La victoire de Syriza en Grèce, une bonne nouvelle pour la démocratie

La victoire de Syriza en Grèce, une bonne nouvelle
pour la démocratie
LE MONDE | 02.02.2015 à 11h31 • Mis à jour le 10.02.2015 à 17h18 | Par Gaël Giraud (Economiste, directeur de
recherche au CNRS)
La victoire de Syriza est une bonne nouvelle pour la démocratie européenne. Ce parti a été
caricaturé par certains médias comme incarnant une « gauche radicale » potentiellement
antidémocratique. Il n’en est rien. Aube dorée, à l’inverse, fait un score médiocre : le peuple grec a
choisi la voie de l’alternance démocratique plutôt qu’une « sortie de route » politique qui, en des
circonstances voisines, fut celle de l’Europe des années 1930.
Le civisme grec est une leçon, y compris pour nous, Français, qui nous déclarons prêts, aujourd’hui
et pour 30 % d’entre nous, à voter Front national. Ensuite, le nouveau ministre de l’économie et des
finances, Yanis Varoufakis, fait partie de ces économistes qui ont compris que mettre fin à l’austérité
budgétaire est le meilleur moyen de freiner l’hémorragie des finances publiques en période
déflationniste.
La raison en est simple : si tout le monde tente de se désendetter simultanément – et en zone euro,
l’Etat n’est pas l’acteur le plus endetté, il est largement devancé par le secteur privé en particulier
par les banques –, tous se mettent à vendre des actifs pour récupérer des liquidités, de sorte que
les prix n’augmentent plus, voire baissent.
C’est le cas en Grèce depuis plus de trois ans. Si les prix baissent plus rapidement que la vitesse à
laquelle chacun parvient à réduire sa dette nominale, le poids réel de cette dernière… augmente.
Dès lors, même ceux dont les revenus ne se sont pas effondrés ne souhaitent plus consommer ni
investir, préférant attendre.
Cette logique attentiste plonge alors l’économie dans un piège où la seule politique monétaire
devient inopérante : la manne monétaire mise à la disposition des banques n’atterrira que très
marginalement dans l’économie réelle (dont la demande de crédit finit elle-même par s’effondrer)
mais principalement dans les marchés financiers. Où elle continuera d’alimenter la bulle actuelle,
laquelle finira tôt ou tard par éclater.
Dans un tel contexte, l’Etat est le seul à pouvoir différer son propre désendettement sans faire
faillite. Il doit même le faire, de manière à freiner la spirale déflationniste et à dégager des marges
de manœuvre permettant au secteur privé de se désendetter.
En finir avec l’économie familiale
Au lendemain de la victoire de Syriza, dans les rues d'Athènes. AP/Lefteris Pitarakis
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C’est ce que l’équipe de Tsipras tentera de faire. Elle devra évidemment négocier d’arrache-pied le
desserrement de l’étau budgétaire avec la Commission européenne et la Banque centrale
européenne, elles-mêmes conseillées par certains économistes qui continuent de raisonner en
termes de multiplicateur monétaire et de gestion publique de « père de famille ».
Pourtant, l’expérience montre, depuis 2008, que la monnaie créée par la Banque centrale ne pilote
pas le crédit bancaire et que la logique macroéconomique d’un Etat ne se réduit pas à l’équilibre
recettes-dépenses d’une économie familiale. C’est ici que la question d’une restructuration de la
dette publique grecque entre en jeu.
L’économie grecque, ce n’est un secret pour personne, est incapable de payer une telle facture qui,
de 100 % du PIB en 2010 culmine de nouveau à 175 %, du fait précisément de l’accélération
déflationniste induite par une austérité imposée en pure perte à la Grèce, et en dépit d’une première
restructuration déjà mise en œuvre en 2012. Les créanciers de la Grèce doivent se rendent à
l’évidence : ils ne récupéreront pas l’intégralité de leurs créances.
La restructuration de la dette publique grecque est donc la seule issue possible pour un pays qui, en
réalité, n’a pas encore d’administration fiscale solide et ne dispose, pour toute « ressource », que du
tourisme et du transport maritime. Quant au procès « moral » qui est fait aujourd’hui à la Grèce sur
le thème « il faut payer ses dettes », il relève en partie de la mauvaise foi : la Grèce n’aurait jamais
pu s’endetter dans les proportions que l’on sait sans son entrée dans la zone euro en 2001.
Falsifications des comptes publics
Or, à cette date, Eurostat avait dénoncé les falsifications des comptes publics grecs, réalisées avec
la complicité de Goldman Sachs, et qui ont permis à Athènes de donner l’illusion qu’elle vérifiait les
critères de Maastricht. Qui, en 2001, a pris au sérieux les avertissements d’Eurostat ? Ni Bruxelles,
ni Berlin, ni Paris : tous ont fermé les yeux. Que cela nous plaise ou non, n’avons-nous pas été
complices des mensonges grecs de 2001 ?
Qui plus est, l’entrée de la Grèce dans notre union monétaire lui a permis de s’endetter à moindres
frais auprès des banques françaises et allemandes. Et ces prêts ont grandement facilité les achats
massifs d’armements réalisés entre 2001 et 2010 par Athènes au profit de la France : la Grèce
avait-elle besoin de s’armer en sous-marins français pour sécuriser Chypre contre le voisin turc ?
Si elle est devenue notre troisième client en armement, nous le devons aux dettes qu’elle a
contractées auprès de nos propres banques. Enfin, l’argent qui lui a été prêté ne provient pas
d’abord de l’épargne des citoyens européens : une banque, et c’est ce qui la distingue d’un fonds
spéculatif ou d’une caisse de dépôts, crée une grande partie de la monnaie qu’elle prête à ses
clients. Outre l’aide humanitaire d’urgence, la priorité de la Grèce pourrait être aujourd’hui de lancer
un programme de transition vers les énergies renouvelables.
En effet, il n’y a pas de prospérité économique sans maîtrise de sa consommation d’énergie :
l’importation de pétrole reste, pour l’ensemble du pays, une épée de Damoclès d’autant plus
dangereuse que le prix du baril ne restera pas éternellement au plancher. Toute la question est de
savoir comment financer la transition énergétique à Athènes. Pourquoi ne pas créer une banque
publique athénienne de la transition ? C’est là que l’Europe doit se montrer intelligente : qui,
aujourd’hui, a intérêt à se montrer inflexible, au risque de pousser Athènes hors de la zone euro ?
Gaël Giraud, auteur de Illusion financière (Editions de l'Atelier, 3e édition, 2014), est
le directeur scientifique de la traduction de L'Imposture économique, de Steve Keen
(Editions de l'Atelier, 2014), dont il a signé la préface.
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