Pharaon, guerrier victorieux assimilé aux animaux sauvages ou fantastiques
Par Juliette Lengrand (historienne)
Le visiteur d’un temple égyptien est tout de suite confronté à une image : celle de Pharaon
levant sa massue et massacrant les ennemis de l’Egypte. Ailleurs, c’est en animal victorieux
que Pharaon est représenté, ornant divers objets de musée ou les parois d’une tombe : on le
voit en taureau, en lion, en sphinx ou en griffon, écrasant sans pitié des hommes tombés à
terre. Quel est le sens de ces représentations pleines de violence que l’on retrouve tout au long
de la civilisation égyptienne ? Avons-nous affaire à un pharaon assoiffé de sang et de
conquêtes ? Et pourquoi cette assimilation du pharaon à des animaux puissants, réels ou
fantastiques ? Devons-nous regarder ces représentations comme le reflet d’une violence
constitutive de la monarchie égyptienne ? Ou bien faut-il leur chercher un sens cultuel, dans
une civilisation où politique et religion sont intimement liées ?
Iconographie du pharaon, guerrier victorieux assimilé à des animaux réels
Dès la fin de la période prédynastique (vers 3100 avant J.-C.), sur des palettes votives,
représenté en bas-relief, le roi est assimilé à de puissants animaux sauvages. La palette du
« champ de bataille » montre le roi, sous la forme d’un lion, en train de terrasser un ennemi.
(British Museum, Londres et Ashmolean Museum, Oxford). Sur la palette « au taureau », le
roi, sous la forme d’un taureau en furie, écrase un adversaire (Musée du Louvre). Dans la
pensée égyptienne, il n’existe pas de césure fondamentale entre l’homme et l’animal : ils sont
de même essence car ils relèvent tous deux de l’œuvre du démiurge (le dieu créateur). Aussi,
le roi peut être assimilé à un lion ou à un taureau : il s’agit ici d’un langage symbolique, la
forme animale n’est pas le roi mais évoque sa puissance, supérieure à celle du commun des
mortels. De même, le roi est souvent représenté, une queue d’animal attachée à la ceinture,
pour exprimer cette puissance surhumaine.
Un peu plus tard, vers 3000 avant J.-C., sur la palette du roi Narmer, provenant de
Hiérakonpolis, berceau des rois unificateurs de l’Egypte, le pharaon est représenté sous forme
humaine, brandissant une massue au-dessus d’un ennemi à terre (Musée égyptien du Caire). Il
s’agit de l’acte guerrier et victorieux d’un souverain du Sud de l’Egypte sur les peuples du
Nord, acte fondateur de la monarchie égyptienne. Cette scène consacre, pour les millénaires à
venir, l’image du pharaon massacreur, image que l’on retrouve jusqu’à l’aube des temps
chrétiens. Cependant, au recto de cette palette, Narmer est encore figuré sous la forme d’un
taureau, brisant une forteresse, piétinant un fugitif. Cette assimilation du pharaon massacreur
à un animal va se poursuivre, tout au long de l’histoire égyptienne, parallèlement à la
représentation anthropomorphique. Par exemple, au Nouvel Empire (époque ramesside), sur
un ostracon trouvé à Deir el-Medineh, le pharaon est représenté sous l’aspect d’un lion
dévorant un ennemi (Musée égyptien du Caire) tandis que sur les pylônes des temples, c’est le
plus souvent sous l’aspect d’un guerrier à la forme humaine qu’il est montré.
Il faut également remarquer que la titulature de nombreux pharaons du Nouvel Empire
prolonge la signification de l’iconographie primitive du roi en taureau. Ainsi, par exemple, le
nom d’Horus de Thoutmosis III est « Taureau victorieux qui apparaît radieux à Thèbes »,