Les Franco-Américains et le Séminaire St-Charles Borromée
omme à chaque année, les
23 et 24 décembre, de
nombreux élèves du Séminaire
Saint-Charles Borromée de
Sherbrooke s’engouffrent dans
le train du Canadien National
ou du Canadien Pacifique en
direction des États de la
Nouvelle-Angleterre. Dans des
wagons qui leur sont réservés,
ils rejoignent des dizaines
d’autres jeunes comme eux
qui, de Montréal, de Saint-
Hyacinthe ou d’ailleurs,
retournent dans leur famille
pour le congé scolaire de Noël.
Ils peuvent ainsi arriver à
temps pour la messe de minuit.
Deux semaines s’écoulent
avant qu’ils ne refassent le
chemin inverse pour rentrer
au Séminaire d’où ils ne
ressortiront qu’à la toute fin
de l’année scolaire. Cette
scène se répètera durant
plusieurs années à la fin du
XIXe siècle et pendant la
première moitié du XXe siècle.
ANCIENS FRANCO-AMÉRICAINS
PAR ÉTAT
New Hampshire...................... 836
Maine........................................518
Massachusetts..........................447
Vermont .................................. 223
Rhode Island...........................204
Connecticut................................75
New York................................... 26
Autres........................................ 49
TOTAL...........................2378
Ces adolescents sont en fait des
descendants de Canadiens français
établis aux États-Unis. Leurs
parents ou grands-parents ont fui
une situation économique difficile
au pays. Le surpeuplement des
terres agricoles, l’épuisement des
sols et la mécanisation dans
l’agriculture à la fin du XIXe siècle
laissent de nombreux travailleurs
sans emploi. Plusieurs sont attirés
par les bons salaires versés dans les
filatures de laine et de coton des six
états de la Nouvelle-Angleterre où
l’industrialisation se fait plus
rapidement qu’au Québec. On
estime ainsi à environ 900 000 le
nombre de Canadiens français
ayant quitté le Québec entre 1860 et
1930. On leur accole bientôt le nom
de Franco-Américains ou, plus
succinctement, de Francos.
Un grand nombre de ces Amé-
ricains d’adoption croient en
l’importance d’une éducation se
déroulant en français et dans la
religion catholique pour leurs
enfants. Si plusieurs écoles
primaires paroissiales respectant
les croyances et l’origine des
Francos font leur apparition
rapidement aux États-Unis, le
réseau d’institutions secondaires ne
se développe que très lentement. De
nombreux jeunes gens empruntent
donc le chemin des maisons
d’éducation canadiennes. La princi-
pale source de recrutement provient
cependant du clergé catholique
franco-américain, lui-même majo-
ritairement issu du Québec. En
effet, les curés dirigent ceux qu’ils
croient appelés à la prêtrise vers les
collèges classiques d’outre-frontière
d’où ils sont eux-mêmes diplômés.
Selon l’abbé Michel Nault, dans un
article paru au mois de
septembre 1975 dans Le Borroméen,
journal de l’Association des Anciens,
2 378 Franco-Américains ont fré-
quenté le Séminaire St-Charles de
sa fondation, en 1875, à 1969-1970.
Ces élèves proviennent princi-
palement des villes de Manchester
N.H., Berlin N.H., Lewiston Ma. et
Woonsocket R.I. Il est intéressant
de noter que ces Francos
représentent régulièrement entre
20% et 30% de la clientèle
borroméenne entre les années 1901
et 1932. Ce nombre atteint même
31,7% (127 sur 401 élèves) en 1908-
1909. Pendant la même période, on
compte 19 années où l’on retrouve
plus de 100 jeunes Franco-
Américains au Séminaire avec un
record de 153 en 1925-1926.
À partir de 1932 samorce une
baisse lente et graduelle du nombre
de Francos au Séminaire St-
Charles. Conscients que leur vie se
déroule désormais aux États-Unis,
de plus en plus de Franco-
Américains croient que le système
public anglophone prépare mieux
leurs enfants à la vie qui les attend.
Le phénomène d’anglicisation
s’accentue ainsi avec les nouvelles
générations nées en sol américain.
La fin de la concordance entre les
systèmes scolaires américain et
québécois ainsi que la disparition
du cours classique dans les années
’60 sonnent le glas d’une longue
tradition de présence franco-
américaine au Séminaire de
Sherbrooke.
Réal Collard, Robert Ravenelle, Laurent Rodrigue
en collaboration avec le Service des archives
du Séminaire de Sherbrooke
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