L
AVENTURE humaine a peut-être
commencé il y a   ans :
c’est l’âge de quelques outils frustes,
au confluent du Tarn et de l’Agout,
sur les premières terrasses. Plus nette
est la présence, au paléolithique, de
chasseurs néandertaliens venus cher-
cher des silex dans les calcaires de la
Vère. Dans les marnes de Fonvialane,
de Rivières ou de Gaillac, on a trouvé
des restes de mammouths et d’un entelodon, probables gibiers de traque.
Au paléolithique, les grottes du causse de Labruguière servent d’abris
durant les périodes froides. Vers -  , les Vénus de la Magdeleine et
les peintures du Travers de Janoye à Penne d’Albigeois représentent le pre-
mier art pariétal. Au néolithique, le Tarn se couvre de mégalithes (
selon Jean Lautier, dont  statues menhirs, dans les Monts de Lacaune).
Vers -  apparaissent les sites perchés (oppidum) à Berniquaut, Montans,
en Grésigne, et les nécropoles. Celle de Gourjade, tout près de Castres,
recèle  tombes.
Le Tarn est ouvert au commerce avec l’Atlantique : les Gaulois
(Ruthènes, Volques) exploitent le fer d’Ambialet, le cuivre de Trébas, peut-
être l’or, selon Pline l’Ancien. Le Tarn se trouve sur les marges de la
conquête romaine. Il commerce avec la Narbonnaise, les amphores italiques
de Berniquaut le prouvent, mais la turbulence des Ruthènes en fait une
zone peu sûre. La «pacification » et l’annexion datent probablement de
César (- ). À la fin du IVesiècle, la «cité des Albigeois » apparaît dans la
liste des provinces. Selon Broens, la romanisation est plus marquée à
l’ouest que dans l’est tarnais, plus montagneux. Montans est le haut lieu
de la présence romaine. Ses  fours en font l’un des grands centres de la
céramique sigillée de la Gaule méridionale :  potiers y travaillent et
diusent sur toute la façade atlantique, de l’Espagne à l’Angleterre. Le
Tarn, qui désigne la rivière, évoque peut-être Taranis, le dieu gaulois.
Les invasions barbares, dont le grand médiéviste albigeois Jean-Louis
Biget conteste le nom (elles ne sont ni massives, ni très brutales), ne bou-
leversent pas le cadre gallo-romain. La famille des Didier-Salvii, qui donne
deux saints (Salvi, évêque d’Albi, et Didier) illustre ces nouvelles alliances
entre Gallo-Romains et Francs. Saint Didier, richissime trésorier de Dago-
bert, préfigure cette caste de grands commis méridionaux. La toponymie
s’enrichit de désinences wisigothiques (Giroussens, Mézens…).
Le christianisme s’implante au IVesiècle et, en , Hauterive (près de
Castres), reçoit le premier monastère bénédictin de Gaule. Au VIIesiècle,
Sainte-Sigolène, à Lagrave, est la première communauté moniale. Les abbayes
donnent naissance à des villes, entre  et  : Castres, Gaillac, Lavaur,
Sorèze… Au XIIesiècle, le Tarn connaît une «cour d’amour » à Burlats où
Adélaïde, fille du comte de Toulouse, protège les troubadours.
La croisade des Albigeois mérite-t-elle son nom? Les Cathares étaient
peu nombreux dans le diocèse, mais c’est à Lombers () qu’échoue le
concile et à Albi la mission de la dernière chance de saint Dominique.
L’hérétique est donc «l’Albigeois », on ne parlera de Cathares qu’au XIXe
siècle. Opportuniste, Albi ouvre ses portes à Simon de Montfort. Saint-
Marcel est détruit, Lavaur résiste derrière dame Guiraude, suppliciée avec
 hérétiques. Le traité de Paris () intègre le comté dans le royaume.
Le XIIIesiècle est celui des bastides et des villes neuves, Cordes (),
Lisle-sur-Tarn, Réalmont, Pampelonne, une quarantaine au total. À Albi,
l’évêque inquisiteur Bernard de Castanet lance le chantier de la cathédrale,
forteresse de briques qui signe la victoire de l’Église sur l’hérésie. Les travaux
durent de  à. L’art religieux et civil atteint son apogée au XVe
siècle. Louis d’Amboise, prince, diplomate, évêque, commande le jubé de
Sainte-Cécile et la mise au tombeau de Combefa. L’or bleu du pastel fait
naître des hôtels renaissance, surtout à Albi (hôtel Reynes).
La religion réformée s’implante dans le sud, autour de Castres et sa mon-
tagne. Le Tarn a sa Saint-Barthélemy (),  protestants sont jetés dans la
rivière à Albi,  égorgés à Gaillac et les églises romanes du sud sont détruites.
Henri IV, allant à Paris, fait étape à Castres pour réconcilier les adversaires. Le
sud tarnais garde à Ferrières la mémoire du premier protestantisme méridional.
Après , le déclin du pastel est compensé par la culture du blé dans
le Lauragais, par la montée du textile au sud, alors que commencent à être
exploités les filons charbonniers de Carmaux. Le Tarn est déjà industrieux.
Le département, créé en , sans véritable conflit de tracé, traverse la
Révolution sans l’influencer. Si quatre députés votent la mort du roi, quatre
préfèrent le sursis ou le bannissement. Département médian, il fait déjà figure
de modéré et ne compte que douze exécutions pendant la Terreur. La période
avive une rivalité durable entre Castres et Albi pour le chef-lieu. Castres, plus
peuplée et patriote, l’emporte d’abord, mais Albi prend sa revanche définitive
en . L’antagonisme se manifestera dans les choix politiques. Le nord évo-
luera vers les idées libérales, républicaines et socialistes. Le sud demeurera long-
temps un bastion conservateur, même si l’école de Sorèze, dirigée jusqu’en 
par Lacordaire, représente, avec son enseignement des langues vivantes, des
sciences et la pratique du sport, un exemple de modernité pédagogique.
Si le Sud-Ouest manque sa révolution industrielle, le Tarn y entre de plain
pied avec ses deux bassins : au nord, Carmaux (mineurs) et Saint-Juéry (sidé-
rurgistes); au sud, le Castrais (textile) et Mazamet (délainage, dès ). Avec
les usines, vient le temps des luttes sociales. Jaurès est élu député en janvier
, contre le marquis de Solages, propriétaire des mines de Carmaux. Le
Tarn, dans ses rues et places, garde au cœur la plus grande voix, la plus belle
plume du socialisme français. Il reste, avec le peintre Toulouse-Lautrec, le
Tarnais le plus connu. Son assassinat, en juillet , en fait le martyr de
la paix. Aimé dans le milieu ouvrier, qui lui doit la loi sur les accidents du
travail, comme dans les campagnes (premières retraites paysannes), dans le
sud où il est né et dans le nord qui l’a élu, Jaurès, initiateur de la première
coopérative ouvrière – la Verrerie Ouvrière d’Albi (Verrerie d’Albi aujour-
d’hui, mais qui garde son sigle VOA) – est le grand Tarnais consensuel de
l’époque contemporaine. Le département lui doit un long ancrage à gauche.
Le Tarn fut saigné à blanc en - (  tués, soit , % de la
population). Durant la dernière guerre, il a été le théâtre d’une résistance
active (Grésigne, Montagne Noire et Monts de Lacaune). Il s’est libéré lui-
même, provoquant, à Castres, la capitulation de  soldats allemands.
ATLAS DU TARN2
HISTOIRE par Jean-André L
HOPITAULT
Statue menhirde Miolles
Bastidede Cordes
Cathédrale et basilique d’Albi
«À deux pas de la cathédrale, que nous devons admirer, bien qu’elle représente tant
de siècles d’ignorance et de douleur, la classe ouvrière a érigé sa première basilique,
où les cœurs chanteront, non dans le tonnerre des orgues, mais dans la majestueuse
mélodie des machines. » Jean Jaurès,
Discours d’inauguration de la Verrerie Ouvrière d’Albi, le  octobre 
Sa situation de contact favorisait le passage, mais le Tarn fut aussi
accueillant aux Français d’autres départements ou régions (Aveyronnais,
rapatriés d’Afrique du Nord, Bretons, Picards…) et aux étrangers, qui vin-
rent s’y installer. Jusqu’en , ces derniers étaient encore peu nombreux
( en ). Mais à partir de , l’essor des industries extractives attire
Espagnols, Italiens et Polonais. Après la Libération, les étrangers représentent
environ   personnes. Par le jeu des naturalisations et des mariages
mixtes, on estime à  % les Tarnais possédant un ascendant étranger (le
plus souvent espagnol ou italien). En , près de  nationalités diérentes,
pour un total de  étrangers, étaient représentées dans le Tarn, dont 
Portugais, les plus nombreux et les plus organisés dans le milieu associatif
avec leurs groupes folkloriques (Juventude portuguesa de Castres) et leurs
clubs de football (Benfica de Graulhet). Département pluriel, tolérant, le Tarn
est aussi entreprenant, à l’image de Pierre Fabre, créateur des laboratoires qui
portent son nom, ou de ces protestants mazamétains sillonnant l’Australie
et la Pampa argentine en quête des meilleures peaux lainées du monde.
Héritier des combats syndicaux de la révolution industrielle et de ses
valeurs jaurésiennes, le Tarn exprime avec passion en , en  avec les
ATLAS DU TARN 3
Le Tarn
à la fin de
l’Ancien Régime
(avant )
Source :
Carte des Généralités, Subdélégations
et Élections en France à la veille de la
Révolution de . Éd. CNRS - 1988
Généralité
Subdélégation / Élection
Généralités :
© Cartographie & Décision - 1998
040 km
Toulouse
Montauban
Montpellier
Perpignan
Auch
Bordeaux
Castelsarrasin
Beaumont
St-Lizier
Tarascon
Villemur
Gaillac
Caraman
Villefranche-
de-L.
Chalabre
Quillan
Castelnaudary
Revel
Puylaurens
Najac Sauveterre
Lagrasse
Caudiés
St-Chinian
Lacaume
St-Affrique
Sevérac-
le-Ch. Florac
Meyruels
St-Hippolyte
Villefort
MONTAUBAN
TOULOUSE
PERPIGNAN
MONTPELLIER
CAHORS
VILLEFRANCHE RODEZ
MILLAU
Lauzerte
Caussade
Moissac
St-Antonin
St-Nicolas-
de-la-Grave
(Bas
Montauban)
GRENADE
MURET
L’Isle-
Jourdain
Rieux
St-Girons Foix
Quérigut
Pamiers Mirepoix
Limoux
St-Papoul
Lavaur
Albi
Castres
Carcassonne
Alet
Prades
Narbonne
St-Pons
Béziers
Vabres
St-Geniez
Barre-des-
Cévennes
Le Vigan
Lodève
Pézenas
Agde
Cette
Limites de :
Généralité, Subdélégation
et Élection
Élection
Autre localité
ayant un rôle régional
Subdélégation et Élection
Généralité et Subdélégation
Siège commun à
2 Subdélégations
Chefs-lieux de :
M E R
M É D I T E R R A N É E
St-Martory
E S P A G N E ANDORRE
Puy-
l’Evêque Prayssac Aubin St-Cosme
Espalion Mende
Collioures
Cathédrale Sainte-Cécile d’Albi
Les volets
«Mireille descendit en gare d’Albi. Elle aperçut de loin la cathédrale. Des deux côtés
de l’avenue qui menait vers le centre, les maisons roses étaient toujours là avec leurs
briques cuites à point, avec une pincée de cannelle, maintenant elle en était sûre. Les
volets étaient toujours retenus par des crochets à tête de personnages que tout enfant
albigeois a un jour décroché pour les laisser battre dans le vent. »
Alicia Dujovne Ortiz, Femme couleur tango, Grasset 
mineurs de Carmaux, en  le «choix des travailleurs ». Ancré à gauche
au nord, il épouse au sud les mouvements politiques nationaux.
Cette fidélité du bassin minier au socialisme décide François Mitterrand
à lancer sa campagne à Carmaux, en , au pied de la statue de Jaurès.
Et au soir de sa vie et de son second mandat, elle le pousse à revenir encore,
une dernière fois, tenir meeting dans cette salle de la Verrerie, habitée par
l’éloquence du grand tribun tarnais.
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