L'art de communiquer sur l'art : quelle Estelle Limoge

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UNIVERSITE LYON 2 - Année Universitaire 2007-2008
Institut d'Etudes Politiques de Lyon -
L'art de communiquer sur l'art : quelle
place pour la critique dramatique ?
Estelle Limoge
Séminaire : Art, politique, management
soutenu le 4 septembre 2008
Sous la direction de Mme Papaefthymiou
Table des matières
Remerciements . .
4
I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques :
une réponse imposée par le système . .
9
A- Une politique culturelle inédite et ses répercussions dans l'espace médiatique : les
innovations du Théâtre National Populaire (TNP) . .
1- Communiquer avec le public : l'idéologie d'un créateur mise en pratique . .
9
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2- Publicité, relations publiques : des productions structurantes de l'espace
médiatique . .
14
B- Pourquoi s'adapter : définition et enjeux de la production critique dans l'espace
médiatique . .
1- Les clefs de la diffusion : des paroles savantes aux feuilletons journalistiques . .
2- Les enjeux de la réception : le créateur et le public . .
C- Comment s'adapter : une production différenciée du texte critique . .
1- Presse spécialisée versus presse non spécialisée : les coûts de l'adaptation . .
2- Dépasser la différenciation : sur la voie de la distinction ? . .
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs
critiques . .
A- Etre producteur : les enjeux de la distinction . .
1- A la recherche d'un statut : professionnalisation et outils symboliques . .
2- L'oeil d'expert : trouver sa place dans le débat public . .
B- Les ficelles du métier : travailler les outils de jugement . .
1- La critique normative : deux poids, deux mesures . .
2- Le Public, une entité vouée à l'arbitrage des juges . .
C- Producteurs critiques et créateurs : l'inévitable mariage de raison . .
1-Se reconnaître et croire en l'autre : les bases d'une relation durable . .
2- Les termes du contrat : garantir le dialogue et la valeur artistique de la création
..
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Articles . .
Littérature grise . .
Articles en ligne . .
Sitographie . .
Annexes . .
Résumé . .
Mots Clefs . .
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
Remerciements
Pour leur encadrement et leurs conseils, je souhaite tout d'abord remercier les professeurs de
l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon qui ont suivi l'élaboration de ce travail et ont aidé à son
aboutissement : Mme Papaefthymiou, qui a dirigé le séminaire Art, Politique Management et a
permis d'initier et d'orienter cette étude, M. Sanier, qui a contribué à donner des pistes de réflexion
utiles à la démarche.
Pour son accueil et sa disponibilité, je remercie le personnel de la Maison Jean Vilar, à
Avignon. En particulier Marie-Claude Billard, conservateur. La majeure partie des textes étudiés
provient en effet des archives de la Bibliothèque Nationale de France conservées à Avignon et
participe au processus fondateur de ce travail.
Je tiens particulièrement à remercier M. Daniel Limoge et Mlle Laurie Monziols pour leur
lecture attentionnée et leur qualité d'écoute. Ainsi que toutes les petites lueurs de l'ombre qui m'ont
encouragé, guidé, écouté : Etienne, Violaine, Solange...
« Entre le théâtre et sa critique, comme entre les spectacles et le public, il y a
place pour un dialogue prolongé et fécond, à condition, précisément, que, dans
ce dialogue, soit maintenue une certaine distance entre les uns et les autres, une
ouverture avec ce que ce mot sous-entend à la fois d'adhésion, d'attention et de
1
libre choix »
Tranche de vie dans un Centre Dramatique National, structure théâtrale publique dirigée par un
metteur en scène, créateur connu et renommé, années 2000. Au service communication, le chargé
des relations presse, relations publiques prend contact avec les journalistes locaux ou nationaux
pour leur rappeler la prochaine création. Il leur notifie qu'il vient de leur envoyer un dossier de
presse où ils peuvent trouver un résumé de la nouvelle création, une interview du metteur en scène,
des précisions biographiques sur les comédiens... Le jour de la représentation, le chargé de relations
presse s'empresse d'accueillir le journaliste, critique dramatique d'un instant. Ce dernier publie
le lendemain un encart plus ou moins long...rédigé avec des bribes du résumé envoyé, mélangé
avec quelques paroles du metteur en scène interviewé...Si les événements politico-économiques du
jour provoquent un déchaînement médiatique, une simple annonce suffit...« Ce n'est pas une vraie
critique » s'exclame alors le créateur lorsqu'est constituée la revue de presse, dans laquelle sont
cantonnés tous les articles pour justifier de l'activité du théâtre devant les tutelles. Quelques mois
plus tard, c'est l'effervescence dans la structure. Une des créations fait partie de la sélection pour
recevoir le Prix du Syndicat de la critique. Le prix est gagné. La réussite est diffusée dans tous les
supports de communication à disposition. Et toute l'équipe attend fébrilement l'année prochaine,
pour une nouvelle création, et qui sait, une nouvelle récompense...
Ainsi s'expriment les paradoxes qui entourent la communication artistique. Esprit critique,
encart informatif, la frontière est devenue floue et le rôle de chacun peine à être défini.
Intermédiaires entre le public et la création, les chargés de communication et de relations publiques
cultivent l'art de la diffusion. Discours rodés, rencontres avec le public, relations soignées avec
les relais médiatiques, la diversité des moyens est bien réelle. L'art de communiquer sur l'art est
devenue une véritable profession qui semble, de fait, écarter la figure du critique dramatique,
personnage de l'ombre à la plume acerbe, jadis capable de faire et défaire les réputations. Pourtant,
le syndicat des professionnels de la critique l'affiche publiquement : « La critique professionnelle de
1
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Bernard Dort, Théâtre Public, Essais critiques, p 23
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Remerciements
théâtre, musique et danse est clairement vivante. Elle continue à se battre pour être mieux lue, vue
et entendue. » 2 Être lue par qui , être entendue par qui, la lutte symbolique de la profession souligne
un mal de reconnaissance. Reste à savoir quels biais sont utilisés pour confirmer la légitimité d'un
corps de professionnels en voie de disparition dans l'espace médiatique. Pour mieux comprendre les
paradoxes contemporains, nous proposons dès lors un retour dans la France des années cinquante,
période clef où la critique dramatique s'est vue confrontée aux enjeux de la diffusion.
Le syndicat de la critique dramatique s'est constitué dans les années cinquante, avatar de
l'association des critiques professionnels. Maîtres du discours, les travaux de ces professionnels
restent amplement divulgués dans la presse écrite. Cependant, un tournant structurel s'amorce alors
dans la vie théâtrale française, imposant un nouveau rapport avec « le public » envisagé comme une
entité consacrée de l'art théâtral. L'heure du théâtre « service public » est arrivée et il convient de
déployer les moyens nécessaires pour diffuser les oeuvres du créateur, en passant notamment par
des techniques similaires à celles déjà employées par des structures privées telles que la publicité ou
les relations publiques. Dans ce contexte, décentralisation et démocratisation sont les deux notions
clefs qui dynamisent les actions menées par une frange engagée du secteur théâtral, bénéficiant
du soutien d'acteurs politiques tels que Jeanne Laurent sous la IVe République ou encore André
Malraux sous la Ve République. Il s'agit de partir à la conquête des masses populaires, privées
jusqu'alors d'un art devenu élitiste et trop souvent réservé à une classe bourgeoise parisienne. Pour
se faire, des structures théâtrales publiques sont installées en « province » grâce à la politique de
décentralisation commencée de 1947 à 1952 et poursuivie sous le ministère Malraux de 1959 à
1969.
Associée à une véritable idéologie qui consiste à prôner l'accès aux grandes oeuvres culturelles
pour tous et par tous, le phénomène de démocratisation s'illustre également à travers des initiatives
parisiennes telles que la création du Théâtre National Populaire au Palais de Chaillot en 1951.
Nous ne souhaitons pas refaire ici le procès d'une politique qui a depuis été dénoncée par
nombre de détracteurs. Action de prosélytisme, missionnaire ou pastorale, les qualificatifs sont
nombreux pour décrier une conception universaliste de la culture qui, à l'arrivée, ne prêche qu'à
des convertis. En revanche, nous essaierons de comprendre comment, dans cette configuration,
le corps professionnel des critiques dramatiques a pu se distinguer de cette nouvelle manière de
communiquer sur l'art et ce que révèle alors cette distinction de la véritable fonction occupée par
ces derniers.
En effet, le tournant initié dans les années cinquante introduit des techniques de
communication dont les services de presse et de relations publiques présents dans le secteur
théâtral contemporain peuvent en revendiquer l'héritage. Certes, dans les années cinquante, la
professionnalisation des métiers de la communication n'est pas autant développée, le contexte
socio-politique est tout autre et l'espace médiatique est lui aussi complètement différent. Pourtant
les enjeux sont déjà soulevés de manière similaire : comment diffuser au plus grand nombre,
comment mener une politique culturelle en gardant un équilibre financier, quels genres artistiques
se prêtent le mieux à ces nouvelles techniques, quel discours tenir dans l'espace médiatique... Des
interrogations qui se sont notamment concrétisées de manière emblématique dans une institution
publique désormais célèbre à l'intérieur du secteur théâtral : le Théâtre National Populaire, installé
au Palais de Chaillot à Paris. Jean Vilar, homme de terrain et metteur en scène reconnu, prend la
direction du TNP de 1951 à 1963 et fait ainsi revivre une institution tombée en désuétude depuis les
2
www.syndicat-critique-tmd.fr/1.html
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
années vingt. Dans son ouvrage consacré au théâtre sous la IVe République, Geneviève Latour cite
les 3200 places du TNP comme un des lieux les plus fréquentés par le public parisien3. Un public
qui répond à un projet esthétique et social fondé sur la diffusion du patrimoine et l'élargissement
de la base sociale du public, qualifié de culturalisme4.
Ainsi, le TNP propose une configuration originale où le créateur devenu directeur d'une
structure théâtrale est directement confronté aux enjeux de la diffusion, par idéologie mais aussi
par nécessité financière. Une configuration où la critique dramatique peut apparaître comme un
véritable obstacle à franchir pour réaliser la confrontation entre l'oeuvre et le public. Pensée
généralement comme un intermédiaire entre l'oeuvre et le public, la critique dramatique a-t-elle
encore les moyens d'exister matériellement, symboliquement ? Quels sont les outils dont disposent
les professionnels pour justifier de leur activité face à des créateurs qui souhaitent privilégier la
communication directe avec le public, utilisant des méthodes publicitaires et relationnelles qui
visent à diluer les traits caractéristiques de l'activité critique ? Est-il finalement juste de penser
uniquement la critique dans son rapport avec le public, le rôle d'intermédiaire se jouant également
entre l'oeuvre et le créateur ?
En s'appuyant sur l'étude d'un corpus de textes choisis parmi les retombées critiques du TNP
dans la presse écrite, les lettres ouvertes entre critiques et créateurs et les outils de diffusion utilisés
par le TNP, nous avons dès lors abouti au questionnement suivant : Comment le corps professionnel
des critiques dramatiques trouve-t-il les moyens d'exercer une activité reconnue comme telle face
aux nouvelles influences médiatiques attribuées aux services de communication et de relations
publiques rencontrés communément dans le champ théâtral ?
Pour la suite du raisonnement, il convient de faire un point sur les termes choisis. La notion
de « critique dramatique » présente une ambiguïté méthodologique puisqu'elle peut renvoyer
simultanément à un corps de professionnel ou à un texte écrit. Un individu exerce le métier de
« critique dramatique » et écrit un texte qui peut être considéré comme de « la critique dramatique ».
Afin de clarifier la situation, nous avons choisi d'utiliser les termes de production et producteur.
Ainsi, les termes « production » ou « production critique » renverront au texte écrit, alors que les
termes « producteur » ou « producteur critique » renverront au corps de professionnels. Ces notions
doivent être opposées à celle de « créateur » qui définit l'artiste reconnu comme tel, auteur d'une
oeuvre d'art identifiée comme telle. Inspirée par la sociologie de Pierre Bourdieu, cette terminologie
nous permet d'aborder les enjeux du texte comme produit de l'espace médiatique, du statut ou
encore de la professionnalisation de manière plus claire, en lien avec notre problématique initiale.
Dès lors, notre démarche s'est déroulée en deux temps. Nous avons tout d'abord émis
l'hypothèse qu'après 1945, le corps professionnel des critiques dramatiques se scinde en deux en
opposant deux types de production : une production diffusée dans des journaux non spécialisés
adoptant une logique informative / une production diffusée dans des journaux spécialisés signalant
une logique d'isolement. Puis nous avons émis une seconde hypothèse formulée de la manière
suivante : les deux types de critiques entretiennent cependant un dialogue privilégié avec les
créateurs et restent les seuls juges de la valeur de l'oeuvre à l'intérieur du champ théâtral. Le public
n'est qu'un argument esthétique parmi d'autres, une catégorie de jugement appartenant au langage
artistique.
6
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3
Geneviève Latour, Le théâtre sous la IV
4
Jean Caune, L'art du point de vue de la communication, p 117
République Taux de remplissage saisons 1960-61 : 89,68%, Simone Lacomblez
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Remerciements
Pour mieux comprendre la montée des relations publiques et de la publicité en relation avec
l'espace critique, nous avons notamment sollicité les éclairages de deux auteurs, Jürgen Habermas5
et Christopher Lasch6. Notre étude empirique est alimentée par un corpus d'une quinzaine de
textes répertoriés en annexe. Comme nous l'avons signalé, ce corpus recoupe des retombées
critiques du TNP dans la presse écrite, des lettres ouvertes entre critiques et créateurs et des
outils de diffusion utilisés par le TNP. Nous ne prétendons pas à une analyse de discours qui
suppose une méthodologie spécifique. Ce corpus est étudié pour mieux comprendre les positions
des producteurs critiques par rapport aux nouveaux enjeux, les moyens de les affronter et de les
surmonter. Cette étude nous permet également d'avoir une vision plus globale du champ étudié,
soit le champ théâtral. Pour développer notre sujet, nous avons fait appel au modèle théorique de
Pierre Bourdieu.
La notion de champ peut être définie de différentes manières. Nous retiendrons ici la
conception suivante : « Un champ (...) se définit entre autres choses en définissant des enjeux et
des intérêts spécifiques qui sont irréductibles aux enjeux et aux intérêts propres à d'autres champs
(on ne pourra pas faire courir un philosophe avec des enjeux de géographe) et qui ne sont pas
perçus de quelqu'un qui n'a pas été construit pour entrer dans ce champ (...) »7 Dès lors, le champ
théâtral peut se définir comme un espace de jeu où les individus évoluent, se positionnent dans
des luttes de pouvoir où la possession de capitaux spécifiques au champ permettent de déterminer
les gagnants des perdants.
Dans la configuration étudiée, l'espace médiatique qui renvoie à l'ensemble des médias et des
techniques de communication disponibles à une époque donnée peut apparaître comme un enjeu
autour duquel se cristallisent les positions des producteurs critiques, mais aussi celles des créateurs,
des détenteurs du pouvoir économique voire politique. Le modèle proposé par Pierre Bourdieu
nous permet de mieux cerner les limites de notre sujet et d' apporter des éléments essentiels à la
confirmation de nos hypothèses.
Dès lors, nous démontrerons quelles sont les conditions matérielles d'adaptation de la
production critique et comment ses producteurs et leur activité ont symboliquement les moyens
d'être reconnus comme tels. Une démarche qui nous permet de comprendre comment le corps
professionnel des critiques dramatiques trouve les moyens d'exercer son activité face aux nouvelles
méthodes de relations publiques et de communication.
Dans une première partie, nous aborderons les conditions de l'adaptation sous trois angles.
Tout d'abord, nous montrerons comment la montée de la publicité et des relations publiques
offre au créateur la possibilité de communiquer sur son art dans l'espace médiatique. Nous
prendrons l'exemple des initiatives lancées au TNP et analyserons leurs conséquences et leurs
implications concrètes. Puis nous montrerons en quoi la production critique peut être bouleversée
par ces nouveaux enjeux en revenant sur l'histoire d'une profession et de la construction d'un
produit, le texte critique. Enfin nous mettrons en avant les coûts de l'adaptation d'une production
désormais différenciée en nuançant nos conclusions. En effet, le texte critique se voit diffusé
dans la presse spécialisée et dans la presse non spécialisée en adoptant des logiques opposées. Un
signe d'affaiblissement quant à la position du producteur critique dans l'espace médiatique qui ne
doit cependant pas être surévalué. En effet, nous constaterons des signes de distinction qui nous
5
Jürgen Habermas, L'espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise
6
Christopher Lasch, Culture de masse ou culture populaire; La révolte des élites et la trahison de la démocratie
7
Pierre Bourdieu, Quelques propriétés des champs, p113
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
amèneront à étudier comment les producteurs conservent une activité reconnue en misant sur un
capital symbolique qui n'a pas perdu de sa valeur.
Ainsi, dans une deuxième partie, nous montrerons comment les producteurs critiques peuvent
être reconnus comme tels et en quoi ce statut permet de définir leur production. Tout d'abord nous
suivrons les voies de la distinction qui permettent la consécration d'un statut tel que l'oeil d'expert
dévoilé dans le débat public. Puis nous révélerons les ficelles du métier ou comment la critique
normative impose le pouvoir symbolique des producteurs, le Public restant un simple élément du
débat esthétique.
Enfin nous cernerons l'utilité des professionnels dans leur relation avec les créateurs qui
s'alimente d'un dialogue permanent où chacun se reconnaît dans l'oeuvre de l'autre.
Au cours de cette étude, nous aborderons notamment les problématiques suivantes : les
techniques utilisées pour communiquer sur l'art théâtral et les difficultés matérielles et symboliques
que cela suppose, la place ambiguë du critique professionnel à la fois médiateur et prescripteur,
les enjeux de la diffusion et de la reconnaissance pour un créateur. La configuration mise en place
au TNP servira de fil conducteur à l'analyse.
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I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
I- L'adaptation de la production critique
aux transformations politiques et
médiatiques : une réponse imposée par
le système
Nous mettrons ici en lumière les transformations médiatiques et politiques qui ont
bouleversé le champ théâtral en nous appuyant sur la politique des relations publiques
initiée au Théâtre National Populaire. Dès lors nous verrons pourquoi la production critique
a du s'adapter à ces nouvelles initiatives en revenant sur les conditions de production.
Puis nous montrerons comment une production différenciée s'est imposée comme réponse
adaptée aux transformations initialisées dans l'espace médiatique.
A- Une politique culturelle inédite et ses
répercussions dans l'espace médiatique : les
innovations du Théâtre National Populaire (TNP)
En France, les années cinquante marquent un tournant décisif dans le champ théâtral
puisqu'elles sont le témoin d'une politique culturelle qui structure encore aujourd'hui
l'univers artistique. Même si cette période marque un temps d'arrêt dans les premières
initiatives de décentralisation qui ont permis la création de centres dramatiques nationaux
en province, la création du Théâtre National Populaire dirigé par Jean Vilar de 1951 à
1963 peut être considérée comme un bouleversement qui a mis en exergue une politique
de communication inédite. Nous avons choisi de nous intéresser particulièrement à cette
institution car elle nous semble témoigner d'un rôle nouveau accordé aux créateurs et au
public. Par le biais de l'espace médiatique, le public et le créateur entretiennent une relation
directe qui tend à effacer l'espace critique. Pour Jean Fleury, la politique menée par Jean
Vilar donne même au public les moyens de développer une contre-critique mettant à mal le
8
pouvoir des doctes et autres journalistes . Une réflexion qui suscite notre attention aux vues
d'un champ théâtral contemporain où les relations publiques et les relations presse sont des
services qui structurent les institutions et permettent aux créateurs de mieux communiquer
sur leur art.
Dès lors, il conviendra de distinguer ce qui est exclusivement lié au contexte sociopolitique de l'époque de ce qui peut être considéré comme un changement structurel,
imposant des outils et des agents oeuvrant encore actuellement de manière similaire.
Cela nous amènera à mettre en lumière la configuration de l'espace médiatique qui
permet de faire apparaître des productions concurrentes à celle du discours critique.
8
Jean Fleury, Le public du TNP et la critique, p 63
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
Ainsi, nous montrerons dans cette première partie comment et sous quelles formes des
transformations politiques et médiatiques peuvent concurrencer la production critique en
oeuvrant pour une communication culturelle en direction du grand public.
1- Communiquer avec le public : l'idéologie d'un créateur mise en
pratique
9
En comptant environ 3000 places , le Théâtre National Populaire (TNP) s'affiche dans les
années cinquante comme un lieu rénové où peuvent se rendre les Parisiens afin d'assister
aux représentations de grandes pièces du répertoire classique. Faisant partie des trois
seuls théâtres subventionnés de l'époque avec l'Odéon et la Comédie Française, il incarne
l'idéologie d'un théâtre qui se veut populaire, accessible au plus grand nombre. Cette
idéologie s'explique et se comprend dans un contexte d'après guerre qu'il convient ici
d'éclaircir, afin de discerner ce qui a pu être reproché à cette politique de ce qui a pu être
retenu à terme.
Les politiques d'après-guerre poursuivent ce qui avait été commencé sous le Front
Populaire, à savoir une politique théâtrale cherchant à combiner modernisation et
10
démocratisation . Enjeux culturels et éducatifs sont à l'ordre du jour, en lien avec les
initiatives de terrain. L'heure est à la reconstruction. La France doit se relever des six années
de guerre, se redonner les moyens de sa grandeur, célébrer son peuple de nouveau réuni.
En octobre 1944 est créée une Direction des Mouvements de Jeunesse et d'Education
Populaire au ministère de l'Education Nationale. Sur le terrain, le Manifeste de Peuple et
Culture en 1946 donne suite à la communauté des maquis et illustre la volonté d'intégrer
11
le monde ouvrier dans la communauté culturelle nationale . Dans le champ théâtral, de
nouvelles esthétiques émergent et l'engagement politique s'illustre à travers le théâtre à
thèse, le théâtre philosophique ou même encore le théâtre de l'absurde. Opposés au théâtre
bourgeois associé à l'image d'un théâtre de l'argent, ces créateurs se produisent sur les
scènes parisiennes de la Rive gauche, laissant la Rive droite au théâtre de l'argent incarné
12
par le Boulevard et au théâtre de tradition comme la Comédie Française . Cependant,
même si le théâtre engagé porte un projet éducatif qui pourrait s'apparenter à celui de
la démocratisation, la politique culturelle ne s'appuie pas sur un terrain qui reste sujet à
controverse. Le théâtre engagé est politique et donne à voir un reflet de la société qui ne
pousse pas au consensus en traitant des sujets sensibles liés aux troubles de l'époque.
Or, ce qui est recherché, c'est un théâtre par le peuple et pour le peuple, célébré dans une
communion populaire à l'image du théâtre antique. Il convient de faire table rase du passé
et d'éduquer les enfants de la République à ce qu'il y a de meilleur, leur donner accès à ce
qui permet de célébrer la communauté française, dans son unité et sa grandeur. Analysant
la démocratisation de la culture, Christopher Lasch propose la notion de « déracinement »,
supposant que la démocratisation « exigeait au préalable un programme éducatif ou un
processus social (ou les deux) capable d'arracher les individus à leur contexte familier
et d'affaiblir les liens de parenté, les traditions locales et régionales et toutes les forces
9
Ce qui fait du lieu un des plus grands théâtres parisiens : 2700 places (Bernard Dort, Un théâtre sans public, des publics sans
théâtre) 3200 ( Geneviève Latour, Le théâtre sous la IV e République )
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10
Robert Abirached, La décentralisation théâtrale
Jean Fleury, Le TNP de Vilar, une expérience de démocratisation de la culture, p80
Alain Viala, Le théâtre en France des origines à nos jours, p 435
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I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
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d'enracinement dans un lieu. » Une vision qui nous permet de mieux cerner les utopies
communautaristes qui ont soutenu l'idéologie d'un théâtre populaire dans une période
entachée par le déracinement, où chacun doit retrouver sa place.
Dès lors, les actions d'un homme de terrain, Jean Vilar, sont apparues convaincantes,
14
illustrées par le succès quasi-immédiat du festival d'Avignon créé en 1947 . Rassembler la
société dans la cérémonie dramatique relève d'un idéal partagé à la fois par un créateur et
une institution étatique prête à s'engager, notamment grâce à l'action soutenue de Jeanne
Laurent, sous-directeur du théâtre et de la musique au ministère de l'Education Nationale
15
qui souhaitait lancer à Paris un vaste théâtre ouvert au plus large public . Les motivations
du créateur et celles de l'Etat ne se sont certes probablement pas justifiées de la même
manière. Les écrits de Jean Vilar témoignent d'un engagement théorique illustré par la
volonté de « réunir dans les travées de la communion dramatique le petit boutiquier de
Suresnes et le haut magistrat, l'ouvrier de Puteaux et l'agent de change, le facteur des
16
pauvres et le professeur agrégé » comme il l'énonce dans le Petit Manifeste de Suresnes
écrit à l'occasion du lancement du TNP en 1951. Le festival d'Avignon puis le TNP à
Chaillot apparaissent comme la suite cohérente d'un parcours artistique qui privilégie une
conception de la culture qui se doit être commune à tous.
Son travail de créateur est pensé dans cet idéal, privilégiant les plateaux épurés,
abrogeant les distances en supprimant le rideau de scène, fondateur d'une mise en
scène claire, où les jeux de lumière prévalent. Le rejet d'une esthétique scénique chargée
en décor, intimiste, caractéristique d'un théâtre bourgeois incarné par le Boulevard est
évident. Pour Jean Fleury, l'idéal porté par Jean Vilar, qui s'exprime tout d'abord avec la
création du festival d'Avignon, apparaît comme l'éveil d'une flamme, un espoir, une véritable
renaissance succédant aux « ténèbres des années de guerre, comme aux turbulences de
17
la Libération. » Outre l'aspect emphatique, cette analyse nous permet de faire la jonction
avec les motivations étatiques, qui se logent sans doute également dans ce nouveau souffle
que propose le théâtre de Vilar.
Il s'agit de redonner un sens à l'Etat, à ses institutions, à son peuple. Le Théâtre
National Populaire reprend son titre qui lui avait été donné dans les années vingt, s'effaçant
avec l'échec de Firmin Gémier. L'intervention publique initiée par Jeanne Laurent permet
ainsi de redorer un sigle oublié qui s'exporte à l'internationale. En effet, la troupe du
TNP débute rapidement des tournées officielles nourries des pièces du répertoire français.
Molière, Racine, Musset, sont dépoussiérés et servis par de jeunes comédiens. Auteurs
18
contemporains et étrangers sont également programmés , le TNP se distinguant du temple
du répertoire français, la Comédie Française, sous couvert de cette volonté démocratique
qui propose d'ouvrir les portes des théâtres à ceux qui ne les ont jamais poussées. Un
moyen également évident de faire rayonner la France, comme le souligne lucidement Jean
Vilar dès 1944 : « Les théâtres nationaux coûtent cher. Ils coûtent à l'Etat, parce que l'Etat
a pris en charge, et c'est sa noblesse, d'ouvrir les portes de ses théâtres à tous. Il y veut
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Christopher Lasch, Culture de masse ou culture populaire, p 27
Jean Fleury, Le TNP de Vilar, une expérience de démocratisation de la culture, p81
Marion Denizot, Jeanne Laurent , une fondatrice du service public pour la culture, 1946-1952, p97-129
Jean Vilar, Le théâtre service public, et autres textes, p146
Jean Fleury, Le TNP de Vilar, une expérience de démocratisation de la culture, p81
A son ouverture, le TNP emporte un vive succès avec Mère Courage du contemporain allemand Bertolt Brecht
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
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voir représenter des grandes oeuvres bien présentées. » Noblesse et grandeur semblent
faire partie intégrante d'une politique théâtrale conçue comme telle, incitant ses détracteurs
à considérer le Théâtre National Populaire comme une véritable vitrine culturelle dont les
objectifs « populaires » sont restés loin derrière.
Nombreux sont ceux qui par la suite ont décrié cette démocratisation de la culture
ainsi initiée puis récupérée dans le gouvernement d'André Malraux. Reste à noter que le
processus doit être replacé dans son contexte historique, un contexte d'après-guerre qui
n'excuse pas tout mais qui permet de mieux comprendre les choix effectués.
Il convient dès lors de mieux cerner ce qui nous permet de considérer ces initiatives
comme un tournant déterminant dans le champ théâtral. Créateur et public obtiennent
en effet des rôles inédits qui font apparaître une nouvelle configuration dans le champ
théâtral, faisant émerger les positions incontournables des annonceurs et métiers de la
communication et relations publiques.
Dans son ambition de faire partager au plus grand nombre ce qui a a été jusqu'alors
réservé à une élite, Vilar présente le TNP comme un service public, « tout comme le
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gaz, l'eau, l'électricité » . Il en devient le régisseur, accompagné dans sa tâche par un
administrateur. Sous couvert de cette fonction, il n'en reste pas moins lié à un cahier
des charges qu'il doit respecter scrupuleusement, ayant la responsabilité des deniers de
l'Etat mais aussi des siens. Le TNP est en effet placé sous le régime de la concession,
recevant une subvention modeste puisque responsable financièrement. De fait, Jean Vilar
proclame son indépendance politique, notamment à travers la campagne de presse en
1952. Cependant, les contraintes imposées par un cahier des charges et un budget étatique
nous accordent à penser que la vieille pratique du mécénat n'est pas exclue de cette
configuration. Plusieurs épisodes confirment le poids des « commandes » qui évoluent en
fonction du succès remporté. Ainsi, l'obligation de présenter des oeuvres lyriques fut retirée
du cahier des charges en 1954 suite aux déficits financiers encourus lors des précédentes
21
représentations . Dès lors Jean Vilar privilégie les oeuvres du répertoire classique, dans
une optique de démocratisation certes, mais aussi dans un soucis financier qui ne peut
être minimisé comme le témoignent les paroles de Robert Abirached sans son hommage
rendu à Jean Vilar : « C'est le répertoire, cependant, qui lui a posé des questions vraiment
difficiles : adepte convaincu d'un théâtre actuel écrit pour les spectateurs d'aujourd'hui, il
n'a pu le monter ni à Chaillot ni dans la Cour d'honneur à Avignon, lieux où il ne pouvait
s'adresser à un public plus restreint sans mettre en péril les finances de son entreprise et
22
son objectif d'ouverture à tous. »
Le créateur est ici directement confronté à l'enjeu financier, le revendique publiquement
au travers de nombreuses conférences de presse et met fin au mythe de l'artiste romantique
isolé dans sa tour d'ivoire, épargné par les réalités pratiques du monde qui l'entoure.
Une position autonome et indépendante mais ancrée dans une réalité économique et
politique qui ne peut être occultée. Une transformation qui l'oblige à repenser son rapport
avec le public et les moyens concrets dont il dispose pour l'entretenir. Au-delà même de
l'idéologie, afin de rechercher un équilibre entre enjeux financiers, artistiques et politiques.
La recherche du grand public qui structure encore le champ théâtral contemporain se
19
20
21
22
12
Jean Vilar, Le théâtre service public et autres textes, p503
Ibid, p173
Ibid, p111
Robert Abirached, Philippe Avron, Hommage à Jean Vilar
LIMOGE Estelle_2008
I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
23
concrétise à travers des moyens inédits . Ainsi, une véritable stratégie communicationnelle
est déployée, proposant des innovations institutionnelles encore utilisées aujourd'hui. « Le
24
but d'un théâtre, c'est, entre autres, de maintenir le contact. » . Communiquer avec le
public pour mieux assembler et unir reste le mot d'ordre, qui se différencie d'une logique
participative où public et comédiens se rejoignent dans une même communion à l'image des
modèles proposés en mai 1968. Il s'agit ici de penser une relation avec le public en disposant
d'outils concrets pour l'entretenir. Jean Vilar n'est pas novice en la matière puisque des
mesures telles que la distribution d'un dépliant intitulé Education et théâtre ont été lancées
au festival d'Avignon. Le palais de Chaillot offre la possibilité de penser cette relation à
grande échelle, où se confondent idéologie populaire et soucis de rentabilité financière.
Ainsi, des mesures symboliques sont prises, les pourboires traditionnellement donnés
aux ouvreurs sont supprimés, le prix des places restent moins élevé que dans les théâtres
privés. « 1200 places à 100 francs valent mieux pour notre art que 300 places à 400
25
francs. » énonçait déjà Vilar en 1948. Les horaires des représentations sont avancés à
20h pour permettre aux spectateurs de rentrer plus tôt et casser l'image d'un art élitiste
réservé aux soirées mondaines. « La tenue de soirée était interdite à la générale du Prince
26
de Hombourg » rapporte le quotidien, le Parisien Libéré . Le théâtre ne doit plus être le lieu
d'apanage d'une classe, comme le confirme la mise en place d'abonnements. Permettant
à l'origine de se distinguer en instituant une relation privilégiée entre le spectateur fortuné
27
et son théâtre, la pratique de l'abonnement prend ici une nouvelle dimension . Elle est en
effet initiée à l'attention de groupements que sont les comités d'entreprise, les associations
28
culturelles, des établissements scolaires ou encore les mouvements de jeunesse .
A travers cette cible, l'entité public prend corps et nous permet de mieux cerner ce qui
est entendu par théâtre populaire. Ces collectifs deviennent de véritables partenaires relais
29
auxquels s'adressent directement l'administration du TNP . Une logique de fidélisation qui
participe parallèlement à l'équilibre financier de l'institution. A hauteur de cinq créations
pour une saison, l'abonnement du TNP installe une pratique qui fonctionne encore dans
la plupart des théâtres publics contemporains. Tout comme la prospection dans les
collectivités, aujourd'hui réalisée par les chargés de relations publiques, à l'époque par
30
le comédien Gérard Philipe . En ce sens, nous rejoignons Jean Fleury et son usage du
terme « révolution » pour qualifier la mise en place d'une politique des publics au sein de
cette institution. Le public est ainsi informé par des outils de communication pensés à son
attention, à la mesure du budget public, en cherchant toujours à se distinguer des théâtres
privés, chantres du Boulevard. Les programmes comportent le texte intégral de la pièce,
23
24
Alain Viala, Le Théâtre en France des origines à nos jours, p 463
Jean Vilar, Le théâtre, service public et autres textes, p167 A titre indicatif, à la même époque, les places de la Comédie
Française pouvaient atteindre 1200 francs in Jean Fleury, Le TNP de Vilar, une expérience de démocratisation culturelle, p135
25
26
27
28
29
Robert Abirached, Philippe Avron, Hommage à Jean Vilar
Le Parisien Libéré, 28 février 1952
Jean Fleury, Le TNP de Vilar, une expérience de démocratisation culturelle, p144
Ibid, p141
Cf les différentes lettres adressées aux associations, directeurs d'école, assemblées de jeunesse, in Jean Vilar, Le théâtre
service public et autres textes
30
Simone Lacomblez, Jean Vilar ou le sens de la grandeur : de Saint-Clair à Chaillot
LIMOGE Estelle_2008
13
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
31
accompagné de photographies de la représentation, sans publicité . Tracts et affiches sont
envoyés aux associations du TNP, qui constituent un véritable réseau de fidèles, «Les amis »
du TNP. Ils reçoivent le journal Bref, pilier de la communication interne, qui permet de relayer
l'activité du TNP jusqu'en province.
Dans le prisme de la démocratisation culturelle, certains verront l'échec d'une politique
qui n'a pas su aller jusqu'au terme de ses ambitions, rassemblant un type homogène
de public répondant au critère du cadre moyen, appartenant généralement au secteur
32
tertiaire . Nous retiendrons ici les innovations qui ont été pensées pour communiquer
directement avec le public. Des innovations inspirées du fonctionnement des théâtres privés
tant décriés mais qui ont su rassembler cinq millions de spectateurs après douze année
d'activité. Dans des ambiances souvent festives, reflétant une communication externe bien
réglée :
« Quand il a été nommé directeur du TNP, l'ONU occupait les locaux du Palais de
Chaillot, alors il a monté un chapiteau à Suresnes où il accueillait les spectateurs
en musique, puis leur offrait un apéritif. Après le spectacle pouvait commencer.
Quand le spectacle était terminé, le théâtre offrait un casse-croûte puis il y avait
un bal. Le lendemain matin, on parlait avec les comédiens, on déjeunait et il y
avait un deuxième spectacle. Il a répété ce type d'intervention à Aubervilliers, à
33
Issy les Moulineaux... » témoigne une spectatrice assidue.
Et « toute la presse venait voir ses spectacles » rajoute-t-elle. En effet, la politique
de relations publiques se pense en amont des répercutions médiatiques incarnées par
la production critique, lui donnant les moyens de l'orienter. Par ailleurs, dans cette
configuration, créateurs et annonceurs sont en mesure de diffuser des productions
concurrentes à la critique telles que des encarts publicitaires ou des manifestations que nous
pourrions associer aux méthodes d'événementiel utilisées actuellement. Une démarche qui
s'explique également par l'apparition d'un espace médiatique où méthodes publicitaires et
enjeux financiers sont désormais exacerbés.
2- Publicité, relations publiques : des productions structurantes de
l'espace médiatique
Ainsi, ce nouveau rapport avec le public appuyé par une politique de communication instaure
un rapport inédit avec la presse écrite. En effet, les journalistes deviennent des véritables
relais médiatiques sollicités directement par un créateur attaché à une institution publique.
Certes, depuis le XIXe siècle et la multiplication des salles privées, l'espace médiatique
présente des outils utiles aux directeurs de salle et aux artistes pour assurer leur promotion.
Petites annonces, affiches, possibilité d'achat de critique de complaisance sont le lot de
34
nombreux journaux spécialisés . L'aventure du Théâtre National Populaire nous montre
que le champ théâtral dans sa majorité est sujet à ce phénomène de promotion par la presse.
Ce qui pouvait symboliser l'apanage du théâtre bourgeois dans le comble d'une logique
de marché s'impose comme une nécessité dans une structure dirigée par un créateur qui
31
32
33
34
14
Jean Fleury, Le TNP de Vilar, une expérience de démocratisation culturelle, p 140
Anne-Marie Gourdon, Théâtre public, perception, p 63
Geneviève Latour, Le Théâtre sous la Quatrième République, p 65
Marc Martin, Histoire de la publicité en France, p 63
LIMOGE Estelle_2008
I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
pourtant rejette une telle démarche : « En bref, il s'agit pour commencer de vouloir bien
considérer le théâtre non plus comme une exploitation commerciale, mais comme une
religion de l'homme. D'éloigner des temples tous ceux qui pendant des années n'ont été que
35
des marchands. » énonce le créateur en 1944. Une question de survie financière, que
ne peut remplacer la meilleure volonté idéologique, si ce n'est tenter de la justifier. « Nous
avons emprunté aux autres théâtres leurs méthodes de propagande et de publicité ; le but
36
seul nous intéressait » avoue Jean Vilar . Une question qui ne peut être occultée dans
un espace médiatique où la forme d'un marché triangulaire regroupant éditeur, annonceur,
37
lecteur tend à s'imposer .
En effet, l'épuration et la moralisation des structures avaient permis de relancer
l'économie de la presse écrite, qui révélait l'euphorie contenue de la Libération. Mais très vite
le marché s'essouffle, l'année 1947 symbolisant une crise majeure de la presse quotidienne
38
d'opinion . En 1950, le prix au numéro a quintuplé en trois ans. Malgré le renforcement
de l'aide étatique, il convient dès lors de se tourner vers des moyens plus prolifiques qui
permettraient de soutenir cette crise du lectorat. Introduit au XIXe siècle par Girardin, le
recours à l'annonceur pour combler les manques à gagner de l'abonnement s'impose de
fait. Le principe est simple : l'annonce, message payé par celui qui le fait insérer, rémunère
39
l'espace du journal qui est ainsi cédé . Une pratique qui se vulgarise dans les années
1950, période où le rapport à la publicité évolue. La France rattrape son retard face aux
pays anglo-saxons, les pratiques publicitaires ne sont plus vouées au scepticisme et se
multiplient. Le pouvoir des annonceurs s'affirme dans l'espace médiatique avec l'apparition
des premières enquêtes sur les lectorats. Et le champ théâtral n'est pas épargné par
ces nouveaux communicants. Faisant partie des premiers initiés, la critique de théâtre
correspond, depuis le XIXe siècle à un espace privilégié par les annonceurs, où publicité
40
et rédactionnel s'interpénètrent étroitement . Une configuration que nous retrouvons de
manière évidente dans les grands quotidiens des années cinquante, comme le Figaro,
France Soir ou Le Parisien Libéré.
Dès lors, la politique de relations publiques entreprise au TNP se nourrit de ces logiques
commerciales qui permettent de diffuser la programmation dans tous types de support,
s'adressant à tous types de lectorat. En effet, les journaux dits « populaires » tels que France
41
Soir ou le Parisien Libéré ne sont pas les seuls à relayer les activités du TNP. Ainsi, nous
recensons une trentaine de titres différents dans la presse parisienne et nationale, à diffusion
42
plus ou moins élevée, confondant presse spécialisée et non spécialisée . A cela s'ajoute
une dizaine de titres dans la presse internationale et régionale. La production critique
constitue une partie de ce relais médiatique, mais elle se confond avec des productions
concurrentes qui découlent directement des logiques énoncées précédemment.
35
36
37
Jean Vilar, Le théâtre service public, et autres textes p 504
Jean Vilar, Le théâtre service public et autres textes, p 168
Francis d'Almeida, C. Delporte, Histoire des Médias en France, de la grande guerre à nos jours, p155
38
39
40
41
42
Ibid, p155
Marc Martin, Histoire de la publicité en France, p 39
Marc Martin, Histoire de la publicité en France, p 63
F d'Almeida, C Delporte, Histoire des médias en France, p 169
Données recueillies suite à l'étude des microreproductions des recueils de presse constitués par le département des Arts
du Spectacle, Bibliothèque Nationale de France, Paris, 1979
LIMOGE Estelle_2008
15
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
Ainsi, le TNP possède des outils appropriés aux logiques médiatiques tels que le logo,
créé par le publicitaire Marcel Jacno, rendu célèbre pour son conditionnement du paquet
43
de cigarettes Gauloises . Reconnaissable immédiatement par son style Didot hérité de la
Révolution, ce sigle est imprimé sur toutes les affiches et les tracts, et se retrouve diffusé
dans les encarts annonçant la programmation à venir. Certes, nous pouvons analyser ce
logo tel un symbole d'identification, à l'image d'un « oriflamme républicain » réalisant l'idéal
démocratique, comme le propose Jean Fleury. Toutefois, de manière plus pragmatique, il
convient de rappeler que ce sigle a été conçu dans les règles du graphisme, penser la
simplicité pour mieux rassembler, et faire consommer. Une marque qui a tellement bien
prouvé son efficacité que l'enseigne actuelle du TNP situé à Villeurbanne utilise encore cette
44
construction graphique dans tous ses supports de communication .
Parler de consommation culturelle en évoquant le TNP peut paraître excessif voire
provocateur, mais l'analyse du phénomène des relations publiques par Jürgen Habermas
nous amène à penser que les logiques proprement commerciales ne peuvent être occultées
d'une telle démarche. Pour Habermas : « Le destinataire des relations publiques est
« l'opinion publique » c'est à dire les personnes privées en tant que public et non pas
45
directement comme consommateurs » . Nous retrouvons ici ce que peut rechercher une
politique de communication dans une institution culturelle du type TNP, à savoir toucher
et rassembler le public en effaçant toute dimension commerciale et en privilégiant cette
formation de l'opinion publique, où chacun possède les moyens d'exercer son jugement
critique. Cependant, pour Habermas, l'émetteur, dont la fonction a vu le jour aux Etats-Unis
et arrive en Europe après 1945, « dissimule ses intentions commerciales en leur donnant la
46
forme d'intérêts qui visent au bien commun » . Un bien commun qui peut prendre la forme
d'un accès facilité aux oeuvres réservées à l'élite, d'une tentative de démocratisation de la
culture. Inconsciente ou non, la démarche s'impose en pratique et répond aux exigences
du terrain, financier du moins. En allant plus loin dans la réflexion, nous pourrions même
identifier le créateur comme véritable « manager de relations publiques ».
« Les managers de relations publiques ou bien réussissent à faire passer
directement par les canaux de la communication un matériel publicitaire
conséquent ou bien organisent au sein de la sphère publique certains
évènements appropriés qui mettront en marche les appareils de communication
47
dans le sens prévu. »
Dans cette configuration, il paraît assez évident que les journalistes qui se sont empressés
de relayer les week-ends à Suresnes à l'ouverture du TNP en 1951 ont mis en marche
les appareils de communication dans le sens prévu. D'autres actions se sont inscrites
dans la lignée du festival de Suresnes, comme les diverses opérations de communication,
apparentées à de l'évènementiel, qui ont ponctué l'espace médiatique en 1954. Ainsi, le
quotidien national Libération annonce le 26 novembre 1954 que « Jean Vilar prépare la nuit
Renault », dans le cadre d'une opération visant à ouvrir les portes du théâtre aux ouvriers
de l'entreprise. Puis le 23 décembre 1954, le même quotidien titre « Jean Vilar offre aux
poètes désireux de lire leurs oeuvres en public, les 3000 spectateurs au TNP ». Un effet
43
44
45
46
47
16
Colette Godard, Chaillot : histoire d'un théâtre populaire, p 26
Cf site internet : http://www.tnp-villeurbanne.com
Jürgen Habermas, L'espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, p 201
Ibid, p 201
Ibid, p201
LIMOGE Estelle_2008
I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
d'annonce un peu ambitieux mais qui porte tout de même ses fruits puisqu'à la suite de
l'évènement, nous retrouvons dans la presse que « 2 000 personnes ont post-réveillonné au
TNP avec les poètes. » Un manager de relations publiques qui apparaît donc fréquemment
dans l'espace médiatique, photographie à l'appui.
Par choix ou par obligation, la réponse est difficile à trancher. Le créateur sait utiliser les
médias pour jouer le jeu de la transparence et communiquer plus facilement sur son activité.
Interviews et conférences de presse réaffirment le rapport direct avec les journalistes, ce qui
permet sans doute une meilleure maîtrise de ce qui est véhiculé, ou du moins une production
alternative à la critique tant redoutée. Par ailleurs, ces techniques font partie intégrante des
nouvelles pratiques du travail journalistique. L'interview et l'enquête se multiplient dans la
presse, toutes opinions confondues. Ainsi, du 1er septembre au 4 octobre 1951, Le Figaro,
quotidien national de droite modérée, lance dans sa rubrique réservée aux spectacles
Sur la Scène et sur l'Ecran, une grande enquête parue sous le titre « Le théâtre a-t-il
besoin de présentation somptueuse ? » où trois questions sont posées à plusieurs auteurs
dramatiques. Au même moment, le quotidien à ligne communiste, l'Humanité, publie une
interview de Jean Vilar à l'occasion de l'ouverture du TNP. Des pratiques qui ne laissent pas
indifférente la presse spécialisée puisque la revue Lettres Françaises propose également
48
de s'entretenir avec la vedette de l'époque .
Ce que nous nommerons ici le vedettariat devient également symptomatique de
l'espace médiatique et conditionne une grande partie des productions. En effet, la technique
de l'interview favorise la mise en lumière d'un acteur ou d'un metteur en scène « à la
mode », plébiscité du grand public. Ainsi, le TNP possède son acteur phare, Gérard Philipe
et nombreuses sont les coupures de presse de tout bord qui débutent en titrant : « Gérard
49
Philipe dans Le Cid. Le voici c'est Gérard Philipe... » , « Gérard Philipe fera exploser la
50
51
dernière bombe de la saison. » , « Pour la première fois, un homme, Gérard Philipe.. » .
Le vedettariat s'appuie sur une communication simple, où le message peut être transmis
rapidement, en véhiculant uniquement un nom ou une image qui sont directement associés
à un lieu ou un spectacle. Pendant de l'affiche publicitaire qui connut ses heures de gloire
dans les théâtres et music-hall du XIXe siècle, la photographie complète le rédactionnel,
voire le remplace.
Ainsi, nous remarquerons que nombreux journaux de province se contentent de
52
véhiculer le portrait de Gérard Philipe pour annoncer les représentations . Homme
53
charismatique directement issu du cinéma , son image occupe l'espace médiatique, des
journaux féminins comme l'hebdomadaire Elle créé en 1945, aux quotidiens régionaux en
passant par la grande presse nationale d'opinion. En outre, le théâtre classique et les pièces
du répertoire favorisent la mise en avant des grands rôles souvent éponymes du titre de la
pièce, permettant un regard accentué sur un seul des acteurs. Ainsi, Gérard Philipe tient
la vedette en 1951 pour Le Cid, en 1953 pour Lorenzaccio, en 1954 pour Richard II, puis
s'affiche au côté de Geneviève Page pour Les caprices de Marianne en 1959 en donnant
lieu à ce que nous pourrions identifier comme un véritable battage médiatique. Figure de
48
49
50
51
52
53
Le 26 février1953, la revue titre : « Gérard Philipe nous parle de Lorenzaccio »
Le Monde, 21 novembre 1951
Paris Presse, 22 mars 1952
L'aurore, 3 mars 1952
Cf Annexe n°2 bis
Il connaît un succès populaire pour le film Le Diable au corps
LIMOGE Estelle_2008
17
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
proue du TNP, l'acteur paraît difficilement critiquable, même à l'étranger où les tournées
remportent un vif succès.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la pertinence d'une production critique
énoncée dans un espace médiatique où s'entrechoquent images et annonces. La
configuration d'une chronique du journal canadien The Montreal Star donne un exemple
assez significatif de ce que peut provoquer un espace médiatique envahi par les logiques
promotionnelles.
En effet, le 3 octobre 1958, le quotidien titre « Gerard Philipe Stars in de Musset
Revival », puis consacre un second article à la tournée de la troupe française, le 9 octobre
1958. Dans ce second article, le portrait de Gérard Philipe, photographié de plein pied, en
costume, le regard inspiré, tranche l'article critique en deux, occupant la place centrale,
54
focalisant de prime abord l'attention du lecteur . Sous titré « Gérard Philipe...played most
sensitively », le lecteur s'attend dès lors à découvrir l'éloge d'un comédien imposant, ayant
rempli son rôle comme il convient. Pourtant, arrivé aux trois-quarts de l'article, il découvre
une prestation plutôt modeste, éclipsée par ses partenaires :
« Gerard Philipe's Rodrigue was rather swamped by Miss Casares 's tempest.
Philipe makes the role his own but it is not a commanding performance. From
where I sat his Cid seemed to lack the bravado or the ability to rout the Moors and
save his homeland. He was at his best in his scenes with Chimene which for the
55
most part he played most sensitively”
Anecdotique, cet épisode ne reste pas moins révélateur d'une parole ébréchée par le diktat
de l'image dans une configuration qui, outre Atlantique, est déjà considérée comme le « star
system ».
Le cas de Gérard Philipe n'est pas isolé et les vedettes de l'époque font la couverture
56
des revues spécialisées . Des mécanismes qui installent une vision uniforme d'une offre
théâtrale pourtant dotée d'une certaine diversité. Certes, notre démarche nous a conduit
à privilégier l'étude approfondie d'un corpus de productions critiques qui rassemblaient
exclusivement des coupures du TNP. Les biais de la méthode choisie ne nous permettent
pas d'avancer de manière impérative que l'espace médiatique ne recouvre pas cette
diversité. Toutefois, nous pouvons en avancer l'hypothèse aux vues des autres supports
que nous avons consulté en parallèle et qui ne concernaient pas nécessairement la presse
du TNP.
Dès lors, nous pouvons nous interroger sur l'activité critique. Sa tâche ne devrait-elle
pas permettre de nuancer ces afflux publicitaires en proposant des discours alternatifs ?
Reste que celle-ci doit s'adapter à ce nouvel espace médiatique pour trouver les moyens
de l'alternance. En effet, la production critique se réalise dans l'échange et la diffusion afin
de se distinguer en tant que tel.
Les éléments de la réception doivent être identifiés afin de mieux cerner quels sont les
outils dont disposent la production pour s'adapter et trouver une position reconnue dans le
champ théâtral. Comme pour les relations publiques ou la publicité, les producteurs critiques
partent ils à la conquête du grand public ou s'adressent-ils uniquement aux créateurs ?
54
55
Cf Annexe n°3 bis
56
18
Cf Annexe n°3 bis
Cf Annexe n°4 bis
LIMOGE Estelle_2008
I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
Ainsi, nous proposons dans une deuxième partie de revenir sur les conditions de la
production pour mieux comprendre pourquoi et comment la production critique s'adapte
à cette nouvelle configuration de l'espace médiatique qui vise à donner une position
dominante aux initiateurs des relations politiques et politique de communication à l'intérieur
du champ théâtral.
B- Pourquoi s'adapter : définition et enjeux de la
production critique dans l'espace médiatique
Nous montrerons ici quels sont les éléments qui nous permettent de penser la critique
dramatique comme une production immergée dans l'espace médiatique, et dès lors,
pourquoi il est nécessaire qu'elle s'adapte aux transformations médiatiques et politiques. Au
fil des époques et des régimes politiques, ce genre littéraire a évolué en gardant cependant
des fonctions caractéristiques qui font de lui et de ses producteurs des éléments clefs du
champ théâtral. Dès lors nous montrerons qu'à l'interface entre le créateur et le public mais
aussi entre l'oeuvre et le créateur, les producteurs du discours critique savent jouer de cette
position intermédiaire pour mieux assurer la rentabilité de leur production et conserver l'art
de discourir sur l'art.
1- Les clefs de la diffusion : des paroles savantes aux feuilletons
journalistiques
Afin de cerner la production du discours critique dans l'espace médiatique, des paroles
érudites aux feuilletons journalistiques, nous proposons une analyse découpée en deux
57
temps qui s'appuie sur les notions de première et deuxième modernité . Mentionnés par
Alain Viala, ces deux âges identifient deux moments clefs qui ont conditionné la production
et sa diffusion et nous permettent de penser la production comme immergée dans l'espace
médiatique : l'invention de l'imprimerie au XVe siècle et la presse à grand tirage au XIXe
siècle. Ainsi, nous montrerons quels sont les traits principaux qu'il convient de retenir de
cette production pour mieux comprendre les enjeux qui interpellent ses producteurs lors du
processus de diffusion.
Historiquement, l'apparition d'un discours critique pourrait coïncider avec l'arrivée du
théâtre à texte au XVe et XVIe siècle. A la Renaissance, l'imprimerie se développe grâce
à un contexte politique et social favorable à l'exploitation de cette invention technique. La
diffusion des textes anciens, datant de l'Antiquité, donne lieu à des relectures qui propulsent
le théâtre comme genre écrit et bouleversent la tradition d'un art oral et festif perpétué
58
jusqu'au Moyen-Age . Spectacles perdus sont ainsi redécouverts tout comme les traités
antiques qui permettent d'accompagner l'art théâtral d'écrits théoriques.
Les professeurs, traducteurs et savants aiguisent leur esprit critique et proposent un
59
regard inédit sur ces textes oubliés . Ils apparaissent ainsi comme les nouveaux théoriciens
57
Alain Viala, Histoire du Théâtre, p 46et p 78
58
59
Alain Viala(Ed), Le théâtre en France des origines à nos jours, p 114
Ibid, p 124
LIMOGE Estelle_2008
19
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
d'un art repensé dans ses techniques comme dans son esthétique. D'abord traduit en
Italie puis diffusé en France, l'ouvrage Poétique d'Aristote donne lieu à de nombreux
commentaires et symbolise cet engouement pour les oeuvres anciennes. Dans ce recueil,
les théoriciens lisent avec attention les analyses formulées sur la représentation, la tragédie
et la poésie et en retirent les bases du théâtre classique, forme artistique dominante du
XVIIe siècle.
Cependant, pour Maurice Descotes, cet apport critique que suppose la relecture des
textes et traités théoriques ne constitue pas l'apparition d'une production spécifique qui
pourrait être qualifiée de « critique dramatique ». Pour cet auteur, la production critique ne
peut être pensée hors du contexte social dans lequel elle est diffusée. Elle prend du sens et
se construit dans l'échange entre les individus et ne peut pas être pensée indépendamment
de cet échange. La production critique doit être diffusée pour que ses producteurs existent
socialement. Ainsi, ces théoriciens n'existent pas socialement en tant que producteurs
critiques car il leur manque une audience dans le champ théâtral. « Le théoricien dramatique
60
n'est pas encore un critique dramatique car il n'est écouté de personne » énonce-t-il.
Cette réflexion soulève une part importante de l'activité critique en tant que production
réalisée par un groupe social identifié. En effet, pour acquérir une valeur, ne serait-ce
qu'une valeur d'usage, le discours critique doit être diffusé et réceptionné. Enoncer une
théorie artistique ne suffit pas ; celle-ci doit être partagée, alimentée, voire reformulée. Le
début du XVIIe siècle correspond à l'essor de la vie théâtrale en France, ce qui permet
notamment l'émergence d'une production intensifiée, où les théories découvertes au siècle
dernier servent de matières premières. Celles-ci sont retravaillés, en lien avec l'activité
théâtrale contemporaine, et permettent aux producteurs de se distinguer. Vers 1630, ils sont
quelques centaines à s'être constitués en milieu de doctes, dans le groupe social des Lettrés
61
constitués de professeurs, traducteurs, juristes .
Ainsi, il ne s'agit pas uniquement de relire la théorie d'Aristote mais surtout de se
l'approprier et de la diffuser dans les milieux attentifs pour faire voix d'autorité auprès
de ses pairs. Il convient de révéler et imposer ce qui doit être pour que l'oeuvre soit
considérée comme valable. La critique «normative » est née. L'apparition de la règle des
trois unités fournit un exemple significatif de ce type de discours qui impose des normes et
des critères que se doivent de respecter les créateurs. La règle des trois unités mentionne
que l'action théâtrale doit se dérouler dans une même journée, un même lieu, avec un
nombre d'évènements réduits, le tout dans un souci de vraisemblance. Les notions d'unité
et de vraisemblance proviennent directement des écrits d'Aristote dans lesquels celui-ci
énonce le concept de mimesis. Art de la représentation, le théâtre doit ainsi imiter, simuler
-mimesis- la réalité pour mieux permettre l'exaltation des émotions qui fait de cet art un
véritable exutoire pour les spectateurs -la catharis-.
Dès lors, les discours formulés autour des textes antiques et de ces notions
conditionnent certaines créations du XVIIe siècle. Nous retiendrons ici l'impact significatif
des discours du poète Le Chapelain sur la pièce de Corneille, Le Cid. En 1630, le poète
62
Le Chapelain publie un texte intitulé Lettres sur la règle des vingt-quatre heures . Cette
lettre s'appuie sur les concepts aristotéliciens de mimesis et de catharsis pour asseoir la
60
61
62
20
Maurice Descotes, Histoire de la critique dramatique en France, p 13
Alain Viala, Le théâtre en France des origines à nos jours, p 54
Ibid, p 182
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I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
règle des trois unités. En 1637 ce même poète juge la pièce de Corneille non conforme à
63
la vraisemblance et ce dernier remanie alors sa pièce en 1660 .
A caractère normatif, ces discours se nourrissent également de considérations
esthétiques qui se retrouvent aisément à la lecture des textes anciens. Apport essentiel de
la production critique, l'aspect esthétique ne doit pas être négligé par les producteurs. Dans
les écrits d'Aristote, il justifie ainsi le respect même des unités comme le suggère le Chapitre
VII au sujet des « belles tragédies » :
« puisqu'il faut que ce qui est beau-un être vivant aussi bien qu'un objet résultant
de l'agencement des parties- non seulement ait des éléments placés dans un
certain ordre mais aussi possède une étendue qui ne soit pas le fruit du hasard, il
s'ensuit que, de même que le corps et les êtres vivants doivent avoir une certaine
étendue, mais que le regard puisse aisément embrasser, de même les histoires
doivent avoir une certaine longueur mais que la mémoire puisse aisément
64
retenir. »
Ainsi, pour apparaître comme influent et faire que ses producteurs existent socialement, le
discours doit se nourrir de théories esthétiques adaptées et repensées dans un contexte
contemporain à la création. Il doit, par là même, être diffusé dans un milieu qui reste
pour l'instant relativement clos. Les producteurs sont, pour l'essentiel, des savants ou des
artistes qui appartiennent à la frange éduquée de la population. Constituant un milieu de
spécialistes, l'aspect normatif de la production reste le plus significatif de cette période.
Concernant les producteurs, un dernier trait constitutif semble émerger : ce sont des juges
qui interprètent les lois. Et cela donne lieu à d'incessantes querelles qui nourrissent les
discussions. La marge d'interprétation oppose les Anciens et les Modernes, les Réguliers
et les Irréguliers. Chacun choisit son camp, ou tente une troisième voie, à l'image du
philosophe des Lumières, Diderot. Un philosophe qui appartient à une période trouble, où
les prises de position se font plus nettes mais restent diffusées à petite échelle. Une sorte
de bouillonnement, une période pré-révolutionnaire.
Le XVIIIe siècle est marqué par la mort de Louis XIV et met fin à la censure morale
65
et religieuse instaurée pendant le règne du Roi Soleil . Le début du siècle apparaît
comme une période de transition, nécessaire à l'éveil des esprits, la fin du siècle comme
l'accomplissement des Lumières, mouvement intellectuel, culturel et scientifique porteur
d'esprits éclairés. Jürgen Habermas identifie la période pré-révolutionnaire comme un
moment clef de l'histoire française où les discussions qui ont lieu dans les salons et les
cafés provoquent la naissance d'une sphère publique bourgeoise, contre-poids au pouvoir
66
absolutiste . Il mentionne alors la figure du critique comme « arbitre des arts », qualificatif
pertinent du jargon de l'époque qui souligne l'activité d'un amateur dont les opinions sont
67
énoncées au cours des conversations . Un de ces plus célèbres « amateurs éclairés »
dans le champ théâtral reste Diderot, qui livre en 1779 une version finale d'un Paradoxe sur
le comédien. Fasciné par le théâtre, le philosophe signe un ouvrage critique qui préconise
notamment un jeu d'acteur inédit, insistant sur une mise à distance nécessaire de l'acteur
63
64
Ibid, p 184
Aristote, Poétique, p 96
65
66
67
Maurice Descotes, Histoire de la critique dramatique en France, p 89-107
Jürgen Habermas, L'espace public, archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise
Ibid, p 51
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21
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
68
avec son personnage . Jouissant d'une influence limitée à l'époque, le traité est redécouvert
dans les années cinquante avec l'arrivée du théâtre brechtien et du principe de distanciation.
Traité savant et discours érudit font ainsi partie de la production critique qui impose
ses producteurs comme faiseurs de normes, prescripteurs. Cependant, l'entrée dans la
seconde modernité est marquée par de nouvelles conditions de production qui impliquent
l'émergence d'un nouveau type de discours critique lié à la professionnalisation de ses
producteurs. Ces transformations surgissent dans une sphère théâtrale marquée par la
scission entre institution nationale et marché du spectacle, au XIXe siècle.
Ainsi, la presse à grand tirage bouleverse la sphère médiatique à la fin du XIXe siècle,
période souvent identifiée comme l'âge d'or de la presse écrite. La grande loi sur la liberté
de la presse de juillet 1881 permet une exploitation justifiée de cette innovation technique,
survenue dans un régime politique libéral. Pour Maurice Descotes, cette fin de siècle
69
correspond à la période la plus faste de l'histoire de la critique dramatique . En effet, la
presse écrite est devenue le bastion de feuilletons journalistiques tenus par des individus
qui rapportent l'actualité de la vie théâtrale. Du simple amateur d'art officiant dans les milieux
privilégiés, la production critique se voit désormais tenue par des journalistes rémunérés à
la tâche. La formation de l'association des critiques professionnels en 1877 confirme cette
professionnalisation de l'activité. Ainsi, il semblerait que des logiques de diffusion priment
sur celles d'innovation et de réflexion. Nous ne pouvons occulter l'image de l'écrivain « raté »
ou en devenir qui se livre à la tâche ouvriériste d'une critique hebdomadaire dans un des
nombreux journaux parisiens.
Néanmoins, cette apparition du travail journalistique dans la production critique n'a rien
d'étonnant. Les conditions de son apparition peuvent être lues dans les transformations
apportées par la seconde modernité. En effet, le travail journalistique accompagne un
enrichissement de la vie théâtrale dont les deux principales manifestations sont l'apparition
de la scène romantique et du théâtre bourgeois. Le drame romantique vise à opposer de
nouvelles règles aux classiques et donne lieu à de célèbres querelles, comme la bataille
70
d'Hernani en 1830 . Le théâtre bourgeois représente les deux tiers des deux-cent à quatrecent pièces créées chaque année avec deux genres nouveaux qui s'imposent sous le signe
71
du divertissement : le vaudeville et l'opérette . Le marché du spectacle devient prometteur
et une critique théâtrale spécifique se développe. Le public bourgeois qui assiste aux
spectacles peut lire leur critique dans le journal qu'il consulte quotidiennement.
La figure la plus imposante de la fin du siècle reste Francisque Sarcey, célèbre
chroniqueur du journal Le Temps. Symbole de cette nouvelle production, le professeur
devenu journaliste s'efforce lui aussi de tenir un discours normatif adressé à un lectorat qui
dépasse le cercle fermé des érudits. Défenseur du « sentiment de convention », il formule
ainsi des conventions théâtrales qui doivent être respectées par les créateurs pour faire
leur effet sur le public bourgeois. «La convention tolère un premier amant à une femme,
72
elle provoque les sifflets si la femme en prend un second. » Provoquant mais apprécié, le
discours de Francisque Sarcey froisse cependant une autre frange de la production qui tend
alors à se démarquer de cette nouvelle critique des journaux. Emile Zola, écrivain naturaliste
68
69
70
71
72
22
Diderot, Paradoxe sur le comédien
Maurice Descotes, Histoire de la critique dramatique en France, p 390
Alain Viala, Le théâtre en France, des origines à nos jours, p 336
Ibid, p 349
Maurice Descotes, Histoire de la critique dramatique en France, p 317
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I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
et auteur à succès de cette fin de siècle, rejette massivement ce nouveau procédé et appelle
73
à une rénovation de la critique . Une scission qui ne reste cependant pas propre au champ
théâtral et peut également se remarquer dans d'autres disciplines artistiques. A l'image
des répercussions du terme « impressionniste » lancé par un journaliste et fondateur d'un
courant de peinture les plus célèbres de cette fin de siècle. Pourtant, la critique des journaux
devient légitime car lue, partagée et diffusée au même titre que les discours tenus par des
savants et autres érudits.
Afin de fermer la chaîne du processus de production, il s'agit à présent de s'intéresser
à ceux qui réceptionnent le discours critique. Nous ne proposerons pas ici une étude
empirique mais essaierons de discerner à l'aide de pistes théoriques quels sont les éléments
qui permettent de clore le système et de donner sa valeur au produit final. Dans ce
processus, les créateurs apparaissent comme les premiers visés par la production critique.
Cependant, l'élargissement de l'espace médiatique a permis au producteur de se penser
comme médiateur entre la salle et la scène et a imposé le public comme récepteur. La
figure journalistique propose d'être rapporteur plutôt que prescripteur auprès du public.
Néanmoins, les enjeux que recouvre la notion de public dans le champ théâtral semblent
dépasser les simples logiques de diffusion et nous amènent à relativiser la réception par
une entité trop souvent indéfinie ou mal définie par le discours critique.
2- Les enjeux de la réception : le créateur et le public
Depuis l'origine jusqu'aux formes plus récentes du discours critique, nous avons remarqué
que ce sont les théories, leur caractère normatif et leur actualisation qui intéressent la
production critique. Diffusées dans l'espace médiatique, ces théories sont le plus souvent
appliquées aux oeuvres des créateurs. Ces derniers restent dès lors les premiers visés par
les producteurs. A la fois sujet et objet du discours critique, ils sont consacrés ou rejetés
par un produit non standard, qui présente la particularité de s'adapter à chacun d'entre eux.
Une démarche productive qui permet notamment au théâtre, milieu dans lequel créateurs
et producteurs évoluent conjointement, de prendre une véritable dimension artistique. En
visant les créateurs avec leurs outils dogmatiques, les producteurs de discours critique
clôturent un système de production qui s'inscrit dans le marché de l'art.
Ainsi, au sens grec teckné, l'art renvoie à un « ensemble de procédés qu'il faut connaître
74
et maîtriser pour agir et faire ce que l'on vise. » Cette conception de l'art comme technique
fait dès lors émerger la spécificité de l'art théâtral qui présente la particularité de faire appel
à des techniques variées, maîtrisées par trois principaux corps de techniciens que sont
l'auteur, l'acteur et le metteur en scène. Décorateurs, costumiers, maquilleurs font partie de
l'équipe créatrice et il arrive également que la production critique les utilise. Au fil des siècles,
ces différents corps se sont distingués dans l'art de la représentation et cette distinction a
été appuyée par la production critique, qui adapte son offre à la demande, ou du moins
scrute l'évolution du cours des matières premières.
Chez les Grecs, au Ve siècle avant Jésus Christ, ce sont les poètes ou les acteurs qui
doivent être jugés par les kritaï lors d'un concours organisé pendant les fêtes en l'honneur de
Dyonisos. Le consentement des juges fait d'eux des artistes, maîtres de leur technique. Du
XVIe au XIXe siècles, l'auteur devient celui qu'il faut ou non consacrer, l'apparition du texte
de théâtre apportant une technique nouvelle dans l'art de la représentation. La critique de
73
74
Chantal Meyer Plantureux, Un siècle de critique dramatique, Préface
Viala Alain, Histoire du théâtre des origines à nos jours, p 19
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
théâtre fut longtemps associée à la critique littéraire, ce qui ne lui permettait pas dans cette
visée de trouver les véritables outils de sa distinction. Le XIXe fut le siècle des « Monstres
Sacrés », acteurs charismatiques encensés et adulés, imposant leur performance technique
75
telle que la vocalisation sur le devant de la scène . Enfin, l'apparition du metteur en scène
allait apporter une dernière pièce à la construction critique. L'invention de l'électricité a en
effet permis d'éclairer un corps de professionnels jusqu'alors resté dans l'ombre, n'ayant
76
pas les moyens techniques pour exercer son art .
Dès lors, la réception par les créateurs permet aux producteurs de miser sur un des
aspects les plus rentables de leur production, à savoir la dimension artistique. Dans le
champ où évoluent conjointement critiques et créateurs, la production critique prend de la
valeur dans la mesure où elle est capable de révéler ce qui permet de penser le théâtre
comme un art. Dès lors, même si la réception par les créateurs n'est pas accusée de manière
directe, elle reste l'élément fondateur du processus productif. A l'image d'une lettre ouverte,
qui peut aussi être lue et réceptionnée par un tiers.
Le public, entité abstraite si souvent évoquée, semble coïncider avec la figure du
tiers. Certains producteurs se présentent comme des médiateurs qui tentent d'adapter
leur production à un public à la fois lecteur et spectateur. A relire Francisque Sarcey, les
producteurs critiques lui laisseraient en outre le jugement ultime, rejoignant Molière et sa
parole mythique « Au théâtre le seul juge c'est le public ». « Nous ne devons donc pas
marchander les éloges; mais c'est à nos lecteurs de savoir au juste quelle en est la valeur et
77
la portée » énonce F. Sarcey dans Le Temps les 16 et 23 juillet 1860 . Cependant, l'histoire
de la production nous fait hésiter quant à la réception programmée de ce public, spectateur,
lecteur et juge.
A la naissance du système, la rupture avec les spectateurs du parterre, soit le peuple,
est clairement signalée : « la critique dramatique n'a pu naître que le jour où le théâtre
n'a plus été considéré comme un divertissement douteux, réservé aux populaires, aux
78
pages, aux soldats » rappelle Maurice Descotes . Certes, la critique dramatique apparaît
dans les sphères érudites, en régime royaliste, n'atteignant aucunement le niveau de
diffusion signalé fin XIXe siècle. Mais il semblerait que l'adage « succès de foule, succès
équivoque » accompagne le mouvement qui conduisit les troupes vers les salles et dépasse
les conditions politiques et sociales liées à une époque. Ainsi, il n'est pas certain que le
système initial ait souhaité prendre en compte un élément qui de fait s'est pourtant imposé.
La position dialectique d'un critique qui se veut à la fois pédagogue et représentant du
public symbolise ici toute l'ambiguïté de la production face à l'élément public. Identifiée par
Habermas, cette position qualifie le rôle occupé par les arbitres des arts au XVIIIe siècle et
révèle les enjeux que soulèvent la notion de public dans le champ artistique :
« Les arbitres des arts pouvaient se concevoir comme porte-parole du public
parce qu'ils ne reconnaissaient aucune autorité hormis celle des arguments et se
sentaient solidaires de tous ceux que ces arguments pouvaient convaincre. Mais
simultanément, ils pouvaient se tourner contre le public lui-même lorsqu'en tant
75
76
77
78
24
Ibid, p375
Ibid, p375
Cité par Chantal Meyer Plantureux (Ed), Un siècle de critique dramatique, p 26
Maurice Descotes, Histoire de la critique dramatique en France, p 8
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I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
qu' experts, ils faisaient appel contre dogmes et modes à la capacité de jugement
79
de ceux qui avaient été mal éduqués. »
Il s'agit ici d'adapter la production à ceux qui peuvent être convaincus ou qui pourraient l'être
en étant mieux éduqués, ce qui inclus la figure du pédagogue. Toutefois, nous pouvons nous
interroger sur cette portée pédagogique qui n'est pas nécessairement liée à l'éducatif mais
qui peut aussi être associée au jugement esthétique. Dans la logique habermasienne, avant
la subversion du principe de publicité, les médias apparaissent comme des outils efficaces
à la construction d'un espace public, formateur d'opinions éclairées. Cela sous-tend des
enjeux éducatifs qui peuvent expliquer ce terme de pédagogue. A cela s'ajoute une Histoire
des producteurs qui insiste sur le rôle tenu par un corps professoral, notamment depuis
80
l'Empire . Toutefois, la presse et les médias en général et non les institutions telles que
l'école sont restés les canaux privilégiés par la production critique du champ théâtral. Il est
alors intéressant de noter que la plupart des grandes querelles esthétiques qui agitent le
corps des producteurs se cristallisent autour de la composante « public ».
Au XVIIe siècle, les Réguliers s'opposent aux Irréguliers en soutenant que l'esprit
des spectateurs ne peut accepter trop de moments et de lieux différents. Les Irréguliers
invoquent le goût du public pour les pièces spectaculaires et romanesques que permettent
81
une représentation fondée sur des lieux et des périodes variées . La querelle du Cid incarne
ces confrontations théoriques et l'argument du public est de nouveau invoqué. La pièce
de Corneille bouscule les conventions de la tragédie classique en proposant une « tragicomédie » qui revendique l'unité d'action et celle de temps mais ne respecte pas celle de
82
lieu et propose une fin heureuse . Elle remporte un grand succès auprès du public. Dès
lors les positions critiques successives dénonçant cette dérogation aux règles des trois
unités montrent que le public s'impose ici comme l'argument opposable au jugement le plus
dogmatique. Le dramaturge Scudéry évoque l'approbation du parterre, qualifié de juge le
plus méprisable qui soit et l'écrivain Blazac énonçe à posteriori la remarque suivante: « dans
83
la contestation, le Cid a pour lui toute la France. Un phénomène similaire se produit au
XIXe siècle avec l'apparition du drame romantique dont la bataille d'Hernani du 15 février
1830 réitère l'éternel débat entre les Anciens et les Modernes . Dans la bataille, les partisans
84
de la tradition en appellent sans cesse au verdict du public . Ainsi, l'élément « public »
recoupe les débats esthétiques qui ponctuent la production critique. A travers la querelle
des Réguliers et Irréguliers, Alain Viala identifie une question esthétique fondamentale qui
85
divise les deux camps, le théâtre comme docer-enseigner-versus delectare-plaire- . La
dimension pédagogique devient un enjeu esthétique qui alimente la production critique, à
l'image de la théorie brechtienne du XXe siècle qui vient opposer de nouveaux éléments à
la théorie aristotélicienne dans un soucis d'éduquer les peuples.
79
Jürgen Habermas, L'espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société
bourgeoise, p 51
80
Maurice Descotes, Histoire de la critique dramatique en France, p 184
81
82
83
84
85
Alain Viala, Le théâtre en France des origines à nos jours, p 182
Ibid, p184
Maurice Descotes, Histoire de la critique dramatique en France, p 31-33
Ibid, p 225-231
Alain Viala, Le Théâtre en France des origines à nos jours, p182
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25
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
Dans cette optique, le public devient un cristallisateur de positions qui permet à la
production critique de disposer d'une arme discursive efficace. Il ne s'agit pas de s'adresser
directement à lui, les producteurs n'en n'ayant pas les moyens, mais de revendiquer cette
entité dans le cadre d'un débat esthétique. En invoquant la figure du pédagogue ou du
porte-parole, les producteurs cherchent à rendre légitime leur production, à lui donner une
valeur d'échange qui peut concurrencer les autres productions diffusées dans l'espace
médiatique. En effet, en retenant la définition du terme esthétique comme un ensemble
86
d'émotions que peut solliciter un objet, ou un spectacle , il paraît évident que le public peut
aider ou desservir le paramétrage de la production. Le jugement esthétique fait partie de
la production critique. Juger d'un ensemble d'émotions que sollicite un objet peut amener à
revendiquer ce qui a été ressenti dans la salle, par le public.
Ainsi, deux figures s'imposent dans la réception et peuvent dès lors remettre en jeu
les conditions de l'activité. Le créateur bénéficie d'un rapport plus direct avec la production
critique, il est donc probable qu'il soit le plus à même de modifier le système. En essayant,
par exemple, de biaiser la production en tentant de s'adresser directement au public.
Il n'aurait ainsi plus à subir les préceptes des doctes ou les attentes d'une profession
prête à se nourrir du moindre échec. Nous entrons alors dans la configuration qui
apparaît dans les années 1950 et qui structure encore l'univers théâtral contemporain.
Pour conserver les moyens de son existence, la production critique ne doit pas disparaître
de l'espace médiatique. En se différenciant, choisissant la voie de la spécialisation ou
de l'uniformisation, la production fait ressortir les vieilles querelles qui ont émergé dès
l'apparition de la grande presse. En effet, la fin du XIXe siècle a vu s'accentuer les logiques
publicitaires, la page des spectacles étant privilégiée par les annonceurs. S'ajoutant
aux affrontements entre partisans et détracteurs d'un théâtre de Boulevard prônant le
divertissement, cette configuration a fait émerger un pendant isolé de la production,
revendiquant une nouvelle critique. La production critique se scinde en deux. Un signe
d'adaptation qui s'accentue dans les années cinquante, période où les enjeux ressortent
dans le champ théâtral.
C- Comment s'adapter : une production différenciée
du texte critique
Un média de masse s'impose dans l'espace médiatique des années 1950 : la radio.
Ayant convaincu de son efficacité pendant les années de guerre, la radio rassemble
87
ainsi vingt millions d'auditeurs en 1954 . Sous monopole étatique, elle reste cependant
fortement contrôlée, prenant l'appellation de Radio Télévision Française (RTF) en 1949.
Concernant l'activité théâtrale, deux compagnies travaillent en permanence pour la RTF
88
reflétant l'esprit de l'après-guerre : Art et travail
propose de faire découvrir au grand
public le « grand répertoire » et Juin 44 s'attaque à un répertoire plus moderne. Par
ailleurs, des représentations sont retransmises, mais en ces débuts, quelques difficultés
techniques sont rencontrées. Les émissions dites « culturelles » proposent également
un regard sur le théâtre ou la littérature en diffusant des conférences suivies d'une
86
87
88
26
Ibid, p 27
F. D'Almeida, C. Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, p 154
Christian Brochard, Histoire Générale de la Radio et de la Télévision en France, p 351
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I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
89
lecture ou de l'interprétation d'un fragment d'une oeuvre. Cependant, l'organisation des
programmes radiophoniques laisse peu de place à la diversité et les créneaux disponibles
sont restreints. Seule une émission, Le masque et la plume créée en 1957, réunit des
critiques dramatiques qui apportent leur regard sur la vie théâtrale contemporaine. Comme
ils le font quotidiennement dans la presse écrite, qui continue d'être le média privilégié par
la production critique, la télévision étant encore peu utilisée, seul un pour cent des foyers
90
disposant d'un téléviseur en 1954 .
Ainsi, la production critique reste en majorité diffusée dans la presse écrite, spécialisée
ou non spécialisée. Nous avons souligné que les pratiques de l'enquête et de l'interview
se rencontrent dans les deux types de supports, mais à première vue, les ressemblances
s'arrêtent là. En effet, en étudiant les articles de presse qui relatent les activités du TNP,
nous relevons deux types de production différenciée en fonction de deux critères que sont
le niveau de diffusion et la spécialisation du support journalistique. Une critique de type
« journalistique informative » ressort d'une presse non spécialisée à diffusion moyenne à
grande alors qu'une production qualifiée de « spécialisée analytique » est présente dans
une presse spécialisée à diffusion restreinte.
Cette différenciation peut être lue comme un signe d'adaptation à la nouvelle
configuration . La production critique doit trouver sa place en adaptant les nouvelles
techniques à son propre système, en risquant soit de perdre son originalité face
aux productions concurrentes, soit de s'isoler pour garder plus facilement ses traits
caractéristiques. En approfondissant l'analyse, nous pourrons cependant constater que
cette production différenciée révèle des signes communs aux deux productions qui
témoignent d'une volonté de distinction.
1- Presse spécialisée versus presse non spécialisée : les coûts de
l'adaptation
A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, émergent des prises de position qui
dépassent les simples querelles des Anciens contres les Modernes et attaquent le coeur
même du système. Ainsi apparaît une critique que nous pourrions apparenter à la critique
“nouvelle vague” en cinéma, symbolisée par Emile Zola, écrivain défenseur du théâtre
naturalisme. Dans la lignée, Jacques Copeau fonde la Nouvelle Revue Française en 1908 et
91
envisage le critique comme porte-parole de la culture . Ces partisans d'une critique éclairée
s'expriment ainsi dans des revues spécialisées et adoptent un style plutôt littéraire, nourri
de référence théorique. Ils restent alors sceptiques quant à ceux qui s'expriment dans la
presse non spécialisée, largement diffusée : « Mon opinion est que la critique de journaux
telle qu'elle est pratiquée par quelques hommes malins et beaucoup d'imbéciles est une des
92
choses les plus inutiles et les plus sottes qui puissent se voir. » La production journalistique
symbolise en effet ce que Maurice Descotes identifie comme l'âge d'or de la critique, mené
de front par la figure emblématique de Francisque Sarcey, chroniqueur au journal Le Temps.
Dès lors, une tradition de lutte s'installe entre les deux camps et conditionne l'avenir
de la production lorsque les enjeux ressurgissent. Dans les années cinquante, l'arrivée des
89
90
91
92
Ibid, p 356
F. D'Almeida, C. Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, p 154
Cité par Thomas Ferenczi, Un siècle de critique dramatique, Préface, p 13
Ibid, p 9
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
nouvelles idéologies tels que le théâtre populaire et la montée des techniques de diffusion
font apparaître les nouveaux enjeux autour desquelles se cristallisent les positions. La
fracture est constatée et peut se lire comme un signe d'adaptation qui s'inscrit dans la
tradition du système de production ainsi établie depuis l'arrivée de la critique journalistique.
De manière évidente, les deux types de production se diffusent dans deux pôles
de l'espace médiatique que sont la presse spécialisée et la presse non spécialisée.
Dans cet espace, leur activité renvoie à une tâche similaire qui consiste à formuler un
article « critique », décrivant et commentant la représentation d'une pièce parisienne à
l'affiche. Toutefois, nous remarquerons que les outils mis en oeuvre par chacun des types
sont clairement différentiables. Travaillant cette matière première qu'est le discours, les
deux types n'utilisent pas les mêmes voies pour communiquer leur opinion et construire,
produire leur texte critique. Il résulte alors une production différenciée adressée elle-même
à différents lectorats. Ainsi, en choisissant d'étudier les critiques de deux pièces du TNP
93
94
que sont Ruy Blas et Don Juan , nous mettons en lumière une production qui tend à se
fondre dans les logiques concurrentes, se rapprochant des annonces publicitaires, opposée
à une production qui tend à s'isoler, rappelant les discours des doctes.
Afin de mieux percevoir en quoi les productions se différencient l'une de l'autre et en
quoi cela témoigne d'une adaptation à l'espace médiatique, nous proposons de comparer
cinq extraits de quatre journaux et revues représentatifs de la presse spécialisée et non
95
spécialisée . Le Figaro et Le Parisien Libéré représentent cette presse non spécialisée, à
grand tirage. En 1958 le tirage du Figaro atteint plus de 400 000 exemplaires quotidiens et
96
Le Parisien Libéré 800 000 . En outre, ces deux journaux font partie des supports préférés
97
des annonceurs, Le Figaro tirant de la publicité les deux-tiers de ses recettes . A l'opposé,
Théâtre Populaire et Lettres Nouvelles ont été retenus comme deux revues spécialisés
privilégiant une ligne éditoriale artistique ou littéraire, à tirage beaucoup plus limité ( 2 à 3000
exemplaires pour Théâtre Populaire ), diffusées de manière bimensuelle ou hebdomadaire.
Elles témoignent de conditions précaires d'existence, ne bénéficiant pas nécessairement
98
d'un soutien publicitaire .
Dès lors, cette scission dans le mode de diffusion répercute une réponse différenciée
à l'espace médiatique et aux politiques de communication qui privilégient les démarches
publicitaires et les effets d'annonce pour promouvoir les activités des créateurs.
La production critique diffusée dans la presse non spécialisée se rapproche de ces
logiques alors que la presse spécialisée s'en éloigne. Dans la presse non spécialisée,
la production s'adapte aux conditions du journal qui imposent un formatage particulier,
préconisant un texte relativement court où les indications concernant la représentation
doivent être visualisées rapidement. Le titre et souvent le lieu sont rapportés dans le
chapeau et ces indications se retrouvent parfois à l'intérieur du texte critique, ce qui
rapproche la production de celle des annonceurs. En effet, dans ces conditions, la distance
critique est mise à mal et l'effet d'annonce prime. Ainsi, la production s'attache à indiquer
s'il faut ou non aller voir cette oeuvre, si le déplacement est rentable, si la pièce vaut
93
94
95
96
97
98
28
Saison 1953-1954
Saison 1954-1955
Cf Annexe n° 1,2,3,4,5
F D'Almeida, C Delporte, Histoire des médias en France, p 169
Ibid p 169
Bernard Dort, La revue théâtre populaire, le brechtisme et la décentralisation, p 125, Cf Annexe n°8 bis et 9 bis
LIMOGE Estelle_2008
I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
d'être consommée. Certes, cela n'équivaut pas directement à une offre promotionnelle qui
occulterait la marge de réflexion induite par le conditionnel, mais sous couvert d'un aspect
pédagogique, le texte critique invite le lecteur, spectateur potentiel, à se faire lui-même un
avis comme le montre la critique du Figaro : « Je ne suis pas certain qu'il possède la voix
qui convient au personnage (...)Question de ton, de timbre. Opinion personnelle notez-le.
Rien de tel pour savoir si vous partagez ou combattez ce sentiment que de vous rendre au
99
Palais de Chaillot et d'assister à la représentation de Ruy Blas. »
De tels propos ne se retrouvent pas dans les revues spécialisées, qui apparaissent
comme détachées de ces considérations, où la production ne se fait pas en contextualisant
les données. Les indications de lieu et date se font si nécessaire mais pas de manière
explicite. Alors que très rapidement des rapports peuvent être établis dans la presse non
spécialisée entre le lieu, la date, le créateur, les acteurs, ces indications sont dispensées
de manière beaucoup plus évasive dans la presse spécialisée. Ainsi, le lecteur apprend
seulement à la fin de l'article que le Don Juan de Vilar se joue au TNP. Pour Ruy Blas,
le processus inverse est adopté. Le lecteur apprend que la représentation a lieu au TNP
100
en milieu d'article mais connaît l'identité du metteur en scène dans les dernières lignes .
En revanche, la liste des acteurs, le nom du lieu, de la pièce sont connus dans le premier
101
paragraphe ou dès les premières lignes en ce qui concerne la presse non spécialisée .
Certes, les conditions de production diffèrent dans les deux types de presse, la presse
spécialisée pouvant s'octroyer des délais de publication plus longs, ne visant pas à se
calquer sur le rythme de l'actualité. Cette constatation met cependant en évidence un rapport
au lectorat plus direct dans la presse non spécialisée qui se rapproche là encore d'une
logique communicationnelle voire publicitaire, utilisant les mêmes recours aux images et
au vedettariat.
Ainsi, les productions s'appuient sur des descriptions qui mettent en exergue les acteurs
« à la mode » tels que Gérard Philipe. Pour la représentation de Ruy Blas, la critique du
Figaro se développe autour de l'acteur alors que le nom et la prestation de celui ne sont pas
même mentionnés dans celle de Théâtre Populaire. En outre, les éléments rapportés par la
presse non spécialisée présentent une caractéristique visuelle beaucoup moins discernable
dans la presse spécialisée.
Dans la presse non spécialisée, des dessins ou caricatures sont parfois incorporés pour
parfaire le texte, utilisés comme véritable outil de communication. Et surtout, en critiquant
la mise en scène ou le jeu d'acteurs, les descriptions permettent au lecteur de visualiser la
représentation : « Des projecteurs isolent , sur un fond de draperies noires, les héros de
la grande comédie dramatique. Ce sont des colonnes de lumière qui, se dressant vers le
102
ciel, créent palais ou forêt et abandonnent tout l'espace aux interprètes. » . ou encore
« Donc Vilar interprète Don Juan et nous oublions bientôt la gêne légère que nous inspirait,
103
au début, un physique peu conforme à la tradition » . A ces répliques, nous opposerons
leur équivalent rencontré dans la presse spécialisée. « Vilar a su libérer la scène de ses
104
attributs bourgeois » est la seule indication concernant la mise en scène de Don Juan.
99
100
101
102
103
104
Jean-Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°1
Cf Annexe n°4 et 5
Cf Annexe n°1, 2, 3
Jean-Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°3
Jean-Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°3
Roland Barthes, Les Lettres Nouvelles, Cf Annexe n°5
LIMOGE Estelle_2008
29
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
105
« Donc Vilar impose l'athée » résume la description du jeu d'acteurs, et nous convainc
d'une production plus engagée visant à mettre en avant l'idéologie. Une production qui se
rencontre uniquement dans la presse spécialisée à diffusion restreinte, outil de l'adaptation
aux nouvelles configurations.
Ainsi, dans une configuration qui promeut l'accès aux théâtres par le grand public
en usant des logiques publicitaires et commerciales, la production critique des années
cinquante dispose de moyens pour s'adapter en se diffusant de manière différenciée dans
l'espace médiatique. Cependant, les coûts de l'adaptation ne sont pas nuls.
Tout d'abord, les deux moyens envisagés induisent une dilution des traits
caractéristiques de la production, dans le formatage ou l'isolement. La production critique
diffusée dans la presse non spécialisée appartient à un cycle de production court « destiné
à assurer la rentrée accélérée des profits par une circulation rapide de produits voués à
106
une obsolescence rapide » . Dès lors, ce système de production impose l'utilisation de
circuits de commercialisation et de techniques publicitaires qui formatent les traits originaux.
A l'inverse, le cycle de production qui caractérise la presse spécialisée peut être identifié
comme un cycle de production long dont la particularité est de constituer des stocks de
107
produit, n'ayant pas nécessairement de marché dans le présent . Il est certain que la
plupart de ces revues spécialisées sont désormais considérées comme de véritable pièce
d'archives. «Maintenant on la célèbre : elle est devenue presque légendaire », rappelle un
producteur au sujet de la revue Théâtre Populaire. Cependant, la production qui ressort
d'un cycle long souffre d'un manque de diffusion qui peut, à terme, alterner sa valeur et la
réduire à l'état d'objet matériel. Après onze années de parution, les départs successifs de
producteurs de renoms ont mis fin à l'aventure de la revue Théâtre Populaire dont la qualité
des comités de rédaction en faisait la valeur.
Par ailleurs, cette scission peut être interprétée comme un signe d'affaiblissement,
révélant des tensions entre les producteurs de la presse non spécialisée et ceux de la
presse spécialisée. Des luttes qui n'induisent pas une activité cohérente. Un phénomène
qui contribue à créer une perte de repères pour les récepteurs, qu'il soit créateur ou public.
En témoigne le portrait charge d'un producteur de Théâtre Populaire qui attaque un des plus
célèbres producteurs de la presse non spécialisée, Jean-Jacques Gautier critique au Figaro
« vous attendez des traits d'esprits, une joyeuse férocité, de fougueux enthousiasmes. Là
encore, erreur : les papiers de Jean-Jacques Gautier sont désespérément plats, lourds et
maladroits. N'y cherchez pas d'informations précises sur la pièce : Jean-Jacques Gautier
108
ignore tout des oeuvres dont il parle; il ne veut rien en savoir » . Souvent qualifiée de
« critique d'humeur » ou encore de « critique impressionniste », la production diffusée dans
la presse non spécialisée accuse ainsi une réception parfois difficile parmi ses confrères
de la presse spécialisée.
Il convient cependant de mieux cerner à quel endroit se situe la fracture. Au-delà
des différences, certaines ressemblances sont frappantes et nous invitent à nuancer les
pertes entraînées, la production pouvant s'adapter sans pour autant abandonner ses traits
caractéristiques.
105
106
107
108
30
Roland Barthes, Les Lettres Nouvelles, Cf Annexe n°5
Pierre Bourdieu, Les règles de l'art, p 203
Ibid, p203
Bernard Dort, France Observateur, 1959, cité par Meyer Plantureux, Un siècle de critique dramatique, p113
LIMOGE Estelle_2008
I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
Tout d'abord, les frontières entre presse spécialisée et presse non spécialisée ne sont
pas aussi nettes. En effet, la presse non spécialisée publie parfois des chroniques rédigées
par des universitaires qui mettent en avant leur titre afin de signifier leur compétence
109
et élaborent une production proche de celle trouvée dans la presse spécialisée . Par
ailleurs, des hebdomadaires comme France Observateur se trouvent à la frontière, à la
fois non spécialisé dans leur ligne éditoriale mais publiant les chroniques de producteurs
attachés à la presse spécialisée. En outre, des revues que nous pourrions qualifiées de
« spécialisées » de part leur ligne éditoriale diffusent une production qui se rapproche des
logiques publicitaires et commerciales. A l'image du mensuel Paris Théâtre qui relate les
coulisses de la vie du spectacle, où des photographies de couples vedettes recouvrent la
page de garde et des romans photos accompagnent les textes afin de suivre le déroulement
de la pièce scène par scène : « Comme si vous y étiez ». Jean-Jacques Gautier, critique
attitré du quotidien Le Figaro, publie une chronique régulière intitulée « Jean Jacques
Gautier vous conseille ».
Ainsi au delà de la scission, nos catégories révèlent des producteurs qui s'entrecroisent,
s'affichent comme des figures autonomes. Même s'il livrent une production différenciée,
certains éléments paraissent commun à un corps professionnel qui tend avant tout à se
distinguer des productions de la publicité ou des relations publiques. S'adapter mais cultiver
sa différence. Un trait commun aux deux productions qui nous amène sur les voies de
la distinction. Comment prouver une adaptation réussie ? Montrer qu'en « surfant sur la
vague », la production critique n'a pourtant rien perdu de son originalité.
2- Dépasser la différenciation : sur la voie de la distinction ?
Les logiques publicitaires identifiées dans la production critique diffusée par la presse non
spécialisée peuvent viser à élargir le lectorat afin de soutenir la rentabilité financière du
journal. Cependant, nous conviendrons que ce ne sont pas les traits spécifiques de la
production qui sont alors accessibles à ce nouveau lectorat. Le public ne rentre toujours
pas de manière claire dans la réception de la production critique. Celle-ci ne participe pas
d'une démarche qui viserait à élargir le cercle de réception. Nous retiendrons ici « l 'effet
du coup double » mentionné par Pierre Bourdieu selon lequel « un producteur, le critique,
produit des produits ajustés au goût de son public. Cela ne relève pas du miracle mais d'un
ajustement préalable, un accord tacite passé entre le critique et le lectorat du journal où il
110
s'exprime. »
En effet, le sociologue fait ici allusion à une sorte de « pacte de lecture » qui maintient
la production critique dans un univers clos qui concerne seulement les habitués. Toucher un
public plus large ne fait pas partie des ambitions de la production critique qui se distingue
des logiques commerciales en renvoyant la notion de public dans le débat esthétique, à
la fois dans la presse spécialisée et dans la presse non spécialisée. La production qui fait
suite à la représentation de Ruy Blas est ici significative de ces prises de positions sur la
question du public, permettant alors de nourrir le débat esthétique. L'oeuvre du créateur
est jugée comme réussie par la production critique diffusée dans la presse non spécialisée
alors qu'elle n'emporte pas la conviction dans la presse spécialisée. Dès lors, le public est
mentionné dans les deux argumentaires pour servir ou desservir l'impact de l'oeuvre. Les
deux productions partent du même postulat théorique qui renvoie à la préface de l'auteur et
109
110
Les Caprices de Jean Vilar, par Pierre-Bernard Marquet, professeur agrégé de lettres, Cf Annexe n°14
Pierre Bourdieu, Mais qui a créé les créateurs, p 214
LIMOGE Estelle_2008
31
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
se servent de la réaction du public pour nourrir leur discours. Le public devient un élément
arbitraire, doté finalement d'un simple statut discursif :
« Etre l'un de ces deux mille spectateurs, attentifs, vibrants, dont le TNP est « la
111
chose » quel rêve pour un homme de mon âge (...) »
mentionne la critique du
Parisien Libéré.
« D'autant plus que Ruy Blas n'est pas sans nocivité. Cette pièce peut entraîner un public
mal armé à confondre les signes extérieurs du théâtre et le théâtre lui-même, par exemple
112
l'intrigue et la tragédie, l'habit et l'homme, l'anecdote et l' Histoire. »
lui oppose celle de
Théâtre Populaire.
Ainsi, au delà de la scission, les techniques restent les mêmes et nous retrouvons
la querelle des Anciens et des Modernes qui nous permet de distinguer des traits
caractéristiques de la production critique. Il s'agit d'actualiser la théorie au débat
contemporain, réaffirmant par la même une position qui fait voix de son jugement. Une
caractéristique qui s'impose de manière transversale, rassemblant les productions de la
presse spécialisée et non spécialisée dans un même débat :
« C'est pourquoi nous autres, modernes, nous pouvons voir l'Avare, et nous y sentir
à peu près chez nous. Mais Ruy Blas, après un siècle de destin posthume, est déjà
113
anachronique. »
mentionne la production issue de la revue Théâtre Populaire.
« Allons! Victor Hugo tient le coup. Il n'est que de le jouer avec intelligence et amour. Le
vers emporte tout, lorsqu'il n'est point stupidement déclamé. Voyez ce qu'il devient dans la
114
bouche de Philipe ou de Deschamps ! » lui oppose indirectement celle du Parisien Libéré.
Dès lors, nous avancerons un dernier point qui nous invite à penser que l'adaptation de
la production critique aux nouvelles configurations médiatiques et politiques ne se cantonne
pas à une simple scission dans la production. En effet, les producteurs semblent vouloir
réaffirmer leur identité, notamment au travers des nombreuses références empruntées
exclusivement à l'univers littéraire et artistique. Un moyen de se distinguer des annonces et
autres publicités affublées d'un caractère neutre où l'auteur n'est pas identifié. Un moyen de
souligner son appartenance à un milieu privilégié d'où est exclu celui qui ne connaît pas ses
codes. Ainsi, des références littéraires sont mentionnées pour qualifier le jeu des acteurs,
115
comme ce Don Juan qui est « le contraire du calme héros courbé sur sa rapière » , en
référence au poème de Beaudelaire, Don Juan aux enfers, extrait du recueil Les Fleurs du
mal.
Dans ce sens, nous retiendrons ici la définition de Pierre Bourdieu qui identifie ces
références comme « des clins d'oeil à l'intérieur du milieu » :
« ces clins d'oeil, références silencieuses et cachées à d'autres artistes présents
ou passés, affirment dans et par les jeux de la distinction une complicité qui
exclut le profane, toujours voué à laisser échapper l'essentiel, c'est -à-dire
111
112
Georges Lerminier, Le Parisien Libéré, Cf Annexe n°2
Roland Barthes, Théâtre Populaire, Cf Annexe n°4
113
114
115
32
Roland Barthes, Théâtre Populaire, Cf Annexe n°4
Georges Lerminier, Le parisien Libéré, Cf Annexe n°2
Jean-Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°3
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I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
précisément les interrelations et les interactions dont l'oeuvre n'est que la trace
116
silencieuse. »
Ces interrelations et interactions permettent aux producteurs d'affirmer leur position dans le
monde artistique, leur appartenance à cet univers, au-delà du fragment imposé par la presse
spécialisée et la presse non spécialisée. Les références ne supportent pas l'explication et
impriment la limite qui exclut celui qui n'appartient pas à la sphère artistique ou littéraire
ainsi revendiquée.
Des adresses directes sont incorporées au texte :
« Il y a déjà du Sade dans ce Don Juan-là ( M Antoine Adam, professeur à l'Université
de Lille, en frémirait, lui qui prie, grands dieux, qu'on ne suspecte pas Don Juan de
117
sadisme ). »
Ou encore des références à d'autres artistes passés comme le suggèrent « les clins
d'oeil » : « Sans juger de celui de Jouvet, que je n'ai pas vu, mes don Juan antérieurs
118
faisaient le magister blasé. »
« Gérard Philipe, qui ( comme jadis Mounet-Sully ) a fort bien rendu le cinquième acte
119
du drame de Monsieur Victor Hugo. »
Nous nous risquerions à interpréter les parenthèses comme de véritables apartés qui
marquent encore une fois les frontières d'un univers clos auquel n'a accès qu'une partie du
lectorat, et qui ne vise sûrement pas à son élargissement. Des méthodes qui rappellent les
conservations des doctes, où la critique se construit dans le dialogue entre des individus
jugés compétents. Allusives, ces références témoignent ainsi de l'existence persistante d'un
corps de professionnels qui ne souhaite pas se faire oublier et témoigne d'une utilisation
singulière de méthodes et techniques qui ne se retrouvent pas dans la publicité ou les
relations publiques.
Dans cette logique, l'adaptation ne signifie donc pas nécessairement dilution de
la production critique. Au delà de l'isolement ou de la confusion avec les démarches
publicitaires, ce sont des signes de distinction qui apparaissent. Ainsi, des « plumes »,
des noms sont mentionnés dans chacun des courants et rappellent que derrière chaque
discours se cachent des individus en quête, consciente ou non, de légitimité. Les revues
spécialisées recrutent des grands noms pour constituer leur comité de rédaction, comme la
revue Théâtre Populaire. « La chasse aux plumes » se retrouve également pour la presse
non spécialisée, en gardant à l'esprit que la critique fait partie du journalisme assis qui
« regroupe tous les genres journalistiques qui doivent leurs caractéristiques à l'écriture, elle120
même, au talent littéraire de l'auteur. Ici le style compte avant tout. » Classé dans la même
catégorie que le journalisme d'opinion, ce genre fait appel à la subjectivité du journaliste,
121
à ses « talents d'auteur », à sa connaissance du milieu artistique . Une remarque qui
nous invite à reconsidérer les producteurs garants d'une production qui a les moyens de se
distinguer dans l'espace médiatique en affirmant son rôle dans le champ théâtral.
116
Pierre Bourdieu, Les règles de l'art, p 228
117
118
119
120
121
Roland Barthes, Lettres Nouvelles, Cf Annexe n°5
Roland Barthes, Lettres Nouvelles, Cf Annexe n°5
Jean-Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°1
Jacques Mouriquand, L'écriture journalistique, p 49
Ibid, p 50
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33
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
En 1955, une étude médiatique révèle quels ont été les évènements importants
pour le public parisien depuis la Libération. Le couronnement de la reine Elizabeth, le
122
déclenchement de la guerre de Corée et la mort de Staline arrivent en tête . Les pages
sportives passionnent les Français au moins autant, si ce n'est plus, que le physique de
Gérard Philipe passionne les Françaises. Replaçons les éléments dans leur contexte. La
petite révolution qui se joue au TNP et implique une nouvelle forme de communication
artistique concerne avant tout le champ théâtral. Toutefois, il ne s'agit pas d'en sous-estimer
l'impact qui révèle les logiques d'un espace critique concurrencé par des techniques de
diffusion aussi acerbes que la plume des producteurs est aiguisée. Isolée ou formatée, la
123
production critique serait victime de « l'art perdu de la controverse » . Accusant une course
éperdue à l'information qui appauvrit le débat public au lieu de l'enrichir, la notion avancée
par Christopher Lasch soulève des points intéressants.
D'une part, vouloir tout dire dans un souci d'information laisse peu de place aux
positions partisanes qui se trouvent reléguées dans des petites communautés. Appliquée
au journalisme politique, cette configuration se retrouve explicitement dans la scission
que nous avons identifiée entre presse spécialisée et presse non spécialisée. Pour
Christopher Lasch, une presse responsable, c'est à dire synonyme de recul devant toute
124
controverse, signale une perte pour la démocratie . Concernant notre approche, cela peut
trancher définitivement sur le rôle éventuel d'une production critique utile à l'entreprise de
démocratisation initiée au TNP.
D'autre part, la montée des relations publiques et de la publicité impose un curieux
mélange d'information et de promotion où il devient difficile de distinguer les traits
125
caractéristiques de l'un ou de l'autre . Etre incorporée définitivement aux produits des
annonceurs, une menace qui pourrait effectivement se concrétiser sous la forme du relais
médiatique lancé par la politique de relations publiques. Loin d'être uniquement un porte126
parole, le producteur critique deviendrait un « persuadeur caché » , simple communiquant
amené à relayer l'information comme à la promouvoir, prisonnier de l'effet d'annonce
présenté sous son plus mauvais jour.
Ce tableau quelque peu pessimiste pour l'avenir de la critique dramatique ne nous
permet pas de résoudre les paradoxes initiaux et occulte les nuances qui ressortent des
différentes productions. Certes, l'expérience initiée par le TNP montre que le créateur
dispose de moyens concrets pour utiliser les relations publiques et la publicité comme des
outils de diffusion efficaces. Cependant, les producteurs critiques ne semblent pas exclus
du jeu du discours sur l'art et conservent les moyens de se distinguer. « Les discours ne
sont pas seulement des signes destinés à être compris, déchiffrés; ce sont aussi des signes
de richesse destinés à être évalués, appréciés et des signes d'autorité, destinés à être
127
crus et obéis. » L'histoire de la critique dramatique a révélé des signes distinctifs de la
production tels que l'aspect normatif ou la considération « artistique » de l'oeuvre. Dès lors,
ces signes peuvent être appréciés comme des signes de richesse destinés à être crus et
obéis, imposant un statut de juge ou de prescripteur pour le producteur.
122
123
124
125
126
127
34
F D'Almeida, C Delporte, Histoire des médias en France, de la grande guerre à nos jours, p 171
Christopher Lasch, La révolte des élites et la trahison de la démocratie, p 167-180
Ibid, p 179
Ibid, p 179
Ibid, p 179
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, L'économie des échanges linguistiques, p 60
LIMOGE Estelle_2008
I- L'adaptation de la production critique aux transformations politiques et médiatiques : une
réponse imposée par le système
Reste à identifier les mécanismes qui permettent de comprendre comment ce statut
fait voix d'autorité dans un champ théâtral où le créateur se rapproche des logiques
financières pour diffuser son oeuvre et se détacher du dogmatisme de ses juges. Ainsi, dans
cette configuration, les producteurs critiques pourraient apparaître comme les véritables
garants d'une dimension artistique parfois oubliée dans l'art de communiquer sur l'art. « Les
personnes qui vont peu au théâtre et qui estiment que le TNP est reconnu comme un théâtre
populaire sont surtout influencées par son sigle et sa renommée puisqu'elles ne possèdent
128
guère d'autres éléments d'appréciation pour le juger .» Un sigle, une renommée, des
éléments qui reflètent l'identité d'une structure culturelle reconnue comme telle, pour ses
oeuvres du répertoire ou plus récentes, pour ses rencontres du dimanche matin avec les
artistes, pour son programme sans publicité mais aussi sans doute pour son apéritif offert
et son bal populaire au festival de Suresnes, son réveillon passé au milieu des poètes, son
acteur phare dont le visage suffit à construire une renommée. Certes, les traits sont ici un
peu forcés et nous pouvons avancer que l'ensemble des ces dimensions illustrent la volonté
artistique d'un créateur. Jusque dans son oeuvre même, la motivation du créateur se situe ici
dans la rencontre avec le public. « Il faut savoir pourquoi on fait du théâtre. Et en déduction,
il faut savoir pour qui. Je sais personnellement, pourquoi et pour qui je travaille : pour les
129
classes laborieuses » rappelle-t-il.
Cependant, il semblerait que les producteurs critiques conservent un discours légitime,
130
c'est à dire dominant mais méconnu comme tel , dans la mesure où ils cultivent les moyens
d'apporter un regard inédit sur l'oeuvre. Un regard que ne peut remplacer aucune technique
de diffusion. Sur les voies de la distinction, se loge une relation immuable qui permet à
chacun d'être reconnu pour ce qu'il est et pour ce que vaut sa production. Dans un champ où
les logiques de diffusion pourront continuer à s'immiscer mais où la reconnaissance d'une
profession se joue ailleurs, entre pouvoir symbolique et respect des règles du jeu.
128
129
130
Anne Marie Gourdon, Théâtre, Public, Perception, p 97,
Jean Vilar, Le théâtre service public, p 81
Dans la sociologie de Pierre Bourdieu, un discours est qualifié de légitime lorsqu'il apparaît comme dominant dans le
champ, même s'il est méconnu comme tel
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35
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
II- L'art de communiquer avec les
créateurs : une réponse garantie par les
producteurs critiques
Dans cette seconde partie nous montrerons comment les producteurs critiques conservent
une activité reconnue comme telle en cultivant l'art de communiquer avec les créateurs.
Définir la production critique passe tout d'abord par la reconnaissance d'un statut qui
s'affirme notamment par la professionnalisation ou l'utilisation d'outils symboliques. Un
moyen de trouver une place en revendiquant une qualité d'expert dans le débat public.
Néanmoins, faut-il encore asseoir sa position auprès des pairs en affirmant des traits
distinctifs. Nous montrerons ainsi quelles sont les ficelles du métier et comment, à travers la
critique normative et l'utilisation du Public comme outil d'arbitrage, les producteurs critiques
conservent un discours légitime. Enfin, en développant les liens qui unissent producteur
critique et créateur, nous montrerons en quoi la place du critique dramatique reste utile au
processus de création.
A- Etre producteur : les enjeux de la distinction
Les nuances que nous avons apportées à la scission constatée dans la production montrent
que les producteurs possèdent les moyens de se distinguer d'un simple discours informatif.
En outre, leur isolement n' empêche pas une position reconnue par les pairs du champ
théâtral. Bénéficiant d'un véritable statut ou usant d'outils symboliques, ils se créent une
place de choix dans le débat public. Leur production est ainsi qualifiée et ne sort pas des
questionnements culturels présents dans la sphère politique.
1- A la recherche d'un statut : professionnalisation et outils
symboliques
« Une véritable académie des Beaux Arts du Théâtre, composée du triumvirat critique,
Bernard Dort, Roland Barthes et Jean-Jacques Gautier, ne tarde pas à régner sur le
théâtre » rappelle Jean Fleury lorsqu'il évoque la nomination de Jean Vilar à Chaillot en
131
1951 .
« La tribune des critiques dramatiques où nous accueillons aujourd'hui : Bernard Dort,
Morvan Lebesque, Georges Lerminier, Jean Nepveu Degas » annonce le générique de
l'émission radiophonique Le Masque et la Plume. « Seuls Robert Kemp et Jean-Jacques
132
Gautier paraissent disposer d'un pouvoir et d'une importance réels. » souligne la revue
131
Jean Fleury, Le TNP de Vilar, une expérience de démocratisation de la culture, p 78
132
36
Bernard Dort, Un théâtre sans public, des publics sans théâtre, p 18
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II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
Théâtre Populaire. Qui sont ces individus ? Revendiquent-ils un statut particulier qui les
amènent à se retrouver ensemble, dans une tribune radiophonique, au delà d'une production
scindée en deux ? Il s'avère en effet que les producteurs critiques identifiés comme tels ci133
dessus appartiennent simultanément à la presse spécialisée et non spécialisée . Dès lors,
nous proposons un regard plus approfondi sur les producteurs afin de mieux comprendre
comment ils réussissent à faire reconnaître leur activité. Nous avons analysé une scission
dans la production. Il paraîtrait logique que celle-ci soit le reflet d'une fracture dans le corps
professionnel. Pourtant, il semblerait que les producteurs aient les moyens de dépasser
cette scission pour conserver, chacun à juste titre, une position qui leur donne l'opportunité
d'assurer une production critique.
Reste à savoir ce qui permet au producteur d'être identifié en tant que critique
dramatique et quelles qualifications sont requises. Nous ne retiendrons pas la classification
d'Albert Thibaudet qui distingue trois types de critiques en fonction de la profession, ou du
statut principal occupé par leur producteur. Il propose ainsi de prendre comme facteur initial
la profession de journaliste, de professeur ou d'artiste et d'en déduire que la variation du
facteur fait varier la production critique. Il différencie ainsi la critique spontanée établie par
les journalistes (qualifiée de « critique des honnêtes gens »), la critique des professionnels
134
énoncée par les maîtres ou les universitaires, et la critique des artistes .
Cependant, la classification d'Albert Thibaudet nous empêche de cerner ce que les
producteurs revendiquent tous à un moment donné, qu'ils soient universitaire, journaliste
ou artiste : se faire passer pour un critique dramatique, exister en tant que critique
dramatique. Dès lors il semble que la variation du facteur initial ne fait pas varier la
position du producteur, toujours reconnu à terme comme « critique dramatique ». En effet,
l'hétérogénéité des parcours frappe dans les « cursus » que nous avons pu identifier.
Certains producteurs sont professeurs, titrés ou non, d'autres sont journalistes, beaucoup
sont des « littéraires », d'autres encore font partie du champ théâtral par filiation, enfant ou
135
petit enfant de créateurs . Dans les année cinquante, il n'existe pas de formations ou de
diplômes qui sanctionnent la qualité des producteurs et par voie de conséquence, celle de
136
la production . Comme l'énoncent encore des producteurs dans les années soixante-dix,
137
la voie du hasard prime dans la réalisation de la fonction . Cependant, ces producteurs ont
tous été recrutés et considérés dans leur activité pour être embauchés et reconnus comme
critique dramatique.
Il est important de comprendre les enjeux que soulèvent le statut du producteur dans
la mesure où la définition de la production en dépend. En effet, si le producteur réussit à
se faire reconnaître comme tel, il impose une définition du texte critique qui est validée
par son statut. Or, face à la montée des relations publiques et de la communication, nous
sommes bien en présence d'une remise en cause de la définition du produit. Comment
reconnaître ce qui est de la critique de ce qui n'en est pas. L'uniformisation peut conduire
à une certaine confusion et l'isolement peut pâtir d'un manque de diffusion, nuisible à l'acte
133
Bernard Dort, Roland Barthes : presse spécialisée ; Jean-Jacques Gautier, Robert Kemp : presse non spécialisée, Morvan
Lebesque : presse spécialisée puis non spécialisée, Jean Nepveu Degas : hebdomadaire frontière, France Observateur
134
135
136
Albert Thibaudet, Physiologie de la critique, p 21
Cf Annexe n°11 bis
Actuellement, pour « devenir » critique dramatique, il existe des formations à l'université en grade Master ou dans des
écoles spécialisées
137
Le Masque et la plume, émission radiophonique, 13 juillet 1975
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37
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
même de production critique. Ainsi, la lutte pour la définition du produit est de nouveau
en marche, passant inévitablement par le producteur qui doit affirmer sa compétence en
revendiquant son statut.
Dès lors, choisir la voie de la professionnalisation apparaît comme une solution
envisageable et envisagée par les producteurs des années cinquante. Considérons le terme
professionnalisation avec prudence, puisqu'il n'est pas certain que le statut du producteur
corresponde à une véritable profession. Si la profession renvoie à une occupation
déterminée dont on peut tirer ses moyens d'existence, le terme ne convient pas à la majorité
138
des producteurs qui occupent, pour la plupart, d'autres activités rémunérées en parallèle .
En revanche, nous retiendrons ici la définition qui consiste à considérer la profession
comme l'ensemble des individus qui exercent un même métier. En effet, en évoquant
la professionnalisation des critiques dramatiques, nous souhaitons ainsi mettre en avant
ce phénomène de regroupement qui participe d'une tentative de distinction. Le syndicat
professionnel de la critique dramatique illustre ce mouvement, considéré comme un organe
de distinction plutôt que de revendication. Institué en 1960, il est l'héritier de l'association
139
des critiques dramatiques et musicaux créée en 1877 . Nous pouvons dès lors comparer
la formation de ce syndicat avec les logiques qui ont poussé à la création du Syndicat
National des Journalistes. En effet, cet organe est également issu du mouvement associatif
et a eu pour but initial de mieux structurer la profession et surtout de conférer un statut aux
membres de la profession. Concrétisé par la loi de 1935, le statut du journalisme se voit
symboliser par la carte professionnel du journalisme. Certes, la comparaison s'arrête là, le
critique dramatique n'ayant à ce jour vu aucune loi certifier de son statut, les revendications
du syndicat ne comprenant pas non plus la reconnaissance d'un salaire minimum ou le droit
à une journée de repos. Il reste pourtant intéressant de souligner ce mode de distinction qui
participe à la création d'un véritable statut pour ses membres.
L'état actuel de nos recherches ne nous permet pas de savoir si la carte de membre
du syndicat de la critique dramatique était déjà délivrée à cette époque et quelle était
la liste précise des membres. Pourtant, nous pouvons mentionner l'existence d'une carte
rouge, délivrée par la Direction des impôts et permettant d'être reçu comme spectateur
140
exonéré de taxes . Apparue en 1935, des membres actuels du syndicat la possède et ce
141
facteur peut être considéré comme un signe distinctif de la profession . En outre, nous
remarquerons que ce regroupement de la profession dans les années cinquante prend
part à un mouvement plus large, l'association internationale des critiques dramatiques étant
142
créée en 1956 . En retenant que « ce qui fait l'unité d'une époque c'est moins une culture
commune que la problématique commune qui n'est autre chose que l'ensemble des prises
143
de position attachées à l'ensemble des positions marquées dans le champ. » , nous
conviendrons que l'époque est à la reconnaissance pour les producteurs critiques, groupés
en organe statutaire, développant les moyens d'agir, en organisant notamment un Prix du
Syndicat de la Critique Dramatique.
138
139
140
141
142
143
38
Cf Annexe n°11 bis
www.snj.fr
Nathalie Gendre, Le statut du théâtre dans la presse écrite française
www.syndicat-critique-tmd.fr/1.html
www.aict-iatc.org
Pierre Bourdieu, Mais qui a créé les créateurs ?, p216
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
Dès lors, utiliser des outils symboliques apparaît comme un complément nécessaire
à la production pour confirmer la position des producteurs dans le champ théâtral. Titres
universitaires, prix, récompenses peuvent être considérés comme des outils efficaces et
pertinents qui permettent notamment de créer un consensus là où il n'existe pas ou n'existe
plus.
« Les symboles sont les instruments par excellence de « l'intégration sociale » : en tant
qu'instruments de connaissance et de communication, ils rendent possible le consensus
sur le sens du monde social qui contribue fondamentalement à la reproduction de l'ordre
144
social. »
Ainsi, en mettant en avant des signes d'appartenance à des institutions qui font
consensus dans le champ artistique et dans le champ théâtral quant à leur légitimité de
faire valoir, les producteurs donnent un sens à leur statut et à leur production. L' Institut
de France qui regroupe les cinq académies que sont l'académie française, l'académie
des inscriptions et belles lettres, l'académie des sciences, l'académie des Beaux Arts et
l'académie des sciences morales et politiques peut être considéré comme un faire valoir
reconnu et accepté à l'époque par le champ théâtral. Plusieurs producteurs utilisent ces
145
titres qui soulignent leur nom et lui donnent une fonction . Les titres donnent un sens à
la compétence dont les producteurs se réclament, et assurent leur reconnaissance dans
la meure où ils sont acceptés par le champ théâtral, et notamment les créateurs. Ainsi, en
énonçant dans une revue spécialisée la position suivante, le créateur Jean Vilar consacre
publiquement les producteurs critiques dans leur fonction : « Je n'ai pas, moi bachelier, à
discourir studieusement devant des agrégés de lettres, des licenciés, des Prix Goncourt,
146
des lauréats de l'Académie, devant des futurs académiciens, devant des académiciens. »
Ces faire-valoir peuvent évoluer avec les époques, et cette évolution prend part à
la lutte pour la définition de la production. La montée des relations publiques et de la
publicité peuvent entraîner une déperdition de ces faire-valoir, sous-couvert du consensus
démocratique. La légitimité des compétences évolue et impose une nouvelle définition de
la production. Ainsi, nous pouvons évoquer la place laissée au jugement public dans nos
sociétés contemporaines, dans le cadre d'émissions télévisées qui plébiscitent directement
la frange critique de chaque individu. Dès lors, pour conserver un statut légitime, les
producteurs critiques doivent cultiver la relation qui leur permet de mettre en avant leur
compétence. L'adresse aux créateurs reste le meilleur moyen de continuer à se faire un
nom, de faire valoir une qualité d'experts. Celle-ci peut se réaliser à travers des symboles
comme les prix et les récompenses, à l'image de l'initiative lancée par la revue Paris
147
Théâtre. Le prix reste sans doute un des outils les plus efficaces pour asseoir cette
position, présentant à la fois le caractère collectif et unanime de la professionnalisation ainsi
qu'une dimension symbolique essentielle à la reconnaissance de l'activité critique par les
pairs.
A ce stade, nous proposons de mettre en avant de quelle manière les producteurs
critiques peuvent trouver une place légitime dans l'espace médiatique, en s'appuyant sur
un statut qui donne du sens à la production. Concurrencés par un discours politique qui
n'échappe pas aux logiques de diffusion et s'impose alors comme dominant, les producteurs
144
145
146
147
Pierre Bourdieu, Sur le pouvoir symbolique, p205
Cf Annexe n°8, 9, 11, 11 bis
Jean Vilar, Messieurs les critiques vous êtres cruels, c'est mauvais signe, Arts-Paris, 11 novembre 1959 Cf Annexe n°6
Création du Prix Molière en 1954, Cf Annexe n°5 bis
LIMOGE Estelle_2008
39
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
participent au débat en revendiquant une place experte, informée et connaisseuse des
enjeux artistiques. Certes, il conviendra de nuancer l'influence de cette position, mais il
reste important de souligner que celle-ci met en avant la force d'un réseau qui préserve son
indépendance en conservant une relation privilégiée avec les créateurs.
2- L'oeil d'expert : trouver sa place dans le débat public
Comme nous l'avons déjà souligné, les méthodes de relations publiques et de
communication initiées au TNP s'inscrivent dans une politique théâtrale plus large qui vise
à faciliter l'accès au plus grand nombre en rénovant notamment les structures des théâtres
publics. Une initiative qui prend la forme d'un plan de rénovation lorsqu'est nommé André
Malraux au ministère de la Culture, en 1959. Le monopole du discours sur l'avenir du
théâtre français s'instaure ainsi dans la classe politique, et ce pour longtemps. Les débats
qui définissaient la production critique semblent basculer dans le champ du pouvoir, où
148
s'affrontent des individus dominants culturellement et économiquement .
En effet, les différentes nominations de créateurs à la tête d'institutions théâtrales
montrent qu'il ne revient pas exclusivement aux critiques de juger des Anciens et des
Modernes, de ceux qui méritent la consécration ou le blâme. Une politique qui s'emploie
même au consensus, puisque de l'avant-garde théâtrale au TNP, en passant par le bastion
des classiques tenu par La Comédie Française, l'ensemble des activités du secteur théâtral
est concerné par ce plan. Cette reconnaissance publique s'accompagne d'une diffusion
médiatique qui montre alors le peu de place laissé au débat d'idées. Ainsi, en analysant
les répercussions du plan Malraux dans la presse écrite, nous remarquerons que pour la
grande majorité, les producteurs critiques s'en tiennent à leur chronique habituelle, sans
prendre vraiment position sur la politique culturelle, presse spécialisée et non spécialisée
149
confondues . Portant sur l'organisation des théâtres nationaux, ce plan est annoncé par
conférence de presse le 9 avril 1959.
Dès lors, la presse spécialisée et non spécialisée rapportent les grandes lignes dans
150
une optique d'information, photographies à l'appui . De la pleine page au petit encart,
le lectorat prend connaissance des nouvelles nominations, du sort réservé aux grandes
institutions et des attitudes du ministre pendant la conférence de presse. Les positions
critiques recensées se cantonnent à commenter le plan en rapportant les paroles du ministre
plus qu'en les analysant. Les seules prises à parties directes que nous avons pu recenser
se font dans la presse spécialisée avec le cinglant « Bravo André Malraux, mais un théâtre
151
n'est pas un musée. » ou dans le quotidien d'information, Le Monde. Elles se montrent
toutes favorable à la nouvelle politique.
Certes, il convient de prendre garde au biais historique, aux caractéristiques propres de
cette période. La force du plan Malraux réside dans son soutien dévolue à l'avant-garde, à
ceux qui réclament le retour des grandes oeuvres comme contre-poids au théâtre bourgeois,
avilissant. « Les paroles d'André Malraux prononcées lors des changements de direction
dans les théâtres subventionnés n'ont guère surpris ceux qui depuis pas mal d'années se
148
Cf Définition du champ du pouvoir, Pierre Bourdieu, Les règles de l'art, p300
149
150
Dans les quotidiens du Figaro et l'Humanité, les producteurs tiennent leur chronique habituelle sur un spectacle
Les Nouvelles Littéraires publie une photographie de Malraux et Le Figaro un encart sur la page de couverture sous-titrée :
4 expressions de M.André Malraux pendant sa conférence de presse
151
40
Gabriel Marcel, Les Nouvelles Littéraires, Cf Annexe n°9
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
152
battent plus ou moins obscurément pour le vrai théâtre. »
résume la critique de Guy
Dumur, publiée dans l'hebdomadaire frontière France Observateur. En proposant de créer
deux théâtres d'essais, de rafraîchir le répertoire de la Comédie Française, la politique
culturelle provoque le consensus et éteint les dernières revendications de la frange critique
la plus combative que nous avions identifié dans la presse spécialisée. En témoigne l'échec
de la revue Théâtre Populaire dont l'idéologie fut absorbée par les nouvelles configurations
153
sociales et politiques, comme l'illustre l'historien Marco Consolini . Cependant, l'activité
de la production semblait déjà s'éloigner des ces considérations politiques avant la
récupération totale du discours par le plan Malraux. Les travaux de Didier Plassard sur la
presse du TNP nous indiquent qu'il est relativement rare que les implications politiques du
154
répertoire de Chaillot soient directement attaquées par les critiques dramatiques . Pour
ce chercheur, la critique filtre les significations, multiplient les allusions mais n'opère jamais
un débat clair qui révélerait des prises de positions affirmées. Dans ce sens, nous pouvons
en effet citer comme exemple la production présente dans le quotidien France Soir. Allusive
et provocatrice dans son titre « Les Caprices de Marianne » d'Alfred de Musset (un titre
d'actualité), elle n'en reste pas moins consensuel dans son contenu, résumant l'histoire de
155
la pièce et servant un débat esthétique édulcoré .
Le contexte historique met en avant une production critique réduite, les producteurs
occupant une position récupérée par le politique. Toutefois, la tentative de distinction
des producteurs critiques n'est pas à chercher exclusivement dans ces revendications
politiques. Dans un champ où les positions dominantes concernant les questions culturelles
sont désormais occupées par des représentants de la sphère politique et économique,
les producteurs critiques doivent conserver un pouvoir symbolique auprès de leurs pairs
créateurs pour rester présents dans le débat. Se rapprocher des pairs semblent s'imposer
comme une réponse inévitable qui permet un apport original dans le jeu du discours sur l'art.
Techniques de communication et relations publiques uniformisent et rendent accessibles
le discours au grand public, politiques culturelles concrétisent le discours. Les producteurs
critiques orientent le discours vers les premiers concernés par le plan Malraux, à savoir les
créateurs. Ils se distinguent ainsi de ces deux démarches. Le rôle que nous attribuons aux
critiques dramatiques peut être identifié dans les actions qu'ils entreprennent aux côtés des
créateurs, mais aussi directement dans la production.
En effet, dans le débat politique, la production critique met en avant l'activité des
créateurs, rappelant que ce sont à terme leurs actions qui permettent avant tout de faire
fonctionner cette politique. Cette position permet à la production critique d'être introduite
directement dans le débat en misant sur l'aspect artistique des enjeux, sous couvert d'un
statut qui fait voix d'autorité. Qu'ils prennent partie positivement ou négativement, les
producteurs mettent en avant leur expertise qui révèle une compétence à connaître donc
à juger, peut-être, de ce qui vaut pour l'avenir de la création théâtrale. Le producteur du
quotidien Le Monde souligne en direction de Michel Saint-Denis, nommé alors conseiller
artistique de la Comédie Française : « Revenu en France, il a dirigé à Strasbourg, avec
sûreté le Centre de l'Est, et j'ai vu de mes yeux comment il s'en tirait (...).Il a du goût, de
152
Guy Dumur, France Observateur, 16 avril 1959. Voire aussi Robert Kemp; Le Monde, 10 avril 1959 Cf Annexe n°11, Gabriel
Marcel, Les Nouvelles Littéraires, 16 avril 1959, Cf Annexe n°9
153
154
155
Marco Consolini, Théâtre Populaire 1953-1964 : Histoire d'une revue engagée
Plassard Didier,« Réjouir l'homme est une tâche douloureuse » Le TNP de Jean Vilar et la presse (1951-1963), p123
France Soir Paris, 30 novembre 1958, Cf Annexe n°7 bis
LIMOGE Estelle_2008
41
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
156
l'expérience...Il aurait pu être, lui seule, administrateur de la Comédie-Française. » Un
jugement qui ne rencontre pas l'unanimité, comme le souligne le discours tenu par le critique
des Nouvelles Littéraires : « Tout au plus, dirais-je que Michel Saint-Denis, qui a bien servi
autrefois le théâtre français à Londres, ne semble pas, au Centre Dramatique de l'Est, s'être
signalé par des réussites éclatantes. Mais cela peut ne rien prouver et nous devons lui faire
157
crédit. »
Deux extraits qui trahissent le caractère subjectif de l'expertise mais ne remettent pas
en cause son autorité. Il est naturel que Michel Saint-Denis devienne le conseiller artistique
de la Comédie Française car il a « du goût et de l'expérience ». Ainsi, le producteur critique
énonce publiquement des qualités prêtées à ce nouveau conseiller, efface toute subjectivité
qui pourrait être attribuée à ces notions de « goût » et d'« expérience » et s'impose comme
l'expert capable de se prononcer officiellement sur l'avenir de la politique théâtrale. La
production critique s'introduit dans le débat, par la force du nombre, mettant en avant un
véritable réseau qui conserve une place justifiée sur les questions artistiques. En effet, nous
relèverons trois interpellations ou références sur les quatre productions. Elles font apparaître
un dialogue interne entre individus qui se présentent comme compétents sur les questions
artistiques, dans le débat culturel :
« Mais je laisse à mon collègue Guy Dornand, le soin de commenter plus
158
particulièrement ces décisions sur le plan du théâtre lyrique »
« D'une façon
générale, ma position sur la réforme coïncide exactement avec celle qu'a définie
159
notre ami Robert Kemp. »
« Déjà, félicitant Barrault de sa nomination à la
direction de l'ex Odéon, Robert Kemp l'encourage à monter Eschyle et Claudel,
160
mais le met en garde contre ce qu'il nomme les fausses-valeurs. »
Les producteurs critiques ne sont pas des communicants, ni des journalistes, ni des
politiques. Ils font avant tout partie du champ théâtral et occupent une position d'expert
reconnu. Ou du moins tendent à se faire reconnaître comme tel, passant s'il le faut par
une définition pragmatique de la profession. Révéler la position des producteurs sur les
questions artistiques récupérées par le champ du pouvoir nous a permis de mieux cerner
pourquoi l'adaptation de la production n'entraîne pas uniquement sa dilution. La réponse des
producteurs critiques aux logiques commerciales et publicitaires dépasse le cloisonnement
et/ou le formatage de la production. En se distinguant des productions concurrentes, ils
définissent leur rôle et celui de leur production en conservant des traits caractéristiques
qui imposent leur originalité. Les ficelles du métier ressortent et permettent de justifier une
fonction qui n'a pas perdu son sens, notamment auprès des créateurs.
B- Les ficelles du métier : travailler les outils de
jugement
156
157
Robert Kemp, Le Monde, Cf Annexe n°11
Gabriel Marcel, Les Nouvelles Littéraires, Cf Annexe n°9
158
Paul Morelle, Libération, Cf Annexe n°10
159
Gabriel Marcel, Les Nouvelles Littéraires, Cf Annexe n°9
160
Guy Dumur, France Observateur, le 16 avril 1959
42
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
Trouver un statut et le revendiquer ne suffit pas, encore faut-il avoir les moyens d'exercer son
activité. Nous proposons deux pistes à explorer pour comprendre comment la production
des professionnels apparaît comme légitime, c'est à dire dominante même si méconnue
161
comme telle . Tout d'abord, nous reviendrons sur la dimension normative de la production
et de quelle manière elle se justifie auprès des créateurs. Puis nous mettrons en avant les
raisons qui nous amènent sur la voie de l'arbitrage, place de choix pour des producteurs
isolés du Public. Nous utiliserons ici les termes de critique professionnelle et critique du
public pour distinguer la critique du producteur que nous avons identifiée jusqu'à maintenant,
parfois qualifiée de spectateur privilégié, de la production correspondant à l'ensemble des
spectateurs.
1- La critique normative : deux poids, deux mesures
Etre juge, facette incontournable des critiques professionnels et aspect tant redouté par les
créateurs. Qualification essentielle de l'activité critique, elle s'illustre avant tout à travers une
production dont la dimension normative n'est plus à prouver et s'impose encore de manière
évidente dans les années cinquante. Ainsi, les producteurs révèlent la norme et imposent
la norme :
« Il n'y pas cinquante manières d'interpréter Ruy Blas, il faut jouer le jeu. A fond. Se
162
lancer » énonce le critique du quotidien non spécialisé Le Figaro.
« Or nous sommes ici au théâtre, nous réclamons en conséquence d'assister au devenir
interne d'une passion, nous voulons, parce que c'est la loi première de tout théâtre tragique,
163
que cette passion se développe organiquement devant nous (...) » rappelle en écho le
critique du mensuel spécialisé Théâtre Populaire.
Une différence de ton qui ne trahit pas une différence de moyens. Enoncer des règles
et des préceptes pour justifier l'aboutissement artistique de telle ou telle pièce reste un
trait spécifique de la production critique que ne dissout pas complètement l'adaptation.
Une démarche qui impose aux créateurs un seuil à franchir, une validation par les pairs
164
qui attire parfois des réactions violentes et douloureuses, criant à l'injustice . Ce seuil
revêt les traits d'un jugement catégorique, irréfragable, énoncé par un tribunal dont les
propos sont généralement relayés comme une voix unanime : « Messieurs les critiques
165
vous êtes cruels, c'est mauvais signe » « La critique américaine acclame le Théâtre
166
National Populaire » . L'oeuvre passe ou ne passe pas, le discours matérialisant succès
ou échec. Pourtant, les techniques de communication et de relations publiques semblent
donner la possibilité de dépasser ce seuil, de faire qu'il ne soit plus un passage obligé et
d'aller chercher ailleurs la mesure de la consécration. Toutefois, nous montrerons qu'elles
n'ont pas les moyens d'inverser complètement les règles, critique du public et critique des
professionnels ne jouant pas dans le même registre. En outre, les mécanismes de diffusion
qui caractérisent l'espace médiatique imposent de nouvelles normes qui ne supportent
161
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, l'économie des échanges linguistiques
162
163
164
165
166
Jean-Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°1
Roland Barthes, Théâtre Populaire, Cf Annexe n°4
Cf Annexe n°6
Jean Vilar, Arts, Cf Annexe n°6
France-Amérique, New York, 26 octobre 1958
LIMOGE Estelle_2008
43
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
pas la nuance, redonnant par là même aux critiques professionnels une légitimité parfois
oubliée.
En se donnant les moyens de réaliser une politique de relations publiques, le TNP de
Jean Vilar pose la question d'une nouvelle critique possible qui serait élaborée directement
par les premiers concernés, à savoir l'ensemble des spectateurs. En effet, participant
d'une volonté éducative, l'accès aux avant-premières jusqu'alors réservées aux critiques
professionnels ou encore la multiplication des rencontres directes entre public et créateur
révèlent une configuration où la critique professionnelle semble ne plus avoir son mot à
167
dire. En inversant le protocole traditionnel, il triomphe de la critique soutient Jean Fleury .
Il semble en effet qu'à l'aide des méthodes de relations publiques et de communication,
le créateur déplace le seuil et propose un emplacement qui apparaît plus légitime. «Au
théâtre, le seul juge c'est le public» rappellent inexorablement les paroles de Molière. Nous
soutiendrons pourtant que ce déplacement doit être lu comme un phénomène conjoncturel
qui n'atteint pas le rôle structurel joué par le producteur critique et sa production.
En effet, dans cette politique, le public du TNP a la possibilité d'élaborer un discours
168
à travers les rencontres mais aussi les réponses aux questionnaires distribués . Cette
initiative avance ainsi la possibilité de rendre cette production aussi légitime que la
production critique « professionnelle » en maintenant que le public pourrait lui aussi être
considéré comme un « porte parole » autorisé, mandaté par le créateur qui croit en cette
169
nouvelle entité de jugement . Dans ce contexte, il est en effet envisageable que la collecte
des questionnaires, par exemple, ait influencé les initiatives d'un créateur qui donnait de la
valeur, accordait de l'attention aux réactions et mots de ce public tant recherché :
« Un spectateur qui rote quand Hamlet dit « To be or not to be» est plus dans le
ton du théâtre que nous désirons que le critique qui retient son souffle pendant
la durée du spectacle et fait le méchant le lendemain avec des mots dans son
170
canard. »
Toutefois, deux raisons nous amènent à relativiser ce phénomène qui n'alterne en rien
le pouvoir symbolique de la production critique élaborée par les professionnels. Les
producteurs ont leur place. D'une part, l'aspect normatif ne se situe pas dans le même
registre que la critique du public et reste en mesure d'exercer un pouvoir symbolique sur les
créateurs ; d'autre part il n'est pas certain que la critique du public soit plus légitime dans la
mesure où elle peut être aussi récupérée, à terme, par des logiques de diffusion.
Concernant la critique du public, les règles du jeu sont ouvertement énoncées entre
171
le créateur et ses juges . L'acte de publication peut être considéré comme un acte de
reconnaissance, dès lors nous avons identifié comme critique du public les extraits publiés
dans la revue interne du TNP, Bref. Ainsi, en considérant que l'acte de juger peut se
concevoir comme l'affirmation ou la négation d'un rapport à la norme, nous remarquerons
que la trentaine d'extraits recensés juge de la valeur de l'oeuvre en établissant un rapport
avec une norme affective-il faut que je ressente un sentiment fort, si j'ai ressenti ce sentiment
l'oeuvre est belle-, une norme matérielle renvoyant aux éléments scéniques tels que le
167
168
169
170
Cf Annexe n°6 bis
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, l'économie des échanges linguistiques, p 207
Jean Vilar, Le Théâtre, service public et autres textes, p 49
171
44
Jean Fleury, Le TNP de Vilar, Une expérience de démocratisation de la culture, p139
Cf revue Bref, Annexe n°12
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
costume ou le décor : « Je commence à m'habituer à la scène dépouillée du TNP, mais
en ce qui concerne Lorenzaccio, on peut se demander si – en dehors des costumes (fort
beaux : le cardinal, à lui seul est un Philippe de Champaigne) quelques touches de couleur
172
n'auraient pas été nécessaires. » , ou encore une norme littéraire : « J'aurais conservé
la scène 3 de l'acte IV, et la scène 1 de l'acte V. Elles sont, il me semble, nécessaires à
173
l'intelligence de la pièce. »
Des éléments que nous retrouvons aussi dans la critique professionnelle et qui
permettent au créateur de réaliser quels aspects de son oeuvre peuvent être confrontés
au regard normatif du plus innocent des spectateurs. En revanche, deux seulement, sur
la trentaine recensés, mettent en avant une relation avec un créateur précédent, ce qui
permet de situer l'oeuvre dans l'histoire du champ théâtral. Ce rapport à l'histoire du champ
caractérise la critique des professionnels qui, sous couvert de son statut, utilise à bon
174
escient les instruments légitimes d'expression . En effet, les extraits tirés de la presse
spécialisée et non spécialisée analysés en première partie nous montrent que les références
aux mythes et aux grands noms qui fondent l'Histoire du théâtre, tels que Molière ou
Shakespeare, couvrent une grand partie de l'aspect normatif. Les rapports négatifs ou
positifs établis avec les normes historiques qui découlent de ces mythes sont fréquents et
participent au jugement critique.
« Mais disons que dans toute une partie de la pièce, il s'emploie trop à casser
les vers, à les parler au lieu de les lancer, à raisonner le texte, à découvrir la
pensée sous les mots, à “shakespeariser “ son héros. Ruy Blas n'est ni Hamlet
175
ni Richard. »
« Autre prétention : Ruy Blas serait une grande comédie de
176
caractère, une leçon profonde d'humanité, quelque chose comme du Molière . »
Dès lors, il est intéressant de noter que ce rapport à la norme édifiée par ces personnages
mythiques contribue à placer l'oeuvre du créateur dans l'histoire du champ. Et à le
faire entrer lui-même dans l'Histoire. Ainsi s'exerce le pouvoir symbolique de la critique
professionnelle : « Le pouvoir symbolique est en effet ce pouvoir invisible qui ne peut
s'exercer qu'avec la complicité de ceux qui ne veulent pas savoir qu'ils le subissent ou même
177
qu'ils l'exercent. » . Les créateurs ne veulent pas savoir qu'ils sont soumis à ce pouvoir
mais ils en restent forcément complices, acceptant de recevoir les prix ou les récompenses
qui consacrent leur entrée dans l'Histoire. Ainsi, Jean Vilar reçoit en 1954 le prix Molière qui
consacre son oeuvre Don Juan et la place parmi les oeuvres qui ont reçu une récompense
178
de la sorte . Le créateur marque l'histoire théâtrale en se distinguant des autres. Les juges
de la critique professionnelle révèlent et imposent cette norme historique dans la production.
Le caractère arbitraire de la norme est complètement effacé puisque les créateurs acceptent
les règles du jeu. Certes, il convient de prendre garde aux généralités, mais dans une
configuration où le créateur est lié inévitablement aux intérêts politiques et financiers, il
172
173
174
Cf Annexe n°12
Cf Annexe n°12
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, l'économie des échanges linguistiques, p107
175
Jean Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°1
176
Roland Barthes, Théâtre Populaire, Cf Annexe n° 4
177
178
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, l'économie des échanges linguistiques, p 202
Cf Annexe n°5 bis
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
est probable qu'il recherche à contre-balancer cet aspect en trouvant les moyens d'une
consécration « purement »artistique, théâtrale.
Ainsi, les relations publiques et la communication qui permettent l'élaboration d'une
critique du public déplacent le seuil de jugement mais ne suppriment pas celui de la critique
professionnelle qui dispose des outils normatifs pour le conserver. Ce dernier seuil peut en
outre apparaître comme un véritable contrepoids au nouveau seuil qui crée des normes de
diffusion dont les répercussions ont leur importance.
En effet, il reste à souligner que les relations publiques et la communication, à
travers leurs répercussions commerciales et publicitaires notamment, créent des normes
de diffusion qui imposent un cap inédit à franchir pour le créateur. Si ce dernier considère
que le public peut être juge, il se heurte aux normes de diffusion imposées et révélées
par l'espace médiatique. Il serait illusoire de croire que le public réussit à révéler et
imposer une norme au créateur de manière pérenne. Le cas du TNP, nous l'avons souligné,
correspond à une disposition particulière où le créateur accepte de considérer les normes
révélées par le public. Cette configuration peut se répéter dans l'histoire du champ mais
s'accompagne désormais inévitablement des normes de diffusion auxquelles le créateur
ne peut déroger dans la mesure où il accepte de faire une place au public en utilisant
les moyens de communication et de relations publiques que nous avons identifiés. Pour
accéder au jugement public, il s'apprête à soumettre son oeuvre au regard médiatique qui
révèle et impose la norme de diffusion . Et cela peut transformer ce qui doit être dans l'oeuvre
pour être reconnu comme valable.
Le phénomène du vedettariat illustre cette disposition. Moins qu'un jeu d'acteur, la
norme de diffusion révèle et impose un physique, un sourire, comme ce qui doit être pour
être diffusé et reconnu comme valable. Certes le physique en question a su faire preuve de
ses talents d'acteur, toutefois il est indéniable que les techniques de relations publiques et
de communication utilisent la carte de l'amplification. Une technique qui peut contraindre à
la dénaturation de l'oeuvre, au moins dans son caractère collectif. L'histoire de la critique
dramatique a montré que les professionnels utilisaient cette focalisation sur tel ou tel aspect
179
de l'oeuvre pour qualifier sa dimension artistique . Cependant, il est important de souligner
que la norme de diffusion tend à réduire l'oeuvre avant l'acte du prétendu jugement public
alors que la norme artistique réduit l'oeuvre pendant l'acte de jugement, n'incluant donc pas
nécessairement une dénaturation de l'oeuvre.
Dès lors, la critique des professionnels réaffirme la légitimité de son jugement en
mettant en avant la possibilité d'atténuer les effets conduits par les normes de diffusion.
Ainsi, plusieurs extraits étudiés se composent dans la nuance, permettant de relativiser
l'échec ou le succès d'une oeuvre soumise par nécessité aux normes de diffusion :
« En ce qui me concerne, je ne porterai cependant pas un jugement
180
exclusivement négatif sur cet ouvrage » ou encore « Dans le concert d'éloges
qui a salué la nouvelle présentation du Théâtre National Populaire, des Caprices
de Marianne, d'Alfred de Musset, dans la «régie» de Jean Vilar je voudrais
181
apporter une note franchement discordante. »
Ainsi nous soulignerons que les normes auxquelles se référent la critique des professionnels
permettent de temporiser les effets de la diffusion. Les deux seuils coexistent et le créateur
179
Infra p29
180
Gabriel Marcel, Les Nouvelles Littéraires, Cf Annexe n°8
181
Pierre-Bernard Marquet, Les Caprices de Jean Vilar, Cf Annexe n°14
46
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
peut ainsi relativiser voire positionner l'échec ou le succès de son oeuvre. Dès lors, il
semblerait que le grand absent du jeu des normes reste le Public. Au même titre que le
créateur, il subit ces normes. Les relations publiques et la communication semblent pourtant
replacer cette entité au centre des transactions. Comment la critique des professionnels se
positionne-t-elle face au grand public ? Nous avons déjà souligné toute l'ambiguïté de la
réception de la production par le Public. Il semblerait que cette ambiguïté s'efface et laisse
place à une véritable coupure entre public et critique, révélée par un mouvement inverse à
celui des relations publiques. La conquête du public ne fait pas partie des enjeux motivants
pour les producteurs critiques. En revanche, pondérer la production et la réception d'une
oeuvre peut s'inscrire dans l'activité des professionnels. Le Public et ses réactions peuvent
être ainsi considérés comme une véritable entité vouée à l'arbitrage des juges.
2- Le Public, une entité vouée à l'arbitrage des juges
Il convient dans cette partie de mettre en avant un aspect des relations publiques et de la
communication que nous avons jusqu'à présent occulté. En effet il est certain que les dérives
publicitaires et commerciales de cette politique doivent être prises en compte, participant
d'une logique de diffusion indissociable de ce mécanisme. Toutefois, il convient également
de s'attarder sur l'aspect éducatif et pédagogique initial afin de mieux comprendre où
se situe la production des professionnels dans cette configuration et en quoi l'aspect
pédagogique apparaît désormais peu justifiable. Nous ne reviendrons pas sur les résultats
de cette politique mais nous nous attacherons à montrer en quoi cette comparaison nous
permet de mieux cerner pourquoi la production des professionnels ne s'inscrit pas dans une
logique de conquête du public mais privilégie l'arbitrage, position clef du jugement.
182
« L'art construit un monde » . Cette affirmation rappelle qu'il n'est pas donné à
chacun d'appartenir à ce monde et permet de comprendre les motivations d'une politique
de relations publiques. Comment faire pour multiplier les accès, permettre à ceux qui se
trouvent à l'extérieur de se retrouver à l'intérieur et de s'approprier les mécanismes qui le
régissent ? Donner les outils pour faciliter l'accès à l'art, apprendre à s'en servir de manière
autonome, telle est la mission éducative et pédagogique que fixe idéalement une politique
de relations publiques. Des motivations qui se traduisent par des initiatives concrètes au
TNP telles que les assemblées de jeunesse tenues deux fois par semaine pour évoquer
183
la création , le contact privilégié avec certains groupements tels que les syndicats ou les
184
écoles, ou encore la prospection des comédiens dans les cantines . Le terme « école
du spectateur » n'est pas encore énoncé mais les prémices se dessinent à travers des
mesures pédagogiques qui créent une relation de proximité avec un Public tant désiré. Dans
cette veine, le TNP se caractérise notamment pour son action envers la jeunesse qui fut
185
saluée à l'annonce du plan Malraux . Nous pouvons ainsi nous demander si la production
des professionnels peut servir d'outil pédagogique et être utilisée dans ce sens par les
méthodes de relations publiques. Cela supposerait une collaboration ouverte, permettant
aux producteurs d'assumer pleinement et directement leur rôle de guide.
182
183
184
185
Jean Caune, L'art du point de vue de la communication, p107
Jean Vilar, Le théâtre, service public et autres textes, p358
Simone Lacomblez, Jean Vilar ou le sens de la grandeur, p14
Le Monde, 10 avril 1959
LIMOGE Estelle_2008
47
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
Dès lors, deux initiatives nous interpellent, celle du journal interne des Amis du TNP
« Bref »et celle de la revue spécialisée Théâtre Populaire.
Dans la revue Bref, une tribune est consacrée au « libre point de vue d'un écrivain,
d'un critique ou d'un homme de théâtre quant au « climat » de la vie du théâtre à Paris.
186
»
Nous retrouvons ici la fonction distinctive de l'expert, le critique comme producteur
compétent reconnu par ses pairs. Ce support de communication adressé aux associations
de spectateurs met ainsi en valeur le regard critique dans une revue qui se compose à la
fois de paragraphes informatifs et d'encarts que nous pourrions qualifiés « d'opinions ».
Les articles critiques permettraient-ils de consacrer, de garantir la mission éducative en
proposant la voie de l'alternance au simple document informatif que pourrait supposer
l'existence d'un journal interne ? Rien n'est moins sûr, la collaboration entre critique, créateur
et relations publiques restent ambiguë et les positions difficiles à tenir dans une telle
configuration. En outre, les enjeux pédagogiques soulevés par la production critique se
situent très certainement vers un lectorat spécifique, celui des créateurs. En témoigne
l'épisode de la revue Théâtre Populaire, revue spécialisée déjà évoquée.
Théâtre Populaire a été fondée par l'éditeur Robert Voisin qui jusqu'en 1957 était
187
l'éditeur de la collection du répertoire des pièces jouées au TNP . Ainsi, l'Editorial du
numéro 1 de la revue précise : « Le dessein de cette revue est donc de ranimer dans
le Public la notion d'un retour de l'art dramatique à sa dimension originelle, et il est
trop certain que nous ne songerions même pas à nous atteler à une telle tâche si elle
n'était accompagnée d'exemples et fortifiée par les réalisations de quelques animateurs
188
de théâtre. » Pourtant la collaboration se solde par un échec. La préférence pour le
théâtre de Brecht s'impose de manière intransigeante dès le onzième numéro et accélère
189
les conditions de l'éloignement . Cet épisode nous révèle les difficultés que peuvent avoir
les agents, producteur critique et créateur, à maintenir une position cohérente lorsque
s'interpénètrent les enjeux éducatifs et promotionnels. Pour le créateur, il s'agit à la fois de
défendre son oeuvre dont les répercussions critiques se font connaître à l'intérieur de la
revue, mais aussi de continuer à défendre ses idées auprès du public par l'intermédiaire
de cette même revue, créée pour énoncer clairement ce que lui et ses collaborateurs ne
190
pouvaient pas dire . Certes, la diffusion de Théâtre Populaire est restée très limitée et
il n'est pas évident que celle-ci ait été envisagée comme un outil pédagogique, destiné
à donner des clefs de compréhension dans l'optique de pouvoir les utiliser de manière
autonome.
Cependant, cet épisode révèle la véritable mission pédagogique du producteur critique.
Une mission qui doit être accomplie en direction du créateur, et non du public. A diffusion
très limitée, l'existence de Théâtre Populaire est restée fragile. Pourtant, la revue a servi
191
plusieurs fois de véritable tribune utile aux producteurs critiques comme aux créateurs .
Annoncée dès l'éditorial n°1 comme un outil pour les professionnels, la revue soulève ainsi
la question d'une critique pédagogique, éducative dont le destinataire serait le créateur. En
186
187
188
189
190
191
Bref, n°7, 15 octobre 1955
Bernard Dort, La revue Théâtre Populaire, le brechtisme et la décentralisation, p127
Théâtre Populaire, n°1, 1953
Marco Consolini, Théâtre Populaire, 1953-1964 : Histoire d'une revue engagée
Marco Consolini, Théâtre Populaire, 1953-1964 : Histoire d'une revue engagée
Plusieurs « attaques » ont été formulées à l'encontre de Jean Vilar qui s'est finalement exprimé directement dans la revue
avec le texte Memorandum, Cf Annexe n°13
48
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
effet, en défendant le « brechtisme » la critique professionnelle a montré qu'elle préservait
son indépendance et cherchait à faire partager cette nouvelle forme théâtrale aux créateurs
contemporains : « Notre seul but, pour le moment, est d'aider à une connaissance de
192
Brecht » rappelle le onzième numéro de Théâtre Populaire . Qualifié de «dogmatisme »
ou de « terrorisme » brechtien, la leçon reste difficile à entendre pour des créateurs qui
apparaissent comme des élèves attentifs mais réactifs.
Dès lors, la seule manifestation à l'égard du Public qui apparaît comme légitime,
car justifiée par un statut d'expert ou de professionnel, reste celle de l'arbitrage. En
effet, la critique des professionnels n'a pas les moyens de s'inscrire dans une démarche
pédagogique à l'égard du public mais elle peut utiliser cette entité pour pondérer production
et réception de l'oeuvre d'art. La faculté de juger peut se définir comme celle de décider en
qualité d'arbitre. En faisant référence à des oeuvres plus anciennes, à d'autres créateurs,
la critique arbitre entre différents éléments de la production de l'oeuvre. Sa position lui
permet également d'arbitrer entre production et réception, entre éléments de la création
et réaction du public. Le critique professionnel n'est pas un spectateur privilégié, il est audessus, détaché des spectateurs.
Une position qui est connue et reconnue par le créateur :
« Le public est un monstre et un être vivant qui digère (...). Les comédiens savent
très bien que le seul être qui ne change pas et ne s'intègre pas à l'ensemble, c'est
le critique. Il est détaché, il est autre, il n'oublie ni ses souvenirs d'école, ni ses
réminiscences littéraires, ni son jugement, ni ses opinions politiques, c'est à dire
193
une sorte de garde à vous intellectuel, qui est son arme et sa défense. »
Ainsi, nous retrouvons cet arbitrage à l'intérieur de la production, diffusée à la fois dans
la presse spécialisée et non spécialisée. Il révèle le Public comme un outil de jugement
fournissant le deuxième plateau de la balance opposable au premier contenant des outils
plus « traditionnels » comme la référence historique, les critères esthétiques ou le jeu des
comédiens.
Concernant la pièce Le Crapaud Buffle, la production des Nouvelles Littéraires, revue
spécialisée, mentionne : « A partir de là, le spectateur est comme suffoqué par l'ennui et
aussi par une irritation croissante en présence de cette confusion, volontaire ou non. Il s'en
va plus fâché qu'il ne devrait être, car malgré tout , je tiens à la dire, cette pièce accablante
194
n'est pas nulle, loin de là. Quelques vaillants comédiens la défendent le mieux possible.»
Dans la même logique, la production critique du Parisien Libéré oppose les intentions de
l'auteur de la pièce aux réactions du Public afin de pondérer production et réception et
195
justifier un jugement positif et enthousiaste .
Dès lors, dans l'espace médiatique, la production des professionnels ne se distingue
pas en montrant comment faire pour accéder à l'oeuvre, la comprendre. Tout au plus elle
révèle les pistes possibles, envisageables. Un repère qui est d'autant plus apprécié et utilisé
par le lectorat fidélisé comme l'indique une spectatrice du TNP: « Pourtant-contrairement
à certains critiques écoutés-j'ai trouvé la représentation très agréable, homogène, et je n'ai
192
193
Cité par Bernard Dort, La revue Théâtre Populaire, le brechtisme et la décentralisation, p133
Jean Vilar, Le Théâtre, Service public et autres textes, p399
194
195
Gabriel Marcel, Les nouvelles littéraires, Cf Annexe n°8
Georges Lerminier, Le Parisien Libéré, Cf Annexe n°2
LIMOGE Estelle_2008
49
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
196
pas été gênée par le souvenir. » La spectatrice compare ici deux oeuvres qu'elle a eu
l'occasion de voir représenter. Elle utilise le terme « souvenir » pour inscrire la nouvelle
création dans l'histoire du champ. Du haut de sa compétence, elle se place ainsi elle-même
en position de producteur critique. Ce témoignage aborde un aspect particulier du « pacte
de lecture » qui réside entre le producteur critique et le lectorat.
En effet, ce pacte sous tend une vision quasi-magique de la réception de l'oeuvre.
Il suppose une réception immédiate de l'art, à l'image des politiques culturelles qui ont
souhaité une rencontre entre l'oeuvre et le public, soutenant que tout public est apte à
accéder immédiatement le sens de l'oeuvre. La production des professionnels critiques
semble en effet se construire la plupart du temps en partant du principe que tout homme
possède la faculté de saisir l'art et de l'intégrer dans son expérience personnelle sans
197
avoir recours à une technique particulière de compréhension . Ainsi, il apparaît que les
producteurs fournissent une critique dont les enjeux ne sont réellement compris que par
celui qui a vécu une expérience similaire à la leur. Dès lors, qui saisit l'art et l'intègre dans
son expérience personnelle mieux que le créateur lui-même ? Il convient en effet de rappeler
un élément du lectorat trop souvent oublié : le créateur. Un élément primordial qui pourrait
définitivement confirmer l'activité du producteur critique reconnue comme telle, soit utile au
processus de création.
C- Producteurs critiques et créateurs : l'inévitable
mariage de raison
Ainsi, nous montrerons dans cette dernière partie comment les liens entre producteur
critique et créateur permettent d'affirmer l'activité du producteur critique dans le champ
théâtral. Appartenant à la même communauté linguistique, ils se comprennent, se
reconnaissent, se valorisent. Un échange mutuel qui renvoie à des intérêts communs :
l'oeuvre et la création. Dans l'art de communiquer sur l'art, la place du critique dramatique
permet de valoriser ce qui n'est pas mis en avant par les techniques de relations publiques
et de communication. Entre valeur marchande et valeur artistique, la frontière devient flou.
L'oeil critique veille et rappelle au créateur où se situe les règles du jeu. Pour le meilleur
comme pour le pire. Comme nous l'avons défini dans la terminologie, le créateur renvoie à
l'artiste reconnu comme tel. Metteur en scène, acteur, les positions de deux créateurs du
TNP seront évoquées. Nous compléterons également notre analyse avec les témoignages
de deux précurseurs du théâtre national populaire, metteurs en scène connus et reconnus.
1-Se reconnaître et croire en l'autre : les bases d'une relation durable
« Disons sommairement qu'ils écrivent moins sur le théâtre que dans le théâtre.
198
Le critique dramatique est en réalité partie intégrante de l'activité théâtrale. »
Cette remarque de Bernard Dort, producteur dans la revue Théâtre Populaire, nous
invite à considérer la participation du critique à la vie théâtrale, et notamment les
196
197
198
50
Cité dans la revue Bref,Cf Annexe n°12
Concernant la notion de réception immédiate de l'art, Cf Jean Caune, L'art du point de vue de la communication, p110-111
Bernard Dort, Théâtre Public, Essais de critique, p 9
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
relations entretenues avec le créateur. Pour retrouver la trace des producteurs critiques et
comprendre la position qu'ils occupent rien ne vaut en effet les réactions écrites ou audio des
199
créateurs à l'égard de ce corps de professionnels . La production critique telle que nous
l'avons définie est effectivement réalisée dans l'espace médiatique mais ses producteurs
sont identifiés avant tout par leurs pairs du secteur théâtral qui donnent un sens et une
reconnaissance à leur activité. Les créateurs consacrent l'activité du critique en lui donnant
de la valeur en tant que corps professionnel mais également en distinguant les individualités.
En effet, la scission repérée entre la presse spécialisée et la presse non spécialisée est
nommée et reconnue par les créateurs qui donnent alors plus ou moins de valeur à telle ou
telle production. Cette hiérarchie ainsi établie montre que la production critique est reconnue
comme telle. Elle est porteuse de sens pour les créateurs et symbolisent les enjeux du
champ théâtral, comme la lutte entre le théâtre de l'argent et le théâtre dit « populaire » ou
celui d'avant-garde.
Ainsi, nous retrouvons dans les prises de parole des créateurs les noms de ceux qui
représentent cette scission et la symbolisent. La critique « d'humeur » propre à la presse non
spécialisée restent peu valorisée par le créateur partisan du théâtre populaire ou du théâtre
d'avant-garde : « L'histoire de la critique théâtrale est jalonnée depuis la querelle du « Cid »
200
d'erreurs parfois voulues, souvent de bonne foi, je veux dire : de sarcéismes » . Le terme
« sarcéisme » fait de toute évidence référence à Francisque Sarcey, journaliste précurseur
de ce type de production. En s'adressant aux producteurs de la presse non spécialisée, le
créateur met également en exergue le décalage entre les deux types de critique : « Quand
Gautier est d'accord avec nous je ne dis pas : j'ai fait du mauvais travail; je ne dis pas non
plus, quand d'aventure vous êtes d'accord avec Gautier qui est d'accord avec nous, que
vous vous êtes trompé. Vous faites là de la critique d'humeur. Et sur ce plan, Gautier me
201
semble-t-il est plus utile que vous. » Jean-Jacques Gautier est en effet le représentant de
cette production critique dont la valeur est souvent dénigrée par les partisans d'un théâtre
populaire ou d'avant garde puisque sa production est associée à celle du théâtre de l'argent,
s'illustrant comme le défenseur du Boulevard et feuilletoniste. Un dénigrement qui peut
prendre des traits cinglants, à l'image des propos tenus par un créateur d'avant garde à
202
l'encontre de ce dernier « Bartholoméus III n'est qu'un sot sans pédanterie. »
Cette hiérarchie ainsi établie par les créateurs peut se concevoir dans la mesure où
203
critique et créateur appartiennent souvent à la même communauté linguistique . Ils portent
un certain intérêt aux mots, leur donnent une valeur spécifique qui ne peut uniquement
être entendue et comprise comme telle par les membres de la communauté. Certains
mots prennent alors une dimension symbolique. Ainsi, pour le créateur comme pour le
critique, l'adjectif qualificatif revêt une dimension symbolique forte dans la mesure où il
peut caractériser à lui seul la réussite ou l'échec de l'oeuvre. En témoigne la réaction
d'un créateur à la suite de l'utilisation de certains adjectifs par la critique pour qualifier sa
pièce. Il souhaite donner ici une leçon aux producteurs en leur faisant prendre conscience
de la valeur associée à ces termes : « Si j'accède au haut rang de critique dramatique
199
Cf revues suivantes : Théâtre Populaire, Arts
200
201
202
203
Jean Vilar, Arts-Paris, Cf Annexe n°6
Jean Vilar, Memorandum, Cf Annexe n°13
Bartholomeus III désigne Jean-Jacques Gautier dans la pièce de Ionesco, L'impromptu de l'Alma, p56
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, l'économie des échanges linguistiques, p18
LIMOGE Estelle_2008
51
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
(...), j'éviterais au soir et dans la nuit de cette première communion dont je parle l'adjectif
204
insignifiant, l'adjectif maladroit , l'adjectif incommunicable. »
Dès lors, nous remarquerons qu'à travers cet échange, les créateurs dotent la
production critique d'un véritable pouvoir symbolique. « L'efficacité symbolique des mots
ne s'exerce jamais que dans la mesure où celui qui la subit reconnaît celui qui l'exerce
205
comme fondé à l'exercer. » En effet, les créateurs reconnaissent aux producteurs critiques
et à leur production le pouvoir d'imposer une certaine vision de l'art qui dépasse parfois
les limites du raisonnable, atteignant une dimension quasi «magique ». Dans les propos
étudiés, la croyance reste intacte : la critique dramatique aurait le pouvoir de faire et défaire
la réputation d'une oeuvre. De nombreux travaux mentionnent pourtant que la plupart des
campagnes de presse menées à cette époque l'ont été à l'initiative de simples journalistes,
206
les critiques dramatiques étant le plus souvent du côté des créateurs . Dans la croyance
collective du champ théâtral, il reste néanmoins flagrant que la production critique est
associée à ce pouvoir symbolique, consacrant ses producteurs comme de véritables juges
aux décisions irrévocables :
« Au lendemain de la répétition générale de Lear, paru un certain nombre d'articles ou
en quelques lignes, mon spectacle, le spectacle présenté chez moi était jugé, condamné
207
et pratiquement interdit. »
Charles Dullin, précurseur du théâtre populaire et maître à
penser de Jean Vilar, reproche ainsi à la production critique d'avoir sabré sa nouvelle oeuvre
et ce de manière vive et irréfutable. Des paroles qui font étrangement écho à celles de Jean
Vilar, prenant la plume quinze ans après M. Dullin pour souligner le rejet par la critique de
sa nouvelle pièce présentée au théâtre d'essai Récamier : « Au théâtre, les choses sont
jugées et de suite, définitivement. C'est d'une injustice effroyable.(...) Pourquoi le critique
dramatique est-il contraint à l'actualité, qui le presse ? Le théâtre a l'éternité devant soi :
208
pas le Critique dramatique ? » . Le pouvoir du jugement fait illusion et provoque une des
craintes les plus terribles chez les créateurs : celle de ne pas durer et d'être éliminé sans
avoir eu le temps de faire ses preuves.
Comme nous l'avons souligné, la production critique construit un seuil que se doit de
209
franchir le créateur pour inscrire son oeuvre dans la durée . Il paraît difficile de supprimer
définitivement ce seuil même si les moyens de la lutte sont engagés. Les moyens matériels
et symboliques ne suffisent pas complètement à briser l'illusion du jugement car au-delà des
enjeux financiers, les techniques de diffusion apparaissent comme fondées sur la croyance
d'une production critique intermédiaire entre le public et l'oeuvre :
« Quoiqu'il en soit, le Théâtre National Populaire jouera et soutiendra
jusqu'à l'extrême limite de ses moyens -financiers et autres- toutes oeuvres
nouvelles à Récamier. Nous ne demandons qu'une petite chose aux Critiques,
non pas d'admettre qu'ils sont sujets à l'erreur mais seulement de ne pas
204
205
206
207
208
209
52
Jean Vilar, Arts-Paris, Cf Annexe n°6
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, l'économie des échanges linguistiques, p119
Cf Travaux de Didier Plassard, article Jeanne Laurent , émission Le masque et la plume, 13 juillet 1975
Charles Dullin, 1945, diffusé dans Le masque et la plume, émission enregistrée le 13 juillet 1975
Jean Vilar, Arts, Cf Annexe n°6
Infra p59
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
créer d'obstacles entre un écrivain nouveau et le public amateur d'oeuvres
210
nouvelles. »
.Certes, à un niveau élevé, les effets de la diffusion peuvent tendre à réduire le seuil, comme
le montre le phénomène du vedettariat où l'impact sur le public est tel que la production
critique est diluée ou reléguée dans des sphères spécialisées. Pour autant, la figure du juge
persiste, surtout lorsqu'il s'agit d'oeuvre nouvelle, et même si des pistes d'ordre symbolique
sont lancées par les créateurs. Soutenir l'idée d'une critique qui devrait être collaboratrice
211
du travail des créateurs et non pas examinatrice comme le fait Jean-Louis Barrault ,
également précurseur du théâtre populaire en France, témoigne de la dimension symbolique
donnée au jugement critique. Il s'agirait dès lors de mettre les producteurs critiques « dans
le coup », qu'ils suivent l'élaboration du travail des créateurs afin de ne plus envisager le
seuil comme un jugement sanction mais comme un jugement instructif, issu d'un échange
préalable où tous les éléments de la création sont connus. Reste à se demander si cette
démarche ne revient pas simplement à proposer une diffusion du travail de création qui
pourrait dès lors s'accomplir, et s'accomplit déjà dans la configuration étudiée, à l'aide
d'interviews ou de documents informatifs.
En outre, le pouvoir du jugement ne s'illustre pas uniquement à travers l'irréductibilité
du seuil mais également et peut-être surtout par le rôle intermédiaire que tient le producteur
critique entre l'oeuvre et le créateur. Un rôle qui prend parfois les traits du maître ou
du professeur comme le souligne ironiquement L'Impromptu de l'Alma, pièce qui attaque
212
les trois principaux producteurs critiques de l'époque . Cependant, ce rôle est connu et
reconnu par les créateurs et devient même primordial dans une configuration où le rôle d'un
intermédiaire entre le public et l'oeuvre n'existe pas.
« Cela dit, vous me croirez, je l'espère, si je vous assure que l'on vous lit avec profit.
Sur le plan de l'esthétique, les études que vous avez faites, et qui visaient notre théâtre,
ont été pour nous d'un aide précieuse. Vous avez défini notre « style de jeu », qui plus tard
213
deviendra pour vous le style Avignon, ou style TNP. (...) » lance Jean Vilar aux rédacteurs
de la revue Théâtre Populaire. Une relation qui affirme ainsi les enjeux de la création et
permet de nourrir un débat artistique souvent porteur, au-delà des différends.
2- Les termes du contrat : garantir le dialogue et la valeur artistique
de la création
Le producteur critique et le créateur travaillent sur un objet commun : l'oeuvre ou, plus
largement, la création. Leur relation se pense autour de cette oeuvre et leur débat s'alimente
de prises de position sur la création et la valeur donnée à cette création. Il convient dès
lors de souligner que la valeur artistique de l'oeuvre reste au coeur des discussions, la
valeur marchande qui pourrait lui être attribuée n'étant pas évoquée. Combien a coûté la
production, quel est le prix des places pour assister au spectacle sont des caractéristiques
« marchandes » de l'oeuvre qui ne sont pas, ou que très rarement, abordées par la
production critique. La valeur artistique prend une dimension symbolique qui s'illustre même
dans les produits « formatés » de la presse non spécialisée : « Jamais sans doute Don
210
211
Jean Vilar, Arts, Cf Annexe n°6
Paroles rapportées dans Le masque et la plume, émission radiophonique du 13 juillet 1975
212
213
Eugène Ionsesco, L'Impromptu de l'Alma
Jean Vilar, Théâtre Populaire, Cf Annexe n°13
LIMOGE Estelle_2008
53
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
Juan ne nous est apparu plus dépouillé, plus nu que dans cette mise en scène d'ombre
214
et de lumière. Les personnages et le reste prennent ici toute leur valeur. »
Pour le
lecteur et spectateur potentiel, la production montre ainsi que la rentabilité du déplacement
doit se mesurer en fonction de la dimension artistique de l'oeuvre. Après avoir énoncé
les qualités de la création en valorisant les techniques du théâtre telles que le jeu des
comédiens, le décor, la mise en scène, la dimension artistique de l'oeuvre ressort et permet
ainsi au producteur de conclure : « En résumé, ce Ruy Blas, même imparfait, vaut le
215
dérangement. »
Dès lors, l'utilité de la production critique doit être recherchée dans cette capacité
à mettre en exergue la valeur artistique de l'oeuvre. Une capacité qui prend toute son
importance dans une configuration où les relations publiques et la communication tendent
à confondre valeur marchande et valeur artistique de l'oeuvre. En effet, communiquer
sur l'oeuvre amène souvent à révéler la dimension marchande de celle-ci, concrétisée à
terme par l'achat de places ou d'un abonnement par l'éventuel spectateur. Les logiques
de diffusion tendent à remplacer la valeur reconnue comme une valeur artistique au sein
du champ théâtral par une valeur marchande. Ainsi, l'acteur Gérard Philipe est d'abord
reconnu pour son talent d'acteur par ses pairs puis sa valeur artistique se transforme en
valeur marchande, un talent estampillé dont le portrait se vend bien. La confusion s'avère
d'autant plus grande que des moyens similaires consacrent l'oeuvre en mettant en avant la
valeur marchande tout comme la valeur artistique. Insister sur la rareté du créateur peut être
utilisé pour gratifier l'oeuvre d'une valeur marchande comme d'une valeur artistique. Ainsi,
nous remarquerons que la production critique mentionne la valeur artistique de l'oeuvre en
mettant en avant l'unicité de son créateur : « Son Don Juan est sec, métallique, galvanique
216
(...) Son Don Juan témoigne d'une connaissance encore plus profonde de la théâtralité. » .
De manière similaire, le principe du vedettariat s'appuie sur l'unicité du créateur pour
accréditer l'oeuvre d'une valeur marchande et permettre une large diffusion de celle-ci.
Dès lors, les producteurs critiques se distinguent en garantissant la reconnaissance
symbolique de cette dimension artistique. Loin d'être de simples « voyageurs de
217
commerce »
, comme a suggéré un producteur avant de s'attirer la foudre de ses
confrères, il paraît évident que les producteurs critiques considèrent avant tout la valeur
artistique de l'oeuvre, ou du moins qu'ils souhaitent passer pour les garants de cette
dimension. En témoignent les reconnaissances contemporaines à la création symbolisées
sous forme de prix ou de récompenses. En créant le Prix Molière, le mensuel spécialisé Paris
Théâtre illustre ainsi cette volonté de se détacher d'une logique marchande et de se faire
connaître comme garant de la valeur artistique. A dimension commerciale, se rapprochant
d'une presse non spécialisée, le mensuel se dote ainsi d'une mesure symbolique rendant
crédible son action dans le champ théâtral. « Le prix Molière attribué hier pour la première
fois est une récompense symbolique, puisqu'il consiste en un biscuit de Sèvres reproduisant
notre grand comique sur son fauteuil. Il entend désigner le meilleur spectacle de la saison,
en considérant aussi bien la valeur littéraire de l'oeuvre que sa présentation plastique.
218
» répercute alors la presse écrite. En effet, l'article premier du règlement de la cérémonie
insiste sur la valeur artistique qui doit permettre de consacrer l'oeuvre en mentionnant que
214
215
Jean-Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°3
Jean-Jacques Gautier, Le Figaro, Cf Annexe n°1
216
217
218
54
Roland Barthes, Lettres Nouvelles, Cf Annexe n°5
Paroles rapportées dans Le masque et la plume, émission radiophonique diffusée le 13 juillet 1975
L'Aurore, 2 juillet 1954
LIMOGE Estelle_2008
II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
sont pris en compte la qualité propre de l'oeuvre montée, les mérites de la représentation
219
et de ceux de ces interprètes .
Certes, il est parfois reproché aux producteurs critiques de ne pas assez prendre en
considération les enjeux financiers qui pèsent sur un créateur dont les oeuvres sont de
fait vouées à supporter des contraintes marchandes. Dans la configuration étudiée, pour
continuer à créer, pour continuer à exister en tant que créateur, ce dernier peut être amené à
faire se confronter la valeur marchande et la valeur artistique. Une confusion qui conditionne
le processus de création et qui, dès lors, devrait être considérée par une critique capable
de révéler toutes les dimensions que suppose l'acte de création. Et de relativiser ainsi
son jugement en fonction des données empiriques, contraintes extérieures imposées au
220
créateur. « Nous sommes condamnés à produire trop et parfois trop vite. » , « Les frais
d'un théâtre sont tels que garder à l'affiche un spectacle qui ne fait pas de salles pleines
221
devient impossible. »
rappellent ces derniers à leurs juges. Il s'agirait ici de donner une
dimension symbolique à ce qui rappelle la valeur marchande de l'oeuvre en mentionnant
que les coûts matériels de production peuvent aussi être liés à la démarche proprement
artistique.
Cependant, nous relèverons que les producteurs critiques participent déjà à cette
démarche en prenant l'exemple de la dimension symbolique attribuée au terme « public ».
En effet, la recherche du grand public peut être comprise comme un élément qui accentue
la valeur marchande de l'oeuvre. Pourtant, il convient de rappeler que cette initiative naît de
l'idéologie d'un créateur qui souhaite conquérir un « public populaire » permettant à l'oeuvre
d'acquérir une valeur artistique d'autant plus grande qu'elle réussit à atteindre cet objectif.
Or nous remarquerons que cet objectif a été discuté de nombreuses fois par la production
critique, le terme populaire étant sujet à caution. Dès lors, nous signalerons que la dimension
artistique que suppose une telle initiative a été la mieux comprise et la mieux développée
222
par la production critique des années cinquante .
Les producteurs analysent l'oeuvre sous l'angle souvent évoqué dans les débats
artistiques et énoncé par le poète Paul Valéry : l'oeuvre est elle ou non conforme aux
intentions de son auteur. Il s'agit en effet de vérifier si l'action du TNP est valable
artistiquement dans la mesure où elle réussit ou non à réunir un public dit « populaire ».
Posant par là même les premières limites de la notion de démocratisation. Une oeuvre jugée
valable artistiquement peut-elle en effet convaincre un public populaire de la même manière
qu'elle a réussi à convaincre des fidèles, des compétents ? N'est-il pas risqué de s'orienter
sur une cette voie sans prendre garde à la velléité d'une telle action ? « Cette pièce peut
entraîner un public mal armé à confondre les signes extérieurs du théâtre et le théâtre lui223
même, par exemple l'intrigue et la tragédie, l'habit et l'homme, l'anecdote et l'Histoire. »
rappelle un producteur d'une revue spécialisée.
Les débats les plus éclairants sur la dimension symbolique que suppose la notion de
public populaire se logent ainsi dans une production critique florissante, allant des simples
224
remarques au sujet d'un public populaire « drôlement motorisé »
lors du festival de
219
220
221
222
223
224
Paris Théâtre, avril 1955
Jean Vilar, Théâtre Populaire, Cf Annexe n°13
Charles Dullin, 1945, cité dans Le Masque et la plume, émission radiophonique diffusée le 13/07/1975
Cf Réactions Jean Vilar dans revue Bref, n°7, 15 octobre 1955;
France Observateur, 28 mars 1957
Roland Barthes, Lettres Nouvelles, Cf Annexe n°4
Jean Fleury, Le TNP de Vilar, une expérience de démocratisation culturelle, p137
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55
L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
Suresnes en 1951 aux prises à partie plus directes comme dans la revue Théâtre Populaire.
Le soutien dogmatique au théâtre de Brecht par les producteurs critiques de la revue illustre
la recherche d'un art où la place symbolique du public doit être remise en question pour
225
donner à l'oeuvre une valeur artistique inédite.
Ainsi, les liens qui subsistent entre le producteur et le créateur montrent que la
production critique n'est pas dépassée par les techniques de relations publiques et de
communication. Certes, ce dialogue prend plus souvent les traits d'une querelle, d'une
agitation permanente que d'un véritable échange constructif. Créateurs et critiques se
reprochent mutuellement un manque de compréhension qui s'illustre par un éloignement,
des prises de positions qui s'entrechoquent ou accusent la distance. Pourtant nous
avancerons que se trouve ici la place du critique professionnel reconnu comme tel. A
distance avec le créateur, il s'en rapproche parfois, s'en éloigne souvent, mais reste dans le
jeu de la création. Il apporte un regard alternatif auquel continue de se soumettre le créateur.
Récepteur légitime du discours critique, le créateur consacre l'activité d'un expert, juge,
maître ou guide dont la disparition ne peut être uniquement l'effet des nouvelles méthodes
utilisées pour communiquer sur l'art. Cinq années avant le lancement du TNP à Chaillot,
l'animateur en voie de reconnaissance livre ainsi ses pensées lors d'une interview :
« Que pensez-vous de la critique ? Qu'apporte-t-elle d'effectif à l'animateur de
théâtre ? » « (...)Dans la mesure où elle est intelligente et studieuse, disons le
mot, la critique est précieuse. Dans la situation actuelle du théâtre, ce n'est pas
une boutade d'assurer que son rôle est aussi important que celui des directeurs
de salles. Rien de public, rien d'efficace et de longue portée ne peut être réalisé
226
sans sa clairvoyance et sa générosité (...) »
Un créateur qui ne pensait pas si bien dire...
Dans l'art de communiquer sur l'art, chacun trouve sa place, du chargé de relations
publiques, au professionnel de la critique, en passant par l'homme politique et le créateur
qui reste l'initiateur de cet échange. De l'expérience initiée au TNP, nous retiendrons que
l'espace médiatique, devenu véritable enjeu de lutte, est accaparé par les détenteurs de
capitaux divers. Les méthodes publicitaires et de relations publiques investissent leur capital
économique, il s'agit de favoriser l'accès à l'oeuvre par tous les moyens : miser sur la
vedette, créer l'événement : « Mais dans l'activité du théâtre populaire, à côté du spectacle,
227
il y a les chants, les danses, le veau froid (sourires) » attaque vigoureusement M. DebuBridel rapporteur du budget des Beaux Arts devant le Conseil de la République en 1952.
Une classe politique qui n'est pas en reste et prononce également les mots qu'il faut « Dans
le domaine du théâtre, la IVe République laisse une oeuvre importante : Le Théâtre National
228
Populaire. » ... pour obtenir l'assentiment qu'il se doit « Qu'il me soit permis tout d'abord de
remercier publiquement le ministre d'Etat des mots extrêmement courtois qu'il a employés
229
à l'égard du Théâtre National Populaire. » Soulignons que le jeu en vaut la chandelle. En
225
La théorie de Bertolt Brecht dépasse les fondements aristotéliciens de la catharsis en proposant l'effet de la distanciation
où le public voit la cécité des personnages. Il n'y a plus de place pour la fascination magique de la scène. Le théâtre doit signifier
avant d'exprimer.
226
Jean Vilar, De la tradition théâtrale, 1946, p 52,53
227
228
229
56
Opéra, 16 et 22 janvier 1952
Déclaration de M. Malraux, rapportées dans Le Monde, 10 avril 1959
Réponse de Jean Vilar, Le Monde, 11 avril 1959
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II- L'art de communiquer avec les créateurs : une réponse garantie par les producteurs critiques
misant sur l'art de discourir, les retombées peuvent s'inscrire directement dans la production
de l'oeuvre et servir les intérêts du capital investi.
« Le discours sur l'oeuvre n'est pas un simple adjuvant destiné à en favoriser
l'appréhension et l'appréciation, mais un moment de la production de l'oeuvre, de son sens
230
et de sa valeur. » Dès lors, les créations du TNP prennent une valeur politique pour
soutenir la grandeur de la France, une valeur économique pour remplir les salles, mais
également une valeur artistique pour combler les intérêts de ceux qui croient au pouvoir
symbolique de la création. Dans la configuration étudiée, le créateur semble vouloir se
détacher de l'importance qu'il accorde aux producteurs critiques, pourtant, un lien irréfutable
les rapproche : croire en l'art théâtral et à ses vertus, quelles qu'elles soient. Divertissant
pour les uns, véhicule de cohésion sociale pour les autres, l'implication et l'intérêt qu'ils
portent à l'art théâtral témoignent d'une croyance commune. Ainsi, le capital symbolique
accumulé par les professionnels de la critique dramatique qui s'exprime à travers les outils
que nous avons mentionnés leur permet d'être reconnus comme tels, dans leurs traits les
plus caractéristiques.
Les initiatives lancées au TNP révèlent les enjeux liés à la diffusion de la création
et montrent que tout se joue sur le fil de l'équilibre. Pour un créateur chef d'entreprise,
comme c'est le cas pour le TNP et comme c'est devenu le cas dans beaucoup d'institutions
théâtrales contemporaines en France et pour beaucoup de créateurs qui ne peuvent
échapper aux logiques marchandes, le choix de la diffusion s'impose comme une nécessité.
Même dans une structure subventionnée, les relations publiques et la publicité ont su trouver
leur place et témoigner de leur rentabilité. Qu'elle soit financière ou idéologique. Reste à
mentionner qu'en cas de restriction budgétaire, les postes des relations publiques et de
communication sont sujets à caution et deviennent les premiers éliminés. Une conséquence
inévitable, directement issue des lois de la communication d'entreprise, qui certes datent
des années quatre-vingts, mais dont les prémices se retrouvent dans les méthodes initiées
au TNP. Dès lors, il convient de tout miser sur le produit initial, de le revaloriser comme
il se doit. Lorsque celui-ci prend les traits d'une oeuvre théâtrale, le retour aux sources
s'impose, il faut faire au mieux avec un minimum de moyens. Dans une telle urgence,
les arguments les plus percutants sont utilisés pour apprécier le produit. En témoigne
l'épisode de février 1954 où la réduction des dépenses atteint fortement le TNP. Dans
l'espace médiatique, la production des professionnels de la critique dramatique apparaît
ainsi reconnue comme telle car utilisée pour ses traits spécifiques, à savoir une valorisation
alternative de l'oeuvre. L'argument esthétique du produit se cache dans la position de ses
producteurs « Robert Kemp, ici même, lui a vingt fois depuis ce temps apporté sur le plan
231
de la critique dramatique, l'hommage de ses encouragements » rappelle le journaliste qui
a mentionné les restrictions quelques lignes plus haut. Des encouragements qui prennent
toutes leur valeur lorsqu'ils sont incorporés aux méthodes de diffusion. Une place quelque
peu déroutante pour une production qui affiche son « indépendance » dans l'imaginaire
commun. Une place qui conditionne pourtant l'avenir de la production critique, en lui donnant
les moyens de se distinguer.
Ainsi, les paradoxes initiaux sont résolus et la confusion paraît moins grande. Depuis
les années cinquante, l'espace médiatique a évolué, s'enrichissant de nouveaux outils tels
que la télévision ou Internet. De nouvelles plates-formes pour de nouvelles confrontations
et pourtant les positions restent similaires. Les communicants en relations presse ou en
relations publiques ne remplacent pas ce qui est considéré comme de la critique dramatique
230
231
Pierre Bourdieu, Les règles de l'art, p 242
Cf Crise au Théâtre National Populaire, Jean Vilar pose la question de confiance, Le Monde, 2 février 1954
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
puisqu'ils se servent de sa production pour valoriser la leur. Le créateur est déçu par le
« papier » du journaliste car celui-ci ne signifie rien, ne vaut rien qui puisse être soumis
au regard des pairs mais aussi qui puisse être utilisé comme outil de communication.
L'adaptation laisse des traces, il est probable que ce que cherche le créateur se retrouve
plus facilement dans les tribunes spécialisées. En revanche, le prix du Syndicat peut être
utilisé comme tel, servant une « publicité » plus efficace. Utilisé pour convaincre les tutelles,
utilisé pour convaincre les pairs. Utilisé pour convaincre le grand public... le défi paraît
encore une fois plus que difficile, et peut-être dépassé.
La place tenue par la critique dramatique dans la communication artistique symbolise
toute l'ambiguïté d'un art tiraillé entre les impératifs marchands et ceux de la « création
pure ». Comment continuer à créer devant des fauteuils vides mais comment valider sa
diffusion en se passant d'une caution « artistique ». Des interrogations qui ne sont pas
propres à l'art théâtral et qui s'illustrent également dans le cinéma. Compagnons de fortune,
le théâtre et le cinéma s'affichent déjà ensemble dans les pages du Figaro des années
cinquante. « Sur la scène, à l'écran » titre la rubrique des spectacles. Pourtant, il semblerait
que la technique soit mieux rodée, voire mieux assumée dans le septième art. A l'heure
actuelle, les blockbusters n'ont qu'à bien se tenir, l'oeil de la critique « nouvelle vague »
veille et consacre un film d'auteur au festival de Cannes. Une cérémonie qui n'empêchera
sans doute pas le blockbuster de faire un nombre d'entrées supérieur au film d'auteur. Le
théâtre a rêvé son public populaire, le cinéma l'a consacré. La réponse est à chercher entre
l'oeuvre et son créateur nous répondrait un critique bien informé.
58
LIMOGE Estelle_2008
Bibliographie
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Ouvrages
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
Association Internationale des critiques de théâtre [Consulté en avril, mai, juin 2008] :
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Institut National de l'AudiovisuelEmission radiophonique Le masque et la plume :extraits
des émissions du 17/06/1956, 07/03/1957, émission intégrale du 13/07/1975
[Consulté en mai 2008]: http://www.ina.fr/
Syndicat national des journalistes, premier syndicat français des journalistes [Consulté
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Site du Théâtre National Populaire, Villeurbanne [Consulté en avril 2008] : http://
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LIMOGE Estelle_2008
Annexes
Annexes
Sources : Maison Jean Vilar, Avignon : microreproductions des recueils de presse constitués
par le département des Arts du Spectacle, Bibliothèque Nationale de France, Paris, 1979
Bibliothèque Municipale de la Part Dieu, Lyon
Bibliothèque Université Lumière Lyon 2, Bron
Textes analysés dans le cadre de la production critique et de ses producteurs
n°1 : Ruy Blas, Jean-Jacques Gautier , Le Figaro, 27 février 1954
n°2 : Au TNP, Ruy Blas...ou le triomphe du romantisme populaire, Georges Lerminier,
Le Parisien Libéré, 2 mars 1954
n°3 : Don Juan de Molière au TNP, Jean-Jacques Gautier, extrait du Figaro, 4 février
1954
n°4 : Ruy Blas, Roland Barthes, Théâtre Populaire, mars-avril 1954
n°5 : Le silence de Don Juan, Roland Barthes, Lettres Nouvelles, février 1954
n°6 : Messieurs les critiques vous êtes cruels, c'est mauvais signe, Arts-Paris, 11
novembre 1959
n°7 : Jean Vilar vous êtes injuste, ce n'est pas bon signe, Libération, Paris, 13 novembre
1959
n°8 : Un crapaud qui veut se faire aussi gros que le buffle, Les Nouvelles Littéraires,
Paris, 5 novembre 1959
n°9 : Bravo André Malraux, mais un théâtre n'est pas un musée, Gabriel Marcel,
Les Nouvelles Littéraires, Paris, 16 avril 1959
n°10 : Apports et dangers du plan Malraux, Paul Morelle, 10 avril 1959,
n°11 : Extraits du journal Le Monde sur le plan Malraux, 10, 11 avril 1959
n°12 : Quand un public juge son théâtre, extraits du journal Bref, avril 1959
n°13 : Memorandum, Jean Vilar, extraits, Théâtre Populaire, n°40, 1960
n°14 : Les Caprices de Jean Vilar, Pierre-Bernard Marquet, Combat-Paris, 26 décembre
1958
Illustrations
n°1 bis : Programmation du Théâtre National Populaire, Jean Vilar 1951-1963
n°2 bis : Gérard Philipe en province...
n°3 bis : The Montreal Stars ou le phénomène du vedettariat
n°4 bis : Paris Théâtre, page de couverture
n°5 bis : Paris Théâtre, le prix Molière
n°6 bis : Le questionnaire TNP
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L'art de communiquer sur l'art : quelle place pour la critique dramatique ?
n°7 bis : Les Caprices de Marianne, un titre d'actualité, France Soir
n°8 bis : Théâtre Populaire, une revue spécialisée, page de couverture
n°9 bis : Lettres Nouvelles, une revue spécialisée, page de couverture
n°10 bis : Bref, page de couverture
n°11 bis : Les producteurs, éléments biographiques
/!\ Ces documents sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon /!\
Résumé
« Relations presse, relations publiques », les services de communication occupent
aujourd'hui une place de choix dans les structures culturelles. Leurs acteurs proposent
un discours sur l'oeuvre d'art qui monopolisent l'attention des médias et semblent contrer
la plume acerbe d'une critique mal attentionnée. Pourtant, dans le champ théâtral
contemporain, la figure du critique dramatique rôde toujours et s'exprime à travers les Prix et
autres récompenses symboliques qui ne laissent pas indifférents les créateurs mal connus,
connus ou reconnus. Dès lors, qui maîtrise l'art de communiquer sur l'art ? En revenant sur
une période charnière, la France des années cinquante, ce travail soulève les enjeux de la
communication artistique dans un secteur où s'affrontent sans cesse positions idéologiques
et impératifs financiers. La construction d'une véritable politique des publics au Théâtre
National Populaire à Chaillot de 1951 à 1963 sert de fil conducteur à l'analyse et révèle les
ambiguïtés liées à la diffusion artistique et autre phénomène de vedettariat. Dès lors, les
professionnels de la critique dramatique apparaissent comme les véritables garants de la
valeur artistique. Le Public, grand absent du jeu des normes, reste un simple élément du
débat esthétique et ne trouve pas sa place dans l'art de communiquer sur l'art.
Mots Clefs
Champ théâtral, Critique dramatique, Relations publiques, Communication artistique,
Pouvoir symbolique, Théâtre National Populaire, Journalisme Culturel
64
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