« Kant avec Sade » paraît pour la première fois en 1963 dans le numéro 191 de la revue Critique (pp. 291-313) et daté
de septembre 1962. Il a été rédigé par Lacan pour paraître en préface au tome III des Œuvres complètes du Marquis de
Sade, du Cercle du livre précieux, tome III comprenant « La philosophie dans le boudoir ». Or de ce tome III des Œuvres
complètes paru en 1963, la préface de Lacan est absente. C’est en octobre 1966 lors de la réédition de ces Œuvres
complètes par le même éditeur, que le texte « Kant avec Sade » est inclus, mais alors en post-face et remanié par Lacan. Cette
édition de 1966 est rééditée en 1980 au Club du Livre Secret des éditions Borderie. « La bibliothèque Oblique ». Pratiquement
toutes les corrections du Cercle du livre précieux en 1966 à propos desquelles on peut conjecturer l’intervention d’une correctrice
sont fondées, le texte des Écrits paru également au 4è trimestre 1966 au Seuil étant régulièrement fautif. Il y a aussi des
corrections d’auteur dans cette version du Cercle du livre précieux, dont on peut donc penser qu’elles sont postérieures à la remise
du manuscrit de « Kant avec Sade » pour les Écrits. L’ordre serait donc : le texte de 63 publié dans Critique, celui des Écrits
en 1966, celui du Cercle du livre précieux en 1966 également, celui des Écrits en collection points en 1971, et la réédition de
1980 par le Club du Livre Secret.
(291)KANT AVEC SADE
MARQUIS DE SADE1 Au Cercle du Livre précieux,
Œuvres complètes, 1963.
In-8°, 556 p.
Que l’œuvre de Sade anticipe Freud, fût-ce au regard du catalogue des perversions, est
une sottise, qui se redit dans les lettres, de quoi la faute, comme toujours, revient aux
spécialistes.
Par contre nous tenons que le boudoir sadien s’égale à ces lieux dont les écoles de la
philosophie antique prirent leur nom : Académie, Lycée, Stoa. Ici comme là, on prépare la
science en rectifiant la position de l’éthique. En cela, oui, un déblaiement s’opère qui doit
cheminer cent ans dans les profondeurs du goût pour que la voie de Freud soit praticable.
Comptez-en soixante de plus pour qu’on dise pourquoi tout ça.
Si Freud a pu énoncer son principe du plaisir sans avoir même à se soucier de marquer ce
qui le distingue de sa fonction dans l’éthique traditionnelle, sans plus risquer qu’il fût
entendu, en écho au préjugé incontesté de deux millénaires, pour rappeler l’attrait
préordonnant la créature (292)à son bien, avec la psychologie qui s’inscrit dans divers mythes
de bienveillance, nous ne pouvons qu’en rendre hommage à la montée insinuante à travers
le XIXe siècle du thème du « bonheur dans le mal ».
Ici Sade est le pas inaugural d’une subversion, dont, si piquant que cela semble au regard
de la froideur de l’homme, Kant est le point tournant, et jamais repéré, que nous sachions,
comme tel.
La Philosophie dans le boudoir vient huit ans après la Critique de la raison pratique. Si, après
avoir vu qu’elle s’y accorde, nous démontrons qu’elle la complète, nous dirons qu’elle
donne la vérité de la Critique.
Du coup, les postulats où celle-ci s’achève : l’alibi de l’immortalité où elle refoule
progrès, sainteté et même amour, tout ce qui pourrait venir de satisfaisant de la loi, la
1. Le tome III des œuvres complètes en cours de publication à la firme ici indiquée, comprend les textes de Justine ou les
malheurs de la vertu, soit du roman de 1791, et de la Philosophie dans le boudoir.
Un court avertissement les précède qui rectifie les données bibliographiques qu’il faut aller chercher dans le tome II. Les
tomes I et II déjà parus en effet reproduisent une Vie du marquis de Sade, citée dans l’essai présent sur l’édition parue chez
Gallimard.
Trois textes servent aux œuvres de préface, dont deux, l’un de notre ami Angelo Hesnard, Rechercher le semblable, découvrir
l’homme dans Sade, original, et l’autre reproduit du regretté Maurice Heine sur le Marquis de Sade et le roman noir, précèdent la
Justine, et le troisième, avant la Philosophie, est un article déjà recueilli dans le Sade mon prochain de Pierre Klossowski, auquel
nous nous référons à la fin de cet essai.
Nous choisissons ceste place pour remarquer que, s’il y a toute chance pour que cette édition, qui s’annonce elle-même
comme « définitive », soit menée à bonne fin, il n’y a pas encore en français d’édition des œuvres complètes de Kant, non
plus que de Freud. Il est vrai qu’il eût fallu que fût poursuivie une traduction systématique de ces œuvres. Une telle
entreprise eût semblé s’imposer pour Kant dans un pays où tant de jeunes forces se qualifient par l’enseignement de la
philosophie. Sa carence à beaucoup près laisse à réfléchir sur la direction assurée aux travaux par les cadres responsables.