Jean-Didier Vincent se demande à quoi sert le sexe depuis l`âge de

Entretien
«L’homme n’a
inventéni le sir
ni le plaisi
Jean-DidierVincentse demandeàquoi sert le sexe depuis l’âgede 7ans,
aprèsavoirvu unepeinture rupestre vieillede 17 000 ansreprésentant
un hommeen érection. Devenu l’un desplus grands spécialistes de la
neurobiologie, il nous parlede la fabuleusediversitédes comportementssexuels.
Texte: Pierre derrey Photos: Julien Benhamou
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Pourquoi la reproduction sexuée s’est-elle
imposée, alors qu’elle n’est pas forcément
la plus ecace?
Chez les êtres unicellulaires, on se repro-
duit en se scindant. Bien plus ecace, en ef-
fet: au lieu de se mettre à deux pour faire un,
on fait deux avec un. Mais la reproduction
sexuée a un grand atout: elle introduit la di-
versité nétique. En mélangeant les nes,
on élargit les possibilités d’évolution, et donc
les chances de survie de l’espèce. On sait par
exemple aujourd’hui que l’expression des
nes se fait en grande partie d’après ce que
l’on nomme l’empreinte maternelle. Il y aura
donc un processus d’épigénèse (évolution de
l’embryon vers le plus en plus complexe, ndlr.),
en l’occurrence dépendant des nes mater-
nels. Et puis, il y a la satisfaction de l’instinct
sexuel, plus fort que tout, qui apparaît comme
un moteur essentiel de la vie elle-même.
C’est-à-dire?
D’abord, notons que la fonction sexuelle est
universelle. Elle existe chez tous les êtres vi-
vants, y compris les plantes. Je dirais donc que
la sexualité est un moteur essentiel de la sé-
lection naturelle et sexuelle. Le grand moteur
de l’évolution, c’est la satisfaction du désir.
Les animaux ne pensent qu’à ça. Et donc re-
cherchent en permanence l’objet du désir, ce
qui fait que la beauté peut être vue comme un
accessoire du désir. Cela explique en grande
partie le comportement des oiseaux, qui sont
à90% monogames. Mais aussi à 90% cocus.
Et c’est cette recherche incessante de la par-
tenaire qui nous ore ces chants délicieux…
Absolument. Et aussi de magniques plu-
mages, souvent. Dans la famille nombreuse
des oiseaux de paradis, les femelles (et par-
fois les mâles) ont une parure extraordinaire.
Mais il existe néanmoins une espèce moche
comme tout. Alors une stratégie d’adaptation
a eu lieu: les mâles construisent dans une
clairière un joli parc à leur dimension,
orné de cailloux et autres choses qui brillent.
Et la femelle, attirée par ce bel endroit,
y vient.
Pourquoi le cerveau est-il notre premier
organe sexuel?
Parce qu’il dirige à la fois le désir et le plaisir.
Pas seulement chez l’homme, puisque vous
évoquez longuement dans votre livre le cas
du campagnol des prairies, n’est-ce pas?
Contrairement à son cousin des montagnes,
parfaitement cavaleur en matière de sexe, le
campagnol des prairies est un monogame ac-
compli. Pourquoi? Parce que le ou la parte-
naire est rare dans un territoire très étendu.
Nous avons cherché à comprendre le rôle des
hormones dans la durée de ce couple de ron-
geurs. Chez la femelle campagnol, la simula-
tion vaginale au cours du coït libère de l’ocyto-
cine, qui la rend en quelque sorte dépendante
de son compagnon. De même chez le mâle,
avec l’hormone jumelle baptisée vasopres-
sine, liée à la testostérone.
A l’origine de la mise en couple,
il y a donc une hormone, l’ocytocine…
C’est pour cela qu’on la nomme l’hormone du
lien. Quand il y a accouplement, s’il n’y a pas
de création de lien, c’est sans doute dû à un
décit en ocytocine, le coït n’ayant pas en-
traîné la libération de cette hormone. Elle est
donc d’abord libérée dans le système nerveux
central pendant l’orgasme grâce au réexe de
Ferguson. Il y a alors un marquage olfactif,
facteur d’acceptation du fœtus et futur petit.
Pour Jean-Didier
Vincent, la sexualité
est intrinsèquement
liée à une aaire de
chimie, aussi chez
l’être humain.
De quoi parle-t-on?
Pourquoi la reproduction
sexuée s’est-elle imposée
dans le gne animal? Que
doit l’amour aux hormones?
Pourquoi l’homme est-il
principalement monogame?
Le lèbre neurobiologiste
français Jean-Didier Vincent,
qui se consacre à ces sujets
depuis des décennies,
unit une partie de ses
étonnantes ponses dans
son dernier ouvrage.
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L’ocytocine est ainsi à l’œuvre dans l’atti-
rance sexuelle tout comme dans l’instinct
maternel?
Voilà. C’est une pure aaire de chimie. Et c’est
tout aussi vrai chez nos proches cousins, les
grands primates, que chez nous. Malgré nos
cent milliards de neurones, notre cerveau
se comporte comme celui du campagnol des
prairies, avec des signaux sensoriels, visuels,
olfactifs et un attachement entre hormones
et récepteurs.
L’homme n’invente donc pas la dissociation
entre rapport sexuel et reproduction?
Contrairement à ce qu’a longtemps professé
l’Eglise catholique, par exemple, pas du tout.
Chez les singes, chez les rats comme chez le
campagnol, le moteur est bien la recherche
du plaisir. Chez le ouistiti, lui aussi monogame,
lorsque la femelle commence à se désintéres-
ser du mâle parce que des prétendants sont
dans les parages, que se passe-t-il? Eh bien, la
fréquence des coïts est augmentée, et par là
même la production d’ocytocine. Et ils le font
en dehors de toute époque féconde.
Et l’amour, dans tout ça?
Dans mon livre, j’écris que l’homme a
intellectualisé le rut. Bon, c’est une formule,
mais elle résume bien les choses. Nous
n’avons inventé ni le désir ni le plaisir, qui
existent chez les animaux. D’ailleurs, le
secret de l’amour, chez eux comme chez nous,
reste le coït. Et la sexualité reste avant tout
une aaire de chimie. Avec le sentiment
amoureux, nous avons sublimé cette
histoire d’hormones. Un peu comme avec
le langage, nous avons sublimé l’épouillage
cher aux grands singes.
C’est-à-dire?
S’épouiller provoque de la jouissance chez
l’autre. Les relations sociales sont réglées par
la fréquence de ces épouillages. Sous la pres-
sion de l’évolution, naît le langage, qui a avant
tout une fonction sociale. Un grand dicta-
teur, lorsqu’il prononce un discours enam-
mé devant la foule, ne fait rien d’autre que de
l’épouillage, en somme. Et puis, bien sûr, il y a
le discours amoureux, si important.
De quoi naît donc le couple humain?
De contraintes naturelles et sociales, ainsi
qu’à travers la pression par le milieu.
La monogamie apparaît dans des conditions
climatiques et ographiques données.
Par exemple, les singes arboricoles le sont
davantage que les grands singes vivant au sol.
Exception faite des gibbons, qui sont monoga-
mes et dèles. Pourquoi? Pour la raison qu’ils
ont l’équivalent d’une propriété d’une tren-
taine d’hectares à protéger et que c’est plus
ecace à deux. Chez l’humain, dès le néo-
lithique, la culture et l’élevage, la propriété
joue un rôle considérable. A partir de ce mo-
ment-là, la femme est possédée, elle devient
un objet de richesse et d’échange. Mais
en réalité, dans l’évolution, on doit tout
à la femme. L’homme, protant d’avantages
physiques, va simplement mettre en place des
stratégies de domination. Il y a par exemple
ce que j’appelle la compétition spermatique,
chez la mouche ou chez la libellule, permet-
tant à la femelle de sélectionner le sperme
de l’un ou l’autre.
Quittons un instant les mammifères pour
un hommage au poulpe…
Surtout depuis qu’il s’est montré capable de
prédire les résultats d’une coupe du monde de
football... Non, plus sérieusement, le poulpe
est le plus intelligent des invertébrés. Il est
capable d’apprendre, il est très habile, il peut
franchir des labyrinthes aussi bien voire
mieux qu’un rat, et il vous reconnaît s’il vous
a déjà vu. En plus, il peut exprimer ses états
d’âme en changeant de couleur. Il a donc des
émotions, des aects. Il a vraiment tout d’un
vertébré supérieur, avec quasiment l’équiva-
lent d’un cerveau. Eh bien, le poulpe
se reproduit avec l’un de ses bras, qu’il intro-
duit dans les gonades de la femelle. las,
ce couple remarquable ne dure qu’un seul
cycle reproducteur. Donnez dix ans de plus
aux poulpes et ils deviendront les seigneurs
des mers.
Carted’identité
Jean-DidierVincent
estun neurobiologiste
français né le 7 juin 1935
en Gironde (France).
Ses parents, protes-
tants, étaient courtiers
en vins. Il a en partie
été élevé dans un
internat protestant
de Guyenne.
Ancienprofesseur,
entre autres, de phy-
siologie à la faculté de
médecine de l’Univer-
sité de Bordeaux et de
l’Université de Paris XI,
membre de l’Académie
des sciences et de
l’Académie de méde-
cine, il a eectué de
nombreuses recherches
en neurobiologie en
France comme aux USA
(notamment au Brain
Institute, en Californie).
En 1990, il fonde (et
dirige jusqu’en 2004)
au CNRS (Centre
national de recherche
scientique, en
France) l’Institut de
neurobiologie Alfred-
Fessard, spécialisé
dans les maladies du
sommeil. En 1998, il a été
honoré de la médaille
d’or de l’Université de
Prague et sera nommé
docteur honoris causa
de l’Université libre
de Bruxelles l’année
suivante.
Il est père de cinq
enfants issus de
deux unions.
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Serait-il alors toujours monogame?
Mais vous posez des questions suisses!
Comme j’ai été élevé dans un internat
calviniste français, et que j’ai failli devenir
pasteur, je m’y connais. Regardez aujourd’hui
ce qui se passe pour l’homme: pas mal de
couples misent, ou tentent de miser,
sur la durée. Il y a une sorte de renouveau
du couple vieillissant, avec notamment une
sexualité des seniors qui ne correspond
plus à un tabou.
Sait-on à quel moment l’être humain
a cherché à sublimer l’acte sexuel?
L’une des premières représentations du
désir se trouve dans le puits de Lascaux et est
vieille d’environ 17 000 ans. Un homme est
couché sur le dos, en érection, avec un ton
surmonté d’un oiseau. Je l’ai vue pour la pre-
mière fois à l’âge de 7 ans, descendant dans la
grotteavec mon père. Cette image m’a profon-
dément marqué, et sans doute se trouve-t-elle
à l’origine de ma volonté de comprendre la
mécanique du désir. Il faut noter que
les premiers objets érotiques connus sont
plus vieux encore. Ils datent d’il y a environ
30 000 ans, soit de l’ère glaciaire: une série
de statuettes représentant des femmes nues.
Pour autant, l’homme n’a pas pour vous
l’exclusivité de l’amour?
Pas à mon sens, même si, donc, il l’a
intellectualisé. Le cloporte est monogame
durant toute sa vie. Si j’étais un cloporte,
j’aimerais ma femelle avec laquelle je mour-
rais. Reprenons l’exemple de notre gibbon,
le siamang, dans sa petite propriété dans
la forêt. Sa femelle est l’objet de toutes ses
attentions, il élève avec elle ses enfants.
Chaque matin, il fait le tour de son lopin,
assiste au lever du soleil. Et il chante.
Sa femelle vient le rejoindre et ils chantent
ensemble. Eh bien, moi je le dis: qui n’a pas
entendu ce chant d’un couple de siamang
ne sait pas ce qu’est l’amour. MM
Le dernier ouvrage de Jean-Didier Vincent, «Biologie du
couple», a paru en mars 2015 aux Editions Robert Laont.
Publications
1986 Biologie des
passions
(Odile Jacob)
1996 La chair et
le diable
(Odile Jacob)
2006 Désir et mélancolie
(Odile Jacob)
2010 Le sexe expliqué
à ma lle
(Seuil)
2010 Elisée Reclus,
ographe,
anarchiste,
écologiste
(Robert Laont),
prix Femina Essai
2010.
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