVERTES
1. Une conjoncture économique positive jusque vers 1620
La « phase A » (1530-1620), expression qui désigne une période de croissance, est suivie
d’une « phase B », d’une dépression (1620-1700).
La phase A est due aux Grandes Découvertes et à l'afflux massif de métaux précieux,
essentiellement en Espagne. Cette phase commence vers 1530, une fois les conquêtes bien
établies et les mines exploitées. En moyenne, pendant les dix meilleures années de cette
période, 740 kg d'argent et 5 kg d'or arrivent chaque jour dans le port de Cadix !
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À partir de 1620 et jusqu'en 1700, on passe, en raison d'une baisse de rendement des
mines, à une phase de dépression ou phase B. Les rentrées commencent à diminuer.
L'Europe entière est concernée, car l'Espagne dépense beaucoup à l'étranger. Cette
dépression provoque la stagnation économique et le chômage.
2. L’interventionnisme
L’État intervient en vue de donner les impulsions nécessaires au développement
économique. La plupart des économistes de l’époque soutiennent cette intervention qui se
matérialise :
- par l’octroi de monopoles : moyennant paiement, un entrepreneur privé obtient de l'État
un privilège lui accordant le monopole d'une production dans une région donnée pour une
durée assez longue, le plus souvent de 30 ans. À cette occasion, est jointe au monopole une
exemption d'impôts pour une partie ou la totalité de la période, le temps que l’entreprise
devienne rentable
- par la création de manufactures, entreprises d'État dans des domaines stratégiques
comme la fabrication des armes ou la « haute technologie » (porcelaine par exemple).
3. L'essor du capitalisme
Au début du XVIIe siècle, deux hommes d’affaires et économistes français prônent
modération du mercantilisme vers plus de libéralisme :
- Barthélemy de Laffemas, un protestant, conseiller économique d’Henri IV
- Antoine de Montchrestien, directeur d’une manufacture d’outils et auteur, à son retour
d’Angleterre en 1615, du premier Traicté d’oeconomie politique.
Pour eux, l'État doit d'encourager l'activité des entrepreneurs privés et l'esprit d'entreprise
en général. Il faut décomplexer l'appât du gain car les hommes n’entreprennent que s’ils
espèrent un profit. Et ces initiatives sont en fin de compte profitables à l’ensemble de la
société.
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Ces idées apparaissent aussi, au même moment, dans d'autres pays : en Angleterre et dans
les Provinces-Unies bien entendu, mais aussi en Italie et dans le Saint Empire.
Exemple : la première grande dynastie de capitalistes en Europe : les Fugger à Augsbourg.
D’origine suisse, les Fugger commencent à prospérer dans l'exploitation de mines d'argent et
de cuivre. Ils obtiennent ensuite le monopole de la frappe des monnaies dans plusieurs Etats
et principautés. Ayant amassé un capital important, ils se lancent dans le commerce
international de produits de luxe (tissus, bijoux, épices). Ils ouvrent enfin une banque et vont
notamment jouer un rôle important dans l'élection de Charles Quint, el lui prêtant 1.200 kg
d’or pour favoriser son élection (il a « acheté » au moins deux des sept princes-Électeurs).
En 1546, ils disposeront de l’équivalent de 13 tonnes d’or et seront alors la famille la plus
riche d'Europe. En 1521, Jakob Fugger a créé à Augsbourg le quartier de la « Fuggerei »,
première cité sociale au monde, destinée notamment aux personnes âgées. Ces 140
appartements sont bien éclairés, et confortables. C'est une façon pour les Fugger d’investir
une partie de leur fortune dans une action de charité chrétienne.
- Bourses, sociétés à actions, expansion du crédit
Depuis Anvers et Amsterdam, les bourses essaiment partout en Europe. A la fin du XVIe
siècle, la plupart des grandes villes commerçantes en sont pourvues : Londres (le Stock
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Exchange), Augsbourg, Nuremberg, Cologne, Hambourg, Rouen (l’avant-port de Paris),
Toulouse, Bordeaux, Lyon, Marseille, etc.
Les sociétés à actions se généralisent, dès la 2ème moitié du XVIe siècle, dans les grandes
villes protestantes, plus tolérantes envers le profit que dans les pays catholiques. En France
par exemple, ce phénomène ne débute que vers 1620.
Pour ce qui est du crédit, la lettre de change est devenue banale au XVIe siècle et les
banques s’établissent partout à la fin du siècle.
- l’accroissement des inégalités
En même temps que la mentalité capitaliste se répand dans la bourgeoisie, la charité
pratiquée les Eglises chrétiennes s'émousse. On tolère de moins en moins l’entretien de
nombreuses personnes « oisives » : parfois plus d’un tiers de la population dépend de
l’assistance (personnes âgées, invalides, veuves, pauvres sans travail, mendiants).
Les solidarités familiales traditionnelles (souvent, trois générations cohabitaient)
commencent à se déliter avec l’urbanisation et la montée du salariat.
La distance entre ceux qui "réussissent" et les autres s’accroît : d’où une montée des grèves,
des émeutes urbaines et des émeutes de la faim. Très localisés, ces mouvements ne sont
cependant pas politiquement conscientisés.
Suite à ces troubles, et au rejet croissant de l’oisiveté par les bourgeois, commence, au
début du XVIIe siècle, ce que Michel Foucault a appelé, en 1970, «le grand enfermement» :
pauvres, invalides et mendiants sont ramassés et mis au travail forcé dans des « hôpitaux »
ou « maisons de force ». Les pays protestants (l’oisiveté y est considérée comme un vice :
« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » Genèse, 3, 19), notamment les ProvincesUnies, sont pionniers en ce domaine. A Paris, un « hôpital général » est cependant créé en
1611, un autre à Lyon, en 1614.
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4. Les résistances au nouveau cours des choses.
- les corporations
À contre-courant de l’évolution économique, les autorités publiques continuent très souvent
à favoriser les corporations et « métiers » traditionnels, avec leur structures
monopolistiques très rigides et peu favorables à l’innovation. Ces groupes pratiquent
d’ailleurs une solidarité économique à l’ancienne (caisse d’entraide) qui va à l’encontre des
nouvelles tendances libérales. Pour contrer le monopole des corporations urbaines sur de
nombreuses productions, les entrepreneurs bourgeois se lancent dans des technologies
nouvelles, non couvertes par les « métiers » traditionnels (mines, verre, métallurgie,
imprimerie), ou emploient une main-d’œuvre rurale (notamment en hiver) dans le tissage
notamment où, chaque travailleur passant un contrat individuel avec le patron, il n’existe
plus aucune solidarité collective.
- la noblesse
Dans de nombreux pays, elle privilégie l'action désintéressée et méprise les activités
commerciales « vulgaires », « l’utile » promu par les économistes. Montaigne oppose même
« l'utile », que défend Montchrestien, à « l'honnête » (au sens de « l'honnête homme »).
L’Astrée d’Honoré d'Urfé, un roman à succès (1607-1609), est une utopie rurale située au
temps des Gaulois, une époque présentée comme une sorte de paradis perdu. Le monde
moderne y est condamné pour avoir perdu les valeurs communautaires traditionnelles au
profit de l’individualisme. Dans l'Astrée il n’y a ni argent, ni villes, ni État.
V - LES GRANDES PUISSANCES ECONOMIQUES EUROPEENNES:
1. Le « siècle d'or » espagnol (1520-1640)
L’Espagne est alors le pays le plus riche et de toute l'Europe, qu’elle domine en outre
militairement (sauf sur les mers : voir ci-dessus l’Invincible Armada).
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De plus, de 1580 à 1640, elle annexe le Portugal et également les colonies portugaises, se
constituant ainsi un immense empire colonial.
Malgré cette prospérité, certaines faiblesses apparaissent dans le domaine économique : un
très grand nombre d’oisifs et d’assistés, ainsi qu’un manque d’investissements, entretenu
par l’illusion d’une richesse assurée pour des siècles. L’administration est pléthorique et pas
toujours efficace.
Une grande partie de la noblesse espagnole défend les antiques traditions de la chevalerie.
C’est ce dont se moque Miguel de Cervantès Saavedra dans Don Quichotte (El Ingenioso
hidalgo Quijote de la Mancha, 1605-15), histoire d’un petit noble ruiné qui continue, malgré
l’évolution du monde, à défendre les valeurs médiévales.
À partir de 1566, la révolte des Pays-Bas espagnols va mobiliser une bonne partie des
armées espagnole et coûter très cher à l’Espagne, puisqu’une bonne partie des taxes
prélevées sur ces régions prospères ne rentrent plus. [=> en 1648 l’Espagne devra
reconnaître l’indépendance des sept provinces septentrionales des Pays-Bas : les
« Provinces-Unies »]
En 1640, la perte du Portugal où une nouvelle dynastie s'installe avec l’appui de la France,
celle des Bragance.
C'est pour l'Espagne, le début d'un long déclin, avant un relatif rebond au XVIIIe siècle.
2. En France : le poids de la démographie et de l’Etat
La France dépasse alors les 20 millions d'habitants. Au cours du XVIIe siècle, elle va peu à
peu concurrencer l'Espagne, tant sur les champs de bataille que du point de vue du prestige.
[=> du règne de Louis XIV à la fin de l’ancien régime, elle « donnera le ton » en Europe sur le
plan politique et intellectuel].
Le règne d’Henri IV commence réellement en 1594. La pacification religieuse assure un
retour au calme et un certain redémarrage économique après plusieurs décennies de
troubles.
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Principal ministre, le duc de Sully pratique une politique mercantiliste et d'encouragement
aux industries nouvelles et de luxe (soierie notamment). L’administration connaît une
croissance fulgurante, passant de 5.000 à 20.000 fonctionnaires environ, en moins de vingt
ans [=> sous Louis XIII, l'État disposera de 37 000 fonctionnaires].
Mais n’est pas le souci de mieux contrôler et gérer les territoires n’est pas le seul motif de
cet accroissement. En manque d’argent, le roi, conseillé par Sully et Charles Paulet, a décidé
en 1604 la création d’une taxe sur les offices, la « paulette ». Désormais, les « offices », les
charges de fonctionnaires, sont soumis à une taxe (souvent un an de salaire), que le candidat
doit payer pour accéder à son emploi. C’est ce qu’on appelle la vénalité des charges (ou des
offices). Louis XIII puis Louis XIV (1661-1715) seront tentés de créer des offices (ou même de
les partager entre plusieurs fonctionnaires qui se relaient par semestre, puis par trimestre),
uniquement afin de percevoir la paulette, d’où une augmentation du nombre des
fonctionnaires.
Autre inconvénient : ceux qui achètent des offices ne sont pas toujours compétents. En
effet, on achète surtout un office pour le prestige et les avantages qu’il procure (exemption
d’impôts, privilèges juridiques). Pour renvoyer le propriétaire d’un office, le roi doit le
rembourser, ce dont l’Etat, toujours déficitaire, n’a pas les moyens. Enfin, beaucoup de
charges deviennent quasi héréditaires (la paulette est parfois acquittée dès la naissance du
futur successeur), ou font simplement l’objet de spéculations financières de la part de leurs
propriétaires qui espèrent les revendre plus
cher qu’ils ne les ont achetées.
Le règne d’Henri IV voit aussi le début de la
colonisation du Québec. En 1608, Samuel de
Champlain fonde un comptoir qui deviendra
Québec, future capitale de la NouvelleFrance.
L’Amérique du Nord au début du XVIIIe siècle
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En 1610, Louis XIII (†1643), âgé de 9 ans, succède à son père assassiné. Sa mère Marie de
Médicis, assure la régence. Ils seront fréquemment en conflit jusqu’à la victoire du roi sur les
armées de sa mère (1620). Armand du Plessis de Richelieu, principal ministre de Louis XIII
de 1628 à 1642, aidera à la réconciliation et en sera récompensé par le chapeau de cardinal
en 1622.
Inquiet de l’inefficacité des fonctionnaires, Richelieu crée, pour les contrôler, le corps des
intendants, d’abord peu nombreux [=> ils couvriront l’ensemble du territoire sous Louis XIV].
Ils sont payés par le pouvoir et donc révocables à volonté. De plus, on les déplace d’une
région à l’autre, ils ne sont donc pas sensibles, comme les autres fonctionnaires, aux intérêts
locaux et à la corruption.
La France souffre d’un important handicap en matière militaire : la faiblesse de sa marine.
Elle a en effet pris beaucoup de retard sur les Provinces-Unies et l'Angleterre pendant les
guerres de Religion. Richelieu lance donc la construction de chantiers navals (au Havre et à
Brest sur l’Atlantique, à Toulon sur la Méditerranée). Il décide en outre de développer le
commerce maritime et crée des compagnies de navigation dont une, en 1628, pour le
commerce avec la Nouvelle-France.
3. Les Provinces-Unies au cœur du marché européen
Les Provinces-Unies deviennent au XVIIe siècle la « plaque tournante » du commerce
maritime européen. L’expansion économique est en effet soutenue avec constance, car le
commerce est vital pour ce pays maritime.
Calvinistes, les Hollandais tolèrent par pragmatisme économique les minorités luthérienne,
catholique et juive.
En 1585, dans le cadre de la rivalité avec les Espagnols, les Hollandais ferment l'Escaut : le
port d’Anvers décline rapidement, et une bonne partie des commerçants vont s’installer à
Amsterdam qui connaît dès lors un rapide essor. Au XVIIe siècle s’y déroule l'essentiel des
transactions commerciales de l’ouest et du nord de l'Europe (de l’Espagne à la Russie). Les
Hollandais installent en effet dans la ville toutes les commodités nécessaires au commerce
(banques et agences de change notamment) et on y échange tous les produits d’Orient
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contre ceux du Nord (bois, fourrures, ambre). Diamants africains (taillés à Amsterdam) et
bulbes de tulipes (une plante importée de Turquie) font notamment l’objet d’intenses
spéculations.
Les Hollandais ont de plus créé une énorme flotte commerciale qui représente près de 50%
des bateaux de commerce en Europe au XVIIe siècle. Leur monopole commercial au Japon
(voir ci-dessus) est également très profitable.
Enfin, le pays étant en grande partie inondable, un ministère des polders (le Waterstaat)
organise la construction de digues. Les premiers polders on été créés dès le XVIe siècle. Ces
terres, extrêmement fertiles, permettent une agriculture intensive et très productive. La
Hollande exporte notamment ses pommes de terre et ses fromages.
4. L'Angleterre : une image de l'avenir
L’Angleterre accorde également la priorité à l’économie et la société doit s’y adapter
(ailleurs, notamment dans les pays catholiques, c’est souvent l’inverse)
Afin d’éviter que le bétail (qui errait librement) ne piétine les récoltes, on enclot les prairies
de haies, ou de murs de pierre. Cela préserve également les pousses d’arbres dans les forêts,
essentielles pour le développement de la marine.
Conséquences des enclosures :
- le développement d'un élevage intensif ce qui provoque une augmentation de la
consommation de viande (le roastbeef), les travailleurs Anglais sont plus robustes que la
main-d’œuvre sur le continent
- l’augmentation de la fumure des terres agricoles et la meilleure santé des animaux de trait
(bovins) du bétail entraîne la hausse des rendements agricoles, multipliés par deux ou trois
- en privatisant la terre et en rentabilisant au maximum l'agriculture et l'élevage, on crée du
chômage dans les campagnes. Une main-d’œuvre nombreuses est ainsi disponible pour être
employée dans les industries qui commencent à se créer dans les villes [=> les conditions
salariales seront cependant très mauvaises et les solidarités traditionnellement pratiquées à
la campagne vont disparaître].
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Parmi les propriétaires pratiquant les enclosures, beaucoup appartiennent à la gentry, cette
classe de bourgeois enrichis adoptant le genre de vie noble à la campagne, dans des manoirs
ou d'anciennes abbayes sécularisées par Henri VIII (=> ci-dessus)
L’argent étant devenu un critère reconnu et accepté de distinction sociale, il peut même
mener à l’anoblissement. Sous Elisabeth Ière (1558-1603), un tarif des titres de noblesse est
publié : moyennant un certain revenu annuel, on est susceptible d’être anobli par la reine.
Cela renverse totalement (sans trop de protestations pourtant) les valeurs de l'ancienne
noblesse chevaleresque, qui gagnait ses titres sur les champs de bataille. De 1560 à 1600 on
dénombre plus de 2.000 anoblissements.
Les industries anglaises sont à la pointe :
- le textile : les élevages de moutons anglais sont nombreux et très productifs.
Progressivement cependant, la laine va être concurrencée par le coton des Indes. La ville de
Manchester dispose des principales filatures et connaît une grande expansion aux XVIIe et
XVIIIe siècles.
- la métallurgie : les Midlands (au nord de Londres) et le pays de Galles recèlent de
nombreux gisements de métaux et de charbon « de terre » (par opposition au charbon de
bois, largement utilisé auparavant). Relativement économique et permettant d’atteindre des
températures dépassant les 1000°, ce combustible autorise la fabrication de matériaux plus
solides. Il permet aussi d’épargner les forêts dont le bois est
disponible pour les chantiers navals.
A partir de 1620, l'Angleterre commence à se constituer en
Amérique du Nord un empire colonial. Treize colonies seront
fondées dans la première moitié du XVIIe siècle, chacune avec
une orientation religieuse assez précise, liée à l’origine des
colonisateurs (Irlandais catholiques ; Anglais puritains ou plus
libéraux). Toutes sont rattachées à la couronne anglaise par un
contrat passé entre les colons et le monarque. Le tabac de
Virginie est une des premières nouveautés qu’apporte cette
entreprise en Europe.
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VI - LE DEBAT SUR LE POUVOIR DU SOUVERAIN
1. La question du tyrannicide
Après la Saint-Barthélemy, au cours de laquelle le souverain a laissé faire et n'est pas
intervenu pour empêcher le massacre, une question revient dans les milieux intellectuels,
protestants notamment : peut-on éliminer un souverain qui faillit à sa tâche en ne
remplissant pas le rôle de protection de ses sujets à laquelle sa fonction l’oblige.
Cette question n’est pas totalement neuve. Elle a déjà été soulevée dans l’Antiquité et, en
1408 notamment, Jean Petit, professeur à la Sorbonne a été condamné par ses supérieurs,
puis par le Concile de Constance, pour y avoir répondu positivement.
Chez les protestants, la tendance n'est pas, en principe, à la révolte : Luther et Calvin ont
même prêché la soumission au pouvoir civil en vue du maintien de l'ordre public. Cette
attitude neutre devient cependant difficile à tenir après les guerres de religion.
Ainsi, apparaît fin XVIe- début du XVIIe siècle, soutenue en France par des écrivains comme
Théodore de Bèze, François Hotman, ou Philippe de Duplessis-Mornay, appelés
« monarchomaques » (« tueurs de roi »), la théorie dite du « tyrannicide », à laquelle sont
notamment liés l’assassinat d’Henri IV, et les projets fomentés contre la reine d’Angleterre
Élisabeth Ière ou la reine catholique d’Écosse Marie Stuart (voir ci-dessous).
Cette théorie pose en principe que le peuple est le seul véritable dépositaire du pouvoir (en
Ecosse, John Knox, et l’historien humaniste George Buchanan soutiennent par exemple
cette thèse). Les souverains ne sont que des mandataires et leur pouvoir n’est pas absolu.
On peut voir là l’origine du constitutionnalisme (voir ci-dessous).
2. La théorie de la monarchie absolue
- Les Machiavéliens et la raison d'État
Conséquence des principes énoncés par Machiavel dans Le Prince, le concept de « raison
d'État » fait passer les intérêts suprêmes de l’État avant les principes de la morale. Le terme
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Histoire des civilisations : Temps modernes
est créé en 1589 par le Jésuite italien Giovanni Botero dans son ouvrage Della raggione di
stato, où Il écrit que « l'utilité publique » est la finalité suprême du pouvoir, et qu’elle est
même supérieure au droit (il en arrive ainsi à justifier, entre autres, les excès de Cortès au
Mexique, ou le massacre de la Saint-Barthélemy à Paris).
Ainsi, bien que « très catholique », Charles Quint n’a pas hésité, en 1527 à faire occuper et
saccager (20.000 morts) par ses troupes la ville de Rome, le pape Clément VII ayant eu le tort
de s’allier avec François Ier.
En 1616, Richelieu, pourtant membre du clergé catholique, a écrit à Henri de Schomberg,
ambassadeur de France à Londres :
Texte 6 « Autres sont les intérêts de l'État (...) Et autres les intérêts du salut de nos âmes (...) Nul
catholique n'est si aveugle que d'estimer, en matière d'État, un espagnol meilleur qu'un
français huguenot ».
Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, 2002, p. 262-63
L’expression « en matière d'État » montre bien que Richelieu fait la différence entre intérêts
de l'État et convictions religieuses. Un catholique français doit préférer, en matière
politique, un Français protestant à un Espagnol, car celui-ci, même s'il est catholique, est un
ennemi de la France : une certaine forme de « patriotisme » rejoint donc ici la raison d’État.
- L'essor de la tragédie : Shakespeare, Corneille, Racine
Ce n'est pas un hasard si, à la même époque, la tragédie connaît un grand succès. Elle
repose en effet presque toujours sur le déchirement de l’homme entre les grands principes
et les intérêts immédiats, transposant ainsi en matière littéraire les dilemmes posés par
l’application de la raison d’État.
- Jean Bodin et Thomas Hobbes : la peur du chaos social
Horrifié par les désordres des guerres de religion, le juriste catholique Jean Bodin (1530-96)
prône l’établissement d’un pouvoir fort. Le souverain doit être la source (mais non l’objet)
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du droit. Il ne peut être soumis qu'à la loi divine et à celles « de la nature » : respect de la
parole donnée et de la propriété privée.
L’Anglais Thomas Hobbes (1588-1679) séjourne longuement en France en tant que
diplomate, notamment pendant la Fronde (voir ci-dessous), et vivra aussi la première
révolution anglaise et le Protectorat de Cromwell. Dans Le Citoyen (De Cive, 1642) puis
Leviathan (Leviathan or The Matter, Form and Power of a Common Wealth Ecclesiastical and Civil,
1651) il pose les bases de la monarchie absolue.
Dans l’état de nature, comme l’a écrit Plaute au IIe siècle avant notre ère, « l'homme est un
loup pour l'homme » (« Homo homini lupus »). Afin d’éviter l'anarchie et le règne de la
violence un pouvoir fort est absolument nécessaire:
Texte 7 « Il faut qu'il y ait une seule volonté de tous, qui donne ordre aux choses nécessaires pour la
manutention de [la] paix et commune défense. Or, cela ne peut se faire si chaque particulier
ne soumet sa volonté propre à celle d'un certain autre, ou d'une certaine assemblée, dont
l'avis sur les choses qui concernent la paix générale soient absolument suivi et tenu pour celui
de tous ceux qui composent le corps de la république (…) La volonté de cet homme, ou de ce
conseil, qui a la puissance souveraine, est tenue pour la volonté de toute la cité, et celle-ci
enferme les volontés de tous les particuliers. D'où je conclus que le souverain n'est point
attaché aux lois civiles (car il serait obligé à soi-même) ni ne peut point être obligé à aucun de
ses concitoyens. »
Thomas Hobbes, De Cive (1642), V, 5-6 ; VI, 12 et 15
3. Le constitutionnalisme
- Grotius et le droit des gens
Après de nombreux autres polémistes protestants soutenant d’une façon ou d’une autre le
droit souverain du peuple, le juriste hollandais Hugo de Groot, dit Grotius (1583-1645)
théorise, en 1625, la notion d’État dans Du droit de la guerre et de la paix (De Jure Belli ac
Pacis).
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Une assemblée de personnes libres s’associent pour former un État et se mettre ainsi sous
la protection des lois, établies pour l’utilité commune. Le Mayflower Compact, conclu en
1620 entre les futurs colons de la Virginie, en est le premier exemple concret aux Temps
modernes.
Dans un « État juste », le peuple demeure le souverain, le dépositaire du pouvoir, et les
« droits naturels » des individus sont garantis.
Innée, et commune à tous les hommes, c’est la raison - et non la morale religieuse - qui
nous fait connaître qu'une action est moralement bonne ou non. C’est la thèse de
la « morale naturelle ».
Cette laïcisation de la morale esquisse déjà ce que seront les Lumières (voir ci-dessous).
- La politique l’emporte sur la religion
Dans Les six livres de la république (1576) Jean Bodin écrit que le maintien de l'ordre public
est plus important que l’unité de foi. Mieux vaut encore accepter les protestants que
d'avoir la guerre civile. Et le souverain ne peut imposer à ses sujets une conviction religieuse
qu’il est libre par ailleurs de professer en tant qu’individu.
Dans le même sens, aucun roi de France n’a osé valider les décrets du Concile de Trente lors
des guerres de Religion, afin de ne pas provoquer les protestants français [=> ils seront
validés en 1615 – cinquante ans après la fin du concile - par la régente Marie de Médicis].
Par sa conversion, puis par l’Édit de Nantes, Henri IV montre clairement que la paix civile est
son principal objectif, bien avant la défense de telle ou telle conviction religieuse. Et
l’adhésion de Richelieu au concept de raison d’État (voir ci-dessus) va dans le même sens.
Ce pragmatisme, qui fait passer le politique avant le religieux, est un total renversement de
perspective et va aider plus tard à progresser vers la tolérance.
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VII - LES PRINCIPALES MONARCHIES EUROPEENNES ENTRE 1550 ET 1660
1. La poursuite de la construction des identités nationales
Pendant cette période, dans tous les pays d'Europe, y compris la Russie, on redécouvre ce
que l'on a appelé : "les antiquités nationales". On redécouvre notamment l'histoire du
Moyen Âge et on développe la philologie, c'est-à-dire l'étude de la langue nationale et de
son évolution.
En 1647 par exemple, Vaugelas définit, dans ses Remarques sur la langue française le bon
français, par opposition aux expressions régionales et aux patois... La volonté de construire
une identité nationale passe par une langue et une histoire communes.
2. Philippe II et le soulèvement des Pays-Bas
A l’avènement de Philippe II (1556-98), les Pays-Bas espagnols (le Benelux, moins la
principauté de Liège, plus le nord de la France jusqu’à Arras) connaissent une expansion du
protestantisme. Pour l’anéantir, le souverain, très catholique, tente de mettre en place dans
ces régions l'Inquisition espagnole. L’opposition à cette mesure est accompagnée dans les
Pays-Bas de la montée d’un sentiment « national » alimenté par la présence des troupes
espagnoles. Un sentiment qui a toutefois un aspect particulariste, car les dix-sept
principautés réunies au sein des Pays-Bas espagnols ont chacune une forte identité (duché
de Brabant, comté de Flandre, comté de Namur, duché de Luxembourg, etc.). S’ajoute à ces
griefs eux contre la fiscalité espagnole sur des régions dont certaines sont riches, les
Flandres notamment.
Au printemps 1566, à Bruxelles, plusieurs centaines de nobles des Pays-Bas, tant catholiques
que protestants, remettent à la gouvernante Marguerite de Parme, demi-sœur de Philippe II,
une pétition traditionnellement appelée" le compromis des nobles ", qui demande
notamment la fin de l’Inquisition et la réunion des états généraux où siègent noblesse,
clergé, et tiers-état. Seul le souverain peut décider de ces matières. Averti, Philippe II répond
en 1567 par l’envoi de troupes commandées par le duc d'Albe, chargé de réprimer la révolte.
Il restera trois ans dans les Pays-Bas et y mettra en place "le conseil des troubles", sorte de
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tribunal extraordinaire qui fera notamment décapiter sur la Grand-Place de Bruxelles, le 5
juin 1568, les deux principaux leaders du mouvement : les comtes Lamoral d'Egmont et
Philippe de Hornes.
Les biens des protestants sont confisqués et nombre d’entre eux fuient à l’étranger,
notamment en Angleterre et dans les Provinces-Unies. Artisans, commerçants et
intellectuels pour la plupart, ils vont contribuer à faire prospérer l’industrie textile anglaise
ou les imprimeries hollandaises. Certains reviendront cependant et récupèreront leurs biens
quelques dizaines d'années plus tard.
- L'indépendance des Provinces-Unies
Suite à l’action du duc d’Albe, les protestants constituent une armée : c’est la « guerre de
Quatre-Vingt Ans ». En 1579, les sept provinces protestantes du Nord (à peu près les
provinces hollandaises actuelles) se rassemblent dans l’Union d'Utrecht. Les dix provinces
catholiques du sud y répondent par l'Union d'Arras.
Toutefois, il reste des catholiques au nord, et des protestants au sud : Bruges, Ypres, Gand,
Anvers, par exemple, adhèrent en 1579 à l’Union d’Utrecht.
En 1581, les sept provinces de l’Union d’Utrecht proclament leur indépendance sous le nom
de République des Sept Provinces-Unies. L'Espagne ne reconnaît pas cette indépendance
avant le traité de Münster de 1648, et la guerre continue donc, entrecoupée de trêves.
La République est gouvernée par les États généraux (Staten-Generaal), secondés par le
« Grand Pensionnaire » (Raadpensionaris), élu par les États de la province de Hollande. Le
Stadhouder, presque toujours issu de la famille d’Orange-Nassau, commande l’armée.
3. La montée de la centralisation en France
- Richelieu
Il est le premier « premier ministre » français et a la responsabilité de la gestion quotidienne
des affaires, même s’il ne peut prendre des décisions importantes qu’avec l’accord du roi.
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Sous Richelieu, la pression fiscale est pratiquement multipliée par trois. L’envoi d’intendants
dans les provinces (voir ci-dessus) aide d’ailleurs à mieux faire rentrer l’impôt, même si des
révoltes
antifiscales,
souvent
appuyées
par
les
nobles
locaux,
se
produisent
périodiquement.
Autre
ecclésiastique
Mazzarini, «
opportuniste
l’Italien
Giulio
Mazarin » (1602-61) lui succède, et
poursuit la même politique centralisatrice.
Le cardinal Mazarin (Chantilly, Musée Condé).
- La Fronde ou les Frondes
En fait, deux « frondes » (révoltes) se succèdent entre 1648 et 1653 : la Fronde
parlementaire et la Fronde des Princes.
Louis XIV est encore enfant, et Mazarin est le principal ministre (et amant) de la régente
Anne d’Autriche, mère du roi. Mazarin sera pour Louis XIV un véritable tuteur en même
temps que son plus proche conseiller jusqu’en 1661.
L’augmentation de la fiscalité atteint des proportions énormes dans les années 1640, et l’on
sait par ailleurs que Mazarin s’enrichit personnellement, notamment en amassant au PalaisRoyal (ancien « Palais cardinal » sous Richelieu) une importante collection d’œuvres d’art
[=> elle formera la base des collections du Musée du Louvre]
En 1648 le parlement de Paris (qui est à la fois un tribunal et une sorte de « conseil
constitutionnel » chargé d’enregistrer les édits du souverain) entre en rébellion.
Ce n’est pas la première fois : le parlement de Paris et ses homologues des provinces
défendent traditionnellement « les libertés » contre les tentatives de centralisation des
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monarques. En fait ils défendent surtout leurs propres privilèges, mais le peuple, qu’ils
abusent, les suit dans ce combat contre « l’arbitraire du roi ».
Cette fois, ils se plaignent des intendants, que le peuple déteste, comme il déteste aussi
Mazarin, et demandent la suppression de « la Ferme générale » qui, depuis Philippe le Bel
au XIVe siècle, collecte l’impôt au nom du roi.
Liés à l’État par un contrat (un bail « à ferme » d’où leur nom), les Fermiers généraux, des
financiers, avancent au roi les sommes dont celui-ci à besoin et se chargent ensuite de les
récupérer auprès des contribuables, non sans prélever un bénéfice au passage. Cela épargne
à l’État les frais de la perception qu’assurent avec un grand zèle les « commis de la
Ferme générale» [=> ils seront plusieurs dizaines de milliers à la fin de l’ancien régime,
travaillant pour une soixantaine de Fermiers généraux].
Il faut signaler ici que les communautés locales (souvent au niveau de la paroisse) décident
collégialement de la répartition de l’impôt entre les citoyens. La noblesse, qui paye
« l’impôt du sang » sur les champs de bataille, et le clergé, qui fait régulièrement au roi un
« don gratuit » (« volontaire »), ne payent pas d’impôts.
La première révolution anglaise (voir ci-dessous) menée alors par le parlement anglais
(assemblée représentative) n’est pas sans influence sur la Fronde parlementaire.
On prône à Paris l’établissement, comme en Angleterre en 1640, de l’habeas corpus, une
garantie contre toute arrestation arbitraire (présence d’un avocat et détention préventive
limitée à 48 heures), alors qu’en France, le roi peut, par simple lettre de cachet, faire arrêter
qui il veut, sans avoir à donner de motivation et pour une durée illimitée.
A l’occasion de la Fronde, la presse joue, pour la première fois en France, un rôle politique
important : de nombreux journaux et pamphlets alimentent le débat public, tout comme en
Angleterre au même moment.
En janvier 1649, le jeune roi est réveillé en pleine nuit et doit suivre sa mère, Mazarin et une
partie de la cour pour quitter Paris de peur d’une arrestation et se réfugier au château de
Saint-Germain-en-Laye. Louis XIV n’a jamais oublié ce départ, qu’il a ressenti comme une
véritable humiliation.
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On n’ose cependant, à Paris, instaurer ouvertement la république. A Bordeaux, par contre,
les partisans de l’Ormée, un mouvement influencé par les Niveleurs anglais (voir ci-dessous),
la proclament.
Dans le courant de l’année 1649, la Fronde des Princes succède à celle des parlements.
Beaucoup plus dangereuse pour le pouvoir, elle menace directement la dynastie car, à la
faveur de l’affaiblissement de la monarchie, certains grands aristocrates ambitionnent le
trône. Ainsi, le prince Louis de Condé, appuyé par le parlement de Paris, mène le combat
contre les troupes de Louis XIV.
Les deux Frondes ont un intérêt commun : renverser le souverain ou au moins diminuer son
pouvoir, mais elles ont des motivations divergentes. Les parlementaires veulent s’instituer
en contre-pouvoir, tandis que la Fronde des Princes ne vise qu’à remplacer une dynastie par
une autre. En 1652, ils sont vaincus par Turenne.
- La réaction absolutiste
En 1653, la famille royale rentre à Paris. Mazarin, qui s’est exilé en Allemagne, reste en
retrait pendant quelque temps mais est en correspondance permanente avec la régente.
Louis XIV – qui, à 15 ans, est maintenant majeur - décide de rétablir les intendants et de
mettre au pas la noblesse. [=> Versailles apparaîtra plus tard comme une façon de mieux
surveiller la noblesse en « l’enfermant » à la cour, l’empêchant ainsi de fomenter des
rébellions dans les provinces.]
Le roi décrète par ailleurs que les parlements ne doivent pas « se mêler des affaires de
l’État ». Désormais l’enregistrement des lois par le parlement de Paris se fera après leur
entrée en vigueur.
4. Échec de l’absolutisme et mouvements républicains en Angleterre
Les rapports entre le souverain et le parlement – qui n’est réuni que sur convocation royale
-sont depuis longtemps difficiles. La plupart du temps c’est pour consentir à l’impôt que le
parlement est réuni. Une négociation s’engage alors sur les montants à percevoir et on
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aboutit à un compromis. Comme en France, l’impôt est ensuite réparti « en cascade » par
consensus, jusqu’à la circonscription la plus petite, généralement la paroisse.
- Élisabeth Ière
Peu désireuse de négocier avec lui, Elizabeth Ière ne réunit le parlement que tous les trois
ans en moyenne. Elle tente de tirer un maximum d’autres revenus que l’impôt direct,
notamment les droits de douane et les confiscations de biens, essentiellement motivées par
un soupçon de complot, ou de catholicisme.
- Jacques Ier Stuart
Elizabeth, dernière souveraine de la dynastie Tudor, ne s’est pas mariée et n’a pas d’héritier
direct. Son cousin James Stuart, Jacques VI en Écosse, lui succède sous le nom de Jacques Ier
(1603-25). Ce n’est toutefois qu’une « union personnelle », Écosse et Angleterre ont le
même souverain, mais demeurent indépendantes l’une de l’autre.
Jacques Ier est un souverain absolutiste. Plus proche de l’Église d’Angleterre, dont il est
devenu le chef, que de l’Église presbytérienne écossaise, décentralisée et démocratique, il
favorise l’extension à l’Ecosse de la High Church, ce qui suscite l’hostilité de nombreux
Écossais.
- Charles Ier
Charles Ier (1625-49) est marié avec Henriette de France, la fille d’Henri IV. Catholique, elle
s’entoure à la cour de coreligionnaires, ce qui suscite l’hostilité et la crainte que le roi ne se
convertisse.
De plus, Charles Ier est un absolutiste convaincu. En 1629, en conflit avec le parlement (les
membres des Communes sont partisans de la Low Church, les Églises « dissidentes »), il le
dissout. Il ne le réunira plus jusqu’en 1640 : cette période est appelée « the Eleven Years
Tyranny ».
Pressé par des besoins financiers, il se résout à le rappeler, mais les parlementaires sont
particulièrement amers de n’avoir plus été consultés. La situation s’envenime, et le roi fait
arrêter certains parlementaires.
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De 1642 à 1649, une guerre civile oppose les Cavaliers, l’armée du roi, aux Roundheads
(« Têtes rondes », en raison de la forme de leur casque), l’armée levée par le Parlement (en
1638, déjà le National Covenant écossais avait levé une armée contre le roi). Bien que
monarchique, l’Angleterre n’accorde pas au roi la préséance sur le parlement. La formule
traditionnelle the King in Parliament symbolise bien l’union étroite qui doit en principe
régner entre ces deux forces politiques dans la direction des affaires.
L’armée parlementaire est formée et dirigée sous la conduite d’un parlementaire qui va
s’avérer être un très bon stratège, alors qu’il n’est pas militaire de formation : Oliver
Cromwell.
- Cromwell et les Niveleurs
Petit propriétaire terrien du Norfolk (est de l’Angleterre)
Oliver Cromwell (1599-1658) appartient à la gentry.
Puritain sur le plan religieux (il justifiera toutes ses
actions en se référant à la Bible), il est donc, comme la
plupart de ses collègues de la Chambre des Communes
favorable à la tolérance envers les courants protestants
dissidents.
En 1645, les troupes du parlement remportent la victoire
de Naseby (au nord de Londres). Le roi se réfugie alors
Cromwell, par Samuel Cooper
en Écosse, dont il est également le souverain. Opposés à
son attitude autocratique comme à l’Eglise anglicane qu’il dirige, les Écossais le font arrêter
et le livrent aux Anglais en 1647 pour la somme de 400.000 livres.
Jugé par le parlement anglais (qu’il refuse de reconnaître comme tribunal) il est condamné à
mort pour haute trahison car il a levé une armée pour combattre un parlement avec lequel
il était censé collaborer. Il est décapité à la hache à Whitehall en janvier 1649.
De 1649 à 1658 s’installe un régime de type républicain, le Commonwealth of England (« le
bien commun de l’Angleterre», la res publica). Après avoir longtemps hésité, Cromwell, qui
le dirige, prend en 1653 le titre de Lord Protector qui désigne traditionnellement les régents
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en Angleterre. Il semble donc qu’il n’ose pas totalement assumer la rupture avec la
monarchie.
Contesté au parlement pour ses méthodes autoritaires (il s’appuie essentiellement sur
l’armée) il n’hésite pas à y envoyer la troupe, qui pénètre à plusieurs reprises dans l’enceinte
de la Chambre des Communes, laquelle est épurée par l’expulsion de ses membres les
moins « dociles » (la Chambre des Lords subsiste, mais sans réel pouvoir). Une dictature
militaire est ainsi instaurée en Angleterre. Par ailleurs l’Écosse et l’Irlande sont envahies.
Catholique, l’Irlande est très durement traitée : les Anglais s’octroient les meilleures terres
(le Pale, à l’est, autour de Dublin) et repoussent les Irlandais vers les zones déshéritées de
l’ouest.
En Angleterre, la paix civile revient, maintenue au besoin par la force, même si Cromwell est
populaire dans une bonne partie de la population, et les affaires reprennent. Le parlement
vote des lois très favorables à l’essor économique, notamment au commerce maritime qui
connaît le début d’une grande expansion [=> de 1600 à 1688 le tonnage transporté par les
bateaux anglais doublera].
Muselé au parlement, le débat politique se développe au sein de l’armée où apparaît un
mouvement radical, celui des Niveleurs (Levellers). Présocialistes, ils plaident pour l’abolition
de la monarchie, le règne du parlement, et surtout une répartition égalitaire de la terre,
base de la subsistance des populations, et donc le partage des grandes propriétés. Ils
protestent aussi contre la politique brutale de Cromwell en Irlande. Mutinés en 1649, ils
sont immédiatement réprimés.
Un autre mouvement radical, évangélique et partisan d’un « communisme chrétien », les
Diggers (« Piocheurs » ; ils se désignent eux-mêmes comme les « Vrais Niveleurs »), est
fondé par l’apprenti Gerrard Winstanley (1609-76). Méfiants envers l’État et la politique en
général, ils veulent construire « une autre société » et s’éloigner de la corruption des villes
pour travailler collectivement la terre en petites communautés autogérées. En 1649-50,
dans le sud de l’Angleterre, ils s’approprient et cultivent des parcelles de common land
(terres peu exploitées appartenant aux communautés villageoises) mais aussi de propriétés
appartenant à la gentry et à la noblesse, dont ils sont rapidement chassés.
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« Aussi longtemps que les gouvernants diront que la terre leur appartient, en soutenant ce
principe d'une propriété particulière, du mien et du sien, jamais les gens du commun n'auront
leur liberté (...). Qu'on cesse d'enclore et de clôturer quoi que ce soit sur terre en disant ceci
est à moi ».
G. Winstanley, cité par Olivier Lutaud, Cromwell, les Niveleurs et la République, 1978, p. 225-26
[=> Les mêmes termes seront employés en 1751 par Jean-Jacques Rousseau dans son
Discours sur les origines de l’inégalité]
5. Le Saint Empire romain germanique
Au début du XVIIe siècle, trois confessions religieuses y coexistent difficilement :
catholiques plus nombreux au sud; luthériens et calvinistes, plus nombreux au nord. En 1608
se crée l’Union Evangélique (die Evangelische Union), pacte de défense commune entre
entités protestantes. En 1609 lui répond la Ligue catholique (die Katholische Liga).
- La guerre de Trente Ans
C’est, avant la Première Guerre Mondiale, le conflit qui a fait le plus de victimes en Europe.
Son déclenchement est accidentel. En 1617, l’empereur Matthias Ier (1612-19), pourtant
partisan de la tolérance religieuse, désigne son cousin, le très catholique Ferdinand de Styrie
(une principauté autrichienne) comme son successeur au trône de Bohème, pays en grande
majorité protestant.
Le 23 mai 1618, a lieu la «défenestration de Prague » : deux envoyés de Ferdinand sont
jetés des fenêtres du château du Hradschin par les nobles Tchèques (ils tombent dans un tas
de fumier). Ce geste marque une rupture et la guerre est inévitable : les alliances
protestante et catholique vont s’affronter.
En 1619, Ferdinand de Styrie devient l’empereur Ferdinand II. Dès lors le conflit
s’internationalise. Provinces-Unies, Suède et Danemark viennent au secours de leurs alliés
protestants, qu’appuie aussi la France de Richelieu afin de nuire aux Habsbourg.
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Un tiers de la population du Saint Empire (soit plus de 10 millions de personnes) va périr au
cours de ces trente années (voir ci-dessus, « Les dégâts des guerres »).
- Les Traités de Westphalie de 1648
Ces traités sont signés dans deux villes allemandes proches de la frontière hollandaise :
Münster où siègent les négociateurs catholiques, et Osnabrück où siègent les négociateurs
protestants.
Ils consacrent notamment :
- la reconnaissance par l’Espagne, de l’indépendance des Provinces-Unies
- l’affaiblissement du pouvoir impérial considéré désormais comme relativement
symbolique. Les Habsbourg se concentrent leurs possessions personnelles : l’Autriche, la
Hongrie et la Bohème, et interviennent moins en Allemagne même s’ils y conservent un
pouvoir d’influence.
6. L'expansion de l'État prussien
Future rivale des Habsbourg, la Prusse protestante s’étend progressivement au XVIIe siècle,
surtout par héritage. En 1614, elle acquiert les villes de Clèves (Kleve) et Juliers (Jülich) dans
la région de la Ruhr. Eloignées de Berlin, elles permettent au grand-duc de Prusse de
disposer de troupes plus proches des théâtres d’opérations d’Europe occidentale. En 1618,
il hérite de la Prusse orientale, au nord-ouest de la Pologne. En 1648, il acquiert lors des
Traités de Westphalie, la Poméranie orientale au nord-est. La Prusse est dès lors un État qui
compte dans l’Empire, et dont le souverain, qui se proclame « roi en Prusse » en 1700, reste
l’un des sept Princes-Électeurs.
7. L’hégémonie suédoise sur la Baltique
La Suède a une ambition : posséder tous les territoires autour de la mer Baltique, en faire
« un lac suédois ». Cet objectif sera presque atteint.
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Gustave-Adolphe II Vasa (1611-32) est un grand soldat. Il acquiert la Finlande, les pays
Baltes et une petite partie du littoral allemand occidental. Venu au secours des protestants
lors de la guerre de Trente Ans dans le Saint Empire, il y meurt au combat.
Charles XII (1697-1718), lui aussi grand militaire, affrontera surtout la Russie. Il ne
parviendra pas non plus à réaliser « le rêve suédois ».
8. L’avènement des Romanov en Russie
Sous Ivan IV le Terrible (1553-84) la Russie est encore centrée sur le bassin de la Volga et se
tourne plutôt vers l’Asie.
De 1584 à 1613 : la Russie traverse « la Période des Troubles ». On ne parvient pas à se
mettre d’accord sur le nom du successeur d’Ivan IV. Sous le fameux Boris Godounov (15981605 ; poème de Pouchkine, opéra de Moussorgski) l’Église russe s’affranchit de la tutelle
symbolique de Constantinople, et on commence à coloniser la Sibérie. Enfin, Godounov,
tente de tourner davantage la Russie vers l’ouest.
En 1613, le Zemski Sobor (« Conseil de la Terre, composé des grands propriétaires) désigne
Michel Romanov, descendant d’une fille d’Ivan IV, comme tsar (tiré de « césar »). Il règnera
jusqu’en 1645 [=> et fonde une dynastie qui durera jusqu’en 1917].
9. L'Empire Ottoman
En 1570, la flotte ottomane est défaite à Lépante (sur la côte occidentale de la Grèce) par
l’Espagne et les États du Pape (qui occupent toute l’Italie centrale).
Sur le plan intérieur, après une période d’instabilité, des vizirs appartenant à famille
albanaise Köprülü se succèdent au pouvoir de 1656 à 1719. Le vizir, « premier ministre » et
chef des armées exerce la réalité du pouvoir, le sultan se contentant la plupart du temps
d’occuper le trône. Le vizir Fazil Ahmed Pacha (1661-76), intéressé par les arts et les
sciences crée à Istanbul une importante bibliothèque importante, embryon de la future
Bibliothèque Nationale turque.
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Dans l’Empire ottoman, Juifs et chrétiens sont tolérés moyennant le versement d'une taxe.
[=> au XVIIIe siècle, près de la moitié de la population d’Istanbul n’est pas musulmane].
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QUATRIEME PARTIE
Le siècle des Lumières et le classicisme (v.1660 – v.1775)
Absolutisme et « idée nouvelle du bonheur »
I - LES GRANDES DATES
1660 : restauration des Stuart sur le trône d'Angleterre
1660 : fondation de la Royal Society of London
1661-1715 : règne de Louis XIV
1670 : Spinoza : Le Tractatus theologico-politicus
1679 : l'habeas corpus est instauré par le parlement anglais
1683 : échec du second siège de Vienne par les Turcs ottomans
1685 : révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV
1687 : Newton énonce la loi de la gravitation universelle
1689 : Marie Stuart et Guillaume d'Orange acceptent le Bill of Rights
1689 -1725 : règne de Pierre Ier le Grand en Russie
1695-97 : Bayle : le Dictionnaire historique et critique
1714 : la dynastie des Hanovre monte sur le trône d'Angleterre
1715 : les Pays-Bas espagnols deviennent autrichiens
1717 : fondation à Londres, de la franc-maçonnerie
1734 : Voltaire : les Lettres philosophiques
1740 : Frédéric II et Marie-Thérèse, premiers despotes éclairés
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1748 : Montesquieu De l'esprit des lois
1751-72 : publication de l'Encyclopédie par Diderot et d'Alembert
1754 : Rousseau : le Discours sur l'origine de l'inégalité
1757 : Winckelmann publie les fouilles d'Herculanum et de Pompéi
1761-62 : Rousseau : La Nouvelle Héloïse, Émile, Le Contrat social
1762-96 : règne de Catherine II en Russie
1764 : Beccaria : Des délits et des peines
1765 : Voltaire obtient la réhabilitation de Jean Calas
1769 : James Watt perfectionne la machine à vapeur
1773 : suppression par le pape de la Compagnie de Jésus
1774 : Goethe : Les souffrances du jeune Werther
II - LE NEOCLASSICISME
Aujourd'hui, on fait commencer le siècle des Lumières vers 1660, car les idées qui vont
éclore au XVIIIe siècle sont émises dans la seconde moitié du XVIIe, plus tôt même parfois.
L'absolutisme est le trait dominant de cette période, inauguré en France par le règne de
Louis XIV. Toutefois, les philosophes posent en principe que la gestion des affaires
communes doit avoir pour but ultime le bonheur des citoyens. C’est une idée nouvelle car,
jusqu’alors, la gloire du souverain et la puissance de l’État étaient les objectifs déclarés de
pratiquement tous les gouvernants.
1. Le règne de Louis XIV et la réaction contre le baroque
Pays catholique, la France est toutefois assez réticente à l’égard de l’art baroque, dont
l’ornementation lui paraît excessive (le mot « baroque » a une acception péjorative en
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français). La « bon goût » français (on dit aussi « le grand goût »), défini dans la seconde
moitié du XVIIe siècle, est synonyme de solennité, de mesure et d’équilibre, un peu sur le
modèle du « cartésianisme » qui l’emporte à la même époque en matière intellectuelle : la
« Raison » doit primer sur l’émotion. Inspiré de l’Antiquité, que des fouilles permettent peu
à peu de redécouvrir, le « classicisme » correspond- parfaitement à cette vision des choses
et va peu à l’emporter dans le goût français.
Toutefois, l’aristocratie française se démarque au XVIIe siècle de cette tendance, qu’elle
associe à cette classe montante qu’est la bourgeoisie, qu’elle voit comme une dangereuse
rivale. Louis XIV, qui se méfie depuis la Fronde de la haute noblesse (voir ci-dessus), est
d’ailleurs critiqué par elle pour s’être entouré de conseillers issus de la noblesse « de robe »
(bourgeois anoblis provenant de la haute finance ou de la magistrature) et de la bourgeoisie.
Le château de Versailles, dont la construction commence en 1661, après l’accession de Louis
XIV au pouvoir personnel (après le décès de Mazarin et la perte d’influence de la reine
mère), témoigne pleinement de ce goût classique. Mais Louis XIV et sa cour ne s’y installent
qu’en 1682, et les travaux ne seront totalement achevés qu'en 1710.
2. La redécouverte de l'Antiquité gréco-romaine
D’abord effectuées sans grande méthode au XVIIe siècle, des
fouilles commencent à être organisées scie-ntifiquement au sud
de Naples à Herculanum (1738) et Pompéi (1763).
Johann Joachim Winckelmann, par Angelika Kaufmann (1764)
Originaire de Saxe et installé à Rome en 1754 grâce à une pension de son souverain le
Prince-Électeur Auguste III de Pologne, l’historien de l’art et archéologue Johann Joachim
Winckelmann (1717-68), protestant converti au catholicisme, est considéré comme le
fondateur de ces disciplines. C’est également un actif propagandiste du néoclassicisme. Il
publie notamment, en allemand, des Réflexions sur l'imitation des œuvres des Grecs en
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peinture et en sculpture (1755 ; trad . fr. 1766), où il prône le retour aux canons de l’art
antique, puis, en italien, Les monuments de l'Antiquité expliqués et illustrés (1767), ouvrage
qui vulgarise par le dessin les principales découvertes faites lors des fouilles en Italie et dont
les artistes et architectes de toute l’Europe vont s’inspirer.
À côté de cela, des voyageurs, anglais notamment, se rendent dans l'empire ottoman et s’y
procurer statues et objets d’art grecs qu’ils dérobent ou que les Ottomans leur vendent sans
grande difficulté (l’original de la frise du Parthénon d’Athènes se trouve au British Museum
depuis le XVIIIe siècle).
Les musées ouverts au public sont encore extrêmement rares: l’Ashmolean Museum
d’Oxford et sans doute le premier à ouvrir assez facilement ses portes, en 1678. Créé en
1753, le British Museum, n’est ouvert au grand public qu’en 1759 (tous deux sont des
fondations privées). De nombreuses collections privées sont cependant accessibles sur
demande à un public sélectionné. [=> la plupart des grands musées européens n’ouvriront
qu’à la fin du XVIIIe siècle, ou dans la première moitié du XIXe].
3. Les réactions au néoclassicisme
- « Style rocaille », « rococo », « chinoiseries » et Gothic Revival
En France, en réaction au « grand goût » classique louis-quatorzien, le style « rocaille »,
exubérant et parfois même dissymétrique, apparaît vers 1715 sous la Régence. De son côté,
en Italie, en Allemagne et en Europe centrale, l’art baroque évolue vers le « rococo », un art
décoratif particulièrement chargé.
La mode décorative des « chinoiseries » est, pour l’essentiel, une adaptation de motifs
chinois sur une architecture et des objets européens. Un « salon chinois » est aménagé dans
de nombreuses demeures aristocratiques au XVIIIe siècle., où des œuvres d’art ou des objets
décoratifs importés de Chine (meubles, porcelaines, tissus) sont insérés dans un décor
européen.
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Dans les Îles Britanniques, le Gothic Revival apparaît, vers 1740, comme une réaction
« nationale » contre le néoclassicisme. Ce sont aussi les racines de la « vieille Europe
chrétienne » que l'on tente d’y retrouver.
- Les débuts du romantisme
Une littérature particulièrement « sentimentale » apparaît au XVIIIe siècle. Plusieurs des
« best-sellers » de l’époque ressortissent à ce genre littéraire : Manon Lescaut (1731) de
l'abbé Prévost ; Clarissa Harlowe (1748) de l’Anglais Samuel Richardson ; La Nouvelle Héloïse
(1761) de Jean-Jacques ; enfin Les Souffrances du jeune Werther (1774) de l’Allemand
Johann Wolfgang von Goethe, qui génère une épidémie de suicides en Allemagne, et
marque la naissance du courant littéraire du Sturm und Drang (« tempête et élan »), et
annonce la future Allemagne romantique.
En Écosse, les poèmes épiques « d'Ossian », supposés dater du IIIe siècle, paraissent en
1760. Ecrits (on le saura plus tard)
par le
poète James Macpherson, ils soulèvent
l’enthousiasme de la jeunesse romantique..
- Quiétisme et piétisme
Version mystique d’un protestantisme devenu, selon ses adeptes, trop rationnel et
matérialiste, le piétisme se développe surtout en Allemagne du Nord, à partir de 1670. Il est
assez similaire au quiétisme que « Mme Guyon » tente d’implanter vers 1680 dans les
milieux catholiques français (Fénelon, notamment, y adhérera) , avant d’être arrêtée puis
emprisonnée.
III - VERS LE LIBERALISME ECONOMIQUE
1. Deux pays pionniers : les Provinces-Unies et la Grande-Bretagne
Depuis le milieu du XVIIe siècle, la réussite économique est devenue le principal critère de
distinction sociale dans ces pays. Le modèle bourgeois s'est imposé.
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Le libéralisme économique demande, y compris en matière religieuse, l’absence d’entraves
aux affaires..
Ainsi par exemple, en 1713, dans le Traité d'Utrecht qui met fin à la guerre de Succession
d'Espagne (voir ci-dessous) Anglais et Hollandais imposent pratiquement la mise en place du
libre-échange entre eux et les Pays-Bas autrichiens dont ils ont contribué à sécuriser
l’existence face aux ambitions françaises.
Par pragmatisme économique, ces deux pays pratiquent une politique de tolérance
religieuse (sauf, en Angleterre, envers les catholiques, ressentis comme un danger pour
l’État)
2. L'éloge du travail
L’économiste anglais William Petty écrit en 1662 que le travail est « le père et le principe
actif de la richesse ».
Texte 8 « Bien que la nature ait donné toutes choses en commun, l'homme néanmoins, étant le
maître et le propriétaire de sa propre personne, de toutes ses actions, de tout son travail, a
toujours en soi le grand fondement de la propriété (...). Ainsi, le travail, dans le
commencement, a donné droit de propriété. »
John Locke, Two Treatises of Government 1689),, II, 4- 5
En France, Voltaire est l’un des premiers propagandistes du libéralisme économique, tout
comme Rousseau sera l’un des ancêtres du socialisme.
Pour Voltaire, la terre et le travail sont la source de tout. Le travail doit donc être considéré
comme une valeur essentielle. L'esprit d'entreprise, l'esprit capitaliste, sont partie
intégrante du « travail », dans l'esprit d’un libéral comme Voltaire, qui a lui-même bien fait
fructifier son argent (parfois hélas dans le commerce « négrier », la déportation d'esclaves
africains vers les Amériques).
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Au XVIIIe siècle, un débat s’engage en France sur la légitimité de la dérogeance, qui
immobilise d’importants capitaux qui pourraient être investis dans les secteurs dynamiques
de l’économie.
- L'intérêt personnel, moteur du progrès
La poursuite de l'intérêt personnel est en principe condamnée par la morale. Fin XVIIe-début
XVIIIe siècle, quelques auteurs libéraux veulent cependant démontrer qu’elle sert sans le
savoir l’intérêt collectif.
- le débat sur le luxe
Les libéraux soutiennent que le luxe, en favorisant une importante consommation de biens,
fournit du travail à de nombreux individus. Le janséniste Pierre Nicole ironise sur ce thème :
Texte 9 « Les hommes étant vides de charité par le dérèglement du péché, demeurent néanmoins
pleins de besoins et sont dépendants les uns des autres dans une infinité de choses. La
cupidité a donc pris la place de la charité pour remplir ces besoins et elle le fait d'une manière
que l'on n'admire pas assez. (...). Quelle charité serait-ce que de bâtir une maison tout entière
pour un autre, de la meubler, de la tapisser, de la lui rendre la clef à la main ? La cupidité le
fera gaiement. Quelle charité (...) de s'abaisser aux plus vils ministères et de rendre aux
autres les services les plus bas et les plus pénibles ? La cupidité fait tout cela sans s'en
plaindre. »
Pierre Nicole, De la charité et de l'amour-propre (1675) (cité par Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une
révolution de la condition humaine, 2002, p. 479)
Le Hollandais d’origine française Bernard de Mandeville publie à Londres, en 1714, The
Fable of the Bees, ouvrage traduit en français en 1740 seulement (La Fable des abeilles). Le
sous-titre en est particulièrement provocateur : « les vices privés font les vertus
publiques ». C’est exactement ce que Pierre Nicole reprochait aux libéraux comme
Mandeville qui écrit notamment que « les défauts des hommes peuvent être utilisés à
l'avantage de la société civile et on peut leur faire tenir la place des vertus morales. »
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Impressionné par l’économie anglaise lors de son exil Outre-manche (1726-28), Voltaire écrit
en 1734 dans ses Lettres philosophiques (d’abord intitulées Lettres anglaises) :
Texte 10 « Le commerce qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et
cette liberté a étendu le commerce à son tour ; de là s'est formée la grandeur de l'État. (...).
Tout cela donne un juste orgueil à un marchand anglais, et fait qu'il ose se comparer, non
sans quelque raison, à un citoyen romain. Aussi le cadet d'un pair du royaume ne dédaigne
point le négoce (...). En France, est marquis qui veut, et quiconque arrive à Paris du fond
d'une province avec de l'argent à dépenser et un nom en ac ou en ille, peut dire un homme
comme moi, un homme de ma qualité et mépriser souverainement un négociant ; le
négociant entend lui-même parler si souvent avec dédain de sa profession qu'il est assez sot
pour en rougir ; je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un État, ou un seigneur bien
poudré qui sait précisément à quelle heure le roi se lève, à quelle heure il se couche, et qui se
donne des airs de grandeur en jouant le rôle d'esclave dans l'antichambre d'un ministre, ou
un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate [en Inde] et au
Caire, et contribue au bonheur du monde ».
3. Physiocrates et libéraux français
La physiocratie (« gouvernement par la nature ») domine le débat économique en France
dans les années 60 et au début des années 70.
Sous la Régence, en 1719-20, « l’expérience de Law » a rendu la France particulièrement
méfiante envers le libéralisme à l’anglaise. Écossais, John Law un de ces « hommes à
projets » qui parcourent l’Europe pour vendre à prix d’or une de leurs idées « de génie » a
réussi à convaincre en 1718 le Régent Philippe d’Orléans d’autoriser l’émission de papiermonnaie par la Banque Royale, afin d’accroître les quantités monétaires en circulation en
vue notamment de soutenir les compagnies de commerce colonial.
A tout moment, le détenteur de ce papier-monnaie peut venir se faire rembourser ses billets
en monnaie métallique. Le système repose donc sur la confiance, puisque que le stock
métallique est loin de représenter l’équivalent monétaire des billets en circulation. Une
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rumeur de dépréciation du papier-monnaie - lancée par des spéculateurs ennemis de Law provoque la panique : une bonne partie des détenteurs de papier-monnaie se présentent en
même temps afin de se faire rembourser, ce qui est impossible. Le papier-monnaie se
dévalue rapidement et certains, ruinés se suicident. Des émeutes ont lieu et John Law, qui
avait été nommé contrôleur général des Finances, doit quitter le pays. [=> Il faudra attendre
1776 pour que soit créée à Paris, à l’initiative du banquier suisse Isaac Panchaud, la « Caisse
d’Escompte » qui permettra aux particuliers fortunés de prêter de l’argent à l’Etat]
Un demi-siècle plus tard, les Physiocrates présentent le libéralisme comme le système
économique le plus « naturel ». « Il faut laisser faire, et laisser passer » aurait dit l’un d’eux,
le négociant Vincent de Gournay, c’est-à-dire supprimer tous les obstacles à la libre
entreprise et abaisser les droits de douane.
Pour les Physiocrates (le médecin François Quesnay, l’abbé Baudeau, le futur ministre
Turgot) il suffit de laisser faire la nature, qui rétablit spontanément les équilibres rompus :
si un produit devient rare (comme le blé lors d’une famine) son prix augmente ; cela attire
les vendeurs et augmente d’autant l’offre, d’où une diminution du prix [cette « loi de l’offre
et de la demande » sera formulée au XIXe siècle). Intervenir est
donc contre-productif.
Très influent, Quesnay écrira les articles « Blés » et « Pain » dans
l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
François Quesnay
Toutefois, les Physiocrates voient l'agriculture comme la seule activité « productive »,
artisanat et industrie ne faisant que transformer ses produits et ceux de la nature. Afin de
motiver les producteurs, ils plaident pour des prix agricoles élevés. Or, le prix du pain est
alors une variable économique (et sociale) de première importance. Il représente une part
importante du budget dans les milieux populaires et, en cas de mauvaise récolte, la hausse
du prix des céréales met en danger la survie même des plus faibles. Les États ont donc pris
pour habitude dans ces circonstances de « taxer » (fixer autoritairement) le prix des blés, et
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de contrôler les greniers où les propriétaires stockent le blé, les obligeant parfois à vendre
au prix fixé. Pour les Physiocrates, mieux vaudrait laisser faire la loi du marché.
- Turgot et la guerre des Farines
Brillant intendant dans la région de Limoges, Jacques Turgot (172781) est nommé contrôleur général des Finances en 1774, à
l’avènement de Louis XVI. En 1775-76, il tente de mettre en
pratique les théories physiocratiques après une mauvaise récolte.
Mais l’état des transports ne permet pas de combler rapidement
les manques d’une région à l’autre, et les producteurs de blé
attendent pour vendre que le prix des blés soit le plus élevé
possible.
Turgot
La « guerre des Farines » est fatale à Turgot, victime également d’une cabale à la cour et qui
est renvoyé par Louis XVI en 1776.
Il a également lutté contre le monopole sclérosant des corporations et en faveur de la liberté
d’entreprise.
4. L'évolution des économies européennes
- Le colbertisme
Fils d’un drapier de Reims, Jean-Baptiste Colbert (†1683) dirige l’économie française sous
Louis XIV à partir de 1661.
Surtout
synonyme
d’interventionnisme
étatique
(Colbert
crée
de
nombreuses
manufactures et compagnies commerciales), le « colbertisme » a également une facette
libérale :
- en 1666, il réduit le nombre de jours chômés : les impératifs de l’économie passent avant
le respect des prescriptions religieuses.
- en 1669, il met un frein à la création de couvents, dont la population participe peu à
l’économie et n’engendre pas d’enfants, privant le pays de bras et l’armée de soldats
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- en 1681 commence la répression de la mendicité par la généralisation des « hôpitaux
généraux » (voir ci-dessus)
- en 1681 les exceptions à la dérogeance sont coulées en forme de loi afin d’inciter les
nobles à investir dans les industries verre, de la métallurgie et dans les mines. Le succès est
cependant très relatif : un siècle plus tard, seul un peu plus de 1% des nobles aura osé
investir dans l'économie et les affaires. Le mépris pour la « marchandise » se double sans
doute ici d’une méfiance envers l’État, particulièrement avide sous Louis XIV en raison des
guerres et de la politique de prestige, et donc toujours capable de reprendre par l’impôt une
partie des gains éventuellement réalisés.
- La question du prêt à intérêt
En 1671, Colbert tente avec l’accord du roi de mettre en place, dans les grandes villes
commerçantes et dans les ports des sociétés de crédit par l’intermédiaire de «négociants de
prêts». Cette tentative n'a que peu de succès car peu de volontaires se présentent : on se
méfie en effet d'un État qui crée de régulièrement nouvelles taxes.
Dans les pays protestants, banques et sociétés de crédit prospèrent au contraire ce qui
permet notamment à l'Angleterre et aux Provinces-Unies de financer leur essor économique
et commercial.
Autre forme de crédit, le papier-monnaie est introduit en Suède en 1661, en Angleterre en
1694.
- Le grand commerce colonial
Il est assuré par des compagnies, le plus souvent privées, installées dans les grandes villes
portuaires de l'Atlantique et plus accessoirement de la Méditerranée. Un milieu européen
du grand commerce international se constitue, disposant de succursales dans plusieurs pays.
Ainsi Bordeaux abrite-t-il des négociants de plusieurs nationalités, Portugais et Allemands
notamment.
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- Les colonies
Une politique de peuplement se met en place dans la plupart des colonies. A la fin du XVIIe
siècle, la Louisiane française comptabilise environ 15.000 colons, mais les colonies anglaises
d’Amérique en comptent déjà 400 000.
Si la France est le plus grand et le plus puissant des pays européens aux XVIIe et XVIIIe siècles,
Louis XIV a considérablement déforcé son économie en révoquant l’Édit de Nantes en 1598.
300.000 protestants environ, pour la plupart commerçants ou intellectuels, ont alors quitté
le pays pour s’installer en Angleterre, dans les Provinces-Unies ou en Prusse.
Par contre, les dissidents protestants anglais, ou les catholiques irlandais, persécutés sous
Elisabeth Ière et Jacques Ier, ont en grand nombre émigré en Amérique, où des terres leur
sont attribuées et où ils peuvent plus ou moins librement pratiquer leur culte. Le poids de
l’État anglais est très faible en outre dans les colonies, où les entrepreneurs privés règnent
en maîtres, à la faveur des chartes très libérales accordées par le souverain, tandis que la
Nouvelle-France est plus soumise à l’interventionnisme étatique.
- La révolution agricole en Angleterre
Dans la plupart des pays européens, 80 à 90 % de la main-d’œuvre est employée dans
l'agriculture. En Angleterre, la moitié seulement, car les enclosures et la hausse de la
productivité agricole qui s’en est ensuivie ont libéré une abondante main-d’œuvre
désormais employée dans l’artisanat et l’industrie.
Les rendements céréaliers sont parlants : 3 quintaux à l'hectare en Russie ; 6 quintaux à
l'hectare en France ; plus de 10 quintaux à l'hectare en Angleterre.
- Les débuts de la révolution industrielle en Angleterre
Principalement basée à proximité des gisements de fer et de charbon dans les Midlands et
au Pays de Galles, l’industrie anglaise bénéficie de progrès techniques importants (et d’une
main-d’œuvre bon marché en raison de l’exode rural):
- largement utilisé comme combustible dans l'industrie, le charbon de terre nécessite le
creusement de profondes galeries de mine d’où les eaux infiltrées sont difficiles à évacuer.
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On utilise en général une noria actionnée en surface par des chevaux. La pompe de Thomas
Newcomen (1712), qui fonctionne à la vapeur, est beaucoup plus efficace. Elle sera
également utilisée dans le Nord de la France et en Wallonie à partir de 1726.
- à partir de 1735 la métallurgie anglaise utile le coke, un charbon distillé qui permet
d’atteindre de très hautes températures et de fabriquer de la fonte, un métal extrêmement
solide [procédé connu en Chine depuis le IVe siècle]. La France fait de même, mais en petites
quantités, à partir de 1756.
- obtenu également grâce à l’utilisation du coke, l'acier, qui demeurera longtemps une
spécialité anglaise, est notamment utilisé dans la fabrication du petit outillage de précision
(ciseaux, épingles, rasoirs) et les armes blanches (Wilkinson à Londres en 1772).
- dans le textile, l’invention de la « navette volante » (1733) fait gagner un temps
considérable aux tisserands et diminue les coûts de main-d’œuvre
- dès 1740, en Angleterre, le coton l'emporte en quantité sur la laine
- vers 1750, la première véritable usine (900 ouvriers) est ouverte à Birmingham par
Matthew Boulton, un industriel polyvalent (" je vends tout ce que le monde désire"),
membre de la Royal Society, qui donne par ailleurs à l’Écossais James Watt, qui a
perfectionné la machine à vapeur de Newcomen, les moyens de mettre son invention en
pratique
- l’Angleterre innove en matière commerciale : la fabrication « en série » (les faïences
anglaises sont six fois moins chères que celle fabriquée sur le continent) permet de
distribuer au public un catalogue : c’est le cas chez Boulton, mais aussi chez Wedgwood
pour la porcelaine, ou chez Chippendale, qui donne son nom à un style de meubles.
- le salariat
Les travailleurs de l’industrie anglaise sont des salariés, souvent précarisés. L’individuation
se manifeste ici par la disparition des solidarités villageoises et l’absence ou de corporations.
Un licenciement peut avoir lieu du jour au lendemain, et aucune protection n’est garantie au
chômeur.
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Partout en Europe, filage et tissage à domicile de la laine ou du coton (Verlasgssystem en
allemand ; putting-out en anglais) offrent en hiver aux agriculteurs, liés par un contrat
individuel à un entrepreneur urbain, un revenu complémentaire en hiver
IV - LES LUMIERES ET LE TRIOMPHE DE LA RAISON
En 1784, en réponse à un concours de l’académie de Berlin, le philosophe Immanuel Kant
donne cette définition des Lumières :
Texte 11 « Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même
responsable. L’état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans la
conduite d'un autre. Sapere aude ! [Ose savoir] Aie le courage de te servir de ton propre
entendement ! Voilà la devise des Lumières. »
Cité par Gérard Raulet, Aufklärung. Les lumières allemandes (1995), p. 25
Les Lumières supposent par conséquent une alphabétisation généralisée et l’accession de
tous à l’enseignement, afin que chacun devienne capable de « se faire sa propre idée » et de
ne pas obéir aveuglément aux dogmes, qu’ils soient religieux ou politiques.
1. La conversion des élites au cartésianisme : le primat de l'expérience
Les milieux scientifiques et intellectuels sont devenus pratiquement unanimes à ce propos :
seule l’expérience fait foi.
En 1708, le philosophe et savant Bernard le Bovier de Fontenelle (1657-1757) peut écrire
que « l'Autorité a cessé d'avoir plus de poids que la Raison ». [Par «autorité », il entend ici
le dogmatisme, l’argument d’autorité.]
En 1666, les statuts de l'Académie des sciences fondée par Louis XIV donnent pour consigne
aux académiciens de « bannir tous les préjugés » et de ne s'appuyer que sur l’expérience.
En 1671, la sorcellerie est condamnée par la loi au nom de la rationalité et de l'expérience.
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En 1687, l’Anglais Isaac Newton énonce, après avoir effectué de nombreuses expériences,
le phénomène de l'attraction « universelle » (qui concerne aussi les planètes) :
« Tous les corps matériels s'attirent mutuellement avec une force inversement
proportionnelle au carré de la distance qui les sépare et proportionnelle à leurs masses
respectives ».
En 1690, John Locke publie An Essay upon Human Understanding (Essai sur l'entendement
humain) où il donne une version matérialiste de l’intelligence, qui se construit chez les
individus à partir des sensations physiques.
En 1695-97, le protestant français Pierre Bayle (1647-1706), exilé à Amsterdam, y publie un
Dictionnaire historique et critique où il démystifie les Saintes Ecritures en les confrontant à
la critique philologique, historique et scientifique.
2. Le nouveau statut des sciences
- Les académies
Les académies ne sont pas une création des Temps modernes. D’origine grecque, elles
revivent d’abord en Italie lors de la Renaissance. L'Accademia dei Lincei (Académie des Lynx)
de Rome, société savante composée d’amateurs de culture, d’intellectuels, de poètes,
d’artistes et de scientifiques, se constitue au début du XVIIe siècle (elle recevra notamment
Galilée). Plusieurs dizaines d’académies de ce type naîtront dans les grandes villes italiennes
au cours du siècle, protégées le plus par un souverain ou un prince.
En 1636, Richelieu fonde l'Académie française. Son but est en réalité de mieux contrôler, en
les encadrant dans une structure dépendant du pouvoir, intellectuels et savants français. Le
roi, qui « pensionne » les académiciens, dispose en outre trois représentants officiels au sein
de l’académie. En 1663 Colbert y adjoint l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres,
chargée de composer les devises présentes sur les monuments, les bâtiments officiels et les
monnaies, inscriptions qui chantent la gloire du souverain, puis, en 1666, l’Académie des
Sciences.
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Créée par des savants en 1660, la Royal Society of London for Improving Natural
Knowledge (« Société Royale pour l’amélioration de la connaissance de la nature ») ne
bénéficie qu’ensuite du patronage royal, et le souverain n’y envoie aucun représentant,
hormis à l'occasion de la séance annuelle d'ouverture. Les sociétaires payent une cotisation
et ne reçoivent aucune pension. Ils sont donc totalement indépendants. La Royal Society est
principalement orientée vers les sciences appliquées et le bien qu’elles peuvent procurer à
l’économie du pays.
Des sociétés savantes, dites « académies de province », sont fondées dans de nombreuses
villes françaises au XVIIIe siècle. Certaines se rapprochent de la Royal Society par leur
composition. L’une des plus avancées sur le plan scientifique est celle de Montpellier, où se
trouve l’une des meilleures facultés de médecine d’Europe
Un peu partout en Europe, des académies sont créées au XVIIIe siècle, le plus souvent par les
souverains : en 1710 à Berlin ; en 1724 à Saint-Pétersbourg par Pierre Ier le Grand ; en 1739
à Stockholm, etc.
En 1769 à Bruxelles, capitale des Pays-Bas autrichiens, est créée, à l’initiative de quelques
membres du gouvernement, une « Société littéraire ». En 1772, après avoir vaincu les
réticences du gouvernement de Vienne, elle prend le nom d’académie. A Liège, une
« Société d’Émulation » est fondée en 1779.
Toutes les académies ont des « membres étrangers », des correspondants. Se crée ainsi un
réseau européen de savants et d’intellectuels.
- La médecine
Quelques facultés de médecine (Montpellier, Padoue, Paris, Londres) sont prestigieuses,
mais la médecine demeure assez peu efficace. Dans les grandes villes, des « collèges de
médecins » sont créés par les autorités afin de surveiller la santé publique et de lutter contre
les épidémies. A Anvers et Bruxelles par exemple, c’est le cas dès la première moitié du XVIIe
siècle, à Liège en 1690. Au XVIIIe siècle, les collèges de médecins se généralisent.
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- La vulgarisation des connaissances scientifiques
Une presse spécialisée se crée dans toute l'Europe.
En 1662 apparaissent les Philosophical transactions, bulletin scientifique de la Royal Society.
En 1665 est créé à Paris Le Journal des Savants.
Certains des Philosophes publient également des ouvrages de vulgarisation. Ainsi Emilie du
Châtelet (1796-49) qui traduit, avec l’aide de Voltaire (1693-1778), l’ouvrage de Newton, de
façon à ce qu’il soit compréhensible par un public non scientifique
Denis Diderot (1713-84), qui assiste régulièrement aux séances de l'Académie des sciences,
publie un certain nombre d'ouvrages de physiologie, d'optique, de chimie, et vulgarise les
dernières découvertes dans son Encyclopédie.
Jean-Jacques Rousseau (1712-78) publie des ouvrages de botanique, J.W. von Goethe
(1749-1832) de minéralogie et de zoologie.
Le Suédois Carl von Linné établit en 1753 la classification des plantes, tandis que le comte
de Buffon fait de même pour les espèces animales en 1744.
L’intérêt pour les sciences croît rapidement : de 7% d’ouvrages scientifiques en 1650,
l’édition française passe à 20 % en 1720, puis à 33% en 1780.
3. L'alphabétisation et ses conséquences
Au XVIe siècle, en moyenne un tiers des hommes savent lire (pas nécessairement écrire) et
un cinquième des femmes savent lire. A la fin du XVIIIe siècle, en moyenne ce sont les deux
tiers des hommes et le tiers des femmes (mais moins du quart des individus dans les classes
populaires), pour l’essentiel en milieu urbain.
On mesure la montée progressive du débat politique en France en considérant la hausse
fulgurante du nombre d’ouvrages d’économie politique publiés: 10 au XVIIe siècle ; 35 entre
1710 et 1740 ; 88 entre 1741 et 1750 ; 363 entre 1751 et 1760 ; 829 entre 1781 et 1791.
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4. L'Encyclopédie
Ses 28 volumes in-folio (dont onze, contenant 2.800 planches techniques) sont publiés entre
1751 et 1772.
En 1745, Diderot commence à traduire de l’anglais la Cyclopaedia or An Universal Dictionary
of arts and Sciences (1728) d’Ephraïm Chambers. Constatant qu’en de nombreux domaines,
celle-ci est déjà dépassée par les progrès scientifiques et techniques, il décidé d’éditer plutôt
une toute nouvelle encyclopédie, en collaboration avec le savant Jean Le Rond d’Alembert
(1717-83) qui sera plus tard secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.
Dans le préambule de l’ouvrage, d’Alembert écrit :
« L'ouvrage dont nous donnons aujourd'hui le premier volume, a deux objets : comme
Encyclopédie, il doit exposer autant qu'il est possible, l'ordre et l'enchaînement des
connaissances humaines : comme dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers,
il doit contenir sur chaque science et sur chaque Art, soit libéral, soit méchanique, les
principes généraux qui en sont la base, et les détails les plus essentiels, qui en font le corps et
la substance. »
Près de 130 auteurs collaborent à l’Encyclopédie, le chevalier Louis de Jaucourt (1704-79)
écrivant à lui seul plus de 17.000 des 60.000 articles. Diderot lui-même en fournira près de
5.000. L’ouvrage, au coût élevé, est d’abord tiré a 2050 exemplaires. On en diffusera
finalement près de 4.000.
Après la parution des sept premiers volumes, entre 1751 et 1757, l’entreprise est
interrompue jusqu'en 1761, en raison de sa mise à l'Index. Responsable de la censure
royale, mais ami des Philosophes, Malesherbes propose alors à Diderot de mettre ses
manuscrits en lieu sûr, chez lui où on ne songera pas à les chercher. En 1762, l’édition
reprend.
Tous les articles de l’Encyclopédie ne sont pas des brûlots révolutionnaires. Diderot (qui
assume seul la direction à partir de 1757) a eu l’intelligence d’éviter les provocations en
« cachant » dans des articles en apparence anodins les affirmations les plus « scandaleuses »
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tandis que les articles les plus susceptibles d’attirer l’œil des censeurs (« Bible », « Église »,
« Roi », etc.) sont relativement modérés.
5. Quelques découvertes scientifiques décisives
Entre 1660 et 1670, le microscope est perfectionné par le Hollandais Antoni van
Leeuwenhoek qui découvre notamment les spermatozoïdes, tandis que Newton
perfectionne le télescope.
Entre 1724 et 1742 : on perfectionne le thermomètre (Réaumur en France, Fahrenheit en
Allemagne, Celsius en Suède).
Vers 1730 les Français Maupertuis, en Laponie, et La Condamine, au Pérou, mesurent les
Méridiens et constatent un aplatissement des pôles ce qui renverse la thèse jusqu’alors
admise d’une terre de forme ovale.
En 1770-1780, l’Anglais Henry Cavendish et le Français Antoine Lavoisier procèdent à
l’analyse chimique de l'air et de l'eau et étudient le phénomène de la respiration.
Vers 1780, on tente d’exploiter les phénomènes électriques. Le « baquet de Messmer » a
beaucoup de succès dans les salons parisiens où l’on s’amuse à pratiquer un magnétisme
que le médecin autrichien Franz-Anton Messmer prescrit pour « rétablir l’équilibre
des fluides » dans le corps des malades [=> en 1800, l’Italien Alessandro Volta inventera la
première « pile » permettant de stocker l’électricité].
6. Le progrès des conditions de vie : hygiène, santé, démographie, confort
Ces progrès ne profitent d’abord qu’aux couches les plus aisées de la population.
- L'hygiène
- utilisation des sous-vêtements
- utilisation des couverts. On ne mange plus avec les mains ce qui limite les risques de
contamination
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- absorption de boissons fermentées ou bouillies (thés) plutôt que d’eau, très souvent
impure
- La santé
On découvre deux protections contre la variole, maladie parfois mortelle :
- l’inoculation, importée de Turquie en Angleterre vers 1725 par lady Montagu, épouse de
l’ambassadeur anglais à Istanbul, consiste à injecter à un sujet sain du pus prélevé sur un
malade, ce qui provoque la formlation d’anticorps (ce qu’on ne sait pas alors, c’est une
pratique purement pragmatique). Cette technique répand sur le continent dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle.
- la vaccination, mise au point entre 1776 et 1796 par le médecin écossais Charles Jenner,
qui a constaté que les personnes travaillant au contact des bovins ne contractent pas la
maladie. Il a l’idée d’injecter à des sujets sains la « vaccine » (cow pox), une maladie du pis
de la vache, qui les protège en effet de la variole.[=> Ce procédé sera diffusé au XIXe siècle]la
démographie
Au cours du XVIIIe siècle, l’Europe occidentale passe d’environ 92 millions d'habitants à
environ 145 millions.
Cependant, il y a des disparités: l'Angleterre connaît une progression de 65 %, notamment
en raison de l'augmentation des rendements agricoles et des progrès de la médecine. Sa
population passe de 5 à 8,5 millions d'habitants. La population française croît de 32%,
passant de 22 à 29 millions d'habitants.
- le confort
L'Angleterre et les Provinces-Unies connaissent un urbanisme très moderne, géométrique et
aéré. En 1666, le « Grand Incendie » de Londres (un tiers des bâtiments a brûlé) a provoqué
une limitation drastique de l’utilisation du bois dans les nouvelles constructions.
La fonte pénètre largement dans les foyers : poêles, fourneaux, garnitures de cheminée, et
balcons notamment. Le charbon de terre (dont le prix a été divisé par deux grâce à
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l’amélioration de l’exhaure des eaux et à la construction de canaux pour le transport)
remplace de plus en plus le bois comme combustible de chauffage.
Construite en 1761, la maison de l’industriel Matthew Boulton à Soho (Birmingham) est à la
pointe du progrès : water-closets et eau chaude et froide à tous les étages ; chauffage à air
pulsé à travers les murs et les escaliers en fonte. A la même époque, dans ses Mémoires la
sœur du roi de Prusse Frédéric II, Wilhelmine, se plaint du froid des couloirs et du confort
rudimentaire des chambres de son château de Bayreuth : désormais, les bourgeois aisés
vivent dans de meilleures conditions que nombre d’aristocrates.
7. Le débat sur le progrès
Le progrès matériel suscite certaines réticences. Si Fontenelle ou Voltaire par exemple, en
sont de fervents partisans, Jean-Jacques Rousseau s'y oppose avec fracas.
Texte 12 « Nos âmes se sont corrompues à mesure que les sciences et les arts se sont avancés à la
perfection. Dira-t-on que c'est un malheur particulier à notre âge ? Non, Messieurs ; les maux
causés par notre vaine curiosité sont aussi vieux que le monde. (...) On ne peut réfléchir sur
les mœurs, qu'on ne se plaise à se rappeler l'image de la simplicité des premiers temps. C'est
un beau rivage, paré des seules mains de la nature, vers lequel on tourne incessamment les
yeux. »
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts (1750)
Il y a là une espèce de nostalgie poétique d’un passé idéalisé dont Rousseau sera le porteparole, jusqu'à la fin de sa vie. Ayant envoyé à Voltaire un exemplaire de son discours, celuici lui répond ironiquement : " il me prend envie de marcher à quatre pattes en vous lisant,
mais j'en ai passé l'âge...". L’année suivante, Voltaire consacre un opuscule à cette
question :
Texte 13 « Dieu merci ! J'ai brûlé tous mes livres, me dit hier Timon.
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- Quoi ! Tous sans exception ? (...)
- J'ai tout brûlé, répliqua-t-il : ce sont des corrupteurs du genre humain. (...) Les sciences sont
le plus horrible fléau de la terre. Sans elles, nous aurions toujours eu l'âge d'or. (...) Il est clair
qu'il n'y a que les Iroquois qui soient gens de bien : encore faut-il qu'ils soient loin de Québec,
où je soupçonne que les damnables sciences de l'Europe se sont introduites. (...) Vous
conviendrez (...) que l'industrie (ici : dans le sens d'activité, travail) donne à l'homme de
nouveaux besoins. Ces besoins allument les passions, et les passions font commettre des
crimes. (...)
- Vous pensez donc, lui dis-je, qu'Attila, Genséric, Odoacre [respectivement rois des Huns, des
Vandales et des Hérules qui envahirent l'Europe au Ve siècle] et leurs pareils, avaient étudié
longtemps dans les universités ?
- Je n'en doute nullement, me dit-il, et je suis persuadé qu'ils ont beaucoup écrit en vers et en
prose; sans cela auraient-ils détruit une partie du genre humain ? (...) Ce n'est qu'à force
d'esprit et de culture que l'on peut devenir méchant. Vivent les sots pour être honnêtes gens !
(...) Je le laissai dire. Nous partîmes pour aller souper à la campagne. Il maudissait en chemin
la barbarie des arts, et je lisais Horace. Au coin d'un bois, nous fûmes rencontrés par des
voleurs, et dépouillés de tout impitoyablement. Je demandai à ces Messieurs dans quelle
université ils avaient étudié. Ils m'avouèrent qu'aucun d'eux n'avait jamais appris à lire. »
Voltaire, Sur le paradoxe que les sciences ont nui aux mœurs (1751)
8. L'anticolonialisme
En 1704 le Français La Hontan, qui a vécu dix ans en Nouvelle-France publie ses Dialogues
avec un sauvage, où ce dernier est vu sous un jour plus favorable que les Européens. Ce
thème du « bon sauvage » annonce clairement les idées qui seront défendues plus tard par
Jean-Jacques Rousseau.
Le débat sur le « commerce triangulaire » est vif également. Il s’agit du transport en Afrique
(région du golfe de Guinée) de produits européens de faible qualité qu’on y échange contre
des esclaves (capturés par les Européens ou par les populations de la côte), lesquels sont
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ensuite emmenés en Amérique afin d’y travailler sur des plantations dont les produits sont
ensuite apportés en Europe.
Aidé par Diderot, l'abbé Raynal Guillaume-Thomas Raynal publie dans les années 1770 trois
éditions successivement augmentées de son Histoire de l’ Établissement et du commerce
des Européens dans les deux Indes [les Indes « occidentales désignant l’Amérique].
Compilation de nombreux récits de voyages, l’Histoire des deux Indes est truffée de
nombreux commentaires anticolonialistes, en grande partie dus à Diderot, et dont le
nombre et la virulence augmentent au fil des éditions.
Une autre forme d’anticolonialisme, moins humaniste, est celle des Physiocrates pour
lesquels envoyer des colons outre-mer pour cultiver des produits « de luxe » est une erreur
et prive de nombreux bras l’agriculture européenne.
V - L'AVENEMENT DE L'INDIVIDU
La promotion d’un individu faisant librement ses choix dans tous les domaines est, depuis
le XVIIIe siècle, une caractéristique de la civilisation occidentale.
1. Une nouvelle sociabilité
- les sociabilités « restreintes »
Dans la société d’ancien régime, les relations entre les individus sont fortement
conditionnées par leur appartenance à un milieu social et à une religion. A contrario les
sociabilités dites « restreintes », qui se développent particulièrement au XVIIIe siècle, sont
librement choisies, et transcendent les clivages sociaux traditionnels..
Les collèges d'enseignement secondaire (l’enseignement n’est pas encore obligatoire)
regroupent fils de bourgeois et d’aristocrates. Des affinités personnelles s’y créent.
Pour les jeunes filles, les couvents et quelques pensionnats jouent le même rôle, et
augmentent un niveau d’éducation que l’ouverture, dans la seconde moitié du XVIIe siècle,
de nombreux « salons » dans les grandes villes leur permet de mettre en valeur. Les
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fréquent « mariages d’argent » rendent en effet mari et femme assez indépendants l’un de
l’autre et les femmes disposent donc d’une certaine liberté pour recevoir. A Paris, au XVIIIe
siècle, les salons de Mme du Deffand ou de Mme Geoffrin, où se pressent hommes d’affaires,
savants et écrivains, sont eu centre de la vie mondaine et intellectuelle.
En Angleterre, à partir de la fin du XVIIe siècle, les clubs, exclusivement masculins, se
réunissent généralement dans des tavernes. On y parle surtout politique et littérature. Sur le
continent, les cafés littéraires tel, à Paris, le Procope, ont également un certain succès.
A partir de 1725 environ, des soirées musicales privées sont organisées dans de nombreuses
grandes villes européennes
Autre forme de libre sociabilité, la franc-maçonnerie est créée en 1717 en Grande-Bretagne.
Elle se répand sur le continent au cours des deux ou trois décennies qui suivent. Vers 1740, il
y a des loges maçonniques dans tous les pays européens. Il y en aura aussi assez rapidement
dans les colonies anglaises d’Amérique. Société initiatique et discrète, aux objectifs
philanthropiques, la franc-maçonnerie est exclusivement masculine. Issus de classes
sociales variées, les frères se côtoient en loge dans la plus stricte égalité et on y pratique la
tolérance en matière de convictions religieuses.
2. La recherche du bonheur individuel
Pour John Locke « le bonheur est le but que chaque homme vise constamment ». Comme
chacun a sa propre conception du bonheur, la société doit faire en sorte que chacun puisse
trouver le chemin vers son propre bonheur.
La lecture individuelle, silencieuse, est en croissance : on lit de moins en moins à haute voix
pour d’autres personnes.
Les journaux intimes sont de plus en plus nombreux au XVIIIe siècle. Les Confessions de
Jean-Jacques Rousseau constituent la première autobiographie intime.
La reconnaissance des droits d'auteur est un fait acquis en Angleterre en 1735. [=> en
France, Beaumarchais fonde en 1777 la Société des auteurs, mais la loi ne sera votée qu’en
1793]
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La comparaison entre le destin des trois plus grands musiciens de cette époque Haydn,
Mozart et Beethoven est un bon exemple des progrès de l’individuation. Musicien « de
cour », Joseph Haydn (1732-1809) est au service de la famille hongroise Esterházy. Il n'a
pratiquement pas eu de congé pendant les trente premières années de sa carrière. W.A.
Mozart (1756-91) commence sa carrière au service de l’archevêque de Salzbourg, mais s’en
libère pour vivre de façon relativement, non sans dépendre encore en grande partie des
commandes et des recettes de ses concerts. [=> L. van Beethoven (1770-1827) compose
plus souvent en fonction de son inspiration et est subsidié à plusieurs reprises par des
mécènes].
- Le maintien des contraintes collectives et le règne de la réputation
Jusqu’au XIXe siècle, dans les classes populaires, les contraintes collectives (notamment la
dépendance intergénérationnelle) demeurent la règle.
Parmi ces contraintes le règne de la réputation. Le « charivari » est ce cortège moqueur qui
se promène sous les fenêtres des jeunes filles un peu trop légères ou « mal mariées » (avec
un homme plus âgé, qui les enlève de la sorte aux jeunes gens). La société fait ainsi savoir à
certains individus que leur comportement n'est pas admis, pas conforme aux règles sociales.
Ce contrôle social demeure très présent, surtout dans les campagnes où tout le monde se
connaît.
VI - LE COMBAT POUR LA TOLERANCE
1. Gallicanisme et césaropapisme
En France, comme dans les pays catholiques en général, l’opposition entre Église gallicane
(ou nationale) et « ultramontanisme » (obéissance au pape de Rome) est vive. En 1682,
Louis XIV réaffirme :
- l'indépendance de l’Église de France (qui lui est soumise) en matière temporelle
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- les décisions doctrinales de Rome n'ont pas de valeur en France tant qu’elles ne sont pas
validées « par l'Église de France » (en fait par le souverain lui-même)
- la supériorité du concile sur le pape
- la dissolution de la Compagnie de Jésus.
Les Jésuites ont joué un grand rôle dans la colonisation espagnole et portugaise. Ils ont
acquis d'immenses domaines, (notamment au Paraguay en Amérique du Sud) où ils traitent
les indigènes de façon plus humaine que les colons, les faisant travailler sans contrainte, en
les éduquant et en les christianisant. Gênés par cette concurrence, agacés aussi par la
fidélité inconditionnelle des Jésuites envers le pape, plusieurs souverains catholiques
cherchent à détruire la Compagnie. Au Portugal, en 1759, le marquis de Pombal, premier
ministre anticlérical, les fait expulser pour complot contre l’État et malversations.
La France suit en 1764, puis l'Espagne en 1767, la Toscane, alors autrichienne, en 1768, et
sur la pression des souverains et des ordres rivaux des Jésuites au sein de l’Église, le pape
finit par supprimer, en 1773, la Compagnie de Jésus [=> elle sera restaurée au début du XIXe
siècle].
A noter que Frédéric II, roi de Prusse et en principe protestant (en réalité il est agnostique),
se fait un plaisir de se montrer plus tolérant envers les Jésuites que ses homologues
catholiques. Après la suppression, il fait savoir qu’il accueillera volontiers les Jésuites
défroqués comme professeurs dans ses collèges, à condition qu’ils n’y fassent pas de
propagande catholique.
2. La question de l'intolérance en France sous Louis XIV et Louis XV
- La Révocation de l'Édit de Nantes
Elle n’arrive pas comme un coup de tonnerre : 587 temples protestants sont fermés ou
détruits entre 1630 et 1685. Et depuis 1681, les Cévennes (au sud-est du Massif central)
sont le théâtre des « dragonnades » : des régiments à cheval, les dragons, harcèlent les
protestants pour les pousser à se convertir.
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En 1685, Louis XIV révoque l'Édit de Nantes (voir ci-dessus), influencé notamment par son
principal conseiller en matière ecclésiastique, Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704),
précepteur du Dauphin et évêque de Meaux. Pour celui-ci :
Texte 14 « L’hérétique est celui qui a une opinion, et c'est ce que ce mot signifie [en grec, c'est « celui
qui fait un choix »] : suivre sa propre pensée et son sentiment particulier. Mais le catholique
est catholique, c'est-à-dire qu'il est universel ; et sans avoir de sentiment particulier, il suit
sans hésiter celui de l’Église. »
Bossuet, Première instruction pastorale sur les promesses de l'église (1700)
L'Église a reçu de Dieu la vérité. « Faire un choix » en matière de foi est donc inconcevable.
Les protestants n'ont dès lors plus le droit de pratiquer leur culte en France, ni même de se
proclamer protestants. Il ne leur reste le choix qu’entre la conversion, une condamnation
aux galères, ou l’exil, solution que près de 300.000 d’entre eux choisissent, s’installant pour
la plupart en Angleterre, en Prusse ou dans les Provinces-Unies. On les appellera, eux et
leurs descendants, les gens du Refuge ». A la fin du XVIIIe siècle, 20. 000 protestants
d’origine française habitent Berlin où ils forment une véritable communauté.
Pour ceux restés en France, la situation est parfois dramatique : ainsi, en Ardèche, Marie
Durand, dont les parents sont déjà emprisonnés pour avoir hébergé une assemblée de
protestants, est-elle arrêtée à l’âge de dix-huit-ans, en 1730. Egalement arrêté, son mari sera
pendu. Elle passera 38 ans en prison sans voir renié sa foi.
- le jansénisme et la bulle Unigenitus
Le jansénisme (voir ci-dessus) s'est répandu en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et surtout en
France. Au début du XVIIIe siècle, le couvent de Port-Royal à Paris et l’abbaye de Port-Royal–
des-Champs sont des foyers de résistance à l’absolutisme monarchique et à l’Église de
France, dont on critique la soumission au pouvoir politique et la « corruption ». En 1711,
Louis XIV fait disperser ces communautés et raser Port-Royal–des-Champs.
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En 1713 Louis XIV obtient du pape la bulle Unigenitus qui condamne le jansénisme à travers
des propositions « hérétiques » figurant dans l'ouvrage du janséniste français Pasquier
Quesnel.
Or, les jansénistes contestent la présence de ces propositions dans le livre de Quesnel.
Pour faire cesser les troubles, Louis XV fait en 1730 de la bulle Unigenitus une loi de l'État.
Cela ne calme pas les jansénistes, nombreux notamment dans les milieux « parlementaires »
depuis toujours adversaires de la monarchie absolue (voir la Fronde, ci-dessus). Très
remuants, ceux-ci seront à plusieurs reprises renvoyés sous Louis XV, et les parlements
suspendus.
- Voltaire et les affaires Calas et La Barre
En 1761, à Toulouse un protestant nommé Jean Calas est accusé d'avoir tué son fils, âgé
d'une vingtaine d'années, parce qu'il s'était converti au catholicisme. Or, l'enquête démontre
que celui-ci s'est pendu pour des raisons inconnues, et que son père, âgé n’aurait pu faire le
geste dont on l’accuse. Traduit en justice, il est accusé d'homicide et de pratique clandestine
de sa religion par des voisins catholiques. Condamné à mort, il est écartelé.
Bouleversé par cette affaire, Voltaire reçoit chez lui à Ferney (seigneurie française, aux
portes de Genève) la veuve et les enfants de Calas. A coup de pamphlets et de contreenquêtes, il démontrera l’innocence de Jean Calas dont il obtient en 1765, il obtient la
réhabilitation. Cette véritable « campagne de presse » est une des premières du genre et
Voltaire est demeuré le modèle des « intellectuels engagés ».
Une nuit de 1766, à Abbeville en Normandie, un crucifix qui se trouve sur un pont est
« vandalisé » : il y a donc profanation et sacrilège, des crimes très graves. Or, un jeune
homme, le chevalier de La Barre est dénoncé pour ne pas ne s’être décoiffé au passage
d’une procession (les passants doivent s’agenouiller spontanément dans la rue en ce cas).
Arrêté, on découvre chez lui des ouvrages mis à l'Index, de Voltaire notamment, ce qui le
rend hautement suspect. Comme Calas, il est condamné à mort, supplicié (poing tranché,
langue arrachée) et brûlé vif malgré les interventions de Voltaire et d'autres personnalités (il
semble qu’il ait été décapité afin d’abréger ses souffrances). Le combat mené par Voltaire
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pour sa réhabilitation n’aboutira pas car un « athée » ne peut être pardonné [=> La Barre
ne sera réhabilité que sous la Révolution française].
3. Plaidoyers pour la tolérance
- Spinoza (1632-1677)
Baruch Spinoza est issu d'une famille juive portugaise installée
dans les Provinces-Unies. Dans son
Tractatus theologico-
politicus (1670) il défend la liberté de conscience comme un
droit naturel.
- Pierre Bayle (1647-1706)
C’est un protestant « du Refuge », installé dans les ProvincesUnies. Dans son Dictionnaire historique et critique il plaide pour
la tolérance, la vérité étant incertaine en matière religieuse.
- John Locke (1632-1704)
Dans ses Letters Concerning Toleration (Lettres sur la tolérance
1689-92) John Locke justifie la tolérance par pragmatisme : elle
favorise la vie en société. Compte tenu de toutes les violences
auxquelles a mené l'intolérance, la religion devrait être reléguée
dans le domaine privé. Le spirituel doit être séparé du
temporel.
- Voltaire (1693-1778)
Protégé par sa fortune (fils du notaire Arouet, il a su gérer et
placer son argent), installé à Ferney, d’où il peut facilement se
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réfugier en Suisse en cas de danger, Voltaire n’hésite pas à s’engager ouvertement dans le
débat politique et philosophique, même s’il publie aussi de nombreux ouvrages et
opuscules anonymes ou sous pseudonymes. En 1763 le Traité sur la tolérance.
Déiste et anticlérical, il estime que chaque individu doit simplement rendre en son for
intérieur un culte au Créateur. Mais, en l’absence d'éducation obligatoire, cela doit être
réservé à une élite, car le peuple a besoin de la religion pour avoir une morale, garante de
l'ordre social.
Le château de Ferney
- Denis Diderot (1783).
Diderot, est le seul des Philosophes qui soit devenu athée,
après avoir été agnostique. Toutefois, cette évolution
spirituelle n'a été connue qu’après sa mort, car il n’a pas
publié de son vivant ses œuvres les plus sulfureuses, par
peur de la prison. Pour lui, la raison et la science suffisent à
expliquer les phénomènes naturels. Il n’est donc pas besoin
pour cela de faire intervenir une puissance supérieure.
Diderot par Louis-Michel Van Loo(1767)
- le curé Meslier
Curé d'un petit village des Ardennes françaises, Jean Meslier (1664-1729) tient un journal
intime qui ne sera découvert qu'après sa mort. Il y avoue être devenu athée, et regretter de
tromper ses paroissiens en leur enseignant la religion. Annonciateur de la Révolution
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française, Il rêve, écrit-il, de « pendre le dernier noble avec les boyaux du dernier prêtre ».
Voltaire ayant eu en main une copie du « Testament » de Meslier le publie en 1768, mais
censurant les passages où Meslier évoque son athéisme, il en fait un déiste, comme lui.
VII - MONARCHIE ABSOLUE, DESPOTISME ECLAIRE ET REGIME PARLEMENTAIRE
1. L'absolutisme louis-quatorzien
Louis XIV gouverne en monarque absolu de 1661 à 1715. Dans un texte destiné à son
successeur il explique sa conception du métier de roi :
« Ce qui distingue les princes qui sont véritablement
rois, c'est qu'une passion maîtresse et dominante,
qui est celle de leur intérêt, de leur grandeur et de
leur gloire, étouffe toutes les autres en eux. » Et plus
loin : « Tous les yeux sont attachés sur lui seul ; c'est
à lui seul que s'adressent tous les vœux, lui seul
reçoit tous les respects, lui seul est l'objet de toutes
les espérances ; on ne poursuit, on n'attend, on ne
fait rien que par lui seul (...) : Tout le reste est
rampant, tout le reste est impuissant, tout le reste
est stérilité ».
Il a considérablement modernisé la France.
- Du point de vue administratif :
- il s’entoure de quatre conseils de gouvernement spécialisés
- les intendants « de justice, police et finances » sont envoyés dans toutes les provinces
- les parlements sont mis au pas : le parlement de Paris doit enregistrer les édits du roi
avant de faire éventuellement des « remontrances »
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- du point de vue législatif, on progresse vers l’uniformisation de la législation dans
l’ensemble du royaume [=> la Révolution française achèvera cette uniformisation].
- du point de vue militaire, une armée permanente de 200 à 300. 000 hommes est
constituée. La France acquiert l'Alsace et de la Franche-Comté à l'est, et la frontière nord
actuelle est à peu près établie [seuls la Savoie et le comté de Nice viendront s’ajouter à la
carte de France, en 1860]
- « L'Europe française »
Le prestige du roi et de sa cour de Versailles est immense. La langue française est parlée par
toute l’aristocratie européenne jusqu’à la fin de l’ancien régime. La seule vraie rivale de la
France est l’Angleterre, dont la puissance économique l’emportera au XIXe siècle et qui
propose un autre type de culture, plus démocratique et moins centré sur le monarque et sa
cour.
2. Le déclin espagnol
Le déclin entamé dans la deuxième moitié du XVIIe siècle s'accentue dans les premières
décennies du XVIIIe siècle : économie sclérosée, défaites militaires et une dynastie qui se
termine avec Charles II, souverain à la santé fragile, mort sans héritier en 1700.
La guerre de succession d'Espagne (1700-1713) permet à Louis XIV d’imposer sur le trône
espagnol son petit-fils, Philippe V qui inaugure la dynastie des Bourbon.
Mais l’Espagne perd successivement, au profit de l’Autriche, les riches régions des Pays-Bas
(1713) et de la Lombardie (1725).
3. Le despotisme éclairé
Diderot a inventé cette expression, à première vue contradictoire.
Les « despotes éclairés » s’inspirent de Louis XIV pour ce qui est des méthodes
« despotiques » ou autocratiques de gouvernement : ils décident seuls et de tout. Ils se
veulent rationnels et efficaces.
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« Éclairés » cependant par la philosophie des Lumières, fréquentant même parfois les
Philosophes (voir-ci-dessous), ils s’en inspirent en matière de tolérance religieuse, et en
donnant pour but à leur action politique le bonheur de leurs concitoyens.
Ce type de régime, qui se développe entre 1740 et la Révolution française ne concerne ni la
France (absolutiste), ni l'Angleterre (parlementariste), ni les Provinces-Unies (républicaines).
Prusse, Autriche et Russie sont les trois principales monarchies « éclairées », même si des
expériences similaires ont lieu, par exemple, dans diverses principautés italiennes (Toscane,
Parme, royaume de Naples), en Espagne sous Charles III (1759-88), ou en Suède sous
Gustave III (1771-92).
- La Prusse de Frédéric II
Frédéric II (1740-86) est à la fois un grand soldat et un
despote éclairé. Le bien de ses sujets est pour lui
conditionné par la grandeur de l’Etat et la puissance de son
armée. De bonnes rentrées fiscales sont essentielles pour
cela. Il faut donc promouvoir l’économie, notamment à
travers un progrès de l'éducation, mais aussi comme c’était
le cas sous le règne de son père Frédéric-Guillaume, par
l’appel à une main-d’œuvre étrangère (un tiers des habitants
de Berlin étaient des réfugiés Huguenots français à la fin du XVIIe siècle).
Admirateur de Voltaire, alors surtout connu comme poète et tragédien, il entre en
correspondance avec lui dans les années 1730, alors qu’il n’est encore que prince de Prusse.
En juillet 1750, il le fait venir à Berlin (châteaux de Potsdam et de Sans-Souci), où il aime à
s’entourer de Philosophes français (Maupertuis, La Mettrie, plus tard d’Alembert) dont il
parle la langue (il ne connait, en allemand, que le dialecte de Berlin), et où Voltaire restera
jusqu’en mars 1753. Cette relation est cependant biaisée par le fait que le roi voit surtout en
Voltaire, célèbre alors dans toute l’Europe, un faire-valoir (il aurait dit à « on presse l’orange
et puis on jette l’écorce »). Voltaire, qui s’est querellé avec plusieurs personnes à la cour et
se sent de instrumentalisé par le souverain quitte précipitamment Berlin. Frédéric II, qui
craint qu’il ne diffuse certaines de ses poésies d’amateur (il l’avait engagé comme
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« professeur de poésie ») le fait arrêter et assigner à résidence pendant cinq semaines à
Francfort. Ils se réconcilieront plus tard, mais Voltaire ne retournera pas à Berlin.
Déiste comme Voltaire, Frédéric est à la tête d’un royaume protestant qui est devenu
calviniste au début du XVIIIe siècle. Il maintient ce culte, sans y participer. Sa large tolérance
s'étend jusqu’aux catholiques (il accueille les Jésuites supprimés en 1773 ; voir ci-dessus) et
aux Juifs, qui aident respectivement à améliorer l’enseignement et le crédit. Berlin va
d’ailleurs devenir, pour un siècle et demi, une des grandes capitales du judaïsme
intellectuel. Gottold Ephraïm Lessing, qui, en 1779, fait dialoguer un Juif, un chrétien et un
musulman dans sa pièce Nathan le Sage (Nathan der Weise), est un des principaux
représentants de la Haskala, les « Lumières juives ».
Sur le plan économique, le roi fait venir d'un peu partout en Europe 300.000 colons, dont
beaucoup de Hollandais, pour mettre en culture les régions orientales de ses États, aux
confins de la Pologne et de la Russie. Il accorde des privilèges aux industries et développe un
réseau de canaux pour faciliter la circulation des marchandises.
En matière d'éducation, la Prusse est le premier pays où l'école devient obligatoire jusqu'à
l'âge de 13 ans. Dans les pays catholiques, les enfants du peuple apprennent seulement à
lire, à compter, parfois à écrire, le dimanche après la messe.
L’Académie de Berlin, qui a un grand nombre de membres et de correspondants étrangers
devient l'une plus prestigieuses d'Europe.
Le servage est aboli dans les domaines royaux.
En matière de justice, les citoyens sont égaux devant la loi et tous jugés par les mêmes
tribunaux. C’est une rupture avec les pratiques discriminatoires traditionnelles de la justice
d’ancien régime (à chaque catégorie sociale ses privilèges et ses tribunaux).
La torture, qui faisait régulièrement partie des procédures judiciaires, est interdite. Cette
question est débattue partout en Europe depuis la parution, en 1764, d’un ouvrage du
juriste Italien Cesare Beccaria, Dei Delitti e delle pene (« Des délits et des peines »), qui
plaide également contre la peine de mort. Il prône au contraire la mise au travail des
condamnés, afin de réparer le tort commis et de préparer la réinsertion. Il ne s’agit pas
d’abord de punir, mais d’éduquer.
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- La politique de Marie-Thérèse et Joseph II et son application dans les Pays-Bas
autrichiens
Empereurs du Saint Empire, les Habsbourg possèdent en outre, à titre personnel, les « États
héréditaires » : Autriche, Bohème, Hongrie (qui contient la Slovaquie, la Slovénie et la
Croatie actuelles) et, au XVIIIe siècle, les Pays-Bas, la Lombardie et la Toscane (à partir de
1736).
Marie-Thérèse et sa famille
Les armoiries des Habsbourg
Chacun de ces Etats a une administration et une législation séparées, et à Vienne, capitale
des Habsbourg, chacun dépend d’un département particulier du gouvernement.
De 1749 à 1792, Anton-Wenzel prince de Kaunitz est Chancelier de cour et d'État, à la fois le
principal conseiller souverain et le chef du gouvernement. Ses relations avec l’impératrice
Marie-Thérèse (1740-80) sont confiantes même si quelques désaccords ont lieu parfois en
matière de politique ecclésiastique (Kaunitz est anticlérical). Profondément catholique,
Marie-Thérèse estime cependant que l'Église ne doit pas être « un État dans l'État » ni
interférer dans la politique. Sous Joseph II (1780-90) Kaunitz a moins d’influence, le
souverain étant décidé à gouverner seul.
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Sous Marie-Thérèse une politique de centralisation croissante est menée, tandis que le souci
du développement économique est constant, afin de renflouer les caisses de l’Etat et
d’entretenir une armée puissante face à l’ennemi prussien.
Réformatrice mais prudente, elle veille, conseillée par le chancelier Kaunitz, à "ménager ses
peuples", en n’agissant pas manière brutale. Le duché de Milan (la Lombardie), où des
fonctionnaires éclairés comme Beccaria sont au service du pouvoir autrichien, sert
fréquemment de « laboratoire » pour tester des réformes ensuite diffusées ou non dans les
autres États héréditaires.
En 1767, on va ainsi y créer la Giunta economale, sorte de ministère de l'économie. C'est en
Lombardie, en 1769, qu'un certain nombre de couvents contemplatifs vont être pour la
première fois fermés et transformés en école afin de les rendre « utiles ».
Joseph II va approfondir, radicaliser et accélérer cette politique. Il publie plus
d’ordonnances en 10 ans que sa mère en 40 ans. Elles sont d’ailleurs très modernes par leur
présentation brève et précise. Joseph II vise à l’efficacité
et à la rapidité d’exécution.
S’il a lu les Philosophes (dont les idées faisaient plutôt
peur à sa mère par leur impiété) il ne leur prête pas
allégeance. En 1775, de retour de Versailles où il a rendu
visite à sa sœur Marie-Antoinette, il passera non loin de
Ferney, sans s’y arrêter comme cela était prévu.
Dans les Pays-Bas autrichiens, le pouvoir (composé pour
l’essentiel de fonctionnaires locaux, seuls le gouverneur
général,
lié
aux
Habsbourg,
et
le
ministre
plénipotentiaire sont étrangers) veille à assurer le développement économique et donc les
rentrées fiscales.
- en augmentant la population par la formation de sages-femmes, garantie d’une moindre
mortalité infantile.
- en améliorant le réseau routier par des chaussées pavées et en développant le réseau de
canaux.
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- en encourageant l'agriculture, en Flandre notamment, par une politique fiscale favorable
et une modernisation des techniques agricoles.
- en encourageant les industries nouvelles : extraction du charbon, métal, verre, chimie,
porcelaine à Tournai [=> ainsi est préparé l’extraordinaire essor industriel de la future
Belgique, deuxième puissance mondiale après l’Angleterre au XIXe siècle].
La politique ecclésiastique est assez anticléricale et anti-ultramontaine dans les Pays-Bas
autrichiens.
Tout d’abord, l’Université de Louvain est reprise en main. En 1754, Patrice François de
Neny, qui préside par ailleurs le conseil privé pendant un quart de siècle, reçoit le titre de
« commissaire royal » chargé de réformer l’université. L’enseignement de la théologie et du
droit ecclésiastique ne doit pas attenter aux droits du souverain, les disciplines scientifiques
(physique et chimie) sont renforcées et on introduit l’enseignement de l’histoire.
Pour des raisons essentiellement économiques Joseph II (catholique convaincu) est partisan
d’une tolérance affirmée. Il s’agit d’attirer les protestants les plus
actifs et industrieux dans ses États. P.F. de Neny, qui rédige en
1781, pour les Pays-Bas autrichiens une version un peu adoucie
de l’Édit de tolérance en vigueur en Autriche, écrit : « la tolérance
civile […] sans examiner la croyance, ne considère dans l’homme
que le citoyen ». Le spirituel est totalement séparé du temporel.
Seules quelques centaines de familles protestantes vivent alors
dans les Pays-Bas autrichiens (qui comptent 2,5 millions
d’habitants), notamment le long de la frontière française où des
troupes hollandaises stationnent depuis 1715 (Traité de la Barrière). Dans les forts, le culte
protestant est déjà autorisé. L’Édit de Joseph II étend cette tolérance aux villes des Pays-Bas,
où le culte ne pourra toutefois s’exercer que discrètement, dans des maisons particulières
et sans manifestations extérieures, afin de ne pas créer de « scandale ».
- La Russie sous Pierre le Grand et Catherine II
Pierre le Grand et Catherine II n’ont aucun lien de parenté.
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Pierre le Grand (1689-1725) est un souverain autoritaire et violent. Souhaitant moderniser
et « occidentaliser » la Russie, Il voyage en Europe de l'Ouest, notamment en France et
dans les Provinces-Unies. Centralisateur, partisan de l’interventionnisme en économie, il
veut aussi contrôler l'Église orthodoxe. C’est donc un despote éclairé.
Pour symboliser l’occidentalisation de la Russie, Il fait bâtir, de 1703 à 1712, par des dizaines
de milliers d'ouvriers et dans des conditions difficiles et insalubres, une nouvelle capitale au
bord de la mer Baltique : Saint-Pétersbourg.
Catherine II (1762-96) née Sophie d’Anhalt-Zerbst, est d'origine allemande. En 1762, elle
fait éliminer son mari, l’incapable tsar Pierre III, petit-fils de Pierre Ier le Grand.
L’immensité de la Russie et l’énorme puissance des
aristocrates, qui disposent de millions de sujet astreints
au servage, rend sa centralisation et sa modernisation
très difficiles. Comme Frédéric II en Prusse, Catherine II
mène une politique de colonisation agricole (800.000
colons, venant notamment du Saint Empire)
Souveraine éclairée, elle
correspond régulièrement
avec Voltaire et surtout Diderot qui séjourne à SaintPétersbourg d’octobre 1773 à mars 1774, Ils se voient
presque chaque jour et évoquent ensemble les
réformes à faire en Russie. Des commissions se mettent
place pour réfléchir à une refonte de l’administration et
de la justice notamment. Diderot remet à l’impératrice de nombreux rapports en ce sens.
Mais tout cela n’aboutira à rien car l’aristocratie russe freine toute réforme et l’impératrice
ne se décide pas à rompre avec elle.
Elle va développera un peu l'enseignement cependant, mais uniquement dans les grandes
villes de l'ouest du pays.
Convertie à l’orthodoxie à son arrivée dans la famille impériale, Catherine II pratique une
politique de tolérance religieuse, tant des protestants que des catholiques.
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A la fin de son règne, effrayée par la Révolution française, elle reniera les idées des
Philosophes qui ont finalement amené le renversement des trônes et l’anarchie.
Elle achètera cependant la bibliothèque de Voltaire après sa mort, en 1778. Quant à celle de
Diderot elle l’a acquise dès 1765, en échange d’une importante somme « pour doter sa
fille » et d’une pension annuelle. A sa mort, elle la fera transporter à Saint-Pétersbourg [où
elle se trouve toujours, comme celle de Voltaire].
4. Le recul des Ottomans
Les Turcs ont connu leur plus grande avancée en Europe en 1683, lors du second siège de
Vienne, qui échoue comme celui de 1529, cette fois grâce à l’aide apporté à l’empereur par
le roi de Pologne Jean III Sobieski.
Les Ottomans perdent la Hongrie (1680-90) et finissent par signer, en 1718, le Traité de
Passarowitz avec l’Autriche, qui occupe la Croatie et la Serbie, et Venise qui récupère
l’essentiel des possessions perdues le long de la côte dalmate.
5. La monarchie constitutionnelle anglaise
A la mort d’Oliver Cromwell (1658, voir ci-dessus) son fils Richard lui succède, mais n'est pas
très soutenu par l'armée. De plus, le peuple est las de la dictature. Le parlement et l’armée
se décident dès lors à rappeler au pouvoir la dynastie des Stuart.
Les deux fils de Charles Ier (décapité en 1649 ; voir ci-dessus) se sont exilés en France.
Cousins de Louis XIII par leur mère, ils sont secourus financièrement par Louis XIV. A leur
retour en Angleterre, un fort soupçon de catholicisme pèse sur eux [on sait aujourd’hui
qu’ils avaient en effet conclu un accord secret avec le roi de France afin de rétablir le
catholicisme en Angleterre].
Avant de monter sur le trône, Charles II (1660-85) doit prêter serment de conserver la
religion anglicane en Angleterre. S’il se tient à son serment, il favorise cependant l’ascension
d’un certain nombre de catholiques dans l’armée et se livre à une féroce répression contre
les partisans de Cromwell (dont le cadavre est même exhumé et pendu).
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Jacques II (1685 - 1688) est ouvertement catholique et en butte à l’hostilité du parlement et
de la majorité de l’opinion. En 1688, le baptême catholique de son premier fils, le futur
Jacques III, est ressenti comme un provocation.
Pour empêcher tout retour au catholicisme, le Parlement appelle le stadhouder de Hollande,
Guillaume III d'Orange-Nassau (petit-fils de Charles Ier par sa mère) et son épouse et cousine
Marie II Stuart, (la propre fille de Jacques II), protestants convaincus et « héritiers
légitimes », à prendre le pouvoir. C’est la « Glorieuse Révolution » par opposition à celle de
Cromwell quarante ans plus tôt.
À leur avènement, en février 1689, leur est lu le Bill of Rights, dont voici quelques extraits:.
Texte 15 « 1. Le prétendu pouvoir de suspendre les lois ou leur application par autorité royale, sans le
consentement des parlements, est illégal.
2. Le prétendu pouvoir de dispenser des lois, ou de leur application, par autorité royale, (...)
est illégal.
4. Il est illégal d'invoquer la prérogative royale pour lever des impôts à l'usage de la Couronne
sans le consentement du Parlement (...)
5. Tous les sujets ont le droit d'adresser des placets au roi, et il est illégal de poursuivre ceux
qui usent de ce droit.
6. Il est contraire à la loi de lever ou d'entretenir une armée permanente en temps de paix, à
moins que le Parlement ait donné son consentement.
13. Afin de corriger tous les abus et d'amender, renforcer et préserver des lois, les Parlements
seront convoqués régulièrement. »
La « Glorieuse Révolution » est notamment l’application des principes énoncés par Samuel
von Pufendorf dans Du droit de la nature et des gens (1672), et dont s’inspire John Locke
(revenu, dans la suite des nouveaux souverains anglais, d’un bref exil dans les ProvincesUnies) dans son Traité du gouvernement civil:
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Texte 16 « La raison pour laquelle on entre dans une société politique, c'est de conserver ses biens
propres ; et la fin pour laquelle on choisit et revêt de l'autorité législative certaines
personnes, c'est d'avoir des lois et des règlements qui protègent et conservent ce qui
appartient en propre à toute la société, et qui limitent le pouvoir et tempèrent la domination
de chaque membre de l'État. (...) Toutes les fois donc que la puissance législative violera cette
règle fondamentale de la société (...) Elle perdra entièrement le pouvoir que le peuple lui
avait remis pour des fins directement opposés (...) Et [ce pouvoir] sera dévolu au peuple,
lequel a droit de reprendre sa liberté originaire et, par l'établissement d'une nouvelle autorité
législative telle qu'il jugera à propos, de pourvoir à sa propre conservation, à sa propre
sûreté. »
John Locke, Two Treatises of Government (1689), chap.19.
C’est ce qu’on appellera plus tard « le droit de résistance à l'oppression ».
En 1689 se met donc en place, en Angleterre, un « régime parlementaire » au sein duquel
vont bientôt se créer les premiers partis politiques de l’histoire: les Whigs, plutôt
progressistes (et partisans de la nouvelle dynastie issue de la Glorious Revolution) et les
Tories plutôt conservateurs (et souvent nostalgiques des Stuarts).
Dès 1695, la censure de la presse est supprimée. Au XVIIIe siècle, la presse d’opinion connaît
une grande efflorescence, avec notamment The Spectator et The Tattler (« La Commère »).
En 1707, Angleterre, Pays de Galles, Ecosse et Irlande forment ensemble le Royaume uni de
Grande-Bretagne par un vote de la Chambre des Communes (110 voix contre 69). Les élites
écossaises s’y sont surtout ralliées par pragmatisme économique : entre 1707 et 1755 les
exportations de l’Écosse vers l’Angleterre et ses colonies augmenteront en effet de 250%.
En 1748, dans De l’Esprit des lois, le philosophe français Montesquieu présentera
l’Angleterre comme un modèle de pays libre, où les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire
sont séparés, qui pratique la tolérance religieuse, où le commerce est l’activité principale, et
le mérite personnel la base essentielle de la réussite sociale.
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Toutefois, la tolérance envers les catholiques est toujours un sujet sensible : en 1780, des
émeutes (les Gordon Riots) enflamment les grandes villes anglaises après le vote d’un
Catholic Relief Act. [Celui-ci ne sera finalement appliqué qu’en 1829].
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CINQUIEME PARTIE
L'ère des révolutions (vers 1775 - 1800)
Le libéralisme et les débuts de la question sociale
I - LES GRANDES DATES
1773 : la Boston Tea Party : début de la Révolution américaine.
1774-1776 : avènement de Louis XVI et ministère Turgot
1776 : proclamation de l'indépendance des États-Unis d'Amérique
1776 : Adam Smith, The Wealth of Nations
1778 : décès de Voltaire et de Rousseau
1778 : intervention de la France aux côtés des Insurgés américains
1781 : Édit de Tolérance de Joseph II et abolition du servage
1781-1787 : mouvement des Patriotes dans les Provinces-Unies
1783 : l'Angleterre reconnaît l'Indépendance des États-Unis
1784 : Joseph II instaure le mariage civil pour les protestants
1785 : Cartwright invente le métier à tisser mécanique
1789 : Révolution française et Déclaration des droits de l'homme
1789 : Révolutions brabançonne et liégeoise
1791 : lois d'Allarde et Le Chapelier
1792 : instauration de l'état-civil en France
1794 : la Convention décrète la séparation de l'Eglise de l'État
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1796 : Jenner pratique la première vaccination
II - LA REVOLUTION AMERICAINE
La Révolution américaine est d’abord provoquée par l'exploitation des colonies américaines
au profit de la métropole anglaise.
En 1773, à Boston, des Américains jettent par-dessus-bord une cargaison de thé venue des
Indes, afin de protester contre les taxes qui frappent les marchandises anglaises importées
dans les colonies (sur des bateaux anglais, qui en ont le monopole): c’est la Boston Tea Party
Une révolte armée commence en 1775 et aboutit le 4 juillet 1776 à la proclamation de
l’Indépendance des treize colonies (reconnue par l’Angleterre en 1783). Celles-ci se
constituent en confédération (une union d’États souverains) les Etats-Unis d’Amérique.
Toutefois, il faudra attendre 1789 pour qu’une Constitution américaine [elle a peu changé
depuis] soit définitivement adoptée par les treize Etats, et qu’un premier président, George
Washington, soit élu
La Constitution américaine est surtout consacrée aux droits garantis aux citoyens, à leur
protection contre toute action arbitraire de la part de l’État. Celui-ci suscite en effet la
méfiance et ses interventions doivent limiter au strict nécessaire.
Le pouvoir appartient au peuple qui ne fait que le déléguer. Ceux qui exercent le pouvoir ne
sont que ses représentants.
L'autorité ne être exercée que pour le bien commun. Aucun citoyen ne peut avoir de
privilèges, ni de naissance ni de par ses fonctions. La noblesse est donc abolie. Tous les
citoyens sont strictement égaux devant la loi, y compris le Président.
Les pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire sont strictement séparés. Le président et le
gouvernement ne peuvent rien sur les juges, ni sur les parlementaires. Dès 1748, le Français
Montesquieu avait posé en principe, dans De l’esprit des lois, cette « séparation des
pouvoirs ».
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La presse est libre à condition de ne pas attenter à la morale publique. La censure préalable
est interdite.
La liberté des cultes est proclamée aux mêmes conditions.
Texte 17 Déclaration des droits de l'État de Virginie (juin 1776)
« 1. Tous les hommes sont nés également libres et indépendants [on ne dit pas qu'ils sont
égaux] : ils ont des droits certains, essentiels et naturels, dont ils ne peuvent, par aucun
contrat, priver, ni dépouiller leur postérité: tels sont le droit de jouir de la vie et de la liberté,
avec les moyens d'acquérir et de posséder des propriétés, de chercher et d'obtenir le bonheur
et la sûreté.
2. Toute autorité appartient au peuple, et par conséquent émane de lui : les Magistrats sont
ses mandataires, ses serviteurs, et lui sont comptables dans tous les temps.
3. Le gouvernement est, ou doit être institué pour l'avantage commun, pour la protection et
la sûreté du Peuple, de la Nation, de la Communauté. (...) Toutes les fois donc qu'un
gouvernement se trouvera insuffisant pour remplir ce but, ou qu'il lui sera contraire, la
majorité de la communauté a le droit indubitable, inaliénables et imprescriptibles de le
réformer, de le changer ou de l’abolir, de la manière qu'elle jugera la plus propre à procurer
l'avantage public.
4. Aucun homme, ni aucun collège ou association d'hommes ne peuvent avoir d'autres titres
pour obtenir des avantages ou privilèges particuliers (...) que la considération de services
rendus au Public; et ce titre n'est ni transmissible aux descendants, ni héréditaire.
5. La puissance législatrice et la puissance exécutrice de l'État doivent être distinctes et
séparées de l'autorité judiciaire.
7. Aucune partie de la propriété d'un homme ne peut lui être enlevée, ni appliquée aux
usages publics, sans son propre consentement ou celui de ses représentants légitimes (...)
10.(...) Aucun homme ne peut être privé de sa liberté, que par un jugement de ses Pairs en
vertu de la loi du pays.
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14. La liberté de la presse est un des plus forts boulevards de la liberté de l'État, et ne peut
être restreinte que dans les Gouvernements despotiques.
18.(...) tout homme doit jouir de la plus entière liberté de conscience, et de la liberté la plus
entière aussi dans la forme de culte que sa conscience lui dicte, (...) à moins que sous prétexte
de Religion il ne trouble la paix, le bonheur ou la sûreté de la société (...). »
Extrait de Philippe Ardant, Les textes sur les droits de l'homme (1990), p. 15-17
De 1781 à 1787, les Provinces-Unies sont agitées par le mouvement républicain des
Patriotes (de Patriotten), qui, se réclamant clairement de l’exemple américain, combattent
les velléités absolutistes du stadhouder Guillaume V d’Orange-Nassau.
III - LA FIN DE L'ANCIEN REGIME
1. Joseph II et la révolution brabançonne
Après un bref voyage dans les Pays-Bas autrichiens, en 1781 (c’est le premier souverain qui
s’y rend depuis Philippe II en 1556), Joseph II, estime que ceux-ci doivent être profondément
réformés. Il prend dès lors une série de décisions radicales qui vont susciter le
mécontentement de la population, mais aussi de l’Église et d’une partie de l’appareil
gouvernemental et judiciaire. Des siècles de traditions sont bouleversés en quelques
années :
En 1783, il décide la suppression des 200 couvents contemplatifs afin de les transformer en
école et en hôpitaux.
En 1784, il s’attaque au monopole économique des corporations.
En 1786, il reprend en main la formation du clergé, qui ne pourra désormais être effectuée
que dans des « séminaires généraux » gérés par l’État.
En 1787, il divise le pays en dix « cercles » (sur le modèle des Kreise autrichiens) chacun
étant dirigé par un intendant, et centralise l’administration de la justice.
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Enfin, il va imposer la tolérance dans un pays foncièrement catholique. Outre l’Édit de 1781
(voir ci-dessus), il autorise en 1784 le mariage civil (par des fonctionnaires de l’État) des
protestants, leur donnant ainsi à eux et à leur futur enfant, un statut reconnu. Jusqu’alors
seul l’extrait de baptême catholique faisait office de certificat d’identité et seuls les mariages
catholiques étaient reconnus comme légitimes.
Le mouvement vers la tolérance est d’ailleurs assez général en Europe à cette période : en
1787 un édit de tolérance est promulgué en France en faveur des protestants ; en
Angleterre, on commence en 1791 à tolérer les catholiques, même s’ils sont étroitement
surveillés [=> la liberté de culte leur sera accordée en 1830].
Par contre, dans la Genève calviniste il y a peu d’évolution : en 1794, lors d’un référendum
sur la tolérance 90 % des votants votent non.
Après la rafale de mesures « éclairées » prises par
Joseph
II,
les
États
de
Brabant
(assemblée
représentative) refusent en avril 1787 de voter
l'impôt. Deux avocats brabançons vont prendre la
tête de la résistance ;: le démagogue conservateur
Henri Van Der Noot et le démocrate modéré JeanFrançois Vonck.
Henri van der Noot
Si Van der Noot, appuyé par l’Église, les corporations et le petit peuple de Bruxelles, plaide
pour un pur et simple retour au régime de Marie-Thérèse, Vonck souhaite surtout la fin de
l’arbitraire et une meilleure représentation de la bourgeoisie, où il a quelques soutiens,
dans les États de Brabant.
Une fois le pouvoir autrichien chassé, en décembre 1789 (il se replie dans le duché de
Luxembourg), et les diverses provinces ralliées au nouveau pouvoir, les Vandernootistes, qui
dominent nettement en nombre font régner une certaine terreur à Bruxelles contre les
Vonckistes.
Un régime confédéral, sur le modèle américain, est mis en place, les États Belgiques Unis,
qui ne dure que de janvier à décembre 1790.
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Cette révolution conservatrice, et même réactionnaire, est cependant pénétrée du
vocabulaire et des concepts de son temps.
2. En France : l’entêtement suicidaire des privilégiés
Au début de son règne, Louis XVI (1774-1791) entreprend, de 1774 à 1776, une expérience
de despotisme éclairé et de libéralisme économique, menée par Turgot. Les privilégiés
l'emportent cependant et Turgot est renvoyé, notamment à la suite de la guerre des Farines.
La France est bloquée par ses élites : la noblesse et le clergé.
En 1776, entre au gouvernement un financier suisse opposé au libéralisme économique, le
protestant Jacques Necker (en tant que non-catholique, il ne peut pas porter le titre habituel
de « Contrôleur général des Finances », qu’occupe un prête-nom, Necker n’étant que
« Directeur général du Trésor royal »). En 1781, Necker remet au roi un rapport alarmant
relatif au déficit de l’État. Ce Compte-rendu au Roi est peu après rendu public : les Français
découvrent à la fois la gravité de la situation et la gabegie financière qui règne à la cour.
Frère du roi, le futur Louis XVIII a par exemple près de trois millions de livres de dettes de
jeu, et ce ne sont pas les seules ! [un salarié agricole gagne moins d’une livre par jour].
Necker est renvoyé peu après, pour avoir dévoilé cette situation, d’autant plus
embarrassante que la noblesse ne paie pas d’impôts et que l’Eglise, très riche, se contente
de faire de temps en temps un « don gratuit » au souverain.
En 1787 est convoquée une Assemblée des Notables (clergé et noblesse uniquement) pour
évoquer la question de leur contribution pour résorber le déficit. Or, ils se cramponnent
totalement à leurs privilèges et refusent tout compromis.
Le roi n’a plus le choix et convoque pour mai 1789 les États généraux, qui n’ont plus été
réunis depuis 1614. On sait ce qu’il en est advenu.
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IV - L'AVENEMENT DE LA BOURGEOISIE
1. De nouvelles valeurs
Elles signent pour l’essentiel « le triomphe de l’individu » et se déclinent tant sur les plans
politique et religieux qu’économique.
- la liberté
Liberté de penser certes, mais aussi et surtout d'entreprendre, dans le cadre du libéralisme
économique. De ce point de vue, les corporations sont une entrave et doivent être peu à
peu supprimées.
En 1776 paraît The Wealth of Nations (« La Richesse des nations») de l’Écossais Adam
Smith. « Bible » de l’économie libérale, cet ouvrage plaide pour que l’on laisse agir la « loi
de l'offre et de la demande » (voir ci-dessus), et qu’on améliore la productivité par la
« division du travail », même s’il est bien conscient de l’aliénation que cela peut provoquer
chez les travailleurs. Il est traduit en français dans les années 1780.
- la sûreté
C’est la « sécurité », la protection du citoyen contre l’arbitraire de l’État et des Églises, mais
aussi contre toute atteinte à la propriété privée, notamment les entreprises.
- L'égalité
Il ne s'agit que de l'égalité des droits, et de l’égalité devant la loi, pas d’une égalité de fait.
Cela suppose notamment l’affranchissement des serfs qui dépendent encore juridiquement
du seigneur [il y en a encore en France, dans le Jura, ils seront affranchis par la loi en 1790].
L’égalité de fait, qui ne peut être obtenue que par l’établissement autoritaire de
l’égalitarisme, a notamment été prônée par le curé Meslier, mais aussi par Jean-Jacques
Rousseau et, lors de la Révolution française, par Gracchus Babeuf, considéré comme « le
premier communiste ».
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Liberté et égalité de fait sont donc largement contradictoires : la mise en pratique sans
« garde- fous » de l’une entraine immanquablement la fin de l’autre.
- La fraternité
La charité cède la place à philanthropie : on aide son semblable par pure humanité, sans
plus aucune connotation religieuse. Pour les révolutionnaires français, la fraternité doit
s’étendre à tous les peuples de la terre. D’où leur déclaration « universelle » des Droits de
l’Homme, par contraste avec les « Déclarations des Droits » anglaise et américaine.
- La question de la traite des Noirs et de l'esclavage
En 1685, Louis XIV a adopté le « Code Noir" qui prétend empêcher les propriétaires
d'esclaves dans les colonies françaises de les soumettre à de mauvais traitements : l'esclave
a droit, dit le Code Noir à la nourriture, à l'habillement, à pouvoir se marier et fonder une
famille. C'est un début modeste et peu appliqué (motivé aussi en partie par la volonté
conserver la main-d’œuvre servile « en bon état »), mais il pose les bases d’un mouvement
humaniste que l’anticolonialisme (voir ci-dessus va amplifier.
En 1788, le journaliste Jacques Brissot (qui fera partie du mouvement modéré des Girondins
sous la Révolution française et sera guillotiné sous la Terreur) fonde à Paris la Société des
Amis des Noirs qui lutte résolument pour l’affranchissement des esclaves africains dans les
colonies françaises. Le 4 février 1794 : la Convention Nationale abolit l'esclavage sur tous les
territoires de la République [=> sous la pression des planteurs, Napoléon le rétablira en
1802 ; il sera aboli définitivement en 1825 dans les colonies anglaises ; en 1848 dans les
colonies françaises ; en 1866 aux États-Unis].
2. La mise en œuvre d'une politique de libéralisme économique
- Turgot
Turgot tente sans succès une politique libérale fait l'expérience en France en 1775-76 (voir
ci-dessus).
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- Joseph II
En 1782 Joseph II supprime tous les droits féodaux relevant de lui dans tous les États
héréditaires. En matière agricole, il met en place une politique annonaire pragmatique :
selon l’état du marché, les tarifs douaniers sur les grains (« droits d’entrée et de sortie »)
sont abaissés ou élevés afin de garantir un approvisionnement correct des populations. Il
tente également de supprimer un maximum de douanes intérieures.
Parvenu sans trop de difficulté à supprimer les corporations en Autriche (où les institutions
représentatives sont très faibles), il tente en vain la même chose dans les Pays-Bas
autrichiens en commençant par les regrouper. Il ne pourra aller plus loin.
Partout où il le peut, il installe des courtiers et des agents de change afin de faciliter les
opérations commerciales, en leur donnant un soutien financier
Il fait d'Ostende un port franc (les taxes y sont abolies). La guerre d’Indépendance
américaine, au cours de laquelle la flotte anglaise connaît des difficultés, profite beaucoup à
Ostende, qui exporte notamment vers les colonies révoltées des armes liégeoises.
Dans le même esprit, Joseph II aide au maximum les industries nouvelles en leur offrant des
conditions fiscales favorables.
- Les lois d'Allarde et Le Chapelier
En mars 1791 la loi d'Allarde abolit en France les corporations.
En juin 1791, la loi Le Chapelier interdit les « coalitions » en matière économique. Cela vise
les ententes entre patrons (les « cartels »), mais aussi les grèves et les syndicats. Cela fait
l’affaire de la bourgeoisie entrepreneuriale : désormais, les salariés sont seuls face aux
employeurs.
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V - LA REVOLUTION FRANÇAISE
1. Les droits de l'homme et l'émancipation de l'individu
La Déclaration universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen est votée par l’Assemblée
Nationale le 26 août 1789 :
Texte 18 « 1. les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne
peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance
à l'oppression.
3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul
individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui [...]
6. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir
personnellement, par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous
[...]
7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et
selon les formes qu'elle a prescrites.[...]
9. Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable [...]
10. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.
11. (...) Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de cette liberté
dans les cas déterminés par la loi.
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17. Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est
lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition
d'une juste et préalable indemnité. »
2. Vers une société sécularisée
- La constitution civile du clergé
En novembre 1789, la Révolution française nationalise les biens du clergé : ces biens ont
confisqués par l’État au nom du peuple français, de la Nation.
Le 12 juillet 1790, la loi sur la constitution civile du clergé est votée par l'Assemblée
Constituante. Les ecclésiastiques (le clergé séculier uniquement, car abbayes et couvents
ont été fermés) deviennent des fonctionnaires publics élus, payés par l’État. Afin de
s’assurer de leur adhésion (suspecte) ils doivent prêter serment à la Constitution, au roi (en
place jusqu’en août 1792) et à la Nation. Le clergé français se divise en « jureurs » [10 % des
évêques et un peu moins de 50 % des curés] et « réfractaires ».
- l'instauration de l’état-civil
L’état-civil est créé en France par la loi du 20 septembre 1792. Désormais naissances,
mariages, divorces et décès son enregistrés dans les « registres d’état-civil », qui sont les
seuls à avoir valeur légale. Les registres paroissiaux, tenus par l’Eglise ne valent que pour
elle.
- La séparation de l'Eglise et de l'État
En 1794 une religion d’État de type déiste est instauré par Robespierre et Saint-Just afin de
remplacer le christianisme : le culte de l'Être Suprême, un hommage rendu au Créateur et à
la Création, à l’universalité.
Robespierre est renversé et guillotiné en juillet 1794 [la Terreur a fait en moyenne 60
victimes par jour].
En février 1795, le Directoire proclame la séparation de l'Église et de l'État.
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3. La question sociale
Le thème de l'égalité de fait est très débattu lors de la Révolution française. Mais, dès le
milieu du XVIIIe siècle des penseurs présocialistes comme Jean-Jacques Rousseau les ont
posés comme un objectif à atteindre, tandis que les libéraux, au premier chef Voltaire, y
voient une utopie, basée sur dangereuse méconnaissance de la nature humaine et du
fonctionnement de l’économie.
Texte 19 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes (1754)
« Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens
assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de
guerres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui,
arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : gardez-vous d'écouter
cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est
à personne. »
Texte 20 Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, article « Egalité » (1764).
« Il est impossible, dans notre malheureux globe, que les hommes vivant en société ne soient
pas divisés en deux classes, l'une d'oppresseurs, l'autre d'opprimés [...]. Le genre humain, tel
qu'il est, ne peut subsister, à moins qu'il n'y ait une infinité d'hommes utiles qui ne possèdent
rien du tout ; car certainement un homme à son aise ne quittera pas sa terre pour venir
labourer la vôtre ; et, si vous avez besoin d'une paire de souliers, ce ne sera pas un maître des
requêtes qui vous la fera. L'égalité est donc à la fois la chose la plus naturelle et en même
temps la plus chimérique. »
L’influence de Mandeville (voir ci-dessus), que Voltaire a lu, est visible dans ce passage, par
l’allusion à la « nécessaire interdépendance » entre possédants et prolétaires.
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- L'affirmation du droit à une vie décente
Les Droits de l’Homme tels que posés par les Insurgents américains, ou par la Déclaration
française de 1789, sont des droits « formels », de résistance à l'oppression, mais qui ne
débouchent pas sur un changement des conditions matérielles d’existence.
Votée pendant la phase la plus radicale de la Révolution, la constitution de 1793 prévoit un
droit à l’assistance publique et à l’instruction, condition indispensable à une véritable
égalité.
Texte 21 « 21. Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens
malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui
sont hors d'état de travailler.
22. L'instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès
de la raison publique, et mettre l'instruction à la portée de tous les citoyens. »
Constitution de la République française (24 juin 1793)
[=> Ces droits seront brièvement mis en application en France lors de la Révolution de 1848,
pendant laquelle on créera des « ateliers nationaux » pour donner du travail aux chômeurs,
et on décrètera l’instruction obligatoire ; mais c’est seulement au XXe siècle que ces droits
entreront progressivement en vigueur dans la majorité des pays du globe].
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CONCLUSION
Au cours de ces trois siècles, on assiste, en Europe occidentale, à une émancipation
progressive de l'individu. Du moins, le principe de l’autonomie individuelle s’impose dans la
civilisation européenne comme un idéal, le but à atteindre lors de l’évolution de la société.
La fin de l’ancien régime en France, la Révolution française puis l’Empire napoléonien
marquent un tournant dans l’histoire européenne. Non seulement les valeurs bourgeoises
l’emportent, globalement, sur les valeurs aristocratiques, mais le concept de « Nation » est
désormais devenu primordial.
En effet, à côté de la question sociale et de celle des Droits de l’Homme, la construction
d’Etat-Nations sera, et cela dans le monde entier grâce à la décolonisation, la « grande
affaire » du XIXe et de la première moitié du XXe siècle.
Mais c’est bien sûr « une autre histoire »…
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