ÉTUDE DES PRINCIPES ÉCONOMIQUES ET ENSEIGNEMENTS DES EXPÉRIENCES ANTÉRIEURES DANS L’ÉVENTUALITÉ D’UNE

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JEAN-MICHEL COUTURE
ÉTUDE DES PRINCIPES ÉCONOMIQUES ET
ENSEIGNEMENTS DES EXPÉRIENCES
ANTÉRIEURES DANS L’ÉVENTUALITÉ D’UNE
RÉFORME DE LA POLITIQUE LAITIÈRE
CANADIENNE
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de Maîtrise en économie rurale
pour l’obtention du grade de maître ès sciences (M.Sc.)
DÉPARTEMENT D’ÉCONOMIE AGROALIMENTAIRE ET DES SCIENCES DE LA
CONSOMMATION
FACULTÉ DES SCIENCES DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2009
© Jean-Michel Couture, 2009
Résumé
Ce mémoire propose une conceptualisation des mesures de transition envisageables lors de
réformes de politiques publiques, ainsi qu’une analyse de leur transposition à des
expériences observées en agriculture. L’objectif est de tirer des enseignements sur la nature
et le contexte d’utilisation de ces mesures, en référence au secteur laitier canadien.
L’analyse repose sur six études de cas. Chacune est dédiée à une expérience de réforme
mise en œuvre dans un secteur où l’intervention était comparable à l’un des aspects de la
politique laitière canadienne. Sont proposées une contextualisation des cas à l’étude et une
catégorisation conceptuelle de celles-ci. Un des constats de l’analyse est à l’effet que les
producteurs évoluant sous des secteurs contingentés sont rarement indemnisés pour la
dévaluation de leurs quotas. Le soutien cible plutôt leurs pertes de revenus. En plus de son
apport conceptuel généralisable, cette démarche contribue aux réflexions sur l’avenir de la
politique laitière canadienne.
Avant-Propos
Ce projet de recherche a été rendu possible grâce au soutien financier du Fonds de bourses
de la Commission canadienne du lait de l’Université Laval et à l’aide du support offert par
le Groupe de recherche en économie et politique agricoles (GREPA), qui a mis à ma
disposition les ressources matérielles nécessaires à la réalisation du projet. L’importance de
ces contributions, tout à la fois généreuses et complémentaires, dans le succès d’un tel
exercice académique ne saurait être passée sous silence. Je profite donc de cette occasion
afin de remercier ces organisations pour la confiance qu’elles m’ont témoignée tout au long
de ma formation.
Je tiens également à adresser mes plus sincères remerciements à mon directeur de
recherche, Daniel-Mercier Gouin, pour sa rigueur, ses encouragements et surtout pour la
patience dont il a fait preuve tout au long du processus de recherche. Je veux également
souligner la contribution déterminante de mon co-directeur de recherche, Michel Morisset,
qui a su insuffler, par ses conseils et sa confiance à mon endroit, le dynamisme requis pour
mener à bien la réalisation de ce mémoire.
Je veux aussi souligner l’importance qu’a eue, tout au long de mon cheminement
académique, le support de mes amis et collègues. Fanny, Geneviève, Stéphanie, Denis,
Renaud, et tous les autres, je vous remercie du fond du cœur pour votre présence, votre
écoute et vos encouragements. Enfin, plus important que toute autre chose, merci à ma
famille pour son indéfectible soutien et son infinie patience. Ce mémoire est en partie le
vôtre.
« Qu'as-tu qui ne t'ait été donné ? »
St-Paul (1 Corinthiens 4:7)
Table des matières
Résumé.....................................................................................................................................i
Avant-Propos ......................................................................................................................... ii
Table des matières .................................................................................................................iv
Liste des tableaux................................................................................................................. vii
Liste des figures .................................................................................................................. viii
1. Introduction et problématique ............................................................................................. 1
1.1. L’avenir de la gestion de l’offre comme modèle d’intervention en agriculture .......... 1
1.2. Les conséquences probables d’une réforme de la politique laitière canadienne ......... 4
1.3. Réforme de politiques publiques et mesures de transition gouvernementales ............ 6
1.4. Problème soulevé, questions et objectifs de recherche ................................................ 8
2. Réforme de politique publique et principes économiques d’intervention ........................ 11
2.1. Évolution du paradigme d’intervention en agriculture .............................................. 12
2.2. Réforme et théorie économique : introduction aux fondements de l’économie du
bien-être ..................................................................................................................... 15
2.2.1
Une référence normative : le critère de Pareto ............................................. 16
2.2.2
L’optimum de Pareto et l’équilibre compétitif ............................................. 17
2.2.3
Efficacité et équité : le principe de compensation ........................................ 19
2.3. Les effets préjudiciables des réformes de politiques publiques ................................. 23
2.4. Mesures de transition envisageables suivant une réforme : une conceptualisation ... 28
2.4.1 La mesure d’ajustement ....................................................................................... 29
2.4.2 La mesure d’indemnisation.................................................................................. 32
2.4.3 La mesure d’assistance ........................................................................................ 33
2.4.4 La réinstrumentation ............................................................................................ 34
2.4.5 Sommaire des mesures de transition envisageables ............................................ 35
2.5. Les bases justificatrices du recours aux mesures de transition .................................. 37
2.5.1 L’efficacité en tant que justification .................................................................... 39
2.5.1.1 Signification de la justification ..................................................................... 39
2.5.1.2 Portée de la justification ............................................................................... 41
2.5.2 L’équité en tant que justification ......................................................................... 44
2.5.2.1 Signification de la justification ..................................................................... 44
2.5.2.2 Portée de la justification ............................................................................... 46
2.5.3 Les enjeux politiques en tant que justification..................................................... 49
v
2.5.3.1 Fondements théoriques supportant la justification ....................................... 49
2.5.3.2 Signification de la justification ..................................................................... 52
2.5.3.3 Portée de la justification ............................................................................... 53
2.5.4 Retour sur les justifications normatives ............................................................... 54
2.5.4.1 La portée prescriptive des justifications ....................................................... 54
2.5.4.2 L’évaluation ex-post des justifications ......................................................... 58
2.5.4.3 Les justifications normatives : un constat ..................................................... 59
3. Le cadre méthodologique utilisé ....................................................................................... 61
3.1. La sélection des cas de réforme à l’étude .................................................................. 63
3.1.1
Les origines de la politique laitière canadienne ............................................ 64
3.1.2
La gestion de la production ........................................................................... 66
3.1.3
L’administration des prix de soutien ............................................................ 68
3.1.4
Le contrôle des importations......................................................................... 68
3.1.5
Présentation des cas retenus de réformes ...................................................... 69
3.2. La démarche analytique proposée .............................................................................. 71
3.2.1
La contextualisation du processus de réforme .............................................. 72
3.2.2
Le recensement des caractéristiques d’intervention ..................................... 72
3.2.3
L’analyse des caractéristiques d’intervention ............................................... 74
3.2.4
L’ascendance de la théorie économique sur l’intervention gouvernementale
76
4. L’analyse des expériences antérieures de réforme ........................................................... 78
4.1. Le réforme de la Loi sur le transport du grain de l’Ouest .......................................... 78
4.1.1 La contextualisation du projet de réforme ........................................................... 79
4.1.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ......... 79
4.1.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées .............................................. 81
4.1.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention ...................................................... 83
4.1.2.1 La catégorisation des programmes adoptés .................................................. 83
4.1.2.2 Constats et inférences ................................................................................... 86
4.1.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme ...................................... 90
4.2 Le secteur du tabac ontarien ....................................................................................... 97
4.2.1 La contextualisation du projet de réforme ........................................................... 97
4.2.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ......... 97
4.2.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées .............................................. 99
4.2.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 101
4.2.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 101
4.2.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 104
4.2.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 110
4.3 Le secteur laitier australien ....................................................................................... 114
4.3.1 La contextualisation du projet de réforme ......................................................... 114
4.3.1.1. Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ...... 114
4.3.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées ............................................ 117
4.3.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 118
vi
4.3.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 118
4.3.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 121
4.3.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 126
4.4 Le secteur laitier helvétique ...................................................................................... 132
4.4.1 La contextualisation du projet de réforme ......................................................... 132
4.4.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ....... 132
4.4.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées ............................................ 136
4.4.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 139
4.4.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 139
4.4.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 141
4.4.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 145
4.5 Le secteur des arachides aux États-Unis ................................................................... 148
4.5.1 La contextualisation du projet de réforme ......................................................... 148
4.5.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ....... 148
4.5.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées ............................................ 151
4.5.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 152
4.5.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 152
4.5.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 154
4.5.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 157
4.6. Le secteur sucrier européen ..................................................................................... 163
4.6.1 La contextualisation du projet de réforme ......................................................... 163
4.6.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ....... 163
4.6.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées ............................................ 166
4.6.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 168
4.6.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 168
4.6.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 172
4.6.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 174
5. Analyse transversale et conclusion ................................................................................. 180
5.1. L’analyse transversale des cas à l’étude .................................................................. 183
5.1.1
Mesures de transition et réforme d’un système de contingentement .......... 184
5.1.2
Mesures de transition et réforme d’un régime de soutien des prix ............. 188
5.1.3
Mesures de transition et réforme du régime tarifaire .................................. 190
5.1.4
Réforme de politiques agricoles et mesures de transition : autres
constatations................................................................................................................ 192
5.1.5
L’ascendance globale de la théorie sur les processus de réforme............... 194
5.2. Discussions et conclusion ........................................................................................ 196
5.2.1 Interventions post-réformes et inférences avec le secteur laitier canadien ........ 197
5.2.1.1 La réforme éventuelle du système de contingentement .............................. 197
5.2.1.2 La réforme éventuelle du régime de prix de soutien .................................. 199
5.2.1.3 La réforme éventuelle du régime tarifaire .................................................. 200
5.2.2 Conclusion ......................................................................................................... 201
Bibliographie ...................................................................................................................... 206
Liste des tableaux
Tableau 1 : Description des caractéristiques des principales mesures de transition ............. 36
Tableau 2 : Éléments entrant dans la conception d’un programme d’indemnisation ........... 58
Tableau 3 : Caractéristiques et modalités des programmes adoptés à la suite de la réforme,
un exemple ......................................................................................................... 74
Tableau 4 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées au Canada; le transport du
grain de l’Ouest .................................................................................................. 94
Tableau 5 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées au Canada, le secteur du
tabac ontarien ................................................................................................... 112
Tableau 6 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées en Australie, le secteur
laitier ................................................................................................................ 130
Tableau 7 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées en Suisse, le secteur laitier
.......................................................................................................................... 147
Tableau 8 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées aux États-Unis, le secteur
des arachides .................................................................................................... 160
Tableau 9 : Caractéristiques et modalités des principales mesures adoptées en Europe, le
secteur du sucre et de la betterave sucrière ...................................................... 177
Tableau 10 : Synthèse des résultats tirés des analyses des cas de réformes retenus ........... 181
Liste des figures
Figure 1 : Ajustement lorsque les ressources ne sont pas parfaitement mobiles .................. 25
Figure 2 : Réforme d'une politique agricole et enjeux d'ajustement ..................................... 26
Figure 3 : Les différents types de mesure d'ajustement ........................................................ 31
Figure 4 : Sélection des cas à l’étude : perspective privilégiée ............................................ 70
Figure 5 : Synthèse de la catégorisation des mesures de transition ...................................... 75
1. Introduction et problématique
1.1. L’avenir de la gestion de l’offre comme modèle
d’intervention en agriculture
Confrontées à l’instabilité des marchés agricoles caractérisant les années 50 et 60, des
organisations de producteurs, de concert avec les instances gouvernementales canadiennes,
ont mis en place des outils de mise en marché collective permettant, à divers degrés,
d’organiser plus efficacement la commercialisation de la production à l’échelle provinciale
et nationale. Ces initiatives ont été conduites à l’intérieur d’un cadre juridique1 dont
l’objectif est, essentiellement, d’assurer aux producteurs les meilleurs prix possibles pour
leur production. Cette approche et les actions qui en ont résulté allaient ainsi dans le sens
des décisions prises dans la plupart des pays développés en faveur d’un soutien des revenus
des producteurs et d’une stabilisation des marchés agricoles (Gouin 2005 p.27-29).
À ce chapitre, parmi les mécanismes de mise en marché adoptés au Canada, la gestion de
l’offre constitue un outil particulièrement efficace : il permet, à partir du contrôle des
importations, d’ajuster la production nationale à la demande sur la base de quotas alloués
aux producteurs et d’établir des prix de vente qui couvrent les coûts de production. Ces
caractéristiques sont communément reconnues comme formant les trois piliers soutenant le
fonctionnement de ce mode d’intervention (GO5 Québec). Instauré initialement dans le
secteur laitier en 1966, ce modèle s’est étendu progressivement à la production canadienne
de poulets, de dindons, d’œufs de consommation et d’œufs d’incubation.
À l’instar du Canada, de nombreux pays ont adopté des mécanismes de contingentement en
agriculture et tout particulièrement au niveau du secteur laitier. Si les modalités
d’application diffèrent selon les pays, l’objectif principal de l’intervention demeure le
même : limiter la production de façon à stabiliser les prix aux producteurs (OCDE 2000).
Ainsi, la Suisse a instauré des contingents laitiers en 1977, suivie par l’Union européenne
en 1984. C’est toutefois dans les pays du Commonwealth, tels que l’Australie, la Nouvelle1
Voir Loi sur la mise en marché collective des produits agricoles, alimentaires et de la pêche. L.R.Q. (1990).
c.M 35.1 & la Loi sur les offices des produits agricoles. L.R.C. (1985). ch. F-4.
2
Zélande, l’Angleterre et le Canada, que se sont définis et développés les mécanismes de
gestion de l’offre les plus complets. Cependant, malgré la popularité qu’a eu ce mode
d’intervention, seuls l’Union européenne et le Canada, parmi les exemples cités,
maintiennent encore des systèmes de contingentement de l’offre dans le secteur laitier. Les
autres pays ont pour leur part déréglementé les leurs au cours des années 80 et 90.
Cette remise en question des mécanismes de gestion de l’offre s’explique en partie par la
montée, au cours des années 80, du courant économique libéral. Caractérisés par un haut
degré d’intervention, les secteurs agricoles des pays développés ont alors fait l’objet de
nombreux projets de réforme, dont le plus caractéristique, par son ampleur, est celui mené
par la Nouvelle-Zélande. Avec le lancement du Cycle d’Uruguay en 1986, puis par la
création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, cette vision libérale de
l’agriculture a été transposée à l’échelle internationale. Ainsi, les pays signataires de
l’Accord sur l’agriculture se sont engagés à restreindre leur capacité d’intervention dans ce
secteur, ce qui a eu pour effet, entre autres, de réduire le niveau de contrôle des
importations qui constitue l’un des piliers nécessaires au fonctionnement des mécanismes
de contingentement. S’inscrivant dans ce courant de libéralisation, certains gouvernements
ont décidé de démanteler leurs politiques. D’autres, tel que le gouvernement canadien,
défendent toujours la pertinence de leur intervention dans le cadre des négociations
commerciales actuelles2.
Cette prise de position du gouvernement et des producteurs laitiers canadiens se fonde sur
leur capacité potentielle à faire respecter la gestion de l’offre dans le cadre des négociations
de libéralisation commerciale de l’OMC. Bien que l’introduction du concept de « produits
sensibles » dans l’Accord-cadre de l’OMC publié en juillet 2004 soit apparue comme une
première étape vers la reconnaissance du rôle particulier joué par certaines productions
agricoles, cette stratégie de négociation n’est pas garante de succès. De fait, le dernier
document officiel publié par l’OMC en 2008 (cf. Comité de l'agriculture 2008) propose des
2
Soutien accordé, entre autres, lors du vote unanime à la Chambre des communes visant la défense de la
gestion de l’offre lors des négociations à l’OMC (cf. Chambre des communes 2005).
3
modalités de libéralisation ambitieuses, dont certaines pouvant limiter considérablement la
portée du concept de « produits sensibles », du moins par rapport aux besoins canadiens3.
Le cycle actuel de négociations à l’OMC rencontre toutefois des difficultés qui laissent
présager la possibilité d’un échec et par conséquent le report à une date indéterminée de
l’adoption d’un nouvel accord de libéralisation en agriculture. Ceci n’élimine pas pour
autant les contraintes auxquelles doit faire face présentement le secteur laitier canadien. En
effet, avant même le lancement du Cycle de Doha en 2001, Parent (1999) recensait trois
défis que le secteur allait avoir à relever, soit l’impact des plaintes internationales, la
diminution progressive des tarifs et enfin l’importation de plus en plus importante
d’ingrédients laitiers. Ces deux dernières contraintes sont aujourd’hui particulièrement
problématiques, comme l’a démontré une étude commandée par le Conseils des industriels
laitiers québécois (CILQ) et réalisée par le Groupe AGÉCO (2007) : même sans nouvel
accord à l’OMC, l’accroissement de la valeur du dollar canadien et l’utilisation sans cesse
plus importante d’ingrédients laitiers importés ont pour effets de fragiliser la protection du
marché intérieur, l’un des piliers de la gestion de l’offre canadienne.
À ce contexte d’incertitude politique et de concurrence étrangère accrue, s’ajoutent
également les défis provenant de la gestion nationale du mécanisme de gestion de l’offre
dans le secteur laitier. Déjà en 1994, Schmitz et coll. (1994) affirmaient que si un
démantèlement du système devait survenir, ce serait dû aux querelles internes entre les
producteurs des différentes provinces au sujet des parts de marché nationales (p.141). De
fait, le fonctionnement du système repose sur la volonté des provinces de respecter les
règles communes de mise en marché. Dans le contexte d’incertitude actuel, certaines
provinces pourraient éventuellement décider de se retirer du contingentement et
d’augmenter leur production, ce qui entraînerait un déséquilibre de l’offre canadienne,
3
Le Canada aurait besoin d’inscrire de 8 à 13 % de ses lignes tarifaires afin d’inclure l’ensemble des produits
sous gestion de l’offre dans la catégorie des produits sensibles. Le texte de juillet 2008 propose de limiter le
pourcentage de lignes dans un intervalle de 4 à 6 %.
4
réduisant du coup l’efficacité du mécanisme. Bien qu’un tel scénario ne semble pas à
l’ordre du jour à court terme, il ne peut être totalement écarté pour autant4.
À la lumière de cette situation, il faut donc s’interroger sur la pérennité du système de
gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien. Le risque qu’il doive être, à terme,
abandonné, est une éventualité qu’il est nécessaire de considérer.
1.2. Les conséquences probables d’une réforme de la politique
laitière canadienne
L’éventualité d’un démantèlement du système de gestion de l’offre dans le secteur laitier
reporte notre attention sur les implications économiques à prévoir. En effet, la gestion de
l’offre dans le secteur laitier a été adoptée afin de résoudre, à moindres coûts pour les
gouvernements, les problèmes de niveau et de stabilité du revenu des producteurs (Gouin
1987 p.1). Toute modification apportée au système mènera probablement à la révision de
ces objectifs, mais aussi à celle des moyens mis en œuvre pour les atteindre. Bien que cette
question se posera surtout lors de l’élaboration d’une politique laitière alternative, elle
devra également faire l’objet d’une analyse lors du processus éventuel de réforme de la
politique actuelle.
De fait, l’étude du risque relié à un démantèlement du système de gestion de l’offre et de
ses conséquences probables pour le secteur laitier fait, depuis quelques années, l’objet d’un
nombre grandissant de recherches. De façon générale, l’intérêt porté à cette question
s’explique par l’ampleur qu’a pris le courant de libéralisation commerciale depuis le début
des années 90, à la suite de la conclusion de nombreux accords internationaux, régionaux et
bilatéraux. En effet, pour plusieurs observateurs, cette tendance constitue un compte à
rebours annonçant, à terme, l’ouverture du marché canadien et l’abandon subséquent de la
gestion de l’offre (cf. Larue 1994; Meilke et coll. 1998; Barichello 1999; Romain et
Sumner 2001; Gifford 2006). Alors qu’au cours des années 80 les détracteurs de la gestion
de l’offre ont appelé à la réforme en s’appuyant essentiellement sur des considérations
4
Voir à ce sujet la discussion sur le partage interprovincial du quota dans le secteur du poulet. L’Alberta,
notamment, réclame un nouveau mode de partage basé sur la croissance de la population, ce à quoi le Québec
5
d’efficacité économique (cf. Schmitz et coll. 1994), ils invitent aujourd’hui le secteur à
s’ajuster afin de pouvoir faire face à « la forte et irréversible tendance » vers la
libéralisation des marchés5 (Romain 2001, p.1).
Différentes conséquences économiques pourraient découler d’une éventuelle réforme du
système de gestion de l’offre, parmi lesquelles les possibilités de perte de revenus et de
réduction de la valeur des actifs, dont celle des quotas (OCDE 2005, p.57). En effet, une
estimation possible de la valeur conférée aux quotas est le prix auquel ils sont transigés par
le biais des systèmes provinciaux de vente. En fait, il est généralement admis que ce prix
reflète la valeur présente du flux de bénéfices annuels supplémentaires que procurera cet
investissement aux producteurs (Grubel et Schwindt 1977, p.30). Bien que grossière6, cette
estimation met en évidence la nature spéculative de cet actif7, dont la valeur représente
aujourd’hui plus de 50 % du coût moyen d’acquisition d'une exploitation. Sachant qu’une
réforme de la politique laitière pourrait remettre en question non seulement la pertinence du
contingentement, mais aussi le niveau anticipé de rentabilité du secteur, la valeur de cet
actif, dont l’achat s’effectue le plus souvent à partir d’emprunts amortis sur de longues
périodes, pourrait être réévaluée à la baisse et fragiliser du même coup la viabilité
financière de plusieurs entreprises. Cette perspective est accentuée par le fait que les
mécanismes de fixation du prix du lait payé au Canada, qui maintiennent les prix au-dessus
de ceux observés aux États-Unis, pourraient également être abandonnés. Plus
problématique encore pour la rentabilité future du secteur, l’accroissement des
investissements dans les quotas a été supérieur à celui des recettes des entreprises au cours
des dernières années, accentuant le niveau d’endettement des entreprises (Barichello et coll.
2006 p.169).
s’oppose (Gagné 2008).
5
Un rapport récent de l’OCDE (2008, p.164) étudiant la politique agricole canadienne affirme d’ailleurs que
« même si la réforme peut être éludée pour le moment, elle est en fin de compte inévitable ».
6
Il suffit de mentionner que depuis 2000, il y a eu en moyenne moins de 4 % des quotas québécois
disponibles qui ont été transigés annuellement par le biais du Système centralisé de vente de quotas (Nos
calculs à partir de Groupe AGÉCO 2006).
7
Une vaste littérature s’est intéressée à la prise de valeur des quotas transigés dans les différents secteurs sous
gestion de l’offre au Canada (voir Wilson et Sumner 2004). Nonobstant les paramètres communs
d’investissement (ex. les taux d’intérêts), certains facteurs explicatifs sont souvent cités, dont le niveau des
prix administrés, le degré de productivité des entreprises et le risque perçu de démantèlement de la politique
(Lipert 2001, p.52).
6
Bien que sommaires, ces données mettent en évidence que d’importantes pertes
économiques pourraient résulter d’une déréglementation du secteur, ce qui aurait pour effet
d’affecter profondément la structure et la viabilité financière de certaines des entreprises
qui y évoluent. Ce constat est d’ailleurs partagé par la plupart des auteurs ayant étudié des
scénarios de libéralisation du secteur laitier au Canada. Même ceux estimant l’industrie
suffisamment compétitive pour faire face à une concurrence étrangère accrue (cf. Meilke et
coll. 1998; Barichello 1999; Romain 2001; Romain et Sumner 2001), admettent qu’une
rationalisation s’ensuivra, où tous ne sortiront pas gagnants.
1.3. Réforme de politiques publiques et mesures de transition
gouvernementales
Toute réforme de politique publique, à l’image de celle que pourrait traverser le système de
gestion de l’offre, entraîne nécessairement le secteur concerné dans une période de
transition. Un tel processus ne peut alors manquer de créer des opportunités pour certains
intervenants, mais aussi des coûts importants pour plusieurs autres (Quinn et Trebilcock
1981). Selon le degré d’ajustement exigé par la réforme, les gouvernements peuvent alors
être appelés à intervenir par le biais de politiques de transition afin d’atténuer les pertes
encourues.
Compte tenu de l’intérêt croissant porté à l’analyse d’une éventuelle réforme dans le
secteur laitier canadien, il est normal de constater que ce questionnement sur le besoin
d’avoir recours, ou non, à des aides de transition soit de plus en plus fréquemment soulevé
dans la littérature8. Toutefois, le traitement de cet enjeu demeure toujours limité. La
majorité des auteurs se limitent encore à mentionner que le secteur aura à subir des pertes,
dont celles relatives à la valeur des quotas, tout en évitant d’aborder en profondeur la
question9, sinon en invoquant le besoin d’accorder une compensation (cf. Standbury 2002;
Charlebois 2007).
8
Ce questionnement n’est évidemment pas nouveau. Certains auteurs dont Walker (voir Grubel et Schwindt
1977 p.xvi) et Forbes et al. (1982) en ont déjà fait mention, mais ils l’ont abordé de façon très superficielle.
9
Plusieurs auteurs s’entendent par ailleurs pour dire que l’évolution récente des prix des quotas ne
s’expliquerait que par une perception réduite du risque de démantèlement du système ou, plus exactement, par
7
Seules quelques réflexions plus approfondies ont été proposées. Parmi les premières,
mentionnons celle de Lermer et Stanbury (1985) qui ont estimé, à l’aide d’une approche
coûts-bénéfices et sous certaines hypothèses, les gains qui résulteraient du démantèlement
de la gestion de l’offre et ce, en tenant spécifiquement compte du versement d’une
compensation aux producteurs. Plus récemment, Gifford (2006) et Lipert (2001) ont jugé
qu’il serait préférable d’offrir des mécanismes de rachat des quotas, tandis que l’OCDE
(2008) évoque aussi l’idée d’en émettre progressivement de nouveaux afin d’en faire
diminuer la valeur. Pour leur part, Barichello et coll. (2006) ont envisagé différents
scénarios, dont celui d’instaurer un marché temporaire de quotas de transition et celui de
rembourser les quotas, soit à leur prix d’achat ou encore à leur valeur actuelle. Ils
s’inspirent ainsi d’expériences étrangères, mais aussi canadiennes, en matière de politiques
de transition. Une analyse des effets économiques de certaines mesures de transition
pouvant être utilisées lors d’un processus de libéralisation commerciale a quant à elle été
proposée par Larue et Gervais (2007). Toutefois, malgré ces propositions, force est de
constater que l’analyse du dédommagement qui pourrait être nécessaire à la suite d’une
réforme du système de gestion de l’offre au Canada reste à approfondir.
Ce constat se retrouve d’ailleurs dans le Rapport de la Commission sur l’avenir de
l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, dans lequel on déplore le refus de certains
intervenants « d’envisager ou d’évoquer même des scénarios ou des mécanismes de
transition qui tiendraient compte d’une éventuelle ouverture accrue des marchés pour les
produits sous gestion de l’offre » (p.27). Le rapport invite plutôt les « acteurs du secteur
agricole et agroalimentaire, tout en défendant ce système, […] à planifier l’avenir en tenant
compte de quelques options » (p.61). Lipert (2001, p.5) affirme d’ailleurs que « further
research is necessary to determine the feasibility of compensating producers for the loss in
quota values as a result of a return to a competitive milk market ».
la certitude d’être compensé dans l’éventualité d’une réforme. Ils considèrent que les variables économiques,
telles que la demande pour les produits laitiers, les prix de soutien et les taux d’intérêt, n’ont pu à elles seules
mener à une telle croissance de la valeur des quotas (Barichello et coll. 2006; Larue et Gervais 2007).
8
1.4. Problème soulevé, questions et objectifs de recherche
En somme, malgré un soutien politique indéniable, le système de gestion de l’offre dans le
secteur laitier canadien est confronté à des défis majeurs et l’éventualité qu’il doive un jour
faire l’objet d’une réforme est une option qui doit être considérée. Par ailleurs, il est
envisageable qu’un tel démantèlement cause un choc économique significatif pour le
secteur, que ce soit par le biais d’une baisse des prix aux producteurs ou par celle de la
valeur de certains actifs, dont les quotas. Dans ce contexte, les gouvernements pourraient
être appelés à intervenir afin de faciliter la transition du secteur vers un environnement
économique libéralisé. Toutefois, malgré la reconnaissance du besoin éventuel d’intervenir
et des implications budgétaires que de telles mesures pourraient avoir, peu d’études se sont
attardées jusqu’ici à étudier systématiquement les modes d’intervention qui pourraient être
déployés dans le secteur laitier canadien. Pourtant, l’étude de cet enjeu permettrait de
mieux appréhender une réforme et les coûts qui en découleraient.
Compte tenu de « l’infinie variété de scénarios possibles » (Grubel et Schwindt 1977
p.xiv), il est évidemment difficile de proposer un plan précis de compensation. Conscient
des limites posées par l’incertitude entourant la nature d’une éventuelle réforme, ce travail a
pour objectif général de contribuer à approfondir et à structurer la réflexion déjà amorcée
dans la littérature quant aux modes d’intervention qui pourraient être déployés par le
gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne. De fait,
il importe de se questionner sur la nature et la portée des mesures auxquelles le
gouvernement canadien pourrait avoir recours lors d’une réforme. Plus précisément, ce
mémoire tente de répondre aux questions suivantes :
•
Face au phénomène de réformes de politiques publiques, quels sont les principes
économiques fournis par la théorie et la littérature quant aux types d’interventions
gouvernementales pouvant être adoptés pour y faire suite ?
•
De quelles façons ces principes peuvent-ils être transposés à une expérience réelle
de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier
canadien ?
L’approche de recherche choisie privilégie le recours à une analyse des concepts théoriques
retrouvés dans la littérature traitant des mécanismes de dédommagement utilisés lors de
9
réformes de politiques publiques. Afin de circonscrire le sujet à ses aspects fondamentaux,
ce mémoire se limite à l’étude des considérations d’ordre économique. L’analyse s’appuie
essentiellement sur des sources de données secondaires et sur la littérature scientifique
disponible. Plus précisément, une démarche en deux temps, comprenant une partie à
caractère théorique et une autre dédiée à l’analyse empirique, est proposée.
Ainsi, au chapitre 2, l’évolution du paradigme politique d’intervention en agriculture et son
influence sur le processus de réforme observé au cours des dernières années sont exposées
en lien avec les fondements théoriques dominants sur lesquels reposent ces projets. Ensuite,
à partir d’un recensement effectué dans la littérature, les principales mesures de transition
envisageables pour faire suite aux conséquences des réformes induites par le paradigme
actuel d’intervention sont décrites et catégorisées. Afin d’approfondir la compréhension du
choix d’intervenir par le biais de ces mesures, les justifications normatives pouvant
légitimer leur utilisation sont considérées et leur portée explicative étudiée. L’objectif de
cette démarche est de caractériser les types d’interventions possibles selon leurs finalités et
de définir les raisons pour lesquelles ces mesures sont, en théorie, proposées.
Ayant exposé à la fois les moyens d’intervention à la disposition des gouvernements pour
l’élaboration de politiques de transition, ainsi que les principes théoriques sous-tendant de
telles mesures, il est proposé, dans un deuxième temps, d’étudier la façon dont ce cadre
peut se transposer à une expérience réelle de réforme, tel un éventuel démantèlement de la
politique laitière canadienne. Pour ce faire, une démarche structurée autour de cas vécus de
réformes en agriculture est adoptée. En effet, compte tenu de la nature fictive du projet de
démantèlement de la politique laitière canadienne et de la portée limitée des approches
théoriques, une analyse des politiques de transition qui ont été mises en œuvre au Canada et
à l’étranger est privilégiée.
Le chapitre 3 décrit l’approche méthodologique développée pour y arriver. Afin de pouvoir
inférer, des analyses effectuées, des enseignements applicables à une éventuelle réforme du
secteur laitier canadien, les cas à l’étude sont sélectionnés selon leur degré de
correspondance avec le fonctionnement des mécanismes d’intervention privilégiés par la
politique laitière canadienne. Six cas de réforme ont été retenus, soit ceux de la politique de
10
transport du grain de l’Ouest canadien, du secteur ontarien de la tabaculture, des secteurs
laitiers australiens et helvétiques, des arachides américaines et du sucre européen.
Pour les étudier, un cadre d’analyse est ensuite défini sur la base de la démarche descriptive
proposée, entre autres, par Martini (2007) et Harris (2005), et selon la catégorisation
normative développée au chapitre 2. Notons que l’approche privilégiée ne s’intéresse pas à
la capacité d’ajustement du secteur, mais se concentre plutôt sur les caractéristiques des
mesures de transition adoptées, en lien avec le contexte de réforme dans lequel elles
s’inscrivent. Plus précisément, cet exercice est mené en deux étapes, soit en :
•
cernant les composantes du secteur visé faisant l’objet d’une intervention et en
définissant les types de mesure de transition alors privilégiés;
•
évaluant, au travers des mesures de transition adoptées, la présence d’une forme de
transposition du « test de compensation » décrit par le cadre théorique.
Afin d’évaluer à quel degré les principes économiques d’intervention définis dans la
littérature sont transposés lors d’un processus réel de réforme, une analyse individuelle des
cas retenus est menée au chapitre 4. Le chapitre 5 propose, quant à lui, une analyse
transversale des résultats obtenus de façon à faire émerger les principales tendances
émanant des modes d’intervention post-réforme privilégiés par les pays à l’étude. La portée
de ces tendances est également étudiée, en lien avec la réalité du secteur laitier canadien.
Enfin, les conclusions de ce mémoire sont présentées.
En somme, ce projet se propose d’étudier à la fois les fondements théoriques sous-jacents à
une politique de transition, mais aussi d’évaluer un vaste éventail de modalités possibles
qui pourraient définir les mesures de compensation offertes aux producteurs laitiers
canadiens à la suite d’une réforme du secteur. Ce faisant, il vise à contribuer aux réflexions
actuelles sur l’avenir de la politique agricole canadienne et québécoise, en plus de
poursuivre les travaux menés dans la littérature sur le fonctionnement de la politique
laitière canadienne et sur son impact sur l’évolution du secteur.
2. Réforme de politique publique et principes
économiques d’intervention
Depuis le début des années 80, un grand nombre de secteurs agricoles, répartis dans la
plupart des pays développés, ont vécu de profondes révisions des politiques commerciales
et réglementaires qui les encadraient depuis le milieu du 20ième siècle. Cette tendance a été
particulièrement lourde dans le cas des politiques très interventionnistes, à l’image de celle
utilisée dans le secteur laitier canadien. La plupart des modèles d’intervention similaires
retrouvés à l’étranger ont d’ailleurs été démantelés au profit d’un environnement
économique libéralisé.
Ce processus de réforme en agriculture renvoie au questionnement sur le rôle que l’État
doit jouer au cours de la période de transition devant être traversée. S’il est généralement
admis que l’État a, en tant qu’acteur économique, une responsabilité en matière d’allocation
des ressources, d’ajustement dans la distribution de la richesse et de stabilisation de
l’économie (Musgrave 1959), les mesures qu’il doit adopter afin de les remplir à la suite
d’une réforme sont rarement définies. De façon simplifiée, il est possible de concevoir cette
transition comme la période au cours de laquelle le gouvernement retire ses mécanismes
d’intervention interférant avec le marché et facilite la restructuration du secteur concerné
par le biais de politiques ciblées (Coleman 2001, p.224). Toutefois, la réalité du processus
est souvent plus complexe, car les effets préjudiciables d’une réforme sont souvent
importants. En fait, comme le rappelle Kubota (2006, p.4), bien que « de nombreux travaux
se sont intéressés aux effets potentiels d’une réforme […], très peu d’études ont été
consacrées à la manière de faire face à ses répercussions ».
C’est d’ailleurs ce deuxième volet de recherche, soit la manière de faire face aux
répercussions d’une réforme, qui nous intéresse dans le cadre de ce mémoire. En
effet, l’éventualité d’une réforme du système de gestion de l’offre canadien impose
d’approfondir cet enjeu de façon à pouvoir évaluer les différentes politiques que le
gouvernement canadien pourrait mettre de l’avant afin de faire face aux répercussions
possibles d’un démantèlement. Ce chapitre s’intéresse aux mesures de transition pouvant
12
être adoptées dans le cadre d’une réforme de politique agricole, ainsi qu’aux principes
économiques qui en sous-tendent l’utilisation.
Plus précisément, le changement de paradigme dans lequel s’inscrit le courant de réforme
observé en agriculture est étudié dans un premier temps. Il appert que le marché, en tant
que concept économique, occupe aujourd’hui une place centrale dans la façon dont sont
évaluées les politiques gouvernementales, ce qui ouvre la porte à un vaste agenda de
réforme en agriculture. Afin de mieux saisir la portée de ce paradigme, les fondements
théoriques le supportant, regroupés essentiellement dans le cadre de l’économie du bienêtre, sont exposés.
Malgré les gains attendus, la théorie économique aussi bien que les études empiriques
reconnaissent que d’importants coûts d’ajustement peuvent être observés à la suite d’une
réforme, impliquant ainsi l’existence de perdants. Des mesures de transition peuvent alors
être mises de l’avant afin de pallier ces pertes. Il en existe différents types et une
catégorisation conceptuelle de ceux-ci est proposée, selon les objectifs poursuivis et les
modalités de mise en œuvre les caractérisant.
Enfin, afin d’approfondir l’étude des réponses gouvernementales possibles à la suite d’une
réforme, les différentes justifications avancées pour légitimer le recours à des mesures de
transition sont abordées. La littérature économique en recense trois principales, soit
l’efficacité, l’équité et les considérations d’ordre politique. La dernière section de ce
chapitre est ainsi dédiée à l’étude de chacune afin d’évaluer leur portée explicative en
pratique.
2.1. Évolution du paradigme d’intervention en agriculture
Plus de vingt ans après le lancement du cycle d’Uruguay où, pour la première fois, était
abordé le projet de libéraliser le commerce agricole à l’échelle internationale, force est de
constater que le courant de réforme observé en agriculture continue à prendre de l’ampleur.
Face à un tel phénomène, il n’est plus possible de parler d’une simple conjoncture
économique temporaire : les facteurs incitatifs en cause sont beaucoup plus fondamentaux.
13
De fait, différentes raisons peuvent inciter à enclencher une réforme : elles peuvent soit
résulter d’une crise économique sévère, soit de pressions externes – souvent internationales
– ou encore d’un courant de pensée, tel un paradigme, venant influencer les choix sociaux
et politiques (Freytag et Renaud 2007). Bien que la pondération de ces causes soit une
question qui relève de l’analyse de cas, chacune joue néanmoins un rôle déterminant et leur
portée peut être significative dans le déroulement du processus de réforme. En effet, toute
réforme de politique publique s’inscrit dans un environnement dont les composantes,
politiques ou économiques, influencent la façon dont elle sera menée et ce, tant au niveau
des incitatifs qui la commandent (Pitlik 2007), qu’au niveau de la réponse gouvernementale
qui y fait suite (Elkins et Simmons 2005). Considérant l’éventualité d’une réforme de la
politique laitière canadienne, la prise en compte de cet environnement devient
particulièrement déterminante.
Ainsi, l’adoption de la Loi sur la Commission canadienne du lait en 1966 ayant mené à la
création subséquente de la politique laitière canadienne s’est inscrite, au même titre que de
nombreuses politiques agricoles au sein des pays développés, dans un paradigme
d’intervention pouvant être décrit comme celui du développement assisté (cf. Coleman
1998; Coleman 2001). Dans le cadre de ce paradigme, l’agriculture était vue comme un
secteur stratégique de développement national, évoluant au travers d’une économie de
marché. Les gouvernements ont ainsi cherché à la fois à accroître la productivité et
l’efficacité de la production agricole, mais aussi à soutenir les revenus des producteurs et à
les protéger de la compétition étrangère. Pour y arriver, les modèles d’intervention
combinant mécanismes de soutien des prix à régulation de marché ont été privilégiés, à
l’image de ceux existants dans le secteur laitier canadien.
À l’échelle internationale, les conséquences observées de ces mesures n’ont toutefois pas
mené aux résultats escomptés10. En fait, face aux crises agricole et financière des années
80, un paradigme politique alternatif a émergé en agriculture, soit celui du marché libéral
(Coleman 2001). Ses principes directeurs se résument comme suit : l’agriculture est un
secteur économique comme les autres ne devant pas faire l’objet d’intervention
14
particulière ; les revenus des producteurs ne devraient provenir que du marché ; seuls les
producteurs pouvant atteindre la rentabilité par le biais des prix compétitifs doivent
demeurer en production ; chaque entreprise est responsable de se procurer des assurances
privées pour couvrir ses pertes. Autrement dit, en matière de développement agricole, le
marché doit prendre préséance sur le gouvernement et l’efficacité sur l’équité (Coleman et
coll. 1996, p.275-6).
Ce changement de paradigme, qui s’inscrit d’ailleurs dans un courant politique beaucoup
plus vaste11, a influencé, dans une large mesure, l’orientation de nombreux projets de
réforme en agriculture au cours des dernières années. En fait, cette nouvelle perspective du
rôle économique de l’État se retrouve aujourd’hui au cœur du processus décisionnel et le
secteur agricole n’y fait pas exception. Ainsi, il a été admis, dans la déclaration
ministérielle de l’OCDE de 1987, qu’une « réforme concertée des politiques agricoles sera
mise en œuvre d'une manière équilibrée » de façon à « faire en sorte que, par la réduction
progressive et concertée de l'aide à l'agriculture, ainsi que par tous les autres moyens
appropriés, les signaux des marchés influencent l'orientation de la production agricole ; il
en résultera une meilleure allocation des ressources, dont bénéficieront les consommateurs
et l'économie en général » (cf. OCDE 1987). Notons qu’un programme de réforme similaire
caractérise les travaux de diverses organisations internationales, telle l’Organisation
mondiale du commerce (OMC), auxquels adhèrent les pays qui en sont membres.
Il importe de souligner que l’agenda de réforme actuel propose une démarche prospective,
dissociée de la situation économique en vigueur. Autrement dit, un secteur n’a pas à
traverser une crise pour qu’un appel à la réforme soit formulé; il suffit qu’il évolue dans un
environnement interventionniste, à l’image de celui qui a caractérisé les politiques agricoles
instaurées dans le cadre du paradigme de développement assisté. En effet, en s’inscrivant
10
Les limites de ce modèle d’intervention sont apparues dès le début des années 70. Parmi les principales,
notons l’accumulation de surplus, la saturation des marchés domestiques et internationaux, la diminution des
prix et des revenus aux producteurs et l’augmentation des coûts budgétaires.
11
Le « compromis keynésien », légitimant l’intervention gouvernementale dans le cadre de l’économie de
marché, a fait place, face à la stagflation des années 70, à une idéologie politique alternative reconnue sous le
nom de « néolibéralisme ». Cette dernière privilégie une croissance économique fondée sur une stimulation de
l’offre qui exige la diminution des contraintes sur les marchés, remettant ainsi en question l’intervention de
l’État dans l’économie (Échaudemaison et coll. 2002, p.342). Ce paradigme a mené à un courant de
libéralisation, caractérisé par un processus de déréglementation et de privatisation (Levi-Faur 2003), qui s’est
répercuté dans tous les secteurs de l’économie à l’échelle internationale (Lall et Latsch 1998).
15
dans la perspective du paradigme du marché libéral, tout projet de réforme visant à
libéraliser un secteur économique est perçu comme une occasion d’accroître son efficacité
et d’assurer une meilleure allocation des ressources dans l’économie par le biais des
mécanismes de marché (Kubota 2006, p.4).
Rappelons que ce constat – la supériorité des marchés sur l’intervention gouvernementale –
auquel adhèrent les tenants du paradigme du marché libéral repose sur les fondements de la
théorie économique néoclassique. Plus précisément, l'idée que le marché12 puisse
coordonner efficacement les mécanismes d'allocation des ressources s'appuie sur les
principes de l'économie du bien-être – exposés à la section suivante – qui stipulent que les
marchés compétitifs sont suffisants pour générer l'efficacité (Przeworski 1992). Comme le
rappelle Gowdy (2004, p.240), il n’est pas exagéré d’affirmer que l’entièreté de la théorie
microéconomique moderne appliquée à l’analyse de l’intervention gouvernementale relève
de cette idée, formellement enchâssée dans la théorie économique du bien-être.
L’implication politique en découlant est considérable, puisque, comme le soulignent Lall et
Latsch (1998, p.437-8), « the policy prescription that emerges is that where […]
interventions exist their rapid removal is best policy prescription ».
2.2. Réforme et théorie économique : introduction aux
fondements de l’économie du bien-être
Formellement, l’économie du bien-être est la branche de l’économie qui s’intéresse à
l’analyse des politiques publiques. À plusieurs égards, elle peut être perçue comme la
sphère normative des théories microéconomiques, puisque la notion de « bien-être » fait
12
Notons à ce stade que le concept de marché, tel qu’utilisé dans la théorie néoclassique, est controversé, bien
qu’il y occupe une place centrale, à la fois en tant qu’objet d’étude, mais aussi en tant que paradigme
d’analyse du phénomène économique. En fait, si le marché est généralement considéré comme un mode de
coordination du comportement économique, de création de prix et d’allocation efficace des ressources (Cusin
et Benamouzig 2004, p.176), il fait rarement l’objet d’une définition explicite. Bärwolff (2001, p.3) note
d’ailleurs que « the notion of the market, it appears, is a crucial yet highly ambiguous concept at the very
core of economics ». En effet, les recensements de la littérature effectués par des auteurs ont mis en évidence
un manque de réflexion systématique sur la notion de marché et ce, tout particulièrement dans le domaine des
sciences économiques (Lie 1997; Rosenbaum 2000). Lie va jusqu’à affirmer que le marché représente le
« noyau vide » au cœur de l’économie (1997, p.342), tandis que Rosenbaum déplore la tendance qu’ont les
économistes à prendre le marché pour acquis, alors qu’il existe d’autres mécanismes de coordination des
16
référence
au
concept
d’utilité13
développé
par
les
théoriciens
néo-classiques
(Échaudemaison et coll. 2002). Plus précisément, l’économie du bien-être s’intéresse aux
moyens d’assurer une allocation optimale des ressources afin d’atteindre le niveau maximal
de « bien-être » pour les individus de la société, compte tenu de la distribution des revenus
observée (Richard et coll. 2004).
2.2.1 Une référence normative : le critère de Pareto
Le principal attrait de l’économie du bien-être réside dans le fait de pouvoir comparer et
hiérarchiser différentes situations (états) selon le niveau d’utilité totale qu’elles présentent.
De fait, la nouvelle économie du bien-être, à l’opposée de l’ancienne14, permet de « définir
les conditions économiques à satisfaire pour que l’allocation des ressources soit optimale
sans recourir à des comparaisons interpersonnelles d’utilité » (Weber 1997, p.22). Pour y
arriver, le critère de Pareto, qui constitue aujourd’hui le fondement de cette discipline, a
été proposé :
Un changement politique est socialement désirable si, suite au changement,
tous les individus bénéficient d’un niveau de bien être supérieur ou, si au
moins un individu est bénéficiaire sans que cela n’affecte le niveau de bien
être des autres (Richard et coll. 2004, p.14).
Cette définition permet de reconnaître les changements politiques qui offrent une
amélioration au sens de Pareto, autrement dit qui augmente le niveau de bien-être global
par rapport à un état initial, sans affecter négativement celui d’aucun. Cette interprétation
est donc relative aux différents états qui sont comparés. Dans la mesure où la société se
échanges économiques (2000, p.457). Cette réflexion prend ici tout son sens, compte tenu du rôle clé joué par
ce concept dans le paradigme politique actuel.
13
L’utilité peut être vue comme un indicateur de la satisfaction que procure à une personne la consommation
d’un panier de biens. Elle est généralement estimée par le biais d’une fonction mathématique qui représente la
relation de préférence du consommateur par rapport à différents paniers de biens possibles (Guerrien 2002,
p.528-9). Les relations de préférence s’appuient elles-mêmes sur un certain nombre d’axiomes parmi lesquels
des hypothèses comportementales (Jehle et Reny 2001). Pour une critique du concept tel qu’utilisé dans le
cadre de l’économie du bien-être, voir, entre autres, Sen (1987).
14
Développée par des auteurs tels que Pigou, Ricardo et Marshall, l’ancienne économie du bien-être
s’appuyait sur l’utilitarisme et assumait, entre autres, que l’utilité des individus était observable et comparable
cardinalement. Il était admis qu’une fonction d’utilité collective sommant l’utilité de tous les individus
pouvait être estimée (Guerrien 2002, p.528). Bien que permettant la hiérarchisation différentes situations,
17
retrouve dans une situation où il n’y a plus d’amélioration possible, l’état alors atteint sera
dit Pareto-optimal. Cette interprétation absolue du critère de Pareto se définit comme suit :
« L’allocation des ressources est optimale (ou efficace), et par conséquent le
bien-être de la collectivité est à un maximum, s’il n’est plus possible, par
une modification de l’allocation, d’améliorer le bien-être d’une personne au
moins sans que personne ne souffre » (Weber 1997, p.22).
Cette perspective supplémentaire implique qu’un état sera Pareto-optimal uniquement dans
la mesure où il n’existe aucune inefficience dans l’allocation des ressources disponibles
dans la société. Pour cette raison, le critère de Pareto est également vu comme un critère
d’efficience et, comme le rappelle Jehle et Reny (2001, p.171), ce concept est omniprésent
dans l’analyse économique des politiques.
2.2.2 L’optimum de Pareto et l’équilibre compétitif
Bien que le critère de Pareto soit dépourvu de considérations institutionnelles relatives à la
société, il existe néanmoins une relation étroite entre ce concept et celui de marché, tel
qu’entendu dans la théorie économique néoclassique (Richard et coll. 2004). Cette relation,
bâtie sur des théorèmes mathématiques, forme d’ailleurs le fondement de la théorie
économique du bien-être et est responsable de son influence normative sur l’économie
(Gowdy 2004).
D’un point de vue théorique, cette relation s’appuie sur l’existence, dans un marché en
compétition pure et parfaite, d’un équilibre compétitif, se définissant comme le prix auquel
la demande des consommateurs et l’offre des producteurs se rencontrent de façon à
satisfaire tous les besoins, sans laisser de surplus. L’existence de ce prix a été démontrée
mathématiquement, sous certaines hypothèses (cf. Arrow et Debreu 1954). Puisqu’un tel
équilibre assure une allocation optimale des ressources entre les individus participant
librement au marché, ce dernier constitue donc un optimum au sens de Pareto. C’est ce que
stipule le premier théorème de l’économie du bien-être :
cette approche reposait sur des fondements critiqués et exigeait le recours à des jugements de valeur
contestables (cf. Robbins 1935).
18
1ier théorème : Lorsqu’un équilibre compétitif (walrasien) existe, ce dernier
constitue un optimum à la Pareto.
Autrement dit, peu importe l’allocation initiale des ressources entre les individus, s’ils sont
en mesure de mener des échanges par le biais d’un système complet de marchés15, alors
l’allocation d’équilibre sera telle qu’il sera impossible d’allouer les ressources de façon à
améliorer le bien-être d’un individu sans affecter celui d’un autre. Compte tenu de son
optimalité, l’état décrit par le premier théorème est dit le choix de « premier rang »16. Sur
une base théorique, toutes entraves au fonctionnement d’un marché compétitif, tels les
échecs de marché17, éloignent la société d’un état Pareto-optimal. Tous les états
secondaires seront alors dits des choix de « second rang »18.
Par ailleurs, bien que le premier théorème stipule qu’un système complet de marché puisse
permettre de passer d’une distribution initiale non efficiente à un état optimal au sens de
Pareto, il ne garantit en rien que la distribution d’équilibre sera socialement jugée la
meilleure (Jehle et Reny 2001, p.203). C’est ce à quoi répond le second théorème de
l’économie du bien-être :
2ième théorème : « Toute affectation des ressources qui est un optimum de
Pareto peut être considérée comme une affectation des
ressources d’équilibre concurrentiel, pour des prix
appropriés » (Guerrien 2002, p.175).
Ce théorème suppose qu’un système complet de marchés peut atteindre n’importe quel
optimum de Pareto simplement en distribuant la propriété des ressources et en prescrivant
15
L’existence d’un système complet de marchés est une hypothèse « selon laquelle il existe pour chaque bien
d’une économie un prix unique et une forme d’organisation sociale qui permet aux agents d’effectuer les
transactions qu’ils désirent à ce prix » (Guerrien 2002, p.506). Elle repose sur l’absence d’incertitude ou
encore d’externalité.
16
Traduction de « first-best choice ». Notons que ce premier théorème est également appelé le théorème de la
main invisible, car il reprend l’idée avancée par Adam Smith à l’effet que des individus égoïstes voulant
maximiser leur utilité et des firmes intéressées par leurs seuls profits sont les mieux à même d’atteindre le
meilleur équilibre possible pour la société, compte tenu de la rareté des ressources (Richard et coll. 2004).
17
Les défaillances les plus souvent étudiées sont les externalités (production – consommation), les monopoles
naturels et les biens publics, bien qu’il y en ait d’autres, tels les problèmes de marchés incomplets,
d’information imparfaite et de compétition imparfaite (Stiglitz 1991).
18
La théorie du second-best choice, développée par Lipsey et Lancaster (1956), stipule que lorsque des
distorsions existent sur les marchés, une intervention gouvernementale corrective peut mener l’économie en
un point plus rapproché de l’optimum social (Richard et coll. 2004, p.538). Notons que Lipsey (2007, p.356)
a récemment critiqué la portée de cette théorie : « In practical situations, as opposed to theoretical models, we
do not know the necessary and sufficient conditions for achieving an economy-wide, first-best allocation of
19
des prix appropriés pour lesquels les consommateurs vont maximiser leur utilité et les
firmes, leurs profits. Autrement dit, si un état optimal d’équilibre n’est pas socialement
désirable, il peut être modifié en redistribuant tout simplement les ressources entre les
individus, leurs interactions menant subséquemment à un nouvel équilibre optimal19. Cette
intervention est souvent reléguée au gouvernement, qui peut agir de façon ex ante en
établissant les conditions de marché, ou de façon ex post en redistribuant la richesse
(OCDE sd, p.10). En somme, comme le souligne Weber (1997), « ce double critère,
normatif d’allocation optimale des ressources et positif d’équilibre économique en
concurrence parfaite, occupe une place de choix en économie publique » (p.29)20.
2.2.3 Efficacité et équité : le principe de compensation
Le résultat du second théorème de l’économie du bien-être implique qu’il existe une
multitude d’optimum à la Pareto qui sont également des équilibres compétitifs et que
chacun d’eux est associé à une distribution initiale des ressources qui leur est propre. Ce
faisant, il permet de distinguer clairement l’enjeu de l’efficacité économique de celui de
l’équité (Stiglitz 1991, p.4). Cette séparation, fondamentale dans l’économie du bien-être21,
constitue par ailleurs une limitation à la portée normative du critère de Pareto.
En effet, ce critère ne constitue pas un guide permettant de choisir la solution Paretooptimale idéale d’un point de vue social, puisqu’il n’admet pas de comparaison lorsque les
resources. Achieving an economy-wide second best optimum allocation looks even more difficult than
achieving the first best ».
19
Ce deuxième théorème peut d’ailleurs être interprété différemment : un équilibre compétitif permet
d’atteindre toutes les allocations des ressources Pareto-optimales possibles après qu’un transfert monétaire
direct initial ait été effectué de façon à distribuer les richesses selon les proportions jugées souhaitables
(Blaug 2007).
20
La validité de ces théorèmes est cependant loin de faire consensus. Par exemple, l’historien de l’économie
Mark Blaug (1997, p.255) affirme que « these beautiful theorems are mental exercises without the slightest
possibility of ever being practically relevant ». De même, faisant référence au premier théorème, Stiglitz
(1991, p.5) affirme que « Adam Smith's invisible hand may be invisible because, like the Emperor's new
clothes, it simply isn't there ». Il n’appartient cependant pas à ce mémoire de traiter de leur validité, mais
plutôt de les exposer en tant que composantes fondamentales du paradigme du marché libéral.
21
Blaug (1985, cité dans Gowdy 2004, p.253) souligne: « If we refuse, even in principle, to distinguish
allocative efficiency from distributive equity, we must perforce reject the whole welfare economics and with it
any conventional presumption in favour of competitive markets, and indeed, in favour of the price mechanism
as a method of allocating scarce resources ». La validité de cette distinction est cependant contestable
également (cf. Stiglitz 2000).
20
états devant être évalués présentent des différences marquées en matière de distribution du
bien-être, le point de référence n’étant plus le même22 (Feldman et Serrano 2006, p.196).
Pour ce faire, le recours à une fonction du bien-être collectif est nécessaire. Seulement alors
l’équilibre proposé décrit l’état devant être atteint et informe sur la nature des transferts à
effectuer afin d’accroître le niveau d’utilité de la collectivité. Toutefois, ce type de fonction,
qui classe « selon un ordre de préférence les divers états réalisables d’une économie »
(Guerrien 2002, p.529), requiert une comparaison cardinale de l’utilité des individus, ce qui
rend son utilisation controversée23.
En fait, comme le souligne Cowen (2000), il faut distinguer la théorie parétienne ordinale
du bien-être24 – qui s’appuie essentiellement sur le critère de Pareto – des analyses coûtsbénéfices qui représentent la branche appliquée de l’économie du bien-être. S’appuyant
essentiellement sur les mêmes fondements théoriques, l’approche coûts-bénéfices permet
quant à elle de comparer tous les états possibles et ce, sur la base des gains que chacun
génère, comparativement à ses coûts. Cette évaluation élargie des états Pareto-efficients est
possible grâce au principe de compensation, tel qu’initialement défini par Kaldor (1939) et
Hicks (1939) :
Principe de compensation : Un état sera préféré à un autre si et seulement si,
en effectuant la transition, les gagnants sont en mesure de
compenser les perdants de façon à ce qu’il y ait au moins un
22
Cette affirmation est souvent soutenue à l’aide d’une représentation graphique simplifiée. Il est cependant
possible de citer certaines des limites. Ainsi, compte tenu qu’il n’existe aucune alternative supérieure à un
optimum à la Pareto, il est impossible de pouvoir comparer deux états Pareto-efficients, bien qu’ils puissent
présenter une allocation des ressources très différente. D’autre part, dans la mesure où une amélioration du
bien-être est possible (ex. : changement technologique), une multitude d’alternatives Pareto-efficientes se
présenteront, sans que le critère puisse en privilégier une en particulier. De même, le recours au critère de
Pareto favorisera le statu quo, puisqu’en référence à un état initial, les alternatives d’amélioration du bien-être
seront limitées par les choix faits en matière de distribution initiale (Richard et coll. 2004, p.29-31).
23
Plus précisément, le problème lié à ce type de fonctions est de définir la nature de la relation de préférences
qui n’est pas ici celle des individus (sous entendue par la théorie économique), mais plutôt celle de la
collectivité dans son ensemble, constituée de membres dont les intérêts ne sont pas toujours les mêmes
(Guerrien 2002, p.529).
24
Cette théorie peut elle-même être décomposée en différents concepts reliés, mais néanmoins indépendants.
C’est le cas du « welfarism », stipulant que le bien-être social ne peut être évalué qu’en relation avec l’utilité
des individus, et de la règle de préférence à la Pareto. Rien n’oblige en effet que le bien-être collectif
augmente avec les utilités individuelles, ce qu’exige le critère de Pareto. Cette nuance est mince, mais
déterminante au niveau de la cohérence de certains fondements théoriques (voir Sen 1979).
21
individu qui bénéficie du changement sans qu’aucun n’en soit
pénalisé (Richard et coll. 2004, p.32)25.
Malgré l’approche « ordinale » préconisée par l’économie du bien-être, l’évaluation des
politiques par le biais du principe de compensation requiert, pour être menée, une
estimation quantitative des variations de « bien-être ». Pour ce faire, les analyses ont
généralement recours aux mesures de « volonté de payer » proposées par Hicks. Ces
dernières permettent d’évaluer l’intensité des préférences d’un individu pour une situation
vis-à-vis une autre en mesurant le montant d’argent que ce dernier est prêt à payer
(variation compensée) ou est prêt à recevoir (variation équivalente) pour passer d’une
situation à une autre (Richard et coll. 2004)26. Par conséquent, le revenu, plutôt que le bienêtre, est véritablement mesuré27. Malgré cette simplification, la méthodologie de calcul
demeure néanmoins hasardeuse28.
Il importe de souligner que dans sa formulation originale, ce principe implique une
compensation potentielle, car le paiement effectif de la compensation dépend dans les faits
d’un jugement de valeur29. Ce faisant, les états évalués par le biais de ce critère sont décrits
25
Pour éviter que le test puisse être renversé, on ajoute à cette définition le double critère de Scitovszky
(1941) : un état potentiellement Pareto supérieur doit permettre aux gagnants de compenser les perdants sans
que ces derniers aient la possibilité de payer ces éventuels bénéficiaires afin d’éviter que le changement d’état
ait lieu.
26
Les analyses coûts-bénéfices estiment dans les faits le surplus du consommateur/producteur, car cette
valeur est la seule donnée pouvant être obtenue à partir des prix de marché et des quantités consommées.
Willig (1976) a par ailleurs démontré que la mesure du surplus était une estimation raisonnable des variations
effectives du bien-être.
27
Cette limite n’est pas la seule liée à l’utilisation de ce principe. Par exemple, tout comme le critère de
Pareto, le principe de compensation n’admet pas la hiérarchisation d’états qui sont optimaux. De même, ce
critère mène à des classements intransitifs si les situations évaluées sont toutes des choix de second rang. Pour
cette raison, il est d’un intérêt décisionnel limité s’il n’y a pas, parmi les alternatives considérées, un (et
seulement un) état qui est Pareto-efficient (Richard et coll. 2004). Pour une description des principales limites
du principe de compensation et de l’économie du bien-être en général, voir Gowdy (2004) et Jongeneel et
Koning (1999).
28
Par exemple, ces mesures reposent sur un modèle découlant de la théorie des choix rationnels qui
n’expriment pas nécessairement avec justesse le véritable comportement individuel et collectif (cf. Gowdy
2004). Parmi les autres points débattus, notons le choix du taux d’actualisation et celui de la pondération des
groupes. Ce dernier point est particulièrement important, car il repose sur un « jugement de valeur » (Richard
et coll. 2004, p.258)! Notons que la plupart des analyses coûts-bénéfices sont menées dans une perspective
égalitariste, car chaque groupe ne compte que « un » (Kanbur 2003), mais plusieurs autres pondérations sont
envisageables (voir Brent 1984).
29
Comme l’indique Hicks (1939, p.711), « whether or not compensation should be given in any particular
case is a question of distribution, upon which there cannot be identity of interest, and so there cannot be any
generally acceptable principle ». Kanbur (2003, p.32) parle d’ailleurs d’une « compensation de principe »
plutôt que d’un « principe de compensation ».
22
comme étant potentiellement Pareto supérieurs30. Dans la mesure où la compensation n’est
pas effectivement versée, ces états sont fondamentalement différents de ceux dits
Pareto-efficients, car ils impliquent, contrairement à ces derniers, la coexistence de
gagnants et de perdants qui découle du changement proposé (Gowdy 2004).
Ces principes – et leurs fondements – sont déterminants dans l’analyse économique des
politiques publiques. Ceci peut d’ailleurs s’illustrer en référant à l’exemple de la
libéralisation commerciale, abondamment étudié dans la littérature s’intéressant aux gains
d’efficacité liés aux processus de réforme. Ainsi, parmi les principaux résultats cités, on
retrouve ceux de Dixit et Norman (1980; 1986). Ces derniers ont démontré que le libreéchange était Pareto-supérieur à l’autarcie dans la mesure où les gains retirés de la
libéralisation étaient transférés aux perdants par le biais de paiements forfaitaires, ou encore
en ayant recours à des taxes et subventions (Facchini et Willmann 2001). Autrement dit, la
supériorité de cet état repose sur la démonstration que le libre-échange est potentiellement
Pareto supérieur à l’autarcie31 (Keenan et Snow 1999). Bien qu’il ne revienne pas à ce
mémoire d’analyser la validité des hypothèses supportant ces conclusions32, cet exemple est
intéressant, puisqu’il illustre la relation liant les fondements de la théorie du bien-être aux
projets de réformes inscrits dans le paradigme du marché libéral.
En somme, l’économie du bien-être repose sur trois notions fondamentales qui forment le
cœur du paradigme du marché libéral et structurent l’approche normative en matière
d’intervention gouvernementale dans l’économie33. Tout d’abord, l’efficacité à la Pareto
30
Mentionnons qu’un état « potentiellement Pareto supérieur » (PPS) n’implique pas en soi une augmentation
du bien-être. Cette amélioration n’est réelle qu’à condition que la compensation soit versée, à défaut de quoi
seule une augmentation de la richesse peut être observée (Kapstein 1998). En fait, de nombreux économistes,
en faisant référence à des concepts comme le « revenu réel agrégé », la « productivité potentielle » ou encore
« l’efficacité allocative », confèrent à un PPS une signification quasi-physique très controversée qui repose
nécessairement sur une interprétation – rarement assumée – du concept (Jongeneel et Koning 1999, p.9 et ss.).
31
Le principe de compensation se concentre sur les états attendus et non sur les états effectivement observés.
Keenan et Snow (1999, p.216) rappellent que « only in this manner can it be argued that free trade is socially
preferred to autarky, since the actual free-trade outcome need not Pareto dominate the actual outcome in
autarky. The reasoning is that, at least in principle, redistribution could always have been arranged so that
the free-trade outcome did Pareto dominate autarky, and the fact that this redistribution did not occur does
not detract from the economic case for free trade ». Ce résultat s’appuie sur le test de compensation de
Samuelson non exposé ici.
32
Ce résultat s’appuie entre autres sur des conditions de plein-emploi et une mobilité parfaite des ressources,
dont le réalisme été critiqué par certains auteurs. Voir Davidson & Matusz (2006).
33
Cette influence est particulièrement forte dans le cadre de la réforme de l’État providence et en commerce
international. Dans le premier cas, si l’analyse ne prend pas en compte l’effet des filets sociaux sur
23
constitue le point de référence auquel tout « état » économique doit être comparé. Ensuite,
le marché, dans sa perspective néoclassique, est l’institution la mieux à même d’atteindre
un état Pareto-optimal. Enfin, afin d’élargir la portée analytique du critère de Pareto, il est
nécessaire d’admettre que le changement d’un « état » à un autre cause des préjudices à
certains individus tout en bénéficiant à d’autres. Le changement sera privilégié seulement
s’il respecte le critère de compensation, autrement dit si les gains d’efficacité surpassent les
coûts, nonobstant les considérations relatives à la distribution des ressources. D’un point de
vue théorique, le transfert prévu est généralement un paiement forfaitaire34 dénué de coûts
de transaction.
Il est cependant admis que le versement effectif de cette « compensation » relève d’un
« jugement de valeur », car il n’est pas nécessaire à l’atteinte potentielle d’un état de bienêtre supérieur. Il importe de noter qu’en rendant optionnelle cette compensation, la théorie
concède la coexistence de gagnants et de perdants à la suite du changement proposé.
Compte tenu de l’influence du paradigme du marché libéral dans le processus de réforme
observé en agriculture et du rôle prépondérant occupé par l’économie du bien-être dans
l’analyse qui en est faite, ce constat apparaît déterminant. Pour cette raison, la place
occupée par cette théorie – et plus précisément par la logique induite par le « test de
compensation » – dans les processus réels de réformes doit être évaluée. Mais dans un
premier temps, il importe de considérer la nature des coûts pouvant être supportés par les
perdants à la suite de l’adoption de telles réformes.
2.3. Les effets préjudiciables des réformes de politiques
publiques
Selon le paradigme du marché libéral et ses fondements théoriques, une réforme est
souhaitable si les gains d’efficacité surpassent les coûts estimés. Dans les faits, la
réalisation des bénéfices attendus et l’équité de leur redistribution entre les intervenants
l’économie (moins d’incertitude et confiance dans l’État), un retrait des programmes gouvernementaux
impliquera nécessairement un gain potentiel important, mais omettra l’effet redistributif (Jongeneel et Koning
1999, p.7).
34
Suivant Larue et Gervais (2007, p.8), un paiement forfaitaire est défini comme un transfert qui ne cause pas
de distorsions au niveau des décisions de production et de consommation.
24
affectés demeurent des questions débattues (cf. Atkinson 1996; Letza et coll. 2004; Cornia
2005). L’existence de « perdants » au cours et suivant la réforme est toutefois chose
admise, tant d’un point de vue empirique que théorique. Bien que la nature et l’importance
des coûts imposés puissent varier selon les cas, leur existence apparaît souvent comme la
principale contrainte à l’agenda de réforme préconisé par les tenants du paradigme du
marché libéral (Matusz et Tarr 1999)35.
En fait, Brander et Spencer (1994, p.240), en se référant au théorème de StolperSamuelson36, rappellent que même dans un monde purement néoclassique, une réforme
occasionnera des pertes pour certains agents économiques. En effet, bien que le
fonctionnement d’une économie parfaitement compétitive n’admette pas d’inefficience
dans l’allocation des ressources, l’existence de coûts liés à l’ajustement est reconnue à
partir du moment où certaines hypothèses sur son fonctionnement sont abandonnées.
Trebilcock et coll. (1990) font ainsi référence aux coûts de dislocation lorsqu’une partie de
la production est perdue à cause de la rigidité de la mobilité des ressources, et de coûts
d’ajustement pour décrire les dépenses nécessaires à la réallocation des facteurs de
production dans l’économie. Bhagwati (1982, p.3-4), prenant l’exemple d’un ajustement
suivant une libéralisation des échanges, reconnaît aussi la présence de ces coûts, comme le
présente la Figure 1. Celle-ci schématise une économie avec deux biens, dont l’un est
importé et l’autre exporté. La libéralisation a alors pour effet de modifier les prix relatifs de
ces biens, déplaçant l’équilibre du point A au point C sur la frontière de production.
Toutefois, en admettant des coûts reliés à la mobilité des ressources, le parcours
d’ajustement passe à l’intérieur de la frontière. La transition est donc caractérisée par le
point B qui implique un coût social découlant d’une réduction de la production.
35
Kubota (2006, p.4) affirme d’ailleurs que les effets préjudiciables des réformes « sont l’une des principales
raisons pour lesquelles les pouvoirs publics ont du mal à réformer leurs politiques ».
36
Ce théorème, développé en commerce international, prédit que la libéralisation bénéficiera, dans une
économie donnée, aux secteurs détenant d’abondants facteurs de production, mais nuira à ceux en possédant
le moins. Ce constat est souvent cité dans la littérature sur la libéralisation des échanges (voir Davidson et
Matusz 2004, p.3-4).
25
Bien importé
Figure 1 : Ajustement lorsque les ressources ne sont pas parfaitement mobiles
A
B
C
Bien exporté
Source : Adapté de Bhagwati (1982)
Au point de vue de l’analyse, il importe de distinguer les coûts privés d’ajustement des
coûts sociaux. Ainsi, en se référant à la Figure 1, la transition du point A au point C induira
potentiellement des coûts privés (effet de redistribution), mais seule la diminution de la
production passant par le point B sera considérée comme un coût social (perte d’efficacité).
Notons que la distinction entre ces deux composantes joue un rôle fondamental dans les
analyses menées dans le cadre de l’économie du bien-être. En effet, les mesures effectuées
pour le « test de compensation » ne tiennent compte, dans les faits, que des coûts sociaux et
non de la distribution des coûts privés (Matusz et Tarr 1999, p.3). Conséquemment, une
réforme peut être jugée souhaitable malgré d’importants coûts privés37. Ajoutons que la
définition normative des mécanismes d’intervention et de leurs bases justificatrices –
exposées à la section suivante – repose aussi sur cette distinction.
L’existence de tels coûts est commune à tous les secteurs économiques, mais peut toutefois
affecter de façon particulière l’agriculture, compte tenu de la nature distinctive de la
production et du niveau de protection élevé dont ce secteur a bénéficié au cours des
37
Les coûts privés sont variés et affectent à la fois les firmes, les individus et les communautés. Ils
proviennent aussi bien d’une dévalorisation des actifs, d’une réduction des revenus fonciers, ou encore d’une
perte d’ancienneté. S’y ajoutent également les effets psychologiques (cf. Trebilcock et coll. 1990, p.10).
26
dernières années. Ainsi, en abordant le cas précis d’une réforme d’une politique agricole,
Martini (2007) décrit de la manière suivante les effets préjudiciables possibles :
« Les politiques agricoles peuvent être capitalisées dans la valeur des actifs,
en particulier la terre et des éléments de patrimoine tels que les quotas. Pour
les agents économiques du secteur – agriculteurs, salariés agricoles et
industries d’amont ou d’aval – la réforme peut se traduire par une baisse de
revenu ou une perte d’emploi. Les agriculteurs peuvent être dans
l’impossibilité de recouvrir le coût de leurs investissements si une réforme
en modifie les rendements, en particulier lorsque la politique qui vient d’être
réformée favorisait l’investissement » (p.3).
Cette citation met en évidence le nombre et la diversité des contrecoups possibles suivant
une réforme d’une politique agricole, aussi bien en amont du secteur qu’en aval. La Figure
2, adaptée des travaux de Blandford et Boisvert (2007) sur les réformes des politiques
agricoles, en offre une lecture plus systématique, bien que simplifiée. En prenant l’exemple
d’une diminution des prix de soutien, les auteurs distinguent les chocs économiques
envisageables, des groupes pouvant être affectés et des ajustements possibles.
Figure 2 : Réforme d'une politique agricole et enjeux d'ajustement
Révision
de la politique
Conséquences économiques
Groupes
affectés
Enjeux de
transition
Capacité de
gestionnaire
Contrepoids
Agriculteurs
Travail
hors-ferme
↓ Soutien
↓ Revenus
agricoles
↓ Valeur
de location
↓ Valeur
des capitaux
Relocalisation
Retraite
Contrepoids
↑-↓ Prix à
la production
Filet de
sécurité
↑-↓ Prix
des intrants
Propriétaires
Source : Adapté de Blandford et Boisvert (2007)
↓ du niveau
de vie
27
Ainsi, les revenus agricoles apparaissent comme le principal facteur pouvant être affecté,
mais le sont également la valeur des actifs fixes (ex. : la terre) que ce soit directement, ou
encore indirectement par le biais de la réduction de la capitalisation des entreprises. Il est en
effet admis que le soutien accordé à l’agriculture se transpose généralement dans le prix des
actifs fixes (cf. Floyd 1965). Selon la nature de la réforme, les actifs légaux, tels les quotas,
peuvent être tout particulièrement dévalorisés. Certains actifs agricoles quasi-fixes
(bâtiments – machinerie), de part leur spécificité, peuvent également accroître l’importance
des pertes. Notons que différents paramètres économiques, comme l’évolution des prix à la
production et ceux des intrants, pourront accentuer ou atténuer l’ampleur des chocs, rendant
ainsi très complexe l’évaluation des conséquences économiques d’une réforme.
La partie droite du schéma trace quant à elle la relation existant entre les pertes anticipées et
les groupes affectés. Notons que Martini (2007, p.20) ajoute aux agriculteurs et
propriétaires fonciers représentés sur le schéma, les employés agricoles. En effet, ces
derniers peuvent être libérés par la réforme et faire face à des pertes salariales et à des frais
de relocalisation significatifs38.
S’impose alors la question de l’ajustement, qui peut se définir comme le processus de
réallocation des ressources individuelles afin de s’adapter au changement (Hopkins et coll.
2007, p.192). Cette aspect est intéressant, car si la littérature économique traite
abondamment des conséquences des réformes, les enjeux relatifs à la transition sont
rarement abordés39 (Levy et Vanwijnbergen 1995, p.739). À cet égard, l’ajustement
structurel, soit le rythme auquel les producteurs abandonnent la production, représente pour
Blandford et Boisvert (2007, p.241) le principal enjeu de la transition, bien que d’autres
paramètres soient aussi à considérer. En fait, la capacité d’ajustement du secteur, autrement
dit la facilité avec laquelle les intervenants s’adaptent au nouvel environnement
38
La littérature dédiée aux coûts d’ajustement découlant des réformes s’est d’ailleurs essentiellement
concentrée sur l’analyse de ceux affectant la main-d’œuvre à la suite d’une libéralisation commerciale.
39
Quinn et Trebilcock (1981, p.1) rappellent d’ailleurs que les analyses économiques conventionnelles, en se
limitant à mesurer les gains et les coûts, sous-estiment souvent le processus d’implantation de la réforme. Par
exemple, des évènements imprévus peuvent survenir dans le courant du processus et alors affecter les
retombées attendues.
28
économique, est le facteur qui déterminera dans quelle mesure les retombées de la réforme
seront positives ou négatives pour le secteur et l’économie en général (Rodrik 1989)40.
C’est donc dans le but de faciliter cet ajustement ou encore de pallier les pertes
occasionnées qu’est alors envisagé le recours à une politique de transition de la part des
gouvernements. La prochaine section propose une description des différentes approches
décrites dans la littérature.
2.4. Mesures de transition envisageables suivant une réforme :
une conceptualisation
Afin de suppléer aux pertes induites par les réformes41 et de réduire leurs conséquences
possibles sur le développement du secteur, le recours à des aides gouvernementales est
souvent envisagé. Dans cette perspective, une vaste gamme d’interventions s’offre au
législateur, variant tant au niveau des objectifs pouvant être poursuivis que des modalités
du soutien pouvant être adoptées.
Pour cette raison, le concept de mesure de transition est proposé. Dans le cadre de ce
mémoire, une mesure de transition est définie comme toute intervention prévue et adoptée
préalablement ou à la suite d’une réforme d’une politique publique. Ce concept n’englobe
ici que les mesures accompagnant spécifiquement la réforme du secteur concerné et exclut
les modalités rattachées à la façon dont cette dernière est menée. Autrement dit, des
programmes de soutien universel et permanent – tel l’assurance chômage – ne sont pas
considérés. De même, les actions relatives au déroulement de la réforme, que Orden et
Diaz-Bonilla (2004) nomment « stratégies de réforme », ne sont pas reconnues comme des
40
Rodrick (1989, p.1) résume le principe d’une réforme de la façon suivante: « Consumer benefits aside,
trade reform works only to the extent that it moves resources away from sectors where they are less
productive […] and into sectors where they will be more productive […]. Hence the success of trade reform
can be measured by the extent to which entrepreneurs move labour and capital in response to the reform ».
41
Soulignons que notre analyse ne s’arrête pas à un type de réforme en particulier, bien que nous nous
intéressons à celles qui s’inscrivent dans le paradigme du marché libéral. Ainsi, à l’instar de Martini (2007),
les réformes considérées « peuvent être une diminution de toute forme d’aide budgétaire interne, toute
réduction du soutien des prix, y compris dans le cadre d’un accord commercial qui réduit la protection aux
frontières, ou toute nouvelle obligation réglementaire qui alourdit les charges des producteurs » (p.8).
29
mesures de transition42, mais plutôt comme un type de facteur contextuel au même titre que
les causes menant à la décision de réformer la politique en question. Certaines interventions
visant à faciliter la transition d’un secteur réformé, comme les mesures tarifaires et les
politiques macroéconomiques, ne sont pas non plus considérées43 (cf. Trebilcock et coll.
1990; Harris 2005). Cette perspective, tout en limitant la portée de l’analyse, permet
toutefois de circonscrire l’étude des réponses gouvernementales accompagnant une réforme
aux mesures les plus significatives et pertinentes.
Une fois la gamme d’interventions délimitée, il importe dans un deuxième temps de les
différencier les unes par rapport aux autres. En effet, bien que le soutien prévu dans le cadre
d’une réforme soit couramment considéré comme étant une compensation, les mesures de
transition se distinguent significativement par les objectifs et les effets sur lesquels elles se
fondent. De fait, il est possible d’en recenser quatre types distincts dans la littérature
économique, soit la mesure d’ajustement, celle d’indemnisation – aussi dite de
compensation44 – celle d’assistance et enfin, la réinstrumentation (cf. Brander et Spencer
1994; Harris 2005; Kubota 2006; Blandford et Hill 2007; Larue et Gervais 2007; Martini
2007). Il importe ici de les différencier. Une synthèse de leurs principales caractéristiques
est exposée au Tableau 1 à la fin de la section.
2.4.1 La mesure d’ajustement
La mesure d’ajustement a pour finalité d’agir sur le rythme et le degré d’adaptation du
secteur à la suite de la réforme de la politique en vigueur. Du point de vue économique,
cette mesure sert à faciliter la transition d’un équilibre à un autre en assouplissant les
42
Il est, par exemple, possible d’agir sur le rythme auquel la réforme est menée. Ainsi, en étudiant le cas
d’une libéralisation tarifaire, Mussa (1984) a démontré que le fait d’ajuster le rythme d’ouverture des marchés
permettait, dans certains cas, d’augmenter l’efficacité du processus d’ajustement. Kaplow (Kaplow 1986;
2003) cite d’autres types d’approches, dont l’affranchissement (exclusion des individus soumis à l’ancienne
politique), l’implantation partielle (similaire au gradualisme) et le report de l’implantation. Aucune n’est ici
considérée comme une « mesure de transition ».
43
Les obligations commerciales internationales du Canada rendent difficilement envisageable le recours à des
mesures tarifaires (bien que des clauses de l’Accord sur l’agriculture puissent permettre certaines actions),
tandis que les politiques macroéconomiques (taux d’intérêts, taux de change, etc.) sont surtout considérées
dans le cadre de réformes globales entreprises dans les pays en développement (Stiglitz et Charlton 2006).
30
contraintes affectant la mobilité des ressources (Larue et Gervais 2007, p.2). Il est possible
de distinguer les mesures d’ajustement à caractère « économique » de celles à caractère
« légal ». Ces dernières prennent la forme de modifications apportées aux lois et règlements
encadrant le secteur réformé. Elles constituent des mesures d’ajustement dans la mesure où
elles favorisent le fonctionnement du marché en permettant une plus grande mobilité des
capitaux physiques45, favorisant du même coup le passage d’un équilibre économique à un
autre (Trebilcock et coll. 1990).
Les mesures à caractère « économique », plus communes, sont « specifically and explicitly
channelled into concrete, definable and defensible adjustment activities such as specific
investments in infrastructure, better marketing, help to provide public environmental
services, provision of information, diversification or training » (Buckwell et coll. 1998).
Plus précisément, elles sont classées par Kubota46 (2006, p.4-5) en deux catégories, selon
leurs effets attendus. Ainsi, les premières, pouvant être dites structurelles, cherchent à aider
les producteurs à quitter le secteur ou à se reconvertir en partie dans des activités non
agricoles. Elles regroupent des programmes de retraite anticipée ou encore de formation
visant à développer des compétences autres qu’agricoles. Paradoxalement, cette catégorie
d’intervention peut aussi viser à prévenir la restructuration du secteur, si celle-ci est jugée
non souhaitable au point de vue de l’efficacité économique47 (Trebilcock et coll. 1990;
Evans-Klock et coll. 1999). Cette approche – peu commune – s’applique surtout à la main-
44
Le recours au concept de compensation peut cependant porter à confusion. En effet, certains programmes
de soutien développés aux États-Unis ou en Europe, comme les paiements compensatoires, y font référence,
mais dans un autre contexte. Pour cette raison, le terme « indemnisation » est privilégié.
45
Blandford et Hill (2007, p.264) rappellent d’ailleurs le rôle vital que joue la mobilité des facteurs de
production – particulièrement la terre – lors du processus de restructuration suivant une réforme, car un
transfert aisé de ces facteurs est nécessaire à ceux souhaitant quitter le secteur. Des règlements de zonage ou
des contrats d’achat trop restrictifs peuvent nuire à l’ajustement.
46
Notons que cette catégorisation de recoupe celle proposée par Blandford et Hill (2007), qui classent les
mesures d’ajustement selon les individus qu’elles concernent – les employés, les firmes et la collectivité – et
selon leurs conséquences structurelles.
47
Des chocs économiques peuvent impliquer à court-terme une restructuration inefficace du capital et du
travail s’il est anticipé que la demande pour ces facteurs pourra s’accroître par la suite (Lawrence et Litan
1986, p.20-1). Le fait de subventionner la production et de maintenir des emplois peut aussi se révéler moins
coûteux qu’une augmentation du chômage et des prestations publiques à verser qui s’ensuivent.
31
d’œuvre au sein des entreprises et peut prendre la forme d’une prise en charge d’une partie
des salaires lors d’une récession48.
La seconde catégorie d’interventions vise quant à elle à améliorer la compétitivité ou la
viabilité des exploitations qui choisissent de demeurer en production en misant sur la
quantité et la qualité du stock de capital disponible. Elles se divisent elles-mêmes en deux
groupes, soit celles apportant un soutien individuel, tel des prêts temporaires, et celles qui
sont destinées à la collectivité dans son ensemble, comme des aides au développement des
infrastructures agricoles. Mentionnons que de façon générale, les mesures à caractère
« économique » visent à faire face aux répercussions à court et moyen terme des réformes
et n’impliquent pas nécessairement un transfert monétaire direct (Martini 2007). La Figure
3 présente les différentes facettes d’une mesure d’ajustement.
Figure 3 : Les différents types de mesure d'ajustement
Mesure
d’ajustement
Interventions économiques
Structurelle
Sortie
Diversification
extra-sectorielle
(Formation)
Abandon
(Retraite)
Interventions légales
Compétitivité
Maintien
Collective
Ralentir la
restructuration
des capitaux
(Charges
salariales)
Stock
(Financement
d’infrastructure)
Stock
(Prêts
temporaires)
Qualité
(Institution à la
commercialisation)
Qualité
(Formation)
Individuelle
Conditions de marché
Modifications au cadre
réglementaire régissant
les conditions de
marché influençant la
mobilité des capitaux
(impôt sur le capital)
Source : Conceptualisation développée à partir des travaux de Blandford et Hill (2007), Kubota (2006), Larue
et Gervais (2007), Martini (2007), Trebilcock et coll (1990) et Harris (2005).
48
Un exemple appliqué à l’agriculture est donné par Harris (2005, p.9), qui cite le Exceptional Circumstances
Program australien qui vise à soutenir les producteurs « viables » pour des pertes dues à des situations
climatiques allant au-delà d’une gestion du risque normale.
32
2.4.2 La mesure d’indemnisation
La mesure d’indemnisation se définit comme un transfert monétaire direct versé à un
groupe ciblé d’individus ayant subi un préjudice (Larue et Gervais 2007; Martini 2007).
Cette mesure est caractérisée par son caractère temporaire (date de cessation connue),
qu’elle soit accordée en une seule occasion ou encore répartie en plusieurs versements. Elle
se distingue également par sa nature inconditionnelle. En effet, une indemnisation, telle que
définie dans ce mémoire, ne doit être liée à aucune obligation d’ajustement de la part du
bénéficiaire49. Conséquemment, l’impact structurel attendu par cette mesure ne sera pas le
même que celui découlant d’une mesure d’ajustement, bien que l’indemnisation puisse
contribuer significativement à la restructuration du secteur (Blandford et Hill 2007, p.267).
De fait, Harris (2005) considère que cette mesure présente un fort degré d’incitation à
l’ajustement, car l’absence de « conditions » laisse le bénéficiaire choisir librement de son
avenir, là où les mesures conditionnelles sont restrictives.
Il est possible de distinguer les indemnités versées pour compenser la perte de revenu, de
celles visant à pallier la réduction de la valeur des actifs ou encore de celles suppléant aux
frais incombant de la transition, tels que les coûts administratifs (Blandford et Berkeley
2007, p.266; Martini 2007). Elles peuvent soit être octroyées à l’opérateur de l’entreprise
(l’agriculteur) ou encore aux propriétaires des actifs dévalorisés, si une distinction existe
entre ces individus. Notons que dans la mesure où le soutien gouvernemental tend à se
capitaliser dans les actifs fixes, la compensation des revenus permet indirectement
d’indemniser pour la dévalorisation des actifs.
Bien que peu communes dans le cadre des réformes agricoles selon Blandford et Boisvert
(2007, p.242), les indemnités constituent néanmoins un type d’intervention couramment
utilisé dans le cadre de réformes réglementaires, telles que les expropriations (cf. Blume et
Rubinfeld 1984; Miceli et Segerson 1995), le renforcement des normes environnementales
49
L’aspect inconditionnel d’une indemnité ne doit pas être confondu avec les conditions d’éligibilité. Ainsi,
pour être dédommagé pour un actif dont la valeur a été dépréciée à la suite d’une réforme, un propriétaire peut
être tenu d’avoir posséder ce dernier au cours d’un nombre minimal d’années, sans pour autant être obligé
d’adopter un comportement restructurant, comme d’abandonner la production par exemple.
33
(cf. Doyon et Nolet 2006), ainsi qu’à la suite de catastrophes naturelles (Vorstenbosch
2000; OCDE sd).
2.4.3 La mesure d’assistance
Dans le cas où une aide monétaire directe est octroyée sous conditions d’ajustement, il est
alors nécessaire de se référer à la notion d’assistance (cf. Quinn et Trebilcock 1981;
Brander et Spencer 1994), également définie comme une mesure d’assistance
transitionnelle à l’ajustement par Buckwell et coll. (1998). De fait, ce type de mesure a
pour objectif combiné d’offrir un dédommagement financier aux individus pénalisés et de
promouvoir l’ajustement par le marché (Aho et Bayard 1984)50, la pondération de chaque
composante variant selon le modèle de conception51.
L’exemple le plus cité dans la littérature est celui du Trade Adjustment Assistance Program
(TAA) américain dont l’objectif est d’assister les travailleurs délocalisés par l’effet de la
libéralisation commerciale, ainsi que les firmes dans leurs démarches pour engager de la
main-d’œuvre52. Une aide est alors versée sous condition que le bénéficiaire participe à des
formations et qu’il entreprenne des démarches pour se relocaliser53 (cf. Baicker et Rehavi
2004). Puisqu’une part importante de la littérature traitant des mesures d’assistance se
réfère au TAA, le traitement normatif qui en est fait s’intéresse donc essentiellement à des
programmes affectant les salaires et la mobilité de la main-d’œuvre54 qui se transposent
50
Aho et Bayard (1984), en étudiant le TAA, ajoutent un troisième objectif, soit celui de faciliter la
libéralisation commerciale. Ce dernier ne s’applique toutefois pas à tous les cas de figure.
51
Notons que la composante « d’indemnité » d’une mesure d’assistance vient souvent en conflit avec celle
dite « d’ajustement ». En effet, comme l’indique Quinn et Trebilcock (1981, p.46) « one of the surest ways to
bring about adjustment is to provide no assistance, and many particular forms of assistance, aimed at
compensating for the burdens imposed by trade liberalization, dampen the incentive to adjust ». Plusieurs
auteurs rappellent l’importance de concevoir des programmes spécifiques pour chaque objectif visé et qu’il
n’est pas judicieux de rechercher à la fois, par le biais d’une seule mesure, à restructurer un secteur tout en
indemnisant les individus pour les pertes subies (Weber 1997; Martini 2007). Traitant du Trade Adjustment
Assistance américain, Quinn et Trebilcock (1981, p.46) affirment d’ailleurs que « the crux of these design
problems lies in the fundamental incompatibility of 'assistance' and 'adjustment' ».
52
Notons cependant que ce programme ne rentre pas dans notre définition de « mesures de transition »,
puisqu’il s’est institutionnalisé au fil des années et ne représente plus une mesure spécifique à une réforme
particulière.
53
Jusqu’en 2007, ce programme offrait une aide spécifique au secteur agricole prenant la forme d’une
assistance technique (mesure d’ajustement) et de subventions (mesure d’indemnisation).
54
Les principales sont : les compensations au chômage, les subventions salariales et le soutien à la
réembauche (cf. Davidson et Matusz 2006; Davidson et coll. 2007).
34
difficilement à la réalité d’une réforme agricole (Blandford et Boisvert 2007, p.258; Larue
et Gervais 2007).
Malgré tout, nombreux sont les auteurs étudiant les réformes agricoles qui privilégient le
recours à une mesure de transition combinant à la fois une composante d’indemnisation et
des objectifs d’ajustement structurel (cf. Levy et Vanwijnbergen 1995; Buckwell et coll.
1998; Swinbank et Tranter 2004; Blandford et Hill 2007). Toutefois, « l’assistance » est
rarement distinguée en tant que mesure de transition à part entière dans cette littérature, car
ses caractéristiques la positionnent indistinctement entre la mesure d’ajustement et celle
d’indemnisation. Ces auteurs préfèrent ainsi attribuer à l’indemnité (ajustement) un rôle
explicite d’ajustement (d’indemnisation) plutôt que de se référer à une notion tierce.
Cette distinction est néanmoins jugée souhaitable dans le cadre de ce mémoire. En effet,
bien qu’une indemnité puisse contribuer à l’ajustement du secteur si les fonds versés sont
utilisés pour améliorer la productivité, au même titre qu’une mesure d’ajustement puisse
avoir un caractère compensatoire si elle dédommage les victimes de la réforme, ces effets
ne reflètent pas leur véritable finalité. Ainsi, Magee (2001), en se référant à l’exemple du
TAA, démontre que ce programme vise autant à faciliter la mobilité de la main-d’œuvre
qu’à venir en aide à des catégories d’employés pénalisés par la libéralisation commerciale.
L’introduction de la mesure d’assistance vient ainsi clarifier la catégorisation des mesures
de transition, tant au niveau normatif qu’empirique55.
2.4.4 La réinstrumentation
S’ajoute enfin un dernier type de mesure de transition, soit la réinstrumentation, qui se
définit comme « le remplacement d’un instrument d’action par un autre pour continuer à
poursuivre un même objectif »56 (Martini 2007, p.7). Contrairement aux trois mesures
précédentes, cette dernière n’est pas nécessairement transitoire et peut être mise en place,
55
Cette différenciation est d’autant plus nécessaire que ces différents types de mesures sont des concepts
étroitement liés non seulement en pratique, mais aussi théoriquement. Ainsi, Larue et Gervais (2007) vont
jusqu’à considérer l’indemnisation comme une mesure spéciale d’ajustement. Une telle généralisation rend
cependant l’analyse des cas empiriques beaucoup plus grossière.
56
Harris (2005) fait quant à lui référence au concept de « support compensatoire à long-terme » pour définir
l’approche de remplacer un soutien initial par un autre type de support sur une longue période.
35
suivant une réforme, pour une période indéterminée. De même, cette approche peut
impliquer l’élargissement au secteur réformé de l’intervention d’un programme existant ou
encore la mise sur pied d’une nouvelle gamme de mesures.
Dans le cas où la politique d’intervention initiale est remplacée par un système de
paiements directs, Orden et Dìaz-Bonilla (2004, p.298) font référence au concept de
« rachat du soutien »57, qu’ils définissent comme un processus graduel et partiel réduisant
l’intervention de l’État sur les marchés en échange d’une compensation financière directe,
continuelle et découplée des choix de production. Cette approche a d’ailleurs caractérisé les
programmes de réforme observés aux États-Unis et en Europe au cours des dernières
années58.
2.4.5 Sommaire des mesures de transition envisageables
Cette section s’est intéressée à circonscrire et à définir les modes d’intervention
envisageables afin de pallier les pertes pouvant découler des réformes de politique
publique. Plus précisément, le concept de « mesure de transition » a été développé et quatre
types de mesure ont été catégorisés, soit celles d’ajustement, d’indemnisation, d’assistance
et enfin, de réinstrumentation.
Force est de constater que la distinction entre ces mesures est primordiale, puisque leur
conception repose sur différents fondements, ne serait-ce qu’au niveau des finalités
attendues. Cette catégorisation, exposée au Tableau 1, constitue, conséquemment, un outil
permettant de conceptualiser la façon dont un gouvernement choisit d’intervenir lors d’une
réforme. Son intérêt est de première importance dans le cadre de ce mémoire, puisqu’il est
proposé de cerner la nature des interventions pouvant être adoptées dans l’éventualité d’une
réforme du secteur laitier canadien. Notons que cette analyse – menée à partir
d’expériences de réformes antérieures – est effectuée aux chapitres 4 et 5.
57
Traduction libre de l’expression « cash-out » proposée par les auteurs.
Notons cependant que selon Swinbank et Tranter (2004), les paiements compensatoires européens auraient
été conçus, à l’origine, comme une indemnisation temporaire, de même, d’ailleurs, que les Production
Flexibility Contract (PFC) américains adoptés en 1996 pour une période de cinq ans – mais maintenus en
place à ce jour.
58
36
Avant de procéder à cette analyse empirique, il reste cependant à examiner s’il est possible,
sur une base normative, d’anticiper le recours à de telles actions. En effet, sachant que les
principes du paradigme du marché libéral, appuyés sur les fondements de l’économie du
bien-être, jouent un rôle prépondérant dans le courant de réforme actuel en agriculture, il
importe de définir les principes économiques encadrant l’intervention gouvernementale à la
suite d’une réforme, ainsi que d’évaluer leur portée explicative. La prochaine section
aborde ces enjeux.
Tableau 1 : Description des caractéristiques des principales mesures de transition
Types de mesure
de transition 1
Définitions retenues
Ajustement
Intervention agissant sur le rythme
et le degré d’adaptation du secteur
à la suite de la réforme d’une
politique en vigueur.
Cond. de marché
(type légal)
Structurelle
(type économique)
Compétitivité
(type économique)
Modifications apportées au cadre
réglementaire régissant les
conditions de marché afin
d’assurer une meilleure mobilité
des capitaux
Dispositifs destinés à aider les
individus à quitter le secteur ou à
se diversifier. Compte aussi des
mesures visant à assurer le
maintien de certains capitaux dans
le secteur
Soutien apporté à l’individu ou à
la collectivité afin d’améliorer la
compétitivité des entreprises
demeurant en activité en misant
sur le stock et la qualité du capital.
Principales
caractéristiques
Principaux auteurs
(description
normative)
• Kubota 2006;
• Soutien financier et
réglementaire
direct ou indirect;
• Blandford et
Berkeley 2007;
• Échéance de court
à moyen terme;
• Larue et Gervais
2007;
• Objectifs explicites
de réallocation des
ressources du
secteur.
• Martini 2007;
• Trebilcock et
coll. 1990.
• Harris 2005
37
Transfert monétaire direct octroyé à
une catégorie ciblée ayant subi un
préjudice suivant la réforme d’une
politique publique. S’applique :
Indemnisation
aux pertes de revenus;
à la dévalorisation d’actifs;
aux charges incombant de
la réforme.
Est versée :
•
•
•
•
•
Assistance
Réinstrumentation
à l’opérateur de
l’entreprise;
au propriétaire des actifs.
Mesure ayant pour objectif combiné
de dédommager les individus
pénalisés par la réforme et de
promouvoir l’ajustement par les
forces du marché.
Remplacement d’un instrument
d’action par un autre pour continuer
à poursuivre un même objectif.
Définie comme un « rachat du
soutien » si la politique initiale est
remplacée par un paiement direct.
• Inconditionnelle à
une décision
d’ajustement;
• Aucune attente
prédéterminée en
matière
d’ajustement;
• Transfert
monétaire direct;
• Blandford et
Berkeley 2007;
• Larue et Gervais
2007;
• Martini 2007.
• Harris 2005
• Date de cessation
connue.
• Soutien direct et
temporaire
(= indemnisation);
• Versement
conditionnel à un
ajustement
(= ajustement).
• Nouveau
programme ou
élargissement
d’une intervention
existante;
• Similaire à
l’indemnisation
(si paiement
direct);
• Brander et
Spencer 1994;
• Buckwell et coll.
1998.
• Quinn et
Trebilcock,
1981
• Ayo et Bayard
1984
• Martini 2007;
• Orden & DìazBonilla 2004.
• Harris 2005
• Aucune limite à la
durée de
versement.
1
Les mesures de transition considérées sont celles prévues et adoptées préalablement ou à la suite d’une
réforme d’une politique publique et développées spécifiquement à cet effet. Cette définition exclut les
« stratégies de réforme », les mesures tarifaires et les politiques macroéconomiques.
2.5. Les bases justificatrices du recours aux mesures de
transition
Il est difficile de concevoir une activité gouvernementale qui ne présente pas un enjeu lié de
près ou de loin à un processus de transition. En fait, « toute modification d’un programme,
38
d’une politique ou d’une institution peut être jugée comme une réforme de l’action
publique » (Martini 2007, p.8) et comme Kaplow (1986, p.516) le rappelle, « all activity
other than immediate consumption is potentially affected by changes in government
policy ». Autrement dit, il existe une multitude de situations où l’action gouvernementale
impose une forme ou une autre d’ajustement aux individus.
La reconnaissance de l’omniprésence de « réformes » dans la marche courante des affaires
de l’État ne suffit toutefois pas à justifier le recours à des mesures d’ajustement ou
d’indemnisation pour chacune d’elles. De fait, les producteurs agricoles sont constamment
confrontés au défi de l’ajustement, qu’il provienne de la volatilité des prix ou des aléas
climatiques, et de nombreuses ressources, institutionnelles ou autres, sont à leur disposition
pour y faire face (Hopkins et coll. 2007). Les interventions à la suite d’une réforme n’en
demeurent pas moins chose courante et la littérature économique s’est attardée à expliquer
ce phénomène.
En fait, il est généralement admis, dans la littérature, qu’il existe trois raisons pouvant
supporter l’utilisation de mesures de transition lors d’une réforme. La première a trait à
l’efficacité, la seconde à l’équité et la troisième, à des considérations politiques. Ces
aspects, tout en n’étant pas les seuls pouvant être invoqués59, servent constamment de point
d’appui à l’analyse économique des réformes de politiques publiques et des réponses
gouvernementales subséquentes (Quinn et Trebilcock 1981; Aho et Bayard 1984; Lawrence
et Litan 1986; Trebilcock et coll. 1990; Magee 2001; Blandford et Berkeley 2007; Larue et
Gervais 2007).
Il importe de constater que ces trois principales justifications sont, dans les faits, des
concepts devant être étudiés au travers de théories développées en économie et en sciences
sociales. Par exemple, alors que les considérations politiques sont généralement analysées
par le biais du Public Choice, le cadre de l’économie du bien-être se révèle quant à lui
pertinent pour aborder les questions relatives à l’efficacité et à l’équité. Ajoutons également
59
Martini (2007), dans son étude sur le rôle des indemnisations dans le processus de réforme, y ajoute la
question des obligations d’ordre juridique. De même, des enjeux moraux – pouvant être liés à la question de
l’équité – sont aussi quelques fois soulevés (Quinn et Trebilcock 1981; Trebilcock et coll. 1990;
Vorstenbosch 2000; Moulin 2003). Des aspects institutionnels, que ce soit au niveau de la structure des
organisations qu’au niveau des précédents historiques, jouent également un rôle.
39
que ces justifications sont liées aux mesures de transition décrites à la section précédente.
De fait, il est généralement admis que les mesures d’ajustement visent à réduire les coûts
sociaux découlant d’une réforme sur la base de considérations liées à l’efficacité
économique, tandis que le recours aux indemnisations est davantage motivé par des
considérations d’équité (voir Blandford et Berkeley 2007; Larue et Gervais 2007, p.3).
Compte tenu de l’objectif de ce mémoire, il importe d’évaluer si ce lien, ainsi que les
explications proposées, suffisent pour anticiper les réponses gouvernementales pouvant être
mises de l’avant à la suite d’une réforme. Pour ce faire, cette section expose la façon dont
ces justifications normatives sont interprétées, en lien avec l’intervention gouvernementale.
Les arguments de base sont présentés et les limites – pour les fins de ce mémoire – de cette
démarche normative sont mises en évidence.
2.5.1 L’efficacité en tant que justification
2.5.1.1 Signification de la justification
Comme le posent simplement Aho et Bayard (1984, p.157), « the efficiency argument for
government intervention in the adjustment process is that market imperfections or
externalities prevent or impede efficient adjustment ». De fait, la perspective néoclassique
de l’économie laisse peu de place à l’intervention gouvernementale accompagnant une
réforme puisque advenant un changement dans les conditions de marché, ce modèle
suppose que les prix et l’équilibre s’ajusteront rapidement, en n’occasionnant aucun coût à
la société (Blandford et Berkeley 2007, p.255). Il a par ailleurs été démontré à la section 2.3
que l’existence de certains coûts sociaux est possible dû à la présence d’imperfections de
marché dans l’économie.
Mussa (1982), dans ses travaux sur le processus d’ajustement suivant une libéralisation
commerciale, rappelle que face à de telles défaillances, il est possible d’avoir recours à une
politique optimale (de premier rang) ciblant spécifiquement les distorsions observées de
façon à assurer l’allocation efficace des ressources. Dans la mesure où une telle politique ne
peut être adoptée, l’auteur reconnaît qu’il est également possible d’intervenir – sous
40
certaines conditions – dans le processus d’ajustement afin d’atteindre des états dits de
« second rang »60. Il souligne d’ailleurs que « the general theory of policy intervention
suggests that government policies to improve the efficiency of the adjustment process
should be directed to correcting distortions that induce the privately perceived costs or
benefits » (p.85). Autrement dit, l’objectif d’une intervention efficace vise à créer un
environnement économique dans lequel des agents rationnels et maximisant leurs intérêts
sont en mesure de prendre des décisions d’investissement éclairées relativement aux coûts
et aux gains attendus de l’ajustement61 (Breyer 1982, p.25).
C’est ainsi que Bhagwati (1982), qui reconnaît trois types de coûts d’ajustement, soit ceux
liés à l’utilisation des ressources nécessaires à la transition, ceux provenant du manque de
mobilité des ressources et ceux découlant des imperfections du marché, affirme que seul
ces derniers peuvent justifier une intervention de la part du gouvernement sur la base de
l’efficacité. Une perspective similaire – mais plus élargie – a été adoptée par Blandford et
Hill (2007, p.256-7), qui reconnaissent trois justifications possibles pouvant admettre, sur la
base de l’efficacité, une intervention auprès des agents affectés : la présence de défaillances
de marché, l’émergence d’une compétition imparfaite et la minimisation des coûts sociaux
d’ajustement potentiellement évitables. Plusieurs travaux, appliqués à l’impact de la
libéralisation commerciale sur la main-d’œuvre, ont ainsi démontré que de tels coûts
peuvent être minimisés – sous certaines hypothèses – grâce à l’adoption d’une intervention
efficace62 (cf. Riordan et Staiger 1993; Barry 1995).
60
Comme l’indique Neary (1982, p.40), « the case for assistance is essentially a second-best one ». En effet,
les conditions théoriques nécessaires au développement d’une politique efficace (de premier rang) sont peu
réalistes, car le financement d’une intervention comporte souvent un coût. Certains auteurs considèrent
l’atteinte d’une allocation optimale impossible, ce qui implique, au mieux, un « second-best world » (cf.
Harris 2005). Lipsey (2007, p.356) note par ailleurs que « without a model of the general equilibrium that
contains most let alone all of the […] sources [i.e échecs de marché], we […] cannot calculate the second
best optimum setting for any one source that is subject to policy change ». La validité de cette perspective est
ainsi l’objet à de vives controverses.
61
Mussa (1982, p.84) affirme d’ailleurs que « private maximizing behaviour will lead to a socially efficient
adjustment process provided that the prices of outputs and factors and the discount rate perceived by private
agents correspond to their true social values and provided that the expectations that influence private
decisions about adjustment are rational ». Cette perspective repose toutefois sur de très fortes hypothèses
théoriques.
62
Les imperfections les plus souvent observées dans la littérature sur les coûts d’ajustement sont celles
relatives à la rigidité des salaires, à la congestion des marchés et à l’asymétrie de l’information (voir Riordan
et Staiger 1993; Barry 1995). Leur transposition au cas de réformes agricoles est toutefois hasardeuse.
41
Notons que cette perspective néoclassique implique également que du point de vue de
« l’efficacité », une mesure de transition peut ne pas être souhaitable. De fait, l’existence de
défaillances de marché ne justifie pas, en soi, une intervention publique. Dans certains cas,
une défaillance de marché peut être tolérée « car la perte de bien-être qui en résulte pour la
société est souvent acceptable et inférieure à celle produite par les dysfonctionnements des
gouvernements » (Weber 1997, p.30)63. En effet, le financement de ces mesures comporte
un coût – administratif ou de transaction – qui est non nul64, réduisant du coup l’efficacité
de la mesure adoptée. Ces coûts peuvent d’ailleurs être particulièrement élevés dans le cas
d’une mesure de transition, dû au besoin d’identifier les perdants et d’évaluer leurs pertes
(Quinn et Trebilcock 1981, p.32).
2.5.1.2 Portée de la justification
Force est de constater que « l’efficacité » en tant que justification peut légitimer le recours à
une mesure d’ajustement lors d’une réforme. Il apparaît toutefois plus hasardeux de
justifier, sur cette même base, le recours à des mesures de transition impliquant le
versement d’une aide directe, telle que l’indemnisation et l’assistance, réunies ici sous le
vocable de « compensation ». En fait, à l’exception de la mesure d’ajustement – considérée
dans l’exactitude de sa définition – il n’existe pas de consensus dans la littérature quant à la
pertinence d’adopter une mesure de transition sur la base de l’efficacité.
Le recours à une « compensation » sur la base de l’efficacité s’expliquerait surtout par
l’existence de coûts échoués, autrement dit par la perte, irrécouvrable, de valeur d’un
investissement. Ceux-ci peuvent alors constituer une source d’importants coûts sociaux et
privés qu’il peut être jugé souhaitable de minimiser (Brennan et Boyd 1997). Toutefois, la
majorité des auteurs ayant étudié cette question rejette cette perspective (cf. Quinn et
Rappelons que la littérature sur la question s’intéresse essentiellement à l’impact de la libéralisation
commerciale sur la main-d’œuvre.
63
Rausser et Irwin (1989, p.365) soulignent : « The existence of market failure is a necessary, but not
sufficient, condition for government intervention. A sufficient condition is that the loss of economic efficiency
in the case of the uncorrected market failure is greater than the loss under the government remedy,
accounting for potential failures in the implementation of design policies ». Cette perspective ajoute une
composante politique à la question, aspect abordé à la section 2.5.3.
42
Trebilcock 1981; Kaplow 1986; Kaplow 2003). Comme le souligne Martini (2007, p.13),
« on fait rarement valoir des arguments d’efficacité à l’appui d’une indemnisation ».
Ce constat s’explique essentiellement par le fait que le versement d’un paiement direct
induit potentiellement des incitatifs comportementaux coûteux du point de vue de
l’efficacité. Brander et Spencer (1994, p.240), en référence aux aides liées à l’emploi lors
d’une réforme commerciale, affirment d’ailleurs que « the basic efficiency problem with
assistance programs is that they may induce costly incentive effects ». Notons que ce
problème s’observe car le soutien direct octroyé apparaît comme une assurance offerte par
l’État en contrepartie de ses changements réglementaires65 (cf. Kaplow 2003). L’aléa
moral66 se révèle ainsi comme l’une des principales causes d’inefficacité pouvant découler
de l’adoption de telles mesures (Miceli et Segerson 1995). Mentionnons par ailleurs que les
incitatifs coûteux dus au recours à une mesure de transition varient selon la nature de
l’intervention mise de l’avant67.
Inversement, d’autres auteurs considèrent qu’une « compensation » peut être justifiée sur la
base de l’efficacité. C’est le cas, par exemple, de Michelman (1967) qui voit un incitatif
coûteux dans le fait de ne pas compenser, car cette absence entraîne selon lui un « coût
de démoralisation », à savoir que les individus peuvent perdre confiance en l’État et choisir
de réduire leurs investissements à un niveau inefficace. La compensation permet également,
comme le rappellent Miceli et Segerson (1995) de combattre l’illusion fiscale, puisqu’elle
attache un coût monétaire aux décisions gouvernementales, ce qui force les décideurs à
légiférer efficacement. Harvey (2004) considère pour sa part qu’une indemnisation, en
palliant la dévalorisation des actifs, permet aux producteurs d’avoir accès aux ressources –
64
Il est souvent admis que le coût d’opportunité d’un dollar dépensé par le gouvernement n’est pas de un
dollar. Il n’y a cependant pas de consensus sur la magnitude de ce coût qui varie, selon les études, de 1,20$ à
1,50$ (cf. Alston et Hurd 1990).
65
Kaplow (Kaplow 1986; 2003) a abondamment étudié cette correspondance. Cet auteur ne voit pas de
différence entre le risque causé par des changements réglementaires et ceux observés sur les marchés. Par
conséquent, toute indemnisation crée des incitatifs à un surinvestissement inefficace socialement. Le marché
lui apparaît ainsi supérieur au gouvernement pour faire face au processus d’ajustement suivant une réforme.
66
Un aléa moral se définit comme un incitatif qu’a un individu d’adopter un comportement inefficace car il
n’en supporte pas les coûts (Bannock et coll. 2003). Ce problème est surtout retrouvé dans les marchés des
assurances et est dû à une asymétrie de l’information.
67
Harris (2005) a classifié huit types d’interventions pouvant être mis en œuvre à la suite d’une réforme,
selon le niveau de distorsion pouvant être causé. Il conclut que la meilleure stratégie, selon notre
43
autrement perdues – nécessaires à leur ajustement, réduisant ainsi les coûts sociaux. En
adoptant une autre perspective, certains auteurs, dont Furusawa & Lai (1999), considèrent
qu’une compensation peut constituer, dans le cadre d’une libéralisation commerciale, un
moyen d’atteindre un plus haut niveau d’efficacité, car elle favorise le rythme auquel la
réforme – et les gains attendus – se matérialise68. Cette démonstration se rapporte à
l’importance de rendre crédible69 et durable le processus de réforme, ce à quoi peut servir le
versement d’une compensation (Martini 2007, p.22).
Enfin, en se référant au cadre de l’économie du bien-être, il est aussi possible de souhaiter
une compensation afin de créer un environnement économique efficace au sens de Pareto.
En effet, rappelons que seul le versement effectif des gains d’efficacité aux perdants permet
d’accroître véritablement le « bien-être » de la société, entraînant du même coup le respect
du critère de Pareto (cf. Jongeneel et Koning 1999). L’étude des mécanismes de transfert à
cet effet a fait l’objet d’une imposante littérature, spécialement dans le domaine de la
libéralisation commerciale (cf. Dixit et Norman 1980; 1986; Feenstra et Lewis 1994).
Toutefois, comme le soulignent Quinn et Trebilcock (1981), cette perspective est limitée à
son traitement théorique, car le respect du critère de Pareto exige des conditions très
restrictives, tandis que les méthodes de mesure des gains et des pertes, de même que les
conditions d’octroi nécessaires au respect du critère, sont d’autres facteurs venant réduire le
réalisme de cette perspective en pratique70.
terminologie, est d’adopter une réforme directe, combinée à une indemnisation ou encore à une mesure
d’ajustement à caractère structurel.
68
Un résultat similaire a été proposé par Davidson & coll. (2007) qui ont modélisé une situation où différents
groupes d’employés, évoluant dans des industries d’importation ou d’exportation, votent de façon successive
au sujet d’un projet de libéralisation, du versement d’une indemnisation et enfin sur le type d’instrument à
privilégier pour assurer le versement de l’aide. Ils concluent que dans les limites de leur modèle, la possibilité
d’accorder une compensation aux travailleurs déplacés par la libéralisation permet de libéraliser l’économie
dans des cas où ce projet aurait autrement été bloqué. Cette littérature est toutefois controversée et dépend de
la spécification des modèles développés. Elle relève également de principes relatifs au Public Choice – voir la
section 2.5.3.
69
Comme l’indique Rodrik (1989, p.2) « It is not trade liberalization per se but credible trade liberalization
that is the source of efficiency benefits ». En effet, l’ajustement vers le nouvel équilibre économique n’est
entrepris que dans la mesure où les individus sont convaincus du sérieux de la transition.
70
De fait, ce critère est dit unanimiste, à savoir que le transfert des gains et des pertes doit être négocié et
accepté par tous les membres de la société pour que le changement d’un état à un autre présente une véritable
amélioration (OCDE sd, p.10). Quinn et Trebilcock affirment que toute déviance à cette règle – très limitative
– suppose une comparaison interpersonnelle du bien-être, démarche subjective par nature qui ne garantit en
rien l’optimalité du nouvel « état » (1981, p.28). De plus, la possibilité, aussi bien théorique qu’empirique,
d’avoir recours à un transfert direct dénué de coûts de transaction afin de transférer les gains d’efficacité aux
44
En fait, toutes ces perspectives – pour ou contre – s’appuient sur nombre d’hypothèses dont
le réalisme peut être discuté, limitant du coup toute généralisation et transposition à la
réalité. La discussion de Quinn et Trebilcock (1981) quant à l’efficacité d’une
« compensation » expose toute la difficulté de juger de la validité de cette justification en
pratique. Ces auteurs ont étudié les différents aspects de la question, dont celui de
l’efficacité au sens de Pareto, des coûts de transaction, de l’incertitude, de la recherche de
rente et des externalités pécuniaires. Bien que jugeant la validité de cette justification
insuffisante, leur analyse traite également des arguments la supportant et démontre par le
fait même l’importance de la contextualisation dans toute cette discussion.
En somme, dans la mesure où l’on cherche à anticiper la nature d’une intervention dans le
cadre d’une réforme de politique publique, l’efficacité, en tant que justification potentielle,
présente une portée explicative limitée. En fait, seule la mesure d’ajustement, appuyée sur
les préceptes de l’économie néoclassique, semble pouvoir être justifiée clairement sur cette
base, mais la nature ou les modalités d’une telle mesure qui serait économiquement efficace
demeure indéterminée dans un cas réel.
2.5.2 L’équité en tant que justification
2.5.2.1 Signification de la justification
Malgré l’importance accordée à l’efficacité dans l’analyse des politiques gouvernementales,
la question de la redistribution équitable joue également un rôle fondamental dans
l’établissement des mesures de transition. Neary (1982, p.60) conclut d’ailleurs ses travaux
sur l’efficacité des mesures de transition en affirmant que la principale raison justifiant le
recours à celles-ci est, en réalité, leur rôle en tant qu’outil redistributif visant à compenser
les individus affectés.
L’enjeu de la redistribution équitable découle de l’existence de coûts privés affectant
certains groupes d’individus dans le cadre d’un processus de réforme. Rappelons qu’il est
admis qu’une réforme puisse être menée dans la mesure où le « test de compensation », qui
perdants est remise en question (Stiglitz 1985; Stiglitz 1991, p.27). Ce faisant, toute mesure redistributive à
45
compare les gains d’efficacité aux coûts, présente une valeur positive. Ce test ne mesure,
par ailleurs, que les coûts sociaux de la réforme et ne tient pas compte de la distribution des
coûts privés71 (Matusz et Tarr 1999, p.3). Pourtant, comme l’indiquent Quinn et Trebilcock
(1981, p.50), « major regulatory changes will alter the distribution of benefits and burdens
among members of the political community; some investors and employees may incur
substantial private losses during the course of transition to a new regulatory regime ». La
reconnaissance de l’existence de tels coûts constitue en fait une véritable préoccupation
sociale pouvant justifier le recours à une intervention (Matusz et Tarr 1999, p.5).
À cet égard, Blandford et Hill (2007, p.257) font remarquer que dans la plupart des pays
développés, il est admis que les individus ne devraient pas avoir à absorber tous les coûts
privés produits par les changements économiques. C’est d’ailleurs ce que résument Aho et
Bayard (1984) en étudiant l’enjeu de la « compensation » basée sur l’équité72 :
« In general, the equity basis for compensation is the widely held notion
that, when the nation as a whole gains potentially from an economic
change, the potential losers should be compensated for at least part of their
lost. The magnitude of compensation on equity grounds depends on a
socially accepted notion of equity. For some societies, it may depend on the
losers’ relative position on the income distribution: the relatively poor
should have more of their losses compensated than the relatively rich. For
other societies, compensation on equity grounds may be strictly
proportional to losses » (p.155: Soulignage ajouté).
Trebilcock et coll. (1990, p.6) vont également en ce sens et affirment que « the central
policy issue that confronts governments, specifically in mixed market economies and liberal
democracies […] is the appropriate extent of collective responsibility for the consequences
of destructive features of the process of change […] ». Autrement dit, bien qu’il soit
largement admis qu’il soit équitable de dédommager les perdants lors d’une réforme, la
manière dont peut s’exprimer cette « socially accepted notion of equity » est complexe et
nécessairement un effet au niveau de l’efficacité.
71
Notons que dans la mesure où un gouvernement peut effectuer un transfert sans coût (ex. : un paiement
forfaitaire), la transposition intégrale du « test de compensation » occultera la question de la redistribution,
puisque l’effet serait neutre aux yeux des individus (Brennan et Boyd 1997, p.10; Weber 1997, p.87).
72
Quinn et Trebilcock (1981, p.4) résument cette perspective de façon similaire: « From an ethical
perspective, because regulatory reform inflicts injury on some people (who in all good faith may have
adjusted their lives or investments to a set of government policies) in order to serve the public interest,
compensation may be in order to ensure that the sacrifice is more widely shared ».
46
une solution à cet enjeu ne peut être obtenue qu’en se référant à des philosophies morales
permettant de saisir les relations existant entre les individus et l’État (Quinn et Trebilcock
1981, p.50).
2.5.2.2 Portée de la justification
En effet, en matière d’équité, le cadre de l’économie du bien-être perd de sa portée
analytique (cf. Sen 1987). Rappelons d’une part qu’en s’appuyant sur le deuxième
théorème, cette approche assume qu’il est possible de traiter indépendamment les enjeux
d’efficacité et d’équité en économie. D’autre part, ce cadre ne permet pas, en soi, de
prescrire un optimum de Pareto idéal socialement qui tiendrait compte, à la fois, d’une
allocation optimale et d’une redistribution jugée équitable de la richesse. Pour ce faire, le
recours – très controversé – à une fonction de bien-être collectif est nécessaire. Notons que
malgré leurs limites, ces fonctions sont quelques fois utilisées dans la littérature
économique s’intéressant à définir les niveaux optimums de redistribution. Ainsi, Brander
et Spencer (1994), dans leurs travaux sur les mesures d’assistance, ont recours à une telle
fonction. Ils la font reposer sur la croyance que la société accorde de l’utilité au fait de
transférer des fonds aux individus pénalisés par une réforme et arrivent à définir les
modalités de soutien permettant d’accroître l’utilité collective malgré les coûts
d’inefficacité liés au financement de la mesure73.
Si une telle fonction ne peut être dérivée de façon crédible, il faut alors se tourner vers les
philosophies morales. Ces dernières proposent des « contrats sociaux » définissant les
« règles constitutionnelles » devant refléter – aux yeux de l’analyste – la volonté commune
d’intervention dans l’économie (Weber 1997, p.100). Ainsi, certains auteurs considèrent
que nos sociétés démocratiques sont surtout caractérisées par les philosophies morales de
type utilitariste et kantien74 (Quinn et Trebilcock 1981; Weber 1997). La portée de ces
73
Leur modèle leur permet d’ailleurs de conclure que les programmes d’assistance inconditionnels et
proportionnels aux pertes encourues (i.e. une mesure définie comme une indemnisation dans le cadre de ce
mémoire) sont supérieurs à tous les autres en permettant d’atteindre un optimum à la Pareto.
74
La première est conséquentialiste et implique que l’État vise à maximiser l’utilité de chaque individu,
tandis que la seconde considère que l’intégrité de la personne prime sur les gains de bien-être collectif. Toutes
deux sont néanmoins dites individualistes et égalitaristes, à savoir qu’elles tiennent compte de l’utilité de
chaque individu et qu’elles n’accordent qu’une « voix » à chacun. Notons que Trebilcock et coll. (1990) en
47
perspectives a d’ailleurs été évaluée par Quinn et Trebilcock (1981, p.50 et ss.) qui, en
simulant un gouvernement utilitariste et kantien, ont cherché à définir les conditions
légitimant le recours à une « compensation » lors d’une réforme.
Dans le cas « utilitariste », le gouvernement serait amené à considérer l’option de
compenser sur la base du mérite de l’efficacité potentielle de la mesure et en se référant à
des estimations monétaires des gains et des coûts, à l’instar de l’approche préconisée par
l’économie du bien-être75. Une « compensation » est alors proposée si les coûts de mise en
œuvre sont inférieurs aux gains d’efficacité attendus, mais aussi à la désutilité causée par la
réforme. Ce dernier aspect découle aussi bien de la frustration de se voir imposer un coût
par la collectivité que par l’existence d’une incertitude – et d’un inconfort – à l’idée de
vivre une réforme. Le niveau de confiance accordé à la stabilité de la réglementation
apparaît pour les auteurs l’une des causes probables de cette désutilité76. S’impose alors la
question de la mesure de cette dernière, impliquant elle-même d’importants coûts
d’évaluation. Les limites d’une telle démarche font d’ailleurs affirmer aux auteurs que les
« conclusions on the outcomes likely to be generated by a utilitarian compensation calculus
should be regarded as highly speculative » (1981, p.80).
considèrent une troisième, soit le communautarisme, tenant davantage compte de l’attachement des individus
à la collectivité.
75
De fait, la perspective utilitariste, très proche des fondements de l’économie du bien-être, suggère
généralement des implications similaires à l’approche économique, à l’exception du fait que les coûts privés
sont alors considérés au même titre que les coûts sociaux (Trebilcock et coll. 1990, p.11).
76
La question de « prévisibilité » ou encore de « responsabilité » du gouvernement vis-à-vis le maintien ou la
réforme d’une loi est constamment soulevée dans la littérature normative sur l’enjeu de la compensation
suivant une réforme réglementaire (cf. Brennan et Boyd 1997). Ainsi, Doyon et Nolet (2006) ont introduit ce
facteur dans leur cadre décisionnel visant à établir les conditions d’indemnisation lors de l’adoption d’une
réglementation environnementale, tandis que Fisch (1997) va plus loin en assumant que les individus doivent
être protégés lorsque les lois sont initialement à « l’équilibre », autrement dit si elles ne présentent pas le
risque d’être réformées. Cette approche rejoint le principe de « constance » défini par Eucken (1975, cité dans
Martini 2007, p.13) qui implique que les changements brusques de la loi mènent à des investissements
inefficaces et ouvrent la porte à des compensations. Quinn et Trebilcock (1981, p.61) considèrent pour leur
part que cet argument seul ne peut suffire à rendre nécessaire une intervention. Ils assument entre autres que si
le risque de changement est observé avant la réforme, ce dernier a été transposé dans la valeur des actifs sous
forme d’une « prime de risque ». Ils reconnaissent toutefois qu’il existe peu de critères objectifs – ni avant ni
après la réforme – pouvant déterminer si le risque a été, ou non, – correctement – perçu. Ils notent cependant
que certains programmes, tels que les contingentements, présentent un clair niveau de risque. La question qui
est alors soulevée est de savoir si cette prise de risque était volontaire, autrement dit si l’individu a effectué
son investissement tout en étant libre d’en faire un autre, ce qui n’est certainement pas le cas dans une
industrie soumise à des quotas de production. En somme, on constate que ce critère est également sujet à de
nombreuses interprétations.
48
La perspective kantienne suppose quant à elle qu’une action collective ne devrait pas être
poursuivie si elle n’améliore pas le sort des plus désavantagés (Trebilcock et coll. 1990,
p.11). Elle ajoute donc une perspective de « justice » distributive là où l’approche
utilitariste ne considère que les coûts et les bénéfices77. À cet égard, la théorie de la justice
distributive, développée par Rawls78 (1971), est l’une des approches philosophiques les
plus communes pour analyser la pertinence d’avoir recours – ou non – à un soutien de
l’État (cf. Vorstenbosch 2000; Martini 2007). Elle repose sur deux fondements éthiques,
soit la « compensation », liée aux évènements incontrôlables de la vie, et le « mérite »,
impliquant un certain degré de responsabilité individuelle (Bossert et coll. 1999).
En adoptant cette perspective, il apparaît socialement acceptable de compenser un individu
dans la mesure où les pertes subies proviennent d’une situation sur laquelle il n’avait aucun
contrôle. Plusieurs modèles ont ainsi été développés de façon à décrire les réalisations
individuelles comme étant fonction d’une contrainte budgétaire, du talent de chacun et de
son niveau de responsabilité (cf. Bossert et coll. 1999). Tout en offrant une lecture réaliste
de l’expression des préférences collectives en matière d’intervention gouvernementale, la
portée de cette approche est limitée par le besoin de définir jusqu’où va la responsabilité
individuelle (Vorstenbosch 2000; Schokkaert et Devooght 2003). Plus fondamental encore,
le recours à cette approche exige qu’on admette l’existence d’un « contrat social »
définissant la « juste » allocation des bénéfices et des coûts (Quinn et Trebilcock 1981,
p.87).
Il importe de constater que la perspective de « l’équité » peut mener à des conclusions
fondamentalement différentes suivant le paradigme dans lequel l’analyse s’inscrit. Ainsi,
Aho et Bayard (1984, p.155-7), après avoir énuméré certaines conditions pouvant justifier
le recours à une mesure de transition sur la base de l’équité79, notent qu’une intervention
77
Notons que la notion de justice est différente de celle d’équité en général (Weber 1997; Martini 2007).
Les travaux de Rawls (1971) visent à définir des institutions « justes » au travers desquelles les décisions
collectives peuvent être prises, sans hypothèse relative à la « maximisation du bien-être social » généralement
recherchée. Son approche repose sur deux fondements : tout d’abord, l’établissement d’un « contrat social »,
défini par des individus égaux face à l’avenir, caractérisé conséquemment par une impartialité (i.e. justice).
Ensuite, des principes qui supportent le contrat établi, soit l’égalité des individus face au droit et l’assurance
que les inégalités sociales et économiques soient raisonnablement à l’avantage de tous (cf. Mueller 2002,
p.597-600).
79
Leur analyse s’intéresse elle aussi aux employés mis à pied dans le cadre d’une libéralisation commerciale.
Les arguments d’équité soulevés sont de différents types. Par exemple, ces employés peuvent être
78
49
protégeant certains individus (ex. : des employés âgés) peut causer des iniquités
injustifiables pour d’autres (ex. : des jeunes voulant entrer sur le marché du travail).
Vorstenbosch (2000) expose cette même opposition dans son étude sur les justifications
équitables à l’intervention gouvernementale à la suite d’une catastrophe naturelle en
agriculture. S’inscrivant dans le courant de la « justice redistributive », l’auteur a transposé
les cadres d’analyse de trois auteurs (Nozick, Rawls, Walzer) au contexte étudié afin
d’évaluer quelle serait la réponse gouvernementale privilégiée. Malgré le recours aux
mêmes concepts, les constats qui découlent de cette analyse divergent selon le cadre
utilisé80.
En somme, bien qu’il soit admis que « l’équité » puisse constituer une justification
fondamentale supportant le recours à une mesure de transition lors d’une réforme, il se
révèle impossible d’en définir objectivement une interprétation qui permettrait, de manière
ex ante, d’anticiper le choix d’intervention du gouvernement. Une telle démarche nécessite
soit l’usage d’une fonction du bien-être collectif, soit la conceptualisation d’un
comportement gouvernemental basé sur un « contrat social ». Dans tous les cas, les
résultats obtenus seraient dépendants de l’interprétation des concepts retenus dans le cadre
de l’analyse et auraient par conséquent une valeur explicative pour le moins limitée.
2.5.3 Les enjeux politiques en tant que justification
2.5.3.1 Fondements théoriques supportant la justification
La perspective politique est la troisième justification généralement soulevée dans la
littérature pour soutenir le recours à une mesure de transition. Elle implique qu’une aide
économiquement et socialement désavantagés par rapport aux autres types de travailleurs. Ils peuvent
également faire face à des coûts d’ajustement supérieurs à ceux des autres industries. Enfin, la politique
protectionniste du gouvernement peut induire une responsabilité envers les pertes causées par son retrait.
80
La première est la Théorie des avoirs de Nozick, qui considère que la justice est respectée lorsque les biens
sont échangés librement et sans externalité. Elle va généralement à l’encontre de toute forme de
compensation. La deuxième est la Théorie de justice de Rawls, qui privilégie de minimiser les iniquités au
profit des moins favorisés. Elle mène à des résultats non concluants quant au besoin de compenser. Enfin, la
troisième est la Théorie pluraliste de Walzer. Elle a développé un système de « sphères » (ex. : le marché)
dans lesquelles sont distribués des biens, dont le partage dépend d’un environnement culturel spécifique. De
par sa complexité, cette théorie ne mène pas non plus à une conclusion définitive sur la question de la
compensation.
50
accordée lors d’une réforme puisse être la résultante d’un équilibre découlant d’un
processus politique où évoluent différents groupes de pression (Martini 2007, p.12). Cette
justification apparaît pour plusieurs auteurs comme étant souvent la plus crédible (cf. Aho
et Bayard 1984; Lawrence et Litan 1986; Kapstein 1998; Magee 2001).
Tandis que les deux premières justifications ont été étudiées en lien avec l’économie du
bien-être, celle-ci est généralement abordée à partir du cadre du Public Choice. S’appuyant
sur les mêmes hypothèses comportementales que l’économie néoclassique, le Public
Choice peut être défini comme l’étude économique des décisions non commerciales, ou
simplement comme l’application de l’approche économique à la science politique. L’action
collective (i.e. l’État) n’est alors justifiée – sur une base normative – qu’afin d’améliorer
l’efficacité de l’allocation des ressources et de redistribuer celles-ci entre les individus
(Mueller 2002, p.1-3). En offrant un cadre d’analyse expliquant les préférences en matière
de redistribution et d’allocation, cette approche vient donc compléter la théorie de
l’économie du bien-être (Richard et coll. 2004 p.647).
Plus précisément, la littérature sur le Public Choice a développé une compréhension du
processus de décision politique impliquant deux étapes. À la première étape, des
considérations morales dictent des règles constitutionnelles, au travers desquelles les
individus (ou groupes d’individus)81 sont libres de poursuivre, lors d’une deuxième étape,
leurs propres intérêts par le biais d’un processus politique (cf. Buchanan et Tullock 1962).
Cette approche résout alors le conflit existant entre les enjeux moraux et les incitatifs
comportementaux individuels, puisque les règles constitutionnelles82 – pouvant aussi être
exprimées sous forme d’une fonction du bien-être collectif83 – servent de cadre à la
81
Plus précisément, le gouvernement est perçu comme une institution regroupant des élus, des bureaucrates et
des électeurs, chacun ayant sa fonction objective à maximiser (cf. Downs 1957). La théorie des choix
collectifs de Olson (1965) permet d’expliquer quant à elle comment les groupes de pression s’organisent pour
faire valoir leurs intérêts. On peut ainsi affirmer que l’ « offre » de protection est étudiée par la démarche de
Downs, tandis que la « demande » l’est par celle de Olson, la combinaison des deux permettant de définir
l’équilibre politique (Rausser et Irwin 1989, p.354).
82
Ces règles sont interprétées comme une « institution », notion qui s’étend jusqu’au système politique du
pays (fédération, république, etc.) ou encore au mode démocratique privilégié (Mueller 2002). Ces
« institutions » constituent des contraintes devant être prises en compte dans le déroulement du processus
politique. Comme l’indiquent Just et Rausser (1992, p.8), une politique efficace économiquement peut ne pas
être réalisable politiquement.
83
Nous avons vu qu’une telle fonction peut servir à maximiser les préférences sociales. La démarche
proposée par Buchanan et Tullock (1962) est cependant légèrement différente, puisque l’État est vu, à l’instar
51
maximisation du bien-être, compte tenu des contraintes au niveau du fonctionnement des
marchés84 (Richard et coll. 2004 p.647).
Cette théorie analyse donc le phénomène de maximisation de l’utilité des électeurs et des
politiciens dans le cadre d’un processus électoral. Des activités de recherche de rentes85,
correspondant aux efforts faits par chaque électeur dans le but d’influencer le processus
politique, peuvent alors être observées (Schmitz et coll. 2002a p.72-73). Dans le contexte
d’une réforme de politique publique, il est ainsi présumé que les groupes de pression sont
en mesure d’agir sur le déroulement du processus, mais aussi sur la répartition des
avantages potentiels. Comme l’indique Martini (2007, p.12), « en se concentrant sur ces
idées, […] la question d’une politique optimale, dans une perspective de bien-être
économique, continue à prédominer [tandis que] les facteurs d’économie politique [i.e.
Public Choice] jouent sur le choix d’une stratégie optimale […] ».
La maximisation du « bien-être » cesse en effet d’être le seul objectif du gouvernement. On
parle alors de « political efficiency » dans la mesure où un processus politique mène à la
maximisation des fonctions objectives des électeurs et des politiciens. Comme l’indiquent
Gavious et Mizrahi (2002, p.187), « a certain policy […] may maximize […] economic
efficiency, but since it does not maximize the special interests of a politician in office, it will
not be implemented in the way recommended by traditional policy evaluators. Thus, policy
outcomes often reflect the specific interests involved in the decision making process rather
than the goal of maximizing social welfare »86. L’objectif du Public Choice est alors de
pouvoir expliquer les décisions politiques en termes d’efficacité et de bien-être social.
du marché, comme une institution où s’exprime le choix des individus. Toutefois, cette perspective demeure
en partie normative, puisqu’il est admis que la première étape – le choix des règles constitutionnelles – doit
faire l’objet d’une unanimité, ce qui relève d’un jugement de valeur (p.14).
84
En effet, à partir du moment où la séparation entre l’efficacité et l’équité n’est plus possible, l’optimalité du
libre-marché au sens de Pareto ne peut plus servir de seule référence à l’analyse économique. Dans un tel cas
– courant en pratique – ces deux aspects doivent alors être étudiés conjointement (Just et Rausser 1992, p.4).
85
Le « potentiel redistributif » du gouvernement est à l’origine de ces « rentes » pour lesquels les groupes de
pression investissent des ressources parfois non négligeables et souvent non efficaces (Mueller 2002). Les
coûts liés à la recherche de rentes regroupent les dépenses et l’énergie investie dans le processus par les
groupes de pression et le gouvernement, ainsi que les distorsions causées par ce processus sur les tiers
(Buchanan 1980 cité dans Mueller 2002, p.334).
86
L’idée de base est que le gouvernement est le « fournisseur de réglementations » pour lesquelles les
groupes de pression seront prêts à « payer » par le biais de contributions ou de soutien politique. La résultante
de ce processus de négociation peut être de deux ordres. Pour certains auteurs, la libre concurrence politique
52
2.5.3.2 Signification de la justification
Ce cadre s’applique ainsi directement aux enjeux relatifs à la réponse gouvernementale à la
suite de l’adoption d’une réforme. Plus précisément, la portée des enjeux politiques en tant
que justification potentielle à l’adoption d’une mesure de transition peut ainsi se résumer de
la sorte :
« From a political or public choice perspective, compensation of losers
from regulatory reforms may be a necessary prerequisite to overcoming
their political opposition to the changes. Thus, through the compensation of
losers, a welfare-maximizing move that might otherwise have been
politically blocked becomes possible » (Quinn et Trebilcock 1981, p.4).
Autrement dit, « la maximisation du bien-être est subordonnée à une contrainte : il ne faut
pas que le groupe de pression bloque la réforme. Un moyen d’y parvenir est de proposer un
transfert financier qui dédommage le groupe de pression d’éventuelles pertes de bien-être »
(Martini 2007, p.12)87. Conséquemment, une mesure de transition peut être interprétée
comme la transposition partielle ou totale du « test de compensation » afin de faire d’une
amélioration potentielle au sens de Pareto une amélioration effective (Magee 2001, p.106).
La contrainte à respecter est alors de s’assurer que les gains nets d’efficacité dus à la
réforme ne soient pas tous absorbés par le coût du transfert. La correspondance entre
l’approche du Public Choice et celle de l’économie du bien-être apparaît ainsi clairement.
Toutefois, contrairement aux principes admis en économie du bien-être, la transposition
effective du « test de compensation » ne reflétera pas nécessairement les véritables pertes
économiques encourues, mais plutôt le rapport de force politique entre les individus (Just et
Rausser 1992, p.21). Ainsi, puisque le montant de l’indemnisation offert dépend de
l’influence politique, la stratégie optimale correspond donc, éventuellement, à une surindemnisation ou à une sous-indemnisation (Martini 2007, p.16).
entre les groupes de pression mène à un équilibre économique efficace, similaire à celui du marché. Pour
d’autres, la recherche de rentes induit des inefficacités qui empêchent la maximisation du bien-être, mais
favorise celle des intérêts politiques (cf. Gavious et Mizrahi 2002). Dans ce dernier cas, les coûts induits par
la recherche de rentes mènent, comme le rappellent Rausser et Irwin (1989, p.351-2), à des « political
failures ».
87
La question sur laquelle repose cette perspective est la suivante : si la libéralisation est une si bonne chose,
pourquoi existe-t-il de telles résistances à son endroit? L’approche économique ne suffit pas à y répondre,
d’où le recours à une lecture politique du processus décisionnel (cf. Fernandez et Rodrik 1991).
53
Notons que cette influence politique s’exprime tout d’abord par le fait que les coûts
d’ajustement observés lors d’une réforme sont souvent concentrés sur l’industrie affectée,
tandis que les gains – potentiels – sont pour leur part dilués parmi les consommateurs
(Lawrence et Litan 1986, p.24). À ce constat, s’ajoute l’idée répandue que ces groupes
pénalisés, en étant capable de se regrouper à moindre coût, seront en mesure de s’organiser
de façon efficace afin de conserver ou capter des rentes, tandis que les bénéficiaires,
désorganisés, ne seront pas en mesure de faire valoir leurs intérêts88 (cf. Olson 1965; Stigler
1971). Conséquemment, dans la mesure où le gouvernement désire « acheter » une
réforme89, il cherchera à minimiser l’influence des groupes de pression – et donc de réduire
l’ampleur de la compensation nécessaire – en divisant les membres par le biais, par
exemple, de subventions ciblées (Martini 2007, p.17).
2.5.3.3 Portée de la justification
Malgré la lecture très « pragmatique » proposée par le Public Choice pour justifier le
recours à une mesure de transition, force est d’admettre les limites de cette approche dans la
perspective où l’on désire prédire la réaction d’un gouvernement lors d’une réforme. En
effet, malgré le fort consensus entourant l’idée qu’une « compensation » puisse favoriser le
processus de réforme, il faut reconnaître que cette thèse s’appuie sur le fait que cette
compensation puisse véritablement « acheter » la réforme, ce qui est à toute fin pratique
indémontrable autrement que théoriquement (Aho et Bayard 1984, p.167). Qui plus est,
selon le modèle développé, certains auteurs ont démontré qu’une compensation peut au
contraire nuire au processus de libéralisation en rendant le « protectionnisme » plus
attrayant au fur et à mesure que la compensation devient coûteuse (Magee 2003).
Ajoutons que la portée normative limitée de ce cadre a d’ailleurs été soulevée par ses
auteurs, qui notent que « the theory of collective choice can, at best, allow us to make some
very rudimentary predictions concerning the structural characteristics of group decisions »
88
L’idée est que les petits groupes de producteurs, en évitant les « resquilleurs », sont généralement mieux à
même d’investir efficacement dans le lobbying que les groupes de consommateurs éparpillés dans la société.
Fernandez et Rodrick (1991) ajoutent que la désorganisation des « gagnants » est accentuée par le fait que ces
derniers ne sont pas nécessairement conscients de leur condition avantageuse.
89
Il est intéressant de constater que tout ce courant de littérature assume que la réforme est souhaitable et que
le gouvernement désire effectivement la mettre en place.
54
(Buchanan et Tullock 1962, p.5). Ils affirment également que « the model which
incorporates this behavioural assumption and the set of conceptually testable hypotheses
that may be derived from the model can, at best, explain only one aspect of collective
choice » (p.30)90.
2.5.4 Retour sur les justifications normatives
2.5.4.1 La portée prescriptive des justifications
Cette section s’est attardée à analyser les principales justifications relatives à l’intervention
gouvernementale à la suite d’une réforme. Force est de constater qu’un impressionnant
consensus émerge de la littérature à l’effet que l’efficacité, l’équité et les considérations
d’ordre politique constituent les principales raisons expliquant le recours à une mesure de
transition. En plus d’évaluer les différentes modalités rattachées à chacune, de nombreux
auteurs se sont aussi intéressés à décrire des « modèles d’intervention » répondant à ces
principes. À partir de ces résultats, il importe de déterminer si les explications proposées
suffisent à anticiper les réponses gouvernementales qui pourraient être adoptées à la suite
d’une réforme.
À cet égard, il appert que les justifications normatives exposées sont d’un intérêt limité et
ce, pour différentes raisons. D’une part, elles reposent sur des cadres théoriques dont la
portée prédictive est restreinte dû au recours à des hypothèses comportementales
contestées. D’autre part, la distinction entre ces justifications est en soit un exercice
artificiel, puisque comme l’indique Martini (2007, p.9), « il est rarement facile de
distinguer un motif unique pour une politique donnée, dans la mesure où les justifications
sont inextricablement mêlées »91. Enfin, plus important encore, ces justifications, tel
90
Ils ajoutent par la suite: « even if the model proves to be useful in explaining an important element of
politics, it does not imply that all individuals act in accordance with the behavioural assumption made or that
any one individual acts in this way at all times. Just as theory of markets can explain only some fraction of all
private economic action, the theory of collective choice can explain only some un-determined fraction of
collective action » (p.30).
91
C’est le cas, par exemple, des considérations d’ordre politique. En effet, comme l’indiquent Trebilcock et
coll. (1990, p.15-6), les groupes d’intérêt vont généralement faire valoir des justifications normatives telles
que l’efficacité et l’équité pour exiger de l’aide, ce qui implique qu’il faille départager – arbitrairement –
chacune des composantes de façon ex post.
55
qu’exposées, sont articulées autour de conceptualisations dont l’interprétation mène
souvent à des résultats contradictoires, selon le contexte d’utilisation. Ce constat est valable
non seulement au niveau de chaque justification (cf. efficacité et équité), mais aussi par
rapport à leur interaction mutuelle.
Ce dernier point a été mis en évidence, entre autres, par Aho et Bayard (1984, p.163-4). En
prenant l’exemple de la rente d’une industrie oligopolistique soumise à une réforme, ils
soulignent qu’il serait inéquitable d’offrir une compensation, mais que du point de vue
politique, cette rente peut avoir conféré un pouvoir politique à ses détenteurs, exigeant du
même coup de la compenser afin de mener à bien la réforme. Cette perspective est
évidemment rejetée par l’argument de l’efficacité, à cause de l’aléa moral causé par une
telle intervention. Ils notent qu’inversement, « it is easy to conceive of circumstances in
which the socially efficient compensation differs from […] compensation based on equity
or political considerations ». Il apparaît donc hasardeux de proposer, dans une perspective
ex ante et sans avoir recours à des conceptualisations contestables92, un modèle de politique
de transition pour le cas canadien en ayant recours à ces justifications normatives.
Cette réserve se trouve renforcée par le fait que l’étape de justifier le recours à une mesure
de transition – aussi complexe soit-elle – ne constitue que la première question à considérer
dans la mesure où l’on souhaite définir de façon ex ante les modes d’intervention pouvant
être envisagés en pratique. La seconde concerne les modalités qui la caractériseront. En
effet, comme le mentionnent Brander et Spencer (1994, p.240) « if we accept the idea that
publicly funded compensation is an appropriate policy response to various economic events
[…], we immediately confront the question: What is the appropriate design for
compensation or assistance programs? ». Compte tenu des limites du cadre normatif déjà
exposées, il ne revient pas à ce mémoire d’étudier en profondeur cette autre perspective.
Toutefois, les principaux enjeux cités dans la littérature méritent d’être présentés.
92
La plupart des « modèles d’intervention » proposés s’appuient sur des abstractions ou des simplifications
discutables. Ainsi, les travaux de Kaplow (2003) reposent sur un scénario où la réforme est menée de façon
efficace et où la réponse gouvernementale est connue de façon ex ante. Les « conditions de compensation »
proposées par Miceli et Segerson (1995) exigent quant à elles d’être en mesure de définir si un investissement
ou encore la réponse gouvernementale est, ou non, socialement efficace.
56
Tout d’abord, l’efficacité de la mesure adoptée – à distinguer de la justification – apparaît
comme un aspect fondamental à considérer. Évidemment, comme le souligne Weber (1997,
p.120) « il relève […] du bon sens que les mesures de redistribution devraient tout à la fois
être efficaces quant à leur impact sur la distribution et minimiser le coût d’efficacité ».
Ainsi, en étudiant les mesures d’indemnisation, Martini (2007) considère que ce type
d’intervention est similaire à n’importe quel autre transfert et qu’il doit ainsi respecter les
critères d’efficience définis par l’OCDE (cf. 2002), en étant découplé, ciblé, adapté aux
objectifs poursuivis et temporaire. En adoptant une démarche théorique, certains auteurs,
dont Brander et Spencer (1994) et Davidson et Matusz (2006), ont modélisé les conditions
optimales visant à rendre efficace une compensation offerte aux employés licenciés. Ces
derniers en arrivent à conclure que de telles mesures se doivent effectivement d’être
temporaires et ciblées (Davidson et Matusz 2006).
Le niveau de soutien accordé apparaît également comme un aspect crucial à définir, bien
qu’il dépende fortement des justifications sous-jacentes (cf. Rausser et Irwin 1989). Ainsi,
dans la mesure où l’efficacité prime, Aho et Bayard (1984, p.164) considèrent, dans le cas
d’une mesure de chômage, que « the socially efficient compensation scheme would provide
benefits up to the point where the marginal social gain to higher earnings was equal to the
marginal social loss due to longer unemployment duration ». Il a par ailleurs été mentionné
que dans une perspective d’équité, le montant de l’indemnisation dépendra de
l’interprétation des préférences sociales en privilégiant, par exemple, une compensation
proportionnelle aux pertes encourues. S’ajoute, dans ce cas, la nécessité de définir la valeur
de ces pertes. Cette étape apparaît tout aussi hasardeuse, car comme le soulignent Rausser
et Irwin (1989, p.361) « any calculation of losses attributed only to policy changes is
inherently questionable ». Les considérations politiques, quant à elles, prédisent que le
niveau d’aide dépendra du rapport de force entre les groupes de pression, ce qui résultera en
une sur ou sous compensation par rapport aux pertes effectives.
En lien avec cet enjeu s’ajoute le choix d’adopter de façon ex ante ou ex post la mesure de
transition (cf. Quinn et Trebilcock 1981; Just et Rausser 1992). Dans le premier cas, la
mesure permet de réduire l’incertitude, limite l’effet de l’aléa moral et minimise les coûts
d’administration. Par ailleurs, elle peut induire un « compensation-seeking » (Rausser et
57
Irwin 1989, p.362), sans compter qu’elle sera fondée sur une estimation des coûts qui ne
correspondra pas nécessairement à ce qui sera observé en réalité, introduisant le risque de
sous ou sur compenser. Inversement, adopter une mesure de façon ex post limite ce
problème en plus de partager davantage les risques entre les intervenants, mais cette
approche peut ne pas être envisageable politiquement ou légalement (Martini 2007, p.19).
L’éligibilité doit aussi être considérée (Just et Rausser 1992), puisque les critères retenus,
tel que des décisions passées ou la nature des investissements effectués, peuvent aussi être
la source d’aléa moral et d’importants coûts de transaction. En effet, les individus peuvent
être incités à adopter un comportement dans la perspective de percevoir une aide, tandis
que la gestion des conditions d’octroi peut exiger d’importants efforts de contrôle de la part
des fonctionnaires, accentuant alors les coûts de mise en œuvre.
Enfin, relevons la question du financement de la mesure. Dans la logique du paradigme du
marché libéral il est entendu que les gagnants doivent être en mesure de compenser les
perdants afin que la réforme soit jugée souhaitable. Comme l’indiquent Rausser et Irwin
(1989, p.362), « to the extent that winners are concentrated and can be identified, they
should share in financing the burden of compensation »93. En pratique toutefois, il n’est
pas nécessairement possible de retracer les individus appartenant à ces deux groupes
(Quinn et Trebilcock 1981, p.8). De même, le levier de financement privilégié doit être
choisi avec attention, car les fonds levés pour l’intervention ont un coût d’opportunité
significatif. Par exemple, le gouvernement peut avoir recours soit à une taxe, spécifique à
un produit ou générale, soit à un emprunt à long-terme afin de ne pas imposer à court terme
un poids fiscal trop important (Just et Rausser 1992, p.27).
Ces enjeux représentent les principales questions devant être abordées lors de l’adoption
d’une mesure de transition. Le Tableau 2, adapté des travaux de Martini (2007), expose
certains de ces aspects, développés dans le cas de la mesure d’indemnisation, mais pouvant
aussi s’étendre à tous les types de mesure de transition. La réponse à chacun dépend
93
Ils considèrent même que dans l’optique où une réforme permet d’accroître le niveau d’efficacité à l’échelle
internationale, les bénéficiaires étrangers d’une réforme domestique devraient contribuer à financer le
dédommagement des perdants.
58
évidemment des objectifs poursuivis par la réforme, ainsi que par la politique de transition
adoptée.
Tableau 2 : Éléments entrant dans la conception d’un programme d’indemnisation
1.
« Degré d’indemnisation. Quel doit être son montant? Doit-il correspondre à un préjudice mesuré ou à
ce que représenterait la poursuite du dispositif réformé et, en ce cas, pendant combien d’années? […]
2.
Répartition de l’indemnisation. Convient-il d’indemniser également toutes les parties pénalisées ou
prévoir un élément de redistribution ? Faut-il plafonner les indemnités par personne ou par
exploitation ? Ceux qui quittent le secteur doivent-ils être traités différemment de ceux qui y restent ?
3.
Durée de l’indemnisation. Doit-elle être constituée d’un versement forfaitaire, d’un montant fixe perçu
pendant une certaine période ou d’une prestation dégressive ? Doit-elle prendre la forme de versements
en numéraire, en titres ou en d’autres actifs?
4.
Portée de l’indemnisation. En sus des agriculteurs, doit-elle bénéficier aux propriétaires fonciers, aux
ouvriers agricoles ou aux industries situées en amont et en aval ? Des personnes qui n’étaient pas
censées bénéficier des politiques antérieures doivent-elles avoir droit à une indemnisation ? […]
5.
Base de calcul des droits à indemnisation. Les indemnités doivent-elles être calculées par exploitation,
par hectare, par personne ou sur une autre base ? Le calcul des droits doit-il dépendre d’un préjudice
constaté ou attendu ? Doit-il être effectué sur un plan individuel, régional ou national ? »
6.
Financement de la mesure1 : Comment l’État doit-il financer la mesure adoptée ? Un impôt
supplémentaire doit-il être levé ou faut-il financer la mesure à partir des revenus actuels du
gouvernement ? Si une nouvelle source de financement est requise, sera-t-elle imposée aux
consommateurs ou aux contribuables ?
1
Question ne figurant pas dans le document de Martini.
Source : Tiré et adapté de Martini (2007)
2.5.4.2 L’évaluation ex-post des justifications
Notons qu’à l’instar des lectures ex ante, les analyses ex post des politiques de transition
sur la base de leurs justifications se révèlent tout aussi incertaines. C’est du moins ce que
révèlent certaines analyses, en lien avec le Trade Adjustment Assistance (TAA), qui ont
cherché, à l’aide de différentes approches, à étudier la portée de ces justifications.
59
Ainsi, Aho et Bayard (1984) ont cherché à évaluer l’importance de ces justifications sur la
base des conséquences économiques observées. Ils concluent que « any overall evaluation
of the TAA program must necessarily be somewhat subjective […]. Whether these political
gains outweigh the sum of the administrative cost, induced labor market inefficiencies, and
inequities […] is more a matter of personal opinion than of professional judgment, given
the difficulty of evaluating many of the costs of the program » (p.184). En adoptant une
approche institutionnaliste, Kapstein (1998) a pour sa part tenté d’expliquer, en fonction
des différentes justifications, l’adoption et le maintien de ce programme au cours des
dernières années. Bien qu’offrant une lecture très approfondie des enjeux, cette démarche
se limite toutefois à l’étude d’un très petit nombre de cas. Enfin, Magee (2001) a quant à lui
testé empiriquement, à partir de données sur ce programme, l’importance de ces
justifications sur la base du choix gouvernemental de subventionner certaines catégories
d’employés, sous certaines conditions94.
La littérature démontre ainsi qu’il est complexe de conclure sur la portée des justifications
liées au choix d’intervenir lors d’une réforme. Confrontés à ces difficultés, il n’est donc pas
surprenant de constater que Blandford et Hill (2007, p.262), après avoir étudié les
processus de réforme en agriculture de six pays développés et analysé les mesures
gouvernementales subséquentes, se limitent à conclure, sans autre analyse qu’un portrait
global du contexte, « that equity and political economy are main drivers behind
agricultural adjustment policies ».
2.5.4.3 Les justifications normatives : un constat
La discussion précédente nous permet d’en arriver à un constat déterminant. En effet, force
est de constater que la théorie économique, tout en permettant de conceptualiser le
phénomène de réforme et les réponses gouvernementales y faisant suite, ne peut être
opérationnalisée de façon à pouvoir déterminer, de manière ex ante, une politique de
transition pouvant correspondre à la réalité d’un secteur réformé. Autrement dit, le corps
94
Il conclut que le TAA est justifié sur la base de l’équité et de l’efficacité, tandis qu’un lien existe entre le
programme et la réduction des tarifs. Ces résultats sont plus nuancés que ceux proposés par certains analystes
(Lawrence et Litan 1986; Kapstein 1998) qui ne considèrent pas ces justifications comme étant applicables à
ce programme.
60
théorique – influent au niveau idéologique – ne peut cependant permettre de cerner de
façon crédible les réelles mesures de transition qui pourraient être mises en place dans
l’éventualité d’une réforme de la politique laitière canadienne.
Malgré ce constat, les principes économiques étudiés précédemment n’en demeurent pas
moins cruciaux pour l’étude du phénomène de réforme et des réponses gouvernementales
adoptées pour y faire suite. Afin d’approfondir notre réflexion en lien avec la réalité du
secteur laitier canadien, il est donc proposé d’analyser la façon dont ces différents principes
se retrouvent transposés lors d’expériences vécues de réformes en agriculture. L’approche
privilégiée pour mener à bien cet exercice, ainsi que les objectifs poursuivis, sont exposés
au prochain chapitre.
3. Le cadre méthodologique utilisé
Les processus de réforme observés en agriculture et les réponses politiques proposées pour
y faire suite font l’objet, depuis quelques années, d’un intérêt grandissant dans la littérature
économique. Afin de mieux conceptualiser ce phénomène, plusieurs auteurs se sont attardés
à catégoriser les différentes mesures envisageables, selon les objectifs poursuivis et leurs
modalités de mise en œuvre. Ces travaux ont été repris et développés au chapitre précédent.
Quatre mesures de transition ont ainsi été spécifiées, soit celles d’ajustement,
d’indemnisation, d’assistance et de réinstrumentation.
Le chapitre précédent s’est également attardé à situer dans une perspective théorique les
processus de réforme et les interventions subséquentes. Ainsi, le paradigme du marché
libéral, soutenu par les préceptes de l’économie du bien-être, apparaît être un facteur
d’influence dominant dans la décision de réformer le secteur agricole. De même, les
mesures de transition, en se référant aux concepts d’efficacité et d’équité, s’inscrivent dans
cette perspective théorique. Plus précisément, la littérature retient trois justifications
normatives pouvant expliquer le recours à une mesure de transition, soit l’efficacité,
l’équité et les considérations d’ordre politique. Chacune a été décrite et leur portée
explicative évaluée.
La discussion précédente a ainsi permis de répondre à la première question de recherche
énoncée au chapitre 1, à savoir quels étaient les principes économiques fournis par la
théorie quant aux types d’interventions gouvernementales pouvant être adoptés dans le
cadre d’une réforme de politique publique. L’analyse s’est, par ailleurs, également
intéressée à la portée et à la validité prescriptive de ce cadre. La conclusion formulée à cet
égard est à l’effet que le corps théorique développé autour du processus de réforme ne peut
être opérationnalisé de façon crédible afin de pouvoir anticiper la nature d’une intervention
gouvernementale.
Notons que cette perspective conceptuelle et théorique demeure néanmoins déterminante
pour la compréhension du phénomène de réforme et des interventions gouvernementales
subséquentes. En effet, sachant que l’objectif de ce mémoire est d’étudier les modes
62
d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement canadien lors d’un
éventuel démantèlement de la politique laitière, il importe d’approfondir cette réflexion en
répondant à la seconde question de recherche formulée :
•
De quelles façons les principes exposés peuvent-ils être transposés à une expérience
réelle de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier
canadien ?
Afin de répondre à cette question – et considérant les limites théoriques discutées – une
analyse descriptive basée sur des études de cas est privilégiée. Cette approche s’inspire en
partie des récents travaux de Martini (2007), de Blandford et Hill (2007), de Kubota (2006)
et de Harris (2005). Ces derniers se sont tous attardés à étudier des processus de réforme en
agriculture rencontrés dans différents pays, en orientant leurs analyses autour des
principaux points suivants :
•
L’évolution de la politique et les facteurs expliquant la décision de réformer;
•
Le déroulement de la réforme;
•
Les mécanismes mis en place pour l’accompagner; et
•
Les conséquences observées en termes de capacité d’ajustement.
Ce même angle d’analyse est ici adopté. Cependant, contrairement à ces auteurs, l’attention
n’est pas portée sur les conséquences observées en termes d’ajustement post-réforme, mais
plutôt sur les caractéristiques des mécanismes mis en place, ainsi que sur les objectifs qu’ils
poursuivent. En effet, la finalité de notre approche est de pouvoir tirer des enseignements
sur les moyens d’intervention qui s’offriront au gouvernement canadien dans l’éventualité
d’une réforme de la politique laitière. Conséquemment, le processus ex ante d’intervention
nous intéresse davantage que les retombées ex post mesurées. Ceci implique que seuls les
programmes adoptés au moment de la réforme sont considérés et non ceux qui ont pu être
ajoutés subséquemment par les autorités face aux conséquences observées de la réforme.
L’analyse proposée est menée en deux étapes. Un processus de sélection des cas à l’étude
est présenté dans un premier temps. Afin de pouvoir tirer de l’analyse des conclusions en
lien avec la réalité canadienne, cette sélection s’appuie sur les caractéristiques de la
politique laitière canadienne. Le fonctionnement de cette dernière est ainsi décrit à la
63
section 3.1, tandis que les cas retenus en fonction de cette description sont présentés par la
suite.
Dans un deuxième temps, un cadre d’analyse, développé en fonction de la
conceptualisation proposée au chapitre précédent, est proposé. Plus précisément, à partir
des expériences de réformes retenues, deux objectifs sont poursuivis, soit de :
•
cerner les composantes du secteur visé faisant l’objet d’une intervention et de
définir les types de mesure de transition alors privilégiés;
•
évaluer, au travers des mesures de transition adoptées, la présence d’une forme de
transposition du « test de compensation » décrit par le cadre théorique.
Chacun est abordé en détails à la section 3.2.
3.1. La sélection des cas de réforme à l’étude
La production laitière canadienne est un secteur économique de premier plan. En 2007, les
recettes monétaires nettes générées à la ferme se sont élevées à 5,2 milliards de dollars et
les ventes de produits laitiers à 11,6 milliards, plaçant cette production au quatrième rang
en importance dans le secteur agricole au Canada95. En fait, l’évolution structurelle de cette
industrie et sa rentabilité actuelle sont en grande partie dues à l’environnement économique
et réglementaire, décrit sous le vocable de « gestion de l’offre », dans laquelle elle prend
place.
Rappelons cependant que les pressions exercées, à la fois au Canada et à l’étranger, pour
réformer cette politique se font de plus en plus nombreuses. Il ne revient pas à ce mémoire
de traiter en profondeur de la nature et de la portée des différentes contraintes qui
pourraient venir affecter le fonctionnement de la politique laitière canadienne. À l’instar de
Freytag et Renaud (2007), il suffit de mentionner que la réforme d’une politique peut être le
fait d’un contexte économique défavorable à son maintien, de pressions extérieures –
souvent internationales – ou encore d’un changement de préférence politique en matière
95
Informations tirées du site Internet du Centre canadien d’information laitière (cf. site Internet :
http://www.infolait.gc.ca/_francais/cdi/index.html).
64
d’intervention. Peut également s’y ajouter l’aspect juridique, si la politique est contestée
d’un point de vue légal.
Les contraintes au maintien de la politique laitière canadienne – quelles qu’elles soient –
peuvent par ailleurs être liées aux composantes nécessaires à son fonctionnement. Il est
communément admis que le système de gestion de l’offre repose sur trois piliers, soit
l’administration des prix de soutien, le contingentement de la production et le contrôle des
importations. Bien que le secteur laitier canadien évolue dans un cadre réglementaire
unique à l’échelle internationale, ces différents piliers, seuls ou combinés, font également
partie intégrante de plusieurs politiques agricoles adoptées au Canada ou à l’étranger.
Certaines de ces politiques sont toujours en place aujourd’hui, mais plusieurs ont été
réformées au cours des dernières années.
Pour cette raison, cette section décrit brièvement le fonctionnement et les composantes de
la politique laitière canadienne afin de mettre en perspective ces différents piliers ainsi que
leur rôle dans le maintien du système actuel. Cette démarche sert à la fois de cadre visant à
sélectionner des cas de réforme présentant des similitudes avec la réalité canadienne, mais
aussi à mettre en évidence les caractéristiques propres au secteur laitier canadien.
3.1.1 Les origines de la politique laitière canadienne
La politique laitière canadienne puise son origine dans la création, en 1966, de la
Commission canadienne du lait (CCL). La création de cet organisme résulte
essentiellement des difficultés rencontrées, à l’échelle canadienne, à réguler la production
de chacune des provinces où se retrouvaient différents groupes de producteurs évoluant
sous différents systèmes de mise en marché96 (cf. Scullion 2006). De fait, la production
laitière est communément divisée en deux secteurs, soit celui du lait de consommation,
limité aux marchés provinciaux, et celui du lait de transformation, faisant l’objet d’un
96
La « guerre » alors menée par les industries laitières de chacune des provinces avait conduit à une
dépréciation des prix qui avait affecté considérablement les revenus des producteurs laitiers, alors que le tiers
des producteurs du Québec et de l’Ontario étaient jugés avoir des revenus en-deçà du seuil de pauvreté (Gouin
1987, p.24; Skogstad 1993, p.3). Le besoin de mettre fin à cette situation explique le recours à une meilleure
régulation de la commercialisation à l’échelle pancanadienne.
65
commerce pancanadien. La coordination de ce dernier n’était envisageable, pour les paliers
de gouvernement, qu’en collaborant au niveau constitutionnel97.
En effet, l’agriculture est une compétence constitutionnelle partagée entre le fédéral et les
provinces98. Dans le cas de la politique laitière canadienne, Gouin (1987, p.22) résume la
dynamique qui résulte de ce partage de la façon suivante :
« […] on considère généralement que le commerce interprovincial et
international relève de la compétence fédérale, tandis que la réglementation
du commerce intra-provincial est du ressort des autorités provinciales. De
même, l’ensemble des mesures touchant directement le niveau individuel de
production est de compétence provinciale; c’est-à-dire que le gouvernement
fédéral ne dispose pas du pouvoir d’imposer un contingentement de la
production et ne peut allouer de quotas de production individuels ».
Autrement dit, la politique laitière canadienne est une « sphère de dépendance mutuelle »,
dont le tracé ne résulte pas tant des articles de la Constitution que de leur interprétation
juridique par la Cour Suprême canadienne (Skogstad 1987, p.4). De fait, la coordination de
la politique est aujourd’hui définie au niveau fédéral, mais son application concrète
nécessite un cadre législatif élaboré au niveau provincial (Gouin 1987, p.22). Comme
l’indique Charlebois (2007, p.6), « on ne peut comprendre l’actuelle structure interorganisationnelle du secteur agricole canadien sans retracer les nombreuses lois qui l’ont
façonnée au cours des années ».
La CCL coordonne ainsi le fonctionnement de la politique laitière à l’échelle canadienne.
Sa mission, inscrite dans la Loi sur la Commission canadienne du lait de 1966, est
demeurée la même depuis sa création, soit, « d'une part, de permettre aux producteurs de
lait et de crème dont l'entreprise est efficace d'obtenir une juste rétribution de leur travail et
de leur investissement et, d'autre part, d'assurer aux consommateurs un approvisionnement
97
Un premier office de commercialisation a vu le jour dès 1927 en Colombie-Britannique et a été jugé
inconstitutionnel en 1931, car il restreignait le commerce interprovincial (Charlebois 2007, p.6). Le
gouvernement fédéral a tenté d’intervenir en 1934 pour réguler la commercialisation du lait par lui-même et a
également été débouté en 1937 par la Cour Suprême et le Conseil privé de Londres. Il faudra attendre
l’adoption de Loi sur la commercialisation des produits agricoles, en 1949, déléguant les pouvoirs de
régulation fédéraux au palier provincial pour que se répartissent véritablement les compétences en matière de
commercialisation des produits agricoles au Canada (Lipert 2001, p.25). D’autres poursuites ont néanmoins
eu lieu au cours des années 70 quant à la validité de ces pratiques (cf. Skogstad 1987, chapitre 3).
98
Les compétences en question, inscrites dans la Constitution de 1867 et reproduites dans la Loi
constitutionnelle de 1982, se retrouvent dans les articles 91 à 95.
66
continu et suffisant de produits laitiers de qualité » (Loi sur la CCL de 1966). De façon
générale, la Loi sur la CCL « donne à la Commission le pouvoir d’établir un prix cible
national pour le lait de transformation et de le soutenir en proposant aux transformateurs
d’acheter leur beurre et leur poudre de lait écrémé aux termes de la Loi sur la stabilisation
des prix agricoles » (Scullion 2006, p.34).
Tout en étant le principal acteur, la CCL n’est qu’une des composantes de la politique
laitière canadienne. Rappelons qu’il est communément admis que le système de gestion de
l’offre du secteur laitier canadien repose sur trois « piliers »99. Les prochaines sections
décrivent succinctement les modalités de chacun.
3.1.2 La gestion de la production
Le contingentement de la production laitière dédiée à la transformation date du début des
années 70100. Le système est coordonné par la CCL et est aujourd’hui administré au moyen
d’une entente fédérale-provinciale appelée Plan national de commercialisation du lait.
L’objectif de ce plan est d’assurer un contingentement des livraisons de lait de
transformation provenant de tous les producteurs laitiers afin d’ajuster la production
canadienne aux besoins du marché intérieur (Gouin 1987, p.30).
Un organisme canadien présidé par la CCL, le Comité canadien de gestion des
approvisionnements de lait (CCGAL), est chargé d’appliquer les dispositions de ce Plan
national afin d’établir le niveau de production global et d’attribuer des parts de Quotas de
mise en marché (QMM) entre les provinces. Les QMM, originalement distribués aux
provinces sur la base de leur niveau de production historique, s’élevaient, en 2005-2006, à
171 721 tonnes de matière grasse. Le Québec et l’Ontario possèdent près de 80 % de ces
quotas (Groupe AGÉCO 2006).
99
Jusqu’en 2002, un subside était octroyé aux producteurs laitiers afin de réduire le prix des produits laitiers à
la consommation. Cette subvention a été abolie graduellement à partir de 1994 pour des raisons d’ordre
budgétaire (Groupe AGÉCO 2007b, p.33). Ce subside n’a jamais été considéré comme l’un des piliers de la
politique. De fait, son abolition a tout simplement résulté en une augmentation subséquente des prix de
soutien afin de maintenir les revenus des producteurs au même niveau (Gouin 2005, p.30).
100
Un premier Contingent d’admissibilité aux subventions (CAS) a été mis en place en 1967, mais a été
remplacé par la suite (Scullion 2006, p.35).
67
Ce système, mis en place au niveau fédéral, s’harmonise avec le contingentement de la
production du lait de consommation, administré au niveau provincial par les offices de
commercialisation de produits laitiers (Parent 1999, p.15). Au Québec, par exemple, ce rôle
appartient à la Fédération des producteurs de lait du Québec (FPLQ). Par le biais du
Règlement sur la commercialisation des produits laitiers (cf. Gouvernement du Canada
1994), ces différents offices se voient attribuer la responsabilité de répartir ces QMM entre
les producteurs de lait, selon le cadre réglementaire provincial en vigueur.
Notons que depuis 1996, une entente de mise en commun des revenus du lait (Entente P5)101 a mené à la fusion des quotas des laits de consommation et de transformation dans les
provinces participantes. Ainsi, les offices de commercialisation impliqués dans cette
entente administrent aujourd’hui un quota de mise en marché unique, exprimé en kilos de
matière grasse par jour (Lipert 2001, p.11). Malgré cette uniformisation, les QMM ne sont
pas transigés d’une province à une autre102. Un « marché » pour les quotas individuels
attribués aux producteurs laitiers existe ainsi dans chaque province et fonctionne selon des
règles différentes dans chacune103.
L’imposition de quotas de mise en marché du lait est essentielle au système de gestion de
l’offre dans le secteur laitier. Conséquemment, le quota de production est l’actif le plus
important des entreprises laitières canadiennes. Ainsi, au Québec, la valeur de cet actif –
considérée au prix auquel il est transigé sur le marché de la FPLQ – représente plus de
50 % du prix d’acquisition d’une entreprise laitière. En fait, en 2005-2006, le prix d’une
unité de quota transigé entre producteurs sur le marché des provinces participant au P-5
variait entre 29 204 $ (Ontario) et 32 499 $ en Nouvelle-Écosse (données tirées de Groupe
AGÉCO 2006).
101
Signée à l’origine par le Québec, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île du Prince
Édouard et le Manitoba. Cette dernière province a cependant quitté l’entente en 2003.
102
À l’exception d’une courte période en 1998, où les quotas ont pu être transigés entre certaines provinces,
mais l’Ontario et la Nouvelle-Écosse se sont rapidement exclues de cet accord (Lipert 2001, p.30).
103
Gouin (2005, p.31) indique qu’il « existe deux façons d’acquérir du quota : premièrement, sur un marché
centralisé où le quota peut être acheté ou vendu seul; deuxièmement, en acquérant une exploitation entière
avec tous ses actifs, y compris le quota ». La majorité des quotas transigés au Québec le sont par cette
deuxième voie.
68
3.1.3 L’administration des prix de soutien
La CCL intervient également au niveau des prix des produits laitiers en se référant à un prix
cible publié le 1er février de chaque année. Ce dernier est établi de façon à ce que les
« producteurs efficaces » puissent obtenir une « juste rétribution ». Plus précisément, la
CCL a recours à des prix de soutien, autrement dit des prix, en dollars par kilogramme,
auxquels elle achète et vend le beurre et la poudre de lait écrémé aux transformateurs
laitiers canadiens. Cette approche permet ainsi aux producteurs de tendre vers un revenu
cible par le biais des prix tirés du marché, puisque ceux-ci sont influencés par les prix de
soutien spécifiés par la CCL (Scullion 2006, p.56).
Ainsi, en février 2008, le prix cible a été établi à 72,45 $/hl sur la base de prix de soutien du
beurre et de la poudre de lait écrémé s’élevant respectivement à 6,94 $/Kg et à 5,98 $/Kg
(site Internet de la CCL). Notons que depuis 1975, les prix de soutien sont établis sur la
base d’une formule tenant compte des coûts de production du lait (Lipert 2001, p.32). Les
prix publiés par la CCL servent de référence aux offices de commercialisation provinciaux
dans l’établissement du prix exigé sur leurs marchés. Notons que les prix aux
transformateurs sont définis sur la base de l’utilisation du lait, selon un système de
classification harmonisé à l’échelle canadienne et comptant cinq catégories104 (Parent 1999,
p.17-8).
3.1.4 Le contrôle des importations
Dû au contingentement de la production et à l’administration des prix, la protection du
marché domestique de la concurrence étrangère est un pré-requis indispensable au maintien
du système de gestion de l’offre au Canada. La protection douanière appliquée aux produits
104
Ainsi, le lait de classe 1 correspond au lait de consommation, tandis que celui de la classe 5, au lait dédié à
la sur-transformation et à l’exportation. Notons que bien que les prix diffèrent au niveau provincial, certaines
ententes de mise en commun existent entre les provinces quant au partage des recettes découlant de la vente
de lait. La principale est l’Entente sur la mise en commun des revenus du lait, regroupant aujourd’hui
l’ensemble des provinces, qui propose une mise en commun des ventes de la classe 5 (AAC 2005a, p.9). Elle
a été adoptée en 1995 afin de remplacer l’ancien système de retenues visant à financer l’exportation des
surplus de beurre et de PLE (Parent 1999). D’autres ententes existent, comme la P-5 décrite précédemment et
la P-4, similaire, pour les provinces de l’Ouest canadien.
69
laitiers est d’ailleurs une mesure antérieure à la mise sur pied de la CCL et du
contingentement de la production (Scullion 2006, p.58).
Jusqu’à la conclusion de l’Accord sur l’agriculture en 1994, le Canada avait recours à des
quotas d’importation pour certains produits, dont le lait, le fromage et le yogourt (Lipert
2001, p.37). Ses obligations internationales l’ont par la suite mené à adopter un régime
constitué de tarifs douaniers. Aujourd’hui, le Canada applique, jusqu’à concurrence d’un
volume d’importation équivalent à 5 % de la consommation domestique, des tarifs
préférentiels (intra-quotas), tandis que des tarifs beaucoup plus élevés sont imposés pour les
quantités supplémentaires (tarifs hors-quotas). Ces derniers varient entre 201,6 % (poudre
de lait écrémé) et 298,7 % (beurre).
3.1.5 Présentation des cas retenus de réformes
La discussion précédente a mis en évidence les différentes caractéristiques de la politique
laitière canadienne. Deux constats simples – mais déterminants – s’imposent à cette lecture.
Tout d’abord, le secteur laitier évolue dans un environnement réglementaire unique, propre
à la réalité politique, juridique et économique canadienne. Ce système d’intervention,
comme de nombreux autres adoptés au Canada au cours des années, a été mis en place et a
évolué de façon à répondre aux attentes du gouvernement et des secteurs concernés. Pour
cette raison, il apparaît nécessaire de retenir, parmi les cas à l’étude, des projets de réforme
ayant été adoptés au Canada et pouvant être considérés comme des précédents en matière
de réponse gouvernementale à la suite d’une réforme.
Ensuite, le secteur laitier canadien évolue dans un environnement combinant à la fois un
contingentement de l’offre, une administration des prix et un contrôle des importations.
Sans présenter des modes de fonctionnement nécessairement identiques, plusieurs
politiques agricoles étrangères – aujourd’hui réformées – ont été développées autour de ces
mêmes éléments. La prise en compte de ces expériences est ainsi incontournable afin de
discerner les mesures d’intervention pouvant être adoptées lorsqu’un tel ensemble
d’interventions est réformé, en tout ou en partie. La Figure 4 schématise cette démarche de
sélection.
70
Figure 4 : Sélection des cas à l’étude : perspective privilégiée
« Gestion de l’offre »
Contingentement
Contrôle des
importations
Soutien des prix
Méthode de sélection
Expériences
étrangères
Gestion de l’offre
Secteur laitier
Australie
Suisse
Selon le degré de
correspondance
Politiques
canadiennes
Réformes
canadiennes
« Nid-de-Corbeau »
Tabac ontarien
Autres secteurs
Sucre européen
Arachides américaines
À partir d’un recensement effectué dans la littérature et selon les conditions énoncées
précédemment, six cas de réforme ont été sélectionnés. Plus précisément, deux expériences
de réforme de politique agricole ont été retenues au niveau canadien, soit celle de
l’abolition de la subvention du transport du grain de l’Ouest (i.e. subvention du Nid-deCorbeau) et celle du démantèlement du régime de gestion de l’offre en vigueur dans le
secteur de la tabaculture en Ontario. Parmi tous les cas canadiens de réforme105, ces
derniers sont certainement les plus pertinents, aussi bien pour les budgets impliqués que
pour les modes d’intervention qui ont été réformés (cf. sections 4.1 & 4.2).
Quatre expériences de réforme de politiques agricoles étrangères ont quant à elles été
sélectionnées. Afin d’assurer le plus haut niveau de correspondance possible, chacun des
secteurs concernés évoluait, avant sa réforme, sous un régime de « gestion de l’offre »
s’apparentant à celui caractérisant le secteur laitier canadien. Parmi les cas retenus, deux
concernent d’ailleurs directement le secteur laitier, soient ceux de l’Australie et de la Suisse
105
Ces cas sont peu nombreux. Un troisième cas aurait cependant pu être retenu, soit celui de la réforme du
secteur viticole de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, mais en plus de dater de la fin des années 80, cet
exemple concernait un secteur et une politique d’intervention très différents de ce qui caractérise le secteur
laitier canadien (cf. Carew 1998; Heien et Sims 2000).
71
(cf. sections 4.3 & 4.4). Les exemples du secteur sucrier européen et celui des arachides
aux États-Unis constituent pour leur part des cas récents de réformes mises en œuvre dans
des secteurs de production importants et menées dans des pays politiquement et
économiquement proches du Canada (cf. sections 4.5 & 4.6). Notons que la description
approfondie, ainsi que l’analyse de ces six cas sont effectuées au chapitre 4, à partir d’une
démarche analytique exposée à la section suivante.
3.2. La démarche analytique proposée
La première question de recherche a été traitée lors de l’étude des principes économiques
d’intervention menée au chapitre 2. La démarche analytique ici proposée se concentre ainsi
sur les façons dont ces principes peuvent être transposés à une expérience réelle de réforme
similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier canadien.
Trois types de principes économiques liés aux processus de réforme de politiques publiques
ont été abordés au chapitre précédent, soit le critère du « test de compensation », la
conceptualisation des mesures de transition et enfin l’articulation des justifications
normatives avancées pour légitimer le recours – ou non – à une mesure de transition.
Rappelons que ce dernier aspect, déterminant d’un point de vue normatif, s’est cependant
révélé d’une portée analytique limitée pour les fins de ce mémoire. Conséquemment,
l’analyse proposée se concentre sur les deux premiers types de principes économiques. Afin
d’évaluer la façon dont ils se transposent dans le cadre d’une réforme réelle, une analyse
individuelle et transversale des cas retenus est menée en deux étapes, soit en :
•
cernant les composantes du secteur visé faisant l’objet d’une intervention et en
définissant les types de mesure de transition alors privilégiés;
•
évaluant, au travers des mesures de transition adoptées, la présence d’une forme de
transposition du « test de compensation » décrit par le cadre théorique.
À cette fin, une démarche analytique, exposée ci-après, est développée autour de l’analyse
des cas sélectionnés précédemment. Notons que la perspective privilégiée a pour finalité de
cerner différentes tendances ou particularités en matière de réponses gouvernementales
suivant la réforme d’une politique agricole. Les résultats obtenus doivent alors servir à tirer
72
des enseignements sur la nature des mesures de transition qui pourraient être adoptées à la
suite d’une éventuelle réforme de la politique laitière canadienne.
3.2.1 La contextualisation du processus de réforme
L’objectif de ce mémoire est de contribuer à structurer la réflexion quant aux modes
d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel
démantèlement de la politique laitière canadienne. Considérant que l’approche privilégiée
repose sur des études de cas, il est donc primordial de situer ces expériences de réforme. De
fait, toute inférence avec la réalité canadienne n’est possible que sous réserve des
particularités propres à chaque processus d’implantation.
Ainsi, à l’instar de Martini (2007), de Blandford & Hill (2007), de Kubota (2006) et de
Harris (2005), il est nécessaire de mettre en contexte chaque projet de réforme à l’étude.
L’originalité de notre démarche se situe quant à elle dans l’attention particulière accordée
au degré de correspondance de cet environnement vis-à-vis la réalité du secteur laitier
canadien. Plus précisément, les deux points suivants, détaillés de façon non-exhaustive,
sont considérés :
•
Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien
o Quels mécanismes d’intervention étaient employés avant la réforme ?
o En quoi ces mécanismes correspondaient – ou non – à ceux utilisés dans le
cadre de la politique laitière canadienne ?
•
Réforme de la politique et pressions exercées
o Quelles modifications ont été apportées à la politique agricole ?
o Quels étaient l’ampleur de la réforme et les délais alloués à son
déroulement ?
o Quels sont les principaux facteurs, cités dans la littérature, expliquant le
besoin de réformer le secteur étudié ?
3.2.2 Le recensement des caractéristiques d’intervention
Chaque cas de réforme à l’étude est en soi un phénomène politico-économique complexe
pouvant être étudié sous une multitude de facettes. Afin que la description des expériences
73
de réforme soit systématique et circonscrite aux seuls aspects pertinents pour les fins du
mémoire, une grille regroupant les informations nécessaires a été développée et utilisée. Le
Tableau 3 en offre un exemple, appliqué à un pays fictif, pour une réforme d’un secteur de
production donné.
Les paramètres définis (i.e. intervenants concernés, critères d’éligibilité, financement, etc.)
sont des éléments préalablement soulevés et étudiés dans les différentes sections du
chapitre 2, dont celle traitant des justifications normatives d’intervention (cf. section 2.5).
Leur sélection s’explique quant à elle par les besoins de la démarche analytique, axée sur la
conceptualisation des mesures d’intervention et la transposition des notions théoriques aux
expériences de réforme.
Pour fins de clarté, les paramètres retenus sont classifiés en deux ensembles, soit les
critères d’intervention et la structure des programmes. Le premier ensemble regroupe
des informations qualifiant l’intervention, telles que les critères d’éligibilité et les
conditions de versement du soutien. Le second ensemble se concentre sur des aspects
techniques et à caractère économique. Ainsi, les budgets alloués aux mesures sont pris en
compte, tout comme la base de référence par rapport à laquelle a été évalué le montant
octroyé. Les informations compilées par le biais de cet exercice – dans la mesure où elles
sont accessibles – constituent la base de données à partir de laquelle les analyses du
chapitre 4 sont menées.
74
Tableau 3 : Caractéristiques et modalités des programmes adoptés à la suite de la réforme,
un exemple
Aspects descriptifs
Critères d’intervention
Nom du
programme
Programme
A
Programme
B
Intervenants
concernés
Producteurs
agricoles
Les abattoirs
Composantes
économiques
visées
Critères
d’éligibilité
Conditions de versement
Période et rythme
de versement
Soutien des
revenus
- Recettes brutes
inférieures à
30 000$ ;
- Avoir été
producteur entre
2006 et 2008.
- Participer à un
programme de formation
en gestion d’entreprise ;
- Abandonner les
productions ciblées d’ici
2013.
- Disponible pendant
5 ans ;
- Versement
mensuel.
Incitatifs à la
restructuration
Etre une
entreprise
spécialisée dans
l’abatage du
produit visé.
- Démanteler les
installations d’abatage ;
- Disponible pendant
5 ans ;
- Versement unique.
Structure du programme
Nom du
programme
Montant de
l’intervention
Calcul du
soutien
Base de
référence
Programme
A
300 000 $
- Selon un
revenu net cible
de 16 000$ ;
- Soutien direct
régressif selon
la différence.
Nd.
Programme
B
1,2 millions
de $
Selon une
évaluation du
ministère et de
l’entreprise.
Couvrir la
totalité des
coûts du
démantèlement.
Plafond et
nature du
paiement
- Soutien
direct
découplé ;
- Soutien
maximal de
5 000 $.
Soutien direct
découplé ;
Financement
Type de
mesure de
transition
Assistance
Crédits du
ministère de
l’agriculture
(contribuables)
Ajustement
3.2.3 L’analyse des caractéristiques d’intervention
La catégorisation des mesures de transition adoptées lors du processus de réforme est
déterminante, car elle permet de discerner les composantes économiques bénéficiant d’une
intervention, ainsi que de définir et de pondérer les finalités poursuivies par le
gouvernement lors du processus. Dans le cadre des analyses de cas présentées au chapitre
suivant, cette facette est étudiée en lien avec la classification proposée au Tableau 1 et
synthétisée par la Figure 5 suivante. Notons, à l’instar de Kubota (2006), que notre
75
démarche est d’abord et avant tout conceptuelle et qu’en pratique, les mesures entrant dans
le champ de la définition au sens étroit adopté dans ce mémoire peuvent être relativement
rares.
Mesure
d’ajustement
Définition
Structurelles Compétitivité Conditions
de marché
Intervention agissant sur le
rythme et le degré
d’adaptation du secteur
à la suite de la réforme
d’une politique en vigueur.
Caractéristiques
Catégorisation
Figure 5 : Synthèse de la catégorisation des mesures de transition
• Soutien direct ou
indirect;
• Échéance de court
à moyen terme;
• Axée sur l’allocation
des ressources.
Mesure
d’indemnisation
Actifs
Revenus
Transfert monétaire
direct octroyé à
une catégorie ciblée
ayant subi un
préjudice suivant
la réforme d’une
politique publique.
• Inconditionnelle à
l’ajustement;
• Pas d’attente quant
à l’ajustement;
• Transfert monétaire
direct;
• Date de cessation
connue.
Mesure
d’assistance
Réinstrumentation
Composante Composante
indemnité
ajustement
Mesure ayant pour
objectif combiné
de dédommager les
individus pénalisés
par la réforme
et de promouvoir
l’ajustement par
les forces du marché
• Soutien direct
et temporaire;
• Versement
conditionnel à
une décision
d’ajustement.
Remplacement d’un
instrument d’action
par un autre
pour continuer à
poursuivre un même
objectif.
• Aucune limitation
à la durée de
versement.
Source : Développé à partir de la conceptualisation proposée au tableau 1.
La classification est effectuée sur la base des caractéristiques fournies par la grille décrite
au Tableau 3. En plus de définir les types de mesure de transition privilégiés, cette
démarche permet l’étude des constantes et rend possible la proposition d’inférences avec le
cas du secteur laitier canadien. Cet exercice, réalisé par cas individuel, est également mené
de façon transversale, au chapitre 5, afin de couvrir une plus vaste perspective en matière
d’interventions post-réformes.
Dans le but d’approfondir la compréhension des processus de réforme à l’étude, une
évaluation globale des justifications avancées afin d’expliquer le recours aux mesures de
transition adoptées est proposée. Cet exercice est mené dans les limites des informations
76
disponibles, telles que les caractéristiques répertoriées, les sources gouvernementales
publiées ou encore les publications scientifiques pertinentes.
3.2.4 L’ascendance de la théorie économique sur l’intervention
gouvernementale
La démarche analytique proposée à ce stade privilégie une compréhension conceptuelle du
processus de réforme et des mesures de transition adoptées. La dernière composante
d’analyse a quant à elle un caractère davantage théorique. En effet, rappelons que dans la
perspective de l’économie du bien-être, il est proposé de réformer un secteur si le « test de
compensation » présente une valeur positive, autrement dit si les gains d’efficacité anticipés
surpassent les coûts engendrés par la décision, de façon à ce que les perdants puissent être
dédommagés pour leurs pertes par les gagnants.
Selon la théorie, ce test n’engage pas nécessairement à verser effectivement la
compensation. Toutefois, dans la mesure où un support est effectivement octroyé, il est
intéressant d’évaluer si ce dernier prend la forme d’une transposition du « test de
compensation » décrit par le cadre théorique. En effet, comme le remarque Kapstein (1998,
p.505) dans le cas du TAA, « there are few areas of public policy where the gap between
theory and practice is so wide. […]. The difference between the compensation called for in
theory and that actually extracted from the political process and job market might be called
trade’s “dirty little secret” ». Pour évaluer l’existence d’une telle transposition dans les cas
à l’étude, les trois composantes suivantes sont considérées :
•
La spécification des perdants, soit les individus pénalisés par la réforme ;
•
Le niveau de « compensation » accordé, devant correspondre aux pertes assumées ;
•
L’origine du financement, provenant théoriquement des gains perçus par les
bénéficiaires.
Afin de pouvoir étudier ces différents aspects, les modalités répertoriées des programmes
sont prises en compte. Des paramètres tels que les intervenants concernés, les montants
alloués et la nature du financement, retrouvés au Tableau 3, sont considérés.
77
En somme, à partir de ces différentes informations, il est proposé d’étudier, pour chacun
des cas sélectionnés, les façons dont les mesures de transition conceptualisées et le « test de
compensation » sont transposés en pratique. Cette démarche a pour objectif de tirer des
enseignements sur les modes d’intervention et sur leur contexte d’utilisation. Ces résultats,
une fois compilés, permettront de mieux cerner la nature des réponses gouvernementales
qui pourraient être adoptées dans l’éventualité d’une réforme de la politique laitière
canadienne.
4. L’analyse des expériences antérieures de réforme
Rappelons que l’objectif de ce mémoire est d’étudier les modes d’intervention qui
pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la
politique laitière canadienne. Jusqu’à présent, l’analyse proposée s’est surtout intéressée au
volet « théorique » de la question en présentant, au chapitre 2, une étude conceptuelle des
principes économiques d’intervention envisageables lors d’une réforme d’une politique
publique.
La démarche analytique développée au chapitre 3 à partir de cette conceptualisation
théorique a, par ailleurs, ouvert la voie à une analyse à caractère « empirique » des modes
d’intervention pouvant être déployés par un gouvernement lors d’une réforme d’une
politique agricole. Ainsi, six expériences de réforme ont été sélectionnées en fonction de
leur correspondance avec le fonctionnement actuel de la politique laitière canadienne.
Dans le cadre de ce quatrième chapitre, ces cas sont étudiés en vue de répondre à la
deuxième question de recherche de ce mémoire, à savoir de quelles façons les principes
économiques d’intervention exposés au chapitre 2 peuvent être transposés à une expérience
réelle de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier
canadien. Les sections suivantes présentent, pour chacun des six cas retenus, les analyses
réalisées selon la démarche analytique développée au chapitre précédent. Dans l’ordre de
traitement, les cas de réforme sont ceux de la politique de transport du grain de l’Ouest
canadien, du secteur ontarien de la tabaculture, des secteurs laitiers australiens et
helvétiques, des arachides américaines et du sucre européen.
4.1. Le réforme de la Loi sur le transport du grain de l’Ouest
L’intervention du gouvernement canadien dans le domaine du transport céréalier a débuté
en 1897, avec la Convention du Nid-de-Corbeau. Cet accord, institutionnalisé en 1925,
fixait à perpétuité le tarif – le taux de la Passe du Nid-du-corbeau – pouvant être chargé par
les compagnies ferroviaires pour le transport du grain produit dans l’Ouest canadien et
79
destiné à l’exportation. Jusqu’au début des années 80, peu d’ajustements ont été apportés à
cette entente (Klein et Kerr 1996, p.3).
L’augmentation des coûts d’opération des chemins de fer ayant rendu l’entente peu
profitable pour les compagnies ferroviaires106, les paliers de gouvernement fédéral et
provincial ont dû investir, au cours des années 70, de façon ad hoc afin d’assurer le respect
de la Convention (Kubota 2006, p.16). Confronté à ce disfonctionnement, le gouvernement
canadien a modifié son cadre réglementaire, en adoptant, en 1983, Loi sur le transport du
grain de l’Ouest (LTGO)107. Cette loi venait institutionnaliser les paiements ad hoc versés
au cours de la décennie précédente. Elle garantissait que les coûts du transport des céréales
par chemin de fer non couverts par les tarifs seraient pris en charge conjointement par l’État
fédéral et les producteurs agricoles, moyennant une subvention dite du « Nid-de-corbeau ».
4.1.1 La contextualisation du projet de réforme
4.1.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien
Dans le cadre de la Loi sur le transport du grain de l’Ouest (LTGO), les entreprises
ferroviaires ont perçu une subvention, dite du « Nid-de-corbeau », pour le transport des
grains108 des producteurs de l’Ouest canadien109 vers les ports de Vancouver ou de Thunder
Bay, pour fins d’exportation. À la veille de la réforme, jusqu’à 34,6 millions de tonnes de
grains pouvaient être subventionnées de la sorte (CEPP 1994, p.113).
L’aide correspondait à la différence entre les coûts engagés par les entreprises ferroviaires
pour déplacer la production et les charges payées par les producteurs. Plus précisément, la
subvention devait, à l’origine, assurer aux entreprises ferroviaires les revenus additionnels
106
Des sources avançaient qu’en 1974, les entreprises ferroviaires ne couvraient que 38 % de leurs coûts
variables d’exploitation à partir des tarifs appliqués au transport des grains (cf. Norrie 1983, p.436).
107
Il est intéressant de noter que cette réforme a elle-même mené à la mise en place de mesures de transition,
dont un programme quinquennal de 250 millions de dollars canadiens visant l’expansion industrielle et
agricole de l’Ouest canadien (cf. Norrie 1983).
108
La LTGO s’appliquait à 58 produits, soit pratiquement toutes les céréales, dont les grains, mais aussi la
farine, la luzerne et les oléagineux. Dans le cadre de cette analyse, le terme générique de « grain » est
privilégié.
80
nécessaires afin qu’elles puissent couvrir l’entièreté de leurs coûts d’opération, en plus
d’assurer un retour sur investissement suffisant. Le « montant de base » prévu a été évalué
à 658,6 millions de dollars en 1983 (cf. Transports Canada 1999).
Un organisme fédéral avait la responsabilité d’évaluer, sur une base quadriennale, la
croissance des coûts et, selon les besoins, de partager les charges supplémentaires entre le
gouvernement fédéral et les producteurs concernés (Klein et Kerr 1996, p.4). Ainsi, en
1989, la subvention s’élevait à 720 millions de dollars et couvrait 70 % des coûts de
transport. Compte tenu des coupures budgétaires et des gains d’efficacité dans le transport,
les sommes nécessaires ont été revues à la baisse à partir de 1992. Au moment de la
réforme, la subvention n’était plus que de 565 millions de dollars et les producteurs
assumaient alors 50 % des charges induites par le transport (Klein et Kerr 1996, p.4).
Mentionnons que l’intervention au titre de la LTGO était complétée par divers mécanismes
de régulation du transport et du marché des grains. Ainsi, la Commission canadienne du blé
(CCB) administrait un système de mise en commun des recettes qui avait pour effet
d’uniformiser les prix perçus aux ports de Vancouver et de Thunder Bay, malgré les
différences de frais de transport observées dans les faits (Doan et coll. 2003, p.4).
S’ajoutaient également les effets indirects d’autres subventions au transport, telles que
l’Aide au transport des céréales fourragères, qui visait à faciliter la livraison des grains de
l’Ouest vers les régions canadiennes ne produisant pas suffisamment de ces produits pour
répondre à leurs besoins, telles que la Colombie-Britannique et la région Atlantique.
Techniquement, l’aide versée au titre de la LTGO représentait une subvention au capital
utilisé dans le secteur de la production de grains dans l’Ouest canadien (Schmitz et coll.
2002b, p.335). Dans les faits, elle permettait de soutenir le prix de tous les grains produits
dans cette région, bien que la production utilisée localement ne fût pas éligible à la
subvention. Ceci s’explique par le fait que le marché canadien des grains était libéralisé.
Les prix aux producteurs étaient donc établis en fonction des cours internationaux, que le
grain fut exporté ou consommé sur place.
109
Les producteurs visés étaient ceux du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de deux districts de la
Colombie-Britannique (Kubuta 2006, p.18). Ces régions sont ici regroupées sous le terme général de
« l’Ouest canadien ».
81
Ce faisant, le prix local correspondait au prix international, moins les frais de transport et
de manutention. Dans la mesure où la subvention réduisait ces frais, une plus petite
déduction devait être appliquée, rehaussant le prix perçu par les producteurs, non seulement
sur le marché de l’exportation, mais aussi sur celui de la consommation locale, défavorisé
par la moindre disponibilité de l’offre (Norrie 1983, p.436; Friesen 2003, p.2). Autrement
dit, cette intervention, tout en laissant libre-cours aux fluctuations des marchés, permettait
de bonifier les prix perçus par les producteurs.
Il faut reconnaître que ce type d’intervention diffère du fonctionnement du régime de
gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien. Toutefois, sur certains aspects, l’effet
économique de la subvention du « Nid-de-corbeau » rejoint celui de la politique laitière
canadienne. C’est le cas notamment du processus de capitalisation du soutien dans la valeur
des actifs des entreprises. Mais en plus de cette correspondance à caractère économique,
l’intérêt d’analyser la réforme de la LTGO relève du fait que cet exemple constitue, de par
les sommes engagées et le nombre d’intervenants impliqués, la principale expérience de
réforme de politique agricole au Canada. La façon dont elle s’est déroulée constitue
conséquemment un précédent significatif en la matière.
4.1.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées
Lors du dépôt du budget fédéral de 1995, le gouvernement fédéral a annoncé l’abolition de
toutes les subventions ferroviaires en lien avec le secteur de l’agroalimentaire. Par cette
décision, le gouvernement visait quatre objectifs (cf. Timmins et Young 1996, 28.10) :
•
« contribuer aux restrictions financières;
•
se conformer aux nouvelles obligations en matière de commerce international au
chapitre des subventions à l'exportation;
•
encourager l'évolution d'un système de transport plus efficace et plus efficient pour
le transport du grain de l'Ouest vers les marchés;
•
encourager la diversification des cultures et le développement d'une plus grande
transformation « à valeur ajoutée » des produits agricoles. »
82
La politique de transport du grain de l’Ouest s’est retrouvée au cœur de ce processus de
réforme. Afin atteindre les objectifs poursuivis, trois grandes modifications ont alors été
apportées à ce système d’intervention (cf. Timmins et Young 1996, 28.11) :
•
« éliminer la subvention communément appelée “Subvention du Nid-de-Corbeau”;
•
permettre la vente ou l'abandon des lignes de chemin de fer non rentables et
dépendantes du transport du grain;
•
réorganiser le système de mise en commun de la Commission canadienne du blé (la
manière dont les producteurs partagent les coûts de transport). » 110
Ce processus de réforme a ainsi eu pour principale conséquence de laisser à la charge des
entreprises agricoles l’entièreté des coûts liés à l’exportation de leurs grains, en plus de
modifier la structure des prix à l’exportation, dans un contexte de désengagement
économique de l’État en matière de coordination du transport céréalier. À cet égard, ce
processus de désengagement a également mené à l’abrogation de plusieurs lois régulant le
transport du grain au Canada111, en plus de mettre fin à l’Aide au transport des céréales
fourragères. Pour contrer les effets de ces nombreux changements, différentes mesures ont
été mises de l’avant par le gouvernement canadien. Celles-ci sont présentées à la section
suivante.
Mentionnons à ce stade que ces décisions, adoptées en février 1995, devaient pour la
plupart être mises en œuvre au cours de cette même année. À cet égard, la réforme de la
LTGO et des mesures connexes a été directe. Il est également possible de considérer cette
réforme comme ayant été complète. En effet, bien que des mesures de transition aient été
adoptées et que le transport ferroviaire du grain de l’Ouest canadien soit demeuré
réglementé à la suite de la réforme112, le principe d’intervention, assurant une bonification
des prix aux producteurs, a quant à lui été complètement abandonné avec l’abrogation de la
LTGO.
110
L’ajustement visait à ce que les tarifs reflètent les coûts supplémentaires liés à l’exportation des grains à
partir du port de Thunder Bay (cf. Kraft et Doiron 2000).
111
Les principales sont la Loi sur les subventions au transport des marchandises dans la région Atlantique
ainsi que la Loi sur les taux de transport des marchandises dans les provinces Maritimes. Il est intéressant de
noter que leur abrogation a mené à l’adoption de mesures de transition, dont un fonds de 326 millions de
dollars sur cinq ans « pour atténuer les difficultés des expéditeurs ou pour investir dans les routes ou autres
segments du secteur des transports pour accroître l’efficience du réseau » (Transports Canada 1996, p.21).
112
L’Office des transports du Canada a maintenu, jusqu’en 2001, un contrôle sur les tarifs ferroviaires
applicables au transport des grains (Transports Canada 1999; Schmitz et coll. 2002b).
83
4.1.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention
4.1.2.1 La catégorisation des programmes adoptés
Pour les fins de l’analyse, les trois principales mesures adoptées lors de la réforme de la
politique sur le transport des grains de l’Ouest ont été étudiées. La sélection effectuée
s’explique par la représentativité de ces interventions, mais aussi par la disponibilité des
informations nécessaires à leur catégorisation113. Ces mesures sont le Programme de
paiements de transition pour le grain de l’Ouest, le Fonds d'adaptation à la disparition de
l'aide au transport des céréales fourragères et le Fonds d’adaptation à la réforme du
transport du grain de l’Ouest. Leurs caractéristiques sont présentées au Tableau 4.
Le Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest (PPTGO) constitue la
principale mesure de transition adoptée par le gouvernement canadien lors du processus de
réforme. Il consistait en un paiement ponctuel en capital. Comme l’indiquent Timmins et
Young du Bureau du Vérificateur général du Canada, (1996, 28.13) « l'intention déclarée
du [PPTGO] est de dédommager les propriétaires de terres agricoles pour la baisse de
valeur de leurs terres par suite de l'abolition de la Subvention du Nid-de-Corbeau ». Près de
210 000 propriétaires fonciers, détenant quelques 730 000 parcelles de terre, étaient visés
par ce programme (Timmins et Young 1996, 28.26).
Le budget total prévu par ce programme s’élevait à 1,6 milliard de dollars. La distribution
de cette subvention a d’abord été effectuée entre les provinces. Chacune s’est vue décerner
une part sur la base du niveau moyen d’aide offert au titre de la subvention du « Nid-deCorbeau » entre 1985/86 et 1993/94. Cette somme a par la suite été répartie entre les
propriétaires fonciers sur la base d’un calcul individualisé, tenant compte principalement de
trois paramètres, soit de la distance de l’entreprise du port d’exportation le plus près, des
rendements des sols et du degré d’irrigation de la parcelle. Le soutien accordé a ainsi varié
de 7,25 $ à 48,31 $ l'acre (cf. Timmins et Young 1996). Autrement dit, compte tenu des
113
L’accès aux caractéristiques détaillées des programmes mis de l’avant s’étant révélé difficile, il n’a pas été
possible de recenser systématiquement les modalités d’intervention de toutes les mesures de transition
adoptées.
84
caractéristiques du paiement – direct, temporaire et dénué de condition de versement – le
PPTGO relève de l’indemnisation.
Mentionnons que Friesen (2003, p.2) d’Agriculture et d’Agroalimentaire Canada, indique
que le PPTGO a fait passer le principe d’intervention d’un système de « Pay the railway » à
un système de « Pay the producer ». Le PPTGO aurait ainsi été établi de façon à remplacer
la subvention annuelle du « Nid-de-corbeau » payée aux entreprises ferroviaires, par un
paiement direct unique, octroyé aux producteurs et correspondant à la valeur actualisée de
cette subvention versée à perpétuité, dans la mesure où l’argent aurait été placé à un taux
d’intérêt suffisant. Cette perspective est analysée plus en détails par la suite.
La deuxième mesure étudiée est le Fonds d'adaptation à la disparition de l'aide au
transport des céréales fourragères (FADATCF). Doté d’un budget de 72,7 millions de
dollars, ce programme triennal visait à octroyer une aide provisoire aux éleveurs ayant
bénéficié de l'Aide au transport des céréales fourragères (AAC 1996, p.26). Plus
précisément, le gouvernement s’engageait à financer des initiatives entreprises par des
organisations agricoles provinciales dans le but de faciliter l’adaptation des éleveurs au
nouvel environnement économique (Martini 2008, p.8). Ce programme, en favorisant le
développement d’une meilleure structure institutionnelle pour le secteur de l’élevage
canadien affecté par la réforme de la politique du transport du grain de l’Ouest, peut ainsi
être considéré comme une mesure d’ajustement, encourageant la « compétitivité » de
l’industrie.
La troisième mesure étudiée est le Fonds d’adaptation à la réforme du transport du grain
de l’Ouest (FARTGO). Ce dernier visait « à faciliter la transition et à aider le secteur à
s’adapter » (Kubuta 2006, p.18). Doté d’un budget de 300 millions de dollars sur trois ans,
ce fonds devait financer quatre principaux programmes, ciblés sur différents aspects de la
réforme.
Ainsi, une première mesure – le Programme d’aide à la mise en commun des frais de
transport – devait venir en aide aux producteurs affectés par les ajustements apportés au
système de mise en commun des recettes de la CCB. En effet, puisque le changement
impliquait une hausse des frais liés à l’exportation des céréales vers l’Est, les producteurs
85
situés au Manitoba et en Saskatchewan se trouvaient pénalisés, contrairement à ceux de
l’Alberta qui voyaient leurs coûts d’exportation réduits114 (cf. CEPP 1994, chap.4). Pour
cette raison, un support de 105 millions de dollars devait être accordé aux 60 000
producteurs agricoles éligibles situés dans ces deux provinces (AAC 1996, p.26; AAC
1997, p.42). Ce paiement visait donc à assurer que les producteurs situés dans l’Est des
Prairies ne soient pas pénalisés comparativement à ceux de l’Alberta.
Une seconde mesure – le Programme canadien d’agro-infrastructure – a été proposée afin
de contrer les répercussions de la vente et de l'abandon, par le gouvernement, des lignes de
chemin de fer non rentables (Timmins et Young 1996, pièce 28.1). En effet, cette
rationalisation devait mener à un usage accru du réseau routier par les producteurs
agricoles. Les municipalités auraient alors eu à faire face à des coûts d’entretien beaucoup
plus élevés, sans être en mesure de transférer la facture aux utilisateurs transitant sur leur
territoire (CEPP 1994, p.106). Ainsi, cette aide de 140 millions de dollars, mise à la
disposition des communautés affectées, devait permettre d’améliorer les infrastructures
locales, en privilégiant, entre autres, la réfection du réseau routier (Kubota 2006, p.18).
Une troisième mesure, soit le Programme d’aide aux déshydrateurs de luzerne et aux
fabricants de foin densifié, devait quant à elle soutenir ces entreprises pour les pertes
induites par l’abolition de la subvention du « Nid-de-corbeau ». En effet, la luzerne
déshydratée et le foin densifié faisaient partie des produits transformés bénéficiant de la
subvention. Compte tenu que les paiements de transition pour le grain de l’Ouest étaient
versés aux propriétaires fonciers et non aux producteurs de produits éligibles, un paiement
supplémentaire se révélait nécessaire afin de les aider à faire face à l’augmentation des
tarifs de transport (CEPP 1994, p.101). Les fonds prévus à cette fin devaient s’élever à
45 millions de dollars.
Enfin, à partir des fonds restants (15 millions de dollars), un programme de garantie de
crédit sur les exportations de céréales a été proposé. Réservé aux entreprises privées non
114
Ceci s’explique par le fait que sous l’ancien régime, les frais supplémentaires nécessaires à l’exportation
des grains vers l’Est étaient pris en charge par la CCB et se reflétaient sur les prix nets payés à tous les
producteurs. L’ajustement des tarifs devait donc avoir pour effet d’éliminer cette charge sur le prix des
céréales exportées vers l’Ouest.
86
étatiques, il devait garantir la vente de céréales pour une valeur totalisant un milliard de
dollars (Doan et coll. 2003, p.4).
Bien que certaines modalités d’intervention caractérisant les programmes adoptés au titre
du FARTGO n’aient pu être recensées, il est possible de proposer une catégorisation pour
chacun d’eux. Le Programme d’aide à la mise en commun des frais de transport et le
Programme d’aide aux déshydrateurs de luzerne et aux fabricants de foin densifié
apparaissent ainsi être des mesures d’indemnisation. Ceci s’explique surtout par la finalité
de ces deux programmes, qui visaient explicitement à limiter les pertes encourues par
certains groupes spécifiques affectés par la réforme. D’autre part, le Programme canadien
d’agro-infrastructure et celui finançant le crédit à l’exportation peuvent être classés dans la
catégorie des mesures d’ajustement. En effet, ces programmes, temporaires, permettent
d’accroître la « compétitivité » du secteur en mettant à sa disposition des capitaux
supplémentaires afin de servir à son développement.
Au total, près de 2 milliards de dollars ont été directement mis à la disposition du secteur
du grain de l’Ouest canadien, affecté par la réforme de la politique du transport ferroviaire.
Notons que cette enveloppe financière était fermée, en ce sens qu’elle ne finançait que des
programmes temporaires et non renouvelables. La très grande partie des ressources
budgétaires disponibles a d’ailleurs été allouée au programme ponctuel de Paiements de
transition pour le grain de l’Ouest.
4.1.2.2 Constats et inférences
En plus de la description proposée précédemment, une contextualisation se révèle
nécessaire à l’analyse de la nature et de la portée des mesures de transition adoptées. Il est
en fait primordial de noter que les programmes décrits découlent pour la plupart d’un
processus de réévaluation de la politique antérieur à la réforme de 1995. En effet, dès 1993,
un avant-projet de loi avait prévu que le versement de la subvention du « Nid-de-corbeau »
soit transféré des entreprises ferroviaires vers les producteurs. Pour ce faire, différents
moyens ont été envisagés dans le cadre d’études et de mémoires. L'analyse de ces options a
87
finalement été présentée dans un document publié en 1994 et préparé par le Comité
d'examen des paiements aux producteurs (cf. CEPP 1994).
Les travaux du Comité portaient essentiellement sur l’évaluation des modes alternatifs
d’octroi de la subvention aux producteurs, de façon à accroître l’efficacité du système tout
en évitant de pénaliser les différents intervenants impliqués. Bien que l’ajustement du
système de mise en commun des prix de la CCB et la restructuration du réseau ferroviaire
aient été des thèmes abordés, l’abolition de la politique n’était pas en soit envisagée. Quoi
qu’il en soit, force est de constater que lors de la réforme de 1995, les mesures de transition
adoptées se sont grandement inspirées des pistes de réflexion proposées par le Comité et
ont conséquemment favorisé le dédommagement des groupes affectés.
Ceci s’observe d’abord et avant tout par le nombre et la diversité des groupes visés par des
mesures de transition. De fait, le type et la variété des interventions déployées ont permis
de rejoindre la plupart des acteurs ayant été affectés, de près ou de loin, par la politique de
transport du grain et par sa réforme. Les producteurs, les municipalités, les transformateurs,
ainsi que des groupes régionaux et nationaux ont ainsi fait l’objet d’un soutien qui a
souvent pris la forme d’une indemnisation.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que le choix d’octroyer le Programme de paiements de
transition pour le grain de l’Ouest (PPTGO) aux propriétaires fonciers plutôt qu’aux
producteurs découle de cette approche. En effet, bien que ce soient les bénéficiaires de la
subvention du « Nid-de-corbeau » qui aient été directement pénalisés par son abolition,
tous les producteurs agricoles de l’Ouest canadien avaient vu la valeur de leurs terres
s’accroître dû à la capitalisation de cette aide au fil des années115. Considérant que
l’abandon de cette subvention devait se répercuter à terme sur la valeur de cet actif, il a été
jugé préférable d’intervenir à ce niveau (CEPP 1994, p.94). Tout en reconnaissant l’effet de
« dilution » dû à une compensation liée aux terres plutôt qu’aux volumes commercialisés,
cette approche permettait de rejoindre tous les producteurs affectés par la réforme116.
115
Il est admis que les subventions gouvernementales ont tendance à se capitaliser dans la valeur de certains
actifs fixes des entreprises, tels que les quotas ou la terre. Ce phénomène devient encore plus important si la
subvention a un caractère permanent, ce qui était le cas de la subvention du « Nid-de-corbeau ».
116
La volonté de dédommager correctement les producteurs va encore plus loin. Ainsi, Timmins et Young
(1996) notent que la décision de calculer un paiement spécifique à chaque parcelle de terre plutôt que d’établir
88
L’adoption de mesures complémentaires telles que le Programme d’aide aux déshydrateurs
de luzerne et aux fabricants de foin densifié et le Arable Acres Supplementary Payment
Program117 assuraient, quant à elles, de dédommager les groupes spécifiques exclus du
programme principal.
Par ailleurs, la volonté de dédommager tous les acteurs affectés n’a pas été le seul facteur
sous-tendant l’adoption de ces mesures de transition. Ainsi, rappelons que les attentes
gouvernementales envers le processus de réforme se sont surtout exprimées en termes
« d’efficacité », aussi bien budgétaire qu’économique. Par conséquent, les mesures mises
de l’avant, que ce soient celles d’ajustement ou d’indemnisation, ont été teintées par cette
perspective.
Cette observation se transpose d’ailleurs aisément aux programmes de transition financés
par le Fonds d’adaptation à la réforme du transport du grain de l’Ouest et par le Fonds
d'adaptation à la disparition de l'aide au transport des céréales fourragères, dont la finalité
première a été justement d’accroître l’efficience économique du secteur. Agriculture et
Agroalimentaire Canada note même dans son rapport annuel de 1996 que « ces
programmes [de transition] sont expressément conçus pour aider le secteur agricole et
agroalimentaire à rehausser sa compétitivité et à mieux se positionner pour tirer parti des
nouvelles possibilités commerciales dans un contexte de baisse des subventions » (AAC
1996, p.1).
L’objectif poursuivi par le PPTGO était quant à lui de dédommager les propriétaires
fonciers pour la dévaluation attendue de leurs terres à la suite de l’abolition de la
subvention du « Nid-de-corbeau ». Mais plus encore que le dédommagement, le
rehaussement du degré d’efficacité du secteur agricole de l’Ouest canadien était poursuivi.
L’attente formulée par le gouvernement canadien à l’égard du PPTGO était d’ailleurs à
l’effet que les « producers would use the subsidy to reinstate the earning potential of their
farm through appropriate investments » (Friesen 2003, p.3). L’idée n’était donc pas
seulement de compenser des propriétaires fonciers pour la dévaluation de leurs actifs, mais
une valeur unique visait justement à prendre en compte les particularités de chaque entreprise, bien que des
efforts importants ont dû être déployés pour obtenir les données nécessaires.
89
aussi de permettre à des producteurs agricoles de poursuivre le développement de leur
entreprise118.
D’un point de vue économique, il faut aussi constater que le PPTGO, bien que versé pour
dédommager la dévaluation d’un actif, indemnise, en réalité, la perte des revenus découlant
de l’abolition de la subvention du « Nid-de-corbeau ». C’est le fait que la terre ait été le
principal actif des entreprises de la région et que la subvention ait certainement été
capitalisée dans ce dernier qui explique le recours à ce « support » pour intervenir.
Parmi les autres constats qui émergent de cette analyse, mentionnons l’absence d’attente en
matière de restructuration du secteur, l’intervention étant seulement consacrée à la question
de la « compétitivité » des entreprises. Seul un phénomène de diversification de la
production était attendu, mais aucune mesure n’a été adoptée spécifiquement à cette fin119.
Cette orientation peut s’expliquer par le fait que la réforme proposée n’affectait que la
structure des prix des grains et non l’environnement commercial dans lequel évoluait le
secteur, comme c’eut été le cas si le régime tarifaire ou un système de contingentement
avait été démantelé. Par conséquent, la structure du secteur, que ce soit au niveau du
nombre ou de la taille des entreprises, n’avait pas à faire l’objet d’une attention particulière.
En somme, les mesures d’intervention déployées à la suite de la réforme de la politique de
transport du grain de l’Ouest ont reposé sur le fait que le « gouvernement a reconnu que
l'abolition de la subvention comporterait des répercussions financières négatives sur
certains segments de l'économie de l'Ouest » (Timmins et Young 1996, 28.12). Plus
spécifiquement, on constate qu’un large éventail de mesures a été déployé afin de couvrir
une vaste gamme d’intervenants.
117
Ce programme n’a pas été étudié dans cette section. Il prévoyait un paiement unique similaire à celui du
PPTGO. Il était réservé aux producteurs produisant des récoltes excluent du PPTGO (Martini 2008, p.21).
118
Il est intéressant de constater que le PPTGO, en tant que mesure catégorisée comme une indemnisation,
devait servir, selon les préférences des bénéficiaires, de fonds de réinvestissement à l’adaptation des
entreprises agricoles. Cette façon d’utiliser une indemnisation comme instrument de développement
économique rejoint la perspective développée par Harris (2005) à l’effet qu’un paiement direct découplé et
inconditionnel est le meilleur moyen afin d’assurer l’ajustement d’un secteur économique affecté par une
réforme (cf. section 2.4.2).
119
Plus précisément, le gouvernement s’attendait à observer une augmentation de la production de cultures à
haute valeur (canola, oléagineux) et de la nourriture d’élevage, ainsi qu’une substitution des variétés de
céréales pour celles utilisées en alimentation animale. Compte tenu de ces changements, l’industrie de
l’élevage devait également se développer dans l’Ouest canadien (cf. Friesen 2002).
90
Compte tenu du contexte dans lequel ces programmes ont été développés, on peut affirmer
que l’intervention du gouvernement canadien découle à l’origine d’un projet de
« réinstrumentation », prévoyant faire passer l’intervention d’un mode Pay the railway à un
système de Pay the producer, mais qui a par la suite été recyclé en politique
« d’indemnisation ». Depuis 1992, des coupures budgétaires « arbitraires » avaient déjà
réduit de 15 % la participation fédérale au programme et des coupures supplémentaires
étaient anticipées (Klein et Kerr 1996, p.4). La volonté politique de s’attaquer au déficit
budgétaire et la signature, en 1994, de l’accord du GATT auront ainsi précipité et accentué
un processus, déjà enclenché, d’ajustement de la politique.
4.1.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme
Le gouvernement canadien a reconnu que la réforme de la politique sur le transport du
grain de l’Ouest allait entraîner des coûts pour différents acteurs. Il semble d’ailleurs que la
plupart des perdants potentiels ont été pris en considération lors du processus de réforme.
De fait, compte tenu qu’un processus de consultation a précédé la réforme (cf. CEPP 1994),
il est légitime de croire que la majorité des groupes affectés de près ou de loin par le projet
se sont exprimés à cette occasion120. Conséquemment, l’intervention du gouvernement ne
pouvait ignorer l’existence de ces groupes.
De fait, de nombreux intervenants, parmi ceux recensés, ont été dédommagés dans le cadre
de l’intervention post-réforme. De même, la majorité des programmes étudiés ont
effectivement constitué une forme de « compensation » au sens de l’économie du bien-être.
À cet égard, le Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest (PPTGO),
en tant que mesure d’indemnisation, est sans conteste le plus important. Notons que
certaines mesures d’ajustement représentent également des « compensations ». C’est, entre
autres, le cas du Programme canadien d’agro-infrastructure, puisqu’il pourvoie aux coûts
d’entretien supplémentaires assumés par les municipalités à la suite de la réforme.
120
142 organismes ont été contactés par le Comité. Plus de 100 mémoires ont été reçus et des rencontres en
profondeur ont eu lieu avec près de la moitié des organismes concernés (CEPP 1994, p.5).
91
Sachant que les principaux « perdants » affectés par la réforme ont fait l’objet de
« compensations », il reste à déterminer si les sommes allouées ont suffi à atténuer
l’entièreté des pertes subies. Pour les fins de l’analyse, cette perspective n’est évaluée que
pour la mesure la plus représentative, soit le PPTGO. Rappelons que ce programme a prévu
1,6 milliard de dollars afin de dédommager les propriétaires fonciers pour la perte de valeur
de leurs terres. Officiellement, l’aide octroyée devait correspondre à la valeur actualisée de
la subvention du « Nid-de-corbeau » versée à perpétuité, sous réserve du taux d’intérêt en
vigueur.
Cette réserve est toutefois significative, car selon le taux privilégié, le degré de
« compensation » varie considérablement. Ainsi, Timmins et Young utilisent un taux
d’intérêt de 8 % et affirment que la « valeur nette actuelle associée au maintien de la
subvention annuelle de 560 millions de dollars à perpétuité s’établit à environ sept milliards
de dollars » (1996, pièce 28.5). De façon un peu plus formelle, mais en utilisant d’autres
valeurs de référence121, Schmitz et coll. (2002b) considèrent qu’à un taux d’intérêt de 5 %,
le PPTGO compense moins de 20 % des pertes induites par son abolition. Autrement dit, il
semble peu probable que la « compensation » au titre du PPTGO ait été suffisante pour
contrebalancer toutes les pertes subies par l’abolition de la subvention du « Nid-decorbeau ».
Dans le cadre de ces calculs, seul le montant de référence à partir duquel le PPTGO a été
établi présente moins d’incertitude. En effet, en mars 1994, l’Office des transports du
Canada a déclaré, dans une décision juridique, qu’il existait un plancher à la participation
de l’État au titre de la subvention du « Nid-de-corbeau ». Le soutien ne pouvait être
inférieur à 658,6 millions de dollars, moins les compressions budgétaires (CEPP 1994,
p.66). Au cours des années ayant précédé la réforme, ces compressions ont été de l’ordre de
15 %. La subvention minimale devait ainsi être de 560 millions de dollars annuellement.
Il est intéressant de souligner que le Bureau du Vérificateur général du Canada n’a pas tenté
de déterminer si le montant de l’indemnisation était suffisant. Les auteurs du rapport
121
Ils utilisent le montant moyen réel de la subvention du « Nid-de-corbeau » entre 1984 et 1994, soit
704,9 millions de dollars et calculent la valeur actualisée sur 20 ans.
92
affirment qu’il « s'agit là d'une question complexe qui nécessite des évaluations
quantitatives et qualitatives des besoins, des fonds disponibles dans la structure financière
du gouvernement, des priorités du gouvernement en place, des autres affectations possibles
des fonds ainsi que d'autres facteurs qui dépassent l'étendue de la vérification » (cf.
Timmins et Young 1996).
Même si la « compensation » semble insuffisante de ce point de vue, il importe, afin de
compléter l’analyse, d’évaluer si le financement des mesures adoptées provient
effectivement des « gagnants ». À ce chapitre, le projet de réforme a clairement mis en
évidence les attentes en termes d’économies budgétaires. Lors du dépôt du budget
annonçant la réforme de la politique de transport des grains de l’Ouest, une économie de
2,6 milliards de dollars sur cinq ans était attendue (Gouvernement du Canada 1995). Cette
estimation reposait, entre autres choses, sur le fait que le gouvernement avait dépensé
560 millions de dollars lors de la campagne 1994-95 au titre de la subvention du « Nid-decorbeau », ainsi que sur la décision d’abandonner plusieurs infrastructures ferroviaires.
Malgré les coûts des mesures de transition, évalués à près de 2 milliards de dollars, un
bénéfice net significatif devait à terme résulter de la réforme.
Le gouvernement canadien – donc les contribuables – apparaît être le principal bénéficiaire
du processus de réforme122. C’est également celui qui finance l’entièreté des mesures de
transition adoptées et ce, à partir des économies réalisées. Par exemple, selon le discours du
budget, une « partie des économies [réalisées par l’abandon de l'Aide au transport des
céréales fourragères] sera réaffectée provisoirement pour faciliter l'adaptation de l'industrie
de l'élevage » (Gouvernement du Canada 1995, p.14).
En somme, de par la structure de l’intervention post-réforme mise en place par le
gouvernement canadien, force est d’admettre que la logique du « test de compensation » a
été d’une certaine façon respectée. Toutefois, le niveau de « compensation » lui-même
semble avoir été insuffisant pour complètement pallier les pertes subies par les intervenants
affectés par la réforme, bien que le juste degré de « compensation » soit un sujet
122
Dans leurs travaux, Schmitz et coll. (2002b) considèrent que les éleveurs sont également des bénéficiaires
de la réforme grâce, entre autres, à la diminution attendue du prix du grain. Ils font par ailleurs remarquer que
93
controversé. Autrement dit, ce cas de réforme semble être un exemple d’application du
principe du « test de compensation » plutôt qu’une transposition effective de celui-ci. Pour
conclure formellement en ce sens, il serait toutefois nécessaire d’évaluer si les gains
obtenus par cette réforme ont dépassé réellement les pertes accusées par les intervenants.
Pour conclure, il est intéressant de rapporter les constats de Schmitz et coll. (2002b) sur les
raisons pouvant expliquer le fait que la compensation n’ait pas été complète lors de ce
processus de réforme :
« There were at least five major factors as to why producers did not receive
anywhere near full compensation for removal of the Crow subsidy. First,
net farm income reached a near record high in 1996. Second, lobbying
groups were not united in supporting one policy choice over another. Third,
the federal deficit was large and growing. Fourth, the west generally did not
support the federal Liberal government. And fifth, there was increasing
pressure from the World Trade Organization (WTO) to have the Crow
subsidy removed. » (p.344).
le gouvernement n’a pas tenté de les taxer afin de les faire participer à la « compensation » comme c’eut dû
être le cas dans la perspective de la théorie.
94
Tableau 4 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées au Canada; le transport du grain de l’Ouest
Aspects descriptifs
Modalités d’intervention
Nom du
programme
Intervenants
concernés
Composantes
économiques visées
Critères d’éligibilité
Conditions de versement
Programme de paiements de
transition pour le grain de l’Ouest 1
Propriétaires
fonciers
Revenus capitalisés dans
la valeur d’un actif 2
Avoir eu sur les terres une culture
éligible à la subvention de la LTGO en
1994 ;
Fonds d'adaptation à la disparition
de l'aide au transport des céréales
fourragères
Organisations
agricoles
provinciales
Revenus
Être situé dans l’une des régions ayant
bénéficié de l'Aide au transport des
céréales fourragères 4.
Déposer un projet visant
l’adaptation des éleveurs.
Concerne les producteurs de la
Saskatchewan et du Manitoba affectés
par la refonte du système de mise en
commun de la CCB.
Aucune.
Fonds
d’adaptation à
la réforme du
transport du
grain de
l’Ouest
Aide à la mise
en commun des
frais de
transport
Producteurs de
grains
Revenus
Aide aux
déshydrateurs
de luzerne et
aux fabricants
de foin densifié
Établissements de
déshydratation de
luzerne
Revenus
Aucune.
Communautés
rurales
Infrastructures rurales
Garantie de
crédit à
l’exportation
Acheteurs
étrangers de
céréales
Promotion des ventes
Nd.
Être une entreprise privée
(≠ entreprise commerciale d’État).
Un seul versement en
1996 3.
Durée de 3 ans.
Durée de 3 ans.
Nd.
Programme
canadien
d’agroinfrastructure
Période et rythme de
versement
95
Structure du programme
Nom du
programme
Programme de paiements de
transition pour le grain de l’Ouest
Fonds d'adaptation à la disparition
de l'aide au transport des céréales
fourragères
Aide à la mise
en commun des
frais de
transport
Fonds
d’adaptation à
la réforme du
transport du
grain de
l’Ouest
1
Budget
5
Nature du
paiement
Calcul du soutien
Base de référence
- Enveloppe répartie entre les
provinces, selon l’historique
du soutien reçu entre 1985/86
et 1993/94 7.
- Versement aux propriétaires
selon une formule fondée sur
différents facteurs, dont la
superficie et la productivité
du sol 8.
- Montant équivalent à la
valeur de la subvention du
N-d-C versée à perpétuité.
(cf. Friesen 2003) ;
- Couvre entre 18 et 23 %
de la valeur actualisée de
la subvention (cf. Timmins
et Young 1996; Schmitz et
coll. 2002b) 9.
Paiement
direct
découplé.
Contribuables
(Budget fédéral)
Indemnisation
72,7 millions de $Can
Nd.
Nd.
Nd.
Contribuables
(Budget fédéral)
Ajustement
(compétitivité)
105 millions $Can
Différentes références selon
chaque province.
1,6 milliard de $Can 6
Financement
Type de mesure
de transition
Paiement
direct
couplé 10.
Indemnisation
Aide aux
déshydrateurs
de luzerne et
aux fabricants
de foin densifié
45 millions $Can
Programme
canadien
d’agroinfrastructure
140 millions $Can
Garantie de
crédit à
l’exportation
15 millions de $Can
Paiement
direct
Nd.
Nd.
Nd.
Contribuables
(Budget fédéral)
Ajustement
(compétitivité)
Garantir 1 milliard de $Can en
exportation de céréales
Un programme supplémentaire du nom de Arable Acres Supplementary Payment a parallèlement été mis en œuvre en 1995 pour les propriétaires fonciers de
l’Alberta ne bénéficiant pas du Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest. L’objectif était également d’indemniser ces propriétaires pour la
dévaluation de leur terre (Martini 2008). Près de 50 millions de $Can ont été investis à cette fin (OMC 1999).
96
2
La subvention du « Nid-de-corbeau », considérée comme un mécanisme permettant la bonification des prix, aurait été capitalisée dans la valeur d’un actif, soit
la terre.
3
Le versement a été, dans les faits, effectué en deux temps, afin qu’il soit réparti sur deux années fiscales (Martini 2008).
4
Ces régions sont l'Est du Canada, la Colombie-Britannique, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest (AAC 1996, p.26).
5
Budget total sur la période prévue de mise en œuvre.
6
On peut y ajouter une aide indirecte de 600 millions de dollars dues aux concessions d’impôts (Martini 2008).
7
Le Manitoba a reçu 16,1 % des aides, la Saskatchewan 56,4 % et l’Alberta et les régions de la Colombie-Britannique concernées, 27,5 % (Timmins et Young
1996, pièce 28.3).
8
Parmi les autres facteurs, notons la présence ou l’absence d’un système d’irrigation et la distance séparant les terres du port le plus proche (Vancouver ou
Thunder Bay).
9
Varie selon les variables privilégiées, dont le taux d’intérêt, la valeur de référence de la subvention et la durée espérée du paiement.
10
Selon la catégorisation effectuée par l’OCDE (cf. Wipf 2003, p.88).
Sources principales : AAC (1997), CEPP (1994), Martini (2008), Schmitz et coll. (2002b), Timmins et Young (1996).
97
4.2 Le secteur du tabac ontarien
La culture commerciale du tabac123 au Canada a débuté au cours des années 1920.
Géographiquement concentrée dans le sud-ouest ontarien124, ce secteur de production s’est
doté d’un système de gestion des approvisionnements en 1957. Ce système de
commercialisation du tabac a été maintenu jusqu’à aujourd’hui. Son abolition a cependant
été annoncée en août 2008.
4.2.1 La contextualisation du projet de réforme
4.2.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien
Depuis 1957, la commercialisation du tabac ontarien est coordonnée par l’Ontario FlueCured Tobacco Growers' Marketing Board (OFCTGMB). Cet office de commercialisation
provincial, dont le fonctionnement est sanctionné par la Loi sur la commercialisation des
produits agricoles de l’Ontario, a le pouvoir de contrôler la production et de regrouper les
volumes de tabac mis en marché. Géré exclusivement par des producteurs, le OFCTGMB a
été le premier exemple de politique de gestion de l’offre adoptée en Ontario (Ramsey et
coll. 2002, p.76).
Les quotas de production, connus sous le nom de « Basic Marketable Quota » (BMQ), ont
à l’origine été alloués aux entreprises agricoles, en fonction des terres utilisées pour la
culture du tabac125. Depuis 1978, la valeur de référence des BMQ est cependant exprimée
en fonction des volumes (en livres) de tabac produits. En 2007, le BMQ total s’élevait à
323 millions de livres, réparties entre 1 073 détenteurs. Le secteur comptait alors 444
producteurs actifs de tabac (OFCTGMB 2008, p.11).
123
Tout au long de cette section, l’expression « production de tabac » fait référence à celle de la feuille et non
à celle des produits transformés, tels que les cigarettes.
124
Jusqu’à récemment, du tabac était aussi produit au Québec et dans les Maritimes. Cette production, peu
importante, est aujourd’hui abandonnée dans ces provinces. L’analyse proposée se concentre donc sur le
secteur ontarien de la production de tabac.
125
En 1957, ces quotas se dénommaient « Basic Marketable Acreage ». Ils avaient été établis en fonction des
terres détenues et leur étaient liés. La séparation entre terres et quotas a eu lieu en 1974. Les quotas ont alors
pu être transigés en tant qu’actifs indépendants (Ramsey et coll. 2002).
98
Le volume de BMQ n’a pas été ajusté au cours des années. Afin que la production
corresponde aux besoins changeants de l’industrie, seule une portion des BMQ – les
« marketing quotas » – pouvait être commercialisée. En 2007, cette proportion était de
11,78 %. Autrement dit, la « production cible », négociée entre l’OFCTGMB et les
acheteurs, ne s’élevait qu’à 32 millions de livres de tabac, sur les 323 millions de livres
permis par les BMQ (OFCTGMB 2006a, p.15). Cette réduction proportionnelle de l’offre
est alors appliquée aux volumes pouvant être commercialisés par chaque entreprise.
Malgré ce contrôle de la production, aucune mesure tarifaire ne protège le marché du tabac
canadien des importations. Conséquemment, les producteurs ontariens sont en concurrence
directe avec les importations étrangères de tabac en feuille, qui ont d’ailleurs occupé, en
2004, 17 % du marché canadien. Le secteur affiche néanmoins une balance commerciale
positive. Ainsi, toujours en 2004, environ le tiers de la production ontarienne de tabac a été
exportée (OFCTGMB 2006a). Notons toutefois que les changements économiques et
politiques vécus par le secteur et l’industrie canadienne du tabac au cours des dernières
années ont fait varier considérablement cet équilibre commercial126 (cf. Mussel et Martin
2007).
Au niveau du marché domestique, la réglementation provinciale exige que tout le tabac
ontarien soit commercialisé via le mécanisme de mise en marché de l’OFCTGMB. En
jouant le rôle de guichet unique, l’OFCTGMB a ainsi pu exercer un certain pouvoir de
négociation lors de l’établissement des prix aux producteurs. En fait, pour chaque type de
tabac classifié par l’OFCTGMB, un « prix minimal » est négocié avec les acheteurs127. Les
prix perçus par les producteurs sont quant à eux établis par un système d’enchères de type
hollandais (renversées), coordonné par l’OFCTGMB (site Internet du OFCTGMB 2005).
En 2007, le « prix minimal » moyen était de 1,5133 $/lb, tandis que celui établi par le
système d’enchères s’est élevé à 1,701 $/lb (OFCTGMB 2006a, p.11).
126
Par exemple, la part des importations de tabac est passée de 7 à 30 % entre 2001 et 2005, mais a reculé à
18 % en 2006. Ce recul s’explique non pas par une diminution de la demande pour les produits du tabac, mais
par la fermeture, en 2005, de l’une des principales usines de transformation ontarienne. Les importations de
cigarettes étrangères ont alors compensé la diminution de celles du tabac (Mussel et Martin 2007).
127
Un prix, moins élevé, pour le tabac dédié à l’exportation est également négocié (Chambre des communes
2006).
99
En fait, de par son système de contingentement similaire à celui retrouvé au niveau de la
politique laitière canadienne, l’étude de la réforme du secteur de production du tabac
ontarien est d’un intérêt significatif. Les origines politiques et juridiques communes aux
deux systèmes accentuent le degré de correspondance observé. Certaines différences
doivent néanmoins être prises en compte, dont le fait que les BMQ ne sont pas
nécessairement utilisés par les propriétaires, mais peuvent être plutôt loués à des
producteurs agricoles. Autre aspect à considérer, la forte concentration géographique de la
production de tabac et le petit nombre d’intervenants impliqués. Enfin, le tabac est un
secteur de production distinct et très spécialisé, dont le développement est lié non pas aux
marchés alimentaires, mais plutôt à ceux de l’industrie de la cigarette.
4.2.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées
Pour les fins de ce mémoire, la réforme du secteur du tabac ontarien est définie comme
étant le projet, annoncé en 2008, d’abolir le système de contingentement actuellement en
vigueur. Plus précisément, ce projet implique, au niveau réglementaire, la suppression des
contrôles provinciaux s'appliquant à la production de tabac et l’instauration d’un système
provincial de permis pour les producteurs de tabac. Au niveau de la production, il prévoit
une aide financière « suffisante pour permettre à tous les producteurs de se retirer de
l'industrie » (Gouvernement du Canada 2008).
Mentionnons que ce projet de réforme constitue, dans les faits, la dernière étape d’un long
processus de restructuration assistée du secteur. De 1986 à 2001, plus de 80 millions de
dollars ont ainsi été investis par les gouvernements fédéral et provincial dans le but
d’inciter et de faciliter l’abandon de la tabaculture au Canada128. Toutefois, jusqu’à
récemment, ces mesures ne visaient pas exclusivement la cessation de la production. Elles
privilégiaient aussi la viabilité des entreprises désirant poursuivre dans le secteur, en leur
permettant d’accroître leur production (AAC 2005b, p.9).
La réforme annoncée en 2008, en proposant un plan de sortie pour tous les producteurs du
secteur et une refonte du régime de commercialisation, rompt toutefois avec cette approche
100
graduelle. Ce projet propose en fait une réforme finale, directe et quasiment complète de la
politique encadrant le secteur du tabac ontarien. En effet, elle doit être mise en œuvre dès la
campagne de production 2009/10, en plus d’impliquer – dans les faits – l’abandon de cette
production agricole au Canada. Les programmes proposés pour accompagner ce processus
sont étudiés à la section suivante.
Il importe de noter que le projet de réforme annoncé en 2008 résulte essentiellement d’une
initiative menée par l’OFCTGMB. Ainsi, dans un document publié en 2006 et intitulé
« Eliminating Tobacco Production in Canada: A Proposal from the OFCTGMB », cette
organisation conlut que « it is now time to take the obvious next step and put a plan in place
that will eradicate all tobacco production in Canada » (OFCTGMB 2006b, p.3).
Cette prise de position s’explique par les difficultés financières des tabaculteurs. Ces
dernières se distinguent cependant de celles vécues par les autres secteurs agricoles
canadiens, car elles découlent essentiellement des conséquences des politiques visant à
lutter contre le tabagisme au Canada. En effet, il est admis que les différentes mesures
adoptées (taxes, campagnes publicitaires, interdictions de fumer, etc.) ont, en plus
d’affecter l’image publique de ce produit, entraîné l’émergence d’un marché noir et d’une
contraction de la demande pour le tabac canadien (Gouvernement du Canada 2008).
Conséquemment, en 2007, les volumes produits ne s’élevaient plus qu’à 32 millions de
livres, contre 238 millions de livres en 1982 (OFCTGMB 2008). Compte tenu de la
spécificité des actifs utilisés et l’absence d’alternative viable en matière de choix de
production, cet affaissement du marché a entraîné les entreprises productrices de tabac dans
une crise financière sans précédent (Mussel et Martin 2007, p.10-11).
Mentionnons que les producteurs considèrent le gouvernement fédéral responsable pour le
déclin de ce secteur de production et pour les conséquences économiques qui en ont résulté
pour les entreprises agricoles et les communautés ontariennes où elles sont regroupées (cf.
OFCTGMB 2006b). Mussel et Martin (2007) partagent d’ailleurs cet avis et affirment que
« the tobacco producing industry in Canada is the victim of a public health policy failure »
(p.15). Cette idée de « government failure » repose sur le fait que les contraintes imposées
128
Données tirées d’une communication personnelle avec un représentant du ministère de l’agriculture de
101
aux acteurs légaux de l’industrie n’ont pas été accompagnées de mesures qui auraient
permis de contrer le marché noir sévissant, entre autres, dans les réserves amérindiennes. Il
en a résulté non seulement une diminution modérée du tabagisme129, mais surtout un
affaissement de la demande pour le tabac légal canadien.
4.2.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention
4.2.2.1 La catégorisation des programmes adoptés
La réforme annoncée en 2008 a prévu un certain nombre d’interventions, mais l’ensemble
des modalités qui s’y rattachent n’a pas encore été rendu public. L’analyse proposée repose
donc essentiellement sur le contenu du communiqué de presse du gouvernement fédéral du
1er août 2008130 (cf. Gouvernement du Canada 2008). À partir des informations disponibles,
on constate par ailleurs que les mesures post-réformes proposées poursuivent et élargissent
la portée de programmes mis en œuvre en 2005 par les gouvernements fédéral et
provinciaux dans le but de restructurer ce secteur de production en Ontario et au Québec.
Pour cette raison, l’étude des interventions post-réformes dans le secteur du tabac ontarien
englobe ces deux ensembles de politiques, dont les caractéristiques sont exposées au
Tableau 5.
En 2005, deux types d’intervention, faisant appel aux deux paliers de gouvernement, ont
été privilégiés. Le gouvernement fédéral a ainsi adopté le Programme d’aide à l’adaptation
des producteurs de tabac (PAAPT)131, dont l’objectif a été de « faciliter la transition des
producteurs de tabac canadiens en éliminant de façon permanente le contingent de
production de base » tout en « améliorant la viabilité de ceux qui demeurent au sein de
l’industrie » (AAC 2005b, p.24).
l’Ontario (cf. OMAFRA 2008a).
129
Selon Santé Canada (2006), la prévalence de fumeurs au Canada ne serait passée que de 30 % en 1986 à
environ 20 % en 2005.
130
Malgré les nombreuses démarches menées auprès des autorités gouvernementales canadiennes, il n’a pas
été possible d’obtenir des données et des informations détaillées sur les mécanismes d’intervention attendus
en 2009. Il en va de même des mesures adoptées en 2005, bien que plusieurs années se soient écoulées depuis
leur mise en œuvre. Cette section présente ainsi des analyses dont la profondeur est limitée par ce manque
d’information.
102
Techniquement, ce programme a pris la forme d’une enchère inversée, au cours de laquelle
les producteurs étaient invités à miser un prix pour la vente de leurs quotas. Un budget
fédéral prédéterminé de 67 millions de dollars132 conditionnait cependant le processus.
Ainsi, compte tenu de cette limite budgétaire et des offres déposées lors de l’enchère, un
prix de rachat de 1,05 $/lb a été établi, applicable à plus de 51 millions de livres de quotas
détenus par 270 producteurs (Wales 2005; AAC 2006, p.29). Grâce à un budget
supplémentaire de 35 millions de dollars octroyé par le gouvernement ontarien au titre du
Fonds de transition pour les collectivités tabacultrices, le prix de rachat payé aux
producteurs s’est toutefois élevé à 1,72 $/lb133 (OMAFRA 2008b).
Notons par ailleurs qu’en échange de ce paiement, les producteurs devaient non seulement
abandonner leurs quotas, mais aussi accepter de ne plus s’en procurer à l’avenir (Wales
2005, p.10). Conséquemment, le PAAPT a consisté en une mesure d’assistance, dont la
composante « ajustement » a été marquée, compte tenu de la condition imposée.
Un second type d’intervention a également été introduit par le Fonds de transition pour les
collectivités tabacultrices. Ainsi, afin d’encourager la diversification économique des
collectivités situées dans les régions productrices de tabac, le gouvernement ontarien a mis
à la disposition de corporations de développement rural un budget supplémentaire de
15 millions de dollars (OMAFRA 2005). Bien que l’ensemble des modalités de mise en
œuvre n’aient pu être recensées, ce soutien au développement économique peut être
considéré comme un exemple de mesure d’ajustement visant à promouvoir la
« compétitivité » des communautés rurales.
Les mesures annoncées en 2008 s’inspirent, quant à elles, largement des interventions
précédentes, mais présentent une finalité beaucoup plus radicale. Le gouvernement
canadien a ainsi annoncé l’adoption du Programme de transition pour les producteurs de
131
Aussi appelé Programme d’aide à la réorientation des producteurs de tabac (PARPT) dans certains
documents gouvernementaux.
132
Le budget du PAAPT réservé à l’Ontario était de 54 millions de dollars. La balance devait être allouée au
volet québécois du programme.
133
En 2004, la proportion des BMQ effectivement utilisés, soit les « marketing quotas », s’élevait à 27,23 %.
Ainsi, le paiement, transposé selon les volumes produits, a été de 6,32 $/lb. Le niveau des « marketing
quotas » a cependant diminué considérablement au cours des années précédant la réforme de 2005, biaisant
ainsi ce calcul.
103
tabac (PTPT), prévoyant une aide financière de 286 millions de dollars afin de racheter
tous les quotas encore en circulation. Le prix de rachat prévu a été fixé à 1,05 dollar par
livre de BMQ. Autrement dit, le prix établi sous le PAAPT a été repris sous le PTPT afin
de compléter le processus de restructuration entrepris en 2005. De fait, à l’instar du
PAAPT, « l'aide financière est offerte aux producteurs qui désirent se retirer de
l'industrie », puisque « les producteurs qui acceptent l'aide à la transition ne pourront
s'adonner de nouveau à la culture du tabac » (Gouvernement du Canada 2008). Ce
programme est donc également une mesure d’assistance dont le caractère « d’ajustement »
a été accentué.
Un programme d’Aide au développement des collectivités, bénéficiant d’un budget de
15 millions de dollars, est également proposé par le gouvernement fédéral. Ces sommes
devront être affectées au « développement des collectivités pour les aider à passer à une
économie qui n'est pas basée sur la production de tabac » (Gouvernement du Canada 2008).
Il n’a toutefois pas été possible d’obtenir davantage d’informations quant aux modalités
d’octroi, mais ce programme – comparable à celui adopté par l’Ontario en 2005 – peut être
considéré, au même titre que ce dernier, comme une mesure d’ajustement, visant à
promouvoir la « compétitivité » des communautés rurales affectées.
Alors que l’intervention introduite en 2005 se limitait aux deux types d’intervention
précédents, une troisième mesure a été annoncée en 2008. En fait, parallèlement à
l’abolition du système de contingentement actuellement en vigueur, un Système de permis
provincial sera instauré. Conséquemment, « lorsque le programme prendra fin, les
producteurs qui décident de continuer à cultiver du tabac ne seront plus assujettis au […]
contingentement et devront détenir un permis pour produire du tabac »134 (Gouvernement
du Canada 2008). Puisque cette réglementation, qui intervient sur le contrôle de l’offre,
vient remplacer, pour un temps indéfini, un système de contingentement, il faut donc
catégoriser cette mesure en tant que réinstrumentation, à caractère légal. Mentionnons par
134
Il n’a pas été possible de déterminer quelle proportion de producteurs pourrait poursuivre la production de
tabac. Toutefois, compte tenu des conditions de marché et du fait que le PTPT impose aux bénéficiaires
d’abandonner complètement la tabaculture, il est peu probable que les producteurs actuels veuillent profiter de
cette réinstrumentation.
104
ailleurs que ni les conditions d’octroi des permis, ni les caractéristiques réglementaires de
ceux-ci ne sont connues à ce stade.
Au total, près de 430 millions de dollars auront été investis par le biais de ces deux
ensembles de mesures. Cette somme pourra cependant être bonifiée si le gouvernement
ontarien accepte d’accorder un financement additionnel au PTPT. Soulignons à cet égard
que la contribution provinciale de 2005, tout comme celle attendue en 2009, correspond à
une prise en charge de 40 % des coûts des programmes de rachat de quotas. Autrement dit,
le partage communément observé entre les paliers fédéral et provincial en matière de
financement des politiques agricoles a également été respecté dans le cadre de ce projet de
réforme.
Mentionnons, enfin, une particularité en ce qui a trait à l’origine des fonds alloués aux
programmes d’intervention fédéraux annoncés en août 2008, à savoir qu’ils ont été obtenus
à la suite d'un règlement avec les fabricants de tabac. Il n’a cependant pas été possible
d’obtenir davantage d’informations sur la nature de ce règlement.
4.2.2.2 Constats et inférences
Avant de procéder à l’analyse des mesures de transition mises en place lors de la réforme
du secteur ontarien de la tabaculture, il importe de rappeler la finalité poursuivie par les
producteurs et les gouvernements au cours des dernières années, soit de mettre fin à ce
secteur de production au pays. Cette particularité distingue donc clairement le contexte de
réforme décrit de celui qui pourrait caractériser un éventuel démantèlement de la politique
laitière canadienne.
Quoi qu’il en soit, considérant les similitudes existant entre le système de contingentement
devant être réformé dans le secteur de la tabaculture ontarien et celui en place dans le
secteur laitier canadien, il apparaît important d’analyser les mesures d’intervention postréformes prévues à cet égard. Mentionnons par ailleurs que peu d’informations entourant
cet aspect ont pu être obtenues auprès du gouvernement canadien. L’analyse qui suit
s’appuie donc essentiellement sur les données secondaires disponibles.
105
Dans un premier temps, la prise en compte du contexte dans lequel ont été mis en œuvre les
deux ensembles de mesures décrits précédemment est primordiale. En effet, si le processus
de réforme du secteur ontarien de la tabaculture, tel que défini dans ce mémoire, s’est
réalisé en deux étapes consécutives, celles-ci ne formaient pas pour autant un plan ordonné
de restructuration. À ces deux occasions – tout comme lors des projets de restructuration
précédents – l’intervention gouvernementale a été introduite de façon ad hoc à la suite de
pressions des intervenants du milieu.
De fait, les programmes adoptés en 2005, tout comme ceux annoncés en 2008, résultent
essentiellement
regroupements
135
de
démarches
entreprises
par
l’OFCTGMB
et
par
d’autres
. Les finalités poursuivies ont cependant changé significativement entre
ces deux périodes. Ainsi, à partir de 2002, les producteurs ont proposé au gouvernement un
programme visant à retirer un certain volume de BMQ de la circulation afin de favoriser la
restructuration des entreprises restantes et de relancer ce secteur. Quatre ans plus tard, en
2006, un « plan de sortie » du secteur était au contraire exigé.
Ce changement de revendications, dans un si court laps de temps, s’explique surtout par
l’effondrement de la demande pour le tabac canadien, ainsi que par la détérioration des
capacités financières des entreprises. En effet, à l’instigation des fabricants de tabac, les
producteurs avaient consenti, en 2002, à effectuer pour 65 millions de dollars en
investissements sur leurs fermes. Ce fut dans cette perspective de relance que les
producteurs avaient demandé un programme de restructuration au gouvernement.
Toutefois, pour les raisons évoquées précédemment, les manufacturiers ont réduit leurs
achats de tabac canadien, laissant alors les producteurs avec une baisse de revenu
significative et un niveau d’endettement moyen de 400 000$ par entreprise (Chambre des
Communes 2006).
Le PAAPT, finalement mis en œuvre en 2005, est alors apparu inapproprié pour faire face
aux nouvelles réalités économiques du secteur. De fait, bien que 20 % des quotas aient été
retirés de la circulation, les ventes de tabac ont parallèlement chuté de 35 % entre 2005 et
2006 et de 42 % entre 2006 et 2007. Les tabaculteurs ne produisaient donc plus en 2007
106
que 12 % de leurs BMQ totaux (OFCTGMB 2008, p.15). C’est dans ce contexte qu’a alors
été formulée, en 2006, la demande pour un « plan de sortie » par les producteurs.
La nature des mesures de transition mises de l’avant par les gouvernements afin de
répondre à ces revendications constitue un deuxième aspect important à étudier. À cet
égard, le PAAPT de 2005 représente le programme le plus déterminant, puisque les
mesures annoncées en 2008 ont été définies en fonction des modalités de paiement qu’il a
permis d’établir. Rappelons en effet que le PAAPT, doté d’un budget total de 67 millions
de dollars, devait permettre le rachat de BMQ par le biais d’un mécanisme d’enchères
inversées. Compte tenu des budgets impartis et des mises des producteurs, un prix
d’équilibre de 1,05 $/lb a alors été établi.
Puisque le budget octroyé par le fédéral a conditionné le niveau de paiement établi par les
mises, il aurait été intéressant de pouvoir vérifier sur quelle base a été fixé ce montant.
Aucune indication officielle ne permet cependant d’évaluer cet aspect. Il est par ailleurs
intéressant de noter qu’initialement, un budget de 100 millions de dollars avait été proposé
par le gouvernement. Toutefois, au moment du lancement du PAAPT en avril 2005 – et à la
suite d’un remaniement ministériel fédéral – un tiers de cette somme a été retranché
(Stoneman 2007).
Compte tenu de cette absence d’indications gouvernementales précises, il est tout aussi
difficile de faire correspondre le prix de rachat fixé par le mécanisme d’enchères renversées
à une valeur économique de référence précise. Barichello et coll. (2006, p.182) notent pour
leur part que le prix de rachat de 1,72 $/lb – obtenu en ajoutant la contribution du
gouvernement ontarien – correspondait au prix des quotas en 2000/01, mais rappellent que
la valeur des quotas était tombée, en 2004/05, à moins de 1 $/lb. Le lien entre le prix de
rachat et la valeur du quota n’apparaît donc pas nécessairement valide136. En se basant sur
d’autres variables, l’organisation Physicians for a Smoke-Free Canada a évalué, en 2004,
qu’un paiement de 3 $/lb était nécessaire afin que les producteurs recouvrent leurs
135
Parmi ceux-ci, notons les Tobacco Farmers in Crisis qui représentaient également les producteurs
québécois (TFIC).
136
Notons que depuis mai 2006, un moratoire a été imposé sur la vente de quotas afin de protéger les
détenteurs les plus précaires contre des ventes hâtives qui pourraient les exclure d’un éventuel rachat
(Chambre des Communes 2006).
107
investissements (Physicians for a Smoke-Free Canada 2005). De ce point de vue
également, le paiement apparaît insuffisant.
Puisque les tabaculteurs ne produisent qu’une fraction de leurs BMQ, il serait aussi
possible de faire correspondre le paiement octroyé aux volumes de tabac pouvant être
commercialisés. Notons qu’entre 1995 et 2004, le niveau moyen des « marketing quotas » a
été de 39,5 %. En se référant à cette variable, le paiement de rachat final de 2005 s’est donc
élevé à 4,35 $ la livre de tabac produite au titre de ces « marketing quotas »137. Compte
tenu que le prix moyen du tabac pour cette même période a été de 1,75 $/lb, le paiement
octroyé représenterait alors deux années et demie de ventes supplémentaires pour les
producteurs. Cette base de calcul est toutefois limitée par l’aspect arbitraire de la période de
référence retenue et par la dégradation rapide de la production ontarienne de tabac à partir
de 2000.
Dans une étude portant sur l’avenir du secteur ontarien de la tabaculture, Wales (2005,
p.10) indique quant à lui que le mécanisme privilégié afin d’établir le prix de rachat des
quotas a été mis en œuvre dans un contexte hautement controversé, au cours duquel les
producteurs étaient incités à miser bas pour pouvoir profiter du paiement. Il souligne que le
processus de mise en œuvre du PAAPT « occurred in a very, very tight time frame at the
end of April when most growers already had greenhouses established and spring land
preparations done. […].The growers had to make very major business and financial
decisions » (p.10). Conséquemment, certains observateurs considèrent que cette approche
« was designed to get the maximum number of farmers out of the business for the fewest tax
dollars »138 (Stoneman 2007).
C’est néanmoins ce même montant de 1,05 $/lb qui a été proposé aux producteurs dans le
cadre du PTPT annoncé en août 2008. Il est intéressant de noter que les revendications de
l’OFCTGMB en 2006 pour un « plan de sortie » s’élevaient pourtant à 3,30 $/lb
(OFCTGMB 2006b). Le montant proposé englobait non seulement la valeur des quotas à
leur coût d’acquisition, mais aussi la dévaluation des actifs d’entreprise (machinerie, terres,
137
Cette valeur a été obtenue en divisant le paiement octroyé, soit 1,72 $/lb, par la fraction produite de 39,5%.
108
bâtiments, etc.), ainsi que les pertes de revenus passées. Il semble par ailleurs que ces
attentes n’ont pu s’imposer lors des négociations avec le gouvernement canadien.
Les modes de financement adoptés et annoncés constituent un troisième aspect déterminant
à prendre en considération. Il est ainsi intéressant de constater que les coûts des mesures de
transition portant sur le rachat des quotas ont été partagés entre les paliers fédéral et
provincial selon la formule 60/40 généralement utilisée pour financer les programmes
agricoles au Canada. Cette approche, adoptée en 2005, devrait également l’être en 2009,
mais le gouvernement ontarien n’a pas encore donné suite à la proposition du fédéral.
Il faut cependant reconnaître que la participation ontarienne au financement du PTPT
s’élèverait alors à plus de 190 millions de dollars, si l’on tient compte du fait que le budget
annoncé de 286 millions de dollars représente 60 % des fonds nécessaires. Cette somme
devra alors provenir des contribuables ontariens, alors que le montant proposé par le
gouvernement canadien résulte d’un règlement juridique avec les fabricants de tabac. Les
implications budgétaires diffèrent donc pour ces deux gouvernements. Il aurait d’ailleurs
été intéressant d’évaluer si le gouvernement fédéral aurait accordé ce deuxième programme
de rachat si ce n’avait été de ce règlement juridique139.
En somme, la réforme du secteur ontarien de la tabaculture et l’intervention post-réforme
proposée ont été marquées par deux types de considération. Tout d’abord, les producteurs
de tabac et leurs communautés se sont retrouvés dans une situation financière non
seulement précaire, mais qui, en plus, ne présentait que très peu de voies d’ajustement
viables. En effet, en plus de la piètre qualité des sols, les entreprises se retrouvaient avec un
taux d’endettement élevé, des actifs très spécialisés et des opérateurs dont l’âge moyen était
de 58 ans, soit des facteurs concourant à réduire leur capacité d’ajustement. Quant aux
communautés, elles devaient leur développement économique essentiellement aux
fabricants de tabac qui s’y étaient établis, mais qui avaient quitté la région au cours des
dernières années.
138
Stoneman (2007) affirme même que « the maximum price per pound was pegged by the government
(although no one knew it) at $1.05 ». Cette affirmation, lourde de conséquences, ne peut cependant être
validée ici.
109
Le second type de considération concerne la responsabilité gouvernementale face au déclin
du secteur. L’analyse précédente a ainsi exposé les principaux effets mesurés des politiques
antitabac adoptées par les paliers de gouvernement. Par ailleurs, la décision qui apparaît
avoir impliqué le plus – politiquement – le gouvernement semble avoir été la ratification,
en 2003, de la « Convention cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur le
contrôle du tabac ». En effet, outre l’objectif préconisé de réduire le tabagisme dans les
États signataires, cette Convention indique, à l’article 17, que :
« Les Parties s’efforcent […] de promouvoir, le cas échéant, des solutions
de remplacement économiquement viables pour les cultivateurs, les
travailleurs et, selon qu’il conviendra, les vendeurs ».
On y ajoute, à l’article 22, que les Parties doivent faciliter le transfert des compétences
techniques, scientifiques et juridiques de façon à aider « les travailleurs du tabac à trouver
d’autres moyens de subsistance appropriés économiquement et juridiquement viables »
ainsi qu’en « aidant, le cas échéant, les cultivateurs de tabac à passer à d’autres cultures
d’une manière économiquement viable » (cf. OMS 2003).
Il est intéressant de noter que cette Convention est non seulement citée par les organisations
de producteurs dans leurs revendications d’aide, mais elle l’a été également par le
gouvernement fédéral dans le communiqué de presse annonçant le développement du
PAAPT en 2004 :
« Le gouvernement fédéral s'engage à fournir une aide transitoire aux
producteurs de tabac, a déclaré M. Speller. Le gouvernement travaille à
aider les agriculteurs touchés par la Convention-cadre pour la lutte antitabac
de l'Organisation mondiale de la Santé » (Gouvernement du Canada 2004).
Autrement dit, sans faire état d’une obligation légale de compenser, il semble que des
décisions politiques prises à l’égard du tabagisme aient pu contribuer à contraindre le
gouvernement canadien à intervenir aussi dans le secteur de la tabaculture.
139
Les propositions avancées par les producteurs de tabac reposaient sur l’idée que le gouvernement fédéral
taxerait les compagnies de tabac afin de financer les programmes. Même si, finalement, les fonds émanent de
cette même source, l’introduction d’une nouvelle taxe n’aurait peut-être pas été aussi viable politiquement.
110
4.2.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme
Bien que certains détails caractérisant les modalités d’intervention n’aient pu être obtenus,
il apparaît peu probable que les mesures de transition adoptées lors de la réforme du secteur
ontarien de la tabaculture aient pu constituer formellement une transposition effective du
« test de compensation ».
En fait, il faut reconnaître que l’intervention post-réforme mise de l’avant concerne
effectivement les deux principaux groupes affectés par le processus de restructuration du
secteur, soit les tabaculteurs et leurs communautés. Par ailleurs, les pertes subies par ceuxci ne résultent pas tant de la réforme du système de contingentement que des conséquences
collatérales de la politique de lutte contre le tabagisme au Canada. Dans une telle
perspective, il faudrait donc considérer cette réforme et l’intervention subséquente comme
faisant partie de la politique de santé publique du Canada, élargissant du coup le nombre
d’intervenants devant être pris en considération. Il en va de même de l’évaluation des
pertes, puisqu’il faudrait alors tenir compte non seulement des coûts liés à l’abolition des
quotas, mais aussi des pertes de revenus dues à l’effondrement de la demande pour le tabac
canadien au cours des dernières années.
D’autre part, même en se limitant à considérer qu’il s’agit ici d’une réforme d’une politique
agricole, le degré de « compensation » octroyée aux intervenants affectés semble
insuffisant pour combler l’ensemble des pertes subies par l’abolition des quotas. En se
référant aux estimations proposées par l’OFCTGMB, le paiement de 1,05 $/lb annoncé en
2008 ne couvrirait que 78 % du coût moyen d’acquisition des quotas au cours des dernières
années et ce pourcentage de couverture chute à 42 % si l’on tient également compte de la
dévaluation des actifs spécialisés des entreprises (OFCTGMB 2006b). Bien que la
contribution ontarienne puisse améliorer cette situation, il faut reconnaître que le soutien
proposé ne suffit pas à « compenser » les pertes subies, d’autant plus que les opportunités
de marché futures sont peu reluisantes pour les producteurs situés dans ces régions.
Enfin, la nature du financement de ces mesures de transition ne respecte pas non plus les
critères du « test de compensation » puisque ce furent les contribuables qui ont financé les
mesures en 2005, tandis que les compagnies de tabac – elles-mêmes pénalisées par la lutte
111
antitabac – paient pour celles annoncées en 2008. En fait, il est difficile d’établir quel
groupe d’individus sort véritablement gagnant de ce processus de réforme, d’autant plus
que l’abolition de la tabaculture ne semblerait avoir qu’un impact mitigé sur le niveau de
tabagisme au Canada (cf. Mussel et Martin 2007). Autrement dit, cette réforme et
l’intervention subséquente s’inscrivent en réalité dans une perspective de relance
économique motivée aussi bien par des considérations d’efficacité que par des questions
d’équité, face à une communauté ayant investi, de bonne foi, dans ce secteur de production
au cours des dernières années.
112
Tableau 5 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées au Canada, le secteur du tabac ontarien
Aspects descriptifs
Modalités d’intervention
Composantes
économiques visées
Critères d’éligibilité
Détenteur de quotas
(BMQ)
Dévaluation d’un actif
- Être détenteur de BMQ ;
- Participer à l’enchère inversée et
proposer une mise acceptée par le
gouvernement fédéral.
- Abandonner tous les quotas détenus ;
- Accepter de ne plus s’en procurer
d’autres.
- Paiement unique ;
- Enchères tenues entre avril et
mai 2005.
Communautés
rurales
Incitatifs à la
diversification des
activités économiques
Nd.
Nd.
Nd.
Détenteur de quotas
(BMQ)
Dévaluation d’un actif
Être détenteur de BMQ.
Abandonner la culture du tabac.
- Paiement unique ;
- Programme disponible lors
de la campagne 2009/10.
Aide au
développement des
collectivités
Communautés
rurales
Incitatifs à la
diversification des
activités économiques
Nd.
Nd.
Nd.
Système de permis
provincial
Producteurs de tabac
Organisation des
marchés
Concerne les producteurs de tabac
demeurant en production.
Ne s’applique pas.
Aucune date de cessation.
Nom du programme
2005
Aide à l’adaptation
des producteurs de
tabac
Fonds de transition
pour les collectivités
tabacultrices
2008
Programme de
transition pour les
producteurs de tabac
Intervenants
concernés
Conditions de versement
Période et rythme de
versement
113
Structure du programme
Nom du
programme
2008
2005
Aide à l’adaptation
des producteurs de
tabac
Montant total de la
mesure
Calcul du soutien
Base de référence
Plafond et nature
du paiement
Financement
Type de mesure
de transition
99 millions de $ (total)
- 54 millions de $ 1
(fédéral)
- 35 millions de $
(Ontario)
- Selon les mises proposées
par les participants, sous
contrainte du budget alloué ;
- Prix net obtenu : 1,72 $/lb 2.
Nd.
Paiement direct
découplé.
15 millions de $
Nd.
Nd.
Nd.
Ajustement
(compétitivité)
Programme de
transition pour les
producteurs de tabac
286 millions de $
(fédéral)
1,05 $/lb.
Correspond au paiement
fédéral offert au titre du
PAAPT.
Paiement direct
découplé.
Assistance
(Ajustement)
Aide au
développement des
collectivités
15 millions de $
(fédéral)
Nd.
Nd.
Nd.
Système de permis
provincial
Ne s’applique pas
Ne s’applique pas
Ne s’applique pas.
Ne s’applique pas.
Fonds de transition
pour les collectivités
tabacultrices
1
2
Budgets
gouvernementaux
(Fédéral et
provincial)
Provient d’un
règlement juridique
avec les fabricants
de tabac
Ne s’applique pas
Assistance
(Ajustement)
Ajustement
(compétitivité)
Réinstrumentation
Le budget fédéral total s’élevait à 67,4 millions de dollars. La balance a été allouée au rachat des quotas de tabac québécois.
Compte tenu de la bonification du paiement octroyée par le gouvernement provincial. Cependant, le prix obtenu à l’enchère a été de 1,05 $/lb de BMQ.
Sources principales : AAC (2006), Gouvernement du Canada (2008), OFCTGMB (2006b) et Wales (2005).
114
4.3 Le secteur laitier australien
La politique laitière australienne a été développée au cours des années 20. Elle a représenté
l’un des premiers systèmes de gestion de l’offre mis en œuvre en agriculture et a été
introduite afin d’assurer aux principaux marchés (Sydney, Melbourne, Brisbane) un
approvisionnement constant en lait frais tout au long de l’année. Les producteurs ont alors
bénéficié d’un régime spécial afin qu’ils puissent couvrir les coûts de production
additionnels découlant de ce type de production (Senate Rural and Regional Affairs and
Transport References Committee 1999, 3.3). Jusqu’en 2000, le secteur laitier australien a
ainsi évolué sous une combinaison de contingentement de l’offre, de contrôle des
importations et de soutien des prix, appliqués au marché du lait de consommation.
4.3.1 La contextualisation du projet de réforme
4.3.1.1. Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien
Avant sa réforme, le secteur laitier australien a été caractérisé par l’absence de marché
unique pour les produits laitiers. La Constitution australienne conférait en effet aux États
(l’équivalent des provinces canadiennes) les pouvoirs d’intervenir au niveau de la
commercialisation des produits laitiers sur leur territoire. Les six États australiens
administraient ainsi individuellement une législation laitière, centrée essentiellement sur le
marché du lait de consommation. De fait, ces législations avaient divisé la production
laitière selon deux types de lait, soit celui dédié à la consommation (18 % de la production
australienne) et celui voué à la transformation (82 % de la production australienne). Le
gouvernement fédéral administrait pour sa part l’intervention appliquée au lait de
transformation (Edwards 2003, p.78; Kubota 2006, p.23).
À l’échelle des États, on retrouvait ainsi des mécanismes visant à soutenir les prix, à
contrôler l’offre et à limiter le commerce interétatique du lait de consommation. Plus
précisément, les prix aux producteurs étaient réglementés par des organismes d’intervention
étatiques – les State Marketing Authorities (SMA) – et étaient fixés à des niveaux plus
115
élevés que ceux réservés pour le lait de transformation. Cette différence était de 21 % en
moyenne, mais s’élevait dans certains cas à 200 % (Edwards 2003, p.77).
Afin de limiter les volumes de lait commercialisés sur ce segment de marché, des
mécanismes de contrôle de l’offre, également spécifiques à chaque État, étaient en place.
Les instruments utilisés privilégiaient aussi bien des quotas de commercialisation que des
systèmes de mise en commun partageant entre producteurs les recettes tirées de la vente de
lait de consommation140. Le commerce du lait de consommation entre États était quant à lui
limité par les pouvoirs respectifs des SMA (Edwards 2003, p.78).
La politique encadrant la commercialisation du lait de transformation a quant à elle été
modifiée en 1986, à la suite du démantèlement graduel du mécanisme fédéral de soutien
des prix. Ainsi, « le prix du lait de transformation à la production a été soumis aux
conditions du marché et donc aux fluctuations des prix sur le marché international » (Gouin
2005, p.46). Un mécanisme d’intervention avait néanmoins été adopté en remplacement. Le
lait de transformation s’est ainsi vu subventionné par un paiement direct – le Domestic
Market Support (DMS) – dont le financement provenait de taxes perçues auprès des
producteurs et des transformateurs141 (Whetton 2000, p.3). Notons que la plupart des
producteurs laitiers produisaient pour les deux segments de marché et participaient donc à
ces deux modes d’intervention (Kubota 2006, p.23).
Le régime tarifaire et les subventions aux exportations administrés par le gouvernement
fédéral avant la réforme de 1986 ont continué d’être utilisés par la suite. Toutefois, un
accord de libre-échange signé avec la Nouvelle-Zélande est venu fragiliser la protection des
marchés intérieurs des produits laitiers. De même, l’Accord sur l’agriculture de l’OMC de
1995 a obligé l’ajustement du système de subventions aux exportations, ce qui a eu pour
140
Gouin (2005, p.44) note : « Les États du Queensland et du Western Australia utilisaient […] des quotas
individuels de production de lait de consommation liés à la terre. Le New South Wales, quant à lui, disposait
de quotas commercialisables ». Les États de Victoria, Tasmania et South Australia avaient pour leur part opté
pour une mise en marché permettant « à tous les producteurs laitiers de ces trois États de bénéficier de la
prime sur le lait de consommation ».
141
Plus précisément, une première taxe à la production était prélevée sur toutes les livraisons de lait pour le
marché du lait de consommation. Ce prélevé se voulait un mécanisme de transfert des revenus des
producteurs de lait de consommation vers ceux de transformation. Une deuxième taxe était payée par les
transformateurs sur leurs réceptions de lait destinées à la transformation (Gouin 2005, p.45). Compte tenu que
116
effet de les réduire significativement au cours des années qui ont suivi (Edwards 2003,
p.81-2).
Cette description de la politique laitière australienne permet de constater que plusieurs
ressemblances existaient entre ce mode d’intervention, avant sa réforme, et celui privilégié
aujourd’hui dans le secteur laitier canadien. C’était le cas du partage constitutionnel des
pouvoirs entre les États et le gouvernement fédéral, du rôle des organismes d’intervention,
du contrôle des importations et du commerce domestique, ainsi que des mécanismes de
soutien des prix. Ce dernier aspect de l’intervention constitue certainement le principal
élément de comparaison entre les deux systèmes de gestion de l’offre. Les prix administrés
respectifs permettaient ainsi aux producteurs de lait éligibles des deux pays de recevoir des
prix supérieurs à ceux observés sur les marchés internationaux.
Les ressemblances se limitent par ailleurs à ces éléments, car d’importantes distinctions ont
été soulevées dans la description précédente. La principale différence concerne d’ailleurs le
mécanisme de soutien des prix, puisqu’il ne s’appliquait, en Australie, qu’au lait de
consommation et non à celui voué à la transformation, ce dernier représentant plus de 80 %
de la production. La subvention au titre du DMS n’a pour sa part aucune correspondance
avec la politique laitière canadienne actuelle.
De même, les divers mécanismes de contingentement appliqués au lait de consommation
diffèrent dans plusieurs cas des régimes de quotas laitiers commercialisables retrouvés au
Canada. Les investissements liés à la production laitière n’étaient donc pas du tout les
mêmes, non plus que les restrictions imposées aux volumes pouvant être commercialisés,
puisque le lait dédié à la transformation ne faisait l’objet d’aucune limitation réglementaire.
En fait, près de la moitié de la production laitière était vouée à l’exportation et l’Australie
figurait, au moment de la réforme, au quatrième rang des principaux pays exportateurs de
produits laitiers (Parliament of Australia 2000b, p.2).
Quoi qu’il en soit, la réforme de la politique laitière australienne demeure le principal
précédent en matière de démantèlement d’un système de gestion dans le secteur laitier.
ces taxes ont été transférées dans les prix de vente, les consommateurs ont dans les faits supportés l’ensemble
de cette intervention (Edwards 2003, p.80).
117
Nombreux sont d’ailleurs les auteurs qui affirment que cet exemple devrait inspirer le
gouvernement dans l’éventualité d’une réforme de la politique laitière canadienne (cf. Earl
2003; Barichello et coll. 2006; Petkantchin 2006; Larue et Gervais 2007). L’analyse de
cette expérience apparaît donc incontournable dans le cadre de ce mémoire.
4.3.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées
La réforme de la politique laitière australienne a eu lieu le 30 juin et a été mise en œuvre
dès le 1er juillet 2000. Dans le cadre d’une loi, la Dairy Industry Adjustment Bill 2000142, le
gouvernement fédéral a exigé que tous les États dérégulent leurs mécanismes d’intervention
simultanément. Le Domestic Market Support (DMS) administré par le fédéral devait être
aboli par la même occasion (cf. Senate Rural and Regional Affairs and Transport
References Committee 2000).
Ainsi, la réforme de la politique laitière australienne a été directe et complète. De fait, il n’y
a eu aucune période de transition lors du processus de démantèlement143 et les instruments
d’intervention auparavant utilisés n’ont été ni maintenus, ni remplacés. Des mesures ont été
mises en œuvre afin de faciliter la transition, mais ces dernières étaient temporaires. Elles
sont décrites à la section suivante.
Le contexte dans lequel s’est inscrit ce démantèlement a influencé significativement le
processus de réforme et doit donc être exposé succinctement pour les fins de l’analyse.
Harris (2004) rappelle ainsi que la réforme de la politique laitière australienne a débuté
dans les faits en 1986, lorsque le système d’intervention utilisé pour le lait de
transformation a graduellement été démantelé. Dès 1992, il était déjà admis que ce segment
de marché allait être déréglementé en 2000. Selon Edwards (2003, p.83), cette décision
était annonciatrice d’une réforme plus globale, car les États producteurs de lait de
transformation allaient alors perdre leurs incitatifs à respecter les restrictions au commerce
du lait de consommation.
142
143
Parliament of Australia (2000a), Dairy Industry Adjustment Act 2000, No. 22-2000.
Neuf mois se sont écoulés entre l’annonce de la décision et le démantèlement de la politique laitière.
118
La signature de l’Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay en 1995, le libre-échange
avec la Nouvelle-Zélande et la constitutionnalité critiquée du paiement au titre du DMS
apparaissent aussi avoir accéléré le processus de réforme (Harris 2004, p.4). La mise en
œuvre du Competition Principles Agreement (CPA) en 1995 a cependant été l’élément
déclencheur. Le CPA exigeait que tous les règlements et lois restreignant la compétition
soient réévalués pour l’an 2000. Il était admis qu’aucune restriction ne devait être
maintenue, à moins qu’il soit démontré que l’une d’elles fut la seule option envisageable
économiquement (Edwards 2003, p.84).
Cet exercice, effectué individuellement dans chaque État, s’est soldé par la décision de
l’État de Victoria – principal État producteur de lait – de démanteler sa politique laitière.
Comme l’indique Kubota, (2006, p.24) :
« Le revirement de l’État de Victoria aurait immanquablement provoqué
l’effondrement des dispositifs de soutien des prix du lait liquide dans les
autres États, et des perturbations économiques généralisées dans la plupart
des régions laitières, mais les représentants du secteur […] ont proposé de
procéder à une déréglementation complète du marché du lait et de
l’accompagner d’une aide à l’ajustement ».
En somme, le démantèlement de la politique laitière australienne résulte d’un long
processus de réforme ayant duré près de quinze ans. Le contexte institutionnel australien y
aura joué un rôle déterminant, en donnant finalement l’occasion à l’une des parties
impliquées, soit l’État de Victoria, de se désister du régime d’intervention, précipitant ainsi
l’abandon du système. Quoi qu’il en soit, ce processus, tout comme le plan de
démantèlement adopté, ont émané, en dernier lieu, d’une volonté commune de la majorité
des acteurs de la filière, soit des producteurs, des industriels laitiers et du gouvernement.
4.3.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention
4.3.2.1 La catégorisation des programmes adoptés
Les études ayant précédé le démantèlement de la politique laitière australienne ont mis en
évidence que d’importants coûts allaient être assumés par les intervenants de la filière, bien
que les effets puissent varier selon l’État affecté. Une réduction des revenus des
119
producteurs, une dévalorisation des actifs en production et surtout une restructuration du
secteur étaient anticipées (cf. Senate Rural and Regional Affairs and Transport References
Committee 1999). Un plan d’aide à l’ajustement est alors apparu nécessaire à la plupart des
organisations consultées, avant d’être jugé conditionnel au projet de démantèlement par les
producteurs laitiers australiens.
Conséquemment, le Dairy Industry Adjustment Bill 2000 a implanté le Dairy Industry
Adjustment Program (DIAP). Le DIAP avait pour principal objectif d’assister l’industrie
laitière au cours de l’ajustement suivant la déréglementation (Parliament of Australia
2000a, part 1). Le mémorandum de la loi indique d’ailleurs que « the broad regulatory
objective is to facilitate coordinated and orderly structural adjustment in the dairy industry
so as to maximise the long-term benefits of deregulation while minimising the short-term
costs of moving to a less regulated environment »144 (Parliament of Australia 2000b, p.3).
Un organisme, le Dairy Adjustment Authority (DAA), a eu la responsabilité d’administrer
ce programme.
Plus précisément, trois mesures ont été mises en œuvre dans le cadre du DIAP, soit le
Dairy Structural Adjustment Program, le Dairy Exit Program et le Dairy Regional
Assistance Program. Les caractéristiques initiales145 de ces programmes sont exposées au
Tableau 6.
Le Dairy Structural Adjustment Program (DSAP) devait offrir un paiement direct découplé
à tous les producteurs de lait australiens éligibles, soit ceux ayant été en production en
1998/99 et détenant des intérêts dans une entreprise laitière en date du 28 septembre 1999.
Environ 12 900 exploitations agricoles, regroupant près de 29 000 bénéficiaires, étaient
concernées (Kubota 2006, p.26). Outre le dépôt d’un bilan d’entreprise, aucune condition
d’octroi n’a été liée au versement du DSAP. La poursuite de la production n’était pas non
plus exigée, puisque le DSAP continuait a être versé même après un abandon de la
144
Notons que le DIAP – si on le considère dans son ensemble – constitue en soit une mesure d’ajustement à
caractère « structurel ». Ceci s’explique par les caractéristiques des programmes qu’il englobe (voir ci-après),
mais aussi par sa finalité première, qui est de faciliter l’ajustement structurel du secteur. Ce mémoire se
concentre toutefois à catégoriser les programmes spécifiques d’intervention post-réforme.
145
Des aides supplémentaires – les Supplementary Dairy Adjustment Payments – ont été admises en 2001 afin
de soutenir davantage les producteurs laitiers affectés par la réforme. Notre analyse se limite toutefois aux
seules mesures adoptées au moment de la réforme.
120
production (Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 2000,
p.3).
Deux types de versement étaient prévus au titre du DSAP. Sur la base de l’historique de
production de chaque entreprise, un paiement de 0,0896 $AUS a été octroyé par litre de lait
de transformation commercialisé, tandis qu’un paiement de 0,4623 $AUS le litre a été versé
pour le lait de consommation. Cette aide équivalait, respectivement, à 6-7 % et 85-135 %
des prix de marché moyens observés au moment de la réforme (Harris 2005, p.17). Le
soutien direct offert par le DSAP devait se poursuivre pendant huit ans, jusqu’à la
campagne 2007/08. Un arrangement avec des institutions bancaires pouvait cependant
transposer cette aide trimestrielle en paiement unique ponctuel. Au total, un budget de
1,63 milliard de dollars australiens a été mis à la disposition des producteurs.
Bien que l’aide octroyée au titre du DSAP devait être versée pendant huit ans, il faut
considérer ce programme comme une mesure d’indemnisation liée aux pertes de revenus
anticipées. En effet, cette aide était à la fois inconditionnelle à une décision d’ajustement et
directe. L’étalement du versement est dû à des impératifs commerciaux, puisque l’Australie
aurait autrement outrepassé ses engagements en matière de soutien interne à l’OMC
(Kubota 2006, p.26).
D’autre part, selon ce qui leur apparaissait le plus profitable, les producteurs laitiers
australiens pouvaient décider de se prévaloir du Dairy Exit Program (DEP) au lieu de
recevoir le DSAP. Le DEP avait pour finalité d’aider les producteurs en difficulté
financière à abandonner la production agricole. Pour bénéficier du DEP, il fallait en effet
vendre l’entreprise et se retirer de l’agriculture pendant au moins cinq ans (Kubota 2006,
p.26).
Le soutien du DEP prenait la forme d’un paiement direct non imposable pouvant s’élever
jusqu’à 45 000 dollars australiens, à quoi pouvait s’ajouter une aide à la formation d’une
valeur de 3 500 dollars australiens. Seuls les producteurs disposant d’actifs limités à la suite
de la vente de leur entreprise étaient éligibles, le niveau d’aide offert régressant si le
plafond établi (90 000 $AUS) était dépassé (Martini 2007, p.28). Ce programme
121
représentait donc une mesure d’assistance ayant une composante « ajustement » très
marquée.
Le Dairy Regional Assistance Program (DRAP) a quant à lui été ajouté au dernier instant
au Dairy Industry Adjustment Bill 2000. Sa finalité a été d’assister les communautés rurales
dépendantes de l’industrie laitière et leurs membres à s’ajuster à la dérégulation de la
politique laitière. En place pour trois années, « the regional programme will support
initiatives to create employment, retraining, counselling and community infrastructure and
services in dairy communities adversely affected by deregulation » (Parliament of Australia
2000c, p.2). Notons que les producteurs laitiers étaient exclus de ce programme, les fonds
devant plutôt profiter au développement des entreprises œuvrant en amont ou en aval du
secteur (Martini 2007, p.28).
Une enveloppe de 45 millions de dollars australiens avait été mise à la disposition du
DRAP. Chaque initiateur de projet devait toutefois concourir à 50 % des frais engagés. Le
DRAP est ainsi un exemple de mesure d’ajustement visant à accroître la « compétitivité »
du secteur en intervenant au niveau des ressources à la disposition des individus et des
communautés rurales affectés par la réforme.
Au total, le Dairy Industry Adjustment Program (DIAP) comptait sur un budget de près de
1,8 milliard de dollars australiens, dont 1,7 milliard était directement mis à la disposition
des intervenants impliqués dans l’industrie laitière et affectés par la réforme146 (Harris
2005, p.22). Cette somme devait entièrement être prise en charge par le Dairy Adjustment
Levy, soit une taxe de 0,11 dollar australien appliquée à la vente au détail des produits
laitiers liquides en Australie, incluant les produits importés. Cette taxe, qui doit être
maintenue jusqu’en 2010, a fait ainsi porter par les consommateurs les charges liées aux
mesures de transition introduites lors de la réforme de la politique laitière australienne.
4.3.2.2 Constats et inférences
Le principal constat qui émerge de cette analyse se rapporte à l’influence, lors du
déroulement de la réforme et de la mise en œuvre des mesures de transition, des principes
122
de la théorie économique néoclassique. L’analyse de cette ascendance se limite ici à
l’intervention post-réforme, bien qu’elle ait aussi orienté le processus de réforme en
amont147.
Il faut ainsi rappeler que l’objectif du Dairy Industry Adjustment Program (DIAP) a été de
maximiser les bénéfices de la déréglementation à long terme tout en minimisant les coûts
de la transition à court terme. Plus précisément, l’idée était de limiter, dans le courant de la
réforme, l’abandon de producteurs qui auraient autrement été efficients et compétitifs à
long terme (Parliament of Australia 2000b, p.3). L’approche australienne en matière
d’intervention post-réforme s’est donc largement inspirée de la perspective néoclassique
appliquée aux processus de réforme, exposée à la section 2.5.1. Le rôle du gouvernement
devait alors se limiter à assurer de maximiser l’efficacité économique en minimisant les
coûts sociaux d’ajustement potentiellement évitables (cf. Blandford et Hill 2007, p.256-7).
De fait, l’intervention au titre du DIAP a essentiellement visé à faciliter la restructuration
du secteur, en accordant aux différents intervenants concernés les ressources financières
nécessaires à leur ajustement. Les programmes du DIAP ont d’ailleurs privilégié
l’augmentation de la compétitivité de l’industrie aussi bien que la rationalisation des
entreprises, comme l’indique le mémorandum du Dairy Industry Adjustment Bill 2000 :
« It is envisaged that payments to producers under the package would be
used in whatever investment considered most appropriate to enhance
viability and competitiveness of the enterprise. […]. As a result of the
package, it is anticipated that a greater number of farmers will be able to
negotiate the transition to a deregulated environment and to re-establish
themselves as viable enterprises. Alternatively, where farmers believe exit to
be the best option, the payments will provide the farmer with the means to
assist to clear debts and exit the industry to undertake more viable
economic activities » (Parliament of Australia 2000b, p.5).
146
La balance devait servir à couvrir les frais administratifs et les frais d’emprunts nécessaires.
Anderson (2004, p.271) note ainsi que le Competition Principles Agreement (CPA), qui a mené au
démantèlement de la politique laitière, « provides a powerful example of neo-liberal ideologies involving free
markets and the privatisation of state services ». Edwards (2003, p.84) indique pour sa part que l’évaluation
de la politique laitière dans le cadre du CPA a été menée, dans l’État de Victoria, par une firme reconnue pour
ses positions libérales. Les résultats de l’étude ont révélé, à l’aide d’une approche coûts-bénéfices standard, de
larges gains potentiels pour la communauté dans l’éventualité d’une réforme.
147
123
Cette approche rejoint ainsi l’idée de Breyer (1982), exposée à la section 2.5.1, à savoir que
l’objectif d’une intervention efficace est de créer un environnement économique dans
lequel des agents rationnels et maximisant leurs intérêts sont en mesure de prendre des
décisions d’investissement éclairées relativement aux coûts et aux gains attendus de
l’ajustement.
À cet égard, le Dairy Structural Adjustment Program (DSAP) a été le principal outil
d’ajustement utilisé par le gouvernement australien au cours de la réforme, bien qu’il ait été
catégorisé en tant que mesure d’indemnisation. Là encore, le choix de ne lier le versement
du DSAP à aucune condition d’ajustement se rapporte à des considérations théoriques
d’efficacité économique. Des analyses préliminaires avaient conclu que :
« […] a lump sum compensation package was preferable to schemes tying
compensation to exit, investment and production decisions, that such
behavioural decisions should ideally be made in response to ‘undistorted’
market signals and tying compensation to behaviour ran the risk of
distorting market signals » (Senate Rural and Regional Affairs and
Transport References Committee 1999, para. 7.28).
Dans le même ordre d’idée, il importe de souligner que la finalité affichée du DIAP a été
d’offrir des « payments to producers […] to facilitate adjustment, and […] not to
compensate for the effects of the removal of market milk regulatory arrangements » (Senate
Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 2000, p.9). Le soutien
devait ainsi servir exclusivement à « l’ajustement » du secteur, en intervenant surtout au
niveau des revenus des producteurs agricoles.
Cette observation mène à un deuxième constat déterminant, à savoir qu’aucune mesure
n’est venue pallier la dévaluation des actifs découlant de la réforme. Seule la diminution du
prix du lait, et par conséquent la réduction des revenus, a été prise en considération. La
différence entre le paiement réservé au lait de consommation par rapport à celui pour le lait
de transformation reflétait justement les anticipations relatives à l’évolution post-réforme
des prix pour ces produits148.
148
Le marché du lait de transformation était peu régulé et la réduction attendue était moindre que dans le
marché du lait de consommation, où l’intervention permettait de maintenir des prix élevés.
124
Pourtant, des pertes significatives étaient anticipées quant à la dévaluation des actifs en
production, telle que la terre, dans laquelle les subventions s’étaient pour la plupart
capitalisées. Cette situation a été encore plus problématique dans les États ayant eu recours
à des quotas de production pour le lait de consommation, car ces derniers ont été abolis dès
le 1er juillet 2000, perdant du coup toute valeur marchande (Senate Rural and Regional
Affairs and Transport References Committee 1999, 5.54 et ss.). Ni le gouvernement
fédéral, ni les États – pourtant responsables de l’administration des contingents – n’ont mis
en œuvre des mesures directes visant à compenser cette perte (ABARE 2001, p.8).
Deux raisons peuvent expliquer cette situation. La première est à l’effet que les quotas sont
généralement considérés, dans la théorie économique, comme des « coûts échoués » ne
devant pas faire l’objet d’un dédommagement, sous peine de causer un aléa moral et
d’affecter l’efficacité de l’ajustement (cf. section 2.5.1). La seconde raison est en lien avec
cet aspect, puisque le gouvernement considérait que la valeur des quotas « was represented
by the sum of the (additional) annual income derived from producing quota milk over
time » (ABARE 2001, p.7). En intervenant au niveau des revenus, il dédommageait
indirectement une partie de la perte générée par la disparition du flot de bénéfices lié à cet
actif.
Il est par ailleurs intéressant de noter que selon les témoignages entendus devant le Senate
Rural and Regional Affairs and Transport References Committee, l’obligation légale de
compenser les producteurs pour la perte de leurs quotas – dans les États où de tels actifs
existaient – n’a pas été étudiée en profondeur (1999, 5.6). Il aurait été par ailleurs
intéressant d’évaluer si une telle obligation aurait pu être admise légalement.
Parmi les autres constats devant être formulés, mentionnons que l’aide a essentiellement été
réservée aux producteurs laitiers et marginalement aux autres acteurs de la filière, pourtant
concernés par la restructuration du secteur. Le fait que la plupart de ces derniers aient été
perçus comme étant des bénéficiaires de la réforme peut expliquer cette situation. Un autre
élément intéressant a été le caractère national des mesures de transition adoptées, alors que
d’importantes spécificités régionales dans le secteur laitier australien étaient observées. La
125
distinction entre les paiements réservés aux laits de transformation et de consommation a
cependant permis de prendre en compte cette diversité géographique149.
L’analyse précédente s’est concentrée sur l’étude des modalités d’intervention des
programmes post-réformes adoptés. Il est cependant intéressant de prendre en compte les
raisons ayant été avancées pour expliquer le choix d’intervenir. Ces dernières ont été
explicitement exposées dans un rapport réalisé par le Senate Rural and Regional Affairs
and Transport References Committee (1999, para. 7.23) et se lisent comme suit :
•
« The costs of deregulation are concentrated on a relatively small number
while the benefits are spread over many […].
•
Deregulation would result in the concentration of adverse impacts on a
largely rural-based section of the community, with most of the benefits
captured by urban-based consumers […].
•
There is a concern that without the package there could be significant
disruption in some regions. An adjustment package could help minimise the
disruption and maintain an adequate resource base in affected regions in the
transition to a deregulated industry […].
•
An associated concern is the potential for instability in milk supplies.
•
Dairy farmers have invested in good faith on the basis of existing regulatory
arrangements and for many, deregulation would constitute an unforeseen
'shifting of the goal posts'.
•
Compensation is a once-off exercise but the lower prices ultimately provided
to consumers accrue indefinitely. In effect, consumers can afford to fund
compensation and still be better off. »
En somme, dans l’ensemble du processus de réforme, les principes économiques
néoclassiques apparaissent avoir joué un rôle prédominant, à un tel point qu’il est étonnant
de constater qu’un consensus ait pu émerger à ce sujet entre les intervenants impliqués.
Selon certains observateurs, la désorganisation et les divergences de vues des
regroupements agricoles australiens auraient en réalité limité leur capacité à faire valoir
d’autres types d’approches (Martini 2007, p.29).
L’ascendance des principes économiques sur le déroulement de la réforme a eu des
implications significatives pour le secteur laitier, puisque ce dernier a été complètement
149
Par exemple, l’État de Victoria devait recevoir la plus grosse part du financement (48 %), mais les
producteurs de l’État du New South Wales, spécialisés dans la production de lait de consommation, devaient
126
libéralisé, tandis que les mesures d’intervention post-réformes adoptées ont été teintées par
la volonté de maximiser l’efficacité économique en minimisant les coûts d’ajustement
potentiels. Autrement dit, l’aide ne visait pas à dédommager, mais plutôt à accompagner
certains groupes fragilisés par la modification de l’environnement économique.
Notons que les raisons évoquées pour intervenir laissent transparaître des enjeux relatifs à
l’équité, telle que la reconnaissance d’une concentration des coûts d’ajustement sur des
catégories précaires d’individus (cf. section 2.5.2). Par contre, même dans cette perspective,
la question de l’efficacité est demeurée prédominante, puisque ces groupes ont été ciblés
par l’intervention justement parce qu’ils étaient jugés incapables de s’ajuster seuls au
nouvel environnement économique.
Finalement, il faut reconnaître la grande flexibilité du modèle d’intervention post-réforme
privilégié en Australie. En effet, la structure des programmes mis de l’avant a été
développée exclusivement pour les fins de cette réforme et ne repose sur aucun mode
d’intervention existant, telle une politique agricole nationale appliquée à d’autres secteurs
de production. De même, les aides octroyées, tels que les paiements du DSAP, n’ont pas été
référencées à des objectifs contraignants, comme le maintien des revenus, mais résultent
plutôt de négociations portant sur le niveau, très subjectif, de soutien jugé nécessaire pour
faciliter l’ajustement. Ces éléments expliquent certainement l’intérêt accordé par plusieurs
auteurs pour ce modèle d’intervention, facilement transposable à d’autres expériences de
réforme, tel un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne (cf. Earl 2003;
Hart 2005; Barichello et coll. 2006; Petkantchin 2006; Larue et Gervais 2007).
4.3.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme
Considérant l’influence des fondements de la théorie économique néoclassique dans le
développement des mesures d’intervention adoptées lors du démantèlement de la politique
laitière australienne, il n’est pas étonnant de constater une forte ascendance des principes de
l’économie du bien-être dans la démarche adoptée. Le mémorandum du Dairy Industry
recevoir le paiement par ferme le plus élevé (Whetton 2000, p.6).
127
Adjustment Bill 2000 en expose d’ailleurs les principaux aspects (cf. Parliament of
Australia 2000b, p.5 et ss.).
Ainsi, le gouvernement fédéral a ciblé cinq groupes d’individus devant être affectés par la
réforme, soit les producteurs laitiers, les transformateurs, les détaillants, les consommateurs
et les gouvernements. Les producteurs laitiers devaient être les principaux intervenants
affectés, en faisant face à une baisse moyenne de revenus de plus de 28 000 dollars
australiens par exploitation. Inversement, les transformateurs devaient bénéficier du
démantèlement, grâce à la baisse anticipée du prix du lait et à l’abolition de la taxe perçue
pour le financement du DMS, à quoi s’ajoutaient des gains liés à la restructuration des
entreprises. Il en allait de même des détaillants, bien que l’application du Dairy Adjustment
Levy pouvait oblitérer en partie la réduction des prix aux consommateurs. Ces derniers sont
néanmoins considérés comme les principaux bénéficiaires. Ils devaient effectivement tirer
des bénéfices « substantiels » de la réforme, puisque selon les chiffres avancés, le transfert
de revenus causé par la politique laitière s’élevait à 500 millions de dollars australiens
annuellement. Enfin, les gouvernements devaient profiter d’une réduction de leurs charges
administratives.
Cette liste, bien que simplifiée, regroupe effectivement les principaux intervenants de la
filière laitière australienne. Il est par ailleurs légitime de se questionner sur la façon dont
ont été évalués les gains et les pertes devant être assumés par chacun. Le principal exemple
à cet égard concerne l’omission de considérer la perte de valeur des quotas laitiers, mais ce
questionnement s’applique aussi aux acteurs situés en aval, tels les consommateurs. Le
Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee (1999, 5.65) notait
ainsi:
« […] almost no-one coming before the Committee was prepared to predict
that the price of milk to the consumer would fall. It appears from evidence
that there is little foundation for optimism in a deregulated environment, i.e.
that it is unlikely that the retail price of milk will fall. »
Les bénéfices anticipés pour les consommateurs ne reposaient donc pas tant sur des
évaluations empiriques que sur l’idée que les gains d’efficacité découlant de la réforme
allaient nécessairement leur être transmis grâce à l’effet de la concurrence.
128
Il faut reconnaître néanmoins que les principales mesures de transition adoptées, soit le
DSAP et le DEP, constituent effectivement des « compensations » au sens de l’économie
du bien-être. Bien que bénéficiant exclusivement aux producteurs, ces compensations
devaient assurer le transfert des gains dans l’ensemble de la filière. Le paiement moyen par
ferme s’est ainsi élevé à 118 000 dollars australiens, ce qui a été jugé suffisant pour garantir
le maintien du niveau de production à la suite du démantèlement, assurant du coup un
approvisionnement à moindres coûts pour les transformateurs et les détaillants (Parliament
of Australia 2000b, p.7).
Le niveau d’assistance offert par cette compensation n’apparaît cependant pas suffisant
pour couvrir l’ensemble des pertes encourues par les intervenants, principalement les
producteurs laitiers. De fait, l’aide de 1,6 milliard de dollars australiens équivalait au
maintien du soutien réglementaire précédent, évalué à 500 millions de dollars australiens
annuellement, que pour trois années supplémentaires. Le fait de « compenser » les
producteurs ne semble donc pas avoir été une finalité poursuivie par le gouvernement.
Le financement de cette compensation représente par ailleurs une application explicite du
principe du « test de compensation ». En effet, une taxe à la consommation, le Dairy
Adjustment Levy, a servi à financer le DIAP, reflétant ainsi l’idée que les consommateurs
devaient être les principaux bénéficiaires de la réforme, tel que l’entend d’ailleurs la théorie
du bien-être. Selon les analyses préparatoires, cette taxe ne devait pas faire augmenter le
prix du lait au détail. Pour cette raison, le mémorandum indique que les « consumers are
still expected to be better off under the package than under the current situation where
Commonwealth and State regulatory arrangements provide for monetary transfers of over
$500 million annually from consumers ». Le Senate Rural and Regional Affairs and
Transport References Committee (1999, para. 5.65) concluait toutefois, sur la base des
réserves posées précédemment, que « the funding of the package via a consumer levy
appears to be opportunistic ».
En somme, cette analyse permet de conclure que si l’intervention post-réforme adoptée n’a
pas constitué une transposition complète du « test de compensation », elle représente
néanmoins une application de son principe à un cas réel de réforme. En effet, « l’état »
atteint à la suite de la réforme de la politique laitière australienne a été jugé préférable, car
129
les autorités ont assumé que les gagnants (les consommateurs) seraient en mesure de
compenser les perdants (les producteurs) de façon à ce qu’il y ait potentiellement au moins
un individu qui bénéficie du changement sans qu’aucun n’en soit pénalisé.
À cet égard, bien que le DIAP constitue une « compensation », son recours s’explique
plutôt par la perspective néoclassique de l’intervention gouvernementale dans l’économie,
en visant à minimiser les coûts sociaux évitables. Dans un tel cas, l’enjeu est de s’assurer
que les sommes investies n’outrepassent pas les gains attendus par la réforme, ce qu’a
certainement dû admettre le gouvernement australien.
130
Tableau 6 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées en Australie, le secteur laitier
Aspects descriptifs
Modalités d’intervention
Nom du
programme
Intervenants
concernés
Composantes
économiques visées
Critères d’éligibilité
Conditions de versement
Période et rythme
de versement
Soutien des revenus
- Avoir été engagé dans la production laitière en
date du 28 septembre 1999 ;
- Avoir des intérêts dans une entreprise laitière
ayant livré du lait lors de la campagne 1998/99.
Dépôt d’un bilan d’exploitation
(déclaration d’actifs, analyses des
revenus, dépenses annuelles, etc.).
- Versement
trimestriel ;
- Pendant 8 ans.
Dairy Exit Program
Producteurs
agricoles
Soutien des revenus
- Démontrer avoir été producteur pendant 2 ans et
être incapable d’emprunter sur ses capitaux ;
- Avoir un actif total d’après vente d’un maximum
de 90 000 $AUS.
- Vendre l’entreprise agricole ;
- Se retirer de la production agricole
pendant 5 ans.
- Versement unique ;
- Disponible pendant
2 ans.
Dairy Regional
Assistance Program
Communautés
rurales
Institutions et
infrastructures rurales
Réservé aux entreprises œuvrant en amont et en
aval du secteur de la production (producteurs
laitiers exclus).
Déposer un projet à un comité
d’évaluation.
Accessible pendant
3 ans.
Dairy Structural
Adjustment Program
Entreprises
agricoles 1
131
Structure du programme
Nom du
programme
Dairy Structural
Adjustment Program
Dairy Regional
Assistance Program
Calcul du soutien
Base de référence
1,63 milliard $AUS
- Selon les livraisons de lait de l’entreprise
lors de la campagne 1998/99 ;
- Paiement de 0,0896 $AUS/l de lait de
transformation et 0,4623 $AUS/l de lait
de consommation.
Correspond à la poursuite
du soutien pour trois
années supplémentaires.
30 millions $AUS
- Paiement de 45 000$AUS non
imposable ;
- Aide au recyclage (formation) maximale
de 3 500 $AUS.
45 millions $AUS
Participation du bénéficiaire à la hauteur de
50 % des charges du projet.
Plafond et nature
du paiement
Financement
- Plafond à
350 000$AUS 2
- Paiement direct
découplé.
Paiement direct
découplé.
Type de mesure de
transition
Indemnisation
Dairy Adjustment
Levy
(consommateur)
Assistance
(Ajustement)
Nd.
Nd
Ajustement
(Compétitivité)
1
Les paiements étaient versés aux entreprises agricoles, mais ils étaient partagés entre les différentes entités impliquées dans la production, comme les
producteurs, les propriétaires, les contractants à un bail, etc.
2
Ne s’appliquait pas si les revenus laitiers dépassaient 70 % des revenus de l’entreprise.
3
Le DIAP, en le considérant dans son ensemble, peut être catégorisé comme une mesure d’ajustement à caractère structurel compte tenu de sa finalité et des
caractéristiques des programmes d’intervention qu’il englobe.
Sources principales : Edwards (2003), Harris (2004), Parliament of Australia (2000a; 2000b; 2000c) et Senate Rural and Regional Affairs and Transport
References Committee (1999).
Ajustement
(Restructuration) 3
Dairy Exit Program
Montant total de
la mesure
132
4.4 Le secteur laitier helvétique
La production laitière constitue le principal secteur agricole en Suisse. Celui-ci regroupe en
effet le plus grand nombre d’exploitations et assure à lui seul plus de 20 % des recettes
agricoles nationales. S’y greffe également l’importance économique de l’industrie connexe
de la transformation fromagère, qui utilise plus de 40 % du lait produit et qui exporte près
de 30 % de sa production à haute valeur ajoutée (OFAG 2007, tableaux 7, 9, 15).
Cette prédominance historique a conféré au secteur laitier un rôle stratégique dans
l’économie agricole helvétique. C’est d’ailleurs afin de stabiliser son développement que la
Confédération a introduit un système de contingentement en 1977. L’objectif poursuivi
était alors de contrer la surproduction et la chute généralisée du prix du lait, de maintenir
une production laitière sur l’ensemble du territoire et de valoriser les activités de
transformation dans les régions montagneuses. L’intervention vise aujourd’hui à garantir un
revenu suffisant aux producteurs et à limiter les frais de mise en valeur du lait (PSL 2001,
p.1). Ce régime de gestion de l’offre est toujours en place aujourd’hui, mais son abolition a
été annoncée pour 2009.
4.4.1 La contextualisation du projet de réforme
4.4.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien
La politique agricole helvétique repose sur trois domaines d’intervention, soit celui de la
Production et ventes, celui des Paiements directs et celui de l’Amélioration des bases de
production. Les programmes encadrant l’économie laitière de la Suisse s’inscrivent pour la
plupart dans le premier domaine, bien que les producteurs laitiers bénéficient également de
l’intervention au titre des deux autres. Cette section s’attarde cependant à décrire le
fonctionnement de la politique laitière en mettant l’accent sur les mesures d’intervention
spécifiques à ce secteur de production.
La Confédération a historiquement eu recours à d’importants mécanismes de soutien du
marché afin de supporter les prix des produits laitiers. Aujourd’hui encore, « le niveau du
133
prix du lait à la production est […] largement déterminé par le soutien du marché »
(Conseil fédéral 2006, p.83), bien que le prix du lait se négocie librement, depuis 1999,
entre les interprofessions de producteurs et les transformateurs.
En fait, sous la Politique Agricole (PA)150 suisse présentement en vigueur – la PA-2011
(2008-2011) – l’intervention dans le secteur laitier s’articule essentiellement autour de
subventions à la production et aux ventes, de protections douanières, d’aides aux
exportations et d’un régime de contingentement laitier (cf. Confédération suisse 1998a,
art.38-42). Notons que pour les fins de l’analyse, la description de ces composantes se
réfère aux modalités d’action prévues avant 2009, soit l’année de l’abolition du
contingentement laitier.
Des subventions directes, comptant des « suppléments » à la production et des « aides » à la
promotion des ventes, constituent un premier type de mécanisme de soutien utilisé. Au
niveau des suppléments, celui Versé pour le lait transformé en fromage est le plus
important. Il prend la forme d’une aide de 0,15 franc151 versée aux utilisateurs de lait pour
chaque kilogramme de lait transformé en fromage (Confédération suisse 1998c, art.2). Sa
fonction première est de réduire le prix d'achat du lait utilisé comme matière première pour
la fabrication de fromage (PSL 2004, p.4). Comme l’indique le Conseil fédéral (2006,
p.83), cette aide joue un rôle déterminant, car « l’octroi de ce supplément se répercute
indirectement aussi sur le prix du lait qui est utilisé dans la fabrication d’autres produits
laitiers ne bénéficiant d’aucun soutien (effet de levier) ». S’ajoute à ce premier paiement le
Supplément de non-ensilage qui prévoit une aide supplémentaire de 0,03 franc par
kilogramme de lait provenant de vaches nourries sans ensilage, si ce lait est transformé en
fromage (Confédération suisse 1998c, art.3).
Les Aides à la promotion des ventes dans le pays constituent la seconde catégorie de
subventions directes. Elles visent à promouvoir la vente, sur les marchés domestiques, de
certains produits laitiers, dont le beurre et la poudre de lait. Ainsi, en janvier 2007,
0,40 franc était octroyé aux vendeurs de beurre pour chaque emballage de un kilogramme
150
Les documents gouvernementaux se réfèrent à la Politique Agricole en ayant recours à l’acronyme « PA ».
L’utilisation de ce terme est également privilégiée dans cette analyse.
151
Pour l’ensemble de cette section, les valeurs monétaires sont exprimées en francs suisses.
134
commercialisé (OFAG 2007, p.130). Ce type d’aides a pour but de favoriser des modes de
mise en valeur du lait à faible valeur ajoutée (Conseil fédéral 2006, p.83).
Le régime de protection tarifaire constitue le second pilier de la politique laitière
helvétique. Depuis la signature de l’Accord sur l’agriculture de l’OMC, ce régime se
compose de tarifs douaniers élevés ainsi que de contingents tarifaires152. En fait, la plupart
des produits laitiers bénéficient d’une protection douanière substantielle (Conseil fédéral
2006, p.84). Notons toutefois qu’un accord de libre-échange a été mis en œuvre en 2002
entre la Suisse et l’Union européenne en ce qui a trait au commerce du fromage. Depuis
2008, ce marché est complètement libéralisé. Puisque cet accord concerne le principal
secteur de l’industrie laitière helvétique, cette libéralisation doit avoir pour effet de rendre
le prix du lait suisse beaucoup plus sensible à l’évolution des marchés et à celle de la
politique laitière de l’Union européenne. Notons qu’en 2006, le prix suisse du lait à la
production s’élevait à 0,72 franc le kilogramme, soit 40 % au-dessus de celui observé en
Allemagne (OFAG 2007, p.250).
Ce prix élevé du lait se reflète évidemment sur celui du fromage. Ainsi, afin de pouvoir
exporter ce produit153 à haute valeur ajoutée sur les marchés internationaux, la Suisse a
historiquement eu recours à d’importantes aides aux exportations. Sous la PA-2011, de
telles subventions sont toujours disponibles. Elles ne peuvent plus cependant servir à
exporter vers l’Union européenne (Confédération suisse 1998c, section 4).
Le système de contingentement laitier constitue la quatrième composante de la politique
laitière helvétique. Selon les dispositions de la loi, un contingent correspond à la quantité
de lait qu’un producteur peut commercialiser au cours d’une année laitière (cf.
Confédération suisse 1998b). Chaque contingent est ainsi détenu par un exploitant agricole,
bien que la Confédération ait le pouvoir d’ajuster le niveau total ou individuel de
152
Le régime douanier suisse est en fait très particulier. Par exemple, la Suisse est le seul pays à n’employer
que des tarifs spécifiques, plutôt que ad valorem. La gestion des contingents tarifaires laitiers, utilisés
exclusivement pour l’importation de beurre, permettait jusqu’à récemment de subventionner indirectement les
organisations laitières grâce à la rente d’importateur qui leur était garantie. De même, des mécanismes de
« prix-seuil » permettant d’ajuster les tarifs douaniers de certains produits en fonction des prix à l’importation
sont utilisés. Enfin, les droits sur certains produits importés sont également ajustés en fonction de leur
utilisation finale (cf. DREPA 2006a).
153
Le fromage n’est pas le seul produit laitier suisse bénéficiant d’aides aux exportations, mais l’analyse se
concentre sur ce produit compte tenu de son importance.
135
contingents en circulation et ce, sans indemnisation (Confédération suisse 1998a, art.31).
En 2006/07, le « potentiel de production »154 s’élevait à 3,2 millions de tonnes de lait,
réparties entre 29 000 producteurs (OFAG 2008a, p.3).
Mentionnons qu’à l’origine, les quotas laitiers étaient liés aux superficies des entreprises et
ne pouvaient être transférés autrement que par la transmission des terres. Depuis 1999, ils
sont déliés de cet actif et peuvent d’ailleurs faire l’objet de transactions, en étant soit
vendus, soit loués entre entreprises, sur une base contractuelle et sous certaines conditions
(Conseil fédéral 1996, p.139; Confédération suisse 1998b). Enfin, afin de d’assurer le
respect de la limitation de produire, une taxe est appliquée pour chaque kilogramme de lait
excédentaire produit (Confédération suisse 1998a, art. 36).
Le budget total devant être alloué à la politique laitière dans le cadre de la PA-2011 s’élève
à 863 millions de francs pour la période 2008 à 2011, ce qui correspond à environ 6 % du
budget agricole total (Conseil fédéral 2006, p.195, 201). Ce montant reflète toutefois les
changements devant être apportés en 2009 à l’intervention dans ce secteur. Pour base de
comparaison, la PA-2007 avait prévu, pour la période 2004-2007, un budget total de près
de 2 milliards de francs (Conseil fédéral 2002, p.4579). Cette réduction budgétaire affectant
le secteur laitier traduit en réalité une refonte beaucoup plus fondamentale de la « PA » qui
est exposée par la suite.
Notons que la structure de l’économie laitière est spécifique aux réalités géographiques et
politiques de la Suisse. En effet, près de 40 % de l’agriculture se situe en montagne, tandis
qu’une entreprise laitière moyenne ne compte que 22 hectares de terre et environ 20 vaches
(DREPA 2006a, p.8; OFAG 2008a). La spécialisation de l’industrie laitière helvétique dans
le domaine de la production fromagère constitue une autre spécificité majeure. Enfin,
mentionnons que la structure de la « PA » est tout aussi particulière, puisque ses principes
directeurs sont inscrits dans la Constitution du pays. Ainsi, depuis 1996155, la Constitution
154
Le potentiel de production inclut les « contingents de base », mais aussi les « quantités de base »
correspondant aux volumes de lait exemptés du contingentement à partir de 2006. Cet aspect est étudié à la
section suivante. Les contingents et les quantités « supplémentaires » sont également inclus dans cette donnée.
155
Depuis le début des années 50, les principes guidant l’intervention en agriculture se retrouvent inscrits
dans la Constitution. À l’origine, l’autosuffisance était l’un des principaux objectifs poursuivis. Dans le cadre
de la révision de la politique agricole amorcée en 1992, la population et les Cantons ont été appelés à voter,
par référendum, sur une nouvelle base constitutionnelle prévoyant entre autres l’octroi de paiements directs
136
privilégie une « PA » axée sur la sécurité de l’approvisionnement, la conservation des
ressources naturelles, l’entretien du paysage rural et l’occupation décentralisée du territoire
(Confédération suisse, art.104, al.1).
Quoi qu’il en soit, certains mécanismes d’intervention spécifiques au secteur laitier, dont le
régime tarifaire et le système de contingentement, présentent des similitudes significatives
avec les mécanismes privilégiés dans la politique laitière canadienne. Ce dernier aspect – le
contingentement laitier – offre certainement le plus de correspondances. L’intérêt d’étudier
la réforme de ce système est d’ailleurs amplifié par le fait que depuis 1999, ces contingents
laitiers ont pu faire l’objet de transactions, leur faisant ainsi prendre une valeur
commerciale.
4.4.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées
Dans le cadre de ce mémoire, l’analyse de la réforme de la politique laitière helvétique se
structure autour du projet d’abolition du système de contingentement. La LAgr-1998
prévoit en effet qu’à partir du 1er mai 2009156, tous les contingents laitiers seront supprimés
(Confédération suisse 1998a, art.36a). Par ailleurs, d’autres aspects de la politique laitière
ont été et doivent être modifiés sous la PA-2011 et sont par conséquent également étudiés.
En fait, le projet d’abolition des contingents laitiers ne s’inscrit pas dans le même agenda
que les autres modifications prévues pour la politique laitière. En effet, bien que le projet de
démantèlement soit mené à terme sous la PA-2011, il a été introduit en 2004, dans le cadre
de la PA-2007. Une période de transition a alors été planifiée pour le secteur, entre le 1er
mai 2006 et le 30 avril 2009.
Pendant ces trois années157, des producteurs affiliés à des regroupements organisés
corporativement ont ainsi pu déposer des demandes, auprès du gouvernement, afin d’être
exemptés du contingentement (cf. Confédération suisse 2004). Plusieurs conditions
conditionnels à la fourniture de prestations écologiques. Le vote s’est tenu en 1996 et l’amendement a
recueilli un appui de 78 % de la population (Conseil fédéral 2006, p.18).
156
La LAgr-1998 permet toutefois de repousser cette abolition jusqu’en 2011 si les conditions économiques
ne sont pas jugées appropriées (Confédération suisse 1998a, art.36a al.3).
157
La dernière demande d’exemption a eu lieu le 1er mai 2008.
137
balisaient toutefois cette transition, parmi lesquelles l’obligation, de la part des producteurs,
de vendre leur lait à un utilisateur de lait éligible (Confédération suisse 1998a). De plus,
sauf exception158, les volumes produits ne pouvaient excéder une « quantité de base »
correspondant au niveau de contingent de chaque producteur exempté, maintenant du coup
l’effet du contingentement (Confédération suisse 2004, art.6).
À partir du 1er mai 2009, les limites quantitatives à la production seront toutefois
supprimées et les regroupements de producteurs et les utilisateurs de lait détermineront
seuls les volumes de lait devant être commercialisés. Seule restera l’obligation, pour les
parties, d’établir « un contrat d’achat de lait d’une durée minimale d’un an comprenant au
moins un accord sur la quantité de lait livrée et les prix arrêtés […] » (Confédération suisse
1998a, art.36b al.2; PSL 2008, p.1).
La PA-2011 prévoit d’autres ajustements majeurs affectant l’économie laitière helvétique.
Ainsi, dès le 1er janvier 2009, les Aides à la promotion des ventes dans le pays seront
abolies, ainsi que les aides aux exportations. Seuls le Supplément versé pour le lait
transformé en fromage et le Supplément de non-ensilage seront maintenus. Au total, 50 %
des sommes dédiées auparavant à ces mécanismes de soutien du marché sera retranché.
Mentionnons que s’ajouteront également des modifications au régime douanier, avec un
assouplissement des modalités d’octroi des contingents tarifaires laitiers et une réduction
des droits de douanes perçus sur les aliments pour animaux (Conseil fédéral 2006, p.82 et
ss.; OFAG 2008b).
Cette description permet ainsi de constater que malgré l’abolition du système de
contingentement laitier en 2009, la réforme de la politique laitière helvétique demeure
partielle. En effet, en plus de maintenir un cadre légal balisant la commercialisation du lait,
des mesures de soutien du marché restent en place, tandis que le régime tarifaire, tout en
étant ajusté et affaibli par l’accord de libre-échange sur le commerce du fromage, est
maintenu. Cette réforme est également graduelle, ne serait-ce qu’à cause de la période de
trois ans réservée à la transition vers l’abandon du contingentement.
158
Les regroupements pouvaient demander au gouvernement des quantités « supplémentaires » s’il était
démontré que les volumes pouvaient être transformés et commercialisés (Confédération suisse 1998b, section
2a).
138
Notons par ailleurs que ce gradualisme et l’ampleur de cette réforme s’expliquent surtout
par le fait que celle-ci s’inscrit dans un processus de réorientation beaucoup plus vaste de la
« PA ». En fait, depuis 1993, cette dernière a été réévaluée à quatre occasions, la PA-2011
étant la dernière étape mise en œuvre à ce jour159. Globalement, cette démarche s’est
articulée autour d’une séparation graduelle de la politique des prix de celle des revenus,
l’intervention en agriculture prenant maintenant essentiellement la forme de paiements
directs découplés et conditionnels à des prestations environnementales. Ce changement
s’est fait au détriment des mécanismes de soutien de marché ayant caractérisé la politique
laitière helvétique. À cet égard, parmi les principaux changements apportés à cette
politique, notons l’abolition des prix garantis et le début de la commercialisation des
contingents laitiers sous la PA-2002160, tandis que la PA-2007 a enclenché la transition vers
l’abolition du système de contingentement.
De nombreuses justifications expliquent cette réorientation globale de l’intervention
agricole
en
Suisse
et
plusieurs
d’entre
elles,
telles
que
les
préoccupations
environnementales, sont à caractère sociopolitique. Ce sont toutefois les pressions
commerciales et le faible degré de compétitivité des entreprises agricoles helvétiques qui
ont été le moteur de changement et ce, tout particulièrement au niveau du secteur laitier. La
décision de supprimer le système de contingentement est ainsi justement expliquée par les
frais de production élevés en découlant, affectant du même coup la compétitivité du secteur
(Conseil fédéral 2002, p.4470).
159
La première étape a eu pour thème « Découplage plus d’Écologie ». Elle a pris place en 1993, avec
l’introduction d’un régime de paiements directs découplés de la production. La PA-2002 (1999-2002), lancée
sous le thème de « Déréglementation plus de Marché » représente la seconde étape. Inscrite dans les
nouveaux fondements constitutionnels de 1996, la PA-2002 a mené à une refonte des mécanismes de
paiements directs en les rendant éco-conditionnels et a entraîné la suppression de toutes les garanties
d’écoulement et de prix. La troisième étape a été introduite avec la PA-2007 (2004-2007). Elle a poursuivi la
démarche précédente en misant cette fois sur une « Déréglementation plus Compétitivité ». L’abandon
graduel du système de contingentement laitier a été amorcé à ce moment (cf. Conseil fédéral 2006; DREPA
2006a; USP 2008).
160
Notons que les « Suppléments » et les « Aides » ont été adoptés en réponse à cette abolition. Ces
paiements devaient permettre aux producteurs d’atteindre, par le biais du marché, un prix-cible indicatif
(Conseil fédéral 1996, p.131). Bien que cette étape de la réforme ne soit pas étudiée spécifiquement dans ce
mémoire, ces paiements directs pourraient être considérés comme ayant été des mesures de
« réinstrumentation ». La commercialisation des contingents devait faciliter la restructuration du secteur et
réfère donc à une mesure « d’ajustement » à caractère légal.
139
En fait, la réforme de la politique laitière helvétique résulte d’une stratégie à long terme
visant à développer une agriculture compétitive, multifonctionnelle, axée sur une
production à haute valeur ajoutée et prenant acte de l’évolution commerciale à l’échelle
internationale (cf. DREPA 2006a, p.79).
4.4.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention
4.4.2.1 La catégorisation des programmes adoptés
La réforme de la politique laitière helvétique, telle que décrite précédemment, comporte
deux volets, le premier étant l’abolition du système de contingentement et le second,
regroupant les modifications apportées au régime de soutien des marchés. Des mesures de
transition spécifiques ont été proposées pour chacun161. Leurs caractéristiques sont
exposées au Tableau 7.
Les mesures prévues pour le deuxième volet sont abordées dans un premier temps. En fait,
comme l’indique le Conseil fédéral dans son Message sur la PA-2011, l’élément-clé de
cette politique « consiste à réduire considérablement les moyens financiers utilisés
aujourd’hui pour le soutien du marché et à réallouer les fonds ainsi dégagés aux paiements
directs non liés à la production » (2006, p.3). Ainsi, la décision d’abolir, en 2009, les Aides
à la promotion des ventes dans le pays ainsi que les aides aux exportations a été précédée,
dès 2007, par l’octroi d’une subvention directe de 200 francs par vache laitière162. Après
l’abolition des aides le 1er janvier 2009, ce montant sera majoré à 230 francs (Conseil
fédéral 2006, p.107; OFAG 2008c). Les fonds retranchés à l’ancien mode d’intervention
seront alors transférés à cet autre.
Notons que ce paiement s’intègre en réalité au principal domaine d’intervention de la
« PA », soit celui des Paiements directs. Plus précisément, la subvention octroyée à partir
161
Le processus de réforme est en cours de mise en œuvre et certaines modalités d’intervention ne sont pas
encore connues. Les informations présentées dans cette section reposent donc sur les Ordonnances adoptées à
ce jour, mais aussi sur les documents consultatifs publiés par les autorités.
162
La référence s’exprime techniquement par Unité Gros Bovin (UGB). Une vache laitière équivaut à 1 UGB.
140
de 2007 s’inscrit dans le régime des Paiements directs généraux163 et constitue une aide au
titre des « Contributions pour la garde d’animaux consommant des fourrages grossiers »
(CGACFG)164. Les CGACFG sont techniquement des paiements directs découplés de la
production, conditionnels au respect de normes environnementales et attribués selon les
superficies herbagères et les charges en bétail admissibles (Confédération suisse 1998d,
titre 2). Si les CGACFG sont octroyées aux éleveurs helvétiques depuis 1999, les vaches
laitières étaient quant à elles exclues du régime avant 2007, compte tenu du soutien du
marché offert pour la production du lait165 (Conseil fédéral 2006, p.107). Conséquemment,
cette réallocation des ressources financières constitue une mesure de réinstrumentation
visant à soutenir les revenus des producteurs laitiers. Plus précisément, il s’agit d’un
« rachat du soutien », puisque les mécanismes de soutien du marché sont remplacés par un
paiement direct découplé et permanent (cf. section 2.4.4).
À la fin de 2008, 43 millions de francs seront ainsi transférés vers le régime de Paiements
directs, faisant ainsi passer – partiellement – l’intervention dans le secteur laitier d’une
politique de « soutien des prix » vers une de « soutien des revenus » (PSL 2008). Notons
que dans le cadre de cette stratégie, le « contribuable » conserve la responsabilité du
financement de la politique laitière helvétique.
L’abolition du système de contingentement n’implique, quant à elle, aucune forme de
soutien financier direct ou indirect. En fait, seul le système d’exemption mis en place entre
2006 et 2009 constitue une mesure de transition. Ce « régime transitoire » devait permettre
« aux organisations et aux producteurs […] de profiter de la période transitoire pour mettre
sur pied des structures adaptées au marché et susceptibles de faire leurs preuves dès 2009 »
(Conseil fédéral 2006, p.84). Les producteurs devaient également bénéficier de la réduction
163
Deux types de paiements directs sont octroyés aux producteurs agricoles suisses. Les premiers sont dits
« généraux » et sont conditionnels au respect de Prestations écologiques requises (PER). Les seconds sont dits
« écologiques » et servent d’incitatifs à produire des prestations écologiques supérieures aux PER (DREPA
2006a, p.36). Ces paiements occupent plus de 80 % du budget agricole sous la PA-2011.
164
Cette analyse se concentre sur les CGACFG. D’autres paiements, tels que les Contributions pour la garde
d’animaux dans des conditions difficiles (CGACD) sont par ailleurs disponibles, mais sont spécifiques à
certaines conditions de production.
165
Techniquement, 1 UGB bovin garantit un paiement de 660 francs (en 2009). Une « déduction pour le lait
commercialisé » est cependant appliquée. Pour chaque 4 400 Kg de lait commercialisé, 1 UGB est soustraite.
Transposée en valeur monétaire, cette déduction s’élève à 430 francs (en 2009). L’éleveur conserve ainsi un
paiement direct de 230 francs par UGB pour ses vaches laitières.
141
des coûts de production liés à l’exonération des frais d’achat et de location de contingents,
sans affecter l’équilibre de marché par une éventuelle surproduction (OFAG 2004, p.5).
Bien que ce régime transitoire prenne fin le 1er mai 2009, l’obligation qu’ont les
producteurs de ne vendre leur lait qu’à un utilisateur éligible par le biais d’un contrat
annuel d’approvisionnement demeurera en vigueur jusqu’en 2015 (Confédération suisse
1998a, art.36b). Comme l’indique le Département fédéral de l’économie (DFE 2005, p.29),
« en limitant les possibilités de vendre le lait après l’abandon du contingentement, l’art. 36b
LAgr vise à renforcer la position des producteurs de lait dans les négociations »166.
Conséquemment, cette réglementation – incluant le régime transitoire – constitue une
mesure d’ajustement à caractère légal, puisqu’elle remplace, bien que de façon beaucoup
moins contraignante, le système de contingentement. Elle favorise par le fait même le
fonctionnement du marché en permettant une meilleure organisation des capitaux et des
intervenants, promouvant du même coup le passage d’un équilibre économique à un autre
(cf. section 2.4.1).
4.4.2.2 Constats et inférences
L’analyse de la réforme de la politique laitière helvétique n’est possible qu’en prenant acte
de la finalité qu’elle poursuit. En fait, comme l’indique un rapport préparatoire à la PA2011 réalisé par le Département fédéral de l’économie (2005), « l’amélioration de la
compétitivité de l’économie laitière suisse doit être le but principal » (p.13). On y ajoute
que compte tenu « de l’enjeu que représente le passage au nouveau système, il faut accorder
à l’économie laitière le temps de s’adapter à la nouvelle donne » (p.24). À la lumière de la
description précédente, force est d’admettre que la compétitivité de la filière et la capacité
d’ajustement de celle-ci constituent effectivement les deux enjeux caractérisant la réforme
et les mesures de transition adoptées dans le secteur laitier.
166
Un projet présentement en élaboration vise à développer un « règlement de branche » entre les différents
acteurs de l’industrie, afin de contrôler les volumes produits, par le biais de taxes et de prélèvements sur les
quantités supplémentaires. Un tel règlement, bien que régit par la LAgr-1998, a toutefois un caractère privé
(Confédération suisse 1998a; Clemenz 2008, art. 8-9).
142
La question de la compétitivité se retrouve en fait au cœur de la réforme globale de la
« PA » depuis 1993. Une mention à cet effet a d’ailleurs été inscrite dans la Constitution en
1996167 et l’ensemble des ajustements apportés à l’économie laitière depuis la PA-2002
s’inscrivent dans cette perspective. C’est également le cas, sous la PA-2011, de l’abolition
des principaux mécanismes de soutien de marché (aides aux ventes et subventions aux
exportations) et du maintien des Suppléments. Le Message de la PA-2011 indiquait déjà en
2006 que « la baisse des prix qui [résultera de cette abolition] aura pour effet de mobiliser
le potentiel d’accroissement de la productivité et de diminution des coûts; il s’ensuivra un
gain de compétitivité » (p.3). Il en va de même de l’abolition du régime de contingentement
fondé sur un contrôle gouvernemental de l’offre, puisque sans ce système, « les objectifs de
la politique agricole seront désormais atteints plus efficacement et de façon plus
avantageuse pour l'économie dans son ensemble […] » (DFE 2005, p.14-5).
Une fois admis cet objectif de compétitivité et les moyens nécessaires pour y arriver, le
délai et le rythme de mise en œuvre sont apparus comme le second facteur déterminant. En
fait, toujours selon le Département fédéral de l’économie (2005, p.16), le contingentement
laitier aurait dû être supprimé lors de la première phase de la réforme agricole, soit sous la
PA-2002. Les ajustements apportés au commerce des contingents, puis le recours à un
« régime transitoire » en 2006 ont cependant été des étapes jugées nécessaires à
l’adaptation du secteur.
Face à la stratégie préalablement définie, la mise en œuvre de la PA-2011 a également été
caractérisée par le report de certaines mesures afin d’ajuster le rythme de réforme. Un
sursis a ainsi été donné quant à la réduction prévue du financement alloué aux mécanismes
de soutien du marché (OFAG 2007, section 2.5).
Les conséquences attendues du processus de réforme permettent quant à elles d’apprécier
l’ampleur de la réorientation souhaitée. Le Conseil fédéral (2006, p.84) considère ainsi
qu’une fois les formes de « soutien du marché supprimées […], le prix du lait en Suisse
s’établira au niveau européen, auquel s’ajoutera le supplément versé pour le lait transformé
167
L’article 104 constitutionnel portant sur l’agriculture indique dès l’alinéa 1 que celle-ci « veille à ce que
l’agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du
marché […]» (cf. Confédération suisse, surlignage ajouté).
143
en fromage. Grâce à la proximité du marché et à l’image de marque des produits suisses, il
devrait pouvoir rester légèrement supérieur ». Cette stratégie repose quant à elle sur l’idée
que cette baisse de prix favorisera les modes de commercialisation de lait à haute valeur
ajoutée, telle que la production fromagère, qui serviront par la suite de locomotive de
développement pour l’ensemble de la filière168.
Les revenus des producteurs doivent être affectés significativement par cette baisse du prix
du lait. Les entreprises demeurant en production ne devraient pas, cependant, être affectées
trop négativement et ce, pour différentes raisons. La première découle des obligations
légales de l’État. Ainsi, la LAgr-1998 stipule que « les mesures prévues dans la présente loi
ont pour objectif de permettre aux exploitations remplissant les critères de durabilité et de
performance économique de réaliser, en moyenne pluriannuelle, un revenu comparable à
celui de la population active dans les autres secteurs économiques de la même région »
(Confédération suisse 1998a, art.5 al.1). Dans la mesure où cette condition n’est pas
respectée, les moyens nécessaires doivent être pris par l’État pour y arriver.
La seconde raison est liée à cette obligation légale de soutenir les revenus des producteurs.
Ainsi, dans le cadre de la réforme de la politique laitière, les fonds retirés des mécanismes
de soutien du marché sont entièrement réalloués au domaine des Paiements directs, au titre
des CGACFG, soutenant ainsi directement les revenus des producteurs. S’ajoute une
troisième raison, à savoir les ajustements concomitants apportés à la « PA » et visant à
réduire les coûts de production du lait. C’est le cas, par exemple, de l’abaissement des
protections douanières sur les produits utilisés en alimentation animale (DFE 2005, p.31).
Une quatrième raison, à caractère structurel, explique enfin le maintien anticipé des revenus
des entreprises laitières. En fait, compte tenu que la PA-2011 ne devait engager aucune
ressource financière supplémentaire pour les paiements directs169, le Conseil fédéral compte
168
L’accord de libre-échange avec l’Union européenne s’inscrit d’ailleurs au cœur de cette stratégie. Le
Conseil fédéral estime qu’une augmentation de la part de marché de l’industrie suisse du fromage en Europe
(passant de 0,5% à 1,5%) entraînera une augmentation de la production laitière de 25 % (Conseil fédéral
2006, p.83). Thomas Reinhard des Producteurs suisses de lait (PSL) note cependant que « l'économie laitière
suisse ne pourra étendre ses exportations de manière conséquente que si elle propose des produits laitiers de
qualité vraiment excellente (fromages au lait cru par exemple) ou si elle baisse massivement ses prix »
(communication personnelle, Reinhard 2008).
169
Dans les faits, 150 millions de francs supplémentaires ont été votés pour soutenir les prix de marché
(OFAG 2007, p.218).
144
sur une restructuration suffisamment rapide du secteur afin de compenser la perte de
revenus des entreprises (Conseil fédéral 2006, p.56). Cette attente s’étend d’ailleurs à
l’ensemble de l’agriculture :
« Du fait de la baisse du niveau des prix, le revenu net d’entreprise réalisé
par l’agriculture, qui se situait à près de 3 milliards de francs en moyenne
des années 2002 à 2004, baissera probablement à 2,4 milliards en 2011, soit
de 2,5 % par an [170]. Si les structures continuent d’évoluer au même rythme,
le revenu des exploitations restera stable en termes nominaux » (Conseil
fédéral 2006, p.6).
La décision de la Confédération de ne pas intervenir financièrement au cours du processus
d’abolition des contingents laitiers est un autre aspect déterminant de la réforme de la
politique laitière helvétique. De fait, des sommes importantes avaient été investies par les
producteurs pour l’achat et la location de ces contingents. Selon les estimations avancées
par le DFE (2005, p.10), ces coûts ont atteint, entre 1999 et 2005, environ 725 millions de
francs.
Il est intéressant de souligner que l’absence de dédommagement est justifiée par la nature
juridique de ces contingents, comme l’indique l’Office fédéral d’agriculture (OFAG 2005,
p.7) :
« Un contingent est un droit de production que la Confédération a accordé
gratuitement aux producteurs de lait. Depuis le 1er mai 1999, ceux-ci sont
autorisés à « vendre » ou à « louer » ce droit à d’autres producteurs s’ils
renoncent à l’utiliser eux-mêmes. Or, comme les contingents ne sont pas des
droits acquis, les conventions de transfert ne sont pas non plus des contrats
de location ou de vente au sens du code des obligations […]. La
Confédération peut donc en tout temps retirer les contingents sans
indemnisation » (Soulignage ajouté).
Le Conseil fédéral constatait déjà, en 2002, que « le commerce de contingents induit un
transfert d’argent des producteurs de lait actifs vers les vendeurs et bailleurs, qui sont
parfois externes à l’agriculture », ajoutant que ces rentes étaient « gênantes » (Conseil
fédéral 2002, p.4469). On comprend alors que l’abolition des quotas vise à éliminer ces
rentes et non les compenser. Les producteurs laitiers ont d’ailleurs été nombreux à
170
Le rythme de restructuration au niveau du secteur laitier a été de 3,3 % annuellement entre 1985 et 2006
(OFAG 2008a).
145
abandonner leurs contingents et à se prévaloir du « régime transitoire », sans compensation.
À ce jour, plus de 75 % des volumes de lait produits et environ 70 % des entreprises
laitières sont exemptés du système de contingentement (cf. OFAG 2008a).
En somme, l’agriculture suisse vit depuis 1993 un vaste processus de transformation. Celuici est axé sur le développement durable, mais aussi et surtout sur la recherche d’une plus
grande compétitivité des entreprises face à une économie en voie de libéralisation. S’y
ajoute aussi l’objectif d’assurer des revenus suffisants – et éco-conditionnels – aux
producteurs. L’abolition du contingentement et la réduction du soutien du marché dans le
secteur laitier s’inscrivent dans cet agenda. Il en va de même des mesures de transition
adoptées. Celles-ci ont été développées afin d’assurer la restructuration du secteur, tout en
assurant un niveau de revenus suffisant pour les producteurs demeurant en production.
4.4.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme
Le document préparatoire à la PA-2011 réalisé par le Département fédéral de l’économie en
2005 a exposé succinctement les conséquences attendues de la réforme pour les différentes
intervenants affectés (DFE 2005, p.33-4). Tel qu’indiqué précédemment, il était anticipé
que les pertes de revenus des producteurs soient en grande partie compensées par les
mesures de transition et la restructuration du secteur. En fait, bien que ce groupe soit le
premier concerné par la réforme, il apparaît difficile d’indiquer s’il sera, au niveau agrégé,
réellement pénalisé par celle-ci.
Les utilisateurs de lait (les transformateurs) doivent quant à eux bénéficier d’une baisse du
prix du lait, mais devront par ailleurs faire face à une concurrence accrue, compte tenu de
l’abolition des aides à la vente de produits laitiers et de l’ouverture des marchés. Cette
concurrence est cependant considérée comme une opportunité de croissance pour
l’industrie. La situation des consommateurs est également mitigée, car si une baisse des
prix de certains produits laitiers (lait, yogourt, crème, etc.) est attendue, les prix du fromage
et du beurre peuvent pour leur part ne pas diminuer significativement dû à la suppression
des aides à la vente. Quoi qu’il en soit, au niveau agrégé, ces derniers devraient bénéficier
de la réforme.
146
Enfin, en ce qui a trait au gouvernement (i.e. le contribuable), des économies sont prévues
grâce à l’allégement de l’administration de la politique. Par ailleurs, compte tenu que la
réduction du budget réservé au soutien des prix sert à financer le régime de soutien des
revenus par le biais des CGACFG, le contribuable ne voit pas, à cet égard, sa situation
changer.
L’importance modérée des gains et des coûts et leur distribution relativement équilibrée
entre les différents intervenants de la filière laitière peuvent s’expliquer par le gradualisme
de la réforme et par le rôle que la réinstrumentation y joue. Notons d’ailleurs qu’aucune
« compensation » n’a été proposée dans le cadre de cette réforme. Compte tenu des
opportunités du marché attendues et du soutien des revenus offert, aucune
« compensation » n’a donc semblé nécessaire afin de dédommager les perdants potentiels.
En fait, la réforme de la « PA » privilégie explicitement un modèle d’agriculture où les
producteurs agricoles seraient des entrepreneurs développant leurs entreprises en tenant
compte des forces du marché (cf. DFE 2005, p.5; Conseil fédéral 2006). Le concept
d’efficacité économique joue ainsi un grand rôle dans l’ensemble de ce processus.
Toutefois, les principes de l’économie du bien-être et la logique du « test de
compensation » n’apparaissent pas, pour leur part, influencer le déroulement de la réforme
de la politique laitière suisse, non plus que celui de la réorientation de la « PA » dans son
ensemble.
147
Tableau 7 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées en Suisse, le secteur laitier
Aspects descriptifs
Modalités d’intervention
Nom du programme
Contributions pour la
garde d’animaux
consommant des
fourrages grossiers
Régime transitoire
d’exemption du
contingentement
Intervenants
concernés
Les producteurs
laitiers
- Producteurs
laitiers ;
- Utilisateurs de lait.
Composantes
économiques visées
Critères d’éligibilité
Conditions de versement
Soutien des revenus
Exploitants agricoles suisses ayant une
formation professionnelle 1.
- Aucune liée à des enjeux
économiques ;
- Respect de Prestations Écologiques
Requises (PER).
- Versement annuel ;
- Aucune date de
cessation.
Organisation des
marchés
Être membre d’une organisation corporative de
producteurs et d’utilisateurs de lait.
Abandonner son contingent.
1er mai 2006 au 30
avril 2009 2.
Structure du programme
Nom du
programme
Montant total de
la mesure
Contributions pour la
garde d’animaux
consommant des
fourrages grossiers
43 millions de
francs
annuellement
Régime transitoire
d’exemption du
contingentement
Ne s’applique pas.
Période et rythme de
versement
Calcul du soutien
230 francs par UGB 3.
Ne s’applique pas.
Base de référence
Plafond et nature du paiement
Financement
Type de mesure de
transition
Selon les ressources
financières disponibles.
- Paiements directs découplés ;
- Limites selon des normes socioenvironnementales 4.
Contribuables
Réinstrumentation
(rachat du soutien)
Ne s’applique pas.
Ne s’applique pas.
Ne s’applique pas
Ajustement
(légal)
1
La loi prévoit de nombreux autres critères d’éligibilité (cf. Confédération suisse 1998a, Titre 3).
L’obligation qu’ont les producteurs de ne vendre leur lait qu’à un utilisateur éligible par le biais d’un contrat annuel d’approvisionnement demeurera en vigueur
jusqu’en 2015 (Confédération suisse 1998a, art.36b).
3
Valeur pour 2009. Contribution de base 690 FS/UGB, moins la déduction pour le « lait commercialisé » de 450 FS/UGB, pour un total de 230 francs/UGB.
4
L’Ordonnance sur les paiements directs versés dans l’agriculture (Confédération suisse 1998d, Chapitre 4) expose les différents critères limitant la somme des
paiements directs pouvant être octroyés, parmi lesquels l’âge du bénéficiaire, les superficies possédées et le nombre d’heures de travail.
2
Sources principales : Conseil fédéral (2006), Confédération suisse (1998b; 1998c; 1998d; 2004), OFAG (2005; 2007).
148
4.5 Le secteur des arachides aux États-Unis
Le programme « arachide » américain a été mis en place dans la foulée du New Deal au
cours des années 30 et a peu changé par la suite. Jusqu’en 2001, les producteurs n’ont
bénéficié d’aucun paiement direct permanent et ont plutôt évolué sous un régime
obligatoire combinant un système de contingentement, une protection tarifaire et un soutien
des prix. La production répondait essentiellement à la demande domestique. Des volumes
produits, 46 % était utilisé dans l’alimentation domestique (collations, beurre d’arachide,
etc.) et 43 % était transformé (huile de cuisson, alimentation animale), la balance étant
exportée (Jurenas 2002, p.2).
4.5.1 La contextualisation du projet de réforme
4.5.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien
Au moment de la réforme du secteur, il existait un « quota arachides » limitant la
production vouée à l’alimentation domestique. Ces quotas, établis annuellement à l’échelle
nationale, étaient distribués parmi les États éligibles171 et puis aux détenteurs individuels,
sur la base d’un historique de production. En 2001/02, le volume contingenté s’élevait à
1,18 million de tonnes d’arachides. Des producteurs, détenant ou non des quotas, pouvaient
également produire, sans restriction, des « quantités additionnelles » d’arachides horscontingent. Les volumes produits devaient toutefois être commercialisés sur les marchés
d’exportation ou sur ceux de la transformation. Ce volume additionnel, s’élevant à
0,56 million de tonnes en moyenne entre 1998 et 2001, représentait environ 30 % de la
production américaine d’arachides (cf. Dohlman et coll. 2007).
À ce système de contingentement s’ajoutait un mécanisme de soutien des prix à « deux
niveaux », selon l’utilisation faite des arachides. Cette intervention était coordonnée par la
171
La production est très régionalisée et se concentre dans le sud-est des États-Unis. Cette situation est surtout
due aux conditions agronomiques requises, mais aussi à l’environnement réglementaire très rigide limitant le
transfert des quotas entre régions.
149
Commodity Credit Corporation (CCC)172, qui proposait un non-recourse loan aux
producteurs, autrement dit un prêt dont le remboursement n’était pas obligatoire si la
récolte était donnée à la CCC. Ce programme assurait ainsi un prix minimal auquel les
arachides pouvaient être commercialisées. Dans le cas de la production contingentée, ce
prix minimal s’élevait à 610 $US/tonne d’arachides, tandis que les « quantités
additionnelles » étaient achetées à un prix minimal de 132 $US/tonne en 2001.
Mentionnons qu’exceptionnellement, lors des campagnes de 1999 à 2001, les producteurs
d’arachides ont bénéficié du Income Support to Peanut Growers, paiement direct d’urgence
voté sous l’administration Clinton. Conséquemment, le soutien octroyé à la veille de la
réforme s’élevait, dans les faits, respectivement à 635,72 $US/tonne et à 145,49 $US/tonne
(Jurenas 2002, p.4). Quoiqu’il en soit, à partir de 1996, l’intervention dans le secteur des
arachides devait être menée « sans coût net » pour la CCC. Une retenue pouvait donc être
perçue sur les prix d’intervention dans l’éventualité d’un déficit173 (Jurenas 2002, p.4 à 7).
Enfin, afin de protéger ces prix intérieurs, des tarifs douaniers s’appliquaient à la fois à la
production d’arachides, mais aussi aux produits connexes, comme le beurre d’arachide.
Dans le cas du principal produit importé, soit les arachides écossées, les tarifs utilisés
s’élevaient en 2001 à 131,8 % (Skully 1999). Différents accords commerciaux tendaient
toutefois à faciliter l’accès au marché américain. Ainsi, alors que les importations
d’arachides ne correspondaient qu’à 1 % de la demande domestique avant 1995, elles
atteignirent plus de 6 % de la consommation intérieure en 2001 (Dohlman et coll. 2007,
p.178).
Notons qu’au moment de la réforme, les coûts de production moyens des arachides étaient
estimés à 266 $US/tonne (Dohlman et coll. 2007, p.177), tandis que le prix mondial a
oscillé, de 1996 à 2000, entre 231 et 462 $US/tonne (Dyckman 2001, p.2). Le prix
domestique moyen s’établissait quant à lui largement au-dessus de ce seuil, soit aux
172
La CCC est l’organisme de financement du United States Department of Agriculture (USDA).
Cette retenue était payée en partie par les producteurs (sous quotas et hors-quotas) et par les
transformateurs. Elle devait permettre de couvrir les frais d’écoulement dans les cas où la production sous
quotas excédait la demande domestique. Dans un tel cas, cette production devait être écoulée à perte sur les
marchés de la transformation ou de l’exportation.
173
150
alentours de 575 $US/tonne, grâce à l’effet combiné des mécanismes de soutien des prix et
du régime tarifaire (Economic Research Service 2004).
Le système d’intervention développé dans le secteur des arachides aux États-Unis
présentait donc, avant sa réforme, un fonctionnement comparable à celui privilégié dans le
secteur laitier canadien. Dans les deux cas, l’environnement réglementaire a permis aux
producteurs de bénéficier d’un marché domestique protégé de la concurrence étrangère,
tout en leur garantissant un prix se situant au-dessus des références mondiales. Un
mécanisme de contingentement permettait quant à lui de maîtriser l’offre à l’échelle
nationale. Ce dernier aspect de la politique américaine présente cependant certaines
particularités qu’il importe de relever.
D’une part, le système américain, contrairement au canadien, n’était pas contraignant, car il
permettait la production de quantités additionnelles d’arachides. D’autre part, les quotas,
bien que distribués au niveau des entreprises agricoles, n’appartenaient pas nécessairement
à l’opérateur de l’entreprise, mais plutôt à un propriétaire « historique ». En effet, 8 640
fermes productrices d’arachides ont été recensées en 2002, mais l’on comptait plus de
70 000 détenteurs de quotas à cette époque (Dohlman et coll. 2007, p.177). Dans les faits,
près des deux tiers des détenteurs de quotas louaient ces derniers et ne produisaient pas
eux-mêmes des arachides (Jurenas 2002, p.15). Soulignons enfin le fait que le transfert
territorial des quotas était impossible, sinon très limité, ce qui a eu pour effet de
régionaliser cette production, en plus d’empêcher la restructuration des entreprises au cours
des années174.
Malgré ces distinctions applicables au mécanisme de contrôle de l’offre, cet exemple de
réforme offre un degré de correspondance intéressant avec la politique laitière canadienne,
à la fois au niveau du contingentement et du système de soutien des prix. Ces
considérations en font un cas d’étude très intéressant dans le cadre de ce mémoire. Le
déroulement de cette réforme est ici exposé.
174
Ces restrictions s’appliquaient à l’échelle des comtés. Jusqu’en 1996, aucun transfert n’était autorisé. Par la
suite, 40 % des quotas d’un comté pouvait être transféré à un autre situé dans la même région.
151
4.5.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées
Le secteur américain des arachides a été profondément réformé lors de l’adoption, en mai
2002, de la loi agricole quinquennale américaine, soit le Farm Security and Rural
Development Act, connue sous le terme de Farm Bill de 2002 (FB 2002). Deux
changements majeurs ont alors été apportés, soit la révocation du système de
contingentement des « quotas arachides » et la refonte du système de soutien des prix.
Dès le mois d’août 2002, tous les producteurs d’arachides ont eu accès au marché de la
consommation domestique, autrefois réservé à la production contingentée. De même, le
système d’intervention à « deux niveaux » de la CCC a été abandonné. En fait, seul le
régime tarifaire n’a pas été modifié à ce moment-là. Il est ainsi possible de considérer cette
réforme comme ayant été directe, mais partielle. Ceci s’explique par l’absence de période
de transition, mais aussi par le maintien – et l’adoption – de mécanismes d’intervention,
bien que le système de contingentement ait été abandonné. Les mesures adoptées dans le
cadre de ce processus de réforme sont analysées à la section 4.5.2.
Il importe de souligner auparavant que le projet de réforme adopté résulte d’une initiative
d’un regroupement de producteurs175 craignant que le système ne puisse être maintenu plus
longtemps (House of Representatives 2001). Leurs craintes reposaient sur deux tendances
observées dans le secteur (cf. Jurenas 2002, p.2 et ss.; Dohlman et coll. 2007, p.177). La
première relève de l’évolution du programme depuis 1996, alors que certaines
modifications apportées à son administration ont favorisé une diminution des prix et de la
production domestique176. La seconde s’explique par les engagements américains en
matière de libéralisation commerciale prévoyant, entre autres choses, une ouverture
complète du marché américain aux arachides mexicaines et ce, dès 2008 (Skully 1999;
Farm Foundation 2001, p.93). L’anticipation de cette compétition accrue a donc mené les
producteurs à proposer au gouvernement un projet de réforme dans le cadre de la révision
de la politique agricole américaine en 2002.
175
Selon Jurenas (2002, p.19), certains groupes s’opposaient au projet mis de l’avant, mais pas
nécessairement à l’idée de devoir réformer le secteur d’une manière ou d’une autre.
176
Le niveau de « quotas arachides » a été lié à l’évolution de la demande domestique effective et non plus
seulement à une référence historique. Une stagnation du niveau de quotas a suivi, reflétant une diminution de
152
4.5.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention
4.5.2.1 La catégorisation des programmes adoptés
Quatre programmes ont été adoptés lors de la réforme du secteur des arachides en 2002,
soit le Marketing loan benefits, le Fixed direct payments, le Counter-cyclical deficiency
payments et le Quotas compensation. Ceux-ci sont décrits au Tableau 8. Pour les fins de
l’analyse, il est possible de les regrouper en deux catégories d’intervention.
La première catégorie regroupe le Marketing loan benefits, le Fixed direct payments et le
Counter-cyclical deficiency payments. Plus précisément, le Marketing loan benefits prévoit
un mécanisme d’achat des arachides par la CCC à un prix minimal 355 $US/tonne. Cette
mesure, accessible à tous les producteurs d’arachides, est similaire au mécanisme de
soutien des prix privilégié avant la réforme, mais ne prévoit plus qu’un seul prix de
référence fixé à un niveau moindre qu’auparavant. Le Fixed direct payments prévoit pour
sa part l’octroi d’un paiement direct découplé aux producteurs ayant un historique de
production entre 1998 et 2001. La subvention est alors versée indépendamment des choix
de production des bénéficiaires. Enfin, le Counter-cyclical deficiency payments constitue un
paiement direct supplémentaire mis à la disposition des mêmes producteurs « historiques »
si les prix domestiques, additionnés des paiements directs, ne suffisent pas à atteindre un
« prix-cible » de référence, établi à 495 US$/tonne d’arachides pour la durée de la loi177.
Notons que ces trois programmes représentent, dans les faits, les principaux mécanismes de
soutien à l’agriculture américaine introduits sous le Farm Bill de 2002. Autrement dit, le
secteur des arachides a été placé, en 2002, sous le même « filet de sécurité » que la plupart
des autres secteurs de production végétale aux États-Unis. Par conséquent, ces différents
programmes constituent des mesures de réinstrumentation. Plus précisément, il est même
possible de parler de « rachat du soutien » dans le cas du Fixed direct payments et du
Counter-cyclical deficiency payments, car ces mesures de réinstrumentation viennent
la demande domestique. Ensuite, le prix de soutien pour les « quantités additionnelles » a été réduit de 10 %,
afin que la CCC administre le programme « sans coût net » (Economic Research Service 2002, p.9).
177
Notons que le « prix-cible » n’est pas un prix garanti. En effet, les calculs des paiements prévus par le
Fixed direct payments et le Counter-cyclical deficiency payments tiennent compte de différents paramètres
(rendements historiques, superficies historiques), mais ne sont versés que pour 85 % des superficies éligibles.
153
remplacer un mécanisme de soutien des marchés par des paiements directs continuels (cf.
section 2.4.4).
Les producteurs « historiques » apparaissent comme ayant été les principaux bénéficiaires
de cette réinstrumentation, bien que le Marketing loan benefits ait été mis à la disposition
de tous les producteurs. En fait, cet ensemble de mesures garantissait à ce groupe de
producteurs une aide directe cumulée ne pouvant être inférieure à 474 US$/tonne178. Plus
précisément, par le biais de ces mesures et en tenant compte des prix de marché attendus,
les producteurs actifs lors des campagnes de 1998-2001 devaient bénéficier, en moyenne,
de revenus équivalents à environ 95 % de ceux obtenus sous l’ancien programme (Dohlman
et coll. 2004, p.11). Jurenas (2002, p.i) confirme d’ailleurs ce constat et affirme que ces
mesures ont visé à assurer « that “historic” producers receive a return roughly comparable
to what they accessed in the past, after taking into account they will no longer have to rent
or buy quota ».
Le Quota compensation s’inscrit pour sa part dans la seconde catégorie d’intervention. Ce
programme a pris la forme d’un paiement direct octroyé annuellement aux détenteurs de
« quotas arachides ». Cette aide, versée pendant un maximum de cinq années
consécutives179, était octroyée par unité de quota détenue en 2001, que cette unité soit en
location ou utilisée par le détenteur. Le seul critère d’éligibilité exigé était que le détenteur
soit propriétaire d’une entreprise agricole180 (cf. US Congress 2002, sect.1390). Ainsi, de
par sa nature ponctuelle et l’absence de conditionnalité liée à son versement, le programme
Quotas compensation constitue une indemnisation.
Le soutien direct prévu au titre du Quota compensation s’élevait à 220 US$/tonne de quota
d’arachides annuellement, pendant cinq ans, pour un total de 1100 US$/tonne. Notons que
le niveau de ce paiement ne se rattache à aucune référence économique particulière dans le
texte de loi de 2002. Il y est seulement affirmé que cette mesure a pour « purpose of
178
Valeur obtenue en additionnant le prix minimal (355 $US/tonne), le paiement direct effectif (36$US/tonne
X 85% = 30,6 $US/tonne) et le paiement maximal au titre du Counter-cyclical deficiency payments
(495$US/tonne – 355$US/tonne - 36$US/tonne = 104$US/tonne X 85% = 88,4 $US/tonne).
179
La loi permettait que le paiement direct soit versé en une seule occasion. Il s’élevait alors à
1100 US$/tonne de quota détenu.
180
Les quotas étant liés aux superficies cultivées, tous les détenteurs devaient nécessairement être associés à
une entreprise agricole et ainsi être indemnisés (communication personnelle, Kerby 2008).
154
providing compensation for the lost value of the quota on account of the repeal of the
marketing quota program for peanuts […] » (US Congress 2002, sec.1309(b), al.1)181.
Autre point à souligner, cette indemnisation concerne d’abord et avant tout les détenteurs
de quotas, qui ne sont pas nécessairement producteurs d’arachides. Il a ainsi été estimé que
les deux-tiers des versements allaient être faits à des individus ne produisant pas
directement des arachides (Jurenas 2002, p.15).
Mentionnons qu’un budget total de 2,6 milliards de dollars américains a été prévu pour la
durée de la loi, allant de 2002 à 2006 (CBO 2002). De cette somme, 50 % a été dédié au
Quota compensation. Le soutien à caractère permanent devait donc s’élever à 1,3 milliard
de dollars américains en cinq ans, soit 256,4 millions de dollars annuellement. Notons que
ces nouveaux programmes sont entièrement financés par la CCC. Conséquemment, la
réforme du secteur aura fait passer le financement de cette intervention – auparavant « sans
coût net » pour la CCC – des consommateurs vers les contribuables.
4.5.2.2 Constats et inférences
Le principal constat qui émerge de cette analyse est à l’effet que les producteurs américains
d’arachides sortent pour la plupart gagnants de ce processus de réforme. Ce constat va
d’ailleurs au-delà du fait que les revenus des producteurs « historiques » devaient être
couverts à un niveau équivalent à environ 95 % des revenus passés. En fait, comme
l’indique l’Economic Research Service (2002, p.79), il est possible de diviser les
producteurs en trois groupes, selon les effets escomptés de la réforme. La réforme apparaît
alors avantageuse pour la majorité d’entre eux.
Le premier groupe est celui des producteurs d’arachides sous quotas. Ces derniers devaient
subir la plus forte baisse des prix domestiques. Toutefois, ils bénéficiaient de la
réinstrumentation, ainsi que d’une diminution des coûts de production due à l’annulation
des frais de location de quotas – les producteurs-détenteurs de quotas étant quant à eux
indemnisés pour ce manque à gagner. Le second groupe représente les producteurs ayant
181
Jurenas (2002) expose l’évolution des débats ayant mené à l’adoption de ces mesures. On constate entre
autres que le montant proposé de l’indemnité a varié entre 200 et 240 $US/tonne. Une telle variation implique
des conséquences budgétaires considérables.
155
produit des « quantités additionnelles ». Ces derniers devaient pour la plupart sortir gagnant
du processus de réforme, puisqu’ils allaient bénéficier d’un prix minimal supérieur à celui
de l’ancien régime (355 $US/tonne plutôt que 132 $US/tonne), à quoi devaient s’ajouter les
paiements directs venant majorer à la hausse leurs revenus. Arrive enfin le troisième
groupe, soit les nouveaux producteurs qui pourraient décider d’entrer dans le secteur en
fonction des opportunités de marché, tout en profitant du Marketing loan benefits.
Le recours, lors de la réforme, à une indemnisation d’un montant total de 1,3 milliard de
dollars américains pour compenser la perte de valeur des « quotas arachides » constitue
également un constat déterminant. Rappelons que la majorité des détenteurs ainsi favorisés
sont, dans les faits, des propriétaires d’actifs louant ces derniers à des opérateurs
d’entreprises agricoles. Cette indemnisation couvre donc – à un degré non affiché – la perte
de revenus de location. De fait, Jurenas (2002, p.16) affirme que ces paiements « are
intended to compensate owners for the loss of an income producing asset that they either
inherited or purchased ». Womach (2003) note quant à lui que cette indemnisation devait
servir à couvrir la dévaluation de la valeur des terres, compte tenu du lien existant entre ces
deux actifs. Une analyse du degré de couverture offert est proposée à la section 4.5.3.
Les aspects financiers des mesures de transition adoptées sont également caractéristiques
du désir de maximiser le soutien accordé aux individus affectés par la réforme. Ainsi, le
paiement au titre du Quota compensation a été considéré comme un gain de capital afin de
minimiser l’effet de l’impôt (Hardin 2003). Aucun plafond n’a par ailleurs été placé sur le
montant total d’indemnisation pouvant être perçu. De même, le montant maximal de
subventions directes pour une entreprise, fixé normalement à 180 000$182, a été doublé pour
les producteurs d’arachides. Cette décision a été prise dans le but avoué de faire profiter les
producteurs du plus haut niveau de soutien direct possible (Jurenas 2002, p.15).
Une dernière observation s’impose enfin, à savoir l’absence d’objectif explicite en matière
d’ajustement pour le secteur. De fait, aucun programme adopté n’a impliqué directement
des enjeux liés à la restructuration ou à la compétitivité des entreprises. Seules quelques
attentes ont été formulées en termes d’impact économique, dont celle de voir la production
156
nationale augmenter et les prix domestiques décroître, rendant du même coup le marché
américain moins attrayant pour les importations étrangères (cf. Dyckman 2001).
Certaines conséquences structurelles ont également été avancées par le Economic Research
Service (2002), à partir des mêmes catégories décrites précédemment. L’organisme
s’attendait donc à voir une part importante des producteurs d’arachides sous quotas – plus
précisément ceux dont les coûts de production s’approchaient du prix de soutien de
610 $US/tonne – abandonner la production. Les producteurs de « quantités additionnelles »
devaient quant à eux accroître leur production, accompagnés en cela par les nouveaux
producteurs attirés par les opportunités de marché. Aucune estimation chiffrée de ces
changements n’a cependant été proposée et aucun programme n’a été mis à la disposition
de ces individus afin de faciliter spécifiquement ces ajustements. Cependant, dans la
mesure où la majorité des programmes de réinstrumentation sont de nature découplée183 et
qu’une indemnisation importante a été octroyée, il serait possible d’affirmer que le nouveau
régime offre aux différents acteurs les ressources nécessaires à leur ajustement.
En somme, techniquement, cette réforme a pris la forme d’un démantèlement d’un système
de gestion de l’offre, suivi par l’assujettissement du secteur réformé aux mécanismes de
base de la politique agricole en place. Dans le cadre de ce processus, les modalités
d’intervention adoptées ont cherché à minimiser l’impact de ce changement au niveau des
revenus des producteurs. Ceci a été rendu possible grâce à la structure des programmes
d’intervention américains qui privilégient, pour la plupart, le soutien – non pas seulement la
stabilité – des revenus. En ce qui concerne les quotas, on constate que les détenteurs ont été
indemnisés en tant que propriétaires pénalisés par la perte de revenus de location, et non en
tant que producteurs affectés par la dévaluation d’un actif lié à un investissement important
en capital.
182
Ce plafond cumule les limites applicables à chaque programme. En pratique, il existait différents moyens
d’augmenter ce plafond, car certaines limites étaient plus ou moins contraignantes (Jurenas 2002, p.17).
183
Seul le Fixed direct payments est véritablement découplé, alors que le paiement du Counter-cyclical
deficiency dépend des prix de marchés. Quoi qu’il en soit, ces programmes n’exigent pas la poursuite de la
production d’arachides, permettant ainsi aux producteurs de diversifier leurs productions (Dohlman et coll.
2004).
157
4.5.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme
L’analyse précédente a permis de constater que les producteurs d’arachides et les détenteurs
de quotas ont formé les deux seuls groupes dont les pertes ont fait l’objet d’un
dédommagement. À première vue, ces individus constituent effectivement les principaux
acteurs impliqués dans ce secteur de production. Il est cependant intéressant de noter une
observation de Orden et Diaz-Bonilla (2004, p.301), à l’effet que les accords commerciaux
signés au cours des années 90 visaient à accorder à des producteurs étrangers un accès
privilégié aux marchés – et aux prix – domestiques américains. Ces groupes de producteurs,
nécessairement pénalisés par la réduction des prix intérieurs devant découler de la réforme,
ne font toutefois l’objet d’aucune mesure compensatoire. Une telle observation démontre
non seulement que l’intervention post-réforme des États-Unis ne cible pas tous les
individus affectés, mais aussi que le concept de « perdants » dans le cadre du « test de
compensation » peut être passablement élargi.
En ce qui a trait à la question de la « compensation », il faut noter qu’elle ne s’applique pas
à tous les programmes mis en œuvre. En effet, les trois mesures de réinstrumentation
viennent limiter – et non compenser – les pertes qui auraient autrement été infligées aux
producteurs. Il faut par ailleurs reconnaître que ce support est conçu d’une façon telle que
les pertes nettes de revenus devaient être minimisées. Dans la mesure où les anticipations
devaient se révéler effectives, les producteurs n’avaient donc pas à être compensés lors de
la réforme.
En fait, seule l’indemnisation prévue au titre du Quota compensation constitue une
« compensation » au sens de l’économie du bien-être. Rappelons que ce soutien est réservé
aux détenteurs de quotas pour la dépréciation complète de la valeur de cet actif. Aucune
référence explicite n’a cependant été proposée pour justifier le niveau d’aide offert, soit
1100 $US/tonne au total, versés sur cinq ans. Il est intéressant de noter que face à cette
absence d’indication, des auteurs ont avancé certaines estimations. Ainsi, Womach (2003) a
estimé que l’indemnité versée correspondait à un paiement à perpétuité couvrant environ
74 % des frais de location moyens chargés entre 1995 et 2001. Un résultat similaire a été
proposé par Orden et Diaz-Bonilla (2004), qui affirment que cette aide équivaut également
158
à la valeur moyenne de 24 années de revenus de location184. Ces différentes valeurs
impliquent conséquemment que la « compensation » accordée aux détenteurs de quotas n’a
pas suffi à combler l’ensemble des pertes subies.
Toutefois, il faut reconnaître que ce type de calculs produit des résultats d’une portée
limitée, car les données sur lesquelles ils reposent reflètent l’idée que le programme allait
être maintenu en place sur un horizon infini, ce qui ne traduit pas correctement le contexte
politique de l’époque. La valeur de revente des quotas au moment de la réforme, qui variait
entre 140 $US/tonne et 200 $US/tonne, apparaît ainsi pour Chvosta et coll. (2002, p.19)
comme une donnée reflétant mieux la perte des détenteurs. Dans un tel cas, ces derniers
apparaissent
avoir
été
correctement
compensés.
Ces
différentes
interprétations
économiques conférées à l’aide octroyée démontrent toutefois qu’en l’absence de référence
explicite affichée par les autorités, il devient hasardeux de déterminer le degré de
« compensation » véritablement offert aux « perdants » de la réforme.
En matière de financement, force est de constater que l’intervention post-réforme
privilégiée ne respecte pas la pratique prescrite par le « test de compensation ». En effet,
l’ensemble des fonds devait provenir du budget fédéral à l’agriculture, transférant ainsi le
fardeau du soutien vers les contribuables, alors que les consommateurs (transformateurs et
grand public) étaient explicitement ciblés comme étant les principaux bénéficiaires de la
réforme (cf. Dyckman 2001, p.5).
En somme, il apparaît peu probable que la logique du « test de compensation » ait pu, d’une
manière ou d’une autre, influer sur la façon dont ont été développés les mécanismes
d’intervention découlant de la réforme du secteur des arachides aux États-Unis. Des
considérations d’ordre politique apparaissent ici davantage significatives. Rappelons que le
projet de réforme et l’ensemble de mesures adoptées subséquemment ont été proposés
par les producteurs agricoles eux-mêmes (cf. Riedl 2002). Cette démarche « préventive » a
eu lieu alors que les projets de loi – moins généreux financièrement – visant à démanteler
ce secteur se multipliaient depuis plusieurs années (cf. Jurenas 2002, p.7 et ss.). De façon
184
Ces résultats s’appuient sur les données de coûts de production de l’ERS et ont été estimés à partir d’un
taux d’actualisation de 5 %.
159
plus générale, il faut aussi reconnaître que le processus décisionnel caractérisant l’adoption
d’une politique agricole aux États-Unis, de par le nombre d’acteurs qu’il implique, donne
généralement davantage préséance au compromis qu’à l’application rigoureuse de pratiques
s’inspirant exclusivement de principes économiques.
160
Tableau 8 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées aux États-Unis, le secteur des arachides
Aspects descriptifs
Modalités d’intervention
Nom du
programme
Intervenants
concernés
Marketing loan
benefits
Fixed direct
payments
Soutien des prix
Les producteurs
d’arachides
Counter-cyclical
deficiency payments
Quotas
compensation
Composantes
économiques visées
Détenteurs de
quotas 2
Critères d’éligibilité
Conditions de versement
Période et rythme
de versement
- Être producteurs d’arachides ;
- Couvre toute la production.
Soutien des revenus
- Avoir un historique de production entre 1998-2001 ;
- Ne nécessite pas de poursuivre cette production.
Perte de valeur d’un
actif
- Avoir possédé des quotas en 2001 ;
- Avoir ou être lié à une entreprise éligible au système
de contingentement 3.
Aucune liée à des enjeux
économiques 1.
- Versement annuel ;
- Aucune date de
cessation.
Aucune.
- Annuel ;
- 5 versements 4.
161
Structure du programme
Nom du
programme
Montant total de
la mesure 5
Calcul du soutien
Marketing loan
benefits
495 millions $US
Soutien de référence de 355 $US/tonne.
628 millions $US
- Formule tenant compte des rendements
et des superficies historiques ;
- Soutien de référence de 36 $US/tonne.
Fixed direct
payments
Counter-cyclical
deficiency payments
Quotas
compensation
1
1 435 millions $US
1 300 millions $US
Base de référence
Financement
Type de mesure
de transition
Réinstrumentation
Nd.
- Formule tenant compte des rendements
et des superficies historiques ;
- Prix cible de 495 $US/tonne ;
- Paiement maximal de 88,4 $US/tonne.
- 220 $US/tonne de quota ;
- Les quotas visés sont ceux détenus en
2001.
Plafond et nature du
paiement
- Aucune référence officielle ;
- Mesures approximatives 7 :
- 24 ans de revenus de
location ;
- 70 % des revenus de
location à perpétuité.
- Paiements directs
couplés et découplés ;
- Limite globale de
180 000 $US 6 ;
- Plafond spécifique au
régime arachide.
- Aucun plafond ;
- Paiement direct
découplé.
Réinstrumentation
(rachat du soutien)
Contribuables
(CCC)
Indemnisation
Certaines normes environnementales sont applicables. Dans le cas du Fixed direct payments et du Counter-cyclical deficiency payments, les producteurs doivent
signer un contrat annuel avec l’USDA, respecter des normes environnementales et conserver leurs terres en bonne condition agronomique.
2
Le paiement est attaché à l’individu et non à l’entreprise (cf. US Congress 2002, sect.1309(g), al.1). Seuls 33 % des bénéficiaires produisent eux-mêmes des
arachides (Jurenas 2002).
3
Cette relation vaut si le quota est loué à une entreprise produisant les arachides (cf. US Congress 2002, sect.1309(f), al.1).
4
Possibilité de le transformer en un seul paiement direct d’une valeur de 1100 $US/tonne (cf. US Congress 2002, sect.1309(c), al.2).
5
Données pour l’ensemble de la période 2002-2006. Constituent les estimés du Congressional Budget Office en date d’avril 2001 et mis à jour le 1er mai 2002
(CBO 2002).
162
6
Applicable à un individu. Le plafond est de 40 000 $US pour les Fixed direct payments, de 65 000 $US pour le Counter-cyclical deficiency payments et de
75 000 $US pour le Marketing loan benefits (cf. US Congress 2002, sect.1603). Notons que le plafond de ce dernier cas n’est pas contraignant (Jurenas 2002,
p.17). Ces plafonds correspondent au double de ceux applicables aux autres secteurs de production.
7
Selon les calculs de différents auteurs (cf. Womach 2003; Orden et Dìaz-Bonilla 2004).
Sources principales : Economic Research Service (2002), Jurenas (2002), US Congress (2002) et Dohlman et coll. (2007).
163
4.6. Le secteur sucrier européen
La politique sucrière européenne a été mise en place en 1968, à la suite de la création de
l’Organisation commune de marché Sucre (OCM-Sucre)185. L’objectif de cette politique a
été de garantir un revenu équitable aux producteurs européens et l’auto-approvisionnement
du marché communautaire. Cette OCM a été exclue des réformes précédentes de la
Politique agricole commune (PAC). Jusqu’en 2006, seuls quelques ajustements ont été
apportés, laissant le système évoluer sous sa structure originale (cf. Commission
européenne 2004).
4.6.1 La contextualisation du projet de réforme
4.6.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien
L’industrie sucrière européenne se divise en deux secteurs186, soit celui de la production de
betterave sucrière et celui de leur transformation par les sucreries187. Ces secteurs évoluent
– encore aujourd’hui – sous un régime d’intervention faisant appel à un système de soutien
des prix, à une limitation de la production et à un contrôle des importations. Sans
abandonner cette structure, des ajustements majeurs ont cependant été apportés aux
modalités de soutien en 2006. Le fonctionnement pré-réforme de l’OCM-Sucre est ici
exposé.
Le régime d’intervention repose d’abord sur une maîtrise de l'offre, par le biais d’un
système de quotas appliqué au niveau des sucreries. La quantité de quotas disponibles est
définie à l’échelle communautaire sur une base annuelle, selon l’estimation de la demande
domestique. La production contingentée s’élevait ainsi à 17,4 millions de tonnes en 2005
185
Une Organisation commune de marché est un règlement, valable pour tous les pays de l’Union, qui
regroupe un ensemble d’instruments ayant pour objectif de réguler le fonctionnement des marchés agricoles
(DREPA 2006b, p.6).
186
Notre analyse est centrée sur le secteur du sucre. L’industrie du raffinage du sucre de canne et les secteurs
de productions connexes, comme celui de la production d’isoglucoses et de sirops d’inuline, ne sont pas
étudiés.
187
Le secteur de la transformation distingue le sucre brun du sucre blanc, davantage raffiné. Cette distinction
n’est cependant pas considérée dans cette étude.
164
(D.G.R.D. 2006, tableau 4.6.3.1). Les quotas sont alloués aux États-membres en fonction
des parts de marché historiques de chacun, pour ensuite être distribués aux sucreries.
Chaque usine convertit alors ses quotas en « droits de livraison » auprès des producteurs de
betteraves.
Il existe deux types de quotas pour le sucre, soit les quotas A (82 % de la production
contingentée), qui s'appliquent aux volumes commercialisés sur le marché intérieur et les
quotas B (18 % de la production contingentée), qui portent sur les volumes pouvant être
exportés à l’aide de subventions aux exportations. Des volumes supplémentaires, dits
« Sucre C », peuvent également être produits. Ces quantités doivent cependant être
obligatoirement exportées et ce, sans recours à des subventions188 (cf. Commission
européenne 2004). Lors de la campagne 2004/05, le volume de « Sucre C » a correspondu à
15 % de la production nationale (D.G.R.D. 2006, tableau 4.3.6.1).
La seconde composante de la politique sucrière européenne est un régime de soutien des
prix applicable à la production contingentée. Ce système repose sur deux prix
institutionnels. Le premier est un « prix d'intervention » qui joue lorsque les organismes
publics nationaux achètent du sucre sur les marchés afin de soutenir les prix domestiques.
Notons que ces interventions ont généralement été rares, les prix intérieurs étant plutôt
maintenus par le contingentement et le régime tarifaire. Le second, dit « prix minimum »,
est le prix minimal auquel les sucreries achètent la betterave aux producteurs. Il reflète une
répartition de la valeur du prix d’intervention entre les sucreries (42%) et les producteurs
(58%)189. Le prix payé aux producteurs pour le « Sucre-C » est quant à lui négocié
librement entre les parties (Commission européenne 2004, p.5-11).
Le régime tarifaire constitue la troisième composante du régime d’intervention. Il est
caractérisé par une protection élevée aux frontières, assortie d'accords préférentiels
188
Le « sucre C » vise à laisser aux entreprises de transformation compétitives des opportunités de marché en
ne restreignant pas leur niveau de production (Commission européenne 2004).
189
Le prix d’intervention s’élevait en 2004 à 631 €/tonne. La part des producteurs (58 %) était de 366 €/tonne.
Sur la base de 7,7 tonnes de betteraves nécessaires pour produire une tonne de sucre, ceci correspondait à un
« prix minimal » de 47,67 €/tonne de betteraves (Commission européenne 2004, p.6).
165
garantissant à certains pays en développement un accès au marché de l'Union190. La
combinaison des mesures tarifaires confère au secteur une protection douanière s’élevant à
700 €/tonne de sucre, tandis que le prix mondial varie autour de 210 €/tonne de sucre
(Commission européenne 2004, p.16; D.G.R.D. 2006, tableau 4.3.5.1).
Soulignons enfin que le fonctionnement de l'OCM-sucre est, pour l'essentiel, financé par
l’industrie elle-même, grâce à des cotisations perçues au niveau des sucreries, mais
partagées avec les producteurs (Commission européenne 2004, p.6-15; cf. Sénat français
2005). Ces prélèvements servent à financer les subventions aux exportations nécessaires à
l’écoulement du « Sucre-C » et de celui produit sous quotas B. En fait, l’essentiel des
dépenses communautaires pour l’OCM-Sucre résulte des subventions utilisées pour
exporter le sucre produit à partir des importations de canne à sucre en provenance des pays
en développement. Ainsi, sur un budget annuel moyen de 1,4 milliard d’euros au cours de
la période 2002-2005, plus de 80 % des sommes a été utilisé aux fins de ces exportations
(nos calculs selon D.G.R.D. 2006, tableau 3.4.3.1).
À la lumière de cette description, il faut reconnaître que le régime d’intervention dans le
secteur sucrier européen diffère en partie de celui en place dans le secteur laitier canadien et
ce, malgré le fait que les mêmes principes d’intervention soient utilisés. Le système de
contingentement est la composante qui présente le plus de différences. De fait, ce système
ne régule pas la production de betteraves, mais plutôt la production des sucreries. Plus
important encore, les quotas A et B ne constituent pas des actifs d’entreprises, mais plutôt
des « droits » de produire dont les décisions d’octroi et d’échange appartiennent à chaque
État-membre191. Ils ne sont donc liés à aucun investissement ni ne font l’objet de
transactions par le biais d’un marché. Ajoutons enfin que ce système n’est pas aussi
restrictif que le modèle canadien, alors que les sucreries peuvent engager des contrats
190
Ces pays sont l’Inde et ceux regroupés sous le « Protocole ACP », soit 27 pays de l’Afrique, des Caraïbes
et du Pacifique. Ces derniers peuvent exporter jusqu’à 1,6 million de tonnes de sucre de canne, devant être
achetées aux prix européens. Ce sucre bénéficie également de subventions aux exportations.
191
Le quota sucre de chaque entreprise est une donnée confidentielle qui ne doit pas être portée au bilan des
entreprises (communication personnelle, Guichard 2008).
166
auprès des producteurs afin de produire davantage au titre du « Sucre C », faisant ainsi de
l’Union européenne un important exportateur de sucre192.
Malgré ces distinctions, il existe certaines similitudes entre la régulation du secteur sucrier
et celle du secteur laitier canadien. C’est le cas du régime de protection tarifaire ou encore
de l’administration autofinancée de l’intervention de l’OCM-Sucre. La principale
similitude concerne toutefois le régime de soutien des prix. En effet, la pratique de l’OCMSucre reflète le mode d’intervention privilégié par la politique laitière canadienne. Grâce à
une combinaison de prix d’intervention et de contrôle des importations, les producteurs de
betteraves ont ainsi bénéficié de prix garantis pour leur production, ce qui a fait évoluer le
secteur sucrier européen – à l’instar du secteur laitier canadien – dans un environnement où
les prix domestiques ont été maintenus à des niveaux supérieurs à ceux observés sur les
marchés mondiaux193. Conséquemment, le principal intérêt de l’étude du secteur sucrier
européen se situe au niveau de la gestion du régime de soutien des prix lors du processus de
réforme mis de l’avant.
4.6.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées
La réforme de l’OCM-Sucre a été amorcée le 1er juillet 2006 et a impliqué, essentiellement,
une transition d’un régime de soutien des prix vers un système mixte impliquant l’inclusion
de la production de sucre sous un régime de soutien direct et le maintien de prix déterminés
administrativement (Conseil de l'Union européenne 2005a; Agritrade 2008, p.1). Plus
précisément, cette réforme a comporté deux volets.
Le premier volet assure le maintien du régime d’intervention jusqu’en 2014/15, mais
implique, entre 2006/07 et 2009/10, une période de transition se traduisant par une
diminution du prix d’intervention de l’ordre de 36%, entraînant une baisse de près de 60%
du « prix minimal »194. Parallèlement à cette réduction, le prix d’intervention a été
192
Les volumes exportés de sucre, combinant la production sous quotas B et le « Sucre-C », ont fait que
l’Union a occupé, en 2004/05, 10 % du marché mondial (D.G.R.D. 2006, tableaux 4.3.6.1, 3.7.5).
193
Le prix d’intervention pour le sucre blanc (631 €/tonne) était trois fois supérieur aux prix mondiaux
(201 €/tonne en 2004/05) (D.G.R.D. 2006, tableau 4.3.5.1).
194
Le prix minimal passera de 46,72 €/tonne à 26,29 €/tonne en 2009/10 (cf. Conseil de l'Union européenne
2001;2006a).
167
transformé en « prix de référence » en-deçà duquel un nouveau système de Stockage privé,
financé par la Communauté, peut être enclenché195. Les quotas A et B ont pour leur part été
fusionnés tandis que le « sucre C » a été maintenu et bonifié (cf. Conseil de l'Union
européenne 2006a). Ainsi, une allocation de 1,1 million de tonnes de quotas
supplémentaires a été mise à la disposition des États-membres. Ces nouveaux quotas
doivent être achetés196 par les sucreries auprès de l’État-membre et commercialisés en tant
que « Sucre C ». Cette option doit permettre de faciliter l’ajustement des entreprises
compétitives en accroissant leur production écoulée sur les marchés internationaux (Conseil
de l'Union européenne 2006a, art.8).
Ainsi, ce premier volet a entraîné une réforme partielle du secteur sucrier européen en ne
provoquant qu’une diminution des prix soutien, tout en conservant en fonction les autres
mécanismes d’intervention, tel que le régime tarifaire et les aides aux exportations. De
même, cette réforme a été graduelle, puisque la réduction des prix s’est étalée sur quatre
ans, tandis que le recours à une augmentation des capacités de production197 a pour effet
d’accroître progressivement l’expansion des entreprises les plus compétitives dans le
secteur.
Notons d’autre part l’introduction d’une nouvelle mesure d’intervention, soit le programme
de Stockage privé. Il en va de même de modifications concomitantes apportées au régime
de soutien direct de la PAC, alors que les producteurs de betteraves ont été placés sous le
régime du Paiement unique à l’entreprise (cf. Conseil de l'Union européenne 2006b). Les
producteurs éligibles ont alors pu bénéficier de paiements directs à l’instar des principaux
secteurs de production européens. Ces mesures sont étudiées à la section suivante.
195
Notons que pendant les quatre années de transition, les organismes d’intervention demeurent en fonction et
peuvent acheter jusqu’à 600 000 tonnes de sucre blanc (Conseil de l'Union européenne 2006a, art.5). Ce
volume ne représente cependant que 3,4 % des quantités produites sous les quotas A et B en 2005 (D.G.R.D.
2006, tableau 4.3.6.1). Par conséquent, cette mesure n’est pas considérée.
196
Pour la première fois, des quotas ont fait l’objet d’une transaction financière, ce qui modifie et complexifie
leur nature juridique (communication personnelle, Guichard 2008), bien que le nouveau règlement
communautaire affirme qu’il importe « que les quotas conservent leur statut juridique […] car, conformément
à la jurisprudence de la Cour de justice, le régime des quotas constitue un instrument de régulation du
marché » (Conseil de l'Union européenne 2006a, para 8).
197
Selon les définitions retenues à la section 2.4, cette décision ne constitue pas une mesure de transition,
mais plutôt « une stratégie de réforme », puisqu’elle affecte indirectement le rythme auquel s’implante la
réforme.
168
Le second volet de la réforme propose quant à lui un plan d’action visant à restructurer
l’industrie sucrière européenne en vue « d’une réduction importante de la capacité de
production [de sucre] non rentable dans la Communauté. » (cf. Conseil de l'Union
européenne 2006c). Au cours de la période de transition de 2006/07-2009/10, une
réduction, volontaire, de la production de l’ordre de 6 millions de tonnes de quotas de sucre
doit avoir lieu (Europa 2006a). Afin d’accompagner cette restructuration, différentes
mesures ont été proposées, lesquelles sont étudiées à la section 4.6.2.
Mentionnons auparavant que la réforme de l’OCM-Sucre résulte, selon la plupart des
observateurs, de pressions commerciales extérieures et non pas de difficultés économiques
(Europa 2006a; Ward et coll. 2008). Ainsi, au niveau international, l’Union européenne
s’est vue déboutée devant l’OMC pour certaines de ses pratiques commerciales, dont celles
relatives à ses exportations de « sucre C »198. De même, la mise en place du dispositif
« Tout sauf les armes »199 favorisant les importations en provenance des pays les moins
développés venait fragiliser l’équilibre de l’intervention en place. Mentionnons aussi
l’influence de certaines pressions domestiques, parmi lesquelles des critiques d’organes de
la Commission européenne, dont la Cour des comptes.
4.6.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention
4.6.2.1 La catégorisation des programmes adoptés
Les mesures de transition adoptées dans le cadre des deux volets de la réforme sont
exposées au Tableau 9. Plus précisément, cinq programmes sont retenus pour les fins de
l’analyse200, soit le Paiement unique à l’entreprise, le mécanisme de Stockage privé, l’Aide
198
Mentionnons que le système de prix différenciés de l’OCM-Sucre était équivalent au système canadien de
classes spéciales de lait, qui a dû être modifié à la suite de plaintes portées devant l’OMC (OMC 2002). Dans
les deux cas, les exportateurs bénéficiaient d’un prix inférieur au prix domestique pour l’achat de la matière
première destinée à l’exportation, ce qui constitue, selon l’OMC, une subvention aux exportations. L’Union
européenne a ainsi fait l’objet d’une accusation. La décision du groupe spécial – soutenue par l’organe
d’appel en 2005 – a obligé l’Union à modifier ses pratiques dès 2006, l’obligeant à respecter ses engagements
en faisant passer ses exportations « subventionnées » de 6 mt à 1,4 mt (OMC 2008).
199
Mis en place en 2001, ce dispositif devait permettre, dès 2009, un accès sans franchise ni droit, au marché
du sucre européen pour les 49 pays membres de l’accord.
200
Les mesures spécifiques à certains États-membres, aux partenaires commerciaux de l’Union européenne et
celles liées à des productions autres que celle du sucre et de la betterave ne sont pas considérées.
169
communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre, ainsi que les Aides à la
diversification et celles à la restructuration, regroupées sous le Fonds de restructuration. À
la lumière des caractéristiques de ces programmes, différents types de mesures apparaissent
avoir été privilégiés lors de cette réforme.
Ainsi, le Paiement unique à l’entreprise et le système de Stockage privé relèvent de la
réinstrumentation. De fait, ils viennent, de façon permanente, pallier la réduction du soutien
des prix induite par le premier volet de la réforme. Dans le cas du Paiement unique à
l’entreprise, les producteurs se retrouvent placés sous le même régime d’intervention que
les principaux secteurs de production agricole européens. Plus précisément, ce soutien
direct et découplé, versé aux entreprises agricoles ayant produit pour les fins de la
production sucrière contingentée, vient soutenir les revenus des producteurs de betteraves à
un niveau équivalent à 64,2 % de la perte estimée de revenus (Commission européenne
2005, p.8). Il constitue donc un « rachat du soutien » puisqu’il remplace un mécanisme
d’intervention sur les marchés par un paiement direct découplé et continuel (cf. section
2.4.4).
Notons que ce soutien, en étant octroyé indépendamment des choix de production ou des
conditions de marché, s’ajoute – dans le cas des producteurs éligibles – aux revenus tirés
des marchés, dont les prix demeurent supportés, dans le cas du secteur sucrier, par le
système de Stockage privé et le régime tarifaire. Il est ainsi envisageable que ce nouveau
régime se révèle plus avantageux que l’ancien pour certains producteurs.
De leur côté, les sucreries, bien que bénéficiant d’un mécanisme de Stockage privé afin de
maintenir à des niveaux élevés les prix domestiques du sucre, se voient obligées d’assumer
intégralement les pertes induites par la réduction du prix d’intervention, puisqu’aucun
programme n’a été adopté afin de pallier leur manque à gagner. En fait, il est admis que les
sucreries incapables de produire du sucre à moins de 400 €/tonne – soit le niveau du prix de
référence en 2009/10 – devraient abandonner la production (Europa 2006b).
On constate dans ces mesures l’importance accordée à la restructuration de l’industrie
sucrière, mais aussi l’attention apportée à ne pas pénaliser trop lourdement les producteurs,
sans par ailleurs nuire au processus d’ajustement. En effet, en accordant aux producteurs de
170
betteraves le Paiement unique à l’entreprise, ces derniers voient non seulement le
versement d’une partie de la rente historique garantie, mais ont aussi la possibilité de
poursuivre leur métier d’agriculteur en modifiant leurs choix de production.
Ce constat se trouve renforcé en étudiant les programmes mis de l’avant dans le cadre du
deuxième volet. Rappelons que ce dernier prévoit « un processus approfondi de
restructuration du secteur » (Conseil de l'Union européenne 2006c, para. 1). À cette fin, la
prise en compte d’une période de transition a été jugée nécessaire, au cours de laquelle des
programmes incitatifs ont été développés. Trois programmes figurent dans ce volet, soit
l’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre, ainsi que les Aides
à la diversification et celles à la restructuration.
Ces deux derniers programmes s’inscrivent dans le Fonds de restructuration, créé pour une
période de quatre ans afin de financer les mesures de restructuration (Conseil de l'Union
européenne 2006c, para. 2). Ces deux mesures impliquent un transfert monétaire direct et
temporaire, dont le versement est conditionnel à des décisions d’ajustement. Ainsi, les
Aides à la restructuration sont octroyées dans la mesure où la sucrerie libère ses quotas et
démantèle ses installations en tout ou en partie, tandis que les Aides à la diversification
impliquent nécessairement des mesures visant à restructurer l’activité économique du
secteur concerné. Elles constituent ainsi toutes deux des mesures d’assistance.
Notons que le Fonds de restructuration qui finance ces deux programmes a un triple
objectif, soit de fournir des incitations afin d’encourager les intervenants (producteurs et
sucreries) les moins compétitifs à abandonner le secteur, de dégager des crédits afin de faire
face aux retombées sociales et environnementales de la fermeture des usines201 et enfin
d’allouer des aides aux régions les plus affectées (Commission européenne 2005, p.7).
L’aspect « incitatif » de la restructuration apparaît cependant être la principale finalité
poursuivie, aussi bien dans les documents officiels que dans la structure des programmes
adoptés (cf. Europa 2006a;2006b). De fait, le soutien octroyé est régressif dans le temps et
est proportionnel au degré de restructuration choisi, tandis que les modalités d’intervention
sont exclusivement tournées vers l’abandon de la production de sucre, rien n’étant prévu
171
afin d’accroître la compétitivité des entreprises demeurant actives. Les deux autres objectifs
se retrouvent alors soumis au premier, puisque l’accès à ces aides requiert le dépôt d’une
« demande d’octroi » tenant compte des aspects sociaux et environnementaux.
Mentionnons que le programme d’Aide à la restructuration prévoit qu’un montant minimal
de 10 % soit réservé afin « de soutenir les producteurs de betterave sucrière » affectés par la
fermeture d’usine (Conseil de l'Union européenne 2006c, para. 6). Cette aide, qui
n’implique aucune condition d’octroi autre que celle d’être pénalisé par la restructuration,
prend ainsi la forme d’une indemnisation dédiée aux producteurs de betteraves.
Le soutien accordé aux producteurs peut toutefois être beaucoup plus important grâce à
l’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre qui vise à « amortir
l’impact du processus de restructuration » dans les États-membres (Conseil de l'Union
européenne 2006c, para.6). Cette aide n’est cependant accessible que si l’État-membre
retire au moins 50 % des quotas de la production dont il a la responsabilité, affectant ainsi
profondément la structure de son industrie sucrière. Dans un tel cas, le support, couplé à la
production, est octroyé aux producteurs pour les quantités de betteraves produites sous
« contrat de livraison ». Les bénéficiaires de l’aide, soit les producteurs, ne sont donc pas
tenus de s’ajuster afin de percevoir l’aide202. Pour cette raison, cette mesure constitue
également une indemnisation visant à pallier la perte de revenus liée au processus de
restructuration.
Dans les faits, cette indemnisation est supposée correspondre à un soutien équivalent à
30 % de la réduction estimée des revenus des producteurs203, support qui s’ajoute au
soutien direct assuré par le Paiement unique à l’entreprise (Conseil de l'Union européenne
2005a, p.7). Mentionnons par ailleurs que dans la mesure où un État-membre n’octroie pas
d’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre, les producteurs
201
Par exemple, le financement de plans sociaux ou de programmes de redéploiement et de mesures de
reconversion en vue de la réhabilitation environnementale du site.
202
Un ajustement indirect doit cependant avoir lieu, puisque la restructuration des sucreries affecte
nécessairement les débouchés à la disposition des producteurs de betteraves.
203
Il est intéressant de constater que si ce programme est mis en œuvre dans le cadre du volet
« restructuration » de la réforme, le niveau de paiement proposé vise quant à lui à combler des pertes dues à la
diminution des prix de soutien. Les coûts d’ajustement ne sont donc pas directement ciblés.
172
affectés par la réforme ne peuvent bénéficier que des ressources prévues au titre de l’Aide à
la restructuration décrite précédemment.
Il importe de mentionner que le financement de cet ensemble de mesures de transition ne
doit pas coûter « un centime supplémentaire au contribuable européen » (cf. Europa 2006a).
De fait, les revenus nécessaires au Paiement unique à l’entreprise et au système de
Stockage privé doivent provenir des fonds précédemment utilisés pour subventionner les
exportations de sucre sur les marchés internationaux (Conseil de l'Union européenne
2005a). Le fardeau financier du régime d’intervention demeure donc sur le contribuable. Le
Fonds de restructuration, duquel sont tirées les ressources financières réservées à la
restructuration, doit quant à lui s’autofinancer par le biais d’un prélevé appliqué à la
production de sucre produit sous quotas, à la suite de la réforme.
4.6.2.2 Constats et inférences
Différents constats peuvent être tirés de cette expérience de réforme qui, rappelons-le,
résulte essentiellement de problèmes de compétitivité dû « aux évolutions intervenues au
sein de la Communauté et à l’échelle internationale » (Conseil de l'Union européenne
2006c, para. 1). De fait, la restructuration du secteur apparaît comme la première finalité
poursuivie au travers des volets de la réforme et des programmes de transition adoptés. À
cet égard, il faut constater que si les attentes en matière de restructuration de l’industrie
sucrière sont explicitement portées par les transformateurs, elles concernent aussi les
producteurs, compte tenu du resserrement des débouchés. L’analyse des interventions
adoptées met par ailleurs en évidence que le traitement réservé à chacun de ces groupes
diffère significativement.
Les transformateurs ont ainsi été confrontés à la réduction des prix de soutien sans être
soutenus autrement que par le biais de mesures d’assistance, dont le versement implique
nécessairement et exclusivement un abandon de la production. Il faut cependant reconnaître
que ces mesures constituent formellement des incitatifs à la restructuration, la réforme
ayant un caractère volontaire. Le montant d’aide prévu pour la « libération de quotas »
reflète donc certainement une part de « dédommagement » pour les revenus abandonnés. Il
173
a par ailleurs été impossible d’évaluer de façon ex ante le degré de pertes que peut couvrir
ce dédommagement204. La seule observation pouvant être avancée est que le montant de
730 euros prévu en 2006/07 pour la libération d’une tonne de quota représente 1,16 fois le
prix d’intervention de 631,9 €/tonne garanti au moment de la réforme205.
Les producteurs se retrouvent pour leur part dans une situation très différente, puisque leurs
revenus « historiques » ont été en grande partie garantis par une réinstrumentation. Au
cours de la période de transition, ils bénéficient même d’une indemnisation minimale par le
biais de l’Aide à la restructuration. Dans l’éventualité d’une restructuration encore plus
forte de l’industrie, ce soutien des revenus peut encore être bonifié par l’Aide
communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre. Autrement dit, un support
est non seulement accordé pour pallier la diminution des prix de soutien, mais les coûts
d’ajustement induits par la restructuration sont également pris en charge par le biais de
mesures d’indemnisation.
Notons que cette protection des revenus ne soustrait pas pour autant les producteurs de
betteraves du processus d’ajustement. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’aucune
mesure communautaire ne prévoit explicitement des aides à cette fin, telles que des
programmes de reconversion ou de formation, qui leur auraient permis de diversifier leurs
productions. Les indemnisations accordées pour contrer les effets de la restructuration des
sucreries, combinées à la réinstrumentation impliquant le versement de paiements directs
déliés de la production, sont peut-être apparues comme des instruments suffisamment
flexibles à cet égard.
Au niveau des producteurs, on peut donc conclure que l’intervention post-réforme s’est
assurée de minimiser les pertes de revenus anticipées sans pour autant nuire au processus
de restructuration de l’industrie. La Commission européenne a également profité du
contexte pour assujettir ce secteur au même régime d’intervention que celui utilisé pour les
principales productions agricoles européennes, soit le Paiement unique à l’entreprise.
204
De façon ex post, on peut cependant constater que ces incitatifs ont été insuffisants pour convaincre les
transformateurs de libérer leurs quotas, puisqu’après deux ans de mise en œuvre, seuls 2,2 millions de tonnes
avaient été abandonnées, alors qu’il en fallait 6 millions selon les attentes formulées (Europa 2006b).
205
Ce ratio reste essentiellement le même au cours des années suivantes.
174
Notons que l’existence d’un tel programme de soutien découplé des revenus a certainement
facilité la poursuite d’une telle démarche.
4.6.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme
En se référant aux programmes caractérisés au Tableau 9, on constate que deux principaux
groupes ont fait l’objet d’une intervention à la suite de la réforme du secteur sucrier
européen, soit les sucreries et les producteurs de betteraves. Il faut toutefois reconnaître que
la portée de l’intervention post-réforme est beaucoup plus étendue, car de nombreux autres
acteurs, bien que plus marginaux, ont été ciblés, parmi lesquels des secteurs connexes de la
transformation, des raffineries régionales, ainsi que les pays tiers. Sans entrer dans les
détails des mesures prévues à leur égard, le recours à une telle gamme d’interventions
démontre, de la part de la Commission européenne, une reconnaissance de la diversité des
acteurs affectés par le processus de réforme.
Il faut cependant constater qu’en matière de « compensation », ces acteurs sont très
différemment traités. Ainsi, les producteurs de betteraves apparaissent comme le groupe le
mieux couvert par les mesures adoptées, entre autres grâce au Paiement unique à
l’entreprise qui limite les pertes de revenus des producteurs jusqu’à concurrence de 64,2 %.
Ce soutien ne constitue toutefois pas une « compensation » au sens de l’économie du bienêtre, puisqu’il sert à maintenir un niveau de revenu. Un manque à gagner de 35,8 % doit
alors est amorti par les autres mesures de transition adoptées.
À cet égard, bien que des « compensations » aient été proposées, elles ne visent que les
producteurs concernés par le processus de restructuration des sucreries, alors que tous les
producteurs ont été affectés par la baisse des prix de soutien. Rappelons en effet que selon
le degré restructuration choisi, des paiements au titre de l’Aide à la restructuration et de
l’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre peuvent être
accordés. Dans la mesure où ces aides sont effectivement perçues, la « compensation »
apparaît être quasiment complète. Il faut toutefois se questionner sur le nombre de
producteurs qui bénéficieront d’une telle combinaison d’aides. Il faut par ailleurs
reconnaître que s’ajoutent au soutien direct les revenus tirés des marchés. Selon les prix
175
perçus et les paiements octroyés, tel que le Paiement unique à l’entreprise, les revenus des
producteurs peuvent ainsi être supérieurs à ceux obtenus sous l’ancien régime
d’intervention.
Les sucreries sont quant à elles soutenues par le biais du Fonds à la restructuration dont les
objectifs sont, rappelons-le, d’inciter à la restructuration, de pallier les coûts sociaux et
environnementaux liés à la fermeture d’usine et d’aider les régions défavorisées. Dans la
mesure où les deux derniers objectifs s’inscrivent dans le premier, on peut conclure que la
volonté de minimiser les coûts sociaux de la réforme apparaît être une préoccupation réelle.
Toutefois, il n’a pas été possible d’évaluer de façon ex ante la nature spécifique et le degré
de pertes que peuvent couvrir les 4,1 milliards d’euros prévus pour la période 2006/072009/10. Notons que les prix d’intervention pré-réformes s’élevaient à 631,9 €/tonne et que
le soutien direct proposé est de 730 €/tonne de quota libéré en 2006/07. Par ailleurs, en
l’absence d’information quant aux marges dégagées par les sucreries, il n’est pas possible
de conclure sur le degré de dédommagement effectivement offert.
Le financement de ces mesures présente, d’autre part, certains éléments d’analyse
intéressants. Ainsi, l’essentiel de la « compensation » aux producteurs, soit l’Aide
communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre, est financé par le
FEOGA-Garantie qui est l’organisme de financement agricole européen. Dans la mesure où
ces fonds proviennent, tel que prévu, des économies réalisées au niveau des subventions
aux exportations, il faut conclure que le contribuable européen n’est pas (davantage)
pénalisé, tandis que le consommateur, en voyant le prix domestique décroître, ne s’en
trouve que mieux. Toutefois, la logique sous-tendant le « test de compensation », sans être
rejetée, n’est pas pour autant respectée dans ce cas.
Il en va autrement du financement du Fonds de restructuration. En effet, ce dernier est
financé par le biais d’un prélevé temporaire perçu auprès des sucreries demeurant en
production et « qui profiteront à terme du processus de restructuration » (Conseil de l'Union
européenne 2006c, para.4). Les gagnants anticipés de la réforme sont donc ceux qui sont
responsables de « compenser » les entreprises devant quitter le secteur.
176
Malgré ces quelques inférences, il est légitime de douter de la véritable ascendance de
l’économie du bien-être dans le cadre de l’intervention post-réforme étudiée. En effet, des
facteurs tels que les pressions commerciales, les attentes formulées en matière de
restructuration et les impératifs financiers semblent avoir conditionné les modalités
d’intervention privilégiées davantage qu’une logique théorique de compensation prévoyant
un transfert des gains des gagnants vers les perdants. Le fait que la réforme résulte de
pressions externes davantage que d’une volonté domestique de changement, que cette
politique d’intervention soit si complexe et que le processus décisionnel européen compte
un si grand nombre d’intervenants, peut en partie expliquer l’approche « pragmatique »
privilégiée.
177
Tableau 9 : Caractéristiques et modalités des principales mesures adoptées en Europe, le secteur du sucre et de la betterave sucrière
Aspects descriptifs
Modalités d’intervention
Nom du
1
Programme
Intervenants
concernés
Composantes
économiques
visées
Critères d’éligibilité
Paiement unique à l’entreprise
Entreprises agricoles
Soutien des revenus
Avoir produit des
betteraves sous « contrats
de livraison » entre
2001/02 et 2005/06.
Aucune condition, autres que celles à
caractères agronomique et environnemental
prévues.
Aucune date de
cessation.
Entreprises de
transformation 3
Soutien des prix
Etre une entreprise
agréée.
Aucune, sinon de respecter un cahier de
charges techniques.
Aucune date de
cessation.
Soutien des revenus
Produire des betteraves
sous quotas.
- Que l’État-membre ait octroyé de l’aide à la
restructuration et respecté les conditions
énoncées (Voir Fonds de restructuration) 4 ;
- Minimum d’abandon de quotas à l’échelle
nationale de 50 %.
Maximum de 5 ans.
Soutien des revenus
Avoir été impliqué dans
la production lors de la
campagne précédant
l’abandon des quotas.
Aucune condition.
Avoir produit du sucre
sous quotas avant le 1ier
juillet 2006.
- Renoncer à son quota et démanteler
totalement ses installations ou ;
- Renoncer à son quota, démanteler
partiellement ses installations et ne plus
produire de sucre 5 ;
- Compléter une demande d’octroi 6.
Selon les modalités
définies par les
programmes nationaux
adoptés.
Selon les modalités définies par les
programmes nationaux adoptés (trois axes
possibles : Restructuration, Développement
rural et Diversification 8).
Stockage privé 2
Aide communautaire en faveur
des producteurs de betteraves à
sucre
Producteurs de
betteraves
Producteurs de
betteraves et les
intermédiaires
Aide à la
restructuration
Entreprises de
transformation
Fonds de
restructuration
Incitatifs à la
restructuration
Aide à la
diversification
Entreprises de
transformation
situées dans des
régions sujettes à la
restructuration 7
Conditions de versement
Période et rythme
de versement
Maximum de 4 ans.
178
Structure du programme
Nom du
programme
Paiement unique à l’entreprise
Stockage privé
Aide communautaire en faveur
des producteurs de betteraves à
sucre
Montant total
de la mesure 9
Calcul du soutien
Base de référence
Plafond et nature du
paiement
1,5 milliard
d’euros
- Selon des données historiques
sur le soutien perçu et les
superficies en production ;
- Modalités établies par Étatmembre, de façon objective et
non discriminatoire.
Couvre 64,2 % de la
perte estimée de
revenus 10 due à la
réduction du soutien
des prix.
- Soutien monétaire
direct ;
- Paiement découplé de
la production.
Nd.
- Verser si le prix de marché est
inférieur au prix de
référence ;
- Remboursement des frais de
stockage.
Nd.
Maximum de
1,44 €/tonne/mois
646 millions
d’euros
Aide exprimée en Kg de sucre
et établie annuellement pour
chaque État-membre.
Correspond à 30 %
de la perte estimée
de revenus 10 due à
la réduction du
soutien des prix.
- Selon la limite de
l’enveloppe nationale ;
- Soutien direct et
couplé.
103 millions
d’euros 11
- Selon les modalités de chaque
États membres ;
- Versée selon des critères
objectifs et non
discriminatoires.
Correspond à au
moins 10 % des
budgets prévus au
titre du Fonds de
restructuration.
- Soutien, par tonne de quota
libéré, relatif au degré de
démantèlement ;
- Régressif dans le temps.
Nd.
Aide à la
restructuration
Fonds de
restructuration
926 millions
d’euros 11
Aide à la
diversification
- Soutien par tonne de quota
libéré ;
- Régressif dans le temps ;
- Soutien monétaire
direct ;
- Selon la disponibilité
des fonds prévus.
Type de mesure
de transition
Financement
Réinstrumentation
(rachat du soutien)
FEOGA-Garantie
(contribuable)
Réinstrumentation
Indemnisation
Financé par un
prélevé auprès des
sucreries
poursuivant la
production sous
quotas (le Montant
temporaire au titre
de la
restructuration).
Indemnisation
Assistance
(ajustement)
179
1
Les mesures spécifiques à certains États-membres, aux partenaires commerciaux de l’Union européenne et celles liées à des productions autres que celle du
sucre ne sont pas considérées. Les modalités exposées des programmes sont celles retrouvées dans les textes de loi, sous des conditions normales de mises en
œuvre.
2
S’ajoute, pendant la période 2006/07 – 2009/10 une intervention publique pour l’achat de sucre blanc pour une quantité maximale de 600 000 tonnes à un prix
correspondant à 80 % du prix de référence. Cette quantité ne représente cependant que 3,4 % des quantités produites sous les quotas A et B en 2005 (cf. D.G.R.D.
2006, tableau 4.3.6.1).
3
Les entreprises de transformation sont celles produisant du sucre, de l’isoglucose ou de l’inuline. Seules celles produisant du sucre sont ici étudiées.
4
Voir le règlement 320/2006 (article 3) et le règlement 319/2006 (Chapitre X octodecies).
5
Une troisième option existe, mais est spécifique à certains États et n’est donc pas décrite. Le démantèlement total implique l’arrêt des opérations, la fermeture de
l’usine et la réhabilitation environnementale du site. Le démantèlement partiel s’applique à l’arrêt et au démantèlement des installations liées à la production du
sucre. Voir les modalités décrites dans le règlement 320/2006 (cf. Conseil de l'Union européenne 2006c).
6
La demande inclut entre autres un plan de restructuration, l’engagement de renoncer aux quotas et de démanteler l’usine. Le plan de restructuration doit
expliquer les buts visés et la façon dont l’aide sera partagée avec les producteurs et les intermédiaires. Des plans financiers et des mesures sociales anticipées
doivent aussi être exposés (cf. Conseil de l'Union européenne 2006c).
7
Royaume-Uni, Portugal, Finlande, France et Slovénie (Conseil de l'Union européenne 2006c).
8
Plus précisément : amélioration de la compétitivité de l'agriculture et de la sylviculture par un soutien à la restructuration, au développement et à l'innovation;
amélioration de l'environnement et de l'espace rural par un soutien à la gestion des terres; amélioration de la qualité de la vie en milieu rural et la promotion de la
diversification des activités économiques (cf. Conseil de l'Union européenne 2005b, art.4).
9
Fonds prévus pour les 25 États-membres, rapportés annuellement (total de la période, divisé par le nombre d’années de mise en œuvre), bien que les budgets
effectifs varient selon les années. Les données sont tirées de l’annexe 2 du document de la Commission européenne sur la proposition de réforme de l’OCM-Sucre
(2005) et du règlement 319/2006 (Conseil de l'Union européenne 2006b).
10
La perte de revenus a été estimée en tenant compte de la modification du prix minimal pondéré de la betterave dans chaque État membre, multiplié par la
quantité sous quotas (Commission européenne 2005, p.8; Conseil de l'Union européenne 2005a).
11
Le budget total du Fonds de restructuration doit s’élever à environ 1,03 milliard d’euros annuellement. Le partage proposé reflète une estimation de la
distribution prévue des paiements entre les entreprises de transformation et les producteurs de betteraves.
Sources principales : Conseil de l’Union européenne (2005a; 2005b; 2006a; 2006b; 2006c; 2006d) et Europa (2006a; 2006b).
5. Analyse transversale et conclusion
Les six analyses de cas présentées au chapitre 4 ont permis d’étudier en détails des
expériences de réforme ayant été menées dans cinq pays et ayant affecté le régime
d’intervention utilisé dans autant de secteurs agricoles différents. À l’aide de la démarche
analytique privilégiée, il a été possible, pour chacun des cas retenus, d’exposer les
ressemblances et dissemblances existant entre le fonctionnement de la politique réformée et
l’intervention dans le secteur laitier canadien, de situer techniquement et politiquement le
processus de réforme, mais surtout de catégoriser systématiquement les mécanismes
d’intervention post-réforme ayant été privilégiés à ces occasions. De cet exercice ont émané
un certains nombres de constats et le Tableau 10 présente les principaux résultats obtenus
pour chacun des cas à l’étude.
La section 5.1 propose ainsi une analyse transversale de ces résultats de façon à faire
émerger les principaux constats émanant des modes d’intervention post-réforme privilégiés
par ces pays. La section 5.2 conclut quant à elle ce mémoire, en reprenant ces constats et en
proposant, dans les limites de notre analyse, une discussion sur les résultats obtenus, en lien
avec le contexte d’une éventuelle réforme du secteur laitier canadien.
181
Tableau 10 : Synthèse des résultats tirés des analyses des cas de réformes retenus
Expériences de réforme
Réforme
Nid-de-corbeau
Élément(s) réformé(s)
Rythme / Degré 1
Tabac canadien
Lait australien
Politique de bonification
des prix
Contingentement
- Contingentement
- Soutien des prix
- Régime tarifaire 5
- Directe
- Complète
- Directe
- Complète
- Directe
- Partielle
Indemnisation
Nombre de programmes
Composantes visées
% du budget 2
Trois
Aucun
Un
- Dévaluation d’actif [x1] 4
- Soutien des revenus [x2]
--
89 %
--
96 %
Deux
Deux
Un
Soutien des revenus
Ajustement
Nombre de programmes
Mesures de transition
Composantes visées
- Infrastructures locales
- Promotion des ventes
Diversification des
activités économiques
régionales [x2]
Institutions et infrastructures
rurales
Économique
(Compétitivité)
Économique
(Compétitivité)
Économique
(Compétitivité)
% du budget
11 %
7%
2%
Nombre de programmes
Aucun
Deux
Un
Composantes visées
--
Dévaluation d’actif [x2]
Orientation globale
--
Ajustement
Ajustement
% du budget
--
93 %
2%
Aucun
Un
Aucun
Composantes visées
--
Organisation des marchés
--
Origine des programmes
--
Nouveau programme
--
Recours à un
« rachat du soutien » ? 3
--
Non
--
% du budget
--
Ne s’applique pas
--
Catégorie de mesure
Assistance
Soutien des revenus
Réinstrumentation
Nombre de programmes
182
Tableau 10 : Synthèse des résultats tirés des analyses des cas de réformes retenus (suite)
Expériences de réforme
Réforme
Lait helvétique
- Contingentement
Élément(s) réformé(s) - Soutien des prix
- Régime tarifaire 5
Rythme / Degré 1
- Directe
- Partielle
Arachides américaines
Sucre européen
- Contingentement
- Soutien des prix
- Régime tarifaire 5
- Contingentement
- Soutien des prix
- Régime tarifaire 5
- Graduelle
- Partielle
- Graduelle
- Partielle
Indemnisation
Nombre de programmes
Aucun
Un
Dévaluation
d’actif
Deux 7
Composantes visées
--
Soutien des revenus
% du budget 2
--
50 % 6
21 % 8
Un
Aucun
Aucun
--
--
Légale
--
--
Ne s’applique pas
--
--
Aucun
Aucun
Deux
Composantes visées
--
--
Incitatifs à la
restructuration [x2]
Orientation globale
--
--
Ajustement
% du budget
--
--
22 %
Un
Trois
Deux
Ajustement
Nombre de programmes
Composantes visées
Mesures de transition
Catégorie de mesure
% du budget
Organisation du marché
Assistance
Nombre de programmes
Réinstrumentation
Nombre de programmes
Composantes visées
Origine des programmes
Recours à un
« rachat du soutien » ? 3
% du budget
Soutien des
revenus
Programmes existants
- Soutien des revenus
[x2] ;
- Soutien des prix [x1].
Programmes existants
- Soutien des revenus ;
- Soutien des prix.
Programmes nouveaux 9 et
existants
Oui
Oui [x2]
Oui [x1]
100 %
50 %
57 %
183
1
Une réforme complète se caractérise par l’abolition de la totalité des mesures utilisées, sans qu’elles ne
soient remplacées par des interventions alternatives. Si aucune période de transition n’est prévue, la réforme
est par ailleurs dite directe. La classification proposée dans le tableau s’applique à la réforme dans son
ensemble. Chaque mécanisme peut cependant faire l’objet d’une réforme d’un degré et d’un rythme
différents.
2
Estimation globale de la part du budget allouée à chaque catégorie de mesures de transition. L’estimation
tient compte de la répartition des budgets prévus pour l’ensemble de la période où la législation et les
programmes de soutien ont été en vigueur. Pour les cas de réforme où des mesures de réinstrumentation ont
été utilisées, voir les notes respectives.
3
Un « rachat de soutien » se définit comme un processus visant à réduire l’intervention de l’État sur les
marchés en échange d’une compensation financière directe, continuelle et découplée des choix de production
(cf. section 2.4.4).
4
Concerne le Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest (PPTGO). Officiellement, cette
aide a été versée pour dédommager la dévaluation d’un actif (la terre). Toutefois, d’un point de vue
économique, elle indemnise la perte des revenus découlant de l’abolition de la subvention du « Nid-decorbeau », dont la valeur s’était capitalisée dans les terres (cf. section 4.1.1). Ces deux perspectives sont prises
en compte dans ce chapitre.
5
Inscrit en italique, car la réforme n’a pas porté directement sur le régime tarifaire, bien que des ajustements
importants aient été apportés de façon concomitante.
6
Part occupée par chaque mesure dans le budget prévu pour la période allant de 2002 à 2006 (cf. Tableau 8).
7
Un seul programme est spécifiquement une mesure d’indemnisation. Le second correspond à la partie des
fonds des Aides à la restructuration octroyée aux producteurs de betteraves et aux intermédiaires et qui
représente une indemnisation (cf. Tableau 9).
8
Part occupée par chaque mesure dans le budget prévu pour la période allant de 2007 à 2013 (cf. Tableau 9).
9
Le nouveau programme est le système de Stockage privé dédié aux sucreries européennes. Les producteurs
de betteraves sont pour leur part assujettis aux programmes existants de soutien des revenus.
Sources : Informations tirées des tableaux 4 à 9.
5.1. L’analyse transversale des cas à l’étude
L’objectif poursuivi lors des analyses effectuées au chapitre 4 a été d’évaluer la façon dont
les principes économiques d’intervention exposés au chapitre 2 pouvaient être transposés à
une expérience réelle de réforme en agriculture. Afin de compléter cette évaluation et de
pouvoir en tirer des enseignements en lien avec un éventuel contexte de réforme dans le
secteur laitier canadien, cette section offre une analyse transversale des résultats obtenus de
façon à faire émerger les principaux constats émanant des modes d’intervention postréforme privilégiés dans les pays à l’étude.
Il est proposé d’orienter l’analyse autour des mesures de transition adoptées spécifiquement
en réponse aux ajustements apportés aux mécanismes d’intervention caractérisant la gestion
de l’offre canadienne, soit le contingentement de l’offre, l’administration de prix de soutien
et le contrôle des importations. Compte tenu qu’un certain nombre d’observations tirées des
analyses précédentes ne sont pas directement en lien avec cette catégorisation, elles sont
184
abordées indépendamment par la suite. Enfin, la question de l’ascendance de la théorie de
l’économie du bien-être sur le processus de réforme est traitée, à la lumière des six
expériences étudiées.
5.1.1 Mesures de transition et réforme d’un système de contingentement
Initialement, tous les cas à l’étude, à l’exception de celui portant sur la réforme de la
politique du transport du grain dans l’Ouest canadien, évoluaient sous divers systèmes de
contrôle de l’offre. Parmi ces cas, quatre ont fait l’objet d’une réforme ayant impliqué – à
des rythmes variables – le démantèlement complet de leur système. Ainsi, alors que les
contingentements des arachides aux États-Unis, du lait en Australie et du tabac en Ontario
ont été abolis sur-le-champ, celui retrouvé dans le secteur laitier en Suisse a bénéficié d’une
certaine période de transition. S’ajoute à cette liste l’expérience européenne du sucre, où a
été mis en œuvre un programme volontaire d’abandon partiel des quotas en circulation.
Malgré cette diversité de contextes, l’analyse des expériences de réforme a soulevé, dans la
majorité des cas, des préoccupations relatives aux pertes économiques qu’allaient devoir
subir les détenteurs de quotas à la suite des ajustements apportés. Il est donc intéressant de
constater que parmi les cas à l’étude, seuls deux impliquent directement le recours à des
mesures de transition visant à pallier la dévaluation de cet actif (cf. Tableau 10). Ce fut le
cas lors de la réforme du secteur américain des arachides et de celle du secteur de la
tabaculture au Canada.
Rappelons que ces deux réformes ont mené à un démantèlement complet et direct de leur
système de contingentement. Afin de soutenir les détenteurs de quotas pénalisés, les ÉtatsUnis ont alors eu recours à une mesure d’indemnisation, tandis que le gouvernement
canadien a, quant à lui, privilégié une mesure d’assistance, conditionnelle à l’abandon de la
tabaculture. Un soutien monétaire direct a ainsi été octroyé dans les deux cas, en
contrepartie de l’abolition des quotas détenus. À cet égard, ces deux mesures sont
comparables, puisque la question de la « conditionnalité » relève surtout de la finalité
poursuivie par la réforme. En effet, alors que le gouvernement canadien cherchait à mettre
185
fin à la tabaculture au pays, les États-Unis comptaient au contraire sur le développement du
secteur des arachides.
Le point déterminant émanant de ces exemples est qu’à ces deux occasions, l’indemnisation
a été offerte à des détenteurs de quotas qui n’étaient pas nécessairement des producteurs
impliqués – avant ou après la réforme – dans le secteur agricole concerné. En effet, aux
États-Unis, seuls 33 % des bénéficiaires étaient producteurs d’arachides, tandis qu’en
Ontario, les autorités ont fait comprendre que la réforme allait mettre un terme à la
tabaculture au pays. Il est aussi intéressant de souligner qu’au moment de cette réforme,
seuls 40 % des détenteurs de quotas étaient également des producteurs de tabac
(OFCTGMB 2008, p.11).
Ce constat est significatif, car il contraste avec les cas de réformes où les producteurs
détenaient eux-mêmes les quotas et pouvaient poursuivre leurs activités à la suite du
démantèlement, comme en Australie et en Suisse. Lors de ces réformes, les revenus – et
non la dévaluation d’actif – ont été soutenus (voir la section suivante).
Il faut par ailleurs reconnaître que si des mesures de transition ont été octroyées, à deux
occasions, afin de pallier la dévaluation des quotas, les autorités impliquées n’ont pourtant
jamais indiqué quelle était la base de référence (coûts d’acquisition, valeur marchande, etc.)
sur laquelle reposait le niveau d’aide versé. Conséquemment, il est difficile d’évaluer le
degré de couverture offert par l’intervention. Ainsi, aux États-Unis, face à l’absence
d’indications officielles, les observateurs supposent arbitrairement que les paiements
octroyés correspondent à une indemnisation, soit de la perte de revenus de location des
quotas, soit de la dévaluation de la terre à laquelle ils étaient liés. En Ontario, un système
d’enchères a servi à établir le prix de rachat des quotas en 2005. Ce mécanisme aurait donc
pu permettre de refléter de façon explicite la valeur économique estimée des quotas.
Toutefois, le paiement fixé a été conditionné par des budgets prédéterminés au niveau
politique, biaisant du coup l’expression de la valeur estimée de cet actif. En fait, force est
d’admettre que les niveaux de paiement et l’importance des fonds prévus à ces deux
occasions ont reposé essentiellement sur des considérations d’ordre politique.
186
Il faut noter à cet égard que les producteurs agricoles des deux secteurs concernés ont, à la
fois, initié le processus de réforme et proposé des modes d’intervention qui ont servi à
développer les mécanismes adoptés par la suite. Les analyses semblent par ailleurs indiquer
que les indemnités n’ont que partiellement couvert les pertes estimées de la dévaluation des
quotas. Autrement dit, non seulement les considérations politiques semblent avoir primé
dans la façon dont les gouvernements sont intervenus, les producteurs apparaissent en plus
avoir joué un rôle notable à ces occasions. Toutefois, l’impact réel de cette implication –
entre autres sur le degré d’indemnisation offert – ne peut être évalué dans le cadre de cette
analyse.
Soulignons que les cas américain et ontarien n’ont pas été les seuls à impliquer le recours à
une mesure de transition afin d’accompagner la réforme d’un système de contingentement.
Ce fut également le cas en Europe, dans le secteur sucrier, où des mesures d’assistance ont
été proposées aux sucreries en échange de l’abandon de leurs quotas de production. Cette
expérience se distingue toutefois des deux autres par la nature volontaire du projet. Les
paiements offerts ne constituaient pas alors un dédommagement pour des pertes subies,
mais plutôt un incitatif à la restructuration à l’échelle des transformateurs (i.e. les
sucreries). Autre particularité, les producteurs agricoles – situés en amont – ont bénéficié
du même coup d’indemnisations afin de faciliter l’ajustement induit par la restructuration.
Malgré ces spécificités, certains aspects de ce projet offrent des indications intéressantes
sur le contexte d’utilisation de mesures de transition lors d’une réforme d’un système de
contingentement (voir ci-après).
D’autre part, l’absence, dans les secteurs laitiers australien et helvétique, de mesure de
transition de nature financière dédiée spécifiquement au démantèlement des systèmes de
contingentement, constitue un autre point à considérer. Les analyses précédentes permettent
en fait de soulever, en plus des spécificités propres à chaque cas, deux enjeux déterminants
relatifs à cette décision de non-intervention. Un premier concerne la nature légale des
quotas et un second, le degré et le rythme du démantèlement. Notons que les
caractéristiques de l’expérience européenne contribuent à supporter certains des constats ici
proposés.
187
Ainsi, en Suisse aussi bien qu’en Europe, les autorités ont clairement indiqué que les quotas
étaient davantage des
« droits de produire » que des
« actifs » d’entreprises.
Conséquemment, lors du démantèlement du contingentement en Suisse, l’obligation de
dédommager spécifiquement les pertes découlant de l’abandon de ces « droits » n’est pas
apparue justifiée. En Europe, le maintien du système a différé la prise en compte de cette
question, mais la nouvelle réglementation a rappelé le caractère réglementaire des quotas.
De fait, il faut reconnaître que de par leur nature juridique, peu ou pas d’investissement
était attaché à ces quotas et les pertes encourues par leur abolition (Suisse) ou leur retrait
(Europe) étaient donc modérées (Suisse) ou encore inexistantes206 (Europe).
À cet égard, l’exemple australien aurait pu fournir des indications intéressantes sur la portée
de l’obligation légale d’intervenir, car certains États, à l’instar du Canada, avaient recours à
des quotas commercialisables, dont la valeur était portée aux bilans des entreprises.
Rappelons toutefois que la question légale n’a pas été abordée dans le cadre de cette
réforme. Quoi qu’il en soit, il semble que la nature juridique des quotas puisse jouer un
certain rôle dans la décision gouvernementale d’intervenir – ou non – lors du
démantèlement d’un système de contingentement.
Le degré et le rythme de démantèlement apparaissent être un deuxième enjeu à considérer.
Ainsi, l’Union européenne n’a appliqué que des ajustements modérés au régime de
contingentement de son secteur sucrier. En fait, tout en garantissant son maintien jusqu’en
2015, les autorités ont simplifié l’administration du système et allégé les contraintes
quantitatives en favorisant la restructuration et en augmentant les volumes de certains types
de contingents. D’autre part, bien que le gouvernement helvétique ait démantelé
complètement et directement son système de contingentement dans le secteur laitier, une
réglementation contraignant les intervenants du secteur laitier à contrôler les volumes
commercialisés a été adoptée de façon concomitante. À ces deux occasions, le marché est
donc demeuré encadré, limitant le besoin d’intervenir financièrement207.
206
La mise en vente de quotas « Sucre-C » à partir de 2006 pourra cependant complexifier cette question lors
d’un éventuel démantèlement du système de contingentement.
207
Dans le secteur du tabac ontarien, une mesure de réinstrumentation visant à coordonner le marché à la suite
du démantèlement du contingentement doit être adoptée. Toutefois, puisque la réforme vise essentiellement à
abolir la tabaculture au pays, cette intervention ne peut jouer qu’un rôle mineur pour les producteurs affectés.
188
L’exemple australien se distingue à cet égard, car le démantèlement du système de
contingentement a été complet, direct et a fait place à un marché libéralisé. Il faut toutefois
rappeler que le contrôle de l’offre ne s’appliquait qu’à un volume limité de lait et qu’une
grande variété de systèmes de contingentement, régis au niveau des États, étaient opérés
simultanément. Pour les raisons évoquées à la section 4.3, une mesure d’indemnisation
soutenant les revenus des producteurs a donc été privilégiée.
5.1.2 Mesures de transition et réforme d’un régime de soutien des prix
Les régimes de prix administrés (soutien des prix) ont souvent été privilégiés au sein des
politiques agricoles inscrites dans le paradigme du développement assisté. Parmi les cas à
l’étude, quatre secteurs agricoles évoluaient d’ailleurs, avant leur réforme, sous de tels
régimes. C’était le cas en Australie et en Suisse dans le secteur laitier, en Europe dans le
secteur sucrier et enfin aux États-Unis dans le cas des arachides (cf. Tableau 10). Bien que
les producteurs céréaliers de l’Ouest canadien ne bénéficiaient pas de prix de soutien, la
politique de transport du grain a néanmoins eu un effet économique sur les prix, dû au
rehaussement des prix des grains auquel elle donnait lieu. Il est donc pertinent de prendre
en compte cette expérience de ce point de vue.
Les analyses précédentes ont ainsi permis de constater qu’à l’occasion de chacune des
réformes impliquant un régime de soutien des prix, des mesures de transition visant à
pallier les pertes de revenus ont été adoptées208. Considérant la diversité des mécanismes en
place et les spécificités des contextes dans lesquels ils ont été réformés, ce constat est
significatif. En fait, des analyses précédentes, deux constats émergent.
Tout d’abord, deux tendances se dessinent en ce qui a trait aux types de mesure de
transition privilégiés à l’occasion de ces réformes. Ainsi, dans les secteurs qui étaient en
marge de l’axe central d’intervention prévu par les politiques agricoles en vigueur, soit
ceux du lait en Suisse, du sucre en Europe et des arachides aux États-Unis, les réformes ont
208
Cette observation inclut la mesure d’indemnisation octroyée aux producteurs céréaliers de l’Ouest
canadien, bien qu’elle fût versée en lien avec la dévaluation d’un actif (cf. Tableau 10) L’analyse effectuée à
la section 4.1 a cependant mis en évidence le fait que ce paiement visait à soutenir les revenus des producteurs
affectés par la réforme.
189
entraîné leur assujettissement aux programmes de soutien généraux. Une réinstrumentation
a alors été systématiquement observée. Par ailleurs, lorsque la réforme du régime de soutien
des prix s’est inscrite, comme en Australie et dans l’Ouest canadien, dans un processus
généralisé de déréglementation du secteur, des mesures d’indemnisation ont alors été
privilégiées. Dans tous les cas, les mesures de transition adoptées ont impliqué une
réorientation globale de l’intervention vers des politiques de soutien des revenus
découplées des choix de production.
Il est également intéressant de noter que dans les trois cas où une réinstrumentation a été
privilégiée au niveau des producteurs agricoles, aucun nouveau programme n’a été
développé spécifiquement pour le secteur réformé. Seuls les programmes existants ont été
utilisés. Les trois groupes de producteurs visés ont alors bénéficié systématiquement d’un
« rachat du soutien », à savoir qu’ils ont reçu une compensation financière directe,
continuelle et découplée des choix de production. Il faut cependant remarquer aussi bien en
Europe, en Suisse, qu’aux États-Unis, que les gouvernements avaient à leur disposition,
avant la réforme du secteur, des programmes de soutien des revenus leur permettant
d’accorder de tels paiements directs découplés.
Le niveau de soutien prévu par les différentes mesures de transition proposées en
contrepartie des réformes des régimes de soutien des prix constitue le deuxième aspect à
considérer. Notons déjà que ces programmes accaparent à eux seuls, dans l’ensemble des
cas, la plus grande partie des budgets alloués à l’intervention post-réforme209 (cf. Tableau
10). Ce constat s’applique d’ailleurs aussi bien aux cas où des mesures de réinstrumentation
ont été privilégiées, qu’à ceux où des indemnisations ont été octroyées.
Il est par ailleurs plus compliqué d’évaluer et de comparer, à l’échelle des bénéficiaires, les
niveaux de soutien planifiés à ces occasions. Les analyses précédentes permettent
cependant de constater que les expériences ayant impliqué des mesures de
réinstrumentation ont prévu – et affiché explicitement – un support individuel relativement
plus important que celles où des mesures d’indemnisation ont été utilisées. Ainsi, en
209
Pour chaque mesure de transition, l’estimation tient compte de la répartition des budgets prévus pour
l’ensemble de la période où les programmes ont été en vigueur. Notons l’aspect purement indicatif de cette
pondération.
190
Europe, afin de stabiliser le niveau des dépenses communautaires, les autorités ont offert
aux producteurs de betteraves un paiement direct correspondant à 62,4 % du soutien
précédent. Aux États-Unis, on a estimé que le principal groupe de producteurs d’arachides
affectés devait recevoir un support équivalent à 95 % des revenus précédents. En Suisse, les
autorités ont garanti que tous les fonds retirés aux mécanismes de soutien du marché dans
le secteur laitier allaient être réalloués aux paiements directs.
Les analyses des réformes où des indemnisations ont été privilégiées, soit celles du secteur
laitier australien et de la politique de transport du grain dans l’Ouest canadien, ont, quant à
elles, mis en évidence l’absence de référence explicite permettant de juger du degré de
dédommagement offert. Selon les estimations proposées par les observateurs, ces niveaux
de support apparaissent toutefois moins élevés que dans les cas de réinstrumentation. Ainsi,
en Australie, l’indemnité a correspondu, en moyenne, à la poursuite du support initial sur
trois années supplémentaires, tandis que dans le secteur céréalier canadien, le montant
n’aurait couvert que 20 % environ de la valeur actualisée de la subvention abolie.
5.1.3 Mesures de transition et réforme du régime tarifaire
À l’exception des deux cas canadiens, les régimes de protection tarifaire ont été l’une des
trois composantes d’intervention utilisées au sein de tous secteurs de production à l’étude.
Les analyses de cas ont montré que lors des réformes de ces secteurs, les deux autres
composantes d’intervention, soit les mécanismes de contingentement et de soutien des prix,
ont systématiquement fait l’objet d’ajustements. Ce ne fut cependant pas le cas des régimes
tarifaires qui n’ont, quant à eux, jamais été impliqués directement dans ces processus210 (cf.
Tableau 10). L’étude de ces expériences démontre par ailleurs que ces régimes ont été, à
chaque occasion, modifiés avant la réforme de la politique d’intervention.
Rappelons en effet que l’ouverture du marché américain aux arachides mexicaines, le
protocole « Tout sauf les armes » de l’Union européenne et les ententes de libre-échange
entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande ainsi qu’entre la Suisse et l’Union européenne pour
191
les fromages ont non seulement précédé les réformes dans les secteurs concernés, mais ont
également motivé les gouvernements à entreprendre ces dernières. Dans la majorité des cas,
la menace d’une compétition internationale accrue – face à une industrie domestique
insuffisamment compétitive – a d’ailleurs été l’une des principales justifications avancées
pour expliquer le projet de réforme.
Cette observation est significative, car elle met en évidence le rôle de « catalyseur » joué
par le processus de libéralisation commerciale dans les projets de réforme en agriculture. À
cet égard, il est intéressant de constater que dans tous les cas à l’étude, sauf en Australie, la
libéralisation introduite avant la réforme était partielle, en ce sens qu’elle ne concernait
qu’une partie du marché domestique, ou encore qu’une catégorie de pays exportateurs dont
les parts de marché étaient d’ailleurs restreintes. Quoi qu’il en soit, cette ouverture est
apparue, à chaque occasion, suffisante pour justifier une réforme plus fondamentale des
modes d’interventions en place dans les secteurs concernés. La question de savoir si ces
ajustements aux régimes tarifaires ont été véritablement souhaités par les intervenants,
imposés par des obligations externes ou encore introduits comme stratégie politique visant
à préparer une plus imposante réforme, va toutefois au-delà des objectifs de ce mémoire.
Mentionnons, d’autre part, qu’à aucune reprise, dans les cas à l’étude, une mesure de
transition n’a été adoptée directement en lien avec la réforme d’un régime tarifaire. Le fait
que ces réformes aient été suivies de la révision des cadres d’intervention régissant les
secteurs concernés peut par ailleurs expliquer ce phénomène. D’ailleurs, dans la plupart des
cas, lorsqu’est venu le temps de proposer des mesures de transition, la baisse anticipée des
prix domestiques due à l’ouverture des marchés a été prise en compte au même titre que
celle attendue de la réforme des mécanismes de prix de soutien.
210
En Suisse, certains ajustements ont été apportés au régime tarifaire, mais ceux-ci concernaient
essentiellement l’administration des contingents tarifaires et non le degré de protection du secteur laitier
directement.
192
5.1.4 Réforme de politiques agricoles et mesures de transition : autres
constatations
Outre les constats relatifs à la nature et au contexte d’utilisation des mesures de transition
lors de la réforme des différents mécanismes d’intervention en agriculture, d’autres
remarques s’imposent à la suite des analyses individuelles effectuées aux sections
précédentes. Puisque celles-ci peuvent nourrir la réflexion quant aux modes d’intervention
qui pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la
politique laitière canadienne, il importe de les aborder succinctement.
Une première constatation concerne le rôle joué par les mesures d’ajustement dans le cadre
des réformes à l’étude. En effet, les caractéristiques de l’intervention post-réforme exposées
au Tableau 10 indiquent que de telles mesures ont été privilégiées dans quatre des six cas
retenus. Elles n’ont pas été abordées à ce stade puisqu’elles accompagnaient, pour la
plupart, non pas la réforme d’un mécanisme d’intervention en particulier, mais plutôt le
déroulement global de celle-ci.
Il importe de remarquer qu’à l’exception de la Suisse, les mesures d’ajustement n’étaient
pas dédiées aux producteurs agricoles, mais plutôt à des intervenants en marge de la
politique agricole, tels que des communautés rurales, des institutions agricoles et certains
partenaires économiques. De même, il est intéressant de constater que parmi les six
mesures d’ajustement recensées, cinq étaient à « caractère économique » et favorisaient la
« compétitivité » des intervenants. Ainsi, bien que certaines réformes, dont celles du
secteur laitier en Australie et du sucre dans l’Union européenne, aient poursuivi
explicitement des objectifs de « restructuration », les mesures d’ajustement de cette
catégorie n’ont pas été privilégiées. À ces occasions, des mesures d’assistance sont
apparues plus appropriées. Remarquons que seule la Suisse a eu recours à une mesure à
caractère « légal ». Il faut cependant reconnaître que ces interventions sont complexes à
retracer dans le cadre d’une réforme, car elles peuvent intervenir en marge du secteur
concerné ou de la politique réformée. Elles sont donc peut-être plus courantes que ne
l’indique le Tableau 10.
193
Il est difficile d’évaluer l’importance de ce type de mesure et de prévoir leur contexte
d’utilisation lors de réformes de politiques agricoles. À cet égard, les parts qu’elles
occupent dans le budget total d’intervention post-réforme reflètent certainement
incorrectement leur portée réelle et leur impact sur le déroulement des réformes.
Le support réservé aux intervenants en amont et en aval de la production est un deuxième
aspect intéressant à prendre en considération. Les analyses précédentes ont ainsi démontré
que ces intervenants sont rarement soutenus lors des réformes. L’exemple du secteur
sucrier européen se distingue sur ce point, mais les sucreries (i.e. transformateurs) étaient
alors partie intégrante du régime d’intervention, ce qui n’est pas commun. Dans la majorité
des cas, les autorités ont plutôt indiqué que les retombées de la réforme et celles des
mesures de transition applicables au secteur de production devaient être profitables aux
entreprises situées en amont et en aval.
Une troisième observation s’impose quant au rythme auquel les réformes ont été
appliquées. Il est en effet étonnant de constater que la plupart des réformes ont été mises en
œuvre et menées à terme dans un très court laps de temps après leur annonce. Les délais ont
ainsi été de quatre mois aux États-Unis, de neuf mois en Australie et de moins d’un an dans
le cadre des expériences canadiennes. Ajoutons qu’à ces quatre occasions, les principales
composantes de l’intervention211 sujettes à la réforme ont également été complètement
abolies.
Ce constat est intéressant, car il tend à démontrer qu’une fois la décision de réformer prise
– suite à une libéralisation partielle des marchés par exemple – les autorités n’ajustent pas
nécessairement leur politique de manière graduelle, de façon à la maintenir en vigueur au
cours de la période de transition. Au contraire, il semble qu’une réforme rapide et en
profondeur des mécanismes d’intervention soit plutôt privilégiée.
Mentionnons que les cas de réforme dans les secteurs laitier suisse et sucrier européen se
distinguent une fois de plus à cet égard. En effet, dans ces deux cas, les ajustements ont été
211
Aux États-Unis, la réforme a été décrite comme ayant été partielle. Toutefois, le régime de
contingentement, qui caractérisait le secteur de production des arachides, a été quant à lui complètement
aboli.
194
introduits de façon graduelle. Il faut toutefois rappeler que ces expériences s’inscrivaient
dans un processus de réforme beaucoup plus vaste, à la fois planifié et graduel.
Notons enfin qu’en aucune occasion, des actifs utilisés directement en production, tels que
les bâtiments, la machinerie ou les troupeaux, ont fait l’objet d’une aide étatique et ce,
malgré leur possible dévaluation due à leur spécificité.
5.1.5 L’ascendance globale de la théorie sur les processus de réforme
Le cadre théorique et conceptuel développé au chapitre 2 a mis en évidence l’influence du
paradigme du marché libéral dans le courant de réforme observé en agriculture, ainsi que la
place occupée, dans ce dernier, par les principes de l’économie du bien-être. En adoptant
cette perspective, les projets de réforme sont alors évalués sur la base des gains que chacun
génère, comparativement à ses coûts, en termes d’efficacité économique. Ce principe, qui
vise à dicter les choix en matière d’intervention étatique dans l’économie, est formellement
défini en tant que « test de compensation » (cf. section 2.2.3).
Rappelons que selon la théorie, ce test n’engage pas nécessairement à verser réellement la
« compensation ». Toutefois, compte tenu que différents types de support ont effectivement
été octroyés lors des réformes à l’étude, les analyses du chapitre 4 ont cherché à évaluer si
les aides versées ont pris la forme d’une transposition du « test de compensation » décrit
par le cadre théorique. Cet exercice a été mené dans chacun des cas étudiés, en confrontant
globalement les composantes du « test de compensation » à celles des mesures de transition
alors mises en œuvre. Plus précisément, les trois aspects suivants ont été considérés :
•
La spécification des perdants, soit les individus pénalisés par la réforme ;
•
Le niveau de « compensation » accordé, devant correspondre aux pertes assumées ;
•
L’origine du financement, provenant théoriquement des gains perçus par les
bénéficiaires.
Le constat général qui émerge des analyses précédentes est à l’effet qu’en aucune occasion,
les mesures de transition adoptées n’ont constitué, de façon formelle et explicite, une
transposition du « test de compensation » à un contexte de réforme. Cette observation, bien
que ne contredisant pas la perspective théorique, implique néanmoins que les
195
gouvernements n’ont pas recherché, par le biais d’interventions ciblées, à transformer des
situations « potentiellement Pareto-supérieures » en situations « Pareto-supérieures ».
Autrement dit, les autorités ont admis implicitement que la réforme allait laisser,
potentiellement, des individus avec un niveau de « bien-être » moindre que sous leurs
conditions initiales.
En fait, pour chacun des cas à l’étude, les critères nécessaires pour conclure que
l’intervention post-réforme a constitué une transposition du « test de compensation » ont
été rarement respectés. Ainsi, les analyses ont relevé une très grande disparité en ce qui a
trait à la spécification des perdants et ce, tout particulièrement en ce qui concerne les
intervenants situés en amont et en aval du secteur réformé. En fait, en aucune occasion la
liste des bénéficiaires de l’aide – aussi complète fut-elle – ne pouvait afficher une
exhaustivité, comme l’ont fait remarquer certains observateurs. À cet égard, il faut se
questionner quant au réalisme de pouvoir définir et recenser systématiquement tous les
perdants éventuels d’une réforme.
L’insuffisance apparente des « compensations » versées aux individus pénalisés constitue
une seconde lacune rencontrée dans la transposition du « test de compensation ». En fait,
les autorités gouvernementales n’ont jamais indiqué officiellement que le support octroyé
devait dédommager complètement et systématiquement les pertes subies. L’estimation
même de ces pertes – lorsqu’elle était disponible – pouvait être questionnée quant à son
exhaustivité, non seulement quant aux coûts sociaux mesurés, mais aussi quant à la prise en
compte des coûts privés de réformer. Ceci ne signifie pas, par ailleurs, qu’une
« compensation » suffisante n’ait pas été perçue par certaines catégories d’individus. Le
soutien octroyé aux producteurs de betteraves en Europe et à ceux d’arachides aux ÉtatsUnis, combiné aux conditions de marché, a peut-être même permis à certains d’entre eux
d’améliorer leur situation financière. Toutefois, la plupart des observateurs s’étant
intéressés aux cas à l’étude ont conclu que les compensations ont été partielles.
Les modes de financement privilégiés ont respecté, quant à eux, la logique du « test de
compensation » à quelques occasions. L’exemple le plus caractéristique est celui de
l’Australie, où les consommateurs – perçus comme étant les principaux bénéficiaires de la
réforme – ont été amenés à financer le principal programme d’intervention adopté lors de la
196
réforme du secteur laitier. Cette démarche, très explicite, est toutefois unique parmi les cas
à l’étude.
Il faut en fait reconnaître que les « gagnants » des réformes ont rarement été appelés à
participer au financement des mesures de transition. Outre l’exemple australien et ceux où
les gouvernements (i.e. contribuables) sont apparus être les principaux bénéficiaires, seul le
cas du secteur sucrier européen présente un mécanisme de financement mettant à
contribution des gagnants anticipés, soit les sucreries demeurant sous le régime de
contingentement. Ainsi, à l’instar des deux autres critères du « test de compensation », il ne
semble pas que le transfert des gains des gagnants vers les perdants soit apparu être une
finalité poursuivie par les gouvernements lors de leurs interventions post-réformes.
À la lumière de ces constats, il serait possible d’affirmer qu’à défaut d’une transposition
intégrale du « test de compensation », plusieurs gouvernements auraient plutôt respecté le
principe de compensation. En effet, dans la plupart des cas, il a été admis que les bénéfices
attendus de la réforme allaient outrepasser les coûts devant affecter certaines catégories
d’individus. Autrement dit, les gains anticipés seraient apparus suffisants pour compenser
potentiellement les perdants. Toutefois, aucune indication officielle ne permet de conclure
que cette finalité caractérisait formellement l’approche gouvernementale lors de ces
réformes.
En somme, puisque la notion « d’efficacité économique » a été au cœur de la majorité des
expériences de réforme à l’étude, il semble que le paradigme du marché libéral ait eu une
influence certaine sur la façon dont elles ont été menées. L’étude des interventions postréformes adoptées révèle par ailleurs que s’il y a eu « compensation » dans la plupart des
cas, il n’est pas possible de conclure qu’il s’agissait là d’une transposition formelle – même
partielle – du « test de compensation ».
5.2. Discussions et conclusion
Rappelons que l’objectif poursuivi dans le cadre des analyses effectuées au chapitre 4 a été
de répondre à la deuxième question de recherche de ce mémoire, à savoir d’évaluer la façon
197
dont les principes économiques d’intervention exposés au chapitre 2 pouvaient être
transposés à une expérience réelle de réforme en agriculture. De ces analyses ont d’ailleurs
émané un certain nombre de tendances, qui ont été exposées dans le cadre d’une analyse
transversale, réalisée à la section précédente.
Ainsi, d’un point de vue conceptuel, il est possible d’affirmer que les résultats obtenus
précédemment constituent une réponse à la deuxième question de recherche posée. Par
ailleurs, puisque l’objectif général du mémoire est de contribuer à la réflexion quant aux
modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement canadien lors d’un
éventuel démantèlement de la politique laitière, il est proposé, à la section suivante,
d’évaluer la portée des tendances étudiées à la section 5.1 en lien avec la réalité de ce
secteur de production au Canada. Enfin, la section 5.2.2 complète ce mémoire en proposant
une conclusion globale et en exposant les limites de cette recherche.
5.2.1 Interventions post-réformes et inférences avec le secteur laitier
canadien
À l’instar de la démarche privilégiée à la section 5.1, l’analyse proposée ici se développe
sur la base des mécanismes d’intervention caractérisant la gestion de l’offre canadienne,
soit le contingentement de l’offre, l’administration de prix de soutien et le contrôle des
importations. Il importe de noter que cet exercice n’a pas pour objectif de proposer un
quelconque scénario de réforme ou encore un ensemble particulier de mesures de transition
pour y faire suite. Il est plutôt proposé d’évaluer la façon dont les tendances exposées à la
section 5.1 se transposent à la réalité du secteur laitier canadien.
5.2.1.1 La réforme éventuelle du système de contingentement
En se référant aux résultats obtenus précédemment, une éventuelle réforme du système de
contingentement dans le secteur laitier canadien n’impliquerait pas l’adoption de mesure de
transition de nature financière visant à dédommager les détenteurs de quotas. En effet,
contrairement aux détenteurs de « quotas arachides » aux États-Unis qui n’étaient pas, pour
la plupart, actifs dans cette production ou encore aux tabaculteurs de l’Ontario évoluant
198
dans un secteur appelé à être abandonné, les détenteurs de quotas canadiens sont euxmêmes producteurs laitiers et se retrouvent dans un secteur de production appelé non
seulement à perdurer à la suite d’une réforme, mais aussi à se développer dans un
environnement beaucoup plus compétitif. Conséquemment, les modèles d’intervention
post-réforme utilisés dans les secteurs laitiers suisse et australien et privilégiant le soutien
des revenus plutôt que le dédommagement pour la dévaluation d’actifs, pourraient alors
être davantage favorisés.
Ce constat de non-intervention au niveau des quotas doit cependant être nuancé par certains
autres paramètres mis en évidence par les analyses de cas. Ainsi, la question de l’obligation
juridique de compenser pourrait modifier cette situation. En effet, comme l’indique Martini
(2007, p.10), « la seule véritable contrainte qui pèse sur les choix publics est le respect des
règles de droit et de la Constitution du pays ». À cet égard, l’abolition d’un tel actif, selon
la nature juridique qu’on lui accorde au Canada, pourrait peut-être influencer la décision
gouvernementale d’intervenir financièrement auprès des producteurs.
Le rythme et le degré de démantèlement du système de contingentement constituent un
second ensemble de paramètres à considérer. En effet, les réformes à l’étude qui ont été
graduelles ou partielles n’ont généralement pas impliqué de mesures financières afin de
soutenir les détenteurs de quotas, puisqu’à ces occasions, les marchés sont demeurés
relativement encadrés. En admettant qu’il soit possible pour le gouvernement canadien
d’influer sur ces paramètres, un vaste éventail de stratégies de réforme s’offrirait alors,
limitant du coup la nécessité de dédommager les détenteurs de quotas.
Il faut par ailleurs reconnaître que des contraintes externes, tel un accord commercial ou
des poursuites juridiques, peuvent restreindre cette liberté d’action. Qui plus est, les
résultats précédents tendent à démontrer que les réformes, lorsqu’elles ne s’inscrivent pas
déjà dans un processus de révision à long terme à l’instar des secteurs laitier helvétique et
sucrier européen, tendent à être rapides et directes à la suite de leur annonce. Puisque la
politique laitière canadienne ne s’inscrit pas dans un tel agenda de réforme, il serait donc
légitime d’envisager, sur la base des résultats précédents, que son démantèlement serait
direct, même si la période d’ajustement prévu par un accord commercial permettrait une
199
approche davantage graduelle. Une telle perspective devrait alors être prise en compte dans
la décision d’intervenir financièrement auprès des détenteurs de quotas.
En ce qui a trait au niveau des paiements qui pourraient être versés aux producteurs laitiers
canadiens pour la dévaluation de leurs quotas, les analyses indiquent qu’il ne relève jamais
de références économiques explicites. Le processus politique, dans lequel les producteurs
peuvent jouer un rôle certain de collaborateur ou d’opposant, semble plutôt primer.
5.2.1.2 La réforme éventuelle du régime de prix de soutien
En aucune occasion dans les cas à l’étude, une réforme d’un régime de soutien des prix n’a
été menée sans l’adoption subséquente d’une mesure de transition visant à soutenir les
revenus des producteurs affectés par cette décision. Dans cette perspective, tout porte à
croire que les producteurs laitiers bénéficieraient également d’une telle intervention dans
l’éventualité d’une réforme de la politique laitière canadienne.
Plus précisément, en se basant sur les analyses précédentes, il semble que des mesures de
réinstrumentation seraient privilégiées par le gouvernement. En effet, puisque la réforme de
la politique laitière canadienne risque peu de mener à une déréglementation complète du
secteur, il est probable que l’approche utilisée dans les secteurs laitier helvétique, sucrier
européen et des arachides aux États-Unis soit davantage favorisée. De fait, à l’instar de ces
trois exemples, le secteur laitier canadien évolue présentement en marge des programmes
canadiens de soutien à l’agriculture contenus dans le Cadre stratégique agricole (CSA).
Dans cette perspective, les producteurs laitiers seraient alors assujettis aux mesures en
vigueur, soit celles prévues dans le volet « Gestion des risques de l’entreprise » du CSA.
Rappelons par ailleurs que les réinstrumentations observées dans les trois cas cités ont été
articulées sur des programmes non seulement existants avant la réforme du secteur
concerné, mais privilégiaient également des mécanismes de soutien des revenus permettant
d’octroyer aux producteurs concernés des paiements directs découplés, prédéterminés et
continuels dans le temps. À cet égard, il est possible de se questionner sur la capacité des
programmes de soutien des revenus canadiens d’offrir des types de paiements comparables.
En effet, les programmes contenus dans le volet « Gestion des risques de l’entreprise » du
200
CSA visent surtout à protéger les producteurs contre les baisses de leurs marges de revenus.
Les paiements offerts fluctuent donc annuellement, selon les conditions de marché et selon
les performances économiques de chaque entreprise.
En fait, dans la perspective où le gouvernement canadien souhaiterait adopter cette
tendance en matière de réinstrumentation et ainsi garantir un certain niveau de revenu aux
producteurs, les programmes fédéraux existants apparaissent insuffisants. Pour pallier ce
manque, une contribution provinciale pourrait-elle être exigée? Une réinstrumentation
impliquant l’adoption de nouveaux programmes spécifiques au secteur laitier serait-elle
nécessaire? Ces questions, tout comme l’évaluation en détails du degré de soutien que
pourraient offrir, sous les conditions actuelles, les programmes du CSA vont toutefois audelà des objectifs de ce mémoire.
5.2.1.3 La réforme éventuelle du régime tarifaire
En ce qui a trait aux réformes des régimes tarifaires, le principal constat émanant des
analyses précédentes est à l’effet que les projets, mêmes partiels, d’ouverture des marchés
domestiques servent constamment de « catalyseur » à l’adoption d’un processus de réforme
beaucoup plus vaste des mécanismes d’intervention utilisés dans le secteur agricole
concerné.
Les négociations qui se déroulent à l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
constituent, présentement, le projet de libéralisation le plus à même de provoquer une telle
ouverture du marché laitier canadien. Ainsi, nonobstant l’importance des engagements en
matière d’accès aux marchés qui pourraient résulter d’un tel accord et de leurs impacts
possibles sur les prix des produits laitiers au Canada, les analyses précédentes semblent
indiquer que la simple annonce d’une signature pourrait entrainer le secteur laitier dans un
processus de réforme rapide et direct et ce, même si une période d’ajustement de plusieurs
années est accordée. Une telle perspective renverrait alors aux analyses précédentes
abordant les conséquences possibles d’une réforme des composantes de la politique laitière
canadienne en matière d’intervention post-réforme.
201
5.2.2 Conclusion
Le système de gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien est confronté à des défis
majeurs et l’éventualité qu’il doive un jour faire l’objet d’une réforme est une option qui
doit être considérée. Face à la période de transition qui s’en suivrait, plusieurs observateurs
jugent que le gouvernement pourrait être appelé à intervenir. Bien que la prise en compte de
cette perspective puisse permettre de mieux appréhender une réforme et les coûts qui en
découleraient, peu d’études se sont pourtant attardées jusqu’ici à étudier systématiquement
les interventions qui pourraient alors être adoptées par le gouvernement canadien.
Conséquemment, ce mémoire avait pour objectif général de contribuer à approfondir et à
structurer la réflexion déjà amorcée dans la littérature quant aux modes d’intervention qui
pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la
politique laitière canadienne. Plus précisément, l’analyse s’est attardée à répondre aux deux
questions suivantes :
•
Face au phénomène de réformes de politiques publiques, quels sont les principes
économiques fournis par la théorie et la littérature quant aux types d’interventions
gouvernementales pouvant être adoptés pour y faire suite ?
•
De quelles façons ces principes peuvent-ils être transposés à une expérience réelle
de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier
canadien ?
L’analyse développée au chapitre 2 a permis de répondre à la première question de
recherche en situant, tout d’abord, la perspective théorique dans laquelle les processus de
réforme observés en agriculture se sont inscrits au cours des dernières années. Ainsi,
l’émergence du paradigme du marché libéral, soutenu par les préceptes de l’économie du
bien-être, apparaît être un facteur majeur influençant la décision de réformer. Trois
justifications normatives, liées à cette perspective théorique, sont quant à elles couramment
avancées dans la littérature afin de légitimer – ou non – le recours à une intervention postréforme. Celles-ci sont l’efficacité, l’équité et les considérations d’ordre politique. L’étude
de ces concepts a par ailleurs mis en évidence les lacunes de ce corps théorique aussi bien
pour anticiper de façon ex ante des interventions gouvernementales que pour les étudier de
manière ex post. Enfin, l’analyse menée au chapitre 2 a permis de catégoriser
202
conceptuellement, selon les objectifs poursuivis et les modalités de mise en œuvre, quatre
mesures de transition pouvant être déployées par un gouvernement à la suite d’une réforme,
soit celles d’ajustement, d’indemnisation, d’assistance et de réinstrumentation.
Cet exercice a fourni les éléments théoriques et conceptuels nécessaires à la compréhension
du phénomène de réforme et des interventions gouvernementales subséquentes, permettant
ainsi de répondre à la seconde question de recherche de ce mémoire. De fait, l’analyse à
caractère empirique, spécifiée au chapitre 3 et développée aux chapitres 4 et 5 de façon
individuelle et transversale, a permis d’évaluer de quelles façons les principes économiques
développés au chapitre 2 pouvaient être transposés à une expérience réelle de réforme
similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier canadien. Des résultats
obtenus par cette analyse, certaines tendances ont été soulevées et exposées à la section 5.1.
La section 5.2 a, quant à elle, proposé une évaluation globale de la portée des tendances
étudiées à la section 5.1, en lien avec la réalité du secteur laitier canadien. Cette discussion
a, conformément à l’objectif de ce mémoire, contribué à la réflexion amorcée dans la
littérature quant aux modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement
canadien lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière.
En somme, deux constats déterminants ont émané de cette analyse. Le premier est qu’à
l’instar des pays à l’étude, il est fort probable que le Canada, dans l’éventualité d’une
réforme du secteur laitier canadien, soit amené à mettre en œuvre certaines mesures de
transition, ne serait-ce que par le biais d’une réinstrumentation. Bien qu’il ne revienne pas à
ce mémoire de prescrire un mode d’intervention spécifique, cette observation soulève
l’enjeu des considérations budgétaires à prévoir. En effet, compte tenu du nombre de
producteurs et de la taille du secteur laitier canadien, toute intervention impliquerait
nécessairement des sommes non négligeables et ce, pour les deux paliers de gouvernement.
Cette considération budgétaire, sans avoir été étudiée explicitement dans le cadre de notre
analyse, influence certainement la façon dont sont menées les réformes de politiques
publiques et sont établies les mesures de transition subséquentes. Plusieurs enjeux peuvent
d’ailleurs y être rattachés. Par exemple, certains auteurs travaillant à partir de la théorie du
203
Public Choice affirment que le protectionnisme devient plus attrayant pour les autorités
lorsque les coûts estimés de la compensation apparaissent élevés. Conséquemment,
pourrait-on expliquer le soutien politique accordé au système de gestion de l’offre au
Canada par l’appréhension qu’ont les autorités de devoir débourser des sommes trop
importantes advenant une réforme? Ceci est un exemple d’hypothèse de recherche qui
pourrait faire l’objet de travaux ultérieurs, ceci afin de mieux comprendre l’influence qu’a
l’environnement politico-économique par rapport à l’évolution et à l’avenir du système de
gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien.
De fait, à la lumière de notre analyse, force est d’admettre que cet environnement est
déterminant dans la façon dont sont menées les réformes de politiques agricoles. Ce second
constat implique que ce serait surtout le contexte – impondérable – dans lequel s’inscrirait
une éventuelle réforme de la politique laitière canadienne qui conditionnera la plupart des
paramètres fondamentaux qui influenceront la décision d’intervenir et les modalités qui
caractériseront les programmes qui pourraient être adoptés au Canada. Cette observation
constitue en fait la principale limite de cette recherche.
En effet, le contexte sociopolitique dans lequel s’inscrit un projet de réforme fait de chacun
une expérience unique, complexe et dont le déroulement est en partie imprévisible. En
adoptant un point de vue théorique, la discussion proposée à la section 2.5 a d’ailleurs mis
en évidence l’impossibilité d’anticiper, dans une perspective ex ante, un modèle
d’intervention post-réforme et ce, aussi bien en adoptant une optique économique que
politique. La démarche empirique proposée par la suite, tout en ayant permis de faire
émerger certaines tendances en matière d’intervention post-réforme, présente également
cette même limite qui restreint la portée des inférences proposées.
Bien qu’une augmentation du nombre de cas à l’étude n’aurait pu contribuer à rendre
davantage généralisables les inférences proposées, la sélection de ceux qui ont été retenus
et la façon dont leurs programmes de transition ont été étudiés ont nécessairement influencé
les résultats obtenus. À cet égard, rappelons que seuls les programmes d’intervention
accompagnant l’annonce des réformes ont été pris en considération et non les mesures ad
hoc ultérieures qui sont venues compléter l’intervention initiale. Ce choix s’explique par la
204
volonté d’étudier ce phénomène dans une perspective ex ante, et non à la lumière des
conséquences économiques effectives de la réforme. Il est par ailleurs intéressant de noter
que ces interventions ad hoc ont été observées couramment, ce qui tend à démontrer que les
mesures initiales répondent rarement aux besoins des milieux.
En fait, d’autres approches auraient également pu être privilégiées afin d’aborder l’objectif
de ce mémoire. Ainsi, au lieu d’avoir recours à une analyse de cas, une étude plus directe
de l’évolution de la politique laitière canadienne, dans une perspective institutionnaliste par
exemple, aurait pu fournir un éclairage différent sur les enjeux à prendre en considération
dans l’éventualité d’une réforme. Le fait que peu de recherches se soient intéressées, à ce
jour, à étudier systématiquement les modes d’intervention pouvant être mis de l’avant dans
un contexte de réformes de politiques publiques a cependant justifié le choix de notre
démarche. La catégorisation des modes d’intervention qui en a résulté, en étant
généralisable à d’autres contextes de réforme, constitue d’ailleurs un apport conceptuel non
négligeable de ce mémoire.
En guise de conclusion, il apparaît important de se questionner sur la cohérence du
paradigme économique actuel sur lequel repose la plupart des projets de réforme en
agriculture. En effet, à la lumière de notre analyse, il semble exister une lacune
conceptuelle, sinon théorique, entre la perspective défendue par le paradigme du marché
libéral – qui privilégie une déréglementation et un laisser-faire économique en agriculture –
et la pratique courante des États. Ces derniers, qui se retrouvent aux prises avec les
conséquences des réformes, se voient ainsi, plus souvent qu’autrement, dans l’obligation
d’intervenir afin de faire face non seulement aux coûts sociaux – potentiellement mesurés –
de la réforme, mais aussi aux importants coûts privés supportés par les différents
intervenants du milieu et rarement pris en compte dans les analyses économiques.
Les politiques de transition mises de l’avant à ces occasions ne correspondent d’ailleurs que
rarement avec celles qui sont justifiées par la théorie économique. Sachant que la
discussion proposée à la section 2.5 a mis en évidence l’inconsistance des perspectives
théoriques dans le but de justifier l’intervention post-réforme, ce constat n’est pas étonnant,
mais il n’en demeure pas moins problématique. En effet, le paradigme du marché libéral,
205
sous le couvert de la notion « d’efficacité économique », influence grandement l’orientation
générale donnée aux réformes observées en agriculture, mais se révèle inconsistant une fois
la réforme mise en œuvre et la période de transition entamée. Les considérations sociales et
politiques, impondérables au moment de la planification, prennent alors le dessus, menant
le secteur réformé dans une direction que seules les forces en présence peuvent orienter,
mais ceci, dans l’intérêt de qui, de quoi ?
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