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Université Lyon 2
Année universitaire 2006-2007
Institut d'Études Politiques de Lyon
Les politiques culturelles de Bron : actions
publiques et associatives d’une ville de la
banlieue lyonnaise
Gaëlle GLOPPE
Section politique et administration
Séminaire Espace public, culture et politique
Sous la direction de Bernard LAMIZET
Soutenu en septembre 2007 -
Jury : Max SANIER
Table des matières
REMERCIEMENT . .
Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain :
enjeux politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique . .
I. Du village du Dauphine à la ville de la banlieue lyonnaise . .
e
e
A. Du XIX au début du XX siècle: modernisation et mutation urbaine au contact
de Lyon . .
B. De la Première Guerre Mondiale aux Trente Glorieuses : une annexe de Lyon
sans âme . .
II. La reconquête du tissu urbain (1970-2007) . .
A. Les années Sousi : à la conquête du statut de ville . .
B. Les années Queyranne : la valorisation du nouveau Bron . .
C. Bron aujourd’hui . .
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre
cohésion sociale et identités urbaines . .
I. La culture municipale : politique sociale ou instrumentalisation politique? . .
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A. Origines et enjeux de la politique culturelle à Bron : des besoins locaux à
l’idéologie partisane . .
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B. Une politique sociale : démocratisation culturelle et développement du tissu
urbain . .
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C. Une politique culturelle face à la concurrence : une nouvelle politique élitiste de
l’art ? . .
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II. L’action culturelle des associations : une politique de la proximité fondée sur la culture
populaire . .
A. Un tissu associatif étendu et puissant . .
B. Une politique associative qui complète l’action municipale ? . .
C. La dépendance à la municipalité : un obstacle ? . .
D. A la recherche d’une démarcation vis-à-vis de la municipalité . .
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit . .
I. Des éléments de ralliement identitaire . .
A. Fête à Bron et rassemblement populaire . .
B. Lieux de culture, lieux de mémoire . .
II. Le problème non résolu de la démocratisation culturelle . .
A. Un réseau d’équipements culturels peu adapté au territoire ? . .
B. La marginalisation grandissante des populations de la périphérie . .
C. Un accès à l’offre culturelle coûteux . .
III. Le manque de démocratie culturelle . .
A. La domination de la municipalité . .
B. Une identité culturelle imposée ? . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Bron : Histoire, culture et politique . .
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Supports électroniques . .
Sources Internet . .
..
Annexes . .
Annexe 1 : Plan de Bron . .
Annexe 2 : Entretiens . .
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REMERCIEMENT
REMERCIEMENT
Je remercie Bernard Lamizet pour ses bons conseils et ses idées.
Je tiens à remercier également Colette Périnet, Mme Vallet, Fabrice Doddon, Martine
Chevalier, Gisèle Bertrand pour leur amabilité et leur disponibilité.
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Première partie : de l’éclatement de
l’identité brondillante à la reconquête du
tissu urbain : enjeux politiques, urbains
et sociaux d’une ville périphérique
e
Petit village du Bas-Dauphiné établi au XIII siècle, la paroisse de St-Denis de Bron s’est
développée au fil des siècles grâce à la proximité de Lyon. Malgré son rattachement
administratif à l’Isère, le village de Bron, situé au sud-est de l’agglomération lyonnaise,
a subi l’influence économique et politique de la capitale rhodanienne. Cette dépendance,
e
qui s’observe depuis le Moyen-âge, s’est accrue jusqu’à provoquer au XIX siècle une
transformation radicale du petit village. La vie quotidienne des Brondillants était alors
concentrée autour des activités économiques (agricoles et viticoles) et religieuses. L’église
St-Denis, autour de laquelle le village s’est construit, constituait le centre politique, religieux
et social de la commune. La place de l’église a longtemps été le point d’ancrage de l’identité
brondillante.
Il est important d’étudier les mutations qui ont bouleversé Bron dès le début de sa
transformation urbaine, afin de comprendre les enjeux qui sous-entendent les politiques
culturelles menée par les municipalités successives depuis 1945. En effet, le territoire
e
brondillant, uni et refermé sur lui-même avant le XIX siècle, opère une transformation
urbaine rapide, qui engendre un éclatement du territoire et de l’identité brondillante, jusque
là marquée par les activités agricoles. Les mutations urbaines et sociales subies par Bron
e
e
au cours des XIX et XX siècles, au contact de Lyon, ont été fondamentales dans la
structuration de l’identité et du territoire de la commune. Les résultats de cette construction
urbaine ont fait de Bron une banlieue dortoir à l’aube des années 1970, une ville sans âme
et sans cohérence. A partir de cette période, les politiques de la ville tentent de reconquérir
le tissu urbain, condition sine qua non de la cohésion sociale et de la création d’une nouvelle
identité locale.
I. Du village du Dauphine à la ville de la banlieue
lyonnaise
e
D’un petit village d’agriculteurs à l’aube du XIX siècle, Bron est devenue une banlieue
e
dortoir au milieu du XX siècle. La croissance lyonnaise et sa proximité avec Bron ont
entraîné deux phases d’urbanisation. La première modernise le village et opère des
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Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
mutations sociales et économiques importantes. La seconde transforme la ville en banlieue
dortoir.
e
e
A. Du XIX au début du XX siècle: modernisation et mutation urbaine
au contact de Lyon
Si les transformations politiques et culturelles de la Révolution Française touchent le village,
les relations avec Lyon entraînent une mutation économique et sociale, mais également une
modernisation urbaine et l’apparition de nouveaux équipements sur le territoire communal.
1) Les modifications administratives apportées par la proximité lyonnaise
a. Une délimitation des frontières
e
Le XIX siècle marque la précision des frontières de Bron, avec un premier plan cadastral
levé en 1812. Les problèmes de territoire avec les communes voisines sont réglés par
l’extension de Lyon. En effet, les limites de la ville sont rapidement matérialisées par les
nouvelles voies de communication. Bron est délimité à l’ouest par le chemin du Vinatier,
longé par l’ancien domaine rural de la Grange des Tours, qui le sépare de Lyon. Au
nord, la frontière avec Vaulx-en-Velin est matérialisée par le chemin de Genas. Au sud, la
délimitation entre Bron et Vénissieux est marquée par ce qu’il reste de la grande forêt du
1
Velin . Enfin, le chemin de la Veyneuse sépare le village de Chassieu à l’est. Le village
accueille depuis le règne de Louis XV la route nationale, ou route de Grenoble, qui le divise
en deux.
b. Le rattachement administratif au département du Rhône
2
Malgré l’importante proximité de Lyon, Bron demeure rattaché à l’Isère . L’éloignement des
capitales cantonales est problématique dans la gestion des affaires du village. En 1837,
soixante-douze Brondillants adressent une pétition au Secrétaire d’Etat du Département
de l’Intérieur pour modifier cette incohérence administrative. Le 24 mars 1852, le village
est enfin rattaché au département du Rhône, canton de Villeurbanne. Les relations
économiques avec Lyon deviennent primordiales à cette époque. Cependant, on ne peut
affirmer que Bron se sentait plus proche de Lyon en terme d’identité territoriale, car elle a
longtemps été rejetée par cette ville à cause de son appartenance au Dauphiné, et non
3
au Lyonnais . Ce changement administratif modifie les relations entre la ville-centre et le
village, accélérant le processus de transformation urbaine.
2) Les transformations de la vie quotidienne
a. La première poussée démographique
1
La forêt du Velin, qui a longtemps permis aux Brondillants de vivre, a été progressivement démantelée, par la construction des
voies de communication et la destruction des forêts royales pendant la Révolution Française.
2
3
Ce rattachement administratif est dû à la présence de Bron sur le Dauphiné.
Outre les clivages entre citadins et ruraux, les Brondillants étaient également considérés comme des « étrangers » car ils n’étaient
pas Lyonnais mais Dauphinois.
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
e
Les transformations sociales les plus spectaculaires qui bouleversent Bron au cours du XIX
siècle concernent sa formidable évolution démographique. La population est pratiquement
multipliée par dix au cours du siècle. De 447 habitants en 1801, le village passe à 852 en
e
1836, puis à 1605 en 1896. Il fait son entrée dans le XX siècle avec 2665 habitants et
4
finit par en atteindre 4160 en 1911 . La prise de Lyon par les Autrichiens en 1814, que les
Brondillants ont dû nourrir et héberger, sa croissance urbaine, le développement industriel
de l’agglomération, notamment dans l’est-lyonnais sont les facteurs de cette croissance
démographique, la première dans l’histoire de la commune.
b. Modernisation des infrastructures et nouveaux réseaux
e
A partir de la deuxième partie du XIX siècle, le village de Bron subit une modernisation
importante de ses infrastructures, qui va participer à sa transformation urbaine. Ces
transformations bouleversent la vie quotidienne des Brondillants : un réseau d’adduction
d’eau potable en 1858, un réseau d’éclairage par réverbères à gaz en 1906, l’arrivée de
l’électricité en 1912… La première mairie construite est inaugurée en 1907 et la chapelle
de St-Denis est rénovée en 1851.
Cependant, les transformations majeures qui s’opèrent sont dues à l’arrivée du
transport en commun, qui modifie considérablement les rapports que les Brondillants ont
avec Lyon, puisqu’ils peuvent dorénavant accéder rapidement au centre-ville. Jusqu’alors,
les seuls moyens de le relier étaient la marche ou la charrette, ce qui freinait les relations
commerciales. Dès 1862, un service privé de voitures à chevaux est mis en place sur la
commune. Malgré un financement important de la municipalité, il est de courte durée. Entre
temps, Lyon opère une révolution des transports sur son territoire, avec l’apparition de
services de transports en commun dès 1837. Le 5 juillet 1889, la ligne de voitures sur rails
numéro 24, qui relie le Pont Lafayette à l’Asile de Bron, est inaugurée. Elle est prolongée
neuf ans plus tard jusqu’à Bron-village, c’est-à-dire avenue Camille Rousset, puis sur la
route nationale, à côté de la nouvelle mairie. L’arrivée de ce nouveau mode de transport est
un changement radical pour la population, car il est moins coûteux et plus confortable.
c. Le recul des agriculteurs : l’apparition de nouvelles activités
e
Au XIX siècle, les Brondillants vivent principalement de la terre. Les activités agricoles et
viticoles sont les plus importantes. La place des agriculteurs ne cesse pourtant de reculer,
e
pour disparaître au cours du XX siècle. En 1866, ils sont encore 214 à vivre et à travailler
sur la commune, soit 20,5% de la population totale, contre quarante et un rentiers et dix-neuf
commerçants. Une trentaine d’industries diverses apparaissent sur la commune. En effet,
la modification des structures économiques transforme le paysage et diversifie les activités.
Pour répondre à la croissance démographique du village, plusieurs nouveaux habitats sont
construits à la place de fermes ou de prés. La topographie est également transformée : les
pentes sont aplanies pour faciliter la circulation des charrettes. En 1896, trois médecins et
un pharmacien étaient installés sur la commune.
3) Le début de l’urbanité
a. Nouvelle centralité et développement urbain
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Marcel Forest, Bron au fils des ans, Lyon, Bellier, 1997, 152 p.
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Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
Le centre est déplacé pour répondre aux nouveaux besoins et aux nouvelles pratiques
sociales, à cause de la desserte de la route nationale par le tramway et du déplacement
du lieu du pouvoir local, la mairie.
e
Jusqu’au milieu du XIX siècle, les affaires publiques se déroulent autour de la place
de l’église St-Denis, qui constitue le centre politique, social et religieux du village. En 1871,
le maire Antoine Bernard fait acheter à la municipalité une petite habitation sur la route
5
de Grenoble . La décision de s’éloigner du centre historique de Bron soulève un large
e
mécontentement de la part des habitants. Avec les jeunes débuts de la III République,
la mairie se dote d’une école. En 1905, Philippe Goy et son conseil municipal décident de
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faire construire une nouvelle mairie place du Grand Chemin , en face de l’ancienne mairie,
er
inaugurée le 1 décembre 1907. Ceci marque le début du déplacement des activités du
centre historique vers la route de Grenoble, la plus importante voie de communication qui
traverse le village.
Le centre-ville ainsi déplacé se développe, avec l’apparition autour de nouveaux
quartiers, de nouveaux commerces et de nouveaux équipements : une école privée de
jeunes filles, une nouvelle salle d’école publique, une poste, des cafés... De nombreuses
constructions voient le jour au bord de la route nationale. Ce développement urbain est
lent et désordonné, mêlant petits immeubles, villas et petites maisons. Les espaces verts
poursuivent leur réduction. En 1879, la croissance de Bron manque d’aboutir à l’absorption
du quartier des Brosses de Vaulx-en-Velin.
b. L’expulsion des infrastructures hors du centre : les nouveaux espaces
La proximité et la croissance lyonnaise entraînent l’expulsion de certaines activités
consommatrices d’espace hors du centre-ville, vers les villes périphériques : industries,
hôpitaux… A Bron, trois nouvelles structures lyonnaises voient le jour à partir de la fin
e
du XIX siècle : un asile psychiatrique au Vinatier, un fort militaire et l’aéroport de Lyon.
L’arrivée de ces nouveaux espaces indépendants sur le territoire brondillant prend ses
racines dans l’histoire de la commune. Le domaine rural de la Grange des Tours, qui devient
le Vinatier, était depuis sa création un poste avancé des pouvoirs lyonnais : pouvoir religieux
avec les Templiers, pouvoir politique avec la noblesse lyonnaise…. L’expulsion de ses
infrastructures hors du centre-ville est symptomatique de la relation centre/périphérie. La
ville-centre, surchargée, considère sa périphérie comme une annexe à conquérir, voire à
exploiter. Les villes périphériques acceptent cet état de fait et tentent de tirer profit des
nouveaux équipements, qui demeurent des espaces autonomes, des villes dans la ville. Ils
accentuent les changements fonciers qui s’opèrent à Bron.
En 1868, le Conseil Général du Rhône achète le domaine de la Grange des Tours, qui
se trouve à seulement 4 kilomètres de Lyon. En 1876, l’Asile Départemental d’Aliénés de
Bron ouvre ses portes. Pour les habitants du village, le Vinatier est un espace clos, qui vit
en autarcie, avec sa propre ferme et ses propres animaux.
La construction du Fort de Bron a lieu durant la même période. Après la défaite de 1870,
l’Etat met en place une réorganisation défensive du pays, d’après les études du Général
Sere de Rivières. Elle comprend notamment une couronne de forts détachés, destinés
à protéger Lyon, et dont Bron fait partie, avec Vancia (Rillieux-la-Pape), Feyzin et Mont
5
6
En face de la mairie actuelle
Actuelle place Grimma, où se trouve l’Hôtel de ville aujourd’hui
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Verdun. Le terrain choisi pour accueillir le Fort de Bron, le plus important édifice militaire de
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la région, se situe sur la hauteur dominant la plaine du Rhône jusqu’à St-Priest . Le Fort
de Bron est inauguré en 1877. Il est accompagné de deux batteries sur les quartiers de
Lessivas et de Parilly, ainsi que d’une enceinte fortifiée. Aujourd’hui, seul le Fort subsiste
encore.
Enfin, la commune accueille l’aéroport de Lyon en 1910, désiré également par
Vénissieux et Vaulx-en-Velin. Les Brondillants ont de bons arguments : une desserte par
les transports en commun, la proximité de Lyon et un site plat, situé derrière la colline où se
trouve le Fort, à la frontière avec Chassieu. Tout comme le Vinatier, l’aéroport de Lyon vit
en autarcie, mais il attire en revanche de nombreux Lyonnais venus observer les avions. Le
14 décembre 1930, la plus grande aérogare du monde est inaugurée à Bron. Elle demeure
8
l’aéroport officiel de Lyon jusqu’à l’inauguration de Satolas en 1975 .
c. Les nouveaux lieux de sociabilités : l’apparition des cafés
La nouvelle et jeune urbanité de Bron donne également naissance à de nouveaux lieux de
e
e
sociabilité de la fin du XIX au début du XX siècle. Jusqu’alors, la proximité lyonnaise avait
fait obstacle à la création d’un réseau d’hôtellerie, propice au développement économique.
Avec l’arrivée du transport et de nouvelles structures qui attirent les visiteurs, les cafés
ouvrent dans tout le village. Les premières ébauches de la vie culturelle à Bron naissent
dans ces nouveaux lieux, dans lesquels se tisse un nouveau lien social.
La route de Grenoble compte plus de quatre cafés où les habitants des différents
quartiers se retrouvent autour d’un bon repas et d’une partie de cartes. La place de l’église
accueille un des plus vieux établissements de Bron, l’Hôtel Amblard, lieu de prédilections
des militaires stationnés au Fort de Bron et des réunions électorales. Comme lui, d’autres
cafés plus sélectifs jouent une bonne part dans la vie sociale, culturelle et politique de Bron
au début du siècle. Le café des Mûriers, situé à l’entrée du village, est un des plus réputés.
Son propriétaire y installe le premier cinéma de Bron, dans un local attenant. La brasserie de
la place de la nouvelle mairie, est fréquentée principalement par les promeneurs venus de
Lyon, qui y font escale avant de prendre le tramway. Sur sa terrasse à l’ombre des platanes,
un orchestre local y interprète les valses à la mode. Enfin, le café des Platanes, sur l’avenue
Camille Rousset, a un rôle important dans la vie politique brondillante car il accueille les
houleuses et bruyantes réunions pendant les campagnes électorales, remplaçant petit à
petit l’Hôtel Amblard.
Bron fonctionne encore comme un village, malgré cette croissance urbaine. Cependant,
son territoire s’affirme, avec un centre-ville qui longe la route de Grenoble et des
équipements d’agglomération importants. La Première Guerre Mondiale constitue un
tournant dans l’évolution du territoire brondillant et de sa population.
B. De la Première Guerre Mondiale aux Trente Glorieuses : une
annexe de Lyon sans âme
Les grandes transformations sociales, politiques et urbaines dues aux deux guerres
mondiales achèvent de faire de Bron une ville de banlieue, annexée à la ville-centre. Cette
phase est marquée par l’arrivée du socialisme au pouvoir, un changement démographique
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Egalement sur la route de Grenoble
Aujourd’hui l’aéroport existe toujours, mais est converti en aéroport d’affaires et de loisirs.
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Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
fondamental et la construction de nouveaux quartiers. Bron perd alors son identité de village
et devient un territoire éclaté.
1) Le choc des deux Guerres Mondiales
a. Transformations sociales et démographiques
A partir de 1921, la croissance démographique brondillante explose. L’entre-deux-guerres
voit les natifs de Bron devenir minoritaires : c’est une première dans l’histoire de la
commune. De nombreux réfugiés politiques issus de la Première Guerre Mondiale viennent
s’y installer. En 1936, ils sont 1012, soit 10,7% de la population totale, à être de nationalité
étrangère : Arméniens, Italiens… La disparition de la population agricole s’accompagne d’un
accroissement de la population ouvrière. De nouvelles populations viennent dans le sudest lyonnais qui s’industrialise afin de répondre à la demande constante de main d’œuvre.
En 1921, la population atteint 6 397 habitants.
Bron est particulièrement touchée par la Seconde Guerre Mondiale, étant un point
stratégique à cause de la présence de l’aéroport et du Fort. La commune subit de nombreux
bombardements, mais également la présence de l’armée allemande. Vers la fin de la guerre,
les trous creusés par les bombardements sont utilisés comme des charniers. Entre le 17 et
le 21 août 1944, cent neuf prisonniers du Fort de Montluc sont fusillés par les Allemands
au camp d’aviation.
La population double après la Seconde Guerre Mondiale, pour atteindre 12 597
9
habitants .
b. Transformations urbaines
L’augmentation de la population dans l’entre-deux-guerres entraîne la nécessité de créer
de nouveaux logements permettant d’accueillir tout le monde. Cette crise est globale en
France. En 1928, la loi « Loucheur » permet de créer des logements individuels. Elle donne
la possibilité aux particuliers d’emprunter à l’Etat à des taux très faibles, afin de pouvoir
acheter un terrain et construire un pavillon. Elle permet à des familles aux revenus modestes
de devenir propriétaires. Les constructeurs, pour casser les prix, ont très vite proposé des
modèles standard. Ainsi, de nombreux pavillons sont construits à Bron, surtout entre la route
nationale et le quartier de l’église. Cette nouvelle zone pavillonnaire permet la jonction entre
le centre historique et le centre économique et politique. L’urbanisation se poursuit autour
10
de la route nationale . Toute la ville est en chantier.
c. Transformations politiques
La Seconde Guerre Mondiale modifie également la vie politique de la commune, en
exacerbant les points de vue idéologiques. Jusque là, la politique municipale était axée
autour des activités agricoles, de la gestion des territoires... Face à la montée des extrêmes,
de l’accroissement de la population et de ses modifications structurelles, elle s’appuie
dorénavant sur une politique sociale, axée sur une idéologie partisane forte. Les orientations
idéologiques de la municipalité de 1940, qui a parfaitement épousé la Révolution Nationale
de Pétain, entraînent un mouvement de résistance par quelques Brondillants, qui participent
au comité local de libération.
9
10
Marcel Forest, opus cité.
Aujourd’hui appelée avenue Franklin Roosevelt, ou RN6.
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Un nouveau conseil municipal est élu le 10 septembre 1944, principalement composé
de résistants et surtout de personnalités de gauche, socialistes pour la plupart. La
nouvelle municipalité socialiste lance un programme social dès 1945. Ce programme
comprend un volet de politique sociale (colonies de vacances, garderies, éducation sportive,
éducation culturelle, création de chorales, de sociétés de musique…) et un volet consacré
à l’urbanisme, avec la volonté de construire des habitations à baux modérés en évitant
les blocs de béton… L’objectif de ce programme, fonder une nouvelle et meilleure société,
cherche, en effaçant les discriminations sociales, à recréer de la cohésion sociale sur la
commune, notamment en favorisant le dynamisme culturel. Or, il rencontre très rapidement
un obstacle majeur : la modification structurelle de la population brondillante et les
changements dans les pratiques sociales.
2) La ville dortoir des Trente Glorieuses
a. Nouvelles populations
Après la guerre, l’accroissement de la population observe un nouveau palier, puisqu’elle
double entre 1946 et 1961, où elle atteint pratiquement les 25 000 habitants. Jusqu’en
1975, elle double encore une fois, pour atteindre son chiffre maximal de 44 995 habitants.
Cette formidable croissance démographique est liée à l’arrivée successive de nouvelles
populations.
Dès les années 1950, Bron accueille les populations issues de l’exode rural produit par
les mutations économiques et industrielles du pays. Cependant, la décolonisation engendre
une augmentation massive de la population dans les grandes agglomérations, et ce dès le
début des années 1960. La Guerre d’Algérie incite nombre de Pieds Noirs à revenir dans la
métropole. A Bron, cela se traduit par l’arrivée de plus de 15 000 personnes entre 1965 et
1968. Enfin, une troisième catégorie de population suit cette vague. Cette fois, ce sont des
populations maghrébines venues chercher du travail en France. Bron et les autres villes de
la périphérie lyonnaise accueillent les populations que Lyon ne peut contenir.
b. Nouveaux habitats
Comme de nombreuses villes périphériques en France, la croissance démographique pose
un problème majeur de logement. De nombreuses innovations architecturales sont mises
en œuvre pour créer de nombreux habitats dans des espaces réduits. A Bron, cela se traduit
par la construction à la périphérie de la ville des U.C. (Unités de Construction) à Parilly, au
sud-ouest, et de grands ensembles dans le quartier nord-est appelé Terraillon.
Les U.C. de Parilly ont été construits en trois ans, de 1954 à 1957 et ont permis d’offrir
2600 logements supplémentaires. Le concepteur de ces grands ensembles, René Gagès,
s’est basé sur le principe du « zonage », imaginé par Le Corbusier. Il s’agit de séparer les
fonctions dans la ville, pour limiter les nuisances pour les habitants : une case logement,
une case loisirs, un centre commercial… Proches du parc de Parilly créé en 1937, ces
logements sont destinés à une classe moyenne. Le cadre de vie est à l’époque relativement
agréable, jusqu’à l’arrivée de l’A43, qui sépare Bron-Parilly du reste de la ville.
Les grands ensembles de Terraillon sont construits en 1964, autour de trois
copropriétés. Comme Parilly, ce quartier est excentré, à la frontière avec Vaulx-en-Velin, le
long de la route de Genas au nord de la ville. Dans un premier temps, ces copropriétés
sont destinées à une population aux revenus moyens, mais rapidement, les propriétaires
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Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
quittent le quartier et louent les logements à des prix relativement élevés, à des populations
aux ressources faibles, sans aucun investissement dans l’amélioration de l’environnement.
Parilly et Terraillon ne bénéficient pas d’équipements urbains. Il faut dire qu’à cette
époque, Bron a peu d’équipements et son dynamisme économique est pratiquement
nul. En réalité, ces grands ensembles sont des dortoirs, faute de moyens et de volonté
politique. En revanche, les quartiers du Rarfour, des Genêts et des Essarts confirment
leur transformation en zones pavillonnaires, proches de la banlieue aérée de Montchat. La
construction urbaine de Bron touche principalement ces quartiers périphériques, le centreville demeurant inchangé. Enfin, il faut signaler l’arrivée de nouveaux habitats suite à l’exode
de 1962. Des îlots de bâtiments en bois s’édifient librement le long de la route de Genas.
La croissance urbaine brondillante, qui se caractérise par une mise en périphérie des
nouveaux habitats, est également marquée par un manque de maîtrise politique en la
11
matière . Les immeubles et maisons ont poussés au gré des terrains libres et de leurs
achats par les collectivités publiques ou par des promoteurs privés. La municipalité n’a pas
réservé de terrains pour la construction de nouveaux équipements ou d’espaces publics.
L’absence de contrainte publique est largement observable dans les nouveaux quartiers.
Les promoteurs qui ont conçu Terraillon contournent la législation qui les oblige à réaliser
un équipement social supplémentaire pour toute construction de plus de 500 logements. La
construction par tranches successives de 499 logements s’est poursuivie jusqu’en 1965. Le
manque d’investissement de la part des propriétaires, afin de maintenir les immeubles en
état, n’est pas comblé par une politique publique avant 1989.
c. Une nouvelle image, des identités plurielles
L’apparition de ces nouveaux habitats dans des quartiers peu développés jusqu’alors et de
nouvelles populations étrangères à la commune transforme de manière radicale le visage
de Bron, son tissu urbain et ses réseaux d’appartenance. Avec la disparition de l’ancien
espace social que constituait la place de l’église et le développement urbain anarchique
dans les quartiers périphériques, la ville a largement perdu son identité de village et les
anciens repères sociaux qui y préexistaient. La modernisation urbanistique qui semblait
émaner de la construction des nouveaux logements à Parilly et à Terraillon a en réalité
laissé place à une ségrégation territoriale et sociale. La conception de « zonage » a entraîné
une déstructuration de l’espace urbain, qui va être accentué par l’arrivée de l’A43 et du
12
périphérique, ainsi que par l’arrêt de la desserte du tramway dans les années 1950 .
L’architecture même des grands ensembles entraîne de nouveaux modes
d’interprétation et d’occupation de l’espace ainsi que de nouveaux modes d’appartenances.
Parilly et Terraillon sont mis au ban de la commune par leur situation dans le territoire mais
également par leur architecture reconnaissable. La ville est en soi un mélange de vieux
et de nouveau, car elle observe une continuelle croissance, un développement progressif
de son urbanité. Or, la construction extrêmement rapide de ces grands ensembles ne peut
les intégrer dans la continuité urbaine de Bron, au préalable constituée de pavillons ou
d’immeubles de petite taille. Elle constitue une rupture, à la fois symbolique et physique. Le
caractère bradé, peu cher, de ces nouveaux habitats offre de nouveaux codes de lecture
urbaine, imposant le béton et une horizontalité toute nouvelle. Le « zonage » ne permet
pas une intégration dans le tissu urbain formel. En effet, les blocs de béton, séparés par un
simple espace intermédiaire, sont en rupture avec le réseau de la ville formelle : les rues.
11
12
Celle-ci ne concerne pas les ensembles de Bron-Parilly qui sont dus à l’Office Départemental des HLM.
La ligne de tramway va être remplacée par la ligne de bus 24.
GLOPPE Gaëlle - 2007
13
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
L’identification de ces grands ensembles ne peut se faire que par le nom des blocs. A Parilly,
l’U.C.3 côtoie l’U.C.8. En réalité, le réseau urbain n’a plus de cohérence. Comme l’explique
13
André Chazalette, un militant socialiste brondillant :
L’organisation générale de l’espace, qui valorise le logement, au détriment des
lieux de rencontre, ne peut se satisfaire de la dimension collective, la vie à
l’extérieur qui occupait tant de place en milieu populaire.
Le manque d’espaces publics, de lieux de culture ou simplement d’équipements sociaux
est un véritable obstacle à la cohérence sociale et culturelle de la ville. Les identités sont
dorénavant plurielles mais ne se confrontent pas. En effet, la mosaïque culturelle créée par
l’arrivée de populations immigrées est renforcée par une marginalisation de ces populations,
pauvres pour la plupart, aux périphéries. La classe moyenne, quant à elle, réside dans les
quartiers pavillonnaires du centre. La commune ne fonctionne plus comme un village, mais
juxtapose des identités et des cultures différentes, qui ont des difficultés à se comprendre.
Les structures économiques de la ville sont également bouleversées. La disparition de
l’agriculture, accompagnée par un dynamisme économique faible, empêche Bron d’offrir à
ses habitants suffisamment d’emplois. En réalité, les Brondillants ne travaillent plus sur la
commune, mais à Lyon ou dans les grandes industries installées dans l’est lyonnais, comme
Berliet. La population est également fortement touchée par le chômage, puisque 10 % des
actifs ne trouvent pas de travail, alors que la moyenne nationale n’atteint pas les 4 %.
Bron a perdu largement son ancienne identité de village, pour devenir une ville de la
banlieue au sens le plus strict du terme : une ville de non lieux, où la vie sociale, publique
et politique ne peut émerger.
II. La reconquête du tissu urbain (1970-2007)
A partir de 1970, les élus municipaux engagent une politique de la ville visant à reconquérir
le statut de ville, le tissu urbain et l’identité locale. Cela se traduit sous les mandats d’André
Sousi par une dernière phase de construction urbaine choisie cette fois-ci. Une nouvelle
phase commence alors avec Jean-Jacques Queyranne, celle de la revalorisation de ville.
Cependant, Bron demeure une ville profondément divisée et éclatée.
A. Les années Sousi : à la conquête du statut de ville
L’arrivée d’André Sousi à la tête de la mairie en 1971 marque un tournant dans les politiques
publiques. Conscient de la désagrégation du tissu urbain et de la qualification de « banlieue
dortoir » donnée à Bron, il va mener une politique de reconquête de la ville.
1) Enjeux urbains, politiques et sociaux
a. Les enjeux politiques : la montée de l’opposition
Les trois mandats d’André Sousi à la tête de la municipalité sont marqués par des enjeux
importants dans la vie politique de la commune. En effet, bastion socialiste depuis l’aprèsguerre, Bron connaît une montée conséquente de l’opposition de la droite républicaine.
13
14
André Chazalette, Un itinéraire politique, 1950-1997, Lyon, 1997, p.33
GLOPPE Gaëlle - 2007
Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
Son arrivée même au pouvoir est due aux alliances malencontreuses que le maire
précédent, Sigismond Brissy, a essayé de mettre en place avec le centre, qui gagne du
terrain devant l’immobilisme de la SFIO. Les élus locaux voient d’un mauvais œil cette
alliance, qui fait obstacle à une union de la gauche avec le groupe communiste, relativement
important sur la commune. Brissy quitte le parti, ce qui permet la signature d’une convention
d’union de la gauche, prévoyant une liste équitable entre les deux partis, le maire devant
être socialiste. La gauche ainsi renforcée remporte les élections avec 56,48 % des voix,
contre la liste de Brissy, « Bron Renouveau Socialiste » (43,42 %). André Sousi, alors cadre
industriel, ne fait pas l’unanimité au sein de la section socialiste locale. Son succès est
confirmé surtout à l’élection suivante de 1977, puisqu’il la remporte avec 58% des suffrages.
Son programme est alors très clair : redonner un nouveau souffle à Bron, lui permettre
de se développer économiquement mais également de s’épanouir socialement. Les deux
premières élections d’André Sousi montrent que le parti socialiste domine la scène politique
14
municipale, malgré une forte implantation du parti communiste . Le député de la commune
à partir de 1973, Jean Poperen, est également affilié au PS.
Cependant, les forces politiques qui se confrontent dans les années 1970 dévoilent
une opposition grandissante au sein de la population. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing
l’emporte dans la commune sur François Mitterrand avec près de 52% des suffrages.
Le centre et la droite prennent une place de plus en plus importante à mesure que les
populations de classes moyennes et aisées s’installent dans la ville. L’élection de 1983
confirme cette tendance. La droite menée par Guittard met André Sousi en difficulté. Ce
dernier ne l’emporte qu’avec 50,58% des suffrages.
Il faut noter également que ces élections sont marquées par une abstention forte de
40%, qui peut s’expliquer par le manque d’intégration des nouvelles populations dans la
ville et le manque d’intérêt pour la vie politique locale de personnes qui se sentent rejetées.
A l’exclusion culturelle, sociale et territoriale s’ajoute donc une exclusion politique.
b. Des problèmes continus d’urbanisme
André Sousi fait face à une banlieue dortoir, dont l’urbanisme, hétérogène et incohérent,
est un obstacle majeur à son développement économique et au bien-être de la population.
Les équipements sportifs sont insuffisants et seuls deux équipements socioculturels ont été
construits sous la municipalité Brissy, la Maison des Jeunes et de la Culture et la Maison de
Quartiers des Essarts. De plus, le mandat de Sousi se caractérise par un certain nombre
de problèmes d’urbanisme, dus principalement à la croissance lyonnaise.
Bron est une simple ville de passage. Le boulevard de ceinture L. Bonnevay et
l’autoroute A43 entraînent un quadrillage de la ville sans grande cohérence, puisque les
quartiers coupés du reste de la ville n’ont pas accès à ces réseaux, notamment Parilly et les
Essarts. Ce quadrillage de Bron par les autoroutes engendre de grands changements dans
la vie des habitants : bruit, pollution, isolement aggravé, diminution des espaces verts avec
l’élargissement des voies, routes saturées par la circulation... Au début du mandat, l’action
conjointe de la mairie et des habitants permet de déplacer le projet de l’A46 un peu plus à
l’est, évitant de diviser une nouvelle fois la ville.
André Sousi doit également se battre auprès de la Courly afin d’instaurer un réseau de
transports en commun dans la commune, très mal desservie les années 1950. Les espoirs
de voir le métro desservir l’est lyonnais sont anéantis dès 1973. La ligne 24, qui remplace
l’ancien tramway, est prolongée dans le quartier de Terraillon. Deux nouvelles lignes font
14
Contrairement aux villes voisines comme Vénissieux, Bron n’a jamais été un bastion ouvrier.
GLOPPE Gaëlle - 2007
15
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
leur apparition en 1978 et 1979 : le bus 64 qui relie Terraillon au métro Bonnevay et le bus
81 qui dessert l’université, Terraillon, Parilly et la Boutasse.
Enfin, un autre problème d’urbanisme, et non des moindres, fait obstacle à la politique
de la ville que Sousi veut mener : la spéculation foncière a rendue le prix du sol difficilement
accessible aux municipalités et aux offices HLM.
c. Le problème de la violence dans les quartiers et de la ségrégation sociale
La dégradation des habitats et l’isolement des quartiers de Parilly et Terraillon,
accompagnés d’un chômage massif chez les jeunes, entraînent une série d’actes de
violence difficiles à enrayer. En 1978, des incidents avec la police et des violences
graves sont relatées par les travailleurs sociaux. Une commission extra-municipale sur
l’immigration tente d’y remédier, en élaborant une réflexion autour des conditions de vie des
jeunes. Suite à celle-ci, diverses expériences sont mises en place avec les associations
de quartiers de juin 1979 à juin 1980. Le premier bilan fait état de la nécessité de
répondre à des besoins concrets et de montrer aux jeunes qu’ils peuvent faire des choses
ensemble, en prenant la responsabilité de tâches matérielles (remise en état de locaux,
soirées organisées sous leur responsabilité, etc.). Si l’échange entre la population et les
15
associations est positif selon André Chazalette , les malaises qui s’expriment ne peuvent
être réprimés de cette manière. Les problèmes de délinquance sont souvent dus à un déficit
de l’offre d’emploi et de dialogue entre jeunes et adultes, et entre jeunes et élus. En 1984,
le préfet de police constate qu’à Bron, la petite délinquance représente 50% de la moyenne
de l’agglomération lyonnaise.
2) Un programme de réaménagement urbain
Dans son ouvrage, André Sousi résume son programme de réaménagement urbain
ainsi : « Depuis 1971, la nouvelle municipalité a stoppé l’urbanisme sauvage au profit
16
d’équipements collectifs »
a. L’aménagement du centre-ville : retrouver une centralité
La municipalité opère une modernisation et une restructuration du centre-ville dès 1972,
afin d’offrir une centralité reconnaissable et identifiable par tous les habitants. En effet, le
développement urbain d’après-guerre s’est focalisé sur la relégation des nouveaux quartiers
à la périphérie, alors que le centre est peu peuplé et encore composé d’anciennes maisons
alignées le long de la route nationale. Le programme de restructuration est élaboré en
collaboration avec les habitants du quartier, que la municipalité consulte lors de réunions
publiques, notamment du point de vue de l’animation culturelle et commerciale, destinée à
renforcer cette nouvelle centralité.
L’aménagement du centre passe également par un accès facilité de celui-ci par les
quartiers ségrégués par l’autoroute et le boulevard périphérique. Ainsi, la Courly réalise la
passerelle des Essarts en 1975, dont les U.C. bénéficient également.
b.La réactivation de l’activité économique
Le manque d’emplois sur la commune engendre un exode fixe aux heures de travail. André
Sousi souhaite mettre en place une zone d’aménagement différée dans le centre-ville :
15
16
16
André Chazalette, op. cit., p.156
André Sousi, 1971-1988, ou l’épopée d’une ville, Bron, Ed. Martin, coll. Le « A », 2000, p. 90
GLOPPE Gaëlle - 2007
Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
La ZAD est la seule qui permette à une collectivité locale d’éviter ou tout au
moins de limiter en la contrôlant, une urbanisation sauvage qui ne profite qu’aux
promoteurs immobiliers et aux spéculateurs boursiers. Bron doit se doter d’un
centre à la dimension d’une ville de 50 000 habitants, centre d’animation mais
aussi commercial et administratif.
Or, l’opposition trop grande du conseil municipal met un terme à ce projet dès 1973. La
municipalité concentre alors ses efforts sur la réalisation de différents secteurs tertiaires et
secondaires à technique avancée, avec la mise en place de trois zones à aménagement
17
concerté ou ZAC sur des terrains libres et disponibles. Une ZAC, dite du « Triangle
18
de Bron » , est aménagée dans le quartier de Rebufer, avec un pôle hôtelier et des
restaurants, un pôle bureaux et un secteur commercial. Sa création est approuvée par le
19
conseil municipal en juin 1978. En partenariat avec St-Priest, la ZAC du Champ du Pont
est mise en place avec de grandes enseignes commerciales. Enfin, la ZAC de la rue du
Chêne permet une évolution rapide des recettes fiscales de la commune : de 34% en 1971
à 52% en 1975.
c. Le choix de l’équipement public
La reconquête du tissu urbain passe par une politique de l’équipement, dans de nombreux
domaines, qui s’étale sur les trois mandats d’André Sousi. Celui-ci souhaite : « Offrir à mes
20
concitoyens les équipements nécessaires à leur épanouissement » . La réalisation des
équipements, outre leur aspect fonctionnel, est fondée sur la nécessité d’apporter à la ville
une série d’espaces publics dont elle manque cruellement.
L’ambition municipale est d’abord de proposer à chaque quartier une gamme
d’équipements sociaux et socioculturels. Ainsi, le quartier des Genêts se voit doter dès 1975
d’une maternelle jumelée avec une maison de quartier et une bibliothèque. Une maternelle
ouvre également à la Pagère, un quartier résidentiel proche de Terraillon. Un centre médicosocial et culturel, le Centre Social Gérard Philippe, est construit à Terraillon. Son contenu
est le fruit d’une concertation entre les élus, les travailleurs sociaux, les associations et
la population. En 1981, la mairie entame l’agrandissement de la Maison de Quartier des
Essarts, fréquentée par plus de 500 familles.
Les équipements sportifs ont une place importante également, puisque la municipalité
réalise le stade Pierre Duboeuf et un centre nautique, inauguré en 1974 à côté de la MJC. La
réalisation du centre nautique a d’ailleurs été difficile, devant le refus de Lyon et Villeurbanne
d’en faire un équipement intercommunal.
La municipalité construit une série d’équipements culturels, principalement dans le
centre-ville : la bibliothèque municipale en 1974, les Alizés en 1982 et l’Espace Albert
Camus, centre culturel qui ouvre à la toute fin du mandat.
Enfin, de nouveaux équipements indépendants s’ajoutent à ceux qui existaient déjà :
21
le nouveau centre universitaire de Bron-Parilly en 1972 , l’Ecole de Service de Santé des
17
18
19
20
Une ZAC permet, à l’inverse de la ZAD, un aménagement en concertation avec les promoteurs immobiliers et la puissance publique.
Aujourd’hui appelé parc d’activités Saint-Exupéry
Aujourd’hui Porte des Alpes.
André Sousi, op. cit., p.10
21
Le campus existe déjà sur la commune, mais est agrandi à cette époque.
GLOPPE Gaëlle - 2007
17
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Armées à côté du Fort de Bron en 1981, un parc d’exposition pour accueillir la Foire de
Lyon… Ils demeurent cependant indépendants de la commune.
d. La réhabilitation du logement
Le logement devient problématique à Bron. En effet, la ville manque de logements, à
22
cause de la flambée des prix de l’immobilier et de la présence de nombreuses zones
pavillonnaires, qui font obstacles à la construction d’immeubles. Cependant, devant la
croissance des demandes de logement et la dégradation des grands ensembles de Parilly
et Terraillon, la municipalité décide la construction d’une série de résidences à l’architecture
différente de celle des U.C. Ainsi, de nouvelles résidences de cinq étages, avec balcons
et garages, font leur apparition à partir de 1975. La résidence Paul Debat et le Maurice
Ravel ont la particularité d’être des logements mixtes, mi-sociaux, mi en copropriétés. Des
logements sociaux sont également créés le long du périphérique. La cité provisoire qui
accueillait les rapatriés de la Guerre d’Algérie est détruite en 1981. Le conseil municipal
vote la réhabilitation de Terraillon en 1984, avec un budget conventionnel de 219 410 F.
Malgré la construction de logements HLM, le bâti en surface de la commune est
composé de 65% de villas et maisons individuelles, contre 35% d’immeubles. La population
demeure hétérogène, avec 49 nationalités en 1988. André Sousi a permis à Bron d’émerger
en tant que ville et d’offrir les conditions d’un renouveau identitaire, les équipements
permettant de retrouver des pratiques sociales communes.
B. Les années Queyranne : la valorisation du nouveau Bron
La municipalité dirigée par Jean-Jacques Queyranne, forte des efforts effectués par la
municipalité précédente, va s’attacher à proposer une nouvelle image de la commune et de
faire émerger une nouvelle identité urbaine.
1) De nouveaux enjeux urbains et politiques : la recherche d’un nouvel élan
a. Une arrivée au pouvoir guidée par la montée de la droite
La montée de la droite républicaine lors des élections de 1983 a presque coûté la mairie
au parti socialiste. Considérant qu’André Sousi n’assurera pas la victoire électorale, le parti
lui demande de quitter son poste et de le laisser à Jean-Jacques Queyranne, un de ses
adjoints qui vient d’être élu député du Rhône en juin 1988. André Sousi quitte la mairie avant
les élections, laissant à son adjoint à la culture Paul Ravel, le soin d’assurer l’intérim.
La liste de Queyranne, dont le thème central est « un nouvel élan pour Bron »,
remporte l’élection de justesse après un premier tour difficile, face à la droite. Pourtant,
Jean-Jacques Queyranne a une influence politique notable sur la commune, car sa carrière
prend rapidement une tournure nationale. Même après avoir quitté son poste de maire
pour un mandat ministériel en 1997, laissant place à Annie Guillemot, Queyranne demeure
conseiller municipal jusqu’en 2004. Il doit faire face au cours de son mandat de maire à une
montée de la droite et de l’extrême-droite. Les Brondillants se rappellent encore l’élection
de Charles Million (UDF) à la tête de la région face à Queyranne, grâce une alliance avec
le Front National.
b. Enjeux urbains nationaux
22
18
En 1974, la côte immobilière rapporte 49% du budget municipal
GLOPPE Gaëlle - 2007
Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
Le premier mandat de Jean-Jacques Queyranne est marqué par le deuxième mandat
présidentiel de François Mitterrand, pour lequel une des priorités est de « reconquérir
la ville ». Le but est de lutter contre le système d’exclusion qui s’opère dans les villes
périphériques par le développement social de 400 quartiers dits difficiles. Les nouvelles
formes urbaines ont engendré de nouveaux conflits urbains, qui se reflètent dans les crises
de violence. En décembre 1990, François Mitterrand fait un discours à Bron lors des Assises
de Banlieue 89, où il critique l’exclusion des périphéries et le statut de bouc émissaires
des immigrés. Ces nouveaux enjeux économiques et surtout sociaux guident l’action de
Queyranne, qui, tout en s’appuyant sur le nouveau visage de la commune, tente de redonner
une image positive en réglant les problèmes de dégradation de l’habitat et du lien social.
c. Enjeux urbains locaux
23
Rédigeant la préface de l’ouvrage d’André Sousi , Jean-Jacques Queyranne explique que
les mandats précédents ont vu la fin de la période de construction à Bron. Il lui reste
donc à poursuivre le démarrage économique, à préserver l’identité et l’environnement de
la commune, de régler les conflits entre les différents quartiers et d’amener les transports,
notamment le tramway jusqu’à Bron. En 1989, le tiers de la surface de la commune,
soit 1035 hectares, est dominée par des infrastructures qui ne sont pas gérées par la
municipalité : 90 hectares du Vinatier, 110 hectares du parc départemental de Parilly...
Les violences urbaines continuent à exploser dans les quartiers de Parilly et Terraillon,
notamment en décembre 1993 et avril 1994.
2) Une nouvelle identité urbaine ?
a. La lutte pour le tramway
Un des enjeux des mandats de Queyranne est le retour du tramway à Bron. En effet, la
ville est difficilement reliée à Lyon, bien que les bus autorisent une desserte convenable
des différents quartiers de la ville. Jean-Jacques Queyranne insiste sur la présence des
différents équipements de l’agglomération sur le territoire, afin d’inciter le Grand Lyon à
proposer une ligne de tramway bénéfique pour les Brondillants. Ses efforts portent leurs
fruits puisque le projet est accepté en février 1998, pour une ouverture de la ligne en 2000.
Non seulement la ligne T2 desservira l’université, mais Queyranne insiste également pour
que les arrêts valorisent l’image de la ville (le Vinatier, l’Hôtel de Ville et les Alizés) et mettent
en réseau les quartiers qui nécessitent un développement urbain (La Boutasse, Rebufer,
Les Essarts). Le cinéma obtient même un arrêt de tramway à son nom, grâce à un concours
lancé par le journal Le Progrès.
b. La revalorisation des espaces naturels
L’arrivée du tramway et le programme national de Développement Social des Quartiers
permet à Bron de mettre en place une politique de la ville destinée à valoriser les espaces
verts. La restructuration des U.C. est réalisée en fonction du parc départemental de Parilly.
De nombreux parcs et jardins sont créés par la mairie. La municipalité continue la politique
« Bron ville fleurie » instaurée par André Sousi. L’objectif est de valoriser la présence
d’espaces verts, résidus de l’ancienne forêt du Velin qui parcourait la commune, afin
d’effacer l’image négative des tours de béton et des bretelles d’autoroute.
23
Op. cit., préface
GLOPPE Gaëlle - 2007
19
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
c. La lutte contre le chômage
Si André Sousi a permis à Bron d’avoir une dynamique grâce à la politique d’équipement,
il n’a pas réussi à diminuer le chômage, massif à Bron, notamment chez les populations
des quartiers défavorisés. Lorsque Queyranne arrive à la tête de la municipalité, le taux
de chômage s’élève à 20% sur la commune. Non seulement la ville n’est toujours pas
capable de fournir des emplois, mais la ségrégation sociale et spatiale est un obstacle à
l’activité chez les jeunes, qui sont les plus touchés par le chômage, avec plus de 30% de
demandeurs d’emploi. En 1990, le Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi est adopté par le
conseil municipal. Cette action aura des conséquences bénéfiques sur le taux d’activité,
24
notamment chez les jeunes. En effet, le taux de chômage baisse à 14,5% en 1999 .
d. Le désenclavement progressif de Terraillon
En terme d’urbanisme, la municipalité Queyranne lance une politique de désenclavement
de Terraillon, qui s’incarne à la fois dans une réhabilitation du logement, une participation
des habitants et une intégration au reste de la commune.
En effet, le départ des copropriétaires a accéléré la dégradation des habitats. A partir
de 1989, la municipalité et la Courly tentent d’enrayer ce processus, malgré la difficulté
de l’ingérence publique sur un territoire privé. Des conventions signées entre la Ville de
Bron, la Courly et deux copropriétés dégagent des objectifs de requalification et de maîtrise
du peuplement. En effet, le nombre de familles très nombreuses dans des appartements
non adaptés devient inquiétant, résultat d’une hausse considérable du prix des loyers. De
nombreuses procédures sont mises en place : des conventions de quartier, une charte de
Développement Social Urbain en 1991, un contrat de ville de l’agglomération lyonnaise en
1994…
Un conseil de quartier est également mis en place en 1990, afin de répondre aux
besoins des populations, dont le sentiment d’isolement est accentué par le système de
copropriétés, qui empêche d’avoir un interlocuteur unique. Il s’accompagne de quatre loges
de gardiens et d’un animateur technique embauché par la Ville. L’implication des habitants
dans la maîtrise d’œuvre des travaux de réhabilitation s’est concentrée prioritairement
sur la population d’origine turque, particulièrement présente à Terraillon et composée
essentiellement d’artisans. Vingt-neuf d’entre eux ont pu bénéficier d’une formation adaptée
à leurs besoins en échange d’une implication dans les travaux de l’opération.
Enfin, à partir de 1996, comme Parilly, l’Etat classe le quartier en Zone de
Redynamisation Urbaine, afin de permettre le développement du commerce, encore très
faible à Terraillon et dont l’absence génère un isolement des populations. De nouvelles rues
sont également mises en place pour favoriser l’intégration du quartier au reste de la ville.
La politique de réaménagement urbain et de lutte contre les discriminations sociales
menée par Jean-Jacques Queyranne a été bénéfique pour l’image de la commune, qui se
distingue de plus en plus de ces voisines de l’est lyonnais. La ville est plus calme, plus
agréable à vivre et les disparités semblent s’effacer.
C. Bron aujourd’hui
Bron a une place toute particulière dans la politique de l’agglomération, notamment grâce
à la présence d’élus locaux influents. Cependant, les disparités sociales et territoriales
24
20
Chiffres du recensement de 1999, INSEE.
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Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
demeurent. Bron est une des villes de l’agglomération qui observent le plus grand écart en
terme de niveau de vie de ses habitants. Le territoire est toujours éclaté, entre des espaces
marginalisés et dégradés, des espaces autonomes et des quartiers pavillonnaires.
1) Une place importante dans l’espace politique de l’agglomération
a. Un bastion socialiste qui se maintient
Malgré la montée de la droite et de l’extrême-droite, Bron demeure un bastion socialiste.
Devant les dangers électoraux, les socialistes ont su favoriser des alliances d’union de la
gauche, prenant appui sur le parti communiste et sur les Verts. La municipalité Guillemot,
25
élue en 1999 et en 2001 met en avant les diverses composantes de la gauche. Cependant,
il ne faut pas idéaliser cette union, souvent sujette à la discorde au sein même de l’équipe
municipale. La présence de l’opposition a cependant été régulée. En effet, si les conseillers
de l’opposition étaient neuf sur trente en 1983, ils sont aujourd’hui neuf sur trente-neuf.
b. Des élus locaux influents
Les élus de Bron sont influents au-delà même de la commune. Le cas de Jean-Jacques
Queyranne est particulièrement significatif : député du Rhône depuis 1988, Secrétaire d’Etat
à l’Outre-Mer et Ministre des Relations avec le Parlement sous les gouvernements Jospin,
actuel Président de la région Rhône-Alpes… En matière de culture, cela s’est traduit par la
labellisation de l’Espace Albert Camus « scène régionale », qui permet au centre culturel
brondillant d’obtenir des subventions supplémentaires.
Le poids au sein même de la communauté urbaine, le Grand Lyon, est conséquent. La
maire actuelle, Annie Guillemot, en est la vice-présidente depuis 2002 et peut ainsi favoriser
la commune. De nombreuses compétences étant déléguées à la communauté urbaine, il
est important pour Bron de participer pleinement à son organe exécutif. Annie Guillemot a
été conseillère régionale de 1998 à 2001, puis conseillère générale.
c. Une ville de banlieue qui se distingue ?
Dans l’est lyonnais, Bron a également une visibilité et une image inégalée vis-à-vis de
ses voisines Vénissieux ou Vaulx-en-Velin. Grâce à la valorisation de ses espaces verts,
l’arrivée du tramway et la présence d’équipements qui rayonnent sur l’agglomération, tels
que l’université ou les hôpitaux, Bron est aujourd’hui une ville agréable à vivre. L’arrivée
du tramway a notamment permis à la commune de restructurer entièrement son centreville entre 2000 et aujourd’hui. Bron demeure une des villes de l’agglomération les plus
recherchées en terme de logements individuels, grâce à son image et à sa proximité avec
Lyon. Le dynamisme culturel de la commune, portée depuis André Sousi, participe fortement
à la valorisation de cette nouvelle image.
Cependant, la vision idyllique de la commune ainsi proposée par la municipalité doit
être fortement nuancée. En effet, Bron demeure une ville où les disparités sociales et les
enjeux urbains sont considérables.
2) La persistance des disparités économiques et sociales
a. Les problèmes liés à l’emploi
25
Jean-Jacques Queyranne ayant quitté son poste de maire en 1997, un maire intérimaire est nommé avant l’organisation d’une
élection en 1999.
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21
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Le taux de chômage, bien que résorbé en partie par la municipalité Queyranne, demeure
conséquent sur la commune, notamment chez les jeunes actifs des quartiers de Parilly
et de Terraillon. Il s’est stabilisé autour de 14%, soit plus que la moyenne nationale. La
municipalité continue sa politique pour l’emploi avec le Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi
au niveau intercommunal et un dispositif Insertion et Emploi pour les quartiers de Parilly et
Terraillon, en relation avec l’ANPE, la Mission Locale pour l’emploi et l’association RIB.
La persistance du caractère « dortoir » de la commune est également symptomatique
de ses difficultés économiques, puisque seulement 30% des actifs travaillent à Bron, malgré
les 20 000 emplois offerts sur la commune. La ville observe donc un exode massif aux
heures de travail. Les difficultés des habitants des quartiers périphériques comme Terraillon
ne sont que plus importants face à la prospérité des populations des quartiers pavillonnaires.
b. Une population hétérogène
La ville compte aujourd’hui 37 369 habitants. La population brondillante est hétérogène,
pluri-ethnique et socialement mixte. Les moins de 20 ans composent 27% de la population,
contre 20% de plus de 60 ans.
Sur le territoire, les logements collectifs constituent 82,7% du nombre de logement
total, contre 17,3% de logements individuels. Au niveau des origines ethniques, la moitié
de la population est d’origine ou de nationalité étrangère. De nombreuses nationalités se
juxtaposent sur le territoire communal, allant de l’Afrique du Nord à l’Asie, en passant par
l’Europe méditerranéenne et orientale. La plus grande disparité au sein de la population est
marquée par une population qui se paupérise dans les quartiers périphériques alors que la
classe moyenne, logée dans les quartiers centralisés et pavillonnaires, s’agrandit.
3) Une identité urbaine marquée par la ségrégation territoriale
a. Un territoire d’échanges et de trafic au niveau de l’agglomération
Bron se trouve toujours à la croisée de grands axes de voirie de communication : un axe
est/ouest avec la RN6 (avenue F. Roosevelt), l’A43, la route de Genas ; un axe nord/sud
avec le boulevard périphérique Bonnevay, le boulevard Pinel, le boulevard des Droits de
l’Homme et bientôt le boulevard est urbain. Ces grands axes de communication, dont l’A43
et le boulevard L. Bonnevay sont les plus fréquentés de l’agglomération, pérennisent la
ségrégation territoriale de certains quartiers, toujours difficiles à relier entre eux et au centreville.
La mise en valeur des espaces verts, toujours d’actualité, cherche à effacer les
nuisances considérables engendrées par cette situation. De nombreux espaces verts
jalonnent le territoire grâce aux efforts conjugués de la municipalité et du Grand Lyon : le
parc de Parilly, le bois des Essarts, le bois du Fort de Bron… 15% du territoire est classé
en zones naturelles, soit plus de 31% depuis la fin des années 1990.
b. Le centre-ville : une modernisation continue
Le centre-ville, qui se déploie autour de l’avenue Franklin Roosevelt – route nationale, est
le lieu central d’essor et de structuration de la ville, avec un appareil commercial linéaire
très actif. Son paysage urbain est contrasté entre un bâti ancien de faible hauteur et un bâti
récent, composé d’immeubles de cinq étages en moyenne, abritant services et commerces,
qui donne aujourd’hui son identité urbaine au centre. La modernisation du centre-ville
22
GLOPPE Gaëlle - 2007
Première partie : de l’éclatement de l’identité brondillante à la reconquête du tissu urbain : enjeux
politiques, urbains et sociaux d’une ville périphérique
se poursuit et est inscrite au plan d’aménagement urbain de l’agglomération avec pour
principes le renforcement de la centralité et la requalification des espaces publics.
c. L’extension des zones d’habitats individuels
Les zones d’habitats individuels, déjà étendues dans les années 1980, ont vocation à
s'étirer, notamment dans la zone des Lads, à l’entrée de ville du côté de l’université. Elles
sont variées : bâti rural et ancien, maisons bourgeoises, pavillons des années 1920 et
1930, lotissements d’après-guerre, pavillons modernes… Elles regroupent dans leur grande
majorité des populations aisées ou issues de la classe moyenne. Elles se situent autour
du centre-ville (quartiers du Rarfour, de la Radue, de l’église…), à Bron-Nord et derrière
Rebufer.
d. Des quartiers périphériques toujours exclus et défavorisés
Les zones d’habitats collectifs sont toujours concentrées dans les quartiers de Parilly
et Terraillon, en dehors de petites unités d’habitats dispersés. Parilly et Terraillon sont
aujourd’hui classées en zone de redynamisation urbaine. Les différentes politiques
publiques successives n’ont pas réussi à désenclaver totalement ces quartiers, ni à
améliorer leur environnement (les copropriétés de Terraillon sont toujours dans un état
avancé de dégradation). Ils souffrent toujours d’un manque d’espaces publics et d’espaces
verts, des nuisances dues au réseau routier, de la dégradation des services et commerces
de proximité, du manque de mixité sociale et d’un manque d’accès aux équipements
culturels de la commune. Ces quartiers regroupent aujourd’hui les catégories sociales les
plus défavorisées et une bonne partie de la population immigrée.
e. Evolution et restructuration du tissu urbain
Les enjeux urbains qui pèsent sur Bron sont surtout liés à une difficulté à mettre en
réseau ces différents espaces, qui sont marqués par leur architecture, leurs activités
et leurs représentations sociales. Malgré les restructurations progressives des quartiers
défavorisés, la ville compte 30,6% de logements sociaux, dont la plupart sont concentrés
dans les quartiers de Parilly et Terraillon. Le réseau routier et la présence de plus en plus
26
importante d’équipements de l’agglomération sont des obstacles majeurs à la réalisation
d’un tissu urbain cohérent et à l’émergence d’une identité culturelle brondillante
. La reconquête du tissu urbain n’est pas achevée, bien qu’elle soit en bonne voie.
Les différents quartiers bénéficient d’une certaine autonomie, grâce à la présence de
commerces et de services de proximité qui doivent cependant être revalorisés. Les
équipements sportifs, culturels et sociaux qui s’étendent sur le territoire ont perdu de la
cohérence au regard de l’évolution urbaine récente, et doivent être mieux adaptés aux
habitants. Enfin, le réseau viaire de la commune nécessite un développement plus poussé,
certains quartiers comme Terraillon ou Rebufer en manquant cruellement.
La construction urbaine de Bron illustre les réalités sociales et culturelles de la
commune. Tout d’abord, la rapidité et le manque de réflexion autour de la croissance urbaine
ont entraîné une ségrégation des espaces de la commune, un cloisonnement social et
territorial. La municipalité n’a pas su anticiper l’intégration des nouvelles populations, ce qui
a entraîné un éclatement brusque de l’identité brondillante. Ces nouvelles populations ont
26
En dehors des équipements que nous avons déjà évoqué, Bron accueille les hôpitaux neurologiques et cardiologiques, la Légion
de gendarmerie mobile, le Centre des Etudes Techniques de l’Equipement, l’hippodrome de Parilly, et bientôt l’hôpital pédiatrique et
gynéco-obstétrical
GLOPPE Gaëlle - 2007
23
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
été rapidement exilées aux confins de la commune, ségrégation territoriale d’autant plus
forte que l’arrivée de nouveaux réseaux autoroutiers l’a entériné. De plus, l’attachement
et la dépendance vis-à-vis de la ville-centre, Lyon, s’est accentuée au fur et à mesure de
l’implantation des infrastructures lyonnaises ou régionales sur le territoire brondillant. La
ville a tenté ces dernières années d’enrayer les phénomènes d’exclusion et de recréer
un sentiment d’appartenance à la commune par des équipements de proximité. Le travail
autour de l’intégration des différentes populations et du rattachement des différents quartiers
s’est également fait autour de la politique culturelle de la commune, nécessaire mais
contrainte par les enjeux urbains et les disparités sociales.
24
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
Deuxième partie : complémentarités
et disparités des acteurs culturels
de Bron : entre cohésion sociale et
identités urbaines
Le contexte historique et sociologique de la commune est important dans l’émergence
et la construction des politiques culturelles menées sur le territoire brondillant. En effet,
l’identité urbaine de Bron, marquée par une forte ségrégation de l’espace et des catégories
sociales, engendre une discrimination sociale et une exclusion culturelle des populations
marginalisées. L’action culturelle est alors utilisée à des fins sociales et urbaines par les
deux acteurs culturels de la commune : la municipalité et les associations.
Il est nécessaire de retracer les différentes politiques menées par ces deux acteurs,
qui bien que proches dans leurs objectifs premiers, s’éloignent progressivement pour
parfois s’opposer et se distinguer. En effet, les choix et orientations des différents acteurs
concordent sur le principe de la démocratisation culturelle, qui permet à toutes les catégories
sociales d’avoir un égal accès à la culture. La politique culturelle des acteurs permet ainsi
de recréer une forme de cohésion sociale et urbaine, en recréant de nouveaux lieux de
sociabilité, des rites et des pratiques culturelles qui peuvent permettre la représentation
symbolique d’une identité collective.
A travers les différentes politiques culturelles de la municipalité et des associations,
on peut observer des objectifs et des enjeux culturels différents. Le glissement progressif
des politiques municipales vers une politique de rayonnement culturel remet en question la
notion de politique sociale affirmée par la municipalité socialiste dès 1945. Les associations
culturelles sont donc obligées d’affirmer une représentation de la culture différente, quoique
souvent similaire, et à se démarquer en mettant en avant une identité locale et populaire.
.
I. La culture municipale : politique sociale ou
instrumentalisation politique?
Au fil des années, la politique culturelle de la mairie de Bron s’est abreuvée de l’idéologie
socialiste selon laquelle la démocratisation culturelle favorise l’intégration tant politique que
sociale au territoire. Or, le nouveau contexte de concurrence auquel sont soumises les villes
périphériques entraîne une modification des enjeux de la politique culturelle, qui va être
instrumentalisée pour promouvoir une certaine image de la commune.
GLOPPE Gaëlle - 2007
25
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
A. Origines et enjeux de la politique culturelle à Bron : des besoins
locaux à l’idéologie partisane
L’action politique de la municipalité dans le domaine culturel est liée avant tout à une prise
en considération de l’enjeu culturel, mis en avant par les caractéristiques urbaines, mais
également par l’orientation politique de la municipalité.
1) Emergence de l’action culturelle municipale : la participation à la cohésion
sociale
a. Des initiatives privées à la prise en main politique
e
L’apparition de la culture artistique à Bron est liée à la première phase d’urbanisation au XIX
e
siècle. En effet, l’arrivée de la III République permet au mouvement associatif de naître.
La Glaneuse, dont nous évoquerons plus loin l’histoire et l’importance dans la commune,
est de loin la première société musicale brondillante, puisqu’elle a été fondée en 1884.
Cette fanfare menée avec entrain par ses membres gagne rapidement la sympathie et
la reconnaissance des Brondillants. La croissance de ses membres honoraires en est la
preuve, puisque de 63 en 1894, ils passent à 100 en 1901, couvrant toutes les couches
sociales. En 1911, une autre activité culturelle d’importance dans le cœur des Brondillants,
le cinéma, fait son apparition au café des Mûriers. Tous les samedis, les Brondillants se
retrouvent pour voir ensemble des films muets. En 1933, le nouvel acquéreur, M. Maire,
fait agrandir et aménager la salle, qui devient le « Sélect », le cinéma le plus apprécié à
Bron. Si la municipalité laisse longtemps le soin aux initiatives privées de proposer des
activités culturelles, elle ne tarde pas à offrir une aide financière à La Glaneuse, en lui
cédant gratuitement un terrain communal dans le centre-ville en mars 1903. Ceci permet la
construction d’une salle des fêtes, inaugurée en 1904, qui devient le premier lieu de création
et de diffusion artistique sur la commune.
Cependant, la première politique culturelle menée par la municipalité concerne
l’éducation et n’apparaît qu’à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale. Le programme social
du nouveau conseil municipal en 1945 fait une large part à la politique d’éducation culturelle
et artistique, touchant la littérature, le théâtre, la musique, tout en s’appuyant sur une aide
importante vis-à-vis de la création de chorales et de sociétés musicales. Le programme
s’appuie sur la connaissance des arts et le développement de l’esprit critique à l’école,
mais également sur les structures extrascolaires qui offrent les conditions premières de la
pratique en amateur et des moyens de diffusion de l’art, notamment en matière de musique.
Ainsi la première politique culturelle de la ville de Bron est orientée vers une plus
grande connaissance des arts, mais également un soutien politique et financier à la
création de partenaires privés, tels que les associations musicales. Les partenaires mis en
avant correspondent aux nouveaux rapports sociaux qui s’instaurent dans l’après-guerre :
une école républicaine orientée vers l’esprit critique, une valorisation des éléments de la
démocratie représentés par les sociétés ou associations libres, et un rôle de démocratisation
culturelle du pouvoir local.
b. La prise en compte des vertus sociales de la culture
L’arrivée de la politique culturelle à Bron n’est pas sans rapport avec la fin du régime de
Vichy et la période d’épuration qui s’en est suivie. De même, la production d’une politique
26
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
sociale, intégrant l’action culturelle, démontre que l’enjeu culturel et sa fonction de médiation
sociale sont pris en compte par les pouvoirs locaux.
Le régime de Vichy, qui a exacerbé les tensions politiques entre les individus, et la fin
de la guerre font entrer Bron dans une mutation urbaine sans précédent, avec de nouveaux
quartiers et des populations différentes et étrangères les unes aux autres. L’éclatement
de l’identité brondillante et de son territoire doit être résorbé. Il est dans l’intérêt de la
municipalité de mettre en place les conditions d’une cohésion sociale, c’est-à-dire un
système de représentation commun à tous, reconnaissable. La politique culturelle permet de
dégager des actions en faveur d’une médiation sociale, d’une cohésion de la communauté,
en amorçant une compréhension mutuelle des individus par la confrontation des identités
collectives.
La prise en compte de cet enjeu social de la culture est accompagnée par la
municipalisation de la culture, c’est-à-dire la prise de pouvoir des municipalités dans
le domaine culturel, tout d’abord de manière informelle dans les années 1970, puis de
façon institutionnalisée avec les lois de décentralisation. Le développement des politiques
culturelles sous la municipalité Sousi est représentatif des vertus sociales accordées à la
culture, puisqu’elles vont accompagner les efforts de reconquête du tissu urbain. Cela peut
s’observer par l’effort financier dévolu à cette politique. Aujourd’hui, Bron dépense environ
10% de son budget dans les affaires culturelles.
2) Politique culturelle et idéologie socialiste
La municipalité de Bron étant à majorité socialiste depuis 1945, il est nécessaire de
dégager les orientations politiques en matière de culture du parti socialiste français, afin de
comprendre les objectifs de l’action culturelle municipale.
a. Le partage culturel pour la participation à la vie publique
Les politiques culturelles d’Etat ont existé bien avant la sectorisation de la culture sous la
e
V République. Le régime de Vichy a lui-même portée sa propre vision de la culture avec
sa « Révolution Nationale », tentant d’agir sur les mœurs et les pratiques culturelles des
Français. Le Front Populaire de 1936 a mis en place les premières politiques culturelles
de gauche.
A cette époque, l’idéal culturel porté par les groupes de gauche, essentiellement
socialistes mais également communistes, se concentre sur la lutte contre le fascisme,
appuyée par une volonté de la démocratisation culturelle. En effet, la lutte contre le fascisme
devient une lutte pour la liberté et contre l’uniformisation culturelle. Le principe qui guide
la politique culturelle du Front Populaire est symptomatique de son époque et de sa
prise de pouvoir : la liberté passe par la démocratisation culturelle, qui, en éduquant les
masses, permet lutter contre le fascisme. Le partage culturel est donc le fondement même
des politiques culturelles socialistes qui vont jalonner l’histoire. A partir de 1965, les élus
socialistes locaux mettent à profit les équipements et les associations pour favoriser une
meilleure participation et la mobilisation politique. Les programmes électoraux des candidats
socialistes mettent en avant le développement culturel local. Les victoires aux municipales
favorisent ainsi une sorte d’identification entre les programmes socialistes et les projets
culturels.
b. L’animation socioculturelle pour lutter contre les discriminations sociales
GLOPPE Gaëlle - 2007
27
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Dès 1936, l’action culturelle de l’Etat, qui coordonne les différents réseaux, est tournée vers
le local. Ce sont les associations et les syndicats qui vont permettre la démocratisation
culturelle grâce à leurs implantations localisées et leur poids social et politique. Ils
deviennent à la fois des lieux de diffusion et de création, offrant ainsi aux populations les
moins favorisés des ateliers artistiques et de lieux d’exposition ou de spectacles. Un rôle
de médiation leur est également attribué, les syndicats et associations devant transmettre
des savoirs.
Les loisirs jouent un rôle primordial dans la politique de démocratisation culturelle
prônée par le Front Populaire. En réalité, l’action politique en matière de culture est
encore fortement liée aux autres secteurs qui observent une évolution symptomatique de
l’époque : les loisirs et le sport. Le Ministère des Affaires Culturelles de Malraux instaure
un double processus de démocratisation culturelle : une série de grands équipements pour
une démocratisation par le haut et une décentralisation de services socioculturels dans
les quartiers. Ce sont ces derniers que les villes de gauche se réapproprient dans les
années 1960-1970, évoquant les bénéfices de la culture locale et populaire pour favoriser
le développement social et urbain, par l’apparition de nouveaux espaces publics.
Le rôle de cohésion et d’effacement des discriminations sociales alloué à la culture est
clairement visible à Bron si l’on observe le budget primitif de 2005. La culture bénéficie de
3,2 millions d’euros, soit plus que l’aménagement urbain (1,8 millions) et que le secteur de
l’économie et de l’insertion (0,9 millions).
c. Une continuité relative de l’action municipale
La municipalité brondillante, depuis les prémices de son action culturelle, a gardé en
mémoire les objectifs de cohésion sociale prônée par le parti socialiste dans les années
1930, tout en l’adaptant aux besoins de la population brondillante. Les finalités dévolues
à la politique culturelle ont peu évolué. Il s’agit avant tout de permettre à la population un
accès à la culture. Cet objectif de démocratisation culturelle semble vouloir contrer à la fois
les problèmes d’exclusion sociale, mais également favoriser la participation citoyenne et la
mobilisation politique. L’accès à la culture engendre, selon cette conception, des modalités
de la vie politique en ce qu’elle entraîne la création de nouvelles sociabilités. Les nouveaux
lieux de la culture permettent ainsi de mettre en place de nouveaux points de repères et
de rencontres, en favorisant la création d’espaces publics, propices à la discussion et au
débat. Le décloisonnement des espaces d’exclusion, comme les ensembles de Parilly et
de Terraillon, est primordiale dans la réalisation de la communauté. Il est donc important de
mettre en évidence et en relation les différentes politiques culturelles menées au cours des
trente dernières années. En effet, si chaque période est marquée par de grandes tendances,
l’objectif de démocratisation culturelle est toujours présent. La volonté d’André Sousi en
27
1983 de « permettre à chacun de trouver l’activité culturelle ou sportive de son choix » ,
n’est pas étrangère à l’affirmation de Mme Vallet, directrice actuelle des affaires culturelles,
quant aux orientations que lui donnent les élus de la majorité socialiste : « la culture pour
28
tous, certes. » .
Les politiques culturelles de Bron ont en réalité suivi une certaine progression relative
aux changements d’époque, mais ont conservées une continuité importante, tant dans leurs
objectifs que dans les moyens de leurs mises en œuvre.
27
28
28
André Sousi, 1971-1988, ou l’épopée d’une ville, Bron, Ed. Martin, coll. Le « A », 2000, p.176
Entretien du 19 juillet 2007. Toutes les citations de Mme Vallet sont issues de cet entretien.
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
B. Une politique sociale : démocratisation culturelle et développement
du tissu urbain
La démocratisation culturelle s’accompagne à Bron d’une recherche du tissu urbain, créé à
la fois grâce à un réseau d’équipements culturels et à la mise en place d’un réseau d’acteurs
sur tout le territoire.
1) Une politique de l’art pour l’accès à tous à la culture
a. L’éducation culturelle et artistique : une action au cœur de la cité
La politique d’éducation culturelle initiée en 1945 a perduré, s’élargissant et évoluant au gré
des années. Elle se traduit notamment par un soutien politique et financier aux associations
musicales ainsi qu’aux structures qui proposent des activités artistiques, telles que la MJC.
La mairie s’applique surtout à produire des partenariats entre les différentes structures
scolaires et les équipements culturels. Elle a pour cela mis en place une programmation
Jeune Public, en convention avec la MJC Louis Aragon jusqu’en 2001, puis avec l’Espace
Albert Camus. Les classes de maternelles et de primaires peuvent donc assister à deux
ou trois spectacles par an. La politique d’éducation culturelle et artistique ne s’arrête
pas aux seuls spectacles, puisque les enseignants opèrent un suivi, dans une démarche
pédagogique. Gisèle Bertrand, directrice de l’école de musique de la MJC, qui en avait la
charge avant 2001, se souvient :
Les enseignants s’emparaient du spectacle, et parfois nous retournaient des
résultats : des dessins, des écrits qui avaient été faits. Ça c’était la pédagogie en
29
direct […].Et puis il y avait un bilan de fin d’année avec les enseignants.
L’intérêt de cette politique culturelle est son aspect transectoriel. Le travail est réellement
élaboré avec les différents partenaires : la MJC pour son savoir-faire, les enseignants et
le service scolaire de la mairie, afin de faire des bilans de cette politique. Aujourd’hui, seul
l’Espace Albert Camus est en charge de la programmation Jeune Public et propose des
interactions entre les artistes et les élèves, en plus du partenariat avec le secteur scolaire.
Sous le mandat de Jean-Jacques Queyranne, des initiatives ont été prises
pour multiplier les animations culturelles et éducatives directement dans les quartiers
périphériques. Ainsi, l’opération « Je t’écris de Bron » a permis aux habitants de Terraillon
de pratiquer une activité littéraire en présence d’un écrivain, installé dans les différents lieux
du quartier : les cafés, la Mission locale pour l’emploi des jeunes, l’espace petite enfance,
le collège… Une pièce de théâtre a même été réalisée à partir de ces écrits.
La politique d’éducation culturelle a pour but, en dehors de la transmission des
savoirs, d’ouvrir aux enfants les portes d’une culture artistique différente de celle de leur
environnement familial, mais également un accès financier au spectacle vivant. En effet, la
municipalité finance les places de spectacle dans le cadre scolaire. Les spectacles proposés
par la programmation Jeune Public en dehors de la période scolaire bénéficient de tarifs
adaptés, de 3 à 5 euros la place aujourd’hui.
b. De la bibliothèque à la médiathèque : une continuité politique
La bibliothèque publique est l’outil de la démocratisation culturelle par excellence. Ce
concept, créé à la fin des années 1960, réunit en son sein la bibliothèque savante et
29
Entretien du 26 juillet 2007. Toutes les citations de Gisèle Bertrand sont issues de cet entretien.
GLOPPE Gaëlle - 2007
29
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
la bibliothèque populaire. Ainsi, la culture institutionnelle, savante, est accessible à tous,
et la culturelle populaire, souvent méprisée, est légitimée par les pouvoirs publics en
prenant sa place à côté des œuvres de Proust. En réalité, l’apparition des bibliothèques
municipales dans les années 1970 correspond à un profond bouleversement dans les
pratiques culturelles des Français, dû à l’urbanisation grandissante, à l’allongement de la
30
scolarité et l’augmentation du niveau scolaire .
La création d’une bibliothèque à Bron est un projet de la municipalité Brissy, qui a acquis
les terrains en 1966. L’effort de la commune dans ce domaine est particulièrement important.
Si la construction est en partie financée par les subventions de l’Education Nationale et de
la Direction des Bibliothèques, la municipalité prend en charge la réalisation du catalogue
et le mobilier, effort constant jusqu’à aujourd’hui. Dans les années 1980, l’accroissement
du catalogue est de 5000 livres par an. Inaugurée en 1974, la bibliothèque Jean Prévost
s’est continuellement développée, jusqu’à devenir une médiathèque sous la municipalité
Queyranne. En 1983, la bibliothèque de Bron est la deuxième du département, si l’on
excepte celle de Lyon, avec plus de 60 000 ouvrages mis à la disposition du public et
150 000 emprunts par an. Les modifications et améliorations constantes dont la bibliothèque
bénéficie dévoilent les objectifs dévolus à un tel équipement. En réalité, la bibliothèque
remplit plusieurs fonctions : une fonction de transmission de l’héritage local, avec des
ouvrages propres à la région, une fonction d’éducation, et une fonction culturelle.
La dernière, la fonction culturelle, est probablement la plus intéressante de toutes,
puisqu’elle concentre les principes de démocratie politique et d’accès à l’art. En effet, les
bibliothèques ont souvent un rôle d’espace public, conféré par la volonté d’y instaurer des
débats publiques et politiques, mis également de lieu d’exposition. La bibliothèque devient
producteur et diffuseur de culture, en proposant des animations multiples. André Sousi
dévoue cette fonction à la bibliothèque en déclarant : « Si la bibliothèque devient un lieu de
rencontres privilégié, il sera sans doute possible de faire d’avantage participer les usagers
31
à son animation ».
La fonction culturelle s’étend au contenu même du catalogue de la bibliothèque, dont
les supports se diversifient de plus en plus. Elle suit l’évolution des pratiques culturelles
et les nouvelles technologies en multipliant les supports dès 1987 avec l’arrivée d’une
vidéothèque. Elle participe ainsi à la légitimation d’une culture populaire, tout en devant
faire un compromis constant entre la demande des usagers et sa capacité à offrir de
nouvelles possibilités. L’effort de la municipalité dans ce domaine continue, puisqu’une
nouvelle médiathèque est en projet dans le quartier de Bron-Parilly.
c. Les arts plastiques : entre mécénat et soutien à l’expression artistique
Bron effectue une triple action en la faveur des arts plastiques, dont le principe est de
permettre à tous de pratiquer et de contempler l’art.
La première action est réalisée en faveur de la diffusion de l’art, en proposant des lieux
d’exposition ou en finançant les projets destinés à la diffusion des œuvres. Par exemple,
la mairie organise tous les deux ans une exposition avec l’Association pour la Promotion
de l’Art. Cette action est restreinte par le manque de lieu d’exposition à la disposition de la
municipalité (la salle du conseil municipal ou l’Agora, qui abrite d’autres services municipaux
en face de l’Hôtel de Ville, ne sont pas adaptés) et le refus des élus de l’inscrire au budget.
30
e
Anne-Marie Bertrand, « Les bibliothèques », in Guy Saez [dir.], Institutions et vie culturelles, 2 édition, Paris, La Documentation
Française, coll. Les Notices, 2004, p.88
31
30
André Sousi, opus cité, p. 52
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
La direction des affaires culturelles est donc contrainte à n’organiser qu’une seule exposition
par an, réservée aux artistes Brondillants. Les artistes demandeurs de lieux de diffusion
sont redirigés pour le moment à l’Espace Albert Camus ou à la MJC selon la taille des
oeuvres. La Ville a d’ailleurs récemment rénové les locaux de cette dernière, permettant
au hall d’accueillir des expositions. Les expositions sont généralement organisées par le
service de la médiathèque, très actif dans ce domaine. Le projet de nouvelle médiathèque
inclut une salle d’exposition qui sera mise à la disposition de la municipalité.
La deuxième action, qui n’est plus à l’ordre du jour actuellement, a été une des grandes
politiques culturelles des années 1980 dans les communes socialistes. Il s’agit de permettre
au public de découvrir des œuvres d’art en dehors des murs, dans la cité. Les citoyens
peu familiarisés avec l’art contemporain peuvent découvrir des œuvres dans leur propre
environnement. La relation entre l’œuvre et le public est d’autant plus forte qu’elle appelle
un sentiment exacerbé de rejet ou de ralliement. Ainsi, l’art permet également une nouvelle
représentation de l’espace. L’entrée de l’art urbain est d’ailleurs facilitée par la loi de 1951
32
dite du 1% pour les établissements scolaires et universitaires. Dans ce cadre, la Ville de
Bron a pu faire réaliser une fresque monumentale sur les nouveaux murs de la bibliothèque
municipale. En octobre 1980, se tient une exposition de sculptures contemporaines à la
33
bibliothèque et dans le square Grimma . En 1982, la Ville se dote d’une fontaine réalisée par
Yvon Avoscan sur la place Romanet. Cette politique de l’art urbain initiée dans les années
1970 par les collectivités de gauche a été relayée par l’Etat sous la présidence de François
Mitterrand, grâce au principe de la commande publique. Oullins par exemple a bénéficié de
cette politique publique dans le cadre de l’action « Sept villes, sept fontaines » lancée en
1987. L’arrêt de cette politique est principalement dû à un coût particulièrement élevé.
Enfin, une troisième action est menée en faveur de la création, par le mécénat.
En effet, la municipalité achète régulièrement les œuvres exposées lors du Salon des
Indépendants, association qu’elle soutient financièrement, ou lors des diverses expositions
qu’elle organise. Cette forme de mécénat permet de faire vivre les artistes amateurs ou
professionnels de la ville et de favoriser leur développement. Il faut toutefois relativiser
ses effets. L’achat d’œuvre n’étant que ponctuel, seule une petite catégorie d’artiste en
bénéficie. Il accompagne cependant l’organisation générale de l’exposition, prise en charge
financièrement par la mairie. En offrant à l’artiste un lieu d’exposition, elle favorise la vente
de ses œuvres.
2) Le développement urbain par l’équipement culturel
a. Le choix de l’équipement pour développer l’espace urbain
34
Selon Guy Saez , la politique culturelle des communes était largement caractérisable dans
les années 1980, car elle se résumait à une politique de l’équipement. On peut expliquer
cette tendance par une croyance profonde en la finalité de cohésion urbaine dévolue à
la culture. « Les activités culturelles jouent un rôle structurant dans la construction de
35
l’expérience et du sens des lieux les moins remarquables »
32
La loi du « 1% culturel » incite à intégrer 1% du budget alloué à la construction d’un établissement à la réalisation ou l’achat
d’une œuvre d’art.
33
34
35
Il s’agit de la place située devant l’Hôtel de Ville
e
Guy Saez [dir.], Institutions et vie culturelles, 2 édition, La Documentation Française, coll. Les Notices, 2004, pp.46-47
Ibidem
GLOPPE Gaëlle - 2007
31
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Le principe du réenchantement de l’urbain, de la recomposition de son tissu et de son
dynamisme, est lisible à travers cette politique. André Sousi la résume relativement bien
dans son livre, où il justifie sa politique de l’équipement par la nécessité de « conserver à
36
Bron le caractère d’une ville où il fait bon vivre » . Ville dortoir dans les années 1970, Bron
s’est dotée d’équipements culturels ou socioculturels, qui ont permis de redonner du sens
à des lieux qui en avaient perdu. Cette politique de l’équipement perdure aujourd’hui, avec
la modernisation progressive des lieux de culture et la réalisation de nouveaux espaces
culturels, tels que le futur centre de danse urbaine ou la nouvelle médiathèque à BronParilly. Ainsi, Annie Guillemot défend la politique d’équipement mené par la municipalité
37
socialiste :
Notre objectif est de réinscrire ces espaces qui sont privés de commerces et de
services publics, au coeur de la Cité. Et cela passe notamment par des vecteurs
culturels : l'ouverture d'une bibliothèque, la mise en place d'une fête du livre, la
présence d'un cinéma qui réalise 120 000 entrées par an…
La question du choix de l’équipement est essentiellement sociale et économique, bien que
participant également à la démocratisation culturelle dans les espaces ségrégués. La valeur
de « facteur de développement » accordée à l’équipement culturel met en exergue la finalité
non sectorielle des politiques culturelles. En effet, les équipements culturels réalisés à Bron
ont pour la plupart une double, voire une triple fonction. Le Centre Social Gérard Philippe est
un équipement culturel et médical. L’Espace Albert Camus est un centre culturel, ouvert sur
le parc économique où il se situe, offrant un service de location de salles aux particuliers et
aux entreprises alentours. Pourtant, la conception et la réalisation des structures culturelles
ne s’élaborent pas dans une logique transectorielle. Elles sont le résultat de logiques propres
aux partenaires locaux, souvent des élus, qui espèrent voir se matérialiser leur conception
de l’espace urbain et de son développement. Afin d’éviter les insatisfactions des habitants
vis-à-vis du contenu des équipements culturels, la Ville de Bron a souvent travaillé en
relation avec eux pour définir en définir le contenu, jusqu’à la conception de l’Espace Albert
Camus..
b. Le désenclavement du territoire brondillant
Le processus de désenclavement du territoire par l’équipement culturel est triple. Il s’agit de
renforcer la centralité identifiable par tous en y apportant des éléments structurants, comme
la bibliothèque. Il s’agit également d’inciter les habitants du centre à se rendre dans les
quartiers périphériques. Enfin, il offre des lieux de culture adaptés aux besoins locaux.
Avec l’implantation de la bibliothèque municipale en face de la mairie, la réalisation des
Alizés et de la Maison des sociétés, les mairies successives ont cherché à confirmer l’axe
autour duquel Bron s’est urbanisée, cette démarche étant appuyée par une réhabilitation
des logements, l’arrivée des commerces et la mise en place d’un réseau de transports
couronné par le tramway. L’implantation du cinéma dans le centre en est la preuve. Au
départ destiné à être reconstruit au café des Mûriers puis à l’Espace Albert Camus, la
municipalité décide de l’intégrer dans l’aménagement du centre-ville, lors de la construction
de la résidence Paul Debat. Lors des mandats successifs de Queyranne et de Guillemot, la
mise en valeur du centre en prévision de l’arrivée du tramway s’est accompagnée en 2003
d’une modernisation complète des Alizés.
36
37
André Sousi, op. cit., p.20
Actes du colloque « Autrement, autre part, comment : repenser la place de l’art et de la culture dans la cité », 6 février
2006, synthèse.
32
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
L’aménagement territorial du réseau urbain s’accompagne d’équipements culturels de
proximité permettant aux quartiers les plus excentrés l’accès à la culture et la création
d’espaces publics. Les Maisons de Quartiers des Genêts et des Essarts prennent en charge,
dès les années 1960, l’offre culturelle des premiers quartiers touchés par la construction
des réseaux autoroutiers. Le même rôle est attribué au Centre Social Gérard Philippe à
Terraillon dans les années 1970. La municipalité d’André Sousi a d’ailleurs énormément
investi dans la rénovation et l’agrandissement des Maisons de Quartier, afin de favoriser
leur développement. La MJC, installé au cœur de Bron-Nord, constitue le seul équipement
culturel du quartier. Dans les années 1980, la mairie réalise juste à côté un centre nautique,
créant ainsi un pôle culturel et sportif.
Le désenclavement des zones périphériques, s’il a des vertus sociales, peu également
avoir des vertus économiques, en attirant des investisseurs et des populations nouvelles,
participant ainsi au développement du territoire. L’équipement culturel, parce qu’il propose
des activités susceptibles de modifier la conception d’un espace, est utilisé également à
des fins de revalorisation d’un territoire. Le quartier de Bron-Parilly opère depuis quelques
années une transformation spectaculaire. La mairie de Bron prévoit d’y implanter deux
équipements majeurs en 2008 et 2009 : une nouvelle médiathèque et un centre de danse
urbaine tenu par la compagnie de hip-hop Käfig, actuellement en résidence à l’Espace Albert
Camus. Elle espère ainsi inciter les habitants à se déplacer dans ce quartier dévalorisé
et lui donner une image plus positive. Le Mas Rebufer, quartier résidentiel aux limites
symboliques de la ville (il longe la bretelle d’autoroute et les territoires du parc et de
l’université), bénéficie également de la présence de l’Espace Albert Camus, qui ouvre en
1989, et du Fort de Bron au début des années 1980.
c. La mise en place d’un réseau d’acteurs sur le territoire
Enfin, l’implantation de différents équipements sur tout le territoire permet également de
répartir les acteurs culturels et sociaux, tout en leur donnant des points de rencontre. Guy
Saez l’explique ainsi : « A bien des égards, produire et gérer des équipements culturels est à
38
la fois point de repère et point de rencontre de tous les partenaires de l’action culturelle. »
Ce nouveau réseau d’acteurs, qui s’étend sur la quasi-totalité du territoire brondillant,
est un appui non négligeable dans une politique qui se veut de la démocratisation culturelle.
Ainsi, les partenaires éventuels de la municipalité, principalement les associations, ont
un accès aux différents quartiers, tout en pouvant travailler ensemble dans des espaces
clairement définis.
Une des orientations de la politique culturelle actuelle est justement la mise en réseau
des différents acteurs de la commune. Mme Vallet décrit les orientations que lui donnent
les élus :« Les élus demandent qu’il y ait toujours un lien au niveau municipal. […] Il faut
qu’il y ait un fil conducteur. »
L’intérêt réside dans la multiplication des pôles, afin de toucher toutes les couches de
la population et tout le territoire. La direction des affaires culturelles a surtout une fonction
de coordination des différents acteurs, comme lors de la Biennale de la Danse. Cela permet
aux différents lieux de culture, qui représentent des acteurs et des pratiques culturelles
différentes, d’avoir une visibilité et de se rencontrer. La mise en réseau du secteur culturel
permet de forger une identification plus forte au niveau de la commune.
38
Guy Saez, « Politiques culturelles », in Madeleine Grawitz et Jean Leca [dir.], Traité de Sciences Politiques, t4, Paris, PUF, 1985,
p.408
GLOPPE Gaëlle - 2007
33
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
3) Le soutien aux associations
Un des moyens de permettre l’accès de tous à la culture consiste à s’appuyer sur un réseau
porté lui-même par les habitants de la ville et qui apporte des services culturels de proximité
et adapté aux populations qu’il vise.
La prise en considération du tissu associatif par la municipalité, et ce, dès le début de
39
l’action municipale, est représentative de la politique culturelle socialiste . Dès le début du
e
XX siècle, les élus brondillants reconnaissent l’action culturelle des associations et leur
rôle bénéfique en terme de cohésion sociale, en soutenant les sociétés musicales. Cette
politique accentue au fil des années, en s’élargissant aux différents secteurs de la culture.
40
Le rôle du tissu associatif, qui s’est développé grâce à la municipalité , est double :
il permet d'atteindre des territoires difficiles d’accès et offre des partenariats enrichis
par la participation populaire, pour une action culturelle plus adaptée aux besoins de la
communauté. La structuration actuelle des services municipaux illustre le souci de travailler
avec ces associations. Ainsi, au sein même de la direction des affaires culturelles, un poste
a été créé pour les seules relations avec les associations culturelles. De plus, il existe un
service indépendant et spécifique « Vie associative et locale ». Dans les années 1980, les
affaires culturelles étaient gérées par un Office Culturel Communal, sorte de parlement de
la culture, où les élus, minoritaires, étaient orientés dans leurs politiques culturelles et leurs
financements par un conseil exécutif dominé par les acteurs associatifs de la culture.
Le travail avec les associations se décline en plusieurs volets, plus ou moins importants
selon les périodes. Une invariante demeure la subvention financière à l’association. Elle
s’accompagne d’une mise à disposition des équipements réalisés par la municipalité et
des moyens techniques dont elle dispose. La participation de la direction des affaires
culturelles lors des grands évènements associatifs, tels que la Fête du Livre de Bron ou
la Biennale du Fort de Bron, se résume souvent à une fonction de coordination entre les
services techniques de la ville et l’association organisatrice. Enfin, la mairie sollicite les
associations sur les évènements organisés par la municipalité. Cette sollicitation offre une
certaine visibilité des associations culturelles. Ainsi, des jeunes des quartiers de Terraillon
ou de Parilly, en pratiquant une activité artistique à la MJC, peuvent montrer leurs travaux
aux autres habitants de la ville.
4) La mise en place progressive d’une identité locale ?
a. Une politique culturelle à la recherche d’un ralliement identitaire
Les politiques culturelles de Bron ont toujours été concentrées autour d’une meilleure
démocratisation culturelle, qui sous-entend l’idéal d’une communauté égalitaire en matière
de culture. L’apparition de la première politique culturelle après la Seconde Guerre Mondiale
est symptomatique d’une utopie partagée encore aujourd’hui : celle de la cité retrouvée dans
41
son unité. Selon Catherine Bernié-Boissard :
Art et culture, dans une économie rationnelle, sont convoqués en première
ligne d’un « combat » qui se jouent principalement dans les villes : celui de la
reconquête de la « qualité du lien social », de la solidarité, de la civilité…
39
40
41
34
Voir Supra.
Voir Infra.
Catherine Bernie-Boissard [dir.], Espaces de la culture, politiques de l’art, Paris, L’Harmattan, 2000, p.10
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
La politique de la ville, qui a cherché et cherche encore à rétablir le tissu urbain,
s’accompagne de cette politique vis-à-vis du secteur culturel pour des raisons de cohésion
sociale. En installant un réseau d’équipements culturels et en favorisant l’action associative,
la municipalité propose également des lieux d’échange et de rencontre, propices à la
création d’une nouvelle identité brondillante perdue lors de l’urbanisation massive des
années d’après-guerre. Les différentes populations peuvent alors se confronter et se
rencontrer dans un ensemble de lieux culturels qui prennent progressivement le statut
d’espaces publics, où l’expression de l’identité et la confrontation aux autres est possible.
Les banlieues sont souvent caractérisées par la cohabitation de différentes populations
alors que la sociabilité elle-même est en déficit. La politique culturelle de Bron, dans ces
objectifs, cherche à reproduire cette sociabilité perdue en recréant des espaces propices à
son émergence, mais également en proposant des discussions avec des acteurs implantés
dans le territoire. Elle cherche à effacer les déterminants sociaux et économiques de la
construction de l’espace urbain brondillant. Le principe général, sans oublier les distinctions
territoriales et sociales de ces différents espaces, est de dépasser la notion de « ville42
mosaïque » , c’est-à-dire la juxtaposition d’espaces clos et ségrégués formant un tableau
d’ensemble. En réalité, les politiques culturelles de Bron, de par leurs objectifs sociaux et
urbains, entraînent des nouvelles modalités du vivre ensemble. L’art représente le meilleur
médium possible dans la création d’une identité locale, parce qu’il est un des vecteurs les
plus puissants de la médiation culturelle. En dynamisant et en autorisant le développement
des pratiques artistiques, en favorisant leur diffusion, la municipalité permet aux habitants
de retrouver un ralliement identitaire autour de lieux définis.
b. Un effort supplémentaire vis-à-vis des quartiers défavorisés
Cet effort municipal est particulièrement important vis-à-vis des quartiers tels que Terraillon
ou Parilly. Les enjeux sont d’autant plus importants que ces quartiers, en dehors des
difficultés économiques et sociales vécues par les habitants, sont éloignés du centre et peu
intégrés au reste de la commune. L’enferment des quartiers, qu’il soit choisi ou subi, est
un obstacle majeur à une intégration urbaine et à un ralliement identitaire. Annie Guillemot
43
développe la question lors d’un colloque en 2006 :
Nous devons réinvestir ces territoires par la culture et les pratiques culturelles
qui sont porteuses d'innovations, mais aussi de valeurs républicaines. A Bron,
nous avons deux quartiers en difficulté et il nous est apparu évident que le
fil conducteur de toute démarche de développement social urbain devait être
culturel. Il est essentiel de permettre à ces quartiers de développer une identité
culturelle pour vivre avec les autres.
L’Association du Fort de Bron, dans les années 1990, allait à la rencontre des publics de
ces quartiers, en proposant des petites animations, des petites représentations. Aujourd’hui,
la mairie tente également de les approcher en venant directement dans les quartiers pour
promouvoir les manifestations culturelles organisées par la municipalité. Mme Vallet raconte
que pour le 8 décembre, le service culturel est allé tracter sur les marchés de Terraillon et
de Parilly, avec une fanfare. L’accueil n’a pas été très chaleureux mais cette démarche était
nécessaire : « Il faut absolument les faire sortir, les faire venir ailleurs, les faire se déplacer.
C’est vraiment difficile, notamment pour les femmes.»
42
Selon Alain Battegay, dans La ville, ses frontières, ses cultures (2004), la « ville-mosaïque » est une notion clé qui permet
de dégager les nouveaux rapports conflictuels au sein des nouvelles formes urbaines.
43
Actes du colloque du 6 juillet 2006 op. cit.
GLOPPE Gaëlle - 2007
35
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Le principe n’est pas seulement de les intégrer à la commune, mais également de leur
donner de la voix, comme lors de la mission « Je t’écris de Bron ». Ces objectifs de ralliement
des quartiers sont difficiles à atteindre, car la politique culturelle de la mairie ne peut pas
s’attarder uniquement sur ces quartiers, comme le développe Mme Vallet :
Il y a un travail avec le service du Développement Social Urbain. Il ne faut pas non
plus polariser ces quartiers, sinon les autres quartiers se sentiront exclus et il
peut y avoir du rejet. Mais une plus grande attention y est portée.
La politique culturelle doit en effet, si elle veut produire un ralliement identitaire et une réelle
cohésion sociale, jongler avec les différents besoins et les attentes des différents quartiers
de la ville.
C. Une politique culturelle face à la concurrence : une nouvelle
politique élitiste de l’art ?
La Ville de Bron est confrontée à une concurrence inégale avec la ville-centre et les autres
entités locales. Celle-ci engendre une déviation progressive des objectifs des politiques
publiques, la politique culturelle devenant un moyen d’émergence du territoire. L’identité
n’est plus concentrée sur la synergie entre les différentes populations qui composent le
territoire, mais sur l’image extérieure de la commune.
1) Les acteurs culturels concurrentiels
a. La politique culturelle de Lyon : un rayonnement difficile à concurrencer
Nous ne détaillerons pas ici la politique culturelle de la ville de Lyon. Le rayonnement culturel
de la capitale rhodanienne est difficile à concurrencer à cause de l’implantation historique
de très grands équipements culturels prestigieux sur la commune, comme l’Opéra National
ou le Théâtre des Célestins. Le budget alloué à la culture est également difficilement
atteignable pour une ville de banlieue. Lyon peut se permettre, parce qu’elle en a les
ressources, d’avoir une politique culturelle transversale (Culture et handicap, Prison et
Handicap) et à portée internationale (elle est candidate au statut de ville européenne de la
culture en 2013). Le poids de la ville-centre dans l’agglomération est considérable et fait
de l’ombre, notamment dans le secteur culturel, aux villes périphériques qui tentent de se
démarquer.
b. La faiblesse de la politique culturelle du Grand Lyon : les communes en
opposition
La dépendance de Bron au Grand Lyon s’est accentuée depuis son adhésion, puisque les
dotations de la communauté urbaine financent un quart de son budget en 2005. Or, si de
nombreuses compétences lui ont été déléguées, la culture demeure une prérogative des
villes.
Le Grand Lyon est un élément concurrentiel que les communes ne négligent pas. Les
enjeux en matière de politique culturelle en sein de l’agglomération lyonnaise reflètent des
relations à la ville-centre particulièrement difficiles. Il ne faut pas oublier que Lyon préside
traditionnellement au Grand Lyon, malgré les forces politiques en présence. La légitimité
de la communauté urbaine est souvent remise en cause par les communes, considérées
comme le seul lieu de pouvoir légitime par les élus locaux.
36
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
Les questions relatives au développement d’une politique culturelle d’agglomération
sont multiples et complexes. Malgré des compétences élargies et une vie culturelle
particulièrement riche sur le territoire de l’agglomération, le Grand Lyon n’a pas encore
pris d’initiatives décisives en matière de culture. La politique culturelle de l’agglomération
lyonnaise se décline actuellement en deux principes qui s’incarnent dans un mode de codécision politique. Le premier principe, celui de la subsidiarité, assure aux communes une
maîtrise totale de leurs politiques culturelles. En effet, il permet aux communes de réaffirmer
la pertinence de leur compétence dans le domaine culturel, qui demeure une politique de
proximité, d’animation et de développement local. Le principe de neutralité du Grand Lyon
accentue celui de la subsidiarité, puisque les décisions de l’agglomération de s’imposent
pas aux communes. En réalité, les communes sont en général d’accord sur un principe de
44
coordination , mais pas sur une intervention sur la programmation. L’ingérence du Grand
Lyon dans les affaires culturelles des communes les effraye. Elles ont peur de perdre un
atout concernant l’émergence de leur territoire et un atout pour leur visibilité face à Lyon.
La politique culturelle des communes étant ancienne et importance, elle constitue une sorte
de prérogative naturelle.
c. Les équipements d’agglomération présents à Bron : une politique
culturelle par le haut
Le territoire brondillant est jalonné de territoires indépendants de la municipalité, ce qui
entraîne une rupture au sein de l’espace urbain. Le Vinatier et l’université Lyon 2 ont des
statuts bien particuliers et hors de portée de la compétence administrative et politique
de la Ville de Bron. Bien qu’ils aient fourni un atout non négligeable à la commune en
terme de développement urbain, notamment vis-à-vis de la construction du réseau routier
et des transports en commun, ils demeurent des lieux incontrôlables par la municipalité. Le
développement des projets culturels au sein de ces structures constitue une concurrence
sévère à la politique culturelle municipale : non seulement les projets ne bénéficient ni aux
habitants, ni à l’image de Bron, mais ils renvoient à la municipalité l’image de sa politique
culturelle.
En effet, leur caractère indépendant les incite à une politique culturelle autonome à la
ville. Tout d’abord, leur politique culturelle est déterminée par les populations auxquelles
elles s’adressent. La Ferme du Vinatier s’inscrit dans le programme national « Culture
à l’hôpital » depuis 1997. L’université Lyon 2 propose une offre culturelle destinée
exclusivement à ses étudiants et dont le programme circule par mailing-list. De plus, leur
rayonnement ne bénéficie en rien à la Ville de Bron, puisque le public extérieur n’associe
pas ces lieux au territoire brondillant.
Les partenariats choisis par ces lieux de culture sont significatifs. La Ferme du Vinatier
réduit la Ville de Bron a un partenaire financier, privilégiant les partenaires culturels lyonnais
tels que l’Opéra National. Le statut de l’université incline la structure à privilégier les acteurs
culturels régionaux ou les associations étudiantes. Mme Vallet demeure optimiste quant à
des futurs partenariats qui pourraient avoir un impact sur l’image de la commune en terme
de rayonnement culturel. En effet, la Biennale de la Danse semble avoir permis des ponts
entre ces différents espaces. La Ferme du Vinatier travaille par exemple avec la compagnie
Käfig en résidence à Bron et s’invite dans l’agenda culturel municipal. Les associations
étudiantes de Lyon 2 ont participé aux manifestations culturelles municipales en proposant
44
Par exemple, le conseil municipal de Bron a accordé en 2004 au Grand Lyon une fonction de coordination dans les
évènements culturels qui rayonnent sur toute l’agglomération, comme la Biennale de la Danse.
GLOPPE Gaëlle - 2007
37
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
de jouer lors de la Fête de la Musique ou de préparer un DVD sur les ateliers de la Biennale
de la Danse.
Les difficultés de mise en réseau des partenaires indépendants mais présents sur
la commune entraînent également une requalification de l’offre culturelle municipale.
Concentrée jusque là sur des objectifs de cohésion sociale, la politique culturelle de la mairie
est confrontée à sa propre image : une politique qui part du bas, des pratiques culturelles
populaires, pour aller vers le haut, vers des pratiques légitimées par la puissance publique.
En revanche, la Ferme du Vinatier et l’université Lyon 2 ont des objectifs d’exigence
culturelle. Leur public est principalement composé d’universitaires, de personnalités ayant
déjà un accès privilégié à la culture. Leur politique culturelle n’est pas concentrée autour
d’une action sociale ou de développement urbain. Elle est donc libre de proposer une offre
culturelle plus élitiste, accessible à un certain public. La programmation de ces structures
est indépendante de toute approche de la politique de la ville. Il faut noter également que la
municipalité n’a pas réussi à adapter sa politique en fonction de la présence de l’université
Lyon 2. Les tentatives d’André Sousi d’investir les possibilités offertes par la réalisation de
cette structure n’ont pas donné lieu à une véritable action politique. Il avait en effet le projet
de mettre en place des logements étudiants et de faciliter l’accès des équipements sportifs
et culturels à cette nouvelle population. Or, aucun effort n’a été fourni dans ce sens.
d. Les enjeux économiques et politiques du rayonnement culturel
La concurrence dans le domaine culturel de la ville-centre ou d’autres structures qui lui sont
symboliquement rattachées dévoile des enjeux économiques et politiques du rayonnement
culturel.
Bron, en tant que ville périphérique, est dépendante de Lyon par bien des aspects.
La volonté des élus de modifier l’image de la ville-dortoir des Trente Glorieuses exprime
cette relation de dépendance aggravée lors de la construction urbaine. L’objectif est de
faire de Bron une ville à part entière, et donc d’apporter les éléments nécessaires à cette
construction identitaire. La politique d’équipements urbains, si elle permet de recréer le tissu
urbain et une certaine forme de cohésion sociale, est une concurrence directe avec la villecentre, qui regroupe déjà des équipements sociaux, économiques et culturels d’importance.
La concurrence avec Lyon ne se joue pas seulement au niveau culturel, mais également au
niveau du statut de l’urbanité. Financièrement peu capables de rivaliser avec la géante Lyon
en ce qui concerne les très grands équipements culturels ou la richesse patrimoniale, le
positionnement des villes de la périphérie est concentré sur l’obtention du statut de « ville »
lui-même. En rejetant le terme de banlieue, dont le nom même reflète la mise au ban de
l’espace urbain, les villes périurbaines se créent en tant que ville à part entière. Bron avait
une vocation de zone dortoir et de zone de passage tributaire de la croissance lyonnaise.
Elle a cherché à se débarrasser de ces qualificatifs en s’inventant ville. La politique culturelle
ne sert, vis-à-vis de la ville-centre, qu’à accompagner ce nouveau statut. En évoquant
la multiplication des supports culturels au sein de la bibliothèque, André Sousi déclarait
45
ainsi :« S’il en était besoin, cette vidéothèque montre que Bron est une ville qui bouge et
qui avance ».La politique culturelle devient un indicateur du dynamisme économique des
villes périurbaines.
Or, depuis l’autonomie des villes accordée par les successives lois de décentralisation,
les villes périurbaines se retrouvent dans une concurrence féroce. Susceptibles d’accueillir
le même type de population et le même type d’investisseur, elles doivent réaffirmer leur
45
38
André Sousi, op. cit., p.268
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
identité et leurs particularités. Leur capacité à rayonner sur un territoire comme une
agglomération est donc primordiale dans leur distinction les unes des autres. Il ne s’agit plus
seulement de politique de la ville, ou d’aménagement du territoire, mais bien d’une stratégie
de communication et d’émergence du territoire. L’action culturelle, comme politique visible
et généralement considérée comme indicateur de dynamisme, va être instrumentalisée à
46
ces fins. Mariette Sibertin-Blanc nous donne une définition claire du rayonnement culturel :
Les communes de banlieue et périurbaines tentent elles aussi d’établir
des stratégies de valorisation et d’affirmation municipales au sein des
agglomérations. […] Certains lieux sont aptes à diffuser au-delà des limites
communales ; ils seront qualifiés ici de « rayonnants ». Ils traduisent une volonté
municipale de jouer un rôle certain dans la vie culturelle d’un territoire plus large
de celui de la commune.
La mise en avant des lieux culturels, ici pris dans leur ensemble (équipements et
manifestations), devient un enjeu primordial dans ce système concurrentiel. Il ne s’agit plus
de recréer un tissu urbain propice à une nouvelle cohésion sociale, mais bien d’affirmer
une identité visible et dynamique par le prisme du rayonnement culturel. Les obstacles
rencontrés par le Grand Lyon pour se créer une politique culturelle propre en sont la preuve.
Les équipements et actions culturelles des villes périurbaines constituent un élément fort
de leur identité locale. Ainsi, la Ville de Bron va engager une politique culturelle plus visible
et relativement orientée vers des structures plus élitistes que socioculturelles.
2) Une nouvelle politique de la démonstration
a. Elitisme culturel : une nouvelle politique de l’art ?
Les volontés de rayonnement culturel de la municipalité brondillante datent de la création
47
de l’Espace Albert Camus. Selon André Sousi , la réalisation de cet équipement était
destiné à la fois à compléter la gamme d’équipements urbains (la ville ne disposait pas
d’une scène de théâtre) et à favoriser le développement du quartier de Rebufer. Or, il est
difficile d’imaginer que le développement d’un quartier ne se fasse que par la présence
d’un équipement culturel au milieu d’une zone industrielle. Il est intéressant de noter que,
depuis l’inauguration de l’Espace Albert Camus en 1989, aucune disposition n’a été prise
pour faciliter l’accès des Brondillants à leur propre centre culturel. Un chemin piéton n’est
toujours pas mis en place entre l’arrêt de tramway et la structure. En revanche, la présence
de la bretelle d’autoroute à proximité favorise l’accès à un public qui se situe en dehors de
la ville. Martine Chevalier, directrice de l’Espace Albert Camus, défend tout de même une
stratégie en faveur du public brondillant :
C’est Bron bien entendu parce que les gens sont dans leur ville et on les touche à
plus de 50%, il y a presque 60% des spectateurs qui sont là. Après ce sont aussi
bien des gens de l’Ain que de l’Isère, parce qu’on est à côté quand même, et de
Lyon.
Le rayonnement de l’Espace Albert Camus est également assuré par sa programmation.
Il ne s’agit pas de proposer un accès pour tous à la culture, malgré la présence de la
46
Mariette Sivertin-Blanc, « L’inscription d’une politique publique sur les territoires métropolitaines : les lieux culturels et la
structuration des agglomérations », in Maria Gravari Barbas et Philipe Violier [dir.], Lieux de culture, culture des lieux, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, 2003, p. 103
47
André Sousi, op. cit., p. 272
GLOPPE Gaëlle - 2007
39
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
programmation Jeune Public, mais bien de proposer une programmation artistique, selon
des critères de qualité et non de proximité, comme le dit Martine Chevalier : « Sinon sur la
politique culturelle, c’est une programmation très éclectique, avec des résidences en danse,
quelque fois en théâtre ou chanson, musique, musique du monde. »
Le rayonnement du centre culturel est également accompagné par la région, présidée
par Jean-Jacques Queyranne, ancien maire de Bron. En mars 2006, l’Espace Albert Camus
s’est vu attribuer le label de « scène régionale », qui lui permet non seulement de bénéficier
de nouvelles subventions pour produire une compagnie régionale, mais également lui offre
une nouvelle visibilité. La mise en résidence de la compagnie de danse Käfig, aujourd’hui
internationalement reconnue, permet à l’Espace Albert Camus d’avoir une légitimité réelle
en tant que diffuseur et espace de création artistique.
La politique de rayonnement culturel s’attarde surtout sur la communication. La Fête
du Livre de Bron, qui est une manifestation associative mais à laquelle la Ville participe,
a pris une ampleur considérable. La qualité de la manifestation y est pour beaucoup.
Aujourd’hui, même Villeurbanne, pourtant deuxième ville de l’agglomération, a du mal à
supplanter la réputation de l’évènement. Or, ce dernier était initialement implanté dans le
centre-ville de la commune, permettant ainsi à tous les Brondillants d’y accéder. Aujourd’hui,
il s’installe à l’hippodrome de Parilly, hors des frontières symboliques de la ville. La stratégie
de communication mise en place pour l’évènement (ainsi que pour la Biennale du Fort de
Bron) dépasse celle de la commune. La mise en avant d’une manière plus discrète des
Alizés, par sa rénovation en 2003 grâce à l’arrivée du tramway, part du même principe.
Le problème majeur de la politique de rayonnement culturel est l’effort grandissant de
la commune vis-à-vis de ces lieux de culture, au détriment des actions plus sociales et
culturelles menées jusque là. L’Espace Albert Camus développe une politique artistique
relativement élitiste : peu accessible à un public non-initié et dont les tarifs excluent de fait
les populations les moins aisées.
L’élitisme culturel de la municipalité sera bientôt accentué par la réalisation du centre de
danse urbaine, qui accueillera en résidence des compagnies comme Käfig. Annie Guillemot
48
défend l’implantation de la compagnie dans la ville :
Il faut profiter des opportunités artistiques et les inscrire dans la durée comme
de véritables atouts. La compagnie de Mourad Merzouki désire s'implanter
sur ce territoire à nous de trouver les financements nécessaires […]. Installer
la Compagnie Käfig dans un quartier en difficulté, c'est un symbole pour le
quartier et en même temps cela rejaillit sur l'ensemble de la politique culturelle de
l'agglomération. Mourad Merzouki représente une chance pour le quartier, pour la
ville et pour l'Agglomération. Il ne doit pas quitter Lyon !
Un tel équipement pourra sans doute améliorer l’image de la ville et du quartier de BronParilly, mais sera-t-il d’une certaine utilité pour la commune ? Le problème dans la résidence
de la compagnie Käfig et la réalisation du centre de danse urbaine est la définition des
objectifs : est-ce un nouveau moyen de valorisation de la politique de la municipalité ou
est-ce réellement une politique culturelle à visée sociale ? En effet, on peut supposer que
la valorisation des cultures urbaines dans un quartier où ces cultures ont une résonance
particulière participe à une politique sociale. Or, la mise en résidence de Käfig depuis 2005
n’a abouti qu’à des partenariats avec des équipements culturels élitistes, comme l’Espace
Albert Camus, où elle réside actuellement, ou la Ferme du Vinatier. Elle n’apparaît pas
comme un élément supplémentaire à la politique culturelle menée jusqu’alors, mais bien
48
40
Actes du colloque, op.cit.
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
un atout pour l’image de la commune, atout renforcé par la renommée internationale de la
compagnie.
b. Une politique visible qui perd de la lisibilité
La politique culturelle municipale opère une modification progressive de ses objectifs. Celleci devient de plus en plus axée sur le spectaculaire, sur le visible. En cela, l’action municipale
perd sa cohérence et son objectif de démocratisation culturelle.
On peut également interroger la pertinence de la nouvelle médiathèque. En effet,
l’équipement situé dans le centre-ville est bien fourni, accessible à tous et loin d’être en
état de délabrement. De plus, Vénissieux, dont les frontières s’arrêtent au quartier de Parilly
où la nouvelle médiathèque sera implantée, possède déjà une médiathèque. La mise en
résidence de Käfig à Bron inquiète d’autant plus, car elle incite la municipalité à « montrer »
la compagnie en l’impliquant dans les manifestations qu’elle organise ou coordonne, au
détriment des structures locales. Pourtant, la compagnie Käfig propose avec la municipalité
et l’Espace Albert Camus des actions en faveur des quartiers, sous la forme de stages. Il est
également prévu que le centre de danse urbaine propose des activités de ce type. L’intérêt
est de savoir à quel prix. Annie Guillemot affirme que les enjeux de l’implantation de Käfig
49
sont la cohésion et la mixité sociale, afin de favoriser l’émergence des identités culturelles :
Nous avons également été précurseurs par notre volonté d'implantation
d'artistes. Nous avons ainsi participé à l'installation de Maguy Marin à Rillieuxla-Pape. Ces lieux de mélange, de rencontre et de respect de l'autre participent
d'un projet de développement culturel qui lui-même favorise la mixité urbaine et
sociale.
Cependant, les résidences d’artistes n’ont jusque là pas été porteuses de mixité sociale,
mais au contraire, sont établies dans des lieux de culture, comme l’Espace Albert Camus
et le Fort de Bron, qui sont éloignés des quartiers et renfermés sur eux-mêmes. En quoi la
résidence de Käfig serait-elle différente ?
Cette nouvelle orientation a de quoi inquiéter les autres acteurs culturels, car elle est
onéreuse. Même la MJC, qui travaille en convention avec la mairie depuis 1972, se pose
des questions. La mairie en est pourtant consciente, puisque Mme Vallet expose : « La MJC
est réellement en attente sur la politique culturelle de la municipalité. »
En réalité, la politique de rayonnement culturel s’appuie peu sur les associations, ou
alors elle se réapproprie leur rayonnement. Il s’agit d’une rupture assez nette de la part
de la municipalité, habituée depuis les premières actions culturelles à s’appuyer sur le
réseau associatif afin de toucher toutes les cultures et tous les quartiers. La place de plus
en plus importante de la politique de rayonnement dans l’action publique peut paraître
inquiétante. La recherche d’une cohésion sociale à l’intérieur de la ville paraît supplantée
par la recherche d’une reconnaissance au sein de l’agglomération. Cette modification de
la finalité de l’action culturelle municipale, si elle n’est pas définitive et encore légère, incite
les associations culturelles à rechercher une démarcation vis-à-vis des politiques culturelles
menées par les associations.
49
Actes de colloque, op. cit.
GLOPPE Gaëlle - 2007
41
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
II. L’action culturelle des associations : une politique
de la proximité fondée sur la culture populaire
Acteurs majeurs de la culture à Bron, les associations ont un poids historique. Elles
constituent un réseau incontournable sur la ville, car elles touchent de nombreux habitants
et leurs évènements culturels ont un rayonnement important. Les enjeux politiques mis en
avant par les associations sont souvent proches de ceux de la municipalité. Pourtant, les
relations de dépendance avec la mairie et la modification des objectifs de cette dernière
entraînent une volonté de démarcation forte.
A. Un tissu associatif étendu et puissant
Le tissu associatif brondillant est bien plus ancien que la première politique culturelle
e
municipale. Né à la fin du XIX siècle, il s’étend progressivement, jusqu’à devenir aujourd’hui
incontournable sur la scène culturelle de la ville.
1) La Glaneuse : chantre du dynamisme associatif
a. Petit historique d’une association emblématique
La toute première association à voir le jour à Bron est la société musicale La Glaneuse,
créée par trois jeunes hommes de la commune et autorisée en Préfecture du Rhône le
11 novembre 1884, bien avant la loi 1901. Il s’agit d’une fanfare, qui grandit au fur et à
mesure des succès qu’elle rencontre dans la commune et aux alentours. Elle commence à
se développer en 1889, grâce à l’énergie de son président, Michel Lacroix. A partir de cette
date, l’histoire de La Glaneuse est liée à l’histoire de Bron. Cette association est à l’origine
de la première démarche culturelle de la municipalité puisque pour la première fois, cette
dernière fait un geste en faveur d’une association culturelle, en lui cédant gratuitement un
terrain. La guerre de 14-18 freine l’activité de La Glaneuse, dont beaucoup de membres
sont mobilisés. La salle des fêtes est elle-même transformée en hôpital militaire jusqu’en
juin 1916. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle est destinée aux pompiers de Lyon.
Après la guerre, un nouveau président, Mathieu Bonnardel, relance l’association. De
nouveaux membres l’intègrent. Les conditions de l’après-guerre sont également un bon
moyen de relancer le dynamisme de La Glaneuse, car la population est demandeuse de
distractions, après les années de privations et d’interdits. Enfin, la politique culturelle mise en
place par la commune, en favorisant l’émergence de nouvelles sociétés musicales, réaffirme
le soutien moral, politique et financier de la municipalité à l’association.
Aujourd’hui, La Glaneuse est appelée « L’Harmonie ». Il s’agit de l’ensemble
instrumental de Bron, qui comprend plus de cinquante membres actifs.
b. Une place prépondérante dans le milieu associatif
En tant qu’association la plus ancienne de Bron et au regard de son succès, La Glaneuse
a un statut tout particulier au sein du réseau associatif de la ville, conféré dès 1903 par la
municipalité.
Il a perduré au sein de la politique culturelle de la commune, qui s’est continuellement
attachée à lui accorder un soutien particulier. Lorsque la salle des fêtes devient propriété
42
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
communale après la guerre, la mairie a à cœur de fournir à la Glaneuse une salle de
50
répétition, ce dont aucune autre association n’a bénéficié jusqu’alors . En effet, à la
démolition de la salle des fêtes en 1973 s’est substituée la création d’une salle provisoire
51
dans le centre nautique, près de la MJC . Depuis 1988, une salle de l’Espace Albert Camus
lui est entièrement réservée. Cette décision a été prise dès la conception du projet du
centre culturel. Les manifestations organisées par la mairie sont également l’occasion pour
La Glaneuse d’être reconnue par la municipalité, puisqu’elle est continuellement sollicitée,
depuis sa participation annuelle au défilé de la fête de la gymnastique, qui avait lieu
annuellement à Bron dans les années 1960-1970. La mise en avant de La Glaneuse par
la Ville de Bron est aussi due à son rayonnement extérieur. En effet, les années de l’entredeux-guerres ont permis à l’association de voyager et de se produire dans la région, mais
également à l’étranger, notamment à Bône en Algérie ou à Vienne en Autriche.
La Glaneuse a également une place prépondérante au sein même du réseau associatif.
Elle a non seulement entraîné un accroissement du nombre d’associations culturelles, mais
a participé à l’élaboration de partenariats entre les différentes associations culturelles de
la commune. Elle travaille beaucoup avec la municipalité, mais également avec les Alizés,
la MJC et les autres associations musicales comme Crescendo. Les relations entre les
différentes écoles de musique portent leur fruit, puisqu’à la rentrée 2007, un ensemble
harmonique conjointement géré par La Glaneuse et la MJC va être mis en place sous le
nom de « la Petite Harmonie ».
La force de La Glaneuse est son rôle symbolique. Elle représente la force de
l’implantation et du dynamisme associatif de la commune. Cette implantation ancienne des
associations est également un poids vis-à-vis de la municipalité, qui ne peut travailler sans
elles.
2) La croissance du tissu associatif
a. Le poids de la politique publique
Si La Glaneuse a montré l’exemple et a incité la création de nouvelles associations, la
politique municipale a largement contribué au développement du tissu associatif. Cette
politique en faveur des associations est, nous l’avons vu, issue des grands idéaux des partis
de gauche, qui souhaitaient favoriser le débat et la mobilisation politique en développant
puis en s’appuyant sur un vaste réseau d’associations locales. Une grande attention a
toujours été apportée aux associations et aux initiatives privées à Bron, et ce depuis 1945.
Dès 1973, la mairie engage la construction d’une Maison des Sociétés, dans le but de
favoriser la création d’associations sur le territoire brondillant. Cet équipement est réalisé
sur le territoire de l’ancienne mairie, à côté de la bibliothèque, autour d’un projet d’espaces
verts. En dehors de l’aspect pratique, la localisation de l’équipement est symbolique : sa
centralité s’accompagne d’une dimension démocratique. En effet, la bibliothèque a déjà une
52
fonction d’espace public . L’arrivée de la Maison des Sociétés en ce même lieu renforce
53
son statut d’espace de discussions, de rencontres et d’échanges . Inaugurée en décembre
50
51
La MJC et Les Amis du Cinéma bénéficient d’équipements importants mais dont la portée est bien différente.
Cette salle existe toujours et porte encore le nom de salle « Michel Lacroix », comme l’ancienne salle des fêtes, du nom
du fondateur de La Glaneuse.
52
53
Voir Supra.
La dimension symbolique de cet espace est également renforcée par la création plus tardive d’un bâtiment destiné aux services
municipaux tels que le service communication, qui reçoit également les débats publics et qui porte le nom d’ « Agora ».
GLOPPE Gaëlle - 2007
43
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
1973, cet équipement comporte onze salles de réunion entièrement mises à la disposition
des associations.
Le financement des associations est également un point important de la politique
municipale. Aujourd’hui la quasi-totalité des associations culturelles bénéficient d’une
subvention de la mairie. L’aide financière est également apportée lors des manifestations
associatives, telles que la Fête du Livre ou la Biennale du Fort de Bron. Il s’agit dans ce cas
de coûts indirects, puisqu’ils concernent de la location de matériel, de locaux, ou encore
des coûts de prestations techniques fournies par les services de la ville.
b. Etat des lieux des forces du mouvement associatif
L’augmentation du nombre d’associations, toutes catégories confondues, a été
particulièrement importante sous la municipalité Sousi, proportionnellement à l’effort engagé
par la mairie dans ce sens. En effet, leur nombre est passé de 20 en 1971 à plus de
200 à la fin du mandat. La Maison des Sociétés a été un facteur déterminant dans le
nouveau dynamisme associatif de la commune. Aujourd’hui, Bron compte plus de 300
associations sur son territoire. Il existe quinze associations interculturelles, qui représentent
les différentes populations de la commune et les associations de relations culturelles
internationales, et une trentaine d’associations culturelles et de conservation du patrimoine.
Cependant, quelques associations dominent largement l’action culturelle associative.
Elles bénéficient d’un poids important qui contrebalancent l’action culturelle municipale. De
plus, elles entretiennent entre elles des partenariats qui resserrent les mailles du réseau
associatif dans le domaine culturel. Citons quelques exemples : l’Association du Fort de
Bron, Athos Production, l’Harmonie- La Glaneuse, Les Amis du Cinéma, Combien de
réaction ?- Festival Court Toujours, la MJC Louis Aragon, Lire à Bron, Association pour la
Promotion de l’Art, le Salon des Indépendants de la Ville de Bron…
Il est à noter que l’Espace Albert Camus était originellement une association présidée
par le maire, avant de devenir une régie autonome dont le conseil d’administration est
majoritairement composé d’élus. En revanche, il faut prendre en compte les associations
qui régissent les Maisons de Quartier et le Centre Social Gérard Philippe. Ce ne sont
pas des associations culturelles à proprement parler, mais elles ont une politique culturelle
relativement importante sur leurs territoires. Les Maisons de Quartier, avant l’apparition
de nombreux équipements culturels municipaux, étaient les seuls lieux culturels sur la
commune. Elles accueillaient à la fois des activités artistiques, des expositions, des projets
culturels et des manifestations de la culture vivante, telles que les fêtes et carnavals.
La plupart de ces associations sont nées dans les années 1960 ou 1980, au gré de la
politique d’équipement et d’aménagement urbain. Leur histoire et leur dynamisme leur ont
permis de bénéficier d’une renommée plus importante de celle des activités municipales.
C’est le cas des Amis du Cinéma, association née d’un manque de volonté politique dans le
domaine cinématographique, et dont la réussite fait aujourd’hui office d’autorité. Le succès
rencontré par la Fête du Livre de Bron, organisée par l’association Lire à Bron, doit être
également signalé, puisqu’il est à la fois public et critique : l’évènement a bénéficié d’une
large promotion dans des journaux tels que Le Monde du Livre. Le rayonnement de la
manifestation incite la municipalité à la prendre en compte et à œuvrer pour sa continuité.
En dehors de la richesse du tissu associatif, sa force réside donc dans le dynamisme et
la reconnaissance de grandes institutions associatives, qui sont visibles bien au-delà de la
44
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
commune. Colette Périnet, directrice des Alizés, explique que le succès des Alizés dépasse
54
le territoire communal :
Depuis que nous avons acquis une certaine renommée, par des manifestations,
notre public est bien plus large. Je dirais, en regardant nos abonnés, selon les
petites enquêtes qui ont été réalisées il y a quelques années (qui mériteraient
peut-être d’être réactualisées), que le public est moitié-moitié. Il vient de Bron,
des arrondissements de Lyon les plus proches et des communes de l’est
lyonnais. Depuis l’ouverture du cinéma, on est passé de 40 000 à 130 000 entrées
par an.
Le succès des Alizés ou de la Fête du Livre assure au réseau associatif une certaine autorité
dans le secteur culturel et dans les actions culturelles de la commune. L’importance de la
MJC est également à signaler, puisqu’il s’agit de la structure d’animation socioculturelle la
plus importante de la commune, réunissant quelques 2000 adhérents.
B. Une politique associative qui complète l’action municipale ?
Les enjeux culturels qui animent les politiques culturelles des associations ne sont pas très
éloignés de ceux de la municipalité, bien que leurs actions touchent des activités artistiques
qui ne sont parfois pas abordés par cette dernière.
1) Une prise en charge des activités négligées par la municipalité
En ce qui concerne les associations les plus importantes du secteur culturel brondillant,
on remarque une certaine spécialisation des activités. La MJC Louis Aragon fait ici
exception, puisqu’elle propose des activités artistiques et culturelles variées : bibliothèque,
arts plastiques, expositions, des cours au sein de l’école de musique… La politique culturelle
des associations est concentrée sur des activités spécifiques, pour la plupart des domaines
que la municipalité n’a pas cru bon prendre en charge, que ce soit par manque de volonté
politique, de moyens ou par volonté de laisser une certaine indépendance au secteur
culturel.
a. La musique
Tout comme le cinéma, l’activité musicale est ancienne sur la commune. La municipalité,
si elle a fourni des subventions, des équipements ou un soutien politique, ne propose
pas d’actions municipales complémentaires. L’organisation de la Fête de la Musique se
concentre sur la programmation de concerts et la coordination des différentes associations
musicales qui souhaitent participer. En réalité, l’action musicale, éducative et créative est
associative, comme l’explique Gisèle Bertrand, directrice de l’école de musique de la MJC :
[…] il n’y a pas d’école de musique municipale dans la commune de Bron.
L’enseignement de la musique est porté par trois associations : la notre,
l’Harmonie- la Glaneuse et l’Amicale laïque, en sachant que parmi ces trois
associations, c’est nous qui avons le nombre d’élèves le plus important et
l’infrastructure aussi.
Mme Vallet confirme : « Le point fort de la MJC, c’est la musique. »En effet, le pôle musique
de la MJC est particulièrement riche et diversifié, ce qui incite des individus à adhérer à la
structure, même s’ils ne sont pas de Bron. Gisèle Bertrand développe :
54
Entretien du 11 juillet 2007. Toutes les citations de Colette Périnet sont issues de cet entretien.
GLOPPE Gaëlle - 2007
45
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
On a des instruments qui sont relativement peu proposés, tels que le clavecin, la
harpe, on a une association de dj ridoo qui est notre partenaire, dans nos locaux,
qui sont des adhérents […] Donc, ce sont des instruments qu’on ne trouve pas
partout. Il y a des gens qui viennent de très loin. L’accordéon gatonique, il y a des
gens qui viennent de l’Isère, de l’Ain.
Le budget de l’école de musique de la MJC est inclus dans le budget de fonctionnement de
la structure, mais l’école bénéficie également d’une subvention du Conseil Général grâce
à la présence d’un ensemble harmonique.
Avant 2003, la MJC organisait également des concerts dans sa salle de spectacle,
sept ou huit par an. Forte des musiciens intervenant dans ses cours, la MJC bénéficie
d’un dynamisme particulier, qui lui a valu une certaine reconnaissance au sein des autres
structures culturelles de la commune et vis-à-vis de la mairie. Depuis peu, ce dynamisme
semble être retombé et est moins visible sur la commune, en dehors de la Fête de la
Musique. Il semble difficile de se produire hors des murs de la MJC. En réalité, le pôle
musical de la commune, en dehors des concerts proposés par l’Espace Albert Camus,
semble être réduit aux locaux des associations, comme la MJC ou ceux de la Glaneuse.
Leur savoir-faire en la matière et l’histoire de leur implantation sur la commune leur
ont permis de bénéficier d’une certaine liberté, qui parfois est teintée d’une difficulté à se
développer, à cause du manque d’action politique dans leur sens.
b. Le cinéma
Le cinéma n’a jamais été une priorité de la municipalité, qui a souvent laissé les cinémas
brondillants disparaître sans qu’aucune action ne soit engagée pour permettre leur maintien.
Pourtant, le cinéma a été une des premières activités culturelles de la commune avec la
Glaneuse. Il s’inscrit dans une pratique culturelle populaire et historique des Brondillants.
Dans les années 1950, Bron dispose de deux salles de cinéma, en dehors du
« Sélect » : le « Family », sur la route de Genas, et l’ « Arc-en-ciel », sur la route nationale.
Ce dernier permet aux Brondillants d’accéder à moindre coût à des spectacles variés, allant
du cinéma d’action au music-hall, en passant par les actualités. La situation du cinéma, sur
la route nationale, favorise la présence du public. En 1958, un petit journal local appelé
L’Arc-en-Ciel Magazine est édité. Or, ce cinéma est remplacé en 1965 par un commerce
alimentaire.
A la fin des années 1970, le « Sélect », malgré une fréquentation plus qu’honorable,
doit fermer ses portes. Rappelons que ce cinéma est le premier à s’être implanté sur la
commune. Ainsi, les habitués du « Sélect » et des passionnés de cinéma se rassemblent
au sein d’une association, Les Amis du Cinéma, afin de sauvegarder la salle. La rénovation
du cinéma en 1982 est due principalement à leur acharnement auprès de la municipalité,
dont le budget culturel est à ce moment continuellement en augmentation. De nombreuses
rencontres, soirées et séances de projection sont organisées par l’association. Cette
dernière insiste sur la création de nouvelles salles, plus adaptées et aux normes de sécurité.
La mairie envisage un temps la réalisation de deux salles de cinéma dans le futur Espace
Albert Camus, avant de choisir la construction d’un équipement indépendant dans le centreville. La participation financière de la mairie est minime lors de la rénovation du « Sélect »,
Les Amis du Cinéma finançant une bonne partie des travaux. Avec la réalisation des Alizés
et sa récente rénovation, la mairie s’implique davantage, mais demeure un prestataire
financier et technique occasionnel.
46
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
Historiquement reléguée à l’initiative privée, le domaine du cinéma à Bron demeure
entièrement le fait de l’association. En créant son festival « Drôles d’endroits pour des
rencontres », les Alizés se sont créés d’eux-mêmes une solide réputation de promotion du
cinéma français. A l’inverse des manifestations associatives comme la Fête du Livre ou la
Biennale du Fort de Bron, le festival « Drôles d’endroits pour des rencontres » ne nécessite
aucune aide financière ou technique supplémentaire de la mairie.
2) Partenariat et relations de non-concurrence
Certains secteurs de la culture sont conjointement coordonnés par la municipalité et les
associations. En réalité, le tissu associatif propose souvent des activités complémentaires
à celles de la municipalité, activités soutenues en partenariat ou dans un système de nonconcurrence.
a. La lecture
Une de principales actions communes repose sur la lecture. Nous avons vu que les efforts
fournis par les différentes municipalités vis-à-vis de la bibliothèque étaient importants. Cette
action est complétée par celle de l’association Lire à Bron, crée dans les années 1970.
L’objectif premier de cette dernière était la lutte contre l’analphabétisme, avec des actions
de proximité et de services proposés directement aux populations. Le partenariat avec la
bibliothèque municipale s’est développé, la mairie mettant à la disposition de l’association
les moyens de son action : des locaux, un catalogue varié... Il s’est intensifié avec la création
de la Fête du Livre en 1987, qui a été une initiative de la médiathèque et de Lire à Bron.
Aujourd’hui, l’association est en charge de l’organisation de la manifestation, avec l’aide
des services techniques de la ville. La Ville de Bron est le premier partenaire financier de
l’évènement.
Le réseau des bibliothèques sur la ville est relativement étendu. La MJC propose
également un service de bibliothèque dans ses locaux. Quand on demande à Fabrice
Doddon, président de la MJC, si sa bibliothèque ne concurrence pas la médiathèque de la
55
mairie, il répond :
On est pas en rivalité, on est en équipement de proximité. C’est pas ouvert à
tous les Brondillants, c’est ouvert aux adhérents de la MJC. C’est un service aux
adhérents en plus, qui est gratuit.
Les services de bibliothèque proposés par les Maisons de Quartier, le Centre Social ou la
MJC n’entrent pas en concurrence avec ceux de la municipalité car ils n’ont ni les mêmes
fonctions, ni les mêmes publics. Il s’agit plutôt d’un complément à l’action municipale, un
complément qui permet aux habitants un accès facilité à la lecture.
b. Le patrimoine
La municipalité a, depuis les années 1980, orienté une politique culturelle en faveur d’une
valorisation du patrimoine de la commune. Cette volonté est observable au sein de la
direction des affaires culturelles, dont un des rôles est la conservation de ce patrimoine.
Cependant, les associations jouent un rôle primordial dans ce domaine, porté par
l’Association du Fort de Bron. D’autres associations se consacrent à la mise en valeur
de l’histoire et du patrimoine de la ville : Dauphi-Bron, Géné Bron, Les Amis de l’Histoire
– Association Roger Pestourie, la Société Archéologique de Bron, la Société Lyonnaise
55
Entretien du 17 juillet 2007. Toutes les citations de Fabrice Doddon sont issues de cet entretien.
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
d’histoire de l’aviation et de documents aéronautiques… Cependant, l’Association du Fort
de Bron conserve une place déterminante dans la conservation du patrimoine brondillant.
Créée en 1982, elle a pour but d’entretenir le Fort de Bron, de le faire visiter, mais
également de le transformer en lieu de culture, en proposant des activités culturelles
et artistiques. Le rôle patrimonial de l’association s’est tout d’abord concentré sur la
revalorisation du site avec un travail important de rénovation, projet mis en relation avec
les services municipaux : reboisement, remise en état, création d’un parcours santé… La
fonction culturelle est intéressante car elle propose de mettre en valeur cet élément du
patrimoine par des spectacles et s’incarne principalement dans la Biennale du Fort de Bron.
Elle a tout d’abord consisté en la restauration de certaines salles consacrées aux activités
artisanales, artistiques et culturelles. Aujourd’hui une autre association a été créée pour la
Biennale elle-même : Athos Production, qui permet de monter les spectacles.
Il serait faux d’affirmer que le patrimoine est un secteur abandonné par la municipalité.
56
En effet, en dehors de l’effort politique pour la mise en avant de l’histoire de la commune ,
le travail de conservation du patrimoine est largement effectué en partenariat entre les
associations et la municipalité. La collaboration avec l’Association du Fort de Bron est
particulièrement intense depuis 1985. Mme Vallet, qui a coordonné le groupe de travail sur
57
la monographie de Bron , se rappelle :
L’association du Fort de Bron a fourni un énorme travail dans le groupe de
travail. Nous travaillons d’ailleurs beaucoup avec elle pour la préservation du
patrimoine, avec les artistes et Athos Production. Beaucoup de visites du Fort
sont demandées, par des particuliers ou des écoles. La mairie doit coordonner
ces demandes, pour que les artistes présents ne soient pas dérangés par les
visiteurs. L’association organise également une exposition artisanale tous les
ans.
La collaboration dans le domaine du patrimoine est importante, même si la mairie n’a
aucun droit de regard sur les choix artistiques de l’Association du Fort de Bron, notamment
en ce qui concerne la Biennale. Cependant, un réel partenariat s’est instauré entre le
politique et l’associatif, l’associatif permettant une gestion plus souple du site et s’accordant
parfaitement dans la politique culturelle municipale.
c. Des acteurs en mouvement : la consolidation du réseau
La raison de la complémentarité des politiques culturelles des différents acteurs de la
commune peut s’expliquer par la complémentarité des acteurs culturels. En effet, les
différents acteurs de la commune ont souvent travaillé à la fois à la municipalité et au
sein des associations, sans parler des échanges de personnel entre les associations ellesmêmes. Mme Vallet explique ces relations de partenariat :
Mais en général, les associations existent depuis tellement longtemps qu’elles
ont l’habitude d’intégrer les différents acteurs de la commune. Eux-mêmes en
font partie. Par exemple, le président d’Athos Production est l’ancien directeur
de la MJC, la présidente de Lire à Bron a été la directrice de la médiathèque.
56
57
Voir Infra.
Il s’agit d’un ouvrage recensant le patrimoine de la commune. Henri Hours [dir.], Rhône, Comité du pré-inventaire des
monuments et richesses artistiques, Bron/ Département du Rhône, Préinventaire des monuments et richesses artistiques, Lyon,
Préinventaire des monuments et richesses artistiques du Rhône, 2006, 162 p.
48
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
Le président des Amis du Cinéma, M. Guidez, est l’ancien adjoint à la culture. Chacun des
acteurs de la commune a travaillé dans des structures différentes. La complémentarité des
politiques culturelles est à mettre en relation avec une bonne connaissance des actions
et objectifs culturels de chacun, grâce à ce constant va-et-vient entre la municipalité et
le réseau associatif. Les membres des associations sont également proches des milieux
politiques de la municipalité, partageant une idéologie socialiste qui se retrouve dans les
enjeux dévolus à la culture.
C. La dépendance à la municipalité : un obstacle ?
Les associations, bien que clamant l’indépendance de leurs politiques culturelles, sont
dépendantes de la municipalité financièrement et politiquement.
1) Une dépendance financière
Les actions culturelles menées par les associations dépendent largement des subventions
et des moyens que met la municipalité à leur disposition. Ainsi, la municipalité offre une
subvention aux Alizés de 110 000 euros en plus de l’entretien ou la rénovation du cinéma, sur
les 700 000 euros de budget annuel. La Ville de Bron fournit également 52% du budget de
la Fête du Livre. La MJC est peut-être la plus dépendante financièrement. Fabrice Doddon
explique :
La mairie nous subventionne jusqu’à 48%. Mais bon, il y a dedans des
subventions qui n’apparaissent pas. Par exemple, l’équipement ici, à combien
on peut estimer sa mise à disposition ? L’électricité, le chauffage. La subvention
représente les salaires, le salaire du directeur, de la bibliothécaire, de personnes
d’accueil. Et du budget de fonctionnement, c’est-à-dire une subvention qui
permet par exemple que les activités ne coûtent pas leur prix réel.
Cette dépendance financière s’accompagne également de la présence d’élus au conseil
d’administration des associations. Le problème de l’indépendance du choix des actions
culturelles se pose alors. Dans quelles mesures les associations sont-elles capables d’agir
et d’orienter à leurs guises leurs politiques culturelles ? Les personnes que j’ai interrogées
n’ont cessé de réaffirmer l’indépendance de leurs actions vis-à-vis des choix municipaux. Il
semble difficile pour les associations de parler librement de leurs rapports avec la mairie.
Le choix de la municipalité de laisser aux associations le soin de gérer certains
domaines de l’action culturelle peut mettre en évidence une volonté de ne pas s’ingérer
dans un secteur particulièrement susceptible lorsqu’il s’agit de la liberté d’expression. Les
associations assurent une autonomie du secteur et évitent les critiques d’ingérence du
pouvoir vis-à-vis de l’art. Or, il est difficile à Bron de trouver des cultures dissidentes de la
municipalité.
2) Une dépendance politique
La dépendance financière s’accompagne d’une dépendance politique. En effet, les
orientations de la municipalité en matière de culture entraînent à la fois des choix dans la
politique choisie par les associations, ainsi que dans la construction du partenariat avec la
municipalité.
Si la mairie s’accapare une action culturelle, l’association qui en avait la charge ou qui
l’avait développée est pratiquement obligée de l’abandonner. Les relations avec la MJC en
GLOPPE Gaëlle - 2007
49
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
sont l’exemple le plus probant, notamment vis-à-vis de la programmation Jeune Public dont
58
elle a été dépossédée . Les associations ne souhaitent pas entrer en concurrence avec
la mairie dans le domaine culturel. Non seulement la concurrence serait inégale, mais les
associations n’y voient pas d’intérêt non plus. Les choix politiques entraînent également
une baisse du rayonnement et des activités proposées par les structures associatives. La
fermeture de certaines Maisons de Quartier, depuis l’arrivée d’Annie Guillemot à la tête de
la municipalité, a entraîné des manques dans certains quartiers, la disparition d’activités
culturelles de proximité et des lieux de rencontre.
Enfin, la dépendance est politique dans le sens où les clivages politiques permettent
ou non de créer des partenariats ou de travailler ensemble. Fabrice Doddon affirme :
On aurait une mairie Front National ici, je promets rien. On aurait une mairie qui
dit que seuls les chirurgiens qui gagnent plus de 10 000 euros par mois doivent
avoir accès une bibliothèque, peut-être que ça se passerait mal, oui.
L’exemple donné ici est un peu extrême, mais il dévoile des finalités politiques dévolues
à la culture. Les rapports entre les différents acteurs culturels de la mairie demeurent la
plupart du temps de bonne qualité parce que les principes politiques sous-entendus dans les
actions culturelles de chacun sont proches : la démocratisation culturelle, principe largement
défendus par des personnalités de gauche, bien que reprise par le mouvement gaulliste
d’après-guerre.
Pourtant, les modifications de la politique culturelle municipale de ces dernières
années incitent les associations à chercher à se démarquer de celle-ci en réaffirmant leur
indépendance et leurs différences.
D. A la recherche d’une démarcation vis-à-vis de la municipalité
Les associations culturelles mettent en avant des enjeux qui s’éloignent de ceux de la mairie,
réaffirmant leur indépendance dans leurs orientations et dans leurs conceptions du secteur
culturel.
1) La mise en évidence d’enjeux et de fondements différents
a. Une prise d’initiative par les habitants
L’initiative privée s’est développée pour répondre à des besoins culturels qui n’étaient
pas satisfaits par l’action municipale, comme le montre la création de La Glaneuse. Elle
s’est constituée alors que les distractions étaient inexistantes à l’époque. Son succès est
également le fruit de l’encouragement des habitants, par l’augmentation des membres
honoraires. Les Amis du Cinéma ont une histoire similaire. Ce sont les habitants qui
ont décidé de prendre en main un secteur culturel. Cette différence est de taille dans la
conception même des politiques culturelles. Les habitants sont libres de décider quelles
sont leurs envies et les orientations qu’ils souhaitent donner à leurs actions. A l’inverse,
les élus sont constamment pris par des impératifs politiques. Si l’intérêt général a été
souvent déterminant dans la prise de position politique, les impératifs de modernisation, de
développement économique ont également eu une part importante dans leurs choix, sans
même évoquer les enjeux électoraux.
58
50
Voir Infra.
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
Aujourd’hui, la concurrence entre les villes périphériques prend le pas sur l’intérêt
général, puisque les efforts municipaux s’engagent de plus en plus dans une politique de la
démonstration. Cette politique est d’ailleurs bien plus visible pour les électeurs, puisqu’il est
plus facile d’évaluer l’impact d’une structure culturelle que celui des actions socioculturelles
dans les quartiers. Les associations de la commune ont été créées par les habitants pour
les habitants. Leurs membres ne sont pas des élus qui doivent s’assurer d’une réélection
prochaine. Ils sont donc plus libres d’agir pour leur public, et non pas dans un souci d’intérêt
général ou d’opérations électorales.
b. Une notion du territoire différente
Les associations ou les structures associatives s’attachent à travailler en rapport avec leurs
territoires et les populations qui y vivent, ce qui n’empêche pas de transcender souvent les
59
frontières de la commune. La MJC, par exemple, a un public qui vient de loin :
On touche tous les quartiers de Bron et les communes avoisinantes : Lyon 3e,
Lyon 8e, Chassieu, Villeurbanne, et les zones limitrophes. C’est en fonction des
activités et des horaires qui correspondent ou pas, puisqu’on touche pour moitié
des enfants.
L’implantation dans un quartier est importante pour la constitution d’un public et le choix
des orientations culturelles. « Effectivement, si l’implantation avait été derrière la mairie, on
aurait pas eu le même public ni les mêmes activités. L’implantation c’est en fonction de la
proximité. », affirme Fabrice Doddon.
Chaque équipement géré par une association touche un public différent selon son
implantation et les activités proposées. Fabrice Doddon explique que la MJC, excentrée
dans un quartier peuplé de classes moyennes, n’a pas le même public que d’autres
structures :
Il y a de l’autre côté, les Genêts, de l’autre côté de l’autoroute, sous la Rocade. Et
après c’est Gérard Philippe, qui est plus sur Terraillon. Donc sur Bron Nord, sur
les classes moyennes, on est les seuls.
Les associations ne prennent pas en considération l’ensemble du territoire administratif
dans leurs choix de politiques culturelles. Elles font des propositions adaptées à leur public,
qu’il vienne de loin ou de la commune. Il leur paraît inconcevable de concurrencer une autre
association sur son domaine d’activités. Par exemple, Fabrice Doddon refuse d’empiéter
sur le terrain de compétence du Centre Social :
On est pas un éducateur de rue. Il nous est arrivé de faire des actions dans la
cité. Il y avait le batucada, on a participé à des collectifs d’association, mais on
ne va pas organiser des trucs spécifiques dans les quartiers. Notre créneau c’est
plutôt les adhérents qui viennent à la MJC et qui s’inscrivent à des activités.
Alors que les élus doivent s’adresser en priorité à leurs électeurs et aux éventuels
investisseurs qui pourraient s’implanter sur la commune, les associations portent sur le
territoire et son public un regard différent.
Elles se considèrent comme des équipements de proximité qui répondent avant tout à
une demande sociale, culturelle et populaire. La MJC propose ses activités en fonction des
besoins de son public. Fabrice Doddon précise :
59
Cf. Fabrice Doddon
GLOPPE Gaëlle - 2007
51
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Effectivement, il faut qu’il y ait des demandes. Chaque année, il y a des activités
nouvelles. […] En même temps, il faut que ça soit porteur. S’il n’y a pas
d’arbalètes, on ne va pas faire de cours d’arbalètes parce qu’il n’y a pas de
créneau non plus là-dessus. Il faut que les deux soient en adéquation.
Les Alizés cherchent également à proposer une programmation en adéquation avec les
attentes de son large public, malgré son classement « Art et Essai », comme le défend
Colette Périnet :
La ligne directrice que je me suis fixée et que j’essaie de tenir depuis que je suis
directrice, c’est-à-dire depuis vingt ans, c’est que chaque semaine, l’ensemble
de la population, les différentes catégories de population, doit y trouver leur
compte.
Les Maisons de Quartier proposent des activités liées également à leur population, pour
le coup plus localisée. Il s’agit de proposer des activités socioculturelles, de mettre en
place à la fois des actions de proximité qui reflètent des attentes particulières et qui sont
représentatives de la catégorie de la population à laquelle elles s’adressent. Ainsi, elles
ont longtemps été les lieux de la culture vivante, dans laquelle se retrouvaient les cultures
locales et diversifiées de la commune.
c. Promotion de l’art, culture populaire et rencontres avec les artistes
Les finalités des politiques culturelles des associations se démarquent de celle de la
municipalité, car elles s’appuient sur une promotion de l’art et de la culture sous toutes ses
formes. La fonction sociale de la culture est prise en compte mais ne constitue en aucun
cas une finalité absolue.
La priorité des actions culturelles associatives est de permettre une interaction entre
le monde artistique et la culture populaire, là où la municipalité propose une action à seule
visée sociale et urbaine ou une action culturelle élitiste. Il s’agit pour les associations de
faire communier les pratiques culturelles de leurs publics et la découverte de l’approche
artistique. La spécialisation des associations dans un domaine culturel est symptomatique
de cette approche qui nuance l’action municipale.
Le créneau des Alizés demeure le cinéma français et son statut de cinéma d’Art et
60
Essai. Cependant, le principe est la découverte de ce cinéma par un public non averti :
J’aime bien à côté de Pirates des Caraïbes, mettre un film de Catherine Breillat
et un petit film français que peu de gens ont vu, comme Et toi t’es sur qui de
Lola Doillon. L’idée est de toujours garder une certaine diversité pour permettre
au public de voir ce qu’il veut, mais également de lui donner la curiosité de
découvrir autre chose.
L’association Lire à Bron conserve une action très orientée sur la découverte de la lecture. La
Fête du Livre elle-même correspond à une volonté de faire se rencontrer auteurs, lecteurs,
éditeurs et de favoriser la lecture des petits et des plus grands.
L’orientation générale de la MJC est très claire selon son président :« C’est l’accès
au plus grand nombre. L’accès à la culture et à l’éducation populaire au plus grand
nombre. » Elle guide les choix qui sont faits vis-à-vis de son public. La MJC tente, pour la
rentrée prochaine, d’améliorer ses tarifs, afin de permettre, en dehors d’une grande variété
d’activités demandées par le public, un meilleur accès à la culture et à l’art.
60
52
Cf. Colette Périnet
GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
L’importance de la culture populaire dans les choix des associations reflète une certaine
vision de la culture et des identités. Il ne s’agit pas de mettre en avant des pratiques
culturelles inaccessibles, mais de mêler qualité et accessibilité, avec des tarifs adaptés, tout
en couvrant les besoins culturels des habitants, sans les mépriser.
Les associations s’attachent à promouvoir la rencontre entre les artistes et le public, à
permettre la discussion entre eux. Ce principe, qui vise à rendre la culture accessible à tous,
par la destruction des barrières symboliques entre culture légitime et culture populaire, est
visible dans bien des actions culturelles associatives. Il guide le festival « Drôles d’endroits
pour des rencontres », où les professionnels du cinéma rencontrent un public toujours plus
nombreux. Le projet P’Artcours, en associant plasticiens professionnels et adhérents de la
MJC, est dans la même lignée. Il s’agit de faire se rencontrer les artistes, professionnels
ou non, et de les confronter au regard du reste de la population, en les exposant dans des
lieux improbables. C’est ainsi même que Gisèle Bertrand voit son travail :
Maintenant, je suis sur l’école de musique, c’est différent, mais malgré tout, c’est
la même chose, c’est le même terme qu’il faut utiliser : c’est un travail d’interface
entre, en ce qui concerne la programmation, un public, des artistes, une salle. Je
suis un noyau central, où il faut mettre tout le monde en connexion pour que tout
s’harmonise le mieux possible et que les gens se rencontrent. C’est aussi, par
exemple à la fin des spectacles, il y a souvent des rencontres entre les artistes et
le public, c’est la moindre des choses.
Cette action est de moins en moins utilisée par la municipalité, qui se concentre aujourd’hui
sur une culture légitime, « cultivée », exception faite des évènements populaires et
culturelles qu’elle organise, comme la Fête de la Musique ou le 8 décembre.
2) La création d’un réseau associatif indépendant de la mairie
Le partenariat entre les différentes associations a un rôle important dans la constitution et la
force du réseau. En dehors des partenariats avec la mairie que nous avons déjà évoqué, les
associations privilégient des actions entre elles, car elles ne reposent pas sur des impératifs
politiques et financiers, mais bien sur des envies communes. Les Amis du Cinéma, qui
s’occupent des Alizés, ne sont jamais fermés aux projets des différentes associations.
Colette Perinet affirme : « Si une association de Bron nous demande d’organiser une soirée
thématique, nous le faisons volontiers. On l’a déjà fait avec ATTAC, Amnesty, les Tunisiens
de Bron… »
La MJC favorise également les partenariats avec les autres associations. Son école de
musique est d’ailleurs en train de préparer un projet d’ensemble musical commun avec La
Glaneuse. Selon Fabrice Doddon, les partenariats sont multiples :
Les autres partenaires, ce sont toutes les associations de la ville, avec qui on
est en lien. Donc a une membre du conseil d’administration qui appartient aussi
au conseil d’administration de Lire à Bron. Les professionnels sont en contact
régulier et ont des projets communs avec la maison de quartier des Essarts et
celle des Genêts, et les autres équipements de la ville.
La MJC Louis Aragon a également été une résidence pour les artistes, notamment pour les
projets de l’Association du Fort de Bron. L’école de musique est particulièrement dynamique
dans ce réseau, puisqu’elle participe à de nombreux projets associatifs sur la commune,
comme l’explique Gisèle Bertrand :
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53
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
On a aussi des projets communs avec Gérard Philippe. On est intervenu dans les
Cœurs de la Ville. C’est un projet qui a eu lieu en juin 2007 et qui était à la fois
théâtral, musical. C’était porté par le centre social Gérard Philippe qui recherchait
des partenariats, dont nous. En tant qu’école de musique, on a « fourni » des
intervenants, des musiciens pour ce projet.
Les projets communs des associations ne doivent d’ailleurs pas être mêlés avec les
initiatives de la municipalité. Gisèle Bertrand évoque à ce sujet le projet P’Arcours, qui
propose d’exposer des œuvres des membres de la MJC et d’artistes professionnels chez
les commerçants de la ville : « Mais ce n’est pas une émanation d’un projet mairie, ce n’est
pas un projet mairie à la base. […] Il y a eu aussi des éléments exposés dans les centres
sociaux. »
Ainsi, les projets associatifs se font indépendamment des manifestations de la mairie.
En effet, les associations ont le sentiment d’avoir, parce qu’elles sont le fruit d’une initiative
des habitants, une meilleure connaissance des besoins des Brondillants, à la fois vis-à-vis
de la création et de la diffusion.
3) Un partenariat avec la mairie relativisé
En définitive, les associations refusent d’être assimilées à la politique culturelle de la
municipalité, sans la rejeter complètement. Elles préfèrent simplement être identifiées à
leurs propres choix. Ainsi, en évoquant les relations avec la mairie, Colette Périnet affirme :
Nous n’avons pas de problème à accepter, si ça va avec notre ligne directrice. La
mairie ne nous sollicite pas très souvent, mais tout va bien ! Je pense que l’on
s’intègre bien dans la politique culturelle de la ville. Nous n’avons pas de raison
de refuser tant que ce n’est pas en contradiction avec notre ligne directrice. Et
puis la mairie n’a pas de raisons de nous solliciter souvent, puisqu’on travaille
bien. Et non, la mairie n’exerce aucun contrôle, nous sommes totalement
indépendants.
Le partenariat avec la municipalité est accepté à partir du moment où les envies sont
communes. Néanmoins, elles ne doivent pas empiéter sur l’indépendance des choix
politiques des associations. Fabrice Doddon réaffirme ce principe :
C’est comme tout partenaire. Il y a des moments où ça va bien et il y a des
moments où c’est plus difficile. On est ni une courroie de transmission de la
politique municipale, ni des opposants. Mais, bon, nos deux intérêts sont souvent
convergents et parfois divergents.
La démarcation vis-à-vis des politiques municipales est un enjeu dans les velléités
d’indépendance des associations. Elles définissent leur rôle, non pas comme un
complément à la politique culturelle de la mairie, même si elles y sont intégrées la plupart
du temps, mais comme des acteurs particuliers aux enjeux et aux publics distincts.
La démarcation progressive des associations culturelles vis-à-vis des politiques
culturelles municipales a pris un tournant déterminant face à la montée d’une politique
culturelle plus élitiste de la part de la mairie. En effet, les conceptions des enjeux et besoins
culturels des Brondillants, si elles ont été proches et le demeurent sous certains aspects,
s’éloignent progressivement. Ces deux acteurs culturels se complètent souvent puisqu’un
double processus de dépendance s’est mis en place dans le secteur. La municipalité utilise
les associations culturelles pour toucher des publics et des territoires hors de sa portée, ou
aujourd’hui pour se réapproprier leur rayonnement. Les associations ont une dépendance
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GLOPPE Gaëlle - 2007
Deuxième partie : complémentarités et disparités des acteurs culturels de Bron : entre cohésion
sociale et identités urbaines
financière et politique, malgré l’affirmation de leur indépendance. Ce qui est à l’oeuvre dans
le secteur culturel brondillant, à travers les différents conflits d’appréciation des actions
et enjeux culturels, est bien un partage des représentations et des intérêts politiques et
culturels. D’un côté, la municipalité affirme une culture légitime, plus élitiste. De l’autre, les
associations revendiquent la communion entre culture populaire, qui constitue la base de
leurs actions, et culture légitime S’il faut minimiser l’importance de ces conflits, atténués
par une appartenance commune à la fois politique et sectorielle, il ne faut pas non plus les
négliger. En effet, ils reflètent les difficultés d’émergence d’une identité culturelle et urbaine
à Bron.
GLOPPE Gaëlle - 2007
55
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Troisième partie : Les difficultés
d’émergence d’une identité culturelle
brondillante : des politiques culturelles
en conflit
Les politiques culturelles municipales et associatives ne s’opposent donc pas
complètement. Elles reflètent des publics et des enjeux différents, ce qui engendre parfois
des conflits. L’éloignement progressif des finalités dévolues à la culture est un obstacle à la
mise en place d’une identité culturelle représentative de tous les Brondillants.
En effet, bien que certaines actions culturelles, telles que les manifestations collectives
et la mise en avant du patrimoine, sont des éléments de ralliement identitaire forts, leur
instrumentalisation leur fait perdre leurs objectifs et leur cohérence.
Si l’on esquisse une évaluation des politiques menées depuis plus de soixante ans,
on remarque que les objectifs culturels ne sont pas atteints à Bron. La démocratisation
culturelle est loin d’être effective sur la commune. Certaines catégories de population n’ont
toujours pas accès à la culture et sont encore exclues de l’espace social urbain. Cela peut
s’expliquer par les contraintes territoriales qui persistent et sont difficilement effaçables,
comme la présence de l’A43. Cependant, le coût même de l’offre culturelle est un obstacle
majeur à la démocratisation culturelle. Les inégalités d’accès à la culture sont un frein à la
cohésion sociale parce qu’elles favorisent la marginalisation des populations défavorisées.
Enfin, il n’existe pas sur Bron une réelle démocratie culturelle, nécessaire à la
construction d’une identité culturelle. Les quartiers périphériques et les structures culturelles
locales ont de moins en moins la possibilité d’exprimer leur identité dans la cité. En réalité, la
municipalité s’accapare une certaine identité culturelle, celle de la classe moyenne, laissant
les autres aux bans de la ville.
I. Des éléments de ralliement identitaire
Deux éléments de l’action culturelle permettent de provoquer un sentiment d’appartenance
à la commune, une identité collective. Il s’agit de la fête, aujourd’hui véritable évènement
artistique, et de la valorisation de patrimoine, qui met en scène une mémoire collective.
Cependant, il est nécessaire de nuancer leur portée.
A. Fête à Bron et rassemblement populaire
56
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
Tradition brondillante, la fête a des vertus de cohésion sociale, tant dans sa conception que
dans sa réalisation. Aujourd’hui, plusieurs fêtes rythment l’année : la Fête de la Musique, la
Fête du 8 décembre et la Biennale de la Danse.
1) De la Fête de la St-Denis aux vogues et carnavals
a. La Fête de la St-Denis : une tradition ancienne
La fête à Bron est une tradition ancienne, qui prend ses sources dans l’histoire médiévale de
la commune, que nous n’avons pas pu ici développer. En effet, le petit village d’agriculteurs
et de viticulteurs organisait tous les ans un évènement festif au début du mois d’octobre
qui s’étalait sur deux semaines : la Fête de la St-Denis. Cette fête prend ses racines dans
les dionysiaques. L’ancienne chapelle St-Denis avait été bâtie sur un temple païen dédié
à Dionysos.
La Fête de la St-Denis était une des fêtes régionales les plus attendues et réunissait
près de 40 000 personnes chaque année. Les viticulteurs de Bron pouvaient y écouler
leurs stocks de l’année dans une ambiance très festive et alcoolisée, dans laquelle
jongleurs et danseurs se mêlaient à une population diversifiée pour critiquer allégrement
les personnalités influentes de la région. Cette fête fut d’ailleurs à l’origine d’un des drames
e
les plus marquants de Lyon au début du XVIII siècle. Le 11 octobre 1711, la foule excitée
rentrant de la fête s’engage sur le Pont de la Guillotière, dont la barrière a été prématurément
fermée. L’arrivée en sens inverse du carrosse de la veuve de Servient entraîne une violente
panique et la mort de plus de 265 personnes.
Cependant, la fête ne fut interdite qu’un siècle plus tard, à la demande de l’archevêque
de Lyon, Joseph Fesce, un oncle de Napoléon. Celui-ci, traversant la fête, avait été
copieusement insulté et n’avait pas goûté à la plaisanterie.
b. Vogues et carnavals : la poursuite de la tradition festive
Si l’arrêt de la fête de la St-Denis mit un terme à l’activité viticole, il ne fit pas obstacle aux
vogues et autres fêtes religieuses qui lui succédèrent sur la place de l’église. Colporteurs
et marchands ambulants s’y installaient début octobre ; d’autres fêtes publiques y avaient
e
lieu, avec bals, fanfares et banquets. Dès la fin du XIX siècle, ces fêtes et vogues prirent
l’apparence de fêtes foraines.
La tradition festive à Bron perdure en dehors des fêtes républicaines. Dans les années
1950, les vogues se sont multipliées, sur la place de l’église, au carrefour des Sept Chemins,
mais également au carrefour du Vinatier. Dans certains quartiers, d’autres manifestations
festives s’organisent, comme la Fête des Fleurs dans l’ancien centre historique, autour de
la place de l’église, ou les kermesses des Essarts. Dans les années 1980, ces fêtes sont
relayées par les Maisons de Quartier, qui organisent des carnavals. Pendant les Trente
Glorieuses, la municipalité organisait également de grandes fêtes sportives, comme la fête
de la gymnastique ou des manifestations liées à l’aéroport de Bron.
Aujourd’hui, la Biennale de la Danse, la Fête de la Musique et la Fête du 8 décembre
sont les seules manifestations festives de l’année. L’intérêt de l’évènement festif s’incarne
dans sa centralité et dans son caractère collectif. En effet, cela induit un sentiment
d’appartenance fort au sein de la commune.
2) Le rôle des fêtes nouvelles
GLOPPE Gaëlle - 2007
57
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
La municipalité s’est rapidement appropriée l’organisation des évènements culturels comme
la Fête de la Musique et la Fête des Lumières, et dont la direction des affaires culturelles
a la charge.
a. Centralité et cohésion sociale
En tant qu’évènements collectifs, ces deux fêtes engendrent un sentiment d’appartenance
sur toute la commune. Elles permettent d’inscrire le collectif dans une société de plus en
plus individualiste, au sein d’une centralité culturelle. En effet, il s’agit d’inciter tous les
habitants à sortir de leurs quartiers afin de participer dans le centre-ville à un évènement
commun. Ainsi, toutes les populations se confrontent et se donnent à voir dans un même
lieu symbolique, celui de la fête, qui décloisonne ainsi symboliquement les espaces. Ces
deux fêtes se déroulent dans le centre-ville, en plein milieu de l’espace urbain. Mme Vallet
est catégorique, quand on lui demande pourquoi elles ne se déroulent pas autour d’un lieu
de diffusion culturelle connu : « L’espace Albert Camus n’est pas sur un quartier. »
Le rôle de la fête donné par la municipalité est simple : il faut inciter les habitants à
sortir de leurs quartiers, à venir tous profiter de l’évènement collectif. De plus, la présence
de l’art dans ces évènements renforce le ralliement identitaire. En tant qu’élément de la
médiation culturelle, il constitue un vecteur symbolique des appartenances et des pratiques
61
culturelles collectives et individuelles, en les sublimant . La ritualisation de ces fêtes dans le
temps long leur permet également d’entrer dans les pratiques culturelles des Brondillants et
d’affirmer un sentiment d’appartenance sociale qui s’inscrit dans un processus de mémoire
collective.
b. Un accès gratuit à l’offre culturelle
Ces fêtes sont également des lieux de diffusion culturelle particulièrement important. En
effet, la municipalité, en tant que programmatrice et organisatrice, permet aux Brondillants
de voir des spectacles, des concerts, d’avoir un accès à l’art. La gratuité de ces fêtes
en fait aujourd’hui les éléments majeurs de la démocratisation culturelle. La mairie
mélange une programmation populaire, faite de fanfares et d’éléments associatifs, avec une
programmation plus élitiste, composée d’artistes qui viennent se produire dans l’espace
urbain. Le public brondillant a donc une proposition culturelle variée.
c. La participation des acteurs culturels
Le sentiment de ralliement identitaire est assuré par un partenariat entre les différents
acteurs culturels. En effet, la mairie sollicite les associations lors de l’organisation. Gisèle
Bertrand confirme :
On va dire que c’est un peu une institution, une tradition. Donc la mairie nous
sollicite et sait qu’on va répondre présent depuis un certain nombre d’années,
donc après on propose un certains nombre de groupes qui interviennent sur la
Fête de la Musique. Il nous est arrivé d’intervenir au moment du 8 décembre.
Cette organisation commune permet aux différents acteurs de dialoguer et de confronter
leurs visions du territoire. Elle permet également aux associations d’avoir une visibilité et de
partager leurs travaux avec les autres habitants de la commune, tous quartiers confondus.
Mme Vallet évoque le travail effectué avec les associations :
61
Selon Bernard Lamizet, dans La Médiation Culturelle, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 95-98, l’art permet la représentation
esthétique des modes d’appartenance à une sociabilité, lui donnant une consistance effective.
58
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
L’objectif est que ces évènements ne restent pas seulement le temps de la
manifestation. Il y a un travail énorme avec les associations pour que ça ne soit
pas le cas. Il faut qu’il y ait un rayonnement au niveau de la commune, que les
jeunes viennent.
La participation des associations permet de toucher toutes les couches de la population,
tous les quartiers. En réalité, la participation à la fête par les individus entraîne un nouveau
statut du public, qui n’est plus seulement consommateur, mais acteur du projet commun.
Cet élément est particulièrement important dans la conception de la Biennale de la Danse.
3) Le rôle fédérateur de la Biennale de la Danse
a. Une fête lyonnaise ?
La Biennale de la Danse est une manifestation organisée par la ville de Lyon, qui transcende
l’agglomération, puisque les villes périphériques y participent également. Cependant, leur
participation est déterminée par la ville-centre. Pour le défilé 2008, dix-sept communes
ont été choisies, dont Bron pour la troisième fois consécutive. Malgré le rôle de Lyon
dans l’organisation de la manifestation, la place de la Biennale de la Danse semble toute
particulière dans la politique culturelle de la municipalité et dans la création d’une identité
brondillante. En effet, selon Mme Vallet, le défilé de la Biennale est le lieu culturel qui
correspond peut-être le plus à l’identité de la commune, car : « Le défilé de la Biennale a
regroupé le plus les Brondillants. »
D’ailleurs, la municipalité a parfaitement intégré le rôle fédérateur de cet évènement, en
s’en réappropriant la coordination sur le territoire. Ce qui est à l’œuvre dans la Biennale de
la Danse n’est pas seulement une unité locale, mais surtout une identité d’agglomération,
les communes pouvant toutes participer. Intéressons-nous avant tout à l’aspect local.
b. Coordinations des acteurs culturels et participation citoyenne
La Biennale de la Danse a un attrait particulier parce qu’elle permet, plus que les autres
fêtes, de rassembler autour d’un même projet des Brondillants de tous les horizons et des
acteurs culturels divers, afin de proposer une vision collective de l’espace urbain. En effet,
le cortège brondillant est hétérogène. Les participants à la Biennale sont issus des quartiers
résidentiels comme des quartiers défavorisés. Mme Vallet, qui coordonne les acteurs du
défilé, explique :
La Biennale de la Danse s’intègre dans les quartiers sensibles. […] des stages
sont organisés pendant les vacances scolaires. Après tout le monde se retrouve
lors de la répétition générale. Le lycée Jean-Paul Sartre participe à ça, puisqu’il
regroupe tous les quartiers de la ville. Le Défilé de la Biennale fonctionne assez
bien, les gens de ces quartiers viennent.
Les différents acteurs culturels travaillent chacun de leurs côtés mais se retrouvent lors
de la répétition générale. Les partenariats semblent se développer grâce au défilé. Ainsi,
la Ferme du Vinatier, qui travaille en général indépendamment de la commune, participe
au cortège brondillant, comme le souligne Mme Vallet : « Ils participent également au
défilé de la Biennale, avec un groupe composé de patients du Vinatier. Ils font des choses
remarquables. »
La participation de la Ferme du Vinatier au défilé permet de développer des
partenariats. Pour le moment, cela se fait avec la compagnie Käfig, qui chorégraphie le
GLOPPE Gaëlle - 2007
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
groupe du Vinatier et qui continue de proposer des stages à la Ferme, auprès des patients
mais également du personnel. La Biennale de la Danse a également permis, selon Mme
Vallet, de débloquer la situation avec l’université Lyon 2.
Le travail se fait également sur un temps beaucoup plus long que celui des autres
fêtes culturelles et artistiques. La préparation dure deux ans, pendant lesquels les différents
coordinateurs et organisateurs travaillent ensemble sur un projet collectif.
c. Une représentation commune de l’identité de la ville
Le défilé de la Biennale est composé de différents cortèges communaux. En cela, chaque
cortège donne à voir une identité de ville distincte des autres.
Le travail collectif autour d’un projet artistique qui s’ancre dans la ville permet de
dégager les différentes visions du territoire et des identités. En cela, la proposition finale et
artistique des acteurs est un compromis sur les représentations identitaires et culturelles
de la commune.
La présence des artistes, membres exogènes au territoire, favorise la valorisation de
cette représentation identitaire qui se dégage petit à petit. Elle permet aux habitants de
dévoiler leur identité et de la partager, de se représenter et de s’exposer au regard des
autres. La participation des habitants est un atout important, car elle part d’une volonté de
démocratie culturelle, et pas seulement d’une démocratisation de la culture. Les artistes
leur permettent de mettre un nom, une forme artistique sur la représentation qu’ils ont de
leur identité. En cela, le défilé est un langage commun, une dialectique entre des individus,
des communautés composites et une identité collective.
4) Des limites aux vertus festives
a. Les tentations de la communication politique
Le problème majeur de l’évènement, et en général de la fête, est qu’il dévoile des enjeux
plus proches de la communication politique que de la cohésion sociale. L’accent mis par la
municipalité sur la Fête du Livre et « Drôles d’endroits pour des Rencontres » en est déjà
un bon exemple.
En réalité, la visibilité de la fête est un outil intéressant pour la stratégie de
communication des élus locaux. Pour le moment, en ce qui concerne la Fête de la
Musique et la Fête du 8 décembre, la municipalité semble garder en tête la démocratisation
culturelle. Or, il semble que la Biennale de la Danse satisfait avant tout des exigences de
communication. En effet, la mairie a décidé de mettre en avant, non pas le cortège lui-même,
mais la compagnie Käfig qu’elle accueille en résidence. Non seulement cette dernière ouvre
le cortège brondillant, mais elle est imposée par la municipalité. A l’origine, le projet du défilé
2006 avait été proposé à la MJC, qui disposait pour le coup d’un budget en conséquence.
La MJC étant l’infrastructure qui touche le plus grand nombre de Brondillants, il était logique
de lui proposer l’organisation du cortège de la ville. Selon Mme Vallet : « La dernière fois,
la MJC avait en charge le projet de la Biennale. Il était pour eux mais il n’a pas abouti, à
cause de différents avec l’équipe artistique. »
Or, le budget proposé par la municipalité comportait la participation de Käfig au défilé.
Le refus de la MJC de se voir imposer la compagnie de hip-hop relève de sa volonté de
faire participer le plus grand nombre au défilé, projet rendu impossible par le coût de la
contribution de Käfig. La présence de la compagnie est une stratégie de communication,
car la municipalité met en avant un élément exogène à la commune et non la population,
60
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
un élément qui détermine sa politique d’envergure et non l’identité culturelle de la ville. En
cela, la Biennale de la Danse cristallise les conflits de finalité octroyée à la culture entre
la municipalité et les associations. La volonté de maîtrise institutionnelle de la fête, par
l’imposition d’une programmation municipale, ainsi que l’encadrement juridique et policier,
participe à la communication politique. En effet, elle instaure des conditions strictes à un
rassemblement populaire et des limites à son expression. Elle en fait un évènement propre
et lisse.
b. L’absence d’une fête propre aux Brondillants
Une autre limite est posée aux vertus fédératrices des fêtes nouvelles : l’absence d’une
véritable manifestation propre aux Brondillants. La Fête du Livre à ses débuts avait ce statut,
puisqu’elle avait été créée par conjointement par la mairie et l’association Lire à Bron et se
déroulait dans le centre-ville. Cependant, en dehors de sa configuration actuelle qui dépasse
de loin le territoire brondillant, elle ne proposait pas une participation active des habitants
autour d’un projet collectif artistique comme le font les fêtes aujourd’hui. Depuis la disparition
des fêtes de quartier, la ville ne dispose plus d’une fête qui la représente, comme la Fête de
l’Iris pour Oullins. La Biennale de la Danse et la Fête du 8 décembre sont des évènements
lyonnais avant tout, qui ont lieu sur tout le territoire de l’agglomération. La Fête de la Musique
est un évènement national qui s’internationalise. Il manque à Bron et ses habitants une fête
qui les distingue, propre à l’identité de la commune et qui lui permet de s’affirmer en tant
que telle.
B. Lieux de culture, lieux de mémoire
La valorisation du patrimoine et la transformation des lieux de mémoire en lieux de culture
sont des modalités de l’action culturelle publique nouvelles, qui s’inscrivent dans une volonté
de fédérer les habitants autour d’une histoire commune. Cependant, certaines limites
doivent être apportées à cette politique, à la fois municipale et associative.
1) La valorisation du patrimoine de la commune
a. Le Fort de Bron
Le Fort de Bron est le seul monument historique encore présent sur la commune. Il
est chargé d’une histoire douloureuse, puisqu’il a fait de la commune un point militaire
stratégique pendant la guerre. Sa mise en valeur et sa réappropriation par les habitants ne
sont pas récentes. En effet, dès novembre 1974, le conseil municipal examine l’acquisition
du bois. Le Fort lui-même appartient encore au Ministère des Armées. André Sousi souhaite
que l’ensemble du Fort soit acquis, afin de réaliser un projet d’animation culturelle. La Courly
consent à un bail de 99 ans, signé en 1981, avec une location gratuite de l’ensemble, la
mairie ayant à sa charge la coûteuse réfection des locaux. L’Association du Fort de Bron
prend alors en charge l’animation culturelle, les représentations théâtrales et la visite du
Fort.
Un investissement important est consenti par la municipalité pour l’aménagement du
Fort de Bron. Cet effort perdure aujourd’hui, le volet patrimoine des affaires culturelles étant
pratiquement concentré uniquement sur ce lieu.
b. Le recensement du patrimoine : un patrimoine existant ?
GLOPPE Gaëlle - 2007
61
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Cependant, la valorisation du patrimoine passe également par son recensement. Le poste
qu’occupe Mme Vallet actuellement a été créé dans le but d’effectuer un inventaire du
patrimoine de la ville, en relation avec le Conseil Général et son comité pour le préinventaire du Rhône. L’ouvrage est sorti en 2006. Il s’agit d’une monographie sur l’état
du patrimoine architectural et artistique de la commune, recensant les églises, chapelles,
fontaines, etc. L’engouement pour le patrimoine de la commune date des mandats d’André
Sousi. Dès 1972, il demande à Bernard Crozier d’effectuer des recherches sur les armoiries
de la commune. A partir de ce moment, la municipalité va également soutenir les projets
éditoriaux sur l’histoire de Bron.
On peut interroger les raisons de cet engouement. La croissance urbaine de Bron
a complètement effacé les vestiges de son histoire. L’église St-Denis, qui a été jusqu’au
e
XIX siècle si importante dans la construction de l’identité locale, date des années 1970.
L’ancienne chapelle construite au Moyen-âge a disparu depuis longtemps, engouffrée sous
les rénovations et agrandissements successifs. En réalité, les seuls éléments du patrimoine
e
qui existent à Bron ne sont pas plus vieux que le XIX siècle : le Vinatier, l’aéroport, le Fort
de Bron…
Les premières actions publiques en matière d’histoire et de patrimoine coïncident avec
la fin du développement urbain de la ville, alors que les derniers vestiges qui faisaient du
quartier de l’église le centre historique de la ville disparaissaient sous les constructions
modernes. La perte des repères et des lieux historiques et symboliques de la ville est
un facteur d’explication. La commune souhaite alors reproduire des espaces communs,
62
porteurs de nouvelles identités sociales ou urbaines. Comme l’explique Alain Battegay , le
patrimoine est pensé comme une commémoration du passé et une ressource pour l’avenir.
Il s’agit d’une ressource car le patrimoine est porteur d’un processus d’identification collectif
et d’un atout d’émergence du territoire, de tourisme culturel. La mise en valeur du patrimoine
de la commune fait cependant émerger une certaine mémoire de la ville.
2) La mémoire pour qui ?
a. Mémoire dominante, mémoire positive
63
André Sousi déclarait, alors qu’il proposait de valoriser le Fort de Bron : « Mais si nous
rénovons Bron, nous tenons à respecter la tradition brondillante, partie intégrante de notre
histoire. »
Dans les années 1970, les cicatrices de la guerre ne sont pas encore complètement
refermées. On peut donc suggérer que la valorisation du patrimoine, comme le Fort de Bron,
participe à un devoir de mémoire. Cependant, la municipalité continue à mettre en avant un
patrimoine communal qui ne reflète pas toutes les couches de la population brondillante. En
2003, le conseil municipal décide de rénover l’église St-Denis. Les ouvrages d’individus sur
l’histoire de la commune, édités par la mairie, insistent beaucoup sur l’histoire médiévale et
e
celle du XIX siècle, mais n’évoquent pratiquement pas l’histoire contemporaine, pourtant
62
Alain Battegay, « Le bien-pensant des mémoires urbaines à l’épreuve du présent des villes : compte-rendu d’ateliers
exploratoires », in André Bruston [dir.], Des cultures et des villes, mémoires du futur, La Tour d’Aigues, Ed. de l’Aube, 2005, p.94
63
62
André Sousi, 1971-1988, ou l’épopée d’une ville, Bron, Ed. Martin, coll. Le « A », 2000, p.68
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
64
représentative de la population actuelle. Catherine Foret évoque une confusion de l’action
publique :
Elle se manifeste par la tendance à présenter officiellement comme « l’histoire »
d’un site ou d’une population ce qui ne constitue qu’une version subjective des
faits, une approche sensible, partielle, voire partiale, qui soit omet, soit nie une
partie de la réalité historique.
La mairie, les associations du patrimoine et les individus qui écrivent l’histoire de Bron
favorisent une histoire passéiste. Un seul ouvrage évoque une histoire nostalgique et
mal écrite, des Essarts et de Bron-Parilly dans les années 1950. Seul l’ouvrage d’André
Sousi ose aborder les difficultés économiques, territoriaux et politiques de la commune.
En réalité, le patrimoine mis en avant par les individus et la municipalité nie les situations
de domination et d’exclusion qui prédominent sur le territoire. Il s’agit d’une « mémoire
65
positive » , légitimée par les pouvoirs publics. Elle exclue les mémoires des quartiers
périphériques et des mémoires qui s’opposent à une version plus policée de l’histoire de
la commune. Il s’agit d’une mémoire dominante, mise en valeur par la classe politique qui
domine la scène brondillante et par la classe moyenne, souvent à l’origine de la production
de la mémoire populaire et des activations mémorielles.
b. La mémoire des nouvelles populations
La difficulté de mettre en avant d’autres voix, d’autres mémoires, est symptomatique de la
construction urbaine de Bron. Les nouvelles populations, pourtant majoritaires aujourd’hui,
ont rapidement été mises au ban de la commune. En ne valorisant pas leurs mémoires,
la municipalité et les autres acteurs du patrimoine mettent en doute leur légitimité à faire
l’histoire de la ville et donc, à être pleinement citoyens. On peut comprendre la difficulté
d’atteindre les populations marginalisées pour faire entendre leurs voix dans toute la ville.
Cependant, le succès de l’opération « Je t’écris de Bron » indique que ce n’est pas non
plus impossible et qu’il y a une réelle volonté de s’exprimer. A l’heure où la restructuration
des U.C. et leur démolition sont mises en œuvre, il semble important pour la commune de
66
recueillir les mémoires de ceux qui y vivent. Selon Alain Battegay , il y a une tension entre la
mémoire des villes et la disparition des espaces. Elle met en lumière des lectures différentes
de la ville. Les mémoires urbaines seraient des arènes publiques, dans lesquelles les
contradictions et les conflits dévoileraient les enjeux de reconnaissance qui les sousentendent.
En effet, l’omission de l’histoire de ces populations reflète des situations de domination
sociale et politique qui se jouent sur le territoire. Lorsque j’ai demandé à Mme Vallet
quelle action au niveau patrimonial était engagée par la mairie, elle m’a expliqué qu’elle
souhaitait mettre en place des promenades urbaines, permettant d’expliquer aux habitants
de Parilly que lors de la construction des U.C., les grands ensembles étaient un exemple
de modernisation. Or, il ne semble pas que cette envie soit accompagnée d’une volonté
politique. En effet, l’histoire de Bron-Parilly soulève des questions douloureuses, la longue
absence d’action publique et le mal-être continu des habitants.
64
Catherine Foret, « Mémoires citadines : un nouvel objet d’action publique », in André Bruston [dir.], Des cultures et des villes,
mémoires du futur, La Tour d’Aigues, Ed. De l’Aube, 2005, p.29
65
66
Notion développée par Catherine Foret, Ibid.
Alain Battegay, op. cit., pp.91-107
GLOPPE Gaëlle - 2007
63
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
3) Moderniser pour mieux fédérer : la transformation des lieux d’histoire en
lieux de culture
Malgré les problèmes et enjeux de la domination sociale posés par la valorisation d’une
certaine mémoire, une des politiques publiques de la mairie permet, en théorie, de recréer
des lieux communs de socialisation, en transformant des lieux de mémoire en des lieux de
culture. A Bron, cette démarche s’incarne uniquement dans le Fort de Bron, mais elle est
intéressante et mérite d’être signalée.
Dès l’acquisition des locaux, la municipalité a le projet de transformer le Fort en un
espace culturel. En réalité, en incitant des artistes à investir ce lieu, la municipalité enclenche
un processus de modernisation de l’équipement qui permet de faire le lien entre l’histoire de
la commune et son présent. En effet, les artistes, porteurs d’une image exogène et nouvelle
du monde, réinvestissent des lieux chargés d’histoire, pour réinterpréter des traditions
67
culturelles . Ils proposent alors une nouvelle lecture du site en le modernisant, lecture plus
apte à satisfaire les identités actuelles et à les fédérer.
La présence du projet artistique ne fait que renforcer cette démarche. En effet, elle
s’inscrit dans un processus de ritualisation des pratiques. En ce qui concerne le Fort de Bron,
le rituel est double. Il passe à la fois par la présentation tous les deux ans d’un spectacle
théâtral et musical, et par la visite du site dans le cadre de l’éducation culturelle par tous
les établissements scolaires de la commune. L’inscription de la Biennale du Fort de Bron
en tant que pratique culturelle rituelle s’incarne également dans une approche du public
différente. Dans les années 1990, non seulement les artistes étaient en résidence à la MJC,
ce qui permettait des rencontres avec les adhérents, mais ils faisaient des actions dans les
différents quartiers de la ville, proposant de petits spectacles promotionnels.
En cela, le Fort de Bron s’inscrit dans une nouvelle dynamique de l’activation
mémorielle, proposant à la fois une histoire, certes partiale, mais en faisant le lien avec le
présent et l’avenir, par l’action culturelle.
Les éléments de ralliement identitaire comme la fête et les lieux de mémoire ont des
failles qui méritent d’être encore comblées. De plus, la politique culturelle associative et
municipale n’a pas encore réussi à enrayer les problèmes de la démocratisation culturelle,
nécessaire à la réalisation d’une identité collective.
II. Le problème non résolu de la démocratisation
culturelle
La démocratisation culturelle mise en avant dès 1945 à Bron n’a pas été réalisée, malgré
plus de soixante ans de politiques publiques. Les associations, dépendantes de la mairie,
n’ont pas su non plus pallier à ce problème.
A. Un réseau d’équipements culturels peu adapté au territoire ?
Si certains équipements culturels ont été installés dans des quartiers spécifiques,
permettant le désenclavement de certains territoires et un accès à la culture facilité par
67
64
Cf. Catherine Foret, op. cit., pp.25-39
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
la proximité, certains espaces culturels importants s’intègrent toujours mal au territoire
brondillant.
1) Des espaces excentrés et mal desservis
a. Des choix guidés par des enjeux politiques et électoraux
Les choix d’implantation territorial des équipements culturels ont souvent été justifiés par
une mise en réseau du tissu urbain, avec une répartition des acteurs et des propositions
culturelles devant permettre une démocratisation culturelle, même dans les quartiers
périphériques. Or, si certains projets d’équipements ont été réfléchis autour d’un projet
urbain, il faut relativiser les enjeux de cette politique, parfois portée par des choix électoraux
et politiques. En effet, la construction de la MJC sur le quartier de Bron-Nord et celle de
l’Espace Albert Camus à Rebufer relèvent plus des contraintes de la vie politique locale
qu’une réflexion autour de l’aménagement du territoire.
En ce qui concerne la réalisation du centre culturel, la discussion au sein du conseil
municipal a duré deux ans afin de déterminer le lieu de sa réalisation. Martine Chevalier
évoque timidement les conflits entre les élus :
Pour des histoires politiques dans les années 80. C’était le maire. Je sais qu’il
y avait eu des discussions. Une partie des élus à l’époque, dans les années 80,
voulaient que ce soit entre la Poste et la Mairie. Une autre partie a voulu excentrer
pour des questions de bruits, des questions de place…
En effet, le territoire désigné pour la construction du centre culturel, des terrains appartenant
à l’Etat, se situe dans la ZAC du Triangle de Bron, aujourd’hui le Parc d’Activités SaintExupéry. Il aurait été plus logique de le réaliser dans le centre-ville, afin de renforcer la
centralité culturelle de la commune et de le rendre accessible à tous.
De même, la MJC se trouve dans un quartier résidentiel, parce qu’il y avait de la place à
cet endroit. Fabrice Doddon insiste sur ce problème de choix politique : « C’est pas le choix
de la MJC, c’est l’équipement qui était là. Effectivement, si l’implantation avait été derrière
la mairie, on aurait pas eu le même public ni les mêmes activités. »
Elle ne s’intègre pas du tout dans les quartiers qui ont le plus besoins de sa proximité. La
question de l’implantation des équipements culturels est soumise à des enjeux électoraux
qui dépassent ceux de la politique culturelle : ne pas déranger les habitants, éviter
les regroupements de jeunes qui pourraient être mal vus… Elle n’a pas non plus été
réfléchie en terme d’évolution de la ville et de la population. Aujourd’hui, le Plan Urbain
d’Aménagement propose d’entamer une nouvelle réflexion autour cette question, admettant
que les équipements culturels actuels ne sont pas réellement adaptés aux besoins actuels.
b. Des lieux mal desservis
Les espaces culturels comme la MJC, l’Espace Albert Camus, l’hippodrome de Parilly
pour la Fête du Livre et le Fort de Bron souffrent non seulement d’une décentralisation
prononcée mais aussi d’un problème de desserte par les transports en commun. Ce dernier
est d’autant plus important que ces équipements sont censés toucher toutes les couches
de la population, tous les quartiers. Fabrice Doddon expose :
On est très mal desservi par les transports en commun, donc il faut une voiture.
Donc s’adresser au plus grand nombre en ayant pas de transports en commun,
c’est pas une bonne chose. […] On est tributaire des locaux qu’on nous donne.
GLOPPE Gaëlle - 2007
65
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
La mauvaise desserte de l’Espace Albert Camus est également importante. Martine
Chevalier préfère relativiser, car le centre culturel ne s’adresse pas seulement aux
Brondillants :
Pour les gens qui n’ont pas de voiture c’est un point important, et pour ceux qui
ont une voiture, d’être ici c’est aussi important parce qu’il n’y a pas de problème
de parking. On a même des gens qui traversent Lyon et qui viennent en un quart
d’heure le soir et qui se garent sans souci. Ça les transports en commun, c’est un
souci.
En tant qu’équipements culturels majeurs, portant le réseau d’acteurs, il est difficile
de concevoir que les problèmes d’accès physique soient aussi importants. Pourtant, la
municipalité semble au courant des soucis que posent les difficultés d’accès. En évoquant
le travail avec la MJC, Mme Vallet affirme : « Ils sont éloignés des quartiers. Il y a une forte
volonté de s’intégrer. »
La situation géographique de la MJC modifie son public, en l’homogénéisant, malgré
les volontés d’accès à tous à la culture de l’association : la majorité des adhérents appartient
à la classe moyenne.
2) Des lieux de diffusion pas toujours accessibles : le problème du
partenariat
Le principe des équipements culturels est qu’ils sont à la fois des lieux de création et de
diffusion. Pendant les débats autour du projet de l’Espace Albert Camus, l’adjoint à la culture
68
Paul Ravel déclarait : « A quoi servirait-il de développer l’apprentissage d’un instrument
de musique, si le musicien ne peut en jouer nulle part ? »
Cependant, le réseau de diffusion culturel est peu accessible à la création artistique non
professionnelle. La MJC semble être l’acteur qui a le plus de mal à diffuser ses créations,
bien qu’elle regroupe le plus d’adhérents sur la commune. En dehors des manifestations
culturelles, elle peine à se produire en dehors de ses locaux, qui ne sont pas réellement
propices à de bonnes conditions de spectacles, comme l’explique Gisèle Bertrand :
A part la Fête de la Musique ou les bars, non. Ou alors ça peut être extérieur,
mais alors à ce moment-là c’est plus des auditions. L’année dernière, pas cette
année parce que le temps était trop incertain, il y a eu une audition qui a été
suffisamment importante pour être sur les parkings. Voilà, c’est sur les locaux.
Le Fort de Bron et l’Espace Albert Camus constituent les seules salles de spectacles dignes
de ce nom sur la commune. Gisèle Bertrand évoque les anciens partenariats : « Il fut un
temps, il y a eu des musiciens de chez nous qui ont fait des premières parties des concerts
d’Albert Camus. Mais ça ne se fait plus depuis des années. »
Fabrice Doddon est catégorique. La production des adhérents à l’Espace Albert Camus
est impossible, parce que la location de la salle est trop chère. Il n’y a pas de partenariat avec
le centre culturel afin que chacun puisse se produire dans de bonnes conditions. Même dans
les locaux de l’Espace Albert Camus, l’accès à la salle de spectacle semble être difficile. La
Glaneuse, qui bénéficie d’une salle de répétition dans le centre culturel ne s’y produit pas
souvent. Martine Chevalier explique qu’il y a tout de même des facilités : « Cette saison on
a d’ailleurs travaillé avec l’Harmonie, autour d’un concert de chansons de Jacques Brel. Ils
ont joué des morceaux. »
68
66
André Sousi, op. cit., p.213
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
Le partenariat s’arrête là. Or la démocratisation culturelle n’est pas seulement
concentrée sur l’accès de tous à la culture, elle l’est également sur l’accès aux équipements
culturels.
B. La marginalisation grandissante des populations de la périphérie
Les politiques culturelles municipales ont toujours des difficultés à atteindre les quartiers
défavorisés de la périphérie. De plus, il semble que les actions en leur faveur se réduisent.
A cela s’ajoute les problèmes d’accès financier à la culture.
1) Le problème non résolu de la périphérie
Si Terraillon semble mieux intégré dans le tissu urbain, avec un accès au Centre Social
Gérard Philippe, relativement dynamique en matière de culture, le quartier de Parilly peine à
y entrer. Le plan d’aménagement urbain instauré par la municipalité montre que les élus sont
conscients de cet état de fait, puisqu’il y intègre la réalisation des nouveaux équipements
culturels, tels que le centre de danse urbaine et la médiathèque. Cependant, la pertinence
d’un tel projet peut être soulevée, les habitants des grands ensembles n’étant pas le public
privilégié de ces équipements. Selon Mme Vallet, le centre de danse urbaine va permettre
de combler la situation géographique et sociale de ce quartier, car la compagnie Käfig,
qui fait principalement du hip-hop, a à cœur de travailler avec les habitants des quartiers
défavorisés, dont la plupart des membres sont issus :
Le travail se fait avec l’OPAC Rhône, puisque le centre va être construit à Parilly,
un quartier difficile. Il s’agit d’un lieu pour s’entraîner, un lieu de réunions, de
stages avec les jeunes du quartier, mais également un centre de formation où
plusieurs compagnies de danse pourront travailler et se rencontrer.
Il reste à savoir si les tarifs proposés par le centre de danse urbaine seront compatibles
avec les revenus des habitants.
2) Des actions culturelles de moins en moins présentes
Lorsque j’ai interrogé mes interlocuteurs sur les actions culturelles en direction des quartiers
sensibles, l’emploi du passé était récurrent. Il semble que les municipalités Sousi et
Queyranne aient beaucoup œuvré pour que l’offre culturelle soit accessible physiquement et
financièrement par les habitants de ces quartiers. Depuis l’arrivée de Mme Guillemot à la tête
de la mairie, ces actions semblent s’être taries. En réalité, le Centre Social Gérard Philippe
et les Maisons de Quartier sont encore les seules structures à proposer une offre culturelle
de proximité, parfois en partenariat avec la MJC. La fermeture de certaines Maisons de
Quartier, comme celle de Parilly, joue également un rôle dans l’arrêt de ces actions, qui ne
peuvent plus que difficilement être relayées. La Biennale du Fort de Bron ne s’aventure plus
dans les quartiers à la recherche d’un public non averti. La mairie a également cessé de
démarcher le public de ces quartiers sur leur territoire, la première expérience ayant été
un demi-échec.
3) Un accès financier toujours difficile
Enfin, la marginalisation des quartiers dans le domaine culturel s’accroît malgré la diversité
de l’offre pour des raisons financières. En effet, les difficultés économiques et sociales sont
toujours élevées, bien qu’une amélioration notable des conditions de vie soit observable,
grâce aux différents plans d’aménagement urbain. L’augmentation des tarifs de la MJC est
GLOPPE Gaëlle - 2007
67
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
un obstacle majeur, étant la structure la plus importante en terme d’animation socioculturelle.
Elle ne parvient pas à atteindre ses objectifs.
Les politiques d’éducation culturelle n’ont pas pu accroître l’attrait des populations les
plus pauvres pour un secteur culturel de plus en plus élitiste. Le fait que ce soit l’Espace
Albert Camus qui propose une programmation Jeune Public n’est pas compatible avec les
tarifs qu’il propose. La curiosité que pourrait engendrer cette programmation est bloquée
par la politique tarifaire de l’équipement.
C. Un accès à l’offre culturelle coûteux
Les obstacles à la démocratisation culturelle sont surtout liés aux coûts de l’offre culturelle.
Les budgets dévolus à la culture n’étant pas extensibles à l’infini, les efforts financiers de
la municipalité ont leurs limites. L’investissement dans les lieux culturels rayonnants est un
frein à l’action de démocratisation culturelle.
1) Le coût de l’offre culturelle
En offrant une programmation artistique variée lors des manifestations culturelles et en
investissant dans le circuit associatif, la municipalité permet de dégager une politique
tarifaire adaptée dans la plupart des cas. Grâce aux subventions qu’il obtient, le cinéma
Les Alizés propose des tarifs tout à fait raisonnable dans le paysage cinématographique
national, qui tend à une augmentation inquiétante des prix de la place de cinéma, rendant
cette pratique pratiquement élitiste alors qu’elle est à l’origine populaire. La médiathèque a
également une politique tarifaire adaptée aux besoins des Brondillants. Cependant, la MJC,
qui promeut l’accès de tous à la culture, et l’Espace Albert Camus demeurent des pôles
culturels difficilement accessibles financièrement, car ils sont tributaires du financement
municipal.
a. Le coût de l’Espace Albert Camus : une barrière à l’entrée pour une
programmation élitiste
La réalisation de l’Espace Albert Camus a été particulièrement coûteuse pour la commune,
puisqu’elle a dû fournir un effort de 11 millions de francs pour la construction, déduction faite
des subventions obtenues. L’entretien même du bâtiment demande une manne financière
conséquente et constante, le budget annuel de fonctionnement s’élevant à 650 000 euros.
La municipalité ne peut donc adapter le prix des places de spectacles, en dehors de ceux
de la programmation Jeune Public, politique budgétée en dehors du centre culturel. Si les
tarifs d’Albert Camus sont inférieurs à ceux des « Nuits de Fourvière », ils demeurent hors
de la portée d’une bonne partie de la population brondillante, entre 21 et 18 euros en plein
tarif. Non seulement la programmation n’est pas à la portée de toutes les couches sociales,
malgré ce que peut en dire Martine Chevalier, mais la barrière à l’entrée décourage les
Brondillants les plus curieux. Pourtant, selon Martine Chevalier, l’Espace Albert Camus vit
principalement de sa location de salles :
Il faut savoir qu’on a aussi deux activités, c’est-à-dire l’activité spectacle et
l’activité location de salles, qui est une partie importante du budget et sans
laquelle on ne pourrait pas fonctionner.
L’argent récolté grâce à la location de salles ne permet pas de proposer une politique tarifaire
plus accessible, mais d’organiser des résidences d’artistes.
68
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
b. La dépendance de la MJC à la mairie : la difficulté à réduire le coût des
activités
La municipalité finance à 48% le budget de la MJC, qui s’élève à 1 million d’euros. Cette
subvention permet, en dehors du financement des salaires, que le coût réel des activités soit
moins élevé. Cependant, la MJC peine à proposer des tarifs plus adaptés aux différentes
couches sociales de la population. Les tarifs annuels des activités s’étendent entre 150 et
300 euros, sans parler des activités musicales qui peuvent s’élever à plus de 700 euros
pour les adultes. Fabrice Doddon explique amèrement :
Nos tarifs seraient moins chers, on toucherait plus de gens, sûrement. Mais pour
que les tarifs soient moins chers, il faudrait que la subvention soit supérieure,
donc pour que la subvention soit supérieure, il faudrait que les impôts des
Brondillants soient supérieurs.
Cette option n’est évidemment pas envisageable. Néanmoins, le développement de la MJC
et son rayonnement sur la commune, en terme d’adhérents, sont compromis par des tarifs
peu accessibles et qui font obstacles à la démocratisation culturelle prônée par la structure.
La MJC tente en compensation de permettre des payements échelonnés et des tarifs réduits
pour certaines catégories sociales (parfois 50% de réduction). L’éditorial de la plaquette de
la MJC pour la saison 2007/2008 évoque les difficultés financières qui sous-entendent les
relations avec les élus :
La fin du dispositif « emploi jeunes » et l’évolution des subventions plus lente
que l’augmentation des coûts, ne nous permettent plus de financer les moyens
humains que nous avons mis à votre disposition. […] Ou bien alors il faudrait
augmenter considérablement augmenter les tarifs des activités, ce qui n’est pas
souhaité par les élus.
En effet, les difficultés tarifaires posent également le problème de la variété d’activités
proposées à la MJC. Soit les activités sont réduites et donc ne peuvent satisfaire la
demande et les besoins culturels, soit les tarifs doivent augmenter, si ce n’est le montant
des subventions accordées par la mairie.
2) L’investissement dans des projets culturels rayonnants
Le financement de la culture soulève bien des questions dans une politique culturelle qui
se veut de la démocratisation culturelle. Bien que la municipalité ait toujours accordé un
crédit important au réseau associatif dans ce domaine et qu’elle participe toujours à son
financement de manière conséquente, les récentes évolutions de ses orientations laissent
perplexes. En effet, si l’offre aux artistes de lieux de création est louable, on peut interroger
sa pertinence du point de vue des besoins culturels et sociaux des habitants eux-mêmes.
L’investissement de la municipalité dans l’Espace Albert Camus, qu’elle a conçu comme un
lieu de création artistique, est pratiquement aussi important que celui qu’elle consent pour la
MJC. Or, la réalisation prochaine du centre de danse urbaine va prendre une part importante
dans le budget de la commune. De même, le coût de la compagnie Käfig dans les actions
culturelles municipales est en contradiction avec les velléités de démocratisation culturelle.
Le budget alloué pour la Biennale de la Danse en est l’exemple. La création d’une nouvelle
médiathèque est également problématique, dans une commune où les inégalités d’accès
à la culture demeurent importantes. Cet investissement financier interroge et inquiète les
autres acteurs culturels qui sont en attente d’une action forte de la mairie dans le champ
culturel. En effet, les Amis du Cinéma ne demandent pas de subvention supplémentaire
pour organiser leur festival de cinéma, ce qui n’empiète pas sur les tarifs proposés au public.
GLOPPE Gaëlle - 2007
69
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
En revanche, le statut de lieu de création artistique de l’Espace Albert Camus fait obstacle
à une politique tarifaire adaptée.
III. Le manque de démocratie culturelle
Le problème non résolu de la démocratisation culturelle qui subsiste à Bron s’accompagne
d’une absence de démocratie culturelle. Nous avons déjà constaté les problèmes de
la valorisation du patrimoine dans la domination sociale et politique d’une catégorie de
la population sur une autre. Cette domination, qui empêche l’expression des différentes
identités de la commune, fait également obstacle au dialogue et au compromis culturel. Le
manque de démocratie culturelle est particulièrement visible dans les relations entre les
deux acteurs culturels.
A. La domination de la municipalité
La domination de la municipalité dans le secteur culturel est de plus en plus grande
aujourd’hui. Elle passe par un système partenarial qu’elle impose et contrôle, et s’incarne
dans l’Espace Albert Camus.
1) Un partenariat inégal
Les acteurs associatifs du secteur culturel sont tributaires des volontés de partage et de
partenariat de la municipalité. En réalité, si la mairie offre surtout une aide financière,
symbole de la dépendance des associations, elle impose les modalités du partenariat.
a. Du partenariat à la convention
69
Selon Guy Saez , les modalités de la participation associative à l’action culturelle
municipale ne peuvent s’accommoder de structures administratives rigides, guidées par la
seule administration communale. De ce fait, deux modèles de partenariat ont été mis en
place successivement. Ces modèles se retrouvent dans la politique culturelle brondillante.
Le premier s’incarne dans la création d’un Office Communal Culturel et illustre la volonté
de limiter la politisation du domaine culturel, en privilégiant une démocratie culturelle. La Ville
de Bron a cependant progressivement abandonné cette modalité de gestion, en privilégiant
une prise de décision municipale à un processus de co-décision, et ce, dès la municipalité
Sousi. En mettant tout d’abord en avant le deuxième moyen de gestion culturelle citée
par Guy Saez, la convention d’objectifs, la mairie, tout en laissant le choix de la direction
artistique aux associations, impose des conditions et des modalités de partenariat. En
supprimant l’Office Communal Culturel, elle se renferme sur elle-même.
Les conventions sont passées entre les associations responsables d’un projet ou d’un
équipement culturel. Elles peuvent être à tout moment dénoncées, comme cela a été le
cas de la convention avec la MJC concernant la programmation Jeune Public. Elles posent
également le problème de l’égalité des partenaires. En effet, la dépendance financière des
associations ne leur permet pas de dénoncer une convention qui ne leur convient pas.
69
Guy Saez, « Politiques culturelles », in Madeleine Grawitz et Jean Leca [dir.], Traité de Sciences Politiques, t4, Paris, PUF, 1985,
pp. 404-405
70
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
On peut noter à Bron un manque d’évolution des modalités conventionnelles. Ainsi,
Mme Vallet avoue : « En ce moment, un groupe de travail a été mis en place pour instaurer
un contrat d’objectifs avec la MJC. La convention entre elle et la ville est vieille, elle date
de 1972. » Le peu d’évolution de ces conventions dévoile un certain immobilisme de la
municipalité qui lui est favorable. Tout en modifiant ses propres objectifs culturels, elle
empêche une évolution similaire des autres acteurs culturels. En effet, la MJC ne peut
dans ce cas participer à la nouvelle politique culturelle de la municipalité si les objectifs
conventionnels datent de plus de vingt ans. Le choix des conventions permet à la mairie de
renforcer sa position de domination.
b. Rappels d’objectifs et réappropriation du rayonnement associatif
Par la présence d’objectifs signifiés dans les conventions et la mise à disposition
d’équipements coûteux, la municipalité met en avant le fait que les associations lui sont
redevables, et ainsi, rappelle les objectifs politiques qui ont guidé son intervention. Le
70
discours d’André Sousi à l’inauguration des Alizés en 1987, est révélateur :
La municipalité entend donner un nouveau souffle au 7e art. Je mets l’accent
sur l’esprit et la créativité qui doit animer les Amis du Cinéma afin qu’ils rendent
vivant ce complexe doté dans la grande salle d’un évènement scénique. La
direction devra impérativement faire preuve de beaucoup d’imagination et
d’esprit d’initiative si elle veut faire fonctionner à plein ce magnifique outil que lui
fournit la ville.
La municipalité ne met pas seulement en avant des objectifs relevant de l’aide financière
accordée. Elle se réapproprie également la politique culturelle des associations. Dans ce
cas précis, il est intéressant de constater que la mairie, qui ne s’est jamais préoccupée de
la viabilité des cinémas locaux, insiste sur la volonté publique de sauver le cinéma. Alors
que les Amis du Cinéma ont lutté pendant plusieurs années pour qu’une salle de cinéma
reste ouverte sur la commune, la mairie rappelle à l’association qu’elle doit être dynamique
et se montrer à la hauteur !
Cette tendance à la réappropriation des politiques culturelles associatives ne vise pas
seulement le cinéma des Alizés, mais également la Fête du Livre de Bron, la Biennale
du Fort de Bron, la MJC… L’indépendance effective des associations en matière de
programmation et de direction artistique n’empêche pas les stratégies de communication
qui sous-entendent les systèmes de dépendance du secteur culturel. Le rappel de certains
objectifs mis en avant par la municipalité est légitime pour Colette Périnet : « On est ouvert
sur la ville. On a une subvention de la ville sans laquelle on vivrait moins bien, alors c’est
normal. On est ce supplément d’âme qui est ouvert sur la ville. »
En réalité, la municipalité, en agissant de la sorte, se place comme le seul acteur
légitime du secteur culturel. Cette légitimité, conférée par l’élection démocratique, prend
alors toute son ampleur, la municipalité considérant qu’elle est la seule à devoir et pouvoir
proposer des orientations dans le domaine de la culture.
c. Un partenariat principalement financier
Pourtant, la mairie ne propose pas ou plus de projets communs avec les associations. On
peut excepter la création de la Fête du Livre, il y a vingt ans. Concernant la participation
de tous les acteurs culturels lors des manifestations culturelles municipales, les personnes
70
André Sousi, op. cit., p.265
GLOPPE Gaëlle - 2007
71
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
interrogées ont donné des réponses contradictoires. Certaines affirment que la mairie
sollicite les associations, d’autres que ce sont les associations qui la sollicitent. En réalité,
comme l’a expliqué Mme Vallet, les projets communs, qui se réduisent aujourd’hui aux
évènements festifs, sont ancrés dans la tradition brondillante. Pour que les associations et
la mairie montent un projet culturel commun, il faut que les partenaires soient en accord
avec les choix municipaux. Le refus de la MJC d’organiser le défilé de la Biennale de la
Danse, parce qu’elle était en désaccord avec la direction artistique imposée par la mairie,
en est le parfait exemple.
L’incapacité de la municipalité a accepté les choix de politiques culturelles des
autres acteurs est révélatrice. Sa participation à l’action culturelle associative est réduite
aujourd’hui à un aspect financier, technique et juridique, qui ne fait que renforcer la
dépendance du réseau associatif. Il ne faut pas noircir complètement le tableau car
aujourd’hui, des relations privilégiées demeurent actives entre la mairie et certaines
associations, comme l’association pour la Promotion de l’Art. La médiathèque, bien que
service municipal, est encore ouverte aux projets culturels associatifs. Ce qui est dommage
est la propension de plus en plus grande de la municipalité à solliciter des associations
pour leur caractère rayonnant ou pour leur poids sur la scène culturelle, tout en ignorant
les choix des institutions qui peuvent proposer des orientations et des pratiques culturelles
différentes.
2) Le problème de l’Espace Albert Camus
La domination de la municipalité sur la scène culturelle brondillante s’incarne dans la
réalisation et la gestion de l’Espace Albert Camus. Ce centre culturel semble cristalliser les
tensions entre les différents acteurs et les enjeux politiques en matière de culture.
a. Un instrument politique
L’Espace Albert Camus, inauguré à la fin du mandat d’André Sousi, marque les débuts
71
d’une instrumentalisation politique de la culture par la municipalité . La conception même
du projet a entraînée une vive opposition au sein du conseil municipal en 1984, car ses
objectifs n’étaient pas définis. Chaque élu y voyait sa propre vision des besoins culturels sur
le territoire. Par exemple, M. Suchère, souhaitait un théâtre de 200 places. Il faut dire qu’en
terme d’équipement culturel, la commune ne bénéficiait pas encore d’une scène digne de
ce nom.
Etait-ce cependant une priorité ? Le groupe Bron Renouveau Socialiste a vivement
critiqué le projet devant la presse, estimant que le coût de l’opération était trop élevé et
que la création d’une salle de spectacle de cette envergure n’était pas nécessaire. Le choix
d’en faire un centre culturel plus qu’un théâtre n’a même pas été justifié par Sousi comme
une définition des priorités politiques, mais en terme de subventions accordées pour la
réalisation de l’équipement. Il s’agissait en effet d’en faire un instrument de la politique de
ville.
Instrument politique, l’Espace Albert Camus en est un dans sa gestion, bien que Martine
Chevalier s’en défende. Le statut du centre culturel impose une gestion municipale :
71
Certains auteurs parlent d’instrumentalisation politique de la culture en évoquant l’utilisation de la culture comme élément de la
politique sociale. Nous parlerons ici d’une instrumentalisation politique dans le sens où l’Espace Albert Camus n’entre pas dans le
cadre de la politique culturelle à visée sociale portée par la municipalité jusqu’alors, mais bien dans une politique de communication
et de rayonnement dans l’agglomération.
72
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
Alors oui, après avoir été une association jusqu’en 1996, suite à la loi sur
les associations, je crois que ça s’appelait la loi Sapin, sur les associations
qui recevaient plus d’un million de francs de subvention, et dont les maires
étaient présidents, il a fallu qu’on change de statut. Donc aujourd’hui, on est
en régie autonome personnalisée à caractère administratif. […] Il y a un CA, qui
est composé de 19 membres dont la majorité sont des élus. Ils décident des
financements, enfin ils votent les finances sur les orientations importantes
d’Albert Camus. Pas de la programmation, ça c’est nous.
Malgré l’affirmation de cette indépendance de la programmation, le rôle de la municipalité
dans les choix artistiques du centre culturel est visible dès 1984, alors que le projet est
encore en phase d’élaboration. En effet, le conseil municipal confie à la troupe de Jean
Sourbier l’exécution de dix représentations du Songe d’une nuit d’été à l’Espace Albert
Camus. Même si aujourd’hui la programmation est laissée libre à l’équipe de Martine
Chevalier, les orientations politiques sont définies par la mairie. En effet, le choix d’en faire
un lieu de création artistique est une volonté municipale, et non le choix de l’association qui
en avait la charge à ses débuts.
b. Un lieu de culture polémique
72
Selon André Chazalette , le mouvement associatif a tout de suite reproché à tort au PS
la construction de l’Espace Albert Camus, dont la municipalité avait mal défini les objectifs.
Ce qui était reproché à la municipalité était plus l’éloignement des objectifs culturels
jusqu’alors portés par le PS, objectifs qui concordaient la plupart du temps avec ceux des
associations. Cette critique est encore valable aujourd’hui, le centre culturel n’ayant toujours
pas d’objectifs clairs pour les habitants de la commune. Lorsque j’ai demandé à Martine
Chevalier en quoi l’équipement s’intégrait dans la commune et représentait une certaine
identité culturelle, sa réponse a été assez révélatrice :
…Déjà c’est sur leur commune, c’est un équipement important sur leur commune.
Euh, c’est eux qui le font vivre par leurs impôts de toute façon. […] On a des
fidèles depuis dix-huit ans qui sont des abonnés, des gens qui viennent depuis
le début, qui sont des abonnés, ou qui viennent au coup par coup, ça oui. Donc
je pense que si ils viennent depuis si longtemps, ils doivent se reconnaître dans
des choix de programmation.
En réalité, l’Espace Albert Camus polarise les conflits qui existent entre la mairie et les
associations. L’attention financière et politique portée par la municipalité au centre culturel
accroît les tensions liées à la dépendance financière des associations. La mairie le met en
valeur au détriment d’institutions historiques et importantes comme la MJC. La scène par
exemple ne bénéficie que peu aux associations et aux artistes brondillants aujourd’hui. De
plus, l’Espace Albert Camus est une courroie de la politique de démonstration recherchée
par la municipalité, préférant des partenaires à la légitimité et à la visibilité importante,
comme les Alizés et la médiathèque Jean Prévost. Pourtant, l’Espace Albert Camus a tout
de même un pied dans la commune et organise dans ce sens des actions socioculturelles :
Avec les quartiers, oui. On travaille un petit peu avec Käfig dans le cadre des
actions culturelles, avec les centres sociaux et les maisons de quartier on a
quelques actions, qui se passent aussi ici sous forme de formations, de stages.
72
André Chazalette, Un itinéraire politique, 1950-1997, Lyon, 1997, p.52
GLOPPE Gaëlle - 2007
73
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Or, la présence de Käfig dans l’action culturelle du centre culturel ne fait qu’envenimer les
relations entre les différents acteurs de la commune, car elle constitue une concurrence non
négligeable à la politique d’acteurs associatifs comme la MJC.
3) De la concurrence à l’exclusion des acteurs
La domination de la municipalité est caractérisée par une reprise des actions culturelles
menées jusqu’alors par d’autres acteurs. Cette concurrence engendre une exclusion
marquée par un manque de reconnaissance des capacités de ceux-ci. Nous évoquerons
ici les rapports entre la MJC et la mairie, qui semblent les plus pertinents, étant donné
l’importance de cette structure.
a. La prise en main d’actions culturelles
Alors que les associations préfèrent éviter de se concurrencer dans le domaine des
activités artistiques et culturelles qu’elles proposent, la mairie n’hésite pas à se réapproprier
des champs d’action culturelle et à concurrencer les associations sur leur propre terrain.
Concernant la MJC, cette mise en concurrence récente se décline en deux volets : la
programmation Jeune Public et la prise en charge des cultures urbaines, notamment le hiphop.
La politique d’éducation culturelle, qui se traduit principalement par la programmation
Jeune Public, avait été dévolue à la MJC par convention. Malgré le succès de son travail
(la programmation Jeune Public attirait environs 16 000 spectateurs par an), la mairie a
préféré dénoncer la convention en 2003, profitant du départ de la responsable de mission,
pour intégrer la programmation dans une structure beaucoup plus proche d’elle, l’Espace
Albert Camus. Ainsi, la mairie s’est réappropriée une action culturelle, ce qui a laissé des
marques. Fabrice Doddon raconte amèrement :
La municipalité et Mme Guillemot ont décidé de reprendre cette activité et que
ce soit entièrement municipalisé, et donc que ce soit Albert Camus qui le fasse.
Puisque Albert Camus c’est la ville. C’est quasiment un service municipal, c’est
une régie. Quelles relations on peut avoir ? Aucune.
Le choix de la municipalité soulève des questions. Bien que cette programmation s’inscrive
dans la politique municipale, elle a été fondée par la MJC. La récupération de cette action
culturelle apparaît comme une volonté de dominer le secteur. Ce changement est d’autant
plus significatif que la programmation Jeune Public se déroulait déjà la plupart du temps au
centre culturel, pour des raisons pratiques. Gisèle Bertrand explique :
Ils mettaient juste à disposition la salle, c’est tout. Il y a quelqu’un qui est à mitemps à la ville de Bron, au service culturel, et qui travaille en lien avec l’Espace
Albert Camus sur le projet. C’est un autre projet, c’est un projet différent.
La fin de la convention a sonné également la fin de la prédominance de la MJC sur
la scène culturelle brondillante, celle-ci ayant abandonné à la suite de cette histoire sa
programmation musicale.
La concurrence que la municipalité semble déterminée à mener vis-à-vis de la MJC
s’incarne également dans la résidence de la compagnie Käfig et la réalisation d’un centre
de danse urbaine. Selon Mme Vallet, la compagnie Käfig souhaite travailler avec les jeunes
du quartier :
74
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
La ville sollicite aussi la Cie Käfig pour laquelle un centre de danse urbaine va
être construit à Parilly : pour travailler avec le lycée, les centres sociaux. Les
membres de la Cie sont très demandeurs de ce genre de sollicitation.
La démarche de la compagnie Käfig est en effet construite autour d’une volonté de
diversité culturelle et d’interaction avec tous les publics. Le problème qui se pose est
l’instrumentalisation politique de Käfig, qui porte haut les couleurs de la culture urbaine. Au
lieu d’organiser un partenariat avec la compagnie et la structure qui propose déjà des cours
de danse hip-hop, la MJC, elle propose à côté le même type d’activités, qui a en plus un
attrait tout particulier, celui de travailler avec des artistes à renommée internationale. En
réalité, la municipalité court-circuite l’action culturelle de la MJC, qui souhaite proposer des
activités demandées par la population. Cette mise en concurrence, particulièrement contreproductive, met au ban la structure emblématique qui regroupe le plus d’adhérents.
b. Le manque de reconnaissance et le mépris : les modalités de l’exclusion
En reprenant à son compte des activités culturelles proposées par les acteurs associatifs,
la municipalité rejette symboliquement leurs compétences. Pourtant, la convention qui avait
été mise en place avec la MJC pour la programmation Jeune Public était alors synonyme
de reconnaissance de la structure. Gisèle Bertrand, qui en avait la charge, se souvient :
C’est-à-dire que la programmation Jeune Public a commencé avant l’ouverture
de l’Espace Albert Camus, donc il y avait un savoir-faire, une connaissance du
terrain, des enseignants, parce qu’au départ ça a été une programmation scolaire.
C’est parce que ça a été fondé par la MJC.
Les compétences en terme de programmation étaient également reconnues, puisque la
convention indiquait principalement les modalités financières :
Dans mon souvenir, il n’y avait pas d’orientations artistiques dans la convention.
Ce qui était renégocié était le montant de l’aide municipale. […] Le contenu même
était prosaïque. Il était sur des éléments financiers déjà, et puis sur des éléments
relativement concrets. Il n’y avait d’objectifs de sens.
En réalité, l’opposition grandissante des associations, notamment de la MJC, à la politique
municipale relève d’un enjeu symbolique plus important, comme le développent Stéphane
73
Pryen et Jacques Rodriguez : celui de la reconnaissance sur le territoire même. En
récupérant des actions culturelles portées pendant longtemps par les associations, la
municipalité accuse un mépris total de leur succès et leur ôte une visibilité et une
reconnaissance sur le territoire. En dominant la scène culturelle, la municipalité impose
également une culture légitime. Elle exclut les différentes voix qui jalonnent le territoire, les
différentes cultures locales. La MJC regroupe le plus d’adhérents sur la commune et est
donc une des structures les plus importantes du développement culturel. En l’excluant de
certaines activités, la municipalité prend une place de plus en plus importante et rejette
l’idée démocratie culturelle.
B. Une identité culturelle imposée ?
73
Stéphane Pryen et Jacques Rodriguez, « Quand la culture se mêle du social : de la politique culturelle roubaisienne aux actions
culturelles à visées sociales », in André Bruston [dir.], Des cultures et des villes, mémoires du futur, La Tour d’Aigues, Ed. De l’Aube,
2005, p.221
GLOPPE Gaëlle - 2007
75
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
La domination municipale participe à l’imposition d’une certaine identité culturelle de la ville,
destinée à flatter une classe moyenne dominante et à valoriser l’image de la commune.
Cette domination reflète un véritable conflit de légitimité culturelle entre les acteurs.
1) Le manque de voix des quartiers excentrés
Jusque sous la municipalité de Jean-Jacques Queyranne, la politique culturelle municipale
opérait un double processus d’intégration des quartiers défavorisés à la ville. Les actions
étaient concentrées sur l’amélioration des conditions de vie et l’implantation d’équipements
socioculturels de proximité : Maisons de Quartier, Centre Social… Ces actions étaient
accompagnées d’une politique de visibilité de l’identité de ces quartiers dans le centre-ville.
L’opération « Je t’écris de Bron » participait à cette volonté de mettre en valeur les identités
culturelles, de permettre leur expression dans la cité.
Or, la municipalité met maintenant en œuvre d’un processus d’intégration en sens
unique. Les actions dans les quartiers se poursuivent mais elles se sont considérablement
réduites. En réalité, les populations des quartiers défavorisées sont aujourd’hui contraintes
à s’adapter aux pratiques culturelles mises en avant par la municipalité. Les difficultés à faire
sortir les gens de leur quartier, signalées justement par Mme Vallet, sont accentuées par les
besoins d’expression de leurs identités, que la municipalité tente de camoufler. En donnant
de moins en moins de moyens à ces populations pour s’exprimer en dehors de leur quartier,
la mairie fait obstacle à un dialogue nécessaire entre des populations qui cohabitent. La
fermeture des Maisons de Quartier en est un des exemples. Ces dernières favorisaient
la création d’un réseau territorial, constituant des relais qui permettaient la diffusion des
différentes pratiques culturelles et donc des différents systèmes de représentation identitaire
sur la commune. Les défilés carnavalesques qui partaient de ces Maisons de Quartier
et s’engouffraient dans la ville donnaient lieu à une confrontation symbolique, à une
expression culturelle que les manifestations culturelles organisées par la mairie ne peuvent
comblées, car trop institutionnalisées. La MJC elle-même n’arrive pas toujours à atteindre
ces populations.
Ce qui est à l’œuvre sur la commune est bien une nouvelle forme d’exclusion culturelle,
cette fois-ci non pas tributaire des enjeux urbains et économiques subis par la croissance
lyonnaise, mais bien choisie par les élus locaux. Les pratiques culturelles mises en avant
par la mairie correspondent de moins au moins aux besoins des habitants de ces quartiers.
La culture populaire est mise au ban au bénéfice d’une culture légitimée par les pouvoirs
publics, une culture plus élitiste représentative de la classe moyenne.
2) La valorisation des pratiques culturelles de la classe moyenne
La domination de la classe moyenne à Bron est à la fois politique et urbaine, et représente
donc un enjeu électoral pour les élus locaux.
a. La mise en valeur de lieux de culture représentatifs des pratiques
culturelles de la classe dominante
Les lieux de culture mis en avant par la municipalité correspondent aux pratiques culturelles
de la classe moyenne. Leurs politiques culturelles s’attachent à des arts et des pratiques
culturelles de personnes qui y ont accès favorisé, soit financièrement soit grâce à un
niveau scolaire plus élevé. Les associations issues des classes moyennes sont également
bien présentes sur le territoire, avec les Amis du Cinéma et Lire à Bron. La direction des
affaires culturelles coordonne et participe les manifestations culturelles qui participent à la
76
GLOPPE Gaëlle - 2007
Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
valorisation de cette classe moyenne dominante : la Biennale du Fort de Bron, la Fête du
Livre… Elle met en avant le festival de cinéma français des Alizés. Ces manifestations,
en dehors de leur rayonnement sur l’agglomération, flattent une catégorie de la population
demandeuse de cette offre culturelle. La municipalité n’a pas participé de la même manière
au projet d’art dans la rue du Centre Social Gérard Philippe.
Lors de l’inauguration de l’Espace Albert Camus en 1989, le maire intérimaire, Paul
74
Ravel, déclarait : « Cet espace, un fabuleux symbole pour la ville » .
A cette époque, Bron avait déjà perdu son image douloureuse de ville dortoir pour
émerger comme banlieue aérée de l’agglomération lyonnaise. L’Espace Albert Camus, avec
sa programmation élitiste et éclectique, s’adresse uniquement à cette classe moyenne qui
devient de plus en plus importante sur la ville. Le centre culturel est en effet le symbole de
la prédominance nouvelle de cette catégorie de la population, pour laquelle les élus n’ont
pas d’efforts à fournir en matière d’éducation culturelle et d’animation socioculturelle. Le
centre a également l’intérêt de se présenter comme un lieu de création artistique, espace
inédit sur la commune, et de permettre un rayonnement nouveau en matière de culture.
Si la municipalité souhaitait réunir les citoyens de la classe moyenne au sein de l’Espace
Albert Camus, son rôle de ralliement, de symbole n’est pas partagé par tous. Mme Vallet
elle-même nuance la représentativité du centre culturel : « Je ne peux pas dire l’Espace
Albert Camus parce que ce n’est pas que ça. C’est tout un réseau. » Elle a conscience qu’il
ne met pas en avant la véritable identité culturelle de la commune, variée, qui se caractérise
selon elle par le réseau culturel lui-même.
b. Un miroir de l’image de la ville
En réalité, la valorisation de la classe moyenne participe à un double processus qui résulte
des enjeux politiques d’aujourd’hui. Elle permet une mise en représentation symbolique du
sentiment d’appartenance culturel et social. Elle attire également de nouvelles populations
issues de cette catégorie sociale, ce qui assure une image positive de la commune, face
à des villes voisines comme Vénissieux. La municipalité met en scène un système de
représentation identitaire, qui constitue un véritable miroir pour l’image de la ville.
c. Une culture commune ?
En voulant faire de l’Espace Albert Camus le symbole de la ville, la municipalité initie
la politique d’exclusion culturelle des quartiers périphériques. Elle impose une culture
commune qui ne représente en rien les différentes cultures du territoire. Ceci participe à
l’idée que les habitants de ces quartiers doivent s’adapter à la ville et non y participer. En
effet, ce qui est sous-entendu dans les velléités de culture commune à toute la ville est le
déni de la variété des identités culturelles qui jalonnent le territoire. La même problématique
est à l’œuvre concernant la mémoire et le patrimoine de la commune. Le déploiement d’une
certaine culture, d’une certaine mémoire, et donc d’une certaine identité, permet de faire
taire les autres.
d. Domination culturelle, domination politique
En cherchant à exclure des structures concurrentes, comme la MJC, la municipalité tente
d’asseoir une certaine domination politique sur la scène culturelle. Elle réduit les cultures
dissidentes qui pourraient nuire à la nouvelle image que la ville souhaite se donner, celle
d’une ville périphérique aérée et dynamique.
74
Cf. André Sousi, op. cit., p.284
GLOPPE Gaëlle - 2007
77
Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Or, les enjeux de cette domination sont principalement électoraux. Le taux d’abstention
élevé chez les populations marginalisées indique que l’élection est surtout le fait de la classe
moyenne. La montée de la droite incite les élus à redoubler d’efforts pour cette catégorie de
la population. Comme le dit Mme Vallet, il ne s’agit plus de polariser les quartiers comme
Parilly ou Terraillon.
3) Un conflit de légitimité culturelle
Ce qui se joue à Bron actuellement est un conflit de légitimité culturelle, c’est-à-dire un
conflit de droit à représenter l’identité ou les identités de la commune. De fait, cette
légitimité est tout d’abord politique. La légitimité d’agir de la municipalité est fondée sur son
élection démocratique par l’ensemble de la population. La légitimité des associations est la
mobilisation citoyenne, l’action culturelle des habitants pour les habitants. Leurs conceptions
de la culture reflètent ces conflits politiques.
D’un côté, une culture « cultivée », représentative des pratiques culturelles de la classe
moyenne, est légitimée par une municipalité de plus en plus dominatrice sur la scène
culturelle. Elle est imposée à toute la population comme la culture commune qui représente
l’identité culturelle de Bron. Cette légitimité culturelle est portée par une domination sociale
et politique.
De l’autre, une culture locale, marquée par sa diversité, est portée par les associations.
Elle s’applique à représenter toutes les identités culturelles, dans la mesure du possible,
travaillant pour les habitants et puise dans cette conception sa propre légitimité culturelle.
La démarche est différente parce qu’elle n’impose pas une certaine identité culturelle, mais
cherche à faire le lien entre les identités culturelles de ville, la culture populaire et la culture
dite légitime. Il ne s’agit pas de rejeter les pratiques culturelles de la classe moyenne mais
bien de faire le lien entre ces pratiques et celles des autres catégories de la population.
Les conflits engendrés par la domination progressive de la municipalité sur la scène
culturelle, en ôtant à certaines associations des actions et activités culturelles, cristallisent
un conflit de légitimité à représenter l’identité culturelle de la commune. En mettant en avant
des pratiques culturelles de la classe moyenne, la municipalité ôte sa reconnaissance aux
actions des autres acteurs. Le manque de démocratie culturelle est un facteur de conflits
symboliques parce qu’il met en exergue l’illégitimité des autres acteurs culturels à faire la
ville et à la représenter.
Par exemple, la mairie ne reconnaît plus la légitimité de la MJC à représenter la culture
urbaine de Bron. Elle met en avant la compagnie Käfig. Elle a déterminé que l’identité
culturelle de la commune devait s’exprimer à travers les pratiques culturelles de la classe
moyenne. Ainsi, elle favorise les actions culturelles en faveur de cette catégorie de la
population. Le manque de démocratie culturelle indique que la légitimité de la culture
populaire à représenter l’identité culturelle de la commune est niée. Les catégories sociales
défavorisées, déjà difficiles à atteindre par les structures comme la MJC, n’ont plus la
légitimité de faire la ville. Elles sont mises au ban du territoire.
Ainsi, l’identité culturelle brondillante ne peut émerger. Les éléments du ralliement
identitaires, comme la fête ou le patrimoine, sont instrumentalisés pour affirmer une identité
culturelle partielle, celle de la classe moyenne. Les politiques culturelles n’ont pas réussi
à atteindre leurs objectifs de démocratisation culturelle : la construction urbaine de la
ville est un obstacle permanent et les volontés politiques semblent s’affaiblir. Le manque
d’accès à la culture qui entraîne une exclusion culturelle de certaines catégories de la
population est accompagné d’une absence de démocratie culturelle, ces populations ne
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Troisième partie : Les difficultés d’émergence d’une identité culturelle brondillante : des
politiques culturelles en conflit
pouvant exprimer leur identité dans la cité. Ce problème est lisible dans les conflits entre
les différents acteurs culturels, qui tentent de réaffirmer des positions et des conceptions
que chacun décrit comme légitimes à exister et à s’exprimer. La domination des pratiques
culturelles de la classe moyenne, légitimée par la municipalité, s’inscrit dans un processus
de marginalisation des populations, qui non seulement ne s’y reconnaissent pas mais n’y
ont pas accès.
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
lyonnaise
Conclusion
Les politiques culturelles d’une ville sont constitutives du tissu urbain sur lequel elles se
déploient. La construction urbaine met en place des réseaux, des systèmes d’appartenance
et des espaces publics qui déterminent les pratiques culturelles des habitants. La
caractéristique d’une ville périphérique comme Bron est sa rapide évolution urbaine et
démographique. Ni choisie ni organisée, la construction urbaine de Bron, tributaire de
la croissance lyonnaise, a fait éclaté les anciens lieux de sociabilité et les réseaux
d’appartenance. L’apparition de nouvelles populations marginalisées dans des espaces
ségrégués et la disparition progressive des espaces publics n’ont pas permis à Bron de
conserver son identité de village. Au contraire, elles ont fait de cette ville périphérique un
lieu sans âme, sans cohérence et sans identité. L’émergence même d’une identité culturelle
est alors impossible.
La revalorisation de la ville et la reconquête du tissu urbain, de la cohésion sociale,
sont passées par un aménagement du territoire progressif qui s’accompagne d’une politique
culturelle visant à réduire les inégalités sociales. La politique culturelle, nécessaire parce
que les liens sociaux étaient désagrégés, est également tributaire de la construction
urbaine. Il s’agit alors de développer la ville en un réseau productif de pratiques culturelles
susceptibles d’apporter une certaine identité à la commune.
Les politiques municipales successives ont porté des principes de démocratisation
culturelle et de mise en réseau du tissu urbain. La politique d’équipements culturels et le
soutien à la constitution d’un mouvement associatif avait pour objectif la cohésion sociale.
Les vertus sociales dévolues à la culture sont également portées par les associations, qui
cherchent à répondre aux besoins culturels locaux en mêlant culture populaire et culture
légitime.
L’inaptitude des différentes politiques culturelles à réaliser l’objectif de démocratisation
culturelle et de mettre en réseau tous les territoires de la commune est profondément liée à
la construction de l’espace urbain. Le quartier de Parilly, par exemple, peut être difficilement
intégré au territoire, à moins bien sûr de détruire l’autoroute. L’implantation de la nouvelle
médiathèque et du centre de danse urbaine pourra sans doute donner un sens symbolique
et une attractivité nouvelle à cet espace ségrégué. Cependant, la question de l’accessibilité
demeure. Le choix du culturel comme vecteur du développement social urbain, mis en avant
par la municipalité, est intéressant mais il se heurte à des réalités qui le dépassent. Le coût
de l’offre culturelle est également un obstacle important, car le budget n’est jamais illimité.
La capacité du réseau culturel à toucher toutes les couches de la population est tributaire
des possibilités financières pour mener une telle action. Associations et mairie se trouvent
dans ce domaine pris entre les besoins et les réalités.
Cependant, les modifications récentes des enjeux de la culture déterminés par la
municipalité ne s’accommodent pas de la recherche d’une cohésion sociale et territoriale.
Le rayonnement culturel s’attache à promouvoir une image de la ville, qui ne bénéficie pas
aux habitants. Cette nouvelle orientation s’accompagne d’une domination de la municipalité
sur le secteur culturel. En valorisant les pratiques culturelles de la classe dominante, la
classe moyenne, pour des raisons d’image et de domination politique, la mairie fait perdre
de la cohérence à sa politique sociale. Elle fait obstacle au développement d’une démocratie
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Conclusion
culturelle. Les structures associatives, qui entendent s’adresser au plus grand nombre, ont
de moins en moins les moyens d’exprimer une conception de la culture dissidente.
Lors du colloque « Repenser la place de la culture et de l’art dans la cité », Alain
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Lefebvre affirmait :
Les acteurs politiques ont des territoires privilégiés sur lesquels ils exercent
leur activité et, en même temps, ils doivent prendre en compte les territorialités
plurielles de leurs concitoyens. Cette approche en termes de multiterritorialité
ouvre des perspectives stimulantes. Elle incite à mettre l'accent sur les
personnes dans la complexité de leurs contextes sociaux et spatiaux.
Non seulement la municipalité, en méprisant les cultures populaires qui s’affirment par la
pratique artistique en amateur ou dans d’autres structures culturelles, perd la cohérence
de sa politique culturelle, mais elle perd également une source importante de richesses
culturelles sur son territoire.
Cependant, il est nécessaire de nuancer cette conclusion à l’aube de la construction
de deux équipements culturels dans le quartier de Parilly. Les doutes que nous avons émis
quant à la pertinence d’un tel projet concernent surtout son financement, alors que d’autres
problèmes de démocratisation culturelle nécessiteraient une attention plus particulière. Il
est trop tôt cependant pour se prononcer sur les bienfaits de la nouvelle médiathèque et
du centre de danse urbaine, puisque leurs contenus et leurs politiques tarifaires ne sont
pas encore déterminés avec précision. On peut espérer qu’ils seront en adéquation avec la
demande des habitants et permettront de satisfaire les besoins culturels de tous.
La politique culturelle, en ce qu’elle s’applique à représenter et à favoriser des
pratiques culturelles, des systèmes d’appartenance et des identités culturelles, est une
forme particulière de la médiation culturelle. S’inscrivant des territoires éclatés et dans
les enjeux politiques des acteurs, elle constitue un élément difficile à maîtriser. Une ville
est un territoire composite et ne peut se satisfaire d’une politique culturelle uniforme. Les
différentes politiques culturelles de Bron ne parviennent pas à représenter l’identité culturelle
mixte de la ville. La diversité culturelle n’est pas valorisée et les différentes politiques depuis
soixante ans ne sont pas parvenues à recréer un système d’appartenance commun.
La ville regorge de richesses culturelles grâce à sa diversité sociale et la multitude
des pratiques culturelles présentes sur son territoire. Il lui faut alors trouver un compromis
afin que toutes puissent trouver leur expression. Pour cela, les différents acteurs culturels,
qui s’attachent à représenter ces différentes pratiques culturelles, doivent résoudre leurs
conflits.
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Actes du colloque, op.cit.
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
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Les politiques culturelles de Bron : actions publiques et associatives d’une ville de la banlieue
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Sources Internet
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Ville de Bron : www.ville-bron.fr
Grand Lyon : www.grandlyon.com
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Annexes
Annexes
Annexe 1 : Plan de Bron
Annexe 2 : Entretiens
« Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon »
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