>Marcel Gay
“Souvent je revois défiler
le film”
Prisonnier de guerre n° 29 091, Marcel Gay
aregagné Bourg le 7 août 45, après plus de
cinq ans de captivité. Une vie amputée !
“Le 2 septembre 39, nous sommes partis sur
le front comme on part en voyage. Nous ne
réalisions pas ce que signifiait la guerre, nous
ne pensions pas qu’elle durerait” se souvient
Marcel Gay. Arrivés au canal Albert (en
Belgique), Marcel et ses compagnons du 158e
régiment d’infanterie se heurtent aux
Allemands. “A Maastricht, nous avons été
contraints de nous replier jusqu’à Condé-sur-
L’escaut (vers Lille). A l’horizon, tout était en feu.
Soudain, je me suis retrouvé nez à nez avec un
Allemand. Sa mitraillette s’est enrayée. Pour la
3efois en une semaine, j’échappais à la mort”.
Le 28 mai 40 à Montrouge, dans les
Hauts-de-Seine, Marcel Gay est fait pri-
sonnier. “Nous avons pensé nous évader, mais
il aurait fallu trouver des vêtements civils…”.
Envoyé dans un stalag en Prusse, il passe
quatre ans et demi dans une exploitation
agricole. “A la ferme, nous étions vingt-cinq
prisonniers. J’étais bien nourri, je sarclais les
champs de betteraves et gardais un troupeau
de moutons. Grâce aux colis, j’avais des nou-
velles de Bourg. Pour passer outre les contrô-
les, mon père avait mis en place un astucieux
moyen de communication : dans l’os de la
patte arrière d’un poulet, il glissait du papier
sulfurisé contenant les dernières informations”.
Un jour de janvier 45, les Russes sont
arrivés. “Il y a eu des combats extrêmement
violents. Enfin libres nous sommes partis à pied,
sans vraiment savoir où nous allions. En che-
min, nous avons été capturés. Pour ne pas être
tué j’ai crié Paris, Paris… Les Russes ont véri-
fié mes papiers, j’ai eu la vie sauve”. Quelques
jours plus tard, Marcel Gay et ses compa-
gnons de captivité sont invités à monter
dans un train à bestiaux : destination
inconnue. “Le crochet du wagon était mal
fermé, avec quatre camarades nous avons
réussi à fuir”. Dans la foulée, ils sont de nou-
veau appréhendés. “Nous avons marché
pendant 3 mois dans la neige par moins
35 degrés. La nuit, nous nous serrions les uns
contre les autres. Ceux qui ne pouvaient plus
marcher étaient abandonnés”. A Minsk, il
réussit à s’échapper par les marais, ren-
contre un Russe qui l’oriente vers Kiev.
“Dans le camp de Hohenstein, j’étais enfin au
chaud, j’avais à manger mais ne connaissais
personne parmi les centaines de prisonniers. J’ai
donc fait circuler le message suivant : je suis de
Bourg… Ainsi j’ai retrouvé quatre Burgiens”.
Libéré par les Alliés le 23 janvier 1945,
Marcel Gay est rapatrié le 3 août et arrive
à Bourg le 7. Il est l’un des derniers
prisonniers à rentrer. “Mes parents ne
m’attendaient plus. Ils avaient reçu, trois mois
avant mon retour, un message annonçant ma
libération… J’ai donc regagné seul la rue du
Peloux, où nous habitions. L’effet de surprise
passé, ma mère m’a sauté au cou. J’étais en
bonne santé, elle était soulagée”. Le retour à
la vie normale est difficile. “J’avais perdu neuf
ans de mon existence. Je ne pouvais pas
verbaliser ce que j’avais vécu. Personne ne
m’aurait cru. Je disais seulement : on en a
bavé. Il me fallait repartir à zéro, construire
une nouvelle vie et retrouver un travail”. Après
trois mois à la câblerie, Marcel Gay intè-
gre le chemin de fer où il deviendra chef
de quai. En 49, il épouse Juliette qui lui
donne une fille. Une page est tournée, mais
l’oubli impossible. ■
>Françoise Guigout
“La France a oublié
ses orphelins”
Le 3 mai 45, elle avait 11 ans 1/2, ignorait
que son père déporté venait de périr dans
la rade de Lübeck...
Un traumatisme indélébile !
“Longtemps j'ai occulté cette époque de ma
vie” confesse Françoise Guigout, orpheline
de guerre. Voilà dix ans, elle remonte, grâce
au soutien de son mari, le fil du temps,
recherche la trace de Jean Cochet, ce père
tant aimé.
“En 41, nous sommes arrivés à Bourg
pour suivre mon père fondé de pouvoir d'une
filature alsacienne repliée ici. Nous habitions rue
Gabriel Vicaire. Dans cette maison à étages,
nous recevions des gens, écoutions la BBC...
mes parents me disaient “tu n'en parles pas”.
Je me taisais”. Dans les rues les Allemands
étaient partout, les produits alimentaires
se faisaient rares. “Pour diversifier notre nour-
riture, mon père s'était mis au jardinage et
m'envoyait en vacances dans une ferme”.
A l'heure du débarquement allié, Jean
Cochet éclate de joie. Un bonheur de
courte durée ! Le 10 juillet 1944, il est
arrêté lors de la grande rafle. “Une soi-
disant simple vérification de papiers... J'ai senti
que c'était plus grave : mon père nous a laissé
sa montre et sa chevalière qu'il ne quittait
jamais... Nous avons vécu des jours terribles.
Ma mère courait partout pour avoir de ses
nouvelles. Je n'ai jamais revu mon père”.
Transféré à la caserne Brouet, il est déporté
le 20 juillet. “Un papier écrit de sa main - men-
tionnant nous partons pour Compiègne - a été
retrouvé sur la voie ferrée mais nous n'avions
aucune certitude sur la suite des événements”.
Quand Bourg est libéré Françoise espère
revoir son père. “Lorsque les déportés ont
commencé à rentrer, nous allions avec ma
mère les accueillir. Un de mes cousins est
revenu méconnaissable de Buchenwald. Il avait
dix-sept ans, ressemblait à un vieillard... Mais
toujours aucune trace de mon père”.
Les deux femmes s'installent à Paris, pour-
suivent en vain les recherches. “Un avis
de décès est arrivé. Il nous indiquait que mon
père était mort le 3 mai 45 sur l'Athéna en baie
de Lübeck... Le mystère restait entier”. Suite
àcette triste nouvelle, sa mère tombe en
dépression et Françoise se mure dans le
silence, enfouit son chagrin.
Aujourd'hui mère de trois enfants et
quatre fois grand-mère, elle cherche des
explications. “Longtemps j'ai cru que mon père
était vivant mais amnésique. Lors d'un voyage
en 1993, prise par l'émotion, je n'ai pu aller au
camp de Neuengamme, lieu supposé de sa
déportation. J'ai dû attendre près de 10 ans pour
avoir la force de me rendre sur la plage de
Neustadt in Holstein au bord de la mer Baltique,
où il est décédé dans la plus grande cata-
strophe maritime de tous les
temps - 7 000 morts -”. De
nombreuses zones d'ombre
demeurent ! ■
N° 148 – MAI 2005
LE DOSSIER
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