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L’Europe bâtit son avenir en prenant appui sur son Histoire. Et quel lieu plus
évocateur que l’Escorial pour aborder le rôle de l’UE dans la gouvernance de la
mondialisation ! Ce palais n’est-il pas tout à la fois symbole d’un pouvoir impérial
sans précédent par l’ampleur de l’empire et par sa férule sans partage, et d’une
contre-réforme radicale ; symbole encore d’une mondialisation qui s’ébauche à
partir des Découvertes de la Renaissance et d’une tentative de fonder l’organisation
du monde sur une conception rigoureuse de la religion d’Etat ; symbole enfin du
conflit entre la modernité et la réaction, dans le chef d’une même dynastie partagée
entre son ambition mondialiste – parlerons-nous de superpuissance ? – et sa
crispation sur un absolutisme déjà archaïsant.
Comment ne pas songer au conflit bien d’aujourd’hui entre globalisation et
souverainisme que seule une conception moderne et réaliste de la construction
européenne nous permet de dépasser ?
Et quel moment mieux choisi pour aborder ce thème que la veille de la Présidence
espagnole de l’UE, moment fort de la vie de l’Espagne, moment fécond de
l’intégration européenne confrontée au double défi de l’élargissement et de la
finalisation de ses structures institutionnelles dans un contexte de mondialisation ?
La réflexion que je vous propose part d’une idée-force simple : la véritable raison
d’être de l’Europe aujourd’hui, c’est de nous assurer de la dimension et de la
puissance pour peser dans l’organisation du monde. L’UE dispose, dans les deux
ou trois décennies qui viennent, d’une fenêtre d’opportunité unique pour peser de
tout son poids dans la mise en place d’un ordre économique international qui
tienne compte de ses intérêts et de ses valeurs. Aujourd’hui, l’Europe est à parité
économique avec les Etats-Unis. Demain, d’autres acteurs dans le Sud seront
montés en puissance et leur intégration dans l’économie mondiale selon les règles
et des institutions qui nous conviennent doit donc être notre préoccupation
constante. Ni l’élargissement, ni l'approfondissement, tous deux composantes
majeures de notre poids international, ne doivent nous distraire de cette ambition
qui est pour l’Europe une priorité vitale.
Permettez-moi de tenter d’éclaircir cette idée en croisant trois préoccupations de
longue durée et trois échéances d’actualité.
La prospérité et la paix dans le monde sont fonction des réponses que nous
donnerons à trois défis : la convergence Nord-Sud, l’environnement et l’articulation
entre régionalisme et multilatéralisme.
Quatre échéances méritent de retenir notre attention : le week-end dernier qui a vu
le demi-succès de Gênes et le succès modeste mais inespéré de Bonn, la
Conférence Ministérielle de l’OMC à Doha en Novembre et enfin le Sommet
Europe Amérique Latine de Madrid de mai 2002.
Reprenons ces trois défis :
/DFRQYHUJHQFH1RUG6XG
La mondialisation, n’en déplaise aux optimistes impénitents, ne conduit pas à
l’intégration du Sud. Certes, elle a permis l’émergence de Nouveaux Pays
Industrialisés dans le Sud-Est asiatique, donnant par là le signal qu’il existe bien
une voie de sortie du sous-développement. Mais elle n’a pas suffi à assurer une
croissance stable et un développement soutenable en Amérique Latine qui reste
marquée par de fortes divergences entre pays ; elle n’a pas suffi à déclencher une
modernisation à un rythme significatif du Sud de la Méditerranée et elle a
probablement contribué à la marginalisation de l’Afrique sub-saharienne.