La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 9 - novembre 2010 | 537
Résumé
Ces dernières années ont été marquées par l’arrivée de nouveaux médicaments ciblés contre le cancer.
Si certains, tels que le cétuximab pour les cancers des voies aéro-digestives supérieures
(Bonner JA et al.,
N Engl J Med 2006)
, ont été développés très tôt dans le but d’être associés à la radiothérapie, cela n’est
pas le cas pour tous. Les oncologues radiothérapeutes se trouvent donc parfois dans la situation inédite
de devoir déterminer s’il est licite ou non d’associer un nouveau traitement à la radiothérapie et, si oui,
chez quels patients, selon quelles modalités, avec quelles précautions, etc. La connaissance des bénéfices
et des risques auxquels les patients sont exposés du fait d’une telle combinaison est parfois très lacunaire.
C’est, de façon assez caricaturale, le cas avec la classe des antiangiogéniques. À défaut de données issues
d’études cliniques précoces, il faut parfois recourir à des extrapolations de données précliniques, in vivo,
voire in vitro. Cet article rappelle en quoi angiogenèse et radiothérapie sont liées et aborde les données
précliniques et cliniques ainsi que les perspectives et les directions de recherche.
Mots-clés
Angiogenèse
Agents
antiangiogéniques
Radiothérapie
Facteur de croissance
vasculaire endothéliale
Cancer
Highlights
In the last years we have
witnessed the emergence of
new targeted therapies against
cancer. While some, such as
cetuximab for head and neck
cancer (
Bonner JA et al., N Engl
J Med 2006)
, were developed
very early in order to be deliv-
ered in association with radio-
therapy, this is not the case for
all. Radiation oncologists are
therefore in the unusual situa-
tion where they have to know
if it is adequate or not to add
a new treatment in combina-
tion with radiotherapy and,
if so, in which patients, how
and with what precautions.
The knowledge of the benefit/
risk ratio to which patients are
exposed with such a combina-
tion is sometimes very poor. It
is typically the case with anti-
angiogenics. In the absence of
data from early clinical studies,
we must sometimes resort to
extrapolation from preclinical
data, in vivo or even in vitro.
This article reveals how angio-
genesis and radiotherapy are
linked and analyses the
preclinical and clinical data of
their association. It also tries
to foresee what could be its
clinical applications and to
which aims research should
be directed.
Keywords
Angiogenesis
Anti-angiogenic agents
Radiation therapy
Vascular endothelial growth
factor
Cancer
Basées sur les mécanismes moléculaires des effets
biologiques du VEGF sus-mentionnés, diverses
stratégies pour inhiber l’angiogenèse VEGF-dépen-
dante ont été développées. L’approche la plus
étudiée comprend des anticorps contre le VEGF
ou contre le VEGFR ainsi que des inhibiteurs de
tyrosine kinase. Les anticorps contre le VEGF et le
VEGFR-2 peuvent induire l’apoptose de la tumeur
et des cellules vasculaires, et réduire le taux de
croissance des tumeurs et des métastases chez
l’animal (6).
➤
Agents antivasculaires (“vascular disrupting
agents”).
À l’inverse, les traitements antivasculaires peuvent
réagir sur les vaisseaux existants et donc perturber
la circulation vasculaire normale (poisons du fuseau,
acide acétique flavone). En réalité, les agents utilisés
dans la pratique courante, comme les anti-VEGF,
ont une action mixte, à la fois antiangiogénique et
antivasculaire (7).
L’effet paradoxal ou du moins
contre-intuitif des antiangiogéniques
qui conduisent à une meilleure
oxygénation tissulaire
et donc à une radiopotentialisation
Selon les travaux de l’équipe de C.G. Lee et al. (8),
les antiangiogéniques induisent in vivo, chez
l’animal, une diminution significative de la pression
interstitielle intratumorale, ainsi qu’une augmen-
tation de l’oxygénation tumorale et donc une radio-
potentialisation. En effet, il y a plus de 50 ans que
les premiers travaux de radiobiologie ont évoqué
l’existence d’un lien entre hypoxie tumorale et
réponse à la radiothérapie. Actuellement, il est bien
connu que l’hypoxie tumorale est un facteur majeur
de radiorésistance. Dans les cellules soumises à
une irradiation, la cassure double brin de l’hélice
d’ADN représente l’événement létal. Ces cassures
peuvent être produites de manière directe par
dépôt d’énergie ou, le plus souvent, de manière
indirecte par la production de radicaux libres issus
de la radiolyse de l’eau avec les rayonnements à
faible transfert d’énergie linéique utilisés en clinique.
L’oxygène va intervenir au sein de cette cascade
radicalaire en permettant la création de radicaux
libres à durée de vie plus longue, à l’origine de
l’effet cytotoxique de l’irradiation. Le rapport de
dose nécessaire pour obtenir le même effet biolo-
gique (mort cellulaire) en l’absence ou en présence
d’oxygène est de 3 avec les rayonnements à faible
transfert d’énergie linéique.
Les auteurs ont par ailleurs montré sur des
xénogreffes de glioblastome et de tumeurs du colôn
que le traitement anti-VEGF augmentait le délai
de croissance tumorale après irradiation dans des
conditions normoxiques et hypoxiques suggèrant
que le traitement antiangiogénique permettrait de
compenser la résistance aux radiations induite par
l’hypoxie.
La cellule endothéliale, élément clé
de l’efficacité et de la tolérance
de la radiothérapie
◆Efficacité
Concernant l’efficacité de la radiothérapie, une
autre voie d’étude intéressante est de cibler
la cellule endothéliale. La radiosensibilité de
ces cellules a été testée après implantation de
fibrosarcomes ou de mélanomes chez des souris
présentant ou non une inactivation de l’apoptose
de leurs cellules endothéliales (acide sphingomyé-
linase – ou Bax –). Leurs travaux ont montré que les
tumeurs implantées sur des souris avec apoptose
diminuée avaient, par rapport à celles implantées
sur des souris normales, non seulement un taux de
croissance 2 à 4 fois plus élevé mais elles étaient
surtout beaucoup moins sensibles à une irradiation
monofractionnée. M. Garcia-Barros et al. (9) ont
ainsi démontré que l’apoptose endothéliale est un
facteur de régulation de la croissance tumorale mais
surtout qu’elle est un facteur majeur de réponse
tumorale à la radiothérapie.
◆Tolérance
Une attention particulière doit également être portée
à la tolérance de la radiothérapie, qui détermine la
dose maximale. C’est dans cet esprit que F. Paris
et al. (10) ont exploré in vivo, sur des modèles