JEAN-MICHEL COUTURE ÉTUDE DES PRINCIPES ÉCONOMIQUES ET ENSEIGNEMENTS DES EXPÉRIENCES ANTÉRIEURES DANS L’ÉVENTUALITÉ D’UNE RÉFORME DE LA POLITIQUE LAITIÈRE CANADIENNE Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de Maîtrise en économie rurale pour l’obtention du grade de maître ès sciences (M.Sc.) DÉPARTEMENT D’ÉCONOMIE AGROALIMENTAIRE ET DES SCIENCES DE LA CONSOMMATION FACULTÉ DES SCIENCES DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2009 © Jean-Michel Couture, 2009 Résumé Ce mémoire propose une conceptualisation des mesures de transition envisageables lors de réformes de politiques publiques, ainsi qu’une analyse de leur transposition à des expériences observées en agriculture. L’objectif est de tirer des enseignements sur la nature et le contexte d’utilisation de ces mesures, en référence au secteur laitier canadien. L’analyse repose sur six études de cas. Chacune est dédiée à une expérience de réforme mise en œuvre dans un secteur où l’intervention était comparable à l’un des aspects de la politique laitière canadienne. Sont proposées une contextualisation des cas à l’étude et une catégorisation conceptuelle de celles-ci. Un des constats de l’analyse est à l’effet que les producteurs évoluant sous des secteurs contingentés sont rarement indemnisés pour la dévaluation de leurs quotas. Le soutien cible plutôt leurs pertes de revenus. En plus de son apport conceptuel généralisable, cette démarche contribue aux réflexions sur l’avenir de la politique laitière canadienne. Avant-Propos Ce projet de recherche a été rendu possible grâce au soutien financier du Fonds de bourses de la Commission canadienne du lait de l’Université Laval et à l’aide du support offert par le Groupe de recherche en économie et politique agricoles (GREPA), qui a mis à ma disposition les ressources matérielles nécessaires à la réalisation du projet. L’importance de ces contributions, tout à la fois généreuses et complémentaires, dans le succès d’un tel exercice académique ne saurait être passée sous silence. Je profite donc de cette occasion afin de remercier ces organisations pour la confiance qu’elles m’ont témoignée tout au long de ma formation. Je tiens également à adresser mes plus sincères remerciements à mon directeur de recherche, Daniel-Mercier Gouin, pour sa rigueur, ses encouragements et surtout pour la patience dont il a fait preuve tout au long du processus de recherche. Je veux également souligner la contribution déterminante de mon co-directeur de recherche, Michel Morisset, qui a su insuffler, par ses conseils et sa confiance à mon endroit, le dynamisme requis pour mener à bien la réalisation de ce mémoire. Je veux aussi souligner l’importance qu’a eue, tout au long de mon cheminement académique, le support de mes amis et collègues. Fanny, Geneviève, Stéphanie, Denis, Renaud, et tous les autres, je vous remercie du fond du cœur pour votre présence, votre écoute et vos encouragements. Enfin, plus important que toute autre chose, merci à ma famille pour son indéfectible soutien et son infinie patience. Ce mémoire est en partie le vôtre. « Qu'as-tu qui ne t'ait été donné ? » St-Paul (1 Corinthiens 4:7) Table des matières Résumé.....................................................................................................................................i Avant-Propos ......................................................................................................................... ii Table des matières .................................................................................................................iv Liste des tableaux................................................................................................................. vii Liste des figures .................................................................................................................. viii 1. Introduction et problématique ............................................................................................. 1 1.1. L’avenir de la gestion de l’offre comme modèle d’intervention en agriculture .......... 1 1.2. Les conséquences probables d’une réforme de la politique laitière canadienne ......... 4 1.3. Réforme de politiques publiques et mesures de transition gouvernementales ............ 6 1.4. Problème soulevé, questions et objectifs de recherche ................................................ 8 2. Réforme de politique publique et principes économiques d’intervention ........................ 11 2.1. Évolution du paradigme d’intervention en agriculture .............................................. 12 2.2. Réforme et théorie économique : introduction aux fondements de l’économie du bien-être ..................................................................................................................... 15 2.2.1 Une référence normative : le critère de Pareto ............................................. 16 2.2.2 L’optimum de Pareto et l’équilibre compétitif ............................................. 17 2.2.3 Efficacité et équité : le principe de compensation ........................................ 19 2.3. Les effets préjudiciables des réformes de politiques publiques ................................. 23 2.4. Mesures de transition envisageables suivant une réforme : une conceptualisation ... 28 2.4.1 La mesure d’ajustement ....................................................................................... 29 2.4.2 La mesure d’indemnisation.................................................................................. 32 2.4.3 La mesure d’assistance ........................................................................................ 33 2.4.4 La réinstrumentation ............................................................................................ 34 2.4.5 Sommaire des mesures de transition envisageables ............................................ 35 2.5. Les bases justificatrices du recours aux mesures de transition .................................. 37 2.5.1 L’efficacité en tant que justification .................................................................... 39 2.5.1.1 Signification de la justification ..................................................................... 39 2.5.1.2 Portée de la justification ............................................................................... 41 2.5.2 L’équité en tant que justification ......................................................................... 44 2.5.2.1 Signification de la justification ..................................................................... 44 2.5.2.2 Portée de la justification ............................................................................... 46 2.5.3 Les enjeux politiques en tant que justification..................................................... 49 v 2.5.3.1 Fondements théoriques supportant la justification ....................................... 49 2.5.3.2 Signification de la justification ..................................................................... 52 2.5.3.3 Portée de la justification ............................................................................... 53 2.5.4 Retour sur les justifications normatives ............................................................... 54 2.5.4.1 La portée prescriptive des justifications ....................................................... 54 2.5.4.2 L’évaluation ex-post des justifications ......................................................... 58 2.5.4.3 Les justifications normatives : un constat ..................................................... 59 3. Le cadre méthodologique utilisé ....................................................................................... 61 3.1. La sélection des cas de réforme à l’étude .................................................................. 63 3.1.1 Les origines de la politique laitière canadienne ............................................ 64 3.1.2 La gestion de la production ........................................................................... 66 3.1.3 L’administration des prix de soutien ............................................................ 68 3.1.4 Le contrôle des importations......................................................................... 68 3.1.5 Présentation des cas retenus de réformes ...................................................... 69 3.2. La démarche analytique proposée .............................................................................. 71 3.2.1 La contextualisation du processus de réforme .............................................. 72 3.2.2 Le recensement des caractéristiques d’intervention ..................................... 72 3.2.3 L’analyse des caractéristiques d’intervention ............................................... 74 3.2.4 L’ascendance de la théorie économique sur l’intervention gouvernementale 76 4. L’analyse des expériences antérieures de réforme ........................................................... 78 4.1. Le réforme de la Loi sur le transport du grain de l’Ouest .......................................... 78 4.1.1 La contextualisation du projet de réforme ........................................................... 79 4.1.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ......... 79 4.1.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées .............................................. 81 4.1.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention ...................................................... 83 4.1.2.1 La catégorisation des programmes adoptés .................................................. 83 4.1.2.2 Constats et inférences ................................................................................... 86 4.1.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme ...................................... 90 4.2 Le secteur du tabac ontarien ....................................................................................... 97 4.2.1 La contextualisation du projet de réforme ........................................................... 97 4.2.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ......... 97 4.2.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées .............................................. 99 4.2.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 101 4.2.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 101 4.2.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 104 4.2.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 110 4.3 Le secteur laitier australien ....................................................................................... 114 4.3.1 La contextualisation du projet de réforme ......................................................... 114 4.3.1.1. Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ...... 114 4.3.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées ............................................ 117 4.3.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 118 vi 4.3.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 118 4.3.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 121 4.3.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 126 4.4 Le secteur laitier helvétique ...................................................................................... 132 4.4.1 La contextualisation du projet de réforme ......................................................... 132 4.4.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ....... 132 4.4.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées ............................................ 136 4.4.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 139 4.4.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 139 4.4.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 141 4.4.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 145 4.5 Le secteur des arachides aux États-Unis ................................................................... 148 4.5.1 La contextualisation du projet de réforme ......................................................... 148 4.5.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ....... 148 4.5.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées ............................................ 151 4.5.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 152 4.5.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 152 4.5.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 154 4.5.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 157 4.6. Le secteur sucrier européen ..................................................................................... 163 4.6.1 La contextualisation du projet de réforme ......................................................... 163 4.6.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien ....... 163 4.6.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées ............................................ 166 4.6.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention .................................................... 168 4.6.2.1 La catégorisation des programmes adoptés ................................................ 168 4.6.2.2 Constats et inférences ................................................................................. 172 4.6.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme .................................... 174 5. Analyse transversale et conclusion ................................................................................. 180 5.1. L’analyse transversale des cas à l’étude .................................................................. 183 5.1.1 Mesures de transition et réforme d’un système de contingentement .......... 184 5.1.2 Mesures de transition et réforme d’un régime de soutien des prix ............. 188 5.1.3 Mesures de transition et réforme du régime tarifaire .................................. 190 5.1.4 Réforme de politiques agricoles et mesures de transition : autres constatations................................................................................................................ 192 5.1.5 L’ascendance globale de la théorie sur les processus de réforme............... 194 5.2. Discussions et conclusion ........................................................................................ 196 5.2.1 Interventions post-réformes et inférences avec le secteur laitier canadien ........ 197 5.2.1.1 La réforme éventuelle du système de contingentement .............................. 197 5.2.1.2 La réforme éventuelle du régime de prix de soutien .................................. 199 5.2.1.3 La réforme éventuelle du régime tarifaire .................................................. 200 5.2.2 Conclusion ......................................................................................................... 201 Bibliographie ...................................................................................................................... 206 Liste des tableaux Tableau 1 : Description des caractéristiques des principales mesures de transition ............. 36 Tableau 2 : Éléments entrant dans la conception d’un programme d’indemnisation ........... 58 Tableau 3 : Caractéristiques et modalités des programmes adoptés à la suite de la réforme, un exemple ......................................................................................................... 74 Tableau 4 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées au Canada; le transport du grain de l’Ouest .................................................................................................. 94 Tableau 5 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées au Canada, le secteur du tabac ontarien ................................................................................................... 112 Tableau 6 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées en Australie, le secteur laitier ................................................................................................................ 130 Tableau 7 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées en Suisse, le secteur laitier .......................................................................................................................... 147 Tableau 8 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées aux États-Unis, le secteur des arachides .................................................................................................... 160 Tableau 9 : Caractéristiques et modalités des principales mesures adoptées en Europe, le secteur du sucre et de la betterave sucrière ...................................................... 177 Tableau 10 : Synthèse des résultats tirés des analyses des cas de réformes retenus ........... 181 Liste des figures Figure 1 : Ajustement lorsque les ressources ne sont pas parfaitement mobiles .................. 25 Figure 2 : Réforme d'une politique agricole et enjeux d'ajustement ..................................... 26 Figure 3 : Les différents types de mesure d'ajustement ........................................................ 31 Figure 4 : Sélection des cas à l’étude : perspective privilégiée ............................................ 70 Figure 5 : Synthèse de la catégorisation des mesures de transition ...................................... 75 1. Introduction et problématique 1.1. L’avenir de la gestion de l’offre comme modèle d’intervention en agriculture Confrontées à l’instabilité des marchés agricoles caractérisant les années 50 et 60, des organisations de producteurs, de concert avec les instances gouvernementales canadiennes, ont mis en place des outils de mise en marché collective permettant, à divers degrés, d’organiser plus efficacement la commercialisation de la production à l’échelle provinciale et nationale. Ces initiatives ont été conduites à l’intérieur d’un cadre juridique1 dont l’objectif est, essentiellement, d’assurer aux producteurs les meilleurs prix possibles pour leur production. Cette approche et les actions qui en ont résulté allaient ainsi dans le sens des décisions prises dans la plupart des pays développés en faveur d’un soutien des revenus des producteurs et d’une stabilisation des marchés agricoles (Gouin 2005 p.27-29). À ce chapitre, parmi les mécanismes de mise en marché adoptés au Canada, la gestion de l’offre constitue un outil particulièrement efficace : il permet, à partir du contrôle des importations, d’ajuster la production nationale à la demande sur la base de quotas alloués aux producteurs et d’établir des prix de vente qui couvrent les coûts de production. Ces caractéristiques sont communément reconnues comme formant les trois piliers soutenant le fonctionnement de ce mode d’intervention (GO5 Québec). Instauré initialement dans le secteur laitier en 1966, ce modèle s’est étendu progressivement à la production canadienne de poulets, de dindons, d’œufs de consommation et d’œufs d’incubation. À l’instar du Canada, de nombreux pays ont adopté des mécanismes de contingentement en agriculture et tout particulièrement au niveau du secteur laitier. Si les modalités d’application diffèrent selon les pays, l’objectif principal de l’intervention demeure le même : limiter la production de façon à stabiliser les prix aux producteurs (OCDE 2000). Ainsi, la Suisse a instauré des contingents laitiers en 1977, suivie par l’Union européenne en 1984. C’est toutefois dans les pays du Commonwealth, tels que l’Australie, la Nouvelle1 Voir Loi sur la mise en marché collective des produits agricoles, alimentaires et de la pêche. L.R.Q. (1990). c.M 35.1 & la Loi sur les offices des produits agricoles. L.R.C. (1985). ch. F-4. 2 Zélande, l’Angleterre et le Canada, que se sont définis et développés les mécanismes de gestion de l’offre les plus complets. Cependant, malgré la popularité qu’a eu ce mode d’intervention, seuls l’Union européenne et le Canada, parmi les exemples cités, maintiennent encore des systèmes de contingentement de l’offre dans le secteur laitier. Les autres pays ont pour leur part déréglementé les leurs au cours des années 80 et 90. Cette remise en question des mécanismes de gestion de l’offre s’explique en partie par la montée, au cours des années 80, du courant économique libéral. Caractérisés par un haut degré d’intervention, les secteurs agricoles des pays développés ont alors fait l’objet de nombreux projets de réforme, dont le plus caractéristique, par son ampleur, est celui mené par la Nouvelle-Zélande. Avec le lancement du Cycle d’Uruguay en 1986, puis par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, cette vision libérale de l’agriculture a été transposée à l’échelle internationale. Ainsi, les pays signataires de l’Accord sur l’agriculture se sont engagés à restreindre leur capacité d’intervention dans ce secteur, ce qui a eu pour effet, entre autres, de réduire le niveau de contrôle des importations qui constitue l’un des piliers nécessaires au fonctionnement des mécanismes de contingentement. S’inscrivant dans ce courant de libéralisation, certains gouvernements ont décidé de démanteler leurs politiques. D’autres, tel que le gouvernement canadien, défendent toujours la pertinence de leur intervention dans le cadre des négociations commerciales actuelles2. Cette prise de position du gouvernement et des producteurs laitiers canadiens se fonde sur leur capacité potentielle à faire respecter la gestion de l’offre dans le cadre des négociations de libéralisation commerciale de l’OMC. Bien que l’introduction du concept de « produits sensibles » dans l’Accord-cadre de l’OMC publié en juillet 2004 soit apparue comme une première étape vers la reconnaissance du rôle particulier joué par certaines productions agricoles, cette stratégie de négociation n’est pas garante de succès. De fait, le dernier document officiel publié par l’OMC en 2008 (cf. Comité de l'agriculture 2008) propose des 2 Soutien accordé, entre autres, lors du vote unanime à la Chambre des communes visant la défense de la gestion de l’offre lors des négociations à l’OMC (cf. Chambre des communes 2005). 3 modalités de libéralisation ambitieuses, dont certaines pouvant limiter considérablement la portée du concept de « produits sensibles », du moins par rapport aux besoins canadiens3. Le cycle actuel de négociations à l’OMC rencontre toutefois des difficultés qui laissent présager la possibilité d’un échec et par conséquent le report à une date indéterminée de l’adoption d’un nouvel accord de libéralisation en agriculture. Ceci n’élimine pas pour autant les contraintes auxquelles doit faire face présentement le secteur laitier canadien. En effet, avant même le lancement du Cycle de Doha en 2001, Parent (1999) recensait trois défis que le secteur allait avoir à relever, soit l’impact des plaintes internationales, la diminution progressive des tarifs et enfin l’importation de plus en plus importante d’ingrédients laitiers. Ces deux dernières contraintes sont aujourd’hui particulièrement problématiques, comme l’a démontré une étude commandée par le Conseils des industriels laitiers québécois (CILQ) et réalisée par le Groupe AGÉCO (2007) : même sans nouvel accord à l’OMC, l’accroissement de la valeur du dollar canadien et l’utilisation sans cesse plus importante d’ingrédients laitiers importés ont pour effets de fragiliser la protection du marché intérieur, l’un des piliers de la gestion de l’offre canadienne. À ce contexte d’incertitude politique et de concurrence étrangère accrue, s’ajoutent également les défis provenant de la gestion nationale du mécanisme de gestion de l’offre dans le secteur laitier. Déjà en 1994, Schmitz et coll. (1994) affirmaient que si un démantèlement du système devait survenir, ce serait dû aux querelles internes entre les producteurs des différentes provinces au sujet des parts de marché nationales (p.141). De fait, le fonctionnement du système repose sur la volonté des provinces de respecter les règles communes de mise en marché. Dans le contexte d’incertitude actuel, certaines provinces pourraient éventuellement décider de se retirer du contingentement et d’augmenter leur production, ce qui entraînerait un déséquilibre de l’offre canadienne, 3 Le Canada aurait besoin d’inscrire de 8 à 13 % de ses lignes tarifaires afin d’inclure l’ensemble des produits sous gestion de l’offre dans la catégorie des produits sensibles. Le texte de juillet 2008 propose de limiter le pourcentage de lignes dans un intervalle de 4 à 6 %. 4 réduisant du coup l’efficacité du mécanisme. Bien qu’un tel scénario ne semble pas à l’ordre du jour à court terme, il ne peut être totalement écarté pour autant4. À la lumière de cette situation, il faut donc s’interroger sur la pérennité du système de gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien. Le risque qu’il doive être, à terme, abandonné, est une éventualité qu’il est nécessaire de considérer. 1.2. Les conséquences probables d’une réforme de la politique laitière canadienne L’éventualité d’un démantèlement du système de gestion de l’offre dans le secteur laitier reporte notre attention sur les implications économiques à prévoir. En effet, la gestion de l’offre dans le secteur laitier a été adoptée afin de résoudre, à moindres coûts pour les gouvernements, les problèmes de niveau et de stabilité du revenu des producteurs (Gouin 1987 p.1). Toute modification apportée au système mènera probablement à la révision de ces objectifs, mais aussi à celle des moyens mis en œuvre pour les atteindre. Bien que cette question se posera surtout lors de l’élaboration d’une politique laitière alternative, elle devra également faire l’objet d’une analyse lors du processus éventuel de réforme de la politique actuelle. De fait, l’étude du risque relié à un démantèlement du système de gestion de l’offre et de ses conséquences probables pour le secteur laitier fait, depuis quelques années, l’objet d’un nombre grandissant de recherches. De façon générale, l’intérêt porté à cette question s’explique par l’ampleur qu’a pris le courant de libéralisation commerciale depuis le début des années 90, à la suite de la conclusion de nombreux accords internationaux, régionaux et bilatéraux. En effet, pour plusieurs observateurs, cette tendance constitue un compte à rebours annonçant, à terme, l’ouverture du marché canadien et l’abandon subséquent de la gestion de l’offre (cf. Larue 1994; Meilke et coll. 1998; Barichello 1999; Romain et Sumner 2001; Gifford 2006). Alors qu’au cours des années 80 les détracteurs de la gestion de l’offre ont appelé à la réforme en s’appuyant essentiellement sur des considérations 4 Voir à ce sujet la discussion sur le partage interprovincial du quota dans le secteur du poulet. L’Alberta, notamment, réclame un nouveau mode de partage basé sur la croissance de la population, ce à quoi le Québec 5 d’efficacité économique (cf. Schmitz et coll. 1994), ils invitent aujourd’hui le secteur à s’ajuster afin de pouvoir faire face à « la forte et irréversible tendance » vers la libéralisation des marchés5 (Romain 2001, p.1). Différentes conséquences économiques pourraient découler d’une éventuelle réforme du système de gestion de l’offre, parmi lesquelles les possibilités de perte de revenus et de réduction de la valeur des actifs, dont celle des quotas (OCDE 2005, p.57). En effet, une estimation possible de la valeur conférée aux quotas est le prix auquel ils sont transigés par le biais des systèmes provinciaux de vente. En fait, il est généralement admis que ce prix reflète la valeur présente du flux de bénéfices annuels supplémentaires que procurera cet investissement aux producteurs (Grubel et Schwindt 1977, p.30). Bien que grossière6, cette estimation met en évidence la nature spéculative de cet actif7, dont la valeur représente aujourd’hui plus de 50 % du coût moyen d’acquisition d'une exploitation. Sachant qu’une réforme de la politique laitière pourrait remettre en question non seulement la pertinence du contingentement, mais aussi le niveau anticipé de rentabilité du secteur, la valeur de cet actif, dont l’achat s’effectue le plus souvent à partir d’emprunts amortis sur de longues périodes, pourrait être réévaluée à la baisse et fragiliser du même coup la viabilité financière de plusieurs entreprises. Cette perspective est accentuée par le fait que les mécanismes de fixation du prix du lait payé au Canada, qui maintiennent les prix au-dessus de ceux observés aux États-Unis, pourraient également être abandonnés. Plus problématique encore pour la rentabilité future du secteur, l’accroissement des investissements dans les quotas a été supérieur à celui des recettes des entreprises au cours des dernières années, accentuant le niveau d’endettement des entreprises (Barichello et coll. 2006 p.169). s’oppose (Gagné 2008). 5 Un rapport récent de l’OCDE (2008, p.164) étudiant la politique agricole canadienne affirme d’ailleurs que « même si la réforme peut être éludée pour le moment, elle est en fin de compte inévitable ». 6 Il suffit de mentionner que depuis 2000, il y a eu en moyenne moins de 4 % des quotas québécois disponibles qui ont été transigés annuellement par le biais du Système centralisé de vente de quotas (Nos calculs à partir de Groupe AGÉCO 2006). 7 Une vaste littérature s’est intéressée à la prise de valeur des quotas transigés dans les différents secteurs sous gestion de l’offre au Canada (voir Wilson et Sumner 2004). Nonobstant les paramètres communs d’investissement (ex. les taux d’intérêts), certains facteurs explicatifs sont souvent cités, dont le niveau des prix administrés, le degré de productivité des entreprises et le risque perçu de démantèlement de la politique (Lipert 2001, p.52). 6 Bien que sommaires, ces données mettent en évidence que d’importantes pertes économiques pourraient résulter d’une déréglementation du secteur, ce qui aurait pour effet d’affecter profondément la structure et la viabilité financière de certaines des entreprises qui y évoluent. Ce constat est d’ailleurs partagé par la plupart des auteurs ayant étudié des scénarios de libéralisation du secteur laitier au Canada. Même ceux estimant l’industrie suffisamment compétitive pour faire face à une concurrence étrangère accrue (cf. Meilke et coll. 1998; Barichello 1999; Romain 2001; Romain et Sumner 2001), admettent qu’une rationalisation s’ensuivra, où tous ne sortiront pas gagnants. 1.3. Réforme de politiques publiques et mesures de transition gouvernementales Toute réforme de politique publique, à l’image de celle que pourrait traverser le système de gestion de l’offre, entraîne nécessairement le secteur concerné dans une période de transition. Un tel processus ne peut alors manquer de créer des opportunités pour certains intervenants, mais aussi des coûts importants pour plusieurs autres (Quinn et Trebilcock 1981). Selon le degré d’ajustement exigé par la réforme, les gouvernements peuvent alors être appelés à intervenir par le biais de politiques de transition afin d’atténuer les pertes encourues. Compte tenu de l’intérêt croissant porté à l’analyse d’une éventuelle réforme dans le secteur laitier canadien, il est normal de constater que ce questionnement sur le besoin d’avoir recours, ou non, à des aides de transition soit de plus en plus fréquemment soulevé dans la littérature8. Toutefois, le traitement de cet enjeu demeure toujours limité. La majorité des auteurs se limitent encore à mentionner que le secteur aura à subir des pertes, dont celles relatives à la valeur des quotas, tout en évitant d’aborder en profondeur la question9, sinon en invoquant le besoin d’accorder une compensation (cf. Standbury 2002; Charlebois 2007). 8 Ce questionnement n’est évidemment pas nouveau. Certains auteurs dont Walker (voir Grubel et Schwindt 1977 p.xvi) et Forbes et al. (1982) en ont déjà fait mention, mais ils l’ont abordé de façon très superficielle. 9 Plusieurs auteurs s’entendent par ailleurs pour dire que l’évolution récente des prix des quotas ne s’expliquerait que par une perception réduite du risque de démantèlement du système ou, plus exactement, par 7 Seules quelques réflexions plus approfondies ont été proposées. Parmi les premières, mentionnons celle de Lermer et Stanbury (1985) qui ont estimé, à l’aide d’une approche coûts-bénéfices et sous certaines hypothèses, les gains qui résulteraient du démantèlement de la gestion de l’offre et ce, en tenant spécifiquement compte du versement d’une compensation aux producteurs. Plus récemment, Gifford (2006) et Lipert (2001) ont jugé qu’il serait préférable d’offrir des mécanismes de rachat des quotas, tandis que l’OCDE (2008) évoque aussi l’idée d’en émettre progressivement de nouveaux afin d’en faire diminuer la valeur. Pour leur part, Barichello et coll. (2006) ont envisagé différents scénarios, dont celui d’instaurer un marché temporaire de quotas de transition et celui de rembourser les quotas, soit à leur prix d’achat ou encore à leur valeur actuelle. Ils s’inspirent ainsi d’expériences étrangères, mais aussi canadiennes, en matière de politiques de transition. Une analyse des effets économiques de certaines mesures de transition pouvant être utilisées lors d’un processus de libéralisation commerciale a quant à elle été proposée par Larue et Gervais (2007). Toutefois, malgré ces propositions, force est de constater que l’analyse du dédommagement qui pourrait être nécessaire à la suite d’une réforme du système de gestion de l’offre au Canada reste à approfondir. Ce constat se retrouve d’ailleurs dans le Rapport de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, dans lequel on déplore le refus de certains intervenants « d’envisager ou d’évoquer même des scénarios ou des mécanismes de transition qui tiendraient compte d’une éventuelle ouverture accrue des marchés pour les produits sous gestion de l’offre » (p.27). Le rapport invite plutôt les « acteurs du secteur agricole et agroalimentaire, tout en défendant ce système, […] à planifier l’avenir en tenant compte de quelques options » (p.61). Lipert (2001, p.5) affirme d’ailleurs que « further research is necessary to determine the feasibility of compensating producers for the loss in quota values as a result of a return to a competitive milk market ». la certitude d’être compensé dans l’éventualité d’une réforme. Ils considèrent que les variables économiques, telles que la demande pour les produits laitiers, les prix de soutien et les taux d’intérêt, n’ont pu à elles seules mener à une telle croissance de la valeur des quotas (Barichello et coll. 2006; Larue et Gervais 2007). 8 1.4. Problème soulevé, questions et objectifs de recherche En somme, malgré un soutien politique indéniable, le système de gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien est confronté à des défis majeurs et l’éventualité qu’il doive un jour faire l’objet d’une réforme est une option qui doit être considérée. Par ailleurs, il est envisageable qu’un tel démantèlement cause un choc économique significatif pour le secteur, que ce soit par le biais d’une baisse des prix aux producteurs ou par celle de la valeur de certains actifs, dont les quotas. Dans ce contexte, les gouvernements pourraient être appelés à intervenir afin de faciliter la transition du secteur vers un environnement économique libéralisé. Toutefois, malgré la reconnaissance du besoin éventuel d’intervenir et des implications budgétaires que de telles mesures pourraient avoir, peu d’études se sont attardées jusqu’ici à étudier systématiquement les modes d’intervention qui pourraient être déployés dans le secteur laitier canadien. Pourtant, l’étude de cet enjeu permettrait de mieux appréhender une réforme et les coûts qui en découleraient. Compte tenu de « l’infinie variété de scénarios possibles » (Grubel et Schwindt 1977 p.xiv), il est évidemment difficile de proposer un plan précis de compensation. Conscient des limites posées par l’incertitude entourant la nature d’une éventuelle réforme, ce travail a pour objectif général de contribuer à approfondir et à structurer la réflexion déjà amorcée dans la littérature quant aux modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne. De fait, il importe de se questionner sur la nature et la portée des mesures auxquelles le gouvernement canadien pourrait avoir recours lors d’une réforme. Plus précisément, ce mémoire tente de répondre aux questions suivantes : • Face au phénomène de réformes de politiques publiques, quels sont les principes économiques fournis par la théorie et la littérature quant aux types d’interventions gouvernementales pouvant être adoptés pour y faire suite ? • De quelles façons ces principes peuvent-ils être transposés à une expérience réelle de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier canadien ? L’approche de recherche choisie privilégie le recours à une analyse des concepts théoriques retrouvés dans la littérature traitant des mécanismes de dédommagement utilisés lors de 9 réformes de politiques publiques. Afin de circonscrire le sujet à ses aspects fondamentaux, ce mémoire se limite à l’étude des considérations d’ordre économique. L’analyse s’appuie essentiellement sur des sources de données secondaires et sur la littérature scientifique disponible. Plus précisément, une démarche en deux temps, comprenant une partie à caractère théorique et une autre dédiée à l’analyse empirique, est proposée. Ainsi, au chapitre 2, l’évolution du paradigme politique d’intervention en agriculture et son influence sur le processus de réforme observé au cours des dernières années sont exposées en lien avec les fondements théoriques dominants sur lesquels reposent ces projets. Ensuite, à partir d’un recensement effectué dans la littérature, les principales mesures de transition envisageables pour faire suite aux conséquences des réformes induites par le paradigme actuel d’intervention sont décrites et catégorisées. Afin d’approfondir la compréhension du choix d’intervenir par le biais de ces mesures, les justifications normatives pouvant légitimer leur utilisation sont considérées et leur portée explicative étudiée. L’objectif de cette démarche est de caractériser les types d’interventions possibles selon leurs finalités et de définir les raisons pour lesquelles ces mesures sont, en théorie, proposées. Ayant exposé à la fois les moyens d’intervention à la disposition des gouvernements pour l’élaboration de politiques de transition, ainsi que les principes théoriques sous-tendant de telles mesures, il est proposé, dans un deuxième temps, d’étudier la façon dont ce cadre peut se transposer à une expérience réelle de réforme, tel un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne. Pour ce faire, une démarche structurée autour de cas vécus de réformes en agriculture est adoptée. En effet, compte tenu de la nature fictive du projet de démantèlement de la politique laitière canadienne et de la portée limitée des approches théoriques, une analyse des politiques de transition qui ont été mises en œuvre au Canada et à l’étranger est privilégiée. Le chapitre 3 décrit l’approche méthodologique développée pour y arriver. Afin de pouvoir inférer, des analyses effectuées, des enseignements applicables à une éventuelle réforme du secteur laitier canadien, les cas à l’étude sont sélectionnés selon leur degré de correspondance avec le fonctionnement des mécanismes d’intervention privilégiés par la politique laitière canadienne. Six cas de réforme ont été retenus, soit ceux de la politique de 10 transport du grain de l’Ouest canadien, du secteur ontarien de la tabaculture, des secteurs laitiers australiens et helvétiques, des arachides américaines et du sucre européen. Pour les étudier, un cadre d’analyse est ensuite défini sur la base de la démarche descriptive proposée, entre autres, par Martini (2007) et Harris (2005), et selon la catégorisation normative développée au chapitre 2. Notons que l’approche privilégiée ne s’intéresse pas à la capacité d’ajustement du secteur, mais se concentre plutôt sur les caractéristiques des mesures de transition adoptées, en lien avec le contexte de réforme dans lequel elles s’inscrivent. Plus précisément, cet exercice est mené en deux étapes, soit en : • cernant les composantes du secteur visé faisant l’objet d’une intervention et en définissant les types de mesure de transition alors privilégiés; • évaluant, au travers des mesures de transition adoptées, la présence d’une forme de transposition du « test de compensation » décrit par le cadre théorique. Afin d’évaluer à quel degré les principes économiques d’intervention définis dans la littérature sont transposés lors d’un processus réel de réforme, une analyse individuelle des cas retenus est menée au chapitre 4. Le chapitre 5 propose, quant à lui, une analyse transversale des résultats obtenus de façon à faire émerger les principales tendances émanant des modes d’intervention post-réforme privilégiés par les pays à l’étude. La portée de ces tendances est également étudiée, en lien avec la réalité du secteur laitier canadien. Enfin, les conclusions de ce mémoire sont présentées. En somme, ce projet se propose d’étudier à la fois les fondements théoriques sous-jacents à une politique de transition, mais aussi d’évaluer un vaste éventail de modalités possibles qui pourraient définir les mesures de compensation offertes aux producteurs laitiers canadiens à la suite d’une réforme du secteur. Ce faisant, il vise à contribuer aux réflexions actuelles sur l’avenir de la politique agricole canadienne et québécoise, en plus de poursuivre les travaux menés dans la littérature sur le fonctionnement de la politique laitière canadienne et sur son impact sur l’évolution du secteur. 2. Réforme de politique publique et principes économiques d’intervention Depuis le début des années 80, un grand nombre de secteurs agricoles, répartis dans la plupart des pays développés, ont vécu de profondes révisions des politiques commerciales et réglementaires qui les encadraient depuis le milieu du 20ième siècle. Cette tendance a été particulièrement lourde dans le cas des politiques très interventionnistes, à l’image de celle utilisée dans le secteur laitier canadien. La plupart des modèles d’intervention similaires retrouvés à l’étranger ont d’ailleurs été démantelés au profit d’un environnement économique libéralisé. Ce processus de réforme en agriculture renvoie au questionnement sur le rôle que l’État doit jouer au cours de la période de transition devant être traversée. S’il est généralement admis que l’État a, en tant qu’acteur économique, une responsabilité en matière d’allocation des ressources, d’ajustement dans la distribution de la richesse et de stabilisation de l’économie (Musgrave 1959), les mesures qu’il doit adopter afin de les remplir à la suite d’une réforme sont rarement définies. De façon simplifiée, il est possible de concevoir cette transition comme la période au cours de laquelle le gouvernement retire ses mécanismes d’intervention interférant avec le marché et facilite la restructuration du secteur concerné par le biais de politiques ciblées (Coleman 2001, p.224). Toutefois, la réalité du processus est souvent plus complexe, car les effets préjudiciables d’une réforme sont souvent importants. En fait, comme le rappelle Kubota (2006, p.4), bien que « de nombreux travaux se sont intéressés aux effets potentiels d’une réforme […], très peu d’études ont été consacrées à la manière de faire face à ses répercussions ». C’est d’ailleurs ce deuxième volet de recherche, soit la manière de faire face aux répercussions d’une réforme, qui nous intéresse dans le cadre de ce mémoire. En effet, l’éventualité d’une réforme du système de gestion de l’offre canadien impose d’approfondir cet enjeu de façon à pouvoir évaluer les différentes politiques que le gouvernement canadien pourrait mettre de l’avant afin de faire face aux répercussions possibles d’un démantèlement. Ce chapitre s’intéresse aux mesures de transition pouvant 12 être adoptées dans le cadre d’une réforme de politique agricole, ainsi qu’aux principes économiques qui en sous-tendent l’utilisation. Plus précisément, le changement de paradigme dans lequel s’inscrit le courant de réforme observé en agriculture est étudié dans un premier temps. Il appert que le marché, en tant que concept économique, occupe aujourd’hui une place centrale dans la façon dont sont évaluées les politiques gouvernementales, ce qui ouvre la porte à un vaste agenda de réforme en agriculture. Afin de mieux saisir la portée de ce paradigme, les fondements théoriques le supportant, regroupés essentiellement dans le cadre de l’économie du bienêtre, sont exposés. Malgré les gains attendus, la théorie économique aussi bien que les études empiriques reconnaissent que d’importants coûts d’ajustement peuvent être observés à la suite d’une réforme, impliquant ainsi l’existence de perdants. Des mesures de transition peuvent alors être mises de l’avant afin de pallier ces pertes. Il en existe différents types et une catégorisation conceptuelle de ceux-ci est proposée, selon les objectifs poursuivis et les modalités de mise en œuvre les caractérisant. Enfin, afin d’approfondir l’étude des réponses gouvernementales possibles à la suite d’une réforme, les différentes justifications avancées pour légitimer le recours à des mesures de transition sont abordées. La littérature économique en recense trois principales, soit l’efficacité, l’équité et les considérations d’ordre politique. La dernière section de ce chapitre est ainsi dédiée à l’étude de chacune afin d’évaluer leur portée explicative en pratique. 2.1. Évolution du paradigme d’intervention en agriculture Plus de vingt ans après le lancement du cycle d’Uruguay où, pour la première fois, était abordé le projet de libéraliser le commerce agricole à l’échelle internationale, force est de constater que le courant de réforme observé en agriculture continue à prendre de l’ampleur. Face à un tel phénomène, il n’est plus possible de parler d’une simple conjoncture économique temporaire : les facteurs incitatifs en cause sont beaucoup plus fondamentaux. 13 De fait, différentes raisons peuvent inciter à enclencher une réforme : elles peuvent soit résulter d’une crise économique sévère, soit de pressions externes – souvent internationales – ou encore d’un courant de pensée, tel un paradigme, venant influencer les choix sociaux et politiques (Freytag et Renaud 2007). Bien que la pondération de ces causes soit une question qui relève de l’analyse de cas, chacune joue néanmoins un rôle déterminant et leur portée peut être significative dans le déroulement du processus de réforme. En effet, toute réforme de politique publique s’inscrit dans un environnement dont les composantes, politiques ou économiques, influencent la façon dont elle sera menée et ce, tant au niveau des incitatifs qui la commandent (Pitlik 2007), qu’au niveau de la réponse gouvernementale qui y fait suite (Elkins et Simmons 2005). Considérant l’éventualité d’une réforme de la politique laitière canadienne, la prise en compte de cet environnement devient particulièrement déterminante. Ainsi, l’adoption de la Loi sur la Commission canadienne du lait en 1966 ayant mené à la création subséquente de la politique laitière canadienne s’est inscrite, au même titre que de nombreuses politiques agricoles au sein des pays développés, dans un paradigme d’intervention pouvant être décrit comme celui du développement assisté (cf. Coleman 1998; Coleman 2001). Dans le cadre de ce paradigme, l’agriculture était vue comme un secteur stratégique de développement national, évoluant au travers d’une économie de marché. Les gouvernements ont ainsi cherché à la fois à accroître la productivité et l’efficacité de la production agricole, mais aussi à soutenir les revenus des producteurs et à les protéger de la compétition étrangère. Pour y arriver, les modèles d’intervention combinant mécanismes de soutien des prix à régulation de marché ont été privilégiés, à l’image de ceux existants dans le secteur laitier canadien. À l’échelle internationale, les conséquences observées de ces mesures n’ont toutefois pas mené aux résultats escomptés10. En fait, face aux crises agricole et financière des années 80, un paradigme politique alternatif a émergé en agriculture, soit celui du marché libéral (Coleman 2001). Ses principes directeurs se résument comme suit : l’agriculture est un secteur économique comme les autres ne devant pas faire l’objet d’intervention 14 particulière ; les revenus des producteurs ne devraient provenir que du marché ; seuls les producteurs pouvant atteindre la rentabilité par le biais des prix compétitifs doivent demeurer en production ; chaque entreprise est responsable de se procurer des assurances privées pour couvrir ses pertes. Autrement dit, en matière de développement agricole, le marché doit prendre préséance sur le gouvernement et l’efficacité sur l’équité (Coleman et coll. 1996, p.275-6). Ce changement de paradigme, qui s’inscrit d’ailleurs dans un courant politique beaucoup plus vaste11, a influencé, dans une large mesure, l’orientation de nombreux projets de réforme en agriculture au cours des dernières années. En fait, cette nouvelle perspective du rôle économique de l’État se retrouve aujourd’hui au cœur du processus décisionnel et le secteur agricole n’y fait pas exception. Ainsi, il a été admis, dans la déclaration ministérielle de l’OCDE de 1987, qu’une « réforme concertée des politiques agricoles sera mise en œuvre d'une manière équilibrée » de façon à « faire en sorte que, par la réduction progressive et concertée de l'aide à l'agriculture, ainsi que par tous les autres moyens appropriés, les signaux des marchés influencent l'orientation de la production agricole ; il en résultera une meilleure allocation des ressources, dont bénéficieront les consommateurs et l'économie en général » (cf. OCDE 1987). Notons qu’un programme de réforme similaire caractérise les travaux de diverses organisations internationales, telle l’Organisation mondiale du commerce (OMC), auxquels adhèrent les pays qui en sont membres. Il importe de souligner que l’agenda de réforme actuel propose une démarche prospective, dissociée de la situation économique en vigueur. Autrement dit, un secteur n’a pas à traverser une crise pour qu’un appel à la réforme soit formulé; il suffit qu’il évolue dans un environnement interventionniste, à l’image de celui qui a caractérisé les politiques agricoles instaurées dans le cadre du paradigme de développement assisté. En effet, en s’inscrivant 10 Les limites de ce modèle d’intervention sont apparues dès le début des années 70. Parmi les principales, notons l’accumulation de surplus, la saturation des marchés domestiques et internationaux, la diminution des prix et des revenus aux producteurs et l’augmentation des coûts budgétaires. 11 Le « compromis keynésien », légitimant l’intervention gouvernementale dans le cadre de l’économie de marché, a fait place, face à la stagflation des années 70, à une idéologie politique alternative reconnue sous le nom de « néolibéralisme ». Cette dernière privilégie une croissance économique fondée sur une stimulation de l’offre qui exige la diminution des contraintes sur les marchés, remettant ainsi en question l’intervention de l’État dans l’économie (Échaudemaison et coll. 2002, p.342). Ce paradigme a mené à un courant de libéralisation, caractérisé par un processus de déréglementation et de privatisation (Levi-Faur 2003), qui s’est répercuté dans tous les secteurs de l’économie à l’échelle internationale (Lall et Latsch 1998). 15 dans la perspective du paradigme du marché libéral, tout projet de réforme visant à libéraliser un secteur économique est perçu comme une occasion d’accroître son efficacité et d’assurer une meilleure allocation des ressources dans l’économie par le biais des mécanismes de marché (Kubota 2006, p.4). Rappelons que ce constat – la supériorité des marchés sur l’intervention gouvernementale – auquel adhèrent les tenants du paradigme du marché libéral repose sur les fondements de la théorie économique néoclassique. Plus précisément, l'idée que le marché12 puisse coordonner efficacement les mécanismes d'allocation des ressources s'appuie sur les principes de l'économie du bien-être – exposés à la section suivante – qui stipulent que les marchés compétitifs sont suffisants pour générer l'efficacité (Przeworski 1992). Comme le rappelle Gowdy (2004, p.240), il n’est pas exagéré d’affirmer que l’entièreté de la théorie microéconomique moderne appliquée à l’analyse de l’intervention gouvernementale relève de cette idée, formellement enchâssée dans la théorie économique du bien-être. L’implication politique en découlant est considérable, puisque, comme le soulignent Lall et Latsch (1998, p.437-8), « the policy prescription that emerges is that where […] interventions exist their rapid removal is best policy prescription ». 2.2. Réforme et théorie économique : introduction aux fondements de l’économie du bien-être Formellement, l’économie du bien-être est la branche de l’économie qui s’intéresse à l’analyse des politiques publiques. À plusieurs égards, elle peut être perçue comme la sphère normative des théories microéconomiques, puisque la notion de « bien-être » fait 12 Notons à ce stade que le concept de marché, tel qu’utilisé dans la théorie néoclassique, est controversé, bien qu’il y occupe une place centrale, à la fois en tant qu’objet d’étude, mais aussi en tant que paradigme d’analyse du phénomène économique. En fait, si le marché est généralement considéré comme un mode de coordination du comportement économique, de création de prix et d’allocation efficace des ressources (Cusin et Benamouzig 2004, p.176), il fait rarement l’objet d’une définition explicite. Bärwolff (2001, p.3) note d’ailleurs que « the notion of the market, it appears, is a crucial yet highly ambiguous concept at the very core of economics ». En effet, les recensements de la littérature effectués par des auteurs ont mis en évidence un manque de réflexion systématique sur la notion de marché et ce, tout particulièrement dans le domaine des sciences économiques (Lie 1997; Rosenbaum 2000). Lie va jusqu’à affirmer que le marché représente le « noyau vide » au cœur de l’économie (1997, p.342), tandis que Rosenbaum déplore la tendance qu’ont les économistes à prendre le marché pour acquis, alors qu’il existe d’autres mécanismes de coordination des 16 référence au concept d’utilité13 développé par les théoriciens néo-classiques (Échaudemaison et coll. 2002). Plus précisément, l’économie du bien-être s’intéresse aux moyens d’assurer une allocation optimale des ressources afin d’atteindre le niveau maximal de « bien-être » pour les individus de la société, compte tenu de la distribution des revenus observée (Richard et coll. 2004). 2.2.1 Une référence normative : le critère de Pareto Le principal attrait de l’économie du bien-être réside dans le fait de pouvoir comparer et hiérarchiser différentes situations (états) selon le niveau d’utilité totale qu’elles présentent. De fait, la nouvelle économie du bien-être, à l’opposée de l’ancienne14, permet de « définir les conditions économiques à satisfaire pour que l’allocation des ressources soit optimale sans recourir à des comparaisons interpersonnelles d’utilité » (Weber 1997, p.22). Pour y arriver, le critère de Pareto, qui constitue aujourd’hui le fondement de cette discipline, a été proposé : Un changement politique est socialement désirable si, suite au changement, tous les individus bénéficient d’un niveau de bien être supérieur ou, si au moins un individu est bénéficiaire sans que cela n’affecte le niveau de bien être des autres (Richard et coll. 2004, p.14). Cette définition permet de reconnaître les changements politiques qui offrent une amélioration au sens de Pareto, autrement dit qui augmente le niveau de bien-être global par rapport à un état initial, sans affecter négativement celui d’aucun. Cette interprétation est donc relative aux différents états qui sont comparés. Dans la mesure où la société se échanges économiques (2000, p.457). Cette réflexion prend ici tout son sens, compte tenu du rôle clé joué par ce concept dans le paradigme politique actuel. 13 L’utilité peut être vue comme un indicateur de la satisfaction que procure à une personne la consommation d’un panier de biens. Elle est généralement estimée par le biais d’une fonction mathématique qui représente la relation de préférence du consommateur par rapport à différents paniers de biens possibles (Guerrien 2002, p.528-9). Les relations de préférence s’appuient elles-mêmes sur un certain nombre d’axiomes parmi lesquels des hypothèses comportementales (Jehle et Reny 2001). Pour une critique du concept tel qu’utilisé dans le cadre de l’économie du bien-être, voir, entre autres, Sen (1987). 14 Développée par des auteurs tels que Pigou, Ricardo et Marshall, l’ancienne économie du bien-être s’appuyait sur l’utilitarisme et assumait, entre autres, que l’utilité des individus était observable et comparable cardinalement. Il était admis qu’une fonction d’utilité collective sommant l’utilité de tous les individus pouvait être estimée (Guerrien 2002, p.528). Bien que permettant la hiérarchisation différentes situations, 17 retrouve dans une situation où il n’y a plus d’amélioration possible, l’état alors atteint sera dit Pareto-optimal. Cette interprétation absolue du critère de Pareto se définit comme suit : « L’allocation des ressources est optimale (ou efficace), et par conséquent le bien-être de la collectivité est à un maximum, s’il n’est plus possible, par une modification de l’allocation, d’améliorer le bien-être d’une personne au moins sans que personne ne souffre » (Weber 1997, p.22). Cette perspective supplémentaire implique qu’un état sera Pareto-optimal uniquement dans la mesure où il n’existe aucune inefficience dans l’allocation des ressources disponibles dans la société. Pour cette raison, le critère de Pareto est également vu comme un critère d’efficience et, comme le rappelle Jehle et Reny (2001, p.171), ce concept est omniprésent dans l’analyse économique des politiques. 2.2.2 L’optimum de Pareto et l’équilibre compétitif Bien que le critère de Pareto soit dépourvu de considérations institutionnelles relatives à la société, il existe néanmoins une relation étroite entre ce concept et celui de marché, tel qu’entendu dans la théorie économique néoclassique (Richard et coll. 2004). Cette relation, bâtie sur des théorèmes mathématiques, forme d’ailleurs le fondement de la théorie économique du bien-être et est responsable de son influence normative sur l’économie (Gowdy 2004). D’un point de vue théorique, cette relation s’appuie sur l’existence, dans un marché en compétition pure et parfaite, d’un équilibre compétitif, se définissant comme le prix auquel la demande des consommateurs et l’offre des producteurs se rencontrent de façon à satisfaire tous les besoins, sans laisser de surplus. L’existence de ce prix a été démontrée mathématiquement, sous certaines hypothèses (cf. Arrow et Debreu 1954). Puisqu’un tel équilibre assure une allocation optimale des ressources entre les individus participant librement au marché, ce dernier constitue donc un optimum au sens de Pareto. C’est ce que stipule le premier théorème de l’économie du bien-être : cette approche reposait sur des fondements critiqués et exigeait le recours à des jugements de valeur contestables (cf. Robbins 1935). 18 1ier théorème : Lorsqu’un équilibre compétitif (walrasien) existe, ce dernier constitue un optimum à la Pareto. Autrement dit, peu importe l’allocation initiale des ressources entre les individus, s’ils sont en mesure de mener des échanges par le biais d’un système complet de marchés15, alors l’allocation d’équilibre sera telle qu’il sera impossible d’allouer les ressources de façon à améliorer le bien-être d’un individu sans affecter celui d’un autre. Compte tenu de son optimalité, l’état décrit par le premier théorème est dit le choix de « premier rang »16. Sur une base théorique, toutes entraves au fonctionnement d’un marché compétitif, tels les échecs de marché17, éloignent la société d’un état Pareto-optimal. Tous les états secondaires seront alors dits des choix de « second rang »18. Par ailleurs, bien que le premier théorème stipule qu’un système complet de marché puisse permettre de passer d’une distribution initiale non efficiente à un état optimal au sens de Pareto, il ne garantit en rien que la distribution d’équilibre sera socialement jugée la meilleure (Jehle et Reny 2001, p.203). C’est ce à quoi répond le second théorème de l’économie du bien-être : 2ième théorème : « Toute affectation des ressources qui est un optimum de Pareto peut être considérée comme une affectation des ressources d’équilibre concurrentiel, pour des prix appropriés » (Guerrien 2002, p.175). Ce théorème suppose qu’un système complet de marchés peut atteindre n’importe quel optimum de Pareto simplement en distribuant la propriété des ressources et en prescrivant 15 L’existence d’un système complet de marchés est une hypothèse « selon laquelle il existe pour chaque bien d’une économie un prix unique et une forme d’organisation sociale qui permet aux agents d’effectuer les transactions qu’ils désirent à ce prix » (Guerrien 2002, p.506). Elle repose sur l’absence d’incertitude ou encore d’externalité. 16 Traduction de « first-best choice ». Notons que ce premier théorème est également appelé le théorème de la main invisible, car il reprend l’idée avancée par Adam Smith à l’effet que des individus égoïstes voulant maximiser leur utilité et des firmes intéressées par leurs seuls profits sont les mieux à même d’atteindre le meilleur équilibre possible pour la société, compte tenu de la rareté des ressources (Richard et coll. 2004). 17 Les défaillances les plus souvent étudiées sont les externalités (production – consommation), les monopoles naturels et les biens publics, bien qu’il y en ait d’autres, tels les problèmes de marchés incomplets, d’information imparfaite et de compétition imparfaite (Stiglitz 1991). 18 La théorie du second-best choice, développée par Lipsey et Lancaster (1956), stipule que lorsque des distorsions existent sur les marchés, une intervention gouvernementale corrective peut mener l’économie en un point plus rapproché de l’optimum social (Richard et coll. 2004, p.538). Notons que Lipsey (2007, p.356) a récemment critiqué la portée de cette théorie : « In practical situations, as opposed to theoretical models, we do not know the necessary and sufficient conditions for achieving an economy-wide, first-best allocation of 19 des prix appropriés pour lesquels les consommateurs vont maximiser leur utilité et les firmes, leurs profits. Autrement dit, si un état optimal d’équilibre n’est pas socialement désirable, il peut être modifié en redistribuant tout simplement les ressources entre les individus, leurs interactions menant subséquemment à un nouvel équilibre optimal19. Cette intervention est souvent reléguée au gouvernement, qui peut agir de façon ex ante en établissant les conditions de marché, ou de façon ex post en redistribuant la richesse (OCDE sd, p.10). En somme, comme le souligne Weber (1997), « ce double critère, normatif d’allocation optimale des ressources et positif d’équilibre économique en concurrence parfaite, occupe une place de choix en économie publique » (p.29)20. 2.2.3 Efficacité et équité : le principe de compensation Le résultat du second théorème de l’économie du bien-être implique qu’il existe une multitude d’optimum à la Pareto qui sont également des équilibres compétitifs et que chacun d’eux est associé à une distribution initiale des ressources qui leur est propre. Ce faisant, il permet de distinguer clairement l’enjeu de l’efficacité économique de celui de l’équité (Stiglitz 1991, p.4). Cette séparation, fondamentale dans l’économie du bien-être21, constitue par ailleurs une limitation à la portée normative du critère de Pareto. En effet, ce critère ne constitue pas un guide permettant de choisir la solution Paretooptimale idéale d’un point de vue social, puisqu’il n’admet pas de comparaison lorsque les resources. Achieving an economy-wide second best optimum allocation looks even more difficult than achieving the first best ». 19 Ce deuxième théorème peut d’ailleurs être interprété différemment : un équilibre compétitif permet d’atteindre toutes les allocations des ressources Pareto-optimales possibles après qu’un transfert monétaire direct initial ait été effectué de façon à distribuer les richesses selon les proportions jugées souhaitables (Blaug 2007). 20 La validité de ces théorèmes est cependant loin de faire consensus. Par exemple, l’historien de l’économie Mark Blaug (1997, p.255) affirme que « these beautiful theorems are mental exercises without the slightest possibility of ever being practically relevant ». De même, faisant référence au premier théorème, Stiglitz (1991, p.5) affirme que « Adam Smith's invisible hand may be invisible because, like the Emperor's new clothes, it simply isn't there ». Il n’appartient cependant pas à ce mémoire de traiter de leur validité, mais plutôt de les exposer en tant que composantes fondamentales du paradigme du marché libéral. 21 Blaug (1985, cité dans Gowdy 2004, p.253) souligne: « If we refuse, even in principle, to distinguish allocative efficiency from distributive equity, we must perforce reject the whole welfare economics and with it any conventional presumption in favour of competitive markets, and indeed, in favour of the price mechanism as a method of allocating scarce resources ». La validité de cette distinction est cependant contestable également (cf. Stiglitz 2000). 20 états devant être évalués présentent des différences marquées en matière de distribution du bien-être, le point de référence n’étant plus le même22 (Feldman et Serrano 2006, p.196). Pour ce faire, le recours à une fonction du bien-être collectif est nécessaire. Seulement alors l’équilibre proposé décrit l’état devant être atteint et informe sur la nature des transferts à effectuer afin d’accroître le niveau d’utilité de la collectivité. Toutefois, ce type de fonction, qui classe « selon un ordre de préférence les divers états réalisables d’une économie » (Guerrien 2002, p.529), requiert une comparaison cardinale de l’utilité des individus, ce qui rend son utilisation controversée23. En fait, comme le souligne Cowen (2000), il faut distinguer la théorie parétienne ordinale du bien-être24 – qui s’appuie essentiellement sur le critère de Pareto – des analyses coûtsbénéfices qui représentent la branche appliquée de l’économie du bien-être. S’appuyant essentiellement sur les mêmes fondements théoriques, l’approche coûts-bénéfices permet quant à elle de comparer tous les états possibles et ce, sur la base des gains que chacun génère, comparativement à ses coûts. Cette évaluation élargie des états Pareto-efficients est possible grâce au principe de compensation, tel qu’initialement défini par Kaldor (1939) et Hicks (1939) : Principe de compensation : Un état sera préféré à un autre si et seulement si, en effectuant la transition, les gagnants sont en mesure de compenser les perdants de façon à ce qu’il y ait au moins un 22 Cette affirmation est souvent soutenue à l’aide d’une représentation graphique simplifiée. Il est cependant possible de citer certaines des limites. Ainsi, compte tenu qu’il n’existe aucune alternative supérieure à un optimum à la Pareto, il est impossible de pouvoir comparer deux états Pareto-efficients, bien qu’ils puissent présenter une allocation des ressources très différente. D’autre part, dans la mesure où une amélioration du bien-être est possible (ex. : changement technologique), une multitude d’alternatives Pareto-efficientes se présenteront, sans que le critère puisse en privilégier une en particulier. De même, le recours au critère de Pareto favorisera le statu quo, puisqu’en référence à un état initial, les alternatives d’amélioration du bien-être seront limitées par les choix faits en matière de distribution initiale (Richard et coll. 2004, p.29-31). 23 Plus précisément, le problème lié à ce type de fonctions est de définir la nature de la relation de préférences qui n’est pas ici celle des individus (sous entendue par la théorie économique), mais plutôt celle de la collectivité dans son ensemble, constituée de membres dont les intérêts ne sont pas toujours les mêmes (Guerrien 2002, p.529). 24 Cette théorie peut elle-même être décomposée en différents concepts reliés, mais néanmoins indépendants. C’est le cas du « welfarism », stipulant que le bien-être social ne peut être évalué qu’en relation avec l’utilité des individus, et de la règle de préférence à la Pareto. Rien n’oblige en effet que le bien-être collectif augmente avec les utilités individuelles, ce qu’exige le critère de Pareto. Cette nuance est mince, mais déterminante au niveau de la cohérence de certains fondements théoriques (voir Sen 1979). 21 individu qui bénéficie du changement sans qu’aucun n’en soit pénalisé (Richard et coll. 2004, p.32)25. Malgré l’approche « ordinale » préconisée par l’économie du bien-être, l’évaluation des politiques par le biais du principe de compensation requiert, pour être menée, une estimation quantitative des variations de « bien-être ». Pour ce faire, les analyses ont généralement recours aux mesures de « volonté de payer » proposées par Hicks. Ces dernières permettent d’évaluer l’intensité des préférences d’un individu pour une situation vis-à-vis une autre en mesurant le montant d’argent que ce dernier est prêt à payer (variation compensée) ou est prêt à recevoir (variation équivalente) pour passer d’une situation à une autre (Richard et coll. 2004)26. Par conséquent, le revenu, plutôt que le bienêtre, est véritablement mesuré27. Malgré cette simplification, la méthodologie de calcul demeure néanmoins hasardeuse28. Il importe de souligner que dans sa formulation originale, ce principe implique une compensation potentielle, car le paiement effectif de la compensation dépend dans les faits d’un jugement de valeur29. Ce faisant, les états évalués par le biais de ce critère sont décrits 25 Pour éviter que le test puisse être renversé, on ajoute à cette définition le double critère de Scitovszky (1941) : un état potentiellement Pareto supérieur doit permettre aux gagnants de compenser les perdants sans que ces derniers aient la possibilité de payer ces éventuels bénéficiaires afin d’éviter que le changement d’état ait lieu. 26 Les analyses coûts-bénéfices estiment dans les faits le surplus du consommateur/producteur, car cette valeur est la seule donnée pouvant être obtenue à partir des prix de marché et des quantités consommées. Willig (1976) a par ailleurs démontré que la mesure du surplus était une estimation raisonnable des variations effectives du bien-être. 27 Cette limite n’est pas la seule liée à l’utilisation de ce principe. Par exemple, tout comme le critère de Pareto, le principe de compensation n’admet pas la hiérarchisation d’états qui sont optimaux. De même, ce critère mène à des classements intransitifs si les situations évaluées sont toutes des choix de second rang. Pour cette raison, il est d’un intérêt décisionnel limité s’il n’y a pas, parmi les alternatives considérées, un (et seulement un) état qui est Pareto-efficient (Richard et coll. 2004). Pour une description des principales limites du principe de compensation et de l’économie du bien-être en général, voir Gowdy (2004) et Jongeneel et Koning (1999). 28 Par exemple, ces mesures reposent sur un modèle découlant de la théorie des choix rationnels qui n’expriment pas nécessairement avec justesse le véritable comportement individuel et collectif (cf. Gowdy 2004). Parmi les autres points débattus, notons le choix du taux d’actualisation et celui de la pondération des groupes. Ce dernier point est particulièrement important, car il repose sur un « jugement de valeur » (Richard et coll. 2004, p.258)! Notons que la plupart des analyses coûts-bénéfices sont menées dans une perspective égalitariste, car chaque groupe ne compte que « un » (Kanbur 2003), mais plusieurs autres pondérations sont envisageables (voir Brent 1984). 29 Comme l’indique Hicks (1939, p.711), « whether or not compensation should be given in any particular case is a question of distribution, upon which there cannot be identity of interest, and so there cannot be any generally acceptable principle ». Kanbur (2003, p.32) parle d’ailleurs d’une « compensation de principe » plutôt que d’un « principe de compensation ». 22 comme étant potentiellement Pareto supérieurs30. Dans la mesure où la compensation n’est pas effectivement versée, ces états sont fondamentalement différents de ceux dits Pareto-efficients, car ils impliquent, contrairement à ces derniers, la coexistence de gagnants et de perdants qui découle du changement proposé (Gowdy 2004). Ces principes – et leurs fondements – sont déterminants dans l’analyse économique des politiques publiques. Ceci peut d’ailleurs s’illustrer en référant à l’exemple de la libéralisation commerciale, abondamment étudié dans la littérature s’intéressant aux gains d’efficacité liés aux processus de réforme. Ainsi, parmi les principaux résultats cités, on retrouve ceux de Dixit et Norman (1980; 1986). Ces derniers ont démontré que le libreéchange était Pareto-supérieur à l’autarcie dans la mesure où les gains retirés de la libéralisation étaient transférés aux perdants par le biais de paiements forfaitaires, ou encore en ayant recours à des taxes et subventions (Facchini et Willmann 2001). Autrement dit, la supériorité de cet état repose sur la démonstration que le libre-échange est potentiellement Pareto supérieur à l’autarcie31 (Keenan et Snow 1999). Bien qu’il ne revienne pas à ce mémoire d’analyser la validité des hypothèses supportant ces conclusions32, cet exemple est intéressant, puisqu’il illustre la relation liant les fondements de la théorie du bien-être aux projets de réformes inscrits dans le paradigme du marché libéral. En somme, l’économie du bien-être repose sur trois notions fondamentales qui forment le cœur du paradigme du marché libéral et structurent l’approche normative en matière d’intervention gouvernementale dans l’économie33. Tout d’abord, l’efficacité à la Pareto 30 Mentionnons qu’un état « potentiellement Pareto supérieur » (PPS) n’implique pas en soi une augmentation du bien-être. Cette amélioration n’est réelle qu’à condition que la compensation soit versée, à défaut de quoi seule une augmentation de la richesse peut être observée (Kapstein 1998). En fait, de nombreux économistes, en faisant référence à des concepts comme le « revenu réel agrégé », la « productivité potentielle » ou encore « l’efficacité allocative », confèrent à un PPS une signification quasi-physique très controversée qui repose nécessairement sur une interprétation – rarement assumée – du concept (Jongeneel et Koning 1999, p.9 et ss.). 31 Le principe de compensation se concentre sur les états attendus et non sur les états effectivement observés. Keenan et Snow (1999, p.216) rappellent que « only in this manner can it be argued that free trade is socially preferred to autarky, since the actual free-trade outcome need not Pareto dominate the actual outcome in autarky. The reasoning is that, at least in principle, redistribution could always have been arranged so that the free-trade outcome did Pareto dominate autarky, and the fact that this redistribution did not occur does not detract from the economic case for free trade ». Ce résultat s’appuie sur le test de compensation de Samuelson non exposé ici. 32 Ce résultat s’appuie entre autres sur des conditions de plein-emploi et une mobilité parfaite des ressources, dont le réalisme été critiqué par certains auteurs. Voir Davidson & Matusz (2006). 33 Cette influence est particulièrement forte dans le cadre de la réforme de l’État providence et en commerce international. Dans le premier cas, si l’analyse ne prend pas en compte l’effet des filets sociaux sur 23 constitue le point de référence auquel tout « état » économique doit être comparé. Ensuite, le marché, dans sa perspective néoclassique, est l’institution la mieux à même d’atteindre un état Pareto-optimal. Enfin, afin d’élargir la portée analytique du critère de Pareto, il est nécessaire d’admettre que le changement d’un « état » à un autre cause des préjudices à certains individus tout en bénéficiant à d’autres. Le changement sera privilégié seulement s’il respecte le critère de compensation, autrement dit si les gains d’efficacité surpassent les coûts, nonobstant les considérations relatives à la distribution des ressources. D’un point de vue théorique, le transfert prévu est généralement un paiement forfaitaire34 dénué de coûts de transaction. Il est cependant admis que le versement effectif de cette « compensation » relève d’un « jugement de valeur », car il n’est pas nécessaire à l’atteinte potentielle d’un état de bienêtre supérieur. Il importe de noter qu’en rendant optionnelle cette compensation, la théorie concède la coexistence de gagnants et de perdants à la suite du changement proposé. Compte tenu de l’influence du paradigme du marché libéral dans le processus de réforme observé en agriculture et du rôle prépondérant occupé par l’économie du bien-être dans l’analyse qui en est faite, ce constat apparaît déterminant. Pour cette raison, la place occupée par cette théorie – et plus précisément par la logique induite par le « test de compensation » – dans les processus réels de réformes doit être évaluée. Mais dans un premier temps, il importe de considérer la nature des coûts pouvant être supportés par les perdants à la suite de l’adoption de telles réformes. 2.3. Les effets préjudiciables des réformes de politiques publiques Selon le paradigme du marché libéral et ses fondements théoriques, une réforme est souhaitable si les gains d’efficacité surpassent les coûts estimés. Dans les faits, la réalisation des bénéfices attendus et l’équité de leur redistribution entre les intervenants l’économie (moins d’incertitude et confiance dans l’État), un retrait des programmes gouvernementaux impliquera nécessairement un gain potentiel important, mais omettra l’effet redistributif (Jongeneel et Koning 1999, p.7). 34 Suivant Larue et Gervais (2007, p.8), un paiement forfaitaire est défini comme un transfert qui ne cause pas de distorsions au niveau des décisions de production et de consommation. 24 affectés demeurent des questions débattues (cf. Atkinson 1996; Letza et coll. 2004; Cornia 2005). L’existence de « perdants » au cours et suivant la réforme est toutefois chose admise, tant d’un point de vue empirique que théorique. Bien que la nature et l’importance des coûts imposés puissent varier selon les cas, leur existence apparaît souvent comme la principale contrainte à l’agenda de réforme préconisé par les tenants du paradigme du marché libéral (Matusz et Tarr 1999)35. En fait, Brander et Spencer (1994, p.240), en se référant au théorème de StolperSamuelson36, rappellent que même dans un monde purement néoclassique, une réforme occasionnera des pertes pour certains agents économiques. En effet, bien que le fonctionnement d’une économie parfaitement compétitive n’admette pas d’inefficience dans l’allocation des ressources, l’existence de coûts liés à l’ajustement est reconnue à partir du moment où certaines hypothèses sur son fonctionnement sont abandonnées. Trebilcock et coll. (1990) font ainsi référence aux coûts de dislocation lorsqu’une partie de la production est perdue à cause de la rigidité de la mobilité des ressources, et de coûts d’ajustement pour décrire les dépenses nécessaires à la réallocation des facteurs de production dans l’économie. Bhagwati (1982, p.3-4), prenant l’exemple d’un ajustement suivant une libéralisation des échanges, reconnaît aussi la présence de ces coûts, comme le présente la Figure 1. Celle-ci schématise une économie avec deux biens, dont l’un est importé et l’autre exporté. La libéralisation a alors pour effet de modifier les prix relatifs de ces biens, déplaçant l’équilibre du point A au point C sur la frontière de production. Toutefois, en admettant des coûts reliés à la mobilité des ressources, le parcours d’ajustement passe à l’intérieur de la frontière. La transition est donc caractérisée par le point B qui implique un coût social découlant d’une réduction de la production. 35 Kubota (2006, p.4) affirme d’ailleurs que les effets préjudiciables des réformes « sont l’une des principales raisons pour lesquelles les pouvoirs publics ont du mal à réformer leurs politiques ». 36 Ce théorème, développé en commerce international, prédit que la libéralisation bénéficiera, dans une économie donnée, aux secteurs détenant d’abondants facteurs de production, mais nuira à ceux en possédant le moins. Ce constat est souvent cité dans la littérature sur la libéralisation des échanges (voir Davidson et Matusz 2004, p.3-4). 25 Bien importé Figure 1 : Ajustement lorsque les ressources ne sont pas parfaitement mobiles A B C Bien exporté Source : Adapté de Bhagwati (1982) Au point de vue de l’analyse, il importe de distinguer les coûts privés d’ajustement des coûts sociaux. Ainsi, en se référant à la Figure 1, la transition du point A au point C induira potentiellement des coûts privés (effet de redistribution), mais seule la diminution de la production passant par le point B sera considérée comme un coût social (perte d’efficacité). Notons que la distinction entre ces deux composantes joue un rôle fondamental dans les analyses menées dans le cadre de l’économie du bien-être. En effet, les mesures effectuées pour le « test de compensation » ne tiennent compte, dans les faits, que des coûts sociaux et non de la distribution des coûts privés (Matusz et Tarr 1999, p.3). Conséquemment, une réforme peut être jugée souhaitable malgré d’importants coûts privés37. Ajoutons que la définition normative des mécanismes d’intervention et de leurs bases justificatrices – exposées à la section suivante – repose aussi sur cette distinction. L’existence de tels coûts est commune à tous les secteurs économiques, mais peut toutefois affecter de façon particulière l’agriculture, compte tenu de la nature distinctive de la production et du niveau de protection élevé dont ce secteur a bénéficié au cours des 37 Les coûts privés sont variés et affectent à la fois les firmes, les individus et les communautés. Ils proviennent aussi bien d’une dévalorisation des actifs, d’une réduction des revenus fonciers, ou encore d’une perte d’ancienneté. S’y ajoutent également les effets psychologiques (cf. Trebilcock et coll. 1990, p.10). 26 dernières années. Ainsi, en abordant le cas précis d’une réforme d’une politique agricole, Martini (2007) décrit de la manière suivante les effets préjudiciables possibles : « Les politiques agricoles peuvent être capitalisées dans la valeur des actifs, en particulier la terre et des éléments de patrimoine tels que les quotas. Pour les agents économiques du secteur – agriculteurs, salariés agricoles et industries d’amont ou d’aval – la réforme peut se traduire par une baisse de revenu ou une perte d’emploi. Les agriculteurs peuvent être dans l’impossibilité de recouvrir le coût de leurs investissements si une réforme en modifie les rendements, en particulier lorsque la politique qui vient d’être réformée favorisait l’investissement » (p.3). Cette citation met en évidence le nombre et la diversité des contrecoups possibles suivant une réforme d’une politique agricole, aussi bien en amont du secteur qu’en aval. La Figure 2, adaptée des travaux de Blandford et Boisvert (2007) sur les réformes des politiques agricoles, en offre une lecture plus systématique, bien que simplifiée. En prenant l’exemple d’une diminution des prix de soutien, les auteurs distinguent les chocs économiques envisageables, des groupes pouvant être affectés et des ajustements possibles. Figure 2 : Réforme d'une politique agricole et enjeux d'ajustement Révision de la politique Conséquences économiques Groupes affectés Enjeux de transition Capacité de gestionnaire Contrepoids Agriculteurs Travail hors-ferme ↓ Soutien ↓ Revenus agricoles ↓ Valeur de location ↓ Valeur des capitaux Relocalisation Retraite Contrepoids ↑-↓ Prix à la production Filet de sécurité ↑-↓ Prix des intrants Propriétaires Source : Adapté de Blandford et Boisvert (2007) ↓ du niveau de vie 27 Ainsi, les revenus agricoles apparaissent comme le principal facteur pouvant être affecté, mais le sont également la valeur des actifs fixes (ex. : la terre) que ce soit directement, ou encore indirectement par le biais de la réduction de la capitalisation des entreprises. Il est en effet admis que le soutien accordé à l’agriculture se transpose généralement dans le prix des actifs fixes (cf. Floyd 1965). Selon la nature de la réforme, les actifs légaux, tels les quotas, peuvent être tout particulièrement dévalorisés. Certains actifs agricoles quasi-fixes (bâtiments – machinerie), de part leur spécificité, peuvent également accroître l’importance des pertes. Notons que différents paramètres économiques, comme l’évolution des prix à la production et ceux des intrants, pourront accentuer ou atténuer l’ampleur des chocs, rendant ainsi très complexe l’évaluation des conséquences économiques d’une réforme. La partie droite du schéma trace quant à elle la relation existant entre les pertes anticipées et les groupes affectés. Notons que Martini (2007, p.20) ajoute aux agriculteurs et propriétaires fonciers représentés sur le schéma, les employés agricoles. En effet, ces derniers peuvent être libérés par la réforme et faire face à des pertes salariales et à des frais de relocalisation significatifs38. S’impose alors la question de l’ajustement, qui peut se définir comme le processus de réallocation des ressources individuelles afin de s’adapter au changement (Hopkins et coll. 2007, p.192). Cette aspect est intéressant, car si la littérature économique traite abondamment des conséquences des réformes, les enjeux relatifs à la transition sont rarement abordés39 (Levy et Vanwijnbergen 1995, p.739). À cet égard, l’ajustement structurel, soit le rythme auquel les producteurs abandonnent la production, représente pour Blandford et Boisvert (2007, p.241) le principal enjeu de la transition, bien que d’autres paramètres soient aussi à considérer. En fait, la capacité d’ajustement du secteur, autrement dit la facilité avec laquelle les intervenants s’adaptent au nouvel environnement 38 La littérature dédiée aux coûts d’ajustement découlant des réformes s’est d’ailleurs essentiellement concentrée sur l’analyse de ceux affectant la main-d’œuvre à la suite d’une libéralisation commerciale. 39 Quinn et Trebilcock (1981, p.1) rappellent d’ailleurs que les analyses économiques conventionnelles, en se limitant à mesurer les gains et les coûts, sous-estiment souvent le processus d’implantation de la réforme. Par exemple, des évènements imprévus peuvent survenir dans le courant du processus et alors affecter les retombées attendues. 28 économique, est le facteur qui déterminera dans quelle mesure les retombées de la réforme seront positives ou négatives pour le secteur et l’économie en général (Rodrik 1989)40. C’est donc dans le but de faciliter cet ajustement ou encore de pallier les pertes occasionnées qu’est alors envisagé le recours à une politique de transition de la part des gouvernements. La prochaine section propose une description des différentes approches décrites dans la littérature. 2.4. Mesures de transition envisageables suivant une réforme : une conceptualisation Afin de suppléer aux pertes induites par les réformes41 et de réduire leurs conséquences possibles sur le développement du secteur, le recours à des aides gouvernementales est souvent envisagé. Dans cette perspective, une vaste gamme d’interventions s’offre au législateur, variant tant au niveau des objectifs pouvant être poursuivis que des modalités du soutien pouvant être adoptées. Pour cette raison, le concept de mesure de transition est proposé. Dans le cadre de ce mémoire, une mesure de transition est définie comme toute intervention prévue et adoptée préalablement ou à la suite d’une réforme d’une politique publique. Ce concept n’englobe ici que les mesures accompagnant spécifiquement la réforme du secteur concerné et exclut les modalités rattachées à la façon dont cette dernière est menée. Autrement dit, des programmes de soutien universel et permanent – tel l’assurance chômage – ne sont pas considérés. De même, les actions relatives au déroulement de la réforme, que Orden et Diaz-Bonilla (2004) nomment « stratégies de réforme », ne sont pas reconnues comme des 40 Rodrick (1989, p.1) résume le principe d’une réforme de la façon suivante: « Consumer benefits aside, trade reform works only to the extent that it moves resources away from sectors where they are less productive […] and into sectors where they will be more productive […]. Hence the success of trade reform can be measured by the extent to which entrepreneurs move labour and capital in response to the reform ». 41 Soulignons que notre analyse ne s’arrête pas à un type de réforme en particulier, bien que nous nous intéressons à celles qui s’inscrivent dans le paradigme du marché libéral. Ainsi, à l’instar de Martini (2007), les réformes considérées « peuvent être une diminution de toute forme d’aide budgétaire interne, toute réduction du soutien des prix, y compris dans le cadre d’un accord commercial qui réduit la protection aux frontières, ou toute nouvelle obligation réglementaire qui alourdit les charges des producteurs » (p.8). 29 mesures de transition42, mais plutôt comme un type de facteur contextuel au même titre que les causes menant à la décision de réformer la politique en question. Certaines interventions visant à faciliter la transition d’un secteur réformé, comme les mesures tarifaires et les politiques macroéconomiques, ne sont pas non plus considérées43 (cf. Trebilcock et coll. 1990; Harris 2005). Cette perspective, tout en limitant la portée de l’analyse, permet toutefois de circonscrire l’étude des réponses gouvernementales accompagnant une réforme aux mesures les plus significatives et pertinentes. Une fois la gamme d’interventions délimitée, il importe dans un deuxième temps de les différencier les unes par rapport aux autres. En effet, bien que le soutien prévu dans le cadre d’une réforme soit couramment considéré comme étant une compensation, les mesures de transition se distinguent significativement par les objectifs et les effets sur lesquels elles se fondent. De fait, il est possible d’en recenser quatre types distincts dans la littérature économique, soit la mesure d’ajustement, celle d’indemnisation – aussi dite de compensation44 – celle d’assistance et enfin, la réinstrumentation (cf. Brander et Spencer 1994; Harris 2005; Kubota 2006; Blandford et Hill 2007; Larue et Gervais 2007; Martini 2007). Il importe ici de les différencier. Une synthèse de leurs principales caractéristiques est exposée au Tableau 1 à la fin de la section. 2.4.1 La mesure d’ajustement La mesure d’ajustement a pour finalité d’agir sur le rythme et le degré d’adaptation du secteur à la suite de la réforme de la politique en vigueur. Du point de vue économique, cette mesure sert à faciliter la transition d’un équilibre à un autre en assouplissant les 42 Il est, par exemple, possible d’agir sur le rythme auquel la réforme est menée. Ainsi, en étudiant le cas d’une libéralisation tarifaire, Mussa (1984) a démontré que le fait d’ajuster le rythme d’ouverture des marchés permettait, dans certains cas, d’augmenter l’efficacité du processus d’ajustement. Kaplow (Kaplow 1986; 2003) cite d’autres types d’approches, dont l’affranchissement (exclusion des individus soumis à l’ancienne politique), l’implantation partielle (similaire au gradualisme) et le report de l’implantation. Aucune n’est ici considérée comme une « mesure de transition ». 43 Les obligations commerciales internationales du Canada rendent difficilement envisageable le recours à des mesures tarifaires (bien que des clauses de l’Accord sur l’agriculture puissent permettre certaines actions), tandis que les politiques macroéconomiques (taux d’intérêts, taux de change, etc.) sont surtout considérées dans le cadre de réformes globales entreprises dans les pays en développement (Stiglitz et Charlton 2006). 30 contraintes affectant la mobilité des ressources (Larue et Gervais 2007, p.2). Il est possible de distinguer les mesures d’ajustement à caractère « économique » de celles à caractère « légal ». Ces dernières prennent la forme de modifications apportées aux lois et règlements encadrant le secteur réformé. Elles constituent des mesures d’ajustement dans la mesure où elles favorisent le fonctionnement du marché en permettant une plus grande mobilité des capitaux physiques45, favorisant du même coup le passage d’un équilibre économique à un autre (Trebilcock et coll. 1990). Les mesures à caractère « économique », plus communes, sont « specifically and explicitly channelled into concrete, definable and defensible adjustment activities such as specific investments in infrastructure, better marketing, help to provide public environmental services, provision of information, diversification or training » (Buckwell et coll. 1998). Plus précisément, elles sont classées par Kubota46 (2006, p.4-5) en deux catégories, selon leurs effets attendus. Ainsi, les premières, pouvant être dites structurelles, cherchent à aider les producteurs à quitter le secteur ou à se reconvertir en partie dans des activités non agricoles. Elles regroupent des programmes de retraite anticipée ou encore de formation visant à développer des compétences autres qu’agricoles. Paradoxalement, cette catégorie d’intervention peut aussi viser à prévenir la restructuration du secteur, si celle-ci est jugée non souhaitable au point de vue de l’efficacité économique47 (Trebilcock et coll. 1990; Evans-Klock et coll. 1999). Cette approche – peu commune – s’applique surtout à la main- 44 Le recours au concept de compensation peut cependant porter à confusion. En effet, certains programmes de soutien développés aux États-Unis ou en Europe, comme les paiements compensatoires, y font référence, mais dans un autre contexte. Pour cette raison, le terme « indemnisation » est privilégié. 45 Blandford et Hill (2007, p.264) rappellent d’ailleurs le rôle vital que joue la mobilité des facteurs de production – particulièrement la terre – lors du processus de restructuration suivant une réforme, car un transfert aisé de ces facteurs est nécessaire à ceux souhaitant quitter le secteur. Des règlements de zonage ou des contrats d’achat trop restrictifs peuvent nuire à l’ajustement. 46 Notons que cette catégorisation de recoupe celle proposée par Blandford et Hill (2007), qui classent les mesures d’ajustement selon les individus qu’elles concernent – les employés, les firmes et la collectivité – et selon leurs conséquences structurelles. 47 Des chocs économiques peuvent impliquer à court-terme une restructuration inefficace du capital et du travail s’il est anticipé que la demande pour ces facteurs pourra s’accroître par la suite (Lawrence et Litan 1986, p.20-1). Le fait de subventionner la production et de maintenir des emplois peut aussi se révéler moins coûteux qu’une augmentation du chômage et des prestations publiques à verser qui s’ensuivent. 31 d’œuvre au sein des entreprises et peut prendre la forme d’une prise en charge d’une partie des salaires lors d’une récession48. La seconde catégorie d’interventions vise quant à elle à améliorer la compétitivité ou la viabilité des exploitations qui choisissent de demeurer en production en misant sur la quantité et la qualité du stock de capital disponible. Elles se divisent elles-mêmes en deux groupes, soit celles apportant un soutien individuel, tel des prêts temporaires, et celles qui sont destinées à la collectivité dans son ensemble, comme des aides au développement des infrastructures agricoles. Mentionnons que de façon générale, les mesures à caractère « économique » visent à faire face aux répercussions à court et moyen terme des réformes et n’impliquent pas nécessairement un transfert monétaire direct (Martini 2007). La Figure 3 présente les différentes facettes d’une mesure d’ajustement. Figure 3 : Les différents types de mesure d'ajustement Mesure d’ajustement Interventions économiques Structurelle Sortie Diversification extra-sectorielle (Formation) Abandon (Retraite) Interventions légales Compétitivité Maintien Collective Ralentir la restructuration des capitaux (Charges salariales) Stock (Financement d’infrastructure) Stock (Prêts temporaires) Qualité (Institution à la commercialisation) Qualité (Formation) Individuelle Conditions de marché Modifications au cadre réglementaire régissant les conditions de marché influençant la mobilité des capitaux (impôt sur le capital) Source : Conceptualisation développée à partir des travaux de Blandford et Hill (2007), Kubota (2006), Larue et Gervais (2007), Martini (2007), Trebilcock et coll (1990) et Harris (2005). 48 Un exemple appliqué à l’agriculture est donné par Harris (2005, p.9), qui cite le Exceptional Circumstances Program australien qui vise à soutenir les producteurs « viables » pour des pertes dues à des situations climatiques allant au-delà d’une gestion du risque normale. 32 2.4.2 La mesure d’indemnisation La mesure d’indemnisation se définit comme un transfert monétaire direct versé à un groupe ciblé d’individus ayant subi un préjudice (Larue et Gervais 2007; Martini 2007). Cette mesure est caractérisée par son caractère temporaire (date de cessation connue), qu’elle soit accordée en une seule occasion ou encore répartie en plusieurs versements. Elle se distingue également par sa nature inconditionnelle. En effet, une indemnisation, telle que définie dans ce mémoire, ne doit être liée à aucune obligation d’ajustement de la part du bénéficiaire49. Conséquemment, l’impact structurel attendu par cette mesure ne sera pas le même que celui découlant d’une mesure d’ajustement, bien que l’indemnisation puisse contribuer significativement à la restructuration du secteur (Blandford et Hill 2007, p.267). De fait, Harris (2005) considère que cette mesure présente un fort degré d’incitation à l’ajustement, car l’absence de « conditions » laisse le bénéficiaire choisir librement de son avenir, là où les mesures conditionnelles sont restrictives. Il est possible de distinguer les indemnités versées pour compenser la perte de revenu, de celles visant à pallier la réduction de la valeur des actifs ou encore de celles suppléant aux frais incombant de la transition, tels que les coûts administratifs (Blandford et Berkeley 2007, p.266; Martini 2007). Elles peuvent soit être octroyées à l’opérateur de l’entreprise (l’agriculteur) ou encore aux propriétaires des actifs dévalorisés, si une distinction existe entre ces individus. Notons que dans la mesure où le soutien gouvernemental tend à se capitaliser dans les actifs fixes, la compensation des revenus permet indirectement d’indemniser pour la dévalorisation des actifs. Bien que peu communes dans le cadre des réformes agricoles selon Blandford et Boisvert (2007, p.242), les indemnités constituent néanmoins un type d’intervention couramment utilisé dans le cadre de réformes réglementaires, telles que les expropriations (cf. Blume et Rubinfeld 1984; Miceli et Segerson 1995), le renforcement des normes environnementales 49 L’aspect inconditionnel d’une indemnité ne doit pas être confondu avec les conditions d’éligibilité. Ainsi, pour être dédommagé pour un actif dont la valeur a été dépréciée à la suite d’une réforme, un propriétaire peut être tenu d’avoir posséder ce dernier au cours d’un nombre minimal d’années, sans pour autant être obligé d’adopter un comportement restructurant, comme d’abandonner la production par exemple. 33 (cf. Doyon et Nolet 2006), ainsi qu’à la suite de catastrophes naturelles (Vorstenbosch 2000; OCDE sd). 2.4.3 La mesure d’assistance Dans le cas où une aide monétaire directe est octroyée sous conditions d’ajustement, il est alors nécessaire de se référer à la notion d’assistance (cf. Quinn et Trebilcock 1981; Brander et Spencer 1994), également définie comme une mesure d’assistance transitionnelle à l’ajustement par Buckwell et coll. (1998). De fait, ce type de mesure a pour objectif combiné d’offrir un dédommagement financier aux individus pénalisés et de promouvoir l’ajustement par le marché (Aho et Bayard 1984)50, la pondération de chaque composante variant selon le modèle de conception51. L’exemple le plus cité dans la littérature est celui du Trade Adjustment Assistance Program (TAA) américain dont l’objectif est d’assister les travailleurs délocalisés par l’effet de la libéralisation commerciale, ainsi que les firmes dans leurs démarches pour engager de la main-d’œuvre52. Une aide est alors versée sous condition que le bénéficiaire participe à des formations et qu’il entreprenne des démarches pour se relocaliser53 (cf. Baicker et Rehavi 2004). Puisqu’une part importante de la littérature traitant des mesures d’assistance se réfère au TAA, le traitement normatif qui en est fait s’intéresse donc essentiellement à des programmes affectant les salaires et la mobilité de la main-d’œuvre54 qui se transposent 50 Aho et Bayard (1984), en étudiant le TAA, ajoutent un troisième objectif, soit celui de faciliter la libéralisation commerciale. Ce dernier ne s’applique toutefois pas à tous les cas de figure. 51 Notons que la composante « d’indemnité » d’une mesure d’assistance vient souvent en conflit avec celle dite « d’ajustement ». En effet, comme l’indique Quinn et Trebilcock (1981, p.46) « one of the surest ways to bring about adjustment is to provide no assistance, and many particular forms of assistance, aimed at compensating for the burdens imposed by trade liberalization, dampen the incentive to adjust ». Plusieurs auteurs rappellent l’importance de concevoir des programmes spécifiques pour chaque objectif visé et qu’il n’est pas judicieux de rechercher à la fois, par le biais d’une seule mesure, à restructurer un secteur tout en indemnisant les individus pour les pertes subies (Weber 1997; Martini 2007). Traitant du Trade Adjustment Assistance américain, Quinn et Trebilcock (1981, p.46) affirment d’ailleurs que « the crux of these design problems lies in the fundamental incompatibility of 'assistance' and 'adjustment' ». 52 Notons cependant que ce programme ne rentre pas dans notre définition de « mesures de transition », puisqu’il s’est institutionnalisé au fil des années et ne représente plus une mesure spécifique à une réforme particulière. 53 Jusqu’en 2007, ce programme offrait une aide spécifique au secteur agricole prenant la forme d’une assistance technique (mesure d’ajustement) et de subventions (mesure d’indemnisation). 54 Les principales sont : les compensations au chômage, les subventions salariales et le soutien à la réembauche (cf. Davidson et Matusz 2006; Davidson et coll. 2007). 34 difficilement à la réalité d’une réforme agricole (Blandford et Boisvert 2007, p.258; Larue et Gervais 2007). Malgré tout, nombreux sont les auteurs étudiant les réformes agricoles qui privilégient le recours à une mesure de transition combinant à la fois une composante d’indemnisation et des objectifs d’ajustement structurel (cf. Levy et Vanwijnbergen 1995; Buckwell et coll. 1998; Swinbank et Tranter 2004; Blandford et Hill 2007). Toutefois, « l’assistance » est rarement distinguée en tant que mesure de transition à part entière dans cette littérature, car ses caractéristiques la positionnent indistinctement entre la mesure d’ajustement et celle d’indemnisation. Ces auteurs préfèrent ainsi attribuer à l’indemnité (ajustement) un rôle explicite d’ajustement (d’indemnisation) plutôt que de se référer à une notion tierce. Cette distinction est néanmoins jugée souhaitable dans le cadre de ce mémoire. En effet, bien qu’une indemnité puisse contribuer à l’ajustement du secteur si les fonds versés sont utilisés pour améliorer la productivité, au même titre qu’une mesure d’ajustement puisse avoir un caractère compensatoire si elle dédommage les victimes de la réforme, ces effets ne reflètent pas leur véritable finalité. Ainsi, Magee (2001), en se référant à l’exemple du TAA, démontre que ce programme vise autant à faciliter la mobilité de la main-d’œuvre qu’à venir en aide à des catégories d’employés pénalisés par la libéralisation commerciale. L’introduction de la mesure d’assistance vient ainsi clarifier la catégorisation des mesures de transition, tant au niveau normatif qu’empirique55. 2.4.4 La réinstrumentation S’ajoute enfin un dernier type de mesure de transition, soit la réinstrumentation, qui se définit comme « le remplacement d’un instrument d’action par un autre pour continuer à poursuivre un même objectif »56 (Martini 2007, p.7). Contrairement aux trois mesures précédentes, cette dernière n’est pas nécessairement transitoire et peut être mise en place, 55 Cette différenciation est d’autant plus nécessaire que ces différents types de mesures sont des concepts étroitement liés non seulement en pratique, mais aussi théoriquement. Ainsi, Larue et Gervais (2007) vont jusqu’à considérer l’indemnisation comme une mesure spéciale d’ajustement. Une telle généralisation rend cependant l’analyse des cas empiriques beaucoup plus grossière. 56 Harris (2005) fait quant à lui référence au concept de « support compensatoire à long-terme » pour définir l’approche de remplacer un soutien initial par un autre type de support sur une longue période. 35 suivant une réforme, pour une période indéterminée. De même, cette approche peut impliquer l’élargissement au secteur réformé de l’intervention d’un programme existant ou encore la mise sur pied d’une nouvelle gamme de mesures. Dans le cas où la politique d’intervention initiale est remplacée par un système de paiements directs, Orden et Dìaz-Bonilla (2004, p.298) font référence au concept de « rachat du soutien »57, qu’ils définissent comme un processus graduel et partiel réduisant l’intervention de l’État sur les marchés en échange d’une compensation financière directe, continuelle et découplée des choix de production. Cette approche a d’ailleurs caractérisé les programmes de réforme observés aux États-Unis et en Europe au cours des dernières années58. 2.4.5 Sommaire des mesures de transition envisageables Cette section s’est intéressée à circonscrire et à définir les modes d’intervention envisageables afin de pallier les pertes pouvant découler des réformes de politique publique. Plus précisément, le concept de « mesure de transition » a été développé et quatre types de mesure ont été catégorisés, soit celles d’ajustement, d’indemnisation, d’assistance et enfin, de réinstrumentation. Force est de constater que la distinction entre ces mesures est primordiale, puisque leur conception repose sur différents fondements, ne serait-ce qu’au niveau des finalités attendues. Cette catégorisation, exposée au Tableau 1, constitue, conséquemment, un outil permettant de conceptualiser la façon dont un gouvernement choisit d’intervenir lors d’une réforme. Son intérêt est de première importance dans le cadre de ce mémoire, puisqu’il est proposé de cerner la nature des interventions pouvant être adoptées dans l’éventualité d’une réforme du secteur laitier canadien. Notons que cette analyse – menée à partir d’expériences de réformes antérieures – est effectuée aux chapitres 4 et 5. 57 Traduction libre de l’expression « cash-out » proposée par les auteurs. Notons cependant que selon Swinbank et Tranter (2004), les paiements compensatoires européens auraient été conçus, à l’origine, comme une indemnisation temporaire, de même, d’ailleurs, que les Production Flexibility Contract (PFC) américains adoptés en 1996 pour une période de cinq ans – mais maintenus en place à ce jour. 58 36 Avant de procéder à cette analyse empirique, il reste cependant à examiner s’il est possible, sur une base normative, d’anticiper le recours à de telles actions. En effet, sachant que les principes du paradigme du marché libéral, appuyés sur les fondements de l’économie du bien-être, jouent un rôle prépondérant dans le courant de réforme actuel en agriculture, il importe de définir les principes économiques encadrant l’intervention gouvernementale à la suite d’une réforme, ainsi que d’évaluer leur portée explicative. La prochaine section aborde ces enjeux. Tableau 1 : Description des caractéristiques des principales mesures de transition Types de mesure de transition 1 Définitions retenues Ajustement Intervention agissant sur le rythme et le degré d’adaptation du secteur à la suite de la réforme d’une politique en vigueur. Cond. de marché (type légal) Structurelle (type économique) Compétitivité (type économique) Modifications apportées au cadre réglementaire régissant les conditions de marché afin d’assurer une meilleure mobilité des capitaux Dispositifs destinés à aider les individus à quitter le secteur ou à se diversifier. Compte aussi des mesures visant à assurer le maintien de certains capitaux dans le secteur Soutien apporté à l’individu ou à la collectivité afin d’améliorer la compétitivité des entreprises demeurant en activité en misant sur le stock et la qualité du capital. Principales caractéristiques Principaux auteurs (description normative) • Kubota 2006; • Soutien financier et réglementaire direct ou indirect; • Blandford et Berkeley 2007; • Échéance de court à moyen terme; • Larue et Gervais 2007; • Objectifs explicites de réallocation des ressources du secteur. • Martini 2007; • Trebilcock et coll. 1990. • Harris 2005 37 Transfert monétaire direct octroyé à une catégorie ciblée ayant subi un préjudice suivant la réforme d’une politique publique. S’applique : Indemnisation aux pertes de revenus; à la dévalorisation d’actifs; aux charges incombant de la réforme. Est versée : • • • • • Assistance Réinstrumentation à l’opérateur de l’entreprise; au propriétaire des actifs. Mesure ayant pour objectif combiné de dédommager les individus pénalisés par la réforme et de promouvoir l’ajustement par les forces du marché. Remplacement d’un instrument d’action par un autre pour continuer à poursuivre un même objectif. Définie comme un « rachat du soutien » si la politique initiale est remplacée par un paiement direct. • Inconditionnelle à une décision d’ajustement; • Aucune attente prédéterminée en matière d’ajustement; • Transfert monétaire direct; • Blandford et Berkeley 2007; • Larue et Gervais 2007; • Martini 2007. • Harris 2005 • Date de cessation connue. • Soutien direct et temporaire (= indemnisation); • Versement conditionnel à un ajustement (= ajustement). • Nouveau programme ou élargissement d’une intervention existante; • Similaire à l’indemnisation (si paiement direct); • Brander et Spencer 1994; • Buckwell et coll. 1998. • Quinn et Trebilcock, 1981 • Ayo et Bayard 1984 • Martini 2007; • Orden & DìazBonilla 2004. • Harris 2005 • Aucune limite à la durée de versement. 1 Les mesures de transition considérées sont celles prévues et adoptées préalablement ou à la suite d’une réforme d’une politique publique et développées spécifiquement à cet effet. Cette définition exclut les « stratégies de réforme », les mesures tarifaires et les politiques macroéconomiques. 2.5. Les bases justificatrices du recours aux mesures de transition Il est difficile de concevoir une activité gouvernementale qui ne présente pas un enjeu lié de près ou de loin à un processus de transition. En fait, « toute modification d’un programme, 38 d’une politique ou d’une institution peut être jugée comme une réforme de l’action publique » (Martini 2007, p.8) et comme Kaplow (1986, p.516) le rappelle, « all activity other than immediate consumption is potentially affected by changes in government policy ». Autrement dit, il existe une multitude de situations où l’action gouvernementale impose une forme ou une autre d’ajustement aux individus. La reconnaissance de l’omniprésence de « réformes » dans la marche courante des affaires de l’État ne suffit toutefois pas à justifier le recours à des mesures d’ajustement ou d’indemnisation pour chacune d’elles. De fait, les producteurs agricoles sont constamment confrontés au défi de l’ajustement, qu’il provienne de la volatilité des prix ou des aléas climatiques, et de nombreuses ressources, institutionnelles ou autres, sont à leur disposition pour y faire face (Hopkins et coll. 2007). Les interventions à la suite d’une réforme n’en demeurent pas moins chose courante et la littérature économique s’est attardée à expliquer ce phénomène. En fait, il est généralement admis, dans la littérature, qu’il existe trois raisons pouvant supporter l’utilisation de mesures de transition lors d’une réforme. La première a trait à l’efficacité, la seconde à l’équité et la troisième, à des considérations politiques. Ces aspects, tout en n’étant pas les seuls pouvant être invoqués59, servent constamment de point d’appui à l’analyse économique des réformes de politiques publiques et des réponses gouvernementales subséquentes (Quinn et Trebilcock 1981; Aho et Bayard 1984; Lawrence et Litan 1986; Trebilcock et coll. 1990; Magee 2001; Blandford et Berkeley 2007; Larue et Gervais 2007). Il importe de constater que ces trois principales justifications sont, dans les faits, des concepts devant être étudiés au travers de théories développées en économie et en sciences sociales. Par exemple, alors que les considérations politiques sont généralement analysées par le biais du Public Choice, le cadre de l’économie du bien-être se révèle quant à lui pertinent pour aborder les questions relatives à l’efficacité et à l’équité. Ajoutons également 59 Martini (2007), dans son étude sur le rôle des indemnisations dans le processus de réforme, y ajoute la question des obligations d’ordre juridique. De même, des enjeux moraux – pouvant être liés à la question de l’équité – sont aussi quelques fois soulevés (Quinn et Trebilcock 1981; Trebilcock et coll. 1990; Vorstenbosch 2000; Moulin 2003). Des aspects institutionnels, que ce soit au niveau de la structure des organisations qu’au niveau des précédents historiques, jouent également un rôle. 39 que ces justifications sont liées aux mesures de transition décrites à la section précédente. De fait, il est généralement admis que les mesures d’ajustement visent à réduire les coûts sociaux découlant d’une réforme sur la base de considérations liées à l’efficacité économique, tandis que le recours aux indemnisations est davantage motivé par des considérations d’équité (voir Blandford et Berkeley 2007; Larue et Gervais 2007, p.3). Compte tenu de l’objectif de ce mémoire, il importe d’évaluer si ce lien, ainsi que les explications proposées, suffisent pour anticiper les réponses gouvernementales pouvant être mises de l’avant à la suite d’une réforme. Pour ce faire, cette section expose la façon dont ces justifications normatives sont interprétées, en lien avec l’intervention gouvernementale. Les arguments de base sont présentés et les limites – pour les fins de ce mémoire – de cette démarche normative sont mises en évidence. 2.5.1 L’efficacité en tant que justification 2.5.1.1 Signification de la justification Comme le posent simplement Aho et Bayard (1984, p.157), « the efficiency argument for government intervention in the adjustment process is that market imperfections or externalities prevent or impede efficient adjustment ». De fait, la perspective néoclassique de l’économie laisse peu de place à l’intervention gouvernementale accompagnant une réforme puisque advenant un changement dans les conditions de marché, ce modèle suppose que les prix et l’équilibre s’ajusteront rapidement, en n’occasionnant aucun coût à la société (Blandford et Berkeley 2007, p.255). Il a par ailleurs été démontré à la section 2.3 que l’existence de certains coûts sociaux est possible dû à la présence d’imperfections de marché dans l’économie. Mussa (1982), dans ses travaux sur le processus d’ajustement suivant une libéralisation commerciale, rappelle que face à de telles défaillances, il est possible d’avoir recours à une politique optimale (de premier rang) ciblant spécifiquement les distorsions observées de façon à assurer l’allocation efficace des ressources. Dans la mesure où une telle politique ne peut être adoptée, l’auteur reconnaît qu’il est également possible d’intervenir – sous 40 certaines conditions – dans le processus d’ajustement afin d’atteindre des états dits de « second rang »60. Il souligne d’ailleurs que « the general theory of policy intervention suggests that government policies to improve the efficiency of the adjustment process should be directed to correcting distortions that induce the privately perceived costs or benefits » (p.85). Autrement dit, l’objectif d’une intervention efficace vise à créer un environnement économique dans lequel des agents rationnels et maximisant leurs intérêts sont en mesure de prendre des décisions d’investissement éclairées relativement aux coûts et aux gains attendus de l’ajustement61 (Breyer 1982, p.25). C’est ainsi que Bhagwati (1982), qui reconnaît trois types de coûts d’ajustement, soit ceux liés à l’utilisation des ressources nécessaires à la transition, ceux provenant du manque de mobilité des ressources et ceux découlant des imperfections du marché, affirme que seul ces derniers peuvent justifier une intervention de la part du gouvernement sur la base de l’efficacité. Une perspective similaire – mais plus élargie – a été adoptée par Blandford et Hill (2007, p.256-7), qui reconnaissent trois justifications possibles pouvant admettre, sur la base de l’efficacité, une intervention auprès des agents affectés : la présence de défaillances de marché, l’émergence d’une compétition imparfaite et la minimisation des coûts sociaux d’ajustement potentiellement évitables. Plusieurs travaux, appliqués à l’impact de la libéralisation commerciale sur la main-d’œuvre, ont ainsi démontré que de tels coûts peuvent être minimisés – sous certaines hypothèses – grâce à l’adoption d’une intervention efficace62 (cf. Riordan et Staiger 1993; Barry 1995). 60 Comme l’indique Neary (1982, p.40), « the case for assistance is essentially a second-best one ». En effet, les conditions théoriques nécessaires au développement d’une politique efficace (de premier rang) sont peu réalistes, car le financement d’une intervention comporte souvent un coût. Certains auteurs considèrent l’atteinte d’une allocation optimale impossible, ce qui implique, au mieux, un « second-best world » (cf. Harris 2005). Lipsey (2007, p.356) note par ailleurs que « without a model of the general equilibrium that contains most let alone all of the […] sources [i.e échecs de marché], we […] cannot calculate the second best optimum setting for any one source that is subject to policy change ». La validité de cette perspective est ainsi l’objet à de vives controverses. 61 Mussa (1982, p.84) affirme d’ailleurs que « private maximizing behaviour will lead to a socially efficient adjustment process provided that the prices of outputs and factors and the discount rate perceived by private agents correspond to their true social values and provided that the expectations that influence private decisions about adjustment are rational ». Cette perspective repose toutefois sur de très fortes hypothèses théoriques. 62 Les imperfections les plus souvent observées dans la littérature sur les coûts d’ajustement sont celles relatives à la rigidité des salaires, à la congestion des marchés et à l’asymétrie de l’information (voir Riordan et Staiger 1993; Barry 1995). Leur transposition au cas de réformes agricoles est toutefois hasardeuse. 41 Notons que cette perspective néoclassique implique également que du point de vue de « l’efficacité », une mesure de transition peut ne pas être souhaitable. De fait, l’existence de défaillances de marché ne justifie pas, en soi, une intervention publique. Dans certains cas, une défaillance de marché peut être tolérée « car la perte de bien-être qui en résulte pour la société est souvent acceptable et inférieure à celle produite par les dysfonctionnements des gouvernements » (Weber 1997, p.30)63. En effet, le financement de ces mesures comporte un coût – administratif ou de transaction – qui est non nul64, réduisant du coup l’efficacité de la mesure adoptée. Ces coûts peuvent d’ailleurs être particulièrement élevés dans le cas d’une mesure de transition, dû au besoin d’identifier les perdants et d’évaluer leurs pertes (Quinn et Trebilcock 1981, p.32). 2.5.1.2 Portée de la justification Force est de constater que « l’efficacité » en tant que justification peut légitimer le recours à une mesure d’ajustement lors d’une réforme. Il apparaît toutefois plus hasardeux de justifier, sur cette même base, le recours à des mesures de transition impliquant le versement d’une aide directe, telle que l’indemnisation et l’assistance, réunies ici sous le vocable de « compensation ». En fait, à l’exception de la mesure d’ajustement – considérée dans l’exactitude de sa définition – il n’existe pas de consensus dans la littérature quant à la pertinence d’adopter une mesure de transition sur la base de l’efficacité. Le recours à une « compensation » sur la base de l’efficacité s’expliquerait surtout par l’existence de coûts échoués, autrement dit par la perte, irrécouvrable, de valeur d’un investissement. Ceux-ci peuvent alors constituer une source d’importants coûts sociaux et privés qu’il peut être jugé souhaitable de minimiser (Brennan et Boyd 1997). Toutefois, la majorité des auteurs ayant étudié cette question rejette cette perspective (cf. Quinn et Rappelons que la littérature sur la question s’intéresse essentiellement à l’impact de la libéralisation commerciale sur la main-d’œuvre. 63 Rausser et Irwin (1989, p.365) soulignent : « The existence of market failure is a necessary, but not sufficient, condition for government intervention. A sufficient condition is that the loss of economic efficiency in the case of the uncorrected market failure is greater than the loss under the government remedy, accounting for potential failures in the implementation of design policies ». Cette perspective ajoute une composante politique à la question, aspect abordé à la section 2.5.3. 42 Trebilcock 1981; Kaplow 1986; Kaplow 2003). Comme le souligne Martini (2007, p.13), « on fait rarement valoir des arguments d’efficacité à l’appui d’une indemnisation ». Ce constat s’explique essentiellement par le fait que le versement d’un paiement direct induit potentiellement des incitatifs comportementaux coûteux du point de vue de l’efficacité. Brander et Spencer (1994, p.240), en référence aux aides liées à l’emploi lors d’une réforme commerciale, affirment d’ailleurs que « the basic efficiency problem with assistance programs is that they may induce costly incentive effects ». Notons que ce problème s’observe car le soutien direct octroyé apparaît comme une assurance offerte par l’État en contrepartie de ses changements réglementaires65 (cf. Kaplow 2003). L’aléa moral66 se révèle ainsi comme l’une des principales causes d’inefficacité pouvant découler de l’adoption de telles mesures (Miceli et Segerson 1995). Mentionnons par ailleurs que les incitatifs coûteux dus au recours à une mesure de transition varient selon la nature de l’intervention mise de l’avant67. Inversement, d’autres auteurs considèrent qu’une « compensation » peut être justifiée sur la base de l’efficacité. C’est le cas, par exemple, de Michelman (1967) qui voit un incitatif coûteux dans le fait de ne pas compenser, car cette absence entraîne selon lui un « coût de démoralisation », à savoir que les individus peuvent perdre confiance en l’État et choisir de réduire leurs investissements à un niveau inefficace. La compensation permet également, comme le rappellent Miceli et Segerson (1995) de combattre l’illusion fiscale, puisqu’elle attache un coût monétaire aux décisions gouvernementales, ce qui force les décideurs à légiférer efficacement. Harvey (2004) considère pour sa part qu’une indemnisation, en palliant la dévalorisation des actifs, permet aux producteurs d’avoir accès aux ressources – 64 Il est souvent admis que le coût d’opportunité d’un dollar dépensé par le gouvernement n’est pas de un dollar. Il n’y a cependant pas de consensus sur la magnitude de ce coût qui varie, selon les études, de 1,20$ à 1,50$ (cf. Alston et Hurd 1990). 65 Kaplow (Kaplow 1986; 2003) a abondamment étudié cette correspondance. Cet auteur ne voit pas de différence entre le risque causé par des changements réglementaires et ceux observés sur les marchés. Par conséquent, toute indemnisation crée des incitatifs à un surinvestissement inefficace socialement. Le marché lui apparaît ainsi supérieur au gouvernement pour faire face au processus d’ajustement suivant une réforme. 66 Un aléa moral se définit comme un incitatif qu’a un individu d’adopter un comportement inefficace car il n’en supporte pas les coûts (Bannock et coll. 2003). Ce problème est surtout retrouvé dans les marchés des assurances et est dû à une asymétrie de l’information. 67 Harris (2005) a classifié huit types d’interventions pouvant être mis en œuvre à la suite d’une réforme, selon le niveau de distorsion pouvant être causé. Il conclut que la meilleure stratégie, selon notre 43 autrement perdues – nécessaires à leur ajustement, réduisant ainsi les coûts sociaux. En adoptant une autre perspective, certains auteurs, dont Furusawa & Lai (1999), considèrent qu’une compensation peut constituer, dans le cadre d’une libéralisation commerciale, un moyen d’atteindre un plus haut niveau d’efficacité, car elle favorise le rythme auquel la réforme – et les gains attendus – se matérialise68. Cette démonstration se rapporte à l’importance de rendre crédible69 et durable le processus de réforme, ce à quoi peut servir le versement d’une compensation (Martini 2007, p.22). Enfin, en se référant au cadre de l’économie du bien-être, il est aussi possible de souhaiter une compensation afin de créer un environnement économique efficace au sens de Pareto. En effet, rappelons que seul le versement effectif des gains d’efficacité aux perdants permet d’accroître véritablement le « bien-être » de la société, entraînant du même coup le respect du critère de Pareto (cf. Jongeneel et Koning 1999). L’étude des mécanismes de transfert à cet effet a fait l’objet d’une imposante littérature, spécialement dans le domaine de la libéralisation commerciale (cf. Dixit et Norman 1980; 1986; Feenstra et Lewis 1994). Toutefois, comme le soulignent Quinn et Trebilcock (1981), cette perspective est limitée à son traitement théorique, car le respect du critère de Pareto exige des conditions très restrictives, tandis que les méthodes de mesure des gains et des pertes, de même que les conditions d’octroi nécessaires au respect du critère, sont d’autres facteurs venant réduire le réalisme de cette perspective en pratique70. terminologie, est d’adopter une réforme directe, combinée à une indemnisation ou encore à une mesure d’ajustement à caractère structurel. 68 Un résultat similaire a été proposé par Davidson & coll. (2007) qui ont modélisé une situation où différents groupes d’employés, évoluant dans des industries d’importation ou d’exportation, votent de façon successive au sujet d’un projet de libéralisation, du versement d’une indemnisation et enfin sur le type d’instrument à privilégier pour assurer le versement de l’aide. Ils concluent que dans les limites de leur modèle, la possibilité d’accorder une compensation aux travailleurs déplacés par la libéralisation permet de libéraliser l’économie dans des cas où ce projet aurait autrement été bloqué. Cette littérature est toutefois controversée et dépend de la spécification des modèles développés. Elle relève également de principes relatifs au Public Choice – voir la section 2.5.3. 69 Comme l’indique Rodrik (1989, p.2) « It is not trade liberalization per se but credible trade liberalization that is the source of efficiency benefits ». En effet, l’ajustement vers le nouvel équilibre économique n’est entrepris que dans la mesure où les individus sont convaincus du sérieux de la transition. 70 De fait, ce critère est dit unanimiste, à savoir que le transfert des gains et des pertes doit être négocié et accepté par tous les membres de la société pour que le changement d’un état à un autre présente une véritable amélioration (OCDE sd, p.10). Quinn et Trebilcock affirment que toute déviance à cette règle – très limitative – suppose une comparaison interpersonnelle du bien-être, démarche subjective par nature qui ne garantit en rien l’optimalité du nouvel « état » (1981, p.28). De plus, la possibilité, aussi bien théorique qu’empirique, d’avoir recours à un transfert direct dénué de coûts de transaction afin de transférer les gains d’efficacité aux 44 En fait, toutes ces perspectives – pour ou contre – s’appuient sur nombre d’hypothèses dont le réalisme peut être discuté, limitant du coup toute généralisation et transposition à la réalité. La discussion de Quinn et Trebilcock (1981) quant à l’efficacité d’une « compensation » expose toute la difficulté de juger de la validité de cette justification en pratique. Ces auteurs ont étudié les différents aspects de la question, dont celui de l’efficacité au sens de Pareto, des coûts de transaction, de l’incertitude, de la recherche de rente et des externalités pécuniaires. Bien que jugeant la validité de cette justification insuffisante, leur analyse traite également des arguments la supportant et démontre par le fait même l’importance de la contextualisation dans toute cette discussion. En somme, dans la mesure où l’on cherche à anticiper la nature d’une intervention dans le cadre d’une réforme de politique publique, l’efficacité, en tant que justification potentielle, présente une portée explicative limitée. En fait, seule la mesure d’ajustement, appuyée sur les préceptes de l’économie néoclassique, semble pouvoir être justifiée clairement sur cette base, mais la nature ou les modalités d’une telle mesure qui serait économiquement efficace demeure indéterminée dans un cas réel. 2.5.2 L’équité en tant que justification 2.5.2.1 Signification de la justification Malgré l’importance accordée à l’efficacité dans l’analyse des politiques gouvernementales, la question de la redistribution équitable joue également un rôle fondamental dans l’établissement des mesures de transition. Neary (1982, p.60) conclut d’ailleurs ses travaux sur l’efficacité des mesures de transition en affirmant que la principale raison justifiant le recours à celles-ci est, en réalité, leur rôle en tant qu’outil redistributif visant à compenser les individus affectés. L’enjeu de la redistribution équitable découle de l’existence de coûts privés affectant certains groupes d’individus dans le cadre d’un processus de réforme. Rappelons qu’il est admis qu’une réforme puisse être menée dans la mesure où le « test de compensation », qui perdants est remise en question (Stiglitz 1985; Stiglitz 1991, p.27). Ce faisant, toute mesure redistributive à 45 compare les gains d’efficacité aux coûts, présente une valeur positive. Ce test ne mesure, par ailleurs, que les coûts sociaux de la réforme et ne tient pas compte de la distribution des coûts privés71 (Matusz et Tarr 1999, p.3). Pourtant, comme l’indiquent Quinn et Trebilcock (1981, p.50), « major regulatory changes will alter the distribution of benefits and burdens among members of the political community; some investors and employees may incur substantial private losses during the course of transition to a new regulatory regime ». La reconnaissance de l’existence de tels coûts constitue en fait une véritable préoccupation sociale pouvant justifier le recours à une intervention (Matusz et Tarr 1999, p.5). À cet égard, Blandford et Hill (2007, p.257) font remarquer que dans la plupart des pays développés, il est admis que les individus ne devraient pas avoir à absorber tous les coûts privés produits par les changements économiques. C’est d’ailleurs ce que résument Aho et Bayard (1984) en étudiant l’enjeu de la « compensation » basée sur l’équité72 : « In general, the equity basis for compensation is the widely held notion that, when the nation as a whole gains potentially from an economic change, the potential losers should be compensated for at least part of their lost. The magnitude of compensation on equity grounds depends on a socially accepted notion of equity. For some societies, it may depend on the losers’ relative position on the income distribution: the relatively poor should have more of their losses compensated than the relatively rich. For other societies, compensation on equity grounds may be strictly proportional to losses » (p.155: Soulignage ajouté). Trebilcock et coll. (1990, p.6) vont également en ce sens et affirment que « the central policy issue that confronts governments, specifically in mixed market economies and liberal democracies […] is the appropriate extent of collective responsibility for the consequences of destructive features of the process of change […] ». Autrement dit, bien qu’il soit largement admis qu’il soit équitable de dédommager les perdants lors d’une réforme, la manière dont peut s’exprimer cette « socially accepted notion of equity » est complexe et nécessairement un effet au niveau de l’efficacité. 71 Notons que dans la mesure où un gouvernement peut effectuer un transfert sans coût (ex. : un paiement forfaitaire), la transposition intégrale du « test de compensation » occultera la question de la redistribution, puisque l’effet serait neutre aux yeux des individus (Brennan et Boyd 1997, p.10; Weber 1997, p.87). 72 Quinn et Trebilcock (1981, p.4) résument cette perspective de façon similaire: « From an ethical perspective, because regulatory reform inflicts injury on some people (who in all good faith may have adjusted their lives or investments to a set of government policies) in order to serve the public interest, compensation may be in order to ensure that the sacrifice is more widely shared ». 46 une solution à cet enjeu ne peut être obtenue qu’en se référant à des philosophies morales permettant de saisir les relations existant entre les individus et l’État (Quinn et Trebilcock 1981, p.50). 2.5.2.2 Portée de la justification En effet, en matière d’équité, le cadre de l’économie du bien-être perd de sa portée analytique (cf. Sen 1987). Rappelons d’une part qu’en s’appuyant sur le deuxième théorème, cette approche assume qu’il est possible de traiter indépendamment les enjeux d’efficacité et d’équité en économie. D’autre part, ce cadre ne permet pas, en soi, de prescrire un optimum de Pareto idéal socialement qui tiendrait compte, à la fois, d’une allocation optimale et d’une redistribution jugée équitable de la richesse. Pour ce faire, le recours – très controversé – à une fonction de bien-être collectif est nécessaire. Notons que malgré leurs limites, ces fonctions sont quelques fois utilisées dans la littérature économique s’intéressant à définir les niveaux optimums de redistribution. Ainsi, Brander et Spencer (1994), dans leurs travaux sur les mesures d’assistance, ont recours à une telle fonction. Ils la font reposer sur la croyance que la société accorde de l’utilité au fait de transférer des fonds aux individus pénalisés par une réforme et arrivent à définir les modalités de soutien permettant d’accroître l’utilité collective malgré les coûts d’inefficacité liés au financement de la mesure73. Si une telle fonction ne peut être dérivée de façon crédible, il faut alors se tourner vers les philosophies morales. Ces dernières proposent des « contrats sociaux » définissant les « règles constitutionnelles » devant refléter – aux yeux de l’analyste – la volonté commune d’intervention dans l’économie (Weber 1997, p.100). Ainsi, certains auteurs considèrent que nos sociétés démocratiques sont surtout caractérisées par les philosophies morales de type utilitariste et kantien74 (Quinn et Trebilcock 1981; Weber 1997). La portée de ces 73 Leur modèle leur permet d’ailleurs de conclure que les programmes d’assistance inconditionnels et proportionnels aux pertes encourues (i.e. une mesure définie comme une indemnisation dans le cadre de ce mémoire) sont supérieurs à tous les autres en permettant d’atteindre un optimum à la Pareto. 74 La première est conséquentialiste et implique que l’État vise à maximiser l’utilité de chaque individu, tandis que la seconde considère que l’intégrité de la personne prime sur les gains de bien-être collectif. Toutes deux sont néanmoins dites individualistes et égalitaristes, à savoir qu’elles tiennent compte de l’utilité de chaque individu et qu’elles n’accordent qu’une « voix » à chacun. Notons que Trebilcock et coll. (1990) en 47 perspectives a d’ailleurs été évaluée par Quinn et Trebilcock (1981, p.50 et ss.) qui, en simulant un gouvernement utilitariste et kantien, ont cherché à définir les conditions légitimant le recours à une « compensation » lors d’une réforme. Dans le cas « utilitariste », le gouvernement serait amené à considérer l’option de compenser sur la base du mérite de l’efficacité potentielle de la mesure et en se référant à des estimations monétaires des gains et des coûts, à l’instar de l’approche préconisée par l’économie du bien-être75. Une « compensation » est alors proposée si les coûts de mise en œuvre sont inférieurs aux gains d’efficacité attendus, mais aussi à la désutilité causée par la réforme. Ce dernier aspect découle aussi bien de la frustration de se voir imposer un coût par la collectivité que par l’existence d’une incertitude – et d’un inconfort – à l’idée de vivre une réforme. Le niveau de confiance accordé à la stabilité de la réglementation apparaît pour les auteurs l’une des causes probables de cette désutilité76. S’impose alors la question de la mesure de cette dernière, impliquant elle-même d’importants coûts d’évaluation. Les limites d’une telle démarche font d’ailleurs affirmer aux auteurs que les « conclusions on the outcomes likely to be generated by a utilitarian compensation calculus should be regarded as highly speculative » (1981, p.80). considèrent une troisième, soit le communautarisme, tenant davantage compte de l’attachement des individus à la collectivité. 75 De fait, la perspective utilitariste, très proche des fondements de l’économie du bien-être, suggère généralement des implications similaires à l’approche économique, à l’exception du fait que les coûts privés sont alors considérés au même titre que les coûts sociaux (Trebilcock et coll. 1990, p.11). 76 La question de « prévisibilité » ou encore de « responsabilité » du gouvernement vis-à-vis le maintien ou la réforme d’une loi est constamment soulevée dans la littérature normative sur l’enjeu de la compensation suivant une réforme réglementaire (cf. Brennan et Boyd 1997). Ainsi, Doyon et Nolet (2006) ont introduit ce facteur dans leur cadre décisionnel visant à établir les conditions d’indemnisation lors de l’adoption d’une réglementation environnementale, tandis que Fisch (1997) va plus loin en assumant que les individus doivent être protégés lorsque les lois sont initialement à « l’équilibre », autrement dit si elles ne présentent pas le risque d’être réformées. Cette approche rejoint le principe de « constance » défini par Eucken (1975, cité dans Martini 2007, p.13) qui implique que les changements brusques de la loi mènent à des investissements inefficaces et ouvrent la porte à des compensations. Quinn et Trebilcock (1981, p.61) considèrent pour leur part que cet argument seul ne peut suffire à rendre nécessaire une intervention. Ils assument entre autres que si le risque de changement est observé avant la réforme, ce dernier a été transposé dans la valeur des actifs sous forme d’une « prime de risque ». Ils reconnaissent toutefois qu’il existe peu de critères objectifs – ni avant ni après la réforme – pouvant déterminer si le risque a été, ou non, – correctement – perçu. Ils notent cependant que certains programmes, tels que les contingentements, présentent un clair niveau de risque. La question qui est alors soulevée est de savoir si cette prise de risque était volontaire, autrement dit si l’individu a effectué son investissement tout en étant libre d’en faire un autre, ce qui n’est certainement pas le cas dans une industrie soumise à des quotas de production. En somme, on constate que ce critère est également sujet à de nombreuses interprétations. 48 La perspective kantienne suppose quant à elle qu’une action collective ne devrait pas être poursuivie si elle n’améliore pas le sort des plus désavantagés (Trebilcock et coll. 1990, p.11). Elle ajoute donc une perspective de « justice » distributive là où l’approche utilitariste ne considère que les coûts et les bénéfices77. À cet égard, la théorie de la justice distributive, développée par Rawls78 (1971), est l’une des approches philosophiques les plus communes pour analyser la pertinence d’avoir recours – ou non – à un soutien de l’État (cf. Vorstenbosch 2000; Martini 2007). Elle repose sur deux fondements éthiques, soit la « compensation », liée aux évènements incontrôlables de la vie, et le « mérite », impliquant un certain degré de responsabilité individuelle (Bossert et coll. 1999). En adoptant cette perspective, il apparaît socialement acceptable de compenser un individu dans la mesure où les pertes subies proviennent d’une situation sur laquelle il n’avait aucun contrôle. Plusieurs modèles ont ainsi été développés de façon à décrire les réalisations individuelles comme étant fonction d’une contrainte budgétaire, du talent de chacun et de son niveau de responsabilité (cf. Bossert et coll. 1999). Tout en offrant une lecture réaliste de l’expression des préférences collectives en matière d’intervention gouvernementale, la portée de cette approche est limitée par le besoin de définir jusqu’où va la responsabilité individuelle (Vorstenbosch 2000; Schokkaert et Devooght 2003). Plus fondamental encore, le recours à cette approche exige qu’on admette l’existence d’un « contrat social » définissant la « juste » allocation des bénéfices et des coûts (Quinn et Trebilcock 1981, p.87). Il importe de constater que la perspective de « l’équité » peut mener à des conclusions fondamentalement différentes suivant le paradigme dans lequel l’analyse s’inscrit. Ainsi, Aho et Bayard (1984, p.155-7), après avoir énuméré certaines conditions pouvant justifier le recours à une mesure de transition sur la base de l’équité79, notent qu’une intervention 77 Notons que la notion de justice est différente de celle d’équité en général (Weber 1997; Martini 2007). Les travaux de Rawls (1971) visent à définir des institutions « justes » au travers desquelles les décisions collectives peuvent être prises, sans hypothèse relative à la « maximisation du bien-être social » généralement recherchée. Son approche repose sur deux fondements : tout d’abord, l’établissement d’un « contrat social », défini par des individus égaux face à l’avenir, caractérisé conséquemment par une impartialité (i.e. justice). Ensuite, des principes qui supportent le contrat établi, soit l’égalité des individus face au droit et l’assurance que les inégalités sociales et économiques soient raisonnablement à l’avantage de tous (cf. Mueller 2002, p.597-600). 79 Leur analyse s’intéresse elle aussi aux employés mis à pied dans le cadre d’une libéralisation commerciale. Les arguments d’équité soulevés sont de différents types. Par exemple, ces employés peuvent être 78 49 protégeant certains individus (ex. : des employés âgés) peut causer des iniquités injustifiables pour d’autres (ex. : des jeunes voulant entrer sur le marché du travail). Vorstenbosch (2000) expose cette même opposition dans son étude sur les justifications équitables à l’intervention gouvernementale à la suite d’une catastrophe naturelle en agriculture. S’inscrivant dans le courant de la « justice redistributive », l’auteur a transposé les cadres d’analyse de trois auteurs (Nozick, Rawls, Walzer) au contexte étudié afin d’évaluer quelle serait la réponse gouvernementale privilégiée. Malgré le recours aux mêmes concepts, les constats qui découlent de cette analyse divergent selon le cadre utilisé80. En somme, bien qu’il soit admis que « l’équité » puisse constituer une justification fondamentale supportant le recours à une mesure de transition lors d’une réforme, il se révèle impossible d’en définir objectivement une interprétation qui permettrait, de manière ex ante, d’anticiper le choix d’intervention du gouvernement. Une telle démarche nécessite soit l’usage d’une fonction du bien-être collectif, soit la conceptualisation d’un comportement gouvernemental basé sur un « contrat social ». Dans tous les cas, les résultats obtenus seraient dépendants de l’interprétation des concepts retenus dans le cadre de l’analyse et auraient par conséquent une valeur explicative pour le moins limitée. 2.5.3 Les enjeux politiques en tant que justification 2.5.3.1 Fondements théoriques supportant la justification La perspective politique est la troisième justification généralement soulevée dans la littérature pour soutenir le recours à une mesure de transition. Elle implique qu’une aide économiquement et socialement désavantagés par rapport aux autres types de travailleurs. Ils peuvent également faire face à des coûts d’ajustement supérieurs à ceux des autres industries. Enfin, la politique protectionniste du gouvernement peut induire une responsabilité envers les pertes causées par son retrait. 80 La première est la Théorie des avoirs de Nozick, qui considère que la justice est respectée lorsque les biens sont échangés librement et sans externalité. Elle va généralement à l’encontre de toute forme de compensation. La deuxième est la Théorie de justice de Rawls, qui privilégie de minimiser les iniquités au profit des moins favorisés. Elle mène à des résultats non concluants quant au besoin de compenser. Enfin, la troisième est la Théorie pluraliste de Walzer. Elle a développé un système de « sphères » (ex. : le marché) dans lesquelles sont distribués des biens, dont le partage dépend d’un environnement culturel spécifique. De par sa complexité, cette théorie ne mène pas non plus à une conclusion définitive sur la question de la compensation. 50 accordée lors d’une réforme puisse être la résultante d’un équilibre découlant d’un processus politique où évoluent différents groupes de pression (Martini 2007, p.12). Cette justification apparaît pour plusieurs auteurs comme étant souvent la plus crédible (cf. Aho et Bayard 1984; Lawrence et Litan 1986; Kapstein 1998; Magee 2001). Tandis que les deux premières justifications ont été étudiées en lien avec l’économie du bien-être, celle-ci est généralement abordée à partir du cadre du Public Choice. S’appuyant sur les mêmes hypothèses comportementales que l’économie néoclassique, le Public Choice peut être défini comme l’étude économique des décisions non commerciales, ou simplement comme l’application de l’approche économique à la science politique. L’action collective (i.e. l’État) n’est alors justifiée – sur une base normative – qu’afin d’améliorer l’efficacité de l’allocation des ressources et de redistribuer celles-ci entre les individus (Mueller 2002, p.1-3). En offrant un cadre d’analyse expliquant les préférences en matière de redistribution et d’allocation, cette approche vient donc compléter la théorie de l’économie du bien-être (Richard et coll. 2004 p.647). Plus précisément, la littérature sur le Public Choice a développé une compréhension du processus de décision politique impliquant deux étapes. À la première étape, des considérations morales dictent des règles constitutionnelles, au travers desquelles les individus (ou groupes d’individus)81 sont libres de poursuivre, lors d’une deuxième étape, leurs propres intérêts par le biais d’un processus politique (cf. Buchanan et Tullock 1962). Cette approche résout alors le conflit existant entre les enjeux moraux et les incitatifs comportementaux individuels, puisque les règles constitutionnelles82 – pouvant aussi être exprimées sous forme d’une fonction du bien-être collectif83 – servent de cadre à la 81 Plus précisément, le gouvernement est perçu comme une institution regroupant des élus, des bureaucrates et des électeurs, chacun ayant sa fonction objective à maximiser (cf. Downs 1957). La théorie des choix collectifs de Olson (1965) permet d’expliquer quant à elle comment les groupes de pression s’organisent pour faire valoir leurs intérêts. On peut ainsi affirmer que l’ « offre » de protection est étudiée par la démarche de Downs, tandis que la « demande » l’est par celle de Olson, la combinaison des deux permettant de définir l’équilibre politique (Rausser et Irwin 1989, p.354). 82 Ces règles sont interprétées comme une « institution », notion qui s’étend jusqu’au système politique du pays (fédération, république, etc.) ou encore au mode démocratique privilégié (Mueller 2002). Ces « institutions » constituent des contraintes devant être prises en compte dans le déroulement du processus politique. Comme l’indiquent Just et Rausser (1992, p.8), une politique efficace économiquement peut ne pas être réalisable politiquement. 83 Nous avons vu qu’une telle fonction peut servir à maximiser les préférences sociales. La démarche proposée par Buchanan et Tullock (1962) est cependant légèrement différente, puisque l’État est vu, à l’instar 51 maximisation du bien-être, compte tenu des contraintes au niveau du fonctionnement des marchés84 (Richard et coll. 2004 p.647). Cette théorie analyse donc le phénomène de maximisation de l’utilité des électeurs et des politiciens dans le cadre d’un processus électoral. Des activités de recherche de rentes85, correspondant aux efforts faits par chaque électeur dans le but d’influencer le processus politique, peuvent alors être observées (Schmitz et coll. 2002a p.72-73). Dans le contexte d’une réforme de politique publique, il est ainsi présumé que les groupes de pression sont en mesure d’agir sur le déroulement du processus, mais aussi sur la répartition des avantages potentiels. Comme l’indique Martini (2007, p.12), « en se concentrant sur ces idées, […] la question d’une politique optimale, dans une perspective de bien-être économique, continue à prédominer [tandis que] les facteurs d’économie politique [i.e. Public Choice] jouent sur le choix d’une stratégie optimale […] ». La maximisation du « bien-être » cesse en effet d’être le seul objectif du gouvernement. On parle alors de « political efficiency » dans la mesure où un processus politique mène à la maximisation des fonctions objectives des électeurs et des politiciens. Comme l’indiquent Gavious et Mizrahi (2002, p.187), « a certain policy […] may maximize […] economic efficiency, but since it does not maximize the special interests of a politician in office, it will not be implemented in the way recommended by traditional policy evaluators. Thus, policy outcomes often reflect the specific interests involved in the decision making process rather than the goal of maximizing social welfare »86. L’objectif du Public Choice est alors de pouvoir expliquer les décisions politiques en termes d’efficacité et de bien-être social. du marché, comme une institution où s’exprime le choix des individus. Toutefois, cette perspective demeure en partie normative, puisqu’il est admis que la première étape – le choix des règles constitutionnelles – doit faire l’objet d’une unanimité, ce qui relève d’un jugement de valeur (p.14). 84 En effet, à partir du moment où la séparation entre l’efficacité et l’équité n’est plus possible, l’optimalité du libre-marché au sens de Pareto ne peut plus servir de seule référence à l’analyse économique. Dans un tel cas – courant en pratique – ces deux aspects doivent alors être étudiés conjointement (Just et Rausser 1992, p.4). 85 Le « potentiel redistributif » du gouvernement est à l’origine de ces « rentes » pour lesquels les groupes de pression investissent des ressources parfois non négligeables et souvent non efficaces (Mueller 2002). Les coûts liés à la recherche de rentes regroupent les dépenses et l’énergie investie dans le processus par les groupes de pression et le gouvernement, ainsi que les distorsions causées par ce processus sur les tiers (Buchanan 1980 cité dans Mueller 2002, p.334). 86 L’idée de base est que le gouvernement est le « fournisseur de réglementations » pour lesquelles les groupes de pression seront prêts à « payer » par le biais de contributions ou de soutien politique. La résultante de ce processus de négociation peut être de deux ordres. Pour certains auteurs, la libre concurrence politique 52 2.5.3.2 Signification de la justification Ce cadre s’applique ainsi directement aux enjeux relatifs à la réponse gouvernementale à la suite de l’adoption d’une réforme. Plus précisément, la portée des enjeux politiques en tant que justification potentielle à l’adoption d’une mesure de transition peut ainsi se résumer de la sorte : « From a political or public choice perspective, compensation of losers from regulatory reforms may be a necessary prerequisite to overcoming their political opposition to the changes. Thus, through the compensation of losers, a welfare-maximizing move that might otherwise have been politically blocked becomes possible » (Quinn et Trebilcock 1981, p.4). Autrement dit, « la maximisation du bien-être est subordonnée à une contrainte : il ne faut pas que le groupe de pression bloque la réforme. Un moyen d’y parvenir est de proposer un transfert financier qui dédommage le groupe de pression d’éventuelles pertes de bien-être » (Martini 2007, p.12)87. Conséquemment, une mesure de transition peut être interprétée comme la transposition partielle ou totale du « test de compensation » afin de faire d’une amélioration potentielle au sens de Pareto une amélioration effective (Magee 2001, p.106). La contrainte à respecter est alors de s’assurer que les gains nets d’efficacité dus à la réforme ne soient pas tous absorbés par le coût du transfert. La correspondance entre l’approche du Public Choice et celle de l’économie du bien-être apparaît ainsi clairement. Toutefois, contrairement aux principes admis en économie du bien-être, la transposition effective du « test de compensation » ne reflétera pas nécessairement les véritables pertes économiques encourues, mais plutôt le rapport de force politique entre les individus (Just et Rausser 1992, p.21). Ainsi, puisque le montant de l’indemnisation offert dépend de l’influence politique, la stratégie optimale correspond donc, éventuellement, à une surindemnisation ou à une sous-indemnisation (Martini 2007, p.16). entre les groupes de pression mène à un équilibre économique efficace, similaire à celui du marché. Pour d’autres, la recherche de rentes induit des inefficacités qui empêchent la maximisation du bien-être, mais favorise celle des intérêts politiques (cf. Gavious et Mizrahi 2002). Dans ce dernier cas, les coûts induits par la recherche de rentes mènent, comme le rappellent Rausser et Irwin (1989, p.351-2), à des « political failures ». 87 La question sur laquelle repose cette perspective est la suivante : si la libéralisation est une si bonne chose, pourquoi existe-t-il de telles résistances à son endroit? L’approche économique ne suffit pas à y répondre, d’où le recours à une lecture politique du processus décisionnel (cf. Fernandez et Rodrik 1991). 53 Notons que cette influence politique s’exprime tout d’abord par le fait que les coûts d’ajustement observés lors d’une réforme sont souvent concentrés sur l’industrie affectée, tandis que les gains – potentiels – sont pour leur part dilués parmi les consommateurs (Lawrence et Litan 1986, p.24). À ce constat, s’ajoute l’idée répandue que ces groupes pénalisés, en étant capable de se regrouper à moindre coût, seront en mesure de s’organiser de façon efficace afin de conserver ou capter des rentes, tandis que les bénéficiaires, désorganisés, ne seront pas en mesure de faire valoir leurs intérêts88 (cf. Olson 1965; Stigler 1971). Conséquemment, dans la mesure où le gouvernement désire « acheter » une réforme89, il cherchera à minimiser l’influence des groupes de pression – et donc de réduire l’ampleur de la compensation nécessaire – en divisant les membres par le biais, par exemple, de subventions ciblées (Martini 2007, p.17). 2.5.3.3 Portée de la justification Malgré la lecture très « pragmatique » proposée par le Public Choice pour justifier le recours à une mesure de transition, force est d’admettre les limites de cette approche dans la perspective où l’on désire prédire la réaction d’un gouvernement lors d’une réforme. En effet, malgré le fort consensus entourant l’idée qu’une « compensation » puisse favoriser le processus de réforme, il faut reconnaître que cette thèse s’appuie sur le fait que cette compensation puisse véritablement « acheter » la réforme, ce qui est à toute fin pratique indémontrable autrement que théoriquement (Aho et Bayard 1984, p.167). Qui plus est, selon le modèle développé, certains auteurs ont démontré qu’une compensation peut au contraire nuire au processus de libéralisation en rendant le « protectionnisme » plus attrayant au fur et à mesure que la compensation devient coûteuse (Magee 2003). Ajoutons que la portée normative limitée de ce cadre a d’ailleurs été soulevée par ses auteurs, qui notent que « the theory of collective choice can, at best, allow us to make some very rudimentary predictions concerning the structural characteristics of group decisions » 88 L’idée est que les petits groupes de producteurs, en évitant les « resquilleurs », sont généralement mieux à même d’investir efficacement dans le lobbying que les groupes de consommateurs éparpillés dans la société. Fernandez et Rodrick (1991) ajoutent que la désorganisation des « gagnants » est accentuée par le fait que ces derniers ne sont pas nécessairement conscients de leur condition avantageuse. 89 Il est intéressant de constater que tout ce courant de littérature assume que la réforme est souhaitable et que le gouvernement désire effectivement la mettre en place. 54 (Buchanan et Tullock 1962, p.5). Ils affirment également que « the model which incorporates this behavioural assumption and the set of conceptually testable hypotheses that may be derived from the model can, at best, explain only one aspect of collective choice » (p.30)90. 2.5.4 Retour sur les justifications normatives 2.5.4.1 La portée prescriptive des justifications Cette section s’est attardée à analyser les principales justifications relatives à l’intervention gouvernementale à la suite d’une réforme. Force est de constater qu’un impressionnant consensus émerge de la littérature à l’effet que l’efficacité, l’équité et les considérations d’ordre politique constituent les principales raisons expliquant le recours à une mesure de transition. En plus d’évaluer les différentes modalités rattachées à chacune, de nombreux auteurs se sont aussi intéressés à décrire des « modèles d’intervention » répondant à ces principes. À partir de ces résultats, il importe de déterminer si les explications proposées suffisent à anticiper les réponses gouvernementales qui pourraient être adoptées à la suite d’une réforme. À cet égard, il appert que les justifications normatives exposées sont d’un intérêt limité et ce, pour différentes raisons. D’une part, elles reposent sur des cadres théoriques dont la portée prédictive est restreinte dû au recours à des hypothèses comportementales contestées. D’autre part, la distinction entre ces justifications est en soit un exercice artificiel, puisque comme l’indique Martini (2007, p.9), « il est rarement facile de distinguer un motif unique pour une politique donnée, dans la mesure où les justifications sont inextricablement mêlées »91. Enfin, plus important encore, ces justifications, tel 90 Ils ajoutent par la suite: « even if the model proves to be useful in explaining an important element of politics, it does not imply that all individuals act in accordance with the behavioural assumption made or that any one individual acts in this way at all times. Just as theory of markets can explain only some fraction of all private economic action, the theory of collective choice can explain only some un-determined fraction of collective action » (p.30). 91 C’est le cas, par exemple, des considérations d’ordre politique. En effet, comme l’indiquent Trebilcock et coll. (1990, p.15-6), les groupes d’intérêt vont généralement faire valoir des justifications normatives telles que l’efficacité et l’équité pour exiger de l’aide, ce qui implique qu’il faille départager – arbitrairement – chacune des composantes de façon ex post. 55 qu’exposées, sont articulées autour de conceptualisations dont l’interprétation mène souvent à des résultats contradictoires, selon le contexte d’utilisation. Ce constat est valable non seulement au niveau de chaque justification (cf. efficacité et équité), mais aussi par rapport à leur interaction mutuelle. Ce dernier point a été mis en évidence, entre autres, par Aho et Bayard (1984, p.163-4). En prenant l’exemple de la rente d’une industrie oligopolistique soumise à une réforme, ils soulignent qu’il serait inéquitable d’offrir une compensation, mais que du point de vue politique, cette rente peut avoir conféré un pouvoir politique à ses détenteurs, exigeant du même coup de la compenser afin de mener à bien la réforme. Cette perspective est évidemment rejetée par l’argument de l’efficacité, à cause de l’aléa moral causé par une telle intervention. Ils notent qu’inversement, « it is easy to conceive of circumstances in which the socially efficient compensation differs from […] compensation based on equity or political considerations ». Il apparaît donc hasardeux de proposer, dans une perspective ex ante et sans avoir recours à des conceptualisations contestables92, un modèle de politique de transition pour le cas canadien en ayant recours à ces justifications normatives. Cette réserve se trouve renforcée par le fait que l’étape de justifier le recours à une mesure de transition – aussi complexe soit-elle – ne constitue que la première question à considérer dans la mesure où l’on souhaite définir de façon ex ante les modes d’intervention pouvant être envisagés en pratique. La seconde concerne les modalités qui la caractériseront. En effet, comme le mentionnent Brander et Spencer (1994, p.240) « if we accept the idea that publicly funded compensation is an appropriate policy response to various economic events […], we immediately confront the question: What is the appropriate design for compensation or assistance programs? ». Compte tenu des limites du cadre normatif déjà exposées, il ne revient pas à ce mémoire d’étudier en profondeur cette autre perspective. Toutefois, les principaux enjeux cités dans la littérature méritent d’être présentés. 92 La plupart des « modèles d’intervention » proposés s’appuient sur des abstractions ou des simplifications discutables. Ainsi, les travaux de Kaplow (2003) reposent sur un scénario où la réforme est menée de façon efficace et où la réponse gouvernementale est connue de façon ex ante. Les « conditions de compensation » proposées par Miceli et Segerson (1995) exigent quant à elles d’être en mesure de définir si un investissement ou encore la réponse gouvernementale est, ou non, socialement efficace. 56 Tout d’abord, l’efficacité de la mesure adoptée – à distinguer de la justification – apparaît comme un aspect fondamental à considérer. Évidemment, comme le souligne Weber (1997, p.120) « il relève […] du bon sens que les mesures de redistribution devraient tout à la fois être efficaces quant à leur impact sur la distribution et minimiser le coût d’efficacité ». Ainsi, en étudiant les mesures d’indemnisation, Martini (2007) considère que ce type d’intervention est similaire à n’importe quel autre transfert et qu’il doit ainsi respecter les critères d’efficience définis par l’OCDE (cf. 2002), en étant découplé, ciblé, adapté aux objectifs poursuivis et temporaire. En adoptant une démarche théorique, certains auteurs, dont Brander et Spencer (1994) et Davidson et Matusz (2006), ont modélisé les conditions optimales visant à rendre efficace une compensation offerte aux employés licenciés. Ces derniers en arrivent à conclure que de telles mesures se doivent effectivement d’être temporaires et ciblées (Davidson et Matusz 2006). Le niveau de soutien accordé apparaît également comme un aspect crucial à définir, bien qu’il dépende fortement des justifications sous-jacentes (cf. Rausser et Irwin 1989). Ainsi, dans la mesure où l’efficacité prime, Aho et Bayard (1984, p.164) considèrent, dans le cas d’une mesure de chômage, que « the socially efficient compensation scheme would provide benefits up to the point where the marginal social gain to higher earnings was equal to the marginal social loss due to longer unemployment duration ». Il a par ailleurs été mentionné que dans une perspective d’équité, le montant de l’indemnisation dépendra de l’interprétation des préférences sociales en privilégiant, par exemple, une compensation proportionnelle aux pertes encourues. S’ajoute, dans ce cas, la nécessité de définir la valeur de ces pertes. Cette étape apparaît tout aussi hasardeuse, car comme le soulignent Rausser et Irwin (1989, p.361) « any calculation of losses attributed only to policy changes is inherently questionable ». Les considérations politiques, quant à elles, prédisent que le niveau d’aide dépendra du rapport de force entre les groupes de pression, ce qui résultera en une sur ou sous compensation par rapport aux pertes effectives. En lien avec cet enjeu s’ajoute le choix d’adopter de façon ex ante ou ex post la mesure de transition (cf. Quinn et Trebilcock 1981; Just et Rausser 1992). Dans le premier cas, la mesure permet de réduire l’incertitude, limite l’effet de l’aléa moral et minimise les coûts d’administration. Par ailleurs, elle peut induire un « compensation-seeking » (Rausser et 57 Irwin 1989, p.362), sans compter qu’elle sera fondée sur une estimation des coûts qui ne correspondra pas nécessairement à ce qui sera observé en réalité, introduisant le risque de sous ou sur compenser. Inversement, adopter une mesure de façon ex post limite ce problème en plus de partager davantage les risques entre les intervenants, mais cette approche peut ne pas être envisageable politiquement ou légalement (Martini 2007, p.19). L’éligibilité doit aussi être considérée (Just et Rausser 1992), puisque les critères retenus, tel que des décisions passées ou la nature des investissements effectués, peuvent aussi être la source d’aléa moral et d’importants coûts de transaction. En effet, les individus peuvent être incités à adopter un comportement dans la perspective de percevoir une aide, tandis que la gestion des conditions d’octroi peut exiger d’importants efforts de contrôle de la part des fonctionnaires, accentuant alors les coûts de mise en œuvre. Enfin, relevons la question du financement de la mesure. Dans la logique du paradigme du marché libéral il est entendu que les gagnants doivent être en mesure de compenser les perdants afin que la réforme soit jugée souhaitable. Comme l’indiquent Rausser et Irwin (1989, p.362), « to the extent that winners are concentrated and can be identified, they should share in financing the burden of compensation »93. En pratique toutefois, il n’est pas nécessairement possible de retracer les individus appartenant à ces deux groupes (Quinn et Trebilcock 1981, p.8). De même, le levier de financement privilégié doit être choisi avec attention, car les fonds levés pour l’intervention ont un coût d’opportunité significatif. Par exemple, le gouvernement peut avoir recours soit à une taxe, spécifique à un produit ou générale, soit à un emprunt à long-terme afin de ne pas imposer à court terme un poids fiscal trop important (Just et Rausser 1992, p.27). Ces enjeux représentent les principales questions devant être abordées lors de l’adoption d’une mesure de transition. Le Tableau 2, adapté des travaux de Martini (2007), expose certains de ces aspects, développés dans le cas de la mesure d’indemnisation, mais pouvant aussi s’étendre à tous les types de mesure de transition. La réponse à chacun dépend 93 Ils considèrent même que dans l’optique où une réforme permet d’accroître le niveau d’efficacité à l’échelle internationale, les bénéficiaires étrangers d’une réforme domestique devraient contribuer à financer le dédommagement des perdants. 58 évidemment des objectifs poursuivis par la réforme, ainsi que par la politique de transition adoptée. Tableau 2 : Éléments entrant dans la conception d’un programme d’indemnisation 1. « Degré d’indemnisation. Quel doit être son montant? Doit-il correspondre à un préjudice mesuré ou à ce que représenterait la poursuite du dispositif réformé et, en ce cas, pendant combien d’années? […] 2. Répartition de l’indemnisation. Convient-il d’indemniser également toutes les parties pénalisées ou prévoir un élément de redistribution ? Faut-il plafonner les indemnités par personne ou par exploitation ? Ceux qui quittent le secteur doivent-ils être traités différemment de ceux qui y restent ? 3. Durée de l’indemnisation. Doit-elle être constituée d’un versement forfaitaire, d’un montant fixe perçu pendant une certaine période ou d’une prestation dégressive ? Doit-elle prendre la forme de versements en numéraire, en titres ou en d’autres actifs? 4. Portée de l’indemnisation. En sus des agriculteurs, doit-elle bénéficier aux propriétaires fonciers, aux ouvriers agricoles ou aux industries situées en amont et en aval ? Des personnes qui n’étaient pas censées bénéficier des politiques antérieures doivent-elles avoir droit à une indemnisation ? […] 5. Base de calcul des droits à indemnisation. Les indemnités doivent-elles être calculées par exploitation, par hectare, par personne ou sur une autre base ? Le calcul des droits doit-il dépendre d’un préjudice constaté ou attendu ? Doit-il être effectué sur un plan individuel, régional ou national ? » 6. Financement de la mesure1 : Comment l’État doit-il financer la mesure adoptée ? Un impôt supplémentaire doit-il être levé ou faut-il financer la mesure à partir des revenus actuels du gouvernement ? Si une nouvelle source de financement est requise, sera-t-elle imposée aux consommateurs ou aux contribuables ? 1 Question ne figurant pas dans le document de Martini. Source : Tiré et adapté de Martini (2007) 2.5.4.2 L’évaluation ex-post des justifications Notons qu’à l’instar des lectures ex ante, les analyses ex post des politiques de transition sur la base de leurs justifications se révèlent tout aussi incertaines. C’est du moins ce que révèlent certaines analyses, en lien avec le Trade Adjustment Assistance (TAA), qui ont cherché, à l’aide de différentes approches, à étudier la portée de ces justifications. 59 Ainsi, Aho et Bayard (1984) ont cherché à évaluer l’importance de ces justifications sur la base des conséquences économiques observées. Ils concluent que « any overall evaluation of the TAA program must necessarily be somewhat subjective […]. Whether these political gains outweigh the sum of the administrative cost, induced labor market inefficiencies, and inequities […] is more a matter of personal opinion than of professional judgment, given the difficulty of evaluating many of the costs of the program » (p.184). En adoptant une approche institutionnaliste, Kapstein (1998) a pour sa part tenté d’expliquer, en fonction des différentes justifications, l’adoption et le maintien de ce programme au cours des dernières années. Bien qu’offrant une lecture très approfondie des enjeux, cette démarche se limite toutefois à l’étude d’un très petit nombre de cas. Enfin, Magee (2001) a quant à lui testé empiriquement, à partir de données sur ce programme, l’importance de ces justifications sur la base du choix gouvernemental de subventionner certaines catégories d’employés, sous certaines conditions94. La littérature démontre ainsi qu’il est complexe de conclure sur la portée des justifications liées au choix d’intervenir lors d’une réforme. Confrontés à ces difficultés, il n’est donc pas surprenant de constater que Blandford et Hill (2007, p.262), après avoir étudié les processus de réforme en agriculture de six pays développés et analysé les mesures gouvernementales subséquentes, se limitent à conclure, sans autre analyse qu’un portrait global du contexte, « that equity and political economy are main drivers behind agricultural adjustment policies ». 2.5.4.3 Les justifications normatives : un constat La discussion précédente nous permet d’en arriver à un constat déterminant. En effet, force est de constater que la théorie économique, tout en permettant de conceptualiser le phénomène de réforme et les réponses gouvernementales y faisant suite, ne peut être opérationnalisée de façon à pouvoir déterminer, de manière ex ante, une politique de transition pouvant correspondre à la réalité d’un secteur réformé. Autrement dit, le corps 94 Il conclut que le TAA est justifié sur la base de l’équité et de l’efficacité, tandis qu’un lien existe entre le programme et la réduction des tarifs. Ces résultats sont plus nuancés que ceux proposés par certains analystes (Lawrence et Litan 1986; Kapstein 1998) qui ne considèrent pas ces justifications comme étant applicables à ce programme. 60 théorique – influent au niveau idéologique – ne peut cependant permettre de cerner de façon crédible les réelles mesures de transition qui pourraient être mises en place dans l’éventualité d’une réforme de la politique laitière canadienne. Malgré ce constat, les principes économiques étudiés précédemment n’en demeurent pas moins cruciaux pour l’étude du phénomène de réforme et des réponses gouvernementales adoptées pour y faire suite. Afin d’approfondir notre réflexion en lien avec la réalité du secteur laitier canadien, il est donc proposé d’analyser la façon dont ces différents principes se retrouvent transposés lors d’expériences vécues de réformes en agriculture. L’approche privilégiée pour mener à bien cet exercice, ainsi que les objectifs poursuivis, sont exposés au prochain chapitre. 3. Le cadre méthodologique utilisé Les processus de réforme observés en agriculture et les réponses politiques proposées pour y faire suite font l’objet, depuis quelques années, d’un intérêt grandissant dans la littérature économique. Afin de mieux conceptualiser ce phénomène, plusieurs auteurs se sont attardés à catégoriser les différentes mesures envisageables, selon les objectifs poursuivis et leurs modalités de mise en œuvre. Ces travaux ont été repris et développés au chapitre précédent. Quatre mesures de transition ont ainsi été spécifiées, soit celles d’ajustement, d’indemnisation, d’assistance et de réinstrumentation. Le chapitre précédent s’est également attardé à situer dans une perspective théorique les processus de réforme et les interventions subséquentes. Ainsi, le paradigme du marché libéral, soutenu par les préceptes de l’économie du bien-être, apparaît être un facteur d’influence dominant dans la décision de réformer le secteur agricole. De même, les mesures de transition, en se référant aux concepts d’efficacité et d’équité, s’inscrivent dans cette perspective théorique. Plus précisément, la littérature retient trois justifications normatives pouvant expliquer le recours à une mesure de transition, soit l’efficacité, l’équité et les considérations d’ordre politique. Chacune a été décrite et leur portée explicative évaluée. La discussion précédente a ainsi permis de répondre à la première question de recherche énoncée au chapitre 1, à savoir quels étaient les principes économiques fournis par la théorie quant aux types d’interventions gouvernementales pouvant être adoptés dans le cadre d’une réforme de politique publique. L’analyse s’est, par ailleurs, également intéressée à la portée et à la validité prescriptive de ce cadre. La conclusion formulée à cet égard est à l’effet que le corps théorique développé autour du processus de réforme ne peut être opérationnalisé de façon crédible afin de pouvoir anticiper la nature d’une intervention gouvernementale. Notons que cette perspective conceptuelle et théorique demeure néanmoins déterminante pour la compréhension du phénomène de réforme et des interventions gouvernementales subséquentes. En effet, sachant que l’objectif de ce mémoire est d’étudier les modes 62 d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement canadien lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière, il importe d’approfondir cette réflexion en répondant à la seconde question de recherche formulée : • De quelles façons les principes exposés peuvent-ils être transposés à une expérience réelle de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier canadien ? Afin de répondre à cette question – et considérant les limites théoriques discutées – une analyse descriptive basée sur des études de cas est privilégiée. Cette approche s’inspire en partie des récents travaux de Martini (2007), de Blandford et Hill (2007), de Kubota (2006) et de Harris (2005). Ces derniers se sont tous attardés à étudier des processus de réforme en agriculture rencontrés dans différents pays, en orientant leurs analyses autour des principaux points suivants : • L’évolution de la politique et les facteurs expliquant la décision de réformer; • Le déroulement de la réforme; • Les mécanismes mis en place pour l’accompagner; et • Les conséquences observées en termes de capacité d’ajustement. Ce même angle d’analyse est ici adopté. Cependant, contrairement à ces auteurs, l’attention n’est pas portée sur les conséquences observées en termes d’ajustement post-réforme, mais plutôt sur les caractéristiques des mécanismes mis en place, ainsi que sur les objectifs qu’ils poursuivent. En effet, la finalité de notre approche est de pouvoir tirer des enseignements sur les moyens d’intervention qui s’offriront au gouvernement canadien dans l’éventualité d’une réforme de la politique laitière. Conséquemment, le processus ex ante d’intervention nous intéresse davantage que les retombées ex post mesurées. Ceci implique que seuls les programmes adoptés au moment de la réforme sont considérés et non ceux qui ont pu être ajoutés subséquemment par les autorités face aux conséquences observées de la réforme. L’analyse proposée est menée en deux étapes. Un processus de sélection des cas à l’étude est présenté dans un premier temps. Afin de pouvoir tirer de l’analyse des conclusions en lien avec la réalité canadienne, cette sélection s’appuie sur les caractéristiques de la politique laitière canadienne. Le fonctionnement de cette dernière est ainsi décrit à la 63 section 3.1, tandis que les cas retenus en fonction de cette description sont présentés par la suite. Dans un deuxième temps, un cadre d’analyse, développé en fonction de la conceptualisation proposée au chapitre précédent, est proposé. Plus précisément, à partir des expériences de réformes retenues, deux objectifs sont poursuivis, soit de : • cerner les composantes du secteur visé faisant l’objet d’une intervention et de définir les types de mesure de transition alors privilégiés; • évaluer, au travers des mesures de transition adoptées, la présence d’une forme de transposition du « test de compensation » décrit par le cadre théorique. Chacun est abordé en détails à la section 3.2. 3.1. La sélection des cas de réforme à l’étude La production laitière canadienne est un secteur économique de premier plan. En 2007, les recettes monétaires nettes générées à la ferme se sont élevées à 5,2 milliards de dollars et les ventes de produits laitiers à 11,6 milliards, plaçant cette production au quatrième rang en importance dans le secteur agricole au Canada95. En fait, l’évolution structurelle de cette industrie et sa rentabilité actuelle sont en grande partie dues à l’environnement économique et réglementaire, décrit sous le vocable de « gestion de l’offre », dans laquelle elle prend place. Rappelons cependant que les pressions exercées, à la fois au Canada et à l’étranger, pour réformer cette politique se font de plus en plus nombreuses. Il ne revient pas à ce mémoire de traiter en profondeur de la nature et de la portée des différentes contraintes qui pourraient venir affecter le fonctionnement de la politique laitière canadienne. À l’instar de Freytag et Renaud (2007), il suffit de mentionner que la réforme d’une politique peut être le fait d’un contexte économique défavorable à son maintien, de pressions extérieures – souvent internationales – ou encore d’un changement de préférence politique en matière 95 Informations tirées du site Internet du Centre canadien d’information laitière (cf. site Internet : http://www.infolait.gc.ca/_francais/cdi/index.html). 64 d’intervention. Peut également s’y ajouter l’aspect juridique, si la politique est contestée d’un point de vue légal. Les contraintes au maintien de la politique laitière canadienne – quelles qu’elles soient – peuvent par ailleurs être liées aux composantes nécessaires à son fonctionnement. Il est communément admis que le système de gestion de l’offre repose sur trois piliers, soit l’administration des prix de soutien, le contingentement de la production et le contrôle des importations. Bien que le secteur laitier canadien évolue dans un cadre réglementaire unique à l’échelle internationale, ces différents piliers, seuls ou combinés, font également partie intégrante de plusieurs politiques agricoles adoptées au Canada ou à l’étranger. Certaines de ces politiques sont toujours en place aujourd’hui, mais plusieurs ont été réformées au cours des dernières années. Pour cette raison, cette section décrit brièvement le fonctionnement et les composantes de la politique laitière canadienne afin de mettre en perspective ces différents piliers ainsi que leur rôle dans le maintien du système actuel. Cette démarche sert à la fois de cadre visant à sélectionner des cas de réforme présentant des similitudes avec la réalité canadienne, mais aussi à mettre en évidence les caractéristiques propres au secteur laitier canadien. 3.1.1 Les origines de la politique laitière canadienne La politique laitière canadienne puise son origine dans la création, en 1966, de la Commission canadienne du lait (CCL). La création de cet organisme résulte essentiellement des difficultés rencontrées, à l’échelle canadienne, à réguler la production de chacune des provinces où se retrouvaient différents groupes de producteurs évoluant sous différents systèmes de mise en marché96 (cf. Scullion 2006). De fait, la production laitière est communément divisée en deux secteurs, soit celui du lait de consommation, limité aux marchés provinciaux, et celui du lait de transformation, faisant l’objet d’un 96 La « guerre » alors menée par les industries laitières de chacune des provinces avait conduit à une dépréciation des prix qui avait affecté considérablement les revenus des producteurs laitiers, alors que le tiers des producteurs du Québec et de l’Ontario étaient jugés avoir des revenus en-deçà du seuil de pauvreté (Gouin 1987, p.24; Skogstad 1993, p.3). Le besoin de mettre fin à cette situation explique le recours à une meilleure régulation de la commercialisation à l’échelle pancanadienne. 65 commerce pancanadien. La coordination de ce dernier n’était envisageable, pour les paliers de gouvernement, qu’en collaborant au niveau constitutionnel97. En effet, l’agriculture est une compétence constitutionnelle partagée entre le fédéral et les provinces98. Dans le cas de la politique laitière canadienne, Gouin (1987, p.22) résume la dynamique qui résulte de ce partage de la façon suivante : « […] on considère généralement que le commerce interprovincial et international relève de la compétence fédérale, tandis que la réglementation du commerce intra-provincial est du ressort des autorités provinciales. De même, l’ensemble des mesures touchant directement le niveau individuel de production est de compétence provinciale; c’est-à-dire que le gouvernement fédéral ne dispose pas du pouvoir d’imposer un contingentement de la production et ne peut allouer de quotas de production individuels ». Autrement dit, la politique laitière canadienne est une « sphère de dépendance mutuelle », dont le tracé ne résulte pas tant des articles de la Constitution que de leur interprétation juridique par la Cour Suprême canadienne (Skogstad 1987, p.4). De fait, la coordination de la politique est aujourd’hui définie au niveau fédéral, mais son application concrète nécessite un cadre législatif élaboré au niveau provincial (Gouin 1987, p.22). Comme l’indique Charlebois (2007, p.6), « on ne peut comprendre l’actuelle structure interorganisationnelle du secteur agricole canadien sans retracer les nombreuses lois qui l’ont façonnée au cours des années ». La CCL coordonne ainsi le fonctionnement de la politique laitière à l’échelle canadienne. Sa mission, inscrite dans la Loi sur la Commission canadienne du lait de 1966, est demeurée la même depuis sa création, soit, « d'une part, de permettre aux producteurs de lait et de crème dont l'entreprise est efficace d'obtenir une juste rétribution de leur travail et de leur investissement et, d'autre part, d'assurer aux consommateurs un approvisionnement 97 Un premier office de commercialisation a vu le jour dès 1927 en Colombie-Britannique et a été jugé inconstitutionnel en 1931, car il restreignait le commerce interprovincial (Charlebois 2007, p.6). Le gouvernement fédéral a tenté d’intervenir en 1934 pour réguler la commercialisation du lait par lui-même et a également été débouté en 1937 par la Cour Suprême et le Conseil privé de Londres. Il faudra attendre l’adoption de Loi sur la commercialisation des produits agricoles, en 1949, déléguant les pouvoirs de régulation fédéraux au palier provincial pour que se répartissent véritablement les compétences en matière de commercialisation des produits agricoles au Canada (Lipert 2001, p.25). D’autres poursuites ont néanmoins eu lieu au cours des années 70 quant à la validité de ces pratiques (cf. Skogstad 1987, chapitre 3). 98 Les compétences en question, inscrites dans la Constitution de 1867 et reproduites dans la Loi constitutionnelle de 1982, se retrouvent dans les articles 91 à 95. 66 continu et suffisant de produits laitiers de qualité » (Loi sur la CCL de 1966). De façon générale, la Loi sur la CCL « donne à la Commission le pouvoir d’établir un prix cible national pour le lait de transformation et de le soutenir en proposant aux transformateurs d’acheter leur beurre et leur poudre de lait écrémé aux termes de la Loi sur la stabilisation des prix agricoles » (Scullion 2006, p.34). Tout en étant le principal acteur, la CCL n’est qu’une des composantes de la politique laitière canadienne. Rappelons qu’il est communément admis que le système de gestion de l’offre du secteur laitier canadien repose sur trois « piliers »99. Les prochaines sections décrivent succinctement les modalités de chacun. 3.1.2 La gestion de la production Le contingentement de la production laitière dédiée à la transformation date du début des années 70100. Le système est coordonné par la CCL et est aujourd’hui administré au moyen d’une entente fédérale-provinciale appelée Plan national de commercialisation du lait. L’objectif de ce plan est d’assurer un contingentement des livraisons de lait de transformation provenant de tous les producteurs laitiers afin d’ajuster la production canadienne aux besoins du marché intérieur (Gouin 1987, p.30). Un organisme canadien présidé par la CCL, le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait (CCGAL), est chargé d’appliquer les dispositions de ce Plan national afin d’établir le niveau de production global et d’attribuer des parts de Quotas de mise en marché (QMM) entre les provinces. Les QMM, originalement distribués aux provinces sur la base de leur niveau de production historique, s’élevaient, en 2005-2006, à 171 721 tonnes de matière grasse. Le Québec et l’Ontario possèdent près de 80 % de ces quotas (Groupe AGÉCO 2006). 99 Jusqu’en 2002, un subside était octroyé aux producteurs laitiers afin de réduire le prix des produits laitiers à la consommation. Cette subvention a été abolie graduellement à partir de 1994 pour des raisons d’ordre budgétaire (Groupe AGÉCO 2007b, p.33). Ce subside n’a jamais été considéré comme l’un des piliers de la politique. De fait, son abolition a tout simplement résulté en une augmentation subséquente des prix de soutien afin de maintenir les revenus des producteurs au même niveau (Gouin 2005, p.30). 100 Un premier Contingent d’admissibilité aux subventions (CAS) a été mis en place en 1967, mais a été remplacé par la suite (Scullion 2006, p.35). 67 Ce système, mis en place au niveau fédéral, s’harmonise avec le contingentement de la production du lait de consommation, administré au niveau provincial par les offices de commercialisation de produits laitiers (Parent 1999, p.15). Au Québec, par exemple, ce rôle appartient à la Fédération des producteurs de lait du Québec (FPLQ). Par le biais du Règlement sur la commercialisation des produits laitiers (cf. Gouvernement du Canada 1994), ces différents offices se voient attribuer la responsabilité de répartir ces QMM entre les producteurs de lait, selon le cadre réglementaire provincial en vigueur. Notons que depuis 1996, une entente de mise en commun des revenus du lait (Entente P5)101 a mené à la fusion des quotas des laits de consommation et de transformation dans les provinces participantes. Ainsi, les offices de commercialisation impliqués dans cette entente administrent aujourd’hui un quota de mise en marché unique, exprimé en kilos de matière grasse par jour (Lipert 2001, p.11). Malgré cette uniformisation, les QMM ne sont pas transigés d’une province à une autre102. Un « marché » pour les quotas individuels attribués aux producteurs laitiers existe ainsi dans chaque province et fonctionne selon des règles différentes dans chacune103. L’imposition de quotas de mise en marché du lait est essentielle au système de gestion de l’offre dans le secteur laitier. Conséquemment, le quota de production est l’actif le plus important des entreprises laitières canadiennes. Ainsi, au Québec, la valeur de cet actif – considérée au prix auquel il est transigé sur le marché de la FPLQ – représente plus de 50 % du prix d’acquisition d’une entreprise laitière. En fait, en 2005-2006, le prix d’une unité de quota transigé entre producteurs sur le marché des provinces participant au P-5 variait entre 29 204 $ (Ontario) et 32 499 $ en Nouvelle-Écosse (données tirées de Groupe AGÉCO 2006). 101 Signée à l’origine par le Québec, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île du Prince Édouard et le Manitoba. Cette dernière province a cependant quitté l’entente en 2003. 102 À l’exception d’une courte période en 1998, où les quotas ont pu être transigés entre certaines provinces, mais l’Ontario et la Nouvelle-Écosse se sont rapidement exclues de cet accord (Lipert 2001, p.30). 103 Gouin (2005, p.31) indique qu’il « existe deux façons d’acquérir du quota : premièrement, sur un marché centralisé où le quota peut être acheté ou vendu seul; deuxièmement, en acquérant une exploitation entière avec tous ses actifs, y compris le quota ». La majorité des quotas transigés au Québec le sont par cette deuxième voie. 68 3.1.3 L’administration des prix de soutien La CCL intervient également au niveau des prix des produits laitiers en se référant à un prix cible publié le 1er février de chaque année. Ce dernier est établi de façon à ce que les « producteurs efficaces » puissent obtenir une « juste rétribution ». Plus précisément, la CCL a recours à des prix de soutien, autrement dit des prix, en dollars par kilogramme, auxquels elle achète et vend le beurre et la poudre de lait écrémé aux transformateurs laitiers canadiens. Cette approche permet ainsi aux producteurs de tendre vers un revenu cible par le biais des prix tirés du marché, puisque ceux-ci sont influencés par les prix de soutien spécifiés par la CCL (Scullion 2006, p.56). Ainsi, en février 2008, le prix cible a été établi à 72,45 $/hl sur la base de prix de soutien du beurre et de la poudre de lait écrémé s’élevant respectivement à 6,94 $/Kg et à 5,98 $/Kg (site Internet de la CCL). Notons que depuis 1975, les prix de soutien sont établis sur la base d’une formule tenant compte des coûts de production du lait (Lipert 2001, p.32). Les prix publiés par la CCL servent de référence aux offices de commercialisation provinciaux dans l’établissement du prix exigé sur leurs marchés. Notons que les prix aux transformateurs sont définis sur la base de l’utilisation du lait, selon un système de classification harmonisé à l’échelle canadienne et comptant cinq catégories104 (Parent 1999, p.17-8). 3.1.4 Le contrôle des importations Dû au contingentement de la production et à l’administration des prix, la protection du marché domestique de la concurrence étrangère est un pré-requis indispensable au maintien du système de gestion de l’offre au Canada. La protection douanière appliquée aux produits 104 Ainsi, le lait de classe 1 correspond au lait de consommation, tandis que celui de la classe 5, au lait dédié à la sur-transformation et à l’exportation. Notons que bien que les prix diffèrent au niveau provincial, certaines ententes de mise en commun existent entre les provinces quant au partage des recettes découlant de la vente de lait. La principale est l’Entente sur la mise en commun des revenus du lait, regroupant aujourd’hui l’ensemble des provinces, qui propose une mise en commun des ventes de la classe 5 (AAC 2005a, p.9). Elle a été adoptée en 1995 afin de remplacer l’ancien système de retenues visant à financer l’exportation des surplus de beurre et de PLE (Parent 1999). D’autres ententes existent, comme la P-5 décrite précédemment et la P-4, similaire, pour les provinces de l’Ouest canadien. 69 laitiers est d’ailleurs une mesure antérieure à la mise sur pied de la CCL et du contingentement de la production (Scullion 2006, p.58). Jusqu’à la conclusion de l’Accord sur l’agriculture en 1994, le Canada avait recours à des quotas d’importation pour certains produits, dont le lait, le fromage et le yogourt (Lipert 2001, p.37). Ses obligations internationales l’ont par la suite mené à adopter un régime constitué de tarifs douaniers. Aujourd’hui, le Canada applique, jusqu’à concurrence d’un volume d’importation équivalent à 5 % de la consommation domestique, des tarifs préférentiels (intra-quotas), tandis que des tarifs beaucoup plus élevés sont imposés pour les quantités supplémentaires (tarifs hors-quotas). Ces derniers varient entre 201,6 % (poudre de lait écrémé) et 298,7 % (beurre). 3.1.5 Présentation des cas retenus de réformes La discussion précédente a mis en évidence les différentes caractéristiques de la politique laitière canadienne. Deux constats simples – mais déterminants – s’imposent à cette lecture. Tout d’abord, le secteur laitier évolue dans un environnement réglementaire unique, propre à la réalité politique, juridique et économique canadienne. Ce système d’intervention, comme de nombreux autres adoptés au Canada au cours des années, a été mis en place et a évolué de façon à répondre aux attentes du gouvernement et des secteurs concernés. Pour cette raison, il apparaît nécessaire de retenir, parmi les cas à l’étude, des projets de réforme ayant été adoptés au Canada et pouvant être considérés comme des précédents en matière de réponse gouvernementale à la suite d’une réforme. Ensuite, le secteur laitier canadien évolue dans un environnement combinant à la fois un contingentement de l’offre, une administration des prix et un contrôle des importations. Sans présenter des modes de fonctionnement nécessairement identiques, plusieurs politiques agricoles étrangères – aujourd’hui réformées – ont été développées autour de ces mêmes éléments. La prise en compte de ces expériences est ainsi incontournable afin de discerner les mesures d’intervention pouvant être adoptées lorsqu’un tel ensemble d’interventions est réformé, en tout ou en partie. La Figure 4 schématise cette démarche de sélection. 70 Figure 4 : Sélection des cas à l’étude : perspective privilégiée « Gestion de l’offre » Contingentement Contrôle des importations Soutien des prix Méthode de sélection Expériences étrangères Gestion de l’offre Secteur laitier Australie Suisse Selon le degré de correspondance Politiques canadiennes Réformes canadiennes « Nid-de-Corbeau » Tabac ontarien Autres secteurs Sucre européen Arachides américaines À partir d’un recensement effectué dans la littérature et selon les conditions énoncées précédemment, six cas de réforme ont été sélectionnés. Plus précisément, deux expériences de réforme de politique agricole ont été retenues au niveau canadien, soit celle de l’abolition de la subvention du transport du grain de l’Ouest (i.e. subvention du Nid-deCorbeau) et celle du démantèlement du régime de gestion de l’offre en vigueur dans le secteur de la tabaculture en Ontario. Parmi tous les cas canadiens de réforme105, ces derniers sont certainement les plus pertinents, aussi bien pour les budgets impliqués que pour les modes d’intervention qui ont été réformés (cf. sections 4.1 & 4.2). Quatre expériences de réforme de politiques agricoles étrangères ont quant à elles été sélectionnées. Afin d’assurer le plus haut niveau de correspondance possible, chacun des secteurs concernés évoluait, avant sa réforme, sous un régime de « gestion de l’offre » s’apparentant à celui caractérisant le secteur laitier canadien. Parmi les cas retenus, deux concernent d’ailleurs directement le secteur laitier, soient ceux de l’Australie et de la Suisse 105 Ces cas sont peu nombreux. Un troisième cas aurait cependant pu être retenu, soit celui de la réforme du secteur viticole de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, mais en plus de dater de la fin des années 80, cet exemple concernait un secteur et une politique d’intervention très différents de ce qui caractérise le secteur laitier canadien (cf. Carew 1998; Heien et Sims 2000). 71 (cf. sections 4.3 & 4.4). Les exemples du secteur sucrier européen et celui des arachides aux États-Unis constituent pour leur part des cas récents de réformes mises en œuvre dans des secteurs de production importants et menées dans des pays politiquement et économiquement proches du Canada (cf. sections 4.5 & 4.6). Notons que la description approfondie, ainsi que l’analyse de ces six cas sont effectuées au chapitre 4, à partir d’une démarche analytique exposée à la section suivante. 3.2. La démarche analytique proposée La première question de recherche a été traitée lors de l’étude des principes économiques d’intervention menée au chapitre 2. La démarche analytique ici proposée se concentre ainsi sur les façons dont ces principes peuvent être transposés à une expérience réelle de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier canadien. Trois types de principes économiques liés aux processus de réforme de politiques publiques ont été abordés au chapitre précédent, soit le critère du « test de compensation », la conceptualisation des mesures de transition et enfin l’articulation des justifications normatives avancées pour légitimer le recours – ou non – à une mesure de transition. Rappelons que ce dernier aspect, déterminant d’un point de vue normatif, s’est cependant révélé d’une portée analytique limitée pour les fins de ce mémoire. Conséquemment, l’analyse proposée se concentre sur les deux premiers types de principes économiques. Afin d’évaluer la façon dont ils se transposent dans le cadre d’une réforme réelle, une analyse individuelle et transversale des cas retenus est menée en deux étapes, soit en : • cernant les composantes du secteur visé faisant l’objet d’une intervention et en définissant les types de mesure de transition alors privilégiés; • évaluant, au travers des mesures de transition adoptées, la présence d’une forme de transposition du « test de compensation » décrit par le cadre théorique. À cette fin, une démarche analytique, exposée ci-après, est développée autour de l’analyse des cas sélectionnés précédemment. Notons que la perspective privilégiée a pour finalité de cerner différentes tendances ou particularités en matière de réponses gouvernementales suivant la réforme d’une politique agricole. Les résultats obtenus doivent alors servir à tirer 72 des enseignements sur la nature des mesures de transition qui pourraient être adoptées à la suite d’une éventuelle réforme de la politique laitière canadienne. 3.2.1 La contextualisation du processus de réforme L’objectif de ce mémoire est de contribuer à structurer la réflexion quant aux modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne. Considérant que l’approche privilégiée repose sur des études de cas, il est donc primordial de situer ces expériences de réforme. De fait, toute inférence avec la réalité canadienne n’est possible que sous réserve des particularités propres à chaque processus d’implantation. Ainsi, à l’instar de Martini (2007), de Blandford & Hill (2007), de Kubota (2006) et de Harris (2005), il est nécessaire de mettre en contexte chaque projet de réforme à l’étude. L’originalité de notre démarche se situe quant à elle dans l’attention particulière accordée au degré de correspondance de cet environnement vis-à-vis la réalité du secteur laitier canadien. Plus précisément, les deux points suivants, détaillés de façon non-exhaustive, sont considérés : • Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien o Quels mécanismes d’intervention étaient employés avant la réforme ? o En quoi ces mécanismes correspondaient – ou non – à ceux utilisés dans le cadre de la politique laitière canadienne ? • Réforme de la politique et pressions exercées o Quelles modifications ont été apportées à la politique agricole ? o Quels étaient l’ampleur de la réforme et les délais alloués à son déroulement ? o Quels sont les principaux facteurs, cités dans la littérature, expliquant le besoin de réformer le secteur étudié ? 3.2.2 Le recensement des caractéristiques d’intervention Chaque cas de réforme à l’étude est en soi un phénomène politico-économique complexe pouvant être étudié sous une multitude de facettes. Afin que la description des expériences 73 de réforme soit systématique et circonscrite aux seuls aspects pertinents pour les fins du mémoire, une grille regroupant les informations nécessaires a été développée et utilisée. Le Tableau 3 en offre un exemple, appliqué à un pays fictif, pour une réforme d’un secteur de production donné. Les paramètres définis (i.e. intervenants concernés, critères d’éligibilité, financement, etc.) sont des éléments préalablement soulevés et étudiés dans les différentes sections du chapitre 2, dont celle traitant des justifications normatives d’intervention (cf. section 2.5). Leur sélection s’explique quant à elle par les besoins de la démarche analytique, axée sur la conceptualisation des mesures d’intervention et la transposition des notions théoriques aux expériences de réforme. Pour fins de clarté, les paramètres retenus sont classifiés en deux ensembles, soit les critères d’intervention et la structure des programmes. Le premier ensemble regroupe des informations qualifiant l’intervention, telles que les critères d’éligibilité et les conditions de versement du soutien. Le second ensemble se concentre sur des aspects techniques et à caractère économique. Ainsi, les budgets alloués aux mesures sont pris en compte, tout comme la base de référence par rapport à laquelle a été évalué le montant octroyé. Les informations compilées par le biais de cet exercice – dans la mesure où elles sont accessibles – constituent la base de données à partir de laquelle les analyses du chapitre 4 sont menées. 74 Tableau 3 : Caractéristiques et modalités des programmes adoptés à la suite de la réforme, un exemple Aspects descriptifs Critères d’intervention Nom du programme Programme A Programme B Intervenants concernés Producteurs agricoles Les abattoirs Composantes économiques visées Critères d’éligibilité Conditions de versement Période et rythme de versement Soutien des revenus - Recettes brutes inférieures à 30 000$ ; - Avoir été producteur entre 2006 et 2008. - Participer à un programme de formation en gestion d’entreprise ; - Abandonner les productions ciblées d’ici 2013. - Disponible pendant 5 ans ; - Versement mensuel. Incitatifs à la restructuration Etre une entreprise spécialisée dans l’abatage du produit visé. - Démanteler les installations d’abatage ; - Disponible pendant 5 ans ; - Versement unique. Structure du programme Nom du programme Montant de l’intervention Calcul du soutien Base de référence Programme A 300 000 $ - Selon un revenu net cible de 16 000$ ; - Soutien direct régressif selon la différence. Nd. Programme B 1,2 millions de $ Selon une évaluation du ministère et de l’entreprise. Couvrir la totalité des coûts du démantèlement. Plafond et nature du paiement - Soutien direct découplé ; - Soutien maximal de 5 000 $. Soutien direct découplé ; Financement Type de mesure de transition Assistance Crédits du ministère de l’agriculture (contribuables) Ajustement 3.2.3 L’analyse des caractéristiques d’intervention La catégorisation des mesures de transition adoptées lors du processus de réforme est déterminante, car elle permet de discerner les composantes économiques bénéficiant d’une intervention, ainsi que de définir et de pondérer les finalités poursuivies par le gouvernement lors du processus. Dans le cadre des analyses de cas présentées au chapitre suivant, cette facette est étudiée en lien avec la classification proposée au Tableau 1 et synthétisée par la Figure 5 suivante. Notons, à l’instar de Kubota (2006), que notre 75 démarche est d’abord et avant tout conceptuelle et qu’en pratique, les mesures entrant dans le champ de la définition au sens étroit adopté dans ce mémoire peuvent être relativement rares. Mesure d’ajustement Définition Structurelles Compétitivité Conditions de marché Intervention agissant sur le rythme et le degré d’adaptation du secteur à la suite de la réforme d’une politique en vigueur. Caractéristiques Catégorisation Figure 5 : Synthèse de la catégorisation des mesures de transition • Soutien direct ou indirect; • Échéance de court à moyen terme; • Axée sur l’allocation des ressources. Mesure d’indemnisation Actifs Revenus Transfert monétaire direct octroyé à une catégorie ciblée ayant subi un préjudice suivant la réforme d’une politique publique. • Inconditionnelle à l’ajustement; • Pas d’attente quant à l’ajustement; • Transfert monétaire direct; • Date de cessation connue. Mesure d’assistance Réinstrumentation Composante Composante indemnité ajustement Mesure ayant pour objectif combiné de dédommager les individus pénalisés par la réforme et de promouvoir l’ajustement par les forces du marché • Soutien direct et temporaire; • Versement conditionnel à une décision d’ajustement. Remplacement d’un instrument d’action par un autre pour continuer à poursuivre un même objectif. • Aucune limitation à la durée de versement. Source : Développé à partir de la conceptualisation proposée au tableau 1. La classification est effectuée sur la base des caractéristiques fournies par la grille décrite au Tableau 3. En plus de définir les types de mesure de transition privilégiés, cette démarche permet l’étude des constantes et rend possible la proposition d’inférences avec le cas du secteur laitier canadien. Cet exercice, réalisé par cas individuel, est également mené de façon transversale, au chapitre 5, afin de couvrir une plus vaste perspective en matière d’interventions post-réformes. Dans le but d’approfondir la compréhension des processus de réforme à l’étude, une évaluation globale des justifications avancées afin d’expliquer le recours aux mesures de transition adoptées est proposée. Cet exercice est mené dans les limites des informations 76 disponibles, telles que les caractéristiques répertoriées, les sources gouvernementales publiées ou encore les publications scientifiques pertinentes. 3.2.4 L’ascendance de la théorie économique sur l’intervention gouvernementale La démarche analytique proposée à ce stade privilégie une compréhension conceptuelle du processus de réforme et des mesures de transition adoptées. La dernière composante d’analyse a quant à elle un caractère davantage théorique. En effet, rappelons que dans la perspective de l’économie du bien-être, il est proposé de réformer un secteur si le « test de compensation » présente une valeur positive, autrement dit si les gains d’efficacité anticipés surpassent les coûts engendrés par la décision, de façon à ce que les perdants puissent être dédommagés pour leurs pertes par les gagnants. Selon la théorie, ce test n’engage pas nécessairement à verser effectivement la compensation. Toutefois, dans la mesure où un support est effectivement octroyé, il est intéressant d’évaluer si ce dernier prend la forme d’une transposition du « test de compensation » décrit par le cadre théorique. En effet, comme le remarque Kapstein (1998, p.505) dans le cas du TAA, « there are few areas of public policy where the gap between theory and practice is so wide. […]. The difference between the compensation called for in theory and that actually extracted from the political process and job market might be called trade’s “dirty little secret” ». Pour évaluer l’existence d’une telle transposition dans les cas à l’étude, les trois composantes suivantes sont considérées : • La spécification des perdants, soit les individus pénalisés par la réforme ; • Le niveau de « compensation » accordé, devant correspondre aux pertes assumées ; • L’origine du financement, provenant théoriquement des gains perçus par les bénéficiaires. Afin de pouvoir étudier ces différents aspects, les modalités répertoriées des programmes sont prises en compte. Des paramètres tels que les intervenants concernés, les montants alloués et la nature du financement, retrouvés au Tableau 3, sont considérés. 77 En somme, à partir de ces différentes informations, il est proposé d’étudier, pour chacun des cas sélectionnés, les façons dont les mesures de transition conceptualisées et le « test de compensation » sont transposés en pratique. Cette démarche a pour objectif de tirer des enseignements sur les modes d’intervention et sur leur contexte d’utilisation. Ces résultats, une fois compilés, permettront de mieux cerner la nature des réponses gouvernementales qui pourraient être adoptées dans l’éventualité d’une réforme de la politique laitière canadienne. 4. L’analyse des expériences antérieures de réforme Rappelons que l’objectif de ce mémoire est d’étudier les modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne. Jusqu’à présent, l’analyse proposée s’est surtout intéressée au volet « théorique » de la question en présentant, au chapitre 2, une étude conceptuelle des principes économiques d’intervention envisageables lors d’une réforme d’une politique publique. La démarche analytique développée au chapitre 3 à partir de cette conceptualisation théorique a, par ailleurs, ouvert la voie à une analyse à caractère « empirique » des modes d’intervention pouvant être déployés par un gouvernement lors d’une réforme d’une politique agricole. Ainsi, six expériences de réforme ont été sélectionnées en fonction de leur correspondance avec le fonctionnement actuel de la politique laitière canadienne. Dans le cadre de ce quatrième chapitre, ces cas sont étudiés en vue de répondre à la deuxième question de recherche de ce mémoire, à savoir de quelles façons les principes économiques d’intervention exposés au chapitre 2 peuvent être transposés à une expérience réelle de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier canadien. Les sections suivantes présentent, pour chacun des six cas retenus, les analyses réalisées selon la démarche analytique développée au chapitre précédent. Dans l’ordre de traitement, les cas de réforme sont ceux de la politique de transport du grain de l’Ouest canadien, du secteur ontarien de la tabaculture, des secteurs laitiers australiens et helvétiques, des arachides américaines et du sucre européen. 4.1. Le réforme de la Loi sur le transport du grain de l’Ouest L’intervention du gouvernement canadien dans le domaine du transport céréalier a débuté en 1897, avec la Convention du Nid-de-Corbeau. Cet accord, institutionnalisé en 1925, fixait à perpétuité le tarif – le taux de la Passe du Nid-du-corbeau – pouvant être chargé par les compagnies ferroviaires pour le transport du grain produit dans l’Ouest canadien et 79 destiné à l’exportation. Jusqu’au début des années 80, peu d’ajustements ont été apportés à cette entente (Klein et Kerr 1996, p.3). L’augmentation des coûts d’opération des chemins de fer ayant rendu l’entente peu profitable pour les compagnies ferroviaires106, les paliers de gouvernement fédéral et provincial ont dû investir, au cours des années 70, de façon ad hoc afin d’assurer le respect de la Convention (Kubota 2006, p.16). Confronté à ce disfonctionnement, le gouvernement canadien a modifié son cadre réglementaire, en adoptant, en 1983, Loi sur le transport du grain de l’Ouest (LTGO)107. Cette loi venait institutionnaliser les paiements ad hoc versés au cours de la décennie précédente. Elle garantissait que les coûts du transport des céréales par chemin de fer non couverts par les tarifs seraient pris en charge conjointement par l’État fédéral et les producteurs agricoles, moyennant une subvention dite du « Nid-de-corbeau ». 4.1.1 La contextualisation du projet de réforme 4.1.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien Dans le cadre de la Loi sur le transport du grain de l’Ouest (LTGO), les entreprises ferroviaires ont perçu une subvention, dite du « Nid-de-corbeau », pour le transport des grains108 des producteurs de l’Ouest canadien109 vers les ports de Vancouver ou de Thunder Bay, pour fins d’exportation. À la veille de la réforme, jusqu’à 34,6 millions de tonnes de grains pouvaient être subventionnées de la sorte (CEPP 1994, p.113). L’aide correspondait à la différence entre les coûts engagés par les entreprises ferroviaires pour déplacer la production et les charges payées par les producteurs. Plus précisément, la subvention devait, à l’origine, assurer aux entreprises ferroviaires les revenus additionnels 106 Des sources avançaient qu’en 1974, les entreprises ferroviaires ne couvraient que 38 % de leurs coûts variables d’exploitation à partir des tarifs appliqués au transport des grains (cf. Norrie 1983, p.436). 107 Il est intéressant de noter que cette réforme a elle-même mené à la mise en place de mesures de transition, dont un programme quinquennal de 250 millions de dollars canadiens visant l’expansion industrielle et agricole de l’Ouest canadien (cf. Norrie 1983). 108 La LTGO s’appliquait à 58 produits, soit pratiquement toutes les céréales, dont les grains, mais aussi la farine, la luzerne et les oléagineux. Dans le cadre de cette analyse, le terme générique de « grain » est privilégié. 80 nécessaires afin qu’elles puissent couvrir l’entièreté de leurs coûts d’opération, en plus d’assurer un retour sur investissement suffisant. Le « montant de base » prévu a été évalué à 658,6 millions de dollars en 1983 (cf. Transports Canada 1999). Un organisme fédéral avait la responsabilité d’évaluer, sur une base quadriennale, la croissance des coûts et, selon les besoins, de partager les charges supplémentaires entre le gouvernement fédéral et les producteurs concernés (Klein et Kerr 1996, p.4). Ainsi, en 1989, la subvention s’élevait à 720 millions de dollars et couvrait 70 % des coûts de transport. Compte tenu des coupures budgétaires et des gains d’efficacité dans le transport, les sommes nécessaires ont été revues à la baisse à partir de 1992. Au moment de la réforme, la subvention n’était plus que de 565 millions de dollars et les producteurs assumaient alors 50 % des charges induites par le transport (Klein et Kerr 1996, p.4). Mentionnons que l’intervention au titre de la LTGO était complétée par divers mécanismes de régulation du transport et du marché des grains. Ainsi, la Commission canadienne du blé (CCB) administrait un système de mise en commun des recettes qui avait pour effet d’uniformiser les prix perçus aux ports de Vancouver et de Thunder Bay, malgré les différences de frais de transport observées dans les faits (Doan et coll. 2003, p.4). S’ajoutaient également les effets indirects d’autres subventions au transport, telles que l’Aide au transport des céréales fourragères, qui visait à faciliter la livraison des grains de l’Ouest vers les régions canadiennes ne produisant pas suffisamment de ces produits pour répondre à leurs besoins, telles que la Colombie-Britannique et la région Atlantique. Techniquement, l’aide versée au titre de la LTGO représentait une subvention au capital utilisé dans le secteur de la production de grains dans l’Ouest canadien (Schmitz et coll. 2002b, p.335). Dans les faits, elle permettait de soutenir le prix de tous les grains produits dans cette région, bien que la production utilisée localement ne fût pas éligible à la subvention. Ceci s’explique par le fait que le marché canadien des grains était libéralisé. Les prix aux producteurs étaient donc établis en fonction des cours internationaux, que le grain fut exporté ou consommé sur place. 109 Les producteurs visés étaient ceux du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de deux districts de la Colombie-Britannique (Kubuta 2006, p.18). Ces régions sont ici regroupées sous le terme général de « l’Ouest canadien ». 81 Ce faisant, le prix local correspondait au prix international, moins les frais de transport et de manutention. Dans la mesure où la subvention réduisait ces frais, une plus petite déduction devait être appliquée, rehaussant le prix perçu par les producteurs, non seulement sur le marché de l’exportation, mais aussi sur celui de la consommation locale, défavorisé par la moindre disponibilité de l’offre (Norrie 1983, p.436; Friesen 2003, p.2). Autrement dit, cette intervention, tout en laissant libre-cours aux fluctuations des marchés, permettait de bonifier les prix perçus par les producteurs. Il faut reconnaître que ce type d’intervention diffère du fonctionnement du régime de gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien. Toutefois, sur certains aspects, l’effet économique de la subvention du « Nid-de-corbeau » rejoint celui de la politique laitière canadienne. C’est le cas notamment du processus de capitalisation du soutien dans la valeur des actifs des entreprises. Mais en plus de cette correspondance à caractère économique, l’intérêt d’analyser la réforme de la LTGO relève du fait que cet exemple constitue, de par les sommes engagées et le nombre d’intervenants impliqués, la principale expérience de réforme de politique agricole au Canada. La façon dont elle s’est déroulée constitue conséquemment un précédent significatif en la matière. 4.1.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées Lors du dépôt du budget fédéral de 1995, le gouvernement fédéral a annoncé l’abolition de toutes les subventions ferroviaires en lien avec le secteur de l’agroalimentaire. Par cette décision, le gouvernement visait quatre objectifs (cf. Timmins et Young 1996, 28.10) : • « contribuer aux restrictions financières; • se conformer aux nouvelles obligations en matière de commerce international au chapitre des subventions à l'exportation; • encourager l'évolution d'un système de transport plus efficace et plus efficient pour le transport du grain de l'Ouest vers les marchés; • encourager la diversification des cultures et le développement d'une plus grande transformation « à valeur ajoutée » des produits agricoles. » 82 La politique de transport du grain de l’Ouest s’est retrouvée au cœur de ce processus de réforme. Afin atteindre les objectifs poursuivis, trois grandes modifications ont alors été apportées à ce système d’intervention (cf. Timmins et Young 1996, 28.11) : • « éliminer la subvention communément appelée “Subvention du Nid-de-Corbeau”; • permettre la vente ou l'abandon des lignes de chemin de fer non rentables et dépendantes du transport du grain; • réorganiser le système de mise en commun de la Commission canadienne du blé (la manière dont les producteurs partagent les coûts de transport). » 110 Ce processus de réforme a ainsi eu pour principale conséquence de laisser à la charge des entreprises agricoles l’entièreté des coûts liés à l’exportation de leurs grains, en plus de modifier la structure des prix à l’exportation, dans un contexte de désengagement économique de l’État en matière de coordination du transport céréalier. À cet égard, ce processus de désengagement a également mené à l’abrogation de plusieurs lois régulant le transport du grain au Canada111, en plus de mettre fin à l’Aide au transport des céréales fourragères. Pour contrer les effets de ces nombreux changements, différentes mesures ont été mises de l’avant par le gouvernement canadien. Celles-ci sont présentées à la section suivante. Mentionnons à ce stade que ces décisions, adoptées en février 1995, devaient pour la plupart être mises en œuvre au cours de cette même année. À cet égard, la réforme de la LTGO et des mesures connexes a été directe. Il est également possible de considérer cette réforme comme ayant été complète. En effet, bien que des mesures de transition aient été adoptées et que le transport ferroviaire du grain de l’Ouest canadien soit demeuré réglementé à la suite de la réforme112, le principe d’intervention, assurant une bonification des prix aux producteurs, a quant à lui été complètement abandonné avec l’abrogation de la LTGO. 110 L’ajustement visait à ce que les tarifs reflètent les coûts supplémentaires liés à l’exportation des grains à partir du port de Thunder Bay (cf. Kraft et Doiron 2000). 111 Les principales sont la Loi sur les subventions au transport des marchandises dans la région Atlantique ainsi que la Loi sur les taux de transport des marchandises dans les provinces Maritimes. Il est intéressant de noter que leur abrogation a mené à l’adoption de mesures de transition, dont un fonds de 326 millions de dollars sur cinq ans « pour atténuer les difficultés des expéditeurs ou pour investir dans les routes ou autres segments du secteur des transports pour accroître l’efficience du réseau » (Transports Canada 1996, p.21). 112 L’Office des transports du Canada a maintenu, jusqu’en 2001, un contrôle sur les tarifs ferroviaires applicables au transport des grains (Transports Canada 1999; Schmitz et coll. 2002b). 83 4.1.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention 4.1.2.1 La catégorisation des programmes adoptés Pour les fins de l’analyse, les trois principales mesures adoptées lors de la réforme de la politique sur le transport des grains de l’Ouest ont été étudiées. La sélection effectuée s’explique par la représentativité de ces interventions, mais aussi par la disponibilité des informations nécessaires à leur catégorisation113. Ces mesures sont le Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest, le Fonds d'adaptation à la disparition de l'aide au transport des céréales fourragères et le Fonds d’adaptation à la réforme du transport du grain de l’Ouest. Leurs caractéristiques sont présentées au Tableau 4. Le Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest (PPTGO) constitue la principale mesure de transition adoptée par le gouvernement canadien lors du processus de réforme. Il consistait en un paiement ponctuel en capital. Comme l’indiquent Timmins et Young du Bureau du Vérificateur général du Canada, (1996, 28.13) « l'intention déclarée du [PPTGO] est de dédommager les propriétaires de terres agricoles pour la baisse de valeur de leurs terres par suite de l'abolition de la Subvention du Nid-de-Corbeau ». Près de 210 000 propriétaires fonciers, détenant quelques 730 000 parcelles de terre, étaient visés par ce programme (Timmins et Young 1996, 28.26). Le budget total prévu par ce programme s’élevait à 1,6 milliard de dollars. La distribution de cette subvention a d’abord été effectuée entre les provinces. Chacune s’est vue décerner une part sur la base du niveau moyen d’aide offert au titre de la subvention du « Nid-deCorbeau » entre 1985/86 et 1993/94. Cette somme a par la suite été répartie entre les propriétaires fonciers sur la base d’un calcul individualisé, tenant compte principalement de trois paramètres, soit de la distance de l’entreprise du port d’exportation le plus près, des rendements des sols et du degré d’irrigation de la parcelle. Le soutien accordé a ainsi varié de 7,25 $ à 48,31 $ l'acre (cf. Timmins et Young 1996). Autrement dit, compte tenu des 113 L’accès aux caractéristiques détaillées des programmes mis de l’avant s’étant révélé difficile, il n’a pas été possible de recenser systématiquement les modalités d’intervention de toutes les mesures de transition adoptées. 84 caractéristiques du paiement – direct, temporaire et dénué de condition de versement – le PPTGO relève de l’indemnisation. Mentionnons que Friesen (2003, p.2) d’Agriculture et d’Agroalimentaire Canada, indique que le PPTGO a fait passer le principe d’intervention d’un système de « Pay the railway » à un système de « Pay the producer ». Le PPTGO aurait ainsi été établi de façon à remplacer la subvention annuelle du « Nid-de-corbeau » payée aux entreprises ferroviaires, par un paiement direct unique, octroyé aux producteurs et correspondant à la valeur actualisée de cette subvention versée à perpétuité, dans la mesure où l’argent aurait été placé à un taux d’intérêt suffisant. Cette perspective est analysée plus en détails par la suite. La deuxième mesure étudiée est le Fonds d'adaptation à la disparition de l'aide au transport des céréales fourragères (FADATCF). Doté d’un budget de 72,7 millions de dollars, ce programme triennal visait à octroyer une aide provisoire aux éleveurs ayant bénéficié de l'Aide au transport des céréales fourragères (AAC 1996, p.26). Plus précisément, le gouvernement s’engageait à financer des initiatives entreprises par des organisations agricoles provinciales dans le but de faciliter l’adaptation des éleveurs au nouvel environnement économique (Martini 2008, p.8). Ce programme, en favorisant le développement d’une meilleure structure institutionnelle pour le secteur de l’élevage canadien affecté par la réforme de la politique du transport du grain de l’Ouest, peut ainsi être considéré comme une mesure d’ajustement, encourageant la « compétitivité » de l’industrie. La troisième mesure étudiée est le Fonds d’adaptation à la réforme du transport du grain de l’Ouest (FARTGO). Ce dernier visait « à faciliter la transition et à aider le secteur à s’adapter » (Kubuta 2006, p.18). Doté d’un budget de 300 millions de dollars sur trois ans, ce fonds devait financer quatre principaux programmes, ciblés sur différents aspects de la réforme. Ainsi, une première mesure – le Programme d’aide à la mise en commun des frais de transport – devait venir en aide aux producteurs affectés par les ajustements apportés au système de mise en commun des recettes de la CCB. En effet, puisque le changement impliquait une hausse des frais liés à l’exportation des céréales vers l’Est, les producteurs 85 situés au Manitoba et en Saskatchewan se trouvaient pénalisés, contrairement à ceux de l’Alberta qui voyaient leurs coûts d’exportation réduits114 (cf. CEPP 1994, chap.4). Pour cette raison, un support de 105 millions de dollars devait être accordé aux 60 000 producteurs agricoles éligibles situés dans ces deux provinces (AAC 1996, p.26; AAC 1997, p.42). Ce paiement visait donc à assurer que les producteurs situés dans l’Est des Prairies ne soient pas pénalisés comparativement à ceux de l’Alberta. Une seconde mesure – le Programme canadien d’agro-infrastructure – a été proposée afin de contrer les répercussions de la vente et de l'abandon, par le gouvernement, des lignes de chemin de fer non rentables (Timmins et Young 1996, pièce 28.1). En effet, cette rationalisation devait mener à un usage accru du réseau routier par les producteurs agricoles. Les municipalités auraient alors eu à faire face à des coûts d’entretien beaucoup plus élevés, sans être en mesure de transférer la facture aux utilisateurs transitant sur leur territoire (CEPP 1994, p.106). Ainsi, cette aide de 140 millions de dollars, mise à la disposition des communautés affectées, devait permettre d’améliorer les infrastructures locales, en privilégiant, entre autres, la réfection du réseau routier (Kubota 2006, p.18). Une troisième mesure, soit le Programme d’aide aux déshydrateurs de luzerne et aux fabricants de foin densifié, devait quant à elle soutenir ces entreprises pour les pertes induites par l’abolition de la subvention du « Nid-de-corbeau ». En effet, la luzerne déshydratée et le foin densifié faisaient partie des produits transformés bénéficiant de la subvention. Compte tenu que les paiements de transition pour le grain de l’Ouest étaient versés aux propriétaires fonciers et non aux producteurs de produits éligibles, un paiement supplémentaire se révélait nécessaire afin de les aider à faire face à l’augmentation des tarifs de transport (CEPP 1994, p.101). Les fonds prévus à cette fin devaient s’élever à 45 millions de dollars. Enfin, à partir des fonds restants (15 millions de dollars), un programme de garantie de crédit sur les exportations de céréales a été proposé. Réservé aux entreprises privées non 114 Ceci s’explique par le fait que sous l’ancien régime, les frais supplémentaires nécessaires à l’exportation des grains vers l’Est étaient pris en charge par la CCB et se reflétaient sur les prix nets payés à tous les producteurs. L’ajustement des tarifs devait donc avoir pour effet d’éliminer cette charge sur le prix des céréales exportées vers l’Ouest. 86 étatiques, il devait garantir la vente de céréales pour une valeur totalisant un milliard de dollars (Doan et coll. 2003, p.4). Bien que certaines modalités d’intervention caractérisant les programmes adoptés au titre du FARTGO n’aient pu être recensées, il est possible de proposer une catégorisation pour chacun d’eux. Le Programme d’aide à la mise en commun des frais de transport et le Programme d’aide aux déshydrateurs de luzerne et aux fabricants de foin densifié apparaissent ainsi être des mesures d’indemnisation. Ceci s’explique surtout par la finalité de ces deux programmes, qui visaient explicitement à limiter les pertes encourues par certains groupes spécifiques affectés par la réforme. D’autre part, le Programme canadien d’agro-infrastructure et celui finançant le crédit à l’exportation peuvent être classés dans la catégorie des mesures d’ajustement. En effet, ces programmes, temporaires, permettent d’accroître la « compétitivité » du secteur en mettant à sa disposition des capitaux supplémentaires afin de servir à son développement. Au total, près de 2 milliards de dollars ont été directement mis à la disposition du secteur du grain de l’Ouest canadien, affecté par la réforme de la politique du transport ferroviaire. Notons que cette enveloppe financière était fermée, en ce sens qu’elle ne finançait que des programmes temporaires et non renouvelables. La très grande partie des ressources budgétaires disponibles a d’ailleurs été allouée au programme ponctuel de Paiements de transition pour le grain de l’Ouest. 4.1.2.2 Constats et inférences En plus de la description proposée précédemment, une contextualisation se révèle nécessaire à l’analyse de la nature et de la portée des mesures de transition adoptées. Il est en fait primordial de noter que les programmes décrits découlent pour la plupart d’un processus de réévaluation de la politique antérieur à la réforme de 1995. En effet, dès 1993, un avant-projet de loi avait prévu que le versement de la subvention du « Nid-de-corbeau » soit transféré des entreprises ferroviaires vers les producteurs. Pour ce faire, différents moyens ont été envisagés dans le cadre d’études et de mémoires. L'analyse de ces options a 87 finalement été présentée dans un document publié en 1994 et préparé par le Comité d'examen des paiements aux producteurs (cf. CEPP 1994). Les travaux du Comité portaient essentiellement sur l’évaluation des modes alternatifs d’octroi de la subvention aux producteurs, de façon à accroître l’efficacité du système tout en évitant de pénaliser les différents intervenants impliqués. Bien que l’ajustement du système de mise en commun des prix de la CCB et la restructuration du réseau ferroviaire aient été des thèmes abordés, l’abolition de la politique n’était pas en soit envisagée. Quoi qu’il en soit, force est de constater que lors de la réforme de 1995, les mesures de transition adoptées se sont grandement inspirées des pistes de réflexion proposées par le Comité et ont conséquemment favorisé le dédommagement des groupes affectés. Ceci s’observe d’abord et avant tout par le nombre et la diversité des groupes visés par des mesures de transition. De fait, le type et la variété des interventions déployées ont permis de rejoindre la plupart des acteurs ayant été affectés, de près ou de loin, par la politique de transport du grain et par sa réforme. Les producteurs, les municipalités, les transformateurs, ainsi que des groupes régionaux et nationaux ont ainsi fait l’objet d’un soutien qui a souvent pris la forme d’une indemnisation. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le choix d’octroyer le Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest (PPTGO) aux propriétaires fonciers plutôt qu’aux producteurs découle de cette approche. En effet, bien que ce soient les bénéficiaires de la subvention du « Nid-de-corbeau » qui aient été directement pénalisés par son abolition, tous les producteurs agricoles de l’Ouest canadien avaient vu la valeur de leurs terres s’accroître dû à la capitalisation de cette aide au fil des années115. Considérant que l’abandon de cette subvention devait se répercuter à terme sur la valeur de cet actif, il a été jugé préférable d’intervenir à ce niveau (CEPP 1994, p.94). Tout en reconnaissant l’effet de « dilution » dû à une compensation liée aux terres plutôt qu’aux volumes commercialisés, cette approche permettait de rejoindre tous les producteurs affectés par la réforme116. 115 Il est admis que les subventions gouvernementales ont tendance à se capitaliser dans la valeur de certains actifs fixes des entreprises, tels que les quotas ou la terre. Ce phénomène devient encore plus important si la subvention a un caractère permanent, ce qui était le cas de la subvention du « Nid-de-corbeau ». 116 La volonté de dédommager correctement les producteurs va encore plus loin. Ainsi, Timmins et Young (1996) notent que la décision de calculer un paiement spécifique à chaque parcelle de terre plutôt que d’établir 88 L’adoption de mesures complémentaires telles que le Programme d’aide aux déshydrateurs de luzerne et aux fabricants de foin densifié et le Arable Acres Supplementary Payment Program117 assuraient, quant à elles, de dédommager les groupes spécifiques exclus du programme principal. Par ailleurs, la volonté de dédommager tous les acteurs affectés n’a pas été le seul facteur sous-tendant l’adoption de ces mesures de transition. Ainsi, rappelons que les attentes gouvernementales envers le processus de réforme se sont surtout exprimées en termes « d’efficacité », aussi bien budgétaire qu’économique. Par conséquent, les mesures mises de l’avant, que ce soient celles d’ajustement ou d’indemnisation, ont été teintées par cette perspective. Cette observation se transpose d’ailleurs aisément aux programmes de transition financés par le Fonds d’adaptation à la réforme du transport du grain de l’Ouest et par le Fonds d'adaptation à la disparition de l'aide au transport des céréales fourragères, dont la finalité première a été justement d’accroître l’efficience économique du secteur. Agriculture et Agroalimentaire Canada note même dans son rapport annuel de 1996 que « ces programmes [de transition] sont expressément conçus pour aider le secteur agricole et agroalimentaire à rehausser sa compétitivité et à mieux se positionner pour tirer parti des nouvelles possibilités commerciales dans un contexte de baisse des subventions » (AAC 1996, p.1). L’objectif poursuivi par le PPTGO était quant à lui de dédommager les propriétaires fonciers pour la dévaluation attendue de leurs terres à la suite de l’abolition de la subvention du « Nid-de-corbeau ». Mais plus encore que le dédommagement, le rehaussement du degré d’efficacité du secteur agricole de l’Ouest canadien était poursuivi. L’attente formulée par le gouvernement canadien à l’égard du PPTGO était d’ailleurs à l’effet que les « producers would use the subsidy to reinstate the earning potential of their farm through appropriate investments » (Friesen 2003, p.3). L’idée n’était donc pas seulement de compenser des propriétaires fonciers pour la dévaluation de leurs actifs, mais une valeur unique visait justement à prendre en compte les particularités de chaque entreprise, bien que des efforts importants ont dû être déployés pour obtenir les données nécessaires. 89 aussi de permettre à des producteurs agricoles de poursuivre le développement de leur entreprise118. D’un point de vue économique, il faut aussi constater que le PPTGO, bien que versé pour dédommager la dévaluation d’un actif, indemnise, en réalité, la perte des revenus découlant de l’abolition de la subvention du « Nid-de-corbeau ». C’est le fait que la terre ait été le principal actif des entreprises de la région et que la subvention ait certainement été capitalisée dans ce dernier qui explique le recours à ce « support » pour intervenir. Parmi les autres constats qui émergent de cette analyse, mentionnons l’absence d’attente en matière de restructuration du secteur, l’intervention étant seulement consacrée à la question de la « compétitivité » des entreprises. Seul un phénomène de diversification de la production était attendu, mais aucune mesure n’a été adoptée spécifiquement à cette fin119. Cette orientation peut s’expliquer par le fait que la réforme proposée n’affectait que la structure des prix des grains et non l’environnement commercial dans lequel évoluait le secteur, comme c’eut été le cas si le régime tarifaire ou un système de contingentement avait été démantelé. Par conséquent, la structure du secteur, que ce soit au niveau du nombre ou de la taille des entreprises, n’avait pas à faire l’objet d’une attention particulière. En somme, les mesures d’intervention déployées à la suite de la réforme de la politique de transport du grain de l’Ouest ont reposé sur le fait que le « gouvernement a reconnu que l'abolition de la subvention comporterait des répercussions financières négatives sur certains segments de l'économie de l'Ouest » (Timmins et Young 1996, 28.12). Plus spécifiquement, on constate qu’un large éventail de mesures a été déployé afin de couvrir une vaste gamme d’intervenants. 117 Ce programme n’a pas été étudié dans cette section. Il prévoyait un paiement unique similaire à celui du PPTGO. Il était réservé aux producteurs produisant des récoltes excluent du PPTGO (Martini 2008, p.21). 118 Il est intéressant de constater que le PPTGO, en tant que mesure catégorisée comme une indemnisation, devait servir, selon les préférences des bénéficiaires, de fonds de réinvestissement à l’adaptation des entreprises agricoles. Cette façon d’utiliser une indemnisation comme instrument de développement économique rejoint la perspective développée par Harris (2005) à l’effet qu’un paiement direct découplé et inconditionnel est le meilleur moyen afin d’assurer l’ajustement d’un secteur économique affecté par une réforme (cf. section 2.4.2). 119 Plus précisément, le gouvernement s’attendait à observer une augmentation de la production de cultures à haute valeur (canola, oléagineux) et de la nourriture d’élevage, ainsi qu’une substitution des variétés de céréales pour celles utilisées en alimentation animale. Compte tenu de ces changements, l’industrie de l’élevage devait également se développer dans l’Ouest canadien (cf. Friesen 2002). 90 Compte tenu du contexte dans lequel ces programmes ont été développés, on peut affirmer que l’intervention du gouvernement canadien découle à l’origine d’un projet de « réinstrumentation », prévoyant faire passer l’intervention d’un mode Pay the railway à un système de Pay the producer, mais qui a par la suite été recyclé en politique « d’indemnisation ». Depuis 1992, des coupures budgétaires « arbitraires » avaient déjà réduit de 15 % la participation fédérale au programme et des coupures supplémentaires étaient anticipées (Klein et Kerr 1996, p.4). La volonté politique de s’attaquer au déficit budgétaire et la signature, en 1994, de l’accord du GATT auront ainsi précipité et accentué un processus, déjà enclenché, d’ajustement de la politique. 4.1.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme Le gouvernement canadien a reconnu que la réforme de la politique sur le transport du grain de l’Ouest allait entraîner des coûts pour différents acteurs. Il semble d’ailleurs que la plupart des perdants potentiels ont été pris en considération lors du processus de réforme. De fait, compte tenu qu’un processus de consultation a précédé la réforme (cf. CEPP 1994), il est légitime de croire que la majorité des groupes affectés de près ou de loin par le projet se sont exprimés à cette occasion120. Conséquemment, l’intervention du gouvernement ne pouvait ignorer l’existence de ces groupes. De fait, de nombreux intervenants, parmi ceux recensés, ont été dédommagés dans le cadre de l’intervention post-réforme. De même, la majorité des programmes étudiés ont effectivement constitué une forme de « compensation » au sens de l’économie du bien-être. À cet égard, le Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest (PPTGO), en tant que mesure d’indemnisation, est sans conteste le plus important. Notons que certaines mesures d’ajustement représentent également des « compensations ». C’est, entre autres, le cas du Programme canadien d’agro-infrastructure, puisqu’il pourvoie aux coûts d’entretien supplémentaires assumés par les municipalités à la suite de la réforme. 120 142 organismes ont été contactés par le Comité. Plus de 100 mémoires ont été reçus et des rencontres en profondeur ont eu lieu avec près de la moitié des organismes concernés (CEPP 1994, p.5). 91 Sachant que les principaux « perdants » affectés par la réforme ont fait l’objet de « compensations », il reste à déterminer si les sommes allouées ont suffi à atténuer l’entièreté des pertes subies. Pour les fins de l’analyse, cette perspective n’est évaluée que pour la mesure la plus représentative, soit le PPTGO. Rappelons que ce programme a prévu 1,6 milliard de dollars afin de dédommager les propriétaires fonciers pour la perte de valeur de leurs terres. Officiellement, l’aide octroyée devait correspondre à la valeur actualisée de la subvention du « Nid-de-corbeau » versée à perpétuité, sous réserve du taux d’intérêt en vigueur. Cette réserve est toutefois significative, car selon le taux privilégié, le degré de « compensation » varie considérablement. Ainsi, Timmins et Young utilisent un taux d’intérêt de 8 % et affirment que la « valeur nette actuelle associée au maintien de la subvention annuelle de 560 millions de dollars à perpétuité s’établit à environ sept milliards de dollars » (1996, pièce 28.5). De façon un peu plus formelle, mais en utilisant d’autres valeurs de référence121, Schmitz et coll. (2002b) considèrent qu’à un taux d’intérêt de 5 %, le PPTGO compense moins de 20 % des pertes induites par son abolition. Autrement dit, il semble peu probable que la « compensation » au titre du PPTGO ait été suffisante pour contrebalancer toutes les pertes subies par l’abolition de la subvention du « Nid-decorbeau ». Dans le cadre de ces calculs, seul le montant de référence à partir duquel le PPTGO a été établi présente moins d’incertitude. En effet, en mars 1994, l’Office des transports du Canada a déclaré, dans une décision juridique, qu’il existait un plancher à la participation de l’État au titre de la subvention du « Nid-de-corbeau ». Le soutien ne pouvait être inférieur à 658,6 millions de dollars, moins les compressions budgétaires (CEPP 1994, p.66). Au cours des années ayant précédé la réforme, ces compressions ont été de l’ordre de 15 %. La subvention minimale devait ainsi être de 560 millions de dollars annuellement. Il est intéressant de souligner que le Bureau du Vérificateur général du Canada n’a pas tenté de déterminer si le montant de l’indemnisation était suffisant. Les auteurs du rapport 121 Ils utilisent le montant moyen réel de la subvention du « Nid-de-corbeau » entre 1984 et 1994, soit 704,9 millions de dollars et calculent la valeur actualisée sur 20 ans. 92 affirment qu’il « s'agit là d'une question complexe qui nécessite des évaluations quantitatives et qualitatives des besoins, des fonds disponibles dans la structure financière du gouvernement, des priorités du gouvernement en place, des autres affectations possibles des fonds ainsi que d'autres facteurs qui dépassent l'étendue de la vérification » (cf. Timmins et Young 1996). Même si la « compensation » semble insuffisante de ce point de vue, il importe, afin de compléter l’analyse, d’évaluer si le financement des mesures adoptées provient effectivement des « gagnants ». À ce chapitre, le projet de réforme a clairement mis en évidence les attentes en termes d’économies budgétaires. Lors du dépôt du budget annonçant la réforme de la politique de transport des grains de l’Ouest, une économie de 2,6 milliards de dollars sur cinq ans était attendue (Gouvernement du Canada 1995). Cette estimation reposait, entre autres choses, sur le fait que le gouvernement avait dépensé 560 millions de dollars lors de la campagne 1994-95 au titre de la subvention du « Nid-decorbeau », ainsi que sur la décision d’abandonner plusieurs infrastructures ferroviaires. Malgré les coûts des mesures de transition, évalués à près de 2 milliards de dollars, un bénéfice net significatif devait à terme résulter de la réforme. Le gouvernement canadien – donc les contribuables – apparaît être le principal bénéficiaire du processus de réforme122. C’est également celui qui finance l’entièreté des mesures de transition adoptées et ce, à partir des économies réalisées. Par exemple, selon le discours du budget, une « partie des économies [réalisées par l’abandon de l'Aide au transport des céréales fourragères] sera réaffectée provisoirement pour faciliter l'adaptation de l'industrie de l'élevage » (Gouvernement du Canada 1995, p.14). En somme, de par la structure de l’intervention post-réforme mise en place par le gouvernement canadien, force est d’admettre que la logique du « test de compensation » a été d’une certaine façon respectée. Toutefois, le niveau de « compensation » lui-même semble avoir été insuffisant pour complètement pallier les pertes subies par les intervenants affectés par la réforme, bien que le juste degré de « compensation » soit un sujet 122 Dans leurs travaux, Schmitz et coll. (2002b) considèrent que les éleveurs sont également des bénéficiaires de la réforme grâce, entre autres, à la diminution attendue du prix du grain. Ils font par ailleurs remarquer que 93 controversé. Autrement dit, ce cas de réforme semble être un exemple d’application du principe du « test de compensation » plutôt qu’une transposition effective de celui-ci. Pour conclure formellement en ce sens, il serait toutefois nécessaire d’évaluer si les gains obtenus par cette réforme ont dépassé réellement les pertes accusées par les intervenants. Pour conclure, il est intéressant de rapporter les constats de Schmitz et coll. (2002b) sur les raisons pouvant expliquer le fait que la compensation n’ait pas été complète lors de ce processus de réforme : « There were at least five major factors as to why producers did not receive anywhere near full compensation for removal of the Crow subsidy. First, net farm income reached a near record high in 1996. Second, lobbying groups were not united in supporting one policy choice over another. Third, the federal deficit was large and growing. Fourth, the west generally did not support the federal Liberal government. And fifth, there was increasing pressure from the World Trade Organization (WTO) to have the Crow subsidy removed. » (p.344). le gouvernement n’a pas tenté de les taxer afin de les faire participer à la « compensation » comme c’eut dû être le cas dans la perspective de la théorie. 94 Tableau 4 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées au Canada; le transport du grain de l’Ouest Aspects descriptifs Modalités d’intervention Nom du programme Intervenants concernés Composantes économiques visées Critères d’éligibilité Conditions de versement Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest 1 Propriétaires fonciers Revenus capitalisés dans la valeur d’un actif 2 Avoir eu sur les terres une culture éligible à la subvention de la LTGO en 1994 ; Fonds d'adaptation à la disparition de l'aide au transport des céréales fourragères Organisations agricoles provinciales Revenus Être situé dans l’une des régions ayant bénéficié de l'Aide au transport des céréales fourragères 4. Déposer un projet visant l’adaptation des éleveurs. Concerne les producteurs de la Saskatchewan et du Manitoba affectés par la refonte du système de mise en commun de la CCB. Aucune. Fonds d’adaptation à la réforme du transport du grain de l’Ouest Aide à la mise en commun des frais de transport Producteurs de grains Revenus Aide aux déshydrateurs de luzerne et aux fabricants de foin densifié Établissements de déshydratation de luzerne Revenus Aucune. Communautés rurales Infrastructures rurales Garantie de crédit à l’exportation Acheteurs étrangers de céréales Promotion des ventes Nd. Être une entreprise privée (≠ entreprise commerciale d’État). Un seul versement en 1996 3. Durée de 3 ans. Durée de 3 ans. Nd. Programme canadien d’agroinfrastructure Période et rythme de versement 95 Structure du programme Nom du programme Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest Fonds d'adaptation à la disparition de l'aide au transport des céréales fourragères Aide à la mise en commun des frais de transport Fonds d’adaptation à la réforme du transport du grain de l’Ouest 1 Budget 5 Nature du paiement Calcul du soutien Base de référence - Enveloppe répartie entre les provinces, selon l’historique du soutien reçu entre 1985/86 et 1993/94 7. - Versement aux propriétaires selon une formule fondée sur différents facteurs, dont la superficie et la productivité du sol 8. - Montant équivalent à la valeur de la subvention du N-d-C versée à perpétuité. (cf. Friesen 2003) ; - Couvre entre 18 et 23 % de la valeur actualisée de la subvention (cf. Timmins et Young 1996; Schmitz et coll. 2002b) 9. Paiement direct découplé. Contribuables (Budget fédéral) Indemnisation 72,7 millions de $Can Nd. Nd. Nd. Contribuables (Budget fédéral) Ajustement (compétitivité) 105 millions $Can Différentes références selon chaque province. 1,6 milliard de $Can 6 Financement Type de mesure de transition Paiement direct couplé 10. Indemnisation Aide aux déshydrateurs de luzerne et aux fabricants de foin densifié 45 millions $Can Programme canadien d’agroinfrastructure 140 millions $Can Garantie de crédit à l’exportation 15 millions de $Can Paiement direct Nd. Nd. Nd. Contribuables (Budget fédéral) Ajustement (compétitivité) Garantir 1 milliard de $Can en exportation de céréales Un programme supplémentaire du nom de Arable Acres Supplementary Payment a parallèlement été mis en œuvre en 1995 pour les propriétaires fonciers de l’Alberta ne bénéficiant pas du Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest. L’objectif était également d’indemniser ces propriétaires pour la dévaluation de leur terre (Martini 2008). Près de 50 millions de $Can ont été investis à cette fin (OMC 1999). 96 2 La subvention du « Nid-de-corbeau », considérée comme un mécanisme permettant la bonification des prix, aurait été capitalisée dans la valeur d’un actif, soit la terre. 3 Le versement a été, dans les faits, effectué en deux temps, afin qu’il soit réparti sur deux années fiscales (Martini 2008). 4 Ces régions sont l'Est du Canada, la Colombie-Britannique, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest (AAC 1996, p.26). 5 Budget total sur la période prévue de mise en œuvre. 6 On peut y ajouter une aide indirecte de 600 millions de dollars dues aux concessions d’impôts (Martini 2008). 7 Le Manitoba a reçu 16,1 % des aides, la Saskatchewan 56,4 % et l’Alberta et les régions de la Colombie-Britannique concernées, 27,5 % (Timmins et Young 1996, pièce 28.3). 8 Parmi les autres facteurs, notons la présence ou l’absence d’un système d’irrigation et la distance séparant les terres du port le plus proche (Vancouver ou Thunder Bay). 9 Varie selon les variables privilégiées, dont le taux d’intérêt, la valeur de référence de la subvention et la durée espérée du paiement. 10 Selon la catégorisation effectuée par l’OCDE (cf. Wipf 2003, p.88). Sources principales : AAC (1997), CEPP (1994), Martini (2008), Schmitz et coll. (2002b), Timmins et Young (1996). 97 4.2 Le secteur du tabac ontarien La culture commerciale du tabac123 au Canada a débuté au cours des années 1920. Géographiquement concentrée dans le sud-ouest ontarien124, ce secteur de production s’est doté d’un système de gestion des approvisionnements en 1957. Ce système de commercialisation du tabac a été maintenu jusqu’à aujourd’hui. Son abolition a cependant été annoncée en août 2008. 4.2.1 La contextualisation du projet de réforme 4.2.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien Depuis 1957, la commercialisation du tabac ontarien est coordonnée par l’Ontario FlueCured Tobacco Growers' Marketing Board (OFCTGMB). Cet office de commercialisation provincial, dont le fonctionnement est sanctionné par la Loi sur la commercialisation des produits agricoles de l’Ontario, a le pouvoir de contrôler la production et de regrouper les volumes de tabac mis en marché. Géré exclusivement par des producteurs, le OFCTGMB a été le premier exemple de politique de gestion de l’offre adoptée en Ontario (Ramsey et coll. 2002, p.76). Les quotas de production, connus sous le nom de « Basic Marketable Quota » (BMQ), ont à l’origine été alloués aux entreprises agricoles, en fonction des terres utilisées pour la culture du tabac125. Depuis 1978, la valeur de référence des BMQ est cependant exprimée en fonction des volumes (en livres) de tabac produits. En 2007, le BMQ total s’élevait à 323 millions de livres, réparties entre 1 073 détenteurs. Le secteur comptait alors 444 producteurs actifs de tabac (OFCTGMB 2008, p.11). 123 Tout au long de cette section, l’expression « production de tabac » fait référence à celle de la feuille et non à celle des produits transformés, tels que les cigarettes. 124 Jusqu’à récemment, du tabac était aussi produit au Québec et dans les Maritimes. Cette production, peu importante, est aujourd’hui abandonnée dans ces provinces. L’analyse proposée se concentre donc sur le secteur ontarien de la production de tabac. 125 En 1957, ces quotas se dénommaient « Basic Marketable Acreage ». Ils avaient été établis en fonction des terres détenues et leur étaient liés. La séparation entre terres et quotas a eu lieu en 1974. Les quotas ont alors pu être transigés en tant qu’actifs indépendants (Ramsey et coll. 2002). 98 Le volume de BMQ n’a pas été ajusté au cours des années. Afin que la production corresponde aux besoins changeants de l’industrie, seule une portion des BMQ – les « marketing quotas » – pouvait être commercialisée. En 2007, cette proportion était de 11,78 %. Autrement dit, la « production cible », négociée entre l’OFCTGMB et les acheteurs, ne s’élevait qu’à 32 millions de livres de tabac, sur les 323 millions de livres permis par les BMQ (OFCTGMB 2006a, p.15). Cette réduction proportionnelle de l’offre est alors appliquée aux volumes pouvant être commercialisés par chaque entreprise. Malgré ce contrôle de la production, aucune mesure tarifaire ne protège le marché du tabac canadien des importations. Conséquemment, les producteurs ontariens sont en concurrence directe avec les importations étrangères de tabac en feuille, qui ont d’ailleurs occupé, en 2004, 17 % du marché canadien. Le secteur affiche néanmoins une balance commerciale positive. Ainsi, toujours en 2004, environ le tiers de la production ontarienne de tabac a été exportée (OFCTGMB 2006a). Notons toutefois que les changements économiques et politiques vécus par le secteur et l’industrie canadienne du tabac au cours des dernières années ont fait varier considérablement cet équilibre commercial126 (cf. Mussel et Martin 2007). Au niveau du marché domestique, la réglementation provinciale exige que tout le tabac ontarien soit commercialisé via le mécanisme de mise en marché de l’OFCTGMB. En jouant le rôle de guichet unique, l’OFCTGMB a ainsi pu exercer un certain pouvoir de négociation lors de l’établissement des prix aux producteurs. En fait, pour chaque type de tabac classifié par l’OFCTGMB, un « prix minimal » est négocié avec les acheteurs127. Les prix perçus par les producteurs sont quant à eux établis par un système d’enchères de type hollandais (renversées), coordonné par l’OFCTGMB (site Internet du OFCTGMB 2005). En 2007, le « prix minimal » moyen était de 1,5133 $/lb, tandis que celui établi par le système d’enchères s’est élevé à 1,701 $/lb (OFCTGMB 2006a, p.11). 126 Par exemple, la part des importations de tabac est passée de 7 à 30 % entre 2001 et 2005, mais a reculé à 18 % en 2006. Ce recul s’explique non pas par une diminution de la demande pour les produits du tabac, mais par la fermeture, en 2005, de l’une des principales usines de transformation ontarienne. Les importations de cigarettes étrangères ont alors compensé la diminution de celles du tabac (Mussel et Martin 2007). 127 Un prix, moins élevé, pour le tabac dédié à l’exportation est également négocié (Chambre des communes 2006). 99 En fait, de par son système de contingentement similaire à celui retrouvé au niveau de la politique laitière canadienne, l’étude de la réforme du secteur de production du tabac ontarien est d’un intérêt significatif. Les origines politiques et juridiques communes aux deux systèmes accentuent le degré de correspondance observé. Certaines différences doivent néanmoins être prises en compte, dont le fait que les BMQ ne sont pas nécessairement utilisés par les propriétaires, mais peuvent être plutôt loués à des producteurs agricoles. Autre aspect à considérer, la forte concentration géographique de la production de tabac et le petit nombre d’intervenants impliqués. Enfin, le tabac est un secteur de production distinct et très spécialisé, dont le développement est lié non pas aux marchés alimentaires, mais plutôt à ceux de l’industrie de la cigarette. 4.2.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées Pour les fins de ce mémoire, la réforme du secteur du tabac ontarien est définie comme étant le projet, annoncé en 2008, d’abolir le système de contingentement actuellement en vigueur. Plus précisément, ce projet implique, au niveau réglementaire, la suppression des contrôles provinciaux s'appliquant à la production de tabac et l’instauration d’un système provincial de permis pour les producteurs de tabac. Au niveau de la production, il prévoit une aide financière « suffisante pour permettre à tous les producteurs de se retirer de l'industrie » (Gouvernement du Canada 2008). Mentionnons que ce projet de réforme constitue, dans les faits, la dernière étape d’un long processus de restructuration assistée du secteur. De 1986 à 2001, plus de 80 millions de dollars ont ainsi été investis par les gouvernements fédéral et provincial dans le but d’inciter et de faciliter l’abandon de la tabaculture au Canada128. Toutefois, jusqu’à récemment, ces mesures ne visaient pas exclusivement la cessation de la production. Elles privilégiaient aussi la viabilité des entreprises désirant poursuivre dans le secteur, en leur permettant d’accroître leur production (AAC 2005b, p.9). La réforme annoncée en 2008, en proposant un plan de sortie pour tous les producteurs du secteur et une refonte du régime de commercialisation, rompt toutefois avec cette approche 100 graduelle. Ce projet propose en fait une réforme finale, directe et quasiment complète de la politique encadrant le secteur du tabac ontarien. En effet, elle doit être mise en œuvre dès la campagne de production 2009/10, en plus d’impliquer – dans les faits – l’abandon de cette production agricole au Canada. Les programmes proposés pour accompagner ce processus sont étudiés à la section suivante. Il importe de noter que le projet de réforme annoncé en 2008 résulte essentiellement d’une initiative menée par l’OFCTGMB. Ainsi, dans un document publié en 2006 et intitulé « Eliminating Tobacco Production in Canada: A Proposal from the OFCTGMB », cette organisation conlut que « it is now time to take the obvious next step and put a plan in place that will eradicate all tobacco production in Canada » (OFCTGMB 2006b, p.3). Cette prise de position s’explique par les difficultés financières des tabaculteurs. Ces dernières se distinguent cependant de celles vécues par les autres secteurs agricoles canadiens, car elles découlent essentiellement des conséquences des politiques visant à lutter contre le tabagisme au Canada. En effet, il est admis que les différentes mesures adoptées (taxes, campagnes publicitaires, interdictions de fumer, etc.) ont, en plus d’affecter l’image publique de ce produit, entraîné l’émergence d’un marché noir et d’une contraction de la demande pour le tabac canadien (Gouvernement du Canada 2008). Conséquemment, en 2007, les volumes produits ne s’élevaient plus qu’à 32 millions de livres, contre 238 millions de livres en 1982 (OFCTGMB 2008). Compte tenu de la spécificité des actifs utilisés et l’absence d’alternative viable en matière de choix de production, cet affaissement du marché a entraîné les entreprises productrices de tabac dans une crise financière sans précédent (Mussel et Martin 2007, p.10-11). Mentionnons que les producteurs considèrent le gouvernement fédéral responsable pour le déclin de ce secteur de production et pour les conséquences économiques qui en ont résulté pour les entreprises agricoles et les communautés ontariennes où elles sont regroupées (cf. OFCTGMB 2006b). Mussel et Martin (2007) partagent d’ailleurs cet avis et affirment que « the tobacco producing industry in Canada is the victim of a public health policy failure » (p.15). Cette idée de « government failure » repose sur le fait que les contraintes imposées 128 Données tirées d’une communication personnelle avec un représentant du ministère de l’agriculture de 101 aux acteurs légaux de l’industrie n’ont pas été accompagnées de mesures qui auraient permis de contrer le marché noir sévissant, entre autres, dans les réserves amérindiennes. Il en a résulté non seulement une diminution modérée du tabagisme129, mais surtout un affaissement de la demande pour le tabac légal canadien. 4.2.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention 4.2.2.1 La catégorisation des programmes adoptés La réforme annoncée en 2008 a prévu un certain nombre d’interventions, mais l’ensemble des modalités qui s’y rattachent n’a pas encore été rendu public. L’analyse proposée repose donc essentiellement sur le contenu du communiqué de presse du gouvernement fédéral du 1er août 2008130 (cf. Gouvernement du Canada 2008). À partir des informations disponibles, on constate par ailleurs que les mesures post-réformes proposées poursuivent et élargissent la portée de programmes mis en œuvre en 2005 par les gouvernements fédéral et provinciaux dans le but de restructurer ce secteur de production en Ontario et au Québec. Pour cette raison, l’étude des interventions post-réformes dans le secteur du tabac ontarien englobe ces deux ensembles de politiques, dont les caractéristiques sont exposées au Tableau 5. En 2005, deux types d’intervention, faisant appel aux deux paliers de gouvernement, ont été privilégiés. Le gouvernement fédéral a ainsi adopté le Programme d’aide à l’adaptation des producteurs de tabac (PAAPT)131, dont l’objectif a été de « faciliter la transition des producteurs de tabac canadiens en éliminant de façon permanente le contingent de production de base » tout en « améliorant la viabilité de ceux qui demeurent au sein de l’industrie » (AAC 2005b, p.24). l’Ontario (cf. OMAFRA 2008a). 129 Selon Santé Canada (2006), la prévalence de fumeurs au Canada ne serait passée que de 30 % en 1986 à environ 20 % en 2005. 130 Malgré les nombreuses démarches menées auprès des autorités gouvernementales canadiennes, il n’a pas été possible d’obtenir des données et des informations détaillées sur les mécanismes d’intervention attendus en 2009. Il en va de même des mesures adoptées en 2005, bien que plusieurs années se soient écoulées depuis leur mise en œuvre. Cette section présente ainsi des analyses dont la profondeur est limitée par ce manque d’information. 102 Techniquement, ce programme a pris la forme d’une enchère inversée, au cours de laquelle les producteurs étaient invités à miser un prix pour la vente de leurs quotas. Un budget fédéral prédéterminé de 67 millions de dollars132 conditionnait cependant le processus. Ainsi, compte tenu de cette limite budgétaire et des offres déposées lors de l’enchère, un prix de rachat de 1,05 $/lb a été établi, applicable à plus de 51 millions de livres de quotas détenus par 270 producteurs (Wales 2005; AAC 2006, p.29). Grâce à un budget supplémentaire de 35 millions de dollars octroyé par le gouvernement ontarien au titre du Fonds de transition pour les collectivités tabacultrices, le prix de rachat payé aux producteurs s’est toutefois élevé à 1,72 $/lb133 (OMAFRA 2008b). Notons par ailleurs qu’en échange de ce paiement, les producteurs devaient non seulement abandonner leurs quotas, mais aussi accepter de ne plus s’en procurer à l’avenir (Wales 2005, p.10). Conséquemment, le PAAPT a consisté en une mesure d’assistance, dont la composante « ajustement » a été marquée, compte tenu de la condition imposée. Un second type d’intervention a également été introduit par le Fonds de transition pour les collectivités tabacultrices. Ainsi, afin d’encourager la diversification économique des collectivités situées dans les régions productrices de tabac, le gouvernement ontarien a mis à la disposition de corporations de développement rural un budget supplémentaire de 15 millions de dollars (OMAFRA 2005). Bien que l’ensemble des modalités de mise en œuvre n’aient pu être recensées, ce soutien au développement économique peut être considéré comme un exemple de mesure d’ajustement visant à promouvoir la « compétitivité » des communautés rurales. Les mesures annoncées en 2008 s’inspirent, quant à elles, largement des interventions précédentes, mais présentent une finalité beaucoup plus radicale. Le gouvernement canadien a ainsi annoncé l’adoption du Programme de transition pour les producteurs de 131 Aussi appelé Programme d’aide à la réorientation des producteurs de tabac (PARPT) dans certains documents gouvernementaux. 132 Le budget du PAAPT réservé à l’Ontario était de 54 millions de dollars. La balance devait être allouée au volet québécois du programme. 133 En 2004, la proportion des BMQ effectivement utilisés, soit les « marketing quotas », s’élevait à 27,23 %. Ainsi, le paiement, transposé selon les volumes produits, a été de 6,32 $/lb. Le niveau des « marketing quotas » a cependant diminué considérablement au cours des années précédant la réforme de 2005, biaisant ainsi ce calcul. 103 tabac (PTPT), prévoyant une aide financière de 286 millions de dollars afin de racheter tous les quotas encore en circulation. Le prix de rachat prévu a été fixé à 1,05 dollar par livre de BMQ. Autrement dit, le prix établi sous le PAAPT a été repris sous le PTPT afin de compléter le processus de restructuration entrepris en 2005. De fait, à l’instar du PAAPT, « l'aide financière est offerte aux producteurs qui désirent se retirer de l'industrie », puisque « les producteurs qui acceptent l'aide à la transition ne pourront s'adonner de nouveau à la culture du tabac » (Gouvernement du Canada 2008). Ce programme est donc également une mesure d’assistance dont le caractère « d’ajustement » a été accentué. Un programme d’Aide au développement des collectivités, bénéficiant d’un budget de 15 millions de dollars, est également proposé par le gouvernement fédéral. Ces sommes devront être affectées au « développement des collectivités pour les aider à passer à une économie qui n'est pas basée sur la production de tabac » (Gouvernement du Canada 2008). Il n’a toutefois pas été possible d’obtenir davantage d’informations quant aux modalités d’octroi, mais ce programme – comparable à celui adopté par l’Ontario en 2005 – peut être considéré, au même titre que ce dernier, comme une mesure d’ajustement, visant à promouvoir la « compétitivité » des communautés rurales affectées. Alors que l’intervention introduite en 2005 se limitait aux deux types d’intervention précédents, une troisième mesure a été annoncée en 2008. En fait, parallèlement à l’abolition du système de contingentement actuellement en vigueur, un Système de permis provincial sera instauré. Conséquemment, « lorsque le programme prendra fin, les producteurs qui décident de continuer à cultiver du tabac ne seront plus assujettis au […] contingentement et devront détenir un permis pour produire du tabac »134 (Gouvernement du Canada 2008). Puisque cette réglementation, qui intervient sur le contrôle de l’offre, vient remplacer, pour un temps indéfini, un système de contingentement, il faut donc catégoriser cette mesure en tant que réinstrumentation, à caractère légal. Mentionnons par 134 Il n’a pas été possible de déterminer quelle proportion de producteurs pourrait poursuivre la production de tabac. Toutefois, compte tenu des conditions de marché et du fait que le PTPT impose aux bénéficiaires d’abandonner complètement la tabaculture, il est peu probable que les producteurs actuels veuillent profiter de cette réinstrumentation. 104 ailleurs que ni les conditions d’octroi des permis, ni les caractéristiques réglementaires de ceux-ci ne sont connues à ce stade. Au total, près de 430 millions de dollars auront été investis par le biais de ces deux ensembles de mesures. Cette somme pourra cependant être bonifiée si le gouvernement ontarien accepte d’accorder un financement additionnel au PTPT. Soulignons à cet égard que la contribution provinciale de 2005, tout comme celle attendue en 2009, correspond à une prise en charge de 40 % des coûts des programmes de rachat de quotas. Autrement dit, le partage communément observé entre les paliers fédéral et provincial en matière de financement des politiques agricoles a également été respecté dans le cadre de ce projet de réforme. Mentionnons, enfin, une particularité en ce qui a trait à l’origine des fonds alloués aux programmes d’intervention fédéraux annoncés en août 2008, à savoir qu’ils ont été obtenus à la suite d'un règlement avec les fabricants de tabac. Il n’a cependant pas été possible d’obtenir davantage d’informations sur la nature de ce règlement. 4.2.2.2 Constats et inférences Avant de procéder à l’analyse des mesures de transition mises en place lors de la réforme du secteur ontarien de la tabaculture, il importe de rappeler la finalité poursuivie par les producteurs et les gouvernements au cours des dernières années, soit de mettre fin à ce secteur de production au pays. Cette particularité distingue donc clairement le contexte de réforme décrit de celui qui pourrait caractériser un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne. Quoi qu’il en soit, considérant les similitudes existant entre le système de contingentement devant être réformé dans le secteur de la tabaculture ontarien et celui en place dans le secteur laitier canadien, il apparaît important d’analyser les mesures d’intervention postréformes prévues à cet égard. Mentionnons par ailleurs que peu d’informations entourant cet aspect ont pu être obtenues auprès du gouvernement canadien. L’analyse qui suit s’appuie donc essentiellement sur les données secondaires disponibles. 105 Dans un premier temps, la prise en compte du contexte dans lequel ont été mis en œuvre les deux ensembles de mesures décrits précédemment est primordiale. En effet, si le processus de réforme du secteur ontarien de la tabaculture, tel que défini dans ce mémoire, s’est réalisé en deux étapes consécutives, celles-ci ne formaient pas pour autant un plan ordonné de restructuration. À ces deux occasions – tout comme lors des projets de restructuration précédents – l’intervention gouvernementale a été introduite de façon ad hoc à la suite de pressions des intervenants du milieu. De fait, les programmes adoptés en 2005, tout comme ceux annoncés en 2008, résultent essentiellement regroupements 135 de démarches entreprises par l’OFCTGMB et par d’autres . Les finalités poursuivies ont cependant changé significativement entre ces deux périodes. Ainsi, à partir de 2002, les producteurs ont proposé au gouvernement un programme visant à retirer un certain volume de BMQ de la circulation afin de favoriser la restructuration des entreprises restantes et de relancer ce secteur. Quatre ans plus tard, en 2006, un « plan de sortie » du secteur était au contraire exigé. Ce changement de revendications, dans un si court laps de temps, s’explique surtout par l’effondrement de la demande pour le tabac canadien, ainsi que par la détérioration des capacités financières des entreprises. En effet, à l’instigation des fabricants de tabac, les producteurs avaient consenti, en 2002, à effectuer pour 65 millions de dollars en investissements sur leurs fermes. Ce fut dans cette perspective de relance que les producteurs avaient demandé un programme de restructuration au gouvernement. Toutefois, pour les raisons évoquées précédemment, les manufacturiers ont réduit leurs achats de tabac canadien, laissant alors les producteurs avec une baisse de revenu significative et un niveau d’endettement moyen de 400 000$ par entreprise (Chambre des Communes 2006). Le PAAPT, finalement mis en œuvre en 2005, est alors apparu inapproprié pour faire face aux nouvelles réalités économiques du secteur. De fait, bien que 20 % des quotas aient été retirés de la circulation, les ventes de tabac ont parallèlement chuté de 35 % entre 2005 et 2006 et de 42 % entre 2006 et 2007. Les tabaculteurs ne produisaient donc plus en 2007 106 que 12 % de leurs BMQ totaux (OFCTGMB 2008, p.15). C’est dans ce contexte qu’a alors été formulée, en 2006, la demande pour un « plan de sortie » par les producteurs. La nature des mesures de transition mises de l’avant par les gouvernements afin de répondre à ces revendications constitue un deuxième aspect important à étudier. À cet égard, le PAAPT de 2005 représente le programme le plus déterminant, puisque les mesures annoncées en 2008 ont été définies en fonction des modalités de paiement qu’il a permis d’établir. Rappelons en effet que le PAAPT, doté d’un budget total de 67 millions de dollars, devait permettre le rachat de BMQ par le biais d’un mécanisme d’enchères inversées. Compte tenu des budgets impartis et des mises des producteurs, un prix d’équilibre de 1,05 $/lb a alors été établi. Puisque le budget octroyé par le fédéral a conditionné le niveau de paiement établi par les mises, il aurait été intéressant de pouvoir vérifier sur quelle base a été fixé ce montant. Aucune indication officielle ne permet cependant d’évaluer cet aspect. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’initialement, un budget de 100 millions de dollars avait été proposé par le gouvernement. Toutefois, au moment du lancement du PAAPT en avril 2005 – et à la suite d’un remaniement ministériel fédéral – un tiers de cette somme a été retranché (Stoneman 2007). Compte tenu de cette absence d’indications gouvernementales précises, il est tout aussi difficile de faire correspondre le prix de rachat fixé par le mécanisme d’enchères renversées à une valeur économique de référence précise. Barichello et coll. (2006, p.182) notent pour leur part que le prix de rachat de 1,72 $/lb – obtenu en ajoutant la contribution du gouvernement ontarien – correspondait au prix des quotas en 2000/01, mais rappellent que la valeur des quotas était tombée, en 2004/05, à moins de 1 $/lb. Le lien entre le prix de rachat et la valeur du quota n’apparaît donc pas nécessairement valide136. En se basant sur d’autres variables, l’organisation Physicians for a Smoke-Free Canada a évalué, en 2004, qu’un paiement de 3 $/lb était nécessaire afin que les producteurs recouvrent leurs 135 Parmi ceux-ci, notons les Tobacco Farmers in Crisis qui représentaient également les producteurs québécois (TFIC). 136 Notons que depuis mai 2006, un moratoire a été imposé sur la vente de quotas afin de protéger les détenteurs les plus précaires contre des ventes hâtives qui pourraient les exclure d’un éventuel rachat (Chambre des Communes 2006). 107 investissements (Physicians for a Smoke-Free Canada 2005). De ce point de vue également, le paiement apparaît insuffisant. Puisque les tabaculteurs ne produisent qu’une fraction de leurs BMQ, il serait aussi possible de faire correspondre le paiement octroyé aux volumes de tabac pouvant être commercialisés. Notons qu’entre 1995 et 2004, le niveau moyen des « marketing quotas » a été de 39,5 %. En se référant à cette variable, le paiement de rachat final de 2005 s’est donc élevé à 4,35 $ la livre de tabac produite au titre de ces « marketing quotas »137. Compte tenu que le prix moyen du tabac pour cette même période a été de 1,75 $/lb, le paiement octroyé représenterait alors deux années et demie de ventes supplémentaires pour les producteurs. Cette base de calcul est toutefois limitée par l’aspect arbitraire de la période de référence retenue et par la dégradation rapide de la production ontarienne de tabac à partir de 2000. Dans une étude portant sur l’avenir du secteur ontarien de la tabaculture, Wales (2005, p.10) indique quant à lui que le mécanisme privilégié afin d’établir le prix de rachat des quotas a été mis en œuvre dans un contexte hautement controversé, au cours duquel les producteurs étaient incités à miser bas pour pouvoir profiter du paiement. Il souligne que le processus de mise en œuvre du PAAPT « occurred in a very, very tight time frame at the end of April when most growers already had greenhouses established and spring land preparations done. […].The growers had to make very major business and financial decisions » (p.10). Conséquemment, certains observateurs considèrent que cette approche « was designed to get the maximum number of farmers out of the business for the fewest tax dollars »138 (Stoneman 2007). C’est néanmoins ce même montant de 1,05 $/lb qui a été proposé aux producteurs dans le cadre du PTPT annoncé en août 2008. Il est intéressant de noter que les revendications de l’OFCTGMB en 2006 pour un « plan de sortie » s’élevaient pourtant à 3,30 $/lb (OFCTGMB 2006b). Le montant proposé englobait non seulement la valeur des quotas à leur coût d’acquisition, mais aussi la dévaluation des actifs d’entreprise (machinerie, terres, 137 Cette valeur a été obtenue en divisant le paiement octroyé, soit 1,72 $/lb, par la fraction produite de 39,5%. 108 bâtiments, etc.), ainsi que les pertes de revenus passées. Il semble par ailleurs que ces attentes n’ont pu s’imposer lors des négociations avec le gouvernement canadien. Les modes de financement adoptés et annoncés constituent un troisième aspect déterminant à prendre en considération. Il est ainsi intéressant de constater que les coûts des mesures de transition portant sur le rachat des quotas ont été partagés entre les paliers fédéral et provincial selon la formule 60/40 généralement utilisée pour financer les programmes agricoles au Canada. Cette approche, adoptée en 2005, devrait également l’être en 2009, mais le gouvernement ontarien n’a pas encore donné suite à la proposition du fédéral. Il faut cependant reconnaître que la participation ontarienne au financement du PTPT s’élèverait alors à plus de 190 millions de dollars, si l’on tient compte du fait que le budget annoncé de 286 millions de dollars représente 60 % des fonds nécessaires. Cette somme devra alors provenir des contribuables ontariens, alors que le montant proposé par le gouvernement canadien résulte d’un règlement juridique avec les fabricants de tabac. Les implications budgétaires diffèrent donc pour ces deux gouvernements. Il aurait d’ailleurs été intéressant d’évaluer si le gouvernement fédéral aurait accordé ce deuxième programme de rachat si ce n’avait été de ce règlement juridique139. En somme, la réforme du secteur ontarien de la tabaculture et l’intervention post-réforme proposée ont été marquées par deux types de considération. Tout d’abord, les producteurs de tabac et leurs communautés se sont retrouvés dans une situation financière non seulement précaire, mais qui, en plus, ne présentait que très peu de voies d’ajustement viables. En effet, en plus de la piètre qualité des sols, les entreprises se retrouvaient avec un taux d’endettement élevé, des actifs très spécialisés et des opérateurs dont l’âge moyen était de 58 ans, soit des facteurs concourant à réduire leur capacité d’ajustement. Quant aux communautés, elles devaient leur développement économique essentiellement aux fabricants de tabac qui s’y étaient établis, mais qui avaient quitté la région au cours des dernières années. 138 Stoneman (2007) affirme même que « the maximum price per pound was pegged by the government (although no one knew it) at $1.05 ». Cette affirmation, lourde de conséquences, ne peut cependant être validée ici. 109 Le second type de considération concerne la responsabilité gouvernementale face au déclin du secteur. L’analyse précédente a ainsi exposé les principaux effets mesurés des politiques antitabac adoptées par les paliers de gouvernement. Par ailleurs, la décision qui apparaît avoir impliqué le plus – politiquement – le gouvernement semble avoir été la ratification, en 2003, de la « Convention cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur le contrôle du tabac ». En effet, outre l’objectif préconisé de réduire le tabagisme dans les États signataires, cette Convention indique, à l’article 17, que : « Les Parties s’efforcent […] de promouvoir, le cas échéant, des solutions de remplacement économiquement viables pour les cultivateurs, les travailleurs et, selon qu’il conviendra, les vendeurs ». On y ajoute, à l’article 22, que les Parties doivent faciliter le transfert des compétences techniques, scientifiques et juridiques de façon à aider « les travailleurs du tabac à trouver d’autres moyens de subsistance appropriés économiquement et juridiquement viables » ainsi qu’en « aidant, le cas échéant, les cultivateurs de tabac à passer à d’autres cultures d’une manière économiquement viable » (cf. OMS 2003). Il est intéressant de noter que cette Convention est non seulement citée par les organisations de producteurs dans leurs revendications d’aide, mais elle l’a été également par le gouvernement fédéral dans le communiqué de presse annonçant le développement du PAAPT en 2004 : « Le gouvernement fédéral s'engage à fournir une aide transitoire aux producteurs de tabac, a déclaré M. Speller. Le gouvernement travaille à aider les agriculteurs touchés par la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l'Organisation mondiale de la Santé » (Gouvernement du Canada 2004). Autrement dit, sans faire état d’une obligation légale de compenser, il semble que des décisions politiques prises à l’égard du tabagisme aient pu contribuer à contraindre le gouvernement canadien à intervenir aussi dans le secteur de la tabaculture. 139 Les propositions avancées par les producteurs de tabac reposaient sur l’idée que le gouvernement fédéral taxerait les compagnies de tabac afin de financer les programmes. Même si, finalement, les fonds émanent de cette même source, l’introduction d’une nouvelle taxe n’aurait peut-être pas été aussi viable politiquement. 110 4.2.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme Bien que certains détails caractérisant les modalités d’intervention n’aient pu être obtenus, il apparaît peu probable que les mesures de transition adoptées lors de la réforme du secteur ontarien de la tabaculture aient pu constituer formellement une transposition effective du « test de compensation ». En fait, il faut reconnaître que l’intervention post-réforme mise de l’avant concerne effectivement les deux principaux groupes affectés par le processus de restructuration du secteur, soit les tabaculteurs et leurs communautés. Par ailleurs, les pertes subies par ceuxci ne résultent pas tant de la réforme du système de contingentement que des conséquences collatérales de la politique de lutte contre le tabagisme au Canada. Dans une telle perspective, il faudrait donc considérer cette réforme et l’intervention subséquente comme faisant partie de la politique de santé publique du Canada, élargissant du coup le nombre d’intervenants devant être pris en considération. Il en va de même de l’évaluation des pertes, puisqu’il faudrait alors tenir compte non seulement des coûts liés à l’abolition des quotas, mais aussi des pertes de revenus dues à l’effondrement de la demande pour le tabac canadien au cours des dernières années. D’autre part, même en se limitant à considérer qu’il s’agit ici d’une réforme d’une politique agricole, le degré de « compensation » octroyée aux intervenants affectés semble insuffisant pour combler l’ensemble des pertes subies par l’abolition des quotas. En se référant aux estimations proposées par l’OFCTGMB, le paiement de 1,05 $/lb annoncé en 2008 ne couvrirait que 78 % du coût moyen d’acquisition des quotas au cours des dernières années et ce pourcentage de couverture chute à 42 % si l’on tient également compte de la dévaluation des actifs spécialisés des entreprises (OFCTGMB 2006b). Bien que la contribution ontarienne puisse améliorer cette situation, il faut reconnaître que le soutien proposé ne suffit pas à « compenser » les pertes subies, d’autant plus que les opportunités de marché futures sont peu reluisantes pour les producteurs situés dans ces régions. Enfin, la nature du financement de ces mesures de transition ne respecte pas non plus les critères du « test de compensation » puisque ce furent les contribuables qui ont financé les mesures en 2005, tandis que les compagnies de tabac – elles-mêmes pénalisées par la lutte 111 antitabac – paient pour celles annoncées en 2008. En fait, il est difficile d’établir quel groupe d’individus sort véritablement gagnant de ce processus de réforme, d’autant plus que l’abolition de la tabaculture ne semblerait avoir qu’un impact mitigé sur le niveau de tabagisme au Canada (cf. Mussel et Martin 2007). Autrement dit, cette réforme et l’intervention subséquente s’inscrivent en réalité dans une perspective de relance économique motivée aussi bien par des considérations d’efficacité que par des questions d’équité, face à une communauté ayant investi, de bonne foi, dans ce secteur de production au cours des dernières années. 112 Tableau 5 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées au Canada, le secteur du tabac ontarien Aspects descriptifs Modalités d’intervention Composantes économiques visées Critères d’éligibilité Détenteur de quotas (BMQ) Dévaluation d’un actif - Être détenteur de BMQ ; - Participer à l’enchère inversée et proposer une mise acceptée par le gouvernement fédéral. - Abandonner tous les quotas détenus ; - Accepter de ne plus s’en procurer d’autres. - Paiement unique ; - Enchères tenues entre avril et mai 2005. Communautés rurales Incitatifs à la diversification des activités économiques Nd. Nd. Nd. Détenteur de quotas (BMQ) Dévaluation d’un actif Être détenteur de BMQ. Abandonner la culture du tabac. - Paiement unique ; - Programme disponible lors de la campagne 2009/10. Aide au développement des collectivités Communautés rurales Incitatifs à la diversification des activités économiques Nd. Nd. Nd. Système de permis provincial Producteurs de tabac Organisation des marchés Concerne les producteurs de tabac demeurant en production. Ne s’applique pas. Aucune date de cessation. Nom du programme 2005 Aide à l’adaptation des producteurs de tabac Fonds de transition pour les collectivités tabacultrices 2008 Programme de transition pour les producteurs de tabac Intervenants concernés Conditions de versement Période et rythme de versement 113 Structure du programme Nom du programme 2008 2005 Aide à l’adaptation des producteurs de tabac Montant total de la mesure Calcul du soutien Base de référence Plafond et nature du paiement Financement Type de mesure de transition 99 millions de $ (total) - 54 millions de $ 1 (fédéral) - 35 millions de $ (Ontario) - Selon les mises proposées par les participants, sous contrainte du budget alloué ; - Prix net obtenu : 1,72 $/lb 2. Nd. Paiement direct découplé. 15 millions de $ Nd. Nd. Nd. Ajustement (compétitivité) Programme de transition pour les producteurs de tabac 286 millions de $ (fédéral) 1,05 $/lb. Correspond au paiement fédéral offert au titre du PAAPT. Paiement direct découplé. Assistance (Ajustement) Aide au développement des collectivités 15 millions de $ (fédéral) Nd. Nd. Nd. Système de permis provincial Ne s’applique pas Ne s’applique pas Ne s’applique pas. Ne s’applique pas. Fonds de transition pour les collectivités tabacultrices 1 2 Budgets gouvernementaux (Fédéral et provincial) Provient d’un règlement juridique avec les fabricants de tabac Ne s’applique pas Assistance (Ajustement) Ajustement (compétitivité) Réinstrumentation Le budget fédéral total s’élevait à 67,4 millions de dollars. La balance a été allouée au rachat des quotas de tabac québécois. Compte tenu de la bonification du paiement octroyée par le gouvernement provincial. Cependant, le prix obtenu à l’enchère a été de 1,05 $/lb de BMQ. Sources principales : AAC (2006), Gouvernement du Canada (2008), OFCTGMB (2006b) et Wales (2005). 114 4.3 Le secteur laitier australien La politique laitière australienne a été développée au cours des années 20. Elle a représenté l’un des premiers systèmes de gestion de l’offre mis en œuvre en agriculture et a été introduite afin d’assurer aux principaux marchés (Sydney, Melbourne, Brisbane) un approvisionnement constant en lait frais tout au long de l’année. Les producteurs ont alors bénéficié d’un régime spécial afin qu’ils puissent couvrir les coûts de production additionnels découlant de ce type de production (Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 1999, 3.3). Jusqu’en 2000, le secteur laitier australien a ainsi évolué sous une combinaison de contingentement de l’offre, de contrôle des importations et de soutien des prix, appliqués au marché du lait de consommation. 4.3.1 La contextualisation du projet de réforme 4.3.1.1. Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien Avant sa réforme, le secteur laitier australien a été caractérisé par l’absence de marché unique pour les produits laitiers. La Constitution australienne conférait en effet aux États (l’équivalent des provinces canadiennes) les pouvoirs d’intervenir au niveau de la commercialisation des produits laitiers sur leur territoire. Les six États australiens administraient ainsi individuellement une législation laitière, centrée essentiellement sur le marché du lait de consommation. De fait, ces législations avaient divisé la production laitière selon deux types de lait, soit celui dédié à la consommation (18 % de la production australienne) et celui voué à la transformation (82 % de la production australienne). Le gouvernement fédéral administrait pour sa part l’intervention appliquée au lait de transformation (Edwards 2003, p.78; Kubota 2006, p.23). À l’échelle des États, on retrouvait ainsi des mécanismes visant à soutenir les prix, à contrôler l’offre et à limiter le commerce interétatique du lait de consommation. Plus précisément, les prix aux producteurs étaient réglementés par des organismes d’intervention étatiques – les State Marketing Authorities (SMA) – et étaient fixés à des niveaux plus 115 élevés que ceux réservés pour le lait de transformation. Cette différence était de 21 % en moyenne, mais s’élevait dans certains cas à 200 % (Edwards 2003, p.77). Afin de limiter les volumes de lait commercialisés sur ce segment de marché, des mécanismes de contrôle de l’offre, également spécifiques à chaque État, étaient en place. Les instruments utilisés privilégiaient aussi bien des quotas de commercialisation que des systèmes de mise en commun partageant entre producteurs les recettes tirées de la vente de lait de consommation140. Le commerce du lait de consommation entre États était quant à lui limité par les pouvoirs respectifs des SMA (Edwards 2003, p.78). La politique encadrant la commercialisation du lait de transformation a quant à elle été modifiée en 1986, à la suite du démantèlement graduel du mécanisme fédéral de soutien des prix. Ainsi, « le prix du lait de transformation à la production a été soumis aux conditions du marché et donc aux fluctuations des prix sur le marché international » (Gouin 2005, p.46). Un mécanisme d’intervention avait néanmoins été adopté en remplacement. Le lait de transformation s’est ainsi vu subventionné par un paiement direct – le Domestic Market Support (DMS) – dont le financement provenait de taxes perçues auprès des producteurs et des transformateurs141 (Whetton 2000, p.3). Notons que la plupart des producteurs laitiers produisaient pour les deux segments de marché et participaient donc à ces deux modes d’intervention (Kubota 2006, p.23). Le régime tarifaire et les subventions aux exportations administrés par le gouvernement fédéral avant la réforme de 1986 ont continué d’être utilisés par la suite. Toutefois, un accord de libre-échange signé avec la Nouvelle-Zélande est venu fragiliser la protection des marchés intérieurs des produits laitiers. De même, l’Accord sur l’agriculture de l’OMC de 1995 a obligé l’ajustement du système de subventions aux exportations, ce qui a eu pour 140 Gouin (2005, p.44) note : « Les États du Queensland et du Western Australia utilisaient […] des quotas individuels de production de lait de consommation liés à la terre. Le New South Wales, quant à lui, disposait de quotas commercialisables ». Les États de Victoria, Tasmania et South Australia avaient pour leur part opté pour une mise en marché permettant « à tous les producteurs laitiers de ces trois États de bénéficier de la prime sur le lait de consommation ». 141 Plus précisément, une première taxe à la production était prélevée sur toutes les livraisons de lait pour le marché du lait de consommation. Ce prélevé se voulait un mécanisme de transfert des revenus des producteurs de lait de consommation vers ceux de transformation. Une deuxième taxe était payée par les transformateurs sur leurs réceptions de lait destinées à la transformation (Gouin 2005, p.45). Compte tenu que 116 effet de les réduire significativement au cours des années qui ont suivi (Edwards 2003, p.81-2). Cette description de la politique laitière australienne permet de constater que plusieurs ressemblances existaient entre ce mode d’intervention, avant sa réforme, et celui privilégié aujourd’hui dans le secteur laitier canadien. C’était le cas du partage constitutionnel des pouvoirs entre les États et le gouvernement fédéral, du rôle des organismes d’intervention, du contrôle des importations et du commerce domestique, ainsi que des mécanismes de soutien des prix. Ce dernier aspect de l’intervention constitue certainement le principal élément de comparaison entre les deux systèmes de gestion de l’offre. Les prix administrés respectifs permettaient ainsi aux producteurs de lait éligibles des deux pays de recevoir des prix supérieurs à ceux observés sur les marchés internationaux. Les ressemblances se limitent par ailleurs à ces éléments, car d’importantes distinctions ont été soulevées dans la description précédente. La principale différence concerne d’ailleurs le mécanisme de soutien des prix, puisqu’il ne s’appliquait, en Australie, qu’au lait de consommation et non à celui voué à la transformation, ce dernier représentant plus de 80 % de la production. La subvention au titre du DMS n’a pour sa part aucune correspondance avec la politique laitière canadienne actuelle. De même, les divers mécanismes de contingentement appliqués au lait de consommation diffèrent dans plusieurs cas des régimes de quotas laitiers commercialisables retrouvés au Canada. Les investissements liés à la production laitière n’étaient donc pas du tout les mêmes, non plus que les restrictions imposées aux volumes pouvant être commercialisés, puisque le lait dédié à la transformation ne faisait l’objet d’aucune limitation réglementaire. En fait, près de la moitié de la production laitière était vouée à l’exportation et l’Australie figurait, au moment de la réforme, au quatrième rang des principaux pays exportateurs de produits laitiers (Parliament of Australia 2000b, p.2). Quoi qu’il en soit, la réforme de la politique laitière australienne demeure le principal précédent en matière de démantèlement d’un système de gestion dans le secteur laitier. ces taxes ont été transférées dans les prix de vente, les consommateurs ont dans les faits supportés l’ensemble de cette intervention (Edwards 2003, p.80). 117 Nombreux sont d’ailleurs les auteurs qui affirment que cet exemple devrait inspirer le gouvernement dans l’éventualité d’une réforme de la politique laitière canadienne (cf. Earl 2003; Barichello et coll. 2006; Petkantchin 2006; Larue et Gervais 2007). L’analyse de cette expérience apparaît donc incontournable dans le cadre de ce mémoire. 4.3.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées La réforme de la politique laitière australienne a eu lieu le 30 juin et a été mise en œuvre dès le 1er juillet 2000. Dans le cadre d’une loi, la Dairy Industry Adjustment Bill 2000142, le gouvernement fédéral a exigé que tous les États dérégulent leurs mécanismes d’intervention simultanément. Le Domestic Market Support (DMS) administré par le fédéral devait être aboli par la même occasion (cf. Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 2000). Ainsi, la réforme de la politique laitière australienne a été directe et complète. De fait, il n’y a eu aucune période de transition lors du processus de démantèlement143 et les instruments d’intervention auparavant utilisés n’ont été ni maintenus, ni remplacés. Des mesures ont été mises en œuvre afin de faciliter la transition, mais ces dernières étaient temporaires. Elles sont décrites à la section suivante. Le contexte dans lequel s’est inscrit ce démantèlement a influencé significativement le processus de réforme et doit donc être exposé succinctement pour les fins de l’analyse. Harris (2004) rappelle ainsi que la réforme de la politique laitière australienne a débuté dans les faits en 1986, lorsque le système d’intervention utilisé pour le lait de transformation a graduellement été démantelé. Dès 1992, il était déjà admis que ce segment de marché allait être déréglementé en 2000. Selon Edwards (2003, p.83), cette décision était annonciatrice d’une réforme plus globale, car les États producteurs de lait de transformation allaient alors perdre leurs incitatifs à respecter les restrictions au commerce du lait de consommation. 142 143 Parliament of Australia (2000a), Dairy Industry Adjustment Act 2000, No. 22-2000. Neuf mois se sont écoulés entre l’annonce de la décision et le démantèlement de la politique laitière. 118 La signature de l’Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay en 1995, le libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et la constitutionnalité critiquée du paiement au titre du DMS apparaissent aussi avoir accéléré le processus de réforme (Harris 2004, p.4). La mise en œuvre du Competition Principles Agreement (CPA) en 1995 a cependant été l’élément déclencheur. Le CPA exigeait que tous les règlements et lois restreignant la compétition soient réévalués pour l’an 2000. Il était admis qu’aucune restriction ne devait être maintenue, à moins qu’il soit démontré que l’une d’elles fut la seule option envisageable économiquement (Edwards 2003, p.84). Cet exercice, effectué individuellement dans chaque État, s’est soldé par la décision de l’État de Victoria – principal État producteur de lait – de démanteler sa politique laitière. Comme l’indique Kubota, (2006, p.24) : « Le revirement de l’État de Victoria aurait immanquablement provoqué l’effondrement des dispositifs de soutien des prix du lait liquide dans les autres États, et des perturbations économiques généralisées dans la plupart des régions laitières, mais les représentants du secteur […] ont proposé de procéder à une déréglementation complète du marché du lait et de l’accompagner d’une aide à l’ajustement ». En somme, le démantèlement de la politique laitière australienne résulte d’un long processus de réforme ayant duré près de quinze ans. Le contexte institutionnel australien y aura joué un rôle déterminant, en donnant finalement l’occasion à l’une des parties impliquées, soit l’État de Victoria, de se désister du régime d’intervention, précipitant ainsi l’abandon du système. Quoi qu’il en soit, ce processus, tout comme le plan de démantèlement adopté, ont émané, en dernier lieu, d’une volonté commune de la majorité des acteurs de la filière, soit des producteurs, des industriels laitiers et du gouvernement. 4.3.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention 4.3.2.1 La catégorisation des programmes adoptés Les études ayant précédé le démantèlement de la politique laitière australienne ont mis en évidence que d’importants coûts allaient être assumés par les intervenants de la filière, bien que les effets puissent varier selon l’État affecté. Une réduction des revenus des 119 producteurs, une dévalorisation des actifs en production et surtout une restructuration du secteur étaient anticipées (cf. Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 1999). Un plan d’aide à l’ajustement est alors apparu nécessaire à la plupart des organisations consultées, avant d’être jugé conditionnel au projet de démantèlement par les producteurs laitiers australiens. Conséquemment, le Dairy Industry Adjustment Bill 2000 a implanté le Dairy Industry Adjustment Program (DIAP). Le DIAP avait pour principal objectif d’assister l’industrie laitière au cours de l’ajustement suivant la déréglementation (Parliament of Australia 2000a, part 1). Le mémorandum de la loi indique d’ailleurs que « the broad regulatory objective is to facilitate coordinated and orderly structural adjustment in the dairy industry so as to maximise the long-term benefits of deregulation while minimising the short-term costs of moving to a less regulated environment »144 (Parliament of Australia 2000b, p.3). Un organisme, le Dairy Adjustment Authority (DAA), a eu la responsabilité d’administrer ce programme. Plus précisément, trois mesures ont été mises en œuvre dans le cadre du DIAP, soit le Dairy Structural Adjustment Program, le Dairy Exit Program et le Dairy Regional Assistance Program. Les caractéristiques initiales145 de ces programmes sont exposées au Tableau 6. Le Dairy Structural Adjustment Program (DSAP) devait offrir un paiement direct découplé à tous les producteurs de lait australiens éligibles, soit ceux ayant été en production en 1998/99 et détenant des intérêts dans une entreprise laitière en date du 28 septembre 1999. Environ 12 900 exploitations agricoles, regroupant près de 29 000 bénéficiaires, étaient concernées (Kubota 2006, p.26). Outre le dépôt d’un bilan d’entreprise, aucune condition d’octroi n’a été liée au versement du DSAP. La poursuite de la production n’était pas non plus exigée, puisque le DSAP continuait a être versé même après un abandon de la 144 Notons que le DIAP – si on le considère dans son ensemble – constitue en soit une mesure d’ajustement à caractère « structurel ». Ceci s’explique par les caractéristiques des programmes qu’il englobe (voir ci-après), mais aussi par sa finalité première, qui est de faciliter l’ajustement structurel du secteur. Ce mémoire se concentre toutefois à catégoriser les programmes spécifiques d’intervention post-réforme. 145 Des aides supplémentaires – les Supplementary Dairy Adjustment Payments – ont été admises en 2001 afin de soutenir davantage les producteurs laitiers affectés par la réforme. Notre analyse se limite toutefois aux seules mesures adoptées au moment de la réforme. 120 production (Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 2000, p.3). Deux types de versement étaient prévus au titre du DSAP. Sur la base de l’historique de production de chaque entreprise, un paiement de 0,0896 $AUS a été octroyé par litre de lait de transformation commercialisé, tandis qu’un paiement de 0,4623 $AUS le litre a été versé pour le lait de consommation. Cette aide équivalait, respectivement, à 6-7 % et 85-135 % des prix de marché moyens observés au moment de la réforme (Harris 2005, p.17). Le soutien direct offert par le DSAP devait se poursuivre pendant huit ans, jusqu’à la campagne 2007/08. Un arrangement avec des institutions bancaires pouvait cependant transposer cette aide trimestrielle en paiement unique ponctuel. Au total, un budget de 1,63 milliard de dollars australiens a été mis à la disposition des producteurs. Bien que l’aide octroyée au titre du DSAP devait être versée pendant huit ans, il faut considérer ce programme comme une mesure d’indemnisation liée aux pertes de revenus anticipées. En effet, cette aide était à la fois inconditionnelle à une décision d’ajustement et directe. L’étalement du versement est dû à des impératifs commerciaux, puisque l’Australie aurait autrement outrepassé ses engagements en matière de soutien interne à l’OMC (Kubota 2006, p.26). D’autre part, selon ce qui leur apparaissait le plus profitable, les producteurs laitiers australiens pouvaient décider de se prévaloir du Dairy Exit Program (DEP) au lieu de recevoir le DSAP. Le DEP avait pour finalité d’aider les producteurs en difficulté financière à abandonner la production agricole. Pour bénéficier du DEP, il fallait en effet vendre l’entreprise et se retirer de l’agriculture pendant au moins cinq ans (Kubota 2006, p.26). Le soutien du DEP prenait la forme d’un paiement direct non imposable pouvant s’élever jusqu’à 45 000 dollars australiens, à quoi pouvait s’ajouter une aide à la formation d’une valeur de 3 500 dollars australiens. Seuls les producteurs disposant d’actifs limités à la suite de la vente de leur entreprise étaient éligibles, le niveau d’aide offert régressant si le plafond établi (90 000 $AUS) était dépassé (Martini 2007, p.28). Ce programme 121 représentait donc une mesure d’assistance ayant une composante « ajustement » très marquée. Le Dairy Regional Assistance Program (DRAP) a quant à lui été ajouté au dernier instant au Dairy Industry Adjustment Bill 2000. Sa finalité a été d’assister les communautés rurales dépendantes de l’industrie laitière et leurs membres à s’ajuster à la dérégulation de la politique laitière. En place pour trois années, « the regional programme will support initiatives to create employment, retraining, counselling and community infrastructure and services in dairy communities adversely affected by deregulation » (Parliament of Australia 2000c, p.2). Notons que les producteurs laitiers étaient exclus de ce programme, les fonds devant plutôt profiter au développement des entreprises œuvrant en amont ou en aval du secteur (Martini 2007, p.28). Une enveloppe de 45 millions de dollars australiens avait été mise à la disposition du DRAP. Chaque initiateur de projet devait toutefois concourir à 50 % des frais engagés. Le DRAP est ainsi un exemple de mesure d’ajustement visant à accroître la « compétitivité » du secteur en intervenant au niveau des ressources à la disposition des individus et des communautés rurales affectés par la réforme. Au total, le Dairy Industry Adjustment Program (DIAP) comptait sur un budget de près de 1,8 milliard de dollars australiens, dont 1,7 milliard était directement mis à la disposition des intervenants impliqués dans l’industrie laitière et affectés par la réforme146 (Harris 2005, p.22). Cette somme devait entièrement être prise en charge par le Dairy Adjustment Levy, soit une taxe de 0,11 dollar australien appliquée à la vente au détail des produits laitiers liquides en Australie, incluant les produits importés. Cette taxe, qui doit être maintenue jusqu’en 2010, a fait ainsi porter par les consommateurs les charges liées aux mesures de transition introduites lors de la réforme de la politique laitière australienne. 4.3.2.2 Constats et inférences Le principal constat qui émerge de cette analyse se rapporte à l’influence, lors du déroulement de la réforme et de la mise en œuvre des mesures de transition, des principes 122 de la théorie économique néoclassique. L’analyse de cette ascendance se limite ici à l’intervention post-réforme, bien qu’elle ait aussi orienté le processus de réforme en amont147. Il faut ainsi rappeler que l’objectif du Dairy Industry Adjustment Program (DIAP) a été de maximiser les bénéfices de la déréglementation à long terme tout en minimisant les coûts de la transition à court terme. Plus précisément, l’idée était de limiter, dans le courant de la réforme, l’abandon de producteurs qui auraient autrement été efficients et compétitifs à long terme (Parliament of Australia 2000b, p.3). L’approche australienne en matière d’intervention post-réforme s’est donc largement inspirée de la perspective néoclassique appliquée aux processus de réforme, exposée à la section 2.5.1. Le rôle du gouvernement devait alors se limiter à assurer de maximiser l’efficacité économique en minimisant les coûts sociaux d’ajustement potentiellement évitables (cf. Blandford et Hill 2007, p.256-7). De fait, l’intervention au titre du DIAP a essentiellement visé à faciliter la restructuration du secteur, en accordant aux différents intervenants concernés les ressources financières nécessaires à leur ajustement. Les programmes du DIAP ont d’ailleurs privilégié l’augmentation de la compétitivité de l’industrie aussi bien que la rationalisation des entreprises, comme l’indique le mémorandum du Dairy Industry Adjustment Bill 2000 : « It is envisaged that payments to producers under the package would be used in whatever investment considered most appropriate to enhance viability and competitiveness of the enterprise. […]. As a result of the package, it is anticipated that a greater number of farmers will be able to negotiate the transition to a deregulated environment and to re-establish themselves as viable enterprises. Alternatively, where farmers believe exit to be the best option, the payments will provide the farmer with the means to assist to clear debts and exit the industry to undertake more viable economic activities » (Parliament of Australia 2000b, p.5). 146 La balance devait servir à couvrir les frais administratifs et les frais d’emprunts nécessaires. Anderson (2004, p.271) note ainsi que le Competition Principles Agreement (CPA), qui a mené au démantèlement de la politique laitière, « provides a powerful example of neo-liberal ideologies involving free markets and the privatisation of state services ». Edwards (2003, p.84) indique pour sa part que l’évaluation de la politique laitière dans le cadre du CPA a été menée, dans l’État de Victoria, par une firme reconnue pour ses positions libérales. Les résultats de l’étude ont révélé, à l’aide d’une approche coûts-bénéfices standard, de larges gains potentiels pour la communauté dans l’éventualité d’une réforme. 147 123 Cette approche rejoint ainsi l’idée de Breyer (1982), exposée à la section 2.5.1, à savoir que l’objectif d’une intervention efficace est de créer un environnement économique dans lequel des agents rationnels et maximisant leurs intérêts sont en mesure de prendre des décisions d’investissement éclairées relativement aux coûts et aux gains attendus de l’ajustement. À cet égard, le Dairy Structural Adjustment Program (DSAP) a été le principal outil d’ajustement utilisé par le gouvernement australien au cours de la réforme, bien qu’il ait été catégorisé en tant que mesure d’indemnisation. Là encore, le choix de ne lier le versement du DSAP à aucune condition d’ajustement se rapporte à des considérations théoriques d’efficacité économique. Des analyses préliminaires avaient conclu que : « […] a lump sum compensation package was preferable to schemes tying compensation to exit, investment and production decisions, that such behavioural decisions should ideally be made in response to ‘undistorted’ market signals and tying compensation to behaviour ran the risk of distorting market signals » (Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 1999, para. 7.28). Dans le même ordre d’idée, il importe de souligner que la finalité affichée du DIAP a été d’offrir des « payments to producers […] to facilitate adjustment, and […] not to compensate for the effects of the removal of market milk regulatory arrangements » (Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 2000, p.9). Le soutien devait ainsi servir exclusivement à « l’ajustement » du secteur, en intervenant surtout au niveau des revenus des producteurs agricoles. Cette observation mène à un deuxième constat déterminant, à savoir qu’aucune mesure n’est venue pallier la dévaluation des actifs découlant de la réforme. Seule la diminution du prix du lait, et par conséquent la réduction des revenus, a été prise en considération. La différence entre le paiement réservé au lait de consommation par rapport à celui pour le lait de transformation reflétait justement les anticipations relatives à l’évolution post-réforme des prix pour ces produits148. 148 Le marché du lait de transformation était peu régulé et la réduction attendue était moindre que dans le marché du lait de consommation, où l’intervention permettait de maintenir des prix élevés. 124 Pourtant, des pertes significatives étaient anticipées quant à la dévaluation des actifs en production, telle que la terre, dans laquelle les subventions s’étaient pour la plupart capitalisées. Cette situation a été encore plus problématique dans les États ayant eu recours à des quotas de production pour le lait de consommation, car ces derniers ont été abolis dès le 1er juillet 2000, perdant du coup toute valeur marchande (Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee 1999, 5.54 et ss.). Ni le gouvernement fédéral, ni les États – pourtant responsables de l’administration des contingents – n’ont mis en œuvre des mesures directes visant à compenser cette perte (ABARE 2001, p.8). Deux raisons peuvent expliquer cette situation. La première est à l’effet que les quotas sont généralement considérés, dans la théorie économique, comme des « coûts échoués » ne devant pas faire l’objet d’un dédommagement, sous peine de causer un aléa moral et d’affecter l’efficacité de l’ajustement (cf. section 2.5.1). La seconde raison est en lien avec cet aspect, puisque le gouvernement considérait que la valeur des quotas « was represented by the sum of the (additional) annual income derived from producing quota milk over time » (ABARE 2001, p.7). En intervenant au niveau des revenus, il dédommageait indirectement une partie de la perte générée par la disparition du flot de bénéfices lié à cet actif. Il est par ailleurs intéressant de noter que selon les témoignages entendus devant le Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee, l’obligation légale de compenser les producteurs pour la perte de leurs quotas – dans les États où de tels actifs existaient – n’a pas été étudiée en profondeur (1999, 5.6). Il aurait été par ailleurs intéressant d’évaluer si une telle obligation aurait pu être admise légalement. Parmi les autres constats devant être formulés, mentionnons que l’aide a essentiellement été réservée aux producteurs laitiers et marginalement aux autres acteurs de la filière, pourtant concernés par la restructuration du secteur. Le fait que la plupart de ces derniers aient été perçus comme étant des bénéficiaires de la réforme peut expliquer cette situation. Un autre élément intéressant a été le caractère national des mesures de transition adoptées, alors que d’importantes spécificités régionales dans le secteur laitier australien étaient observées. La 125 distinction entre les paiements réservés aux laits de transformation et de consommation a cependant permis de prendre en compte cette diversité géographique149. L’analyse précédente s’est concentrée sur l’étude des modalités d’intervention des programmes post-réformes adoptés. Il est cependant intéressant de prendre en compte les raisons ayant été avancées pour expliquer le choix d’intervenir. Ces dernières ont été explicitement exposées dans un rapport réalisé par le Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee (1999, para. 7.23) et se lisent comme suit : • « The costs of deregulation are concentrated on a relatively small number while the benefits are spread over many […]. • Deregulation would result in the concentration of adverse impacts on a largely rural-based section of the community, with most of the benefits captured by urban-based consumers […]. • There is a concern that without the package there could be significant disruption in some regions. An adjustment package could help minimise the disruption and maintain an adequate resource base in affected regions in the transition to a deregulated industry […]. • An associated concern is the potential for instability in milk supplies. • Dairy farmers have invested in good faith on the basis of existing regulatory arrangements and for many, deregulation would constitute an unforeseen 'shifting of the goal posts'. • Compensation is a once-off exercise but the lower prices ultimately provided to consumers accrue indefinitely. In effect, consumers can afford to fund compensation and still be better off. » En somme, dans l’ensemble du processus de réforme, les principes économiques néoclassiques apparaissent avoir joué un rôle prédominant, à un tel point qu’il est étonnant de constater qu’un consensus ait pu émerger à ce sujet entre les intervenants impliqués. Selon certains observateurs, la désorganisation et les divergences de vues des regroupements agricoles australiens auraient en réalité limité leur capacité à faire valoir d’autres types d’approches (Martini 2007, p.29). L’ascendance des principes économiques sur le déroulement de la réforme a eu des implications significatives pour le secteur laitier, puisque ce dernier a été complètement 149 Par exemple, l’État de Victoria devait recevoir la plus grosse part du financement (48 %), mais les producteurs de l’État du New South Wales, spécialisés dans la production de lait de consommation, devaient 126 libéralisé, tandis que les mesures d’intervention post-réformes adoptées ont été teintées par la volonté de maximiser l’efficacité économique en minimisant les coûts d’ajustement potentiels. Autrement dit, l’aide ne visait pas à dédommager, mais plutôt à accompagner certains groupes fragilisés par la modification de l’environnement économique. Notons que les raisons évoquées pour intervenir laissent transparaître des enjeux relatifs à l’équité, telle que la reconnaissance d’une concentration des coûts d’ajustement sur des catégories précaires d’individus (cf. section 2.5.2). Par contre, même dans cette perspective, la question de l’efficacité est demeurée prédominante, puisque ces groupes ont été ciblés par l’intervention justement parce qu’ils étaient jugés incapables de s’ajuster seuls au nouvel environnement économique. Finalement, il faut reconnaître la grande flexibilité du modèle d’intervention post-réforme privilégié en Australie. En effet, la structure des programmes mis de l’avant a été développée exclusivement pour les fins de cette réforme et ne repose sur aucun mode d’intervention existant, telle une politique agricole nationale appliquée à d’autres secteurs de production. De même, les aides octroyées, tels que les paiements du DSAP, n’ont pas été référencées à des objectifs contraignants, comme le maintien des revenus, mais résultent plutôt de négociations portant sur le niveau, très subjectif, de soutien jugé nécessaire pour faciliter l’ajustement. Ces éléments expliquent certainement l’intérêt accordé par plusieurs auteurs pour ce modèle d’intervention, facilement transposable à d’autres expériences de réforme, tel un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne (cf. Earl 2003; Hart 2005; Barichello et coll. 2006; Petkantchin 2006; Larue et Gervais 2007). 4.3.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme Considérant l’influence des fondements de la théorie économique néoclassique dans le développement des mesures d’intervention adoptées lors du démantèlement de la politique laitière australienne, il n’est pas étonnant de constater une forte ascendance des principes de l’économie du bien-être dans la démarche adoptée. Le mémorandum du Dairy Industry recevoir le paiement par ferme le plus élevé (Whetton 2000, p.6). 127 Adjustment Bill 2000 en expose d’ailleurs les principaux aspects (cf. Parliament of Australia 2000b, p.5 et ss.). Ainsi, le gouvernement fédéral a ciblé cinq groupes d’individus devant être affectés par la réforme, soit les producteurs laitiers, les transformateurs, les détaillants, les consommateurs et les gouvernements. Les producteurs laitiers devaient être les principaux intervenants affectés, en faisant face à une baisse moyenne de revenus de plus de 28 000 dollars australiens par exploitation. Inversement, les transformateurs devaient bénéficier du démantèlement, grâce à la baisse anticipée du prix du lait et à l’abolition de la taxe perçue pour le financement du DMS, à quoi s’ajoutaient des gains liés à la restructuration des entreprises. Il en allait de même des détaillants, bien que l’application du Dairy Adjustment Levy pouvait oblitérer en partie la réduction des prix aux consommateurs. Ces derniers sont néanmoins considérés comme les principaux bénéficiaires. Ils devaient effectivement tirer des bénéfices « substantiels » de la réforme, puisque selon les chiffres avancés, le transfert de revenus causé par la politique laitière s’élevait à 500 millions de dollars australiens annuellement. Enfin, les gouvernements devaient profiter d’une réduction de leurs charges administratives. Cette liste, bien que simplifiée, regroupe effectivement les principaux intervenants de la filière laitière australienne. Il est par ailleurs légitime de se questionner sur la façon dont ont été évalués les gains et les pertes devant être assumés par chacun. Le principal exemple à cet égard concerne l’omission de considérer la perte de valeur des quotas laitiers, mais ce questionnement s’applique aussi aux acteurs situés en aval, tels les consommateurs. Le Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee (1999, 5.65) notait ainsi: « […] almost no-one coming before the Committee was prepared to predict that the price of milk to the consumer would fall. It appears from evidence that there is little foundation for optimism in a deregulated environment, i.e. that it is unlikely that the retail price of milk will fall. » Les bénéfices anticipés pour les consommateurs ne reposaient donc pas tant sur des évaluations empiriques que sur l’idée que les gains d’efficacité découlant de la réforme allaient nécessairement leur être transmis grâce à l’effet de la concurrence. 128 Il faut reconnaître néanmoins que les principales mesures de transition adoptées, soit le DSAP et le DEP, constituent effectivement des « compensations » au sens de l’économie du bien-être. Bien que bénéficiant exclusivement aux producteurs, ces compensations devaient assurer le transfert des gains dans l’ensemble de la filière. Le paiement moyen par ferme s’est ainsi élevé à 118 000 dollars australiens, ce qui a été jugé suffisant pour garantir le maintien du niveau de production à la suite du démantèlement, assurant du coup un approvisionnement à moindres coûts pour les transformateurs et les détaillants (Parliament of Australia 2000b, p.7). Le niveau d’assistance offert par cette compensation n’apparaît cependant pas suffisant pour couvrir l’ensemble des pertes encourues par les intervenants, principalement les producteurs laitiers. De fait, l’aide de 1,6 milliard de dollars australiens équivalait au maintien du soutien réglementaire précédent, évalué à 500 millions de dollars australiens annuellement, que pour trois années supplémentaires. Le fait de « compenser » les producteurs ne semble donc pas avoir été une finalité poursuivie par le gouvernement. Le financement de cette compensation représente par ailleurs une application explicite du principe du « test de compensation ». En effet, une taxe à la consommation, le Dairy Adjustment Levy, a servi à financer le DIAP, reflétant ainsi l’idée que les consommateurs devaient être les principaux bénéficiaires de la réforme, tel que l’entend d’ailleurs la théorie du bien-être. Selon les analyses préparatoires, cette taxe ne devait pas faire augmenter le prix du lait au détail. Pour cette raison, le mémorandum indique que les « consumers are still expected to be better off under the package than under the current situation where Commonwealth and State regulatory arrangements provide for monetary transfers of over $500 million annually from consumers ». Le Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee (1999, para. 5.65) concluait toutefois, sur la base des réserves posées précédemment, que « the funding of the package via a consumer levy appears to be opportunistic ». En somme, cette analyse permet de conclure que si l’intervention post-réforme adoptée n’a pas constitué une transposition complète du « test de compensation », elle représente néanmoins une application de son principe à un cas réel de réforme. En effet, « l’état » atteint à la suite de la réforme de la politique laitière australienne a été jugé préférable, car 129 les autorités ont assumé que les gagnants (les consommateurs) seraient en mesure de compenser les perdants (les producteurs) de façon à ce qu’il y ait potentiellement au moins un individu qui bénéficie du changement sans qu’aucun n’en soit pénalisé. À cet égard, bien que le DIAP constitue une « compensation », son recours s’explique plutôt par la perspective néoclassique de l’intervention gouvernementale dans l’économie, en visant à minimiser les coûts sociaux évitables. Dans un tel cas, l’enjeu est de s’assurer que les sommes investies n’outrepassent pas les gains attendus par la réforme, ce qu’a certainement dû admettre le gouvernement australien. 130 Tableau 6 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées en Australie, le secteur laitier Aspects descriptifs Modalités d’intervention Nom du programme Intervenants concernés Composantes économiques visées Critères d’éligibilité Conditions de versement Période et rythme de versement Soutien des revenus - Avoir été engagé dans la production laitière en date du 28 septembre 1999 ; - Avoir des intérêts dans une entreprise laitière ayant livré du lait lors de la campagne 1998/99. Dépôt d’un bilan d’exploitation (déclaration d’actifs, analyses des revenus, dépenses annuelles, etc.). - Versement trimestriel ; - Pendant 8 ans. Dairy Exit Program Producteurs agricoles Soutien des revenus - Démontrer avoir été producteur pendant 2 ans et être incapable d’emprunter sur ses capitaux ; - Avoir un actif total d’après vente d’un maximum de 90 000 $AUS. - Vendre l’entreprise agricole ; - Se retirer de la production agricole pendant 5 ans. - Versement unique ; - Disponible pendant 2 ans. Dairy Regional Assistance Program Communautés rurales Institutions et infrastructures rurales Réservé aux entreprises œuvrant en amont et en aval du secteur de la production (producteurs laitiers exclus). Déposer un projet à un comité d’évaluation. Accessible pendant 3 ans. Dairy Structural Adjustment Program Entreprises agricoles 1 131 Structure du programme Nom du programme Dairy Structural Adjustment Program Dairy Regional Assistance Program Calcul du soutien Base de référence 1,63 milliard $AUS - Selon les livraisons de lait de l’entreprise lors de la campagne 1998/99 ; - Paiement de 0,0896 $AUS/l de lait de transformation et 0,4623 $AUS/l de lait de consommation. Correspond à la poursuite du soutien pour trois années supplémentaires. 30 millions $AUS - Paiement de 45 000$AUS non imposable ; - Aide au recyclage (formation) maximale de 3 500 $AUS. 45 millions $AUS Participation du bénéficiaire à la hauteur de 50 % des charges du projet. Plafond et nature du paiement Financement - Plafond à 350 000$AUS 2 - Paiement direct découplé. Paiement direct découplé. Type de mesure de transition Indemnisation Dairy Adjustment Levy (consommateur) Assistance (Ajustement) Nd. Nd Ajustement (Compétitivité) 1 Les paiements étaient versés aux entreprises agricoles, mais ils étaient partagés entre les différentes entités impliquées dans la production, comme les producteurs, les propriétaires, les contractants à un bail, etc. 2 Ne s’appliquait pas si les revenus laitiers dépassaient 70 % des revenus de l’entreprise. 3 Le DIAP, en le considérant dans son ensemble, peut être catégorisé comme une mesure d’ajustement à caractère structurel compte tenu de sa finalité et des caractéristiques des programmes d’intervention qu’il englobe. Sources principales : Edwards (2003), Harris (2004), Parliament of Australia (2000a; 2000b; 2000c) et Senate Rural and Regional Affairs and Transport References Committee (1999). Ajustement (Restructuration) 3 Dairy Exit Program Montant total de la mesure 132 4.4 Le secteur laitier helvétique La production laitière constitue le principal secteur agricole en Suisse. Celui-ci regroupe en effet le plus grand nombre d’exploitations et assure à lui seul plus de 20 % des recettes agricoles nationales. S’y greffe également l’importance économique de l’industrie connexe de la transformation fromagère, qui utilise plus de 40 % du lait produit et qui exporte près de 30 % de sa production à haute valeur ajoutée (OFAG 2007, tableaux 7, 9, 15). Cette prédominance historique a conféré au secteur laitier un rôle stratégique dans l’économie agricole helvétique. C’est d’ailleurs afin de stabiliser son développement que la Confédération a introduit un système de contingentement en 1977. L’objectif poursuivi était alors de contrer la surproduction et la chute généralisée du prix du lait, de maintenir une production laitière sur l’ensemble du territoire et de valoriser les activités de transformation dans les régions montagneuses. L’intervention vise aujourd’hui à garantir un revenu suffisant aux producteurs et à limiter les frais de mise en valeur du lait (PSL 2001, p.1). Ce régime de gestion de l’offre est toujours en place aujourd’hui, mais son abolition a été annoncée pour 2009. 4.4.1 La contextualisation du projet de réforme 4.4.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien La politique agricole helvétique repose sur trois domaines d’intervention, soit celui de la Production et ventes, celui des Paiements directs et celui de l’Amélioration des bases de production. Les programmes encadrant l’économie laitière de la Suisse s’inscrivent pour la plupart dans le premier domaine, bien que les producteurs laitiers bénéficient également de l’intervention au titre des deux autres. Cette section s’attarde cependant à décrire le fonctionnement de la politique laitière en mettant l’accent sur les mesures d’intervention spécifiques à ce secteur de production. La Confédération a historiquement eu recours à d’importants mécanismes de soutien du marché afin de supporter les prix des produits laitiers. Aujourd’hui encore, « le niveau du 133 prix du lait à la production est […] largement déterminé par le soutien du marché » (Conseil fédéral 2006, p.83), bien que le prix du lait se négocie librement, depuis 1999, entre les interprofessions de producteurs et les transformateurs. En fait, sous la Politique Agricole (PA)150 suisse présentement en vigueur – la PA-2011 (2008-2011) – l’intervention dans le secteur laitier s’articule essentiellement autour de subventions à la production et aux ventes, de protections douanières, d’aides aux exportations et d’un régime de contingentement laitier (cf. Confédération suisse 1998a, art.38-42). Notons que pour les fins de l’analyse, la description de ces composantes se réfère aux modalités d’action prévues avant 2009, soit l’année de l’abolition du contingentement laitier. Des subventions directes, comptant des « suppléments » à la production et des « aides » à la promotion des ventes, constituent un premier type de mécanisme de soutien utilisé. Au niveau des suppléments, celui Versé pour le lait transformé en fromage est le plus important. Il prend la forme d’une aide de 0,15 franc151 versée aux utilisateurs de lait pour chaque kilogramme de lait transformé en fromage (Confédération suisse 1998c, art.2). Sa fonction première est de réduire le prix d'achat du lait utilisé comme matière première pour la fabrication de fromage (PSL 2004, p.4). Comme l’indique le Conseil fédéral (2006, p.83), cette aide joue un rôle déterminant, car « l’octroi de ce supplément se répercute indirectement aussi sur le prix du lait qui est utilisé dans la fabrication d’autres produits laitiers ne bénéficiant d’aucun soutien (effet de levier) ». S’ajoute à ce premier paiement le Supplément de non-ensilage qui prévoit une aide supplémentaire de 0,03 franc par kilogramme de lait provenant de vaches nourries sans ensilage, si ce lait est transformé en fromage (Confédération suisse 1998c, art.3). Les Aides à la promotion des ventes dans le pays constituent la seconde catégorie de subventions directes. Elles visent à promouvoir la vente, sur les marchés domestiques, de certains produits laitiers, dont le beurre et la poudre de lait. Ainsi, en janvier 2007, 0,40 franc était octroyé aux vendeurs de beurre pour chaque emballage de un kilogramme 150 Les documents gouvernementaux se réfèrent à la Politique Agricole en ayant recours à l’acronyme « PA ». L’utilisation de ce terme est également privilégiée dans cette analyse. 151 Pour l’ensemble de cette section, les valeurs monétaires sont exprimées en francs suisses. 134 commercialisé (OFAG 2007, p.130). Ce type d’aides a pour but de favoriser des modes de mise en valeur du lait à faible valeur ajoutée (Conseil fédéral 2006, p.83). Le régime de protection tarifaire constitue le second pilier de la politique laitière helvétique. Depuis la signature de l’Accord sur l’agriculture de l’OMC, ce régime se compose de tarifs douaniers élevés ainsi que de contingents tarifaires152. En fait, la plupart des produits laitiers bénéficient d’une protection douanière substantielle (Conseil fédéral 2006, p.84). Notons toutefois qu’un accord de libre-échange a été mis en œuvre en 2002 entre la Suisse et l’Union européenne en ce qui a trait au commerce du fromage. Depuis 2008, ce marché est complètement libéralisé. Puisque cet accord concerne le principal secteur de l’industrie laitière helvétique, cette libéralisation doit avoir pour effet de rendre le prix du lait suisse beaucoup plus sensible à l’évolution des marchés et à celle de la politique laitière de l’Union européenne. Notons qu’en 2006, le prix suisse du lait à la production s’élevait à 0,72 franc le kilogramme, soit 40 % au-dessus de celui observé en Allemagne (OFAG 2007, p.250). Ce prix élevé du lait se reflète évidemment sur celui du fromage. Ainsi, afin de pouvoir exporter ce produit153 à haute valeur ajoutée sur les marchés internationaux, la Suisse a historiquement eu recours à d’importantes aides aux exportations. Sous la PA-2011, de telles subventions sont toujours disponibles. Elles ne peuvent plus cependant servir à exporter vers l’Union européenne (Confédération suisse 1998c, section 4). Le système de contingentement laitier constitue la quatrième composante de la politique laitière helvétique. Selon les dispositions de la loi, un contingent correspond à la quantité de lait qu’un producteur peut commercialiser au cours d’une année laitière (cf. Confédération suisse 1998b). Chaque contingent est ainsi détenu par un exploitant agricole, bien que la Confédération ait le pouvoir d’ajuster le niveau total ou individuel de 152 Le régime douanier suisse est en fait très particulier. Par exemple, la Suisse est le seul pays à n’employer que des tarifs spécifiques, plutôt que ad valorem. La gestion des contingents tarifaires laitiers, utilisés exclusivement pour l’importation de beurre, permettait jusqu’à récemment de subventionner indirectement les organisations laitières grâce à la rente d’importateur qui leur était garantie. De même, des mécanismes de « prix-seuil » permettant d’ajuster les tarifs douaniers de certains produits en fonction des prix à l’importation sont utilisés. Enfin, les droits sur certains produits importés sont également ajustés en fonction de leur utilisation finale (cf. DREPA 2006a). 153 Le fromage n’est pas le seul produit laitier suisse bénéficiant d’aides aux exportations, mais l’analyse se concentre sur ce produit compte tenu de son importance. 135 contingents en circulation et ce, sans indemnisation (Confédération suisse 1998a, art.31). En 2006/07, le « potentiel de production »154 s’élevait à 3,2 millions de tonnes de lait, réparties entre 29 000 producteurs (OFAG 2008a, p.3). Mentionnons qu’à l’origine, les quotas laitiers étaient liés aux superficies des entreprises et ne pouvaient être transférés autrement que par la transmission des terres. Depuis 1999, ils sont déliés de cet actif et peuvent d’ailleurs faire l’objet de transactions, en étant soit vendus, soit loués entre entreprises, sur une base contractuelle et sous certaines conditions (Conseil fédéral 1996, p.139; Confédération suisse 1998b). Enfin, afin de d’assurer le respect de la limitation de produire, une taxe est appliquée pour chaque kilogramme de lait excédentaire produit (Confédération suisse 1998a, art. 36). Le budget total devant être alloué à la politique laitière dans le cadre de la PA-2011 s’élève à 863 millions de francs pour la période 2008 à 2011, ce qui correspond à environ 6 % du budget agricole total (Conseil fédéral 2006, p.195, 201). Ce montant reflète toutefois les changements devant être apportés en 2009 à l’intervention dans ce secteur. Pour base de comparaison, la PA-2007 avait prévu, pour la période 2004-2007, un budget total de près de 2 milliards de francs (Conseil fédéral 2002, p.4579). Cette réduction budgétaire affectant le secteur laitier traduit en réalité une refonte beaucoup plus fondamentale de la « PA » qui est exposée par la suite. Notons que la structure de l’économie laitière est spécifique aux réalités géographiques et politiques de la Suisse. En effet, près de 40 % de l’agriculture se situe en montagne, tandis qu’une entreprise laitière moyenne ne compte que 22 hectares de terre et environ 20 vaches (DREPA 2006a, p.8; OFAG 2008a). La spécialisation de l’industrie laitière helvétique dans le domaine de la production fromagère constitue une autre spécificité majeure. Enfin, mentionnons que la structure de la « PA » est tout aussi particulière, puisque ses principes directeurs sont inscrits dans la Constitution du pays. Ainsi, depuis 1996155, la Constitution 154 Le potentiel de production inclut les « contingents de base », mais aussi les « quantités de base » correspondant aux volumes de lait exemptés du contingentement à partir de 2006. Cet aspect est étudié à la section suivante. Les contingents et les quantités « supplémentaires » sont également inclus dans cette donnée. 155 Depuis le début des années 50, les principes guidant l’intervention en agriculture se retrouvent inscrits dans la Constitution. À l’origine, l’autosuffisance était l’un des principaux objectifs poursuivis. Dans le cadre de la révision de la politique agricole amorcée en 1992, la population et les Cantons ont été appelés à voter, par référendum, sur une nouvelle base constitutionnelle prévoyant entre autres l’octroi de paiements directs 136 privilégie une « PA » axée sur la sécurité de l’approvisionnement, la conservation des ressources naturelles, l’entretien du paysage rural et l’occupation décentralisée du territoire (Confédération suisse, art.104, al.1). Quoi qu’il en soit, certains mécanismes d’intervention spécifiques au secteur laitier, dont le régime tarifaire et le système de contingentement, présentent des similitudes significatives avec les mécanismes privilégiés dans la politique laitière canadienne. Ce dernier aspect – le contingentement laitier – offre certainement le plus de correspondances. L’intérêt d’étudier la réforme de ce système est d’ailleurs amplifié par le fait que depuis 1999, ces contingents laitiers ont pu faire l’objet de transactions, leur faisant ainsi prendre une valeur commerciale. 4.4.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées Dans le cadre de ce mémoire, l’analyse de la réforme de la politique laitière helvétique se structure autour du projet d’abolition du système de contingentement. La LAgr-1998 prévoit en effet qu’à partir du 1er mai 2009156, tous les contingents laitiers seront supprimés (Confédération suisse 1998a, art.36a). Par ailleurs, d’autres aspects de la politique laitière ont été et doivent être modifiés sous la PA-2011 et sont par conséquent également étudiés. En fait, le projet d’abolition des contingents laitiers ne s’inscrit pas dans le même agenda que les autres modifications prévues pour la politique laitière. En effet, bien que le projet de démantèlement soit mené à terme sous la PA-2011, il a été introduit en 2004, dans le cadre de la PA-2007. Une période de transition a alors été planifiée pour le secteur, entre le 1er mai 2006 et le 30 avril 2009. Pendant ces trois années157, des producteurs affiliés à des regroupements organisés corporativement ont ainsi pu déposer des demandes, auprès du gouvernement, afin d’être exemptés du contingentement (cf. Confédération suisse 2004). Plusieurs conditions conditionnels à la fourniture de prestations écologiques. Le vote s’est tenu en 1996 et l’amendement a recueilli un appui de 78 % de la population (Conseil fédéral 2006, p.18). 156 La LAgr-1998 permet toutefois de repousser cette abolition jusqu’en 2011 si les conditions économiques ne sont pas jugées appropriées (Confédération suisse 1998a, art.36a al.3). 157 La dernière demande d’exemption a eu lieu le 1er mai 2008. 137 balisaient toutefois cette transition, parmi lesquelles l’obligation, de la part des producteurs, de vendre leur lait à un utilisateur de lait éligible (Confédération suisse 1998a). De plus, sauf exception158, les volumes produits ne pouvaient excéder une « quantité de base » correspondant au niveau de contingent de chaque producteur exempté, maintenant du coup l’effet du contingentement (Confédération suisse 2004, art.6). À partir du 1er mai 2009, les limites quantitatives à la production seront toutefois supprimées et les regroupements de producteurs et les utilisateurs de lait détermineront seuls les volumes de lait devant être commercialisés. Seule restera l’obligation, pour les parties, d’établir « un contrat d’achat de lait d’une durée minimale d’un an comprenant au moins un accord sur la quantité de lait livrée et les prix arrêtés […] » (Confédération suisse 1998a, art.36b al.2; PSL 2008, p.1). La PA-2011 prévoit d’autres ajustements majeurs affectant l’économie laitière helvétique. Ainsi, dès le 1er janvier 2009, les Aides à la promotion des ventes dans le pays seront abolies, ainsi que les aides aux exportations. Seuls le Supplément versé pour le lait transformé en fromage et le Supplément de non-ensilage seront maintenus. Au total, 50 % des sommes dédiées auparavant à ces mécanismes de soutien du marché sera retranché. Mentionnons que s’ajouteront également des modifications au régime douanier, avec un assouplissement des modalités d’octroi des contingents tarifaires laitiers et une réduction des droits de douanes perçus sur les aliments pour animaux (Conseil fédéral 2006, p.82 et ss.; OFAG 2008b). Cette description permet ainsi de constater que malgré l’abolition du système de contingentement laitier en 2009, la réforme de la politique laitière helvétique demeure partielle. En effet, en plus de maintenir un cadre légal balisant la commercialisation du lait, des mesures de soutien du marché restent en place, tandis que le régime tarifaire, tout en étant ajusté et affaibli par l’accord de libre-échange sur le commerce du fromage, est maintenu. Cette réforme est également graduelle, ne serait-ce qu’à cause de la période de trois ans réservée à la transition vers l’abandon du contingentement. 158 Les regroupements pouvaient demander au gouvernement des quantités « supplémentaires » s’il était démontré que les volumes pouvaient être transformés et commercialisés (Confédération suisse 1998b, section 2a). 138 Notons par ailleurs que ce gradualisme et l’ampleur de cette réforme s’expliquent surtout par le fait que celle-ci s’inscrit dans un processus de réorientation beaucoup plus vaste de la « PA ». En fait, depuis 1993, cette dernière a été réévaluée à quatre occasions, la PA-2011 étant la dernière étape mise en œuvre à ce jour159. Globalement, cette démarche s’est articulée autour d’une séparation graduelle de la politique des prix de celle des revenus, l’intervention en agriculture prenant maintenant essentiellement la forme de paiements directs découplés et conditionnels à des prestations environnementales. Ce changement s’est fait au détriment des mécanismes de soutien de marché ayant caractérisé la politique laitière helvétique. À cet égard, parmi les principaux changements apportés à cette politique, notons l’abolition des prix garantis et le début de la commercialisation des contingents laitiers sous la PA-2002160, tandis que la PA-2007 a enclenché la transition vers l’abolition du système de contingentement. De nombreuses justifications expliquent cette réorientation globale de l’intervention agricole en Suisse et plusieurs d’entre elles, telles que les préoccupations environnementales, sont à caractère sociopolitique. Ce sont toutefois les pressions commerciales et le faible degré de compétitivité des entreprises agricoles helvétiques qui ont été le moteur de changement et ce, tout particulièrement au niveau du secteur laitier. La décision de supprimer le système de contingentement est ainsi justement expliquée par les frais de production élevés en découlant, affectant du même coup la compétitivité du secteur (Conseil fédéral 2002, p.4470). 159 La première étape a eu pour thème « Découplage plus d’Écologie ». Elle a pris place en 1993, avec l’introduction d’un régime de paiements directs découplés de la production. La PA-2002 (1999-2002), lancée sous le thème de « Déréglementation plus de Marché » représente la seconde étape. Inscrite dans les nouveaux fondements constitutionnels de 1996, la PA-2002 a mené à une refonte des mécanismes de paiements directs en les rendant éco-conditionnels et a entraîné la suppression de toutes les garanties d’écoulement et de prix. La troisième étape a été introduite avec la PA-2007 (2004-2007). Elle a poursuivi la démarche précédente en misant cette fois sur une « Déréglementation plus Compétitivité ». L’abandon graduel du système de contingentement laitier a été amorcé à ce moment (cf. Conseil fédéral 2006; DREPA 2006a; USP 2008). 160 Notons que les « Suppléments » et les « Aides » ont été adoptés en réponse à cette abolition. Ces paiements devaient permettre aux producteurs d’atteindre, par le biais du marché, un prix-cible indicatif (Conseil fédéral 1996, p.131). Bien que cette étape de la réforme ne soit pas étudiée spécifiquement dans ce mémoire, ces paiements directs pourraient être considérés comme ayant été des mesures de « réinstrumentation ». La commercialisation des contingents devait faciliter la restructuration du secteur et réfère donc à une mesure « d’ajustement » à caractère légal. 139 En fait, la réforme de la politique laitière helvétique résulte d’une stratégie à long terme visant à développer une agriculture compétitive, multifonctionnelle, axée sur une production à haute valeur ajoutée et prenant acte de l’évolution commerciale à l’échelle internationale (cf. DREPA 2006a, p.79). 4.4.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention 4.4.2.1 La catégorisation des programmes adoptés La réforme de la politique laitière helvétique, telle que décrite précédemment, comporte deux volets, le premier étant l’abolition du système de contingentement et le second, regroupant les modifications apportées au régime de soutien des marchés. Des mesures de transition spécifiques ont été proposées pour chacun161. Leurs caractéristiques sont exposées au Tableau 7. Les mesures prévues pour le deuxième volet sont abordées dans un premier temps. En fait, comme l’indique le Conseil fédéral dans son Message sur la PA-2011, l’élément-clé de cette politique « consiste à réduire considérablement les moyens financiers utilisés aujourd’hui pour le soutien du marché et à réallouer les fonds ainsi dégagés aux paiements directs non liés à la production » (2006, p.3). Ainsi, la décision d’abolir, en 2009, les Aides à la promotion des ventes dans le pays ainsi que les aides aux exportations a été précédée, dès 2007, par l’octroi d’une subvention directe de 200 francs par vache laitière162. Après l’abolition des aides le 1er janvier 2009, ce montant sera majoré à 230 francs (Conseil fédéral 2006, p.107; OFAG 2008c). Les fonds retranchés à l’ancien mode d’intervention seront alors transférés à cet autre. Notons que ce paiement s’intègre en réalité au principal domaine d’intervention de la « PA », soit celui des Paiements directs. Plus précisément, la subvention octroyée à partir 161 Le processus de réforme est en cours de mise en œuvre et certaines modalités d’intervention ne sont pas encore connues. Les informations présentées dans cette section reposent donc sur les Ordonnances adoptées à ce jour, mais aussi sur les documents consultatifs publiés par les autorités. 162 La référence s’exprime techniquement par Unité Gros Bovin (UGB). Une vache laitière équivaut à 1 UGB. 140 de 2007 s’inscrit dans le régime des Paiements directs généraux163 et constitue une aide au titre des « Contributions pour la garde d’animaux consommant des fourrages grossiers » (CGACFG)164. Les CGACFG sont techniquement des paiements directs découplés de la production, conditionnels au respect de normes environnementales et attribués selon les superficies herbagères et les charges en bétail admissibles (Confédération suisse 1998d, titre 2). Si les CGACFG sont octroyées aux éleveurs helvétiques depuis 1999, les vaches laitières étaient quant à elles exclues du régime avant 2007, compte tenu du soutien du marché offert pour la production du lait165 (Conseil fédéral 2006, p.107). Conséquemment, cette réallocation des ressources financières constitue une mesure de réinstrumentation visant à soutenir les revenus des producteurs laitiers. Plus précisément, il s’agit d’un « rachat du soutien », puisque les mécanismes de soutien du marché sont remplacés par un paiement direct découplé et permanent (cf. section 2.4.4). À la fin de 2008, 43 millions de francs seront ainsi transférés vers le régime de Paiements directs, faisant ainsi passer – partiellement – l’intervention dans le secteur laitier d’une politique de « soutien des prix » vers une de « soutien des revenus » (PSL 2008). Notons que dans le cadre de cette stratégie, le « contribuable » conserve la responsabilité du financement de la politique laitière helvétique. L’abolition du système de contingentement n’implique, quant à elle, aucune forme de soutien financier direct ou indirect. En fait, seul le système d’exemption mis en place entre 2006 et 2009 constitue une mesure de transition. Ce « régime transitoire » devait permettre « aux organisations et aux producteurs […] de profiter de la période transitoire pour mettre sur pied des structures adaptées au marché et susceptibles de faire leurs preuves dès 2009 » (Conseil fédéral 2006, p.84). Les producteurs devaient également bénéficier de la réduction 163 Deux types de paiements directs sont octroyés aux producteurs agricoles suisses. Les premiers sont dits « généraux » et sont conditionnels au respect de Prestations écologiques requises (PER). Les seconds sont dits « écologiques » et servent d’incitatifs à produire des prestations écologiques supérieures aux PER (DREPA 2006a, p.36). Ces paiements occupent plus de 80 % du budget agricole sous la PA-2011. 164 Cette analyse se concentre sur les CGACFG. D’autres paiements, tels que les Contributions pour la garde d’animaux dans des conditions difficiles (CGACD) sont par ailleurs disponibles, mais sont spécifiques à certaines conditions de production. 165 Techniquement, 1 UGB bovin garantit un paiement de 660 francs (en 2009). Une « déduction pour le lait commercialisé » est cependant appliquée. Pour chaque 4 400 Kg de lait commercialisé, 1 UGB est soustraite. Transposée en valeur monétaire, cette déduction s’élève à 430 francs (en 2009). L’éleveur conserve ainsi un paiement direct de 230 francs par UGB pour ses vaches laitières. 141 des coûts de production liés à l’exonération des frais d’achat et de location de contingents, sans affecter l’équilibre de marché par une éventuelle surproduction (OFAG 2004, p.5). Bien que ce régime transitoire prenne fin le 1er mai 2009, l’obligation qu’ont les producteurs de ne vendre leur lait qu’à un utilisateur éligible par le biais d’un contrat annuel d’approvisionnement demeurera en vigueur jusqu’en 2015 (Confédération suisse 1998a, art.36b). Comme l’indique le Département fédéral de l’économie (DFE 2005, p.29), « en limitant les possibilités de vendre le lait après l’abandon du contingentement, l’art. 36b LAgr vise à renforcer la position des producteurs de lait dans les négociations »166. Conséquemment, cette réglementation – incluant le régime transitoire – constitue une mesure d’ajustement à caractère légal, puisqu’elle remplace, bien que de façon beaucoup moins contraignante, le système de contingentement. Elle favorise par le fait même le fonctionnement du marché en permettant une meilleure organisation des capitaux et des intervenants, promouvant du même coup le passage d’un équilibre économique à un autre (cf. section 2.4.1). 4.4.2.2 Constats et inférences L’analyse de la réforme de la politique laitière helvétique n’est possible qu’en prenant acte de la finalité qu’elle poursuit. En fait, comme l’indique un rapport préparatoire à la PA2011 réalisé par le Département fédéral de l’économie (2005), « l’amélioration de la compétitivité de l’économie laitière suisse doit être le but principal » (p.13). On y ajoute que compte tenu « de l’enjeu que représente le passage au nouveau système, il faut accorder à l’économie laitière le temps de s’adapter à la nouvelle donne » (p.24). À la lumière de la description précédente, force est d’admettre que la compétitivité de la filière et la capacité d’ajustement de celle-ci constituent effectivement les deux enjeux caractérisant la réforme et les mesures de transition adoptées dans le secteur laitier. 166 Un projet présentement en élaboration vise à développer un « règlement de branche » entre les différents acteurs de l’industrie, afin de contrôler les volumes produits, par le biais de taxes et de prélèvements sur les quantités supplémentaires. Un tel règlement, bien que régit par la LAgr-1998, a toutefois un caractère privé (Confédération suisse 1998a; Clemenz 2008, art. 8-9). 142 La question de la compétitivité se retrouve en fait au cœur de la réforme globale de la « PA » depuis 1993. Une mention à cet effet a d’ailleurs été inscrite dans la Constitution en 1996167 et l’ensemble des ajustements apportés à l’économie laitière depuis la PA-2002 s’inscrivent dans cette perspective. C’est également le cas, sous la PA-2011, de l’abolition des principaux mécanismes de soutien de marché (aides aux ventes et subventions aux exportations) et du maintien des Suppléments. Le Message de la PA-2011 indiquait déjà en 2006 que « la baisse des prix qui [résultera de cette abolition] aura pour effet de mobiliser le potentiel d’accroissement de la productivité et de diminution des coûts; il s’ensuivra un gain de compétitivité » (p.3). Il en va de même de l’abolition du régime de contingentement fondé sur un contrôle gouvernemental de l’offre, puisque sans ce système, « les objectifs de la politique agricole seront désormais atteints plus efficacement et de façon plus avantageuse pour l'économie dans son ensemble […] » (DFE 2005, p.14-5). Une fois admis cet objectif de compétitivité et les moyens nécessaires pour y arriver, le délai et le rythme de mise en œuvre sont apparus comme le second facteur déterminant. En fait, toujours selon le Département fédéral de l’économie (2005, p.16), le contingentement laitier aurait dû être supprimé lors de la première phase de la réforme agricole, soit sous la PA-2002. Les ajustements apportés au commerce des contingents, puis le recours à un « régime transitoire » en 2006 ont cependant été des étapes jugées nécessaires à l’adaptation du secteur. Face à la stratégie préalablement définie, la mise en œuvre de la PA-2011 a également été caractérisée par le report de certaines mesures afin d’ajuster le rythme de réforme. Un sursis a ainsi été donné quant à la réduction prévue du financement alloué aux mécanismes de soutien du marché (OFAG 2007, section 2.5). Les conséquences attendues du processus de réforme permettent quant à elles d’apprécier l’ampleur de la réorientation souhaitée. Le Conseil fédéral (2006, p.84) considère ainsi qu’une fois les formes de « soutien du marché supprimées […], le prix du lait en Suisse s’établira au niveau européen, auquel s’ajoutera le supplément versé pour le lait transformé 167 L’article 104 constitutionnel portant sur l’agriculture indique dès l’alinéa 1 que celle-ci « veille à ce que l’agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché […]» (cf. Confédération suisse, surlignage ajouté). 143 en fromage. Grâce à la proximité du marché et à l’image de marque des produits suisses, il devrait pouvoir rester légèrement supérieur ». Cette stratégie repose quant à elle sur l’idée que cette baisse de prix favorisera les modes de commercialisation de lait à haute valeur ajoutée, telle que la production fromagère, qui serviront par la suite de locomotive de développement pour l’ensemble de la filière168. Les revenus des producteurs doivent être affectés significativement par cette baisse du prix du lait. Les entreprises demeurant en production ne devraient pas, cependant, être affectées trop négativement et ce, pour différentes raisons. La première découle des obligations légales de l’État. Ainsi, la LAgr-1998 stipule que « les mesures prévues dans la présente loi ont pour objectif de permettre aux exploitations remplissant les critères de durabilité et de performance économique de réaliser, en moyenne pluriannuelle, un revenu comparable à celui de la population active dans les autres secteurs économiques de la même région » (Confédération suisse 1998a, art.5 al.1). Dans la mesure où cette condition n’est pas respectée, les moyens nécessaires doivent être pris par l’État pour y arriver. La seconde raison est liée à cette obligation légale de soutenir les revenus des producteurs. Ainsi, dans le cadre de la réforme de la politique laitière, les fonds retirés des mécanismes de soutien du marché sont entièrement réalloués au domaine des Paiements directs, au titre des CGACFG, soutenant ainsi directement les revenus des producteurs. S’ajoute une troisième raison, à savoir les ajustements concomitants apportés à la « PA » et visant à réduire les coûts de production du lait. C’est le cas, par exemple, de l’abaissement des protections douanières sur les produits utilisés en alimentation animale (DFE 2005, p.31). Une quatrième raison, à caractère structurel, explique enfin le maintien anticipé des revenus des entreprises laitières. En fait, compte tenu que la PA-2011 ne devait engager aucune ressource financière supplémentaire pour les paiements directs169, le Conseil fédéral compte 168 L’accord de libre-échange avec l’Union européenne s’inscrit d’ailleurs au cœur de cette stratégie. Le Conseil fédéral estime qu’une augmentation de la part de marché de l’industrie suisse du fromage en Europe (passant de 0,5% à 1,5%) entraînera une augmentation de la production laitière de 25 % (Conseil fédéral 2006, p.83). Thomas Reinhard des Producteurs suisses de lait (PSL) note cependant que « l'économie laitière suisse ne pourra étendre ses exportations de manière conséquente que si elle propose des produits laitiers de qualité vraiment excellente (fromages au lait cru par exemple) ou si elle baisse massivement ses prix » (communication personnelle, Reinhard 2008). 169 Dans les faits, 150 millions de francs supplémentaires ont été votés pour soutenir les prix de marché (OFAG 2007, p.218). 144 sur une restructuration suffisamment rapide du secteur afin de compenser la perte de revenus des entreprises (Conseil fédéral 2006, p.56). Cette attente s’étend d’ailleurs à l’ensemble de l’agriculture : « Du fait de la baisse du niveau des prix, le revenu net d’entreprise réalisé par l’agriculture, qui se situait à près de 3 milliards de francs en moyenne des années 2002 à 2004, baissera probablement à 2,4 milliards en 2011, soit de 2,5 % par an [170]. Si les structures continuent d’évoluer au même rythme, le revenu des exploitations restera stable en termes nominaux » (Conseil fédéral 2006, p.6). La décision de la Confédération de ne pas intervenir financièrement au cours du processus d’abolition des contingents laitiers est un autre aspect déterminant de la réforme de la politique laitière helvétique. De fait, des sommes importantes avaient été investies par les producteurs pour l’achat et la location de ces contingents. Selon les estimations avancées par le DFE (2005, p.10), ces coûts ont atteint, entre 1999 et 2005, environ 725 millions de francs. Il est intéressant de souligner que l’absence de dédommagement est justifiée par la nature juridique de ces contingents, comme l’indique l’Office fédéral d’agriculture (OFAG 2005, p.7) : « Un contingent est un droit de production que la Confédération a accordé gratuitement aux producteurs de lait. Depuis le 1er mai 1999, ceux-ci sont autorisés à « vendre » ou à « louer » ce droit à d’autres producteurs s’ils renoncent à l’utiliser eux-mêmes. Or, comme les contingents ne sont pas des droits acquis, les conventions de transfert ne sont pas non plus des contrats de location ou de vente au sens du code des obligations […]. La Confédération peut donc en tout temps retirer les contingents sans indemnisation » (Soulignage ajouté). Le Conseil fédéral constatait déjà, en 2002, que « le commerce de contingents induit un transfert d’argent des producteurs de lait actifs vers les vendeurs et bailleurs, qui sont parfois externes à l’agriculture », ajoutant que ces rentes étaient « gênantes » (Conseil fédéral 2002, p.4469). On comprend alors que l’abolition des quotas vise à éliminer ces rentes et non les compenser. Les producteurs laitiers ont d’ailleurs été nombreux à 170 Le rythme de restructuration au niveau du secteur laitier a été de 3,3 % annuellement entre 1985 et 2006 (OFAG 2008a). 145 abandonner leurs contingents et à se prévaloir du « régime transitoire », sans compensation. À ce jour, plus de 75 % des volumes de lait produits et environ 70 % des entreprises laitières sont exemptés du système de contingentement (cf. OFAG 2008a). En somme, l’agriculture suisse vit depuis 1993 un vaste processus de transformation. Celuici est axé sur le développement durable, mais aussi et surtout sur la recherche d’une plus grande compétitivité des entreprises face à une économie en voie de libéralisation. S’y ajoute aussi l’objectif d’assurer des revenus suffisants – et éco-conditionnels – aux producteurs. L’abolition du contingentement et la réduction du soutien du marché dans le secteur laitier s’inscrivent dans cet agenda. Il en va de même des mesures de transition adoptées. Celles-ci ont été développées afin d’assurer la restructuration du secteur, tout en assurant un niveau de revenus suffisant pour les producteurs demeurant en production. 4.4.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme Le document préparatoire à la PA-2011 réalisé par le Département fédéral de l’économie en 2005 a exposé succinctement les conséquences attendues de la réforme pour les différentes intervenants affectés (DFE 2005, p.33-4). Tel qu’indiqué précédemment, il était anticipé que les pertes de revenus des producteurs soient en grande partie compensées par les mesures de transition et la restructuration du secteur. En fait, bien que ce groupe soit le premier concerné par la réforme, il apparaît difficile d’indiquer s’il sera, au niveau agrégé, réellement pénalisé par celle-ci. Les utilisateurs de lait (les transformateurs) doivent quant à eux bénéficier d’une baisse du prix du lait, mais devront par ailleurs faire face à une concurrence accrue, compte tenu de l’abolition des aides à la vente de produits laitiers et de l’ouverture des marchés. Cette concurrence est cependant considérée comme une opportunité de croissance pour l’industrie. La situation des consommateurs est également mitigée, car si une baisse des prix de certains produits laitiers (lait, yogourt, crème, etc.) est attendue, les prix du fromage et du beurre peuvent pour leur part ne pas diminuer significativement dû à la suppression des aides à la vente. Quoi qu’il en soit, au niveau agrégé, ces derniers devraient bénéficier de la réforme. 146 Enfin, en ce qui a trait au gouvernement (i.e. le contribuable), des économies sont prévues grâce à l’allégement de l’administration de la politique. Par ailleurs, compte tenu que la réduction du budget réservé au soutien des prix sert à financer le régime de soutien des revenus par le biais des CGACFG, le contribuable ne voit pas, à cet égard, sa situation changer. L’importance modérée des gains et des coûts et leur distribution relativement équilibrée entre les différents intervenants de la filière laitière peuvent s’expliquer par le gradualisme de la réforme et par le rôle que la réinstrumentation y joue. Notons d’ailleurs qu’aucune « compensation » n’a été proposée dans le cadre de cette réforme. Compte tenu des opportunités du marché attendues et du soutien des revenus offert, aucune « compensation » n’a donc semblé nécessaire afin de dédommager les perdants potentiels. En fait, la réforme de la « PA » privilégie explicitement un modèle d’agriculture où les producteurs agricoles seraient des entrepreneurs développant leurs entreprises en tenant compte des forces du marché (cf. DFE 2005, p.5; Conseil fédéral 2006). Le concept d’efficacité économique joue ainsi un grand rôle dans l’ensemble de ce processus. Toutefois, les principes de l’économie du bien-être et la logique du « test de compensation » n’apparaissent pas, pour leur part, influencer le déroulement de la réforme de la politique laitière suisse, non plus que celui de la réorientation de la « PA » dans son ensemble. 147 Tableau 7 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées en Suisse, le secteur laitier Aspects descriptifs Modalités d’intervention Nom du programme Contributions pour la garde d’animaux consommant des fourrages grossiers Régime transitoire d’exemption du contingentement Intervenants concernés Les producteurs laitiers - Producteurs laitiers ; - Utilisateurs de lait. Composantes économiques visées Critères d’éligibilité Conditions de versement Soutien des revenus Exploitants agricoles suisses ayant une formation professionnelle 1. - Aucune liée à des enjeux économiques ; - Respect de Prestations Écologiques Requises (PER). - Versement annuel ; - Aucune date de cessation. Organisation des marchés Être membre d’une organisation corporative de producteurs et d’utilisateurs de lait. Abandonner son contingent. 1er mai 2006 au 30 avril 2009 2. Structure du programme Nom du programme Montant total de la mesure Contributions pour la garde d’animaux consommant des fourrages grossiers 43 millions de francs annuellement Régime transitoire d’exemption du contingentement Ne s’applique pas. Période et rythme de versement Calcul du soutien 230 francs par UGB 3. Ne s’applique pas. Base de référence Plafond et nature du paiement Financement Type de mesure de transition Selon les ressources financières disponibles. - Paiements directs découplés ; - Limites selon des normes socioenvironnementales 4. Contribuables Réinstrumentation (rachat du soutien) Ne s’applique pas. Ne s’applique pas. Ne s’applique pas Ajustement (légal) 1 La loi prévoit de nombreux autres critères d’éligibilité (cf. Confédération suisse 1998a, Titre 3). L’obligation qu’ont les producteurs de ne vendre leur lait qu’à un utilisateur éligible par le biais d’un contrat annuel d’approvisionnement demeurera en vigueur jusqu’en 2015 (Confédération suisse 1998a, art.36b). 3 Valeur pour 2009. Contribution de base 690 FS/UGB, moins la déduction pour le « lait commercialisé » de 450 FS/UGB, pour un total de 230 francs/UGB. 4 L’Ordonnance sur les paiements directs versés dans l’agriculture (Confédération suisse 1998d, Chapitre 4) expose les différents critères limitant la somme des paiements directs pouvant être octroyés, parmi lesquels l’âge du bénéficiaire, les superficies possédées et le nombre d’heures de travail. 2 Sources principales : Conseil fédéral (2006), Confédération suisse (1998b; 1998c; 1998d; 2004), OFAG (2005; 2007). 148 4.5 Le secteur des arachides aux États-Unis Le programme « arachide » américain a été mis en place dans la foulée du New Deal au cours des années 30 et a peu changé par la suite. Jusqu’en 2001, les producteurs n’ont bénéficié d’aucun paiement direct permanent et ont plutôt évolué sous un régime obligatoire combinant un système de contingentement, une protection tarifaire et un soutien des prix. La production répondait essentiellement à la demande domestique. Des volumes produits, 46 % était utilisé dans l’alimentation domestique (collations, beurre d’arachide, etc.) et 43 % était transformé (huile de cuisson, alimentation animale), la balance étant exportée (Jurenas 2002, p.2). 4.5.1 La contextualisation du projet de réforme 4.5.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien Au moment de la réforme du secteur, il existait un « quota arachides » limitant la production vouée à l’alimentation domestique. Ces quotas, établis annuellement à l’échelle nationale, étaient distribués parmi les États éligibles171 et puis aux détenteurs individuels, sur la base d’un historique de production. En 2001/02, le volume contingenté s’élevait à 1,18 million de tonnes d’arachides. Des producteurs, détenant ou non des quotas, pouvaient également produire, sans restriction, des « quantités additionnelles » d’arachides horscontingent. Les volumes produits devaient toutefois être commercialisés sur les marchés d’exportation ou sur ceux de la transformation. Ce volume additionnel, s’élevant à 0,56 million de tonnes en moyenne entre 1998 et 2001, représentait environ 30 % de la production américaine d’arachides (cf. Dohlman et coll. 2007). À ce système de contingentement s’ajoutait un mécanisme de soutien des prix à « deux niveaux », selon l’utilisation faite des arachides. Cette intervention était coordonnée par la 171 La production est très régionalisée et se concentre dans le sud-est des États-Unis. Cette situation est surtout due aux conditions agronomiques requises, mais aussi à l’environnement réglementaire très rigide limitant le transfert des quotas entre régions. 149 Commodity Credit Corporation (CCC)172, qui proposait un non-recourse loan aux producteurs, autrement dit un prêt dont le remboursement n’était pas obligatoire si la récolte était donnée à la CCC. Ce programme assurait ainsi un prix minimal auquel les arachides pouvaient être commercialisées. Dans le cas de la production contingentée, ce prix minimal s’élevait à 610 $US/tonne d’arachides, tandis que les « quantités additionnelles » étaient achetées à un prix minimal de 132 $US/tonne en 2001. Mentionnons qu’exceptionnellement, lors des campagnes de 1999 à 2001, les producteurs d’arachides ont bénéficié du Income Support to Peanut Growers, paiement direct d’urgence voté sous l’administration Clinton. Conséquemment, le soutien octroyé à la veille de la réforme s’élevait, dans les faits, respectivement à 635,72 $US/tonne et à 145,49 $US/tonne (Jurenas 2002, p.4). Quoiqu’il en soit, à partir de 1996, l’intervention dans le secteur des arachides devait être menée « sans coût net » pour la CCC. Une retenue pouvait donc être perçue sur les prix d’intervention dans l’éventualité d’un déficit173 (Jurenas 2002, p.4 à 7). Enfin, afin de protéger ces prix intérieurs, des tarifs douaniers s’appliquaient à la fois à la production d’arachides, mais aussi aux produits connexes, comme le beurre d’arachide. Dans le cas du principal produit importé, soit les arachides écossées, les tarifs utilisés s’élevaient en 2001 à 131,8 % (Skully 1999). Différents accords commerciaux tendaient toutefois à faciliter l’accès au marché américain. Ainsi, alors que les importations d’arachides ne correspondaient qu’à 1 % de la demande domestique avant 1995, elles atteignirent plus de 6 % de la consommation intérieure en 2001 (Dohlman et coll. 2007, p.178). Notons qu’au moment de la réforme, les coûts de production moyens des arachides étaient estimés à 266 $US/tonne (Dohlman et coll. 2007, p.177), tandis que le prix mondial a oscillé, de 1996 à 2000, entre 231 et 462 $US/tonne (Dyckman 2001, p.2). Le prix domestique moyen s’établissait quant à lui largement au-dessus de ce seuil, soit aux 172 La CCC est l’organisme de financement du United States Department of Agriculture (USDA). Cette retenue était payée en partie par les producteurs (sous quotas et hors-quotas) et par les transformateurs. Elle devait permettre de couvrir les frais d’écoulement dans les cas où la production sous quotas excédait la demande domestique. Dans un tel cas, cette production devait être écoulée à perte sur les marchés de la transformation ou de l’exportation. 173 150 alentours de 575 $US/tonne, grâce à l’effet combiné des mécanismes de soutien des prix et du régime tarifaire (Economic Research Service 2004). Le système d’intervention développé dans le secteur des arachides aux États-Unis présentait donc, avant sa réforme, un fonctionnement comparable à celui privilégié dans le secteur laitier canadien. Dans les deux cas, l’environnement réglementaire a permis aux producteurs de bénéficier d’un marché domestique protégé de la concurrence étrangère, tout en leur garantissant un prix se situant au-dessus des références mondiales. Un mécanisme de contingentement permettait quant à lui de maîtriser l’offre à l’échelle nationale. Ce dernier aspect de la politique américaine présente cependant certaines particularités qu’il importe de relever. D’une part, le système américain, contrairement au canadien, n’était pas contraignant, car il permettait la production de quantités additionnelles d’arachides. D’autre part, les quotas, bien que distribués au niveau des entreprises agricoles, n’appartenaient pas nécessairement à l’opérateur de l’entreprise, mais plutôt à un propriétaire « historique ». En effet, 8 640 fermes productrices d’arachides ont été recensées en 2002, mais l’on comptait plus de 70 000 détenteurs de quotas à cette époque (Dohlman et coll. 2007, p.177). Dans les faits, près des deux tiers des détenteurs de quotas louaient ces derniers et ne produisaient pas eux-mêmes des arachides (Jurenas 2002, p.15). Soulignons enfin le fait que le transfert territorial des quotas était impossible, sinon très limité, ce qui a eu pour effet de régionaliser cette production, en plus d’empêcher la restructuration des entreprises au cours des années174. Malgré ces distinctions applicables au mécanisme de contrôle de l’offre, cet exemple de réforme offre un degré de correspondance intéressant avec la politique laitière canadienne, à la fois au niveau du contingentement et du système de soutien des prix. Ces considérations en font un cas d’étude très intéressant dans le cadre de ce mémoire. Le déroulement de cette réforme est ici exposé. 174 Ces restrictions s’appliquaient à l’échelle des comtés. Jusqu’en 1996, aucun transfert n’était autorisé. Par la suite, 40 % des quotas d’un comté pouvait être transféré à un autre situé dans la même région. 151 4.5.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées Le secteur américain des arachides a été profondément réformé lors de l’adoption, en mai 2002, de la loi agricole quinquennale américaine, soit le Farm Security and Rural Development Act, connue sous le terme de Farm Bill de 2002 (FB 2002). Deux changements majeurs ont alors été apportés, soit la révocation du système de contingentement des « quotas arachides » et la refonte du système de soutien des prix. Dès le mois d’août 2002, tous les producteurs d’arachides ont eu accès au marché de la consommation domestique, autrefois réservé à la production contingentée. De même, le système d’intervention à « deux niveaux » de la CCC a été abandonné. En fait, seul le régime tarifaire n’a pas été modifié à ce moment-là. Il est ainsi possible de considérer cette réforme comme ayant été directe, mais partielle. Ceci s’explique par l’absence de période de transition, mais aussi par le maintien – et l’adoption – de mécanismes d’intervention, bien que le système de contingentement ait été abandonné. Les mesures adoptées dans le cadre de ce processus de réforme sont analysées à la section 4.5.2. Il importe de souligner auparavant que le projet de réforme adopté résulte d’une initiative d’un regroupement de producteurs175 craignant que le système ne puisse être maintenu plus longtemps (House of Representatives 2001). Leurs craintes reposaient sur deux tendances observées dans le secteur (cf. Jurenas 2002, p.2 et ss.; Dohlman et coll. 2007, p.177). La première relève de l’évolution du programme depuis 1996, alors que certaines modifications apportées à son administration ont favorisé une diminution des prix et de la production domestique176. La seconde s’explique par les engagements américains en matière de libéralisation commerciale prévoyant, entre autres choses, une ouverture complète du marché américain aux arachides mexicaines et ce, dès 2008 (Skully 1999; Farm Foundation 2001, p.93). L’anticipation de cette compétition accrue a donc mené les producteurs à proposer au gouvernement un projet de réforme dans le cadre de la révision de la politique agricole américaine en 2002. 175 Selon Jurenas (2002, p.19), certains groupes s’opposaient au projet mis de l’avant, mais pas nécessairement à l’idée de devoir réformer le secteur d’une manière ou d’une autre. 176 Le niveau de « quotas arachides » a été lié à l’évolution de la demande domestique effective et non plus seulement à une référence historique. Une stagnation du niveau de quotas a suivi, reflétant une diminution de 152 4.5.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention 4.5.2.1 La catégorisation des programmes adoptés Quatre programmes ont été adoptés lors de la réforme du secteur des arachides en 2002, soit le Marketing loan benefits, le Fixed direct payments, le Counter-cyclical deficiency payments et le Quotas compensation. Ceux-ci sont décrits au Tableau 8. Pour les fins de l’analyse, il est possible de les regrouper en deux catégories d’intervention. La première catégorie regroupe le Marketing loan benefits, le Fixed direct payments et le Counter-cyclical deficiency payments. Plus précisément, le Marketing loan benefits prévoit un mécanisme d’achat des arachides par la CCC à un prix minimal 355 $US/tonne. Cette mesure, accessible à tous les producteurs d’arachides, est similaire au mécanisme de soutien des prix privilégié avant la réforme, mais ne prévoit plus qu’un seul prix de référence fixé à un niveau moindre qu’auparavant. Le Fixed direct payments prévoit pour sa part l’octroi d’un paiement direct découplé aux producteurs ayant un historique de production entre 1998 et 2001. La subvention est alors versée indépendamment des choix de production des bénéficiaires. Enfin, le Counter-cyclical deficiency payments constitue un paiement direct supplémentaire mis à la disposition des mêmes producteurs « historiques » si les prix domestiques, additionnés des paiements directs, ne suffisent pas à atteindre un « prix-cible » de référence, établi à 495 US$/tonne d’arachides pour la durée de la loi177. Notons que ces trois programmes représentent, dans les faits, les principaux mécanismes de soutien à l’agriculture américaine introduits sous le Farm Bill de 2002. Autrement dit, le secteur des arachides a été placé, en 2002, sous le même « filet de sécurité » que la plupart des autres secteurs de production végétale aux États-Unis. Par conséquent, ces différents programmes constituent des mesures de réinstrumentation. Plus précisément, il est même possible de parler de « rachat du soutien » dans le cas du Fixed direct payments et du Counter-cyclical deficiency payments, car ces mesures de réinstrumentation viennent la demande domestique. Ensuite, le prix de soutien pour les « quantités additionnelles » a été réduit de 10 %, afin que la CCC administre le programme « sans coût net » (Economic Research Service 2002, p.9). 177 Notons que le « prix-cible » n’est pas un prix garanti. En effet, les calculs des paiements prévus par le Fixed direct payments et le Counter-cyclical deficiency payments tiennent compte de différents paramètres (rendements historiques, superficies historiques), mais ne sont versés que pour 85 % des superficies éligibles. 153 remplacer un mécanisme de soutien des marchés par des paiements directs continuels (cf. section 2.4.4). Les producteurs « historiques » apparaissent comme ayant été les principaux bénéficiaires de cette réinstrumentation, bien que le Marketing loan benefits ait été mis à la disposition de tous les producteurs. En fait, cet ensemble de mesures garantissait à ce groupe de producteurs une aide directe cumulée ne pouvant être inférieure à 474 US$/tonne178. Plus précisément, par le biais de ces mesures et en tenant compte des prix de marché attendus, les producteurs actifs lors des campagnes de 1998-2001 devaient bénéficier, en moyenne, de revenus équivalents à environ 95 % de ceux obtenus sous l’ancien programme (Dohlman et coll. 2004, p.11). Jurenas (2002, p.i) confirme d’ailleurs ce constat et affirme que ces mesures ont visé à assurer « that “historic” producers receive a return roughly comparable to what they accessed in the past, after taking into account they will no longer have to rent or buy quota ». Le Quota compensation s’inscrit pour sa part dans la seconde catégorie d’intervention. Ce programme a pris la forme d’un paiement direct octroyé annuellement aux détenteurs de « quotas arachides ». Cette aide, versée pendant un maximum de cinq années consécutives179, était octroyée par unité de quota détenue en 2001, que cette unité soit en location ou utilisée par le détenteur. Le seul critère d’éligibilité exigé était que le détenteur soit propriétaire d’une entreprise agricole180 (cf. US Congress 2002, sect.1390). Ainsi, de par sa nature ponctuelle et l’absence de conditionnalité liée à son versement, le programme Quotas compensation constitue une indemnisation. Le soutien direct prévu au titre du Quota compensation s’élevait à 220 US$/tonne de quota d’arachides annuellement, pendant cinq ans, pour un total de 1100 US$/tonne. Notons que le niveau de ce paiement ne se rattache à aucune référence économique particulière dans le texte de loi de 2002. Il y est seulement affirmé que cette mesure a pour « purpose of 178 Valeur obtenue en additionnant le prix minimal (355 $US/tonne), le paiement direct effectif (36$US/tonne X 85% = 30,6 $US/tonne) et le paiement maximal au titre du Counter-cyclical deficiency payments (495$US/tonne – 355$US/tonne - 36$US/tonne = 104$US/tonne X 85% = 88,4 $US/tonne). 179 La loi permettait que le paiement direct soit versé en une seule occasion. Il s’élevait alors à 1100 US$/tonne de quota détenu. 180 Les quotas étant liés aux superficies cultivées, tous les détenteurs devaient nécessairement être associés à une entreprise agricole et ainsi être indemnisés (communication personnelle, Kerby 2008). 154 providing compensation for the lost value of the quota on account of the repeal of the marketing quota program for peanuts […] » (US Congress 2002, sec.1309(b), al.1)181. Autre point à souligner, cette indemnisation concerne d’abord et avant tout les détenteurs de quotas, qui ne sont pas nécessairement producteurs d’arachides. Il a ainsi été estimé que les deux-tiers des versements allaient être faits à des individus ne produisant pas directement des arachides (Jurenas 2002, p.15). Mentionnons qu’un budget total de 2,6 milliards de dollars américains a été prévu pour la durée de la loi, allant de 2002 à 2006 (CBO 2002). De cette somme, 50 % a été dédié au Quota compensation. Le soutien à caractère permanent devait donc s’élever à 1,3 milliard de dollars américains en cinq ans, soit 256,4 millions de dollars annuellement. Notons que ces nouveaux programmes sont entièrement financés par la CCC. Conséquemment, la réforme du secteur aura fait passer le financement de cette intervention – auparavant « sans coût net » pour la CCC – des consommateurs vers les contribuables. 4.5.2.2 Constats et inférences Le principal constat qui émerge de cette analyse est à l’effet que les producteurs américains d’arachides sortent pour la plupart gagnants de ce processus de réforme. Ce constat va d’ailleurs au-delà du fait que les revenus des producteurs « historiques » devaient être couverts à un niveau équivalent à environ 95 % des revenus passés. En fait, comme l’indique l’Economic Research Service (2002, p.79), il est possible de diviser les producteurs en trois groupes, selon les effets escomptés de la réforme. La réforme apparaît alors avantageuse pour la majorité d’entre eux. Le premier groupe est celui des producteurs d’arachides sous quotas. Ces derniers devaient subir la plus forte baisse des prix domestiques. Toutefois, ils bénéficiaient de la réinstrumentation, ainsi que d’une diminution des coûts de production due à l’annulation des frais de location de quotas – les producteurs-détenteurs de quotas étant quant à eux indemnisés pour ce manque à gagner. Le second groupe représente les producteurs ayant 181 Jurenas (2002) expose l’évolution des débats ayant mené à l’adoption de ces mesures. On constate entre autres que le montant proposé de l’indemnité a varié entre 200 et 240 $US/tonne. Une telle variation implique des conséquences budgétaires considérables. 155 produit des « quantités additionnelles ». Ces derniers devaient pour la plupart sortir gagnant du processus de réforme, puisqu’ils allaient bénéficier d’un prix minimal supérieur à celui de l’ancien régime (355 $US/tonne plutôt que 132 $US/tonne), à quoi devaient s’ajouter les paiements directs venant majorer à la hausse leurs revenus. Arrive enfin le troisième groupe, soit les nouveaux producteurs qui pourraient décider d’entrer dans le secteur en fonction des opportunités de marché, tout en profitant du Marketing loan benefits. Le recours, lors de la réforme, à une indemnisation d’un montant total de 1,3 milliard de dollars américains pour compenser la perte de valeur des « quotas arachides » constitue également un constat déterminant. Rappelons que la majorité des détenteurs ainsi favorisés sont, dans les faits, des propriétaires d’actifs louant ces derniers à des opérateurs d’entreprises agricoles. Cette indemnisation couvre donc – à un degré non affiché – la perte de revenus de location. De fait, Jurenas (2002, p.16) affirme que ces paiements « are intended to compensate owners for the loss of an income producing asset that they either inherited or purchased ». Womach (2003) note quant à lui que cette indemnisation devait servir à couvrir la dévaluation de la valeur des terres, compte tenu du lien existant entre ces deux actifs. Une analyse du degré de couverture offert est proposée à la section 4.5.3. Les aspects financiers des mesures de transition adoptées sont également caractéristiques du désir de maximiser le soutien accordé aux individus affectés par la réforme. Ainsi, le paiement au titre du Quota compensation a été considéré comme un gain de capital afin de minimiser l’effet de l’impôt (Hardin 2003). Aucun plafond n’a par ailleurs été placé sur le montant total d’indemnisation pouvant être perçu. De même, le montant maximal de subventions directes pour une entreprise, fixé normalement à 180 000$182, a été doublé pour les producteurs d’arachides. Cette décision a été prise dans le but avoué de faire profiter les producteurs du plus haut niveau de soutien direct possible (Jurenas 2002, p.15). Une dernière observation s’impose enfin, à savoir l’absence d’objectif explicite en matière d’ajustement pour le secteur. De fait, aucun programme adopté n’a impliqué directement des enjeux liés à la restructuration ou à la compétitivité des entreprises. Seules quelques attentes ont été formulées en termes d’impact économique, dont celle de voir la production 156 nationale augmenter et les prix domestiques décroître, rendant du même coup le marché américain moins attrayant pour les importations étrangères (cf. Dyckman 2001). Certaines conséquences structurelles ont également été avancées par le Economic Research Service (2002), à partir des mêmes catégories décrites précédemment. L’organisme s’attendait donc à voir une part importante des producteurs d’arachides sous quotas – plus précisément ceux dont les coûts de production s’approchaient du prix de soutien de 610 $US/tonne – abandonner la production. Les producteurs de « quantités additionnelles » devaient quant à eux accroître leur production, accompagnés en cela par les nouveaux producteurs attirés par les opportunités de marché. Aucune estimation chiffrée de ces changements n’a cependant été proposée et aucun programme n’a été mis à la disposition de ces individus afin de faciliter spécifiquement ces ajustements. Cependant, dans la mesure où la majorité des programmes de réinstrumentation sont de nature découplée183 et qu’une indemnisation importante a été octroyée, il serait possible d’affirmer que le nouveau régime offre aux différents acteurs les ressources nécessaires à leur ajustement. En somme, techniquement, cette réforme a pris la forme d’un démantèlement d’un système de gestion de l’offre, suivi par l’assujettissement du secteur réformé aux mécanismes de base de la politique agricole en place. Dans le cadre de ce processus, les modalités d’intervention adoptées ont cherché à minimiser l’impact de ce changement au niveau des revenus des producteurs. Ceci a été rendu possible grâce à la structure des programmes d’intervention américains qui privilégient, pour la plupart, le soutien – non pas seulement la stabilité – des revenus. En ce qui concerne les quotas, on constate que les détenteurs ont été indemnisés en tant que propriétaires pénalisés par la perte de revenus de location, et non en tant que producteurs affectés par la dévaluation d’un actif lié à un investissement important en capital. 182 Ce plafond cumule les limites applicables à chaque programme. En pratique, il existait différents moyens d’augmenter ce plafond, car certaines limites étaient plus ou moins contraignantes (Jurenas 2002, p.17). 183 Seul le Fixed direct payments est véritablement découplé, alors que le paiement du Counter-cyclical deficiency dépend des prix de marchés. Quoi qu’il en soit, ces programmes n’exigent pas la poursuite de la production d’arachides, permettant ainsi aux producteurs de diversifier leurs productions (Dohlman et coll. 2004). 157 4.5.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme L’analyse précédente a permis de constater que les producteurs d’arachides et les détenteurs de quotas ont formé les deux seuls groupes dont les pertes ont fait l’objet d’un dédommagement. À première vue, ces individus constituent effectivement les principaux acteurs impliqués dans ce secteur de production. Il est cependant intéressant de noter une observation de Orden et Diaz-Bonilla (2004, p.301), à l’effet que les accords commerciaux signés au cours des années 90 visaient à accorder à des producteurs étrangers un accès privilégié aux marchés – et aux prix – domestiques américains. Ces groupes de producteurs, nécessairement pénalisés par la réduction des prix intérieurs devant découler de la réforme, ne font toutefois l’objet d’aucune mesure compensatoire. Une telle observation démontre non seulement que l’intervention post-réforme des États-Unis ne cible pas tous les individus affectés, mais aussi que le concept de « perdants » dans le cadre du « test de compensation » peut être passablement élargi. En ce qui a trait à la question de la « compensation », il faut noter qu’elle ne s’applique pas à tous les programmes mis en œuvre. En effet, les trois mesures de réinstrumentation viennent limiter – et non compenser – les pertes qui auraient autrement été infligées aux producteurs. Il faut par ailleurs reconnaître que ce support est conçu d’une façon telle que les pertes nettes de revenus devaient être minimisées. Dans la mesure où les anticipations devaient se révéler effectives, les producteurs n’avaient donc pas à être compensés lors de la réforme. En fait, seule l’indemnisation prévue au titre du Quota compensation constitue une « compensation » au sens de l’économie du bien-être. Rappelons que ce soutien est réservé aux détenteurs de quotas pour la dépréciation complète de la valeur de cet actif. Aucune référence explicite n’a cependant été proposée pour justifier le niveau d’aide offert, soit 1100 $US/tonne au total, versés sur cinq ans. Il est intéressant de noter que face à cette absence d’indication, des auteurs ont avancé certaines estimations. Ainsi, Womach (2003) a estimé que l’indemnité versée correspondait à un paiement à perpétuité couvrant environ 74 % des frais de location moyens chargés entre 1995 et 2001. Un résultat similaire a été proposé par Orden et Diaz-Bonilla (2004), qui affirment que cette aide équivaut également 158 à la valeur moyenne de 24 années de revenus de location184. Ces différentes valeurs impliquent conséquemment que la « compensation » accordée aux détenteurs de quotas n’a pas suffi à combler l’ensemble des pertes subies. Toutefois, il faut reconnaître que ce type de calculs produit des résultats d’une portée limitée, car les données sur lesquelles ils reposent reflètent l’idée que le programme allait être maintenu en place sur un horizon infini, ce qui ne traduit pas correctement le contexte politique de l’époque. La valeur de revente des quotas au moment de la réforme, qui variait entre 140 $US/tonne et 200 $US/tonne, apparaît ainsi pour Chvosta et coll. (2002, p.19) comme une donnée reflétant mieux la perte des détenteurs. Dans un tel cas, ces derniers apparaissent avoir été correctement compensés. Ces différentes interprétations économiques conférées à l’aide octroyée démontrent toutefois qu’en l’absence de référence explicite affichée par les autorités, il devient hasardeux de déterminer le degré de « compensation » véritablement offert aux « perdants » de la réforme. En matière de financement, force est de constater que l’intervention post-réforme privilégiée ne respecte pas la pratique prescrite par le « test de compensation ». En effet, l’ensemble des fonds devait provenir du budget fédéral à l’agriculture, transférant ainsi le fardeau du soutien vers les contribuables, alors que les consommateurs (transformateurs et grand public) étaient explicitement ciblés comme étant les principaux bénéficiaires de la réforme (cf. Dyckman 2001, p.5). En somme, il apparaît peu probable que la logique du « test de compensation » ait pu, d’une manière ou d’une autre, influer sur la façon dont ont été développés les mécanismes d’intervention découlant de la réforme du secteur des arachides aux États-Unis. Des considérations d’ordre politique apparaissent ici davantage significatives. Rappelons que le projet de réforme et l’ensemble de mesures adoptées subséquemment ont été proposés par les producteurs agricoles eux-mêmes (cf. Riedl 2002). Cette démarche « préventive » a eu lieu alors que les projets de loi – moins généreux financièrement – visant à démanteler ce secteur se multipliaient depuis plusieurs années (cf. Jurenas 2002, p.7 et ss.). De façon 184 Ces résultats s’appuient sur les données de coûts de production de l’ERS et ont été estimés à partir d’un taux d’actualisation de 5 %. 159 plus générale, il faut aussi reconnaître que le processus décisionnel caractérisant l’adoption d’une politique agricole aux États-Unis, de par le nombre d’acteurs qu’il implique, donne généralement davantage préséance au compromis qu’à l’application rigoureuse de pratiques s’inspirant exclusivement de principes économiques. 160 Tableau 8 : Caractéristiques et modalités des mesures adoptées aux États-Unis, le secteur des arachides Aspects descriptifs Modalités d’intervention Nom du programme Intervenants concernés Marketing loan benefits Fixed direct payments Soutien des prix Les producteurs d’arachides Counter-cyclical deficiency payments Quotas compensation Composantes économiques visées Détenteurs de quotas 2 Critères d’éligibilité Conditions de versement Période et rythme de versement - Être producteurs d’arachides ; - Couvre toute la production. Soutien des revenus - Avoir un historique de production entre 1998-2001 ; - Ne nécessite pas de poursuivre cette production. Perte de valeur d’un actif - Avoir possédé des quotas en 2001 ; - Avoir ou être lié à une entreprise éligible au système de contingentement 3. Aucune liée à des enjeux économiques 1. - Versement annuel ; - Aucune date de cessation. Aucune. - Annuel ; - 5 versements 4. 161 Structure du programme Nom du programme Montant total de la mesure 5 Calcul du soutien Marketing loan benefits 495 millions $US Soutien de référence de 355 $US/tonne. 628 millions $US - Formule tenant compte des rendements et des superficies historiques ; - Soutien de référence de 36 $US/tonne. Fixed direct payments Counter-cyclical deficiency payments Quotas compensation 1 1 435 millions $US 1 300 millions $US Base de référence Financement Type de mesure de transition Réinstrumentation Nd. - Formule tenant compte des rendements et des superficies historiques ; - Prix cible de 495 $US/tonne ; - Paiement maximal de 88,4 $US/tonne. - 220 $US/tonne de quota ; - Les quotas visés sont ceux détenus en 2001. Plafond et nature du paiement - Aucune référence officielle ; - Mesures approximatives 7 : - 24 ans de revenus de location ; - 70 % des revenus de location à perpétuité. - Paiements directs couplés et découplés ; - Limite globale de 180 000 $US 6 ; - Plafond spécifique au régime arachide. - Aucun plafond ; - Paiement direct découplé. Réinstrumentation (rachat du soutien) Contribuables (CCC) Indemnisation Certaines normes environnementales sont applicables. Dans le cas du Fixed direct payments et du Counter-cyclical deficiency payments, les producteurs doivent signer un contrat annuel avec l’USDA, respecter des normes environnementales et conserver leurs terres en bonne condition agronomique. 2 Le paiement est attaché à l’individu et non à l’entreprise (cf. US Congress 2002, sect.1309(g), al.1). Seuls 33 % des bénéficiaires produisent eux-mêmes des arachides (Jurenas 2002). 3 Cette relation vaut si le quota est loué à une entreprise produisant les arachides (cf. US Congress 2002, sect.1309(f), al.1). 4 Possibilité de le transformer en un seul paiement direct d’une valeur de 1100 $US/tonne (cf. US Congress 2002, sect.1309(c), al.2). 5 Données pour l’ensemble de la période 2002-2006. Constituent les estimés du Congressional Budget Office en date d’avril 2001 et mis à jour le 1er mai 2002 (CBO 2002). 162 6 Applicable à un individu. Le plafond est de 40 000 $US pour les Fixed direct payments, de 65 000 $US pour le Counter-cyclical deficiency payments et de 75 000 $US pour le Marketing loan benefits (cf. US Congress 2002, sect.1603). Notons que le plafond de ce dernier cas n’est pas contraignant (Jurenas 2002, p.17). Ces plafonds correspondent au double de ceux applicables aux autres secteurs de production. 7 Selon les calculs de différents auteurs (cf. Womach 2003; Orden et Dìaz-Bonilla 2004). Sources principales : Economic Research Service (2002), Jurenas (2002), US Congress (2002) et Dohlman et coll. (2007). 163 4.6. Le secteur sucrier européen La politique sucrière européenne a été mise en place en 1968, à la suite de la création de l’Organisation commune de marché Sucre (OCM-Sucre)185. L’objectif de cette politique a été de garantir un revenu équitable aux producteurs européens et l’auto-approvisionnement du marché communautaire. Cette OCM a été exclue des réformes précédentes de la Politique agricole commune (PAC). Jusqu’en 2006, seuls quelques ajustements ont été apportés, laissant le système évoluer sous sa structure originale (cf. Commission européenne 2004). 4.6.1 La contextualisation du projet de réforme 4.6.1.1 Fonctionnement initial et correspondance au secteur laitier canadien L’industrie sucrière européenne se divise en deux secteurs186, soit celui de la production de betterave sucrière et celui de leur transformation par les sucreries187. Ces secteurs évoluent – encore aujourd’hui – sous un régime d’intervention faisant appel à un système de soutien des prix, à une limitation de la production et à un contrôle des importations. Sans abandonner cette structure, des ajustements majeurs ont cependant été apportés aux modalités de soutien en 2006. Le fonctionnement pré-réforme de l’OCM-Sucre est ici exposé. Le régime d’intervention repose d’abord sur une maîtrise de l'offre, par le biais d’un système de quotas appliqué au niveau des sucreries. La quantité de quotas disponibles est définie à l’échelle communautaire sur une base annuelle, selon l’estimation de la demande domestique. La production contingentée s’élevait ainsi à 17,4 millions de tonnes en 2005 185 Une Organisation commune de marché est un règlement, valable pour tous les pays de l’Union, qui regroupe un ensemble d’instruments ayant pour objectif de réguler le fonctionnement des marchés agricoles (DREPA 2006b, p.6). 186 Notre analyse est centrée sur le secteur du sucre. L’industrie du raffinage du sucre de canne et les secteurs de productions connexes, comme celui de la production d’isoglucoses et de sirops d’inuline, ne sont pas étudiés. 187 Le secteur de la transformation distingue le sucre brun du sucre blanc, davantage raffiné. Cette distinction n’est cependant pas considérée dans cette étude. 164 (D.G.R.D. 2006, tableau 4.6.3.1). Les quotas sont alloués aux États-membres en fonction des parts de marché historiques de chacun, pour ensuite être distribués aux sucreries. Chaque usine convertit alors ses quotas en « droits de livraison » auprès des producteurs de betteraves. Il existe deux types de quotas pour le sucre, soit les quotas A (82 % de la production contingentée), qui s'appliquent aux volumes commercialisés sur le marché intérieur et les quotas B (18 % de la production contingentée), qui portent sur les volumes pouvant être exportés à l’aide de subventions aux exportations. Des volumes supplémentaires, dits « Sucre C », peuvent également être produits. Ces quantités doivent cependant être obligatoirement exportées et ce, sans recours à des subventions188 (cf. Commission européenne 2004). Lors de la campagne 2004/05, le volume de « Sucre C » a correspondu à 15 % de la production nationale (D.G.R.D. 2006, tableau 4.3.6.1). La seconde composante de la politique sucrière européenne est un régime de soutien des prix applicable à la production contingentée. Ce système repose sur deux prix institutionnels. Le premier est un « prix d'intervention » qui joue lorsque les organismes publics nationaux achètent du sucre sur les marchés afin de soutenir les prix domestiques. Notons que ces interventions ont généralement été rares, les prix intérieurs étant plutôt maintenus par le contingentement et le régime tarifaire. Le second, dit « prix minimum », est le prix minimal auquel les sucreries achètent la betterave aux producteurs. Il reflète une répartition de la valeur du prix d’intervention entre les sucreries (42%) et les producteurs (58%)189. Le prix payé aux producteurs pour le « Sucre-C » est quant à lui négocié librement entre les parties (Commission européenne 2004, p.5-11). Le régime tarifaire constitue la troisième composante du régime d’intervention. Il est caractérisé par une protection élevée aux frontières, assortie d'accords préférentiels 188 Le « sucre C » vise à laisser aux entreprises de transformation compétitives des opportunités de marché en ne restreignant pas leur niveau de production (Commission européenne 2004). 189 Le prix d’intervention s’élevait en 2004 à 631 €/tonne. La part des producteurs (58 %) était de 366 €/tonne. Sur la base de 7,7 tonnes de betteraves nécessaires pour produire une tonne de sucre, ceci correspondait à un « prix minimal » de 47,67 €/tonne de betteraves (Commission européenne 2004, p.6). 165 garantissant à certains pays en développement un accès au marché de l'Union190. La combinaison des mesures tarifaires confère au secteur une protection douanière s’élevant à 700 €/tonne de sucre, tandis que le prix mondial varie autour de 210 €/tonne de sucre (Commission européenne 2004, p.16; D.G.R.D. 2006, tableau 4.3.5.1). Soulignons enfin que le fonctionnement de l'OCM-sucre est, pour l'essentiel, financé par l’industrie elle-même, grâce à des cotisations perçues au niveau des sucreries, mais partagées avec les producteurs (Commission européenne 2004, p.6-15; cf. Sénat français 2005). Ces prélèvements servent à financer les subventions aux exportations nécessaires à l’écoulement du « Sucre-C » et de celui produit sous quotas B. En fait, l’essentiel des dépenses communautaires pour l’OCM-Sucre résulte des subventions utilisées pour exporter le sucre produit à partir des importations de canne à sucre en provenance des pays en développement. Ainsi, sur un budget annuel moyen de 1,4 milliard d’euros au cours de la période 2002-2005, plus de 80 % des sommes a été utilisé aux fins de ces exportations (nos calculs selon D.G.R.D. 2006, tableau 3.4.3.1). À la lumière de cette description, il faut reconnaître que le régime d’intervention dans le secteur sucrier européen diffère en partie de celui en place dans le secteur laitier canadien et ce, malgré le fait que les mêmes principes d’intervention soient utilisés. Le système de contingentement est la composante qui présente le plus de différences. De fait, ce système ne régule pas la production de betteraves, mais plutôt la production des sucreries. Plus important encore, les quotas A et B ne constituent pas des actifs d’entreprises, mais plutôt des « droits » de produire dont les décisions d’octroi et d’échange appartiennent à chaque État-membre191. Ils ne sont donc liés à aucun investissement ni ne font l’objet de transactions par le biais d’un marché. Ajoutons enfin que ce système n’est pas aussi restrictif que le modèle canadien, alors que les sucreries peuvent engager des contrats 190 Ces pays sont l’Inde et ceux regroupés sous le « Protocole ACP », soit 27 pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Ces derniers peuvent exporter jusqu’à 1,6 million de tonnes de sucre de canne, devant être achetées aux prix européens. Ce sucre bénéficie également de subventions aux exportations. 191 Le quota sucre de chaque entreprise est une donnée confidentielle qui ne doit pas être portée au bilan des entreprises (communication personnelle, Guichard 2008). 166 auprès des producteurs afin de produire davantage au titre du « Sucre C », faisant ainsi de l’Union européenne un important exportateur de sucre192. Malgré ces distinctions, il existe certaines similitudes entre la régulation du secteur sucrier et celle du secteur laitier canadien. C’est le cas du régime de protection tarifaire ou encore de l’administration autofinancée de l’intervention de l’OCM-Sucre. La principale similitude concerne toutefois le régime de soutien des prix. En effet, la pratique de l’OCMSucre reflète le mode d’intervention privilégié par la politique laitière canadienne. Grâce à une combinaison de prix d’intervention et de contrôle des importations, les producteurs de betteraves ont ainsi bénéficié de prix garantis pour leur production, ce qui a fait évoluer le secteur sucrier européen – à l’instar du secteur laitier canadien – dans un environnement où les prix domestiques ont été maintenus à des niveaux supérieurs à ceux observés sur les marchés mondiaux193. Conséquemment, le principal intérêt de l’étude du secteur sucrier européen se situe au niveau de la gestion du régime de soutien des prix lors du processus de réforme mis de l’avant. 4.6.1.2 Réforme de la politique et pressions exercées La réforme de l’OCM-Sucre a été amorcée le 1er juillet 2006 et a impliqué, essentiellement, une transition d’un régime de soutien des prix vers un système mixte impliquant l’inclusion de la production de sucre sous un régime de soutien direct et le maintien de prix déterminés administrativement (Conseil de l'Union européenne 2005a; Agritrade 2008, p.1). Plus précisément, cette réforme a comporté deux volets. Le premier volet assure le maintien du régime d’intervention jusqu’en 2014/15, mais implique, entre 2006/07 et 2009/10, une période de transition se traduisant par une diminution du prix d’intervention de l’ordre de 36%, entraînant une baisse de près de 60% du « prix minimal »194. Parallèlement à cette réduction, le prix d’intervention a été 192 Les volumes exportés de sucre, combinant la production sous quotas B et le « Sucre-C », ont fait que l’Union a occupé, en 2004/05, 10 % du marché mondial (D.G.R.D. 2006, tableaux 4.3.6.1, 3.7.5). 193 Le prix d’intervention pour le sucre blanc (631 €/tonne) était trois fois supérieur aux prix mondiaux (201 €/tonne en 2004/05) (D.G.R.D. 2006, tableau 4.3.5.1). 194 Le prix minimal passera de 46,72 €/tonne à 26,29 €/tonne en 2009/10 (cf. Conseil de l'Union européenne 2001;2006a). 167 transformé en « prix de référence » en-deçà duquel un nouveau système de Stockage privé, financé par la Communauté, peut être enclenché195. Les quotas A et B ont pour leur part été fusionnés tandis que le « sucre C » a été maintenu et bonifié (cf. Conseil de l'Union européenne 2006a). Ainsi, une allocation de 1,1 million de tonnes de quotas supplémentaires a été mise à la disposition des États-membres. Ces nouveaux quotas doivent être achetés196 par les sucreries auprès de l’État-membre et commercialisés en tant que « Sucre C ». Cette option doit permettre de faciliter l’ajustement des entreprises compétitives en accroissant leur production écoulée sur les marchés internationaux (Conseil de l'Union européenne 2006a, art.8). Ainsi, ce premier volet a entraîné une réforme partielle du secteur sucrier européen en ne provoquant qu’une diminution des prix soutien, tout en conservant en fonction les autres mécanismes d’intervention, tel que le régime tarifaire et les aides aux exportations. De même, cette réforme a été graduelle, puisque la réduction des prix s’est étalée sur quatre ans, tandis que le recours à une augmentation des capacités de production197 a pour effet d’accroître progressivement l’expansion des entreprises les plus compétitives dans le secteur. Notons d’autre part l’introduction d’une nouvelle mesure d’intervention, soit le programme de Stockage privé. Il en va de même de modifications concomitantes apportées au régime de soutien direct de la PAC, alors que les producteurs de betteraves ont été placés sous le régime du Paiement unique à l’entreprise (cf. Conseil de l'Union européenne 2006b). Les producteurs éligibles ont alors pu bénéficier de paiements directs à l’instar des principaux secteurs de production européens. Ces mesures sont étudiées à la section suivante. 195 Notons que pendant les quatre années de transition, les organismes d’intervention demeurent en fonction et peuvent acheter jusqu’à 600 000 tonnes de sucre blanc (Conseil de l'Union européenne 2006a, art.5). Ce volume ne représente cependant que 3,4 % des quantités produites sous les quotas A et B en 2005 (D.G.R.D. 2006, tableau 4.3.6.1). Par conséquent, cette mesure n’est pas considérée. 196 Pour la première fois, des quotas ont fait l’objet d’une transaction financière, ce qui modifie et complexifie leur nature juridique (communication personnelle, Guichard 2008), bien que le nouveau règlement communautaire affirme qu’il importe « que les quotas conservent leur statut juridique […] car, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, le régime des quotas constitue un instrument de régulation du marché » (Conseil de l'Union européenne 2006a, para 8). 197 Selon les définitions retenues à la section 2.4, cette décision ne constitue pas une mesure de transition, mais plutôt « une stratégie de réforme », puisqu’elle affecte indirectement le rythme auquel s’implante la réforme. 168 Le second volet de la réforme propose quant à lui un plan d’action visant à restructurer l’industrie sucrière européenne en vue « d’une réduction importante de la capacité de production [de sucre] non rentable dans la Communauté. » (cf. Conseil de l'Union européenne 2006c). Au cours de la période de transition de 2006/07-2009/10, une réduction, volontaire, de la production de l’ordre de 6 millions de tonnes de quotas de sucre doit avoir lieu (Europa 2006a). Afin d’accompagner cette restructuration, différentes mesures ont été proposées, lesquelles sont étudiées à la section 4.6.2. Mentionnons auparavant que la réforme de l’OCM-Sucre résulte, selon la plupart des observateurs, de pressions commerciales extérieures et non pas de difficultés économiques (Europa 2006a; Ward et coll. 2008). Ainsi, au niveau international, l’Union européenne s’est vue déboutée devant l’OMC pour certaines de ses pratiques commerciales, dont celles relatives à ses exportations de « sucre C »198. De même, la mise en place du dispositif « Tout sauf les armes »199 favorisant les importations en provenance des pays les moins développés venait fragiliser l’équilibre de l’intervention en place. Mentionnons aussi l’influence de certaines pressions domestiques, parmi lesquelles des critiques d’organes de la Commission européenne, dont la Cour des comptes. 4.6.2 L’analyse des caractéristiques d’intervention 4.6.2.1 La catégorisation des programmes adoptés Les mesures de transition adoptées dans le cadre des deux volets de la réforme sont exposées au Tableau 9. Plus précisément, cinq programmes sont retenus pour les fins de l’analyse200, soit le Paiement unique à l’entreprise, le mécanisme de Stockage privé, l’Aide 198 Mentionnons que le système de prix différenciés de l’OCM-Sucre était équivalent au système canadien de classes spéciales de lait, qui a dû être modifié à la suite de plaintes portées devant l’OMC (OMC 2002). Dans les deux cas, les exportateurs bénéficiaient d’un prix inférieur au prix domestique pour l’achat de la matière première destinée à l’exportation, ce qui constitue, selon l’OMC, une subvention aux exportations. L’Union européenne a ainsi fait l’objet d’une accusation. La décision du groupe spécial – soutenue par l’organe d’appel en 2005 – a obligé l’Union à modifier ses pratiques dès 2006, l’obligeant à respecter ses engagements en faisant passer ses exportations « subventionnées » de 6 mt à 1,4 mt (OMC 2008). 199 Mis en place en 2001, ce dispositif devait permettre, dès 2009, un accès sans franchise ni droit, au marché du sucre européen pour les 49 pays membres de l’accord. 200 Les mesures spécifiques à certains États-membres, aux partenaires commerciaux de l’Union européenne et celles liées à des productions autres que celle du sucre et de la betterave ne sont pas considérées. 169 communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre, ainsi que les Aides à la diversification et celles à la restructuration, regroupées sous le Fonds de restructuration. À la lumière des caractéristiques de ces programmes, différents types de mesures apparaissent avoir été privilégiés lors de cette réforme. Ainsi, le Paiement unique à l’entreprise et le système de Stockage privé relèvent de la réinstrumentation. De fait, ils viennent, de façon permanente, pallier la réduction du soutien des prix induite par le premier volet de la réforme. Dans le cas du Paiement unique à l’entreprise, les producteurs se retrouvent placés sous le même régime d’intervention que les principaux secteurs de production agricole européens. Plus précisément, ce soutien direct et découplé, versé aux entreprises agricoles ayant produit pour les fins de la production sucrière contingentée, vient soutenir les revenus des producteurs de betteraves à un niveau équivalent à 64,2 % de la perte estimée de revenus (Commission européenne 2005, p.8). Il constitue donc un « rachat du soutien » puisqu’il remplace un mécanisme d’intervention sur les marchés par un paiement direct découplé et continuel (cf. section 2.4.4). Notons que ce soutien, en étant octroyé indépendamment des choix de production ou des conditions de marché, s’ajoute – dans le cas des producteurs éligibles – aux revenus tirés des marchés, dont les prix demeurent supportés, dans le cas du secteur sucrier, par le système de Stockage privé et le régime tarifaire. Il est ainsi envisageable que ce nouveau régime se révèle plus avantageux que l’ancien pour certains producteurs. De leur côté, les sucreries, bien que bénéficiant d’un mécanisme de Stockage privé afin de maintenir à des niveaux élevés les prix domestiques du sucre, se voient obligées d’assumer intégralement les pertes induites par la réduction du prix d’intervention, puisqu’aucun programme n’a été adopté afin de pallier leur manque à gagner. En fait, il est admis que les sucreries incapables de produire du sucre à moins de 400 €/tonne – soit le niveau du prix de référence en 2009/10 – devraient abandonner la production (Europa 2006b). On constate dans ces mesures l’importance accordée à la restructuration de l’industrie sucrière, mais aussi l’attention apportée à ne pas pénaliser trop lourdement les producteurs, sans par ailleurs nuire au processus d’ajustement. En effet, en accordant aux producteurs de 170 betteraves le Paiement unique à l’entreprise, ces derniers voient non seulement le versement d’une partie de la rente historique garantie, mais ont aussi la possibilité de poursuivre leur métier d’agriculteur en modifiant leurs choix de production. Ce constat se trouve renforcé en étudiant les programmes mis de l’avant dans le cadre du deuxième volet. Rappelons que ce dernier prévoit « un processus approfondi de restructuration du secteur » (Conseil de l'Union européenne 2006c, para. 1). À cette fin, la prise en compte d’une période de transition a été jugée nécessaire, au cours de laquelle des programmes incitatifs ont été développés. Trois programmes figurent dans ce volet, soit l’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre, ainsi que les Aides à la diversification et celles à la restructuration. Ces deux derniers programmes s’inscrivent dans le Fonds de restructuration, créé pour une période de quatre ans afin de financer les mesures de restructuration (Conseil de l'Union européenne 2006c, para. 2). Ces deux mesures impliquent un transfert monétaire direct et temporaire, dont le versement est conditionnel à des décisions d’ajustement. Ainsi, les Aides à la restructuration sont octroyées dans la mesure où la sucrerie libère ses quotas et démantèle ses installations en tout ou en partie, tandis que les Aides à la diversification impliquent nécessairement des mesures visant à restructurer l’activité économique du secteur concerné. Elles constituent ainsi toutes deux des mesures d’assistance. Notons que le Fonds de restructuration qui finance ces deux programmes a un triple objectif, soit de fournir des incitations afin d’encourager les intervenants (producteurs et sucreries) les moins compétitifs à abandonner le secteur, de dégager des crédits afin de faire face aux retombées sociales et environnementales de la fermeture des usines201 et enfin d’allouer des aides aux régions les plus affectées (Commission européenne 2005, p.7). L’aspect « incitatif » de la restructuration apparaît cependant être la principale finalité poursuivie, aussi bien dans les documents officiels que dans la structure des programmes adoptés (cf. Europa 2006a;2006b). De fait, le soutien octroyé est régressif dans le temps et est proportionnel au degré de restructuration choisi, tandis que les modalités d’intervention sont exclusivement tournées vers l’abandon de la production de sucre, rien n’étant prévu 171 afin d’accroître la compétitivité des entreprises demeurant actives. Les deux autres objectifs se retrouvent alors soumis au premier, puisque l’accès à ces aides requiert le dépôt d’une « demande d’octroi » tenant compte des aspects sociaux et environnementaux. Mentionnons que le programme d’Aide à la restructuration prévoit qu’un montant minimal de 10 % soit réservé afin « de soutenir les producteurs de betterave sucrière » affectés par la fermeture d’usine (Conseil de l'Union européenne 2006c, para. 6). Cette aide, qui n’implique aucune condition d’octroi autre que celle d’être pénalisé par la restructuration, prend ainsi la forme d’une indemnisation dédiée aux producteurs de betteraves. Le soutien accordé aux producteurs peut toutefois être beaucoup plus important grâce à l’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre qui vise à « amortir l’impact du processus de restructuration » dans les États-membres (Conseil de l'Union européenne 2006c, para.6). Cette aide n’est cependant accessible que si l’État-membre retire au moins 50 % des quotas de la production dont il a la responsabilité, affectant ainsi profondément la structure de son industrie sucrière. Dans un tel cas, le support, couplé à la production, est octroyé aux producteurs pour les quantités de betteraves produites sous « contrat de livraison ». Les bénéficiaires de l’aide, soit les producteurs, ne sont donc pas tenus de s’ajuster afin de percevoir l’aide202. Pour cette raison, cette mesure constitue également une indemnisation visant à pallier la perte de revenus liée au processus de restructuration. Dans les faits, cette indemnisation est supposée correspondre à un soutien équivalent à 30 % de la réduction estimée des revenus des producteurs203, support qui s’ajoute au soutien direct assuré par le Paiement unique à l’entreprise (Conseil de l'Union européenne 2005a, p.7). Mentionnons par ailleurs que dans la mesure où un État-membre n’octroie pas d’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre, les producteurs 201 Par exemple, le financement de plans sociaux ou de programmes de redéploiement et de mesures de reconversion en vue de la réhabilitation environnementale du site. 202 Un ajustement indirect doit cependant avoir lieu, puisque la restructuration des sucreries affecte nécessairement les débouchés à la disposition des producteurs de betteraves. 203 Il est intéressant de constater que si ce programme est mis en œuvre dans le cadre du volet « restructuration » de la réforme, le niveau de paiement proposé vise quant à lui à combler des pertes dues à la diminution des prix de soutien. Les coûts d’ajustement ne sont donc pas directement ciblés. 172 affectés par la réforme ne peuvent bénéficier que des ressources prévues au titre de l’Aide à la restructuration décrite précédemment. Il importe de mentionner que le financement de cet ensemble de mesures de transition ne doit pas coûter « un centime supplémentaire au contribuable européen » (cf. Europa 2006a). De fait, les revenus nécessaires au Paiement unique à l’entreprise et au système de Stockage privé doivent provenir des fonds précédemment utilisés pour subventionner les exportations de sucre sur les marchés internationaux (Conseil de l'Union européenne 2005a). Le fardeau financier du régime d’intervention demeure donc sur le contribuable. Le Fonds de restructuration, duquel sont tirées les ressources financières réservées à la restructuration, doit quant à lui s’autofinancer par le biais d’un prélevé appliqué à la production de sucre produit sous quotas, à la suite de la réforme. 4.6.2.2 Constats et inférences Différents constats peuvent être tirés de cette expérience de réforme qui, rappelons-le, résulte essentiellement de problèmes de compétitivité dû « aux évolutions intervenues au sein de la Communauté et à l’échelle internationale » (Conseil de l'Union européenne 2006c, para. 1). De fait, la restructuration du secteur apparaît comme la première finalité poursuivie au travers des volets de la réforme et des programmes de transition adoptés. À cet égard, il faut constater que si les attentes en matière de restructuration de l’industrie sucrière sont explicitement portées par les transformateurs, elles concernent aussi les producteurs, compte tenu du resserrement des débouchés. L’analyse des interventions adoptées met par ailleurs en évidence que le traitement réservé à chacun de ces groupes diffère significativement. Les transformateurs ont ainsi été confrontés à la réduction des prix de soutien sans être soutenus autrement que par le biais de mesures d’assistance, dont le versement implique nécessairement et exclusivement un abandon de la production. Il faut cependant reconnaître que ces mesures constituent formellement des incitatifs à la restructuration, la réforme ayant un caractère volontaire. Le montant d’aide prévu pour la « libération de quotas » reflète donc certainement une part de « dédommagement » pour les revenus abandonnés. Il 173 a par ailleurs été impossible d’évaluer de façon ex ante le degré de pertes que peut couvrir ce dédommagement204. La seule observation pouvant être avancée est que le montant de 730 euros prévu en 2006/07 pour la libération d’une tonne de quota représente 1,16 fois le prix d’intervention de 631,9 €/tonne garanti au moment de la réforme205. Les producteurs se retrouvent pour leur part dans une situation très différente, puisque leurs revenus « historiques » ont été en grande partie garantis par une réinstrumentation. Au cours de la période de transition, ils bénéficient même d’une indemnisation minimale par le biais de l’Aide à la restructuration. Dans l’éventualité d’une restructuration encore plus forte de l’industrie, ce soutien des revenus peut encore être bonifié par l’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre. Autrement dit, un support est non seulement accordé pour pallier la diminution des prix de soutien, mais les coûts d’ajustement induits par la restructuration sont également pris en charge par le biais de mesures d’indemnisation. Notons que cette protection des revenus ne soustrait pas pour autant les producteurs de betteraves du processus d’ajustement. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’aucune mesure communautaire ne prévoit explicitement des aides à cette fin, telles que des programmes de reconversion ou de formation, qui leur auraient permis de diversifier leurs productions. Les indemnisations accordées pour contrer les effets de la restructuration des sucreries, combinées à la réinstrumentation impliquant le versement de paiements directs déliés de la production, sont peut-être apparues comme des instruments suffisamment flexibles à cet égard. Au niveau des producteurs, on peut donc conclure que l’intervention post-réforme s’est assurée de minimiser les pertes de revenus anticipées sans pour autant nuire au processus de restructuration de l’industrie. La Commission européenne a également profité du contexte pour assujettir ce secteur au même régime d’intervention que celui utilisé pour les principales productions agricoles européennes, soit le Paiement unique à l’entreprise. 204 De façon ex post, on peut cependant constater que ces incitatifs ont été insuffisants pour convaincre les transformateurs de libérer leurs quotas, puisqu’après deux ans de mise en œuvre, seuls 2,2 millions de tonnes avaient été abandonnées, alors qu’il en fallait 6 millions selon les attentes formulées (Europa 2006b). 205 Ce ratio reste essentiellement le même au cours des années suivantes. 174 Notons que l’existence d’un tel programme de soutien découplé des revenus a certainement facilité la poursuite d’une telle démarche. 4.6.3 L’ascendance de la théorie sur le processus de réforme En se référant aux programmes caractérisés au Tableau 9, on constate que deux principaux groupes ont fait l’objet d’une intervention à la suite de la réforme du secteur sucrier européen, soit les sucreries et les producteurs de betteraves. Il faut toutefois reconnaître que la portée de l’intervention post-réforme est beaucoup plus étendue, car de nombreux autres acteurs, bien que plus marginaux, ont été ciblés, parmi lesquels des secteurs connexes de la transformation, des raffineries régionales, ainsi que les pays tiers. Sans entrer dans les détails des mesures prévues à leur égard, le recours à une telle gamme d’interventions démontre, de la part de la Commission européenne, une reconnaissance de la diversité des acteurs affectés par le processus de réforme. Il faut cependant constater qu’en matière de « compensation », ces acteurs sont très différemment traités. Ainsi, les producteurs de betteraves apparaissent comme le groupe le mieux couvert par les mesures adoptées, entre autres grâce au Paiement unique à l’entreprise qui limite les pertes de revenus des producteurs jusqu’à concurrence de 64,2 %. Ce soutien ne constitue toutefois pas une « compensation » au sens de l’économie du bienêtre, puisqu’il sert à maintenir un niveau de revenu. Un manque à gagner de 35,8 % doit alors est amorti par les autres mesures de transition adoptées. À cet égard, bien que des « compensations » aient été proposées, elles ne visent que les producteurs concernés par le processus de restructuration des sucreries, alors que tous les producteurs ont été affectés par la baisse des prix de soutien. Rappelons en effet que selon le degré restructuration choisi, des paiements au titre de l’Aide à la restructuration et de l’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre peuvent être accordés. Dans la mesure où ces aides sont effectivement perçues, la « compensation » apparaît être quasiment complète. Il faut toutefois se questionner sur le nombre de producteurs qui bénéficieront d’une telle combinaison d’aides. Il faut par ailleurs reconnaître que s’ajoutent au soutien direct les revenus tirés des marchés. Selon les prix 175 perçus et les paiements octroyés, tel que le Paiement unique à l’entreprise, les revenus des producteurs peuvent ainsi être supérieurs à ceux obtenus sous l’ancien régime d’intervention. Les sucreries sont quant à elles soutenues par le biais du Fonds à la restructuration dont les objectifs sont, rappelons-le, d’inciter à la restructuration, de pallier les coûts sociaux et environnementaux liés à la fermeture d’usine et d’aider les régions défavorisées. Dans la mesure où les deux derniers objectifs s’inscrivent dans le premier, on peut conclure que la volonté de minimiser les coûts sociaux de la réforme apparaît être une préoccupation réelle. Toutefois, il n’a pas été possible d’évaluer de façon ex ante la nature spécifique et le degré de pertes que peuvent couvrir les 4,1 milliards d’euros prévus pour la période 2006/072009/10. Notons que les prix d’intervention pré-réformes s’élevaient à 631,9 €/tonne et que le soutien direct proposé est de 730 €/tonne de quota libéré en 2006/07. Par ailleurs, en l’absence d’information quant aux marges dégagées par les sucreries, il n’est pas possible de conclure sur le degré de dédommagement effectivement offert. Le financement de ces mesures présente, d’autre part, certains éléments d’analyse intéressants. Ainsi, l’essentiel de la « compensation » aux producteurs, soit l’Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre, est financé par le FEOGA-Garantie qui est l’organisme de financement agricole européen. Dans la mesure où ces fonds proviennent, tel que prévu, des économies réalisées au niveau des subventions aux exportations, il faut conclure que le contribuable européen n’est pas (davantage) pénalisé, tandis que le consommateur, en voyant le prix domestique décroître, ne s’en trouve que mieux. Toutefois, la logique sous-tendant le « test de compensation », sans être rejetée, n’est pas pour autant respectée dans ce cas. Il en va autrement du financement du Fonds de restructuration. En effet, ce dernier est financé par le biais d’un prélevé temporaire perçu auprès des sucreries demeurant en production et « qui profiteront à terme du processus de restructuration » (Conseil de l'Union européenne 2006c, para.4). Les gagnants anticipés de la réforme sont donc ceux qui sont responsables de « compenser » les entreprises devant quitter le secteur. 176 Malgré ces quelques inférences, il est légitime de douter de la véritable ascendance de l’économie du bien-être dans le cadre de l’intervention post-réforme étudiée. En effet, des facteurs tels que les pressions commerciales, les attentes formulées en matière de restructuration et les impératifs financiers semblent avoir conditionné les modalités d’intervention privilégiées davantage qu’une logique théorique de compensation prévoyant un transfert des gains des gagnants vers les perdants. Le fait que la réforme résulte de pressions externes davantage que d’une volonté domestique de changement, que cette politique d’intervention soit si complexe et que le processus décisionnel européen compte un si grand nombre d’intervenants, peut en partie expliquer l’approche « pragmatique » privilégiée. 177 Tableau 9 : Caractéristiques et modalités des principales mesures adoptées en Europe, le secteur du sucre et de la betterave sucrière Aspects descriptifs Modalités d’intervention Nom du 1 Programme Intervenants concernés Composantes économiques visées Critères d’éligibilité Paiement unique à l’entreprise Entreprises agricoles Soutien des revenus Avoir produit des betteraves sous « contrats de livraison » entre 2001/02 et 2005/06. Aucune condition, autres que celles à caractères agronomique et environnemental prévues. Aucune date de cessation. Entreprises de transformation 3 Soutien des prix Etre une entreprise agréée. Aucune, sinon de respecter un cahier de charges techniques. Aucune date de cessation. Soutien des revenus Produire des betteraves sous quotas. - Que l’État-membre ait octroyé de l’aide à la restructuration et respecté les conditions énoncées (Voir Fonds de restructuration) 4 ; - Minimum d’abandon de quotas à l’échelle nationale de 50 %. Maximum de 5 ans. Soutien des revenus Avoir été impliqué dans la production lors de la campagne précédant l’abandon des quotas. Aucune condition. Avoir produit du sucre sous quotas avant le 1ier juillet 2006. - Renoncer à son quota et démanteler totalement ses installations ou ; - Renoncer à son quota, démanteler partiellement ses installations et ne plus produire de sucre 5 ; - Compléter une demande d’octroi 6. Selon les modalités définies par les programmes nationaux adoptés. Selon les modalités définies par les programmes nationaux adoptés (trois axes possibles : Restructuration, Développement rural et Diversification 8). Stockage privé 2 Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre Producteurs de betteraves Producteurs de betteraves et les intermédiaires Aide à la restructuration Entreprises de transformation Fonds de restructuration Incitatifs à la restructuration Aide à la diversification Entreprises de transformation situées dans des régions sujettes à la restructuration 7 Conditions de versement Période et rythme de versement Maximum de 4 ans. 178 Structure du programme Nom du programme Paiement unique à l’entreprise Stockage privé Aide communautaire en faveur des producteurs de betteraves à sucre Montant total de la mesure 9 Calcul du soutien Base de référence Plafond et nature du paiement 1,5 milliard d’euros - Selon des données historiques sur le soutien perçu et les superficies en production ; - Modalités établies par Étatmembre, de façon objective et non discriminatoire. Couvre 64,2 % de la perte estimée de revenus 10 due à la réduction du soutien des prix. - Soutien monétaire direct ; - Paiement découplé de la production. Nd. - Verser si le prix de marché est inférieur au prix de référence ; - Remboursement des frais de stockage. Nd. Maximum de 1,44 €/tonne/mois 646 millions d’euros Aide exprimée en Kg de sucre et établie annuellement pour chaque État-membre. Correspond à 30 % de la perte estimée de revenus 10 due à la réduction du soutien des prix. - Selon la limite de l’enveloppe nationale ; - Soutien direct et couplé. 103 millions d’euros 11 - Selon les modalités de chaque États membres ; - Versée selon des critères objectifs et non discriminatoires. Correspond à au moins 10 % des budgets prévus au titre du Fonds de restructuration. - Soutien, par tonne de quota libéré, relatif au degré de démantèlement ; - Régressif dans le temps. Nd. Aide à la restructuration Fonds de restructuration 926 millions d’euros 11 Aide à la diversification - Soutien par tonne de quota libéré ; - Régressif dans le temps ; - Soutien monétaire direct ; - Selon la disponibilité des fonds prévus. Type de mesure de transition Financement Réinstrumentation (rachat du soutien) FEOGA-Garantie (contribuable) Réinstrumentation Indemnisation Financé par un prélevé auprès des sucreries poursuivant la production sous quotas (le Montant temporaire au titre de la restructuration). Indemnisation Assistance (ajustement) 179 1 Les mesures spécifiques à certains États-membres, aux partenaires commerciaux de l’Union européenne et celles liées à des productions autres que celle du sucre ne sont pas considérées. Les modalités exposées des programmes sont celles retrouvées dans les textes de loi, sous des conditions normales de mises en œuvre. 2 S’ajoute, pendant la période 2006/07 – 2009/10 une intervention publique pour l’achat de sucre blanc pour une quantité maximale de 600 000 tonnes à un prix correspondant à 80 % du prix de référence. Cette quantité ne représente cependant que 3,4 % des quantités produites sous les quotas A et B en 2005 (cf. D.G.R.D. 2006, tableau 4.3.6.1). 3 Les entreprises de transformation sont celles produisant du sucre, de l’isoglucose ou de l’inuline. Seules celles produisant du sucre sont ici étudiées. 4 Voir le règlement 320/2006 (article 3) et le règlement 319/2006 (Chapitre X octodecies). 5 Une troisième option existe, mais est spécifique à certains États et n’est donc pas décrite. Le démantèlement total implique l’arrêt des opérations, la fermeture de l’usine et la réhabilitation environnementale du site. Le démantèlement partiel s’applique à l’arrêt et au démantèlement des installations liées à la production du sucre. Voir les modalités décrites dans le règlement 320/2006 (cf. Conseil de l'Union européenne 2006c). 6 La demande inclut entre autres un plan de restructuration, l’engagement de renoncer aux quotas et de démanteler l’usine. Le plan de restructuration doit expliquer les buts visés et la façon dont l’aide sera partagée avec les producteurs et les intermédiaires. Des plans financiers et des mesures sociales anticipées doivent aussi être exposés (cf. Conseil de l'Union européenne 2006c). 7 Royaume-Uni, Portugal, Finlande, France et Slovénie (Conseil de l'Union européenne 2006c). 8 Plus précisément : amélioration de la compétitivité de l'agriculture et de la sylviculture par un soutien à la restructuration, au développement et à l'innovation; amélioration de l'environnement et de l'espace rural par un soutien à la gestion des terres; amélioration de la qualité de la vie en milieu rural et la promotion de la diversification des activités économiques (cf. Conseil de l'Union européenne 2005b, art.4). 9 Fonds prévus pour les 25 États-membres, rapportés annuellement (total de la période, divisé par le nombre d’années de mise en œuvre), bien que les budgets effectifs varient selon les années. Les données sont tirées de l’annexe 2 du document de la Commission européenne sur la proposition de réforme de l’OCM-Sucre (2005) et du règlement 319/2006 (Conseil de l'Union européenne 2006b). 10 La perte de revenus a été estimée en tenant compte de la modification du prix minimal pondéré de la betterave dans chaque État membre, multiplié par la quantité sous quotas (Commission européenne 2005, p.8; Conseil de l'Union européenne 2005a). 11 Le budget total du Fonds de restructuration doit s’élever à environ 1,03 milliard d’euros annuellement. Le partage proposé reflète une estimation de la distribution prévue des paiements entre les entreprises de transformation et les producteurs de betteraves. Sources principales : Conseil de l’Union européenne (2005a; 2005b; 2006a; 2006b; 2006c; 2006d) et Europa (2006a; 2006b). 5. Analyse transversale et conclusion Les six analyses de cas présentées au chapitre 4 ont permis d’étudier en détails des expériences de réforme ayant été menées dans cinq pays et ayant affecté le régime d’intervention utilisé dans autant de secteurs agricoles différents. À l’aide de la démarche analytique privilégiée, il a été possible, pour chacun des cas retenus, d’exposer les ressemblances et dissemblances existant entre le fonctionnement de la politique réformée et l’intervention dans le secteur laitier canadien, de situer techniquement et politiquement le processus de réforme, mais surtout de catégoriser systématiquement les mécanismes d’intervention post-réforme ayant été privilégiés à ces occasions. De cet exercice ont émané un certains nombres de constats et le Tableau 10 présente les principaux résultats obtenus pour chacun des cas à l’étude. La section 5.1 propose ainsi une analyse transversale de ces résultats de façon à faire émerger les principaux constats émanant des modes d’intervention post-réforme privilégiés par ces pays. La section 5.2 conclut quant à elle ce mémoire, en reprenant ces constats et en proposant, dans les limites de notre analyse, une discussion sur les résultats obtenus, en lien avec le contexte d’une éventuelle réforme du secteur laitier canadien. 181 Tableau 10 : Synthèse des résultats tirés des analyses des cas de réformes retenus Expériences de réforme Réforme Nid-de-corbeau Élément(s) réformé(s) Rythme / Degré 1 Tabac canadien Lait australien Politique de bonification des prix Contingentement - Contingentement - Soutien des prix - Régime tarifaire 5 - Directe - Complète - Directe - Complète - Directe - Partielle Indemnisation Nombre de programmes Composantes visées % du budget 2 Trois Aucun Un - Dévaluation d’actif [x1] 4 - Soutien des revenus [x2] -- 89 % -- 96 % Deux Deux Un Soutien des revenus Ajustement Nombre de programmes Mesures de transition Composantes visées - Infrastructures locales - Promotion des ventes Diversification des activités économiques régionales [x2] Institutions et infrastructures rurales Économique (Compétitivité) Économique (Compétitivité) Économique (Compétitivité) % du budget 11 % 7% 2% Nombre de programmes Aucun Deux Un Composantes visées -- Dévaluation d’actif [x2] Orientation globale -- Ajustement Ajustement % du budget -- 93 % 2% Aucun Un Aucun Composantes visées -- Organisation des marchés -- Origine des programmes -- Nouveau programme -- Recours à un « rachat du soutien » ? 3 -- Non -- % du budget -- Ne s’applique pas -- Catégorie de mesure Assistance Soutien des revenus Réinstrumentation Nombre de programmes 182 Tableau 10 : Synthèse des résultats tirés des analyses des cas de réformes retenus (suite) Expériences de réforme Réforme Lait helvétique - Contingentement Élément(s) réformé(s) - Soutien des prix - Régime tarifaire 5 Rythme / Degré 1 - Directe - Partielle Arachides américaines Sucre européen - Contingentement - Soutien des prix - Régime tarifaire 5 - Contingentement - Soutien des prix - Régime tarifaire 5 - Graduelle - Partielle - Graduelle - Partielle Indemnisation Nombre de programmes Aucun Un Dévaluation d’actif Deux 7 Composantes visées -- Soutien des revenus % du budget 2 -- 50 % 6 21 % 8 Un Aucun Aucun -- -- Légale -- -- Ne s’applique pas -- -- Aucun Aucun Deux Composantes visées -- -- Incitatifs à la restructuration [x2] Orientation globale -- -- Ajustement % du budget -- -- 22 % Un Trois Deux Ajustement Nombre de programmes Composantes visées Mesures de transition Catégorie de mesure % du budget Organisation du marché Assistance Nombre de programmes Réinstrumentation Nombre de programmes Composantes visées Origine des programmes Recours à un « rachat du soutien » ? 3 % du budget Soutien des revenus Programmes existants - Soutien des revenus [x2] ; - Soutien des prix [x1]. Programmes existants - Soutien des revenus ; - Soutien des prix. Programmes nouveaux 9 et existants Oui Oui [x2] Oui [x1] 100 % 50 % 57 % 183 1 Une réforme complète se caractérise par l’abolition de la totalité des mesures utilisées, sans qu’elles ne soient remplacées par des interventions alternatives. Si aucune période de transition n’est prévue, la réforme est par ailleurs dite directe. La classification proposée dans le tableau s’applique à la réforme dans son ensemble. Chaque mécanisme peut cependant faire l’objet d’une réforme d’un degré et d’un rythme différents. 2 Estimation globale de la part du budget allouée à chaque catégorie de mesures de transition. L’estimation tient compte de la répartition des budgets prévus pour l’ensemble de la période où la législation et les programmes de soutien ont été en vigueur. Pour les cas de réforme où des mesures de réinstrumentation ont été utilisées, voir les notes respectives. 3 Un « rachat de soutien » se définit comme un processus visant à réduire l’intervention de l’État sur les marchés en échange d’une compensation financière directe, continuelle et découplée des choix de production (cf. section 2.4.4). 4 Concerne le Programme de paiements de transition pour le grain de l’Ouest (PPTGO). Officiellement, cette aide a été versée pour dédommager la dévaluation d’un actif (la terre). Toutefois, d’un point de vue économique, elle indemnise la perte des revenus découlant de l’abolition de la subvention du « Nid-decorbeau », dont la valeur s’était capitalisée dans les terres (cf. section 4.1.1). Ces deux perspectives sont prises en compte dans ce chapitre. 5 Inscrit en italique, car la réforme n’a pas porté directement sur le régime tarifaire, bien que des ajustements importants aient été apportés de façon concomitante. 6 Part occupée par chaque mesure dans le budget prévu pour la période allant de 2002 à 2006 (cf. Tableau 8). 7 Un seul programme est spécifiquement une mesure d’indemnisation. Le second correspond à la partie des fonds des Aides à la restructuration octroyée aux producteurs de betteraves et aux intermédiaires et qui représente une indemnisation (cf. Tableau 9). 8 Part occupée par chaque mesure dans le budget prévu pour la période allant de 2007 à 2013 (cf. Tableau 9). 9 Le nouveau programme est le système de Stockage privé dédié aux sucreries européennes. Les producteurs de betteraves sont pour leur part assujettis aux programmes existants de soutien des revenus. Sources : Informations tirées des tableaux 4 à 9. 5.1. L’analyse transversale des cas à l’étude L’objectif poursuivi lors des analyses effectuées au chapitre 4 a été d’évaluer la façon dont les principes économiques d’intervention exposés au chapitre 2 pouvaient être transposés à une expérience réelle de réforme en agriculture. Afin de compléter cette évaluation et de pouvoir en tirer des enseignements en lien avec un éventuel contexte de réforme dans le secteur laitier canadien, cette section offre une analyse transversale des résultats obtenus de façon à faire émerger les principaux constats émanant des modes d’intervention postréforme privilégiés dans les pays à l’étude. Il est proposé d’orienter l’analyse autour des mesures de transition adoptées spécifiquement en réponse aux ajustements apportés aux mécanismes d’intervention caractérisant la gestion de l’offre canadienne, soit le contingentement de l’offre, l’administration de prix de soutien et le contrôle des importations. Compte tenu qu’un certain nombre d’observations tirées des analyses précédentes ne sont pas directement en lien avec cette catégorisation, elles sont 184 abordées indépendamment par la suite. Enfin, la question de l’ascendance de la théorie de l’économie du bien-être sur le processus de réforme est traitée, à la lumière des six expériences étudiées. 5.1.1 Mesures de transition et réforme d’un système de contingentement Initialement, tous les cas à l’étude, à l’exception de celui portant sur la réforme de la politique du transport du grain dans l’Ouest canadien, évoluaient sous divers systèmes de contrôle de l’offre. Parmi ces cas, quatre ont fait l’objet d’une réforme ayant impliqué – à des rythmes variables – le démantèlement complet de leur système. Ainsi, alors que les contingentements des arachides aux États-Unis, du lait en Australie et du tabac en Ontario ont été abolis sur-le-champ, celui retrouvé dans le secteur laitier en Suisse a bénéficié d’une certaine période de transition. S’ajoute à cette liste l’expérience européenne du sucre, où a été mis en œuvre un programme volontaire d’abandon partiel des quotas en circulation. Malgré cette diversité de contextes, l’analyse des expériences de réforme a soulevé, dans la majorité des cas, des préoccupations relatives aux pertes économiques qu’allaient devoir subir les détenteurs de quotas à la suite des ajustements apportés. Il est donc intéressant de constater que parmi les cas à l’étude, seuls deux impliquent directement le recours à des mesures de transition visant à pallier la dévaluation de cet actif (cf. Tableau 10). Ce fut le cas lors de la réforme du secteur américain des arachides et de celle du secteur de la tabaculture au Canada. Rappelons que ces deux réformes ont mené à un démantèlement complet et direct de leur système de contingentement. Afin de soutenir les détenteurs de quotas pénalisés, les ÉtatsUnis ont alors eu recours à une mesure d’indemnisation, tandis que le gouvernement canadien a, quant à lui, privilégié une mesure d’assistance, conditionnelle à l’abandon de la tabaculture. Un soutien monétaire direct a ainsi été octroyé dans les deux cas, en contrepartie de l’abolition des quotas détenus. À cet égard, ces deux mesures sont comparables, puisque la question de la « conditionnalité » relève surtout de la finalité poursuivie par la réforme. En effet, alors que le gouvernement canadien cherchait à mettre 185 fin à la tabaculture au pays, les États-Unis comptaient au contraire sur le développement du secteur des arachides. Le point déterminant émanant de ces exemples est qu’à ces deux occasions, l’indemnisation a été offerte à des détenteurs de quotas qui n’étaient pas nécessairement des producteurs impliqués – avant ou après la réforme – dans le secteur agricole concerné. En effet, aux États-Unis, seuls 33 % des bénéficiaires étaient producteurs d’arachides, tandis qu’en Ontario, les autorités ont fait comprendre que la réforme allait mettre un terme à la tabaculture au pays. Il est aussi intéressant de souligner qu’au moment de cette réforme, seuls 40 % des détenteurs de quotas étaient également des producteurs de tabac (OFCTGMB 2008, p.11). Ce constat est significatif, car il contraste avec les cas de réformes où les producteurs détenaient eux-mêmes les quotas et pouvaient poursuivre leurs activités à la suite du démantèlement, comme en Australie et en Suisse. Lors de ces réformes, les revenus – et non la dévaluation d’actif – ont été soutenus (voir la section suivante). Il faut par ailleurs reconnaître que si des mesures de transition ont été octroyées, à deux occasions, afin de pallier la dévaluation des quotas, les autorités impliquées n’ont pourtant jamais indiqué quelle était la base de référence (coûts d’acquisition, valeur marchande, etc.) sur laquelle reposait le niveau d’aide versé. Conséquemment, il est difficile d’évaluer le degré de couverture offert par l’intervention. Ainsi, aux États-Unis, face à l’absence d’indications officielles, les observateurs supposent arbitrairement que les paiements octroyés correspondent à une indemnisation, soit de la perte de revenus de location des quotas, soit de la dévaluation de la terre à laquelle ils étaient liés. En Ontario, un système d’enchères a servi à établir le prix de rachat des quotas en 2005. Ce mécanisme aurait donc pu permettre de refléter de façon explicite la valeur économique estimée des quotas. Toutefois, le paiement fixé a été conditionné par des budgets prédéterminés au niveau politique, biaisant du coup l’expression de la valeur estimée de cet actif. En fait, force est d’admettre que les niveaux de paiement et l’importance des fonds prévus à ces deux occasions ont reposé essentiellement sur des considérations d’ordre politique. 186 Il faut noter à cet égard que les producteurs agricoles des deux secteurs concernés ont, à la fois, initié le processus de réforme et proposé des modes d’intervention qui ont servi à développer les mécanismes adoptés par la suite. Les analyses semblent par ailleurs indiquer que les indemnités n’ont que partiellement couvert les pertes estimées de la dévaluation des quotas. Autrement dit, non seulement les considérations politiques semblent avoir primé dans la façon dont les gouvernements sont intervenus, les producteurs apparaissent en plus avoir joué un rôle notable à ces occasions. Toutefois, l’impact réel de cette implication – entre autres sur le degré d’indemnisation offert – ne peut être évalué dans le cadre de cette analyse. Soulignons que les cas américain et ontarien n’ont pas été les seuls à impliquer le recours à une mesure de transition afin d’accompagner la réforme d’un système de contingentement. Ce fut également le cas en Europe, dans le secteur sucrier, où des mesures d’assistance ont été proposées aux sucreries en échange de l’abandon de leurs quotas de production. Cette expérience se distingue toutefois des deux autres par la nature volontaire du projet. Les paiements offerts ne constituaient pas alors un dédommagement pour des pertes subies, mais plutôt un incitatif à la restructuration à l’échelle des transformateurs (i.e. les sucreries). Autre particularité, les producteurs agricoles – situés en amont – ont bénéficié du même coup d’indemnisations afin de faciliter l’ajustement induit par la restructuration. Malgré ces spécificités, certains aspects de ce projet offrent des indications intéressantes sur le contexte d’utilisation de mesures de transition lors d’une réforme d’un système de contingentement (voir ci-après). D’autre part, l’absence, dans les secteurs laitiers australien et helvétique, de mesure de transition de nature financière dédiée spécifiquement au démantèlement des systèmes de contingentement, constitue un autre point à considérer. Les analyses précédentes permettent en fait de soulever, en plus des spécificités propres à chaque cas, deux enjeux déterminants relatifs à cette décision de non-intervention. Un premier concerne la nature légale des quotas et un second, le degré et le rythme du démantèlement. Notons que les caractéristiques de l’expérience européenne contribuent à supporter certains des constats ici proposés. 187 Ainsi, en Suisse aussi bien qu’en Europe, les autorités ont clairement indiqué que les quotas étaient davantage des « droits de produire » que des « actifs » d’entreprises. Conséquemment, lors du démantèlement du contingentement en Suisse, l’obligation de dédommager spécifiquement les pertes découlant de l’abandon de ces « droits » n’est pas apparue justifiée. En Europe, le maintien du système a différé la prise en compte de cette question, mais la nouvelle réglementation a rappelé le caractère réglementaire des quotas. De fait, il faut reconnaître que de par leur nature juridique, peu ou pas d’investissement était attaché à ces quotas et les pertes encourues par leur abolition (Suisse) ou leur retrait (Europe) étaient donc modérées (Suisse) ou encore inexistantes206 (Europe). À cet égard, l’exemple australien aurait pu fournir des indications intéressantes sur la portée de l’obligation légale d’intervenir, car certains États, à l’instar du Canada, avaient recours à des quotas commercialisables, dont la valeur était portée aux bilans des entreprises. Rappelons toutefois que la question légale n’a pas été abordée dans le cadre de cette réforme. Quoi qu’il en soit, il semble que la nature juridique des quotas puisse jouer un certain rôle dans la décision gouvernementale d’intervenir – ou non – lors du démantèlement d’un système de contingentement. Le degré et le rythme de démantèlement apparaissent être un deuxième enjeu à considérer. Ainsi, l’Union européenne n’a appliqué que des ajustements modérés au régime de contingentement de son secteur sucrier. En fait, tout en garantissant son maintien jusqu’en 2015, les autorités ont simplifié l’administration du système et allégé les contraintes quantitatives en favorisant la restructuration et en augmentant les volumes de certains types de contingents. D’autre part, bien que le gouvernement helvétique ait démantelé complètement et directement son système de contingentement dans le secteur laitier, une réglementation contraignant les intervenants du secteur laitier à contrôler les volumes commercialisés a été adoptée de façon concomitante. À ces deux occasions, le marché est donc demeuré encadré, limitant le besoin d’intervenir financièrement207. 206 La mise en vente de quotas « Sucre-C » à partir de 2006 pourra cependant complexifier cette question lors d’un éventuel démantèlement du système de contingentement. 207 Dans le secteur du tabac ontarien, une mesure de réinstrumentation visant à coordonner le marché à la suite du démantèlement du contingentement doit être adoptée. Toutefois, puisque la réforme vise essentiellement à abolir la tabaculture au pays, cette intervention ne peut jouer qu’un rôle mineur pour les producteurs affectés. 188 L’exemple australien se distingue à cet égard, car le démantèlement du système de contingentement a été complet, direct et a fait place à un marché libéralisé. Il faut toutefois rappeler que le contrôle de l’offre ne s’appliquait qu’à un volume limité de lait et qu’une grande variété de systèmes de contingentement, régis au niveau des États, étaient opérés simultanément. Pour les raisons évoquées à la section 4.3, une mesure d’indemnisation soutenant les revenus des producteurs a donc été privilégiée. 5.1.2 Mesures de transition et réforme d’un régime de soutien des prix Les régimes de prix administrés (soutien des prix) ont souvent été privilégiés au sein des politiques agricoles inscrites dans le paradigme du développement assisté. Parmi les cas à l’étude, quatre secteurs agricoles évoluaient d’ailleurs, avant leur réforme, sous de tels régimes. C’était le cas en Australie et en Suisse dans le secteur laitier, en Europe dans le secteur sucrier et enfin aux États-Unis dans le cas des arachides (cf. Tableau 10). Bien que les producteurs céréaliers de l’Ouest canadien ne bénéficiaient pas de prix de soutien, la politique de transport du grain a néanmoins eu un effet économique sur les prix, dû au rehaussement des prix des grains auquel elle donnait lieu. Il est donc pertinent de prendre en compte cette expérience de ce point de vue. Les analyses précédentes ont ainsi permis de constater qu’à l’occasion de chacune des réformes impliquant un régime de soutien des prix, des mesures de transition visant à pallier les pertes de revenus ont été adoptées208. Considérant la diversité des mécanismes en place et les spécificités des contextes dans lesquels ils ont été réformés, ce constat est significatif. En fait, des analyses précédentes, deux constats émergent. Tout d’abord, deux tendances se dessinent en ce qui a trait aux types de mesure de transition privilégiés à l’occasion de ces réformes. Ainsi, dans les secteurs qui étaient en marge de l’axe central d’intervention prévu par les politiques agricoles en vigueur, soit ceux du lait en Suisse, du sucre en Europe et des arachides aux États-Unis, les réformes ont 208 Cette observation inclut la mesure d’indemnisation octroyée aux producteurs céréaliers de l’Ouest canadien, bien qu’elle fût versée en lien avec la dévaluation d’un actif (cf. Tableau 10) L’analyse effectuée à la section 4.1 a cependant mis en évidence le fait que ce paiement visait à soutenir les revenus des producteurs affectés par la réforme. 189 entraîné leur assujettissement aux programmes de soutien généraux. Une réinstrumentation a alors été systématiquement observée. Par ailleurs, lorsque la réforme du régime de soutien des prix s’est inscrite, comme en Australie et dans l’Ouest canadien, dans un processus généralisé de déréglementation du secteur, des mesures d’indemnisation ont alors été privilégiées. Dans tous les cas, les mesures de transition adoptées ont impliqué une réorientation globale de l’intervention vers des politiques de soutien des revenus découplées des choix de production. Il est également intéressant de noter que dans les trois cas où une réinstrumentation a été privilégiée au niveau des producteurs agricoles, aucun nouveau programme n’a été développé spécifiquement pour le secteur réformé. Seuls les programmes existants ont été utilisés. Les trois groupes de producteurs visés ont alors bénéficié systématiquement d’un « rachat du soutien », à savoir qu’ils ont reçu une compensation financière directe, continuelle et découplée des choix de production. Il faut cependant remarquer aussi bien en Europe, en Suisse, qu’aux États-Unis, que les gouvernements avaient à leur disposition, avant la réforme du secteur, des programmes de soutien des revenus leur permettant d’accorder de tels paiements directs découplés. Le niveau de soutien prévu par les différentes mesures de transition proposées en contrepartie des réformes des régimes de soutien des prix constitue le deuxième aspect à considérer. Notons déjà que ces programmes accaparent à eux seuls, dans l’ensemble des cas, la plus grande partie des budgets alloués à l’intervention post-réforme209 (cf. Tableau 10). Ce constat s’applique d’ailleurs aussi bien aux cas où des mesures de réinstrumentation ont été privilégiées, qu’à ceux où des indemnisations ont été octroyées. Il est par ailleurs plus compliqué d’évaluer et de comparer, à l’échelle des bénéficiaires, les niveaux de soutien planifiés à ces occasions. Les analyses précédentes permettent cependant de constater que les expériences ayant impliqué des mesures de réinstrumentation ont prévu – et affiché explicitement – un support individuel relativement plus important que celles où des mesures d’indemnisation ont été utilisées. Ainsi, en 209 Pour chaque mesure de transition, l’estimation tient compte de la répartition des budgets prévus pour l’ensemble de la période où les programmes ont été en vigueur. Notons l’aspect purement indicatif de cette pondération. 190 Europe, afin de stabiliser le niveau des dépenses communautaires, les autorités ont offert aux producteurs de betteraves un paiement direct correspondant à 62,4 % du soutien précédent. Aux États-Unis, on a estimé que le principal groupe de producteurs d’arachides affectés devait recevoir un support équivalent à 95 % des revenus précédents. En Suisse, les autorités ont garanti que tous les fonds retirés aux mécanismes de soutien du marché dans le secteur laitier allaient être réalloués aux paiements directs. Les analyses des réformes où des indemnisations ont été privilégiées, soit celles du secteur laitier australien et de la politique de transport du grain dans l’Ouest canadien, ont, quant à elles, mis en évidence l’absence de référence explicite permettant de juger du degré de dédommagement offert. Selon les estimations proposées par les observateurs, ces niveaux de support apparaissent toutefois moins élevés que dans les cas de réinstrumentation. Ainsi, en Australie, l’indemnité a correspondu, en moyenne, à la poursuite du support initial sur trois années supplémentaires, tandis que dans le secteur céréalier canadien, le montant n’aurait couvert que 20 % environ de la valeur actualisée de la subvention abolie. 5.1.3 Mesures de transition et réforme du régime tarifaire À l’exception des deux cas canadiens, les régimes de protection tarifaire ont été l’une des trois composantes d’intervention utilisées au sein de tous secteurs de production à l’étude. Les analyses de cas ont montré que lors des réformes de ces secteurs, les deux autres composantes d’intervention, soit les mécanismes de contingentement et de soutien des prix, ont systématiquement fait l’objet d’ajustements. Ce ne fut cependant pas le cas des régimes tarifaires qui n’ont, quant à eux, jamais été impliqués directement dans ces processus210 (cf. Tableau 10). L’étude de ces expériences démontre par ailleurs que ces régimes ont été, à chaque occasion, modifiés avant la réforme de la politique d’intervention. Rappelons en effet que l’ouverture du marché américain aux arachides mexicaines, le protocole « Tout sauf les armes » de l’Union européenne et les ententes de libre-échange entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande ainsi qu’entre la Suisse et l’Union européenne pour 191 les fromages ont non seulement précédé les réformes dans les secteurs concernés, mais ont également motivé les gouvernements à entreprendre ces dernières. Dans la majorité des cas, la menace d’une compétition internationale accrue – face à une industrie domestique insuffisamment compétitive – a d’ailleurs été l’une des principales justifications avancées pour expliquer le projet de réforme. Cette observation est significative, car elle met en évidence le rôle de « catalyseur » joué par le processus de libéralisation commerciale dans les projets de réforme en agriculture. À cet égard, il est intéressant de constater que dans tous les cas à l’étude, sauf en Australie, la libéralisation introduite avant la réforme était partielle, en ce sens qu’elle ne concernait qu’une partie du marché domestique, ou encore qu’une catégorie de pays exportateurs dont les parts de marché étaient d’ailleurs restreintes. Quoi qu’il en soit, cette ouverture est apparue, à chaque occasion, suffisante pour justifier une réforme plus fondamentale des modes d’interventions en place dans les secteurs concernés. La question de savoir si ces ajustements aux régimes tarifaires ont été véritablement souhaités par les intervenants, imposés par des obligations externes ou encore introduits comme stratégie politique visant à préparer une plus imposante réforme, va toutefois au-delà des objectifs de ce mémoire. Mentionnons, d’autre part, qu’à aucune reprise, dans les cas à l’étude, une mesure de transition n’a été adoptée directement en lien avec la réforme d’un régime tarifaire. Le fait que ces réformes aient été suivies de la révision des cadres d’intervention régissant les secteurs concernés peut par ailleurs expliquer ce phénomène. D’ailleurs, dans la plupart des cas, lorsqu’est venu le temps de proposer des mesures de transition, la baisse anticipée des prix domestiques due à l’ouverture des marchés a été prise en compte au même titre que celle attendue de la réforme des mécanismes de prix de soutien. 210 En Suisse, certains ajustements ont été apportés au régime tarifaire, mais ceux-ci concernaient essentiellement l’administration des contingents tarifaires et non le degré de protection du secteur laitier directement. 192 5.1.4 Réforme de politiques agricoles et mesures de transition : autres constatations Outre les constats relatifs à la nature et au contexte d’utilisation des mesures de transition lors de la réforme des différents mécanismes d’intervention en agriculture, d’autres remarques s’imposent à la suite des analyses individuelles effectuées aux sections précédentes. Puisque celles-ci peuvent nourrir la réflexion quant aux modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne, il importe de les aborder succinctement. Une première constatation concerne le rôle joué par les mesures d’ajustement dans le cadre des réformes à l’étude. En effet, les caractéristiques de l’intervention post-réforme exposées au Tableau 10 indiquent que de telles mesures ont été privilégiées dans quatre des six cas retenus. Elles n’ont pas été abordées à ce stade puisqu’elles accompagnaient, pour la plupart, non pas la réforme d’un mécanisme d’intervention en particulier, mais plutôt le déroulement global de celle-ci. Il importe de remarquer qu’à l’exception de la Suisse, les mesures d’ajustement n’étaient pas dédiées aux producteurs agricoles, mais plutôt à des intervenants en marge de la politique agricole, tels que des communautés rurales, des institutions agricoles et certains partenaires économiques. De même, il est intéressant de constater que parmi les six mesures d’ajustement recensées, cinq étaient à « caractère économique » et favorisaient la « compétitivité » des intervenants. Ainsi, bien que certaines réformes, dont celles du secteur laitier en Australie et du sucre dans l’Union européenne, aient poursuivi explicitement des objectifs de « restructuration », les mesures d’ajustement de cette catégorie n’ont pas été privilégiées. À ces occasions, des mesures d’assistance sont apparues plus appropriées. Remarquons que seule la Suisse a eu recours à une mesure à caractère « légal ». Il faut cependant reconnaître que ces interventions sont complexes à retracer dans le cadre d’une réforme, car elles peuvent intervenir en marge du secteur concerné ou de la politique réformée. Elles sont donc peut-être plus courantes que ne l’indique le Tableau 10. 193 Il est difficile d’évaluer l’importance de ce type de mesure et de prévoir leur contexte d’utilisation lors de réformes de politiques agricoles. À cet égard, les parts qu’elles occupent dans le budget total d’intervention post-réforme reflètent certainement incorrectement leur portée réelle et leur impact sur le déroulement des réformes. Le support réservé aux intervenants en amont et en aval de la production est un deuxième aspect intéressant à prendre en considération. Les analyses précédentes ont ainsi démontré que ces intervenants sont rarement soutenus lors des réformes. L’exemple du secteur sucrier européen se distingue sur ce point, mais les sucreries (i.e. transformateurs) étaient alors partie intégrante du régime d’intervention, ce qui n’est pas commun. Dans la majorité des cas, les autorités ont plutôt indiqué que les retombées de la réforme et celles des mesures de transition applicables au secteur de production devaient être profitables aux entreprises situées en amont et en aval. Une troisième observation s’impose quant au rythme auquel les réformes ont été appliquées. Il est en effet étonnant de constater que la plupart des réformes ont été mises en œuvre et menées à terme dans un très court laps de temps après leur annonce. Les délais ont ainsi été de quatre mois aux États-Unis, de neuf mois en Australie et de moins d’un an dans le cadre des expériences canadiennes. Ajoutons qu’à ces quatre occasions, les principales composantes de l’intervention211 sujettes à la réforme ont également été complètement abolies. Ce constat est intéressant, car il tend à démontrer qu’une fois la décision de réformer prise – suite à une libéralisation partielle des marchés par exemple – les autorités n’ajustent pas nécessairement leur politique de manière graduelle, de façon à la maintenir en vigueur au cours de la période de transition. Au contraire, il semble qu’une réforme rapide et en profondeur des mécanismes d’intervention soit plutôt privilégiée. Mentionnons que les cas de réforme dans les secteurs laitier suisse et sucrier européen se distinguent une fois de plus à cet égard. En effet, dans ces deux cas, les ajustements ont été 211 Aux États-Unis, la réforme a été décrite comme ayant été partielle. Toutefois, le régime de contingentement, qui caractérisait le secteur de production des arachides, a été quant à lui complètement aboli. 194 introduits de façon graduelle. Il faut toutefois rappeler que ces expériences s’inscrivaient dans un processus de réforme beaucoup plus vaste, à la fois planifié et graduel. Notons enfin qu’en aucune occasion, des actifs utilisés directement en production, tels que les bâtiments, la machinerie ou les troupeaux, ont fait l’objet d’une aide étatique et ce, malgré leur possible dévaluation due à leur spécificité. 5.1.5 L’ascendance globale de la théorie sur les processus de réforme Le cadre théorique et conceptuel développé au chapitre 2 a mis en évidence l’influence du paradigme du marché libéral dans le courant de réforme observé en agriculture, ainsi que la place occupée, dans ce dernier, par les principes de l’économie du bien-être. En adoptant cette perspective, les projets de réforme sont alors évalués sur la base des gains que chacun génère, comparativement à ses coûts, en termes d’efficacité économique. Ce principe, qui vise à dicter les choix en matière d’intervention étatique dans l’économie, est formellement défini en tant que « test de compensation » (cf. section 2.2.3). Rappelons que selon la théorie, ce test n’engage pas nécessairement à verser réellement la « compensation ». Toutefois, compte tenu que différents types de support ont effectivement été octroyés lors des réformes à l’étude, les analyses du chapitre 4 ont cherché à évaluer si les aides versées ont pris la forme d’une transposition du « test de compensation » décrit par le cadre théorique. Cet exercice a été mené dans chacun des cas étudiés, en confrontant globalement les composantes du « test de compensation » à celles des mesures de transition alors mises en œuvre. Plus précisément, les trois aspects suivants ont été considérés : • La spécification des perdants, soit les individus pénalisés par la réforme ; • Le niveau de « compensation » accordé, devant correspondre aux pertes assumées ; • L’origine du financement, provenant théoriquement des gains perçus par les bénéficiaires. Le constat général qui émerge des analyses précédentes est à l’effet qu’en aucune occasion, les mesures de transition adoptées n’ont constitué, de façon formelle et explicite, une transposition du « test de compensation » à un contexte de réforme. Cette observation, bien que ne contredisant pas la perspective théorique, implique néanmoins que les 195 gouvernements n’ont pas recherché, par le biais d’interventions ciblées, à transformer des situations « potentiellement Pareto-supérieures » en situations « Pareto-supérieures ». Autrement dit, les autorités ont admis implicitement que la réforme allait laisser, potentiellement, des individus avec un niveau de « bien-être » moindre que sous leurs conditions initiales. En fait, pour chacun des cas à l’étude, les critères nécessaires pour conclure que l’intervention post-réforme a constitué une transposition du « test de compensation » ont été rarement respectés. Ainsi, les analyses ont relevé une très grande disparité en ce qui a trait à la spécification des perdants et ce, tout particulièrement en ce qui concerne les intervenants situés en amont et en aval du secteur réformé. En fait, en aucune occasion la liste des bénéficiaires de l’aide – aussi complète fut-elle – ne pouvait afficher une exhaustivité, comme l’ont fait remarquer certains observateurs. À cet égard, il faut se questionner quant au réalisme de pouvoir définir et recenser systématiquement tous les perdants éventuels d’une réforme. L’insuffisance apparente des « compensations » versées aux individus pénalisés constitue une seconde lacune rencontrée dans la transposition du « test de compensation ». En fait, les autorités gouvernementales n’ont jamais indiqué officiellement que le support octroyé devait dédommager complètement et systématiquement les pertes subies. L’estimation même de ces pertes – lorsqu’elle était disponible – pouvait être questionnée quant à son exhaustivité, non seulement quant aux coûts sociaux mesurés, mais aussi quant à la prise en compte des coûts privés de réformer. Ceci ne signifie pas, par ailleurs, qu’une « compensation » suffisante n’ait pas été perçue par certaines catégories d’individus. Le soutien octroyé aux producteurs de betteraves en Europe et à ceux d’arachides aux ÉtatsUnis, combiné aux conditions de marché, a peut-être même permis à certains d’entre eux d’améliorer leur situation financière. Toutefois, la plupart des observateurs s’étant intéressés aux cas à l’étude ont conclu que les compensations ont été partielles. Les modes de financement privilégiés ont respecté, quant à eux, la logique du « test de compensation » à quelques occasions. L’exemple le plus caractéristique est celui de l’Australie, où les consommateurs – perçus comme étant les principaux bénéficiaires de la réforme – ont été amenés à financer le principal programme d’intervention adopté lors de la 196 réforme du secteur laitier. Cette démarche, très explicite, est toutefois unique parmi les cas à l’étude. Il faut en fait reconnaître que les « gagnants » des réformes ont rarement été appelés à participer au financement des mesures de transition. Outre l’exemple australien et ceux où les gouvernements (i.e. contribuables) sont apparus être les principaux bénéficiaires, seul le cas du secteur sucrier européen présente un mécanisme de financement mettant à contribution des gagnants anticipés, soit les sucreries demeurant sous le régime de contingentement. Ainsi, à l’instar des deux autres critères du « test de compensation », il ne semble pas que le transfert des gains des gagnants vers les perdants soit apparu être une finalité poursuivie par les gouvernements lors de leurs interventions post-réformes. À la lumière de ces constats, il serait possible d’affirmer qu’à défaut d’une transposition intégrale du « test de compensation », plusieurs gouvernements auraient plutôt respecté le principe de compensation. En effet, dans la plupart des cas, il a été admis que les bénéfices attendus de la réforme allaient outrepasser les coûts devant affecter certaines catégories d’individus. Autrement dit, les gains anticipés seraient apparus suffisants pour compenser potentiellement les perdants. Toutefois, aucune indication officielle ne permet de conclure que cette finalité caractérisait formellement l’approche gouvernementale lors de ces réformes. En somme, puisque la notion « d’efficacité économique » a été au cœur de la majorité des expériences de réforme à l’étude, il semble que le paradigme du marché libéral ait eu une influence certaine sur la façon dont elles ont été menées. L’étude des interventions postréformes adoptées révèle par ailleurs que s’il y a eu « compensation » dans la plupart des cas, il n’est pas possible de conclure qu’il s’agissait là d’une transposition formelle – même partielle – du « test de compensation ». 5.2. Discussions et conclusion Rappelons que l’objectif poursuivi dans le cadre des analyses effectuées au chapitre 4 a été de répondre à la deuxième question de recherche de ce mémoire, à savoir d’évaluer la façon 197 dont les principes économiques d’intervention exposés au chapitre 2 pouvaient être transposés à une expérience réelle de réforme en agriculture. De ces analyses ont d’ailleurs émané un certain nombre de tendances, qui ont été exposées dans le cadre d’une analyse transversale, réalisée à la section précédente. Ainsi, d’un point de vue conceptuel, il est possible d’affirmer que les résultats obtenus précédemment constituent une réponse à la deuxième question de recherche posée. Par ailleurs, puisque l’objectif général du mémoire est de contribuer à la réflexion quant aux modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement canadien lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière, il est proposé, à la section suivante, d’évaluer la portée des tendances étudiées à la section 5.1 en lien avec la réalité de ce secteur de production au Canada. Enfin, la section 5.2.2 complète ce mémoire en proposant une conclusion globale et en exposant les limites de cette recherche. 5.2.1 Interventions post-réformes et inférences avec le secteur laitier canadien À l’instar de la démarche privilégiée à la section 5.1, l’analyse proposée ici se développe sur la base des mécanismes d’intervention caractérisant la gestion de l’offre canadienne, soit le contingentement de l’offre, l’administration de prix de soutien et le contrôle des importations. Il importe de noter que cet exercice n’a pas pour objectif de proposer un quelconque scénario de réforme ou encore un ensemble particulier de mesures de transition pour y faire suite. Il est plutôt proposé d’évaluer la façon dont les tendances exposées à la section 5.1 se transposent à la réalité du secteur laitier canadien. 5.2.1.1 La réforme éventuelle du système de contingentement En se référant aux résultats obtenus précédemment, une éventuelle réforme du système de contingentement dans le secteur laitier canadien n’impliquerait pas l’adoption de mesure de transition de nature financière visant à dédommager les détenteurs de quotas. En effet, contrairement aux détenteurs de « quotas arachides » aux États-Unis qui n’étaient pas, pour la plupart, actifs dans cette production ou encore aux tabaculteurs de l’Ontario évoluant 198 dans un secteur appelé à être abandonné, les détenteurs de quotas canadiens sont euxmêmes producteurs laitiers et se retrouvent dans un secteur de production appelé non seulement à perdurer à la suite d’une réforme, mais aussi à se développer dans un environnement beaucoup plus compétitif. Conséquemment, les modèles d’intervention post-réforme utilisés dans les secteurs laitiers suisse et australien et privilégiant le soutien des revenus plutôt que le dédommagement pour la dévaluation d’actifs, pourraient alors être davantage favorisés. Ce constat de non-intervention au niveau des quotas doit cependant être nuancé par certains autres paramètres mis en évidence par les analyses de cas. Ainsi, la question de l’obligation juridique de compenser pourrait modifier cette situation. En effet, comme l’indique Martini (2007, p.10), « la seule véritable contrainte qui pèse sur les choix publics est le respect des règles de droit et de la Constitution du pays ». À cet égard, l’abolition d’un tel actif, selon la nature juridique qu’on lui accorde au Canada, pourrait peut-être influencer la décision gouvernementale d’intervenir financièrement auprès des producteurs. Le rythme et le degré de démantèlement du système de contingentement constituent un second ensemble de paramètres à considérer. En effet, les réformes à l’étude qui ont été graduelles ou partielles n’ont généralement pas impliqué de mesures financières afin de soutenir les détenteurs de quotas, puisqu’à ces occasions, les marchés sont demeurés relativement encadrés. En admettant qu’il soit possible pour le gouvernement canadien d’influer sur ces paramètres, un vaste éventail de stratégies de réforme s’offrirait alors, limitant du coup la nécessité de dédommager les détenteurs de quotas. Il faut par ailleurs reconnaître que des contraintes externes, tel un accord commercial ou des poursuites juridiques, peuvent restreindre cette liberté d’action. Qui plus est, les résultats précédents tendent à démontrer que les réformes, lorsqu’elles ne s’inscrivent pas déjà dans un processus de révision à long terme à l’instar des secteurs laitier helvétique et sucrier européen, tendent à être rapides et directes à la suite de leur annonce. Puisque la politique laitière canadienne ne s’inscrit pas dans un tel agenda de réforme, il serait donc légitime d’envisager, sur la base des résultats précédents, que son démantèlement serait direct, même si la période d’ajustement prévu par un accord commercial permettrait une 199 approche davantage graduelle. Une telle perspective devrait alors être prise en compte dans la décision d’intervenir financièrement auprès des détenteurs de quotas. En ce qui a trait au niveau des paiements qui pourraient être versés aux producteurs laitiers canadiens pour la dévaluation de leurs quotas, les analyses indiquent qu’il ne relève jamais de références économiques explicites. Le processus politique, dans lequel les producteurs peuvent jouer un rôle certain de collaborateur ou d’opposant, semble plutôt primer. 5.2.1.2 La réforme éventuelle du régime de prix de soutien En aucune occasion dans les cas à l’étude, une réforme d’un régime de soutien des prix n’a été menée sans l’adoption subséquente d’une mesure de transition visant à soutenir les revenus des producteurs affectés par cette décision. Dans cette perspective, tout porte à croire que les producteurs laitiers bénéficieraient également d’une telle intervention dans l’éventualité d’une réforme de la politique laitière canadienne. Plus précisément, en se basant sur les analyses précédentes, il semble que des mesures de réinstrumentation seraient privilégiées par le gouvernement. En effet, puisque la réforme de la politique laitière canadienne risque peu de mener à une déréglementation complète du secteur, il est probable que l’approche utilisée dans les secteurs laitier helvétique, sucrier européen et des arachides aux États-Unis soit davantage favorisée. De fait, à l’instar de ces trois exemples, le secteur laitier canadien évolue présentement en marge des programmes canadiens de soutien à l’agriculture contenus dans le Cadre stratégique agricole (CSA). Dans cette perspective, les producteurs laitiers seraient alors assujettis aux mesures en vigueur, soit celles prévues dans le volet « Gestion des risques de l’entreprise » du CSA. Rappelons par ailleurs que les réinstrumentations observées dans les trois cas cités ont été articulées sur des programmes non seulement existants avant la réforme du secteur concerné, mais privilégiaient également des mécanismes de soutien des revenus permettant d’octroyer aux producteurs concernés des paiements directs découplés, prédéterminés et continuels dans le temps. À cet égard, il est possible de se questionner sur la capacité des programmes de soutien des revenus canadiens d’offrir des types de paiements comparables. En effet, les programmes contenus dans le volet « Gestion des risques de l’entreprise » du 200 CSA visent surtout à protéger les producteurs contre les baisses de leurs marges de revenus. Les paiements offerts fluctuent donc annuellement, selon les conditions de marché et selon les performances économiques de chaque entreprise. En fait, dans la perspective où le gouvernement canadien souhaiterait adopter cette tendance en matière de réinstrumentation et ainsi garantir un certain niveau de revenu aux producteurs, les programmes fédéraux existants apparaissent insuffisants. Pour pallier ce manque, une contribution provinciale pourrait-elle être exigée? Une réinstrumentation impliquant l’adoption de nouveaux programmes spécifiques au secteur laitier serait-elle nécessaire? Ces questions, tout comme l’évaluation en détails du degré de soutien que pourraient offrir, sous les conditions actuelles, les programmes du CSA vont toutefois audelà des objectifs de ce mémoire. 5.2.1.3 La réforme éventuelle du régime tarifaire En ce qui a trait aux réformes des régimes tarifaires, le principal constat émanant des analyses précédentes est à l’effet que les projets, mêmes partiels, d’ouverture des marchés domestiques servent constamment de « catalyseur » à l’adoption d’un processus de réforme beaucoup plus vaste des mécanismes d’intervention utilisés dans le secteur agricole concerné. Les négociations qui se déroulent à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) constituent, présentement, le projet de libéralisation le plus à même de provoquer une telle ouverture du marché laitier canadien. Ainsi, nonobstant l’importance des engagements en matière d’accès aux marchés qui pourraient résulter d’un tel accord et de leurs impacts possibles sur les prix des produits laitiers au Canada, les analyses précédentes semblent indiquer que la simple annonce d’une signature pourrait entrainer le secteur laitier dans un processus de réforme rapide et direct et ce, même si une période d’ajustement de plusieurs années est accordée. Une telle perspective renverrait alors aux analyses précédentes abordant les conséquences possibles d’une réforme des composantes de la politique laitière canadienne en matière d’intervention post-réforme. 201 5.2.2 Conclusion Le système de gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien est confronté à des défis majeurs et l’éventualité qu’il doive un jour faire l’objet d’une réforme est une option qui doit être considérée. Face à la période de transition qui s’en suivrait, plusieurs observateurs jugent que le gouvernement pourrait être appelé à intervenir. Bien que la prise en compte de cette perspective puisse permettre de mieux appréhender une réforme et les coûts qui en découleraient, peu d’études se sont pourtant attardées jusqu’ici à étudier systématiquement les interventions qui pourraient alors être adoptées par le gouvernement canadien. Conséquemment, ce mémoire avait pour objectif général de contribuer à approfondir et à structurer la réflexion déjà amorcée dans la littérature quant aux modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière canadienne. Plus précisément, l’analyse s’est attardée à répondre aux deux questions suivantes : • Face au phénomène de réformes de politiques publiques, quels sont les principes économiques fournis par la théorie et la littérature quant aux types d’interventions gouvernementales pouvant être adoptés pour y faire suite ? • De quelles façons ces principes peuvent-ils être transposés à une expérience réelle de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier canadien ? L’analyse développée au chapitre 2 a permis de répondre à la première question de recherche en situant, tout d’abord, la perspective théorique dans laquelle les processus de réforme observés en agriculture se sont inscrits au cours des dernières années. Ainsi, l’émergence du paradigme du marché libéral, soutenu par les préceptes de l’économie du bien-être, apparaît être un facteur majeur influençant la décision de réformer. Trois justifications normatives, liées à cette perspective théorique, sont quant à elles couramment avancées dans la littérature afin de légitimer – ou non – le recours à une intervention postréforme. Celles-ci sont l’efficacité, l’équité et les considérations d’ordre politique. L’étude de ces concepts a par ailleurs mis en évidence les lacunes de ce corps théorique aussi bien pour anticiper de façon ex ante des interventions gouvernementales que pour les étudier de manière ex post. Enfin, l’analyse menée au chapitre 2 a permis de catégoriser 202 conceptuellement, selon les objectifs poursuivis et les modalités de mise en œuvre, quatre mesures de transition pouvant être déployées par un gouvernement à la suite d’une réforme, soit celles d’ajustement, d’indemnisation, d’assistance et de réinstrumentation. Cet exercice a fourni les éléments théoriques et conceptuels nécessaires à la compréhension du phénomène de réforme et des interventions gouvernementales subséquentes, permettant ainsi de répondre à la seconde question de recherche de ce mémoire. De fait, l’analyse à caractère empirique, spécifiée au chapitre 3 et développée aux chapitres 4 et 5 de façon individuelle et transversale, a permis d’évaluer de quelles façons les principes économiques développés au chapitre 2 pouvaient être transposés à une expérience réelle de réforme similaire à celle que pourrait éventuellement vivre le secteur laitier canadien. Des résultats obtenus par cette analyse, certaines tendances ont été soulevées et exposées à la section 5.1. La section 5.2 a, quant à elle, proposé une évaluation globale de la portée des tendances étudiées à la section 5.1, en lien avec la réalité du secteur laitier canadien. Cette discussion a, conformément à l’objectif de ce mémoire, contribué à la réflexion amorcée dans la littérature quant aux modes d’intervention qui pourraient être déployés par le gouvernement canadien lors d’un éventuel démantèlement de la politique laitière. En somme, deux constats déterminants ont émané de cette analyse. Le premier est qu’à l’instar des pays à l’étude, il est fort probable que le Canada, dans l’éventualité d’une réforme du secteur laitier canadien, soit amené à mettre en œuvre certaines mesures de transition, ne serait-ce que par le biais d’une réinstrumentation. Bien qu’il ne revienne pas à ce mémoire de prescrire un mode d’intervention spécifique, cette observation soulève l’enjeu des considérations budgétaires à prévoir. En effet, compte tenu du nombre de producteurs et de la taille du secteur laitier canadien, toute intervention impliquerait nécessairement des sommes non négligeables et ce, pour les deux paliers de gouvernement. Cette considération budgétaire, sans avoir été étudiée explicitement dans le cadre de notre analyse, influence certainement la façon dont sont menées les réformes de politiques publiques et sont établies les mesures de transition subséquentes. Plusieurs enjeux peuvent d’ailleurs y être rattachés. Par exemple, certains auteurs travaillant à partir de la théorie du 203 Public Choice affirment que le protectionnisme devient plus attrayant pour les autorités lorsque les coûts estimés de la compensation apparaissent élevés. Conséquemment, pourrait-on expliquer le soutien politique accordé au système de gestion de l’offre au Canada par l’appréhension qu’ont les autorités de devoir débourser des sommes trop importantes advenant une réforme? Ceci est un exemple d’hypothèse de recherche qui pourrait faire l’objet de travaux ultérieurs, ceci afin de mieux comprendre l’influence qu’a l’environnement politico-économique par rapport à l’évolution et à l’avenir du système de gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien. De fait, à la lumière de notre analyse, force est d’admettre que cet environnement est déterminant dans la façon dont sont menées les réformes de politiques agricoles. Ce second constat implique que ce serait surtout le contexte – impondérable – dans lequel s’inscrirait une éventuelle réforme de la politique laitière canadienne qui conditionnera la plupart des paramètres fondamentaux qui influenceront la décision d’intervenir et les modalités qui caractériseront les programmes qui pourraient être adoptés au Canada. Cette observation constitue en fait la principale limite de cette recherche. En effet, le contexte sociopolitique dans lequel s’inscrit un projet de réforme fait de chacun une expérience unique, complexe et dont le déroulement est en partie imprévisible. En adoptant un point de vue théorique, la discussion proposée à la section 2.5 a d’ailleurs mis en évidence l’impossibilité d’anticiper, dans une perspective ex ante, un modèle d’intervention post-réforme et ce, aussi bien en adoptant une optique économique que politique. La démarche empirique proposée par la suite, tout en ayant permis de faire émerger certaines tendances en matière d’intervention post-réforme, présente également cette même limite qui restreint la portée des inférences proposées. Bien qu’une augmentation du nombre de cas à l’étude n’aurait pu contribuer à rendre davantage généralisables les inférences proposées, la sélection de ceux qui ont été retenus et la façon dont leurs programmes de transition ont été étudiés ont nécessairement influencé les résultats obtenus. À cet égard, rappelons que seuls les programmes d’intervention accompagnant l’annonce des réformes ont été pris en considération et non les mesures ad hoc ultérieures qui sont venues compléter l’intervention initiale. Ce choix s’explique par la 204 volonté d’étudier ce phénomène dans une perspective ex ante, et non à la lumière des conséquences économiques effectives de la réforme. Il est par ailleurs intéressant de noter que ces interventions ad hoc ont été observées couramment, ce qui tend à démontrer que les mesures initiales répondent rarement aux besoins des milieux. En fait, d’autres approches auraient également pu être privilégiées afin d’aborder l’objectif de ce mémoire. Ainsi, au lieu d’avoir recours à une analyse de cas, une étude plus directe de l’évolution de la politique laitière canadienne, dans une perspective institutionnaliste par exemple, aurait pu fournir un éclairage différent sur les enjeux à prendre en considération dans l’éventualité d’une réforme. Le fait que peu de recherches se soient intéressées, à ce jour, à étudier systématiquement les modes d’intervention pouvant être mis de l’avant dans un contexte de réformes de politiques publiques a cependant justifié le choix de notre démarche. La catégorisation des modes d’intervention qui en a résulté, en étant généralisable à d’autres contextes de réforme, constitue d’ailleurs un apport conceptuel non négligeable de ce mémoire. En guise de conclusion, il apparaît important de se questionner sur la cohérence du paradigme économique actuel sur lequel repose la plupart des projets de réforme en agriculture. En effet, à la lumière de notre analyse, il semble exister une lacune conceptuelle, sinon théorique, entre la perspective défendue par le paradigme du marché libéral – qui privilégie une déréglementation et un laisser-faire économique en agriculture – et la pratique courante des États. Ces derniers, qui se retrouvent aux prises avec les conséquences des réformes, se voient ainsi, plus souvent qu’autrement, dans l’obligation d’intervenir afin de faire face non seulement aux coûts sociaux – potentiellement mesurés – de la réforme, mais aussi aux importants coûts privés supportés par les différents intervenants du milieu et rarement pris en compte dans les analyses économiques. Les politiques de transition mises de l’avant à ces occasions ne correspondent d’ailleurs que rarement avec celles qui sont justifiées par la théorie économique. Sachant que la discussion proposée à la section 2.5 a mis en évidence l’inconsistance des perspectives théoriques dans le but de justifier l’intervention post-réforme, ce constat n’est pas étonnant, mais il n’en demeure pas moins problématique. En effet, le paradigme du marché libéral, 205 sous le couvert de la notion « d’efficacité économique », influence grandement l’orientation générale donnée aux réformes observées en agriculture, mais se révèle inconsistant une fois la réforme mise en œuvre et la période de transition entamée. Les considérations sociales et politiques, impondérables au moment de la planification, prennent alors le dessus, menant le secteur réformé dans une direction que seules les forces en présence peuvent orienter, mais ceci, dans l’intérêt de qui, de quoi ? Bibliographie House of Representatives. (2001). Formulation of the 2002 Farm Bill (Peanut Program, Foreign Trade). Committee on Agriculture, Subcommittee on Specialty Crops and Foreign Agriculture Programs. 107th Congress. First Session. Chambre des Communes. (2006). Témoignage devant le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire. 39e Législature. 1re Session AAC (1996). 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