Amérique Latine : enjeux diplomatiques et intégration régionale, Guillermo Hillcoat, 23/03/2007

VI INTERNATIONAL COLLOQUIUM
MACRODYNAMIC CAPABILITY AND ECONOMIC DEVELOPMENT
University of Brasilia, 23 mars 2007.
AMERIQUE LATINE : ENJEUX DIPLOMATIQUES
ET INTEGRATION REGIONALE
Guillermo Hillcoat
Maître de conférences
Université Paris 1
L’Amérique Latine : une bonne conjoncture économique
Un contexte international favorable
Depuis quatre ans l’Amérique latine profite d’un contexte international exceptionnel :
croissance mondiale, remontée des prix des matières premières, taux d’intérêt bas et forte
progression du commerce mondial. Ainsi l’ensemble des économies de la Région profitent à
différents degrés, de cette conjoncture et connaissent une reprise de la croissance et de leur
commerce extérieur, enregistrant des excédents commerciaux parfois records et assistent à
l’arrivée d’un nouveau courant d’investissements directs étrangers.
En effet, la reprise économique qui s’amorce au niveau international dans la 2ème moitié 2003,
s’est renforcée en 2004. La croissance étant plus forte en Asie, particulièrement en Chine et
en Inde de même que dans l’ensemble des PED qui ont connu une croissance de 5%.
Parallèlement à la reprise économique, le commerce mondial a augmenté de 20%, le taux le
plus fort depuis 25 ans. Ceci s’explique par la remontée des prix, en particulier des
commodities, et la progression du volume poussée par la croissance des économies
émergentes et des USA.
1
Enfin on constate aussi une forte augmentation des flux financiers par exemple vers les
économies asiatiques et les PECO. Après trois années de recul les flux d’IDE ont repris
fortement vers l’Amérique latine augmentant de 44% en 2004.
Cette conjoncture internationale favorable pour l’Amérique latine devrait perdurer ; même si
la croissance mondiale devrait ralentir dès cette année, les prix des matières premières
devraient se stabiliser voire diminuer et les taux d’intérêt, soit les coûts de financement pour
des pays qui restent parfois très endettés, devraient augmenter.
Qui se traduit par la relance du commerce extérieur…
Le commerce extérieur de la Région a connu deux années de forte croissance, pour les
exportations +8,9% et +22,5% respectivement en 2003 et 2004 ; pour les importations +3,2%
et +19,5% ; la progression des échanges étant de 17% pour le 1er semestre 2005.
Rappelons que pendant 2001-2002 il y avait eu une forte contraction du commerce extérieur
de la Région, respectivement -4,5% et + 0,5% pour les exportations et -2,5% et -6,8% pour les
importations.
Le dynamisme du commerce extérieur est plus marqué dans le cas des pays de l’ALADI
(Amérique du Sud + Mexique) puisque leurs exportations hors Amérique latine ont progressé
de 22,1% et pour certains pays beaucoup plus, comme le Chili + 57%, le Venezuela + 44% et
le Paraguay +43%. Bien sûr ceci grâce aux prix de leurs principaux produits d’exportation,
respectivement cuivre, pétrole et soja.
Ces pays ALADI ont augmenté leur excédent de balance commerciale qui est passé de 53
milliards de dollars en 2003 à 67 milliards de dollars.
Ce qui est plus important encore, c’est que les exportations et les importations de ce groupe de
pays ont augmenté plus à l’intérieur de la Région qu’avec le reste du monde. Nous pourrions
penser que cette forte augmentation est logique puisqu’elle fait suite à une forte diminution
des échanges intra ALADI pendant les années précédentes. Néanmoins il faut se rappeler que
ceci a été une caractéristique des années 90 lorsque les échanges intra blocs et inter blocs ont
dans tous les cas augmenté plus rapidement que le commerce extra régional c'est-à-dire entre
l’Amérique latine et le reste du monde ; ce qui était révélateur du manque de compétitivité de
ces pays.
Dans la relation avec le reste du monde, la différence aujourd’hui viendrait du fait que les
exportations progressent plus vite que les importations : le résultat étant un excédent
commercial significatif. Or celui-ci est facilité par la conjoncture exceptionnelle des prix
internationaux des matières premières ; on peut craindre ainsi que de continuer la croissance
économique dans la région, et avec elle les flux d’importations venant des pays industrialisés,
et si les prix des commodities venaient à se tasser ne réapparaissent les déséquilibres de
balance commerciale si fréquents dans la décennie passée…1
1 Sur le plan du commerce extérieur le défi pour l’Amérique latine est connu : améliorer son insertion dans le
marché mondial diversifiant son offre grâce à une incorporation accrue de produits industriels. Certes, des
progrès ont été réalisés en particulier par le Mexique, plus récemment par le Brésil or le plus préoccupant c’est
que le gap technologique loin de se réduire, se creuse. Selon le dernier Rapport du World Economic Forum, The
Global Information Technology sur 104 pays étudiés, les pays latino-américains sont très mal classés et de
surcroît perdent des places de 2003 à 2004 se classant désormais ainsi : le Chili premier pays qui apparaît occupe
la 35ème place, viennent ensuite le Brésil 46ème, le Mexique 60ème, Costa Rica 61ème, l’Uruguay 64ème l’Argentine,
désormais 76ème place, République Dominicaine, 78, le Pérou 90ème.
2
Et également par une forte récupération des échanges dans la Région…
Pendant deux années de suite, 2003-2004, il y a une forte récupération des échanges intra
Amérique latine, a contrario de ce qui s’est passé pendant les deux années précédentes.
Cependant, les échanges intra régionaux ne représentent que 17% du commerce extérieur, ce
pourcentage s’élève à 34% en Asie et 62% dans l’UE ; de surcroît, ces échanges sont pro-
cycliques, ils augmentent en période de croissance économique et diminuent plus fortement
que le commerce total dans les périodes de récession.
La faible intensité du commerce intra Amérique Latine s’explique par différents facteurs, le
principal étant la spécialisation assez similaire de ces pays : les exportations étant fortement
concentrées sur les matières premières agricoles, minières et énergétiques.
L’Amérique Latine dispose d’une structure industrielle relativement diversifiée. En effet, à
des degrés divers selon les pays, l’Amérique latine a réussi un fort développement industriel,
en particulier dans la période 1950-1980 et l’on a assisté à une diversification de la production
industrielle vouée essentiellement au marché interne. Des pays tels que le Mexique, le Brésil
et l’Argentine ont pu ainsi se doter d’une base industrielle couvrant une large gamme de
produits de consommation, de biens intermédiaires et très souvent de biens d’équipement. A
un degré moindre les pays andins et ceux de l’Amérique centrale et des Caraïbes ont
également développé leurs industries.
Dès lors, et au-delà des contrastes que l’on observe entre les économies les plus diversifiées
telles que celles des pays du Mercosur, des Caraïbes et de l’Amérique centrale, l’ensemble
des pays de la région partagent une caractéristique commune : la place prépondérante des
matières premières dans leur profil d’exportation.
Et pour cause, l’Amérique latine demeure un véritable réservoir de matières premières
minières et agricoles. Les pays de la région comptent parmi les principaux exportateurs de
certains produits agricoles tels que le café, le sucre, la banane, le soja, le coton, le cacao, les
agrumes, les céréales et la viande bovine. Et de certains produits miniers, tels le cuivre, l’étain
et le fer. Enfin certains pays latino-américains sont de grands producteurs de pétrole comme le
Venezuela, l’Equateur et le Mexique.
En outre, il y a aussi des raisons historiques, en effet pendant plusieurs décennies, ces pays
ont maintenu des modèles de croissance fermés, ignorant les possibilités d’articulation et
d’interdépendance avec les économies voisines. Il y a encore d’autres facteurs structurels tels
la taille réduite de leurs marchés internes, les déficits en infrastructures pouvant faciliter le
commerce dans la Région.
Plus préoccupant encore : l’investissement en recherche et développement est extrêmement faible. Sur le total
mondial destiné à R&D, 42% sont réalisés aux Etats-Unis et Canada, 28% en Europe, 27% en Asie et 1% en AL.
(RICYT, Red Iberoamericana de Indicadores de Ciencia y Tecnología.)
Selon le PNUD tandis que R&D représente 3% du PIB au Japon et aux Etats-Unis, 2,5% en Corée du Sud, 1,2%
en Chine, 1% en Inde, la moyenne en AL est de 0,5%, seulement 1% du PIB au Brésil et 0,4% au Mexique et
en Argentine...
En outre, 70% des recherches effectuées au Mexique et en Argentine sont financées sur des fonds publics,
autrement dit très peu par les entreprises ce qui est exactement l’inverse dans les pays dynamiques où la part de
l’Etat est de 35% aux Etats-Unis, 25% en Corée du Sud et 18% au Japon. ( World Investment Report,Unctad
2005.)
3
Enfin, c’est vrai que ces dernières années les échanges intra-Amérique latine comptaient de
plus en plus de produits manufacturiers. Or il s’agit en majorité de produits des industries
légères et donc facilement substituables lorsque les pays traversent une période d’ajustement
et doivent amputer leurs importations ; celles venant des pays voisins en souffrent davantage.
Avec de nouveaux partenaires émergents...
Le troisième fait marquant est la présence grandissante en tant que partenaire commercial de
l’Asie, en particulier de la Chine.
Dans le dynamisme enregistré par les exportations, le débouché USA (+15%) a certainement
joué mais surtout le bond en avant des débouchés asiatiques, Chine, Japon et Sud-est asiatique
(+30%).
Naguère le principal partenaire était le Japon, aujourd’hui c’est la Chine, pays qui non
seulement devient un débouché important pour les produits latino-américains mais qui
augmente sa présence en tant que fournisseur pour un nombre grandissant de pays de la
Région et avec une palette diversifiée de biens. Dans la mesure où le dynamisme de
l’économie chinoise persiste les liens économiques, commerciaux et financiers entre
l’Amérique latine et la Chine vont se renforcer. La croissance chinoise telle qu’on l’a vue ces
dernières années, est favorable aux cours des matières premières et améliore les termes de
l’échange de l’Amérique latine.
En outre, tel que l’on a pu le constater lors de la visite du président de la Chine dans plusieurs
pays de l’Amérique du Sud, dans son but de s’assurer l’approvisionnement stable en matières
premières ce pays cherche soit à absorber des entreprises de la région soit à s’associer avec
des partenaires de la région pour le développement de projets dans le domaine de l’énergie et
de l’exploitation minière principalement.
Dès lors étant donné les capacités financières dont dispose la Chine, la présence de ce pays en
Amérique latine sur le plan économique et financier est appelée à s’accroître rapidement.2
Les échanges entre la Chine et l’Amérique latine ont progressé pendant les années 90 avec un
taux à deux chiffres, le commerce ayant été multiplié par 9 entre 1990 et 2002.
Tandis qu’en 1990 la Chine absorbait moins d’un point (0,9%) des exportations de
l’Amérique latine et des Caraïbes, ce pourcentage était de 4% en 2004, représentant pour le
Brésil, Cuba, Argentine, Pérou, Chili entre 6 et 10%.
En effet les pays sud-américains qui détiennent des avantages compétitifs avérés dans le
domaine agroalimentaire et/ou disposent de réserves en minerais et en métaux, occuperont
une place de choix dans l’expansion commerciale de la Chine dans la Région. Les
exportations de l’Argentine, le Brésil et le Chili vers la Chine ont augmenté entre 1992 et
2002 respectivement 768%, 476% et 512%.3
Dans le cas de l’Argentine et le Brésil ce sont les produits de l’agro-industrie les plus
dynamiques, 74% du total exporté par l’Argentine concerne ces produits ; la Chine est
devenue d’ores et déjà le premier client des exportations agroalimentaires argentines devant
les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, la Grande Bretagne.
2 Lors du Sommet de l’APEC, le 16 novembre en Corée du Sud, la Chine et le Chili ont signé un Accord de
Libre-échange ; 80% des produits exportés par le Chili vers ce pays seront libres de taxes dès l’entrée en vigueur
de l’Accord.
3 Base des données Chelem.
4
Quant au Brésil, ses exportations de produits agroalimentaires vers les pays émergents ont
progressé à raison de 20% par an entre 2000 et 2004 ; la progression étant de 30% à 45% vers
la Chine, la Corée, l’Inde, l’Indonésie et la Russie. Pour la première fois, en 2004, les
exportations agricoles du Brésil vers les pays en développement ont dépassé celles destinées
aux pays développés. Voici sans doute le fondement de la position intransigeante du Brésil
dans les enceintes internationales cherchant à éliminer les subventions aux exportations
agricoles pratiquées principalement par l’UE, les USA, et le Japon ; et du rôle extrêmement
actif qu’il a joué dans la création du G20 à Cancun en 2003 et qui est devenu un protagoniste
incontournable dans le Round de Doha…4
Néanmoins les progrès dans la lutte contre la pauvreté sont très lents…
Selon le Rapport de la CEPAL, Panorama Social 2004, sur 512 millions d’habitants que
compte l’Amérique latine, 222 millions sont pauvres (44,3% de la population) dont 96
millions sont en extrême pauvreté (19,6%).
Pendant la décennie 1990 des progrès avaient été enregistrés, la pauvreté ayant diminué de 3
points en 1997. Cependant la situation s’est aggravée suite à la succession de crises
économiques et financières qu’ont traversé certains pays de la Région pendant les années
2000-2002.
Certes, ces cinq dernières années il y a eu des avancées dans la lutte contre la faim et la
mortalité infantile, ainsi que dans le domaine de l’éducation, de l’égalité des genres et de
l’accès à l’eau potable des populations. Mais concernant les niveaux de pauvreté, on est loin
d’atteindre les objectifs fixés par le Programme du Millénaire de l’ONU. Néanmoins la forte
croissance enregistrée en 2004 et les bonnes perspectives de 2005 permettraient de faire
descendre d’un point les pourcentages cités plus haut ; même si étant donné la croissance
démographique, le nombre absolu de personnes en situation de pauvreté et d’extrême pauvreté
resterait inchangé.
Le Chili est le seul pays ayant réduit de moitié la pauvreté tel que le prévoit l’objectif du
Millénaire, de même que le niveau de pauvreté extrême. Rappelons que d’autres pays ont
aussi obtenu de bons résultats dans ce domaine, comme le Brésil, l’Equateur, le Mexique, le
Panama et l’Uruguay. Ce qui n’est pas le cas de l’Argentine et du Venezuela qui enregistrent
actuellement un niveau d’extrême pauvreté supérieur à celui de l’année 1990.
Ainsi atteindre les objectifs du Millénaire en 2015 suppose pour l’Amérique latine d’accélérer
le rythme de croissance économique d’une part et de l’autre, améliorer la répartition des
revenus. Etant entendu qu’une meilleure répartition des revenus permet à la fois de diminuer
le niveau de pauvreté et d’augmenter la croissance économique.
Rappelons que l’Amérique latine reste la région la plus inégalitaire, en termes de répartition
des revenus, parmi l’ensemble des pays en développement. En effet, 25% du revenu national
est perçu par 5% de la population, tandis que dans le Sud-est asiatique, les 5% les plus riches
ne perçoivent que 16% du revenu et dans les pays développés, 13%. Or selon le Rapport de la
CEPAL comparant les données de 2002 avec celles de 1990, on serait hélas en présence d’un
processus de convergence des pays latino-américains vers les niveaux d’inégalité les plus
4 Le G20 créé à l’occasion de la Réunion de Cancun, dans le cadre des Négociations du nouveau Round de
l’OMC, était constitué au début par 21 pays (le Salvador l’ayant quitté par la suite) qui sont : Argentine, Brésil,
Bolivie, Chili, Chine, Colombie, Costa Rica, Equateur, Guatemala, Mexique, Pakistan, Paraguay, Philippines,
Afrique du Sud, Thaïlande, Venezuela, Egypte, Sénégal, Turquie, Indonésie et Nigeria.
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Amérique Latine : enjeux diplomatiques et intégration régionale, Guillermo Hillcoat, 23/03/2007

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