UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN POUR UNE GESTION RAISONNEE DE L’EAU ET

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UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN
INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE STRASBOURG
POUR UNE GESTION RAISONNEE DE L’EAU ET
DE SES SERVICES EN EUROPE.
Benjamin MOREL
Mémoire de 4ème année d’I.E.P.
Sous la direction de Damien Broussolle et Anne Rozan.
Juin 2007
L'Université Robert Schuman n'entend donner aucune approbation ou improbation aux
opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme
propres leur auteur[e].
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REMERCIEMENTS
Merci à Damien Broussolle, professeur en sciences à l’Institut d’Etudes Politiques de
Strasbourg et mon directeur de mémoire, pour ses précieux conseils, son encadrement et
le temps qu’il a bien voulu m’accorder durant cette année de recherche et de rédaction.
Merci à Anne Rozan, directrice du laboratoire Gestion des Services Publics (GSP) de
l’Ecole Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg (ENGEES)
pour avoir apporté à mon travail la reconnaissance et l’intérêt d’un chercheur en étant
membre du jury de soutenance.
Merci à Marie Tsanga et Rémy Barbier, chercheurs au laboratoire GSP de l’ENGEES,
pour l’attention et les conseils qu’ils m’ont prodigués lors de notre entretien.
Merci à Louis Job, professeur en Sciences Economiques, chercheur au laboratoire
C3ED (Centre d’Economie et d’Ethique pour l’Environnement et le Développement) à
l’Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines (UVSQ) pour ses indications et ses
recommandations.
Merci à Johan Kuylenstierna, directeur de projet au Stockholm International Water
Institute (SIWI), pour l’entretien qu’il m’a accordé il y a plus d’un an et demi à
Stockholm.
Merci Marie-Laure Le Foulon, correspondante du Figaro en Scandinavie, pour ses
conseils et pour m’avoir permis d’entrer en contact avec le SIWI.
Merci à ma sœur pour ses connaissances, ses conseils et ses heures de relecture et de
correction.
Merci à tous ceux qui m’ont soutenu durant la rédaction de ce mémoire, ma famille et
mes amis.
3
SOMMAIRE
Sommaire
p. 4
Introduction
p. 6
I.
Approche économique de l’eau.
p. 15
A. L’eau : un bien particulier.
p. 15
1) Nature économique du bien « eau ».
p. 15
2) Multifonctionnalité des ressources en eau.
p. 22
3) Financement et coût de l’eau.
p. 25
4) Coût et péréquation.
p. 35
B. Un secteur économique spécifique.
II.
p. 41
1) Une industrie en réseau.
p. 41
2) Une configuration traditionnelle de monopole naturel.
p. 43
3) Les services de l’eau : des services d’intérêt général.
p. 47
4) La nécessité de réguler le secteur.
p. 47
Modèles de gestion de l’eau en Europe.
p. 60
A. L’eau : une ressource publique.
p. 60
1) Une répartition inégale.
p. 60
2) Publicisation des services.
p. 62
3) Crise du modèle municipal.
p. 63
4) Réponses apportées : analyse de cas.
p. 64
B. Gestion de la ressource : analyse de cas.
p. 72
1) Développement historique de la notion de gestion intégrée.
p. 72
2) Le Royaume-Uni : le bassin-versant comme territoire d’une
p. 77
gestion centralisée.
3) La région administrative comme élément cohérent de la
4
p. 78
gestion de l’eau dans les pays adeptes de la subsidiarité.
III.
4) Le régionalisme des Etats méditerranéens.
p. 80
5) La France et ses agences de l’eau.
p. 81
La prise en compte des enjeux de développement durable dans la
p. 91
gestion des services de l’eau en Europe.
A. La nécessaire mise en place de critères de performance.
p. 91
1) Les « 3 E » du développement durable.
p. 91
2) Utilité de la mesure de performance pour la régulation.
p. 94
3) La construction des indicateurs.
p. 98
B. La nécessité d’un observatoire européen.
p. 103
1) La régulation dans les Etats européens.
p. 103
2) Défaillance des systèmes actuels.
p. 109
3) Pertinence d’un organisme européen.
p. 112
Conclusion.
p. 117
Liste des graphiques et tableaux.
p. 123
Liste des annexes.
p. 124
Bibliographie.
p. 143
Table des matières.
p. 148
5
INTRODUCTION
Au cours des trente dernières années, plusieurs industries en réseau, marquées par
des situations de monopole naturel, ont subi des modifications quant à leur
réglementation, voire ont été simplement déréglementées, afin d’introduire plus de
concurrence par une participation accrue du secteur privé. Les secteurs de l’énergie, des
télécommunications, des transports sont des exemples d’industries en réseau qui ont été
touchées par des changements concernant l’intervention de l’Etat.
Ces modifications sont en partie issues d’une meilleure perception à deux niveaux :
d’un côté, le rôle à jouer par les gouvernements et de l’autre côté la compréhension par
les économistes du fonctionnement des entreprises réglementées, notamment des
entreprises caractérisées par une situation de monopole naturel.
En premier lieu, les gouvernements, qu’ils soient européens, américains ou autres,
estiment que leur rôle se restreint plus à déterminer la manière dont les opérations
économiques doivent être menées plutôt qu’à les mener eux-mêmes. On voit donc
succéder dans de nombreux cas à l’Etat entrepreneur, un Etat stratège, considérant que
sa mission consiste à procéder aux arbitrages fondamentaux entre valeurs et objectifs
concurrents, à déterminer ce qui est socialement désirable et à mettre en place les
conditions nécessaires pour atteindre ces objectifs.
En second lieu, l’implosion des économies planifiées, ayant partiellement contribué à la
chute de l’Empire soviétique, et la croissance spectaculaire des économies libérales ont
été le ciment d’un consensus qui s’est installé progressivement et qui, selon ses
supporters, servirait mieux la croissance économique et le bien-être des populations par
une organisation sociale qui ouvre largement la place aux marchés concurrentiels et
limite l’intervention publique à des domaines plus ciblés, plus spécifiques. Il ne faudrait
pour autant pas nier l’accroissement des inégalités dans le monde, mais il s’agit là d’un
débat au sein duquel il ne nous revient pas d’intervenir.
Dans le cas des télécommunications ou des transports, la plupart des gouvernements
occidentaux en sont arrivés à la conclusion que l’efficacité et le dynamisme de ces
secteurs seraient mieux servis par des entreprises privées fortes et compétitives opérant
sous réglementation gouvernementale plutôt que par des monopoles d’Etat. Par
6
conséquent, les investissements privés dans le développement de ce type
d’infrastructures ne cessent d’augmenter [Boyer M., Patry M. et Tremblay P., 1999].
La libéralisation de ces services publics industriels et commerciaux finit par
toucher tous les secteurs, y compris ceux de l’eau et de l’assainissement. En Europe, ce
phénomène est largement lié au développement du marché unique. Au sein des Etats
européens, parmi les services publics en réseau, ceux de l’eau semblent avoir été exclus
des restructurations observées dans les autres secteurs jusqu’à très récemment, si ce
n’est que le recours à la gestion déléguée et à différentes formes de privatisation s’est
fortement développé au cours des vingt dernières années [Lorrain, 1995 ; Lorrain et
Stoker, 1995].
Il s’agit donc de savoir si les services de l’eau sont susceptibles de faire l’objet des
mêmes restructurations que les autres services à caractère industriel et commercial, en
se demandant si les services de l’eau peuvent être considérés comme des services
d’intérêt général au même titre que les autres. Cette problématique découle
fondamentalement de la nature du bien qu’est l’eau [Breuil, Garcia et Guérin-Schneider,
2003].
La Directive-Cadre sur l’Eau de l’Union Européenne considère d’une part que l’eau
n’est pas « un bien marchand comme les autres, mais plutôt un patrimoine qu’il faut
protéger, défendre et traiter comme tel ». Elle complète plus loin en affirmant que
« l’approvisionnement en eau constitue un service d’intérêt général tel que défini dans la
communication de la Commission sur les services d’intérêt général » (COM(96) 443
final). De plus, cette même directive intègre une part économique importante en posant
que : « l’utilisation d’instruments économiques par les Etats membres peut s’avérer
appropriée dans le cadre d’un programme de mesures ; il convient que le principe de
récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour
l’environnement et les ressources associés aux dégradations ou aux incidences négatives
sur la milieu aquatique soit pris en compte conformément, en particulier, au principe du
pollueur-payeur ; il sera nécessaire à cet effet de procéder à une analyse économique des
services de gestion des eaux, fondée sur des prévisions à long terme en matière d’offre
et de demande d’eau dans le district hydrographique ».
Cette position de l’Union Européenne rejoint le consensus dégagé lors du Forum
Mondial de l’eau en 2000 définissant l’eau comme un bien économique. A ce jour, un
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des enjeux majeurs pour sécuriser les besoins en eau est la gestion de la ressource en
partant de ses valeurs économiques, sociales et culturelles dans tous ses usages, afin de
se diriger vers une tarification des services de l’eau qui reflète le coût d’acheminement
et de potabilisation de l’eau, tout en maintenant une place centrale à la nécessité d’accès
universel à l’eau, en tant que bien commun.
Par ailleurs, l’expertise au sein du domaine de l’eau fait de plus en plus appel à des
spécialistes et chercheurs en sciences sociales. En effet, un besoin de connaissances
nouvelles s’impose face aux impératifs liés à une gestion durable de l’eau et des
services de l’eau. La Directive-Cadre sur l’Eau de l’Union Européenne, parue au
Journal Officiel des Communautés Européennes le 22 décembre 2000, cherche à établir
une politique européenne de l’eau, en faisant de la reconquête des milieux aquatiques,
un objectif en soi [Barraqué, 2001].
Pour s’en rendre compte, il paraît essentiel d’opérer un retour historique sur la
politique européenne en matière d’eau et d’environnement.
Deux méthodes de rationalisation des normes peuvent être utilisées : la première
passe à travers l’imposition de normes techniques, alors que la seconde impose des
normes fixant des objectifs et laisse aux acteurs économiques le choix de la technique
employée pour atteindre ces objectifs. Cette seconde méthode peut être divisée en deux
types de normes : les normes d’émission et les normes d’immission. La première
catégorie de normes vise les rejets de pollution ou la contamination de l’eau potable en
fixant par exemple le taux de phosphates rejeté par une station d’épuration ou le taux de
plomb de l’eau potable mesuré au robinet. La seconde catégorie de normes vise la
qualité du milieu récepteur en limitant, par exemple, l’accumulation de phosphates dans
le milieu récepteur ou le taux de plomb dans le sang des usagers. La deuxième méthode
est réputée plus rationnelle mais le degré de difficulté de mise en œuvre qui la
caractérise est important. La Direction Environnement de la Commission Européenne
s’efforce ainsi depuis de nombreuses années de combiner ces deux méthodes.
La première série de directives en matière de politique de l’eau en Europe date de la
période 1975-1980 et visait l’ensemble de la pollution organique et chimique de l’eau.
La première de ces directives concerne les eaux de surface, interdisant leur exploitation
8
pour en faire de l’eau potable si elle est trop polluée. Les autres directives (eau de
baignade, eau conchylicole, rejets toxiques industriels, eau potable et eaux souterraines)
fixent quant à elles, des normes d’émission. Dans les années 1980, aucun changement
qualitatif dans la normalisation n’a été opéré, les directives étant plutôt des variantes
découlant de la directive sur les rejets toxiques de l’industrie. Cependant, la fin des
années 1980 a été marquée par un saut « qualitatif » dans la pollution de plusieurs
bassins-versants d’Europe : la baisse de la toxicité liée aux rejets industriels, issue des
directives européennes de la décennie précédente, a abouti à des accidents
d’eutrophisation, c’est-à-dire un excès de nutriments dans l’eau par la combinaison de
nitrates et de phosphates. Dès lors, trois nouvelles directives visant ce problème ont été
lancées au sommet de Francfort de 1989 afin d’augmenter la pression sur les services
publics d’assainissement d’un côté, et sur les agriculteurs de l’autre côté. Les deux
premières directives sont sorties en 1991 : la Directive Eaux Résiduaires Urbaines
(DERU) et la Directive Nitrates Agricoles (DNA). Elles imposent aux Etats membres
d’identifier des zones sensibles ou vulnérables aux problèmes d’eutrophisation et des
normes de rejets sont fixées. [Conesa Allolea, 2003].
La troisième directive devait définir une stratégie de reconquête de la qualité
écologique des rivières. Cependant, cette perspective a suscité un véritable tollé comme
le rappelle Barraqué : « [Mais] d’une part, le projet était dans les mains d’experts en
hydroécologie qui tendaient à partir d’une modélisation sophistiquée de la nature seule
(sans intégrer la pression anthropique, donnée incontournable dans la vieille Europe) ;
d’autre part, plusieurs pays membres ont pensé que la combinaison recherchée de
normes de rejets et de normes visant le milieu les placerait dans une « tenaille
écologique » dont ils ne pourraient sortir que par des investissements massifs ou des
ruptures économiques fortes. La révolte grondant, les consommateurs d’eau européens
s’étant mobilisés, on décida de tout remettre à plat […] » [Barraqué, 2001, p. 2]. Ainsi
naquit le mouvement de réflexion intense qui aboutit à la Directive cadre de 2000,
visant à la reconquête des milieux aquatiques et adoptant une dimension plus
qualitative. Par ailleurs, cette directive s’efforce d’inscrire la gestion de la ressource en
eau et des services publics de l’eau dans une perspective de développement durable.
Qu’est-ce à dire ?
9
Barraqué analyse cela selon ce qu’il appelle les « 3 E » du développement durable :
Economie, Environnement, Ethique. Le projet Eurowater, débuté en 1993, analyse les
enjeux socio-politiques et environnementaux de la gestion de la ressource et des
services de l’eau selon une problématique en « 3 E » qui se détaille de la manière
suivante :
- les modes de financement actuels, et en particulier les factures d’eau lorsqu’il y en a,
permettent-ils de maintenir le patrimoine technique en bon état, une fois l’équipement
initial réalisé ? Cette formulation pose la question de savoir si les Européens sont en
mesure de s’offrir leurs services publics de l’eau à long terme. Cette précision paraît
nécessaire lorsque le terme de full cost pricing, c’est-à-dire de tarification au coût
complet est utilisé par les instances européenne et la plupart des économistes, sans
indiquer si le coût complet prend en compte l’investissement et le renouvellement des
installations. Ceux-ci sont-ils assurés par des emprunts, des amortissements et des
provisions, des subventions ou encore des systèmes de péréquation du genre des
Agences de l’Eau en France ?
- quels investissements supplémentaires faut-il consentir pour améliorer les
performances environnementales et de santé publique des services ? Dans chaque pays
européen, les nombreuses directives sur l’eau potable, l’assainissement, l’épuration, le
milieu aquatique s’ajoutent aux politiques nationales plus anciennes ou plus spécifiques
et se traduisent par des investissements importants. Barraqué prend l’exemple de la
DERU (CEE 271/91) et évalue son coût selon différents pays [Barraqué, 2001, p.3] :
« la DERU a été évaluée à 12,5 milliards d’euros pour les Britanniques, 13 pour les
Français, 28 pour les Italiens et jusqu’à 65 pour l’Allemagne (dont près de la moitié
pour les Länder de l’ancienne République Démocratique d’Allemagne) ». D’autre part,
ne faut-il pas se résoudre à l’idée qu’il faudra subventionner le système de manière
périodique ?
- si tous ces investissements et ces coûts de fonctionnement accrus se répercutent sur le
prix de l’eau, les usagers pourront-ils encore payer et l’accepteront-ils ? Quelle sera
l’attitude des élus, soumis à la pression médiatique ? En France, la dimension
démagogique de leurs discours, face au « racket » auquel seraient soumis les
10
consommateurs, tend à reporter les investissements indispensables à une date ultérieure,
bien après les élections.
Ces trois axes de la pérennité, de la durabilité, de la tenabilité à long terme des
services de l’eau en Europe sont partiellement incompatibles. De ce fait, l’évaluation
des services publics de l’eau s’avère difficile. En effet, le besoin croissant de la maîtrise
de l’avenir de la ressource et des services engendre une spécialisation et un degré
d’expertise qui ne sont pas compatibles avec l’exigence de transparence, de
participation accrue et d’évaluation immédiate des usagers. Nous verrons comment les
attitudes diffèrent en Europe selon les pays : certains opèrent un lissage de l’impact des
investissements sur les factures en concentrant les services publics à une échelle supralocale, voire régionale (Angleterre), d’autres mettent en place des mutuelles ou des
banques de l’eau en faisant payer aux usagers des redevances qu’ils pourront récupérer
sous formes de subventions ou de prêts aidés à certains conditions (Agences de l’Eau
françaises), d’autres encore font gérer plusieurs services publics locaux par la même
entreprise transversale (Stadtwerk ou Querverbund allemand).
Au regard de l’histoire de l’intervention européenne en matière de politique de l’eau
et des enjeux de développement durable qui s’impose à elle aujourd’hui, quelles sont les
ambitions de la Directive Cadre sur l’Eau ? Tout d’abord, en matière d’environnement,
il s’agit d’atteindre, pour chacun des « districts hydrographiques » établis par les Etats
membres, y compris les districts internationaux, un bon état écologique d’ici 2015. Il
s’agit de se rapprocher d’un « état de référence » qui n’est pas nécessairement l’état
naturel d’avant le développement démographique et industriel de l’Europe, mais un état
traduisant un respect affirmé de l’environnement et des écosystèmes. Par ailleurs, en
matière d’économie, l’objectif est de se rapprocher de l’autofinancement des politiques
de l’eau, secteur par secteur, grâce à une tarification appropriée des divers usages,
prenant en compte les coûts environnementaux et les coûts de la ressource, et établir
avant toute chose un bilan du taux de recouvrement des coûts par les recettes. Enfin, en
matière d’éthique, la directive ambitionne de donner la possibilité au public de
participer à l’élaboration des politiques et de lui fournir les informations relatives à
l’économie et l’environnement en ce qui concerne la politique de l’eau, tels
11
qu’envisagés plus haut ( financement, investissement, fréquence du renouvellement des
installations, répercussions sur les prix…).
Pour atteindre ces objectifs au sein d’une politique commune de l’eau en Europe, il
faut inscrire les enjeux de la gestion de la ressource en eau et des services publics de
l’eau dans une perspective de développement durable. Cette démarche implique de se
pencher également sur la question de la régulation en cas de libéralisation des services
de l’eau. En 2000, suite à la communication de la Commission des Communautés
Européennes sur les services d’intérêt général (COM(2000) 580 final), le rapporteur
Langen au Parlement européen a invité les Etats membres à examiner dans quelle
mesure le marché de l’eau pouvait être plus largement ouvert aux capitaux privés.
D’après lui, une ouverture limitée du marché aurait des conséquences positives sur la
sécurité d’approvisionnement, la formation des prix, la protection des nappes
phréatiques et l’environnement. Le Parlement a finalement rejeté les propositions
avancées, préférant opérer un bilan sur l’impact réel de la libéralisation avant d’avancer
plus dans le processus. En parallèle, un autre débat a été engagé avec la communication
de la Commission sur la tarification et la gestion durable des ressources en eau
(COM(2000) 477 final). Cette communication invitait le Conseil et le Parlement à
inciter les autorités nationales et régionales à mettre en place des politiques de
tarification compatibles avec les objectifs de la directive-cadre sur l’eau, c’est-à-dire
inciter les usagers à utiliser les ressources en eau de manière plus durable et de
recouvrer les coûts des services de l’eau suivant les secteurs de l’économie, appelant
ainsi à différencier les usages. Comme le rapporte le Bureau Européen de
l’Environnement [2002], le Comité des Régions avait préconisé dans un avis du 23
juillet 2001, la mise en place d’une agence de l’eau européenne au niveau
communautaire, opérant sous les auspices du Parlement européen en coopération avec
les représentants nationaux, régionaux et locaux. Cet avis n’ayant pas été adopté et le
rapport sur la communication ayant été rejeté par le Parlement, le projet d’une agence de
l’eau européenne est resté lettre morte. Cependant, le processus de libéralisation est
aujourd’hui enclenché et il est fondamental de déterminer le mode de gestion le plus
approprié dans chaque pays, de déterminer des méthodes de comparaison entre services
et des mécanismes de régulation des services, sous peine de ne pouvoir faire face aux
12
investissements et aux adaptations institutionnelles nécessaires à la pérennité des
services de l’eau.
Le rôle des institutions européennes et des décideurs politiques à l’échelle
européenne est donc de dégager une politique de l’eau qui concilie rentabilité
économique, accès universel à l’eau pour tous ses usagers et gestion durable de la
ressource. Cela dépasse le simple cadre de la gestion intégrée telle qu’envisagée à
travers différents modes de gestion de la ressource appliqués par les Etats européens. Il
s’agit de promouvoir une gestion de l’eau qui inclue l’efficacité économique des
services, leur pérennité, leur accès par tous, tout en préservant la ressource que cela soit
en quantité ou en qualité. C’est pourquoi nous défendons ici la mise en place d’une
gestion raisonnée des services de l’eau en Europe.
Pour nous permettre d’évaluer les différents modes de gestion des services de
l’eau et de l’assainissement et de gestion de la ressource afin de déterminer s’ils
s’intègrent dans la logique de libéralisation respectueuse du développement durable
prônée par l’Union Européenne, il nous faut dans un premier temps, revenir sur la
nature du bien « eau ». Bien commun car non-exclusif mais rival, l’eau est aussi un bien
multifonctionnel dont les usages divers peuvent être concurrents. Il s’agira donc
d’envisager les différents modes de tarification employés en Europe pour savoir
comment, et dans quelles mesures elles y parviennent, les autorités publiques s’efforcent
de rapprocher le prix de l’eau de la valeur réelle de l’eau. Afin de prendre tous les
facteurs en considération, il nous faut également envisager les spécificités techniques et
économiques du secteur de l’eau à travers ses caractéristiques particulières d’industrie
en réseau aboutissant traditionnellement à une situation de monopole naturel tout en
ayant des obligations liées à leur statut de service public d’intérêt général. La volonté
d’augmenter la pression concurrentielle pour maximiser l’efficacité économique de ce
secteur nous amènera à détailler la nécessité de réguler le secteur économique de l’eau.
Après avoir ainsi analysé dans une première partie les aspects économiques du bien
« eau » et du secteur de l’eau, nous nous intéresserons dans une deuxième partie aux
différents modèles de gestion des services de distribution d’eau et d’assainissement et
de gestion de la ressource en eau, pour répondre à des questions telles que l’organisation
économique préférable des services, l’échelon territorial de gestion, l’inscription de
cette gestion dans le champ démocratique. Pour cela, nous nous pencherons sur
13
différents Etats tels que la France, le Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles),
l’Allemagne, les Pays-Bas, les Etats méditerranéens : Italie, Espagne et Portugal.
Enfin, face aux impératifs de développement durable posés par l’Union Européenne,
nous nous demanderons quelles réformes devraient être mises en place au sein de la
gestion des services de l’eau afin de garantir la reconquête de la qualité de l’eau dans le
milieu, l’assurance d’une participation accrue du public et la couverture des coûts par
les prix. Nous verrons ainsi dans une troisième partie que pour répondre à ces objectifs,
il faut être en mesure, d’une part, d’évaluer la performance de ces services, de comparer
leurs prestations afin d’augmenter la pression concurrentielle et de régler des problèmes
tels que l’asymétrie d’information au sein des délégations de service public et, d’autre
part, de mettre en place des mécanismes institutionnels de régulation utilisant ces
critères de performance tant à l’échelon national qu’à l’échelon européen avec, par
exemple, la mise en place d’un observatoire européen de la régulation. Ces ajustements
dans la gestion et la régulation des services publics de l’eau et de l’assainissement sont
une étape nécessaire pour atteindre les objectifs que nous avons déjà énumérés :
l’efficacité économique, la garantie d’accès à une eau de bonne qualité par tous, la
pérennité des services et leur légitimité démocratique.
14
I.
Approche économique de l’eau.
A. L’eau : un bien particulier.
En sciences économiques, on a tendance à traiter de la même manière différentes
catégories de biens, utilisant les termes de bien collectif, de bien public, de bien libre, de
bien commun comme des synonymes. Cependant, ces notions ne sont pas
interchangeables et véhiculent des caractéristiques propres à chacune.
Pour bien gérer l’eau et adapter cette gestion aux différents contextes socioéconomiques, géographiques et culturels, la question de la bonne définition de la nature
du bien « eau » est centrale. Par ailleurs, le caractère multifonctionnel des ressources en
eau entraîne des conflits d’usage qui nécessitent une bonne allocation des ressources
afin de garantir efficacité économique et équité.
Au-delà, le financement des services de distribution d’eau potable et
d’assainissement s’opère à travers la rémunération des services et donc le prix payé par
les usagers. Il conviendra d’aborder la notion de coût de l’eau pour déterminer ses
caractéristiques telles que l’absence d’unicité du prix de l’eau, les facteurs faisant varier
ce coût, et les modes de tarification différents utilisés en Europe.
Enfin, nous aborderons les grands principes assurant à la fois pérennité,
efficacité et équité au sein de la structure du prix de l’eau à travers les notions de
pollueur-payeur et de péréquation, qui ont pour objectif de rapprocher le coût
économique de l’eau, assumé par les usagers, de la valeur de l’eau en tant qu’actif
social.
1) Nature économique du bien « eau ».
« Un bien est une chose reconnue apte à la satisfaction d’un besoin humain et
disponible pour cette fonction. » [Menger, 1981].
•
Le paradoxe de l’eau et du diamant.
La place de l’eau en tant que bien est soumise à un paradoxe fondamental déjà
souligné par Adam Smith dans son ouvrage La Richesse des Nations publié en 1776. En
15
effet, utilisant l’exemple de l’eau et du diamant pour établir les concepts de
« valeur d’usage » et de « valeur d’échange », Adam Smith souligne que, bien que l’eau
soit un élément vital à l’être humain lui conférant une forte « valeur d’usage », sa
relative abondance face au diamant implique une faiblesse de sa « valeur d’échange ».
Inversement, bien que le diamant ne soit d’aucune nécessité pour la survie de l’être
humain, sa « valeur d’échange » est largement supérieure à celle de l’eau du fait de sa
rareté. La science économique s’est longtemps satisfait de ce constat que l’on enseigne à
tous les étudiants en première année de micro-économie. Cependant, est-il bien
raisonnable de s’arrêter à un tel paradoxe alors que la question de la gestion de l’eau et
des services de l’eau acquiert aujourd’hui une place centrale au sein des sociétés
contemporaines ?
•
L’eau : un bien naturel rare.
Le paradoxe souligné par Adam Smith a longtemps permis aux sciences
économiques d’exclure l’eau du champ d’analyse économique, arguant que son
abondance relative en faisait un bien libre, c’est-à-dire sans valeur d’échange au sens de
la théorie économique. Pourquoi ? La micro-économie se base sur le concept d’utilité
marginale pour caractériser la demande de biens. L’utilité marginale peut-être définie
comme la satisfaction subjective dégagée par la dernière unité de bien consommée.
L’utilité marginale détermine ainsi la valeur d’échange du bien. Par ailleurs, la
formation du prix d’un bien s’opère par la rencontre entre les coûts de production de
l’offre et l’utilité marginale de la demande [Généreux, 1995].
L’exclusion de l’eau du cadre de l’analyse économique était également issue du fait
que l’on a longtemps considéré que son coût de production était nul. Comme le
soulignait Jean-Baptiste Say lors de ses cours d’économie politique : « Les richesses
naturelles sont inépuisables car sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement.
Ne pouvant être multipliées ou épuisées, alors elle ne sont pas l’objet des sciences
économiques ».
Pourtant, aujourd’hui, il n’est plus possible d’exclure l’eau des considérations
économiques. En effet, l’accroissement de la population et l’augmentation du niveau de
vie et donc de la consommation en eau participent à la baisse de l’abondance relative de
l’eau et contribuent à la pollution de la ressource en eau et des milieux aquatiques. De
16
ce fait, tant quantitativement que qualitativement, l’eau ne peut plus être considérée
comme un bien disponible de manière illimitée.
Le rapport entre l’accroissement démographique mondial et l’augmentation de la
consommation d’eau entre 1955 et 1990 est de deux : si la population mondiale a
doublé, la consommation d’eau a été multipliée par quatre [Givone, 2000]. De ce fait,
l’augmentation de la demande en eau en tant que bien final mais également en tant que
facteur de production induit des problèmes d’allocation des ressources, faisant de l’eau
un bien naturel rare au sens de la théorie économique. Comme le rappelle Hugon
[2002], le caractère économique d’un bien est lié à quatre conditions : la connaissance
ou la prévision du besoin humain, la propriété objective de la chose qui la rend apte à
satisfaire le besoin, la connaissance de cette aptitude et la disponibilité de la chose.
Suivant cette position doctrinaire, d’après Robbins, un bien économique est un bien rare
pour lequel plusieurs utilisations alternatives sont possibles [Robbins, 1947]. Ainsi, la
définition de bien économique s’opère à travers les principes de rareté et de choix, mais
également de besoin.
Cette précision quant à la définition de bien « économique » nous permet de
distinguer ce type de bien de celui de bien « marchand ». La rareté d’une ressource
entraîne une concurrence dans ses usages et donc des rivalités de consommation. Cette
compétition ne valorise pas la ressource que par les prix. Les déterminants de choix des
usagers de la ressource peuvent être autres que les règles de l’offre et de la demande,
tels que la nécessité dans le cas de l’eau [Taithe, 2001]. De ce fait, dans la mesure où
l’élasticité de la demande en eau est, par nécessité vitale, réduite, l’eau est un bien
économique et non un bien marchand.
Ainsi, l’évolution progressive de la place des ressources en eau dans la théorie
socio-économique en fait désormais non plus une ressource naturelle illimitée,
inépuisable mais un bien économique rare et non marchand [Calvo-Mendieta, 2005].
•
L’eau : bien public ou bien privé ?
La notion de « bien public » est utilisée de manière assez chaotique par la littérature
économique. Nous nous intéresserons donc ici à la caractérisation formelle des biens et
non à leur régime de propriété. Rappelons que les conséquences sur la gestion d’un bien
17
ou d’une ressource seront différentes selon le système d’allocation des droits d’usage ou
de propriété défini sur le bien ou la ressource en question.
Le besoin de s’organiser collectivement afin de produire des services nécessaires
à la collectivité, la société prise dans son ensemble, bien qu’il soit coûteux de les
subventionner individuellement, était déjà évoqué par Hume dans son Traité sur la
Nature Humaine, en 1739. Cependant, la théorie des biens publics est, par tradition,
attribuée à Samuelson dans son article fondateur de 1954 [Cornes et Sandler, 1996, cité
par Calvo-Mendieta, 2005 ].
Samuelson commence son article en distinguant explicitement deux catégories de biens
:
« des biens de consommation privée ordinaires (X1, …, Xn) qui peuvent être distribués
parmi différents individus (1, 2, …, i, …, s) selon les relations ; et des biens de
consommation collective (Xn+1, …, Xn+m) dont tous bénéficient en commun dans le
sens où la consommation de chaque individu de ce type de bien n’implique aucune
réduction dans la consommation de ce bien d’un autre individu, de telle sorte que Xn+j
= Xin+j simultanément pour chaque individu i et chaque bien de consommation
collective » [Samuelson, 1954, p. 387].
Aujourd’hui, les définitions actuelles définissent différentes catégories très distinctes de
biens : les biens publics purs, les biens publics impurs ou mixtes et les biens privés.
Des biens sont des biens publics purs lorsqu’ils remplissent deux conditions
cumulatives :
la non-exclusion : un bien est non-exclusif lorsqu’il est accessible par
tous, sans qu’il soit possible pour une personne d’empêcher d’autres d’y
avoir accès, si ce n’est en assumant un coût élevé.
la non-rivalité : la consommation d’une unité de bien par une personne
ne prive pas une autre personne de la consommation de cette même unité
de bien. Dès lors que la consommation d’une unité de bien par un
18
individu élimine totalement le bénéfice que d’autres individus auraient
pu tirer de cette unité, on parlera de rivalité dans la consommation.
Les biens peuvent être classés de la manière suivante suivant les critères d’exclusion et
de rivalité :
Tableau 1 – Classification des biens selon les critères d’exclusion et de rivalité.
Rivalité
Non-rivalité
Exclusion
Biens privés
Biens de club
Non-exclusion
Biens communs
Biens publics purs
Source : Calvo-Mendieta [2004, p56]
Stiglitz définit de la manière suivante le bien collectif (public) pur : « un bien collectif
est un bien tel que l’extension de son bénéfice à une personne supplémentaire a un coût
marginal nul et tel que l’exclusion d’une personne supplémentaire a un coût marginal
infini » [Stiglitz, 2000, p. 132].
A l’inverse, les biens privés sont à la fois exclusifs et rivaux car leur jouissance est
réduite à un ou plusieurs agents et la consommation du bien par certains prive les autres
de la jouissance du même bien. On classe ainsi traditionnellement les vêtements ou la
nourriture dans les biens privés, mais l’éclairage public ou l’enseignement dans les
biens publics purs.
Néanmoins, il existe des situations intermédiaires occupées par les biens publics impurs
et au sein desquelles les bénéfices sont partiellement rivaux et/ou exclusifs. Soit les
biens publics impurs sont dotés de ces deux caractéristiques, mais moins fortement que
les biens purement publics, soit ils ne sont dotés que de l’une des deux caractéristiques.
Par conséquent, on peut définir ces types de biens selon deux catégories : les biens de
club [Buchanan, 1965 ; Buchanan et Musgrave, 1999] qui sont uniquement non-rivaux
et les biens communs qui sont rivaux et non-exclusifs [Ostrom, 1990].
Ainsi, l’éventail de natures de biens ne se compose pas uniquement de deux pôles
totalement opposés que seraient les biens publics purs et les biens privés. Le panel est
plus large, incluant des biens intermédiaires reflétant les situations plus courantes au
19
sein desquelles les biens sont dotés, soit à un degré moins important des deux attributs
d’exclusion et de rivalité, soit ne sont dotés que d’un d’entre eux.
La caractéristique de rivalité renvoie également à la notion d’« effets
d’encombrement », c’est-à-dire la situation où la consommation d’un individu réduit la
qualité du service disponible aux autres. En effet, la satisfaction retirée par un agent
économique de la jouissance d’un bien donné peut être fonction du nombre d’individus
qui consomment ce même bien (on pensera ici aux autoroutes et leurs embouteillages
traditionnels en période de départ en vacances).
En outre, la caractéristique de non-exclusion implique dans de nombreux cas le
désengagement des individus vis-à-vis de la production ou du financement du bien. On
évoque ici le comportement de « cavalier libre » ou de « passager clandestin » (« free
rider ») [Buchanan, 1969]. En effet, si on accepte le principe de rationalité individuelle
(largement remis en cause par Smith au sein d’expériences en économie expérimentale
[Smith, 1992]), chaque individu a, a priori, intérêt à cacher son utilité quant à la
consommation d’un bien afin de reporter son financement sur les autres et en bénéficier
tout de même lorsque sa construction sera terminée. Pourtant, un paradoxe apparaît ici :
si tous les agents se comportent de la même manière, alors le bien ne sera pas produit ou
sera mal produit [Picard, 1998 ; Olson, 1966]. Ce dilemme est levé par Wicksell qui
propose que les décisions relatives à la production des biens publics soient prises à
l’unanimité : « Il lui [à l’individu tenté de se comporter en passager clandestin] est
donc impossible d’être cavalier libre : s’il refuse un accord, il ne peut espérer que les
autres le passent malgré tout, c’est-à-dire qu’il ne pourra plus obtenir de bénéfices sans
supporter les coûts correspondants » [Buchanan, 1969, p. 72].
La théorie économique s’accorde pour reconnaître le caractère non-exclusif des
ressources en eau, mais pas celui de non-rivalité d’usage. En effet, l’exemple d’une
surexploitation d’une nappe phréatique ou l’utilisation d’un cours d’eau comme égout
par certains acteurs prive les autres agents économiques de la jouissance de la nappe
dans le premier cas et de la rivière dans le second.
20
•
L’eau : un bien commun.
L’appréciation des caractères de non-exclusion et de non-rivalité concernant les
ressources en eau place ces dernières dans la catégorie des biens communs [Ostrom,
1990]. En effet, les développements théoriques tirés de la difficulté d’exclusion sont
applicables tant aux bien publics purs qu’aux biens communs. On remarque justement
que le «comportement de « passager clandestin » est commun aux biens publics et aux
biens communs puisque l’importance des coûts d’exclusion est élevée dans les deux cas
(il serait très coûteux à un individu d’exclure un autre individu de la jouissance de la
défense nationale par exemple). En l’occurrence, dans le domaine de l’eau, il pourrait
être tentant pour un individu de cacher son besoin en eau courante pour ne pas avoir à
financer l’installation d’un réseau d’eau potable. Cependant, il serait extrêmement
coûteux aux autres agents d’exclure cet individu de l’accès à une fontaine publique par
exemple. En revanche, les « effets de surutilisation », que l’on ne retrouve pas dans le
cas des biens publics purs, sont chroniques dans le cas des biens communs. On pensera
ici aux eaux souterraines, rivières et autres zones humides pour lesquelles les effets
d’encombrement sont inhérents à leur utilisation.
Comme le rappelle pertinemment Calvo-Mendieta, les délimitations entre les différents
types de biens peuvent évoluer du fait de facteurs variés : « […] la définition de ces
« biens de consommation collectifs » ou « biens publics » n’a rien de permanent,
puisqu’elle évolue selon de nombreux paramètres : la technologie (une consommation
auparavant non-exclusive peut devenir exclusive, et vice versa), les contraintes de
chaque société, les activités économiques, l’environnement juridique, la rareté du bien
(qui peut accélérer la rivalité et les conflits d’usage), la situation géographique… »
[Calvo-Mendieta, 2005, p. 36].
De ce fait, les critères d’analyse que sont la non-rivalité et la non-exclusion, ne sont pas
des catégories qui découlent de soi, mais bien des constructions socio-historiques. De
plus, on distingue des effets d’échelle dans la catégorie de chaque bien : le degré
d’exclusion peut varier suivant la taille du « club » (local, régional, national…), la
proximité géographique, la culture, la situation économique. Enfin, le degré de rivalité
est apprécié par chaque individu et est donc lié à la perception subjective des agents qui
évaluent la relativité de la rareté du bien et la possibilité de choix alternatifs.
21
On s’aperçoit par conséquent que les critères permettant d’identifier les biens ne sont
pas figés dans le cas de l’eau. Si certains individus peuvent produire de l’eau potable,
cela crée automatiquement une exclusion pour ceux qui n’auront qu’un accès à une eau
polluée ; mais si l’ensemble des acteurs d’un secteur hydrographique s’entend pour
maîtriser la pollution, le critère de rivalité en matière de ressource en eau perd son sens
[Taithe, 2001].
Enfin, il ne faut pas confondre usage et propriété. Un bien public pur n’est pas la
propriété de tous mais un bien qui peut être consommé par chacun, sans qu’aucun ne
soit exclu de sa jouissance pour cette raison. Cependant, la logique d’appropriation peut
différer suivant le degré de rivalité ou d’exclusion : « Considérer un bien public […]
comme un bien en libre accès […] ou en propriété publique a d’importantes incidences
sur la perception du bien public par les consommateurs et leurs stratégies de gestion »
[Taithe, 2001].
Ainsi, si la ressource en eau est considérée comme suffisamment
abondante, elle pourra être gérée individuellement, mais si elle se raréfie et que la
rivalité et les conflits d’usage augmentent, alors il peut être pertinent d’engager une
approche plus collective de sa gestion.
En somme, la Directive Cadre sur l’Eau de l’Union Européenne tend à retenir la
définition présentée ici, à savoir que « l’eau n’est pas un bien marchand comme les
autres ». L’eau est un bien non marchand public impur : un bien commun. Dès lors, il
convient d’évaluer les difficultés résidant dans la définition d’un régime de propriété
pour une ressource multifonctionnelle, qui déterminera son système d’allocation et de
gestion.
2) Multifonctionnalité des ressources en eau.
L’eau a la capacité de remplir des fonctions variées en rendant un large panel de
biens et de services auprès de multiples usagers. Si la notion de multifonctionnalité a été
bien développée en économie rurale pour caractériser l’économie agricole (sécurité des
approvisionnements, solidarité envers une catégorie de la population, sécurité
alimentaire, stabilité des prix et des marchés agricoles, préservation de l’emploi et
entretien des campagnes…) [Blanchemanche et al., 2000], celle de la ressource en eau
22
n’a pas été abordée de cette manière, réduisant ainsi le prisme à travers lequel
l’exploitation de la ressource est analysée.
Généralement, on recense trois utilisations de l’eau : l’usage domestique, l’usage
industriel et l’usage agricole. Cette catégorisation permet d’avoir une approche assez
globale et synthétique des trois usagers principaux, permettant de conceptualiser plus
facilement les consommateurs d’eau. Pourtant, il est superficiel de s’arrêter à cette
distinction simplifiée dans la mesure où il existe une diversité réelle des usages qui est
bien souvent à l’origine des problèmes d’appréhension et de gestion de la ressource.
L’eau est en mesure d’assurer diverses fonctions telles que biologiques, hydrologiques,
etc… Celles-ci ne sont pas immuables et peuvent prendre des formes diverses en
fonction du contexte géographique, des pratiques industrielles, agricoles, urbaines, etc…
[Calvo-Mendieta, 2005]
Le tableau 2 récapitule la diversité des usages et des usagers de l’eau, leurs différents
niveaux et les situations de conflits potentielles, afin de rendre compte de la dimension
multifonctionnelle de la ressource.
23
Tableau 2 – Multifonctionnalité des ressources en eau
Biens et services
Types d’usages
Environnement vivant Nourriture, reproduction
Conflits potentiels
Hydroélectricité, épuration d’eau,
activités polluantes
Production
Drainage
Organismes vivants, protection de la
nature
Production
Production d’eau minérale
Activités polluantes, usages exigeant
une qualité forte
Production
Energie
Infrastructures de loisirs et touristiques Protection de la nature, usages de
(piscines, neige artificielle…)
consommation (quantité)
Production hydroélectrique
Protection de la nature (débit
minimal, purges)
Epuration d’eau
Epuration (ménages, industries,
Hydroélectricité, organismes vivants,
agriculture)
santé, récréation, tourisme, protection
de la nature
Support
Navigation
Hydroélectricité, agriculture
Support
Extraction de gravier (carrière)
Récréation, tourisme, protection de la
nature, organismes vivants
Support
Pêche
Hydroélectricité, protection de la
nature, industrie, activités polluantes,
Loisir
Paysage
Activités avec impact spatial,
extraction de gravier
Loisir
Sport
Activités avec impact spatial,
extraction de gravier, pêche
Usage médical
Cures d’eau
Protection
Protection contre hasards naturels
Hydroélectricité, protection de la
(inondation, coulée de roches)
nature
Source : EUWARENESS Project [Bressers et Kuks, 2004].
24
Du fait de cette multifonctionnalité, le bien « eau » intervient dans la fourniture d’une
multitude de biens et de services qui entrent souvent en concurrence et peuvent même
être incompatibles. Cependant, les biens environnementaux ne sont pas homogènes car
les usages multiples que l’ont peut en faire nécessitent l’existence et le maintien de
différentes caractéristiques qui leur sont propres. Dès lors se dessine l’interdépendance
entre les usages de l’eau : une action qui favorise un usage donné peut s’accompagner
de préjudices pour une autre [Pillet et Baranzini, 1993]. De fait, les usagers sont
également interdépendants.
Par ailleurs, l’eau a un fort ancrage territorial. L’utilisation de l’eau et son analyse ne
peuvent s’opérer en-dehors de ce contexte géographique, institutionnel, socioéconomique, naturel…
3) Financement et coût de l’eau.
•
Le coût de l’eau en France.
Les services d’eau potable et d’assainissement engendrent des charges
d’investissement et de fonctionnement (réseaux, captage, transport, stockage, traitement,
assainissement). Cependant, le prix de l’eau n’est pas unique. Le coût de l’eau varie
entre zones géographiques et usagers. De ce fait, des mécanismes de péréquation entre
consommateurs et entre territoires peuvent exister. En France, la règle générale (cf art.
13-II de la loi sur l’eau de 1992) est que toute facture d’eau comprend un montant
calculé en fonction du volume réellement consommé par l’abonné à un service de
distribution d’eau et peut, en outre, comprendre un montant calculé indépendamment de
ce volume, compte tenu des charges fixes du service et des caractéristiques du
branchement. La tarification au forfait reste dérogatoire. Elle est par exemple possible
pour les petites communes selon certaines conditions prévues par les textes. Dans son
rapport sur le financement et le coût de l’eau, Yves Tavernier [2000] souhaite maintenir
la partie fixe du prix de l’eau mais sous réserve que sa composition soit encadrée et
limitée à certains éléments tels que les frais de tarification et de compteur et
l’amortissement des investissements. La formation du prix dans chaque commune varie
en fonction de conditions physiques et géographiques (la densité du réseau naturel s’il
en existe un, sa proximité, sa qualité, son volume, sa régularité), en fonction aussi de
25
l’âge des installations, du choix du mode de gestion du service public de l’eau et de
l’assainissement.
Les redevances sont nombreuses et variables :
- le produit de la redevance de pollution (domestique, industrielle ou agricole) en vertu
du principe du pollueur-payeur est la ressource principale des agences de l’eau en
France. Ce produit est principalement utilisé pour subventionner des investissements
communaux destinés à améliorer les ressources ou à traiter les eaux usées. Il sert
également à financer des aides destinées aux secteurs industriel et agricole. Une
redevance ressource, est due par toute personne, publique ou privée, qui soustrait de
l’eau au milieu naturel par captage de ressource, pompage d’eau en rivière ou en nappe.
D’ailleurs, le système de fixation de l’assiette et du taux de redevances est estimé
anticonstitutionnel puisque normalement seul le législateur peut le déterminer et non pas
les agences de l’eau elles-mêmes comme le prévoit l’article 18 de la loi du 16 décembre
1964.
- la taxe prélevée par le Fonds National de Développement des Adductions d’Eau
(FNDAE) dont la mission est d’apporter aux communes rurales une aide financière pour
leurs travaux d’alimentation en eau potable et d’assainissement.
- la taxe VNF (Voies Navigables de France) n’est pas acquittée par toutes les
communes, mais en fonction du volume prélevé et rejeté dans les voies navigables.
- la TVA s’applique pour toute fourniture d’eau par un réseau d’adduction.
A partir des années 1990, le prix de l’eau en France a fortement augmenté avec
une grande disparité relevée d’une commune à l’autre, notamment par une enquête de la
DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la
Répression des Fraudes) : on estime cette augmentation à environ 50%, principalement
du fait de l’assainissement et de l’épuration et non pas de la distribution d’eau potable
[Barraqué, 1998]. Aujourd’hui, les collectivités locales doivent faire face à de nouveaux
enjeux tels que : un contrôle accru de leurs services de l’eau, une réelle transparence
26
dans la formation des prix, dans la gestion des contrats de délégation de service public,
une réduction des disparités des prix entre communes, l’information et la consultation
des usagers sur les prix au regard des prestations fournies.
Graphique 1 - Composition du prix de l'eau en France en 2000
(en moyenne)
Taxes (dont
5,5% de TVA)
10%
Agences
17%
Fourniture du
service
42%
Epuration
31%
Fourniture du service
Epuration
Agences
Taxes (dont 5,5% de TVA)
Source des données statistiques : http://www.vie-publique.fr/documents-vp/agences_eau.shtml
•
Formation du prix de l’eau dans différents pays européens.
La directive cadre sur l’eau que nous avons déjà évoquée impose que le prix de l’eau
doit permettre une gestion durable de la ressource et doit couvrir les différentes
composantes des coûts. Il s’agit de la doctrine du full cost pricing, de la couverture
complète des coûts. Par ailleurs, comme de tradition en économie, les prix doivent
servir de signal quant à la rareté et la raréfaction de la ressource : les prix sont donc
utilisés comme outil de gestion de la demande. Les pays étudiés ci-après appliquent
autant que faire se peut une tarification binôme, c’est-à-dire une tarification intégrant
une partie forfaitaire et une autre partie proportionnelle au volume consommé.
27
Dans son article, Louis Job étudie la formation des prix dans différents pays
européens et examine s’ils répondent aux principes de la directive européenne
2000/60/CE [Job, 2006].
Tableau 3 - Récapitulatif du prix de l’eau dans les pays étudiés à la fin des années
1990.
Pays (année de
l’enquête)
Prix pour
Prix pour le
service de
service
distribution
d’assainissement
d’eau potable
(en euros)
Montant total
3
Taux
(en euros / m )
d’accroissement réel
(en euros)
France (1996)
0,80
1,19
1,99
+7% sur 1991-96
Italie (1996)
0,404
0,267
0,67
+2% sur 1992-98
Pays-Bas (1998)
1,316
1,63
2,95
+4,6% sur 1990-98
Angleterre
1,27
1,49
2,76
+2% sur 1994-98
et
Pays de Galle
(1998/99)
Source : Job Louis, 2006, Organisation sectorielle et tarification de l’eau potable dans quelques
pays de l’Union Européenne, Laboratoire C3ED, UVSQ, d’après les données de l’OCDE (1999).
France
Selon les données de l’enquête IFEN-SCEES, la consommation moyenne d’eau
potable en France facturée aux abonnés était de 162 litres par jour par habitant en 2001.
La situation de monopole naturel qui est caractéristique du secteur de l’eau et que l’on
retrouve de manière extrêmement marquée en France s’exprime à travers la forte
concentration régnant sur le marché de la délégation des services d’eau et
d’assainissement. En effet, selon le Conseil de la Concurrence, en 2000, Véolia-Water
détenait 51% de la part des abonnés desservis, Suez détenait 24% et SAUR-Bouygues
13% et leurs filiales communes 10%, soit au total 98% du marché.
En France, le prix de l’eau correspond au prix payé par l’usager pour la distribution et
pour l’assainissement collectif pour une consommation de référence de 120 m3. Etant
28
fixé au niveau communal, le prix de l’eau est très hétérogène dans l’ensemble de la
France [IFEN, 2004].
D’après les données regroupées par Job, la facture moyenne s’est élevée à 325,2 euros
en 2001 pour une consommation de référence de 120 m3, soit 2,71 euros / m3 selon la
ventilation que nous avons exposée plus haut (graphique 1).
Tableau 4 - Evolution du prix du mètre cube d’eau potable.
2000
2001
2002
2003
2004
1,7
1,3
3,5
1,9
2,9
1,6
1,6
1,8
1,8
1,7
3
Prix moyen du m d’eau potable en
euros
Effet spécifique de l’inflation au
domaine de l’eau
Source :BIPE-SPDE,2005.
Italie
La consommation moyenne en 1999 en Italie s’élevait à 201 litres par jour par
habitant [ISTAT1, 2005]. En matière de tarification des services de distribution d’eau
potable et d’assainissement, la méthode, définie par le décret du 1er août 1996, est
inspirée du système anglais puisqu’il correspond à l’application de la régulation de type
price cap (prix plafond). Le Comité de Vigilance, l’autorité de régulation du secteur de
l’eau, a fixé le tarif de référence à :
Tn = (C + A + R)n-1 . (1 + П + K)
Ici, C désigne les coûts de fonctionnement, A l’amortissement, R la rémunération du
capital investi, П le taux d’inflation, K un coefficient de majoration du prix et les
indices correspondent aux années.
Cette formule rappelle la célèbre relation : RPI – X ; où RPI exprime le Retail Price
Index, c’est-à-dire l’inflation et la productivité moyenne de l’économie, tandis que X
traduit l’inflation et la productivité du secteur particulier relativement à la tendance
1
Institut Centrale di Statistica
29
économique. Pour les utilisations domestiques, la tarification retenue est définie au
niveau de l’ATO2, apparaissant en quelque sorte comme un niveau de régulation, et elle
est ici aussi de type binôme avec une partie fixe et une partie calculée en fonction de la
consommation volumétrique, avec des tranches croissantes et en distinguant la partie
distribution d’eau, collecte et assainissement.
Par exemple, au niveau de l’ATO « Basso Valardano », pour 2005, le tarif normalisé a
été fixé à 1, 328 euros avec un coefficient de majoration K compris entre 4,6% et 5%.
Malgré le caractère innovant de la loi Galli (cf partie II), son application incomplète a
entraîné une insuffisance des résultats obtenus et des incohérences entre les différents
niveaux d’organisation [Massarutto, 2001].
Pays-Bas
La consommation moyenne d’eau potable s’élevait à 126 litres par jour par
habitant en 2001 et la consommation d’un ménage a été normalisée à 130 m3 par an. La
production et la distribution de l’eau potable sont actuellement assurées par quinze
compagnies dont les actions sont détenues par les provinces et les municipalités.
Les prix de l’eau potable aux Pays-Bas résultent de l’application de la tarification
binôme et la facture annuelle moyenne d’eau potable pour un ménage s’élève à 210
euros et le prix moyen pour les services de distribution et d’assainissement d’un mètre
cube d’eau potable pour un ménage qui consomme moins de 300 m3 par an était de 2,44
euros par m3 en 2001[Job, 2006].
2
Ambito Territoriale Ottimizzato
30
Tableau 5 - Evolution du prix moyen uniquement pour la distribution d’un mètre cube
d’eau potable.
2000
2001
2002
2003
2004
1,35
1,40
1,40
1,40
1,42
1,57
1,62
1,63
1,63
1,63
Prix moyen HT du m3 d’eau potable en
euros par un ménage (consommation
inférieure à 300 m3 par an )
Prix du m3 TTC d’eau potable
3
(consommation inférieure à 300 m par
an)
Source :VEWIN
Les prix du mètre cube d’eau potable varient selon les régions, et donc selon les
compagnies, et comportent une partie qui concerne la distribution d’eau potable et une
partie pour la collecte et l’assainissement des eaux usées. Pour la distribution, on
retrouve : une partie fixe, une partie selon le volume consommé, les taxes directes
(14%) qui comprennent la taxe nationale sur les eaux souterraines, la taxe provinciale
sur les eaux souterraines, une partie pour l’entretien des équipements d’adduction et les
taxes indirectes (19%) qui comprennent la taxe sur l’eau du robinet, la TVA de 6% sur
la taxe de l’eau du robinet et la TVA de 6% proprement dite.
Pour l’assainissement, la tarification correspond au versement de différentes taxes
versées aux municipalités et aux Waterschappen (water boards). Ces dernières s’élèvent
d’une part à 33 euros par an pour un ménage de trois personnes et à un versement de
150 à 180 euros par an et par ménage pour la pollution de l’eau.
En 2001, le prix moyen de l’eau potable s’élevait à 1,62 euros par mètre cube, pour un
coût moyen total de 1,31 euros par mètre cube qui résultait des coûts de fonctionnement,
des frais de patrimoine, des amortissements et des taxes [VEWIN, 2004].
Les coûts et les prix, mentionnés à titre indicatif, varient selon les compagnies et les
régions. Cela apparaît à travers les quelques exemples qui figurent dans le tableau
suivant et les informations doivent être traitées avec prudence.
31
Tableau 6 – Variation des prix et coûts suivant les compagnies et les régions.
Compagnie
Compagnie
Compagnie
WGRON (city
PWN
Hydron-MN
de Groningen)
Compagnie Compagnie
WMD
WML
(province de
(province
Drenthe)
du
Limburg)
Coûts moyens/m3
0,99
1,57
1,19
1,18
1,46
1,36
1,65
1,20
1,23
1,51
(en euros)
Prix* du m3 (en
euros)
Source : VEWIN, 2003.
* TVA et taxes sur l’eau du robinet exclues.
Job relève que les performances des opérateurs du secteur de l’eau sont considérées
comme bonnes et que l’organisation adoptée aux Pays-Bas est appréciée de la
population.
Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles)
En 2005, la consommation moyenne d’eau potable était de 155 litres par jour par
habitant.
Du point de vue des principes de tarification issus de la privatisation du secteur en 1989,
il convient de citer la recherche de la concurrence entre les opérateurs, la gestion des
quantités demandées d’eau potable à travers l’utilisation de la tarification, l’incitation à
l’acquisition de compteurs d’eau et l’absence de TVA sur l’eau potable consommée. En
pratique, le prix de l’eau est fixé par le Directeur général de l’organisme de régulation
(OFWAT) qui cherche à favoriser le développement de la concurrence entre les firmes
privées en utilisant la méthode du prix-limite qui se présente comme un substitut à la
concurrence. Cette méthode, encore nommée price cap, s’écrit RPI +/– K et l’incitation
à la concurrence est traduite par la formule rencontrée dans le cas italien : RPI – X.
La présence d’un facteur K correspond au taux de variation (positif ou négatif) annuel
qui majore ou minore le taux d’inflation décidé par le régulateur que les compagnies
vont appliquer à leurs factures afin de pouvoir financer leurs services et leurs
32
obligations légales. Ce prix plafond devra donc prendre en compte les dépenses en
capital que doivent obligatoirement effectuer les firmes notamment pour améliorer
l’environnement [OFWAT, 2003]. En fait, les prix limites sont établis par le régulateur
et imposés aux compagnies privées pour des périodes quinquennales. Pour la période
2000-2005, le facteur K des différentes compagnies a été arrêté en 1999 et en novembre
2004 pour la période 2005-2010. Par exemple, le taux d’accroissement moyen des
montants des factures a été fixé à 1,9%, inflation exclue, pour l’année 2003-2004.
Ainsi, les montants moyens autorisés des factures d’eau potable, pour l’ensemble
des acteurs de la branche, et au taux de change livre sterling/euro en vigueur en 2002,
étaient de 170,4 euros pour 2002-2003 et de 176,7 euros en 2003-2004. Pour
l’assainissement, ces montants se sont élevés à 192,7 euros et 199 euros.
Au total, les factures étaient de 363,1 euros pour 2002-2003 et de 375,7 euros pour
2003-2004 et de 390 euros pour la période 2004-2005.
Contrairement aux valeurs figurant ci-dessus et qui intègrent un effet du taux de change,
le montant des factures a, en fait, plutôt baissé à partir de l’année 2000 [Job, 2006].
En mai 2004, dix compagnies étaient présentes à la fois sur les métiers de la productiondistribution et de l’assainissement de l’eau (Water & Sewerage Companies : WaSCs) et
quinze compagnies plus petites spécialisées uniquement dans la production-distribution
d’eau potable (Water only Companies : WoCs) [OFWAT, 2004]. Avec ce système de
prix plafonnés, la concurrence entre les compagnies passe par la recherche d’une
rationalisation des coûts.
Pour l’ensemble des opérateurs de la branche, les coûts moyens de distribution de l’eau
potable sont composés des coûts de fonctionnement, des coûts d’entretien des
équipements et des coûts du suivi de la clientèle et ils sont approximativement stabilisés
aux alentours de 0,20 euros par mètre cube [OFWAT, 2005]. Les coûts entre les
compagnies diffèrent évidemment, et en interprétant ces informations avec prudence,
Job indique à titre d’illustration pour l’année comptable 2003-2004 les coûts unitaires
en euros par mètre cube d’eau distribuée et assainie.
33
Tableau 7 – Coûts unitaires par mètre cube d’eau distribuée et assainie.
Anglian
Coût
unitaire
Thames Water United Utilities
Wessex
0,208
0,178
0,221
0,202
0,35
0,15
0,28
0,25
0,558
0,328
0,501
0,452
en euros pour
l’eau distribuée
Coût
unitaire
en euros pour
l’eau assainie
Total
Source : Job, 2006, calculs d’après les données de l’OFWAT, 2005.
Le contrôle de la formation des coûts des services d’eau distribuée et d’assainissement
se traduit sur la facture qui va être payée par le client, lui-même encouragé à surveiller
sa consommation et, par conséquent, à s’équiper de compteurs d’eau. Malgré cette
incitation, on remarque que la proportion de ménages équipés de compteurs s’élevait
approximativement à 25% en 2003-2004 et à 26% en 2004-2005. La tarification de
l’eau étant binôme, lorsque le ménage ne dispose pas de compteur, le prix est composé
d’une partie fixe, calculée à l’année et d’une partie variable basée sur la valeur locative
de l’habitation et affinée en fonction de la zone et du nombre de pièces du logement
(rates).
Pour l’année comptable 2003-2004, les comparatifs des prix par mètre cube en euros
pour la distribution et l’assainissement selon des consommations de 60, 110 et 160
mètres cubes indiquaient :
Tableau 8 – Paliers de tarifications suivant le volume consommé.
Anglia
Southern
Thames Water
60 mètres cubes (en euros)
4,07
4,31
2,89
110
mètres
cubes
(en
3,62
4,03
2,29
cubes
(en
3,33
3,93
2,05
euros)
160
mètres
euros)
Source : Job, 2006, calculs d’après les données de l’OFWAT, 2004.
34
La disparité des prix des mètres cubes est confirmée et l’on constate la présence de
paliers dégressifs lorsque les volumes consommés augmentent. Ce phénomène est
logique du point de vue de la rationalisation de la production mais assez contraire au
principe de gestion durable et de préservation de la ressource en eau.
Ainsi, nous avons décrit avec détails les caractéristiques tarifaires de quatre pays
(France, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni) et nous avons pu mettre en évidence que si
tous les pays ont adopté des principes communs de gestion de l’eau et une structure
binôme dans la facturation, l’utilisation de compteurs individuels n’est pas généralisée
et les spécificités nationales l’emportent sur les caractères communs. Il faut souligner ici
le fait que les différences de tarifs (qui peuvent être importantes : le coût moyen de l’eau
distribuée est de 0,21 euros par mètre cube au Royaume-Uni contre 1,28 euros par mètre
cube aux Pays-Bas, soit un niveau six fois plus élevé) ne permettent pas de tirer de
conclusion quant à l’efficience des services de l’eau dans les différents Etats. Cette
évaluation doit être opérée à travers la mise en place de critères de performance, thème
que nous aborderons dans la troisième partie de notre travail. Enfin, et cette remarque,
bien qu’évidente, est pourtant fondamentale, la tarification de l’eau, le prix qui lui est
attribué afin de couvrir les coûts liés à l’exploitation des services de distribution d’eau
potable et d’assainissement ne saurait représenter la valeur de l’eau en tant que bien
commun, de bien vital, indispensable à la vie humaine. Cette distinction est majeure
dans la mesure où elle permet de mettre en perspective la nécessité de préserver la
ressource et de la gérer, ainsi que les services qui l’acheminent et la traitent, avec
prudence et raison.
4) Coût et péréquation.
Au-delà de faire porter les coûts de la pollution sur le pollueur et de couvrir la
totalité des coûts, la pérennisation de la ressource en eau et des services de l’eau et
d’assainissement passe également par un système de péréquation. En effet, étant donné
que le prix de l’eau est essentiellement déterminé par des investissements importants à
long terme, si les services sont gérés localement dans un souci de démocratie et de
subsidiarité, la péréquation représente une nécessité économique. Barraqué opère une
typologie selon quatre types de péréquation [Barraqué, 1998].
35
•
La péréquation spatiale.
Le modèle de référence en l’occurrence est le modèle anglais caractérisé par une
forte centralisation. L’Angleterre et le Pays de Galles ne comptent que trente
distributeurs d’eau, et les prix sont lissés entre des usagers géographiquement très
éloignés et placés dans des situations différentes. Les libéraux anglais militent, de ce
fait, en faveur d’une tarification au coût complet. L’Italie semble emprunter la même
voie que l’Angleterre avec une volonté de centralisation importante. En France et aux
Pays-Bas, les concentrations se font volontairement au niveau local entre entités
gestionnaires. En France, les groupes privés peuvent gérer des contrats différents dans
une même région, avec un grand nombre de communes, alors même qu’ils appliquent
les mêmes moyens techniques et en personnel. En conséquence, il paraît impossible de
répondre à l’exigence imposée par le législateur, à savoir un compte-rendu financier
annuel par commune. Dans d’autres cas, comme en Italie ou dans le Sud de la France,
des transferts d’eau sont réalisés à distance, payés ou bénéficiaires de larges subventions
des pouvoirs centraux. Une autre possibilité est la création d’entités régionales
d’économie mixte comme l’a fait le Portugal, voire des syndicats de péréquation
financière au niveau du département dans certains départements français.
•
La péréquation sociale.
La péréquation sociale peut prendre des formes différentes suivant l’échelon
territorial auquel elle est appliquée. En France, tous les usagers payent une petite
redevance permettant de subventionner le développement des adductions d’eau à la
campagne, au nom de ce que la faible densité de population y impliquait des coûts
d’investissement per capita plus importants. Cette péréquation s’opère au niveau
départemental pour rééquilibrer l’investissement entre zone urbaine et zone rurale.
L’aspect fondamental de la péréquation sociale se retrouve dans le mode de paiement
des services, suivant qu’il se fait par le paiement des impôts ou en fonction des volumes
consommés. En effet, de ce mode de paiement dépendra le caractère plus ou moins
redistributif du mode de financement. Cependant,
l’évaluation du degré de
redistributivité est très difficile à opérer puisque « le détail des usages de l’eau potable
par les différentes catégories d’usagers reste pratiquement inconnu » [Barraqué, 1998,
36
p.7]. Les rates anglaises qui sont calculées suivant la surface occupée par l’habitat des
usagers ont un caractère éminemment redistributif puisqu’il existe une corrélation
positive entre le revenu et la surface occupée. Les rates permettent donc une
péréquation entre riches et moins riches. Le caractère redistributif du paiement
forfaitaire néerlandais basé sur un forfait d’épuration des eaux usées est à l’inverse plus
limité puisque l’épuration des eaux usées est souvent payée sur la base d’une famille de
3,5 ou 4 personnes, quelle que soit la taille réelle du ménage, sauf pour les célibataires
qui payent pour une personne seule. Ainsi, la simplicité de la règle n’implique pas
forcément un haut niveau de redistribution.
Par ailleurs, la cherté des services d’eau est également liée au coût des dispositifs de
facturation et de recouvrement des factures. Une complexification du système de
facturation est inutile si elle a pour résultat d’augmenter l’ensemble des factures, même
celles des usagers qui payaient déjà auparavant pour d’autres usagers (l’exemple typique
en France étant les ménages et les industriels payant pour les agriculteurs du fait de
l’absence de suivi de la consommation d’eau de ces derniers qui ont pourtant une forte
demande en eau pour l’irrigation). On retrouve ici le débat courant sur la question de
l’installation de compteurs individuels : si leur installation semble une évidence en
France pour les maisons individuelles où les usages extérieurs à la maison sont très
élastiques au prix (leur volume diminue quand le prix augmente), ce n’est pas le cas des
petits immeubles collectifs où les consommations entre appartements sont voisines et
peu ou pas élastiques au prix car fondamentalement liées aux équipements de base (eau
potable, sanitaires, …) De ce fait, le surcoût de la location du compteur et des relevés de
consommation dépasse souvent l’économie faite sur les volumes consommés par les
plus économes.
Enfin, l’influence anglo-saxonne en Europe a introduit la dialectique du « service
universel ». Cette dialectique se compose d’un côté d’un service minimal à un coût
limité revêtant une dimension sociale et de l’autre côté d’un service plus cher pour les
usages luxueux. Cette problématique se retrouvait déjà du temps des fontaines publiques
lorsqu’on estimait que transporter l’eau à l’étage était un luxe. Aujourd’hui, la
problématique se concentre autour de la question des eaux minérales. Cependant, il
n’est pas possible d’imaginer une distribution d’eau au robinet moins chère et de moins
bonne qualité, du fait du risque sanitaire. Par ailleurs, l’installation d’un double réseau
d’eau potable et d’eau non potable est inimaginable du fait des coûts d’installation très
élevés. Seul le réemploi des eaux déjà utilisées, pour des usages moins nobles (pour
37
lesquels l’eau n’a pas besoin d’être potable) cette fois, est pratiqué de manière
ponctuelle en cas de pénurie ou pour des motifs politiques liés à l’écologie. La solution
proposée par certains et qui paraît pertinente est celle d’un paiement par tranches de
consommation avec une tranche basse très sociale. Cependant, cette proposition se
heurte à un élément déjà évoqué : le détail des usages étant inconnu, il n’est pas certain
que d’une telle solution se fasse à l’avantage des moins riches. Enfin, dans certaines
communes touristiques, on fait payer un forfait de base pour repayer le capital investi et
un plus faible prix au volume pour faire supporter aux résidents secondaires et aux
clients des hôtels les coûts associés au surdimensionnement des structures nécessaire
pour faire face aux pics de consommation en période touristique. Cependant, là encore,
le coût du recueil de l’information représente une limite majeure.
•
La péréquation multi-service.
L’Allemagne avec le Stadtwerk a mis en place une troisième forme de
péréquation : la péréquation transversale ou multi-service. Tout d’abord, la péréquation
transversale peut avoir un intérêt en termes de gestion financière. Elle permet de gérer la
trésorerie de différents services en commun (gaz, électricité, eau, transports…) et de
combler les déficits de certains services par les bénéfices d’autres services. Cette
approche est caractéristique de la péréquation entre électricité et transports publics
fonctionnant à l’électricité (tramways ou métros) et réduisant la pollution
atmosphérique. La question est donc de savoir s’il est possible de généraliser cette
pratique au service de l’eau. L’eau a parfois déjà du mal à payer l’eau, alors peut-elle
payer plus que l’eau ? C’est le cas de l’assainissement dans nombre de pays. Il est
facturé avec l’eau potable selon une logique non moins arbitraire que ne le serait une
facturation séparée. Il est aussi arbitraire d’augmenter le prix de l’eau pour compenser
les déficits liés aux transports urbains ou aux équipements sportifs. Malheureusement,
un refus de ces transferts en toute transparence ne les arrêterait pas et ils se
perpétueraient alors de manière occulte. Certaines considérations politiques peuvent
militer en faveur d’une absence de péréquation. Ainsi, aux Pays-Bas, il n’y pas de
péréquation entre eau potable et assainissement car l’eau est considérée comme une
commodité, comme l’électricité ou le gaz, vendue par une entreprise municipale, tandis
que l’assainissement entre dans une logique de défense contre la pollution maritime. De
même, en Allemagne, la distribution d’eau potable est considérée comme un confort
38
vendu par une entreprise, tandis que l’assainissement est un devoir d’où son contrôle en
régie municipale.
Par ailleurs, la péréquation multi-service peut représenter un potentiel en termes
d’innovation technique ou de gestion par transfert d’un service à l’autre. Ce potentiel
n’a, jusqu’à présent, pas été fréquemment exploité, même chez nos voisins allemands,
chez qui pourtant, la gestion transversale est une tradition historique. Cependant, pour
en revenir au cas des compteurs d’eau froide, le cas allemand est moins problématique,
puisque un seul releveur passe déjà pour le gaz, l’électricité, le chauffage urbain, l’eau
chaude. Relever l’eau froide ne représente donc pas un surcoût.
•
La péréquation temporelle.
La péréquation temporelle est fondamentale en ce qu’elle assure la pérennité des
installations et des services de l’eau. La détermination des besoins de financement
spécifiques pour le maintien des infrastructures en bon état doit faire l’objet d’études
poussées pour découvrir le rythme de renouvellement nécessaire des installations. Il faut
donc comprendre les systèmes d’amortissements et de provisions adoptés à différents
endroits et les comparer.
L’exemple français est assez parlant en ce qui concerne la création des agences de l’eau
dont nous examinerons le rôle institutionnel plus tard dans notre deuxième partie. Avec
15 000 unités de distribution et plus de 10 000 pour l’assainissement, ainsi qu’une
comptabilité restrictive pour les petites entités, les redevances payées par les usagers
sont des formes de placement au niveau des agences, avant d’être redistribuées dans des
programmes quinquennaux.
Cette présentation de quatre grands types de péréquation, développés selon des
modalités variables dans les différents Etats européens, montre combien une
comparaison brute des prix de l’eau en Europe est difficile, et risque d’aboutir à une
analyse fortement biaisée ou tronquée.
39
Ainsi, l’eau est un bien public impur et non-marchand : un bien commun. C’est
également une ressource multifonctionnelle dont les usages variés sont souvent rivaux,
voire parfois incompatibles. Les différents usagers sont donc interdépendants. Dans ce
cadre, la tarification de l’eau a pour but d’opérer un arbitrage entre les différents usages,
de couvrir les coûts, de signifier la rareté de l’eau, d’assurer la pérennité financière des
services et des considérations sociales comme l’égalité d’accès entre les usagers ou
l’équité sociale. Les principes de pollueur-payeur et de péréquation sont partie
intégrante d’une tarification aux préoccupations soucieuses d’assurer l’efficacité
économique, l’équité sociale et la préservation de la ressource.
L’eau est donc un bien particulier, cependant au-delà du bien lui-même, le secteur de
l’eau possède des caractéristiques économiques particulières qu’il nous faut analyser
avec attention.
40
B. Un secteur économique spécifique.
1) Une industrie en réseau.
Le secteur de l’eau est caractérisé par des spécificités techniques et économiques
qu’il est essentiel de rappeler afin de mettre en lumière les problématiques qui se posent
aux chercheurs, ingénieurs et politiciens dans la gestion et la régulation de ce secteur.
Pour appuyer cette démarche, le travail de Lise Breuil, Serge Garcia et Laetitia GuérinSchneider [2003] au sein du laboratoire Gestion de l’Eau et de l’Assainissement de
l’ENGREF (Ecole Nationale du Génie Rural des Eaux et des Forêts) présente une
synthèse pertinente et accessible au non-spécialiste afin d’acquérir une vision globale du
secteur tout en prenant conscience de ses dimensions spécifiques.
•
Activités duales des services de l’eau.
Deux activités différentes sont à distinguer dans l’organisation des services de l’eau.
D’un côté, les services d’alimentation en eau potable remplissent les fonctions de
potabilisation (le prélèvement d’eau dans le milieu naturel et son traitement pour la
rendre potable), la mise en pression de l’eau potable ainsi que son transport et son
stockage et enfin la distribution aux usagers. De l’autre côté, le service d’assainissement
remplit les missions de collecte et transport des eaux usées, la transformation des eaux
usées en eaux assainies (épuration et traitement) ainsi que leur rejet en milieu naturel.
Ces activités sont caractérisées par une organisation en réseau. Cette dimension
implique des définitions techniques et économiques spécifiques.
•
Définitions technique et économique de l’activité en réseau.
Du point de vue de l’ingénieur, le réseau d’eau potable est avant tout un
ensemble de canalisations dont l’objectif est le transport de l’eau de son point de
prélèvement aux usagers. Tout le processus de transformation de l’eau prélevée en eau
potable s’effectue entre ces deux points. Le dessin du réseau et les problèmes de
transmission de l’eau qui s’y rapportent lors des interconnexions de canalisation sont
des considérations d’ordre technique qui nous intéressent peu ici dans la mesure où nous
envisageons la question des services de l’eau et de leur gestion dans une perspective
41
économique. De ce point de vue, le réseau est considéré comme un mode
d’intermédiation entre fournisseurs et usagers du bien « eau ». De ce fait, l’efficacité du
réseau au sens économique est en lien avec la minimisation des coûts de production. La
mesure de la performance de la gestion des services de l’eau est donc fonction des
caractéristiques techniques et de l’organisation économique des réseaux.
L’idée centrale au sein de la notion économique de réseau est le partage des coûts entre
les usagers. En effet, chaque branchement d’usagers isolés entraîne une externalité
positive de demande puisque, à réseau de distribution fixe, le coût de potabilisation et
d’acheminement de l’eau par usager diminue. Le bien-être des consommateurs est donc
croissant et positivement corrélé au nombre d’usagers raccordés au réseau. Cet effet de
club peut cependant être limité si le raccordement d’un nouvel usager entraîne une
modification substantielle dans la structure technique du réseau, voire une extension de
ce dernier.
•
La place centrale des rendements d’échelle dans les industries en réseau.
La minimisation des coûts au sein d’un processus de production dérive
principalement de ce que les économistes appellent les rendements d’échelle. Les
mesures de rendement d’échelle permettent l’étude de la relation existant entre
l’accroissement des facteurs de production, input, c’est-à-dire le personnel, l’énergie, le
matériel, le capital, et la variation de la production, output. Les rendements d’échelle
peuvent également être interprétés à travers la variation du coût moyen lorsque la
production augmente [Généreux, 1995]. On note que la présence d’économies d’échelle
contribue à l’existence d’un petit nombre d’entreprises sur le marché à travers la
constitution de grands groupes nationaux et pousse les opérateurs à élargir leur rayon
d’action vers d’autres marchés. La présence de rendements d’échelle explique
également le regroupement intercommunal dans certains pays comme la France.
Les industries de réseau sont caractérisées par une particularité que l’on ne retrouve pas
dans les autres industries. La prise en compte de variables comme le nombre d’abonnés
et la taille du réseau permet de différencier les effets de densité des effets d’échelle. Il
est donc possible d’observer les conséquences économiques et techniques suivant
l’origine de l’augmentation de la production des activités en réseau, à savoir :
l’augmentation de la consommation par abonné, le raccordement de nouveaux abonnés
42
sur le réseau ou bien l’extension de la taille du réseau lui-même [Breuil L., Garcia S. et
L. Guérin-Schneider 2003].
2) Une configuration traditionnelle de monopole naturel.
D’importantes transformations ont eu lieu dans l’organisation des marchés dans les
industries
de réseau
(électricité,
gaz,
télécommunications,
services
postaux,
transports…) et dans nombre de pays. Ces modifications se sont traduites par une place
accrue de la concurrence et de l’ouverture aux capitaux privés. Cette ouverture a montré
que les monopoles historiques dépassaient le cadre traditionnel d’activités des
monopoles naturels. Dès lors, il semble légitime de réfléchir sur le niveau de l’échelle
de production et la taille optimale des réseaux d’eau, ainsi que sur les bénéfices de
regrouper certaines activités [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003].
•
Des monopoles naturels locaux non-contestés.
Le secteur de l’eau se présente pour partie au moins comme un marché de nature
monopolistique. En effet, des coûts fixes importants sont engagés par le transport et la
distribution de l’eau potable. Or ces coûts fixes sont dits « irréversibles » dans la mesure
où les installations construites à ces effets ne sauraient être employées à d’autres fins
commerciales. Par ailleurs, vu le coût important de la construction d’un réseau
d’acheminement de l’eau potable, il est exclu pour un concurrent éventuel de mettre en
place un réseau parallèle. Ainsi, les coûts fixes représentent une barrière à l’entrée sur le
marché de nouveaux concurrents et le secteur acquiert une dimension de monopole
incontesté.
Par ailleurs, les eaux potables et usées sont des produits lourds à transporter, au
stockage difficile. De ce fait, la distance entre les lieux de production et de
consommation doit être restreinte, tout comme l’imposent des obligations de qualité de
l’eau consommée. Ainsi, la gestion de l’alimentation en eau potable et de
l’assainissement des eaux usées se fait principalement à un niveau local.
Enfin, dans le secteur de l’eau, le coût minimal de la distribution de l’eau est obtenu
lorsque la totalité de la production est assurée par une seule firme ou un très petit
43
nombre de firmes : on parle alors de monopole naturel dans le premier cas et
d’oligopole naturel dans le second. Cette caractéristique implique une recommandation
économique simple : la préférence est donnée à l’organisation en monopole plutôt qu’à
l’organisation atomisée du marché de concurrence pure et parfaite. En effet,
généralement, le monopole est critiqué car il induit des prix supérieurs et des quantités
supérieures à ceux correspondant à l’optimum collectif. Le monopole restreint le bienêtre du consommateur en transférant tout ou partie de son surplus au producteur.
Cependant, dans le secteur de l’eau, le monopole permettrait de produire plus
efficacement du fait d’un coût moins élevé. En effet, le coût marginal de production
d’une unité d’eau distribuée ou assainie en plus étant négligeable, le coût moyen de
production est décroissant. On peut donc résumer que le monopole permet de produire
de manière plus efficace lorsqu’il est naturel et associé à un défaut de marché : les
rendements d’échelle croissants [Leveque, 1998].
Ce résultat peut être démontré à l’aide d’un graphique (voir graphique 2) pour le
cas d’un monopole produisant un seul bien et présentant des coûts moyens décroissants
pour tout niveau de production. RM est la fonction de demande inverse qui exprime le
prix en fonction de la quantité. Elle est aussi égale à la recette moyenne du producteur,
c’est-à-dire son chiffre d’affaires par unité produite. Rm est le revenu marginal du
monopole.
La fonction de coût est de la forme :
C(q) = Cf + Cmq. Cm est le coût marginal : il est supposé constant et il est toujours
inférieur au coût moyen CM. Cf est le coût fixe : il est égal à la surface du rectangle
ABCD.
La fixation au prix marginal correspond au point F défini par le prix OA et le
niveau de production q*. Dans cette situation, le monopole est obligé de vendre à perte.
Quel est en effet le montant de ses recettes et de ses dépenses ? Ses ventes lui rapportent
Cmq* tandis que sa production lui revient à Cf + Cmq*. Il enregistre donc un déficit
égal à son coût fixe Cf, représenté par le rectangle ABCD. La recette ne couvre le coût
de production que lorsque l’entreprise fixe un prix unitaire au moins égal au coût moyen
(donc supérieur ou égal à OD). La fixation du prix au coût moyen correspond au point
d’intersection de la courbe de recette moyenne et du coût moyen (point C). Cette second
44
situation est plus favorable au producteur que la précédente puisqu’il ne produit plus à
perte, mais elle entraîne une diminution du bien-être pour la collectivité. En effet, en
passant de F à C, le surplus des consommateurs est diminué de la surface du trapèze
AFCD tandis que le surplus du producteur est augmenté de la surface du rectangle
ABCD. La perte nette de bien-être correspond au triangle BFC. Bien entendu, si
l’entreprise en monopole naturel poursuit une logique de maximisation du profit, elle
cherchera à fixer un prix qui sera supérieur et non égal au coût moyen tant que son
revenu marginal est supérieur à son coût marginal [Leveque, 1998].
Graphique 2 – Tarification du monopole monoproduit.
Coût ou prix
E
CM
D
C
F
A
Cm
B
q0
0
•
RM
q*
quantité
L’existence d’économies de gamme.
Une entreprise peut minimiser ses coûts en procédant à une diversification de sa
production. S’il est moins coûteux pour elle de produire plusieurs biens de nature
différente, ensemble, plutôt que séparément, l’entreprise peut bénéficier d’économies de
gamme. Dès lors, vient spontanément à l’esprit la question de savoir s’il est plus
avantageux pour une entreprise de prendre en charge à la fois l’acheminement en eau
45
potable et l’assainissement. La complémentarité de ces deux activités n’est possible que
si l’augmentation de l’une permet un accroissement de la rentabilité marginale de la
seconde. La notion de transversalité, d’approche multi-usages, peut même être élargie à
d’autres services publics. En effet, si les services publics se basent sur des réseaux
physiques, ils partagent un certain nombre de caractéristiques qui peuvent conduire à
une réduction des coûts s’ils sont gérés conjointement. C’est la stratégie développée par
les structures municipales allemandes que sont les Stadtwerke ou Querverbund, qui
fournissent à la fois l’électricité, le gaz, l’eau…
•
La possibilité d’intégration verticale.
Tout
comme
les
industries
de
réseau
du
gaz,
de
l’électricité,
des
télécommunications, les activités du secteur de l’eau peuvent être organisées, pour
partie, selon un système de concurrence. L’étendue du monopole peut être réduite par la
séparation des activités de production et de distribution, la séparation entre
infrastructures et services [Perrot, 2003]. De ce fait, dans le secteur de l’électricité, il est
répandu de voir des générateurs détenus par des entreprises en situation concurrentielle
alors que la distribution se fait le long d’un seul et unique réseau.
En ce qui concerne l’acheminement en eau potable, on peut imaginer une situation
concurrentielle entre les entreprises chargées de l’extraction de l’eau brute et de son
traitement, que cela soit sur des points différents d’une même nappe d’eau ou sur des
nappes différentes. Chaque entreprise pourrait avoir son usine de production et vendre
l’eau potable à une seule entreprise en charge de la distribuer aux usagers. Cependant,
en pratique on ne rencontre cette solution que rarement, du fait du caractère particulier
de la ressource et des problèmes de propriété que poseraient les stocks naturels d’eau.
Une autre limite à la mise en place d’une dissociation entre production et distribution est
sans doute issue du fait que le gain en termes de coût est probablement négligeable tant
les dépenses liées à la distribution et son réseau occupent une place prépondérante dans
les coûts totaux. Une telle séparation n’aurait d’intérêt financier majeur que si
l’extraction ou le traitement de l’eau brute revenait plus cher que son acheminement
jusqu’aux consommateurs [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003].
46
3) Les services de l’eau : des services d’intérêt général.
On considère généralement que les services de l’eau ont des responsabilités sociales
importantes. Ils ont pour mission de fournir à la société, sans exclusion, le plein accès à
une eau potable de qualité, ainsi qu’une collecte et une épuration des eaux usées
adéquates. En outre, les services de l’eau sont une interface majeure dans la protection
du milieu aquatique puisqu’ils font le lien entre usagers, pollueurs et environnement.
En France, les services publics liés à l’eau sont devenus des services assurés par
l’ensemble des communes au bénéfice de la population, dans sa quasi-totalité. Le
principe premier du service public à la française est l’égalité devant le service, ce qui
implique trois éléments : la non-discrimination dans l’accès au service, la nondiscrimination tarifaire, l’égalité des prestations. Par ailleurs, la continuité du service
doit être assurée par la permanence du fonctionnement du service et de sa sécurité. De
ce fait, chaque consommateur bénéficie d’un droit permanent à une quantité d’eau
suffisante, à une pression suffisante, respectant les normes de potabilité en vigueur. Ces
principes s’imposent à tous les gestionnaires, publics ou privés, de toutes les
collectivités, et ce, au profit de tous les usagers.
A l’échelon européen, les gestionnaires doivent fournir une eau de bonne qualité à tous
les usagers et à un prix « abordable », ainsi qu’épurer les eaux usées des usagers
raccordés au réseau d’assainissement collectif. Au sein de l’Union Européenne, le
niveau de qualité est fixé par des normes européennes. La qualité des eaux destinées à la
consommation humaine est à ce jour réglementée par la directive 98/83/CE du 3
novembre 1998. La directive du 21 mai 1991 fixe, quant à elle, les règles relatives à
l’assainissement des eaux résiduaires urbaines, rendant obligatoire l’équipement en
systèmes de collecte et d’épuration des eaux usées pour toutes les collectivités hors
zones d’assainissement non collectif. En outre, la règle de l’équilibre budgétaire se
généralise progressivement. De ce fait, les prix sont calculés selont le principe de
recouvrement des coûts avec une formule d’actualisation à intervalle régulier [Breuil L.,
Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003].
4) La nécessité de réguler le secteur.
Comme nous l’avons vu, les caractéristiques techniques et économiques des services de
l’eau et de l’assainissement en font des services en réseau, des monopoles naturels, non47
contestés du fait des coûts fixes importants qui représentent une barrière à l’entrée. Dès
lors, la question de la régulation est cruciale quel que soit le type de gestion adopté. La
régulation est d’autant plus importante lorsque la gestion du service se fait en délégation
à des opérateurs privés, créant parfois une situation d’oligopole au sein de laquelle la
concurrence peut être insuffisante [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003].
•
La tarification du monopole.
Enjeux
D’un point de vue économique, les services publics locaux sont spécifiques en
ce qu’ils sont caractéristiques d’une structure de monopole. Cette situation aboutit selon
la théorie économique classique à un prix supérieur au coût marginal afin de compenser
les coûts fixes importants. En conséquence, le prix est supérieur et la quantité est
inférieure à ceux correspondant à l’optimum social, maximisant le bien-être des
consommateurs. On en conclut qu’une situation monopolistique n’est pas souhaitable
dans la mesure où elle transfère tout ou partie du surplus du consommateur vers le
producteur. Cependant, comme nous l’avons exposé, les services publics de l’eau sont
caractérisés par une situation de monopole naturel au sein de laquelle la production est
plus efficace car elle engendre des coûts inférieurs à ceux de plusieurs entreprises se
partageant la production. Ainsi, les autorités réglementaires, les pouvoirs publics
peuvent être tentés de réguler le monopole naturel afin de pallier l’inefficacité sociale.
L’optimum de premier rang : un objectif difficile à atteindre.
L’autorité publique peut, tout d’abord, décider de fournir elle-même le service
aux usagers. Dans cette situation, l’optimum de Pareto, la situation dans laquelle tout
accroissement de l’utilité d’une personne n’entraîne pas de baisse de l’utilité d’une autre
personne, se trouve à la fixation du prix au coût marginal et il faut subventionner le
service afin de maintenir un équilibre budgétaire.
L’autorité publique peut également confier la gestion du service à une entreprise
privée ou publique et effectuer des inspections régulières afin de contrôler ses
performances. Dans ce cas, le pouvoir réglementaire a des difficultés à imposer à
l’entreprise de tarifer ses services au prix concurrentiel : le coût marginal. S’il y
48
parvient, il faut opérer des transferts forfaitaires pour couvrir les pertes face aux
concurrentes. Cette solution n’est pas économiquement satisfaisante : en effet, ces
transferts impliquent des prélèvements fiscaux qui peuvent entraîner des distorsions
économiques. De plus, le risque de fraude ne saurait être écarté dans la mesure où le
contrôle fiscal ou des bilans comptables n’est pas un exercice aisé. Enfin, du fait
d’asymétries d’information, l’autorité délégante se trouve tributaire des informations
que lui fournit l’entreprise délégataire. Or celle-ci peut surestimer ses coûts afin
d’obtenir des subventions plus élevées.
On estime ainsi que l’objectif paretien de premier rang est trop coûteux, si ce n’est
inaccessible. D’autres systèmes de tarification ont été proposés afin de pallier ces
risques de distorsion.
Optimum de second rang et résolution des problèmes d’aléa moral et
de sélection adverse.
L’approche de Ramsey-Boiteux pour des entreprises réglementées par l’Etat
consiste à faire payer un prix par les usagers tel que l’écart à son coût marginal soit
inversement proportionnel aux élasticités-prix de la demande. Cette marge augmente
plus les consommateurs sont insensibles à une variation du prix [Ramsey, 1927 ;
Boiteux, 1956].
Cette marge est destinée à couvrir les coûts fixes afin de s’éloigner le moins possible
des quantités optimales de premier rang qui seraient atteintes à travers une tarification
au coût marginal. Cette modalité de tarification pour une entreprise réglementée et
soumise à un impératif d’équilibre budgétaire est une solution optimale dite de second
rang.
La nouvelle théorie de la régulation propose, quant à elle, deux modèles
principaux d’incitation. Le premier modèle considère que l’entreprise a une information
privée sur ses coûts qu’elle emploie à des fins stratégiques pour bénéficier de
subventions plus élevées provenant de l’autorité publique : c’est un problème de
sélection adverse au sens où la subvention attire des entreprises tentées par la fraude. Ce
cas a fait l’objet d’une étude de la part de Baron et Myerson [1982] dans le cadre du
paradigme principal-agent où, pour résoudre le problème de sélection adverse, l’autorité
49
délégante (le principal) utilise un mécanisme afin que l’entreprise délégataire (l’agent)
révèle son coût privé réel. Le second modèle est traité par Laffont et Tirole [1986], dans
un cadre plus général au sein duquel s’ajoute le problème d’aléa moral (l’entreprise ne
cherche pas à minimiser ses coûts puisqu’elle se sait subventionnée pour maintenir
l’équilibre budgétaire) mais où l’autorité délégante peut observer, par des audits, les
informations sur les coûts inconnus auparavant. Ces deux modèles mettent donc en
place des solutions d’arbitrage entre efficacité économique et obtention de
l’information.
L’intégration de préoccupations sociales.
Un des principaux objectifs des gouvernements qui pensent que les services de
l’eau sont d’un intérêt général est de permettre l’accès à l’eau pour tous. Cela implique
également de faciliter le traitement des eaux usées de tous. Des approches sociales de
tarification sont possibles et souvent pratiquées comme la fourniture d’eau collective
gratuite, le paiement d’une partie de la facture ou bien une tarification par paliers
croissants avec la fourniture d’une quantité limitée d’eau potable à très faible prix, voire
gratuitement [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003]. Cette dimension
sociale est reprise et explicitée sous le terme de « dualisation sociale de l’accès à l’eau »
par Cornut. Ce terme définit une inégalité d’accès à l’eau selon les revenus que les
gouvernements se doivent de combattre [Cornut, 2003].
Depuis longtemps, nombre de pays font appel aux subventions publiques pour
l’adduction d’eau potable et l’assainissement afin de réduire le coût de l’eau pour les
usagers. Ces techniques sont sujettes à caution aujourd’hui du fait de la généralisation
du principe de full cost pricing. Néanmoins, les politiques de subvention en matière
d’équipement pour des ouvrages d’épuration pour le développement des zones rurales
sont encore pratiquées actuellement. D’autres objectifs sociaux peuvent être pris en
compte comme l’aménagement du territoire. C’est l’objectif de la péréquation que nous
avons évoquée plus haut. En France, la redevance FNDAE tend à réduire les écarts de
prix entre zones rurales et urbaines.
50
•
Les enjeux liés à la délégation de service public.
La définition donnée par la loi du 11 décembre 2001 dite loi MURCEF (Mesures
Urgentes de Réformes à Caractère Economique et Financier) au sens de la loi du 29
janvier 1993 dite loi Sapin relative à la délégation de service public est la suivante : « la
délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit
public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un
délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux
résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des
ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service » [Lombard, 2003]. La
délégation de service public pose un ensemble de problèmes que l’on rencontre à
différentes étapes : lors de la rédaction du contrat puis lors du suivi du contrat. Les
principaux enjeux que l’on retrouve sont relatifs à la définition du partage des
responsabilités entre délégant et délégataire et la réduction des asymétries d’information
par l’élaboration du contrat et le contrôle de performance [Breuil L., Garcia S. et L.
Guérin-Schneider 2003].
Partage des responsabilités.
On distingue trois catégories de gestion déléguée des services d’eau et
d’assainissement suivant le degré de participation du secteur privé : les concessions,
l’affermage, les modes de gestion intermédiaires (marchés publics, prestations de
service).
Les concessions sont particulières du fait de leur mode de financement privé des
infrastructures. Ces types de contrat sont employés lorsque le responsable de la gestion
de l’eau désire confier la construction ou éventuellement la refonte et la modernisation
des infrastructures à une entreprise spécialisée qui en assure l’exploitation par la suite.
Le contrat de concession charge le délégataire du financement des équipements
nécessaires au bon fonctionnement du service et de les exploiter à ses risques et périls
moyennant un droit de perception des redevances payées par les usagers. Le délégataire
couvre ainsi ses charges d’investissement et d’exploitation. A l’expiration du contrat, les
installations reviennent à la collectivité en tant que biens de reprise.
51
L’affermage est la forme de délégation au sein de laquelle la collectivité confie les
infrastructures à une société pour faire fonctionner le service. Le fermier assume la
seule charge de l’exploitation du service. Si les travaux initiaux sont à la charge du
délégant, les travaux d’entretien et de renouvellement dans le cas échéant sont assumés
par le délégataire. Il perçoit les redevances versées par les usagers selon les termes du
contrat pour couvrir ses charges d’exploitation.
Les modes de gestion intermédiaires sont des contrats conclus entre l’autorité locale et
une entreprise privée pour la fourniture d’un service particulier ou d’un travail sur une
phase spécifique de l’exploitation du service. On distingue dans ces contrats la régie
intéressée et la gérance. Dans un cas de régie intéressée, la collectivité publique est en
charge de l’organisation du service. Le régisseur engage l’exécution des tâches
matérielles mais n’exploite pas le service à ses risques et périls. Le produit des factures
revient à la collectivité qui rémunère le régisseur par un loyer fonction du chiffre
d’affaires, qui peut être accompagné d’un intéressement aux résultats d’exploitation si le
contrat le prévoit. La gérance se distingue de la régie intéressée en ce que la
rémunération est, cette fois, forfaitaire et donc sans lien avec les résultats financiers de
l’exploitation du service. Le forfait est déterminé en fonction du tarif des prestations
assurées par le gérant qui est fixé par l’autorité publique.
La durée du contrat est fonction de la charge financière assumée par le délégataire.
Ainsi, dans la mesure où le concessionnaire engage les investissements, la durée du
contrat de concession varie entre 15 et 30 ans en moyenne afin de permettre au
délégataire d’amortir ses investissements. Logiquement, les contrats d’affermage ont
une durée plus courte dans la mesure où les investissements ne sont pas à la charge du
délégataire. Ainsi, leur durée varie entre 7 et 12 ans et ne peuvent excéder 20 ans, sauf
exception, comme le stipule la loi Barnier.
L’un des intérêts principaux de la participation du secteur privé dans la gestion
des services de l’eau est la possibilité de financement privé pour la construction ou le
renouvellement des installations. Néanmoins, dans la mesure où cet investissement est
irrécupérable, les entreprises privées ont tendance à demander des primes de risque
élevées afin de pallier l’éventualité d’une modification des termes de la relation
52
contractuelle par la personne publique. Elles peuvent exiger un rendement suffisant pour
couvrir leurs coûts de capital. Cette stratégie déplaît généralement à la collectivité locale
qui préfèrerait transférer les gains obtenus aux usagers ou que le délégataire entretienne
les infrastructures tout au long du contrat même après avoir recouvert ses dépenses. De
ce fait, les deux parties peuvent faire varier la durée du contrat afin que le
concessionnaire dispose d’assez de temps pour couvrir ses investissements sans
demander pour autant de prime de risque substantielle et contraire aux principes d’accès
au service public pour les usagers et de continuité du service. Dans ce cas, l’entreprise
privée s’expose à un risque financier plus important en contrepartie d’une autonomie
plus marquée [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003].
Asymétries d’information à la conclusion du contrat.
Lorsque l’autorité publique décide de déléguer l’exploitation de ses services de
l’eau à une entreprise privée, cette délégation s’opère dans le cadre d’un contrat
pluriannuel fixant les obligations et prestations attendues, ainsi que le mode de
rémunération et donc le prix de l’eau payé par les usagers selon une formule de révision.
Du fait des asymétries d’information existant entre le délégant et le délégataire en ce qui
concerne les coûts réels supportés par l’acteur privé, le délégataire peut dégager des
rentes. A l’inverse, il est possible que le mode de tarification et les objectifs fixés par le
délégant représentent un risque financier important pour l’entreprise privée.
Ces asymétries d’information entre le principal (la collectivité locale) et l’agent
(le délégataire) peuvent être résolues à travers la théorie des contrats. Il s’agit alors pour
le principal d’opérer un arbitrage entre efficacité économique du délégataire en termes
de coûts et l’extraction de ses rentes. Deux types de contrats sont alors possibles. D’une
part, on trouve les contrats fondés sur des prix fixes (price cap) qui ont un pouvoir
incitatif élevé mais qui représentent un coût important puisque des rentes sont laissées
au délégataire. D’autre part, on trouve les contrats fondés sur des formes de
remboursement des coûts (cost plus) qui ont un pouvoir incitatif réduit mais un coût
également plus faible en termes d’abandon de rentes. Les observations statistiques et
financières montrent que les entreprises les plus efficaces ont intérêt à choisir une
tarification price cap et les autres moins efficaces une tarification cost plus [Breuil L.,
Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003].
53
Mesures de performance.
Ces asymétries d’information poussent les autorités publiques à rédiger des contrats
équilibrés qui incitent le délégataire à offrir la meilleure prestation en contrepartie d’un
prix le plus acceptable pour les usagers. En parallèle, les autorités locales se doivent de
porter une attention particulière aux critères d’évaluation de la performance de gestion
des services. Ces instruments d’évaluation doivent définir de manière concrète les
résultats attendus des services. Ces critères d’évaluation sont une base de dialogue entre
le principal et l’agent lors de l’exécution du contrat. Nous aborderons plus en détails la
question de la nécessaire mise en place de critères de performance au sein de la
délégation des services de l’eau afin de garantir leur durabilité dans de bonnes
conditions de gestion et face aux exigences imposées par la perspective de
développement durable au sein de la troisième partie de notre travail. Cependant, nous
pouvons d’ores et déjà présenter les trois types d’objectifs retenus par Guérin-Schneider
[2001] : le service au client (satisfaction globale, information, réponse aux demandes),
la qualité générale de l’exploitation pour l’eau (qualité de l’eau, état et maintenance du
réseau, continuité du service) et l’assainissement (limitation des déversements dans le
milieu,
fonctionnement
des
stations
d’épuration,
continuité du
service),
le
renouvellement et la pérennité de la ressource.
•
La concurrence dans le secteur de l’eau.
Face au vaste champ d’action du monopole, la libéralisation des services cherche à
contrebalancer le manque de concurrence dans le secteur des industries en réseau. Le
développement de cette concurrence ne peut se faire naturellement du fait de la présence
de différents éléments que nous avons présentés précédemment tels que les économies
d’échelle, les coûts fixes élevés, la localité des services, etc… Il s’agit donc d’envisager
les différents types de concurrence qui peuvent être ou sont exercés sur les potentiels
exploitants des services, qu’ils soient publics ou privés.
54
La concurrence par comparaison.
L’existence d’importantes barrières à l’entrée empêche l’arrivée de nouveaux
opérateurs sur le marché et qui feraient concurrence à l’entreprise déjà établie.
Néanmoins, il est possible d’imaginer un mécanisme de concurrence potentielle en
réunissant des informations sur la performance de différents exploitants répartis
géographiquement sur des réseaux différents. De ce fait, on peut suppléer aux pressions
normales d’un marché concurrentiel et stimuler les opérateurs pour qu’ils améliorent
leur efficacité de production et de prestation de service. Cette concurrence est donc une
concurrence par comparaison plus connue sous son appellation anglophone de Yardstick
competition, mode de concurrence déjà mis en place en Angleterre et au Pays de Galles
[Shleifer, 1985].
Différents problèmes peuvent être rencontrés : la difficulté d’accès à des
informations pertinentes et vérifiables, transformer la comparaison en incitation pour les
entreprises, comparer des exploitants dans des situations différentes, voire similaires. A
nouveau, ce mode de concurrence renvoie à la nécessité de mettre en place un ensemble
d’indicateurs de performance et de facteurs descriptifs afin de définir correctement
l’environnement de production.
La concurrence lors de l’attribution du contrat.
Lorsqu’une personne publique décide de déléguer son service d’eau à une
entreprise publique ou privée, cette délégation s’opère, comme nous l’avons déjà
précisé, dans le cadre d’un contrat d’une durée pouvant atteindre deux décennies. Il est
donc essentiel de mettre en place un système donnant accès à la meilleure information
possible afin d’encadrer le prestataire de services dans un ensemble de règles qu’il se
doit de respecter. La solution assez couramment adoptée consiste à fixer un objectif
volumétrique de production avec une certaine qualité de service. Cet objectif est exposé
aux différentes entreprises en concurrence pour l’exploitation du service. L’entreprise
qui fera l’offre au mieux-disant (le prix plus bas possible tout en respectant les objectifs
qualitatifs, financiers et techniques imposés) remportera l’enchère. Une concurrence
pour le marché est ainsi organisée de manière régulière à travers les échéances
prédéterminées des contrats afin d’assurer une pression concurrentielle et de réduire les
55
profits des opérateurs privés qu’ils pourraient dégager du fait d’un manque de
concurrence [Breuil L., Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003].
Afin que ce mécanisme fonctionne correctement, un ensemble de conditions sont prérequises. En premier lieu, le nombre d’entreprises en place lors de la mise en
concurrence doit être suffisant. En second lieu, la durée du contrat doit être courte afin
de relancer la pression concurrentielle de manière fréquente. Enfin, il faut s’assurer que
les candidats ne créent pas d’entente quant aux offres qu’ils proposeront afin de se
répartir le marché entre opérateurs ou zones géographiques.
Cependant, il n’est pas toujours aisé de respecter ces conditions comme le
rappelle très justement le cas français où seules trois entreprises, également présentes à
l’international, se partagent le marché : Vivendi (ancienne Générale des Eaux), Ondéo
(ancienne Lyonnaise des Eaux-Suez) et SAUR-Bouygues. Cette structure de marché
oligopolistique implique un pouvoir de ces groupes très important et donc réduit la
pression concurrentielle, plutôt bénéfique pour le consommateur. Ainsi, les « affaires »
liées au secteur de l’eau en France ont défrayé la chronique il y a quelques années, et il
n’est pas rare que les soupçons d’entente ou de collusion pèsent à l’égard des opérateurs
privés. Notons également, qu’il peut être très difficile, voire presque impossible, de
permettre à une nouvelle entreprise de renégocier le contrat puisque l’entreprise déjà en
place bénéficie d’un avantage informationnel et technique relatif à l’historique de la
gestion, l’état des équipements, les spécificités et problèmes de l’exploitation. Cet
avantage peut être encore plus important dans certains contrats de durée plus importante
imposée par des nécessités techniques liées aux prestations attendues ou par des
impératifs financiers [Deronzier, 2001].
La concurrence pour la propriété.
Comme nous l’avons déjà rappelé, pour qu’il existe une pression concurrentielle,
le mécanisme de sélection devrait être répété aussi souvent que possible. Si cela n’est
pas le cas, la pression concurrentielle n’est que préalable et temporaire, et les usagers ne
bénéficient pas du meilleur prix possible pendant toute la durée du contrat [Gatty,
1998]. La solution la plus simple consiste à modifier le type de délégation en proposant
un contrat d’affermage au sein duquel l’entreprise n’est en charge que de l’exploitation
56
du service. Cependant, un problème récurrent fait alors jour : les collectivités locales ont
de grandes difficultés financières pour faire face aux investissements. Une solution
alternative consiste à conserver un contrat de concession au sein duquel le délégataire
est en charge des investissements à travers la construction des équipements, et que ces
investissements qui ne seraient pas encore amortis à la fin du contrat, soient repris par
l’exploitant arrivant afin que l’exploitant sortant ne réalise pas de pertes et que les
investissements nécessaires soient effectués tout au long du contrat. Cette solution pose
néanmoins un problème : en effet, si les engagements initiaux peuvent être transférés, la
pression concurrentielle que l’autorité publique veut imposer perd son sens [Breuil L.,
Garcia S. et L. Guérin-Schneider 2003].
De ce fait, Gatty [1998], propose d’organiser chaque année la concurrence d’un
contrat de concession (d’une durée de vingt ans par exemple) pour une année
supplémentaire. Cela permettrait d’instaurer une concurrence pour la propriété de
l’entreprise exploitant les services d’eau ou d’assainissement puisque l’enchère serait
basée sur les prix que les candidats proposent aux consommateurs. Par ailleurs, le
propriétaire
serait
alors
indemnisé
à
hauteur
des
investissements
réalisés.
Malheureusement, cette solution engendrerait également de forts coûts de transaction
[Guérin-Schneider, 2001].
57
Ainsi, l’eau est un bien économique particulier car c’est à la fois une ressource
naturelle rare, un bien public impur, un bien commun, mais également une ressource
multifonctionnelle confrontée à des rivalités d’usages. Son financement en Europe
diffère suivant les pays, mais les principaux fondamentaux restent les mêmes,
particulièrement du fait de l’influence du droit communautaire : couverture des coûts,
pérennité des équipements de distribution et d’assainissement, gestion de la demande
par les prix, signal de rareté de la ressource, internalisation des externalités négatives
telles que la pollution grâce au principe de pollueur-payeur, égalité d’accès au service
public à travers la péréquation.
Au-delà, le secteur de l’eau est très spécifique car il est caractéristique d’une industrie
en réseau à travers des activités duales et le partage des coûts entre les usagers. Exemple
archétypal du monopole naturel marqué par un marché quasiment incontestable, des
rendements d’échelle croissants, des possibilités d’économie de gamme et un risque de
sur-profit, le secteur de l’eau possède également une forte dimension de service public
qui lui impose des obligations en termes de prestation : égalité d’accès au service,
égalité devant le service, continuité du service, mutabilité du service face aux exigences
des usagers et des gouvernants.
Ces spécificités imposent une régulation du secteur en ce qui concerne la
tarification du monopole, la délégation de service public et la concurrence. Cette
régulation est fortement liée au mode de gestion des services publics de l’eau en Europe.
Le débat public-privé est périodiquement relancé et appelle aujourd’hui deux
autres questions : en premier lieu, les services de l’eau potable et de l’assainissement
doivent-ils être gérés de manière conjointe ou séparée, ou bien de manière transversale
avec d’autres services caractérisés par des secteurs en réseaux comme l’électricité, les
transports, le téléphone… ; en second lieu, doit-on centraliser ou décentraliser la gestion
des différents services et ce, à quel niveau territorial. Enfin, puisque le secteur de l’eau
est un secteur en réseau, la concurrence y est sous-optimale. Le raisonnement logique
découlant du constat de la présence d’un marché de l’eau semblable à n’importe quel
marché est que la réglementation et la restructuration des service publics doivent aboutir
à une hausse de la concurrence dans le secteur de l’eau pour plus d’efficacité
économique et une plus grande transparence et compréhension des prix.
Après avoir posé les jalons nécessaires à l’approche économique de l’eau en tant que
bien et à travers son secteur, il convient de s’intéresser aux différents modes de gestion
de l’eau en Europe afin de comprendre pourquoi le prix de l’eau diffère d’un pays à
58
l’autre et de tenter de répondre aux questions qui nous ont occupés précédemment :
distribution et assainissement doivent-ils être gérés conjointement ? A quel niveau
territorial peut-on trouver un équilibre entre la concentration qu’appelle l’évolution du
secteur, la spécificité des caractéristiques techniques et géographiques des pays et la
légitimation démocratique ?
59
II.
Modèles de gestion de l’eau en Europe.
A. L’eau : une ressource publique.
1) Une répartition inégale.
Le degré de concentration des services de distribution de l’eau diverge d’un pays
à l’autre. Cet état de fait découle avant toute chose des différences géographiques et
techniques entre pays [Barraqué, 1995]. La logique veut que l’on retrouve dans les
régions caractérisées par de grandes villes ou une forte densité de population des
services d’eau potable plus concentrés qu’ailleurs et une importance plus marquée du
recours aux eaux de surface. En France, chaque habitant dispose environ de 3 600 m3
d’eau par an. La distribution de l’eau y est très émiettée avec 16 000 services recensés
en 1998 par l’IFEN. En ex-Allemagne de l’Ouest, chaque habitant dispose d’une
ressource en eau de 2 600 m3 par an et le nombre de services de l’eau n’est que de 3 000
environ. En Angleterre et au Pays de Galles, où contrairement aux idées reçues la
pluviométrie n’est pas abondante malgré une fréquence élevée d’averses, la ressource
disponible par habitant tombe à 1 400 m3 par an. La régionalisation des services de l’eau
qui y a été opérée en 1974 a fait diminuer encore le nombre de services de l’eau alors
que la concentration y était déjà importante avant avec moins de 200 services de
distribution au début des années 1970. Aux Pays-Bas, si la densité démographique est
quatre fois plus importante qu’en France et que le pays est riche en eau avec une
ressource annuelle disponible de 6 100 m3 d’eau par habitant, environ 90% de ces eaux
sont amenées par les deux fleuves qui traversent le pays, le Rhin et la Meuse. Or ces
cours d’eau étaient, dans les années 1990, encore si pollués qu’il était difficile de les
traiter pour rendre leur eau propre à la consommation. La ressource est donc plus limitée
en réalité et la concentration des services de l’eau est forte avec 50 à 60 services au
milieu des années 1990. Si la règle semble respectée en Italie par exemple, avec une
ressource individuelle annuelle quasiment similaire à la France, l’émiettement important
des réseaux (6 000 services pour 8 000 communes) résulte en fait de l’obligation pour
l’Italie de recourir plus conséquemment au captage d’eaux souterraines du fait de
l’écoulement rapide des pluies torrentielles vers la mer.
60
La concentration des réseaux d’assainissement est plus difficilement appréciable
puisque beaucoup de pays n’ont pas de statistiques fiables à leur disposition ce qui
prouve le caractère local de la gestion de l’assainissement. Les pays qui disposent de
bonnes données statistiques sont ceux qui ont installé leurs réseaux il y a longtemps
déjà, puisque leur réhabilitation implique des politiques et des moyens nationaux qui
permettent une meilleure évaluation du patrimoine local. Les Anglais ont inventé le
système du tout-à-l’égout avant la Seconde Guerre Mondiale déjà, puis les stations
d’épuration, qui étaient des choix techniques adaptés du fait de la faible violence des
pluies, de la petitesse et de la fragilité des rivières. De plus, la mer ne se trouvant jamais
à plus de cinq jours des grandes villes, les risques d’eutrophisation (l’enrichissement
naturel d’une eau en matières nutritives) sont limités. Les pays du Nord se sont d’abord
inspirés des choix anglais avant de préférer un système séparatif d’assainissement,
séparant les eaux usées et les eaux pluviales. Ce processus était issu d’une volonté de
traiter séparément les eaux usées au lieu de diluer celles-ci dans les eaux de pluie, que
l’on croyait à l’époque propres. Plus l’on descend vers le Sud de l’Europe, plus les
réseaux d’assainissement sont doubles, du fait des techniques biologiques développées
dans les stations d’épuration (les boues activées) qui sont sensibles aux variations
importantes de charge issues des orages plus violents. Le nombre de stations
d’épuration enfin, varie également d’un pays à l’autre pour des raisons de densité
démographique. En 1995, les Pays-Bas n’étaient équipés que d’environ 500 stations
d’épuration quand l’ex-Allemagne de l’Ouest, beaucoup plus rurale et quatre fois plus
peuplée, en possédait environ 9 000. A la même époque, la France disposait de 12 000
stations d’épuration, après un effort massif d’investissement dans ces équipements entre
1970 et 1985. L’Angleterre et le Pays de Galles avec 6 500 stations d’épuration, ne
disposent d’un nombre important de stations d’épuration que du fait de la vétusté des
équipements qui, mis en place avant 1939, nécessitaient plus de place par unité de
volume traité. L’Italie, malgré la rareté de la ressource n’a pas opéré de centralisation de
la gestion. Elle se place derrière la France en deuxième position en terme d’éclatement
des services. Avec 8 000 communes, l’Italie comptait, en 1987, selon l’ISTAT, 5 500
services d’eau, 7 000 réseaux de collecte des eaux usées et 11 000 stations d’épuration
[Tore, 1998]. L’Espagne et le Portugal, au milieu des années 1990 étaient encore mal
équipés et commençaient à construire des stations modernes. La directive européenne
(CE 271/91) « Eaux Résiduaires Urbaines » (DERU) de 1991 a permis de subventionner
massivement l’Espagne, le Portugal et la Grèce pour qu’ils s’équipent de manière
61
moderne au lieu de reconduire directement les choix techniques des pays d’Europe du
Nord.
2) Publicisation des services.
La distribution de l’eau en Europe s’est d’abord développée à travers des
associations d’habitants. La subsistance d’un tel système au Danemark concerne un
quart de la population qui reste toujours desservie par un réseau d’eau géré par une
association de quartier. Ces services captent les eaux souterraines, ce qui facilite leur
traitement puisqu’elles sont moins exposées aux risques de pollution et d’eutrophisation
que les eaux de surface mais la garantie d’une qualité constante reste difficile à tenir.
Ces difficultés poussent au développement d’une gestion plus concentrée et centralisée,
à l’image des premiers réseaux conçus dans les grandes villes. Ces derniers ont été
développés par des concepteurs et des entrepreneurs privés qui disposaient des
ingénieurs capables de réaliser les équipements nécessaires. La pratique, dès lors, était
la concession. Au 19ème siècle, l’objectif était principalement d’équiper les quartiers de
la ville où la demande était solvable du fait des capitaux limités dont ils disposaient,
puis de revendre le service à des investisseurs locaux, sans se soucier de la gestion du
service, pour récupérer leur capital et répéter ensuite l’opération ailleurs.
Malheureusement, les compétences des investisseurs étant restreintes, l’entretien et le
renouvellement des services étaient laissés de côté et l’on faisait fonctionner les
dispositifs jusqu’à la panne. Le développement des services de distribution de l’eau a
donc été retardé aux 19ème et début du 20ème siècle par la faiblesse de l’investissement
privé. En conséquence, les municipalités d’Europe ont pris en charge les réseaux publics
et les ont étendus aux quartiers défavorisés tout en baissant le prix de l’eau grâce aux
économies d’échelle dégagées. Cette montée du « municipalisme » n’a été possible qu’à
travers le contrôle par les villes de l’épargne populaire. En Angleterre, la perspective
solidariste du mouvement de réforme sociale a permis l’extension des réseaux publics
aux quartiers ouvriers dans un souci de limitation des risques d’épidémie. Cette prise en
compte de l’hygiène fut doublée d’une volonté redistributive : les sommes dues par les
habitants n’étaient pas liées à la consommation de l’eau mais à la surface de la propriété
occupée (les rates). L’Angleterre, encore faiblement équipée en compteurs aujourd’hui,
a conservé ce principe de tarification pour une partie des ménages. Il est intéressant de
noter que le « welfare state » anglais se traduisait à cet époque par un tel degré
62
d’implication des municipalités dans l’économie par la régie directe qu’il était
surnommé « water and gas socialism » faisant de lui un municipalisme social [Gaudin,
1989]
.
A l’opposé, à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, la municipalisation des
services s’est généralisée en Europe continentale, non pas sur le principe d’une réforme
sociale, mais sur le caractère industriel et commercial du service de l’eau. De ce fait, le
paiement était calqué sur le volume d’eau consommé. Ce développement de la régie
directe municipale s’est opéré grâce aux investissements bénéficiant d’aides de l’Etat ou
d’emprunts à très faibles taux d’intérêt, notamment par les caisses d’épargne [Barraqué,
2003]. La gestion de l’eau potable a alors été confiée à des établissements publics
autonomes par rapport aux services municipaux : les Waterleidingbedrijven néerlandais,
les Wasserwerke allemands et suisses, les aziende municipalizzate italiennes. Ainsi, le
municipalisme a permis de raccorder progressivement l’ensemble de la population. De
même, si le génie civil au 19ème siècle souhaitait développer des aqueducs toujours plus
loin, le génie chimique a permis d’éviter ces solutions lourdes et à la gestion complexe,
par la potabilisation d’eau brute collectée près des villes dans les rivières, les nappes
alluviales… Il y avait donc une forte adéquation entre le territoire local du réseau et le
municipalisme, adéquation que l’on retrouve non seulement dans les services de
distribution de l’eau mais également dans les services de traitement et d’assainissement
collectif de l’eau.
3) Crise du modèle municipal.
Les contraintes de comptabilité publique ont plongé le modèle municipal dans une
crise profonde après les années 1950. En effet, les collectivités publiques locales
n’avaient pas le droit de réaliser des amortissements et des provisions pour opérer un
renouvellement des équipements. Ainsi, les coûts du service étaient faibles mais le
capital n’était payé que par les subventions et pas par les usagers. Le prix de l’eau était
de ce fait peu élevé puisque la part à autofinancer était restreinte et cela a encouragé les
habitants, encore tentés de s’approvisionner à leur propre source, à se raccorder au
système pour tous leurs usages. Durant quarante à soixante ans, le réseau public a fait
face à toutes les demandes d’eau, quel qu’en soit l’usage. Par conséquent, les prix sont
restés bas du fait des économies d’échelle. Malheureusement, cette approche purement
63
économique et financière n’a pas permis de prendre en compte la gestion des ressources
naturelles et le renouvellement à long terme des équipements. Dès lors, il s’est imposé
comme une évidence que la gestion privée serait une solution appropriée pour faire face
à ces échéances et obligations de renouvellement puisque la comptabilité privée, à
l’inverse de la comptabilité publique, permet amortissements et provisions. Envisageons
dès lors, les réponses apportées par les Etats européens à cette crise du modèle
municipal, bien que celui-ci soit encore largement en vigueur à travers des régies pour
les petits services et des établissements publics autonomes pour les plus grands.
On distingue trois modèles. Le premier est celui d’une privatisation « à la
française » avec une forte concentration de l’industrie de l’eau, moteur d’innovation, (il
n’y a que trois groupes actuellement : Vivendi auparavant Générale des Eaux, Ondéo
auparavant Suez-Lyonnaise des Eaux et SAUR) qui compense l’émiettement des
communes et des syndicats intercommunaux. La privatisation découle très largement de
l’enfermement financier des collectivités locales, qui sont alors amenées à déléguer la
gestion des services.
Le second est celui développé en Allemagne, caractérisé par une transversalité et
une privatisation formelle des services urbains à caractère industriel et commercial, tout
en maintenant un localisme marqué.
Le troisième modèle, que l’on retrouve aux Pays-Bas et qui tend à être mis en place
chez nos voisins italiens, espagnols et portugais, est marqué par une réorganisation des
services de l’eau à un échelon supracommunal. Ce modèle est essentiellement motivé
par des contraintes importantes liées à la ressource elle-même, mais également à une
régionalisation de la problématique. Cela n’empêche pas le développement de
l’économie mixte ou de la délégation de service public à des acteurs privés. Ce dernier
modèle a été poussé à l’extrême de l’autre côté de la Manche où les collectivités locales
d’Angleterre et du Pays de Galles n’ont plus aucune prérogative sur la gestion des
services de l’eau depuis une privatisation totale à la fin des années 1980 sous Margaret
Thatcher.
4) Réponses apportées : analyse de cas.
Nous nous proposons de présenter les réponses apportées à cette crise du modèle
municipal à travers une approche par pays.
64
•
La privatisation « à la française » : la délégation.
En France, la tutelle de l’Etat sur les communes a maintenu une situation
économique fragile qui les a poussées à recourir continuellement aux sociétés privées
(contrôle des caisses d’épargne par les départements, nécessité d’une dérogation
préfectorale pour bénéficier d’un prêt pour les équipements collectifs…). L’éclatement
des communes, limitant les capacités de gestion des services collectifs, a par ailleurs
renforcé une tendance typiquement française de gestion de « petit rentier » au sein des
conseils communaux, à savoir une gestion non tournée vers l’investissement, ni
l’emprunt, ni le déport sur l’avenir. De plus, les sociétés privées n’ont eu aucun mal à
faire face à la demande d’extension des réseaux puisqu’au début du 20ème siècle,
l’industrialisation et l’urbanisation françaises connaissaient un rythme bien moins
soutenu qu’ailleurs en Europe. Ainsi, elles ont pu dépasser le manque de capital par le
soutien des banques et ont pu se maintenir dans la gestion du service aux usagers une
fois les travaux terminés. Les sociétés privées ont dès lors occupé les deux fronts de
l’activité de distribution d’eau : l’installation du réseau, activité rentable mais irrégulière
et risquée, d’une part, et d’autre part, la vente de l’eau, activité moins rentable mais
stable et à croissance régulière [Dupuy, 1989]. Comme le souligne Barraqué, « le poids
tout à fait particulier pris par les sociétés privées de distribution d’eau en France est lié
historiquement à la faiblesse économique des capacités d’initiative économique de nos
communes » [Barraqué, 1995, p 263]. Aujourd’hui, ce poids est encore accru puisque
ces sociétés sont également impliquées dans l’épuration des eaux usées et
l’assainissement. Ainsi, le modèle français intègre depuis longtemps le principe du
partenariat public-privé à côté de la gestion strictement publique. Les sociologues ont pu
souligner l’établissement d’une relation de confiance unique en Europe entre les
communes et les groupes privés à travers la définition de la notion de service public et
la souplesse des types de contrats, éléments moins importants chez nos voisins anglosaxons qui ont foi en les vertus de la concurrence et de la privatisation [Barraqué, 1995].
•
La Grande-Bretagne : entre régionalisation et privatisation.
En Grande-Bretagne, on a pu observer deux phénomènes parallèles dans les années
1930 et l’après-guerre : d’un côté s’est opéré un mouvement de concentration des
65
réseaux de distribution d’eau et de l’autre côté s’est mis en place un mouvement de
centralisation et de réduction drastique des prérogatives des collectivités locales
[Saunders, 1983]. Ainsi, s’il y avait plus de mille unités de distribution d’eau en 1954,
leur nombre a chuté à 187 juste avant la régionalisation de 1974. Le rôle des élus locaux
a diminué progressivement avec la mise en place des dix Regional Water Authorities
(RWA) la même année, organisations régionales chargées de la distribution, de
l’épuration et de l’assainissement de l’eau à travers une approche par rivière (River
Boards). Ce retrait des autorités locales n’a pas pour autant été total : les RWA leur ont
souvent délégué la gestion des réseaux d’assainissement au quotidien. La conséquence
directe en a été une succession de conflits entre ces deux niveaux d’autorité, les
communes accusant les RWA de ne pas leur donner assez de moyens et entravant
l’activité de ces dernières par l’établissement de plans d’urbanisme contraires aux plans
généraux d’assainissement, d’épuration ou de gestion des rivières des RWA. Cette
régionalisation a en fait déplacé le centre de pouvoir décisionnel dans les mains des
ingénieurs de l’eau [Saunders : 1983], ce qui a entraîné une dérive de grands travaux et
une révision des normes de rejet à la baisse lorsque l’argent manquait. La privatisation
totale est donc devenue un remède nécessaire pour pallier la crise économique bloquant
les investissements à un moment où la vétusté des équipements appelait à un
renouvellement de ces derniers, alors même que la régionalisation avait eu pour objectif
de pallier l’incompétence technique des collectivités et au sous-investissement
chronique mettant en danger la pérennité des installations. La privatisation a donc été un
correctif après l’échec partiel de la régionalisation. Le gouvernement britannique a par
ailleurs mis en place une séparation entre industrie de l’eau (Water Service Companies)
et les administrations de contrôle et de tutelle : National Rivers Authority (NRA) en
charge des prélèvements et de la pollution, Office of Water Services (OFWAT) en
charge du contrôle de prix et de la qualité du service aux usagers. Le modèle appliqué
en Angleterre et au Pays de Galles plus exactement est cité comme référence puisqu’il a
poussé à l’extrême la privatisation des services de l’eau : la propriété des installations et
la totalité de la gestion ont été confiées à des compagnies privées, encadrées par des
autorités de régulation indépendantes.
66
•
L’Allemagne : transversalité, localisme et privatisation formelle.
L’Allemagne, pour sa part, a systématisé le recours à des établissements publics
gérés par les communes ou les syndicats communaux qui disposent d’une autonomie de
décision importante. Initialement spécialisés par services, les établissements publics ont
été réunis dans l’entre-deux-guerres en un seul établissement transversal appelé
Stadtwerk. Ces structures ont ensuite bénéficié de la personnalité morale et de
l’autonomie financière avant d’être transformées en SARL ou SA dans les années 1960
avec cependant un contrôle quasi total des actions par les villes [Kraemer, 1993]. Cette
transversalité offre une grande souplesse et la possibilité de lisser les gros
investissements de renouvellement des réseaux faits sur de longues périodes et avec peu
de risque que tous les services aient besoin d’un investissement en même temps. La
privatisation, quant à elle, permet de bénéficier d’une fiscalité moins élevée et d’avoir
un accès plus aisé au marché bancaire. Du fait du caractère fortement local de la gestion
de l’eau, la gestion de l’assainissement n’a jamais été jointe à la gestion de l’eau. Les
villes émettent de fortes réticences à ne plus gérer l’assainissement en régie directe car
cette activité est considérée comme relevant du pouvoir de police général, de surcroît
financée par l’impôt à travers la facturation du service. Seules les très grandes villes,
comme Berlin par exemple, ont décidé de joindre l’assainissement à la gestion de l’eau
pour une approche intégrée de la gestion de l’eau. Le contrôle des rejets en Allemagne
relève des Länder et y est beaucoup plus systématique qu’en France et les autorités
n’hésitent pas à sanctionner les infractions alors qu’en France, les principaux pollueurs
industriels relèvent du contrôle des installations classées, sous responsabilité
préfectorale, et le taux de raccordement aux réseaux publics n’atteint que 50% contre
90% outre-Rhin [Berland, 1994]. La gestion purement privée est très limitée en
Allemagne : en 1998, seul 3% de l’approvisionnement en eau et 1% de l’assainissement
étaient réalisés par le secteur privé [Owen, 1998]. La pression économique en matière
d’exploitation et d’investissement est importante pour faire augmenter les prix. De ce
fait, le secteur privé gagne en attractivité non pas pour son professionnalisme comme en
France mais pour sa capacité à résoudre les difficultés financières et générer des gains
de productivité. Les prévisions laissent entendre que la privatisation pourrait atteindre
30% d’ici 2010 [Owen, 1998]. Ainsi, le modèle allemand est caractérisé par une gestion
locale et transversale ; et un contrôle régional et administratif. Il s’inscrit dans un
67
municipalisme très ancré historiquement et qui reste la caractéristique principale de la
gestion des services d’eau en Allemagne.
•
Les Pays-Bas : gestion supra-communale et régionalisée.
Aux Pays-Bas, la forte densité de population et la difficulté d’avoir de l’eau douce
ont poussé les collectivités territoriales à concentrer le secteur de l’eau potable dans des
sociétés privées dont elles restent actionnaires. Avec une cinquantaine des sociétés de
distribution au début des années 1990, l’objectif attendu est une réduction de leur
nombre jusqu’à atteindre une à deux sociétés par province, soit un nombre oscillant
entre 12 et 24 sur la totalité du territoire. Dès 1957, les Néerlandais ont régionalisé une
politique stricte en matière de protection des eaux souterraines et de réinfiltration des
eaux de surface de bonne qualité. Le fait de confier ces activités aux provinces a
empêché la mise en place d’une gestion transversale des services comme en Allemagne.
Concernant la gestion de l’assainissement, des associations en charge de la navigation et
de l’assainissement se sont développées depuis l’époque médiévale. Appelées
aujourd’hui Waterschappen (ou wateringues en Flandres), elles ont pris une importance
telle qu’elles ont vu leur statut de collectivité territoriale fonctionnelle protégé par la
constitution néerlandaise. Gérant l’assainissement et la police des eaux, elles ont pris en
charge l’épuration des eaux usées comme une évidence, ce qui explique la forte
concentration dans ce secteur également (2 600 en 1950, 140 en 1995). On distingue
une grande variabilité dans les situations des provinces : certaines sont caractérisées par
la présence de wateringues spécialisées dans la seule gestion de la distribution de l’eau
et non l’épuration, d’autres tendent à mettre en place une seule wateringue. Au final,
l’attachement à la subsidiarité aboutit à une gestion des réseaux locaux par les
communes, une gestion des réseaux supralocaux et des stations d’épuration par les
Waterschappen et une gestion plus intégrée par les provinces. La problématique actuelle
aux Pays-Bas se concentre principalement sur la question du chevauchement des
compétences : ne vaudrait-il pas mieux séparer les activités de contrôle et de gestion ?
les confier à différents niveaux territoriaux ? au lieu de laisser chaque organisme faire
les deux, chacun sur les eaux qui le concerne [Barraqué, 1995].
68
•
L’Italie : supra-communalité et gestion publique.
En Italie, la structure de l’azienda municipalizzata est un établissement public
semblable à ce que l’on retrouve en Europe. Issue d’une loi de 1903 généralisant le
mouvement de municipalisation des services urbains suite à l’unification du pays,
l’azienda municipalizzata n’a cependant pas fait l’objet d’une transversalisation à
l’allemande à l’exception de Rome où l’ACEA3 distribue l’eau, l’électricité et a
manifesté dans les années 1990 la volonté de s’intéresser de plus en plus à
l’assainissement et l’épuration. Ces structures restent soumises à un contrôle des prix
aux échelons municipal et national et ne bénéficient donc pas de l’autonomie financière.
Par ailleurs, l’Italie ayant achevé son réseau il y a peu de temps, la distribution garde
encore un fort symbole de solidarité nationale et le prix de l’eau est nettement inférieur
à son prix de revient. De ce fait, un problème d’investissement pour moderniser le
réseau se posera à plus ou moins long terme [Barraqué, 1995]. Le problème principal de
l’Italie réside dans la pollution de l’eau. Les communes ont une grande autonomie et de
grands pouvoirs de police (supérieurs à ce que nous connaissons en France),
malheureusement ces communes sont en même temps les principaux pollueurs.
L’existence de nombreux petits services caractérisés par des problèmes de financement
a entraîné des dégradations techniques des installations ayant des répercussions sur la
qualité de la ressource. Le législateur est donc intervenu pour réorganiser la gestion de
l’eau. La loi Merli de 1976 a confié de larges pouvoirs de planification de l’eau aux
régions, accompagnés par la mise en place parallèle des agences de bassin pour les plus
grandes rivières en 1989. Puis la loi Galli de 1994 a imposé le regroupement des
activités de distribution d’eau, d’assainissement et d’épuration à une échelle
supracommunale pour améliorer la qualité de la ressource. Ce modèle de consorzio
idrico (syndicat intercommunal de l’eau) a pour objectif l’exclusion de la régie
municipale et le rapprochement avec le modèle anglais d’avant la privatisation puisque
gestion et réglementation ne sont pas séparés. Les collectivités ont transféré leurs
prérogatives et l’émiettement des services est toujours aussi important : 150 gros
opérateurs exploitent la moitié des services d’eau et l’autre moitié est gérée par 11 000
unités [Guerin-Schneider L., Nakhla M., Grand d’Esnon A., 2002]. On distingue quatre
modes de gestion : la régie directe, bien qu’interdite par la loi Galli (35% du volume
3
Azienda Communale d’Electricita de Acqua.
69
distribué [Massarutto, 1997a et b]), l’azienda municipalizzata (entreprise municipale
autonome de droit public, 43% du volume), la gestion déléguée à une entreprise privée
(la commune contracte avec une entreprise privée, 4% du volume) et les établissements
publics régionaux contrôlés par l’Etat (19% du volume).
•
Le Portugal : supra-communalité et pluralité des types de gestion.
La construction et l’organisation du Portugal se sont largement fondé dès le 13ème
siècle sur le pouvoir des communes. La dictature de Salazar a renversé ce principe en
imposant une centralisation totale allant jusqu’à nommer les maires. Le retour à la
démocratie en 1974 après la Révolution des Œillets a restauré les prérogatives
communales et la vie démocratique locale. Historiquement, la gestion des services d’eau
fait partie des compétences locales et les maires témoignent un fort attachement à cette
prérogative. En outre, l’organisation des services d’eau est également marquée par
l’inégale répartition de la ressource. Le Portugal dispose de ressources équivalentes à 6
100 m3 d’eau par an par habitant, mais au Sud, le climat méditerranéen et l’irrigation
participent à la raréfaction de la ressource en eau. Ainsi, le manque relatif d’eau et la
concentration urbaine dans certaines zones nécessitent des approvisionnements en eau à
une échelle régionale. De plus, cette organisation des services d’eau a été différenciée
suivant la distinction entre zones d’agglomération et zones plus rurales. Depuis le décret
loi de 1993, la gestion de l’eau dans les régions urbaines se fait sur un mode
multimunicipal. Des compagnies privées (dont les capitaux sont détenus par l’Etat et les
collectivités) gèrent le transport et la fourniture en eau des collectivités. L’objectif est de
créer des structures signant des délégations avec le gouvernement central et
fonctionnant comme des entreprises ayant la capacité de réaliser des économies
d’échelle pour une gestion plus efficace. C’est donc une transition vers une forme de
privatisation limitée qui se rapproche avec la privatisation en France. Cependant, si en
France 77% de la population environ est desservie par des entreprises faisant intervenir
des capitaux privés, seuls 10% de la population portugaise est dans ce cas. En somme,
trois modes de gestion sont possibles au Portugal : la régie simple, la régie dotée de la
personnalité morale ou la concession à une entreprise de statut privé (soit les
concessions sont signées par l’Etat avec les compagnies multimunicipales dont les
capitaux sont publics soit les concessions sont signées avec les communes et les
opérateurs peuvent être totalement privés). Lisbonne voit son eau distribuée par
70
l’EPAL4 qui est passée d’un statut d’administration publique à un statut de Société
Anonyme à capital public. D’autres formes de gestion lui font concurrence : la holding
IPE-AdP5 regroupe toutes les compagnies régionales de droit privé mais encore à
capitaux publics. Enfin de nouveaux opérateurs organisés dans l’esprit des compagnies
privées ont été créés en 1993. Le Portugal espère ainsi introduire des opérateurs mieux
adaptés à la gestion et au financement des infrastructures et dynamiser le tissu industriel
pour faire face aux groupes d’ingénierie étrangers (français ou espagnols) [Barraqué,
1995].
Ainsi, l’eau est une ressource publique, inégalement répartie, gérée par des
services publics à travers la municipalisation de sa gestion aux 19ème et 20ème siècles.
Cette gestion a connu des évolutions nationales différentes après la crise du modèle
municipal, principalement pour des raisons financières. On retrouve différents principes
qui ont gouverné ces évolutions nationales : la privatisation à la française avec la
délégation de service public du fait de l’émiettement des communes et la situation de
marché oligopolistique des entreprises privées, la régionalisation tout d’abord au
Royaume-Uni puis la privatisation comme réponse à l’échec financier de la
régionalisation, la transversalité locale en Allemagne et l’introduction progressive et
formelle de capitaux privés pour résoudre les problèmes de financement, une gestion
territoriale publique aux Pays-Bas où l’eau est omniprésente couplée à une détention
publique de capitaux au sein des entreprises privées, une gestion publique et supracommunale dans les pays méditerranéens, avec néanmoins des variantes privées au
Portugal notamment. Après avoir étudié les différentes réponses apportées par les Etats
européens pour la gestion des services de l’eau après la crise du modèle municipal, il
paraît nécessaire de s’arrêter sur l’approche qu’ils ont développée en ce qui concerne la
gestion de la ressource elle-même.
4
5
Empresa Portuguesa das Aguas Livres
Investimentos e Participaçoes Empresariais SA – Aguas de Portugal
71
B. Gestion de la ressource : analyse de cas.
Si l’Etat a toujours été présent dans la gestion de l’eau, le développement rapide de
l’industrie, l’adduction d’eau potable, l’utilisation de la force aquatique dans la
production d’électricité, l’irrigation ont été les éléments les plus marquants d’une
diversification des activités liées à l’eau à travers lesquelles les besoins en eau se sont
accrus. En parallèle, la ressource en eau s’est raréfiée. De ce fait, la place de l’Etat dans
la gestion de l’eau a connu un développement important, lui conférant un statut
omniprésent dans la gestion de la ressource. En Europe, la plupart des pays ont compris
la nécessité de créer des institutions et organismes chargés de coordonner les usages de
l’eau, de répartir les ressources disponibles entre ces différents usages, d’augmenter la
ressource en eau potable, mais aussi de préserver la qualité de la ressource. La
répartition de l’usage reste à ce jour la difficulté la plus prégnante au sein des missions
que l’Etat s’est attribué au sein de la gestion de l’eau. En effet, les principes
démocratiques qui régissent les systèmes politiques des Etats européens empêchent la
mise en place d’une planification centralisée de la répartition de l’usage de l’eau.
L’enjeu majeur est de parvenir à un consensus entre les différents usagers dans le
respect de leurs intérêts propres. Cette notion que l’on retrouve dénommée sous
l’appellation comprehensive water management a été traduite en français par
l’expression assez floue de gestion intégrée. Il s’agit en fait de prendre en compte les
différents intérêts qu’ils soient complémentaires ou concurrents, aux différents échelons
territoriaux de l’Etat pour parvenir à un compromis le plus équitable possible dans la
répartition de la ressource entre les différents usages.
Avant d’opérer une analyse par aire géographique comme nous l’avons fait
auparavant, nous nous intéresserons au développement de la notion de gestion intégrée à
travers l’Histoire.
1) Développement historique de la notion de gestion intégrée.
•
Organismes localisés.
Les toutes premières formes de gestion intégrée sont apparues au niveau local dans
les pays au sein desquels la ressource en eau était soit trop abondante soit restreinte. La
première hypothèse est celle des Pays-Bas. L’institution des Wateringues néerlandaises
72
que nous avons évoquée auparavant est née de la réunion des agriculteurs néerlandais
qui cherchaient avant tout à protéger à leurs terres et leurs récoltes des inondations. Leur
objectif premier était donc le drainage des terres dans ce pays où l’eau est omniprésente.
En parallèle, certains marchands s’étaient également réunis pour entretenir les canaux
de navigation. La seconde hypothèse recoupe la situation des pays situés le long de la
Méditerranée où les associations syndicales d’arrosants ainsi que les dispositifs
techniques et les organisations gestionnaires réputés hérités de la domination des Arabes
ont permis de répondre à la nécessité ressentie très tôt de gérer de manière « réfléchie »
la ressource suivant ses usages dans ces Etats où l’eau est rare. L’exemple le plus
célèbre est sans doute celui du Tribunal de Valence qui existe encore aujourd’hui. Dans
la huerta valencienne, qui sert de verger à toute l’Espagne, l’eau est un élément
stratégique : chaque jeudi depuis des siècles, un tribunal se réunit pour régler les conflits
liés à cette ressource-clé.
•
La remise en cause de l’échelon local : la montée du régionalisme.
Le développement du capitalisme et l’industrialisation ont fait croître le nombre
d’usages concurrents de l’eau et la problématique de la gestion de l’eau est passée à un
niveau géographique supérieur. De ce fait, les organismes que nous avons évoqués
n’étaient plus adaptés car trop localisés. Par ailleurs, les traditions ancestrales fondées
sur une logique communautariste (au sens de la communauté et non dans la dimension
exclusive du terme) sont peu à peu entrées en confrontation avec les valeurs humanistes
affirmant l’égalité des droits entre les individus et plaçant la liberté individuelle comme
paradigme de l’Etat moderne. Enfin, les Etats ont pris en charge certaines tâches de
gestion au niveau national, vidant ainsi les associations syndicales de leurs missions
premières. Ce transfert de gestion à l’Etat a abouti à une organisation bureaucratique et
segmentée de la gestion des usages de l’eau. L’exemple le plus marquant est sans doute
celui de la France : la loi a fixé, en 1898, les droits et devoirs des propriétaires,
locataires et usagers de l'eau en définissant deux catégories de rivières. D’un côté, on
retrouve les rivières navigables et/ou flottables (domaniales) et qui appartiennent à l'Etat
et sont dans certaines conditions utilisables par le public. De l’autre côté sont
regroupées les rivières non navigables et non flottables, qui sont régies par le droit
privé.
73
•
La gestion intégrée : un problème socio-politique avant tout.
Ainsi, dans la plupart des pays, la montée de la problématique de la gestion intégrée
de la ressource a été associée avec l’émergence du mouvement de régionalisation, qui
depuis la fin du 19ème siècle, propose une réforme sociale permettant une balance entre
le caractère amoral du libéralisme et l’autoritarisme des Etats non-démocratiques.
Les Genossenschaften de la Ruhr sont un exemple pertinent de ce courant
régionaliste. Nées au début du 20ème siècle, ces institutions ne sont pas seulement le fruit
de conditions déplorables de l’eau issues de l’industrialisation effrénée. En 1904, après
une vingtaine d’année de dures négociations, les industriels et les maires des villes du
bassin de l’Emscher se mirent d’accord pour constituer la première Genossenschaft : un
syndicat coopératif réunissant tous les riverains, aucun ne pouvant ultérieurement se
soustraire à sa contribution, commença à assumer la maîtrise d’ouvrage des travaux de
remise en état de la rivière après un affaissement des sols et une pollution importante
tous deux provoqués par l’urbanisation importante du fait de l’activité minière. Cette
coopération a permis de faire de la rivière un « égout à ciel ouvert » [Barraqué, 1995, p.
272], d’une grande efficacité puisqu’une station d’épuration avait été placée à son
confluent avec le Rhin. Cet exemple a eu un effet incitatif sur les industries et les villes
environnantes du bassin de la rivière Ruhr. Deux associations similaires ont été créées :
la Ruhrverband, chargée de lutter contre la pollution, et la Ruhrtalsperrenverein,
chargée de stocker de l’eau propre en amont. Cette rivière fut dédiée aux usages nobles
c’est-à-dire les usages qui nécessitent de l’eau potable, tandis que la Lippe, une autre
rivière, fut consacrée aux usages industriel et agricole. C’est donc un modèle de gestion
intégrée autour de trois rivières qui a été mis en place, chacun de ces cours d’eau étant
spécialisé dans un usage : l’Emscher pour l’épuration, la Ruhr pour l’eau potable et la
Lippe pour les usages non nobles. Ce modèle ne s’est pourtant pas exporté en-dehors de
cette région. Pourquoi ? Cela tient sans doute aux spécificités de la Ruhr où les
« barons » conservateurs de l’industrie du charbon et de l’acier ont réussi à collaborer
avec les maires sociaux-démocrates des villes de la région dont l’opposition politique
était marquée face à l’aristocratie prussienne. Ils ont trouvé un consensus en leur sein
pour tenir le pouvoir central à distance de leur mode de vie et de leurs activités
économiques mais aussi sociales que cela concerne les transports, le logement social,
etc… [Korte, 1990]. Ainsi, les Genossenschaften ne se sont pas créées en-dehors de la
74
Ruhr car elles traduisaient avant tout une volonté d’indépendance politiques des sociétés
locales.
Comme le note Barraqué, cet exemple recoupe les différentes dimensions de la
problématique de la gestion intégrée de l’eau qui n’est pas qu’un problème technique : il
s’agit avant toute chose d’un problème socio-économique. Ces consensus locaux
trouvés à l’échelon infra-étatique peuvent traduire deux réalités : soit une volonté de
réformer les processus de prise de décision en matière de politique publique par une
impulsion par le bas, par l’échelon local, soit une volonté de remplacer les modes de
représentation démocratiques par une gestion néo-corporatiste. C’est à travers cette
double hypothèse que Peter Saunders [1983] a analysé la création des Regional Water
Authorities (RWA) britanniques. Il en conclut que l’apparition de ces organismes a eu
pour objectif premier d’éloigner la politique de l’eau de sa logique de welfare state local
au profit d’une logique industrielle, capable de mettre en place une meilleure
disponibilité de la ressource au niveau régional.
•
Une difficile intégration de la perspective environnementale.
Les problèmes de gestion de la ressource en eau dans le bassin de la Ruhr ont
d’abord été réglés par une approche technique. On a accru artificiellement la ressource à
l’échelle du bassin grâce à une politique de grands travaux au lieu de contraindre
l’usage des divers acteurs. Dans les années 1990, une institution (IBA Emscher) a été
créée afin de réhabiliter la rivière sur le plan environnemental. Dans une volonté de
rompre avec le passé industriel lié à l’exploitation du charbon et de l’acier, les autorités
locales ont remis en cause la solution mise en place au début du 20ème siècle, à savoir
une seule station d’épuration à l’aval. L’objectif a donc été de « re-naturer » ce cours
d’eau en mettant en place un traitement préalable de sa pollution par chaque pollueur.
Ainsi, la dimension environnementale rejette la solution purement technique des grands
travaux qui déresponsabilise les pollueurs et représente, de ce fait, une solution
éthiquement peu acceptable [Barraqué, 1995].
75
•
Un enjeu politique plus lourd lorsque la politique de grands travaux
devient insuffisante pour accroître la ressource.
L’exemple le plus frappant de la problématique d’enjeu politique dans la gestion
intégrée de l’eau est sans nul doute, celui de pays au sein desquels l’accroissement
artificiel de la ressource grâce à la technique a atteint son maximum. Des conflits
relatifs au mode de gestion de la ressource surgissent entre les différentes autorités
publiques. Tel est le cas de l’Espagne. L’Etat espagnol avait créé en 1926, dix
organismes de bassin, les Confederaciones hidrograficas. Dès leur origine, elles ont
fonctionné de manière très centralisée. La période franquiste et l’absence de démocratie
locale qui en a découlé, ont conduit à une politique de systématisation de la
régularisation des cours d’eau, à travers la construction de barrages-réservoirs en amont.
L’Espagne a ainsi plus d’équipements de ce type que toute l’Europe de l’Ouest réunie.
Avec la régionalisation de l’Espagne, de fortes critiques ont fait leur apparition face à
cette « artificialisation » extrême de la ressource en eau qui avait pour seul objectif
l’irrigation des plaines méditerranéennes. Cependant, les autres objectifs défendus par
les collectivités locales et les régions, tels que la répartition équitable de la ressource
dans ce pays où l’eau est rare, ne parviennent pas à convaincre les ministères de
modifier leur vision de la gestion intégrée de l’eau. En effet, celle-ci ne prend pour seule
variable que les besoins en eau suscités par la culture des primeurs. Or ce type du
culture nécessite plus de barrages et de transvases des fleuves coulant vers l’Atlantique
vers ceux coulant vers la Méditerranée. C’est donc un conflit larvé qui s’est installé
entre les collectivités locales, les régions et les ministères concernant la gestion intégrée
de la ressource. L’enjeu politique s’étend même au-delà des seules frontières
espagnoles, puisque le Portugal s’estime « délesté » d’une part de sa ressource, à travers
le détournement de la ressource des fleuves coulant vers l’Atlantique.
Ainsi, comme le résume Barraqué, la problématique actuelle en Europe est marquée par
une hésitation
« entre l’accroissement des contraintes réglementaires et le
développement de la négociation et de la médiation » [Barraqué, 1995, p. 274]. C’est un
débat concernant la gestion intégrée qui se traduit à l’échelon territorial par une
dialectique région / bassin-versant.
76
2) L’Angleterre : le bassin-versant comme territoire d’une gestion centralisée.
L’Angleterre est le pays qui est allé le plus loin dans l’utilisation du bassinversant comme échelon territorial de gestion de la ressource en eau. En effet, ce sont à
la fois la planification et la gestion des services d’eau potable et d’assainissement des
collectivités locales qui ont été réorganisées en entités de bassins-versants pour un
nombre total de dix. Ainsi, ce sont d’un côté les Water Services Companies, les
organismes chargés de la gestion des services d’au et la National Rivers Authority
(NRA), autorité nationale chargée de la planification et de la réglementation, de l’autre
côté, qui sont restés territorialisés selon les bassins depuis la privatisation de 1979. Cette
territorialisation a permis d’exclure les élus locaux des collectivités locales des conseils
des Regional Water Authorities. Ils ont laissé leur place aux associations de
consommateurs dans une perspective de représentation de l’usager. C’était donc un
tournant néo-corporatiste important qui avait été pris autour d’une planification
centralisée. A ce jour, la situation est pourtant moins limpide qu’il n’y paraît, puisque
les sociétés privées peuvent « déborder » des territoires de bassin auxquels elles avaient
été originellement assignées. De plus, la NRA a engagé un processus de centralisation
accrue de la réglementation puisqu’elle a mis en place un système national de permis de
prélèvement et de rejet [Burchi, 1991]. Cette évolution semble marquer une diminution
du rôle du bassin-versant au profit d’une gestion encore plus centralisée de la
réglementation, liée en partie à la concentration nationale de l’industrie. Cependant, la
mise en place de comités consultatifs pour la gestion de chaque rivière pourrait
autoriser, en parallèle à ce phénomène de centralisation, une planification de degré
moins important aux collectivités territoriales.
En somme, si l’Angleterre représentait déjà le paradigme de la centralisation la plus
poussée dans la gestion des services de l’eau, on peut voir qu’il en est de même en ce
qui concerne la gestion de la ressource en eau [Barraqué, 1995].
77
3) La région administrative comme élément cohérent de la gestion de l’eau dans
les pays adeptes de la subsidiarité.
•
L’Allemagne : les Länder comme échelon territorial de la politique
de la ressource.
L’Allemagne a adopté une gestion totalement opposée de l’Angleterre puisque seule
la Ruhr est organisée en bassin-versant. Le système fédéral attribue les compétences en
matière de politique de la ressource aux Länder : ils appliquent les lois fédérales en les
renforçant éventuellement par des contrats de rivière et ils sont également responsables
de la police des eaux. Enfin, ils ont la charge de gérer le mécanisme incitatif mis en
place en 1976 en ce qui concerne les redevances de pollution et qui frappe les pollueurs
finaux, ceux qui rejettent leurs déchets dans les rivières. Les Länder exercent un
contrôle des services d’assainissement et de collecte et de traitement des ordures
ménagères. Ainsi, le cycle de l’eau n’est pas traité isolément des autres problèmes
d’environnement. Cette vision de la gestion intégrée par nos voisins allemands inclut
une articulation des actions entre celles axées sur l’eau et celles axées sur les sols. On
peut relever le cas particulier de certains Länder qui ont développé des protections
sévères en matière d’eaux souterraines et d’eaux de surface destinées à l’alimentation,
grâce à l’imposition de servitudes aux exploitants agricoles, qui bénéficient de
contreparties financières. Comment expliquer l’absence du bassin-versant en
Allemagne ? Tout d’abord, la souveraineté des Länder empêche une approche
territoriale plus transversale, de même en ce qui concerne les villes qui s’autoadministrent comme Berlin par exemple. De plus, les élus font preuve de compétences
professionnelles pragmatiques, ce qui implique qu’un organisme spécialisé comme le
bassin-versant ne paraît pas aussi techniquement nécessaire que dans d’autres pays.
Ainsi, c’est bien le principe de subsidiarité qui impose un choix en faveur de la région
administrative comme échelon territorial de la gestion de la ressource en eau [Barraqué,
1995].
78
•
Les Pays-Bas : subsidiarité et recentrage de la politique des
Waterschappen vers les Provincies.
Au plat pays, la délimitation naturelle de la ressource en eau paraît impossible dans
la mesure où l’eau est omniprésente. De ce fait, les Waterschappen, véritables
collectivités territoriales fonctionnelles, n’ont pas de délimitation par bassin. C’est
encore une fois, comme dans le cas allemand, l’application du principe de subsidiarité
lié à une configuration géographique particulière qui pousse vers une gestion de la
ressource par la région administrative et non le bassin-versant. Cependant, les
wateringues ont un point commun fondamental avec les organismes de bassins. En
effet, leurs conseils ne sont pas constitués d’élus locaux, mais d’une représentation
équitable des différentes catégories d’usagers, dans des proportions variant suivant
l’importance des missions remplies par la wateringue mais aussi suivant l’importance
des contributions financières. De ce fait, les agriculteurs sont bien souvent majoritaires
par rapport aux citadins.
Depuis 1985, la situation s’est largement complexifiée puisque le gouvernement
néerlandais a décidé de remettre en cause la gestion de la ressource préalablement
existante, au profit d’une planification intégrée, sans pour autant apporter de
modifications aux structures territoriales existantes, mais en centrant le dispositif sur la
région administrative : les Provincies. Par ailleurs, jusqu’à cette date, seuls trois piliers
fondaient la gestion de la ressource : tout d’abord, la navigation et la défense des eaux,
puis la gestion quantitative et le drainage, et enfin la gestion qualitative et la
dépollution. Depuis 1985, un quatrième pilier a été incorporé : la re-naturalisation du
milieu grâce au génie de l’environnement, pour sortir de la mono-perspective des
travaux de génie civil.
Cette évolution témoigne d’un réel engagement des défenseurs de l’environnement,
majoritairement présents au sein des couches salariées et urbanisées, et qui occupent un
poids prédominant dans les conseils régionaux qui sont élus au suffrage universel.
Ainsi, par une simple répercussion au niveau du choix des élus, la province s’investit de
manière importante dans la gestion intégrée. En conséquence, de fortes tensions
institutionnelles et politiques sont apparues entre les provinces et les wateringues,
auxquelles les premières souhaitaient imposer de nouvelles approches intégrées, voire
des modifications de la composition de leurs conseils, voire encore une simple
suppression. De ce fait, le législateur néerlandais a jugé bon d’intervenir en 1992 pour
79
rappeler le statut constitutionnel des wateringues, tout en fixant la composition de leurs
conseils. Dès lors se dessine un conflit latent entre un réseau politique nouveau, basant
sa légitimité sur la protection de l’environnement, basant son action politique au niveau
des provinces et influençant le Ministère du Logement, de l’Aménagement et de
l’Environnement, et un réseau tourné par tradition vers le génie civil et les travaux,
passant par les wateringues et remontant jusqu’au Ministère des Travaux Publics et des
Transports, au sein duquel est placée la Direction de l’eau : la Rijkswaterstaat. Enfin,
une troisième institution nationale entend jouer un rôle : il s’agit du Ministère de
l’Agriculture et de la Protection de la Nature. C’est donc un jeu non-coopératif
complexe qui s’est instauré aux Pays-Bas et qui entraîne les Néerlandais à mettre en
œuvre des approches de planification qui s’entrecoupent et entrent en conflits,
nécessitant patience et temps pour aboutir à des négociations très formalisées
[Glasbergen, 1995].
Enfin, les Pays-Bas dénotent d’une dernière caractéristique qui leur est tout à fait
propre. Ils se trouvent en aval d’une vaste métropole industrielle qui génère une
pollution considérable : l’Europe du Rhin. C’est le pays qui a le plus à prendre en
compte la contrainte étrangère, mais aussi le niveau de la mer, dans sa politique de la
ressource. La politique de gestion intégrée avec une forte connotation environnementale
s’impose donc plus comme une obligation que comme un choix [Barraqué, 1995].
4) Le régionalisme des Etats méditerranéens.
Dans le cadre d’une crise de la ressource en eau, le bassin-versant apparaît
comme le modèle le plus rationnel. Cependant, il a du mal à être adopté par les pays qui
ne l’avaient pas encore fait, car ils hésitent largement entre le modèle de la RWA
anglaise et celui de l’agence de l’eau en France. De plus, la tendance à la
décentralisation et la régionalisation dans ces Etats entraîne une préférence pour la
région administrative qui a une plus grande cohérence dans son inscription au sein de
l’architecture administrative de l’Etat, au détriment d’une cohérence en matière de
gestion de la ressource. En effet, la région administrative a parfois du mal à asseoir son
autorité sur les niveaux locaux, ce qui est préjudiciable à la gestion de l’eau.
Si l’on s’intéresse au cas italien, la loi Merli de 1976 a confié la planification de l’eau
aux Regioni. Ces autorités n’ont pas assumé efficacement leurs missions et ont rendu
des documents incomplets, non coordonnés et dans des délais supérieurs aux dates
80
limites imposées par le législateur. Si elles bénéficiaient en effet d’un pouvoir de
contrôle sur les collectivités locales, celles-ci n’ont pas accepté leur mise sous tutelle et
ont argumenté plusieurs fois devant le Parlement qu’il leur fallait plus de temps pour
mettre leurs services en conformité du fait du blocage du prix de l’eau qui les empêchait
d’investir. De ce fait, la loi Galli de 1994 entend avant tout résoudre le problème en
constituant des entités locales de gestion viables. Entre temps, les agences de bassin ont
repris un rôle important dans la gestion des rivières qui traversent plusieurs régions et
où l’Etat doit assurer la coordination des plans régionaux. Malheureusement, les
moyens économiques incitatifs mis à leur disposition n’étaient objectivement pas
suffisants, risquant ainsi de réduire le champ d’action et l’impact de la politique de
gestion de la ressource.
En Espagne, comme nous l’avons évoqué plus haut, la décentralisation régionale
a porté un coup aux dix organismes de bassin créés en 1926 : les Confederaciones
hidrograficas.
Au Portugal, le Ministre de l’Environnement avait souhaité, à la fin des années
1980, mettre en place cinq grands organismes de bassin équivalents au nombre de
grandes rivières ou régions hydriques du territoire portugais. Cependant, la réalité du
monde politique a fait avorter ce projet puisque, suite à une démission forcée, son
successeur a préféré réintégrer la planification de l’eau dans des directions régionales de
l’environnement et des ressources naturelles. Ainsi, malgré une volonté exprimée de
mettre en place des organismes de bassin-versant, la région administrative a pris le
dessus du fait d’une intégration trop faible de la problématique de la gestion de la
ressource en eau dans l’agenda politique. A ce jour, plusieurs projets ont été évoqués
pour instituer une quinzaine de sous-bassins [Barraqué, 1995.
5) La France et ses Agences de l’Eau.
En France, comme nous l’avons déjà vu, l’émiettement des services est
compensé par un degré de concentration élevé dans l’industrie privée de l’eau. De plus,
les ingénieurs d’Etat forment un corps dont le poids important assure la cohérence et
l’unité du système. Ainsi, les travaux de génie civil ont toujours été une partie intégrante
du modèle français de gestion de l’eau. Malheureusement, la faiblesse des pouvoirs
locaux engendrée par cette organisation du secteur a entraîné une limitation de la
possibilité d’émergence d’une gestion intégrée. De ce fait, alors que 90% des
81
établissements industriels étaient raccordés aux réseaux publics d’assainissement en
Allemagne en 1975, seuls 50% l’étaient en France
.
De manière plus large, le développement limité de la gestion intégrée est issu de la
perception française des droits de l’homme, très centrée sur le respect de la propriété
privée. De ce fait, l’action des communes dans la gestion des biens « communs »
comme l’eau, qui se fait selon une appropriation sociale par la règle de l’usage et de la
coutume, a été fortement restreinte par l’impossibilité de restreindre l’initiative privée
[Bourjol, 1994]. Cette logique est également perceptible dans le processus de
codification d’un droit de l’environnement et de la création d’une police des
établissements classés. En effet, le droit de l’environnement a émergé du fait des abus
de droit de propriété [Rémond-Gouilloud, 1989] et la police des installations classées a
été mise en place non pas pour protéger l’environnement mais pour assurer la protection
des sites industriels par l’Etat contre leur voisinage, défendu lui, par les collectivités
locales et leur pouvoir de police générale [Lascoumes, 1989]. Ainsi, comme le
développe Gazzaniga [1991], le domaine de l’eau au 19ème siècle a fait l’objet d’une
volonté d’appliquer la logique de propriété. Il en a résulté une réduction de la place de la
gestion coutumière et communautaire du fait de l’opposition politique entre l’Etat
régalien et la propriété privée des citoyens. La gestion du domaine hydraulique n’a pas
fait l’objet d’une évolution majeure durant la plus grande partie du 20ème siècle malgré
ses limites. Elle a même été cristallisée dans l’exercice du pouvoir par les préfets après
le débat autour du régionalisme, empêchant ainsi le développement d’une gestion
consensuelle et communautaire. Par conséquent, l’inapplication du droit de l’eau dans
ses aspects environnementaux a failli faire courir tout le système à la catastrophe du fait
de l’industrialisation rapide sous la Vème République. Le système, dans son ensemble,
n’a pu sortir de l’impasse que grâce à l’extension de la privatisation des services d’eau.
En effet, celle-ci a permis le développement d’une conception de l’eau potable comme
un bien de consommation. De ce fait, la mise en place des agences de l’eau et de leurs
redevances fondées sur des taxes pigouviennes a permis de rééquilibrer la gestion de la
ressource vers des considérations environnementales et communautaires dans la
tradition anglo-saxonne de bien commun. C’est une application directe de la théorie
néomarginaliste de Pigou qui veut que le principe de pollueur-payeur soit la correction
des externalités du marché par leur internalisation à travers des taxes, transférant le coût
des externalités de leurs victimes à leurs créateurs.
82
Les ingénieurs des grands corps revenaient à l’époque des Etats-Unis, où ils
étaient partis étudier l’économie et le management, avec une perspective consumériste
de l’eau. Ainsi, ils ont imposé deux éléments au Secrétariat permanent pour l’étude des
problèmes de l’eau situé à la DATAR6 : d’un côté, une « consumérisation » des services
de l’eau (avec un paiement au volume prélevé et l’équilibre entre recettes et dépenses)
et de l’autre côté, une « consumérisation » des agences financières de bassin et de la
redevance calculée sur le principe de pollueur-payeur. En parallèle, les ingénieurs se
sont inspirés du modèle de la Ruhr, en imaginant une solidarité entre bassins. Les
agences de l’eau ont donc émergé comme des « mutuelles » On constate donc un conflit
direct entre le principe de pollueur-payeur et la principe de mutualité. Dans le premier
cas, l’institution est faite pour disparaître dès lors que la redevance a conduit chaque
pollueur à supprimer sa pollution. Dans le second cas, l’institution est faite pour durer
car elle gère les installations concrétisant la solidarité. Ainsi, puisque les Agences de
l’Eau existent encore aujourd’hui, on peut en déduire que le principe de pollueur-payeur
a eu un simple effet d’affichage sans être, pour autant, réellement mis en œuvre
[Meublat, 1987]. Les Agences de l’Eau assurent donc une gestion communautaire et
solidaire de la ressource. Comme l’écrit Barraqué [1995, p 279] : « Dans ces conditions,
les agences assurent indirectement, par la voie économique, la compensation
réciproque que les ayants droits d’un bien d’environnement, d’une common property se
doivent les uns aux autres par principe, selon la règle juridique du partage des
communaux ».
Une question émerge pourtant. Si les Agences de l’Eau ont une fonction de gestion
solidaire, pourquoi celle-ci n’a-t-elle pas été étendue aux secteurs de la gestion de l’eau
encore mal assurés et qui sont les inondations et la pollution pluviale ? Pour répondre à
cette question, il faut adopter une démarche ontologique.
Instituées par la loi du sur l’eau du 16 décembre 1964 et le décret du 14 septembre
1966, les Agences de l’Eau sont des établissements publics administratifs de l’Etat
placés sous la tutelle du Ministère de l’Environnement. L’Agence de l’Eau est un
organisme financier qui perçoit des redevances sur la pollution de l’eau et sur les
6
Direction à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, aujourd’hui remplacée par la DIACT :
la Direction Interministérielle à l’Aménagement et la Compétitivité des Territoires.
83
prélèvements d’eau. Grâce au produit de ces redevances, elle attribue des aides aux
maîtres d’ouvrage réalisant des opérations de dépollution, de gestion quantitative de la
ressource ou de restructuration et de mise en valeur des milieux aquatiques. Le domaine
d’intervention des Agences couvre les eaux de surface, les eaux souterraines et les eaux
territoriales en mer [Flory, 2003].
L’histoire des Agences est très controversée. En premier lieu, elles n’ont commencé à
fonctionner que six ans après le vote de principe des députés. Les années 1960 étaient
marquées par une approche gaullienne de l’aménagement où les ingénieurs devaient
réduire la résistance au changement des collectivités territoriales. Les directeurs des
Agences ont donc été choisis parmi les trois grands corps d’ingénieurs en rapport avec
l’eau et les Agences ont été réparties suivant la nature des territoires gérés entre ces trois
corps : deux par corps. Ainsi, les territoires très industrialisés d’Artois-Picardie et de
Rhin-Meuse, ont été confiés au corps des Mines, en charge du ministère de l’Industrie ;
les deux grands fleuves arrosant les grandes agglomérations, Rhône et Seine, ont été
confiés aux Ponts et Chaussées avec les zones littorales voisines ; enfin le grand SudOuest rural avec la Bretagne, la Loire, la Garonne et l’Adour a été confié au corps du
Génie Rural des eaux et des Forêts.
La création des Agences de l’Eau est donc plus politique que technique comme le
confirme la composition initiale des comités de bassin : un tiers pour les services de
l’Etat, un tiers pour les usagers (principalement les industriels et EDF) et un tiers pour
les élus locaux, en tant que responsables des réseaux publics. La rivalité entre groupes
était très forte et les élus et les industriels se renvoyaient dos à dos la responsabilité de la
pollution. La répartition des sièges entre élus locaux et industriels a résulté d’une
« pirouette ». Ne connaissant pas de manière précise la part des rejets de chaque groupe,
on décida qu’elle était équivalente et qu’ils bénéficieraient ainsi du même nombre de
sièges puisque leurs contributions financières seraient équivalentes. En conséquence a
été mis en place une « solidarité naturelle juridique » entre usagers dans la conciliation
entre efficacité environnementale et égalité de traitement entre citoyens.
Initialement, les élus locaux ont marqué une certaine défiance à l’égard des Agences de
l’Eau qu’ils considéraient comme des produits des technocrates et investis d’une
légitimité institutionnelle et politique leur faisant concurrence. Ils ont majoritairement
84
refusé d’être considérés comme des pollueurs et ont fait reporter la redevance sur les
pollueurs initiaux, c’est-à-dire les habitants à travers la facture d’eau. Pourtant, ce sont
les collectivités locales qui reçoivent les subventions et les primes des Agences. Puis, au
fur et à mesure, une forme de confiance s’est établie entre les différents acteurs. Le
désengagement de l’Etat dans le financement des politiques de l’eau y a largement
participé. En parallèle, le poids de l’Etat dans les comités de bassin a été réduit,
puisqu’il s’est réduit à un quart des sièges, au bénéfice d’usagers sous-représentés
jusqu’alors, comme les défenseurs de la nature. De plus, dans les conseils
d’administration, l’Etat n’a plus qu’un tiers des voix, contre la moitié au début, au profit
des élus des collectivités territoriales. Ces modifications institutionnelles ont permis une
meilleure visibilité des Agences de l’Eau en tant qu’organismes décentralisés. Elles
prélèvent directement les impôts importants qui ne transitent pas par le ministère des
Finances, elles s’occupent elles-mêmes de leur trésorerie, leur richesse leur donne
théoriquement une capacité d’intervention assez grande alors que leur programme
d’action est établi sur une base quinquennale. Cet état de fait a entraîné un renversement
des soutiens. Si initialement l’Etat central a fortement soutenu les Agences de l’Eau
lorsqu’elles faisaient l’objet de critiques des élus locaux, ceux-ci défendent aujourd’hui
publiquement les agences, les protègent au Parlement lorsqu’elles sont victimes
d’attaques (feutrées) de l’administration centrale et particulièrement du Ministère de
l’Economie et des Finances, qui voit d’un mauvais œil cette émancipation d’une
administration décentralisée dépensière. Enfin, le problème d’inconstitutionnalité
potentielle des agences du fait de leur système fiscal échappant au contrôle du
Parlement représente une épée de Damoclès.
En outre, les Agences de l’Eau ne disposent pas de pouvoirs de police des eaux, ni de la
possibilité de gérer elles-mêmes la maîtrise d’ouvrage. Ces éléments représentent des
restrictions fortes à une possibilité de gestion intégrée dans la mesure où les agences
restent dépendantes des personnes publiques ou privées ayant la capacité juridique à
exercer une maîtrise d’ouvrage [Inquiété, 1992].
Ainsi, la création des Agences de l’Eau a permis d’évoluer vers une gestion
intégrée qui n’est pour autant pas achevée. En premier lieu, la logique d’investissement
est encore largement marquée par des travaux de réparation plus que par la réduction
des prélèvements et des rejets polluants ou la transformation des fonctionnements. En
85
second lieu, la logique de l’affectation de la ressource impose à l’Agence de dépenser
son budget dans le domaine même où elle l’a perçu. Le Ministère de l’Economie et des
Finances est hostile à une modification de cette règle afin de comprimer la dépense.
Cette logique pousse malheureusement les Agences à investir dans des travaux
classiques, sans prendre en compte les autres types d’investissements qui seraient
nécessaires à la bonne mise en œuvre d’une gestion intégrée. En dernier lieu, la même
logique financière sans maîtrise d’ouvrage limite le rôle planificateur des Agences et les
soumet au jeu du « don/contre-don » : chaque acteur du bassin qui paie sa contribution
est a priori sûr d’être aidé lorsqu’il présentera un projet. Chacun ayant ses projets,
l’Agence peut être conduite à composer des programmes hétéroclites, mais équilibrés
entre les acteurs, pour ne pas avoir l’air de favoriser l’un d’entre eux. Au final, la
planification s’avère difficile voire impossible. A l’inverse, un projet collectif qui
arrange plusieurs acteurs sans en léser a toutes les chances de passer : cela a été le cas
des barrages-réservoirs jusqu’à la montée de la contestation écologique. C’est ainsi
également que le territoire français a pu passer de 360 stations d’épuration en 1960 à 11
500 en 1990. Cependant le succès des agences, leur légitimation par l’opinion publique
et leur reconnaissance internationale n’empêchent pas la nécessité de réorienter leurs
politiques vers de nouvelles priorités telles que l’eutrophisation, la pollution pluviale et
agricole, la prévention des inondations, une gestion plus naturelle des cours d’eau, etc…
Les Agences devaient initialement faire partir leur action d’objectifs de qualité à
atteindre pour chaque tronçon de rivière. Seul un décret d’objectif qualité (par le préfet
du Calvados, pour la Vire) a pourtant été signé du fait de la lourdeur de la procédure. Le
résultat en a été l’installation d’une station d’épuration par pollueur, qu’il ne savait faire
fonctionner, au détriment d’une gestion intégrée. En effet, dans les années 1960-1970,
l’installation obligatoire de stations d’épuration était une chose nouvelle, et les
industries et les collectivités étaient dépendantes d’un savoir-faire technique détenu et
monopolisé par les ingénieurs de l’eau de sociétés privées, comme la très célèbre
entreprise Degrémont. Ces derniers étaient eux-mêmes réduits à avancer à tâtons et à
expérimenter de nouvelles techniques pour maximiser l’efficacité des stations qui
étaient, et restent, des équipements complexes et aux fonctionnements variés suivant les
caractéristiques des effluents à traiter. Cet état de fait a amené les Agences de l’Eau à se
tourner vers le ministère de l’environnement pour mettre en place des formules plus
souples et contractuelles : les chartes et contrats de rivière, pour trouver et financer un
86
agent public d’entretien des rivières non domaniales, qui étaient à l’abandon. La loi de
1992 a failli intégrer la police des eaux et la maîtrise d’ouvrage pour les Agences de
l’Eau, mais la peur d’une confusion des rôles a tué cette réforme dans l’œuf. De plus,
beaucoup d’acteurs ont préféré maintenir les agences dans une position de statu quo face
au risque de voir les opposants des Agences soulever la question de la constitutionnalité
des redevances. Ainsi, la loi de 1992 ne mentionne pas les Agences de l’Eau et prévoit
la mise en place de « communautés locales de l’eau » au sein des collectivités
territoriales au niveau du sous-bassin pour assurer la maîtrise d’ouvrage. Ces
communautés seraient financées par les agences et animeraient la réalisation de
nouveaux documents de planification, véritables outils d’une gestion intégrée. Le suivi
de la réalisation des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) par les
commissions locales de l’eau et des schémas directeurs d’aménagement et de gestion
des eaux (SDAGE) par les comités de bassin a permis de franchir une étape dans la
construction de réels consensus sur des efforts et des engagements réciproques dans une
perspective de gestion intégrée.
Enfin, la police des eaux a été confiée à l’Etat dans une tradition purement française afin
d’éviter la décentralisation au profit d’organismes ne bénéficiant pas de la souveraineté,
la subsidiarité étant beaucoup moins développée en France qu’en Allemagne. C’était
également la volonté des agences qui ne voulaient pas perdre leur image positive et leur
potentiel de médiation.
Ainsi, on distingue trois modèles de gestion de la ressource : le premier est celui
d’une privatisation « à la française » avec une forte concentration de l’industrie de l’eau
face à l’émiettement des communes. Le second modèle, développé en Allemagne, est
caractérisé par une transversalité et une privatisation formelle des services urbains à
caractère industriel et commercial, tout en maintenant la gestion à un échelon très local.
Le troisième modèle, marqué par une réorganisation des services de l’eau à un échelon
supracommunal est appliqué aux Pays-Bas et tend à être exporté en Italie, en Espagne et
au portugal. L’Angleterre et le Pays de Galles ont poussé le modèle néerlandais à
l’extrême puisque les élus locaux n’ont plus aucune prérogative sur la gestion des
services de l’eau depuis une régionalisation succédée par une privatisation totale à la fin
des années 1980.
87
Par ailleurs, la gestion des services publics a été accompagnée d’une gestion
intégrée de la ressource prenant en compte les différents intérêts convergents ou
divergents, aux différents échelons territoriaux, afin de dégager un consensus
raisonnable entre les usagers. Historiquement développée dans le bassin de la Ruhr, en
tant que résolution d’un problème socio-politique, la gestion intégrée connaît quatre
variantes principales en Europe : le bassin-versant comme territoire d’une gestion
centralisée au Royaume-Uni, la région administrative en Allemagne et aux Pays-Bas
comme territoire d’une gestion respectant le principe de subsidiarité, le régionalisme des
Etats méditerranéens et le couple financier « Agences de l’Eau-comités de bassin » en
France avec les Agences de l’Eau comme pivots d’une gestion planifiée de la ressource.
88
Les services publics d’eau en France et en Europe arrivent à maturité si l’on met
à part le cas des pays d’Europe du Sud dont l’équipement initial est encore en cours. De
ce fait, le patrimoine technique des services publics, les coûts de remplacement, le prix
de l’eau mais aussi les contrats et les comptes des services suivant qu’ils sont délégués
ou en régie font l’objet d’enquête de plus en plus nombreuses. Cette dynamique est
issue du fait que l’ère de l’investissement premier qui ne s’intéresse pas à la gestion et à
l’entretien de ces services est terminée. L’Angleterre a été le premier pays d’Europe
confronté à cette réalité du fait de l’ancienneté de ses réseaux de distribution et
d’assainissement d’eau. Les autres Etats d’Europe du Nord se voient aujourd’hui en
proie à une question cruciale : la gestion durable dans le cadre de la directive cadre de
l’Union Européenne (CE 2000/60) d’un gigantesque patrimoine technique issu de plus
d’un siècle de construction. Cette gestion durable dans la perspective de la législation
communautaire s’inscrit dans trois directions : la reconquête de la qualité de l’eau dans
le milieu naturel, la participation du public et la couverture des coûts par les prix. La
problématique centrale pour répondre à ces objectifs est la vitesse de renouvellement
des équipements tout en améliorant leur performance sur le plan environnemental mais
également économique.
Les financements de recherche comparative concernant la gestion de la ressource
en eau et des services publics liés ont été multipliés par la signature du traité de
Maastricht. L’ouvrage de référence en la matière a été financé en France par le ministère
de l’environnement et les agences de l’eau pour opérer une synthèse sur les 15 Etats
membres de l’Union Européenne en 1995 [Barraqué, 1995]. En parallèle, la DG
Recherches de la Commission Européenne a financé une réflexion plus poussée sur cinq
de ces pays à travers le partenariat Eurowater [Correia, 1998]. Ce partenariat a relancé
la discussion traditionnelle sur la gestion publique ou privée, déjà mise en avant par la
mondialisation, en l’élargissant à deux autres problématiques : d’un côté, la tension
entre centralisation et décentralisation des services publics d’eau et de l’autre côté, la
tension entre sectorisation et gestion transversale sur le modèle allemand. Par la suite, ce
même partenariat a poursuivi sa réflexion sur la gestion durable de l’eau par le contrat
Water 21. Ce projet va au-delà de la simple question gestion publique ou privée en
posant la question de savoir si les pays européens les plus favorisés et les plus
anciennement équipés pourront continuer à faire bénéficier leur population des services
publics d’eau de bonne qualité mis en place il y a plus de cent ans. En effet, les trois
89
objectifs de la directive cadre 2000 (reconquête de la qualité de l’eau dans le milieu,
participation du public et couverture des coûts par les prix) appellent à une réduction
des subventions au minimum possible socialement. Or le public n’est sans doute pas
prêt à admettre de payer son eau plus chère dans la mesure où ces subventions font un
peu partie de l’ADN des services publics d’eau en Europe. La peur des opérateurs est
évidemment que face à cette augmentation du prix de l’eau, les consommateurs décident
de renoncer à certains usages de l’eau, conduisant ainsi à une réduction des volumes
distribués et donc des profits. La question du développement durable concerne ainsi non
pas la simple gestion de la ressource en eau mais aussi celle des services publics d’eau
et tout particulièrement ceux de distribution. C’est ce dernier aspect qui nous intéressera
ici.
Nous l’envisagerons sous deux angles distincts mais totalement liés. Dans un
premier temps, nous nous pencherons sur la nécessité de mettre en place des critères de
performance pour répondre aux impératifs liés au développement durable. Puis dans un
second temps, nous nous intéresserons aux modes de régulation des services publics
d’eau en Europe pour mettre en avant la nécessité d’un observatoire européen
compétent dans l’étude des pratiques de délégation de ces services et des dispositions
prises pour leur régulation.
90
III.
La prise en compte des enjeux de développement durable dans la gestion
des services publics de l’eau en Europe.
A. La nécessaire mise en place de critères de performance.
1) Les « 3 E » du développement durable.
•
Axes de réflexion : investissement, coût d’amélioration, intégration de la
population.
Le projet Water 21 a pour clé de voûte la définition onusienne du développement
durable : il s’agit d’un développement viable économiquement, respectueux de
l’environnement, et socialement acceptable. Cette définition a amené Barraqué à définir
les « 3 E » du développement durable : Economie, Environnement, Ethique. Partant de
cette définition, trois axes de réflexion se dessinent. Premièrement, quel niveau
d’investissement mettre en place pour l’entretien et le renouvellement des
infrastructures techniques des services publics d’eau pour assurer des performances
environnementales au moins constantes ? Secondement, quel est le coût d’amélioration
des services, partant du fait que la législation communautaire et les politiques nationales
plus strictes qui en découlent, exercent une pression accrue sur les services de
distribution et d’assainissement d’eau pour qu’ils améliorent leurs performances en
matière d’environnement et d’hygiène sanitaire ? Troisièmement, comment intégrer la
population dans une démarche participative pour lui faire accepter les changements
inévitables qui vont avoir lieu dans la gestion des services d’eau et dans le prix de
l’eau ?
•
Particularité de la question éthique.
La question de l’éthique et de l’acceptabilité sociale est sans doute la plus
importante. Si, initialement, l’eau était fournie à une population ignorante du
fonctionnement des services publics d’eau par un cercle fermé d’élus locaux, de
distributeurs d’eau publics ou privés, d’ingénieurs conseillers des collectivités
territoriales, cette situation est aujourd’hui radicalement modifiée. La population
91
s’intéresse de plus en plus à la question du prix de l’eau et dont forcément à la question
de la gestion des services d’eau [Barbier, 2000]. Le niveau d’exigence du public, des
associations de consommateurs, des associations écologiques a augmenté au point que
certains ont commencé à arrêter de consommer de l’eau et à quitter le réseau public pour
certains usages. Ainsi, il paraît essentiel de rétablir une confiance dans le cœur de la
population à travers une démarche participative lui permettant d’opérer un contrôle à la
fois sur l’évolution des pratiques de gestion des services d’eau et sur l’impact de cette
évolution sur les finances des services d’eau. Certains exemples européens sont
flagrants et montrent le fossé qui s’est installé entre la population et les services d’eau
du fait d’une profonde crise de confiance. Ainsi, dans certains quartiers nouvellement
construits aux Pays-Bas, la population exige la mise en place d’un réseau d’eau non
potable en parallèle au réseau d’eau potable. Cette exigence d’un double réseau trouve
sa motivation dans des raisons morales, dont la lutte contre le gaspillage de l’eau
potable. Malheureusement, si cette position est éthiquement honorable, ces habitants
n’ont pas pris conscience que le coût d’installation d’un double réseau est largement
supérieur à celui de la potabilisation de l’eau. Il y a dont fort à parier qu’ils refuseront, à
terme, d’assumer les coûts supplémentaires liés à un tel cumul d’infrastructures
[Barraqué, 2003].
•
L’importance de l’opinion publique.
Un élément intéressant à relever en l’occurrence est l’existence d’une dialectique
d’apprentissage entre le public et les ingénieurs, qui doivent apprendre réciproquement
ce que le premier veut et à quel prix et ce que les seconds savent qu’il est possible de
réaliser au prix souhaité. Ainsi, la collaboration de sociologues et de psychologues
devient nécessaire pour enseigner d’une part, au public comment il doit se comporter et
d’autre part aux ingénieurs à entendre ce que veut ce public. On note une corrélation
positive entre le mouvement protestataire face à l’augmentation du prix de l’eau dans
des systèmes de gestion marqués par la privatisation ou la délégation comme en
Angleterre ou en France. Pourtant, comme le notent la plupart des spécialistes du
domaine, il existe une forme d’injustice à l’égard de ces modes de gestion de la part du
public. En effet, la comparaison des prix avec des pays de tradition gestionnaire
publique comme l’Allemagne ou les Pays-Bas ne débouche pas sur un constat de surfacturation de l’eau en France ou en Angleterre, au contraire (cf. tableau comparaison
92
mondiale des prix de l’eau.) On relève donc une réticence à accepter des hausses de prix
dès lors qu’intervient une privatisation ou une délégation. A l’inverse, certains
considèrent cette évolution comme inéluctable alors même qu’il existe des régies
municipales modernisées et des sociétés d’économie mixte qui arrivent à concurrencer
les sociétés privées.
•
Comment apprécier les « 3 E » suivant les modèles de gestion ?
Bernard Barraqué [2003] a mis au point une méthode d’audit simplifiée pour
tester les « 3 E » dans une perspective de comparaison des modèles de gestion nationaux
sans pour autant les juger. L’intérêt ne réside pas dans la conviction qu’un modèle est
préférable à un autre mais dans l’idée de trouver des indicateurs permettant de réfléchir
de manière globale sur la question de la durabilité. L’objectif est de saisir les « 3 E »
dans une même démarche. Cette mission relèverait des administrations et des
associations professionnelles dans leurs rapports avec les services publics. La partie la
plus difficile est bien évidemment celle de la dimension éthique. Il reste de ce fait
l’élément le moins étudié. C’est pourtant l’aspect qui mériterait sans doute de faire
l’objet du plus d’attention possible de la part des chercheurs. En effet, à quoi bon
imaginer et mettre en place une gestion durable des services d’eau, qui serait capable de
s’autofinancer, si les prix connaissent une augmentation inacceptable de la part du
public ?
Selon le même auteur, les indicateurs de développement durable utilisés par l’OCDE ou
l’Union Européenne sont inadéquats, voire incomplets. Il donne l’exemple de
l’indicateur utilisé par la France : le taux d’élimination de la pollution. Cet indicateur
n’est pas satisfaisant car 20% des Français ne sont pas raccordés au réseau
d’assainissement public mais sont desservis par un assainissement autonome. De ce fait,
il sont considérés comme des pollueurs alors même qu’ils ne polluent pas à 100%. De
plus, cet indicateur manque de clarté intellectuelle dans la mesure où il classe la France
en mauvaise position dans les comparaisons avec les autres Etats européens dès lors
qu’il est confondu avec le taux de raccordement. Il paraît donc central d’opérer un
raffinement des indicateurs de performance en matière d’environnement. Pourtant, cela
reste insuffisant sans indicateurs sur la formation et la couverture des coûts. Il s’agit
d’évaluer correctement la valeur du patrimoine accumulé et de dégager l’investissement
93
nécessaire pour sa gestion durable. Pour cela, il faut distinguer le patrimoine selon ses
caractéristiques techniques pour allouer correctement les ressources. La scission du
patrimoine peut être faite en trois partie : les tuyaux, d’une vie d’environ 50 ans et qui
justifient à ce titre des modes de financement particuliers à long terme, les ouvrages de
génie civil d’une durée de vie de 30 ans et enfin les composants électromécaniques
d’une durée de vie qui dépasse rarement la décennie.
Enfin, la multiplication des « affaires » liées au secteur de l’eau en France durant
les dix dernières années, ainsi que l’augmentation rapide des prix de l’eau ont écorné la
confiance globale du public à l’égard des gestionnaires des services, que cela soit l’Etat,
les collectives locales et leurs élus, les sociétés privées et les techniciens.
Malheureusement, trouver un indicateur capable de mesurer le degré de confiance des
usagers reste difficile.
2) Utilité de la mesure de performance pour la régulation.
Les principales difficultés soulevées dans la gestion des services d’eau au sein de
relations contractuelles appellent à mettre en place des solutions qui ne peuvent être
opérationnelles qu’à travers l’utilisation de dispositifs permettant de mesurer la
performance des services.
•
Difficultés majeures dans la gestion des services d’eau en délégation.
Dans sa thèse, Laetitia Guérin-Schneider [2001] dénombre six difficultés
majeures que nous nous proposons de détailler ici.
En premier lieu, il existe une divergence d’intérêts entre le mandant et le
mandataire. Cette situation est d’autant plus compliqué qu’un acteur se rajoute par
rapport à la théorie basique de l’agence : l’usager. Celui-ci n’est pas directement
représenté. Par conséquent, on constate une divergence d’intérêts entre les
consommateurs, les élus et l’exploitant du service, intérêts qui sont particulièrement
durs à concilier, notamment en ce qui concerne la rédaction d’un cahier des charges
entre les collectivités et les délégataires privés. Ensuite, si la formulation des objectifs
généraux du mandat est assez aisée, la transformation de ces derniers de manière
94
opérationnelle reste problématique. Il y a donc une dichotomie entre formulation et
contenu réel du mandat de délégation en ce qui concerne les obligations de service
public. Dans l’étude du cas anglais, un petit nombre seulement d’obligations sont
exprimées précisément. Cela aboutit à leur sur-valorisation par rapport à d’autres
critères. A l’inverse, des principes généraux tels que l’accès universel sont conçus de
manière restrictive par les délégataires privés. L’expression en est que les nouveaux
abonnés doivent supporter la totalité des coûts du raccordement, ce qui est
particulièrement dissuasif et représente, en un sens, une forme d’exclusion de l’accès au
service. Plus l’autonomie du gestionnaire est importante, plus les collectivités ont
besoin d’avoir à leur disposition des outils pour formuler le contenu du service et
contrôler son application. La troisième difficulté réside dans la situation de monopole
naturel lié au secteur de l’eau qui entraîne une faible concurrence. Le manque de
pression concurrentielle issue d’une situation oligopolistique et de l’impossible entrée
sur le marché empêche d’opérer une comparaison des services des collectivités à ceux
des autres collectivités. La faible pression concurrentielle s’exprime donc à travers le
caractère purement formel de la concurrence initiale et l’inexistence d’une concurrence
potentielle par l’arrivée de nouveaux prestataires sur le marché. En outre, s’ajoute la
difficulté liée à l’asymétrie d’information entre les collectivités et l’exploitant du
service, asymétrie qui s’opère au détriment de la collectivité. Au-delà de la simple
différence de moyens mis en œuvre pour exécuter le service, il y a asymétrie
d’information entre la collectivité et l’exploitant en ce qui concerne les compétences
techniques, les connaissances juridiques, les capacités financières, l’habitus de
négociation et leur niveau d’intervention. Par ailleurs, cette asymétrie d’information est
encore renforcée par le manque de procédure d’adaptation lors de l’exécution du contrat
de délégation. La collectivité s’expose à un risque d’abus de la part du délégataire lors
de la réalisation d’un avenant au contrat. Cela concerne bien évidemment en premier
lieu l’économie du contrat lorsque l’avenant fait augmenter le prix initialement
intéressant. Enfin, la collectivité s’expose à un risque de capture du service par le
mandataire. En effet, il est difficile d’exercer sur ce dernier une pression incitative pour
obtenir le comportement souhaité. Cette difficulté est d’autant plus renforcée
aujourd’hui que l’objectif de croissance quantitative des services d’eau par le
raccordement de nouveaux clients est atteint depuis longtemps avec un taux de
raccordement élevé. Le gestionnaire du service n’a donc pas d’intérêt à suivre une
95
logique de progrès pour répondre aux exigences qualitatives actuelles, puisqu’il a déjà
capturé sa clientèle.
•
Solutions : régulation permanente, dialogue, auto-incitation, suivi de la
performance.
A ces problèmes différents, nul ne peut apporter de solution miracle. On ne peut
qu’apporter un panel de solutions qui répondent partiellement aux difficultés
rencontrées. Premièrement, la régulation doit être permanente puisque c’est au stade de
l’exécution et du renouvellement des contrats que les problèmes sont particulièrement
flagrants. De même, la situation de monopole naturel et la faiblesse concurrentielle
qu’elle implique nécessite une régulation permanente. Secondement, cette régulation
permanente doit représenter une opportunité de suivi et d’échange d’information dans
un esprit de dialogue et d’adaptation afin de réduire l’asymétrie d’information et les
distorsions qui y sont liées (capture, bouleversement de l’économie du contrat…).
Troisièmement, la régulation doit mettre en place des systèmes auto-incitatifs pour
limiter les coûts de transaction. Il est important que ces systèmes soient caractérisés par
des menaces crédibles (rachat, mauvais classement, audit financier, fixation unilatérale
du prix…). Enfin, la régulation doit inclure également le suivi des performances autres
que les performances financières : les performances techniques, indicateurs de niveau de
service, contrôle du respect des engagements.
Ces pistes de solutions ne sont pourtant pas opérationnelles pour la gestion des services
par les collectivités locales. Il faut imaginer une mesure de performance reposant sur
des indicateurs, constitutive d’un complément majeur dans la régulation des services.
Envisageons chaque difficulté rencontrée et les arguments qui en découlent pour
justifier une telle mise en place d’indicateurs de performance. Les performances non
financières sont au cœur du service public et les intérêts des usagers et des collectivités
ne se résument donc pas au prix du service. On a donc tout intérêt à bien choisir les
indicateurs pour qu’ils rassemblent l’ensemble des objectifs du service. Si les
indicateurs restent peu nombreux et d’emploi aisé, les coûts de transactions son quasi
nuls. Par ailleurs, les indicateurs pourront devenir des vecteurs d’expression pour
l’ajustement des contrats. Tout écart par rapport à la norme peut être à l’origine d’un
dialogue entre les acteurs pour trouver les causes et y remédier par les mesures les plus
96
adéquates. Les coûts de transaction peuvent à nouveau être limités si l’on inscrit, dans le
contrat initial, le principe de variation des indicateurs en fonction des besoins et des
objectifs du service, ce qui permet de limiter les coûts d’ajustement contractuels. De
même, la soumission de tous les services aux mêmes critères permettrait de réduire
l’impact de la situation oligopolistique qui empêche la comparaison entre services. Ceci
n’empêche pas de prendre en compte les spécificités d’un service pris individuellement
pour une adaptation locale particulière en choisissant un panel d’indicateurs particuliers.
Les indicateurs les plus importants se retrouveront forcément dans le panel malgré cette
autonomie dans la gestion du service. Au-delà, on réduit également l’asymétrie
d’information puisque la mise en place d’indicateurs communs permet comparaison et
partage d’information à travers une base de travail commune entre collectivités et
exploitants. Les indicateurs de performance répondent également à l’obligation de
régulation permanente qui est supportée par la collectivité locale. L’efficacité des
indicateurs de performance est plus sujette à caution en ce qui concerne l’auto-incitation
des exploitants. Cependant, la mise en comparaison des services ouvre la perspective
d’une concurrence fictive, qui peut générer une incitation. Enfin, la capacité du
régulateur à exposer son désaccord publiquement par la mise en lumière des enjeux
(sunshine regulation) permet d’influencer l’exploitant par des moyens de pression
indirects.
Ainsi, des perspectives pertinentes s’ouvrent à travers la mesure de performance
par indicateurs en ce qui concerne la régulation des services au niveau local par les
collectivités tout au long de la relation contractuelle qui régit la gestion des services
d’eau.
Comme le résume Guérin-Schneider : « Dans la phase initiale de négociations
entre les cocontractants, les indicateurs permettent de mieux formuler les missions à
remplir. En fournissant des éléments objectifs pour appréhender les résultats qualitatifs
du service, ils offrent ensuite la possibilité d’un échange d’information entre les élus et
l’exploitant tout au long de la phase d’exécution. De plus, la mesure de performance
s’insère dans une logique auto-incitative, grâce au suivi des évolutions internes au
service et surtout grâce à la possibilité de comparaisons entre services suffisamment
proches » [Guérin-Schneider, 2001,p 191].
97
3) La construction des indicateurs.
Il serait très fastidieux d’exposer ici l’instrumentation des indicateurs mesurant
la performance des services. Par ailleurs, leur haut niveau de technicité s’adresse plus à
des ingénieurs et des économistes spécialisés dans ce domaine qu’au grand public. Nous
nous attacherons donc plus à dégager les principes fondant l’élaboration de ces
indicateurs.
La définition de la notion de performance appelle avant tout à la description des
objectifs du service public. Par ailleurs, il faut déterminer s’il pèse sur les services
publics un obligation de moyens ou bien une obligation de résultats. Dans cette
perspective, nous nous demanderons s’il faut réguler la fixation du prix. Enfin, nous
nous intéresserons aux caractéristiques des indicateurs utilisables comme outils de suivi.
•
Objectifs du service public.
Le service public en général, au-delà de la production d’un bien, vise à
promouvoir l’intérêt général à travers, en ce qui concerne les services d’eau,
l’aménagement du territoire, la cohésion sociale, la protection de l’environnement, la
santé publique, la gestion durable. Ces notions renvoient à des missions qui peuvent
servir de base pour la mise en place de mesures concrètes. L’aménagement du territoire
répond à une mission de raccordement au réseau, la cohésion sociale répond aux
missions de raccordement au réseau, de bon fonctionnement des équipements, de prix
modéré, de satisfaction de la clientèle, la protection de l’environnement et la santé
publique répondent aux missions de limitation des pollutions, de préservation des
ressources et de qualité, enfin la gestion durable s’inscrit dans la pérennisation du
patrimoine et l’auto-financement des services [Guérin-Schneider, 2001]. Au sein de ces
missions, la toute première nous intéresse moins puisqu’elle relève de l’unique choix de
la collectivité et que le taux de raccordement est élevé dans l’ensemble des pays
européens.
98
•
Quelle obligation pour les services publics ?
Ayant déterminé les missions, il s’agit de déterminer s’il pèse sur les services
une obligation de moyens ou une obligation de résultats. Le suivi des moyens au sein de
la régulation comprend le contrôle du matériel utilisé dans la gestion du service
(facteurs de production, équipements, fournitures, installations…) et le contrôle du coût
du service. La suivi des résultats s’attache au respect des objectifs fixés. Les moyens
mis en œuvre relèvent du choix du gestionnaire mais il doit atteindre les objectifs fixés
dont le respect est contrôlé par le régulateur. A ce jour, le contrôle de moyens l’a
emporté sur le contrôle de résultats, bien que l’esprit de la délégation et du cahier des
charges qui lui est lié appelle plus à un contrôle de résultats. Cela vient du fait que les
réflexions théoriques sur la régulation s’attachent plus à pousser l’exploitant à révéler
ses coûts. Malheureusement, les obstacles au contrôle de moyens sont tels que ce
dernier perd en efficacité. Tout d’abord se pose la question suivante : comment définir
le coût et les moyens affectés au service local au sein d’une gestion globale ? Par
ailleurs, les délégataires expriment une hostilité certaine face au contrôle de moyens
puisque celui-ci limite la prise de risques nécessaire pour dégager des profits plus
importants. De plus, certes le pouvoir des juridictions financières (particulièrement en
France avec les Chambres Régionales des Comptes) se développe, mais la difficulté du
contrôle et le manque de personnel pour l’effectuer font que ce pouvoir se résume au
final à un simple droit de regard, qui perd encore plus de crédibilité avec une absence
récurrente de sanctions. Enfin, certains économistes (Williamson, Deffeuilley ou
Lorrain) montrent d’autres limites du contrôle de moyens. Le contrôle de moyens
requiert une capacité d’expertise qui ne peut être acquise que par celui qui gère
directement le service. Ainsi, le contrôle de moyens ne ferait que renforcer l’asymétrie
d’information entre délégant et délégataire. En outre, le contrôle de moyens favorise
également une stratégie industrielle de court terme, en opposition avec la mission de
durabilité du service. Dans le cas de la régie, la collectivité étant à la fois régulateur et
opérateur, la gestion souffre d’une suspicion permanente, accentuée par la confusion
possible entre contrôle de moyens et contrôle de résultats entre le personnel chargé de
travailler à une meilleure efficience du service et le personnel chargé de suivre la bonne
exécution du service.
99
En somme, que le service soit géré en régie ou en délégation, le contrôle de moyens est
insuffisant à lui seul pour permettre une régulation raisonnée et pertinente. Il faut y
associer un contrôle de résultats complémentaire, sans pour autant les confondre
[Guérin-Schneider, 2001].
•
Faut-il réguler la fixation du prix ?
La régulation du prix est à analyser à part. L’hypothèse de synonymie entre coût
et prix que l’on retrouve dans le vocabulaire courant, ne recoupe pas la réalité
économique. Le coût représente la charge pour l’opérateur et le prix la charge pour
l’usager. Une telle approximation de langage traduit l’idée inconsciemment admise par
tous que les prix doivent couvrir les coûts. Ainsi, la régulation s’attachant au contrôle
des moyens s’intéresse particulièrement à la fixation d’un prix « juste ». Cependant,
l’acceptabilité sociale entraîne parfois un niveau de prix qui ne couvre pas les coûts. La
législation communautaire a donc imposé le principe de la couverture des coûts par les
usagers du service. Le prix s’évalue selon trois paramètres : le rapport prix/coût
détermine la marge ou le déficit de l’exploitant ; le rapport qualité/prix traduit
l’efficacité du service aux yeux de l’usager ; le rapport prix/solvabilité est un indicateur
social du service (il traduit le rapport prix/acceptabilité au prix). En cas de délégation, le
prix est fixé par le contrat lors de la négociation initiale. Dans le cas du secteur de l’eau,
une renégociation annuelle n’est pas justifiée puisque l’équilibre financier d’un service
d’eau se fait sur la durée. En outre, une renégociation annuelle amène l’exploitant à
vouloir dégager plus de profits à court terme au détriment d’une gestion à long terme du
réseau, ce qui peut être grandement préjudiciable au service. La renégociation se fait
donc habituellement sur une base quinquennale. La gestion contractuelle amène donc le
régulateur à bien distinguer la période de négociation initiale pendant laquelle sont
définis les engagements et les prix, de la phase d’exécution du contrat pendant laquelle
il faut veiller au respect des engagements sans remettre annuellement en cause le prix
fixé [Guérin-Schneider, 2001].
•
Caractéristiques des indicateurs.
La combinaison des contrôles (contrôle de moyens et contrôle de résultats)
permet d’assurer la fixation du prix et le suivi de l’exécution du contrat. Nous l’avons
100
vu, le premier contrôle est déjà bien développé et répond à des objectifs de régulation
entre prix et contenu du contrat. Il s’agit donc de développer des indicateurs pour le
contrôle de résultats. Pour cela, les indicateurs de performances peuvent être utilisés
pour contrôler et corriger le fonctionnement des services en cas d’écart à la norme. Ils
peuvent ainsi servir à mettre en place des mécanismes incitatifs pour que l’exploitant
s’efforce de respecter la norme durant l’exécution du contrat. Cela est possible à
travers : une comparaison temporelle du service, une comparaison entre services, le
benchmarking entre secteurs géographiques. Le système d’indicateurs sera pertinent s’il
permet de suivre les évolutions des services et d’effectuer une comparaison entre les
services. Pour y arriver, les indicateurs doivent respecter un ensemble de
caractéristiques structurelles. Helena Alegre, secrétaire du groupe de travail de
l’International Water Association (IWA) relève onze qualités pour aboutir à un système
d’indicateurs satisfaisants. Les indicateurs doivent représenter tous les aspects pertinents
de la performance du service, donner une traduction objective de ces aspects, être
clairement définis et ce de manière concise et univoque, ne pas être redondants,
n’utiliser que des moyens accessibles à la majorité des services, être vérifiables, être
compréhensibles par les usagers, être relatifs à une période définie, renvoyer à un
territoire donné, être applicables à des services ayant des caractéristiques différentes,
être peu nombreux et se limiter aux éléments essentiels. Il n’est pas aisé de concilier
l’ensemble de ces caractéristiques mais elles tracent un chemin intéressant et
prometteur. Deux écueils sont à éviter : l’agrégation au sein d’indicateurs synthétiques
qui dénature l’information et la rend peu lisible ; et le classement des opérateurs de
manière arbitraire à travers un seul indicateur. Il faut donc s’efforcer de mettre en place
un panel d’indicateurs variés, couvrant l’ensemble des dimensions de la qualité de
prestation d’un service d’eau. Cette diversité des indicateurs permet également de
prendre en compte la diversité des situations et opérer ainsi une adaptation locale.
Suivant les spécificités de chaque situation, un ou plusieurs indicateurs pourront faire
l’objet d’une pondération plus importante dans le suivi de l’exécution du contrat. Cette
pondération recoupe l’idée d’une hiérarchisation des indicateurs selon trois niveaux : les
indicateurs fondamentaux qui synthétisent le mieux les résultats du service, les
indicateurs secondaires qui enrichissent et précisent l’analyse et les indicateurs tertiaires
qui permettent un raffinement pour une étude ponctuelle. Néanmoins, cette
hiérarchisation et cette adaptation locale ne doivent pas faire perdre de vue la nécessité
de partager ces indicateurs pour permettre un dialogue sur les mêmes bases, pour
101
standardiser les définitions, pour diffuser l’information et réduire le coût de sa
constitution [Guérin-Schneider, 2001].
Les impératifs de développement durable que nous avons exposés appellent à
mettre en place des indicateurs de performance pour évaluer les services d’eau. Ils
permettent de pallier les difficultés de gestion de ces services, qu’ils soient gérés en
régie ou en délégation, mais aussi de contrôler le prix et l’exécution du contrat. De ce
fait, les indicateurs de performance s’inscrivent dans un panel d’outils à délivrer aux
autorités de régulation. Il paraît donc essentiel de passer en revue les organismes
nationaux en Europe qui régulent la gestion des services d’eau pour déterminer leurs
caractéristiques particulières et l’inscription des indicateurs de performance au sein de
leurs spécificités. Néanmoins, l’intégration des indicateurs de performance pour
comparer les services d’eau n’a aucun intérêt si les failles des organismes de régulation
nationaux empêchent de rendre cette intégration opérationnelle. Il conviendra donc
d’envisager la nécessité de mettre en place un observatoire européen pour surveiller les
pratiques de délégation au sein des services d’eau et pour contrôler les moyens et
résultats de ces services à travers les indicateurs de performance. Cet organisme
européen est gage d’avenir dans la mesure où il permet une gestion globale et durable
des services d’eau en Europe.
102
B. La nécessité d’un observatoire européen.
La régulation des services d’eau se fait aujourd’hui à une échelle nationale. Les
enjeux de durabilité des services d’eau sont pourtant globaux. Il paraît donc surprenant
qu’aucun organisme européen n’ait été mis en place pour réguler le secteur et envisager
la problématique de la gestion de l’eau, et plus particulièrement des services de
distribution d’eau potable et d’assainissement de l’eau, dans une perspective
continentale, alors même que l’Union Européenne marque la volonté d’une
communautarisation des politiques nationales aux répercussions transnationales.
Afin de défendre l’idée d’un observatoire européen sur la délégation des services
d’eau, nous nous attacherons à dégager les différents modèles de régulation que l’on
trouve en Europe. Ceci nous permettra ensuite de souligner leurs défaillances, obstacles
majeurs à une gestion globale et durable des services d’eau en Europe. Enfin, nous nous
efforcerons de démontrer la pertinence d’un organisme européen pour réguler les
services d’eau.
1) La régulation dans les Etats européens.
Un passage en revue des différentes expériences européennes en matière de
régulation des services d’eau peut nous permettre de mettre en relief les apports
possibles d’un observatoire européen sur la délégation des services d’eau à des
entreprises, qu’elles soient publiques ou privées[Breuil L., S. Garcia et L. GuérinSchneider, 2003].
•
Collaboration entre collectivités locales et groupes de travail en France.
En France, le laboratoire Gestion de l’Eau et de l’Assainissement (GEA) de l’Ecole
Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts (ENGREF) réalise chaque année une
enquête en partenariat avec la Direction de l’eau du Ministère de l’Environnement pour
évaluer le respect et les apports des procédures de délégation mises en place par la loi
Sapin du 21 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de
la vie économique et des procédures publiques. Ainsi, la loi Sapin pose que la
délégation de service public doit obligatoirement faire l’objet d’une publicité dans un
103
journal officiel et faire l’objet d’une procédure d’appel à candidatures. Cela vaut
également pour la renégociation des contrats. Cette enquête mesure l’impact des
procédures sur l’évolution de l’organisation et des prix des services d’eau, le niveau de
concurrence et la qualité du conseil technico-juridique fourni aux collectivités locales.
Par ailleurs, le laboratoire GEA de l’ENGREF travaille depuis 1997 avec les Directions
Départementales de l’Agriculture et des Forêts pour développer une méthode de suivi de
la performance, basée sur des indicateurs, applicable facilement par les collectivités
locales. Pour chacun des grands critères de performance, un petit nombre d’indicateurs
sont définis pour constituer un tableau de bord de suivi. Le choix des indicateurs est
opéré par la collectivité et l’exploitant. La présentation des indicateurs se fait sur une
base quinquennale, avec une interprétation de leurs évolutions suivant les
caractéristiques du service et de ses moyens. Par conséquent, un dialogue permanent est
établi entre l’exploitant et la collectivité, ce qui permet de prendre des décisions
concrètes pour améliorer l’efficience du service. D’autres projets d’analyse de
performance des services d’eau sont en cours. On peut notamment relever celui à
l’initiative de collectivités qui contribuent à la définition d’indicateurs, en collaboration
avec le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, sur la base de
l’expérience de Service Public 2000, un cabinet de conseil spécialisé en gestion
publique, pour ensuite les tester dans leurs services. Enfin, un projet de loi prometteur
avait été présenté au Conseil des Ministres en 2001, proposant la constitution d’un Haut
Conseil des services publics d’eau. Si, à l’origine, cet organe devait être indépendant et
ressembler à un système de régulation des services à travers la transparence du
fonctionnement et de la facturation, les négociations lors du vote en première lecture en
janvier 2002 ont été si dures, que le Haut Conseil avait perdu tout pouvoir de contrôle et
de régulation et ne pouvait que rendre des recommandations relatives à la facturation,
l’équilibre financier et l’économie des contrats. Ce projet a été finalement tué dans
l’œuf avec le changement de majorité après les élections présidentielles et législatives
au printemps 2002.
•
Une régulation centralisée en Grande-Bretagne.
En Angleterre et au Pays de Galles, la privatisation de 1989 a été accompagnée
par la mise en place de trois organismes chargés de la régulation du système :
l’Environmental Agency est chargée de la protection de l’environnement depuis 1995, le
104
Drinking Water Inspectorate a pour mission de surveiller les normes légales relatives à
la qualité de l’eau depuis 1990 et l’Office of Water Services (OFWAT), créé dès 1989,
assure la régulation économique des services d’eau. Ce dernier organisme protège les
intérêts des consommateurs par le contrôle de la variation des prix, de l’efficacité des
exploitants, de l’effectivité de la concurrence et du respect des normes de qualité de
prestation. Dans ce cadre de privatisation totale, l’OFWAT opère une concurrence par
comparaison entre les compagnies en publiant les résultats de performance de chacune.
Ce travail s’attache à évaluer trois critères : la performance sur l’usage de l’eau, la
performance financière et la performance du service aux usagers. La performance sur
l’usage de l’eau mesure la performance des compagnies par rapport aux objectifs sur les
fuites et l’usage efficace de la ressource en eau. Les compagnies sont notées et classées
en fonction de leurs résultats par rapport aux objectifs fixés en matière de sécurité
d’approvisionnement. La performance financière des compagnies est comparée par
rapport aux limites posées lors de la révision quinquennale des prix. Il s’agit de
s’assurer que le principe d’incitation tarifaire a bien joué pour améliorer l’efficacité de
la production et minimiser les coûts. Cette évaluation s’attache également à vérifier que
l’investissement programmé a été respecté. La performance financière est analysée à
travers le chiffre d’affaires, les profits d’exploitation, la marge brute d’autofinancement,
le bilan des actifs, le rendement sur capital, les dividendes aux actionnaires… Les coûts
sont rationalisés suivant les services (distribution ou assainissement) et les fonctions
(ressource, traitement, distribution…) suivant les usages (personnel, énergie, matériels).
Ainsi, l’OFWAT mesure les efforts des compagnies pour atteindre les objectifs fixés en
termes de prix, d’investissement et d’efficacité. Enfin, la performance du service aux
usagers est évaluée pour chaque compagnie et pour l’ensemble du secteur sur une base
annuelle. Elle s’opère à travers différents indicateurs : les différentes plaintes ou
demandes des usagers, ainsi que les délais de réponse, la qualité de service en eau
potable et la qualité de service en assainissement. L’OFWAT propose une comparaison
internationale des évaluations de performance des compagnies anglaises avec les
données américaines, australiennes ou hollandaises. Cette démarche présente de
nombreuses difficultés telles que la pertinence des comparaisons si les caractéristiques
techniques des services diffèrent, le choix des indicateurs de performance suivant
l’environnement de production pour comparer les services dans des conditions
similaires, les divergences de définitions et d’hypothèses dans la gestion des services.
105
Cette régulation centralisée met donc en place une yardstick competition par une
méthode comparative explicite.
•
Le benchmarking des distributeurs publics néerlandais.
Aux Pays-Bas, les distributeurs publics se sont lancés dans une première
expérience de benchmarking en 1989. Rappelons que l’approvisionnement en eau
potable se fait par des sociétés à responsabilité limitée dont le capital est détenu par les
municipalités ou les provinces. L’assainissement, quant à lui, est géré par
l’intermédiaire des Waterschappen, collectivités territoriales spécifiques [Drouet, 2001].
Dès 1989, un certain nombre de compagnies ont mis en place un système d’autorégulation par une procédure de benchmarking qui visait à recueillir les données
relatives à la rentabilité économique, le niveau d’endettement, les prix, les taux de
raccordement des opérateurs. L’association néerlandaise des distributeurs d’eau potable,
la VEWIN (Vereniging van Waterbedrijven in Nederland) a, depuis 1997, généralisé
cette procédure à la plupart des compagnies. La performance des compagnies est
évaluée à travers quatre thèmes : la qualité de l’eau potable, le niveau de service,
l’impact environnemental, la finance et l’efficacité. Les opérateurs hollandais étant
financés par emprunt bancaire, ce sont les banques et le gouvernement central qui les
poussent à s’engager dans cette démarche de comparaison de performance, puisque les
rapports annuels servent à évaluer leur solvabilité [Van Dijk et Schwartz, 2002]. Enfin,
du fait de la faiblesse du développement des opérateurs privés, la proposition de mettre
en place un office de régulation sur le modèle anglais de l’OFWAT est restée lettre
morte.
•
Le Comité de Vigilance italien.
En Italie, la loi Galli de 1994 a introduit un nouveau système de régulation des
prix ainsi qu’un organisme centralisé de régulation chargé de le mettre en place [GuérinSchneider L., M. Nakhla et A. Grand d’Esnon, 2002] : le Comitado per la vigilanza
sull’uso delle risorse idriche, comité de vigilance pour les services d’eau. Organisme de
régulation indépendant de l’administration publique, ce comité répond directement au
Parlement auquel il fournit un rapport annuel sur l’état des services d’eau. Les
prérogatives les plus importantes du point de vue de la régulation sont la garantie du
106
respect des principes de la loi de réforme des services de l’eau avec un souci permanent
d’efficacité et d’économie du service, la régulation de la fixation et de l’évolution des
prix de l’eau, la garantie du respect des intérêts des consommateurs. Malheureusement,
les moyens limités du comité ont poussé les autorités à décentraliser ses activités à des
autorités régionales de vigilance des services de l’eau. Leurs activités consistent à
rendre publiques les conditions de déroulement des services et d’en exposer les raisons,
faire des recommandations pour l’adoption de la charte du service public, signaler les
modification contractuelles, déterminer les situations critiques et irrégulières du
fonctionnement des services, définir des paramètres d’évaluation des pratiques
tarifaires, se prononcer sur le respect des normes de qualité, exprimer des avis relatifs à
la qualité des services aux usagers, faire un compte-rendu annuel sur l’état des services.
En parallèle, un observatoire chargé de collecter des statistiques a été mis en place. Il
effectue le recensement des gestionnaires des services et des données techniques et
financières, la récolte des conventions et des conditions générales de contrat pour
l’exercice des services, l’analyse des modèles adoptés par les gestionnaires des services
en matière d’organisation, de gestion, de contrôle, de programmation des services et des
installations, l’analyse des niveaux de qualité des services, l’analyse et la comparaison
des tarifs appliqués par les gestionnaires des services, l’analyse et l’élaboration de plans
d’investissement pour la modernisation des installations et des services. Cependant,
l’absence de relais local et d’une bonne coordination entre les échelons a abouti à une
faiblesse du système, avec moins de la moitié des autorités régionales de surveillance
constituées.
•
Faiblesse institutionnelle de l’IRAR portugais.
Au Portugal où la délégation est autorisée depuis 1993, les formes
organisationnelles publiques ou privées sont diverses et sont établies sur le principe de
l’intercommunalité. Pour protéger les usagers, un observatoire national a été créé en
1995. Il est chargé du suivi de la qualité du service et du contrôle des prix. La loi
prévoyait également la création d’une commission d’inspection chargée de négocier le
prix et de contrôler le respect du cahier des charges au sein des délégations. Finalement,
en 1997, les deux institutions ont été fusionnées pour créer un seul organisme de
régulation : l’IRAR (Instituto Regulador de Aguas e Residuos). Institution autonome
placée sous la tutelle du Ministère de l’Environnement, ses activités ont démarré en
107
2000 et recoupent quatre domaines : la tarification, la qualité, l’entrée sur le marché et
l’investissement [Fortunato A., et R. Martins, 2002]. En matière de tarification, l’IRAR
a la possibilité de commenter le niveau des prix dans les concessions des services d’eau,
de suivre leur évolution, de proposer une régulation du prix ou de suspendre les clauses
contractuelles fixant les prix qui violent les droits des usagers ou causent du tort à
l’équilibre économique du secteur ou la maintenance des infrastructures. En matière de
qualité, l’IRAR est compétent pour émettre des normes réglementaires, pour rassembler
et publier, tout en appréciant, l’information concernant la qualité des services, donner
des recommandations. En termes d’entrée sur le marché, l’IRAR peut faire des
recommandations sur les processus d’adjudication des concessions, ainsi que sur la
spécification des contrats. Enfin, l’IRAR peut émettre un avis sur les programmes
d’investissement. Ainsi, l’IRAR est avant tout un organe consultatif qui n’est pas censé
agir en régulant les prix sous la forme de price cap, mais en exprimant des
recommandations. L’IRAR ne dispose d’aucun moyen coercitif. La preuve en est la
démission de Pedro Cunha Serra, directeur de l’IRAR, seulement après un an d’activité
car il estimait ne pas disposer des moyens nécessaires pour mettre en place un véritable
système de régulation pour les services d’eau. Néanmoins, l’influence potentielle par la
mise en concurrence fictive à travers une comparaison entre services et la fixation des
conditions contractuelles lors de la délégation sur la tarification et les responsabilités de
l’exploitant sont des éléments importants dans un système de régulation. Un nouveau
directeur a donc été désigné en 2003.
Notons pour compléter notre étude, que le laboratoire GEA de l’ENGREF s’est
également penché sur les débuts de la régulation des services d’eau en Lituanie pour
insister sur les problèmes rencontrés lors de cette étape particulière, mais aussi sur le cas
des pays scandinaves qui se sont regroupés pour former un consortium efficace pour
résoudre des problèmes communs dans la gestion des services d’eau, et ce notamment,
grâce à la mise en place d’un benchmarking très avancé [Breuil L., S. Garcia et L.
Guérin-Schneider, 2003].
Les expériences de régulation effectuées en Europe nous montrent la nécessité
d’encadrer de manière à la fois législative et contractuelle la gestion des services d’eau
et que la régulation s’ancre dans une autorité de régulation ou des systèmes comparatifs
108
et incitatifs. Les systèmes mis en place à ce jour souffrent de défaillances
informationnelles qu’il s’agit d’envisager individuellement pour les résoudre.
2) Défaillances des systèmes actuels.
Les principales défaillances des systèmes de régulation résident dans les
problèmes informationnels que les services de l’eau rencontrent. Ces problèmes sont de
trois types : les asymétries d’information entre l’autorité en charge de l’organisation du
service et l’entreprise exploitante, le manque de transparence à l’égard des usagers en ce
qui concerne le fonctionnement du service, le manque d’information et d’uniformité
pour comparer les services à travers l’Europe.
•
Problèmes informationnels.
Dans toutes les phases du contrat, l’entreprise délégataire domine l’autorité
locale qui délègue son service du fait de ses connaissances techniques, juridiques et de
son pouvoir de négociation. Pour résoudre ce problème, la collectivité délégante doit
posséder un pôle d’expertise technique pour porter un jugement critique sur les
propositions faites par l’exploitant. La collectivité doit aussi posséder les informations
relatives aux coûts. La collectivité se doit également de répondre à la demande des
usagers d’avoir accès à une meilleure information en ce qui concerne la qualité de l’eau
et le suivi de ses tarifs. La valeur économique de l’eau a pris une part de plus en plus
importante au sein de la demande sociale du fait de l’envolée des prix depuis le début
des années 1990 avec les nouvelles normes communautaires relatives à la qualité de
l’eau. Les consommateurs ont appelé à plus de transparence dans la gestion des services,
d’autant plus que des scandales politico-financiers mettant en scène des élus locaux ont
fortement marqué les consciences dans les années 1990, particulièrement en France. En
conséquence, une clarification de la facturation a été une première réponse, bien
qu’insuffisante si l’on regarde la littérature plutôt prolixe en ce qui concerne
« l’incompréhensible prix de l’eau » [Cour des Comptes, 2003]. L’information relative
à la qualité de l’eau n’a cependant toujours pas été généralisée à l’ensemble des usagers.
Enfin, les asymétries d’information se retrouvent à l’échelon européen : il est
extrêmement difficile de porter un jugement par comparaison entre les services d’eau à
travers les différents Etats européens du fait de la pluralité des échelles et des modes de
109
gestion rencontrés. De même, le partage des responsabilités est opéré différemment
entre collectivité, exploitant et autorité de contrôle, tout comme diffère la manière de
consommer l’eau. Les grands débats que l’on peut citer en exemple et qui divisent
l’Europe sont les suivants : doit-on parler du prix au mètre cube comme en France (alors
qu’une partie de la population anglaise connaît encore une facturation forfaitaire) ou
d’une facturation moyenne (comme l’aimeraientt les Allemands dont la consommation
moyenne est faible et qui seraient dès lors défavorisés par une facturation au mètre
cube) ? Doit-on prendre en compte le prix perçu par le délégataire ou bien y inclure les
taxes qui varient d’un pays à l’autre ? Comme nous l’avons déjà évoqué auparavant, il y
a aujourd’hui une véritable nécessité de mettre en place un vocabulaire commun pour
échanger des informations sur une même base de réflexion pour opérer des
comparaisons raisonnées et équitables entre les services [Breuil L., S. Garcia et L.
Guérin-Schneider, 2003].
•
Résolution des problèmes par la mise en place d’échelons adéquats.
Il faut dont s’efforcer de résoudre ces problèmes. Pour cela, il faut trouver
l’échelon adéquat pour chaque problème envisagé. On pourrait logiquement penser que
les difficultés informationnelles rencontrées par les collectivités locales dans la gestion
des services, ainsi que celles rencontrées par les consommateurs, devraient être résolues
à un niveau local. Pourtant, l’échelon national ou régional peut être une réponse
intéressante aux problèmes [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003].
En ce qui concerne l’asymétrie d’information dont souffre la collectivité qui délègue,
deux solutions sont possibles. Elle peut faire appel à des experts techniques pour
procéder au suivi du service. Ces spécialistes, cabinets privés de conseil ou conseil
public (Directions Départementales de l’Agriculture et des Forêts) fournissent une
analyse à la fois technique et économique au niveau local. Une estimation des coûts de
l’exploitation et des marges pour investissement devient possible et participe à la
négociation concernant le prix initial de l’eau lors de la signature du contrat. A l’échelon
national, les problèmes informationnels entre le mandant et le mandataire peuvent être
résolus par des missions de régulation. Elles pourraient proposer des outils en
promulguant l’utilisation d’indicateurs de performance définis au niveau national avec
les représentants privés et publics des parties au contrat, en proposant des modèles de
110
cahier des charges conçus sur la base de travaux nationaux pour proposer des solutions
aux problèmes locaux, en disposant d’un pouvoir d’investigation afin de collecter des
données sur les spécificités et résultats des services.
En ce qui concerne ensuite l’exigence sociale de transparence, un organisme de
régulation national peut apporter une plus grande clarté sur la facturation de l’eau pour
opérer une comparaison entre services et fixer des règles relatives à la communication
des tarifs et la facturation. Par ailleurs, procéder à une étude par échantillon suivant le
mode de gestion des services sur la qualité et le prix, pourrait répondre à la demande des
usagers.
Enfin, pour pallier le déficit informationnel à l’échelon européen, la mise en place d’un
organisme européen contrôlant la gestion des services d’eau délégués pourrait permettre
d’échanger des informations pertinentes sur ces services. Il serait possible de prendre
exemple sur le travail fait dans le secteur des télécommunications qui a fait de grandes
avancées grâce au benchmarking européen. Evidemment, ce secteur bénéficie d’une
certaine uniformité de gestion à travers l’Europe et surtout d’une politique de
coordination européenne soutenue par la Commission Européenne à travers ses
recommandations sur les tarifs. Ainsi, les trois prix les plus bas pratiqués dans l’Union
Européenne ont été appelés à devenir des références au niveau national. Les
caractéristiques du secteur de l’eau montrent la difficulté de mettre en place un même
cadre, cependant, elles militent aussi en faveur d’un tel travail au regard de la spécificité
du bien qu’est l’eau. Partir du principe que la grande diversité des modes de gestion
locaux issue du fait que le secteur de l’eau est un monopole naturel local empêche de
construire un cadre de comparaison commun traduit une inertie préjudiciable à la
pérennité des services d’eau. Créer un observatoire européen disposant en son sein
d’outils de comparaison communs peut être une solution pertinente, à condition que
tous les acteurs y participent de manière volontaire.
La création d’une telle institution permettrait enfin d’accompagner l’évolution
de la gestion des services d’eau en Europe, qui, depuis une trentaine d’années, sont
marqués par une convergence de leurs modes de gestion autour de trois grands axes :
une régionalisation (Angleterre, France, Italie) de la gestion, une orientation vers une
logique de marché (Espagne, Portugal, France) même lorsque la gestion est publique
111
(Allemagne, Italie) et la mise en place de systèmes de régulation (OFWAT en
Angleterre, IRAR au Portugal, Comité de Vigilance en Italie) pour contrôler et
comparer les services à l’échelon national. Nombre de pays ont également pris
conscience de la particularité de l’eau en tant que bien commun et appliquent le principe
de recouvrement des coûts au sens de la directive cadre européenne qui signifie que le
prix de l’eau doit non seulement couvrir les coûts de distribution et d’assainissement
mais aussi les coûts de la ressource et les coûts environnementaux.
3) La pertinence d’un organisme européen.
Le secteur de l’eau au niveau européen souffre de problèmes en ce qui concerne la
transmission d’information et la transparence de la gestion des services. Un
Observatoire européen aurait pour objectif de résoudre les difficultés relatives aux
asymétries d’information et la lisibilité des modes de gestion des services, à travers le
contrôle de la fiabilité, la comparaison des services grâce à des définitions fixées. Trois
éléments principaux seraient à mettre en avant dans son activité de contrôle :
l’identification des acteurs du secteur, l’identification des relations contractuelles entre
délégant et délégataire, et la promotion des bonnes pratiques issues des comparaisons
entre Etats. Enfin, il est intéressant d’envisager le statut de l’Observatoire ainsi que ses
relations avec l’Union Européenne, les Etats et leurs collectivités locales [Breuil L., S.
Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003].
•
Identification des acteurs.
A travers la présentation que nous avons réalisée des différents modes de gestion des
services de l’eau au sein des Etats sur lesquels nous avons travaillé, nous avons pu
mettre en avant de grandes tendances en Europe qui s’attachent à la régionalisation de la
gestion des services de l’eau, la marchandisation de l’eau en tant que bien et la mise en
place d’organismes de régulation. Ces trois axes de développement communs à la
plupart des pays d’Europe soulignent l’importance marquée de trois acteurs
spécifiques : le responsable de l’organisation du service, l’exploitant du service et
l’organe de régulation du secteur. Il reste difficile actuellement d’accumuler les
informations relatives à l’organisation de la gestion et de la régulation du secteur de
l’eau. Cependant, un exercice encore plus difficile réside dans la comparaison des rôles
112
et des responsabilités respectives des acteurs que nous avons cités dans chaque pays.
Ainsi, la mise en place d’un Observatoire européen qui s’attacherait à résoudre les
problèmes de transferts d’information et de positionnement de chaque acteur par rapport
à ses homologues étrangers serait un avantage substantiel dans la transparence et la
lisibilité du secteur de l’eau, et plus particulièrement des services de l’eau.
•
Relations contractuelles entre délégant et délégataire.
Comme cela est ressorti de notre analyse, le partenariat public-privé se généralise en
Europe en ce qui concerne la gestion des services de l’eau. Il connaît cependant des
variantes nationales assez conséquentes. Malgré cela, on peut noter des éléments
fondamentaux quel que soit le type de partenariat public-privé mis en place. Ces
éléments sont au nombre de trois : la procédure de mise en concurrence, la construction
du contrat et le suivi de la performance. L’Observatoire européen pourrait effectuer une
analyse des différentes pratiques concernant ces trois éléments clés et il pourrait
également proposer une catégorisation suivant la convergence et la divergence des
pratiques afin de mettre en place un vocabulaire commun basé sur des définitions
communes.
Pour que l’appel d’offre soit efficace, l’Observatoire devrait s’assurer que la
concurrence est effective et transparente lors de l’attribution du contrat. Il devrait ainsi
s’attacher au nombre de candidats et d’offres pour évaluer le niveau de concurrence
dans le secteur et dénoncer les ententes et les collusions. De même, une évaluation de la
publicité faite pour l’appel d’offre permettrait de juger de la transparence de ce dernier.
On pourrait imaginer que l’Observatoire centralise les appels d’offre, sans empêcher la
publicité nationale ou locale, afin de favoriser la concurrence entre entreprises
européennes ; tout comme il pourrait communiquer aux entreprises candidates les
procédures nationales concernant l’attribution de contrat.
L’Observatoire pourrait aussi effectuer une analyse comparative des pratiques
concernant les relations contractuelles. Il pourrait mettre en place une grille de lecture
commune des objectifs du service et les responsabilités respectives du délégant et du
délégataire, définis dans le contrat. Dès lors, on saurait quelles solutions sont apportées
nationalement au problème du renouvellement des installations pendant que le contrat
113
court et lorsqu’il prend fin. Dans cette même perspective, l’Observatoire pourrait relever
les systèmes mis en place dans chaque Etat pour inciter l’exploitant du service : bonus
et/ou pénalités selon les résultats du service, la fixation du tarif et les formules de
révision des prix.
Enfin, l’Observatoire pourrait proposer une analyse comparative des outils de suivi du
service. On pourrait ainsi comparer les différences de résultats attendus du service entre
les pays grâce au développement des indicateurs de performance au niveau européen,
qui permettraient de définir de manière concrète les résultats escomptés et qui
pourraient représenter une plate-forme de dialogue et de suivi. Trois points particuliers
devraient être intégrés : la satisfaction des usagers par rapport au niveau de service
proposé, la qualité générale de l’exploitation et la pérennisation des infrastructures.
L’Observatoire insisterait sur la mise en place d’un vocabulaire commun et de
définitions uniques dans ces dimensions.
Au-delà de la relation délégant-délégataire, l’Observatoire européen pourrait
s’intéresser aux solutions apportées dans les différents pays par rapport aux questions
relatives aux systèmes de péréquations (entre usages ou entre zones géographiques) à
travers des systèmes d’impôts positifs et négatifs, au recouvrement des coûts (modes de
prise en compte des externalités environnementales notamment) et à la participation du
public [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003].
•
Promotion des bonnes pratiques.
Comparer et mettre en lumière les bonnes pratiques à travers une analyse
comparative des services est bénéfique pour améliorer la gestion et la qualité du service.
L’Observatoire européen pourrait donc mettre en place un système de benchmarking
européen pour effectuer des comparaisons sur l’efficacité des services dans les
différents Etats. L’expérience scandinave de benchmarking que nous avons évoquée
auparavant a donné des résultats intéressants et utiles. Encore une fois, cette
comparaison ne peut prendre tout son sens qu’à travers une définition précise des
indicateurs de performance. La mission de sunshine regulation de l’Observatoire
pourrait être opérée grâce à une collecte d’informations, sur les éléments que nous
avons cités concernant les acteurs et les relations contractuelles, afin d’aboutir à des
114
travaux d’expertise qui seraient rendus publics. La recherche de solutions efficaces et de
perspectives de réformes serait ainsi stimulée par la promotion des bonnes pratiques
recensées en Europe. D’autre part, une pression serait exercée sur les « mauvais élèves »
afin qu’ils promeuvent une évolution vertueuse de leurs pratiques dès lors que
l’organisation de leurs services ou que la gestion d’un opérateur serait critiquée par
l’Observatoire.
En conséquence, l’Observatoire serait chargé de missions d’analyse et
d’information sur les pratiques de gestion et de régulation des services publics de l’eau.
Il travaillerait en collaboration avec et pour les Etats, les collectivités, les élus et les
usagers. L’articulation avec les institutions nationales se ferait par un relais
informationnel et l’Observatoire ne pourrait se substituer à elles, ni exercer de pression,
ni intervenir localement. L’objectif est donc plutôt de bénéficier d’un organisme
européen qui centralise l’information pour la comparer et l’analyser afin de rédiger des
rapports, des avis, des recommandations et pourquoi pas des alertes concernant les
pratiques de gestion des services de l’eau [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider,
2003].
•
Statut de l’Observatoire et relations avec les échelons européens et locaux.
Alors que la délégation des services publics de l’eau s’accroît, avec une participation
du secteur privé de plus en plus marquée, l’Union Européenne s’efforce de mettre en
place une politique commune de l’eau. Dans cette perspective, la mise en place d’un
organisme européen des services d’eau paraît pertinente pour aider les régulateurs
locaux qui se retrouvent face à des problèmes de définition d’instruments de suivi et de
contrôle des services, pour les parlements nationaux afin qu’ils mettent en place des
institutions nationales de régulation qui serviraient de relais à l’Observatoire, mais aussi
pour recueillir des informations nécessaires à la définition de la politique européenne
dans le secteur de l’eau.
Concernant les liens avec les échelons politiques, qu’ils soient nationaux ou locaux,
l’Observatoire devrait être placé sous la responsabilité d’une instance européenne
[Bauby, 2002]. L’Observatoire devrait comporter un conseil d’orientation composé de
tous les types d’acteurs concernés : usagers, autorités publiques, régulateurs, opérateurs,
115
salariés, organisations syndicales… Il serait judicieux de le rattacher au Parlement
Européen afin qu’il lui délivre un rapport annuel permettant de dégager des
recommandations. Par ailleurs, il est important de respecter les prérogatives régionales
et locales. L’Observatoire devrait donc être non seulement en étroite relation avec les
institutions européennes législatives et exécutives, les institutions nationales, régionales
et locales en charge de la régulation et du suivi des services d’eau, mais aussi avec le
Comité des Régions.
En outre, il faut s’intéresser à l’articulation de l’Observatoire avec la politique
européenne qui, en ce qui concerne la plupart des services publics en réseau (électricité,
transports, télécommunications…) a mis en place un processus de libéralisation déjà
bien avancé. Si le secteur de l’eau a été, jusqu’à présent, exclu des restructurations
opérés dans les autres secteurs, le sujet aujourd’hui n’est plus tabou et la promulgation
de la directive-cadre de 2000 a permis à nombre de décideurs publics d’afficher leur
volonté de construire une politique commune et intégrée dans le secteur de l’eau.
L’action européenne devrait ainsi être envisagée sur plusieurs plans : la définition plus
précise du bien qu’est l’eau ainsi que des services d’intérêt général pour l’eau, la
redéfinition commune des règles de concurrence qui peut favoriser la participation du
secteur privé grâce à une mise en concurrence de tous les services d’eau, la mise en
œuvre d’instruments de régulation comme les indicateurs de performance.
Concernant l’impact sur les Etats et les collectivités locales, l’action de
l’Observatoire européen peut amener les législateurs nationaux à mettre en place des
mécanismes de régulation voire même des instances de régulation chargées de missions
spécifiques. Quels que soient les mécanismes ou organes de régulation mis en place, la
logique de l’Acte unique doit prévaloir. Il faut donc respecter le principe de subsidiarité
afin de respecter les règles du marché commun mis en place qui promeut une
concurrence au sein des secteurs marchands. Toute autre intervention d’une institution
européenne dans le cadre de la politique de l’eau contreviendrait au principe de
subsidiarité [Breuil L., S. Garcia et L. Guérin-Schneider, 2003].
116
CONCLUSION
Tout au long de ce travail, l’objectif aura été de démontrer que la gestion des
services publics de l’eau en Europe doit être opérée de manière raisonnée. Qu’entendre
par cette expression ?
En premier lieu, la gestion des services de l’eau doit prendre en compte les
caractéristiques particulières du bien « eau ». Comme nous l’avons exposé, l’eau est une
ressource fragile, indispensable à l’Homme pour sa survie. De ce fait, l’eau est un bien
naturel rare, qui ne peut être considéré, ni quantitativement, ni qualitativement, comme
illimité. De plus, l’eau est une ressource multifonctionnelle qui fait l’objet d’une
concurrence entre les différents usages qui peuvent en être faits et, en toute logique, les
intérêts des différents usagers de l’eau entrent en conflit mais ils restent interdépendants.
Ainsi, contrairement aux biens « marchands », le prix de l’eau n’est pas uniquement lié
à la rencontre entre l’offre et la demande mais se trouve au contraire à un carrefour entre
rareté, choix et besoin. Par ailleurs, l’eau est un bien rival et non-exclusif. Par
conséquent, l’eau est à la fois victime de comportements de « passager clandestin » et
d’effets de « surutilisation ». Ces différentes caractéristiques doivent être prises en
compte dans le coût de l’eau facturé aux usagers. Face à une utilisation de l’eau opérée
dans des contextes géographiques, institutionnels, socio-économiques et naturels
différents, le financement des services de l’eau varie entre zones géographiques et
usagers. D’autres facteurs tels que les conditions physiques, l’âge des installations, le
choix du mode de gestion du service entrent également en ligne. Au final, la
transparence du prix de l’eau est plus que limitée, le consommateur comprenant
rarement la formation du prix qu’il paye. Une analyse des différents modes de formation
du prix de l’eau dans les pays européens nous a permis de prendre conscience de ces
réalités à travers la grande diversité de modes de calcul et les différences parfois
importantes qui en découlent entre les pays, voire même parfois au sein des Etats. La
directive-cadre européenne 2000/60/CE dans le domaine de l’eau s’attache à assurer la
pérennité financière des services de l’eau, garantie minimale de la préservation de la
ressource en quantité et en qualité. Elle impose donc ; au-delà du principe de pollueurpayeur qui a pour objectif de faire porter les coûts sur les agents économiques qui
polluent et non pas sur le consommateur et au-delà du principe de péréquation qui vise à
117
lisser le prix de l’eau de manière spatiale, sociale, transversale et temporelle ; le principe
de la couverture de la totalité des coûts.
Mais une gestion raisonnée des services de l’eau ne passe pas uniquement par une
définition économique précise du bien « eau » qui prendrait en compte ses différentes
dimensions. Une gestion raisonnée des services de l’eau se caractérise, en-dehors d’une
compréhension raffinée des enjeux liés au bien lui-même, par l’intégration de tous les
éléments caractérisant le secteur économique spécifique qu’est le secteur de l’eau. Alors
que la plupart des services en réseau font l’objet d’une ouverture à la concurrence, on
oublie trop souvent les spécificités techniques et économiques de ce qu’on a longtemps
considéré comme des monopoles naturels. La théorie économique considère
traditionnellement que la situation de configuration de marché monopolistique n’est pas
optimale car elle entraîne une tarification du service ou du bien supérieure à ce qu’elle
serait en configuration de concurrence pure et parfaite. Cependant, le monopole naturel
est économiquement justifié car il représente la situation économique au sein de laquelle
il est plus avantageux qu’une seule entreprise produise le bien. Historiquement, les
services en réseau étaient gérés en régie par l’Etat ou ses démembrements car ils
remplissent des missions d’intérêt général qu’un opérateur privé ne saurait assumer du
fait de sa quête de profit, à savoir : l’égalité d’accès au service, la continuité du service
et l’adaptabilité du service. Aujourd’hui, la plupart des Etats connaissent des difficultés
financières et font face à un problème de ressources qui les poussent à libéraliser les
entreprises de réseau. Le secteur de l’eau, longtemps épargné à côté des secteurs des
transports, des télécommunications, de l’énergie, connaît aussi ce phénomène
actuellement. Cependant, les formes d’ouverture à la concurrence peuvent être variées et
s’exprimer à des degrés différents, et il faut s’assurer qu’elles sont à la fois capables de
répondre aux difficultés de financement des services pour garantir leur pérennité, tout en
reprenant à leur charge les obligations découlant des missions d’intérêt général dont les
services sont en charge.
Le concept de gestion raisonnée des services de l’eau s’attache donc en second
lieu à s’assurer que, quelle que soit la forme d’ouverture à la concurrence choisie par
l’autorité publique en charge de la gestion du service, celle-ci sera à même de financer
le fonctionnement des installations et leur renouvellement, tout en respectant les
obligations liées à l’intérêt général. Il convient donc de réguler le secteur afin de
garantir l’équilibre budgétaire du service, sa compétitivité financière et technique, la
118
prise en compte de préoccupations sociales liées à l’accès à l’eau et l’égalité entre les
usagers, la transparence des informations entre partenaires du service, ainsi qu’entre le
service et ses usagers, mais aussi la concurrence au sein du secteur à tous les stades de
la libéralisation des services. En effet, l’un des arguments majeurs à la libéralisation des
entreprises de réseau est le manque de pression concurrentielle liée au monopole et
préjudiciable au bien-être social. Il ne faut donc pas remplacer un problème de
financement des services lorsqu’ils sont gérés par l’Etat par un problème de concurrence
sous-optimale qui dériverait d’un monopole privé.
C’est la raison pour laquelle nous nous sommes intéressés aux différents modes de
gestion employés en Europe. Il serait fastidieux ici de reprendre ces catégories et leurs
caractéristiques propres, ainsi que la liste des pays dans lesquels elles sont employées et
pour quelles raisons. Néanmoins, revenant sur la répartition inégale de la ressource
publique qu’est l’eau et la crise financière du modèle municipal, nous avons envisagé
les différentes réponses apportées par les Etats. Les arrangements institutionnels
dominants dans le domaine de l’eau au sein de l’Union Européenne se déclinent suivant
trois axes principaux : la dichotomie management privé/management public, la
dichotomie gestion directe/gestion déléguée et le niveau territorial de gestion de la
ressource. La littérature économique s’est longtemps efforcée, et ce principalement
depuis le tournant de la privatisation anglaise, de déterminer le mode de gestion le plus
adéquat de manière absolue et péremptoire. Face aux difficultés rencontrées par la
théorie économique a émergé l’idée que les contextes socio-politiques et géographiques
détenaient une place importante dans le choix d’un mode de gestion. Cette approche
plus sociologique de la gestion des services de l’eau et de la ressource en eau se veut
également plus respectueuse des choix des Etats, ne souhaitant pas porter de jugement
péremptoire et désirant re-contextualiser l’analyse des modes de gestion. Cette
démarche porte aujourd’hui ses fruits et a exercé une attraction forte sur les économistes
eux-mêmes qui ne cherchent plus à déterminer « le » mode de gestion idéal, mais plus le
mode de gestion qui s’adapte le mieux suivant les réalités socio-politiques des Etats,
tout en appréciant leur efficience face aux enjeux économiques, financiers, éthiques,
sociaux et environnementaux. Précisons par ailleurs, que le concept de gestion raisonnée
ne doit pas être confondu avec le concept de gestion intégrée de la ressource en eau.
Alors que la gestion intégrée s’intéresse plus aux méthodes de prise en compte des
intérêts divergents des usagers et des échelons territoriaux, nous défendons ici, avec la
notion de gestion raisonnée, un concept plus global, inscrivant la gestion intégrée de la
119
ressource dans un cadre de réflexion plus large concernant une gestion équilibrée,
pérenne et avertie face aux enjeux économiques, éthiques et environnementaux des
services de l’eau, aspects qui sont communément regroupés dans la notion de
développement durable.
Dans cette optique, nous nous sommes attachés en troisième lieu, à dégager les
pistes de réflexion développées par les chercheurs spécialisés dans la gestion de l’eau et
de ses services afin d’assurer la prise en compte des enjeux de développement durable
dans la gestion des services de l’eau en Europe. Deux axes sont à distinguer ici. Le
premier axe consiste à mettre en place des critères de performance pour évaluer les
prestations des services dans le temps, mais également pour comparer les services entre
eux, afin d’assurer une forme de concurrence entre services. S’attachant à prendre en
considération les « 3 E » du développement durable – Ethique, Economie et
Environnement – , les critères de performance permettraient d’objectiviser les
prestations des services selon les variables fondamentales que sont les « 3 E » dans une
perspective de gestion raisonnée des services de l’eau. Ils permettraient également de
fournir des outils opérationnels aux organismes publics en charge de réguler le secteur
de l’eau et de ses services. Le second axe est, quant à lui, plus institutionnel. La
régulation des services d’eau est réalisée à l’heure actuelle par les Etats eux-mêmes.
Passant en revue les formes de régulation auxquelles les Etats européens ont recours,
nous avons pu mettre en avant leurs spécificités, leurs avantages et surtout, leurs limites.
Principalement confrontées à des problèmes informationnels, les autorités de régulation
doivent être mises en place à des échelons adéquats afin de résoudre le problème des
asymétries d’information entre le service, son gestionnaire et l’autorité de contrôle. Par
ailleurs, il paraît fondamental de souligner ici l’importance de la forte volonté politique
nécessaire pour mettre en place un mécanisme de régulation efficient, en donnant aux
organismes de contrôle les pouvoirs coercitifs et la légitimité institutionnelle nécessaires
à l’accomplissement de leurs missions. Des organismes de régulation efficients sont
donc la clé de voûte d’une gestion raisonnée des services de l’eau car ils soumettraient
les gestionnaires du service, publics ou privés, à une pression concurrentielle entre
services et à une obligation de résultat. Néanmoins, la gestion raisonnée des services de
l’eau est un enjeu global car l’eau est un bien public mondial. Il semble donc pertinent
d’appeler à la mise en place d’un organisme européen d’observation afin de résoudre les
difficultés relatives aux asymétries d’information, à la lisibilité des modes de gestion
120
des services et à travers le contrôle de leur rencontre avec les impératifs de
développement durable que sont l’éthique, l’économie et l’environnement. Un tel
organisme renforcerait également une concurrence saine et raisonnée entre services, ce
qui ne pourrait représenter que des avantages pour le consommateur. En outre, il
représenterait une concrétisation matérielle, pratique, effective et institutionnelle de la
volonté exprimée de l’Union Européenne de mettre en place une politique commune de
l’eau.
Enfin, la démarche que nous défendons, à travers la notion de gestion raisonnée
des services de l’eau en Europe, adresse aussi la question du rôle moteur de l’Union
Européenne dans l’inscription du continent dans une économie d’avenir soucieuse de la
durabilité de son développement et de sa croissance. L’intégration des critères
environnementaux dans leur globalité, qu’ils concernent l’eau ou d’autres ressources, la
production d’énergie, les modes de consommation, la préservation du cadre de vie dans
une perspective de solidarité intra et intergénérationnelle, au sein d’une entité politique
majeure doit permettre la mise en place d’un cercle vertueux de développement durable
en ce qui concerne les Etats qui souhaiteraient un jour être candidat à l’adhésion à
l’Union Européenne, mais aussi en ce qui concerne les autres Etats, à travers l’idée que
leur développement économique doit se contraindre aux enjeux environnementaux s’ils
désirent entretenir des relations commerciales avec l’Union Européenne.
En outre, la mise en place d’une gestion raisonnée des services de l’eau en
Europe passe également à travers la prise de conscience de chaque individu des enjeux
auxquels la génération actuelle, et encore plus les générations futures, doit déjà et devra
faire face. La responsabilisation des consommateurs européens par la lutte contre le
gaspillage et la pression démocratique et citoyenne sur les gouvernants pour qu’ils
intègrent la question de l’avenir des services de l’eau et de la ressource en eau au sein de
toute décision politique représente la substantifique moelle de la gestion raisonnée de
l’eau et de ses services à l’échelon individuel et micro-économique. Une politique
européenne de l’eau serait donc un instrument essentiel dans l’éducation d’un écocitoyen.
En dernier mot, s’inspirant de la démarche politique et citoyenne de Nicolas
Hulot lors de la campagne présidentielle française de 2007 et ayant abouti à une prise de
conscience des citoyens et des décideurs politiques des enjeux environnementaux autour
du Pacte Ecologique, ne serait-il pas pertinent de créer au sein de chaque gouvernement,
121
un poste gouvernemental ayant un pouvoir décisionnel important, afin qu’il influence
l’action publique à travers l’intégration des contraintes de développement durable ? La
formation du gouvernement de François Fillon, après l’élection de Nicolas Sarkozy à la
Présidence de la République Française le 6 mai dernier, a intégré la création d’un poste
de Ministre d’Etat, ministre de l’Ecologie, du développement et de l’aménagement
durables, sous la houlette d’Alain Juppé, deuxième membre du gouvernement. Bien que
cette modification institutionnelle n’ait pas encore pu faire l’objet d’une évaluation de
son action et de ses résultats, elle dénote d’une volonté politique majeure d’intégrer
l’environnement au cœur de l’action publique. Cette volonté politique devrait servir
d’exemple à l’ensemble des Etats européens, mais aussi aux institutions de l’Union
Européenne, afin de faire du continent européen le chef de file d’une démarche politique
qui conjugue croissance économique et développement durable au futur.
122
LISTE DES GRAPHIQUES ET TABLEAUX
•
Graphiques
Graphique 1 – Composition du prix de l’eau en France en 2000 (en moyenne).
p.27
Graphique 2 – Tarification du monopole monoproduit.
p.45
•
Tableaux
Tableau 1 – Classification des biens selon les critères d’exclusion et de rivalité.
p.19
Tableau 2 – Multifonctionnalité des ressources en eau.
p.24
Tableau 3 - Récapitulatif du prix de l’eau dans les pays étudiés à la fin des années 1990.
p.28
Tableau 4 - Evolution du prix du mètre cube d’eau potable.
p.29
Tableau 5 - Evolution du prix moyen uniquement pour la distribution d’un mètre cube
p.31
d’eau potable.
Tableau 6 – Variation des prix et coûts suivant les compagnies et les régions.
p.32
Tableau 7 – Coûts unitaires par mètre cube d’eau distribuée et assainie.
p.34
Tableau 8 – Paliers de tarifications suivant le volume consommé.
p.34
123
LISTE DES ANNEXES
Annexe 1 : Organisation institutionnelle dans la gestion des services de l’eau en Europe. p. 125
Annexe 2 : Matrice des arrangements institutionnels dominants dans le domaine de l’eau p. 126
dans l’Union Européenne.
Annexe 3 : Présentation des différents modes de gestion de l’eau et de l’assainissement.
p. 127
Annexe 4 : La structure d’une facture d’eau.
p. 129
Annexe 5 : Quantités d’eau prélevées et consommées par usage en France.
p. 131
Annexe 6 : Facturation de l’eau en France.
p. 132
Annexe 7 : Effet de la délégation sur le prix de l’eau potable en France.
p. 136
Annexe 8 : Prix moyen de l’eau en Europe en 2003.
p. 137
Annexe 9 : Directive cadre dans le domaine de l’eau.
p. 139
124
Annexe 1
Organisation institutionnelle dans la gestion des services de l’eau dans différents Etats
européens.
Distribution
Capital Gestion
publique
Mixte
Allemagne Intermunicipale / Mixte
municipale /
régionale
Municipale
Public Publique
Autriche
Intermunicipale
Mixte
Danemark
Municipale
Public
Espagne
Municipale
Public
Finlande
Municipale
Public
France
Municipale
Public
Grèce
Municipale
Public
Italie
Municipale
Public
Pays-Bas
Municipale
Public
Portugal
Municipale /
régionale
Municipale
Régionale
Public
Belgique
Suède
Angleterre
et Pays de
Galles
Public
Privé
Mixte
Régulateur
économique
Muncipal /
Régional
Régulateur
environnemental
Régional
Municipal
Administration
centrale
Régional
Administration
fédérale
Publique
Municipal
Administration
centrale /
municipalités
Mixte Administration Administration
centrale
centrale /
indépendant
Publique
Municipal
Administration
centrale
Mixte
Municipal
Administration
centrale
Publique Administration Administration
centrale
centrale
Publique Administrations Administrations
centrale et
centrale et
régionale
régionale
Mixte Administration Administration
centrale /
centrale /
régionale
régionale
Mixte Administration Administration
centrale
centrale
Publique
Municipal
Régionale
Privée
Indépendant
Indépendant
Source : tableau adapté de : OCDE, 2006, Revue de l’OCDE sur le droit et la politique de la concurrence
– vol.8, n°1, p. 95
125
Annexe 2
Matrice des arrangements institutionnels dominants dans le domaine de l’eau dans
l’Union Européenne.
Management privé
Angleterre et Pays de Galles France, Espagne
Management public
Danemark, Suède, Autriche, Belgique (3), Pays-Bas (3),
Allemagne (1), Finlande,
Allemagne (4), Ecosse,
Pays-Bas (2), Belgique (2)
Grèce, Italie, Portugal
Gestion directe
Gestion déléguée
(1) Concernant la collecte et le traitement des eaux usées.
(2) Concernant la collecte des eaux usées.
(3) Concernant l’eau potable et les eaux usées.
(4) Concernant l’eau potable.
Source : Analysis of the European Water Supply and Sanitation Markets and its possible evolution,
rapport rédigé en 2004 par l’UNESCO-IHE, l’université de Birmingham et l’université de Bocconi, in
“ Ownership relative efficiency in the water industry : a survey of the international empirical evidence”,
Maurizio Conti, Problèmes économiques, n° 2 900, mai 2006.
126
Annexe 3
Présentation des différents modes de gestion de l’eau et de l’assainissement.
(Source : Montginoul M., 2004, « La structure de la tarification de l’eau potable et de l’assainissement en
France, Cemagref et ENGEES).
♦ La gestion directe en régie
La commune, ou le groupement intercommunal auquel elle adhère, assure la
responsabilité complète des investissements comme du fonctionnement des services des
eaux, ainsi que des relations avec les usagers, notamment de l'émission des factures et
de leur recouvrement, en général par l'intermédiaire du receveur municipal. Les
employés de la régie, dans la pratique, sont très souvent des agents municipaux ayant un
statut public. Aujourd'hui, à l'exception de quelques villes grandes ou moyennes, qui ont
historiquement créé leurs propres services techniques municipaux, la régie est plutôt le
fait des petites collectivités rurales.
Notons que les gestions de l’eau potable et de l’assainissement sont totalement
indépendantes ; une commune peut ainsi affermer à un distributeur privé l’eau potable et
assurer la gestion de l’assainissement collectif en régie directe.
♦ La gestion déléguée
Dans ce cas, les collectivités délèguent la gestion de tout ou partie de leurs services à
une compagnie privée ou à un groupement de communes dans le cadre de contrats de
longue durée; l'affermage ou la concession sont les deux types de contrats généralement
utilisés :
• En affermage : la collectivité réalise et finance les investissements et ne confie que
l'exploitation des installations à un distributeur privé. Ce dernier se rémunère sur le prix
de l'eau et prélève pour la collectivité autorité organisatrice une part spécifique de
recettes pour lui permettre de faire face aux dépenses d'amortissement technique et
financier sur le réseau.
• En concession : c’est l’entrepreneur privé qui construit les ouvrages et les exploite à
ses frais en se remboursant sur le prix de l’eau. En fin de contrat, il devra remettre le
réseau et les ouvrages en bon état à la collectivité.
Enfin, il existe également des cas plus rares :
127
• de régie intéressée où un régisseur privé est contractuellement chargé de faire
fonctionner le
service public avec, en contrepartie, une rétribution qui comprend un intéressement aux
résultats;
• de gérance dont le principe est comparable, mais la commune verse au gérant une
rémunération forfaitaire et décide seule de la fixation des tarifs. Le contrat pluriannuel
définit les termes de références des prestations attendues et le prix de l'eau payé par les
usagers ainsi que la formule de variation des prix. Dans le cas de l'affermage, la part
reversée par la société fermière à la municipalité au titre des investissements est définie
à part, en dehors du contrat de délégation. La durée d'un contrat de concession varie,
selon l'importance des investissements à réaliser, la consommation et le prix de l'eau,
entre 20 et 50 ans, alors que celle d'un contrat d'affermage se situe généralement entre 5
et 20 ans.
♦ La gestion mixte
Il existe beaucoup de situations intermédiaires entre la régie directe et les gestions
déléguées, ce qui montre la souplesse du système. Par exemple, des collectivités
peuvent décider d’exploiter elles-mêmes en régie les ouvrages de production d’eau
potable et de déléguer la distribution à des sociétés privées. Autre exemple, l’action
commerciale vis-à-vis des usagers (facturation, recouvrement) est aussi de plus en plus
souvent confiée au secteur privé.
128
Annexe 4
La structure d’une facture d’eau.
(Source : Montginoul M., 2004, « La structure de la tarification de l’eau potable et de l’assainissement en
France, Cemagref et ENGEES).
Toutes les structures tarifaires sont basées sur deux composantes qui peuvent intervenir
dans la tarification de l’eau potable et de l’assainissement : la partie fixe, indépendante
du volume d’eau consommé et la partie proportionnelle au volume d’eau consommé.
Il est alors possible de définir trois types de structures tarifaires (figure 1) :
-
la tarification forfaitaire : le montant de la facture est indépendant du volume
d’eau réellement consommé. Ce mode est interdit en France depuis la loi sur
l’eau du 3 janvier 1992, sauf dérogation préfectorale.
-
la tarification monôme : autorisée par le cadre législatif français et préconisée
par les différentes associations de consommateurs, elle ne possède pas de partie
fixe mais uniquement une partie proportionnelle liée à la consommation d’eau.
-
la tarification binôme : l’abonné paie un montant proportionnel à sa
consommation d’eau et une partie fixe.
129
Figure 1 : Types de facturation.
Facture d’eau
Facture d’eau
Volume
Tarification forfaitaire
Facture d’eau
Volume
Tarification monôme
Volume
Tarification binôme
De plus, la partie proportionnelle peut être associée ou non à des paliers (figure 2) qui
peuvent être :
-
décroissants : plus la consommation d’eau est élevée, moins le prix du mètre
cube d’eau est cher.
-
croissants : plus la consommation d’eau est importante, plus le prix du mètre
cube d’eau est cher.
-
complexes (ou mixtes) : le prix du mètre cube n’est régi par une fonction ni
strictement croissante ni strictement décroissante.
Figure 2 : Types de tarification proportionnelle.
Facture d’eau
Facture d’eau
Volume
Pas de palier
Facture d’eau
Volume
Paliers progressifs
130
Volume
Paliers dégressifs
Annexe 5
Quantités d’eau prélevées et consommées par usage en France en 2001.
Usages
Production Eau potable Irrigation
Industrie
Total
d’énergie
Volumes d’eau
prélevés
•
5 966
4 767
3 650
33 544
57,1%
17,8%
14,2%
10,9%
100,0%
17 890
4 534
1 989
3 395
27 808
64,3%
16,3%
7,2%
12,2%
100,0%
1 271
1 432
2 779
256
5 737
22,2%
25,0%
48,4%
4,5%
100,0%
en millions de
m3
•
19 161
% du
prélèvement
total
Volumes d’eau
restitués
•
en millions de
m3
•
% de la
restitution
totale
Volumes d’eau
consommés
•
en millions de
m3
•
% de la
consommation
totale
Source : Agences de l’Eau – RNDE – IFEN, 2003.
131
Annexe 6
Facturation de l’eau en France
A - Décomposition de la facture d’eau en France en 2000.
Rubriques de la facture
Montant
En %
Evolution
(selon l’arrêté du 10 juillet
en euros
du total
2000/1995
Distribution de l’eau
138,89
43,73%
10,76%
dont abonnement eau
26,22
8,26%
30,32%
dont consommation eau
107,32
33,79%
6,66%
5,35
1,68%
14,81%
99,4
31,30%
17,48%
proportionnelle
99,4
31,30%
17,48%
Organismes publics
79,3
24,97%
23,80%
(agence de l’eau)
49,27
15,51%
27,68%
dont FNDAE, VNF et TVA
30,03
9,46%
17,95%
1996)
dont redevance prélèvement
(agence de l’eau)
Collecte et traitement des
eaux usées
Abonnement et part
dont redevance pollution
Total TTC
317,59
100%
15,88%
Source : DGCCRF, facture moyenne de 120 m3.
B – Le principe du pollueur-payeur.
Dans le but de limiter les atteintes à l’environnement, le principe pollueurpayeur tend
à imputer au pollueur les dépenses relatives à la prévention ou à la réduction des
pollutions dont il pourrait être l’auteur. L’application de ce principe vise à anticiper un
132
dommage et à fixer une règle d’imputation du coût des mesures en faveur de
l’environnement.
•
Éléments de définition et contexte international
Le principe pollueur-payeur est un principe d’inspiration économique. Il a été
élaboré dans les années 1970 par l’OCDE. Son objectif est de faire prendre en compte
par les agents économiques, dans leurs coûts de production, les coûts externes pour la
société que constituent les atteintes à l’environnement. Il vise les activités économiques
mais aussi privées (utilisation d’une voiture individuelle, chauffage domestique…).
Le principe pollueur-payeur est un principe :
- d’efficacité économique : les prix doivent refléter la réalité économique des coûts de
pollution, de telle sorte que les mécanismes du marché favorisent les activités ne portant
pas atteinte à l’environnement ;
- d’incitation à minimiser la pollution produite ;
- d’équité : à défaut, les coûts incombent au contribuable qui n’est pas responsable de
ces atteintes.
•
État des lieux en France
Le principe pollueur-payeur est un principe général de droit de l’environnement,
repris
dans la législation française et inscrit à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement,
selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution
et de lutte contre celle-ci sont supportés par le pollueur ».
Pour mettre en oeuvre ce principe, différents outils sont à la disposition des pouvoirs
publics :
La réglementation :
Elle est un instrument traditionnel des politiques de l’environnement. Le pollueur se
voit imposer des normes techniques antipollution au sens large, incluant la limitation de
133
la production de déchets. Il peut s’agir de normes à la source, de normes d’émission ou
de normes de qualité du milieu ambiant.
On peut citer comme exemple le décret du 20 juillet 1998 visant à prendre en compte les
exigences liées à l’environnement dans la conception et la fabrication des emballages.
De même, l’arrêté du 2 février 1998 applicable aux installations classées pour la
protection de l’environnement consacre tout son chapitre V aux valeurs limites
d’émissions des installations industrielles ou agro-alimentaires, notamment son article
22, qui dispose que les valeurs limites de rejet d’eau doivent être compatibles avec les
objectifs de qualité et la vocation piscicole du milieu aquatique.
Les taxes et redevances :
La fiscalité peut être incitative.
Elle consiste alors à accorder une réduction de l’impôt dû, en fonction de mesures
favorables à l’environnement prises par le contribuable. Les incitations fiscales au
bénéfice des entreprises ne sont admises que pour des mesures plus sévères que celles
exigées par la réglementation, ou prises par anticipation avant de devenir obligatoires
plus tard. Parmi les instruments fiscaux utilisés, on peut citer l’amortissement
exceptionnel permettant de diminuer l’impôt sur les sociétés pour une entreprise qui
construit un immeuble très économe en énergie ou le crédit d’impôt pour les particuliers
qui acquièrent un véhicule fonctionnant au GPL, à l’énergie électrique ou avec un
système de bicarburation.
La fiscalité peut être dissuasive.
Elle vise à imposer une contrainte financière aux pollueurs. On peut citer la Taxe
générale sur les activités polluantes (TGAP), dont l’assiette est directement liée au bruit,
aux déchets, à la pollution de l’air, aux huiles usagées. Depuis 2000, elle est assise
également sur les lessives, les granulats et les produits phytosanitaires. La Taxe
d’importation des produits pétroliers (TIPP) est assise sur les carburants.
134
Les redevances écologiques :
Ces redevances, à la différence des impôts proprement dits, sont liées à un service
rendu, ou à la consommation d’un bien collectif comme l’eau. La principale est la
redevance des agences de l’eau, qui comporte plusieurs éléments tenant compte de la
quantité d’eau prélevée et du volume de pollution rejeté.
Les permis négociables .
•
Éléments du débat.
La principale difficulté consiste à identifier le pollueur. Hors le cas des
nuisances des installations fixes, la réponse n’est pas forcément aisée à apporter. Le
pollueur peut être soit le producteur, soit le consommateur final, soit plusieurs maillons
de la chaîne économique.
Il s’agit également de savoir dans quelles limites le pollueur doit être mis à contribution
et quel est le niveau de protection de l’environnement recherché. Plusieurs approches
sont possibles : celle qui se réfère au niveau de protection défini par les pouvoirs
publics, celle qui se réfère à un coût économiquement acceptable ou celle qui renvoie à
la loi les conditions de mise en oeuvre.
135
Annexe 7
Effet de la délégation sur le prix de l’eau potable en France.
Prix moyen
Ecart-type
FF/m3
Echantillon complet
•
•
Nombre de
communes
7,88
2,90
3 135
Gestion
8,85
2,93
1 793
déléguée
6,58
2,29
1 342
Régie
+34%
Ecart délégation/régie
Source : Carpentier A., Nauges C., Reynaud A. et A. Thomas, 2004, « Une mesure de l’effet de la
délégation sur le prix de l’eau en France », INRA Sciences sociales, Problèmes économiques, n° 2 900,
mai 2006.
136
Annexe 8
Prix moyen de l’eau en Europe en 2003.
A – Prix par pays
Pays
Eau potable en euros/m3
Assainissement eaux usées
en euros/m3
Danemark
4,53
2,08
Allemagne
4,45
2,54
Pays-Bas
3,35
1,62
Royaume-Uni
2,89
1,51
France
2,56
1,22
Belgique
2,50
0,83
Espagne
1,30
0,32
Italie
0,68
0,38
Source : NUS Consulting in “ Ownership relative efficiency in the water industry : a survey of the
international empirical evidence”, Maurizio Conti, Problèmes économiques, n° 2 900, mai 2006.
137
B – Prix moyen de l’eau dans les grandes cités d’Europe.
Communautés urbaines
Année 2003 en euros/m3
Glascow
6,90
Berlin
4,70
Hambourg
4,10
Amsterdam
3,60
Lyon
2,90
Marseille
2,90
Toulouse
2,90
Nice
2,90
Paris
2,55
Stockholm
2,45
Bruxelles
2,45
Helsinki
2,30
Londres
2,30
Madrid
1,45
Rome
0,80
Milan
0,75
Source : Conti Maurzio, “ Ownership relative efficiency in the water industry : a survey of the
international empirical evidence”, Problèmes économiques, n° 2 900, mai 2006.
138
Annexe 9
Directive-cadre dans le domaine de l'eau
L'Union européenne (UE) établit un cadre communautaire pour la protection et la
gestion des eaux. La directive-cadre prévoit notamment l'identification des eaux
européennes
et
de
leurs
caractéristiques,
recensées
par
bassin
et
district
hydrographiques, ainsi que l'adoption de plans de gestion et de programmes de mesures
appropriées à chaque masse d'eau.
ACTE
Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000,
établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.
SYNTHÈSE
Par cette directive-cadre, l'Union européenne organise la gestion des eaux intérieures de
surface, souterraines, de transition et côtières, afin de prévenir et de réduire leur
pollution, de promouvoir leur utilisation durable, de protéger leur environnement,
d'améliorer l'état des écosystèmes aquatiques et d'atténuer les effets des inondations et
des sécheresses.
Identification et analyse des eaux
Les États membres sont tenus de recenser tous les bassins hydrographiques qui se
trouvent sur leur territoire et les rattacher à des districts hydrographiques. Les bassins
hydrographiques qui s'étendent sur le territoire de plus d'un État seront intégrés au sein
d'un district hydrographique international. Au plus tard le 22 décembre 2003, une
autorité compétente sera désignée pour chacun des districts hydrographiques.
Au plus tard quatre ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive, les
États membres doivent faire une analyse des caractéristiques de chaque district
hydrographique, une étude de l'incidence de l'activité humaine sur les eaux, une analyse
économique de l'utilisation de celles-ci et un registre des zones qui nécessitent une
protection spéciale. Toutes les masses d'eau utilisées pour le captage d'eau destinée à la
139
consommation humaine, fournissant plus de 10 m³ par jour ou desservant plus de 50
personnes, doivent être recensées.
Mesures de gestion et de protection
Neuf ans après la date d'entrée en vigueur de la directive, un plan de gestion et un
programme de mesures doivent être élaborés au sein de chaque district hydrographique
en tenant compte des résultats des analyses et études réalisées.
Les mesures prévues dans le plan de gestion du district hydrographique ont pour but de:
prévenir la détérioration, améliorer et restaurer l'état des masses d'eau de surface,
atteindre un bon état chimique et écologique de celles-ci, ainsi que réduire la pollution
due aux rejets et émissions de substances dangereuses :
•
protéger, améliorer et restaurer les eaux souterraines, prévenir leur pollution,
leur détérioration et assurer un équilibre entre leurs captages et leur
renouvellement;
•
préserver les zones protégées.
Les objectifs précédents doivent être atteints quinze ans après l'entrée en vigueur de la
directive, mais cette échéance peut être rapportée ou assouplie, tout en respectant les
conditions établies par la directive.
Les États membres encouragent la participation active de toutes les parties concernées
par la mise en œuvre de cette directive, notamment en ce qui concerne les plans de
gestion des districts hydrographiques.
Une détérioration temporaire des masses d'eau ne constitue pas une infraction de la
présente directive si elle résulte des circonstances exceptionnelles et non prévisibles
liées à un accident, une cause naturelle ou un cas de force majeure.
À partir de 2010, les États membres doivent assurer que la politique de tarification incite
les consommateurs à utiliser les ressources de façon efficace et que les différents
secteurs économiques contribuent à la récupération des coûts des services liés à
l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources.
140
Les États membres doivent établir des régimes assortis de sanctions effectives,
proportionnées et dissuasives en cas violations de la présente directive-cadre.
Une liste de substances polluantes prioritaires sélectionnées parmi celles qui constituent
un risque important pour ou via le milieu aquatique a été élaborée, via une procédure
associant surveillance et modélisation. Par ailleurs des mesures de contrôle relatives à
ces substances prioritaires, ainsi que des normes de qualité applicables aux
concentrations de celles-ci, ont également été proposées.
Mesures administratives
Au plus tard douze ans après la date d'entrée en vigueur de la directive et par la suite
tous les six ans, la Commission publie un rapport sur la mise en œuvre de celle-ci. La
Commission convoque, au moment opportun, une conférence des parties concernées par
la politique communautaire de l'eau, à laquelle participent les États membres, des
représentants des autorités compétentes, du Parlement européen, des ONG, des
partenaires sociaux et économiques, des consommateurs, des universitaires et autres
experts.
Glossaire
•
Eaux intérieures : toutes les eaux stagnantes et les eaux courantes à la surface du
sol et toutes les eaux souterraines en amont de la ligne de base servant pour la
mesure de la largeur des eaux territoriales.
•
Eaux de surface : les eaux intérieures, à l'exception des eaux souterraines, les
eaux de transition et les eaux côtières, sauf en ce qui concerne leur état
chimique, pour lequel les eaux territoriales sont également incluses.
•
Eaux souterraines : toutes les eaux se trouvant sous la surface du sol dans la
zone de saturation et en contact direct avec le sol ou le sous-sol.
•
Eaux de transition : des masses d'eaux de surface à proximité des embouchures
de rivières, qui sont partiellement salines en raison de leur proximité d'eaux
côtières, mais qui sont fondamentalement influencées par des courants d'eau
douce.
•
Eaux côtières : les eaux de surface situées en-deçà d'une ligne dont tout point est
situé à une distance d'un mille marin au-delà du point le plus proche de la ligne
141
de base servant pour la mesure de la largeur des eaux territoriales et qui
s'étendent, le cas échéant, jusqu'à la limite extérieure d'une eau de transition.
•
Bassin hydrographique : toute zone dans laquelle toutes les eaux de
ruissellement convergent à travers un réseau de rivières, fleuves et
éventuellement de lacs vers la mer, dans laquelle elles se déversent par une seule
embouchure, estuaire ou delta.
•
District hydrographique : une zone terrestre et maritime, composée d'un ou
plusieurs bassins hydrographiques ainsi que des eaux souterraines et eaux
côtières associées, identifiée comme principale unité aux fins de la gestion des
bassins hydrographique.
142
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147
TABLE DES MATIERES
Sommaire.
p. 4
Introduction.
p. 6
I. Approche économique de l’eau.
p. 15
A. L’eau : un bien particulier.
p. 15
1) Nature économique du bien « eau ».
p. 15
•
Le paradoxe de l’eau et du diamant.
p. 15
•
L’eau : un bien naturel rare.
p. 16
•
L’eau : bien public ou bien privé ?
p. 17
•
L’eau : un bien commun.
p. 21
2) Multifonctionnalité des ressources en eau.
p. 22
3) Financement et coût de l’eau.
p. 25
•
Le coût de l’eau en France.
p. 25
•
La formation du prix de l’eau dans différents pays européens.
p. 27
France.
p. 28
Italie.
p. 29
Pays-Bas.
p. 30
Royaume-Uni.
p. 32
4) Coût et péréquation.
•
La péréquation spatiale.
•
La péréquation sociale.
•
La péréquation multi-services.
•
La péréquation temporelle.
148
p. 35
p. 36
p. 36
p. 38
p. 39
B. Un secteur économique spécifique.
1) Une industrie en réseau.
p. 41
p. 41
•
Activités duales des services de l’eau.
p. 41
•
Définitions technique et économique de l’activité en réseau.
p. 41
•
La place centrale des rendements d’échelle dans les industries
p. 42
en réseau.
2) Une configuration traditionnelle de monopole naturel.
p. 43
•
Des monopoles naturels locaux non-contestés.
p. 43
•
L’existence d’économies de gamme.
p. 45
•
La possibilité d’intégration verticale.
p. 46
3) Les services de l’eau : des services d’intérêt général.
p. 47
4) La nécessité de réguler le secteur.
p. 47
•
La tarification du monopole.
p. 48
Enjeux.
p. 48
L’optimum de premier rang : un objectif difficile à
p. 48
atteindre.
Optimum de second rang et résolution des problèmes
d’aléa moral et de sélection adverse.
L’intégration des préoccupations sociales.
•
Les enjeux liés à la délégation de service public.
Partage des responsabilités.
Asymétries d’information à la conclusion du contrat.
Mesures de performance.
•
La concurrence dans le secteur de l’eau.
La concurrence par comparaison.
La concurrence lors de l’attribution du contrat.
La concurrence pour la propriété.
149
p. 49
p. 50
p. 51
p. 51
p. 53
p. 54
p. 54
p. 55
p. 55
p. 55
II. Modèles de gestion de l’eau en Europe.
p. 60
A. L’eau une ressource publique.
p. 60
1) Une répartition inégale.
p. 60
2) Publicisation des services.
p. 62
3) Crise du modèle municipal.
p. 63
4) Réponses apportées : analyse de cas.
p. 64
•
La privatisation « à la française » : la délégation.
p. 65
•
La Grande-Bretagne : entre régionalisation et privatisation.
p. 65
•
L’Allemagne : transversalité, localisme et privatisation
p. 67
formelle.
•
Les Pays-Bas : gestion supra-communale et régionalisée.
p. 68
•
L’Italie : supra-communalité et gestion publique.
p. 69
•
Le Portugal : supra-communalité et pluralité des types de
p. 70
gestion.
B. Gestion de la ressource : analyse de cas.
1) Développement historique de la notion de gestion intégrée.
•
Organismes localisés.
•
La remise en cause de l’échelon local : la montée du
p. 72
p. 72
p. 72
p. 73
régionalisme.
•
La gestion intégrée : un problème socio-politique avant tout.
•
Une difficile intégration de la perspective environnementale.
•
Un enjeu politique plus lourd lorsque la politique de grands
travaux devient insuffisante pour accroître la ressource.
150
p. 74
p. 75
p. 76
2) Le Royaume-Uni : le bassin-versant comme territoire d’une gestion p. 77
centralisée.
3) La région administrative comme élément cohérent de la gestion de
p. 78
l’eau dans les pays adeptes de la subsidiarité.
•
L’Allemagne : les Länder comme échelon territorial de la
p. 78
politique de la ressource.
•
Les Pays-Bas : subsidiarité et recentrage de la politique des
p. 79
Waterschappen vers les Provincies.
4) Le régionalisme des Etats méditerranéens.
p. 80
5) La France et ses Agences de l’Eau.
p. 81
III. La prise en compte des enjeux de développement durable dans la gestion des
p. 91
services de l’eau en Europe.
A. La nécessaire mise en place de critères de performance.
1) Les «3 E » du développement durable.
•
Axes de réflexion : investissement, coût d’amélioration,
p. 91
p. 91
p. 91
intégration de la population.
•
Particularité de la question éthique.
p. 91
•
L’importance de l’opinion publique.
p. 92
•
Comment apprécier les « 3 E » suivant les modèles de
p. 93
gestion ?
2) Utilité de la mesure de performance pour la régulation.
•
p. 94
Difficultés majeures dans la gestion des services de l’eau en p. 94
délégation.
•
Solutions : régulation permanente, dialogue, auto-incitation, p. 96
suivi de performance.
151
3) La construction des indicateurs.
p. 98
•
Objectifs du service public.
p. 98
•
Quelle obligation pour les services publics ?
p. 99
•
Faut-il réguler la fixation du prix ?
p. 100
•
Caractéristiques des indicateurs.
p. 100
B. La nécessité d’un observatoire européen.
1) La régulation dans les Etats européens.
•
p. 103
p. 103
Collaboration entre collectivités locales et groupes de travail p. 103
en France.
•
Une régulation centralisée en Grande-Bretagne.
•
Le benchmarking des distributeurs néerlandais.
•
Le Comité de Vigilance italien.
•
Faiblesse institutionnelle de l’IRAR portugais.
2) Défaillance des systèmes actuels.
•
Problèmes informationnels.
•
Résolution des problèmes par la mise en place d’échelons
p. 104
p. 106
p. 106
p. 107
p. 109
p. 109
p. 110
adéquats.
3) Pertinence d’un organisme européen.
•
Identification des acteurs.
•
Relations contractuelles entre délégant et délégataire.
•
Promotion des bonnes pratiques.
•
Statut de l’Observatoire et relations avec les échelons
p. 112
p. 112
p. 113
p. 114
p. 115
européens et locaux.
Conclusion
p. 117
Liste des graphiques et tableaux
p. 123
Liste des annexes
p. 124
152
Annexes
Annexe 1 : Organisation institutionnelle dans la gestion des services de l’eau en Europe.
p. 125
Annexe 2 : Matrice des arrangements institutionnels dominants dans le domaine de l’eau
p. 126
dans l’Union Européenne.
Annexe 3 : Présentation des différents modes de gestion de l’eau et de l’assainissement.
p. 127
Annexe 4 : La structure d’une facture d’eau.
p. 129
Annexe 5 : Quantités d’eau prélevées et consommées par usage en France.
p. 131
Annexe 6 : Facturation de l’eau en France.
p. 132
Annexe 7 : Effet de la délégation sur le prix de l’eau potable en France.
p. 136
Annexe 8 : Prix moyen de l’eau en Europe en 2003.
p. 137
Annexe 9 : Directive cadre dans le domaine de l’eau.
p. 139
Bibliographie.
p. 143
Table des matières.
p. 148
153
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