L’ocytocine est ainsi à l’œuvre dans l’atti-
rance sexuelle tout comme dans l’instinct
maternel?
Voilà. C’est une pure aaire de chimie. Et c’est
tout aussi vrai chez nos proches cousins, les
grands primates, que chez nous. Malgré nos
cent milliards de neurones, notre cerveau
se comporte comme celui du campagnol des
prairies, avec des signaux sensoriels, visuels,
olfactifs et un attachement entre hormones
et récepteurs.
L’homme n’invente donc pas la dissociation
entre rapport sexuel et reproduction?
Contrairement à ce qu’a longtemps professé
l’Eglise catholique, par exemple, pas du tout.
Chez les singes, chez les rats comme chez le
campagnol, le moteur est bien la recherche
du plaisir. Chez le ouistiti, lui aussi monogame,
lorsque la femelle commence à se désintéres-
ser du mâle parce que des prétendants sont
dans les parages, que se passe-t-il? Eh bien, la
fréquence des coïts est augmentée, et par là
même la production d’ocytocine. Et ils le font
en dehors de toute époque féconde.
Et l’amour, dans tout ça?
Dans mon livre, j’écris que l’homme a
intellectualisé le rut. Bon, c’est une formule,
mais elle résume bien les choses. Nous
n’avons inventé ni le désir ni le plaisir, qui
existent chez les animaux. D’ailleurs, le
secret de l’amour, chez eux comme chez nous,
reste le coït. Et la sexualité reste avant tout
une aaire de chimie. Avec le sentiment
amoureux, nous avons sublimé cette
histoire d’hormones. Un peu comme avec
le langage, nous avons sublimé l’épouillage
cher aux grands singes.
C’est-à-dire?
S’épouiller provoque de la jouissance chez
l’autre. Les relations sociales sont réglées par
la fréquence de ces épouillages. Sous la pres-
sion de l’évolution, naît le langage, qui a avant
tout une fonction sociale. Un grand dicta-
teur, lorsqu’il prononce un discours enam-
mé devant la foule, ne fait rien d’autre que de
l’épouillage, en somme. Et puis, bien sûr, il y a
le discours amoureux, si important.
De quoi naît donc le couple humain?
De contraintes naturelles et sociales, ainsi
qu’à travers la pression par le milieu.
La monogamie apparaît dans des conditions
climatiques et géographiques données.
Par exemple, les singes arboricoles le sont
davantage que les grands singes vivant au sol.
Exception faite des gibbons, qui sont monoga-
mes et dèles. Pourquoi? Pour la raison qu’ils
ont l’équivalent d’une propriété d’une tren-
taine d’hectares à protéger et que c’est plus
ecace à deux. Chez l’humain, dès le néo-
lithique, la culture et l’élevage, la propriété
joue un rôle considérable. A partir de ce mo-
ment-là, la femme est possédée, elle devient
un objet de richesse et d’échange. Mais
en réalité, dans l’évolution, on doit tout
à la femme. L’homme, protant d’avantages
physiques, va simplement mettre en place des
stratégies de domination. Il y a par exemple
ce que j’appelle la compétition spermatique,
chez la mouche ou chez la libellule, permet-
tant à la femelle de sélectionner le sperme
de l’un ou l’autre.
Quittons un instant les mammifères pour
un hommage au poulpe…
Surtout depuis qu’il s’est montré capable de
prédire les résultats d’une coupe du monde de
football... Non, plus sérieusement, le poulpe
est le plus intelligent des invertébrés. Il est
capable d’apprendre, il est très habile, il peut
franchir des labyrinthes aussi bien voire
mieux qu’un rat, et il vous reconnaît s’il vous
a déjà vu. En plus, il peut exprimer ses états
d’âme en changeant de couleur. Il a donc des
émotions, des aects. Il a vraiment tout d’un
vertébré supérieur, avec quasiment l’équiva-
lent d’un cerveau. Eh bien, le poulpe
se reproduit avec l’un de ses bras, qu’il intro-
duit dans les gonades de la femelle. Hélas,
ce couple remarquable ne dure qu’un seul
cycle reproducteur. Donnez dix ans de plus
aux poulpes et ils deviendront les seigneurs
des mers.
Carted’identité
Jean-DidierVincent
estun neurobiologiste
français né le 7 juin 1935
en Gironde (France).
Ses parents, protes-
tants, étaient courtiers
en vins. Il a en partie
été élevé dans un
internat protestant
de Guyenne.
Ancienprofesseur,
entre autres, de phy-
siologie à la faculté de
médecine de l’Univer-
sité de Bordeaux et de
l’Université de Paris XI,
membre de l’Académie
des sciences et de
l’Académie de méde-
cine, il a eectué de
nombreuses recherches
en neurobiologie en
France comme aux USA
(notamment au Brain
Institute, en Californie).
En 1990, il fonde (et
dirige jusqu’en 2004)
au CNRS (Centre
national de recherche
scientique, en
France) l’Institut de
neurobiologie Alfred-
Fessard, spécialisé
dans les maladies du
sommeil. En 1998, il a été
honoré de la médaille
d’or de l’Université de
Prague et sera nommé
docteur honoris causa
de l’Université libre
de Bruxelles l’année
suivante.
Il est père de cinq
enfants issus de
deux unions.
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