HISTOIRE par Jean-André LHOPITAULT L ’AVENTURE humaine a peut-être commencé il y a ans : c’est l’âge de quelques outils frustes, au confluent du Tarn et de l’Agout, sur les premières terrasses. Plus nette est la présence, au paléolithique, de chasseurs néandertaliens venus chercher des silex dans les calcaires de la Statue menhir de Miolles Vère. Dans les marnes de Fonvialane, de Rivières ou de Gaillac, on a trouvé des restes de mammouths et d’un entelodon, probables gibiers de traque. Au paléolithique, les grottes du causse de Labruguière servent d’abris durant les périodes froides. Vers - , les Vénus de la Magdeleine et les peintures du Travers de Janoye à Penne d’Albigeois représentent le premier art pariétal. Au néolithique, le Tarn se couvre de mégalithes ( selon Jean Lautier, dont statues menhirs, dans les Monts de Lacaune). Vers - apparaissent les sites perchés (oppidum) à Berniquaut, Montans, en Grésigne, et les nécropoles. Celle de Gourjade, tout près de Castres, recèle tombes. Le Tarn est ouvert au commerce avec l’Atlantique : les Gaulois (Ruthènes, Volques) exploitent le fer d’Ambialet, le cuivre de Trébas, peutêtre l’or, selon Pline l’Ancien. Le Tarn se trouve sur les marges de la conquête romaine. Il commerce avec la Narbonnaise, les amphores italiques de Berniquaut le prouvent, mais la turbulence des Ruthènes en fait une zone peu sûre. La « pacification » et l’annexion datent probablement de César (- ). À la fin du IVe siècle, la « cité des Albigeois » apparaît dans la liste des provinces. Selon Broens, la romanisation est plus marquée à l’ouest que dans l’est tarnais, plus montagneux. Montans est le haut lieu de la présence romaine. Ses fours en font l’un des grands centres de la céramique sigillée de la Gaule méridionale : potiers y travaillent et diffusent sur toute la façade atlantique, de l’Espagne à l’Angleterre. Le Tarn, qui désigne la rivière, évoque peut-être Taranis, le dieu gaulois. Les invasions barbares, dont le grand médiéviste albigeois Jean-Louis Biget conteste le nom (elles ne sont ni massives, ni très brutales), ne bouleversent pas le cadre gallo-romain. La famille des Didier-Salvii, qui donne deux saints (Salvi, évêque d’Albi, et Didier) illustre ces nouvelles alliances entre Gallo-Romains et Francs. Saint Didier, richissime trésorier de Dagobert, préfigure cette caste de grands commis méridionaux. La toponymie s’enrichit de désinences wisigothiques (Giroussens, Mézens…). Le christianisme s’implante au IVe siècle et, en , Hauterive (près de Castres), reçoit le premier monastère bénédictin de Gaule. Au VIIe siècle, Sainte-Sigolène, à Lagrave, est la première communauté moniale. Les abbayes donnent naissance à des villes, entre et : Castres, Gaillac, Lavaur, Sorèze… Au XIIe siècle, le Tarn connaît une « cour d’amour » à Burlats où Adélaïde, fille du comte de Toulouse, protège les troubadours. La croisade des Albigeois mérite-t-elle son nom ? Les Cathares étaient peu nombreux dans le diocèse, mais c’est à Lombers () qu’échoue le concile et à Albi la mission de la dernière chance de saint Dominique. L’hérétique est donc « l’Albigeois », on ne parlera de Cathares qu’au XIXe siècle. Opportuniste, Albi ouvre ses portes à Simon de Montfort. SaintMarcel est détruit, Lavaur résiste derrière dame Guiraude, suppliciée avec hérétiques. Le traité de Paris () intègre le comté dans le royaume. Le XIIIe siècle est celui des bastides et des villes neuves, Cordes (), Lisle-sur-Tarn, Réalmont, Pampelonne, une quarantaine au total. À Albi, l’évêque inquisiteur Bernard de Castanet lance le chantier de la cathédrale, forteresse de briques qui signe la victoire de l’Église sur l’hérésie. Les travaux durent de à . L’art religieux et civil atteint son apogée au XVe siècle. Louis d’Amboise, prince, diplomate, évêque, commande le jubé de Sainte-Cécile et la mise au tombeau de Combefa. L’or bleu du pastel fait naître des hôtels renaissance, surtout à Albi (hôtel Reynes). 2 Bastide de Cordes La religion réformée s’implante dans le sud, autour de Castres et sa montagne. Le Tarn a sa Saint-Barthélemy (), protestants sont jetés dans la rivière à Albi, égorgés à Gaillac et les églises romanes du sud sont détruites. Henri IV, allant à Paris, fait étape à Castres pour réconcilier les adversaires. Le sud tarnais garde à Ferrières la mémoire du premier protestantisme méridional. Après , le déclin du pastel est compensé par la culture du blé dans le Lauragais, par la montée du textile au sud, alors que commencent à être exploités les filons charbonniers de Carmaux. Le Tarn est déjà industrieux. Le département, créé en , sans véritable conflit de tracé, traverse la Révolution sans l’influencer. Si quatre députés votent la mort du roi, quatre préfèrent le sursis ou le bannissement. Département médian, il fait déjà figure de modéré et ne compte que douze exécutions pendant la Terreur. La période avive une rivalité durable entre Castres et Albi pour le chef-lieu. Castres, plus peuplée et patriote, l’emporte d’abord, mais Albi prend sa revanche définitive en . L’antagonisme se manifestera dans les choix politiques. Le nord évoluera vers les idées libérales, républicaines et socialistes. Le sud demeurera longtemps un bastion conservateur, même si l’école de Sorèze, dirigée jusqu’en par Lacordaire, représente, avec son enseignement des langues vivantes, des sciences et la pratique du sport, un exemple de modernité pédagogique. Si le Sud-Ouest manque sa révolution industrielle, le Tarn y entre de plain pied avec ses deux bassins : au nord, Carmaux (mineurs) et Saint-Juéry (sidérurgistes); au sud, le Castrais (textile) et Mazamet (délainage, dès ). Avec les usines, vient le temps des luttes sociales. Jaurès est élu député en janvier , contre le marquis de Solages, propriétaire des mines de Carmaux. Le Tarn, dans ses rues et places, garde au cœur la plus grande voix, la plus belle plume du socialisme français. Il reste, avec le peintre Toulouse-Lautrec, le Tarnais le plus connu. Son assassinat, en juillet , en fait le martyr de la paix. Aimé dans le milieu ouvrier, qui lui doit la loi sur les accidents du travail, comme dans les campagnes (premières retraites paysannes), dans le sud où il est né et dans le nord qui l’a élu, Jaurès, initiateur de la première coopérative ouvrière – la Verrerie Ouvrière d’Albi (Verrerie d’Albi aujourd’hui, mais qui garde son sigle VOA) – est le grand Tarnais consensuel de l’époque contemporaine. Le département lui doit un long ancrage à gauche. Le Tarn fut saigné à blanc en - ( tués, soit , % de la population). Durant la dernière guerre, il a été le théâtre d’une résistance active (Grésigne, Montagne Noire et Monts de Lacaune). Il s’est libéré luimême, provoquant, à Castres, la capitulation de soldats allemands. Cathédrale et basilique d’Albi « À deux pas de la cathédrale, que nous devons admirer, bien qu’elle représente tant de siècles d’ignorance et de douleur, la classe ouvrière a érigé sa première basilique, où les cœurs chanteront, non dans le tonnerre des orgues, mais dans la majestueuse mélodie des machines. » Jean Jaurès, Discours d’inauguration de la Verrerie Ouvrière d’Albi, le octobre ATLAS DU TARN Sa situation de contact favorisait le passage, mais le Tarn fut aussi accueillant aux Français d’autres départements ou régions (Aveyronnais, rapatriés d’Afrique du Nord, Bretons, Picards…) et aux étrangers, qui vinrent s’y installer. Jusqu’en , ces derniers étaient encore peu nombreux ( en ). Mais à partir de , l’essor des industries extractives attire Espagnols, Italiens et Polonais. Après la Libération, les étrangers représentent environ personnes. Par le jeu des naturalisations et des mariages mixtes, on estime à % les Tarnais possédant un ascendant étranger (le plus souvent espagnol ou italien). En , près de nationalités différentes, pour un total de étrangers, étaient représentées dans le Tarn, dont Portugais, les plus nombreux et les plus organisés dans le milieu associatif avec leurs groupes folkloriques (Juventude portuguesa de Castres) et leurs clubs de football (Benfica de Graulhet). Département pluriel, tolérant, le Tarn est aussi entreprenant, à l’image de Pierre Fabre, créateur des laboratoires qui portent son nom, ou de ces protestants mazamétains sillonnant l’Australie et la Pampa argentine en quête des meilleures peaux lainées du monde. Héritier des combats syndicaux de la révolution industrielle et de ses valeurs jaurésiennes, le Tarn exprime avec passion en , en avec les Cathédrale Sainte-Cécile d’Albi mineurs de Carmaux, en le « choix des travailleurs ». Ancré à gauche au nord, il épouse au sud les mouvements politiques nationaux. Cette fidélité du bassin minier au socialisme décide François Mitterrand à lancer sa campagne à Carmaux, en , au pied de la statue de Jaurès. Et au soir de sa vie et de son second mandat, elle le pousse à revenir encore, une dernière fois, tenir meeting dans cette salle de la Verrerie, habitée par l’éloquence du grand tribun tarnais. Les volets « Mireille descendit en gare d’Albi. Elle aperçut de loin la cathédrale. Des deux côtés de l’avenue qui menait vers le centre, les maisons roses étaient toujours là avec leurs briques cuites à point, avec une pincée de cannelle, maintenant elle en était sûre. Les volets étaient toujours retenus par des crochets à tête de personnages que tout enfant albigeois a un jour décroché pour les laisser battre dans le vent. » Alicia Dujovne Ortiz, Femme couleur tango, Grasset Le Tarn à la fin de l’Ancien Régime (avant ) Puyl’Evêque St-Cosme Espalion Aubin Prayssac Mende St-Geniez CAHORS Villefort RODEZ VILLEFRANCHE Sevéracle-Ch. Florac Barre-desCévennes Lauzerte Najac Caussade Sauveterre St-Antonin Meyruels MILLAU Moissac Généralités : Castelsarrasin Toulouse Montauban Montpellier Perpignan Auch Bordeaux St-Nicolasde-la-Grave MONTAUBAN Le Vigan St-Affrique (Bas Montauban) St-Hippolyte Albi Gaillac Vabres Villemur Beaumont Chefs-lieux de : Généralité, Subdélégation et Élection Généralité et Subdélégation Subdélégation et Élection Élection Lodève GRENADE Limites de : Généralité Subdélégation / Élection Lacaume TOULOUSE L’IsleJourdain Lavaur MONTPELLIER Castres Puylaurens Caraman St-Pons MURET Revel Agde Castelnaudary Rieux Carcassonne St-Martory Pamiers Mirepoix Foix Chalabre Narbonne MER MÉDITERRANÉE Lagrasse Limoux St-Lizier Cette Béziers St-Papoul Siège commun à 2 Subdélégations Autre localité ayant un rôle régional Pézenas St-Chinian Villefranchede-L. Alet St-Girons Quillan Tarascon Caudiés 0 40 km PERPIGNAN © Cartographie & Décision - 1998 Source : Carte des Généralités, Subdélégations et Élections en France à la veille de la Révolution de . Éd. CNRS - 1988 ATLAS DU TARN Quérigut ESPAGNE ANDORRE Prades Collioures 3