Éditorial É ditorial Neuroprotection et maladie d’Alzheimer Neuroprotection and Alzheimer’s disease I l y a encore 15 ans, lorsque le clinicien faisait le diagnostic de maladie d’Alzheimer, il n’avait aucune solution thérapeutique à proposer au patient qu’il avait en face de lui. La mise sur le marché des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase a été un progrès pour les patients et leurs familles. Si certaines études longitudinales, comme l’étude AD2000, ont permis de souligner le chemin qu’il reste à parcourir pour aboutir à un traitement optimal des patients, la communauté médicale s’accorde pour reconnaître que cette mise sur le marché a non seulement permis d’améliorer l’état cognitif des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, mais aussi contribué à la structuration des filières de soins et à la poursuite des efforts de recherche dans le domaine. Cela a conduit à la mise sur le marché de la mémantine, un antagoniste des récepteurs NMDA, médicament ayant un autre mécanisme d’action que les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. L’évaluation pré- ou post-AMM des traitements symptomatiques, qu’il s’agisse des inhiteurs de l’acétylcholinestérase ou de l’antagoniste des récepteurs NMDA, a permis de mieux appréhender leur application aux différents stades de la maladie d’Alzheimer, mais aussi dans les autres formes de démence, conduisant à l’individualisation d’une nouvelle classe : les stimulants de la cognition. La mise en évidence de la complémentarité pharmacologique des approches thérapeutiques permet de proposer à un nombre important de malades atteints de maladie d’Alzheimer une bithérapie dont la supériorité en termes de gain thérapeutique a été montrée. Compte tenu de cette évolution, certains pourraient être tentés d’arrêter là les efforts de recherche. En effet, dans beaucoup de pathologies, le traitement repose sur des associations de traitements symptomatiques. Néanmoins, pour beaucoup, la recherche de nouveaux traitements apparaît nécessaire. Si cette nécessaire recherche n’est pas spécifique à la maladie d’Alzheimer mais concerne de nombreux champs pathologiques de la médecine, il n’en demeure pas moins que le problème est particulièrement aigu dans le cas de la maladie d’Alzheimer compte tenu du contexte épidémiologique de cette affection. Il y a également des raisons humaines, dans la mesure où cette affection neurodégénérative touche l’homme dans les fonctions qui le 100 distinguent le plus du reste du règne animal : la mémoire, le jugement, le langage… Les symptômes cognitifs retentissent sur la vie du patient et de son entourage. À titre d’exemple, la perte de la reconnaissance des visages familiers (la prosopagnosie) constitue toujours un traumatisme majeur pour l’entourage du patient et souvent, pour le patient luimême, l’un des tournants vers la perte d’autonomie. Les progrès thérapeutiques dans la maladie d’Alzheimer peuvent être attendus dans plusieurs directions : optimisation et diversification des traitements symptomatiques ; caractérisation et évaluation de stratégies préventives ; recherche d’agents neuroprotecteurs. La première piste pour mieux traiter les patients est d’améliorer le traitement symptomatique. L’étude AD2000 (Courtney C et al., Lancet 2004;363:2105-15), évaluant l’effet à long terme d’un des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, bien que méthodologiquement critiquable, a eu le mérite de montrer que le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer doit être encore optimisé. La possibilité d’utiliser une bithérapie est déjà un progrès important. La poursuite des recherches sur la physiopathologie des signes cognitifs et psycho-comportementaux de la maladie d’Alzheimer offre des perspectives. De nouvelles pistes pharmacologiques existent pour envisager la mise au point de nouveaux stimulants de la cognition : noradrénaline, GABA, récepteur GABA-B, neuropeptides (somatostatine, leptine), neurostéroïdes... Les traitements actuels peuvent aussi révéler des effets qui vont au-delà de ce qui avait été montré lors de leur enregistrement. À titre d’exemple, la galantamine a montré son efficacité sur les troubles psychocomportementaux, parallèlement à sa propriété reconnue d’agoniste allostérique des récepteurs nicotiniques, dont les interactions avec plusieurs fonctions cérébrales (apprentissage, attention…) sont démontrées. L’optimisation des traitements symptomatiques passe également par celle de leur profil pK/pD, notamment par l’amélioration de la galénique. Avec les formes retard, la diminution de la concentration maximale au pic plasmatique contribue à diminuer les effets indésirables du traitement. Mais l’amélioration du profil pharmacocinétique peut également contribuer à améliorer le profil pharmacodynamique La Lettre du Pharmacologue - vol. 20 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2006 des traitements. Étant donné l’existence d’un rythme physiologique nycthéméral de libération de l’acétylcholine, avec une libération principalement diurne, et compte tenu du fait que des taux d’acétylcholine trop élevés la nuit altèrent les processus de consolidation mnésique, un profil d’inhibition de l’acétylcholinestérase parallèle au rythme de libération de l’acétylcholine – ce que permet maintenant la forme retard de la galantamine grâce à son profil pharmacocinétique – favorise l’adéquation avec le rythme physiologique de la transmission cholinergique. La deuxième piste thérapeutique est celle de la prévention de la maladie d’Alzheimer. En dehors des formes génétiques autosomiques, qui ne concernent qu’une fraction infime des patients atteints de maladie d’Alzheimer (environ 1 000 ma-lades en France), la maladie d’Alzheimer sporadique est probablement plurifactorielle, les facteurs de risque constituant autant de cibles sur lesquelles pourrait agir une stratégie de prévention. On sait que l’isolement social et l’absence de stimulation cognitive contribuent à une apparition plus précoce des symptômes de la maladie d’Alzheimer, expliquant l’intérêt d’une stimulation cognitive “préventive”, qui sera poursuivie même après l’installation des symptômes. D’autres facteurs de risque sont accessibles à un traitement préventif, en particulier l’hypertension artérielle, qui est un facteur de risque important. Des liens avec le syndrome métabolique et l’insulinorésistance semblent exister mais demandent à être mieux explorés. En revanche, le traitement hormonal substitutif, la prise au long cours d’anti-inflammatoires ou les statines n’ont pas atteint un niveau de preuve suffisant pour démontrer leur efficacité préventive. Ce relatif échec de la prévention explique la troisième piste représentée par la neuroprotection, dont l’objectif est de ralentir l’évolution d’une maladie d’Alzheimer identifiée le plus précocement possible, voire au stade présymptomatique. Cette troisième piste, même si elle est semée d’embûches, est de trouver des médicaments neuroprotecteurs dont la caractérisation répond à une double condition : avoir une vision intégrée des différentes cibles pharmacologiques qui peuvent être modulées ; mener une réflexion sur l’évaluation clinique de ces agents neuroprotecteurs, qui doit être articulée avec l’évaluation préclinique. C’est le mérite des Laboratoires Janssen-Cilag d’avoir réuni un certain nombre de spécialistes pour réfléchir à cette question et d’avoir voulu prolonger cette confrontation d’idées par ce numéro de La Lettre du Pharmacologue consacré à la neuroprotection. Ce dernier vise à mieux appréhender les deux conditions précitées, puisqu’il comporte deux parties : les principales stratégies potentielles de neuroprotection et l’évaluation clinique de ces agents neuroprotecteurs. Dans la première partie, l’article de André Nieoullon fait une synthèse très documentée des différentes stratégies susceptibles d’induire une neuroprotection effective dans les maladies neurodégénératives et montre bien la nécessité de les intégrer à l’arsenal thérapeutique pour aboutir à une réelle efficacité clinique. Cet article explique également le principe de l’immunothérapie vis-à-vis de la protéine bêta-amyloïde, stratégie qui est actuellement relancée par plusieurs groupes industriels s’appuyant sur les enseignements tirés de la première évaluation clinique de cette approche. Les trois autres articles éclairent des stratégies particulières : les potentialités de la stratégie antioxydante pour l’article de Élodie Descamps et al. ; l’intérêt des facteurs neurotrophiques par Brigitte Onténiente ; le rôle possible des neurostéroïdes dans la neuroprotection par Yvette Akwa. Dans l’article de Hervé Allain et al. est posé le problème de l’évaluation clinique des agents neuroprotecteurs en termes de méthodologie des essais cliniques, de choix des critères de substitution et d’intérêt de la neuro-imagerie. Dans un deuxième article, Hugo Geerts livre quelques réflexions sur la méthodologie de ces essais en approfondissant l’analyse des échelles fonctionnelles et des biomarqueurs pour juger de l’effet neuroprotecteur. Enfin, dans un dernier article, Martine Vercelletto et Hervé Allain font une synthèse critique de tous les essais cliniques réalisés avec des traitements potentiellement neuroprotecteurs dans la maladie d’Alzheimer. Ce numéro de La Lettre du Pharmacologue, qui fait le point sur la question de la neuroprotection dans la maladie d’Alzheimer et plus généralement dans les maladies neurologiques, devrait ouvrir de nouvelles pistes de réflexion et de recherche et montrer l’implication d’équipes françaises dans ce domaine. R. Bordet, département de pharmacologie, CHU de Lille et faculté de médecine – université Lille 2, 50045 Lille Cedex La Lettre du Pharmacologue - vol. 20 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2006 Éditorial É ditorial 101