UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE STRASBOURG POUR UNE GESTION RAISONNEE DE L’EAU ET DE SES SERVICES EN EUROPE. Benjamin MOREL Mémoire de 4ème année d’I.E.P. Sous la direction de Damien Broussolle et Anne Rozan. Juin 2007 L'Université Robert Schuman n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres leur auteur[e]. 2 REMERCIEMENTS Merci à Damien Broussolle, professeur en sciences à l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg et mon directeur de mémoire, pour ses précieux conseils, son encadrement et le temps qu’il a bien voulu m’accorder durant cette année de recherche et de rédaction. Merci à Anne Rozan, directrice du laboratoire Gestion des Services Publics (GSP) de l’Ecole Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg (ENGEES) pour avoir apporté à mon travail la reconnaissance et l’intérêt d’un chercheur en étant membre du jury de soutenance. Merci à Marie Tsanga et Rémy Barbier, chercheurs au laboratoire GSP de l’ENGEES, pour l’attention et les conseils qu’ils m’ont prodigués lors de notre entretien. Merci à Louis Job, professeur en Sciences Economiques, chercheur au laboratoire C3ED (Centre d’Economie et d’Ethique pour l’Environnement et le Développement) à l’Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines (UVSQ) pour ses indications et ses recommandations. Merci à Johan Kuylenstierna, directeur de projet au Stockholm International Water Institute (SIWI), pour l’entretien qu’il m’a accordé il y a plus d’un an et demi à Stockholm. Merci Marie-Laure Le Foulon, correspondante du Figaro en Scandinavie, pour ses conseils et pour m’avoir permis d’entrer en contact avec le SIWI. Merci à ma sœur pour ses connaissances, ses conseils et ses heures de relecture et de correction. Merci à tous ceux qui m’ont soutenu durant la rédaction de ce mémoire, ma famille et mes amis. 3 SOMMAIRE Sommaire p. 4 Introduction p. 6 I. Approche économique de l’eau. p. 15 A. L’eau : un bien particulier. p. 15 1) Nature économique du bien « eau ». p. 15 2) Multifonctionnalité des ressources en eau. p. 22 3) Financement et coût de l’eau. p. 25 4) Coût et péréquation. p. 35 B. Un secteur économique spécifique. II. p. 41 1) Une industrie en réseau. p. 41 2) Une configuration traditionnelle de monopole naturel. p. 43 3) Les services de l’eau : des services d’intérêt général. p. 47 4) La nécessité de réguler le secteur. p. 47 Modèles de gestion de l’eau en Europe. p. 60 A. L’eau : une ressource publique. p. 60 1) Une répartition inégale. p. 60 2) Publicisation des services. p. 62 3) Crise du modèle municipal. p. 63 4) Réponses apportées : analyse de cas. p. 64 B. Gestion de la ressource : analyse de cas. p. 72 1) Développement historique de la notion de gestion intégrée. p. 72 2) Le Royaume-Uni : le bassin-versant comme territoire d’une p. 77 gestion centralisée. 3) La région administrative comme élément cohérent de la 4 p. 78 gestion de l’eau dans les pays adeptes de la subsidiarité. III. 4) Le régionalisme des Etats méditerranéens. p. 80 5) La France et ses agences de l’eau. p. 81 La prise en compte des enjeux de développement durable dans la p. 91 gestion des services de l’eau en Europe. A. La nécessaire mise en place de critères de performance. p. 91 1) Les « 3 E » du développement durable. p. 91 2) Utilité de la mesure de performance pour la régulation. p. 94 3) La construction des indicateurs. p. 98 B. La nécessité d’un observatoire européen. p. 103 1) La régulation dans les Etats européens. p. 103 2) Défaillance des systèmes actuels. p. 109 3) Pertinence d’un organisme européen. p. 112 Conclusion. p. 117 Liste des graphiques et tableaux. p. 123 Liste des annexes. p. 124 Bibliographie. p. 143 Table des matières. p. 148 5 INTRODUCTION Au cours des trente dernières années, plusieurs industries en réseau, marquées par des situations de monopole naturel, ont subi des modifications quant à leur réglementation, voire ont été simplement déréglementées, afin d’introduire plus de concurrence par une participation accrue du secteur privé. Les secteurs de l’énergie, des télécommunications, des transports sont des exemples d’industries en réseau qui ont été touchées par des changements concernant l’intervention de l’Etat. Ces modifications sont en partie issues d’une meilleure perception à deux niveaux : d’un côté, le rôle à jouer par les gouvernements et de l’autre côté la compréhension par les économistes du fonctionnement des entreprises réglementées, notamment des entreprises caractérisées par une situation de monopole naturel. En premier lieu, les gouvernements, qu’ils soient européens, américains ou autres, estiment que leur rôle se restreint plus à déterminer la manière dont les opérations économiques doivent être menées plutôt qu’à les mener eux-mêmes. On voit donc succéder dans de nombreux cas à l’Etat entrepreneur, un Etat stratège, considérant que sa mission consiste à procéder aux arbitrages fondamentaux entre valeurs et objectifs concurrents, à déterminer ce qui est socialement désirable et à mettre en place les conditions nécessaires pour atteindre ces objectifs. En second lieu, l’implosion des économies planifiées, ayant partiellement contribué à la chute de l’Empire soviétique, et la croissance spectaculaire des économies libérales ont été le ciment d’un consensus qui s’est installé progressivement et qui, selon ses supporters, servirait mieux la croissance économique et le bien-être des populations par une organisation sociale qui ouvre largement la place aux marchés concurrentiels et limite l’intervention publique à des domaines plus ciblés, plus spécifiques. Il ne faudrait pour autant pas nier l’accroissement des inégalités dans le monde, mais il s’agit là d’un débat au sein duquel il ne nous revient pas d’intervenir. Dans le cas des télécommunications ou des transports, la plupart des gouvernements occidentaux en sont arrivés à la conclusion que l’efficacité et le dynamisme de ces secteurs seraient mieux servis par des entreprises privées fortes et compétitives opérant sous réglementation gouvernementale plutôt que par des monopoles d’Etat. Par 6 conséquent, les investissements privés dans le développement de ce type d’infrastructures ne cessent d’augmenter [Boyer M., Patry M. et Tremblay P., 1999]. La libéralisation de ces services publics industriels et commerciaux finit par toucher tous les secteurs, y compris ceux de l’eau et de l’assainissement. En Europe, ce phénomène est largement lié au développement du marché unique. Au sein des Etats européens, parmi les services publics en réseau, ceux de l’eau semblent avoir été exclus des restructurations observées dans les autres secteurs jusqu’à très récemment, si ce n’est que le recours à la gestion déléguée et à différentes formes de privatisation s’est fortement développé au cours des vingt dernières années [Lorrain, 1995 ; Lorrain et Stoker, 1995]. Il s’agit donc de savoir si les services de l’eau sont susceptibles de faire l’objet des mêmes restructurations que les autres services à caractère industriel et commercial, en se demandant si les services de l’eau peuvent être considérés comme des services d’intérêt général au même titre que les autres. Cette problématique découle fondamentalement de la nature du bien qu’est l’eau [Breuil, Garcia et Guérin-Schneider, 2003]. La Directive-Cadre sur l’Eau de l’Union Européenne considère d’une part que l’eau n’est pas « un bien marchand comme les autres, mais plutôt un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel ». Elle complète plus loin en affirmant que « l’approvisionnement en eau constitue un service d’intérêt général tel que défini dans la communication de la Commission sur les services d’intérêt général » (COM(96) 443 final). De plus, cette même directive intègre une part économique importante en posant que : « l’utilisation d’instruments économiques par les Etats membres peut s’avérer appropriée dans le cadre d’un programme de mesures ; il convient que le principe de récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources associés aux dégradations ou aux incidences négatives sur la milieu aquatique soit pris en compte conformément, en particulier, au principe du pollueur-payeur ; il sera nécessaire à cet effet de procéder à une analyse économique des services de gestion des eaux, fondée sur des prévisions à long terme en matière d’offre et de demande d’eau dans le district hydrographique ». Cette position de l’Union Européenne rejoint le consensus dégagé lors du Forum Mondial de l’eau en 2000 définissant l’eau comme un bien économique. A ce jour, un 7 des enjeux majeurs pour sécuriser les besoins en eau est la gestion de la ressource en partant de ses valeurs économiques, sociales et culturelles dans tous ses usages, afin de se diriger vers une tarification des services de l’eau qui reflète le coût d’acheminement et de potabilisation de l’eau, tout en maintenant une place centrale à la nécessité d’accès universel à l’eau, en tant que bien commun. Par ailleurs, l’expertise au sein du domaine de l’eau fait de plus en plus appel à des spécialistes et chercheurs en sciences sociales. En effet, un besoin de connaissances nouvelles s’impose face aux impératifs liés à une gestion durable de l’eau et des services de l’eau. La Directive-Cadre sur l’Eau de l’Union Européenne, parue au Journal Officiel des Communautés Européennes le 22 décembre 2000, cherche à établir une politique européenne de l’eau, en faisant de la reconquête des milieux aquatiques, un objectif en soi [Barraqué, 2001]. Pour s’en rendre compte, il paraît essentiel d’opérer un retour historique sur la politique européenne en matière d’eau et d’environnement. Deux méthodes de rationalisation des normes peuvent être utilisées : la première passe à travers l’imposition de normes techniques, alors que la seconde impose des normes fixant des objectifs et laisse aux acteurs économiques le choix de la technique employée pour atteindre ces objectifs. Cette seconde méthode peut être divisée en deux types de normes : les normes d’émission et les normes d’immission. La première catégorie de normes vise les rejets de pollution ou la contamination de l’eau potable en fixant par exemple le taux de phosphates rejeté par une station d’épuration ou le taux de plomb de l’eau potable mesuré au robinet. La seconde catégorie de normes vise la qualité du milieu récepteur en limitant, par exemple, l’accumulation de phosphates dans le milieu récepteur ou le taux de plomb dans le sang des usagers. La deuxième méthode est réputée plus rationnelle mais le degré de difficulté de mise en œuvre qui la caractérise est important. La Direction Environnement de la Commission Européenne s’efforce ainsi depuis de nombreuses années de combiner ces deux méthodes. La première série de directives en matière de politique de l’eau en Europe date de la période 1975-1980 et visait l’ensemble de la pollution organique et chimique de l’eau. La première de ces directives concerne les eaux de surface, interdisant leur exploitation 8 pour en faire de l’eau potable si elle est trop polluée. Les autres directives (eau de baignade, eau conchylicole, rejets toxiques industriels, eau potable et eaux souterraines) fixent quant à elles, des normes d’émission. Dans les années 1980, aucun changement qualitatif dans la normalisation n’a été opéré, les directives étant plutôt des variantes découlant de la directive sur les rejets toxiques de l’industrie. Cependant, la fin des années 1980 a été marquée par un saut « qualitatif » dans la pollution de plusieurs bassins-versants d’Europe : la baisse de la toxicité liée aux rejets industriels, issue des directives européennes de la décennie précédente, a abouti à des accidents d’eutrophisation, c’est-à-dire un excès de nutriments dans l’eau par la combinaison de nitrates et de phosphates. Dès lors, trois nouvelles directives visant ce problème ont été lancées au sommet de Francfort de 1989 afin d’augmenter la pression sur les services publics d’assainissement d’un côté, et sur les agriculteurs de l’autre côté. Les deux premières directives sont sorties en 1991 : la Directive Eaux Résiduaires Urbaines (DERU) et la Directive Nitrates Agricoles (DNA). Elles imposent aux Etats membres d’identifier des zones sensibles ou vulnérables aux problèmes d’eutrophisation et des normes de rejets sont fixées. [Conesa Allolea, 2003]. La troisième directive devait définir une stratégie de reconquête de la qualité écologique des rivières. Cependant, cette perspective a suscité un véritable tollé comme le rappelle Barraqué : « [Mais] d’une part, le projet était dans les mains d’experts en hydroécologie qui tendaient à partir d’une modélisation sophistiquée de la nature seule (sans intégrer la pression anthropique, donnée incontournable dans la vieille Europe) ; d’autre part, plusieurs pays membres ont pensé que la combinaison recherchée de normes de rejets et de normes visant le milieu les placerait dans une « tenaille écologique » dont ils ne pourraient sortir que par des investissements massifs ou des ruptures économiques fortes. La révolte grondant, les consommateurs d’eau européens s’étant mobilisés, on décida de tout remettre à plat […] » [Barraqué, 2001, p. 2]. Ainsi naquit le mouvement de réflexion intense qui aboutit à la Directive cadre de 2000, visant à la reconquête des milieux aquatiques et adoptant une dimension plus qualitative. Par ailleurs, cette directive s’efforce d’inscrire la gestion de la ressource en eau et des services publics de l’eau dans une perspective de développement durable. Qu’est-ce à dire ? 9 Barraqué analyse cela selon ce qu’il appelle les « 3 E » du développement durable : Economie, Environnement, Ethique. Le projet Eurowater, débuté en 1993, analyse les enjeux socio-politiques et environnementaux de la gestion de la ressource et des services de l’eau selon une problématique en « 3 E » qui se détaille de la manière suivante : - les modes de financement actuels, et en particulier les factures d’eau lorsqu’il y en a, permettent-ils de maintenir le patrimoine technique en bon état, une fois l’équipement initial réalisé ? Cette formulation pose la question de savoir si les Européens sont en mesure de s’offrir leurs services publics de l’eau à long terme. Cette précision paraît nécessaire lorsque le terme de full cost pricing, c’est-à-dire de tarification au coût complet est utilisé par les instances européenne et la plupart des économistes, sans indiquer si le coût complet prend en compte l’investissement et le renouvellement des installations. Ceux-ci sont-ils assurés par des emprunts, des amortissements et des provisions, des subventions ou encore des systèmes de péréquation du genre des Agences de l’Eau en France ? - quels investissements supplémentaires faut-il consentir pour améliorer les performances environnementales et de santé publique des services ? Dans chaque pays européen, les nombreuses directives sur l’eau potable, l’assainissement, l’épuration, le milieu aquatique s’ajoutent aux politiques nationales plus anciennes ou plus spécifiques et se traduisent par des investissements importants. Barraqué prend l’exemple de la DERU (CEE 271/91) et évalue son coût selon différents pays [Barraqué, 2001, p.3] : « la DERU a été évaluée à 12,5 milliards d’euros pour les Britanniques, 13 pour les Français, 28 pour les Italiens et jusqu’à 65 pour l’Allemagne (dont près de la moitié pour les Länder de l’ancienne République Démocratique d’Allemagne) ». D’autre part, ne faut-il pas se résoudre à l’idée qu’il faudra subventionner le système de manière périodique ? - si tous ces investissements et ces coûts de fonctionnement accrus se répercutent sur le prix de l’eau, les usagers pourront-ils encore payer et l’accepteront-ils ? Quelle sera l’attitude des élus, soumis à la pression médiatique ? En France, la dimension démagogique de leurs discours, face au « racket » auquel seraient soumis les 10 consommateurs, tend à reporter les investissements indispensables à une date ultérieure, bien après les élections. Ces trois axes de la pérennité, de la durabilité, de la tenabilité à long terme des services de l’eau en Europe sont partiellement incompatibles. De ce fait, l’évaluation des services publics de l’eau s’avère difficile. En effet, le besoin croissant de la maîtrise de l’avenir de la ressource et des services engendre une spécialisation et un degré d’expertise qui ne sont pas compatibles avec l’exigence de transparence, de participation accrue et d’évaluation immédiate des usagers. Nous verrons comment les attitudes diffèrent en Europe selon les pays : certains opèrent un lissage de l’impact des investissements sur les factures en concentrant les services publics à une échelle supralocale, voire régionale (Angleterre), d’autres mettent en place des mutuelles ou des banques de l’eau en faisant payer aux usagers des redevances qu’ils pourront récupérer sous formes de subventions ou de prêts aidés à certains conditions (Agences de l’Eau françaises), d’autres encore font gérer plusieurs services publics locaux par la même entreprise transversale (Stadtwerk ou Querverbund allemand). Au regard de l’histoire de l’intervention européenne en matière de politique de l’eau et des enjeux de développement durable qui s’impose à elle aujourd’hui, quelles sont les ambitions de la Directive Cadre sur l’Eau ? Tout d’abord, en matière d’environnement, il s’agit d’atteindre, pour chacun des « districts hydrographiques » établis par les Etats membres, y compris les districts internationaux, un bon état écologique d’ici 2015. Il s’agit de se rapprocher d’un « état de référence » qui n’est pas nécessairement l’état naturel d’avant le développement démographique et industriel de l’Europe, mais un état traduisant un respect affirmé de l’environnement et des écosystèmes. Par ailleurs, en matière d’économie, l’objectif est de se rapprocher de l’autofinancement des politiques de l’eau, secteur par secteur, grâce à une tarification appropriée des divers usages, prenant en compte les coûts environnementaux et les coûts de la ressource, et établir avant toute chose un bilan du taux de recouvrement des coûts par les recettes. Enfin, en matière d’éthique, la directive ambitionne de donner la possibilité au public de participer à l’élaboration des politiques et de lui fournir les informations relatives à l’économie et l’environnement en ce qui concerne la politique de l’eau, tels 11 qu’envisagés plus haut ( financement, investissement, fréquence du renouvellement des installations, répercussions sur les prix…). Pour atteindre ces objectifs au sein d’une politique commune de l’eau en Europe, il faut inscrire les enjeux de la gestion de la ressource en eau et des services publics de l’eau dans une perspective de développement durable. Cette démarche implique de se pencher également sur la question de la régulation en cas de libéralisation des services de l’eau. En 2000, suite à la communication de la Commission des Communautés Européennes sur les services d’intérêt général (COM(2000) 580 final), le rapporteur Langen au Parlement européen a invité les Etats membres à examiner dans quelle mesure le marché de l’eau pouvait être plus largement ouvert aux capitaux privés. D’après lui, une ouverture limitée du marché aurait des conséquences positives sur la sécurité d’approvisionnement, la formation des prix, la protection des nappes phréatiques et l’environnement. Le Parlement a finalement rejeté les propositions avancées, préférant opérer un bilan sur l’impact réel de la libéralisation avant d’avancer plus dans le processus. En parallèle, un autre débat a été engagé avec la communication de la Commission sur la tarification et la gestion durable des ressources en eau (COM(2000) 477 final). Cette communication invitait le Conseil et le Parlement à inciter les autorités nationales et régionales à mettre en place des politiques de tarification compatibles avec les objectifs de la directive-cadre sur l’eau, c’est-à-dire inciter les usagers à utiliser les ressources en eau de manière plus durable et de recouvrer les coûts des services de l’eau suivant les secteurs de l’économie, appelant ainsi à différencier les usages. Comme le rapporte le Bureau Européen de l’Environnement [2002], le Comité des Régions avait préconisé dans un avis du 23 juillet 2001, la mise en place d’une agence de l’eau européenne au niveau communautaire, opérant sous les auspices du Parlement européen en coopération avec les représentants nationaux, régionaux et locaux. Cet avis n’ayant pas été adopté et le rapport sur la communication ayant été rejeté par le Parlement, le projet d’une agence de l’eau européenne est resté lettre morte. Cependant, le processus de libéralisation est aujourd’hui enclenché et il est fondamental de déterminer le mode de gestion le plus approprié dans chaque pays, de déterminer des méthodes de comparaison entre services et des mécanismes de régulation des services, sous peine de ne pouvoir faire face aux 12 investissements et aux adaptations institutionnelles nécessaires à la pérennité des services de l’eau. Le rôle des institutions européennes et des décideurs politiques à l’échelle européenne est donc de dégager une politique de l’eau qui concilie rentabilité économique, accès universel à l’eau pour tous ses usagers et gestion durable de la ressource. Cela dépasse le simple cadre de la gestion intégrée telle qu’envisagée à travers différents modes de gestion de la ressource appliqués par les Etats européens. Il s’agit de promouvoir une gestion de l’eau qui inclue l’efficacité économique des services, leur pérennité, leur accès par tous, tout en préservant la ressource que cela soit en quantité ou en qualité. C’est pourquoi nous défendons ici la mise en place d’une gestion raisonnée des services de l’eau en Europe. Pour nous permettre d’évaluer les différents modes de gestion des services de l’eau et de l’assainissement et de gestion de la ressource afin de déterminer s’ils s’intègrent dans la logique de libéralisation respectueuse du développement durable prônée par l’Union Européenne, il nous faut dans un premier temps, revenir sur la nature du bien « eau ». Bien commun car non-exclusif mais rival, l’eau est aussi un bien multifonctionnel dont les usages divers peuvent être concurrents. Il s’agira donc d’envisager les différents modes de tarification employés en Europe pour savoir comment, et dans quelles mesures elles y parviennent, les autorités publiques s’efforcent de rapprocher le prix de l’eau de la valeur réelle de l’eau. Afin de prendre tous les facteurs en considération, il nous faut également envisager les spécificités techniques et économiques du secteur de l’eau à travers ses caractéristiques particulières d’industrie en réseau aboutissant traditionnellement à une situation de monopole naturel tout en ayant des obligations liées à leur statut de service public d’intérêt général. La volonté d’augmenter la pression concurrentielle pour maximiser l’efficacité économique de ce secteur nous amènera à détailler la nécessité de réguler le secteur économique de l’eau. Après avoir ainsi analysé dans une première partie les aspects économiques du bien « eau » et du secteur de l’eau, nous nous intéresserons dans une deuxième partie aux différents modèles de gestion des services de distribution d’eau et d’assainissement et de gestion de la ressource en eau, pour répondre à des questions telles que l’organisation économique préférable des services, l’échelon territorial de gestion, l’inscription de cette gestion dans le champ démocratique. Pour cela, nous nous pencherons sur 13 différents Etats tels que la France, le Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles), l’Allemagne, les Pays-Bas, les Etats méditerranéens : Italie, Espagne et Portugal. Enfin, face aux impératifs de développement durable posés par l’Union Européenne, nous nous demanderons quelles réformes devraient être mises en place au sein de la gestion des services de l’eau afin de garantir la reconquête de la qualité de l’eau dans le milieu, l’assurance d’une participation accrue du public et la couverture des coûts par les prix. Nous verrons ainsi dans une troisième partie que pour répondre à ces objectifs, il faut être en mesure, d’une part, d’évaluer la performance de ces services, de comparer leurs prestations afin d’augmenter la pression concurrentielle et de régler des problèmes tels que l’asymétrie d’information au sein des délégations de service public et, d’autre part, de mettre en place des mécanismes institutionnels de régulation utilisant ces critères de performance tant à l’échelon national qu’à l’échelon européen avec, par exemple, la mise en place d’un observatoire européen de la régulation. Ces ajustements dans la gestion et la régulation des services publics de l’eau et de l’assainissement sont une étape nécessaire pour atteindre les objectifs que nous avons déjà énumérés : l’efficacité économique, la garantie d’accès à une eau de bonne qualité par tous, la pérennité des services et leur légitimité démocratique. 14 I. Approche économique de l’eau. A. L’eau : un bien particulier. En sciences économiques, on a tendance à traiter de la même manière différentes catégories de biens, utilisant les termes de bien collectif, de bien public, de bien libre, de bien commun comme des synonymes. Cependant, ces notions ne sont pas interchangeables et véhiculent des caractéristiques propres à chacune. Pour bien gérer l’eau et adapter cette gestion aux différents contextes socioéconomiques, géographiques et culturels, la question de la bonne définition de la nature du bien « eau » est centrale. Par ailleurs, le caractère multifonctionnel des ressources en eau entraîne des conflits d’usage qui nécessitent une bonne allocation des ressources afin de garantir efficacité économique et équité. Au-delà, le financement des services de distribution d’eau potable et d’assainissement s’opère à travers la rémunération des services et donc le prix payé par les usagers. Il conviendra d’aborder la notion de coût de l’eau pour déterminer ses caractéristiques telles que l’absence d’unicité du prix de l’eau, les facteurs faisant varier ce coût, et les modes de tarification différents utilisés en Europe. Enfin, nous aborderons les grands principes assurant à la fois pérennité, efficacité et équité au sein de la structure du prix de l’eau à travers les notions de pollueur-payeur et de péréquation, qui ont pour objectif de rapprocher le coût économique de l’eau, assumé par les usagers, de la valeur de l’eau en tant qu’actif social. 1) Nature économique du bien « eau ». « Un bien est une chose reconnue apte à la satisfaction d’un besoin humain et disponible pour cette fonction. » [Menger, 1981]. • Le paradoxe de l’eau et du diamant. La place de l’eau en tant que bien est soumise à un paradoxe fondamental déjà souligné par Adam Smith dans son ouvrage La Richesse des Nations publié en 1776. En 15 effet, utilisant l’exemple de l’eau et du diamant pour établir les concepts de « valeur d’usage » et de « valeur d’échange », Adam Smith souligne que, bien que l’eau soit un élément vital à l’être humain lui conférant une forte « valeur d’usage », sa relative abondance face au diamant implique une faiblesse de sa « valeur d’échange ». Inversement, bien que le diamant ne soit d’aucune nécessité pour la survie de l’être humain, sa « valeur d’échange » est largement supérieure à celle de l’eau du fait de sa rareté. La science économique s’est longtemps satisfait de ce constat que l’on enseigne à tous les étudiants en première année de micro-économie. Cependant, est-il bien raisonnable de s’arrêter à un tel paradoxe alors que la question de la gestion de l’eau et des services de l’eau acquiert aujourd’hui une place centrale au sein des sociétés contemporaines ? • L’eau : un bien naturel rare. Le paradoxe souligné par Adam Smith a longtemps permis aux sciences économiques d’exclure l’eau du champ d’analyse économique, arguant que son abondance relative en faisait un bien libre, c’est-à-dire sans valeur d’échange au sens de la théorie économique. Pourquoi ? La micro-économie se base sur le concept d’utilité marginale pour caractériser la demande de biens. L’utilité marginale peut-être définie comme la satisfaction subjective dégagée par la dernière unité de bien consommée. L’utilité marginale détermine ainsi la valeur d’échange du bien. Par ailleurs, la formation du prix d’un bien s’opère par la rencontre entre les coûts de production de l’offre et l’utilité marginale de la demande [Généreux, 1995]. L’exclusion de l’eau du cadre de l’analyse économique était également issue du fait que l’on a longtemps considéré que son coût de production était nul. Comme le soulignait Jean-Baptiste Say lors de ses cours d’économie politique : « Les richesses naturelles sont inépuisables car sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être multipliées ou épuisées, alors elle ne sont pas l’objet des sciences économiques ». Pourtant, aujourd’hui, il n’est plus possible d’exclure l’eau des considérations économiques. En effet, l’accroissement de la population et l’augmentation du niveau de vie et donc de la consommation en eau participent à la baisse de l’abondance relative de l’eau et contribuent à la pollution de la ressource en eau et des milieux aquatiques. De 16 ce fait, tant quantitativement que qualitativement, l’eau ne peut plus être considérée comme un bien disponible de manière illimitée. Le rapport entre l’accroissement démographique mondial et l’augmentation de la consommation d’eau entre 1955 et 1990 est de deux : si la population mondiale a doublé, la consommation d’eau a été multipliée par quatre [Givone, 2000]. De ce fait, l’augmentation de la demande en eau en tant que bien final mais également en tant que facteur de production induit des problèmes d’allocation des ressources, faisant de l’eau un bien naturel rare au sens de la théorie économique. Comme le rappelle Hugon [2002], le caractère économique d’un bien est lié à quatre conditions : la connaissance ou la prévision du besoin humain, la propriété objective de la chose qui la rend apte à satisfaire le besoin, la connaissance de cette aptitude et la disponibilité de la chose. Suivant cette position doctrinaire, d’après Robbins, un bien économique est un bien rare pour lequel plusieurs utilisations alternatives sont possibles [Robbins, 1947]. Ainsi, la définition de bien économique s’opère à travers les principes de rareté et de choix, mais également de besoin. Cette précision quant à la définition de bien « économique » nous permet de distinguer ce type de bien de celui de bien « marchand ». La rareté d’une ressource entraîne une concurrence dans ses usages et donc des rivalités de consommation. Cette compétition ne valorise pas la ressource que par les prix. Les déterminants de choix des usagers de la ressource peuvent être autres que les règles de l’offre et de la demande, tels que la nécessité dans le cas de l’eau [Taithe, 2001]. De ce fait, dans la mesure où l’élasticité de la demande en eau est, par nécessité vitale, réduite, l’eau est un bien économique et non un bien marchand. Ainsi, l’évolution progressive de la place des ressources en eau dans la théorie socio-économique en fait désormais non plus une ressource naturelle illimitée, inépuisable mais un bien économique rare et non marchand [Calvo-Mendieta, 2005]. • L’eau : bien public ou bien privé ? La notion de « bien public » est utilisée de manière assez chaotique par la littérature économique. Nous nous intéresserons donc ici à la caractérisation formelle des biens et non à leur régime de propriété. Rappelons que les conséquences sur la gestion d’un bien 17 ou d’une ressource seront différentes selon le système d’allocation des droits d’usage ou de propriété défini sur le bien ou la ressource en question. Le besoin de s’organiser collectivement afin de produire des services nécessaires à la collectivité, la société prise dans son ensemble, bien qu’il soit coûteux de les subventionner individuellement, était déjà évoqué par Hume dans son Traité sur la Nature Humaine, en 1739. Cependant, la théorie des biens publics est, par tradition, attribuée à Samuelson dans son article fondateur de 1954 [Cornes et Sandler, 1996, cité par Calvo-Mendieta, 2005 ]. Samuelson commence son article en distinguant explicitement deux catégories de biens : « des biens de consommation privée ordinaires (X1, …, Xn) qui peuvent être distribués parmi différents individus (1, 2, …, i, …, s) selon les relations ; et des biens de consommation collective (Xn+1, …, Xn+m) dont tous bénéficient en commun dans le sens où la consommation de chaque individu de ce type de bien n’implique aucune réduction dans la consommation de ce bien d’un autre individu, de telle sorte que Xn+j = Xin+j simultanément pour chaque individu i et chaque bien de consommation collective » [Samuelson, 1954, p. 387]. Aujourd’hui, les définitions actuelles définissent différentes catégories très distinctes de biens : les biens publics purs, les biens publics impurs ou mixtes et les biens privés. Des biens sont des biens publics purs lorsqu’ils remplissent deux conditions cumulatives : la non-exclusion : un bien est non-exclusif lorsqu’il est accessible par tous, sans qu’il soit possible pour une personne d’empêcher d’autres d’y avoir accès, si ce n’est en assumant un coût élevé. la non-rivalité : la consommation d’une unité de bien par une personne ne prive pas une autre personne de la consommation de cette même unité de bien. Dès lors que la consommation d’une unité de bien par un 18 individu élimine totalement le bénéfice que d’autres individus auraient pu tirer de cette unité, on parlera de rivalité dans la consommation. Les biens peuvent être classés de la manière suivante suivant les critères d’exclusion et de rivalité : Tableau 1 – Classification des biens selon les critères d’exclusion et de rivalité. Rivalité Non-rivalité Exclusion Biens privés Biens de club Non-exclusion Biens communs Biens publics purs Source : Calvo-Mendieta [2004, p56] Stiglitz définit de la manière suivante le bien collectif (public) pur : « un bien collectif est un bien tel que l’extension de son bénéfice à une personne supplémentaire a un coût marginal nul et tel que l’exclusion d’une personne supplémentaire a un coût marginal infini » [Stiglitz, 2000, p. 132]. A l’inverse, les biens privés sont à la fois exclusifs et rivaux car leur jouissance est réduite à un ou plusieurs agents et la consommation du bien par certains prive les autres de la jouissance du même bien. On classe ainsi traditionnellement les vêtements ou la nourriture dans les biens privés, mais l’éclairage public ou l’enseignement dans les biens publics purs. Néanmoins, il existe des situations intermédiaires occupées par les biens publics impurs et au sein desquelles les bénéfices sont partiellement rivaux et/ou exclusifs. Soit les biens publics impurs sont dotés de ces deux caractéristiques, mais moins fortement que les biens purement publics, soit ils ne sont dotés que de l’une des deux caractéristiques. Par conséquent, on peut définir ces types de biens selon deux catégories : les biens de club [Buchanan, 1965 ; Buchanan et Musgrave, 1999] qui sont uniquement non-rivaux et les biens communs qui sont rivaux et non-exclusifs [Ostrom, 1990]. Ainsi, l’éventail de natures de biens ne se compose pas uniquement de deux pôles totalement opposés que seraient les biens publics purs et les biens privés. Le panel est plus large, incluant des biens intermédiaires reflétant les situations plus courantes au 19 sein desquelles les biens sont dotés, soit à un degré moins important des deux attributs d’exclusion et de rivalité, soit ne sont dotés que d’un d’entre eux. La caractéristique de rivalité renvoie également à la notion d’« effets d’encombrement », c’est-à-dire la situation où la consommation d’un individu réduit la qualité du service disponible aux autres. En effet, la satisfaction retirée par un agent économique de la jouissance d’un bien donné peut être fonction du nombre d’individus qui consomment ce même bien (on pensera ici aux autoroutes et leurs embouteillages traditionnels en période de départ en vacances). En outre, la caractéristique de non-exclusion implique dans de nombreux cas le désengagement des individus vis-à-vis de la production ou du financement du bien. On évoque ici le comportement de « cavalier libre » ou de « passager clandestin » (« free rider ») [Buchanan, 1969]. En effet, si on accepte le principe de rationalité individuelle (largement remis en cause par Smith au sein d’expériences en économie expérimentale [Smith, 1992]), chaque individu a, a priori, intérêt à cacher son utilité quant à la consommation d’un bien afin de reporter son financement sur les autres et en bénéficier tout de même lorsque sa construction sera terminée. Pourtant, un paradoxe apparaît ici : si tous les agents se comportent de la même manière, alors le bien ne sera pas produit ou sera mal produit [Picard, 1998 ; Olson, 1966]. Ce dilemme est levé par Wicksell qui propose que les décisions relatives à la production des biens publics soient prises à l’unanimité : « Il lui [à l’individu tenté de se comporter en passager clandestin] est donc impossible d’être cavalier libre : s’il refuse un accord, il ne peut espérer que les autres le passent malgré tout, c’est-à-dire qu’il ne pourra plus obtenir de bénéfices sans supporter les coûts correspondants » [Buchanan, 1969, p. 72]. La théorie économique s’accorde pour reconnaître le caractère non-exclusif des ressources en eau, mais pas celui de non-rivalité d’usage. En effet, l’exemple d’une surexploitation d’une nappe phréatique ou l’utilisation d’un cours d’eau comme égout par certains acteurs prive les autres agents économiques de la jouissance de la nappe dans le premier cas et de la rivière dans le second. 20 • L’eau : un bien commun. L’appréciation des caractères de non-exclusion et de non-rivalité concernant les ressources en eau place ces dernières dans la catégorie des biens communs [Ostrom, 1990]. En effet, les développements théoriques tirés de la difficulté d’exclusion sont applicables tant aux bien publics purs qu’aux biens communs. On remarque justement que le «comportement de « passager clandestin » est commun aux biens publics et aux biens communs puisque l’importance des coûts d’exclusion est élevée dans les deux cas (il serait très coûteux à un individu d’exclure un autre individu de la jouissance de la défense nationale par exemple). En l’occurrence, dans le domaine de l’eau, il pourrait être tentant pour un individu de cacher son besoin en eau courante pour ne pas avoir à financer l’installation d’un réseau d’eau potable. Cependant, il serait extrêmement coûteux aux autres agents d’exclure cet individu de l’accès à une fontaine publique par exemple. En revanche, les « effets de surutilisation », que l’on ne retrouve pas dans le cas des biens publics purs, sont chroniques dans le cas des biens communs. On pensera ici aux eaux souterraines, rivières et autres zones humides pour lesquelles les effets d’encombrement sont inhérents à leur utilisation. Comme le rappelle pertinemment Calvo-Mendieta, les délimitations entre les différents types de biens peuvent évoluer du fait de facteurs variés : « […] la définition de ces « biens de consommation collectifs » ou « biens publics » n’a rien de permanent, puisqu’elle évolue selon de nombreux paramètres : la technologie (une consommation auparavant non-exclusive peut devenir exclusive, et vice versa), les contraintes de chaque société, les activités économiques, l’environnement juridique, la rareté du bien (qui peut accélérer la rivalité et les conflits d’usage), la situation géographique… » [Calvo-Mendieta, 2005, p. 36]. De ce fait, les critères d’analyse que sont la non-rivalité et la non-exclusion, ne sont pas des catégories qui découlent de soi, mais bien des constructions socio-historiques. De plus, on distingue des effets d’échelle dans la catégorie de chaque bien : le degré d’exclusion peut varier suivant la taille du « club » (local, régional, national…), la proximité géographique, la culture, la situation économique. Enfin, le degré de rivalité est apprécié par chaque individu et est donc lié à la perception subjective des agents qui évaluent la relativité de la rareté du bien et la possibilité de choix alternatifs. 21 On s’aperçoit par conséquent que les critères permettant d’identifier les biens ne sont pas figés dans le cas de l’eau. Si certains individus peuvent produire de l’eau potable, cela crée automatiquement une exclusion pour ceux qui n’auront qu’un accès à une eau polluée ; mais si l’ensemble des acteurs d’un secteur hydrographique s’entend pour maîtriser la pollution, le critère de rivalité en matière de ressource en eau perd son sens [Taithe, 2001]. Enfin, il ne faut pas confondre usage et propriété. Un bien public pur n’est pas la propriété de tous mais un bien qui peut être consommé par chacun, sans qu’aucun ne soit exclu de sa jouissance pour cette raison. Cependant, la logique d’appropriation peut différer suivant le degré de rivalité ou d’exclusion : « Considérer un bien public […] comme un bien en libre accès […] ou en propriété publique a d’importantes incidences sur la perception du bien public par les consommateurs et leurs stratégies de gestion » [Taithe, 2001]. Ainsi, si la ressource en eau est considérée comme suffisamment abondante, elle pourra être gérée individuellement, mais si elle se raréfie et que la rivalité et les conflits d’usage augmentent, alors il peut être pertinent d’engager une approche plus collective de sa gestion. En somme, la Directive Cadre sur l’Eau de l’Union Européenne tend à retenir la définition présentée ici, à savoir que « l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres ». L’eau est un bien non marchand public impur : un bien commun. Dès lors, il convient d’évaluer les difficultés résidant dans la définition d’un régime de propriété pour une ressource multifonctionnelle, qui déterminera son système d’allocation et de gestion. 2) Multifonctionnalité des ressources en eau. L’eau a la capacité de remplir des fonctions variées en rendant un large panel de biens et de services auprès de multiples usagers. Si la notion de multifonctionnalité a été bien développée en économie rurale pour caractériser l’économie agricole (sécurité des approvisionnements, solidarité envers une catégorie de la population, sécurité alimentaire, stabilité des prix et des marchés agricoles, préservation de l’emploi et entretien des campagnes…) [Blanchemanche et al., 2000], celle de la ressource en eau 22 n’a pas été abordée de cette manière, réduisant ainsi le prisme à travers lequel l’exploitation de la ressource est analysée. Généralement, on recense trois utilisations de l’eau : l’usage domestique, l’usage industriel et l’usage agricole. Cette catégorisation permet d’avoir une approche assez globale et synthétique des trois usagers principaux, permettant de conceptualiser plus facilement les consommateurs d’eau. Pourtant, il est superficiel de s’arrêter à cette distinction simplifiée dans la mesure où il existe une diversité réelle des usages qui est bien souvent à l’origine des problèmes d’appréhension et de gestion de la ressource. L’eau est en mesure d’assurer diverses fonctions telles que biologiques, hydrologiques, etc… Celles-ci ne sont pas immuables et peuvent prendre des formes diverses en fonction du contexte géographique, des pratiques industrielles, agricoles, urbaines, etc… [Calvo-Mendieta, 2005] Le tableau 2 récapitule la diversité des usages et des usagers de l’eau, leurs différents niveaux et les situations de conflits potentielles, afin de rendre compte de la dimension multifonctionnelle de la ressource. 23 Tableau 2 – Multifonctionnalité des ressources en eau Biens et services Types d’usages Environnement vivant Nourriture, reproduction Conflits potentiels Hydroélectricité, épuration d’eau, activités polluantes Production Drainage Organismes vivants, protection de la nature Production Production d’eau minérale Activités polluantes, usages exigeant une qualité forte Production Energie Infrastructures de loisirs et touristiques Protection de la nature, usages de (piscines, neige artificielle…) consommation (quantité) Production hydroélectrique Protection de la nature (débit minimal, purges) Epuration d’eau Epuration (ménages, industries, Hydroélectricité, organismes vivants, agriculture) santé, récréation, tourisme, protection de la nature Support Navigation Hydroélectricité, agriculture Support Extraction de gravier (carrière) Récréation, tourisme, protection de la nature, organismes vivants Support Pêche Hydroélectricité, protection de la nature, industrie, activités polluantes, Loisir Paysage Activités avec impact spatial, extraction de gravier Loisir Sport Activités avec impact spatial, extraction de gravier, pêche Usage médical Cures d’eau Protection Protection contre hasards naturels Hydroélectricité, protection de la (inondation, coulée de roches) nature Source : EUWARENESS Project [Bressers et Kuks, 2004]. 24 Du fait de cette multifonctionnalité, le bien « eau » intervient dans la fourniture d’une multitude de biens et de services qui entrent souvent en concurrence et peuvent même être incompatibles. Cependant, les biens environnementaux ne sont pas homogènes car les usages multiples que l’ont peut en faire nécessitent l’existence et le maintien de différentes caractéristiques qui leur sont propres. Dès lors se dessine l’interdépendance entre les usages de l’eau : une action qui favorise un usage donné peut s’accompagner de préjudices pour une autre [Pillet et Baranzini, 1993]. De fait, les usagers sont également interdépendants. Par ailleurs, l’eau a un fort ancrage territorial. L’utilisation de l’eau et son analyse ne peuvent s’opérer en-dehors de ce contexte géographique, institutionnel, socioéconomique, naturel… 3) Financement et coût de l’eau. • Le coût de l’eau en France. Les services d’eau potable et d’assainissement engendrent des charges d’investissement et de fonctionnement (réseaux, captage, transport, stockage, traitement, assainissement). Cependant, le prix de l’eau n’est pas unique. Le coût de l’eau varie entre zones géographiques et usagers. De ce fait, des mécanismes de péréquation entre consommateurs et entre territoires peuvent exister. En France, la règle générale (cf art. 13-II de la loi sur l’eau de 1992) est que toute facture d’eau comprend un montant calculé en fonction du volume réellement consommé par l’abonné à un service de distribution d’eau et peut, en outre, comprendre un montant calculé indépendamment de ce volume, compte tenu des charges fixes du service et des caractéristiques du branchement. La tarification au forfait reste dérogatoire. Elle est par exemple possible pour les petites communes selon certaines conditions prévues par les textes. Dans son rapport sur le financement et le coût de l’eau, Yves Tavernier [2000] souhaite maintenir la partie fixe du prix de l’eau mais sous réserve que sa composition soit encadrée et limitée à certains éléments tels que les frais de tarification et de compteur et l’amortissement des investissements. La formation du prix dans chaque commune varie en fonction de conditions physiques et géographiques (la densité du réseau naturel s’il en existe un, sa proximité, sa qualité, son volume, sa régularité), en fonction aussi de 25 l’âge des installations, du choix du mode de gestion du service public de l’eau et de l’assainissement. Les redevances sont nombreuses et variables : - le produit de la redevance de pollution (domestique, industrielle ou agricole) en vertu du principe du pollueur-payeur est la ressource principale des agences de l’eau en France. Ce produit est principalement utilisé pour subventionner des investissements communaux destinés à améliorer les ressources ou à traiter les eaux usées. Il sert également à financer des aides destinées aux secteurs industriel et agricole. Une redevance ressource, est due par toute personne, publique ou privée, qui soustrait de l’eau au milieu naturel par captage de ressource, pompage d’eau en rivière ou en nappe. D’ailleurs, le système de fixation de l’assiette et du taux de redevances est estimé anticonstitutionnel puisque normalement seul le législateur peut le déterminer et non pas les agences de l’eau elles-mêmes comme le prévoit l’article 18 de la loi du 16 décembre 1964. - la taxe prélevée par le Fonds National de Développement des Adductions d’Eau (FNDAE) dont la mission est d’apporter aux communes rurales une aide financière pour leurs travaux d’alimentation en eau potable et d’assainissement. - la taxe VNF (Voies Navigables de France) n’est pas acquittée par toutes les communes, mais en fonction du volume prélevé et rejeté dans les voies navigables. - la TVA s’applique pour toute fourniture d’eau par un réseau d’adduction. A partir des années 1990, le prix de l’eau en France a fortement augmenté avec une grande disparité relevée d’une commune à l’autre, notamment par une enquête de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) : on estime cette augmentation à environ 50%, principalement du fait de l’assainissement et de l’épuration et non pas de la distribution d’eau potable [Barraqué, 1998]. Aujourd’hui, les collectivités locales doivent faire face à de nouveaux enjeux tels que : un contrôle accru de leurs services de l’eau, une réelle transparence 26 dans la formation des prix, dans la gestion des contrats de délégation de service public, une réduction des disparités des prix entre communes, l’information et la consultation des usagers sur les prix au regard des prestations fournies. Graphique 1 - Composition du prix de l'eau en France en 2000 (en moyenne) Taxes (dont 5,5% de TVA) 10% Agences 17% Fourniture du service 42% Epuration 31% Fourniture du service Epuration Agences Taxes (dont 5,5% de TVA) Source des données statistiques : http://www.vie-publique.fr/documents-vp/agences_eau.shtml • Formation du prix de l’eau dans différents pays européens. La directive cadre sur l’eau que nous avons déjà évoquée impose que le prix de l’eau doit permettre une gestion durable de la ressource et doit couvrir les différentes composantes des coûts. Il s’agit de la doctrine du full cost pricing, de la couverture complète des coûts. Par ailleurs, comme de tradition en économie, les prix doivent servir de signal quant à la rareté et la raréfaction de la ressource : les prix sont donc utilisés comme outil de gestion de la demande. Les pays étudiés ci-après appliquent autant que faire se peut une tarification binôme, c’est-à-dire une tarification intégrant une partie forfaitaire et une autre partie proportionnelle au volume consommé. 27 Dans son article, Louis Job étudie la formation des prix dans différents pays européens et examine s’ils répondent aux principes de la directive européenne 2000/60/CE [Job, 2006]. Tableau 3 - Récapitulatif du prix de l’eau dans les pays étudiés à la fin des années 1990. Pays (année de l’enquête) Prix pour Prix pour le service de service distribution d’assainissement d’eau potable (en euros) Montant total 3 Taux (en euros / m ) d’accroissement réel (en euros) France (1996) 0,80 1,19 1,99 +7% sur 1991-96 Italie (1996) 0,404 0,267 0,67 +2% sur 1992-98 Pays-Bas (1998) 1,316 1,63 2,95 +4,6% sur 1990-98 Angleterre 1,27 1,49 2,76 +2% sur 1994-98 et Pays de Galle (1998/99) Source : Job Louis, 2006, Organisation sectorielle et tarification de l’eau potable dans quelques pays de l’Union Européenne, Laboratoire C3ED, UVSQ, d’après les données de l’OCDE (1999). France Selon les données de l’enquête IFEN-SCEES, la consommation moyenne d’eau potable en France facturée aux abonnés était de 162 litres par jour par habitant en 2001. La situation de monopole naturel qui est caractéristique du secteur de l’eau et que l’on retrouve de manière extrêmement marquée en France s’exprime à travers la forte concentration régnant sur le marché de la délégation des services d’eau et d’assainissement. En effet, selon le Conseil de la Concurrence, en 2000, Véolia-Water détenait 51% de la part des abonnés desservis, Suez détenait 24% et SAUR-Bouygues 13% et leurs filiales communes 10%, soit au total 98% du marché. En France, le prix de l’eau correspond au prix payé par l’usager pour la distribution et pour l’assainissement collectif pour une consommation de référence de 120 m3. Etant 28 fixé au niveau communal, le prix de l’eau est très hétérogène dans l’ensemble de la France [IFEN, 2004]. D’après les données regroupées par Job, la facture moyenne s’est élevée à 325,2 euros en 2001 pour une consommation de référence de 120 m3, soit 2,71 euros / m3 selon la ventilation que nous avons exposée plus haut (graphique 1). Tableau 4 - Evolution du prix du mètre cube d’eau potable. 2000 2001 2002 2003 2004 1,7 1,3 3,5 1,9 2,9 1,6 1,6 1,8 1,8 1,7 3 Prix moyen du m d’eau potable en euros Effet spécifique de l’inflation au domaine de l’eau Source :BIPE-SPDE,2005. Italie La consommation moyenne en 1999 en Italie s’élevait à 201 litres par jour par habitant [ISTAT1, 2005]. En matière de tarification des services de distribution d’eau potable et d’assainissement, la méthode, définie par le décret du 1er août 1996, est inspirée du système anglais puisqu’il correspond à l’application de la régulation de type price cap (prix plafond). Le Comité de Vigilance, l’autorité de régulation du secteur de l’eau, a fixé le tarif de référence à : Tn = (C + A + R)n-1 . (1 + П + K) Ici, C désigne les coûts de fonctionnement, A l’amortissement, R la rémunération du capital investi, П le taux d’inflation, K un coefficient de majoration du prix et les indices correspondent aux années. Cette formule rappelle la célèbre relation : RPI – X ; où RPI exprime le Retail Price Index, c’est-à-dire l’inflation et la productivité moyenne de l’économie, tandis que X traduit l’inflation et la productivité du secteur particulier relativement à la tendance 1 Institut Centrale di Statistica 29 économique. Pour les utilisations domestiques, la tarification retenue est définie au niveau de l’ATO2, apparaissant en quelque sorte comme un niveau de régulation, et elle est ici aussi de type binôme avec une partie fixe et une partie calculée en fonction de la consommation volumétrique, avec des tranches croissantes et en distinguant la partie distribution d’eau, collecte et assainissement. Par exemple, au niveau de l’ATO « Basso Valardano », pour 2005, le tarif normalisé a été fixé à 1, 328 euros avec un coefficient de majoration K compris entre 4,6% et 5%. Malgré le caractère innovant de la loi Galli (cf partie II), son application incomplète a entraîné une insuffisance des résultats obtenus et des incohérences entre les différents niveaux d’organisation [Massarutto, 2001]. Pays-Bas La consommation moyenne d’eau potable s’élevait à 126 litres par jour par habitant en 2001 et la consommation d’un ménage a été normalisée à 130 m3 par an. La production et la distribution de l’eau potable sont actuellement assurées par quinze compagnies dont les actions sont détenues par les provinces et les municipalités. Les prix de l’eau potable aux Pays-Bas résultent de l’application de la tarification binôme et la facture annuelle moyenne d’eau potable pour un ménage s’élève à 210 euros et le prix moyen pour les services de distribution et d’assainissement d’un mètre cube d’eau potable pour un ménage qui consomme moins de 300 m3 par an était de 2,44 euros par m3 en 2001[Job, 2006]. 2 Ambito Territoriale Ottimizzato 30 Tableau 5 - Evolution du prix moyen uniquement pour la distribution d’un mètre cube d’eau potable. 2000 2001 2002 2003 2004 1,35 1,40 1,40 1,40 1,42 1,57 1,62 1,63 1,63 1,63 Prix moyen HT du m3 d’eau potable en euros par un ménage (consommation inférieure à 300 m3 par an ) Prix du m3 TTC d’eau potable 3 (consommation inférieure à 300 m par an) Source :VEWIN Les prix du mètre cube d’eau potable varient selon les régions, et donc selon les compagnies, et comportent une partie qui concerne la distribution d’eau potable et une partie pour la collecte et l’assainissement des eaux usées. Pour la distribution, on retrouve : une partie fixe, une partie selon le volume consommé, les taxes directes (14%) qui comprennent la taxe nationale sur les eaux souterraines, la taxe provinciale sur les eaux souterraines, une partie pour l’entretien des équipements d’adduction et les taxes indirectes (19%) qui comprennent la taxe sur l’eau du robinet, la TVA de 6% sur la taxe de l’eau du robinet et la TVA de 6% proprement dite. Pour l’assainissement, la tarification correspond au versement de différentes taxes versées aux municipalités et aux Waterschappen (water boards). Ces dernières s’élèvent d’une part à 33 euros par an pour un ménage de trois personnes et à un versement de 150 à 180 euros par an et par ménage pour la pollution de l’eau. En 2001, le prix moyen de l’eau potable s’élevait à 1,62 euros par mètre cube, pour un coût moyen total de 1,31 euros par mètre cube qui résultait des coûts de fonctionnement, des frais de patrimoine, des amortissements et des taxes [VEWIN, 2004]. Les coûts et les prix, mentionnés à titre indicatif, varient selon les compagnies et les régions. Cela apparaît à travers les quelques exemples qui figurent dans le tableau suivant et les informations doivent être traitées avec prudence. 31 Tableau 6 – Variation des prix et coûts suivant les compagnies et les régions. Compagnie Compagnie Compagnie WGRON (city PWN Hydron-MN de Groningen) Compagnie Compagnie WMD WML (province de (province Drenthe) du Limburg) Coûts moyens/m3 0,99 1,57 1,19 1,18 1,46 1,36 1,65 1,20 1,23 1,51 (en euros) Prix* du m3 (en euros) Source : VEWIN, 2003. * TVA et taxes sur l’eau du robinet exclues. Job relève que les performances des opérateurs du secteur de l’eau sont considérées comme bonnes et que l’organisation adoptée aux Pays-Bas est appréciée de la population. Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles) En 2005, la consommation moyenne d’eau potable était de 155 litres par jour par habitant. Du point de vue des principes de tarification issus de la privatisation du secteur en 1989, il convient de citer la recherche de la concurrence entre les opérateurs, la gestion des quantités demandées d’eau potable à travers l’utilisation de la tarification, l’incitation à l’acquisition de compteurs d’eau et l’absence de TVA sur l’eau potable consommée. En pratique, le prix de l’eau est fixé par le Directeur général de l’organisme de régulation (OFWAT) qui cherche à favoriser le développement de la concurrence entre les firmes privées en utilisant la méthode du prix-limite qui se présente comme un substitut à la concurrence. Cette méthode, encore nommée price cap, s’écrit RPI +/– K et l’incitation à la concurrence est traduite par la formule rencontrée dans le cas italien : RPI – X. La présence d’un facteur K correspond au taux de variation (positif ou négatif) annuel qui majore ou minore le taux d’inflation décidé par le régulateur que les compagnies vont appliquer à leurs factures afin de pouvoir financer leurs services et leurs 32 obligations légales. Ce prix plafond devra donc prendre en compte les dépenses en capital que doivent obligatoirement effectuer les firmes notamment pour améliorer l’environnement [OFWAT, 2003]. En fait, les prix limites sont établis par le régulateur et imposés aux compagnies privées pour des périodes quinquennales. Pour la période 2000-2005, le facteur K des différentes compagnies a été arrêté en 1999 et en novembre 2004 pour la période 2005-2010. Par exemple, le taux d’accroissement moyen des montants des factures a été fixé à 1,9%, inflation exclue, pour l’année 2003-2004. Ainsi, les montants moyens autorisés des factures d’eau potable, pour l’ensemble des acteurs de la branche, et au taux de change livre sterling/euro en vigueur en 2002, étaient de 170,4 euros pour 2002-2003 et de 176,7 euros en 2003-2004. Pour l’assainissement, ces montants se sont élevés à 192,7 euros et 199 euros. Au total, les factures étaient de 363,1 euros pour 2002-2003 et de 375,7 euros pour 2003-2004 et de 390 euros pour la période 2004-2005. Contrairement aux valeurs figurant ci-dessus et qui intègrent un effet du taux de change, le montant des factures a, en fait, plutôt baissé à partir de l’année 2000 [Job, 2006]. En mai 2004, dix compagnies étaient présentes à la fois sur les métiers de la productiondistribution et de l’assainissement de l’eau (Water & Sewerage Companies : WaSCs) et quinze compagnies plus petites spécialisées uniquement dans la production-distribution d’eau potable (Water only Companies : WoCs) [OFWAT, 2004]. Avec ce système de prix plafonnés, la concurrence entre les compagnies passe par la recherche d’une rationalisation des coûts. Pour l’ensemble des opérateurs de la branche, les coûts moyens de distribution de l’eau potable sont composés des coûts de fonctionnement, des coûts d’entretien des équipements et des coûts du suivi de la clientèle et ils sont approximativement stabilisés aux alentours de 0,20 euros par mètre cube [OFWAT, 2005]. Les coûts entre les compagnies diffèrent évidemment, et en interprétant ces informations avec prudence, Job indique à titre d’illustration pour l’année comptable 2003-2004 les coûts unitaires en euros par mètre cube d’eau distribuée et assainie. 33 Tableau 7 – Coûts unitaires par mètre cube d’eau distribuée et assainie. Anglian Coût unitaire Thames Water United Utilities Wessex 0,208 0,178 0,221 0,202 0,35 0,15 0,28 0,25 0,558 0,328 0,501 0,452 en euros pour l’eau distribuée Coût unitaire en euros pour l’eau assainie Total Source : Job, 2006, calculs d’après les données de l’OFWAT, 2005. Le contrôle de la formation des coûts des services d’eau distribuée et d’assainissement se traduit sur la facture qui va être payée par le client, lui-même encouragé à surveiller sa consommation et, par conséquent, à s’équiper de compteurs d’eau. Malgré cette incitation, on remarque que la proportion de ménages équipés de compteurs s’élevait approximativement à 25% en 2003-2004 et à 26% en 2004-2005. La tarification de l’eau étant binôme, lorsque le ménage ne dispose pas de compteur, le prix est composé d’une partie fixe, calculée à l’année et d’une partie variable basée sur la valeur locative de l’habitation et affinée en fonction de la zone et du nombre de pièces du logement (rates). Pour l’année comptable 2003-2004, les comparatifs des prix par mètre cube en euros pour la distribution et l’assainissement selon des consommations de 60, 110 et 160 mètres cubes indiquaient : Tableau 8 – Paliers de tarifications suivant le volume consommé. Anglia Southern Thames Water 60 mètres cubes (en euros) 4,07 4,31 2,89 110 mètres cubes (en 3,62 4,03 2,29 cubes (en 3,33 3,93 2,05 euros) 160 mètres euros) Source : Job, 2006, calculs d’après les données de l’OFWAT, 2004. 34 La disparité des prix des mètres cubes est confirmée et l’on constate la présence de paliers dégressifs lorsque les volumes consommés augmentent. Ce phénomène est logique du point de vue de la rationalisation de la production mais assez contraire au principe de gestion durable et de préservation de la ressource en eau. Ainsi, nous avons décrit avec détails les caractéristiques tarifaires de quatre pays (France, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni) et nous avons pu mettre en évidence que si tous les pays ont adopté des principes communs de gestion de l’eau et une structure binôme dans la facturation, l’utilisation de compteurs individuels n’est pas généralisée et les spécificités nationales l’emportent sur les caractères communs. Il faut souligner ici le fait que les différences de tarifs (qui peuvent être importantes : le coût moyen de l’eau distribuée est de 0,21 euros par mètre cube au Royaume-Uni contre 1,28 euros par mètre cube aux Pays-Bas, soit un niveau six fois plus élevé) ne permettent pas de tirer de conclusion quant à l’efficience des services de l’eau dans les différents Etats. Cette évaluation doit être opérée à travers la mise en place de critères de performance, thème que nous aborderons dans la troisième partie de notre travail. Enfin, et cette remarque, bien qu’évidente, est pourtant fondamentale, la tarification de l’eau, le prix qui lui est attribué afin de couvrir les coûts liés à l’exploitation des services de distribution d’eau potable et d’assainissement ne saurait représenter la valeur de l’eau en tant que bien commun, de bien vital, indispensable à la vie humaine. Cette distinction est majeure dans la mesure où elle permet de mettre en perspective la nécessité de préserver la ressource et de la gérer, ainsi que les services qui l’acheminent et la traitent, avec prudence et raison. 4) Coût et péréquation. Au-delà de faire porter les coûts de la pollution sur le pollueur et de couvrir la totalité des coûts, la pérennisation de la ressource en eau et des services de l’eau et d’assainissement passe également par un système de péréquation. En effet, étant donné que le prix de l’eau est essentiellement déterminé par des investissements importants à long terme, si les services sont gérés localement dans un souci de démocratie et de subsidiarité, la péréquation représente une nécessité économique. Barraqué opère une typologie selon quatre types de péréquation [Barraqué, 1998]. 35 • La péréquation spatiale. Le modèle de référence en l’occurrence est le modèle anglais caractérisé par une forte centralisation. L’Angleterre et le Pays de Galles ne comptent que trente distributeurs d’eau, et les prix sont lissés entre des usagers géographiquement très éloignés et placés dans des situations différentes. Les libéraux anglais militent, de ce fait, en faveur d’une tarification au coût complet. L’Italie semble emprunter la même voie que l’Angleterre avec une volonté de centralisation importante. En France et aux Pays-Bas, les concentrations se font volontairement au niveau local entre entités gestionnaires. En France, les groupes privés peuvent gérer des contrats différents dans une même région, avec un grand nombre de communes, alors même qu’ils appliquent les mêmes moyens techniques et en personnel. En conséquence, il paraît impossible de répondre à l’exigence imposée par le législateur, à savoir un compte-rendu financier annuel par commune. Dans d’autres cas, comme en Italie ou dans le Sud de la France, des transferts d’eau sont réalisés à distance, payés ou bénéficiaires de larges subventions des pouvoirs centraux. Une autre possibilité est la création d’entités régionales d’économie mixte comme l’a fait le Portugal, voire des syndicats de péréquation financière au niveau du département dans certains départements français. • La péréquation sociale. La péréquation sociale peut prendre des formes différentes suivant l’échelon territorial auquel elle est appliquée. En France, tous les usagers payent une petite redevance permettant de subventionner le développement des adductions d’eau à la campagne, au nom de ce que la faible densité de population y impliquait des coûts d’investissement per capita plus importants. Cette péréquation s’opère au niveau départemental pour rééquilibrer l’investissement entre zone urbaine et zone rurale. L’aspect fondamental de la péréquation sociale se retrouve dans le mode de paiement des services, suivant qu’il se fait par le paiement des impôts ou en fonction des volumes consommés. En effet, de ce mode de paiement dépendra le caractère plus ou moins redistributif du mode de financement. Cependant, l’évaluation du degré de redistributivité est très difficile à opérer puisque « le détail des usages de l’eau potable par les différentes catégories d’usagers reste pratiquement inconnu » [Barraqué, 1998, 36 p.7]. Les rates anglaises qui sont calculées suivant la surface occupée par l’habitat des usagers ont un caractère éminemment redistributif puisqu’il existe une corrélation positive entre le revenu et la surface occupée. Les rates permettent donc une péréquation entre riches et moins riches. Le caractère redistributif du paiement forfaitaire néerlandais basé sur un forfait d’épuration des eaux usées est à l’inverse plus limité puisque l’épuration des eaux usées est souvent payée sur la base d’une famille de 3,5 ou 4 personnes, quelle que soit la taille réelle du ménage, sauf pour les célibataires qui payent pour une personne seule. Ainsi, la simplicité de la règle n’implique pas forcément un haut niveau de redistribution. Par ailleurs, la cherté des services d’eau est également liée au coût des dispositifs de facturation et de recouvrement des factures. Une complexification du système de facturation est inutile si elle a pour résultat d’augmenter l’ensemble des factures, même celles des usagers qui payaient déjà auparavant pour d’autres usagers (l’exemple typique en France étant les ménages et les industriels payant pour les agriculteurs du fait de l’absence de suivi de la consommation d’eau de ces derniers qui ont pourtant une forte demande en eau pour l’irrigation). On retrouve ici le débat courant sur la question de l’installation de compteurs individuels : si leur installation semble une évidence en France pour les maisons individuelles où les usages extérieurs à la maison sont très élastiques au prix (leur volume diminue quand le prix augmente), ce n’est pas le cas des petits immeubles collectifs où les consommations entre appartements sont voisines et peu ou pas élastiques au prix car fondamentalement liées aux équipements de base (eau potable, sanitaires, …) De ce fait, le surcoût de la location du compteur et des relevés de consommation dépasse souvent l’économie faite sur les volumes consommés par les plus économes. Enfin, l’influence anglo-saxonne en Europe a introduit la dialectique du « service universel ». Cette dialectique se compose d’un côté d’un service minimal à un coût limité revêtant une dimension sociale et de l’autre côté d’un service plus cher pour les usages luxueux. Cette problématique se retrouvait déjà du temps des fontaines publiques lorsqu’on estimait que transporter l’eau à l’étage était un luxe. Aujourd’hui, la problématique se concentre autour de la question des eaux minérales. Cependant, il n’est pas possible d’imaginer une distribution d’eau au robinet moins chère et de moins bonne qualité, du fait du risque sanitaire. Par ailleurs, l’installation d’un double réseau d’eau potable et d’eau non potable est inimaginable du fait des coûts d’installation très élevés. Seul le réemploi des eaux déjà utilisées, pour des usages moins nobles (pour 37 lesquels l’eau n’a pas besoin d’être potable) cette fois, est pratiqué de manière ponctuelle en cas de pénurie ou pour des motifs politiques liés à l’écologie. La solution proposée par certains et qui paraît pertinente est celle d’un paiement par tranches de consommation avec une tranche basse très sociale. Cependant, cette proposition se heurte à un élément déjà évoqué : le détail des usages étant inconnu, il n’est pas certain que d’une telle solution se fasse à l’avantage des moins riches. Enfin, dans certaines communes touristiques, on fait payer un forfait de base pour repayer le capital investi et un plus faible prix au volume pour faire supporter aux résidents secondaires et aux clients des hôtels les coûts associés au surdimensionnement des structures nécessaire pour faire face aux pics de consommation en période touristique. Cependant, là encore, le coût du recueil de l’information représente une limite majeure. • La péréquation multi-service. L’Allemagne avec le Stadtwerk a mis en place une troisième forme de péréquation : la péréquation transversale ou multi-service. Tout d’abord, la péréquation transversale peut avoir un intérêt en termes de gestion financière. Elle permet de gérer la trésorerie de différents services en commun (gaz, électricité, eau, transports…) et de combler les déficits de certains services par les bénéfices d’autres services. Cette approche est caractéristique de la péréquation entre électricité et transports publics fonctionnant à l’électricité (tramways ou métros) et réduisant la pollution atmosphérique. La question est donc de savoir s’il est possible de généraliser cette pratique au service de l’eau. L’eau a parfois déjà du mal à payer l’eau, alors peut-elle payer plus que l’eau ? C’est le cas de l’assainissement dans nombre de pays. Il est facturé avec l’eau potable selon une logique non moins arbitraire que ne le serait une facturation séparée. Il est aussi arbitraire d’augmenter le prix de l’eau pour compenser les déficits liés aux transports urbains ou aux équipements sportifs. Malheureusement, un refus de ces transferts en toute transparence ne les arrêterait pas et ils se perpétueraient alors de manière occulte. Certaines considérations politiques peuvent militer en faveur d’une absence de péréquation. Ainsi, aux Pays-Bas, il n’y pas de péréquation entre eau potable et assainissement car l’eau est considérée comme une commodité, comme l’électricité ou le gaz, vendue par une entreprise municipale, tandis que l’assainissement entre dans une logique de défense contre la pollution maritime. De même, en Allemagne, la distribution d’eau potable est considérée comme un confort 38 vendu par une entreprise, tandis que l’assainissement est un devoir d’où son contrôle en régie municipale. Par ailleurs, la péréquation multi-service peut représenter un potentiel en termes d’innovation technique ou de gestion par transfert d’un service à l’autre. Ce potentiel n’a, jusqu’à présent, pas été fréquemment exploité, même chez nos voisins allemands, chez qui pourtant, la gestion transversale est une tradition historique. Cependant, pour en revenir au cas des compteurs d’eau froide, le cas allemand est moins problématique, puisque un seul releveur passe déjà pour le gaz, l’électricité, le chauffage urbain, l’eau chaude. Relever l’eau froide ne représente donc pas un surcoût. • La péréquation temporelle. La péréquation temporelle est fondamentale en ce qu’elle assure la pérennité des installations et des services de l’eau. La détermination des besoins de financement spécifiques pour le maintien des infrastructures en bon état doit faire l’objet d’études poussées pour découvrir le rythme de renouvellement nécessaire des installations. Il faut donc comprendre les systèmes d’amortissements et de provisions adoptés à différents endroits et les comparer. L’exemple français est assez parlant en ce qui concerne la création des agences de l’eau dont nous examinerons le rôle institutionnel plus tard dans notre deuxième partie. Avec 15 000 unités de distribution et plus de 10 000 pour l’assainissement, ainsi qu’une comptabilité restrictive pour les petites entités, les redevances payées par les usagers sont des formes de placement au niveau des agences, avant d’être redistribuées dans des programmes quinquennaux. Cette présentation de quatre grands types de péréquation, développés selon des modalités variables dans les différents Etats européens, montre combien une comparaison brute des prix de l’eau en Europe est difficile, et risque d’aboutir à une analyse fortement biaisée ou tronquée. 39 Ainsi, l’eau est un bien public impur et non-marchand : un bien commun. C’est également une ressource multifonctionnelle dont les usages variés sont souvent rivaux, voire parfois incompatibles. Les différents usagers sont donc interdépendants. Dans ce cadre, la tarification de l’eau a pour but d’opérer un arbitrage entre les différents usages, de couvrir les coûts, de signifier la rareté de l’eau, d’assurer la pérennité financière des services et des considérations sociales comme l’égalité d’accès entre les usagers ou l’équité sociale. Les principes de pollueur-payeur et de péréquation sont partie intégrante d’une tarification aux préoccupations soucieuses d’assurer l’efficacité économique, l’équité sociale et la préservation de la ressource. L’eau est donc un bien particulier, cependant au-delà du bien lui-même, le secteur de l’eau possède des caractéristiques économiques particulières qu’il nous faut analyser avec attention. 40 B. Un secteur économique spécifique. 1) Une industrie en réseau. Le secteur de l’eau est caractérisé par des spécificités techniques et économiques qu’il est essentiel de rappeler afin de mettre en lumière les problématiques qui se posent aux chercheurs, ingénieurs et politiciens dans la gestion et la régulation de ce secteur. Pour appuyer cette démarche, le travail de Lise Breuil, Serge Garcia et Laetitia GuérinSchneider [2003] au sein du laboratoire Gestion de l’Eau et de l’Assainissement de l’ENGREF (Ecole Nationale du Génie Rural des Eaux et des Forêts) présente une synthèse pertinente et accessible au non-spécialiste afin d’acquérir une vision globale du secteur tout en prenant conscience de ses dimensions spécifiques. • Activités duales des services de l’eau. Deux activités différentes sont à distinguer dans l’organisation des services de l’eau. D’un côté, les services d’alimentation en eau potable remplissent les fonctions de potabilisation (le prélèvement d’eau dans le milieu naturel et son traitement pour la rendre potable), la mise en pression de l’eau potable ainsi que son transport et son stockage et enfin la distribution aux usagers. De l’autre côté, le service d’assainissement remplit les missions de collecte et transport des eaux usées, la transformation des eaux usées en eaux assainies (épuration et traitement) ainsi que leur rejet en milieu naturel. Ces activités sont caractérisées par une organisation en réseau. Cette dimension implique des définitions techniques et économiques spécifiques. • Définitions technique et économique de l’activité en réseau. Du point de vue de l’ingénieur, le réseau d’eau potable est avant tout un ensemble de canalisations dont l’objectif est le transport de l’eau de son point de prélèvement aux usagers. Tout le processus de transformation de l’eau prélevée en eau potable s’effectue entre ces deux points. Le dessin du réseau et les problèmes de transmission de l’eau qui s’y rapportent lors des interconnexions de canalisation sont des considérations d’ordre technique qui nous intéressent peu ici dans la mesure où nous envisageons la question des services de l’eau et de leur gestion dans une perspective 41 économique. De ce point de vue, le réseau est considéré comme un mode d’intermédiation entre fournisseurs et usagers du bien « eau ». De ce fait, l’efficacité du réseau au sens économique est en lien avec la minimisation des coûts de production. La mesure de la performance de la gestion des services de l’eau est donc fonction des caractéristiques techniques et de l’organisation économique des réseaux. L’idée centrale au sein de la notion économique de réseau est le partage des coûts entre les usagers. En effet, chaque branchement d’usagers isolés entraîne une externalité positive de demande puisque, à réseau de distribution fixe, le coût de potabilisation et d’acheminement de l’eau par usager diminue. Le bien-être des consommateurs est donc croissant et positivement corrélé au nombre d’usagers raccordés au réseau. Cet effet de club peut cependant être limité si le raccordement d’un nouvel usager entraîne une modification substantielle dans la structure technique du réseau, voire une extension de ce dernier. • La place centrale des rendements d’échelle dans les industries en réseau. La minimisation des coûts au sein d’un processus de production dérive principalement de ce que les économistes appellent les rendements d’échelle. Les mesures de rendement d’échelle permettent l’étude de la relation existant entre l’accroissement des facteurs de production, input, c’est-à-dire le personnel, l’énergie, le matériel, le capital, et la variation de la production, output. Les rendements d’échelle peuvent également être interprétés à travers la variation du coût moyen lorsque la production augmente [Généreux, 1995]. On note que la présence d’économies d’échelle contribue à l’existence d’un petit nombre d’entreprises sur le marché à travers la constitution de grands groupes nationaux et pousse les opérateurs à élargir leur rayon d’action vers d’autres marchés. La présence de rendements d’échelle explique également le regroupement intercommunal dans certains pays comme la France. Les industries de réseau sont caractérisées par une particularité que l’on ne retrouve pas dans les autres industries. La prise en compte de variables comme le nombre d’abonnés et la taille du réseau permet de différencier les effets de densité des effets d’échelle. Il est donc possible d’observer les conséquences économiques et techniques suivant l’origine de l’augmentation de la production des activités en réseau, à savoir : l’augmentation de la consommation par abonné, le raccordement de nouveaux abonnés 42 sur le réseau ou bien l’extension de la taille du réseau lui-même [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. 2) Une configuration traditionnelle de monopole naturel. D’importantes transformations ont eu lieu dans l’organisation des marchés dans les industries de réseau (électricité, gaz, télécommunications, services postaux, transports…) et dans nombre de pays. Ces modifications se sont traduites par une place accrue de la concurrence et de l’ouverture aux capitaux privés. Cette ouverture a montré que les monopoles historiques dépassaient le cadre traditionnel d’activités des monopoles naturels. Dès lors, il semble légitime de réfléchir sur le niveau de l’échelle de production et la taille optimale des réseaux d’eau, ainsi que sur les bénéfices de regrouper certaines activités [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. • Des monopoles naturels locaux non-contestés. Le secteur de l’eau se présente pour partie au moins comme un marché de nature monopolistique. En effet, des coûts fixes importants sont engagés par le transport et la distribution de l’eau potable. Or ces coûts fixes sont dits « irréversibles » dans la mesure où les installations construites à ces effets ne sauraient être employées à d’autres fins commerciales. Par ailleurs, vu le coût important de la construction d’un réseau d’acheminement de l’eau potable, il est exclu pour un concurrent éventuel de mettre en place un réseau parallèle. Ainsi, les coûts fixes représentent une barrière à l’entrée sur le marché de nouveaux concurrents et le secteur acquiert une dimension de monopole incontesté. Par ailleurs, les eaux potables et usées sont des produits lourds à transporter, au stockage difficile. De ce fait, la distance entre les lieux de production et de consommation doit être restreinte, tout comme l’imposent des obligations de qualité de l’eau consommée. Ainsi, la gestion de l’alimentation en eau potable et de l’assainissement des eaux usées se fait principalement à un niveau local. Enfin, dans le secteur de l’eau, le coût minimal de la distribution de l’eau est obtenu lorsque la totalité de la production est assurée par une seule firme ou un très petit 43 nombre de firmes : on parle alors de monopole naturel dans le premier cas et d’oligopole naturel dans le second. Cette caractéristique implique une recommandation économique simple : la préférence est donnée à l’organisation en monopole plutôt qu’à l’organisation atomisée du marché de concurrence pure et parfaite. En effet, généralement, le monopole est critiqué car il induit des prix supérieurs et des quantités supérieures à ceux correspondant à l’optimum collectif. Le monopole restreint le bienêtre du consommateur en transférant tout ou partie de son surplus au producteur. Cependant, dans le secteur de l’eau, le monopole permettrait de produire plus efficacement du fait d’un coût moins élevé. En effet, le coût marginal de production d’une unité d’eau distribuée ou assainie en plus étant négligeable, le coût moyen de production est décroissant. On peut donc résumer que le monopole permet de produire de manière plus efficace lorsqu’il est naturel et associé à un défaut de marché : les rendements d’échelle croissants [Leveque, 1998]. Ce résultat peut être démontré à l’aide d’un graphique (voir graphique 2) pour le cas d’un monopole produisant un seul bien et présentant des coûts moyens décroissants pour tout niveau de production. RM est la fonction de demande inverse qui exprime le prix en fonction de la quantité. Elle est aussi égale à la recette moyenne du producteur, c’est-à-dire son chiffre d’affaires par unité produite. Rm est le revenu marginal du monopole. La fonction de coût est de la forme : C(q) = Cf + Cmq. Cm est le coût marginal : il est supposé constant et il est toujours inférieur au coût moyen CM. Cf est le coût fixe : il est égal à la surface du rectangle ABCD. La fixation au prix marginal correspond au point F défini par le prix OA et le niveau de production q*. Dans cette situation, le monopole est obligé de vendre à perte. Quel est en effet le montant de ses recettes et de ses dépenses ? Ses ventes lui rapportent Cmq* tandis que sa production lui revient à Cf + Cmq*. Il enregistre donc un déficit égal à son coût fixe Cf, représenté par le rectangle ABCD. La recette ne couvre le coût de production que lorsque l’entreprise fixe un prix unitaire au moins égal au coût moyen (donc supérieur ou égal à OD). La fixation du prix au coût moyen correspond au point d’intersection de la courbe de recette moyenne et du coût moyen (point C). Cette second 44 situation est plus favorable au producteur que la précédente puisqu’il ne produit plus à perte, mais elle entraîne une diminution du bien-être pour la collectivité. En effet, en passant de F à C, le surplus des consommateurs est diminué de la surface du trapèze AFCD tandis que le surplus du producteur est augmenté de la surface du rectangle ABCD. La perte nette de bien-être correspond au triangle BFC. Bien entendu, si l’entreprise en monopole naturel poursuit une logique de maximisation du profit, elle cherchera à fixer un prix qui sera supérieur et non égal au coût moyen tant que son revenu marginal est supérieur à son coût marginal [Leveque, 1998]. Graphique 2 – Tarification du monopole monoproduit. Coût ou prix E CM D C F A Cm B q0 0 • RM q* quantité L’existence d’économies de gamme. Une entreprise peut minimiser ses coûts en procédant à une diversification de sa production. S’il est moins coûteux pour elle de produire plusieurs biens de nature différente, ensemble, plutôt que séparément, l’entreprise peut bénéficier d’économies de gamme. Dès lors, vient spontanément à l’esprit la question de savoir s’il est plus avantageux pour une entreprise de prendre en charge à la fois l’acheminement en eau 45 potable et l’assainissement. La complémentarité de ces deux activités n’est possible que si l’augmentation de l’une permet un accroissement de la rentabilité marginale de la seconde. La notion de transversalité, d’approche multi-usages, peut même être élargie à d’autres services publics. En effet, si les services publics se basent sur des réseaux physiques, ils partagent un certain nombre de caractéristiques qui peuvent conduire à une réduction des coûts s’ils sont gérés conjointement. C’est la stratégie développée par les structures municipales allemandes que sont les Stadtwerke ou Querverbund, qui fournissent à la fois l’électricité, le gaz, l’eau… • La possibilité d’intégration verticale. Tout comme les industries de réseau du gaz, de l’électricité, des télécommunications, les activités du secteur de l’eau peuvent être organisées, pour partie, selon un système de concurrence. L’étendue du monopole peut être réduite par la séparation des activités de production et de distribution, la séparation entre infrastructures et services [Perrot, 2003]. De ce fait, dans le secteur de l’électricité, il est répandu de voir des générateurs détenus par des entreprises en situation concurrentielle alors que la distribution se fait le long d’un seul et unique réseau. En ce qui concerne l’acheminement en eau potable, on peut imaginer une situation concurrentielle entre les entreprises chargées de l’extraction de l’eau brute et de son traitement, que cela soit sur des points différents d’une même nappe d’eau ou sur des nappes différentes. Chaque entreprise pourrait avoir son usine de production et vendre l’eau potable à une seule entreprise en charge de la distribuer aux usagers. Cependant, en pratique on ne rencontre cette solution que rarement, du fait du caractère particulier de la ressource et des problèmes de propriété que poseraient les stocks naturels d’eau. Une autre limite à la mise en place d’une dissociation entre production et distribution est sans doute issue du fait que le gain en termes de coût est probablement négligeable tant les dépenses liées à la distribution et son réseau occupent une place prépondérante dans les coûts totaux. Une telle séparation n’aurait d’intérêt financier majeur que si l’extraction ou le traitement de l’eau brute revenait plus cher que son acheminement jusqu’aux consommateurs [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. 46 3) Les services de l’eau : des services d’intérêt général. On considère généralement que les services de l’eau ont des responsabilités sociales importantes. Ils ont pour mission de fournir à la société, sans exclusion, le plein accès à une eau potable de qualité, ainsi qu’une collecte et une épuration des eaux usées adéquates. En outre, les services de l’eau sont une interface majeure dans la protection du milieu aquatique puisqu’ils font le lien entre usagers, pollueurs et environnement. En France, les services publics liés à l’eau sont devenus des services assurés par l’ensemble des communes au bénéfice de la population, dans sa quasi-totalité. Le principe premier du service public à la française est l’égalité devant le service, ce qui implique trois éléments : la non-discrimination dans l’accès au service, la nondiscrimination tarifaire, l’égalité des prestations. Par ailleurs, la continuité du service doit être assurée par la permanence du fonctionnement du service et de sa sécurité. De ce fait, chaque consommateur bénéficie d’un droit permanent à une quantité d’eau suffisante, à une pression suffisante, respectant les normes de potabilité en vigueur. Ces principes s’imposent à tous les gestionnaires, publics ou privés, de toutes les collectivités, et ce, au profit de tous les usagers. A l’échelon européen, les gestionnaires doivent fournir une eau de bonne qualité à tous les usagers et à un prix « abordable », ainsi qu’épurer les eaux usées des usagers raccordés au réseau d’assainissement collectif. Au sein de l’Union Européenne, le niveau de qualité est fixé par des normes européennes. La qualité des eaux destinées à la consommation humaine est à ce jour réglementée par la directive 98/83/CE du 3 novembre 1998. La directive du 21 mai 1991 fixe, quant à elle, les règles relatives à l’assainissement des eaux résiduaires urbaines, rendant obligatoire l’équipement en systèmes de collecte et d’épuration des eaux usées pour toutes les collectivités hors zones d’assainissement non collectif. En outre, la règle de l’équilibre budgétaire se généralise progressivement. De ce fait, les prix sont calculés selont le principe de recouvrement des coûts avec une formule d’actualisation à intervalle régulier [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. 4) La nécessité de réguler le secteur. Comme nous l’avons vu, les caractéristiques techniques et économiques des services de l’eau et de l’assainissement en font des services en réseau, des monopoles naturels, non47 contestés du fait des coûts fixes importants qui représentent une barrière à l’entrée. Dès lors, la question de la régulation est cruciale quel que soit le type de gestion adopté. La régulation est d’autant plus importante lorsque la gestion du service se fait en délégation à des opérateurs privés, créant parfois une situation d’oligopole au sein de laquelle la concurrence peut être insuffisante [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. • La tarification du monopole. Enjeux D’un point de vue économique, les services publics locaux sont spécifiques en ce qu’ils sont caractéristiques d’une structure de monopole. Cette situation aboutit selon la théorie économique classique à un prix supérieur au coût marginal afin de compenser les coûts fixes importants. En conséquence, le prix est supérieur et la quantité est inférieure à ceux correspondant à l’optimum social, maximisant le bien-être des consommateurs. On en conclut qu’une situation monopolistique n’est pas souhaitable dans la mesure où elle transfère tout ou partie du surplus du consommateur vers le producteur. Cependant, comme nous l’avons exposé, les services publics de l’eau sont caractérisés par une situation de monopole naturel au sein de laquelle la production est plus efficace car elle engendre des coûts inférieurs à ceux de plusieurs entreprises se partageant la production. Ainsi, les autorités réglementaires, les pouvoirs publics peuvent être tentés de réguler le monopole naturel afin de pallier l’inefficacité sociale. L’optimum de premier rang : un objectif difficile à atteindre. L’autorité publique peut, tout d’abord, décider de fournir elle-même le service aux usagers. Dans cette situation, l’optimum de Pareto, la situation dans laquelle tout accroissement de l’utilité d’une personne n’entraîne pas de baisse de l’utilité d’une autre personne, se trouve à la fixation du prix au coût marginal et il faut subventionner le service afin de maintenir un équilibre budgétaire. L’autorité publique peut également confier la gestion du service à une entreprise privée ou publique et effectuer des inspections régulières afin de contrôler ses performances. Dans ce cas, le pouvoir réglementaire a des difficultés à imposer à l’entreprise de tarifer ses services au prix concurrentiel : le coût marginal. S’il y 48 parvient, il faut opérer des transferts forfaitaires pour couvrir les pertes face aux concurrentes. Cette solution n’est pas économiquement satisfaisante : en effet, ces transferts impliquent des prélèvements fiscaux qui peuvent entraîner des distorsions économiques. De plus, le risque de fraude ne saurait être écarté dans la mesure où le contrôle fiscal ou des bilans comptables n’est pas un exercice aisé. Enfin, du fait d’asymétries d’information, l’autorité délégante se trouve tributaire des informations que lui fournit l’entreprise délégataire. Or celle-ci peut surestimer ses coûts afin d’obtenir des subventions plus élevées. On estime ainsi que l’objectif paretien de premier rang est trop coûteux, si ce n’est inaccessible. D’autres systèmes de tarification ont été proposés afin de pallier ces risques de distorsion. Optimum de second rang et résolution des problèmes d’aléa moral et de sélection adverse. L’approche de Ramsey-Boiteux pour des entreprises réglementées par l’Etat consiste à faire payer un prix par les usagers tel que l’écart à son coût marginal soit inversement proportionnel aux élasticités-prix de la demande. Cette marge augmente plus les consommateurs sont insensibles à une variation du prix [Ramsey, 1927 ; Boiteux, 1956]. Cette marge est destinée à couvrir les coûts fixes afin de s’éloigner le moins possible des quantités optimales de premier rang qui seraient atteintes à travers une tarification au coût marginal. Cette modalité de tarification pour une entreprise réglementée et soumise à un impératif d’équilibre budgétaire est une solution optimale dite de second rang. La nouvelle théorie de la régulation propose, quant à elle, deux modèles principaux d’incitation. Le premier modèle considère que l’entreprise a une information privée sur ses coûts qu’elle emploie à des fins stratégiques pour bénéficier de subventions plus élevées provenant de l’autorité publique : c’est un problème de sélection adverse au sens où la subvention attire des entreprises tentées par la fraude. Ce cas a fait l’objet d’une étude de la part de Baron et Myerson [1982] dans le cadre du paradigme principal-agent où, pour résoudre le problème de sélection adverse, l’autorité 49 délégante (le principal) utilise un mécanisme afin que l’entreprise délégataire (l’agent) révèle son coût privé réel. Le second modèle est traité par Laffont et Tirole [1986], dans un cadre plus général au sein duquel s’ajoute le problème d’aléa moral (l’entreprise ne cherche pas à minimiser ses coûts puisqu’elle se sait subventionnée pour maintenir l’équilibre budgétaire) mais où l’autorité délégante peut observer, par des audits, les informations sur les coûts inconnus auparavant. Ces deux modèles mettent donc en place des solutions d’arbitrage entre efficacité économique et obtention de l’information. L’intégration de préoccupations sociales. Un des principaux objectifs des gouvernements qui pensent que les services de l’eau sont d’un intérêt général est de permettre l’accès à l’eau pour tous. Cela implique également de faciliter le traitement des eaux usées de tous. Des approches sociales de tarification sont possibles et souvent pratiquées comme la fourniture d’eau collective gratuite, le paiement d’une partie de la facture ou bien une tarification par paliers croissants avec la fourniture d’une quantité limitée d’eau potable à très faible prix, voire gratuitement [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. Cette dimension sociale est reprise et explicitée sous le terme de « dualisation sociale de l’accès à l’eau » par Cornut. Ce terme définit une inégalité d’accès à l’eau selon les revenus que les gouvernements se doivent de combattre [Cornut, 2003]. Depuis longtemps, nombre de pays font appel aux subventions publiques pour l’adduction d’eau potable et l’assainissement afin de réduire le coût de l’eau pour les usagers. Ces techniques sont sujettes à caution aujourd’hui du fait de la généralisation du principe de full cost pricing. Néanmoins, les politiques de subvention en matière d’équipement pour des ouvrages d’épuration pour le développement des zones rurales sont encore pratiquées actuellement. D’autres objectifs sociaux peuvent être pris en compte comme l’aménagement du territoire. C’est l’objectif de la péréquation que nous avons évoquée plus haut. En France, la redevance FNDAE tend à réduire les écarts de prix entre zones rurales et urbaines. 50 • Les enjeux liés à la délégation de service public. La définition donnée par la loi du 11 décembre 2001 dite loi MURCEF (Mesures Urgentes de Réformes à Caractère Economique et Financier) au sens de la loi du 29 janvier 1993 dite loi Sapin relative à la délégation de service public est la suivante : « la délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service » [Lombard, 2003]. La délégation de service public pose un ensemble de problèmes que l’on rencontre à différentes étapes : lors de la rédaction du contrat puis lors du suivi du contrat. Les principaux enjeux que l’on retrouve sont relatifs à la définition du partage des responsabilités entre délégant et délégataire et la réduction des asymétries d’information par l’élaboration du contrat et le contrôle de performance [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. Partage des responsabilités. On distingue trois catégories de gestion déléguée des services d’eau et d’assainissement suivant le degré de participation du secteur privé : les concessions, l’affermage, les modes de gestion intermédiaires (marchés publics, prestations de service). Les concessions sont particulières du fait de leur mode de financement privé des infrastructures. Ces types de contrat sont employés lorsque le responsable de la gestion de l’eau désire confier la construction ou éventuellement la refonte et la modernisation des infrastructures à une entreprise spécialisée qui en assure l’exploitation par la suite. Le contrat de concession charge le délégataire du financement des équipements nécessaires au bon fonctionnement du service et de les exploiter à ses risques et périls moyennant un droit de perception des redevances payées par les usagers. Le délégataire couvre ainsi ses charges d’investissement et d’exploitation. A l’expiration du contrat, les installations reviennent à la collectivité en tant que biens de reprise. 51 L’affermage est la forme de délégation au sein de laquelle la collectivité confie les infrastructures à une société pour faire fonctionner le service. Le fermier assume la seule charge de l’exploitation du service. Si les travaux initiaux sont à la charge du délégant, les travaux d’entretien et de renouvellement dans le cas échéant sont assumés par le délégataire. Il perçoit les redevances versées par les usagers selon les termes du contrat pour couvrir ses charges d’exploitation. Les modes de gestion intermédiaires sont des contrats conclus entre l’autorité locale et une entreprise privée pour la fourniture d’un service particulier ou d’un travail sur une phase spécifique de l’exploitation du service. On distingue dans ces contrats la régie intéressée et la gérance. Dans un cas de régie intéressée, la collectivité publique est en charge de l’organisation du service. Le régisseur engage l’exécution des tâches matérielles mais n’exploite pas le service à ses risques et périls. Le produit des factures revient à la collectivité qui rémunère le régisseur par un loyer fonction du chiffre d’affaires, qui peut être accompagné d’un intéressement aux résultats d’exploitation si le contrat le prévoit. La gérance se distingue de la régie intéressée en ce que la rémunération est, cette fois, forfaitaire et donc sans lien avec les résultats financiers de l’exploitation du service. Le forfait est déterminé en fonction du tarif des prestations assurées par le gérant qui est fixé par l’autorité publique. La durée du contrat est fonction de la charge financière assumée par le délégataire. Ainsi, dans la mesure où le concessionnaire engage les investissements, la durée du contrat de concession varie entre 15 et 30 ans en moyenne afin de permettre au délégataire d’amortir ses investissements. Logiquement, les contrats d’affermage ont une durée plus courte dans la mesure où les investissements ne sont pas à la charge du délégataire. Ainsi, leur durée varie entre 7 et 12 ans et ne peuvent excéder 20 ans, sauf exception, comme le stipule la loi Barnier. L’un des intérêts principaux de la participation du secteur privé dans la gestion des services de l’eau est la possibilité de financement privé pour la construction ou le renouvellement des installations. Néanmoins, dans la mesure où cet investissement est irrécupérable, les entreprises privées ont tendance à demander des primes de risque élevées afin de pallier l’éventualité d’une modification des termes de la relation 52 contractuelle par la personne publique. Elles peuvent exiger un rendement suffisant pour couvrir leurs coûts de capital. Cette stratégie déplaît généralement à la collectivité locale qui préfèrerait transférer les gains obtenus aux usagers ou que le délégataire entretienne les infrastructures tout au long du contrat même après avoir recouvert ses dépenses. De ce fait, les deux parties peuvent faire varier la durée du contrat afin que le concessionnaire dispose d’assez de temps pour couvrir ses investissements sans demander pour autant de prime de risque substantielle et contraire aux principes d’accès au service public pour les usagers et de continuité du service. Dans ce cas, l’entreprise privée s’expose à un risque financier plus important en contrepartie d’une autonomie plus marquée [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. Asymétries d’information à la conclusion du contrat. Lorsque l’autorité publique décide de déléguer l’exploitation de ses services de l’eau à une entreprise privée, cette délégation s’opère dans le cadre d’un contrat pluriannuel fixant les obligations et prestations attendues, ainsi que le mode de rémunération et donc le prix de l’eau payé par les usagers selon une formule de révision. Du fait des asymétries d’information existant entre le délégant et le délégataire en ce qui concerne les coûts réels supportés par l’acteur privé, le délégataire peut dégager des rentes. A l’inverse, il est possible que le mode de tarification et les objectifs fixés par le délégant représentent un risque financier important pour l’entreprise privée. Ces asymétries d’information entre le principal (la collectivité locale) et l’agent (le délégataire) peuvent être résolues à travers la théorie des contrats. Il s’agit alors pour le principal d’opérer un arbitrage entre efficacité économique du délégataire en termes de coûts et l’extraction de ses rentes. Deux types de contrats sont alors possibles. D’une part, on trouve les contrats fondés sur des prix fixes (price cap) qui ont un pouvoir incitatif élevé mais qui représentent un coût important puisque des rentes sont laissées au délégataire. D’autre part, on trouve les contrats fondés sur des formes de remboursement des coûts (cost plus) qui ont un pouvoir incitatif réduit mais un coût également plus faible en termes d’abandon de rentes. Les observations statistiques et financières montrent que les entreprises les plus efficaces ont intérêt à choisir une tarification price cap et les autres moins efficaces une tarification cost plus [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. 53 Mesures de performance. Ces asymétries d’information poussent les autorités publiques à rédiger des contrats équilibrés qui incitent le délégataire à offrir la meilleure prestation en contrepartie d’un prix le plus acceptable pour les usagers. En parallèle, les autorités locales se doivent de porter une attention particulière aux critères d’évaluation de la performance de gestion des services. Ces instruments d’évaluation doivent définir de manière concrète les résultats attendus des services. Ces critères d’évaluation sont une base de dialogue entre le principal et l’agent lors de l’exécution du contrat. Nous aborderons plus en détails la question de la nécessaire mise en place de critères de performance au sein de la délégation des services de l’eau afin de garantir leur durabilité dans de bonnes conditions de gestion et face aux exigences imposées par la perspective de développement durable au sein de la troisième partie de notre travail. Cependant, nous pouvons d’ores et déjà présenter les trois types d’objectifs retenus par Guérin-Schneider [2001] : le service au client (satisfaction globale, information, réponse aux demandes), la qualité générale de l’exploitation pour l’eau (qualité de l’eau, état et maintenance du réseau, continuité du service) et l’assainissement (limitation des déversements dans le milieu, fonctionnement des stations d’épuration, continuité du service), le renouvellement et la pérennité de la ressource. • La concurrence dans le secteur de l’eau. Face au vaste champ d’action du monopole, la libéralisation des services cherche à contrebalancer le manque de concurrence dans le secteur des industries en réseau. Le développement de cette concurrence ne peut se faire naturellement du fait de la présence de différents éléments que nous avons présentés précédemment tels que les économies d’échelle, les coûts fixes élevés, la localité des services, etc… Il s’agit donc d’envisager les différents types de concurrence qui peuvent être ou sont exercés sur les potentiels exploitants des services, qu’ils soient publics ou privés. 54 La concurrence par comparaison. L’existence d’importantes barrières à l’entrée empêche l’arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché et qui feraient concurrence à l’entreprise déjà établie. Néanmoins, il est possible d’imaginer un mécanisme de concurrence potentielle en réunissant des informations sur la performance de différents exploitants répartis géographiquement sur des réseaux différents. De ce fait, on peut suppléer aux pressions normales d’un marché concurrentiel et stimuler les opérateurs pour qu’ils améliorent leur efficacité de production et de prestation de service. Cette concurrence est donc une concurrence par comparaison plus connue sous son appellation anglophone de Yardstick competition, mode de concurrence déjà mis en place en Angleterre et au Pays de Galles [Shleifer, 1985]. Différents problèmes peuvent être rencontrés : la difficulté d’accès à des informations pertinentes et vérifiables, transformer la comparaison en incitation pour les entreprises, comparer des exploitants dans des situations différentes, voire similaires. A nouveau, ce mode de concurrence renvoie à la nécessité de mettre en place un ensemble d’indicateurs de performance et de facteurs descriptifs afin de définir correctement l’environnement de production. La concurrence lors de l’attribution du contrat. Lorsqu’une personne publique décide de déléguer son service d’eau à une entreprise publique ou privée, cette délégation s’opère, comme nous l’avons déjà précisé, dans le cadre d’un contrat d’une durée pouvant atteindre deux décennies. Il est donc essentiel de mettre en place un système donnant accès à la meilleure information possible afin d’encadrer le prestataire de services dans un ensemble de règles qu’il se doit de respecter. La solution assez couramment adoptée consiste à fixer un objectif volumétrique de production avec une certaine qualité de service. Cet objectif est exposé aux différentes entreprises en concurrence pour l’exploitation du service. L’entreprise qui fera l’offre au mieux-disant (le prix plus bas possible tout en respectant les objectifs qualitatifs, financiers et techniques imposés) remportera l’enchère. Une concurrence pour le marché est ainsi organisée de manière régulière à travers les échéances prédéterminées des contrats afin d’assurer une pression concurrentielle et de réduire les 55 profits des opérateurs privés qu’ils pourraient dégager du fait d’un manque de concurrence [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. Afin que ce mécanisme fonctionne correctement, un ensemble de conditions sont prérequises. En premier lieu, le nombre d’entreprises en place lors de la mise en concurrence doit être suffisant. En second lieu, la durée du contrat doit être courte afin de relancer la pression concurrentielle de manière fréquente. Enfin, il faut s’assurer que les candidats ne créent pas d’entente quant aux offres qu’ils proposeront afin de se répartir le marché entre opérateurs ou zones géographiques. Cependant, il n’est pas toujours aisé de respecter ces conditions comme le rappelle très justement le cas français où seules trois entreprises, également présentes à l’international, se partagent le marché : Vivendi (ancienne Générale des Eaux), Ondéo (ancienne Lyonnaise des Eaux-Suez) et SAUR-Bouygues. Cette structure de marché oligopolistique implique un pouvoir de ces groupes très important et donc réduit la pression concurrentielle, plutôt bénéfique pour le consommateur. Ainsi, les « affaires » liées au secteur de l’eau en France ont défrayé la chronique il y a quelques années, et il n’est pas rare que les soupçons d’entente ou de collusion pèsent à l’égard des opérateurs privés. Notons également, qu’il peut être très difficile, voire presque impossible, de permettre à une nouvelle entreprise de renégocier le contrat puisque l’entreprise déjà en place bénéficie d’un avantage informationnel et technique relatif à l’historique de la gestion, l’état des équipements, les spécificités et problèmes de l’exploitation. Cet avantage peut être encore plus important dans certains contrats de durée plus importante imposée par des nécessités techniques liées aux prestations attendues ou par des impératifs financiers [Deronzier, 2001]. La concurrence pour la propriété. Comme nous l’avons déjà rappelé, pour qu’il existe une pression concurrentielle, le mécanisme de sélection devrait être répété aussi souvent que possible. Si cela n’est pas le cas, la pression concurrentielle n’est que préalable et temporaire, et les usagers ne bénéficient pas du meilleur prix possible pendant toute la durée du contrat [Gatty, 1998]. La solution la plus simple consiste à modifier le type de délégation en proposant un contrat d’affermage au sein duquel l’entreprise n’est en charge que de l’exploitation 56 du service. Cependant, un problème récurrent fait alors jour : les collectivités locales ont de grandes difficultés financières pour faire face aux investissements. Une solution alternative consiste à conserver un contrat de concession au sein duquel le délégataire est en charge des investissements à travers la construction des équipements, et que ces investissements qui ne seraient pas encore amortis à la fin du contrat, soient repris par l’exploitant arrivant afin que l’exploitant sortant ne réalise pas de pertes et que les investissements nécessaires soient effectués tout au long du contrat. Cette solution pose néanmoins un problème : en effet, si les engagements initiaux peuvent être transférés, la pression concurrentielle que l’autorité publique veut imposer perd son sens [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. De ce fait, Gatty [1998], propose d’organiser chaque année la concurrence d’un contrat de concession (d’une durée de vingt ans par exemple) pour une année supplémentaire. Cela permettrait d’instaurer une concurrence pour la propriété de l’entreprise exploitant les services d’eau ou d’assainissement puisque l’enchère serait basée sur les prix que les candidats proposent aux consommateurs. Par ailleurs, le propriétaire serait alors indemnisé à hauteur des investissements réalisés. Malheureusement, cette solution engendrerait également de forts coûts de transaction [Guérin-Schneider, 2001]. 57 Ainsi, l’eau est un bien économique particulier car c’est à la fois une ressource naturelle rare, un bien public impur, un bien commun, mais également une ressource multifonctionnelle confrontée à des rivalités d’usages. Son financement en Europe diffère suivant les pays, mais les principaux fondamentaux restent les mêmes, particulièrement du fait de l’influence du droit communautaire : couverture des coûts, pérennité des équipements de distribution et d’assainissement, gestion de la demande par les prix, signal de rareté de la ressource, internalisation des externalités négatives telles que la pollution grâce au principe de pollueur-payeur, égalité d’accès au service public à travers la péréquation. Au-delà, le secteur de l’eau est très spécifique car il est caractéristique d’une industrie en réseau à travers des activités duales et le partage des coûts entre les usagers. Exemple archétypal du monopole naturel marqué par un marché quasiment incontestable, des rendements d’échelle croissants, des possibilités d’économie de gamme et un risque de sur-profit, le secteur de l’eau possède également une forte dimension de service public qui lui impose des obligations en termes de prestation : égalité d’accès au service, égalité devant le service, continuité du service, mutabilité du service face aux exigences des usagers et des gouvernants. Ces spécificités imposent une régulation du secteur en ce qui concerne la tarification du monopole, la délégation de service public et la concurrence. Cette régulation est fortement liée au mode de gestion des services publics de l’eau en Europe. Le débat public-privé est périodiquement relancé et appelle aujourd’hui deux autres questions : en premier lieu, les services de l’eau potable et de l’assainissement doivent-ils être gérés de manière conjointe ou séparée, ou bien de manière transversale avec d’autres services caractérisés par des secteurs en réseaux comme l’électricité, les transports, le téléphone… ; en second lieu, doit-on centraliser ou décentraliser la gestion des différents services et ce, à quel niveau territorial. Enfin, puisque le secteur de l’eau est un secteur en réseau, la concurrence y est sous-optimale. Le raisonnement logique découlant du constat de la présence d’un marché de l’eau semblable à n’importe quel marché est que la réglementation et la restructuration des service publics doivent aboutir à une hausse de la concurrence dans le secteur de l’eau pour plus d’efficacité économique et une plus grande transparence et compréhension des prix. Après avoir posé les jalons nécessaires à l’approche économique de l’eau en tant que bien et à travers son secteur, il convient de s’intéresser aux différents modes de gestion de l’eau en Europe afin de comprendre pourquoi le prix de l’eau diffère d’un pays à 58 l’autre et de tenter de répondre aux questions qui nous ont occupés précédemment : distribution et assainissement doivent-ils être gérés conjointement ? A quel niveau territorial peut-on trouver un équilibre entre la concentration qu’appelle l’évolution du secteur, la spécificité des caractéristiques techniques et géographiques des pays et la légitimation démocratique ? 59 II. Modèles de gestion de l’eau en Europe. A. L’eau : une ressource publique. 1) Une répartition inégale. Le degré de concentration des services de distribution de l’eau diverge d’un pays à l’autre. Cet état de fait découle avant toute chose des différences géographiques et techniques entre pays [Barraqué, 1995]. La logique veut que l’on retrouve dans les régions caractérisées par de grandes villes ou une forte densité de population des services d’eau potable plus concentrés qu’ailleurs et une importance plus marquée du recours aux eaux de surface. En France, chaque habitant dispose environ de 3 600 m3 d’eau par an. La distribution de l’eau y est très émiettée avec 16 000 services recensés en 1998 par l’IFEN. En ex-Allemagne de l’Ouest, chaque habitant dispose d’une ressource en eau de 2 600 m3 par an et le nombre de services de l’eau n’est que de 3 000 environ. En Angleterre et au Pays de Galles, où contrairement aux idées reçues la pluviométrie n’est pas abondante malgré une fréquence élevée d’averses, la ressource disponible par habitant tombe à 1 400 m3 par an. La régionalisation des services de l’eau qui y a été opérée en 1974 a fait diminuer encore le nombre de services de l’eau alors que la concentration y était déjà importante avant avec moins de 200 services de distribution au début des années 1970. Aux Pays-Bas, si la densité démographique est quatre fois plus importante qu’en France et que le pays est riche en eau avec une ressource annuelle disponible de 6 100 m3 d’eau par habitant, environ 90% de ces eaux sont amenées par les deux fleuves qui traversent le pays, le Rhin et la Meuse. Or ces cours d’eau étaient, dans les années 1990, encore si pollués qu’il était difficile de les traiter pour rendre leur eau propre à la consommation. La ressource est donc plus limitée en réalité et la concentration des services de l’eau est forte avec 50 à 60 services au milieu des années 1990. Si la règle semble respectée en Italie par exemple, avec une ressource individuelle annuelle quasiment similaire à la France, l’émiettement important des réseaux (6 000 services pour 8 000 communes) résulte en fait de l’obligation pour l’Italie de recourir plus conséquemment au captage d’eaux souterraines du fait de l’écoulement rapide des pluies torrentielles vers la mer. 60 La concentration des réseaux d’assainissement est plus difficilement appréciable puisque beaucoup de pays n’ont pas de statistiques fiables à leur disposition ce qui prouve le caractère local de la gestion de l’assainissement. Les pays qui disposent de bonnes données statistiques sont ceux qui ont installé leurs réseaux il y a longtemps déjà, puisque leur réhabilitation implique des politiques et des moyens nationaux qui permettent une meilleure évaluation du patrimoine local. Les Anglais ont inventé le système du tout-à-l’égout avant la Seconde Guerre Mondiale déjà, puis les stations d’épuration, qui étaient des choix techniques adaptés du fait de la faible violence des pluies, de la petitesse et de la fragilité des rivières. De plus, la mer ne se trouvant jamais à plus de cinq jours des grandes villes, les risques d’eutrophisation (l’enrichissement naturel d’une eau en matières nutritives) sont limités. Les pays du Nord se sont d’abord inspirés des choix anglais avant de préférer un système séparatif d’assainissement, séparant les eaux usées et les eaux pluviales. Ce processus était issu d’une volonté de traiter séparément les eaux usées au lieu de diluer celles-ci dans les eaux de pluie, que l’on croyait à l’époque propres. Plus l’on descend vers le Sud de l’Europe, plus les réseaux d’assainissement sont doubles, du fait des techniques biologiques développées dans les stations d’épuration (les boues activées) qui sont sensibles aux variations importantes de charge issues des orages plus violents. Le nombre de stations d’épuration enfin, varie également d’un pays à l’autre pour des raisons de densité démographique. En 1995, les Pays-Bas n’étaient équipés que d’environ 500 stations d’épuration quand l’ex-Allemagne de l’Ouest, beaucoup plus rurale et quatre fois plus peuplée, en possédait environ 9 000. A la même époque, la France disposait de 12 000 stations d’épuration, après un effort massif d’investissement dans ces équipements entre 1970 et 1985. L’Angleterre et le Pays de Galles avec 6 500 stations d’épuration, ne disposent d’un nombre important de stations d’épuration que du fait de la vétusté des équipements qui, mis en place avant 1939, nécessitaient plus de place par unité de volume traité. L’Italie, malgré la rareté de la ressource n’a pas opéré de centralisation de la gestion. Elle se place derrière la France en deuxième position en terme d’éclatement des services. Avec 8 000 communes, l’Italie comptait, en 1987, selon l’ISTAT, 5 500 services d’eau, 7 000 réseaux de collecte des eaux usées et 11 000 stations d’épuration [Tore, 1998]. L’Espagne et le Portugal, au milieu des années 1990 étaient encore mal équipés et commençaient à construire des stations modernes. La directive européenne (CE 271/91) « Eaux Résiduaires Urbaines » (DERU) de 1991 a permis de subventionner massivement l’Espagne, le Portugal et la Grèce pour qu’ils s’équipent de manière 61 moderne au lieu de reconduire directement les choix techniques des pays d’Europe du Nord. 2) Publicisation des services. La distribution de l’eau en Europe s’est d’abord développée à travers des associations d’habitants. La subsistance d’un tel système au Danemark concerne un quart de la population qui reste toujours desservie par un réseau d’eau géré par une association de quartier. Ces services captent les eaux souterraines, ce qui facilite leur traitement puisqu’elles sont moins exposées aux risques de pollution et d’eutrophisation que les eaux de surface mais la garantie d’une qualité constante reste difficile à tenir. Ces difficultés poussent au développement d’une gestion plus concentrée et centralisée, à l’image des premiers réseaux conçus dans les grandes villes. Ces derniers ont été développés par des concepteurs et des entrepreneurs privés qui disposaient des ingénieurs capables de réaliser les équipements nécessaires. La pratique, dès lors, était la concession. Au 19ème siècle, l’objectif était principalement d’équiper les quartiers de la ville où la demande était solvable du fait des capitaux limités dont ils disposaient, puis de revendre le service à des investisseurs locaux, sans se soucier de la gestion du service, pour récupérer leur capital et répéter ensuite l’opération ailleurs. Malheureusement, les compétences des investisseurs étant restreintes, l’entretien et le renouvellement des services étaient laissés de côté et l’on faisait fonctionner les dispositifs jusqu’à la panne. Le développement des services de distribution de l’eau a donc été retardé aux 19ème et début du 20ème siècle par la faiblesse de l’investissement privé. En conséquence, les municipalités d’Europe ont pris en charge les réseaux publics et les ont étendus aux quartiers défavorisés tout en baissant le prix de l’eau grâce aux économies d’échelle dégagées. Cette montée du « municipalisme » n’a été possible qu’à travers le contrôle par les villes de l’épargne populaire. En Angleterre, la perspective solidariste du mouvement de réforme sociale a permis l’extension des réseaux publics aux quartiers ouvriers dans un souci de limitation des risques d’épidémie. Cette prise en compte de l’hygiène fut doublée d’une volonté redistributive : les sommes dues par les habitants n’étaient pas liées à la consommation de l’eau mais à la surface de la propriété occupée (les rates). L’Angleterre, encore faiblement équipée en compteurs aujourd’hui, a conservé ce principe de tarification pour une partie des ménages. Il est intéressant de noter que le « welfare state » anglais se traduisait à cet époque par un tel degré 62 d’implication des municipalités dans l’économie par la régie directe qu’il était surnommé « water and gas socialism » faisant de lui un municipalisme social [Gaudin, 1989] . A l’opposé, à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, la municipalisation des services s’est généralisée en Europe continentale, non pas sur le principe d’une réforme sociale, mais sur le caractère industriel et commercial du service de l’eau. De ce fait, le paiement était calqué sur le volume d’eau consommé. Ce développement de la régie directe municipale s’est opéré grâce aux investissements bénéficiant d’aides de l’Etat ou d’emprunts à très faibles taux d’intérêt, notamment par les caisses d’épargne [Barraqué, 2003]. La gestion de l’eau potable a alors été confiée à des établissements publics autonomes par rapport aux services municipaux : les Waterleidingbedrijven néerlandais, les Wasserwerke allemands et suisses, les aziende municipalizzate italiennes. Ainsi, le municipalisme a permis de raccorder progressivement l’ensemble de la population. De même, si le génie civil au 19ème siècle souhaitait développer des aqueducs toujours plus loin, le génie chimique a permis d’éviter ces solutions lourdes et à la gestion complexe, par la potabilisation d’eau brute collectée près des villes dans les rivières, les nappes alluviales… Il y avait donc une forte adéquation entre le territoire local du réseau et le municipalisme, adéquation que l’on retrouve non seulement dans les services de distribution de l’eau mais également dans les services de traitement et d’assainissement collectif de l’eau. 3) Crise du modèle municipal. Les contraintes de comptabilité publique ont plongé le modèle municipal dans une crise profonde après les années 1950. En effet, les collectivités publiques locales n’avaient pas le droit de réaliser des amortissements et des provisions pour opérer un renouvellement des équipements. Ainsi, les coûts du service étaient faibles mais le capital n’était payé que par les subventions et pas par les usagers. Le prix de l’eau était de ce fait peu élevé puisque la part à autofinancer était restreinte et cela a encouragé les habitants, encore tentés de s’approvisionner à leur propre source, à se raccorder au système pour tous leurs usages. Durant quarante à soixante ans, le réseau public a fait face à toutes les demandes d’eau, quel qu’en soit l’usage. Par conséquent, les prix sont restés bas du fait des économies d’échelle. Malheureusement, cette approche purement 63 économique et financière n’a pas permis de prendre en compte la gestion des ressources naturelles et le renouvellement à long terme des équipements. Dès lors, il s’est imposé comme une évidence que la gestion privée serait une solution appropriée pour faire face à ces échéances et obligations de renouvellement puisque la comptabilité privée, à l’inverse de la comptabilité publique, permet amortissements et provisions. Envisageons dès lors, les réponses apportées par les Etats européens à cette crise du modèle municipal, bien que celui-ci soit encore largement en vigueur à travers des régies pour les petits services et des établissements publics autonomes pour les plus grands. On distingue trois modèles. Le premier est celui d’une privatisation « à la française » avec une forte concentration de l’industrie de l’eau, moteur d’innovation, (il n’y a que trois groupes actuellement : Vivendi auparavant Générale des Eaux, Ondéo auparavant Suez-Lyonnaise des Eaux et SAUR) qui compense l’émiettement des communes et des syndicats intercommunaux. La privatisation découle très largement de l’enfermement financier des collectivités locales, qui sont alors amenées à déléguer la gestion des services. Le second est celui développé en Allemagne, caractérisé par une transversalité et une privatisation formelle des services urbains à caractère industriel et commercial, tout en maintenant un localisme marqué. Le troisième modèle, que l’on retrouve aux Pays-Bas et qui tend à être mis en place chez nos voisins italiens, espagnols et portugais, est marqué par une réorganisation des services de l’eau à un échelon supracommunal. Ce modèle est essentiellement motivé par des contraintes importantes liées à la ressource elle-même, mais également à une régionalisation de la problématique. Cela n’empêche pas le développement de l’économie mixte ou de la délégation de service public à des acteurs privés. Ce dernier modèle a été poussé à l’extrême de l’autre côté de la Manche où les collectivités locales d’Angleterre et du Pays de Galles n’ont plus aucune prérogative sur la gestion des services de l’eau depuis une privatisation totale à la fin des années 1980 sous Margaret Thatcher. 4) Réponses apportées : analyse de cas. Nous nous proposons de présenter les réponses apportées à cette crise du modèle municipal à travers une approche par pays. 64 • La privatisation « à la française » : la délégation. En France, la tutelle de l’Etat sur les communes a maintenu une situation économique fragile qui les a poussées à recourir continuellement aux sociétés privées (contrôle des caisses d’épargne par les départements, nécessité d’une dérogation préfectorale pour bénéficier d’un prêt pour les équipements collectifs…). L’éclatement des communes, limitant les capacités de gestion des services collectifs, a par ailleurs renforcé une tendance typiquement française de gestion de « petit rentier » au sein des conseils communaux, à savoir une gestion non tournée vers l’investissement, ni l’emprunt, ni le déport sur l’avenir. De plus, les sociétés privées n’ont eu aucun mal à faire face à la demande d’extension des réseaux puisqu’au début du 20ème siècle, l’industrialisation et l’urbanisation françaises connaissaient un rythme bien moins soutenu qu’ailleurs en Europe. Ainsi, elles ont pu dépasser le manque de capital par le soutien des banques et ont pu se maintenir dans la gestion du service aux usagers une fois les travaux terminés. Les sociétés privées ont dès lors occupé les deux fronts de l’activité de distribution d’eau : l’installation du réseau, activité rentable mais irrégulière et risquée, d’une part, et d’autre part, la vente de l’eau, activité moins rentable mais stable et à croissance régulière [Dupuy, 1989]. Comme le souligne Barraqué, « le poids tout à fait particulier pris par les sociétés privées de distribution d’eau en France est lié historiquement à la faiblesse économique des capacités d’initiative économique de nos communes » [Barraqué, 1995, p 263]. Aujourd’hui, ce poids est encore accru puisque ces sociétés sont également impliquées dans l’épuration des eaux usées et l’assainissement. Ainsi, le modèle français intègre depuis longtemps le principe du partenariat public-privé à côté de la gestion strictement publique. Les sociologues ont pu souligner l’établissement d’une relation de confiance unique en Europe entre les communes et les groupes privés à travers la définition de la notion de service public et la souplesse des types de contrats, éléments moins importants chez nos voisins anglosaxons qui ont foi en les vertus de la concurrence et de la privatisation [Barraqué, 1995]. • La Grande-Bretagne : entre régionalisation et privatisation. En Grande-Bretagne, on a pu observer deux phénomènes parallèles dans les années 1930 et l’après-guerre : d’un côté s’est opéré un mouvement de concentration des 65 réseaux de distribution d’eau et de l’autre côté s’est mis en place un mouvement de centralisation et de réduction drastique des prérogatives des collectivités locales [Saunders, 1983]. Ainsi, s’il y avait plus de mille unités de distribution d’eau en 1954, leur nombre a chuté à 187 juste avant la régionalisation de 1974. Le rôle des élus locaux a diminué progressivement avec la mise en place des dix Regional Water Authorities (RWA) la même année, organisations régionales chargées de la distribution, de l’épuration et de l’assainissement de l’eau à travers une approche par rivière (River Boards). Ce retrait des autorités locales n’a pas pour autant été total : les RWA leur ont souvent délégué la gestion des réseaux d’assainissement au quotidien. La conséquence directe en a été une succession de conflits entre ces deux niveaux d’autorité, les communes accusant les RWA de ne pas leur donner assez de moyens et entravant l’activité de ces dernières par l’établissement de plans d’urbanisme contraires aux plans généraux d’assainissement, d’épuration ou de gestion des rivières des RWA. Cette régionalisation a en fait déplacé le centre de pouvoir décisionnel dans les mains des ingénieurs de l’eau [Saunders : 1983], ce qui a entraîné une dérive de grands travaux et une révision des normes de rejet à la baisse lorsque l’argent manquait. La privatisation totale est donc devenue un remède nécessaire pour pallier la crise économique bloquant les investissements à un moment où la vétusté des équipements appelait à un renouvellement de ces derniers, alors même que la régionalisation avait eu pour objectif de pallier l’incompétence technique des collectivités et au sous-investissement chronique mettant en danger la pérennité des installations. La privatisation a donc été un correctif après l’échec partiel de la régionalisation. Le gouvernement britannique a par ailleurs mis en place une séparation entre industrie de l’eau (Water Service Companies) et les administrations de contrôle et de tutelle : National Rivers Authority (NRA) en charge des prélèvements et de la pollution, Office of Water Services (OFWAT) en charge du contrôle de prix et de la qualité du service aux usagers. Le modèle appliqué en Angleterre et au Pays de Galles plus exactement est cité comme référence puisqu’il a poussé à l’extrême la privatisation des services de l’eau : la propriété des installations et la totalité de la gestion ont été confiées à des compagnies privées, encadrées par des autorités de régulation indépendantes. 66 • L’Allemagne : transversalité, localisme et privatisation formelle. L’Allemagne, pour sa part, a systématisé le recours à des établissements publics gérés par les communes ou les syndicats communaux qui disposent d’une autonomie de décision importante. Initialement spécialisés par services, les établissements publics ont été réunis dans l’entre-deux-guerres en un seul établissement transversal appelé Stadtwerk. Ces structures ont ensuite bénéficié de la personnalité morale et de l’autonomie financière avant d’être transformées en SARL ou SA dans les années 1960 avec cependant un contrôle quasi total des actions par les villes [Kraemer, 1993]. Cette transversalité offre une grande souplesse et la possibilité de lisser les gros investissements de renouvellement des réseaux faits sur de longues périodes et avec peu de risque que tous les services aient besoin d’un investissement en même temps. La privatisation, quant à elle, permet de bénéficier d’une fiscalité moins élevée et d’avoir un accès plus aisé au marché bancaire. Du fait du caractère fortement local de la gestion de l’eau, la gestion de l’assainissement n’a jamais été jointe à la gestion de l’eau. Les villes émettent de fortes réticences à ne plus gérer l’assainissement en régie directe car cette activité est considérée comme relevant du pouvoir de police général, de surcroît financée par l’impôt à travers la facturation du service. Seules les très grandes villes, comme Berlin par exemple, ont décidé de joindre l’assainissement à la gestion de l’eau pour une approche intégrée de la gestion de l’eau. Le contrôle des rejets en Allemagne relève des Länder et y est beaucoup plus systématique qu’en France et les autorités n’hésitent pas à sanctionner les infractions alors qu’en France, les principaux pollueurs industriels relèvent du contrôle des installations classées, sous responsabilité préfectorale, et le taux de raccordement aux réseaux publics n’atteint que 50% contre 90% outre-Rhin [Berland, 1994]. La gestion purement privée est très limitée en Allemagne : en 1998, seul 3% de l’approvisionnement en eau et 1% de l’assainissement étaient réalisés par le secteur privé [Owen, 1998]. La pression économique en matière d’exploitation et d’investissement est importante pour faire augmenter les prix. De ce fait, le secteur privé gagne en attractivité non pas pour son professionnalisme comme en France mais pour sa capacité à résoudre les difficultés financières et générer des gains de productivité. Les prévisions laissent entendre que la privatisation pourrait atteindre 30% d’ici 2010 [Owen, 1998]. Ainsi, le modèle allemand est caractérisé par une gestion locale et transversale ; et un contrôle régional et administratif. Il s’inscrit dans un 67 municipalisme très ancré historiquement et qui reste la caractéristique principale de la gestion des services d’eau en Allemagne. • Les Pays-Bas : gestion supra-communale et régionalisée. Aux Pays-Bas, la forte densité de population et la difficulté d’avoir de l’eau douce ont poussé les collectivités territoriales à concentrer le secteur de l’eau potable dans des sociétés privées dont elles restent actionnaires. Avec une cinquantaine des sociétés de distribution au début des années 1990, l’objectif attendu est une réduction de leur nombre jusqu’à atteindre une à deux sociétés par province, soit un nombre oscillant entre 12 et 24 sur la totalité du territoire. Dès 1957, les Néerlandais ont régionalisé une politique stricte en matière de protection des eaux souterraines et de réinfiltration des eaux de surface de bonne qualité. Le fait de confier ces activités aux provinces a empêché la mise en place d’une gestion transversale des services comme en Allemagne. Concernant la gestion de l’assainissement, des associations en charge de la navigation et de l’assainissement se sont développées depuis l’époque médiévale. Appelées aujourd’hui Waterschappen (ou wateringues en Flandres), elles ont pris une importance telle qu’elles ont vu leur statut de collectivité territoriale fonctionnelle protégé par la constitution néerlandaise. Gérant l’assainissement et la police des eaux, elles ont pris en charge l’épuration des eaux usées comme une évidence, ce qui explique la forte concentration dans ce secteur également (2 600 en 1950, 140 en 1995). On distingue une grande variabilité dans les situations des provinces : certaines sont caractérisées par la présence de wateringues spécialisées dans la seule gestion de la distribution de l’eau et non l’épuration, d’autres tendent à mettre en place une seule wateringue. Au final, l’attachement à la subsidiarité aboutit à une gestion des réseaux locaux par les communes, une gestion des réseaux supralocaux et des stations d’épuration par les Waterschappen et une gestion plus intégrée par les provinces. La problématique actuelle aux Pays-Bas se concentre principalement sur la question du chevauchement des compétences : ne vaudrait-il pas mieux séparer les activités de contrôle et de gestion ? les confier à différents niveaux territoriaux ? au lieu de laisser chaque organisme faire les deux, chacun sur les eaux qui le concerne [Barraqué, 1995]. 68 • L’Italie : supra-communalité et gestion publique. En Italie, la structure de l’azienda municipalizzata est un établissement public semblable à ce que l’on retrouve en Europe. Issue d’une loi de 1903 généralisant le mouvement de municipalisation des services urbains suite à l’unification du pays, l’azienda municipalizzata n’a cependant pas fait l’objet d’une transversalisation à l’allemande à l’exception de Rome où l’ACEA3 distribue l’eau, l’électricité et a manifesté dans les années 1990 la volonté de s’intéresser de plus en plus à l’assainissement et l’épuration. Ces structures restent soumises à un contrôle des prix aux échelons municipal et national et ne bénéficient donc pas de l’autonomie financière. Par ailleurs, l’Italie ayant achevé son réseau il y a peu de temps, la distribution garde encore un fort symbole de solidarité nationale et le prix de l’eau est nettement inférieur à son prix de revient. De ce fait, un problème d’investissement pour moderniser le réseau se posera à plus ou moins long terme [Barraqué, 1995]. Le problème principal de l’Italie réside dans la pollution de l’eau. Les communes ont une grande autonomie et de grands pouvoirs de police (supérieurs à ce que nous connaissons en France), malheureusement ces communes sont en même temps les principaux pollueurs. L’existence de nombreux petits services caractérisés par des problèmes de financement a entraîné des dégradations techniques des installations ayant des répercussions sur la qualité de la ressource. Le législateur est donc intervenu pour réorganiser la gestion de l’eau. La loi Merli de 1976 a confié de larges pouvoirs de planification de l’eau aux régions, accompagnés par la mise en place parallèle des agences de bassin pour les plus grandes rivières en 1989. Puis la loi Galli de 1994 a imposé le regroupement des activités de distribution d’eau, d’assainissement et d’épuration à une échelle supracommunale pour améliorer la qualité de la ressource. Ce modèle de consorzio idrico (syndicat intercommunal de l’eau) a pour objectif l’exclusion de la régie municipale et le rapprochement avec le modèle anglais d’avant la privatisation puisque gestion et réglementation ne sont pas séparés. Les collectivités ont transféré leurs prérogatives et l’émiettement des services est toujours aussi important : 150 gros opérateurs exploitent la moitié des services d’eau et l’autre moitié est gérée par 11 000 unités [Guerin-Schneider L., Nakhla M., Grand d’Esnon A., 2002]. On distingue quatre modes de gestion : la régie directe, bien qu’interdite par la loi Galli (35% du volume 3 Azienda Communale d’Electricita de Acqua. 69 distribué [Massarutto, 1997a et b]), l’azienda municipalizzata (entreprise municipale autonome de droit public, 43% du volume), la gestion déléguée à une entreprise privée (la commune contracte avec une entreprise privée, 4% du volume) et les établissements publics régionaux contrôlés par l’Etat (19% du volume). • Le Portugal : supra-communalité et pluralité des types de gestion. La construction et l’organisation du Portugal se sont largement fondé dès le 13ème siècle sur le pouvoir des communes. La dictature de Salazar a renversé ce principe en imposant une centralisation totale allant jusqu’à nommer les maires. Le retour à la démocratie en 1974 après la Révolution des Œillets a restauré les prérogatives communales et la vie démocratique locale. Historiquement, la gestion des services d’eau fait partie des compétences locales et les maires témoignent un fort attachement à cette prérogative. En outre, l’organisation des services d’eau est également marquée par l’inégale répartition de la ressource. Le Portugal dispose de ressources équivalentes à 6 100 m3 d’eau par an par habitant, mais au Sud, le climat méditerranéen et l’irrigation participent à la raréfaction de la ressource en eau. Ainsi, le manque relatif d’eau et la concentration urbaine dans certaines zones nécessitent des approvisionnements en eau à une échelle régionale. De plus, cette organisation des services d’eau a été différenciée suivant la distinction entre zones d’agglomération et zones plus rurales. Depuis le décret loi de 1993, la gestion de l’eau dans les régions urbaines se fait sur un mode multimunicipal. Des compagnies privées (dont les capitaux sont détenus par l’Etat et les collectivités) gèrent le transport et la fourniture en eau des collectivités. L’objectif est de créer des structures signant des délégations avec le gouvernement central et fonctionnant comme des entreprises ayant la capacité de réaliser des économies d’échelle pour une gestion plus efficace. C’est donc une transition vers une forme de privatisation limitée qui se rapproche avec la privatisation en France. Cependant, si en France 77% de la population environ est desservie par des entreprises faisant intervenir des capitaux privés, seuls 10% de la population portugaise est dans ce cas. En somme, trois modes de gestion sont possibles au Portugal : la régie simple, la régie dotée de la personnalité morale ou la concession à une entreprise de statut privé (soit les concessions sont signées par l’Etat avec les compagnies multimunicipales dont les capitaux sont publics soit les concessions sont signées avec les communes et les opérateurs peuvent être totalement privés). Lisbonne voit son eau distribuée par 70 l’EPAL4 qui est passée d’un statut d’administration publique à un statut de Société Anonyme à capital public. D’autres formes de gestion lui font concurrence : la holding IPE-AdP5 regroupe toutes les compagnies régionales de droit privé mais encore à capitaux publics. Enfin de nouveaux opérateurs organisés dans l’esprit des compagnies privées ont été créés en 1993. Le Portugal espère ainsi introduire des opérateurs mieux adaptés à la gestion et au financement des infrastructures et dynamiser le tissu industriel pour faire face aux groupes d’ingénierie étrangers (français ou espagnols) [Barraqué, 1995]. Ainsi, l’eau est une ressource publique, inégalement répartie, gérée par des services publics à travers la municipalisation de sa gestion aux 19ème et 20ème siècles. Cette gestion a connu des évolutions nationales différentes après la crise du modèle municipal, principalement pour des raisons financières. On retrouve différents principes qui ont gouverné ces évolutions nationales : la privatisation à la française avec la délégation de service public du fait de l’émiettement des communes et la situation de marché oligopolistique des entreprises privées, la régionalisation tout d’abord au Royaume-Uni puis la privatisation comme réponse à l’échec financier de la régionalisation, la transversalité locale en Allemagne et l’introduction progressive et formelle de capitaux privés pour résoudre les problèmes de financement, une gestion territoriale publique aux Pays-Bas où l’eau est omniprésente couplée à une détention publique de capitaux au sein des entreprises privées, une gestion publique et supracommunale dans les pays méditerranéens, avec néanmoins des variantes privées au Portugal notamment. Après avoir étudié les différentes réponses apportées par les Etats européens pour la gestion des services de l’eau après la crise du modèle municipal, il paraît nécessaire de s’arrêter sur l’approche qu’ils ont développée en ce qui concerne la gestion de la ressource elle-même. 4 5 Empresa Portuguesa das Aguas Livres Investimentos e Participaçoes Empresariais SA – Aguas de Portugal 71 B. Gestion de la ressource : analyse de cas. Si l’Etat a toujours été présent dans la gestion de l’eau, le développement rapide de l’industrie, l’adduction d’eau potable, l’utilisation de la force aquatique dans la production d’électricité, l’irrigation ont été les éléments les plus marquants d’une diversification des activités liées à l’eau à travers lesquelles les besoins en eau se sont accrus. En parallèle, la ressource en eau s’est raréfiée. De ce fait, la place de l’Etat dans la gestion de l’eau a connu un développement important, lui conférant un statut omniprésent dans la gestion de la ressource. En Europe, la plupart des pays ont compris la nécessité de créer des institutions et organismes chargés de coordonner les usages de l’eau, de répartir les ressources disponibles entre ces différents usages, d’augmenter la ressource en eau potable, mais aussi de préserver la qualité de la ressource. La répartition de l’usage reste à ce jour la difficulté la plus prégnante au sein des missions que l’Etat s’est attribué au sein de la gestion de l’eau. En effet, les principes démocratiques qui régissent les systèmes politiques des Etats européens empêchent la mise en place d’une planification centralisée de la répartition de l’usage de l’eau. L’enjeu majeur est de parvenir à un consensus entre les différents usagers dans le respect de leurs intérêts propres. Cette notion que l’on retrouve dénommée sous l’appellation comprehensive water management a été traduite en français par l’expression assez floue de gestion intégrée. Il s’agit en fait de prendre en compte les différents intérêts qu’ils soient complémentaires ou concurrents, aux différents échelons territoriaux de l’Etat pour parvenir à un compromis le plus équitable possible dans la répartition de la ressource entre les différents usages. Avant d’opérer une analyse par aire géographique comme nous l’avons fait auparavant, nous nous intéresserons au développement de la notion de gestion intégrée à travers l’Histoire. 1) Développement historique de la notion de gestion intégrée. • Organismes localisés. Les toutes premières formes de gestion intégrée sont apparues au niveau local dans les pays au sein desquels la ressource en eau était soit trop abondante soit restreinte. La première hypothèse est celle des Pays-Bas. L’institution des Wateringues néerlandaises 72 que nous avons évoquée auparavant est née de la réunion des agriculteurs néerlandais qui cherchaient avant tout à protéger à leurs terres et leurs récoltes des inondations. Leur objectif premier était donc le drainage des terres dans ce pays où l’eau est omniprésente. En parallèle, certains marchands s’étaient également réunis pour entretenir les canaux de navigation. La seconde hypothèse recoupe la situation des pays situés le long de la Méditerranée où les associations syndicales d’arrosants ainsi que les dispositifs techniques et les organisations gestionnaires réputés hérités de la domination des Arabes ont permis de répondre à la nécessité ressentie très tôt de gérer de manière « réfléchie » la ressource suivant ses usages dans ces Etats où l’eau est rare. L’exemple le plus célèbre est sans doute celui du Tribunal de Valence qui existe encore aujourd’hui. Dans la huerta valencienne, qui sert de verger à toute l’Espagne, l’eau est un élément stratégique : chaque jeudi depuis des siècles, un tribunal se réunit pour régler les conflits liés à cette ressource-clé. • La remise en cause de l’échelon local : la montée du régionalisme. Le développement du capitalisme et l’industrialisation ont fait croître le nombre d’usages concurrents de l’eau et la problématique de la gestion de l’eau est passée à un niveau géographique supérieur. De ce fait, les organismes que nous avons évoqués n’étaient plus adaptés car trop localisés. Par ailleurs, les traditions ancestrales fondées sur une logique communautariste (au sens de la communauté et non dans la dimension exclusive du terme) sont peu à peu entrées en confrontation avec les valeurs humanistes affirmant l’égalité des droits entre les individus et plaçant la liberté individuelle comme paradigme de l’Etat moderne. Enfin, les Etats ont pris en charge certaines tâches de gestion au niveau national, vidant ainsi les associations syndicales de leurs missions premières. Ce transfert de gestion à l’Etat a abouti à une organisation bureaucratique et segmentée de la gestion des usages de l’eau. L’exemple le plus marquant est sans doute celui de la France : la loi a fixé, en 1898, les droits et devoirs des propriétaires, locataires et usagers de l'eau en définissant deux catégories de rivières. D’un côté, on retrouve les rivières navigables et/ou flottables (domaniales) et qui appartiennent à l'Etat et sont dans certaines conditions utilisables par le public. De l’autre côté sont regroupées les rivières non navigables et non flottables, qui sont régies par le droit privé. 73 • La gestion intégrée : un problème socio-politique avant tout. Ainsi, dans la plupart des pays, la montée de la problématique de la gestion intégrée de la ressource a été associée avec l’émergence du mouvement de régionalisation, qui depuis la fin du 19ème siècle, propose une réforme sociale permettant une balance entre le caractère amoral du libéralisme et l’autoritarisme des Etats non-démocratiques. Les Genossenschaften de la Ruhr sont un exemple pertinent de ce courant régionaliste. Nées au début du 20ème siècle, ces institutions ne sont pas seulement le fruit de conditions déplorables de l’eau issues de l’industrialisation effrénée. En 1904, après une vingtaine d’année de dures négociations, les industriels et les maires des villes du bassin de l’Emscher se mirent d’accord pour constituer la première Genossenschaft : un syndicat coopératif réunissant tous les riverains, aucun ne pouvant ultérieurement se soustraire à sa contribution, commença à assumer la maîtrise d’ouvrage des travaux de remise en état de la rivière après un affaissement des sols et une pollution importante tous deux provoqués par l’urbanisation importante du fait de l’activité minière. Cette coopération a permis de faire de la rivière un « égout à ciel ouvert » [Barraqué, 1995, p. 272], d’une grande efficacité puisqu’une station d’épuration avait été placée à son confluent avec le Rhin. Cet exemple a eu un effet incitatif sur les industries et les villes environnantes du bassin de la rivière Ruhr. Deux associations similaires ont été créées : la Ruhrverband, chargée de lutter contre la pollution, et la Ruhrtalsperrenverein, chargée de stocker de l’eau propre en amont. Cette rivière fut dédiée aux usages nobles c’est-à-dire les usages qui nécessitent de l’eau potable, tandis que la Lippe, une autre rivière, fut consacrée aux usages industriel et agricole. C’est donc un modèle de gestion intégrée autour de trois rivières qui a été mis en place, chacun de ces cours d’eau étant spécialisé dans un usage : l’Emscher pour l’épuration, la Ruhr pour l’eau potable et la Lippe pour les usages non nobles. Ce modèle ne s’est pourtant pas exporté en-dehors de cette région. Pourquoi ? Cela tient sans doute aux spécificités de la Ruhr où les « barons » conservateurs de l’industrie du charbon et de l’acier ont réussi à collaborer avec les maires sociaux-démocrates des villes de la région dont l’opposition politique était marquée face à l’aristocratie prussienne. Ils ont trouvé un consensus en leur sein pour tenir le pouvoir central à distance de leur mode de vie et de leurs activités économiques mais aussi sociales que cela concerne les transports, le logement social, etc… [Korte, 1990]. Ainsi, les Genossenschaften ne se sont pas créées en-dehors de la 74 Ruhr car elles traduisaient avant tout une volonté d’indépendance politiques des sociétés locales. Comme le note Barraqué, cet exemple recoupe les différentes dimensions de la problématique de la gestion intégrée de l’eau qui n’est pas qu’un problème technique : il s’agit avant toute chose d’un problème socio-économique. Ces consensus locaux trouvés à l’échelon infra-étatique peuvent traduire deux réalités : soit une volonté de réformer les processus de prise de décision en matière de politique publique par une impulsion par le bas, par l’échelon local, soit une volonté de remplacer les modes de représentation démocratiques par une gestion néo-corporatiste. C’est à travers cette double hypothèse que Peter Saunders [1983] a analysé la création des Regional Water Authorities (RWA) britanniques. Il en conclut que l’apparition de ces organismes a eu pour objectif premier d’éloigner la politique de l’eau de sa logique de welfare state local au profit d’une logique industrielle, capable de mettre en place une meilleure disponibilité de la ressource au niveau régional. • Une difficile intégration de la perspective environnementale. Les problèmes de gestion de la ressource en eau dans le bassin de la Ruhr ont d’abord été réglés par une approche technique. On a accru artificiellement la ressource à l’échelle du bassin grâce à une politique de grands travaux au lieu de contraindre l’usage des divers acteurs. Dans les années 1990, une institution (IBA Emscher) a été créée afin de réhabiliter la rivière sur le plan environnemental. Dans une volonté de rompre avec le passé industriel lié à l’exploitation du charbon et de l’acier, les autorités locales ont remis en cause la solution mise en place au début du 20ème siècle, à savoir une seule station d’épuration à l’aval. L’objectif a donc été de « re-naturer » ce cours d’eau en mettant en place un traitement préalable de sa pollution par chaque pollueur. Ainsi, la dimension environnementale rejette la solution purement technique des grands travaux qui déresponsabilise les pollueurs et représente, de ce fait, une solution éthiquement peu acceptable [Barraqué, 1995]. 75 • Un enjeu politique plus lourd lorsque la politique de grands travaux devient insuffisante pour accroître la ressource. L’exemple le plus frappant de la problématique d’enjeu politique dans la gestion intégrée de l’eau est sans nul doute, celui de pays au sein desquels l’accroissement artificiel de la ressource grâce à la technique a atteint son maximum. Des conflits relatifs au mode de gestion de la ressource surgissent entre les différentes autorités publiques. Tel est le cas de l’Espagne. L’Etat espagnol avait créé en 1926, dix organismes de bassin, les Confederaciones hidrograficas. Dès leur origine, elles ont fonctionné de manière très centralisée. La période franquiste et l’absence de démocratie locale qui en a découlé, ont conduit à une politique de systématisation de la régularisation des cours d’eau, à travers la construction de barrages-réservoirs en amont. L’Espagne a ainsi plus d’équipements de ce type que toute l’Europe de l’Ouest réunie. Avec la régionalisation de l’Espagne, de fortes critiques ont fait leur apparition face à cette « artificialisation » extrême de la ressource en eau qui avait pour seul objectif l’irrigation des plaines méditerranéennes. Cependant, les autres objectifs défendus par les collectivités locales et les régions, tels que la répartition équitable de la ressource dans ce pays où l’eau est rare, ne parviennent pas à convaincre les ministères de modifier leur vision de la gestion intégrée de l’eau. En effet, celle-ci ne prend pour seule variable que les besoins en eau suscités par la culture des primeurs. Or ce type du culture nécessite plus de barrages et de transvases des fleuves coulant vers l’Atlantique vers ceux coulant vers la Méditerranée. C’est donc un conflit larvé qui s’est installé entre les collectivités locales, les régions et les ministères concernant la gestion intégrée de la ressource. L’enjeu politique s’étend même au-delà des seules frontières espagnoles, puisque le Portugal s’estime « délesté » d’une part de sa ressource, à travers le détournement de la ressource des fleuves coulant vers l’Atlantique. Ainsi, comme le résume Barraqué, la problématique actuelle en Europe est marquée par une hésitation « entre l’accroissement des contraintes réglementaires et le développement de la négociation et de la médiation » [Barraqué, 1995, p. 274]. C’est un débat concernant la gestion intégrée qui se traduit à l’échelon territorial par une dialectique région / bassin-versant. 76 2) L’Angleterre : le bassin-versant comme territoire d’une gestion centralisée. L’Angleterre est le pays qui est allé le plus loin dans l’utilisation du bassinversant comme échelon territorial de gestion de la ressource en eau. En effet, ce sont à la fois la planification et la gestion des services d’eau potable et d’assainissement des collectivités locales qui ont été réorganisées en entités de bassins-versants pour un nombre total de dix. Ainsi, ce sont d’un côté les Water Services Companies, les organismes chargés de la gestion des services d’au et la National Rivers Authority (NRA), autorité nationale chargée de la planification et de la réglementation, de l’autre côté, qui sont restés territorialisés selon les bassins depuis la privatisation de 1979. Cette territorialisation a permis d’exclure les élus locaux des collectivités locales des conseils des Regional Water Authorities. Ils ont laissé leur place aux associations de consommateurs dans une perspective de représentation de l’usager. C’était donc un tournant néo-corporatiste important qui avait été pris autour d’une planification centralisée. A ce jour, la situation est pourtant moins limpide qu’il n’y paraît, puisque les sociétés privées peuvent « déborder » des territoires de bassin auxquels elles avaient été originellement assignées. De plus, la NRA a engagé un processus de centralisation accrue de la réglementation puisqu’elle a mis en place un système national de permis de prélèvement et de rejet [Burchi, 1991]. Cette évolution semble marquer une diminution du rôle du bassin-versant au profit d’une gestion encore plus centralisée de la réglementation, liée en partie à la concentration nationale de l’industrie. Cependant, la mise en place de comités consultatifs pour la gestion de chaque rivière pourrait autoriser, en parallèle à ce phénomène de centralisation, une planification de degré moins important aux collectivités territoriales. En somme, si l’Angleterre représentait déjà le paradigme de la centralisation la plus poussée dans la gestion des services de l’eau, on peut voir qu’il en est de même en ce qui concerne la gestion de la ressource en eau [Barraqué, 1995]. 77 3) La région administrative comme élément cohérent de la gestion de l’eau dans les pays adeptes de la subsidiarité. • L’Allemagne : les Länder comme échelon territorial de la politique de la ressource. L’Allemagne a adopté une gestion totalement opposée de l’Angleterre puisque seule la Ruhr est organisée en bassin-versant. Le système fédéral attribue les compétences en matière de politique de la ressource aux Länder : ils appliquent les lois fédérales en les renforçant éventuellement par des contrats de rivière et ils sont également responsables de la police des eaux. Enfin, ils ont la charge de gérer le mécanisme incitatif mis en place en 1976 en ce qui concerne les redevances de pollution et qui frappe les pollueurs finaux, ceux qui rejettent leurs déchets dans les rivières. Les Länder exercent un contrôle des services d’assainissement et de collecte et de traitement des ordures ménagères. Ainsi, le cycle de l’eau n’est pas traité isolément des autres problèmes d’environnement. Cette vision de la gestion intégrée par nos voisins allemands inclut une articulation des actions entre celles axées sur l’eau et celles axées sur les sols. On peut relever le cas particulier de certains Länder qui ont développé des protections sévères en matière d’eaux souterraines et d’eaux de surface destinées à l’alimentation, grâce à l’imposition de servitudes aux exploitants agricoles, qui bénéficient de contreparties financières. Comment expliquer l’absence du bassin-versant en Allemagne ? Tout d’abord, la souveraineté des Länder empêche une approche territoriale plus transversale, de même en ce qui concerne les villes qui s’autoadministrent comme Berlin par exemple. De plus, les élus font preuve de compétences professionnelles pragmatiques, ce qui implique qu’un organisme spécialisé comme le bassin-versant ne paraît pas aussi techniquement nécessaire que dans d’autres pays. Ainsi, c’est bien le principe de subsidiarité qui impose un choix en faveur de la région administrative comme échelon territorial de la gestion de la ressource en eau [Barraqué, 1995]. 78 • Les Pays-Bas : subsidiarité et recentrage de la politique des Waterschappen vers les Provincies. Au plat pays, la délimitation naturelle de la ressource en eau paraît impossible dans la mesure où l’eau est omniprésente. De ce fait, les Waterschappen, véritables collectivités territoriales fonctionnelles, n’ont pas de délimitation par bassin. C’est encore une fois, comme dans le cas allemand, l’application du principe de subsidiarité lié à une configuration géographique particulière qui pousse vers une gestion de la ressource par la région administrative et non le bassin-versant. Cependant, les wateringues ont un point commun fondamental avec les organismes de bassins. En effet, leurs conseils ne sont pas constitués d’élus locaux, mais d’une représentation équitable des différentes catégories d’usagers, dans des proportions variant suivant l’importance des missions remplies par la wateringue mais aussi suivant l’importance des contributions financières. De ce fait, les agriculteurs sont bien souvent majoritaires par rapport aux citadins. Depuis 1985, la situation s’est largement complexifiée puisque le gouvernement néerlandais a décidé de remettre en cause la gestion de la ressource préalablement existante, au profit d’une planification intégrée, sans pour autant apporter de modifications aux structures territoriales existantes, mais en centrant le dispositif sur la région administrative : les Provincies. Par ailleurs, jusqu’à cette date, seuls trois piliers fondaient la gestion de la ressource : tout d’abord, la navigation et la défense des eaux, puis la gestion quantitative et le drainage, et enfin la gestion qualitative et la dépollution. Depuis 1985, un quatrième pilier a été incorporé : la re-naturalisation du milieu grâce au génie de l’environnement, pour sortir de la mono-perspective des travaux de génie civil. Cette évolution témoigne d’un réel engagement des défenseurs de l’environnement, majoritairement présents au sein des couches salariées et urbanisées, et qui occupent un poids prédominant dans les conseils régionaux qui sont élus au suffrage universel. Ainsi, par une simple répercussion au niveau du choix des élus, la province s’investit de manière importante dans la gestion intégrée. En conséquence, de fortes tensions institutionnelles et politiques sont apparues entre les provinces et les wateringues, auxquelles les premières souhaitaient imposer de nouvelles approches intégrées, voire des modifications de la composition de leurs conseils, voire encore une simple suppression. De ce fait, le législateur néerlandais a jugé bon d’intervenir en 1992 pour 79 rappeler le statut constitutionnel des wateringues, tout en fixant la composition de leurs conseils. Dès lors se dessine un conflit latent entre un réseau politique nouveau, basant sa légitimité sur la protection de l’environnement, basant son action politique au niveau des provinces et influençant le Ministère du Logement, de l’Aménagement et de l’Environnement, et un réseau tourné par tradition vers le génie civil et les travaux, passant par les wateringues et remontant jusqu’au Ministère des Travaux Publics et des Transports, au sein duquel est placée la Direction de l’eau : la Rijkswaterstaat. Enfin, une troisième institution nationale entend jouer un rôle : il s’agit du Ministère de l’Agriculture et de la Protection de la Nature. C’est donc un jeu non-coopératif complexe qui s’est instauré aux Pays-Bas et qui entraîne les Néerlandais à mettre en œuvre des approches de planification qui s’entrecoupent et entrent en conflits, nécessitant patience et temps pour aboutir à des négociations très formalisées [Glasbergen, 1995]. Enfin, les Pays-Bas dénotent d’une dernière caractéristique qui leur est tout à fait propre. Ils se trouvent en aval d’une vaste métropole industrielle qui génère une pollution considérable : l’Europe du Rhin. C’est le pays qui a le plus à prendre en compte la contrainte étrangère, mais aussi le niveau de la mer, dans sa politique de la ressource. La politique de gestion intégrée avec une forte connotation environnementale s’impose donc plus comme une obligation que comme un choix [Barraqué, 1995]. 4) Le régionalisme des Etats méditerranéens. Dans le cadre d’une crise de la ressource en eau, le bassin-versant apparaît comme le modèle le plus rationnel. Cependant, il a du mal à être adopté par les pays qui ne l’avaient pas encore fait, car ils hésitent largement entre le modèle de la RWA anglaise et celui de l’agence de l’eau en France. De plus, la tendance à la décentralisation et la régionalisation dans ces Etats entraîne une préférence pour la région administrative qui a une plus grande cohérence dans son inscription au sein de l’architecture administrative de l’Etat, au détriment d’une cohérence en matière de gestion de la ressource. En effet, la région administrative a parfois du mal à asseoir son autorité sur les niveaux locaux, ce qui est préjudiciable à la gestion de l’eau. Si l’on s’intéresse au cas italien, la loi Merli de 1976 a confié la planification de l’eau aux Regioni. Ces autorités n’ont pas assumé efficacement leurs missions et ont rendu des documents incomplets, non coordonnés et dans des délais supérieurs aux dates 80 limites imposées par le législateur. Si elles bénéficiaient en effet d’un pouvoir de contrôle sur les collectivités locales, celles-ci n’ont pas accepté leur mise sous tutelle et ont argumenté plusieurs fois devant le Parlement qu’il leur fallait plus de temps pour mettre leurs services en conformité du fait du blocage du prix de l’eau qui les empêchait d’investir. De ce fait, la loi Galli de 1994 entend avant tout résoudre le problème en constituant des entités locales de gestion viables. Entre temps, les agences de bassin ont repris un rôle important dans la gestion des rivières qui traversent plusieurs régions et où l’Etat doit assurer la coordination des plans régionaux. Malheureusement, les moyens économiques incitatifs mis à leur disposition n’étaient objectivement pas suffisants, risquant ainsi de réduire le champ d’action et l’impact de la politique de gestion de la ressource. En Espagne, comme nous l’avons évoqué plus haut, la décentralisation régionale a porté un coup aux dix organismes de bassin créés en 1926 : les Confederaciones hidrograficas. Au Portugal, le Ministre de l’Environnement avait souhaité, à la fin des années 1980, mettre en place cinq grands organismes de bassin équivalents au nombre de grandes rivières ou régions hydriques du territoire portugais. Cependant, la réalité du monde politique a fait avorter ce projet puisque, suite à une démission forcée, son successeur a préféré réintégrer la planification de l’eau dans des directions régionales de l’environnement et des ressources naturelles. Ainsi, malgré une volonté exprimée de mettre en place des organismes de bassin-versant, la région administrative a pris le dessus du fait d’une intégration trop faible de la problématique de la gestion de la ressource en eau dans l’agenda politique. A ce jour, plusieurs projets ont été évoqués pour instituer une quinzaine de sous-bassins [Barraqué, 1995. 5) La France et ses Agences de l’Eau. En France, comme nous l’avons déjà vu, l’émiettement des services est compensé par un degré de concentration élevé dans l’industrie privée de l’eau. De plus, les ingénieurs d’Etat forment un corps dont le poids important assure la cohérence et l’unité du système. Ainsi, les travaux de génie civil ont toujours été une partie intégrante du modèle français de gestion de l’eau. Malheureusement, la faiblesse des pouvoirs locaux engendrée par cette organisation du secteur a entraîné une limitation de la possibilité d’émergence d’une gestion intégrée. De ce fait, alors que 90% des 81 établissements industriels étaient raccordés aux réseaux publics d’assainissement en Allemagne en 1975, seuls 50% l’étaient en France . De manière plus large, le développement limité de la gestion intégrée est issu de la perception française des droits de l’homme, très centrée sur le respect de la propriété privée. De ce fait, l’action des communes dans la gestion des biens « communs » comme l’eau, qui se fait selon une appropriation sociale par la règle de l’usage et de la coutume, a été fortement restreinte par l’impossibilité de restreindre l’initiative privée [Bourjol, 1994]. Cette logique est également perceptible dans le processus de codification d’un droit de l’environnement et de la création d’une police des établissements classés. En effet, le droit de l’environnement a émergé du fait des abus de droit de propriété [Rémond-Gouilloud, 1989] et la police des installations classées a été mise en place non pas pour protéger l’environnement mais pour assurer la protection des sites industriels par l’Etat contre leur voisinage, défendu lui, par les collectivités locales et leur pouvoir de police générale [Lascoumes, 1989]. Ainsi, comme le développe Gazzaniga [1991], le domaine de l’eau au 19ème siècle a fait l’objet d’une volonté d’appliquer la logique de propriété. Il en a résulté une réduction de la place de la gestion coutumière et communautaire du fait de l’opposition politique entre l’Etat régalien et la propriété privée des citoyens. La gestion du domaine hydraulique n’a pas fait l’objet d’une évolution majeure durant la plus grande partie du 20ème siècle malgré ses limites. Elle a même été cristallisée dans l’exercice du pouvoir par les préfets après le débat autour du régionalisme, empêchant ainsi le développement d’une gestion consensuelle et communautaire. Par conséquent, l’inapplication du droit de l’eau dans ses aspects environnementaux a failli faire courir tout le système à la catastrophe du fait de l’industrialisation rapide sous la Vème République. Le système, dans son ensemble, n’a pu sortir de l’impasse que grâce à l’extension de la privatisation des services d’eau. En effet, celle-ci a permis le développement d’une conception de l’eau potable comme un bien de consommation. De ce fait, la mise en place des agences de l’eau et de leurs redevances fondées sur des taxes pigouviennes a permis de rééquilibrer la gestion de la ressource vers des considérations environnementales et communautaires dans la tradition anglo-saxonne de bien commun. C’est une application directe de la théorie néomarginaliste de Pigou qui veut que le principe de pollueur-payeur soit la correction des externalités du marché par leur internalisation à travers des taxes, transférant le coût des externalités de leurs victimes à leurs créateurs. 82 Les ingénieurs des grands corps revenaient à l’époque des Etats-Unis, où ils étaient partis étudier l’économie et le management, avec une perspective consumériste de l’eau. Ainsi, ils ont imposé deux éléments au Secrétariat permanent pour l’étude des problèmes de l’eau situé à la DATAR6 : d’un côté, une « consumérisation » des services de l’eau (avec un paiement au volume prélevé et l’équilibre entre recettes et dépenses) et de l’autre côté, une « consumérisation » des agences financières de bassin et de la redevance calculée sur le principe de pollueur-payeur. En parallèle, les ingénieurs se sont inspirés du modèle de la Ruhr, en imaginant une solidarité entre bassins. Les agences de l’eau ont donc émergé comme des « mutuelles » On constate donc un conflit direct entre le principe de pollueur-payeur et la principe de mutualité. Dans le premier cas, l’institution est faite pour disparaître dès lors que la redevance a conduit chaque pollueur à supprimer sa pollution. Dans le second cas, l’institution est faite pour durer car elle gère les installations concrétisant la solidarité. Ainsi, puisque les Agences de l’Eau existent encore aujourd’hui, on peut en déduire que le principe de pollueur-payeur a eu un simple effet d’affichage sans être, pour autant, réellement mis en œuvre [Meublat, 1987]. Les Agences de l’Eau assurent donc une gestion communautaire et solidaire de la ressource. Comme l’écrit Barraqué [1995, p 279] : « Dans ces conditions, les agences assurent indirectement, par la voie économique, la compensation réciproque que les ayants droits d’un bien d’environnement, d’une common property se doivent les uns aux autres par principe, selon la règle juridique du partage des communaux ». Une question émerge pourtant. Si les Agences de l’Eau ont une fonction de gestion solidaire, pourquoi celle-ci n’a-t-elle pas été étendue aux secteurs de la gestion de l’eau encore mal assurés et qui sont les inondations et la pollution pluviale ? Pour répondre à cette question, il faut adopter une démarche ontologique. Instituées par la loi du sur l’eau du 16 décembre 1964 et le décret du 14 septembre 1966, les Agences de l’Eau sont des établissements publics administratifs de l’Etat placés sous la tutelle du Ministère de l’Environnement. L’Agence de l’Eau est un organisme financier qui perçoit des redevances sur la pollution de l’eau et sur les 6 Direction à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, aujourd’hui remplacée par la DIACT : la Direction Interministérielle à l’Aménagement et la Compétitivité des Territoires. 83 prélèvements d’eau. Grâce au produit de ces redevances, elle attribue des aides aux maîtres d’ouvrage réalisant des opérations de dépollution, de gestion quantitative de la ressource ou de restructuration et de mise en valeur des milieux aquatiques. Le domaine d’intervention des Agences couvre les eaux de surface, les eaux souterraines et les eaux territoriales en mer [Flory, 2003]. L’histoire des Agences est très controversée. En premier lieu, elles n’ont commencé à fonctionner que six ans après le vote de principe des députés. Les années 1960 étaient marquées par une approche gaullienne de l’aménagement où les ingénieurs devaient réduire la résistance au changement des collectivités territoriales. Les directeurs des Agences ont donc été choisis parmi les trois grands corps d’ingénieurs en rapport avec l’eau et les Agences ont été réparties suivant la nature des territoires gérés entre ces trois corps : deux par corps. Ainsi, les territoires très industrialisés d’Artois-Picardie et de Rhin-Meuse, ont été confiés au corps des Mines, en charge du ministère de l’Industrie ; les deux grands fleuves arrosant les grandes agglomérations, Rhône et Seine, ont été confiés aux Ponts et Chaussées avec les zones littorales voisines ; enfin le grand SudOuest rural avec la Bretagne, la Loire, la Garonne et l’Adour a été confié au corps du Génie Rural des eaux et des Forêts. La création des Agences de l’Eau est donc plus politique que technique comme le confirme la composition initiale des comités de bassin : un tiers pour les services de l’Etat, un tiers pour les usagers (principalement les industriels et EDF) et un tiers pour les élus locaux, en tant que responsables des réseaux publics. La rivalité entre groupes était très forte et les élus et les industriels se renvoyaient dos à dos la responsabilité de la pollution. La répartition des sièges entre élus locaux et industriels a résulté d’une « pirouette ». Ne connaissant pas de manière précise la part des rejets de chaque groupe, on décida qu’elle était équivalente et qu’ils bénéficieraient ainsi du même nombre de sièges puisque leurs contributions financières seraient équivalentes. En conséquence a été mis en place une « solidarité naturelle juridique » entre usagers dans la conciliation entre efficacité environnementale et égalité de traitement entre citoyens. Initialement, les élus locaux ont marqué une certaine défiance à l’égard des Agences de l’Eau qu’ils considéraient comme des produits des technocrates et investis d’une légitimité institutionnelle et politique leur faisant concurrence. Ils ont majoritairement 84 refusé d’être considérés comme des pollueurs et ont fait reporter la redevance sur les pollueurs initiaux, c’est-à-dire les habitants à travers la facture d’eau. Pourtant, ce sont les collectivités locales qui reçoivent les subventions et les primes des Agences. Puis, au fur et à mesure, une forme de confiance s’est établie entre les différents acteurs. Le désengagement de l’Etat dans le financement des politiques de l’eau y a largement participé. En parallèle, le poids de l’Etat dans les comités de bassin a été réduit, puisqu’il s’est réduit à un quart des sièges, au bénéfice d’usagers sous-représentés jusqu’alors, comme les défenseurs de la nature. De plus, dans les conseils d’administration, l’Etat n’a plus qu’un tiers des voix, contre la moitié au début, au profit des élus des collectivités territoriales. Ces modifications institutionnelles ont permis une meilleure visibilité des Agences de l’Eau en tant qu’organismes décentralisés. Elles prélèvent directement les impôts importants qui ne transitent pas par le ministère des Finances, elles s’occupent elles-mêmes de leur trésorerie, leur richesse leur donne théoriquement une capacité d’intervention assez grande alors que leur programme d’action est établi sur une base quinquennale. Cet état de fait a entraîné un renversement des soutiens. Si initialement l’Etat central a fortement soutenu les Agences de l’Eau lorsqu’elles faisaient l’objet de critiques des élus locaux, ceux-ci défendent aujourd’hui publiquement les agences, les protègent au Parlement lorsqu’elles sont victimes d’attaques (feutrées) de l’administration centrale et particulièrement du Ministère de l’Economie et des Finances, qui voit d’un mauvais œil cette émancipation d’une administration décentralisée dépensière. Enfin, le problème d’inconstitutionnalité potentielle des agences du fait de leur système fiscal échappant au contrôle du Parlement représente une épée de Damoclès. En outre, les Agences de l’Eau ne disposent pas de pouvoirs de police des eaux, ni de la possibilité de gérer elles-mêmes la maîtrise d’ouvrage. Ces éléments représentent des restrictions fortes à une possibilité de gestion intégrée dans la mesure où les agences restent dépendantes des personnes publiques ou privées ayant la capacité juridique à exercer une maîtrise d’ouvrage [Inquiété, 1992]. Ainsi, la création des Agences de l’Eau a permis d’évoluer vers une gestion intégrée qui n’est pour autant pas achevée. En premier lieu, la logique d’investissement est encore largement marquée par des travaux de réparation plus que par la réduction des prélèvements et des rejets polluants ou la transformation des fonctionnements. En 85 second lieu, la logique de l’affectation de la ressource impose à l’Agence de dépenser son budget dans le domaine même où elle l’a perçu. Le Ministère de l’Economie et des Finances est hostile à une modification de cette règle afin de comprimer la dépense. Cette logique pousse malheureusement les Agences à investir dans des travaux classiques, sans prendre en compte les autres types d’investissements qui seraient nécessaires à la bonne mise en œuvre d’une gestion intégrée. En dernier lieu, la même logique financière sans maîtrise d’ouvrage limite le rôle planificateur des Agences et les soumet au jeu du « don/contre-don » : chaque acteur du bassin qui paie sa contribution est a priori sûr d’être aidé lorsqu’il présentera un projet. Chacun ayant ses projets, l’Agence peut être conduite à composer des programmes hétéroclites, mais équilibrés entre les acteurs, pour ne pas avoir l’air de favoriser l’un d’entre eux. Au final, la planification s’avère difficile voire impossible. A l’inverse, un projet collectif qui arrange plusieurs acteurs sans en léser a toutes les chances de passer : cela a été le cas des barrages-réservoirs jusqu’à la montée de la contestation écologique. C’est ainsi également que le territoire français a pu passer de 360 stations d’épuration en 1960 à 11 500 en 1990. Cependant le succès des agences, leur légitimation par l’opinion publique et leur reconnaissance internationale n’empêchent pas la nécessité de réorienter leurs politiques vers de nouvelles priorités telles que l’eutrophisation, la pollution pluviale et agricole, la prévention des inondations, une gestion plus naturelle des cours d’eau, etc… Les Agences devaient initialement faire partir leur action d’objectifs de qualité à atteindre pour chaque tronçon de rivière. Seul un décret d’objectif qualité (par le préfet du Calvados, pour la Vire) a pourtant été signé du fait de la lourdeur de la procédure. Le résultat en a été l’installation d’une station d’épuration par pollueur, qu’il ne savait faire fonctionner, au détriment d’une gestion intégrée. En effet, dans les années 1960-1970, l’installation obligatoire de stations d’épuration était une chose nouvelle, et les industries et les collectivités étaient dépendantes d’un savoir-faire technique détenu et monopolisé par les ingénieurs de l’eau de sociétés privées, comme la très célèbre entreprise Degrémont. Ces derniers étaient eux-mêmes réduits à avancer à tâtons et à expérimenter de nouvelles techniques pour maximiser l’efficacité des stations qui étaient, et restent, des équipements complexes et aux fonctionnements variés suivant les caractéristiques des effluents à traiter. Cet état de fait a amené les Agences de l’Eau à se tourner vers le ministère de l’environnement pour mettre en place des formules plus souples et contractuelles : les chartes et contrats de rivière, pour trouver et financer un 86 agent public d’entretien des rivières non domaniales, qui étaient à l’abandon. La loi de 1992 a failli intégrer la police des eaux et la maîtrise d’ouvrage pour les Agences de l’Eau, mais la peur d’une confusion des rôles a tué cette réforme dans l’œuf. De plus, beaucoup d’acteurs ont préféré maintenir les agences dans une position de statu quo face au risque de voir les opposants des Agences soulever la question de la constitutionnalité des redevances. Ainsi, la loi de 1992 ne mentionne pas les Agences de l’Eau et prévoit la mise en place de « communautés locales de l’eau » au sein des collectivités territoriales au niveau du sous-bassin pour assurer la maîtrise d’ouvrage. Ces communautés seraient financées par les agences et animeraient la réalisation de nouveaux documents de planification, véritables outils d’une gestion intégrée. Le suivi de la réalisation des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) par les commissions locales de l’eau et des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) par les comités de bassin a permis de franchir une étape dans la construction de réels consensus sur des efforts et des engagements réciproques dans une perspective de gestion intégrée. Enfin, la police des eaux a été confiée à l’Etat dans une tradition purement française afin d’éviter la décentralisation au profit d’organismes ne bénéficiant pas de la souveraineté, la subsidiarité étant beaucoup moins développée en France qu’en Allemagne. C’était également la volonté des agences qui ne voulaient pas perdre leur image positive et leur potentiel de médiation. Ainsi, on distingue trois modèles de gestion de la ressource : le premier est celui d’une privatisation « à la française » avec une forte concentration de l’industrie de l’eau face à l’émiettement des communes. Le second modèle, développé en Allemagne, est caractérisé par une transversalité et une privatisation formelle des services urbains à caractère industriel et commercial, tout en maintenant la gestion à un échelon très local. Le troisième modèle, marqué par une réorganisation des services de l’eau à un échelon supracommunal est appliqué aux Pays-Bas et tend à être exporté en Italie, en Espagne et au portugal. L’Angleterre et le Pays de Galles ont poussé le modèle néerlandais à l’extrême puisque les élus locaux n’ont plus aucune prérogative sur la gestion des services de l’eau depuis une régionalisation succédée par une privatisation totale à la fin des années 1980. 87 Par ailleurs, la gestion des services publics a été accompagnée d’une gestion intégrée de la ressource prenant en compte les différents intérêts convergents ou divergents, aux différents échelons territoriaux, afin de dégager un consensus raisonnable entre les usagers. Historiquement développée dans le bassin de la Ruhr, en tant que résolution d’un problème socio-politique, la gestion intégrée connaît quatre variantes principales en Europe : le bassin-versant comme territoire d’une gestion centralisée au Royaume-Uni, la région administrative en Allemagne et aux Pays-Bas comme territoire d’une gestion respectant le principe de subsidiarité, le régionalisme des Etats méditerranéens et le couple financier « Agences de l’Eau-comités de bassin » en France avec les Agences de l’Eau comme pivots d’une gestion planifiée de la ressource. 88 Les services publics d’eau en France et en Europe arrivent à maturité si l’on met à part le cas des pays d’Europe du Sud dont l’équipement initial est encore en cours. De ce fait, le patrimoine technique des services publics, les coûts de remplacement, le prix de l’eau mais aussi les contrats et les comptes des services suivant qu’ils sont délégués ou en régie font l’objet d’enquête de plus en plus nombreuses. Cette dynamique est issue du fait que l’ère de l’investissement premier qui ne s’intéresse pas à la gestion et à l’entretien de ces services est terminée. L’Angleterre a été le premier pays d’Europe confronté à cette réalité du fait de l’ancienneté de ses réseaux de distribution et d’assainissement d’eau. Les autres Etats d’Europe du Nord se voient aujourd’hui en proie à une question cruciale : la gestion durable dans le cadre de la directive cadre de l’Union Européenne (CE 2000/60) d’un gigantesque patrimoine technique issu de plus d’un siècle de construction. Cette gestion durable dans la perspective de la législation communautaire s’inscrit dans trois directions : la reconquête de la qualité de l’eau dans le milieu naturel, la participation du public et la couverture des coûts par les prix. La problématique centrale pour répondre à ces objectifs est la vitesse de renouvellement des équipements tout en améliorant leur performance sur le plan environnemental mais également économique. Les financements de recherche comparative concernant la gestion de la ressource en eau et des services publics liés ont été multipliés par la signature du traité de Maastricht. L’ouvrage de référence en la matière a été financé en France par le ministère de l’environnement et les agences de l’eau pour opérer une synthèse sur les 15 Etats membres de l’Union Européenne en 1995 [Barraqué, 1995]. En parallèle, la DG Recherches de la Commission Européenne a financé une réflexion plus poussée sur cinq de ces pays à travers le partenariat Eurowater [Correia, 1998]. Ce partenariat a relancé la discussion traditionnelle sur la gestion publique ou privée, déjà mise en avant par la mondialisation, en l’élargissant à deux autres problématiques : d’un côté, la tension entre centralisation et décentralisation des services publics d’eau et de l’autre côté, la tension entre sectorisation et gestion transversale sur le modèle allemand. Par la suite, ce même partenariat a poursuivi sa réflexion sur la gestion durable de l’eau par le contrat Water 21. Ce projet va au-delà de la simple question gestion publique ou privée en posant la question de savoir si les pays européens les plus favorisés et les plus anciennement équipés pourront continuer à faire bénéficier leur population des services publics d’eau de bonne qualité mis en place il y a plus de cent ans. En effet, les trois 89 objectifs de la directive cadre 2000 (reconquête de la qualité de l’eau dans le milieu, participation du public et couverture des coûts par les prix) appellent à une réduction des subventions au minimum possible socialement. Or le public n’est sans doute pas prêt à admettre de payer son eau plus chère dans la mesure où ces subventions font un peu partie de l’ADN des services publics d’eau en Europe. La peur des opérateurs est évidemment que face à cette augmentation du prix de l’eau, les consommateurs décident de renoncer à certains usages de l’eau, conduisant ainsi à une réduction des volumes distribués et donc des profits. La question du développement durable concerne ainsi non pas la simple gestion de la ressource en eau mais aussi celle des services publics d’eau et tout particulièrement ceux de distribution. C’est ce dernier aspect qui nous intéressera ici. Nous l’envisagerons sous deux angles distincts mais totalement liés. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur la nécessité de mettre en place des critères de performance pour répondre aux impératifs liés au développement durable. Puis dans un second temps, nous nous intéresserons aux modes de régulation des services publics d’eau en Europe pour mettre en avant la nécessité d’un observatoire européen compétent dans l’étude des pratiques de délégation de ces services et des dispositions prises pour leur régulation. 90 III. La prise en compte des enjeux de développement durable dans la gestion des services publics de l’eau en Europe. A. La nécessaire mise en place de critères de performance. 1) Les « 3 E » du développement durable. • Axes de réflexion : investissement, coût d’amélioration, intégration de la population. Le projet Water 21 a pour clé de voûte la définition onusienne du développement durable : il s’agit d’un développement viable économiquement, respectueux de l’environnement, et socialement acceptable. Cette définition a amené Barraqué à définir les « 3 E » du développement durable : Economie, Environnement, Ethique. Partant de cette définition, trois axes de réflexion se dessinent. Premièrement, quel niveau d’investissement mettre en place pour l’entretien et le renouvellement des infrastructures techniques des services publics d’eau pour assurer des performances environnementales au moins constantes ? Secondement, quel est le coût d’amélioration des services, partant du fait que la législation communautaire et les politiques nationales plus strictes qui en découlent, exercent une pression accrue sur les services de distribution et d’assainissement d’eau pour qu’ils améliorent leurs performances en matière d’environnement et d’hygiène sanitaire ? Troisièmement, comment intégrer la population dans une démarche participative pour lui faire accepter les changements inévitables qui vont avoir lieu dans la gestion des services d’eau et dans le prix de l’eau ? • Particularité de la question éthique. La question de l’éthique et de l’acceptabilité sociale est sans doute la plus importante. Si, initialement, l’eau était fournie à une population ignorante du fonctionnement des services publics d’eau par un cercle fermé d’élus locaux, de distributeurs d’eau publics ou privés, d’ingénieurs conseillers des collectivités territoriales, cette situation est aujourd’hui radicalement modifiée. La population 91 s’intéresse de plus en plus à la question du prix de l’eau et dont forcément à la question de la gestion des services d’eau [Barbier, 2000]. Le niveau d’exigence du public, des associations de consommateurs, des associations écologiques a augmenté au point que certains ont commencé à arrêter de consommer de l’eau et à quitter le réseau public pour certains usages. Ainsi, il paraît essentiel de rétablir une confiance dans le cœur de la population à travers une démarche participative lui permettant d’opérer un contrôle à la fois sur l’évolution des pratiques de gestion des services d’eau et sur l’impact de cette évolution sur les finances des services d’eau. Certains exemples européens sont flagrants et montrent le fossé qui s’est installé entre la population et les services d’eau du fait d’une profonde crise de confiance. Ainsi, dans certains quartiers nouvellement construits aux Pays-Bas, la population exige la mise en place d’un réseau d’eau non potable en parallèle au réseau d’eau potable. Cette exigence d’un double réseau trouve sa motivation dans des raisons morales, dont la lutte contre le gaspillage de l’eau potable. Malheureusement, si cette position est éthiquement honorable, ces habitants n’ont pas pris conscience que le coût d’installation d’un double réseau est largement supérieur à celui de la potabilisation de l’eau. Il y a dont fort à parier qu’ils refuseront, à terme, d’assumer les coûts supplémentaires liés à un tel cumul d’infrastructures [Barraqué, 2003]. • L’importance de l’opinion publique. Un élément intéressant à relever en l’occurrence est l’existence d’une dialectique d’apprentissage entre le public et les ingénieurs, qui doivent apprendre réciproquement ce que le premier veut et à quel prix et ce que les seconds savent qu’il est possible de réaliser au prix souhaité. Ainsi, la collaboration de sociologues et de psychologues devient nécessaire pour enseigner d’une part, au public comment il doit se comporter et d’autre part aux ingénieurs à entendre ce que veut ce public. On note une corrélation positive entre le mouvement protestataire face à l’augmentation du prix de l’eau dans des systèmes de gestion marqués par la privatisation ou la délégation comme en Angleterre ou en France. Pourtant, comme le notent la plupart des spécialistes du domaine, il existe une forme d’injustice à l’égard de ces modes de gestion de la part du public. En effet, la comparaison des prix avec des pays de tradition gestionnaire publique comme l’Allemagne ou les Pays-Bas ne débouche pas sur un constat de surfacturation de l’eau en France ou en Angleterre, au contraire (cf. tableau comparaison 92 mondiale des prix de l’eau.) On relève donc une réticence à accepter des hausses de prix dès lors qu’intervient une privatisation ou une délégation. A l’inverse, certains considèrent cette évolution comme inéluctable alors même qu’il existe des régies municipales modernisées et des sociétés d’économie mixte qui arrivent à concurrencer les sociétés privées. • Comment apprécier les « 3 E » suivant les modèles de gestion ? Bernard Barraqué [2003] a mis au point une méthode d’audit simplifiée pour tester les « 3 E » dans une perspective de comparaison des modèles de gestion nationaux sans pour autant les juger. L’intérêt ne réside pas dans la conviction qu’un modèle est préférable à un autre mais dans l’idée de trouver des indicateurs permettant de réfléchir de manière globale sur la question de la durabilité. L’objectif est de saisir les « 3 E » dans une même démarche. Cette mission relèverait des administrations et des associations professionnelles dans leurs rapports avec les services publics. La partie la plus difficile est bien évidemment celle de la dimension éthique. Il reste de ce fait l’élément le moins étudié. C’est pourtant l’aspect qui mériterait sans doute de faire l’objet du plus d’attention possible de la part des chercheurs. En effet, à quoi bon imaginer et mettre en place une gestion durable des services d’eau, qui serait capable de s’autofinancer, si les prix connaissent une augmentation inacceptable de la part du public ? Selon le même auteur, les indicateurs de développement durable utilisés par l’OCDE ou l’Union Européenne sont inadéquats, voire incomplets. Il donne l’exemple de l’indicateur utilisé par la France : le taux d’élimination de la pollution. Cet indicateur n’est pas satisfaisant car 20% des Français ne sont pas raccordés au réseau d’assainissement public mais sont desservis par un assainissement autonome. De ce fait, il sont considérés comme des pollueurs alors même qu’ils ne polluent pas à 100%. De plus, cet indicateur manque de clarté intellectuelle dans la mesure où il classe la France en mauvaise position dans les comparaisons avec les autres Etats européens dès lors qu’il est confondu avec le taux de raccordement. Il paraît donc central d’opérer un raffinement des indicateurs de performance en matière d’environnement. Pourtant, cela reste insuffisant sans indicateurs sur la formation et la couverture des coûts. Il s’agit d’évaluer correctement la valeur du patrimoine accumulé et de dégager l’investissement 93 nécessaire pour sa gestion durable. Pour cela, il faut distinguer le patrimoine selon ses caractéristiques techniques pour allouer correctement les ressources. La scission du patrimoine peut être faite en trois partie : les tuyaux, d’une vie d’environ 50 ans et qui justifient à ce titre des modes de financement particuliers à long terme, les ouvrages de génie civil d’une durée de vie de 30 ans et enfin les composants électromécaniques d’une durée de vie qui dépasse rarement la décennie. Enfin, la multiplication des « affaires » liées au secteur de l’eau en France durant les dix dernières années, ainsi que l’augmentation rapide des prix de l’eau ont écorné la confiance globale du public à l’égard des gestionnaires des services, que cela soit l’Etat, les collectives locales et leurs élus, les sociétés privées et les techniciens. Malheureusement, trouver un indicateur capable de mesurer le degré de confiance des usagers reste difficile. 2) Utilité de la mesure de performance pour la régulation. Les principales difficultés soulevées dans la gestion des services d’eau au sein de relations contractuelles appellent à mettre en place des solutions qui ne peuvent être opérationnelles qu’à travers l’utilisation de dispositifs permettant de mesurer la performance des services. • Difficultés majeures dans la gestion des services d’eau en délégation. Dans sa thèse, Laetitia Guérin-Schneider [2001] dénombre six difficultés majeures que nous nous proposons de détailler ici. En premier lieu, il existe une divergence d’intérêts entre le mandant et le mandataire. Cette situation est d’autant plus compliqué qu’un acteur se rajoute par rapport à la théorie basique de l’agence : l’usager. Celui-ci n’est pas directement représenté. Par conséquent, on constate une divergence d’intérêts entre les consommateurs, les élus et l’exploitant du service, intérêts qui sont particulièrement durs à concilier, notamment en ce qui concerne la rédaction d’un cahier des charges entre les collectivités et les délégataires privés. Ensuite, si la formulation des objectifs généraux du mandat est assez aisée, la transformation de ces derniers de manière 94 opérationnelle reste problématique. Il y a donc une dichotomie entre formulation et contenu réel du mandat de délégation en ce qui concerne les obligations de service public. Dans l’étude du cas anglais, un petit nombre seulement d’obligations sont exprimées précisément. Cela aboutit à leur sur-valorisation par rapport à d’autres critères. A l’inverse, des principes généraux tels que l’accès universel sont conçus de manière restrictive par les délégataires privés. L’expression en est que les nouveaux abonnés doivent supporter la totalité des coûts du raccordement, ce qui est particulièrement dissuasif et représente, en un sens, une forme d’exclusion de l’accès au service. Plus l’autonomie du gestionnaire est importante, plus les collectivités ont besoin d’avoir à leur disposition des outils pour formuler le contenu du service et contrôler son application. La troisième difficulté réside dans la situation de monopole naturel lié au secteur de l’eau qui entraîne une faible concurrence. Le manque de pression concurrentielle issue d’une situation oligopolistique et de l’impossible entrée sur le marché empêche d’opérer une comparaison des services des collectivités à ceux des autres collectivités. La faible pression concurrentielle s’exprime donc à travers le caractère purement formel de la concurrence initiale et l’inexistence d’une concurrence potentielle par l’arrivée de nouveaux prestataires sur le marché. En outre, s’ajoute la difficulté liée à l’asymétrie d’information entre les collectivités et l’exploitant du service, asymétrie qui s’opère au détriment de la collectivité. Au-delà de la simple différence de moyens mis en œuvre pour exécuter le service, il y a asymétrie d’information entre la collectivité et l’exploitant en ce qui concerne les compétences techniques, les connaissances juridiques, les capacités financières, l’habitus de négociation et leur niveau d’intervention. Par ailleurs, cette asymétrie d’information est encore renforcée par le manque de procédure d’adaptation lors de l’exécution du contrat de délégation. La collectivité s’expose à un risque d’abus de la part du délégataire lors de la réalisation d’un avenant au contrat. Cela concerne bien évidemment en premier lieu l’économie du contrat lorsque l’avenant fait augmenter le prix initialement intéressant. Enfin, la collectivité s’expose à un risque de capture du service par le mandataire. En effet, il est difficile d’exercer sur ce dernier une pression incitative pour obtenir le comportement souhaité. Cette difficulté est d’autant plus renforcée aujourd’hui que l’objectif de croissance quantitative des services d’eau par le raccordement de nouveaux clients est atteint depuis longtemps avec un taux de raccordement élevé. Le gestionnaire du service n’a donc pas d’intérêt à suivre une 95 logique de progrès pour répondre aux exigences qualitatives actuelles, puisqu’il a déjà capturé sa clientèle. • Solutions : régulation permanente, dialogue, auto-incitation, suivi de la performance. A ces problèmes différents, nul ne peut apporter de solution miracle. On ne peut qu’apporter un panel de solutions qui répondent partiellement aux difficultés rencontrées. Premièrement, la régulation doit être permanente puisque c’est au stade de l’exécution et du renouvellement des contrats que les problèmes sont particulièrement flagrants. De même, la situation de monopole naturel et la faiblesse concurrentielle qu’elle implique nécessite une régulation permanente. Secondement, cette régulation permanente doit représenter une opportunité de suivi et d’échange d’information dans un esprit de dialogue et d’adaptation afin de réduire l’asymétrie d’information et les distorsions qui y sont liées (capture, bouleversement de l’économie du contrat…). Troisièmement, la régulation doit mettre en place des systèmes auto-incitatifs pour limiter les coûts de transaction. Il est important que ces systèmes soient caractérisés par des menaces crédibles (rachat, mauvais classement, audit financier, fixation unilatérale du prix…). Enfin, la régulation doit inclure également le suivi des performances autres que les performances financières : les performances techniques, indicateurs de niveau de service, contrôle du respect des engagements. Ces pistes de solutions ne sont pourtant pas opérationnelles pour la gestion des services par les collectivités locales. Il faut imaginer une mesure de performance reposant sur des indicateurs, constitutive d’un complément majeur dans la régulation des services. Envisageons chaque difficulté rencontrée et les arguments qui en découlent pour justifier une telle mise en place d’indicateurs de performance. Les performances non financières sont au cœur du service public et les intérêts des usagers et des collectivités ne se résument donc pas au prix du service. On a donc tout intérêt à bien choisir les indicateurs pour qu’ils rassemblent l’ensemble des objectifs du service. Si les indicateurs restent peu nombreux et d’emploi aisé, les coûts de transactions son quasi nuls. Par ailleurs, les indicateurs pourront devenir des vecteurs d’expression pour l’ajustement des contrats. Tout écart par rapport à la norme peut être à l’origine d’un dialogue entre les acteurs pour trouver les causes et y remédier par les mesures les plus 96 adéquates. Les coûts de transaction peuvent à nouveau être limités si l’on inscrit, dans le contrat initial, le principe de variation des indicateurs en fonction des besoins et des objectifs du service, ce qui permet de limiter les coûts d’ajustement contractuels. De même, la soumission de tous les services aux mêmes critères permettrait de réduire l’impact de la situation oligopolistique qui empêche la comparaison entre services. Ceci n’empêche pas de prendre en compte les spécificités d’un service pris individuellement pour une adaptation locale particulière en choisissant un panel d’indicateurs particuliers. Les indicateurs les plus importants se retrouveront forcément dans le panel malgré cette autonomie dans la gestion du service. Au-delà, on réduit également l’asymétrie d’information puisque la mise en place d’indicateurs communs permet comparaison et partage d’information à travers une base de travail commune entre collectivités et exploitants. Les indicateurs de performance répondent également à l’obligation de régulation permanente qui est supportée par la collectivité locale. L’efficacité des indicateurs de performance est plus sujette à caution en ce qui concerne l’auto-incitation des exploitants. Cependant, la mise en comparaison des services ouvre la perspective d’une concurrence fictive, qui peut générer une incitation. Enfin, la capacité du régulateur à exposer son désaccord publiquement par la mise en lumière des enjeux (sunshine regulation) permet d’influencer l’exploitant par des moyens de pression indirects. Ainsi, des perspectives pertinentes s’ouvrent à travers la mesure de performance par indicateurs en ce qui concerne la régulation des services au niveau local par les collectivités tout au long de la relation contractuelle qui régit la gestion des services d’eau. Comme le résume Guérin-Schneider : « Dans la phase initiale de négociations entre les cocontractants, les indicateurs permettent de mieux formuler les missions à remplir. En fournissant des éléments objectifs pour appréhender les résultats qualitatifs du service, ils offrent ensuite la possibilité d’un échange d’information entre les élus et l’exploitant tout au long de la phase d’exécution. De plus, la mesure de performance s’insère dans une logique auto-incitative, grâce au suivi des évolutions internes au service et surtout grâce à la possibilité de comparaisons entre services suffisamment proches » [Guérin-Schneider, 2001,p 191]. 97 3) La construction des indicateurs. Il serait très fastidieux d’exposer ici l’instrumentation des indicateurs mesurant la performance des services. Par ailleurs, leur haut niveau de technicité s’adresse plus à des ingénieurs et des économistes spécialisés dans ce domaine qu’au grand public. Nous nous attacherons donc plus à dégager les principes fondant l’élaboration de ces indicateurs. La définition de la notion de performance appelle avant tout à la description des objectifs du service public. Par ailleurs, il faut déterminer s’il pèse sur les services publics un obligation de moyens ou bien une obligation de résultats. Dans cette perspective, nous nous demanderons s’il faut réguler la fixation du prix. Enfin, nous nous intéresserons aux caractéristiques des indicateurs utilisables comme outils de suivi. • Objectifs du service public. Le service public en général, au-delà de la production d’un bien, vise à promouvoir l’intérêt général à travers, en ce qui concerne les services d’eau, l’aménagement du territoire, la cohésion sociale, la protection de l’environnement, la santé publique, la gestion durable. Ces notions renvoient à des missions qui peuvent servir de base pour la mise en place de mesures concrètes. L’aménagement du territoire répond à une mission de raccordement au réseau, la cohésion sociale répond aux missions de raccordement au réseau, de bon fonctionnement des équipements, de prix modéré, de satisfaction de la clientèle, la protection de l’environnement et la santé publique répondent aux missions de limitation des pollutions, de préservation des ressources et de qualité, enfin la gestion durable s’inscrit dans la pérennisation du patrimoine et l’auto-financement des services [Guérin-Schneider, 2001]. Au sein de ces missions, la toute première nous intéresse moins puisqu’elle relève de l’unique choix de la collectivité et que le taux de raccordement est élevé dans l’ensemble des pays européens. 98 • Quelle obligation pour les services publics ? Ayant déterminé les missions, il s’agit de déterminer s’il pèse sur les services une obligation de moyens ou une obligation de résultats. Le suivi des moyens au sein de la régulation comprend le contrôle du matériel utilisé dans la gestion du service (facteurs de production, équipements, fournitures, installations…) et le contrôle du coût du service. La suivi des résultats s’attache au respect des objectifs fixés. Les moyens mis en œuvre relèvent du choix du gestionnaire mais il doit atteindre les objectifs fixés dont le respect est contrôlé par le régulateur. A ce jour, le contrôle de moyens l’a emporté sur le contrôle de résultats, bien que l’esprit de la délégation et du cahier des charges qui lui est lié appelle plus à un contrôle de résultats. Cela vient du fait que les réflexions théoriques sur la régulation s’attachent plus à pousser l’exploitant à révéler ses coûts. Malheureusement, les obstacles au contrôle de moyens sont tels que ce dernier perd en efficacité. Tout d’abord se pose la question suivante : comment définir le coût et les moyens affectés au service local au sein d’une gestion globale ? Par ailleurs, les délégataires expriment une hostilité certaine face au contrôle de moyens puisque celui-ci limite la prise de risques nécessaire pour dégager des profits plus importants. De plus, certes le pouvoir des juridictions financières (particulièrement en France avec les Chambres Régionales des Comptes) se développe, mais la difficulté du contrôle et le manque de personnel pour l’effectuer font que ce pouvoir se résume au final à un simple droit de regard, qui perd encore plus de crédibilité avec une absence récurrente de sanctions. Enfin, certains économistes (Williamson, Deffeuilley ou Lorrain) montrent d’autres limites du contrôle de moyens. Le contrôle de moyens requiert une capacité d’expertise qui ne peut être acquise que par celui qui gère directement le service. Ainsi, le contrôle de moyens ne ferait que renforcer l’asymétrie d’information entre délégant et délégataire. En outre, le contrôle de moyens favorise également une stratégie industrielle de court terme, en opposition avec la mission de durabilité du service. Dans le cas de la régie, la collectivité étant à la fois régulateur et opérateur, la gestion souffre d’une suspicion permanente, accentuée par la confusion possible entre contrôle de moyens et contrôle de résultats entre le personnel chargé de travailler à une meilleure efficience du service et le personnel chargé de suivre la bonne exécution du service. 99 En somme, que le service soit géré en régie ou en délégation, le contrôle de moyens est insuffisant à lui seul pour permettre une régulation raisonnée et pertinente. Il faut y associer un contrôle de résultats complémentaire, sans pour autant les confondre [Guérin-Schneider, 2001]. • Faut-il réguler la fixation du prix ? La régulation du prix est à analyser à part. L’hypothèse de synonymie entre coût et prix que l’on retrouve dans le vocabulaire courant, ne recoupe pas la réalité économique. Le coût représente la charge pour l’opérateur et le prix la charge pour l’usager. Une telle approximation de langage traduit l’idée inconsciemment admise par tous que les prix doivent couvrir les coûts. Ainsi, la régulation s’attachant au contrôle des moyens s’intéresse particulièrement à la fixation d’un prix « juste ». Cependant, l’acceptabilité sociale entraîne parfois un niveau de prix qui ne couvre pas les coûts. La législation communautaire a donc imposé le principe de la couverture des coûts par les usagers du service. Le prix s’évalue selon trois paramètres : le rapport prix/coût détermine la marge ou le déficit de l’exploitant ; le rapport qualité/prix traduit l’efficacité du service aux yeux de l’usager ; le rapport prix/solvabilité est un indicateur social du service (il traduit le rapport prix/acceptabilité au prix). En cas de délégation, le prix est fixé par le contrat lors de la négociation initiale. Dans le cas du secteur de l’eau, une renégociation annuelle n’est pas justifiée puisque l’équilibre financier d’un service d’eau se fait sur la durée. En outre, une renégociation annuelle amène l’exploitant à vouloir dégager plus de profits à court terme au détriment d’une gestion à long terme du réseau, ce qui peut être grandement préjudiciable au service. La renégociation se fait donc habituellement sur une base quinquennale. La gestion contractuelle amène donc le régulateur à bien distinguer la période de négociation initiale pendant laquelle sont définis les engagements et les prix, de la phase d’exécution du contrat pendant laquelle il faut veiller au respect des engagements sans remettre annuellement en cause le prix fixé [Guérin-Schneider, 2001]. • Caractéristiques des indicateurs. La combinaison des contrôles (contrôle de moyens et contrôle de résultats) permet d’assurer la fixation du prix et le suivi de l’exécution du contrat. Nous l’avons 100 vu, le premier contrôle est déjà bien développé et répond à des objectifs de régulation entre prix et contenu du contrat. Il s’agit donc de développer des indicateurs pour le contrôle de résultats. Pour cela, les indicateurs de performances peuvent être utilisés pour contrôler et corriger le fonctionnement des services en cas d’écart à la norme. Ils peuvent ainsi servir à mettre en place des mécanismes incitatifs pour que l’exploitant s’efforce de respecter la norme durant l’exécution du contrat. Cela est possible à travers : une comparaison temporelle du service, une comparaison entre services, le benchmarking entre secteurs géographiques. Le système d’indicateurs sera pertinent s’il permet de suivre les évolutions des services et d’effectuer une comparaison entre les services. Pour y arriver, les indicateurs doivent respecter un ensemble de caractéristiques structurelles. Helena Alegre, secrétaire du groupe de travail de l’International Water Association (IWA) relève onze qualités pour aboutir à un système d’indicateurs satisfaisants. Les indicateurs doivent représenter tous les aspects pertinents de la performance du service, donner une traduction objective de ces aspects, être clairement définis et ce de manière concise et univoque, ne pas être redondants, n’utiliser que des moyens accessibles à la majorité des services, être vérifiables, être compréhensibles par les usagers, être relatifs à une période définie, renvoyer à un territoire donné, être applicables à des services ayant des caractéristiques différentes, être peu nombreux et se limiter aux éléments essentiels. Il n’est pas aisé de concilier l’ensemble de ces caractéristiques mais elles tracent un chemin intéressant et prometteur. Deux écueils sont à éviter : l’agrégation au sein d’indicateurs synthétiques qui dénature l’information et la rend peu lisible ; et le classement des opérateurs de manière arbitraire à travers un seul indicateur. Il faut donc s’efforcer de mettre en place un panel d’indicateurs variés, couvrant l’ensemble des dimensions de la qualité de prestation d’un service d’eau. Cette diversité des indicateurs permet également de prendre en compte la diversité des situations et opérer ainsi une adaptation locale. Suivant les spécificités de chaque situation, un ou plusieurs indicateurs pourront faire l’objet d’une pondération plus importante dans le suivi de l’exécution du contrat. Cette pondération recoupe l’idée d’une hiérarchisation des indicateurs selon trois niveaux : les indicateurs fondamentaux qui synthétisent le mieux les résultats du service, les indicateurs secondaires qui enrichissent et précisent l’analyse et les indicateurs tertiaires qui permettent un raffinement pour une étude ponctuelle. Néanmoins, cette hiérarchisation et cette adaptation locale ne doivent pas faire perdre de vue la nécessité de partager ces indicateurs pour permettre un dialogue sur les mêmes bases, pour 101 standardiser les définitions, pour diffuser l’information et réduire le coût de sa constitution [Guérin-Schneider, 2001]. Les impératifs de développement durable que nous avons exposés appellent à mettre en place des indicateurs de performance pour évaluer les services d’eau. Ils permettent de pallier les difficultés de gestion de ces services, qu’ils soient gérés en régie ou en délégation, mais aussi de contrôler le prix et l’exécution du contrat. De ce fait, les indicateurs de performance s’inscrivent dans un panel d’outils à délivrer aux autorités de régulation. Il paraît donc essentiel de passer en revue les organismes nationaux en Europe qui régulent la gestion des services d’eau pour déterminer leurs caractéristiques particulières et l’inscription des indicateurs de performance au sein de leurs spécificités. Néanmoins, l’intégration des indicateurs de performance pour comparer les services d’eau n’a aucun intérêt si les failles des organismes de régulation nationaux empêchent de rendre cette intégration opérationnelle. Il conviendra donc d’envisager la nécessité de mettre en place un observatoire européen pour surveiller les pratiques de délégation au sein des services d’eau et pour contrôler les moyens et résultats de ces services à travers les indicateurs de performance. Cet organisme européen est gage d’avenir dans la mesure où il permet une gestion globale et durable des services d’eau en Europe. 102 B. La nécessité d’un observatoire européen. La régulation des services d’eau se fait aujourd’hui à une échelle nationale. Les enjeux de durabilité des services d’eau sont pourtant globaux. Il paraît donc surprenant qu’aucun organisme européen n’ait été mis en place pour réguler le secteur et envisager la problématique de la gestion de l’eau, et plus particulièrement des services de distribution d’eau potable et d’assainissement de l’eau, dans une perspective continentale, alors même que l’Union Européenne marque la volonté d’une communautarisation des politiques nationales aux répercussions transnationales. Afin de défendre l’idée d’un observatoire européen sur la délégation des services d’eau, nous nous attacherons à dégager les différents modèles de régulation que l’on trouve en Europe. Ceci nous permettra ensuite de souligner leurs défaillances, obstacles majeurs à une gestion globale et durable des services d’eau en Europe. Enfin, nous nous efforcerons de démontrer la pertinence d’un organisme européen pour réguler les services d’eau. 1) La régulation dans les Etats européens. Un passage en revue des différentes expériences européennes en matière de régulation des services d’eau peut nous permettre de mettre en relief les apports possibles d’un observatoire européen sur la délégation des services d’eau à des entreprises, qu’elles soient publiques ou privées[Breuil L., S. Garcia et L. GuérinSchneider, 2003]. • Collaboration entre collectivités locales et groupes de travail en France. En France, le laboratoire Gestion de l’Eau et de l’Assainissement (GEA) de l’Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts (ENGREF) réalise chaque année une enquête en partenariat avec la Direction de l’eau du Ministère de l’Environnement pour évaluer le respect et les apports des procédures de délégation mises en place par la loi Sapin du 21 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Ainsi, la loi Sapin pose que la délégation de service public doit obligatoirement faire l’objet d’une publicité dans un 103 journal officiel et faire l’objet d’une procédure d’appel à candidatures. Cela vaut également pour la renégociation des contrats. Cette enquête mesure l’impact des procédures sur l’évolution de l’organisation et des prix des services d’eau, le niveau de concurrence et la qualité du conseil technico-juridique fourni aux collectivités locales. Par ailleurs, le laboratoire GEA de l’ENGREF travaille depuis 1997 avec les Directions Départementales de l’Agriculture et des Forêts pour développer une méthode de suivi de la performance, basée sur des indicateurs, applicable facilement par les collectivités locales. Pour chacun des grands critères de performance, un petit nombre d’indicateurs sont définis pour constituer un tableau de bord de suivi. Le choix des indicateurs est opéré par la collectivité et l’exploitant. La présentation des indicateurs se fait sur une base quinquennale, avec une interprétation de leurs évolutions suivant les caractéristiques du service et de ses moyens. Par conséquent, un dialogue permanent est établi entre l’exploitant et la collectivité, ce qui permet de prendre des décisions concrètes pour améliorer l’efficience du service. D’autres projets d’analyse de performance des services d’eau sont en cours. On peut notamment relever celui à l’initiative de collectivités qui contribuent à la définition d’indicateurs, en collaboration avec le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, sur la base de l’expérience de Service Public 2000, un cabinet de conseil spécialisé en gestion publique, pour ensuite les tester dans leurs services. Enfin, un projet de loi prometteur avait été présenté au Conseil des Ministres en 2001, proposant la constitution d’un Haut Conseil des services publics d’eau. Si, à l’origine, cet organe devait être indépendant et ressembler à un système de régulation des services à travers la transparence du fonctionnement et de la facturation, les négociations lors du vote en première lecture en janvier 2002 ont été si dures, que le Haut Conseil avait perdu tout pouvoir de contrôle et de régulation et ne pouvait que rendre des recommandations relatives à la facturation, l’équilibre financier et l’économie des contrats. Ce projet a été finalement tué dans l’œuf avec le changement de majorité après les élections présidentielles et législatives au printemps 2002. • Une régulation centralisée en Grande-Bretagne. En Angleterre et au Pays de Galles, la privatisation de 1989 a été accompagnée par la mise en place de trois organismes chargés de la régulation du système : l’Environmental Agency est chargée de la protection de l’environnement depuis 1995, le 104 Drinking Water Inspectorate a pour mission de surveiller les normes légales relatives à la qualité de l’eau depuis 1990 et l’Office of Water Services (OFWAT), créé dès 1989, assure la régulation économique des services d’eau. Ce dernier organisme protège les intérêts des consommateurs par le contrôle de la variation des prix, de l’efficacité des exploitants, de l’effectivité de la concurrence et du respect des normes de qualité de prestation. Dans ce cadre de privatisation totale, l’OFWAT opère une concurrence par comparaison entre les compagnies en publiant les résultats de performance de chacune. Ce travail s’attache à évaluer trois critères : la performance sur l’usage de l’eau, la performance financière et la performance du service aux usagers. La performance sur l’usage de l’eau mesure la performance des compagnies par rapport aux objectifs sur les fuites et l’usage efficace de la ressource en eau. Les compagnies sont notées et classées en fonction de leurs résultats par rapport aux objectifs fixés en matière de sécurité d’approvisionnement. La performance financière des compagnies est comparée par rapport aux limites posées lors de la révision quinquennale des prix. Il s’agit de s’assurer que le principe d’incitation tarifaire a bien joué pour améliorer l’efficacité de la production et minimiser les coûts. Cette évaluation s’attache également à vérifier que l’investissement programmé a été respecté. La performance financière est analysée à travers le chiffre d’affaires, les profits d’exploitation, la marge brute d’autofinancement, le bilan des actifs, le rendement sur capital, les dividendes aux actionnaires… Les coûts sont rationalisés suivant les services (distribution ou assainissement) et les fonctions (ressource, traitement, distribution…) suivant les usages (personnel, énergie, matériels). Ainsi, l’OFWAT mesure les efforts des compagnies pour atteindre les objectifs fixés en termes de prix, d’investissement et d’efficacité. Enfin, la performance du service aux usagers est évaluée pour chaque compagnie et pour l’ensemble du secteur sur une base annuelle. Elle s’opère à travers différents indicateurs : les différentes plaintes ou demandes des usagers, ainsi que les délais de réponse, la qualité de service en eau potable et la qualité de service en assainissement. L’OFWAT propose une comparaison internationale des évaluations de performance des compagnies anglaises avec les données américaines, australiennes ou hollandaises. Cette démarche présente de nombreuses difficultés telles que la pertinence des comparaisons si les caractéristiques techniques des services diffèrent, le choix des indicateurs de performance suivant l’environnement de production pour comparer les services dans des conditions similaires, les divergences de définitions et d’hypothèses dans la gestion des services. 105 Cette régulation centralisée met donc en place une yardstick competition par une méthode comparative explicite. • Le benchmarking des distributeurs publics néerlandais. Aux Pays-Bas, les distributeurs publics se sont lancés dans une première expérience de benchmarking en 1989. Rappelons que l’approvisionnement en eau potable se fait par des sociétés à responsabilité limitée dont le capital est détenu par les municipalités ou les provinces. L’assainissement, quant à lui, est géré par l’intermédiaire des Waterschappen, collectivités territoriales spécifiques [Drouet, 2001]. Dès 1989, un certain nombre de compagnies ont mis en place un système d’autorégulation par une procédure de benchmarking qui visait à recueillir les données relatives à la rentabilité économique, le niveau d’endettement, les prix, les taux de raccordement des opérateurs. L’association néerlandaise des distributeurs d’eau potable, la VEWIN (Vereniging van Waterbedrijven in Nederland) a, depuis 1997, généralisé cette procédure à la plupart des compagnies. La performance des compagnies est évaluée à travers quatre thèmes : la qualité de l’eau potable, le niveau de service, l’impact environnemental, la finance et l’efficacité. Les opérateurs hollandais étant financés par emprunt bancaire, ce sont les banques et le gouvernement central qui les poussent à s’engager dans cette démarche de comparaison de performance, puisque les rapports annuels servent à évaluer leur solvabilité [Van Dijk et Schwartz, 2002]. Enfin, du fait de la faiblesse du développement des opérateurs privés, la proposition de mettre en place un office de régulation sur le modèle anglais de l’OFWAT est restée lettre morte. • Le Comité de Vigilance italien. En Italie, la loi Galli de 1994 a introduit un nouveau système de régulation des prix ainsi qu’un organisme centralisé de régulation chargé de le mettre en place [GuérinSchneider L., M. Nakhla et A. Grand d’Esnon, 2002] : le Comitado per la vigilanza sull’uso delle risorse idriche, comité de vigilance pour les services d’eau. Organisme de régulation indépendant de l’administration publique, ce comité répond directement au Parlement auquel il fournit un rapport annuel sur l’état des services d’eau. Les prérogatives les plus importantes du point de vue de la régulation sont la garantie du 106 respect des principes de la loi de réforme des services de l’eau avec un souci permanent d’efficacité et d’économie du service, la régulation de la fixation et de l’évolution des prix de l’eau, la garantie du respect des intérêts des consommateurs. Malheureusement, les moyens limités du comité ont poussé les autorités à décentraliser ses activités à des autorités régionales de vigilance des services de l’eau. Leurs activités consistent à rendre publiques les conditions de déroulement des services et d’en exposer les raisons, faire des recommandations pour l’adoption de la charte du service public, signaler les modification contractuelles, déterminer les situations critiques et irrégulières du fonctionnement des services, définir des paramètres d’évaluation des pratiques tarifaires, se prononcer sur le respect des normes de qualité, exprimer des avis relatifs à la qualité des services aux usagers, faire un compte-rendu annuel sur l’état des services. En parallèle, un observatoire chargé de collecter des statistiques a été mis en place. Il effectue le recensement des gestionnaires des services et des données techniques et financières, la récolte des conventions et des conditions générales de contrat pour l’exercice des services, l’analyse des modèles adoptés par les gestionnaires des services en matière d’organisation, de gestion, de contrôle, de programmation des services et des installations, l’analyse des niveaux de qualité des services, l’analyse et la comparaison des tarifs appliqués par les gestionnaires des services, l’analyse et l’élaboration de plans d’investissement pour la modernisation des installations et des services. Cependant, l’absence de relais local et d’une bonne coordination entre les échelons a abouti à une faiblesse du système, avec moins de la moitié des autorités régionales de surveillance constituées. • Faiblesse institutionnelle de l’IRAR portugais. Au Portugal où la délégation est autorisée depuis 1993, les formes organisationnelles publiques ou privées sont diverses et sont établies sur le principe de l’intercommunalité. Pour protéger les usagers, un observatoire national a été créé en 1995. Il est chargé du suivi de la qualité du service et du contrôle des prix. La loi prévoyait également la création d’une commission d’inspection chargée de négocier le prix et de contrôler le respect du cahier des charges au sein des délégations. Finalement, en 1997, les deux institutions ont été fusionnées pour créer un seul organisme de régulation : l’IRAR (Instituto Regulador de Aguas e Residuos). Institution autonome placée sous la tutelle du Ministère de l’Environnement, ses activités ont démarré en 107 2000 et recoupent quatre domaines : la tarification, la qualité, l’entrée sur le marché et l’investissement [Fortunato A., et R. Martins, 2002]. En matière de tarification, l’IRAR a la possibilité de commenter le niveau des prix dans les concessions des services d’eau, de suivre leur évolution, de proposer une régulation du prix ou de suspendre les clauses contractuelles fixant les prix qui violent les droits des usagers ou causent du tort à l’équilibre économique du secteur ou la maintenance des infrastructures. En matière de qualité, l’IRAR est compétent pour émettre des normes réglementaires, pour rassembler et publier, tout en appréciant, l’information concernant la qualité des services, donner des recommandations. En termes d’entrée sur le marché, l’IRAR peut faire des recommandations sur les processus d’adjudication des concessions, ainsi que sur la spécification des contrats. Enfin, l’IRAR peut émettre un avis sur les programmes d’investissement. Ainsi, l’IRAR est avant tout un organe consultatif qui n’est pas censé agir en régulant les prix sous la forme de price cap, mais en exprimant des recommandations. L’IRAR ne dispose d’aucun moyen coercitif. La preuve en est la démission de Pedro Cunha Serra, directeur de l’IRAR, seulement après un an d’activité car il estimait ne pas disposer des moyens nécessaires pour mettre en place un véritable système de régulation pour les services d’eau. Néanmoins, l’influence potentielle par la mise en concurrence fictive à travers une comparaison entre services et la fixation des conditions contractuelles lors de la délégation sur la tarification et les responsabilités de l’exploitant sont des éléments importants dans un système de régulation. Un nouveau directeur a donc été désigné en 2003. Notons pour compléter notre étude, que le laboratoire GEA de l’ENGREF s’est également penché sur les débuts de la régulation des services d’eau en Lituanie pour insister sur les problèmes rencontrés lors de cette étape particulière, mais aussi sur le cas des pays scandinaves qui se sont regroupés pour former un consortium efficace pour résoudre des problèmes communs dans la gestion des services d’eau, et ce notamment, grâce à la mise en place d’un benchmarking très avancé [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003]. Les expériences de régulation effectuées en Europe nous montrent la nécessité d’encadrer de manière à la fois législative et contractuelle la gestion des services d’eau et que la régulation s’ancre dans une autorité de régulation ou des systèmes comparatifs 108 et incitatifs. Les systèmes mis en place à ce jour souffrent de défaillances informationnelles qu’il s’agit d’envisager individuellement pour les résoudre. 2) Défaillances des systèmes actuels. Les principales défaillances des systèmes de régulation résident dans les problèmes informationnels que les services de l’eau rencontrent. Ces problèmes sont de trois types : les asymétries d’information entre l’autorité en charge de l’organisation du service et l’entreprise exploitante, le manque de transparence à l’égard des usagers en ce qui concerne le fonctionnement du service, le manque d’information et d’uniformité pour comparer les services à travers l’Europe. • Problèmes informationnels. Dans toutes les phases du contrat, l’entreprise délégataire domine l’autorité locale qui délègue son service du fait de ses connaissances techniques, juridiques et de son pouvoir de négociation. Pour résoudre ce problème, la collectivité délégante doit posséder un pôle d’expertise technique pour porter un jugement critique sur les propositions faites par l’exploitant. La collectivité doit aussi posséder les informations relatives aux coûts. La collectivité se doit également de répondre à la demande des usagers d’avoir accès à une meilleure information en ce qui concerne la qualité de l’eau et le suivi de ses tarifs. La valeur économique de l’eau a pris une part de plus en plus importante au sein de la demande sociale du fait de l’envolée des prix depuis le début des années 1990 avec les nouvelles normes communautaires relatives à la qualité de l’eau. Les consommateurs ont appelé à plus de transparence dans la gestion des services, d’autant plus que des scandales politico-financiers mettant en scène des élus locaux ont fortement marqué les consciences dans les années 1990, particulièrement en France. En conséquence, une clarification de la facturation a été une première réponse, bien qu’insuffisante si l’on regarde la littérature plutôt prolixe en ce qui concerne « l’incompréhensible prix de l’eau » [Cour des Comptes, 2003]. L’information relative à la qualité de l’eau n’a cependant toujours pas été généralisée à l’ensemble des usagers. Enfin, les asymétries d’information se retrouvent à l’échelon européen : il est extrêmement difficile de porter un jugement par comparaison entre les services d’eau à travers les différents Etats européens du fait de la pluralité des échelles et des modes de 109 gestion rencontrés. De même, le partage des responsabilités est opéré différemment entre collectivité, exploitant et autorité de contrôle, tout comme diffère la manière de consommer l’eau. Les grands débats que l’on peut citer en exemple et qui divisent l’Europe sont les suivants : doit-on parler du prix au mètre cube comme en France (alors qu’une partie de la population anglaise connaît encore une facturation forfaitaire) ou d’une facturation moyenne (comme l’aimeraientt les Allemands dont la consommation moyenne est faible et qui seraient dès lors défavorisés par une facturation au mètre cube) ? Doit-on prendre en compte le prix perçu par le délégataire ou bien y inclure les taxes qui varient d’un pays à l’autre ? Comme nous l’avons déjà évoqué auparavant, il y a aujourd’hui une véritable nécessité de mettre en place un vocabulaire commun pour échanger des informations sur une même base de réflexion pour opérer des comparaisons raisonnées et équitables entre les services [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003]. • Résolution des problèmes par la mise en place d’échelons adéquats. Il faut dont s’efforcer de résoudre ces problèmes. Pour cela, il faut trouver l’échelon adéquat pour chaque problème envisagé. On pourrait logiquement penser que les difficultés informationnelles rencontrées par les collectivités locales dans la gestion des services, ainsi que celles rencontrées par les consommateurs, devraient être résolues à un niveau local. Pourtant, l’échelon national ou régional peut être une réponse intéressante aux problèmes [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003]. En ce qui concerne l’asymétrie d’information dont souffre la collectivité qui délègue, deux solutions sont possibles. Elle peut faire appel à des experts techniques pour procéder au suivi du service. Ces spécialistes, cabinets privés de conseil ou conseil public (Directions Départementales de l’Agriculture et des Forêts) fournissent une analyse à la fois technique et économique au niveau local. Une estimation des coûts de l’exploitation et des marges pour investissement devient possible et participe à la négociation concernant le prix initial de l’eau lors de la signature du contrat. A l’échelon national, les problèmes informationnels entre le mandant et le mandataire peuvent être résolus par des missions de régulation. Elles pourraient proposer des outils en promulguant l’utilisation d’indicateurs de performance définis au niveau national avec les représentants privés et publics des parties au contrat, en proposant des modèles de 110 cahier des charges conçus sur la base de travaux nationaux pour proposer des solutions aux problèmes locaux, en disposant d’un pouvoir d’investigation afin de collecter des données sur les spécificités et résultats des services. En ce qui concerne ensuite l’exigence sociale de transparence, un organisme de régulation national peut apporter une plus grande clarté sur la facturation de l’eau pour opérer une comparaison entre services et fixer des règles relatives à la communication des tarifs et la facturation. Par ailleurs, procéder à une étude par échantillon suivant le mode de gestion des services sur la qualité et le prix, pourrait répondre à la demande des usagers. Enfin, pour pallier le déficit informationnel à l’échelon européen, la mise en place d’un organisme européen contrôlant la gestion des services d’eau délégués pourrait permettre d’échanger des informations pertinentes sur ces services. Il serait possible de prendre exemple sur le travail fait dans le secteur des télécommunications qui a fait de grandes avancées grâce au benchmarking européen. Evidemment, ce secteur bénéficie d’une certaine uniformité de gestion à travers l’Europe et surtout d’une politique de coordination européenne soutenue par la Commission Européenne à travers ses recommandations sur les tarifs. Ainsi, les trois prix les plus bas pratiqués dans l’Union Européenne ont été appelés à devenir des références au niveau national. Les caractéristiques du secteur de l’eau montrent la difficulté de mettre en place un même cadre, cependant, elles militent aussi en faveur d’un tel travail au regard de la spécificité du bien qu’est l’eau. Partir du principe que la grande diversité des modes de gestion locaux issue du fait que le secteur de l’eau est un monopole naturel local empêche de construire un cadre de comparaison commun traduit une inertie préjudiciable à la pérennité des services d’eau. Créer un observatoire européen disposant en son sein d’outils de comparaison communs peut être une solution pertinente, à condition que tous les acteurs y participent de manière volontaire. La création d’une telle institution permettrait enfin d’accompagner l’évolution de la gestion des services d’eau en Europe, qui, depuis une trentaine d’années, sont marqués par une convergence de leurs modes de gestion autour de trois grands axes : une régionalisation (Angleterre, France, Italie) de la gestion, une orientation vers une logique de marché (Espagne, Portugal, France) même lorsque la gestion est publique 111 (Allemagne, Italie) et la mise en place de systèmes de régulation (OFWAT en Angleterre, IRAR au Portugal, Comité de Vigilance en Italie) pour contrôler et comparer les services à l’échelon national. Nombre de pays ont également pris conscience de la particularité de l’eau en tant que bien commun et appliquent le principe de recouvrement des coûts au sens de la directive cadre européenne qui signifie que le prix de l’eau doit non seulement couvrir les coûts de distribution et d’assainissement mais aussi les coûts de la ressource et les coûts environnementaux. 3) La pertinence d’un organisme européen. Le secteur de l’eau au niveau européen souffre de problèmes en ce qui concerne la transmission d’information et la transparence de la gestion des services. Un Observatoire européen aurait pour objectif de résoudre les difficultés relatives aux asymétries d’information et la lisibilité des modes de gestion des services, à travers le contrôle de la fiabilité, la comparaison des services grâce à des définitions fixées. Trois éléments principaux seraient à mettre en avant dans son activité de contrôle : l’identification des acteurs du secteur, l’identification des relations contractuelles entre délégant et délégataire, et la promotion des bonnes pratiques issues des comparaisons entre Etats. Enfin, il est intéressant d’envisager le statut de l’Observatoire ainsi que ses relations avec l’Union Européenne, les Etats et leurs collectivités locales [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003]. • Identification des acteurs. A travers la présentation que nous avons réalisée des différents modes de gestion des services de l’eau au sein des Etats sur lesquels nous avons travaillé, nous avons pu mettre en avant de grandes tendances en Europe qui s’attachent à la régionalisation de la gestion des services de l’eau, la marchandisation de l’eau en tant que bien et la mise en place d’organismes de régulation. Ces trois axes de développement communs à la plupart des pays d’Europe soulignent l’importance marquée de trois acteurs spécifiques : le responsable de l’organisation du service, l’exploitant du service et l’organe de régulation du secteur. Il reste difficile actuellement d’accumuler les informations relatives à l’organisation de la gestion et de la régulation du secteur de l’eau. Cependant, un exercice encore plus difficile réside dans la comparaison des rôles 112 et des responsabilités respectives des acteurs que nous avons cités dans chaque pays. Ainsi, la mise en place d’un Observatoire européen qui s’attacherait à résoudre les problèmes de transferts d’information et de positionnement de chaque acteur par rapport à ses homologues étrangers serait un avantage substantiel dans la transparence et la lisibilité du secteur de l’eau, et plus particulièrement des services de l’eau. • Relations contractuelles entre délégant et délégataire. Comme cela est ressorti de notre analyse, le partenariat public-privé se généralise en Europe en ce qui concerne la gestion des services de l’eau. Il connaît cependant des variantes nationales assez conséquentes. Malgré cela, on peut noter des éléments fondamentaux quel que soit le type de partenariat public-privé mis en place. Ces éléments sont au nombre de trois : la procédure de mise en concurrence, la construction du contrat et le suivi de la performance. L’Observatoire européen pourrait effectuer une analyse des différentes pratiques concernant ces trois éléments clés et il pourrait également proposer une catégorisation suivant la convergence et la divergence des pratiques afin de mettre en place un vocabulaire commun basé sur des définitions communes. Pour que l’appel d’offre soit efficace, l’Observatoire devrait s’assurer que la concurrence est effective et transparente lors de l’attribution du contrat. Il devrait ainsi s’attacher au nombre de candidats et d’offres pour évaluer le niveau de concurrence dans le secteur et dénoncer les ententes et les collusions. De même, une évaluation de la publicité faite pour l’appel d’offre permettrait de juger de la transparence de ce dernier. On pourrait imaginer que l’Observatoire centralise les appels d’offre, sans empêcher la publicité nationale ou locale, afin de favoriser la concurrence entre entreprises européennes ; tout comme il pourrait communiquer aux entreprises candidates les procédures nationales concernant l’attribution de contrat. L’Observatoire pourrait aussi effectuer une analyse comparative des pratiques concernant les relations contractuelles. Il pourrait mettre en place une grille de lecture commune des objectifs du service et les responsabilités respectives du délégant et du délégataire, définis dans le contrat. Dès lors, on saurait quelles solutions sont apportées nationalement au problème du renouvellement des installations pendant que le contrat 113 court et lorsqu’il prend fin. Dans cette même perspective, l’Observatoire pourrait relever les systèmes mis en place dans chaque Etat pour inciter l’exploitant du service : bonus et/ou pénalités selon les résultats du service, la fixation du tarif et les formules de révision des prix. Enfin, l’Observatoire pourrait proposer une analyse comparative des outils de suivi du service. On pourrait ainsi comparer les différences de résultats attendus du service entre les pays grâce au développement des indicateurs de performance au niveau européen, qui permettraient de définir de manière concrète les résultats escomptés et qui pourraient représenter une plate-forme de dialogue et de suivi. Trois points particuliers devraient être intégrés : la satisfaction des usagers par rapport au niveau de service proposé, la qualité générale de l’exploitation et la pérennisation des infrastructures. L’Observatoire insisterait sur la mise en place d’un vocabulaire commun et de définitions uniques dans ces dimensions. Au-delà de la relation délégant-délégataire, l’Observatoire européen pourrait s’intéresser aux solutions apportées dans les différents pays par rapport aux questions relatives aux systèmes de péréquations (entre usages ou entre zones géographiques) à travers des systèmes d’impôts positifs et négatifs, au recouvrement des coûts (modes de prise en compte des externalités environnementales notamment) et à la participation du public [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003]. • Promotion des bonnes pratiques. Comparer et mettre en lumière les bonnes pratiques à travers une analyse comparative des services est bénéfique pour améliorer la gestion et la qualité du service. L’Observatoire européen pourrait donc mettre en place un système de benchmarking européen pour effectuer des comparaisons sur l’efficacité des services dans les différents Etats. L’expérience scandinave de benchmarking que nous avons évoquée auparavant a donné des résultats intéressants et utiles. Encore une fois, cette comparaison ne peut prendre tout son sens qu’à travers une définition précise des indicateurs de performance. La mission de sunshine regulation de l’Observatoire pourrait être opérée grâce à une collecte d’informations, sur les éléments que nous avons cités concernant les acteurs et les relations contractuelles, afin d’aboutir à des 114 travaux d’expertise qui seraient rendus publics. La recherche de solutions efficaces et de perspectives de réformes serait ainsi stimulée par la promotion des bonnes pratiques recensées en Europe. D’autre part, une pression serait exercée sur les « mauvais élèves » afin qu’ils promeuvent une évolution vertueuse de leurs pratiques dès lors que l’organisation de leurs services ou que la gestion d’un opérateur serait critiquée par l’Observatoire. En conséquence, l’Observatoire serait chargé de missions d’analyse et d’information sur les pratiques de gestion et de régulation des services publics de l’eau. Il travaillerait en collaboration avec et pour les Etats, les collectivités, les élus et les usagers. L’articulation avec les institutions nationales se ferait par un relais informationnel et l’Observatoire ne pourrait se substituer à elles, ni exercer de pression, ni intervenir localement. L’objectif est donc plutôt de bénéficier d’un organisme européen qui centralise l’information pour la comparer et l’analyser afin de rédiger des rapports, des avis, des recommandations et pourquoi pas des alertes concernant les pratiques de gestion des services de l’eau [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003]. • Statut de l’Observatoire et relations avec les échelons européens et locaux. Alors que la délégation des services publics de l’eau s’accroît, avec une participation du secteur privé de plus en plus marquée, l’Union Européenne s’efforce de mettre en place une politique commune de l’eau. Dans cette perspective, la mise en place d’un organisme européen des services d’eau paraît pertinente pour aider les régulateurs locaux qui se retrouvent face à des problèmes de définition d’instruments de suivi et de contrôle des services, pour les parlements nationaux afin qu’ils mettent en place des institutions nationales de régulation qui serviraient de relais à l’Observatoire, mais aussi pour recueillir des informations nécessaires à la définition de la politique européenne dans le secteur de l’eau. Concernant les liens avec les échelons politiques, qu’ils soient nationaux ou locaux, l’Observatoire devrait être placé sous la responsabilité d’une instance européenne [Bauby, 2002]. L’Observatoire devrait comporter un conseil d’orientation composé de tous les types d’acteurs concernés : usagers, autorités publiques, régulateurs, opérateurs, 115 salariés, organisations syndicales… Il serait judicieux de le rattacher au Parlement Européen afin qu’il lui délivre un rapport annuel permettant de dégager des recommandations. Par ailleurs, il est important de respecter les prérogatives régionales et locales. L’Observatoire devrait donc être non seulement en étroite relation avec les institutions européennes législatives et exécutives, les institutions nationales, régionales et locales en charge de la régulation et du suivi des services d’eau, mais aussi avec le Comité des Régions. En outre, il faut s’intéresser à l’articulation de l’Observatoire avec la politique européenne qui, en ce qui concerne la plupart des services publics en réseau (électricité, transports, télécommunications…) a mis en place un processus de libéralisation déjà bien avancé. Si le secteur de l’eau a été, jusqu’à présent, exclu des restructurations opérés dans les autres secteurs, le sujet aujourd’hui n’est plus tabou et la promulgation de la directive-cadre de 2000 a permis à nombre de décideurs publics d’afficher leur volonté de construire une politique commune et intégrée dans le secteur de l’eau. L’action européenne devrait ainsi être envisagée sur plusieurs plans : la définition plus précise du bien qu’est l’eau ainsi que des services d’intérêt général pour l’eau, la redéfinition commune des règles de concurrence qui peut favoriser la participation du secteur privé grâce à une mise en concurrence de tous les services d’eau, la mise en œuvre d’instruments de régulation comme les indicateurs de performance. Concernant l’impact sur les Etats et les collectivités locales, l’action de l’Observatoire européen peut amener les législateurs nationaux à mettre en place des mécanismes de régulation voire même des instances de régulation chargées de missions spécifiques. Quels que soient les mécanismes ou organes de régulation mis en place, la logique de l’Acte unique doit prévaloir. Il faut donc respecter le principe de subsidiarité afin de respecter les règles du marché commun mis en place qui promeut une concurrence au sein des secteurs marchands. Toute autre intervention d’une institution européenne dans le cadre de la politique de l’eau contreviendrait au principe de subsidiarité [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003]. 116 CONCLUSION Tout au long de ce travail, l’objectif aura été de démontrer que la gestion des services publics de l’eau en Europe doit être opérée de manière raisonnée. Qu’entendre par cette expression ? En premier lieu, la gestion des services de l’eau doit prendre en compte les caractéristiques particulières du bien « eau ». Comme nous l’avons exposé, l’eau est une ressource fragile, indispensable à l’Homme pour sa survie. De ce fait, l’eau est un bien naturel rare, qui ne peut être considéré, ni quantitativement, ni qualitativement, comme illimité. De plus, l’eau est une ressource multifonctionnelle qui fait l’objet d’une concurrence entre les différents usages qui peuvent en être faits et, en toute logique, les intérêts des différents usagers de l’eau entrent en conflit mais ils restent interdépendants. Ainsi, contrairement aux biens « marchands », le prix de l’eau n’est pas uniquement lié à la rencontre entre l’offre et la demande mais se trouve au contraire à un carrefour entre rareté, choix et besoin. Par ailleurs, l’eau est un bien rival et non-exclusif. Par conséquent, l’eau est à la fois victime de comportements de « passager clandestin » et d’effets de « surutilisation ». Ces différentes caractéristiques doivent être prises en compte dans le coût de l’eau facturé aux usagers. Face à une utilisation de l’eau opérée dans des contextes géographiques, institutionnels, socio-économiques et naturels différents, le financement des services de l’eau varie entre zones géographiques et usagers. D’autres facteurs tels que les conditions physiques, l’âge des installations, le choix du mode de gestion du service entrent également en ligne. Au final, la transparence du prix de l’eau est plus que limitée, le consommateur comprenant rarement la formation du prix qu’il paye. Une analyse des différents modes de formation du prix de l’eau dans les pays européens nous a permis de prendre conscience de ces réalités à travers la grande diversité de modes de calcul et les différences parfois importantes qui en découlent entre les pays, voire même parfois au sein des Etats. La directive-cadre européenne 2000/60/CE dans le domaine de l’eau s’attache à assurer la pérennité financière des services de l’eau, garantie minimale de la préservation de la ressource en quantité et en qualité. Elle impose donc ; au-delà du principe de pollueurpayeur qui a pour objectif de faire porter les coûts sur les agents économiques qui polluent et non pas sur le consommateur et au-delà du principe de péréquation qui vise à 117 lisser le prix de l’eau de manière spatiale, sociale, transversale et temporelle ; le principe de la couverture de la totalité des coûts. Mais une gestion raisonnée des services de l’eau ne passe pas uniquement par une définition économique précise du bien « eau » qui prendrait en compte ses différentes dimensions. Une gestion raisonnée des services de l’eau se caractérise, en-dehors d’une compréhension raffinée des enjeux liés au bien lui-même, par l’intégration de tous les éléments caractérisant le secteur économique spécifique qu’est le secteur de l’eau. Alors que la plupart des services en réseau font l’objet d’une ouverture à la concurrence, on oublie trop souvent les spécificités techniques et économiques de ce qu’on a longtemps considéré comme des monopoles naturels. La théorie économique considère traditionnellement que la situation de configuration de marché monopolistique n’est pas optimale car elle entraîne une tarification du service ou du bien supérieure à ce qu’elle serait en configuration de concurrence pure et parfaite. Cependant, le monopole naturel est économiquement justifié car il représente la situation économique au sein de laquelle il est plus avantageux qu’une seule entreprise produise le bien. Historiquement, les services en réseau étaient gérés en régie par l’Etat ou ses démembrements car ils remplissent des missions d’intérêt général qu’un opérateur privé ne saurait assumer du fait de sa quête de profit, à savoir : l’égalité d’accès au service, la continuité du service et l’adaptabilité du service. Aujourd’hui, la plupart des Etats connaissent des difficultés financières et font face à un problème de ressources qui les poussent à libéraliser les entreprises de réseau. Le secteur de l’eau, longtemps épargné à côté des secteurs des transports, des télécommunications, de l’énergie, connaît aussi ce phénomène actuellement. Cependant, les formes d’ouverture à la concurrence peuvent être variées et s’exprimer à des degrés différents, et il faut s’assurer qu’elles sont à la fois capables de répondre aux difficultés de financement des services pour garantir leur pérennité, tout en reprenant à leur charge les obligations découlant des missions d’intérêt général dont les services sont en charge. Le concept de gestion raisonnée des services de l’eau s’attache donc en second lieu à s’assurer que, quelle que soit la forme d’ouverture à la concurrence choisie par l’autorité publique en charge de la gestion du service, celle-ci sera à même de financer le fonctionnement des installations et leur renouvellement, tout en respectant les obligations liées à l’intérêt général. Il convient donc de réguler le secteur afin de garantir l’équilibre budgétaire du service, sa compétitivité financière et technique, la 118 prise en compte de préoccupations sociales liées à l’accès à l’eau et l’égalité entre les usagers, la transparence des informations entre partenaires du service, ainsi qu’entre le service et ses usagers, mais aussi la concurrence au sein du secteur à tous les stades de la libéralisation des services. En effet, l’un des arguments majeurs à la libéralisation des entreprises de réseau est le manque de pression concurrentielle liée au monopole et préjudiciable au bien-être social. Il ne faut donc pas remplacer un problème de financement des services lorsqu’ils sont gérés par l’Etat par un problème de concurrence sous-optimale qui dériverait d’un monopole privé. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes intéressés aux différents modes de gestion employés en Europe. Il serait fastidieux ici de reprendre ces catégories et leurs caractéristiques propres, ainsi que la liste des pays dans lesquels elles sont employées et pour quelles raisons. Néanmoins, revenant sur la répartition inégale de la ressource publique qu’est l’eau et la crise financière du modèle municipal, nous avons envisagé les différentes réponses apportées par les Etats. Les arrangements institutionnels dominants dans le domaine de l’eau au sein de l’Union Européenne se déclinent suivant trois axes principaux : la dichotomie management privé/management public, la dichotomie gestion directe/gestion déléguée et le niveau territorial de gestion de la ressource. La littérature économique s’est longtemps efforcée, et ce principalement depuis le tournant de la privatisation anglaise, de déterminer le mode de gestion le plus adéquat de manière absolue et péremptoire. Face aux difficultés rencontrées par la théorie économique a émergé l’idée que les contextes socio-politiques et géographiques détenaient une place importante dans le choix d’un mode de gestion. Cette approche plus sociologique de la gestion des services de l’eau et de la ressource en eau se veut également plus respectueuse des choix des Etats, ne souhaitant pas porter de jugement péremptoire et désirant re-contextualiser l’analyse des modes de gestion. Cette démarche porte aujourd’hui ses fruits et a exercé une attraction forte sur les économistes eux-mêmes qui ne cherchent plus à déterminer « le » mode de gestion idéal, mais plus le mode de gestion qui s’adapte le mieux suivant les réalités socio-politiques des Etats, tout en appréciant leur efficience face aux enjeux économiques, financiers, éthiques, sociaux et environnementaux. Précisons par ailleurs, que le concept de gestion raisonnée ne doit pas être confondu avec le concept de gestion intégrée de la ressource en eau. Alors que la gestion intégrée s’intéresse plus aux méthodes de prise en compte des intérêts divergents des usagers et des échelons territoriaux, nous défendons ici, avec la notion de gestion raisonnée, un concept plus global, inscrivant la gestion intégrée de la 119 ressource dans un cadre de réflexion plus large concernant une gestion équilibrée, pérenne et avertie face aux enjeux économiques, éthiques et environnementaux des services de l’eau, aspects qui sont communément regroupés dans la notion de développement durable. Dans cette optique, nous nous sommes attachés en troisième lieu, à dégager les pistes de réflexion développées par les chercheurs spécialisés dans la gestion de l’eau et de ses services afin d’assurer la prise en compte des enjeux de développement durable dans la gestion des services de l’eau en Europe. Deux axes sont à distinguer ici. Le premier axe consiste à mettre en place des critères de performance pour évaluer les prestations des services dans le temps, mais également pour comparer les services entre eux, afin d’assurer une forme de concurrence entre services. S’attachant à prendre en considération les « 3 E » du développement durable – Ethique, Economie et Environnement – , les critères de performance permettraient d’objectiviser les prestations des services selon les variables fondamentales que sont les « 3 E » dans une perspective de gestion raisonnée des services de l’eau. Ils permettraient également de fournir des outils opérationnels aux organismes publics en charge de réguler le secteur de l’eau et de ses services. Le second axe est, quant à lui, plus institutionnel. La régulation des services d’eau est réalisée à l’heure actuelle par les Etats eux-mêmes. Passant en revue les formes de régulation auxquelles les Etats européens ont recours, nous avons pu mettre en avant leurs spécificités, leurs avantages et surtout, leurs limites. Principalement confrontées à des problèmes informationnels, les autorités de régulation doivent être mises en place à des échelons adéquats afin de résoudre le problème des asymétries d’information entre le service, son gestionnaire et l’autorité de contrôle. Par ailleurs, il paraît fondamental de souligner ici l’importance de la forte volonté politique nécessaire pour mettre en place un mécanisme de régulation efficient, en donnant aux organismes de contrôle les pouvoirs coercitifs et la légitimité institutionnelle nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Des organismes de régulation efficients sont donc la clé de voûte d’une gestion raisonnée des services de l’eau car ils soumettraient les gestionnaires du service, publics ou privés, à une pression concurrentielle entre services et à une obligation de résultat. Néanmoins, la gestion raisonnée des services de l’eau est un enjeu global car l’eau est un bien public mondial. Il semble donc pertinent d’appeler à la mise en place d’un organisme européen d’observation afin de résoudre les difficultés relatives aux asymétries d’information, à la lisibilité des modes de gestion 120 des services et à travers le contrôle de leur rencontre avec les impératifs de développement durable que sont l’éthique, l’économie et l’environnement. Un tel organisme renforcerait également une concurrence saine et raisonnée entre services, ce qui ne pourrait représenter que des avantages pour le consommateur. En outre, il représenterait une concrétisation matérielle, pratique, effective et institutionnelle de la volonté exprimée de l’Union Européenne de mettre en place une politique commune de l’eau. Enfin, la démarche que nous défendons, à travers la notion de gestion raisonnée des services de l’eau en Europe, adresse aussi la question du rôle moteur de l’Union Européenne dans l’inscription du continent dans une économie d’avenir soucieuse de la durabilité de son développement et de sa croissance. L’intégration des critères environnementaux dans leur globalité, qu’ils concernent l’eau ou d’autres ressources, la production d’énergie, les modes de consommation, la préservation du cadre de vie dans une perspective de solidarité intra et intergénérationnelle, au sein d’une entité politique majeure doit permettre la mise en place d’un cercle vertueux de développement durable en ce qui concerne les Etats qui souhaiteraient un jour être candidat à l’adhésion à l’Union Européenne, mais aussi en ce qui concerne les autres Etats, à travers l’idée que leur développement économique doit se contraindre aux enjeux environnementaux s’ils désirent entretenir des relations commerciales avec l’Union Européenne. En outre, la mise en place d’une gestion raisonnée des services de l’eau en Europe passe également à travers la prise de conscience de chaque individu des enjeux auxquels la génération actuelle, et encore plus les générations futures, doit déjà et devra faire face. La responsabilisation des consommateurs européens par la lutte contre le gaspillage et la pression démocratique et citoyenne sur les gouvernants pour qu’ils intègrent la question de l’avenir des services de l’eau et de la ressource en eau au sein de toute décision politique représente la substantifique moelle de la gestion raisonnée de l’eau et de ses services à l’échelon individuel et micro-économique. Une politique européenne de l’eau serait donc un instrument essentiel dans l’éducation d’un écocitoyen. En dernier mot, s’inspirant de la démarche politique et citoyenne de Nicolas Hulot lors de la campagne présidentielle française de 2007 et ayant abouti à une prise de conscience des citoyens et des décideurs politiques des enjeux environnementaux autour du Pacte Ecologique, ne serait-il pas pertinent de créer au sein de chaque gouvernement, 121 un poste gouvernemental ayant un pouvoir décisionnel important, afin qu’il influence l’action publique à travers l’intégration des contraintes de développement durable ? La formation du gouvernement de François Fillon, après l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République Française le 6 mai dernier, a intégré la création d’un poste de Ministre d’Etat, ministre de l’Ecologie, du développement et de l’aménagement durables, sous la houlette d’Alain Juppé, deuxième membre du gouvernement. Bien que cette modification institutionnelle n’ait pas encore pu faire l’objet d’une évaluation de son action et de ses résultats, elle dénote d’une volonté politique majeure d’intégrer l’environnement au cœur de l’action publique. Cette volonté politique devrait servir d’exemple à l’ensemble des Etats européens, mais aussi aux institutions de l’Union Européenne, afin de faire du continent européen le chef de file d’une démarche politique qui conjugue croissance économique et développement durable au futur. 122 LISTE DES GRAPHIQUES ET TABLEAUX • Graphiques Graphique 1 – Composition du prix de l’eau en France en 2000 (en moyenne). p.27 Graphique 2 – Tarification du monopole monoproduit. p.45 • Tableaux Tableau 1 – Classification des biens selon les critères d’exclusion et de rivalité. p.19 Tableau 2 – Multifonctionnalité des ressources en eau. p.24 Tableau 3 - Récapitulatif du prix de l’eau dans les pays étudiés à la fin des années 1990. p.28 Tableau 4 - Evolution du prix du mètre cube d’eau potable. p.29 Tableau 5 - Evolution du prix moyen uniquement pour la distribution d’un mètre cube p.31 d’eau potable. Tableau 6 – Variation des prix et coûts suivant les compagnies et les régions. p.32 Tableau 7 – Coûts unitaires par mètre cube d’eau distribuée et assainie. p.34 Tableau 8 – Paliers de tarifications suivant le volume consommé. p.34 123 LISTE DES ANNEXES Annexe 1 : Organisation institutionnelle dans la gestion des services de l’eau en Europe. p. 125 Annexe 2 : Matrice des arrangements institutionnels dominants dans le domaine de l’eau p. 126 dans l’Union Européenne. Annexe 3 : Présentation des différents modes de gestion de l’eau et de l’assainissement. p. 127 Annexe 4 : La structure d’une facture d’eau. p. 129 Annexe 5 : Quantités d’eau prélevées et consommées par usage en France. p. 131 Annexe 6 : Facturation de l’eau en France. p. 132 Annexe 7 : Effet de la délégation sur le prix de l’eau potable en France. p. 136 Annexe 8 : Prix moyen de l’eau en Europe en 2003. p. 137 Annexe 9 : Directive cadre dans le domaine de l’eau. p. 139 124 Annexe 1 Organisation institutionnelle dans la gestion des services de l’eau dans différents Etats européens. Distribution Capital Gestion publique Mixte Allemagne Intermunicipale / Mixte municipale / régionale Municipale Public Publique Autriche Intermunicipale Mixte Danemark Municipale Public Espagne Municipale Public Finlande Municipale Public France Municipale Public Grèce Municipale Public Italie Municipale Public Pays-Bas Municipale Public Portugal Municipale / régionale Municipale Régionale Public Belgique Suède Angleterre et Pays de Galles Public Privé Mixte Régulateur économique Muncipal / Régional Régulateur environnemental Régional Municipal Administration centrale Régional Administration fédérale Publique Municipal Administration centrale / municipalités Mixte Administration Administration centrale centrale / indépendant Publique Municipal Administration centrale Mixte Municipal Administration centrale Publique Administration Administration centrale centrale Publique Administrations Administrations centrale et centrale et régionale régionale Mixte Administration Administration centrale / centrale / régionale régionale Mixte Administration Administration centrale centrale Publique Municipal Régionale Privée Indépendant Indépendant Source : tableau adapté de : OCDE, 2006, Revue de l’OCDE sur le droit et la politique de la concurrence – vol.8, n°1, p. 95 125 Annexe 2 Matrice des arrangements institutionnels dominants dans le domaine de l’eau dans l’Union Européenne. Management privé Angleterre et Pays de Galles France, Espagne Management public Danemark, Suède, Autriche, Belgique (3), Pays-Bas (3), Allemagne (1), Finlande, Allemagne (4), Ecosse, Pays-Bas (2), Belgique (2) Grèce, Italie, Portugal Gestion directe Gestion déléguée (1) Concernant la collecte et le traitement des eaux usées. (2) Concernant la collecte des eaux usées. (3) Concernant l’eau potable et les eaux usées. (4) Concernant l’eau potable. Source : Analysis of the European Water Supply and Sanitation Markets and its possible evolution, rapport rédigé en 2004 par l’UNESCO-IHE, l’université de Birmingham et l’université de Bocconi, in “ Ownership relative efficiency in the water industry : a survey of the international empirical evidence”, Maurizio Conti, Problèmes économiques, n° 2 900, mai 2006. 126 Annexe 3 Présentation des différents modes de gestion de l’eau et de l’assainissement. (Source : Montginoul M., 2004, « La structure de la tarification de l’eau potable et de l’assainissement en France, Cemagref et ENGEES). ♦ La gestion directe en régie La commune, ou le groupement intercommunal auquel elle adhère, assure la responsabilité complète des investissements comme du fonctionnement des services des eaux, ainsi que des relations avec les usagers, notamment de l'émission des factures et de leur recouvrement, en général par l'intermédiaire du receveur municipal. Les employés de la régie, dans la pratique, sont très souvent des agents municipaux ayant un statut public. Aujourd'hui, à l'exception de quelques villes grandes ou moyennes, qui ont historiquement créé leurs propres services techniques municipaux, la régie est plutôt le fait des petites collectivités rurales. Notons que les gestions de l’eau potable et de l’assainissement sont totalement indépendantes ; une commune peut ainsi affermer à un distributeur privé l’eau potable et assurer la gestion de l’assainissement collectif en régie directe. ♦ La gestion déléguée Dans ce cas, les collectivités délèguent la gestion de tout ou partie de leurs services à une compagnie privée ou à un groupement de communes dans le cadre de contrats de longue durée; l'affermage ou la concession sont les deux types de contrats généralement utilisés : • En affermage : la collectivité réalise et finance les investissements et ne confie que l'exploitation des installations à un distributeur privé. Ce dernier se rémunère sur le prix de l'eau et prélève pour la collectivité autorité organisatrice une part spécifique de recettes pour lui permettre de faire face aux dépenses d'amortissement technique et financier sur le réseau. • En concession : c’est l’entrepreneur privé qui construit les ouvrages et les exploite à ses frais en se remboursant sur le prix de l’eau. En fin de contrat, il devra remettre le réseau et les ouvrages en bon état à la collectivité. Enfin, il existe également des cas plus rares : 127 • de régie intéressée où un régisseur privé est contractuellement chargé de faire fonctionner le service public avec, en contrepartie, une rétribution qui comprend un intéressement aux résultats; • de gérance dont le principe est comparable, mais la commune verse au gérant une rémunération forfaitaire et décide seule de la fixation des tarifs. Le contrat pluriannuel définit les termes de références des prestations attendues et le prix de l'eau payé par les usagers ainsi que la formule de variation des prix. Dans le cas de l'affermage, la part reversée par la société fermière à la municipalité au titre des investissements est définie à part, en dehors du contrat de délégation. La durée d'un contrat de concession varie, selon l'importance des investissements à réaliser, la consommation et le prix de l'eau, entre 20 et 50 ans, alors que celle d'un contrat d'affermage se situe généralement entre 5 et 20 ans. ♦ La gestion mixte Il existe beaucoup de situations intermédiaires entre la régie directe et les gestions déléguées, ce qui montre la souplesse du système. Par exemple, des collectivités peuvent décider d’exploiter elles-mêmes en régie les ouvrages de production d’eau potable et de déléguer la distribution à des sociétés privées. Autre exemple, l’action commerciale vis-à-vis des usagers (facturation, recouvrement) est aussi de plus en plus souvent confiée au secteur privé. 128 Annexe 4 La structure d’une facture d’eau. (Source : Montginoul M., 2004, « La structure de la tarification de l’eau potable et de l’assainissement en France, Cemagref et ENGEES). Toutes les structures tarifaires sont basées sur deux composantes qui peuvent intervenir dans la tarification de l’eau potable et de l’assainissement : la partie fixe, indépendante du volume d’eau consommé et la partie proportionnelle au volume d’eau consommé. Il est alors possible de définir trois types de structures tarifaires (figure 1) : - la tarification forfaitaire : le montant de la facture est indépendant du volume d’eau réellement consommé. Ce mode est interdit en France depuis la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, sauf dérogation préfectorale. - la tarification monôme : autorisée par le cadre législatif français et préconisée par les différentes associations de consommateurs, elle ne possède pas de partie fixe mais uniquement une partie proportionnelle liée à la consommation d’eau. - la tarification binôme : l’abonné paie un montant proportionnel à sa consommation d’eau et une partie fixe. 129 Figure 1 : Types de facturation. Facture d’eau Facture d’eau Volume Tarification forfaitaire Facture d’eau Volume Tarification monôme Volume Tarification binôme De plus, la partie proportionnelle peut être associée ou non à des paliers (figure 2) qui peuvent être : - décroissants : plus la consommation d’eau est élevée, moins le prix du mètre cube d’eau est cher. - croissants : plus la consommation d’eau est importante, plus le prix du mètre cube d’eau est cher. - complexes (ou mixtes) : le prix du mètre cube n’est régi par une fonction ni strictement croissante ni strictement décroissante. Figure 2 : Types de tarification proportionnelle. Facture d’eau Facture d’eau Volume Pas de palier Facture d’eau Volume Paliers progressifs 130 Volume Paliers dégressifs Annexe 5 Quantités d’eau prélevées et consommées par usage en France en 2001. Usages Production Eau potable Irrigation Industrie Total d’énergie Volumes d’eau prélevés • 5 966 4 767 3 650 33 544 57,1% 17,8% 14,2% 10,9% 100,0% 17 890 4 534 1 989 3 395 27 808 64,3% 16,3% 7,2% 12,2% 100,0% 1 271 1 432 2 779 256 5 737 22,2% 25,0% 48,4% 4,5% 100,0% en millions de m3 • 19 161 % du prélèvement total Volumes d’eau restitués • en millions de m3 • % de la restitution totale Volumes d’eau consommés • en millions de m3 • % de la consommation totale Source : Agences de l’Eau – RNDE – IFEN, 2003. 131 Annexe 6 Facturation de l’eau en France A - Décomposition de la facture d’eau en France en 2000. Rubriques de la facture Montant En % Evolution (selon l’arrêté du 10 juillet en euros du total 2000/1995 Distribution de l’eau 138,89 43,73% 10,76% dont abonnement eau 26,22 8,26% 30,32% dont consommation eau 107,32 33,79% 6,66% 5,35 1,68% 14,81% 99,4 31,30% 17,48% proportionnelle 99,4 31,30% 17,48% Organismes publics 79,3 24,97% 23,80% (agence de l’eau) 49,27 15,51% 27,68% dont FNDAE, VNF et TVA 30,03 9,46% 17,95% 1996) dont redevance prélèvement (agence de l’eau) Collecte et traitement des eaux usées Abonnement et part dont redevance pollution Total TTC 317,59 100% 15,88% Source : DGCCRF, facture moyenne de 120 m3. B – Le principe du pollueur-payeur. Dans le but de limiter les atteintes à l’environnement, le principe pollueurpayeur tend à imputer au pollueur les dépenses relatives à la prévention ou à la réduction des pollutions dont il pourrait être l’auteur. L’application de ce principe vise à anticiper un 132 dommage et à fixer une règle d’imputation du coût des mesures en faveur de l’environnement. • Éléments de définition et contexte international Le principe pollueur-payeur est un principe d’inspiration économique. Il a été élaboré dans les années 1970 par l’OCDE. Son objectif est de faire prendre en compte par les agents économiques, dans leurs coûts de production, les coûts externes pour la société que constituent les atteintes à l’environnement. Il vise les activités économiques mais aussi privées (utilisation d’une voiture individuelle, chauffage domestique…). Le principe pollueur-payeur est un principe : - d’efficacité économique : les prix doivent refléter la réalité économique des coûts de pollution, de telle sorte que les mécanismes du marché favorisent les activités ne portant pas atteinte à l’environnement ; - d’incitation à minimiser la pollution produite ; - d’équité : à défaut, les coûts incombent au contribuable qui n’est pas responsable de ces atteintes. • État des lieux en France Le principe pollueur-payeur est un principe général de droit de l’environnement, repris dans la législation française et inscrit à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement, selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci sont supportés par le pollueur ». Pour mettre en oeuvre ce principe, différents outils sont à la disposition des pouvoirs publics : La réglementation : Elle est un instrument traditionnel des politiques de l’environnement. Le pollueur se voit imposer des normes techniques antipollution au sens large, incluant la limitation de 133 la production de déchets. Il peut s’agir de normes à la source, de normes d’émission ou de normes de qualité du milieu ambiant. On peut citer comme exemple le décret du 20 juillet 1998 visant à prendre en compte les exigences liées à l’environnement dans la conception et la fabrication des emballages. De même, l’arrêté du 2 février 1998 applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement consacre tout son chapitre V aux valeurs limites d’émissions des installations industrielles ou agro-alimentaires, notamment son article 22, qui dispose que les valeurs limites de rejet d’eau doivent être compatibles avec les objectifs de qualité et la vocation piscicole du milieu aquatique. Les taxes et redevances : La fiscalité peut être incitative. Elle consiste alors à accorder une réduction de l’impôt dû, en fonction de mesures favorables à l’environnement prises par le contribuable. Les incitations fiscales au bénéfice des entreprises ne sont admises que pour des mesures plus sévères que celles exigées par la réglementation, ou prises par anticipation avant de devenir obligatoires plus tard. Parmi les instruments fiscaux utilisés, on peut citer l’amortissement exceptionnel permettant de diminuer l’impôt sur les sociétés pour une entreprise qui construit un immeuble très économe en énergie ou le crédit d’impôt pour les particuliers qui acquièrent un véhicule fonctionnant au GPL, à l’énergie électrique ou avec un système de bicarburation. La fiscalité peut être dissuasive. Elle vise à imposer une contrainte financière aux pollueurs. On peut citer la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), dont l’assiette est directement liée au bruit, aux déchets, à la pollution de l’air, aux huiles usagées. Depuis 2000, elle est assise également sur les lessives, les granulats et les produits phytosanitaires. La Taxe d’importation des produits pétroliers (TIPP) est assise sur les carburants. 134 Les redevances écologiques : Ces redevances, à la différence des impôts proprement dits, sont liées à un service rendu, ou à la consommation d’un bien collectif comme l’eau. La principale est la redevance des agences de l’eau, qui comporte plusieurs éléments tenant compte de la quantité d’eau prélevée et du volume de pollution rejeté. Les permis négociables . • Éléments du débat. La principale difficulté consiste à identifier le pollueur. Hors le cas des nuisances des installations fixes, la réponse n’est pas forcément aisée à apporter. Le pollueur peut être soit le producteur, soit le consommateur final, soit plusieurs maillons de la chaîne économique. Il s’agit également de savoir dans quelles limites le pollueur doit être mis à contribution et quel est le niveau de protection de l’environnement recherché. Plusieurs approches sont possibles : celle qui se réfère au niveau de protection défini par les pouvoirs publics, celle qui se réfère à un coût économiquement acceptable ou celle qui renvoie à la loi les conditions de mise en oeuvre. 135 Annexe 7 Effet de la délégation sur le prix de l’eau potable en France. Prix moyen Ecart-type FF/m3 Echantillon complet • • Nombre de communes 7,88 2,90 3 135 Gestion 8,85 2,93 1 793 déléguée 6,58 2,29 1 342 Régie +34% Ecart délégation/régie Source : Carpentier A., Nauges C., Reynaud A. et A. Thomas, 2004, « Une mesure de l’effet de la délégation sur le prix de l’eau en France », INRA Sciences sociales, Problèmes économiques, n° 2 900, mai 2006. 136 Annexe 8 Prix moyen de l’eau en Europe en 2003. A – Prix par pays Pays Eau potable en euros/m3 Assainissement eaux usées en euros/m3 Danemark 4,53 2,08 Allemagne 4,45 2,54 Pays-Bas 3,35 1,62 Royaume-Uni 2,89 1,51 France 2,56 1,22 Belgique 2,50 0,83 Espagne 1,30 0,32 Italie 0,68 0,38 Source : NUS Consulting in “ Ownership relative efficiency in the water industry : a survey of the international empirical evidence”, Maurizio Conti, Problèmes économiques, n° 2 900, mai 2006. 137 B – Prix moyen de l’eau dans les grandes cités d’Europe. Communautés urbaines Année 2003 en euros/m3 Glascow 6,90 Berlin 4,70 Hambourg 4,10 Amsterdam 3,60 Lyon 2,90 Marseille 2,90 Toulouse 2,90 Nice 2,90 Paris 2,55 Stockholm 2,45 Bruxelles 2,45 Helsinki 2,30 Londres 2,30 Madrid 1,45 Rome 0,80 Milan 0,75 Source : Conti Maurzio, “ Ownership relative efficiency in the water industry : a survey of the international empirical evidence”, Problèmes économiques, n° 2 900, mai 2006. 138 Annexe 9 Directive-cadre dans le domaine de l'eau L'Union européenne (UE) établit un cadre communautaire pour la protection et la gestion des eaux. La directive-cadre prévoit notamment l'identification des eaux européennes et de leurs caractéristiques, recensées par bassin et district hydrographiques, ainsi que l'adoption de plans de gestion et de programmes de mesures appropriées à chaque masse d'eau. ACTE Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau. SYNTHÈSE Par cette directive-cadre, l'Union européenne organise la gestion des eaux intérieures de surface, souterraines, de transition et côtières, afin de prévenir et de réduire leur pollution, de promouvoir leur utilisation durable, de protéger leur environnement, d'améliorer l'état des écosystèmes aquatiques et d'atténuer les effets des inondations et des sécheresses. Identification et analyse des eaux Les États membres sont tenus de recenser tous les bassins hydrographiques qui se trouvent sur leur territoire et les rattacher à des districts hydrographiques. Les bassins hydrographiques qui s'étendent sur le territoire de plus d'un État seront intégrés au sein d'un district hydrographique international. Au plus tard le 22 décembre 2003, une autorité compétente sera désignée pour chacun des districts hydrographiques. Au plus tard quatre ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive, les États membres doivent faire une analyse des caractéristiques de chaque district hydrographique, une étude de l'incidence de l'activité humaine sur les eaux, une analyse économique de l'utilisation de celles-ci et un registre des zones qui nécessitent une protection spéciale. Toutes les masses d'eau utilisées pour le captage d'eau destinée à la 139 consommation humaine, fournissant plus de 10 m³ par jour ou desservant plus de 50 personnes, doivent être recensées. Mesures de gestion et de protection Neuf ans après la date d'entrée en vigueur de la directive, un plan de gestion et un programme de mesures doivent être élaborés au sein de chaque district hydrographique en tenant compte des résultats des analyses et études réalisées. Les mesures prévues dans le plan de gestion du district hydrographique ont pour but de: prévenir la détérioration, améliorer et restaurer l'état des masses d'eau de surface, atteindre un bon état chimique et écologique de celles-ci, ainsi que réduire la pollution due aux rejets et émissions de substances dangereuses : • protéger, améliorer et restaurer les eaux souterraines, prévenir leur pollution, leur détérioration et assurer un équilibre entre leurs captages et leur renouvellement; • préserver les zones protégées. Les objectifs précédents doivent être atteints quinze ans après l'entrée en vigueur de la directive, mais cette échéance peut être rapportée ou assouplie, tout en respectant les conditions établies par la directive. Les États membres encouragent la participation active de toutes les parties concernées par la mise en œuvre de cette directive, notamment en ce qui concerne les plans de gestion des districts hydrographiques. Une détérioration temporaire des masses d'eau ne constitue pas une infraction de la présente directive si elle résulte des circonstances exceptionnelles et non prévisibles liées à un accident, une cause naturelle ou un cas de force majeure. À partir de 2010, les États membres doivent assurer que la politique de tarification incite les consommateurs à utiliser les ressources de façon efficace et que les différents secteurs économiques contribuent à la récupération des coûts des services liés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources. 140 Les États membres doivent établir des régimes assortis de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas violations de la présente directive-cadre. Une liste de substances polluantes prioritaires sélectionnées parmi celles qui constituent un risque important pour ou via le milieu aquatique a été élaborée, via une procédure associant surveillance et modélisation. Par ailleurs des mesures de contrôle relatives à ces substances prioritaires, ainsi que des normes de qualité applicables aux concentrations de celles-ci, ont également été proposées. Mesures administratives Au plus tard douze ans après la date d'entrée en vigueur de la directive et par la suite tous les six ans, la Commission publie un rapport sur la mise en œuvre de celle-ci. La Commission convoque, au moment opportun, une conférence des parties concernées par la politique communautaire de l'eau, à laquelle participent les États membres, des représentants des autorités compétentes, du Parlement européen, des ONG, des partenaires sociaux et économiques, des consommateurs, des universitaires et autres experts. Glossaire • Eaux intérieures : toutes les eaux stagnantes et les eaux courantes à la surface du sol et toutes les eaux souterraines en amont de la ligne de base servant pour la mesure de la largeur des eaux territoriales. • Eaux de surface : les eaux intérieures, à l'exception des eaux souterraines, les eaux de transition et les eaux côtières, sauf en ce qui concerne leur état chimique, pour lequel les eaux territoriales sont également incluses. • Eaux souterraines : toutes les eaux se trouvant sous la surface du sol dans la zone de saturation et en contact direct avec le sol ou le sous-sol. • Eaux de transition : des masses d'eaux de surface à proximité des embouchures de rivières, qui sont partiellement salines en raison de leur proximité d'eaux côtières, mais qui sont fondamentalement influencées par des courants d'eau douce. • Eaux côtières : les eaux de surface situées en-deçà d'une ligne dont tout point est situé à une distance d'un mille marin au-delà du point le plus proche de la ligne 141 de base servant pour la mesure de la largeur des eaux territoriales et qui s'étendent, le cas échéant, jusqu'à la limite extérieure d'une eau de transition. • Bassin hydrographique : toute zone dans laquelle toutes les eaux de ruissellement convergent à travers un réseau de rivières, fleuves et éventuellement de lacs vers la mer, dans laquelle elles se déversent par une seule embouchure, estuaire ou delta. • District hydrographique : une zone terrestre et maritime, composée d'un ou plusieurs bassins hydrographiques ainsi que des eaux souterraines et eaux côtières associées, identifiée comme principale unité aux fins de la gestion des bassins hydrographique. 142 BIBLIOGRAPHIE. 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L’eau : un bien particulier. p. 15 1) Nature économique du bien « eau ». p. 15 • Le paradoxe de l’eau et du diamant. p. 15 • L’eau : un bien naturel rare. p. 16 • L’eau : bien public ou bien privé ? p. 17 • L’eau : un bien commun. p. 21 2) Multifonctionnalité des ressources en eau. p. 22 3) Financement et coût de l’eau. p. 25 • Le coût de l’eau en France. p. 25 • La formation du prix de l’eau dans différents pays européens. p. 27 France. p. 28 Italie. p. 29 Pays-Bas. p. 30 Royaume-Uni. p. 32 4) Coût et péréquation. • La péréquation spatiale. • La péréquation sociale. • La péréquation multi-services. • La péréquation temporelle. 148 p. 35 p. 36 p. 36 p. 38 p. 39 B. Un secteur économique spécifique. 1) Une industrie en réseau. p. 41 p. 41 • Activités duales des services de l’eau. p. 41 • Définitions technique et économique de l’activité en réseau. p. 41 • La place centrale des rendements d’échelle dans les industries p. 42 en réseau. 2) Une configuration traditionnelle de monopole naturel. p. 43 • Des monopoles naturels locaux non-contestés. p. 43 • L’existence d’économies de gamme. p. 45 • La possibilité d’intégration verticale. p. 46 3) Les services de l’eau : des services d’intérêt général. p. 47 4) La nécessité de réguler le secteur. p. 47 • La tarification du monopole. p. 48 Enjeux. p. 48 L’optimum de premier rang : un objectif difficile à p. 48 atteindre. Optimum de second rang et résolution des problèmes d’aléa moral et de sélection adverse. L’intégration des préoccupations sociales. • Les enjeux liés à la délégation de service public. Partage des responsabilités. Asymétries d’information à la conclusion du contrat. Mesures de performance. • La concurrence dans le secteur de l’eau. La concurrence par comparaison. La concurrence lors de l’attribution du contrat. La concurrence pour la propriété. 149 p. 49 p. 50 p. 51 p. 51 p. 53 p. 54 p. 54 p. 55 p. 55 p. 55 II. Modèles de gestion de l’eau en Europe. p. 60 A. L’eau une ressource publique. p. 60 1) Une répartition inégale. p. 60 2) Publicisation des services. p. 62 3) Crise du modèle municipal. p. 63 4) Réponses apportées : analyse de cas. p. 64 • La privatisation « à la française » : la délégation. p. 65 • La Grande-Bretagne : entre régionalisation et privatisation. p. 65 • L’Allemagne : transversalité, localisme et privatisation p. 67 formelle. • Les Pays-Bas : gestion supra-communale et régionalisée. p. 68 • L’Italie : supra-communalité et gestion publique. p. 69 • Le Portugal : supra-communalité et pluralité des types de p. 70 gestion. B. Gestion de la ressource : analyse de cas. 1) Développement historique de la notion de gestion intégrée. • Organismes localisés. • La remise en cause de l’échelon local : la montée du p. 72 p. 72 p. 72 p. 73 régionalisme. • La gestion intégrée : un problème socio-politique avant tout. • Une difficile intégration de la perspective environnementale. • Un enjeu politique plus lourd lorsque la politique de grands travaux devient insuffisante pour accroître la ressource. 150 p. 74 p. 75 p. 76 2) Le Royaume-Uni : le bassin-versant comme territoire d’une gestion p. 77 centralisée. 3) La région administrative comme élément cohérent de la gestion de p. 78 l’eau dans les pays adeptes de la subsidiarité. • L’Allemagne : les Länder comme échelon territorial de la p. 78 politique de la ressource. • Les Pays-Bas : subsidiarité et recentrage de la politique des p. 79 Waterschappen vers les Provincies. 4) Le régionalisme des Etats méditerranéens. p. 80 5) La France et ses Agences de l’Eau. p. 81 III. La prise en compte des enjeux de développement durable dans la gestion des p. 91 services de l’eau en Europe. A. La nécessaire mise en place de critères de performance. 1) Les «3 E » du développement durable. • Axes de réflexion : investissement, coût d’amélioration, p. 91 p. 91 p. 91 intégration de la population. • Particularité de la question éthique. p. 91 • L’importance de l’opinion publique. p. 92 • Comment apprécier les « 3 E » suivant les modèles de p. 93 gestion ? 2) Utilité de la mesure de performance pour la régulation. • p. 94 Difficultés majeures dans la gestion des services de l’eau en p. 94 délégation. • Solutions : régulation permanente, dialogue, auto-incitation, p. 96 suivi de performance. 151 3) La construction des indicateurs. p. 98 • Objectifs du service public. p. 98 • Quelle obligation pour les services publics ? p. 99 • Faut-il réguler la fixation du prix ? p. 100 • Caractéristiques des indicateurs. p. 100 B. La nécessité d’un observatoire européen. 1) La régulation dans les Etats européens. • p. 103 p. 103 Collaboration entre collectivités locales et groupes de travail p. 103 en France. • Une régulation centralisée en Grande-Bretagne. • Le benchmarking des distributeurs néerlandais. • Le Comité de Vigilance italien. • Faiblesse institutionnelle de l’IRAR portugais. 2) Défaillance des systèmes actuels. • Problèmes informationnels. • Résolution des problèmes par la mise en place d’échelons p. 104 p. 106 p. 106 p. 107 p. 109 p. 109 p. 110 adéquats. 3) Pertinence d’un organisme européen. • Identification des acteurs. • Relations contractuelles entre délégant et délégataire. • Promotion des bonnes pratiques. • Statut de l’Observatoire et relations avec les échelons p. 112 p. 112 p. 113 p. 114 p. 115 européens et locaux. Conclusion p. 117 Liste des graphiques et tableaux p. 123 Liste des annexes p. 124 152 Annexes Annexe 1 : Organisation institutionnelle dans la gestion des services de l’eau en Europe. p. 125 Annexe 2 : Matrice des arrangements institutionnels dominants dans le domaine de l’eau p. 126 dans l’Union Européenne. Annexe 3 : Présentation des différents modes de gestion de l’eau et de l’assainissement. p. 127 Annexe 4 : La structure d’une facture d’eau. p. 129 Annexe 5 : Quantités d’eau prélevées et consommées par usage en France. p. 131 Annexe 6 : Facturation de l’eau en France. p. 132 Annexe 7 : Effet de la délégation sur le prix de l’eau potable en France. p. 136 Annexe 8 : Prix moyen de l’eau en Europe en 2003. p. 137 Annexe 9 : Directive cadre dans le domaine de l’eau. p. 139 Bibliographie. p. 143 Table des matières. p. 148 153