ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES COMMERCIALES AFFILIÉE À L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL LA STRUCTURATION DU RAPPORT ENTRE L’ÉTAT ET LA SOCIÉTÉ CIVILE DANS LE DÉVELOPPEMENT LOCAL AU QUÉBEC : LE CAS DE CDÉC MONTRÉALAISES par Annie Camus Sciences de la gestion Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de maître ès sciences (M.Sc.) Décembre 2002 © Annie Camus, 2002 i Sommaire Qu’en est-il du rapport entre l’État et la société civile, de son évolution et de sa transformation dans le temps, plus précisément dans le domaine du développement local au Québec ? Pour tenter de répondre à cette question, nous avons étudié le rapport entre les Corporations de développement économique communautaire (CDÉC) de Montréal et l’État québécois. Nous avons retenu le cas de deux CDÉC : la CDÉC Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal qui est parmi les plus anciennes CDÉC au Québec et la CDÉC Côte-des-Neiges/Notre-Dame-deGrâce qui est de la plus récente génération. Qui plus est, notre étude s’est concentrée autour d’un événement bien précis, plaque tournante décisive dans le rapport État/CDÉC soit la négociation et l’obtention par les CDÉC montréalaises du mandat de Centre local de développement (CLD) suite au dépôt de la Politique de soutien au développement local et régional du gouvernement québécois en 1997. Le mémoire présente un historique élaboré suite à une revue de la littérature empirique, une revue de la littérature conceptuelle conduisant à l’énoncé de la problématique, un cadre théorique et des dimensions d’analyse ainsi que la méthodologie (qualitative), pour enchaîner avec la présentation des cas (les deux CDEC, l’État, les étapes vers le mandat CLD), puis l’analyse et l’interprétation des résultats avant de conclure. Quatre dimensions ont été identifiées et mobilisées pour l’étude en profondeur du rapport entre les CDÉC et le gouvernement du Québec : les dimensions individuelle, organisationnelle, institutionnelle et celle des rapports sociaux. Cette recherche a permis dans un premier temps de caractériser le rapport avant le mandat CLD, ainsi que quelques années plus tard, après le mandat CLD, et dans un deuxième temps d’explorer son évolution à travers l’étude de sa structuration. Ainsi, avant le mandat CLD, la configuration du rapport se dessine avec des « liens faibles », peu formalisés, entre l’État et les CDÉC alors qu’après, les liens sont beaucoup plus forts et beaucoup plus formalisés. Quant à la structuration du rapport dans le temps, il ressort que les dimensions organisationnelle et institutionnelle sont les matériaux sur lesquels les acteurs se sentent pouvoir agir et de ce fait sont des dimensions davantage réceptives à la dimension volontariste de la production-reproduction des structures sociales alors que les dimensions individuelle et des rapports sociaux constituent les dimensions plus difficilement accessibles et de ce fait plus stables dans le temps. On pourrait donc les associer davantage au caractère déterministe de la production-reproduction du social. ii Table des matières Sommaire .......................................................................................................................................... i Table des matières............................................................................................................................ii Liste des tableaux............................................................................................................................vii Liste des sigles et acronymes ..........................................................................................................ix Remerciements ...............................................................................................................................xii Introduction....................................................................................................................................... 1 Chapitre 1. Le développement local au Québec : une perspective historique .................................. 5 L’État et le développement au Québec de 1945 à 1997 .............................................................. 5 L’après-guerre : de 1945 aux années 1960 ............................................................................ 6 La années 1960 (la Révolution tranquille) et les années 1970 ................................................ 6 L’après-fordisme : les années1980-1990................................................................................. 9 Les communautés locales québécoises et leur développement de 1945 à 1997....................... 14 De la revendication à la concertation et à l’engagement dans l’économique......................... 14 L’émergence des initiatives de développement local au Québec .......................................... 20 Une nouvelle initiative communautaire dans l’économique : les CDÉC à Montréal ............... 22 État et communautés locales aujourd’hui : à la croisée des chemins ?...................................... 28 Les espoirs, les enjeux et les critiques................................................................................... 29 La rencontre entre l’État et la société civile dans le développement local au Québec........... 31 Chapitre 2. Rapport État / société civile et développement local : la littérature conceptuelle ......... 33 Un bref survol… ......................................................................................................................... 33 Le rapport État-société civile.................................................................................................. 33 Le développement local......................................................................................................... 34 Les points communs .................................................................................................................. 40 Modernité, crises et remises en question : le point de départ ................................................ 41 Les nouvelles initiatives face à la crise .................................................................................. 44 Les approches conceptuelles du rapport entre État et société civile.......................................... 47 Économie plurielle et modèle de développement .................................................................. 48 Développement économique communautaire (DÉC)............................................................. 53 Gouvernance locale/décentralisation..................................................................................... 55 Partenariat et concertation..................................................................................................... 60 iii La problématique du rapport État/société civile dans le développement local au Québec......... 64 Chapitre 3. Le rapport État/société civile comme construction sociale : cadre théorique et dimensions d’analyse ..................................................................................................................... 67 Les fondements théoriques........................................................................................................ 67 La théorie de la structuration ................................................................................................. 68 Éléments théoriques pour une sociologie de l’entreprise....................................................... 71 Articulation des deux approches et dimensions d’analyse ......................................................... 78 Dimension individuelle ........................................................................................................... 83 Dimension organisationnelle.................................................................................................. 85 Dimension institutionnelle ...................................................................................................... 89 Dimension des rapports sociaux............................................................................................ 92 Chapitre 4. Considérations méthodologiques................................................................................. 95 La démarche de recherche ........................................................................................................ 95 Une approche inductive et qualitative .................................................................................... 95 Fidélité et validité ................................................................................................................... 96 Les limites du champ d’analyse ............................................................................................. 98 Le déroulement de la recherche ............................................................................................ 99 Les instruments de l’observation.............................................................................................. 100 Les entretiens ...................................................................................................................... 100 La collecte documentaire..................................................................................................... 102 Chapitre 5. La Corporation de développement économique communautaire Centre-Sud/PlateauMont-Royal : une CDÉC de première génération ......................................................................... 105 Historique : la fusion de deux organismes ............................................................................... 105 Le territoire de l’arrondissement CS/PMR................................................................................ 111 La mission et les services de la CDEC CS/PMR...................................................................... 113 Information et référence....................................................................................................... 115 Conseil en gestion ............................................................................................................... 116 Formation et accompagnement ........................................................................................... 116 Financement........................................................................................................................ 118 La concertation locale .............................................................................................................. 119 La Table de promotion de la main d’œuvre locale ............................................................... 120 iv La Table pour l'aménagement du Centre-Sud ..................................................................... 122 La concertation : tout un défi !.............................................................................................. 126 Le personnel de la CDEC CS/PMR.......................................................................................... 128 Les membres, le conseil et les comités.................................................................................... 131 Le financement et les bailleurs de fonds .................................................................................. 137 Céline Charpentier, directrice de la CDÉC CS/PMR ................................................................ 139 Le « Y de H-M »................................................................................................................... 141 Le social…c’est de famille! .................................................................................................. 144 Être mère et être gestionnaire ............................................................................................. 146 Les feux de la rampe ........................................................................................................... 147 L’avenir…............................................................................................................................. 150 Chapitre 6. La Corporation de développement économique communautaire Côte-desNeiges/Notre-Dame-de-Grâce : une CDÉC de troisième génération ........................................... 152 Historique................................................................................................................................. 152 Le territoire de l’arrondissement CDN/NDG ............................................................................. 159 La mission et les services de la CDÉC CDN/NDG................................................................... 161 Information et référence....................................................................................................... 161 Services et activités liés à l’employabilité ............................................................................ 162 Services offerts aux entreprises et aux entrepreneurs......................................................... 164 La concertation locale.......................................................................................................... 167 Le personnel de la CDÉC CDN/NDG....................................................................................... 171 Les membres, le conseil et les comités.................................................................................... 173 Le financement et les bailleurs de fonds .................................................................................. 177 Claude Lauzon, directeur de la CDÉC CDN/NDG.................................................................... 180 Un jeune directeur ............................................................................................................... 180 Un geste vaut mille mots….................................................................................................. 182 Vivre Montréal...................................................................................................................... 183 Speak french !...................................................................................................................... 184 Un feu roulant…................................................................................................................... 187 L’avenir…............................................................................................................................. 190 Chapitre 7. Le cas du gouvernement québécois .......................................................................... 191 v Historique : l’évolution des protocoles État/CDEC ................................................................... 191 Les protocoles de 1985 et 1987........................................................................................... 191 Le protocole de 1990 ........................................................................................................... 193 L’évaluation de 1994 et le renouvellement du protocole en 1995 ........................................ 197 La politique de soutien au développement du gouvernement québécois................................. 202 Les Centres locaux de développement (CLD).......................................................................... 203 Bref aperçu du ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM) ...................... 207 Martial Fauteux, conseiller au MAMM ...................................................................................... 208 Chapitre 8. Le rapport État/CDÉC : vers le mandat de CLD......................................................... 214 Les négociations ...................................................................................................................... 214 On a fini par s’entendre… ........................................................................................................ 219 Le CLD de Montréal................................................................................................................. 221 Le protocole d’entente.............................................................................................................. 224 L’Inter-CDÉC, une force en évolution....................................................................................... 228 L’impact du mandat de CLD..................................................................................................... 231 Le comité local des partenaires ........................................................................................... 237 Le plan local d’action concertée pour l’économie et l’emploi : PLACÉE .............................. 239 L’avenir ................................................................................................................................ 240 Chapitre 9. Analyse et interprétation des résultats : configuration et structuration du rapport..... 242 Analyse de la configuration du rapport avant le mandat CLD .................................................. 242 Dimension individuelle ......................................................................................................... 242 Dimension organisationnelle................................................................................................ 247 Dimension institutionnelle .................................................................................................... 250 Dimension des rapports sociaux.......................................................................................... 253 Analyse de la configuration du rapport après le mandat CLD .................................................. 256 Dimension individuelle ......................................................................................................... 256 Dimension organisationnelle................................................................................................ 257 Dimension institutionnelle .................................................................................................... 259 Dimension des rapports sociaux.......................................................................................... 261 Discussion : La structuration du rapport................................................................................... 264 Dimension individuelle ......................................................................................................... 264 vi Dimension organisationnelle................................................................................................ 267 Dimension institutionnelle .................................................................................................... 269 Dimension des rapports sociaux.......................................................................................... 270 Conclusion.................................................................................................................................... 273 Synthèse : configuration et structuration du rapport ............................................................ 273 Apports et limites de la recherche........................................................................................ 274 Pistes futures....................................................................................................................... 275 Bibliographie................................................................................................................................. 276 ANNEXES .................................................................................................................................... 288 vii Liste des tableaux Tableau 1 : Six visions du développement local dans la littérature................................................. 39 Tableau 2 : Dimension individuelle : porteurs de projet et vie intérieure......................................... 85 Tableau 3 : Dimension organisationnelle : les configurations organisationnelles ........................... 88 Tableau 4 : Dimension institutionnelle : les modes de gouvernance .............................................. 90 Tableau 5: Dimension des rapports sociaux : aperçu des mondes de l'économie des grandeurs.. 93 Tableau 6: Concepts et indicateurs des dimensions d'analyse ...................................................... 94 Tableau 7 : Collecte prévue des données selon les dimensions d'analyse .................................. 104 Tableau 8 : Aperçu des activités et services de la CDÉC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal ......... 114 Tableau 9 : Aperçu du contenu de la formation "En affaires...pour de bon !" ............................... 117 Tableau 10 : Financement offert par la CDÉC CS/PMR............................................................... 118 Tableau 11 : Grands dossiers de la Table pour l'aménagement du Centre-Sud .......................... 124 Tableau 12 : Aperçu des activités et services de la CDÉC Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce ............................................................................................................................................. 162 Tableau 13 : Financement offert par la CDÉC CDN/NDG ............................................................ 165 Tableau 14 : Répartition du financement selon les postes ........................................................... 178 Tableau 15 : Les critères de base de reconnaissance et de financement des CDÉC .................. 194 Tableau 16 : Composition du comité local des partenaires des CDÉC CS/PMR et CDN/NDG .... 238 Tableau 17 : La dimension individuelle avant le mandat CLD ...................................................... 247 Tableau 18 : La dimension organisationnelle avant le mandat CLD............................................. 249 Tableau 19 : La dimension institutionnelle avant le mandat CLD ................................................. 252 Tableau 20 : La dimension des rapports sociaux avant le mandat CLD....................................... 254 Tableau 21 : La configuration du rapport avant le mandat CLD ................................................... 255 Tableau 22 : La dimension individuelle après le mandat CLD...................................................... 256 Tableau 23: La dimension organisationnelle après le mandat CLD.............................................. 258 Tableau 24 : La dimension institutionnelle après le mandat CLD................................................. 260 Tableau 25 : La dimension des rapports sociaux après le mandat CLD....................................... 263 Tableau 26 : La configuration du rapport après le mandat CLD ................................................... 263 Tableau 27 : La structuration du rapport....................................................................................... 272 viii Liste des figures Figure 1 : L'interface entre État et société civile ............................................................................. 32 Figure 2 : Les approches conceptuelles du rapport État / société civile ......................................... 64 Figure 3 : Les éléments clés de la théorie de la structuration......................................................... 72 Figure 4 : L'entreprise et ses dimensions ....................................................................................... 78 Figure 5 : Modèle d'analyse pour l'étude du rapport État/société civile .......................................... 80 Figure 6 : Modes de gouvernance selon Hollingsworth et al. ......................................................... 91 ix Liste des sigles et acronymes ACEF Association coopérative d'économie familiale ACEM Association communautaire d'emprunt de Montréal CA Conseil d'administration CDC Corporations de développement communautaire CDÉC Corporation de développement économique communautaire CDEST Corporation de développement de l'Est CDR Coopérative de développement régional CIRIEC-Canada Centre interdisciplinaire de recherche et d'information sur les entreprises collectives CIRQ Centre d'intervention pour la revitalisation des quartiers CJE Carrefour jeunesse emploi CLD Centre local de développement CLE Centre local d'emploi CLSC Centre local de services communautaires CPE Centre de la petite enfance CRD Conseil régional de développement CRDÎM Conseil régional de développement de l'Île de Montréal CRE Club de recherche d'emploi CREEEM Comité de relance de l'économie et l'emploi de l'Est de Montréal CREESOM Comité de relance de l'économie et de l'emploi du Sud-Ouest de Montréal CRÉS Comité régional d'économie sociale CRISES Centre de recherche sur les innovations sociales dans l’économie sociale, les x entreprises et les syndicats CSMO-ÉSAC Comité sectoriel de main d'œuvre de l'économie sociale et de l’action communautaire CSN Confédération des syndicats nationaux du Québec CTQ Centre Travail-Québec DEC Développement économique Canada DG Directeur(trice) général(e) DRHC Développement des ressources humaines Canada EQ Emploi-Québec FACILE Fonds ACEM/CDEC d'investissement local pour l'emploi FAMO Fonds d'adaptation de la main d'œuvre des quartiers défavorisés FAQD Fonds d'adaptation des quartiers défavorisés FDC Fonds de développement communautaire FDEM Fonds de développement d'emploi Montréal FÉS Fonds d'économie sociale FGL Fonds de gestion local FIL Fonds des initiatives locales FLCP Fonds de lutte contre la pauvreté FLI Fonds local d'investissement FRI Fonds régional d'investissement FSTQ Fonds de solidarité des Travailleurs du Québec IFDÉC Institut de formation en développement économique IQ Investissement Québec xi JP Jeune promoteur MAMM Ministère des Affaires municipales et de la Métropole MEQ Ministère de l'Éducation du Québec MIC Ministère de l'Industrie et du Commerce MICST Ministère de l’Industrie, du Commerce, des Sciences et de la Technologie MM Ministère de la Métropole MRC Municipalité régionale de comté OBL Organisme à but lucratif OBNL Organisme à but non-lucratif PAMT Politique active du marché du travail PLACEE Plan local d'action concertée pour l'économie et l'emploi SADC Société d'aide au développement des collectivités SAE Service aux entreprises SAJE Service d'aide à la jeune entreprise SDC Société de développement commercial SDEM Service de développement économique de la ville de Montréal SDEU Service de développement économique et urbain de la ville de Montréal SDR Secrétariat aux développement des régions SOC Soutien aux organismes communautaires SOLIDE Société locale d'investissement pour le développement de l’emploi SQDM Société québécoise de développement de la main d'œuvre STA Soutien au travailleurs autonomes xii Remerciements Les mots peuvent être forts et puissants et pourtant ces derniers semblent bien peu lorsque voici le temps venu d’exprimer toute ma gratitude et ma reconnaissance envers ceux qui m’ont appuyés au cours de ma démarche. Car si un mémoire est en partie une longue croisade solitaire, la possible matérialisation de celui-ci n’aurait été possible sans la participation et l’engagement de plusieurs. Aussi, je tiens d’abord à remercier ma directrice de recherche, Marie-Claire Malo. Ce mémoire c’est à elle que je le dois plus qu’à quiconque. Marie-Claire Malo a été celle qui m’a fait découvrir et m’a initiée à la recherche, celle qui m’a ouvert tant de portes, qui m’a soutenue et m’a fait confiance, celle dont l’enthousiasme pour la recherche m’a tant de fois enflammé l’esprit et dont le pragmatisme et l’expérience m’ont tant de fois ramenée à des ambitions réalistes. Mentor et complice, Marie-Claire Malo reste assurément pour moi un modèle. Je ne peux aussi passer sous silence le nombre de ces professeurs qui, au long de ma scolarité, ont si bien nourri ma faim d’apprendre et ont su le faire avec tant de passion et de talent : Linda Rouleau, Richard Déry, Jean-Pierre Béchard, Alain Chanlat, Marie Bouchard. Je remercie aussi chaleureusement mes compagnes, complices et consœurs du CRISESHEC, Alexandrine Lapoutte et Catherine Tadros, et du CRISES-UQÀM, Geneviève Huot. Ce mémoire doit beaucoup à nos échanges enthousiastes et à leurs encouragements répétés. Je tiens à souligner les appuis financiers reçus de la Fondation Desjardins et de la Fondation des Bourses pour l’engagement féminin dans les affaires pour leurs bourses qui m’ont permis de me consacrer à mes études sans souci pécuniaire, de même que le CRSH et le fonds FCAR, pour leur financement des projets du CRISES auxquels j’ai été associée. Je tiens enfin à remercier du fond du cœur mes parents qui ont tant et tant donné. Je leur suis infiniment reconnaissante. À tous mes proches, amies et amis, confidentes et confidents, gardiens et gardiennes qui m’ont permis de réaliser ce rêve, merci mille fois merci. Et bien sûr, merci à mes deux trésors, Aymeric et Didier, pour la suite du monde … 1 Introduction Rapports d’étape et de fin d’année, demandes de subvention, admissibilité aux programmes…qui a connu la réalité des organisations communautaires sait à quel point le rapport de ces organisations à l’État en est un d’ambiguïté, de complicité et de tensions, de discours et d’action. Lutte perpétuelle pour du financement, pour une reconnaissance mais aussi augmentation du fardeau administratif qui accompagne les demandes, exigences et contraintes qui accompagnent l’appui financier, on en arrive rapidement à déplorer le temps passé à remplir des formulaires et des rapports plutôt qu’à être sur le terrain à agir, ce qui soulève nombre de questions pour les intervenants. Mais s’arrêter là serait donner à la chose une caution fort simpliste…qu’y a-t-il au cœur de la relation entre l’État et les organisations locales ? Pourquoi cette relation est-elle ce qu’elle est aujourd’hui et qu’est-elle réellement? Un questionnement d’autant plus pertinent dans le contexte actuel, où concertation et partenariat sont devenus les nouveaux mots d’ordre et où les mouvances politiques, économiques et sociales des dernières décennies ont entraîné des transformations significatives tant du côté de l’État que du côté des organisations de la société civile. Mondialisation des marchés et globalisation viennent au premier rang des facteurs invoqués, affectant la capacité des territoires locaux et régionaux à profiter d’une croissance souvent inégalement répartie, affectant la capacité des États-nations aussi à agir sur leur territoire. Face à ces bouleversements, aux effets positifs mais aussi par trop souvent négatifs, la société civile se mobilise et propose des alternatives. À ce titre, le Québec pourrait être qualifié de véritable laboratoire d’expérimentation sociale : coopératives de solidarité, ressourceries, entreprises d’insertion, chantier de l’économie sociale…autant de nouvelles pratiques issues de l’insertion d’organismes communautaires dans le domaine de l’économique. Avec la création à Montréal des Corporations de développement économique communautaire (CDÉC) dans le milieu des années 1980, le développement économique communautaire (DÉC) participe à cette mouvance. Proposant une nouvelle façon de faire du développement : prise en charge par la communauté de son propre développement à travers la concertation des différents milieux locaux, objectif de développement économique ET social du territoire à une échelle locale, le DÉC est considéré comme une véritable innovation sociale (Favreau et Lévesque 1996). Une partie de son caractère novateur réside également dans 2 l’implication d’organismes communautaires aux préoccupations économiques liées au développement : création et maintien d’emplois, création et soutien aux entreprises locales. De ce fait, le développement local devient un espace de rencontre « obligé » entre l’État responsable du développement du territoire et les regroupements au sein de la société civile des acteurs locaux du développement. De plus, tant dans le discours des praticiens que dans celui des chercheurs, se dessine lentement autour du concept de développement local et des notions voisines, un champ de pratiques et d’études. Ainsi, le développement local présente un espace de pratiques et de discours de plus en plus circonscrit et donc particulièrement pertinent pour l’étude du rapport qui nous intéresse : le rapport entre l’État et la société civile. Enfin, le développement local possède une particularité qui le distingue d’autres secteurs où aurait pu être étudié le rapport à savoir l’élément « territoire », son inscription géographique. Ainsi cherchons-nous à comprendre le rapport entre l’État et la société civile et, de même que ce n’est pas quelque objet statique ou immuable, le comment de son évolution et de sa transformation dans le temps, plus précisément dans le domaine du développement local au Québec. Pour ce faire, nous avons choisi d’étudier le rapport entre les Corporations de développement économique communautaire (CDÉC) de Montréal et l’État québécois. Nous avons retenu le cas de deux CDÉC : la CDÉC Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal (CDÉC CS/PMR) qui est parmi les plus anciennes CDÉC au Québec et la CDÉC Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce (CDÉC CDN/NDG) qui est de la plus récente génération des CDÉC mises sur pied sur le territoire de l’ancienne Ville de Montréal. Qui plus est, notre étude s’est concentrée autour d’un événement bien précis, plaque tournante décisive dans le rapport État/CDÉC soit la négociation et l’obtention par les CDÉC montréalaises du mandat de Centre local de développement (CLD) suite au dépôt de la Politique de soutien au développement local et régional du gouvernement québécois en 1997. Dans le chapitre 1, nous aborderons le rapport dans une perspective historique. Traçant à partir de la littérature empirique l’évolution de l’engagement de l’État québécois et des communautés locales dans le développement local et régional au Québec depuis la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à la fin des années 1990, il sera alors plus aisé de situer le contexte de la recherche. Cette perspective se conclue alors sur le dépôt de la Politique de soutien au 3 développement local et régional en 1997 qui, avec la création de structures locales de développement que sont les CLD, pose la question de l’inévitable rencontre entre l’État et les organisations de développement économique communautaire déjà existantes sur le terrain du développement local à Montréal : les CDÉC. De là, l’intérêt de comprendre le rapport entre l’État et la société civile dans le développement local au Québec et l’évolution de ce rapport. Aussi, dans le deuxième chapitre, présenterons-nous l’examen que nous avons fait de la littérature conceptuelle en vue de trouver réponse à notre question. Après une brève présentation de la littérature sur le rapport État et société civile et de celle sur le développement local, nous faisons ressortir les points communs à toute ou presque toute la littérature consultée soit la qualification du contexte avec l’identification des nombreuses crises et transformations sociales, politiques, économiques ainsi que le constat fait de l’émergence d’initiatives nouvelles qui restent à être appréhendées de façon plus conceptuelle. Enfin, nous aborderons plus en détail quatre approches conceptuelles abordant spécifiquement la question du rapport État/société civile : 1)L’approche de l’économie plurielle, 2) l’approche du développement économique communautaire, 3) l’approche de la gouvernance locale et son corollaire la décentralisation et enfin, 4) l’approche dite partenariale et de la concertation. Nous terminerons cette revue sur la problématique du rapport État/société civile dans le développement local. Au chapitre suivant, chapitre 3, nous pourrons donc exposer le cadre théorique de la recherche en posant d’abord les fondements théoriques aux principes de ce cadre, soit la sociologie de l’entreprise de Bélanger et Lévesque (1992) et la théorie de la structuration de Giddens (1984). Après quoi, il nous sera permis d’exposer de quelle manière nous comptons articuler ces deux approches ainsi que les dimensions d’analyse que nous utiliserons soit une dimension individuelle, une dimension organisationnelle, une dimension institutionnelle et une dimension dite des rapports sociaux. Une fois ce cadre défini, le chapitre suivant sera consacré aux précisions d’ordre méthodologique, ce qui nous permettra de préciser notre choix pour une approche méthodologique qualitative et inductive, la démarche de recherche et les divers outils techniques ayant permis l’observation de notre objet de recherche. 4 Après avoir présenté ces considérations de l’ordre de la démarche scientifique, nous aborderons l’étude du terrain et les résultats de la recherche. Aussi, les chapitres 5 et 6 présenterons les deux cas des CDÉC étudiées, à savoir la CDEC CS/PM et la CDEC CDN/NDG, avec pour chacune un aperçu de son histoire, des services qu’elle offre, de sa structure interne, du directeur ou de la directrice qui la dirige. Le chapitre suivant sera consacré à la présentation du cas de l’État québécois avec là encore, un historique de la relation avec les CDÉC, suivi de précisions sur la Politique de 1997 et les Centres locaux de développement (CLD), et la présentation du conseiller impliqué. Suite à quoi, un bref chapitre viendra clore cette partie de présentation en présentant les détails du processus de négociation ayant mené les CDÉC à obtenir du gouvernement le mandat de CLD et les impacts majeurs de ce mandat sur les CDÉC. Le chapitre 9, enfin, exposera ce qu’il a été permis de tirer comme conclusions eu égard à notre question de recherche à partir des résultats exposés dans les chapitres précédents. Ce qui nous amènera à qualifier la configuration adoptée par le rapport avant le mandat de CLD et celle adoptée par le rapport après, et enfin à préciser la contribution observée de chacune des dimensions à la structuration du rapport dans le temps. Après quoi, il y aura lieu de conclure, ce qui nous permettra de faire ressortir les principaux apports de la recherche mais également ses limites tout autant que ses suites potentielles… 5 Chapitre 1. Le développement local au Québec : une perspective historique Afin de bien comprendre et situer l’étude proposée ici, il nous est apparu primordial d’exposer dans un premier temps le cadre plus large de l'évolution historique des interventions de l'État et de la société civile dans le domaine du développement local. Car si depuis la Seconde Guerre mondiale se sont succédées plusieurs conceptions du développement et du territoire au Québec qui ont sous-tendu de nombreuses politiques publiques et interventions locales, il faut bien voir que la conception même d’État, de gouvernement et de gouvernance ainsi que l’attribution des rôles et responsabilités en matière de développement ont également connu des transformations considérables qui ne sont pas sans effet sur le développement local lui-même et sur la teneur du rapport entre l’État et la société civile dans ce cadre. Les quarante dernières années ont été à cet effet très importantes avec pour l'État, la remise en question de son interventionnisme et de son providentialisme et pour le mouvement associatif communautaire, un virage décisif par son insertion dans l'économique. Cette section est donc consacrée à l’histoire du développement au Québec jusqu’à l’arrivée en 1997 de la Politique de soutien au développement local et régional du gouvernement québécois. Ce parcours historique sera relaté d’abord du point de vue de l’État et de ses politiques puis ensuite du point de vue des collectivités locales et de leurs expérimentations. Après quoi, il nous sera permis de situer notre questionnement de recherche. L’État et le développement au Québec de 1945 à 1997 Quelle place l’État québécois a-t-il pris, à travers l’histoire, dans le développement de son territoire ? De quel rôle s’est-il senti investi ? Quelles ont été ses interventions et comment ont-elles évolué ? Autant de questions auxquelles il serait difficile de répondre en faisant l’économie d’une description parallèle de l’évolution des contextes économique, social et politique de même que des conceptions sous-jacentes des notions de territoire, de découpage territorial et de développement sur lesquelles reposent souvent, à tout le moins dans le discours, les interventions et orientations de l’État. Retraçons donc brièvement cette évolution de l’État québécois face au développement de son territoire, à l’aide des ouvrages de Morin (1998), de Léveillée (1998) et de Bourque (2000).1 1 Morin (1998), dans son ouvrage sur la régionalisation au Québec trace depuis la Seconde Guerre mondiale un découpage historique en trois grandes périodes qui deviendront la toile de fond des 6 L’après-guerre : de 1945 aux années 1960 La période de l’après-guerre est reconnue comme une période d’expansion économique pendant laquelle l’État québécois n’intervient que peu dans les sphères économiques et sociales. Le développement économique est laissé à l’initiative privée, alors que les services sociaux et sanitaires sont pris en charge par les institutions religieuses et les organismes de charité ou encore les municipalités. Si quelques conseils économiques régionaux (CER) se mettent en place en région, il n’en reste pas moins que le rôle et la place de l’État dans le développement reste peu significatif. L’urbanisation croissante fait passer Montréal du statut de « ville unique », c’est-à-dire une ville qui contient l’ensemble des fonctions urbaines soit la résidence, les activités économiques secondaires et tertiaires et les activités institutionnelles, au statut de « métropole centrée » où ces fonctions se répandent sur un territoire plus large, un territoire métropolitain (Léveillée 1998). Cet étalement entraîne cependant un partage plus ou moins équilibré dans l’espace des ressources démographiques, industrielles, commerciales et politiques. Une croissance, par ailleurs, qui viendra aussi renforcer la conception du territoire qui domine alors au Québec : Montréal d’un côté, les régions de l’autre et entre les deux un fossé qui se creuse. Au plan social enfin, une forte croissance démographique, le baby-boom, et un taux d’immigration élevé composent la toile de fond. La montée du syndicalisme et les luttes ouvrières remplissent alors le champ des mouvements sociaux. La années 1960 (la Révolution tranquille) et les années 1970 La période de la Révolution tranquille est celle de l’apogée du fordisme, c’est-à-dire d’une croissance économique soutenue par une production de masse standardisée ainsi qu’une consommation de masse que permet l’amélioration des conditions salariales et la mise en place des mesures sociales avec la création de l’État-providence (Morin 1998). C’est également celle de politiques de l’État en matière de développement du territoire. À chacune correspond un contexte économique, social et politique particulier, donnant lieu à deux grandes phases en matière de politiques publiques de développement et de régionalisation. Léveillée (1998), dans son article, réfléchissant sur le développement territorial au Québec examine comment la conception des régions au Québec a évolué depuis les années 1960 en lien avec des phénomènes comme la centralisation et la polarisation. Bourque (2000) lui, identifie à partir de la Révolution tranquille trois périodes historiques pour lesquelles le rôle et la place de l’État, à travers ses politiques industrielles se transforment. 7 l’affirmation d’un État-nation succédant au Québec à une Église-nation comme l’enseigne Delmas Lévesque. Cette période est donc caractérisée par la poursuite de l’expansion économique. Mais à l’État-providence s’ajoute au Québec un État-entrepreneur qui, en réaction au laisser-faire duplessiste et pour combler ce qui est perçu comme un retard du Québec face à l’industrialisation et à la modernisation nécessaire, va adopter une position beaucoup plus interventionniste. L’État se conçoit alors un rôle moteur comme outil collectif de développement économique et s’approprie de ce fait plusieurs leviers économiques. Nationalisation de l’électricité, puis grandes sociétés d’État, nouveaux ministères, peu à peu l’État récupère des responsabilités jusqu’alors exercée par les communautés religieuses, les organismes de charité, les municipalités ou encore le secteur privé. Les ressources limitées au niveau municipal vont d’ailleurs accentuer cette prise en charge au détriment de l’autonomie des instances locales (Québec 1995). Bourque, dont l’objet de recherche est justement les politiques industrielles québécoises, parle alors du modèle québécois première manière où les principaux acteurs sont l’État et la grande entreprise, dans une approche qu’il qualifie de hiérarchique c’est-à-dire caractérisée en grande partie par le taylorisme et l’organisation bureaucratique. En matière de politiques de développement, Morin (1998) identifie cette période des années 1960-1970, comme celle d’un État centralisateur, celle d’un État qui intervient du « haut vers le bas ». Le gouvernement du Québec entreprend entre autres un vaste mouvement de régionalisation administrative, c’est-à-dire qu’il crée en 1966-1967 les régions administratives (au nombre de 10) et y assure sa présence par une déconcentration de ses services, c’est-à-dire par un phénomène s’apparentant au succursalisme où plusieurs points de services sont disséminés sur le territoire mais ne bénéficient pas ou de peu d’autonomie administrative et décisionnelle (Morin 1998). Cette manœuvre a pour objectifs principaux de rapprocher l’État de la population (proximité) de même que de faciliter la coordination des ministères en régions (Gouvernement du Québec 1995). Puis en 1968, le gouvernement met en place l’Office de planification du Québec qui deviendra l’année suivante l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ). Cela se fera aussi par la création des Conseils régionaux de développement (CRD), qui viennent remplacer les anciens Conseils économiques régionaux (CER) en 1969-1970, et des Conférences administratives régionales (CAR) qui rassemblent les directeurs régionaux des ministères. Les CRD, composés de représentants du milieu, acteurs-clés du développement, ont une fonction exclusivement consultative 8 visant à associer la population à l’élaboration des politiques de développement. Ainsi chaque CRD est responsable de dégager les priorités d’action de même que d’assurer une certaine concertation régionale. Mais c’est aussi l’apogée d’une conception du développement très bureaucratique, techniciste et économique qui repose sur les pôles de développement (métropoles et métropoles d’équilibre) et les régions ressources. Une conception qui a d’ailleurs inspiré nombre de politiques, non seulement au Québec mais dans tout le Canada et même dans plusieurs pays occidentaux. Ainsi, dès les années 1960, des politiques fédérales viennent soutenir ce qu’on appelle alors « le reste du Québec », par opposition à la métropole, Montréal. Le gouvernement du Québec, lui, entame une « valse hésitation » (Léveillée 1998) entre sa volonté d’appuyer le développement des régions et celui de soutenir le développement de la métropole. Une prise de position difficile où le personnel politique comme les intervenants s’affrontent à travers deux visions : d’une part certains jugent qu’il est temps de soutenir les régions parce que Montréal a assez reçu et que de toute façon elle n’a pas besoin d’aide, pendant que d’autre part on plaide pour Montréal soutenant qu’il faut arrêter de contraindre la métropole dans le but de donner plus aux régions. À ce titre, les années 1970 verront s’accentuer la lutte aux disparités régionales mais en parallèle cette fois avec une stratégie orientée vers les agglomérations urbaines. Cet État providence interventionniste, sensible aux disparités et aux demandes régionales met de l’avant des mesures pour lutter contre les inégalités et en même temps renforcer les pôles de développement. C’est d’ailleurs en 1969 que le gouvernement du Québec institue la réforme qui donnera lieu à la création de la Communauté urbaine de Montréal, de même que celle de Québec et de la Commission régionale de l’Outaouais, répondant de la sorte au besoin d’harmonisation des interventions municipales dans les trois principales agglomérations de la province. Une réforme qui affectera 87 municipalités dont 29 dans la région montréalaise. Jusqu’en 1974, les politiques de développement fédérales et provinciales seront mises en œuvre de façon indépendantes et isolées, ce que l’entente Canada-Québec de 1974-1984 viendra quelque peu rectifier. Quant au contexte social durant ces deux décennies (1960-1970), les mouvements sociaux trouvent leur expression dans les trois grands courants syndical, nationaliste et populaire (Dupuis et al. 1982 in Morin 1998). Les années 1960, voient aussi la multiplication des comités de citoyens et 9 des groupes populaires dans les quartiers urbains, la naissance des associations coopératives d’économie familiale (ACEF), des association de locataires, des comités logement, bref de tout un monde associatif nouveau sur lequel nous aurons l’occasion de revenir dans la prochaine section sur les communautés locales et leur développement. L’après-fordisme : les années1980-1990 Cette période, qui s’amorce tranquillement vers le milieu des années 1970, est marquée par la crise de l’énergie : c’est la fin des Trente glorieuses. Débute alors une phase de restructurations économiques avec l’intensification de la mondialisation des marchés, d’une nouvelle division internationale du travail, mais surtout dans le cas qui nous concerne du processus de désindustrialisation et de tertiarisation des économies occidentales (Morin 1998). Des transformations lourdes de conséquences : déqualification de la main-d’œuvre, précarisation des emplois et donc aggravation des problèmes de chômage et pauvreté. Parallèlement, l’Étatprovidence subit ses premières attaques… Parce qu'avec la fin des Trente Glorieuses, arrive la crise financière de l'appareil public qui amène une remise en question de son rôle et de sa place (Bouchard et Chagnon 1998 ; Favreau 1995; Greason 1998 ; Mendell 1995 ; Serva 1999). Avec la montée en force du néolibéralisme, les tenants de ce courant souhaitent, sinon la disparition de l’État, sa réduction (Greason 1998). Mais les interventions gouvernementales centralisatrices et normalisatrices sont aussi la cible des critiques. Se posant en rupture avec l’interventionnisme, cette période est donc caractérisée par une forte opposition : car si les milieux conservateurs dénoncent l’endettement du trésor public et font la promotion du modèle marchand (économie de marché), les milieux progressistes, eux, reprochent à l’État ses interventions centralisatrices et la bureaucratisation du rapport au citoyen. Ainsi face à cette crise, l'État se cherche, une nouvelle place, un nouveau rôle. Au Québec, la volonté de décentraliser et d'assouplir l'appareil public commence à poindre dès la fin des années 1970 (Bouchard et Chagnon 1998). Joint à un regain d’intérêt pour le local au début des années 1980, l’État ne se voit alors d’autre choix que de reconfigurer toute l’organisation de ses services sur son territoire et de confier des responsabilités de gestion du développement économique et social à des paliers politiques et administratifs locaux ou régionaux. 10 Les années 1980 Ainsi le gouvernement du Québec participe d’une kyrielle de lois et mesures touchant le monde municipal. Les années 1979-1980 voient alors une première restructuration du milieu municipal avec la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme d’où origine la création des municipalités régionales de comté (MRC) qui regroupe les municipalités locales d’une même région d’appartenance et succèdent de ce fait aux « corporations de comté ». Les compétences de ces nouvelles instances sont du domaine de l’aménagement, mais à travers la concertation des municipalités et la consultation des acteurs socio-économiques et de la population. De même, cherchant à revaloriser les instances municipales en leur redonnant du pouvoir et des moyens, le gouvernement procède également à une réforme de la fiscalité municipale qui donne dorénavant à chaque municipalité la marge de manœuvre nécessaire pour décider à la fois la nature et la qualité des services qu’elle désire offrir, de même que la capacité de déterminer les taxes requises pour financer ces services. Le niveau de financement des municipalités provenant de sources locales passe donc de 68% à 90%, le reste provenant du subsides gouvernementaux provinciaux. Suivront une Loi sur la démocratie municipale ainsi que différentes mesures législatives sur le logement ou encore le transport en commun (Québec 1995). Toujours dans l’esprit de mieux répondre aux besoins et attentes des collectivités locales par une meilleure adéquation entre les interventions de l’État et les différentes réalités régionales, on annonce en 1984 un nouveau découpage des régions administratives, de 10 leur nombre passerait à 16. Il faudra cependant attendre 1987-1988 pour que cette mesure soit mise en œuvre. De vastes exercices de concertation seront aussi mis en place à travers la tenue des sommets socio-économiques régionaux, de 1983 a 1989, suscitant cependant des attentes auxquelles le gouvernement ne répondra pas toujours à la satisfaction de milieux consultés. (Gravel 1996 in Morin 1998). Enfin, en 1988, un plan d’action en matière de développement régionale2 est adopté, mettant l’accent sur le soutien à l’entrepreneuriat local et régional, la création d’emplois, l’aide au démarrage et à l’exportation pour les PME. Comme nous le verrons, les années 1980 voient aussi les mouvements sociaux se tourner vers des approches moins radicales comme la prestation de services, le développement 2 À l’heure de l’entreprise régionale, Gouvernement du Québec. 1988 11 local et communautaire ou encore la concertation et le partenariat. Cela donne lieu entre autres à la création des Corporations de développement économique communautaire (CDÉC) en milieu urbain, de même que la création des Corporations de développement communautaires (CDC) en régions ainsi que des Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) également en régions, ces sociétés étant mises en place et financées par le gouvernement fédéral dans le cadre du programme fédéral d’aide au développement des collectivités (PADC) instauré en 1986. Et puis, pour Montréal, les années 1980 sont celles qui voient la région métropolitaine de Montréal se transformer encore davantage. De « métropole centrée », la grande région de Montréal devient « région polycentrique » (Léveillée 1998). C’est que l’étalement urbain amenuise le phénomène de centralisation ou de polarisation autour d’un noyau initial et s’installe alors une nouvelle interdépendance économique à travers la région métropolitaine. Les années 1990 Les rapports du Conseil des affaires sociales3 trouvent écho dans les grands quotidiens. Une fois de plus, la question des disparités régionales et d’un Québec scindé en deux refait surface. On aborde également l’importance de la lutte à la pauvreté pour le développement de la société québécoise. Cela donnera lieu à plusieurs recommandations comme celles du dépassement du découpage administratif du territoire comme cadre de développement économique et social afin que tous les citoyens, citoyennes puissent y participer, ou encore en mesure de lutte à la pauvreté que les initiatives de développement local soient favorisées de même que la possibilité pour les communautés locales de prendre en main leur développement économique et social à travers de nouveaux partages des responsabilités mais aussi des moyens et des outils entre l’État et le local. De plus, avec la Commission Bélanger-Campeau de 1990-1991 et celle de 1995 sur l’avenir du Québec, se dégagent de plus en plus des attentes claires en matière de décentralisation de la part des populations et intervenants locaux(Québec 1995). 3 Deux Québec dans un, 1989 – Agir ensemble, 1990 – Un Québec solidaire, 1992, tous sous la direction de Yvon Leclerc 12 Les années 1990 verront donc l’apparition d’un nouveau modèle, « deuxième manière » caractérisé par un nouvel État-partenaire et un contexte où s’installe une concertation entre les acteurs sociaux et non plus uniquement économiques (Bourque 2000). Le gouvernement provincial procède à une certaine consolidation des instances régionales en place, ces dernières se voyant alors confier des responsabilités accrues. Les Conseils régionaux de développement (CRD) sont renouvelés en 19924 obtenant de nouveaux mandats de planification stratégique en matière de développement socio-économique du territoire, de gestion d’un fonds de développement régional dont l’administration est faite en concertation avec le gouvernement, tout cela à travers une mission de concertation des intervenants régionaux renforcée (Morin 1998 ; Québec 1995). Leur composition regroupant maintenant des représentants du milieu qui ne sont pas élus par la population mais proviennent des municipalités, de groupes socio-économiques, d’organismes dispensateurs de services et des députés de l’Assemblée Nationale dont les circonscriptions sont sur le territoire du CRD. C’est aussi en 1992 qu’est créée la Société québécoise de développement de la main d’œuvre (SQDM) et des sociétés régionales qui, regroupant des membres de milieux patronal, syndical et de l’enseignement ont pour objectif de dégager des priorité en matière de formation et de développement de la main d’œuvre, de gérer un certain nombre de programmes de formation et de s’occuper du développement et du placement de la main d’œuvre (Morin 1998 ; Québec 1995). Enfin, en 1995 est créé le Ministère de la Métropole (Léveillée 1998), de même qu’en 1996-1997 est mise sur la table la proposition de créer une Commission de développement de Montréal, soutenue principalement par le ministre de la Métropole d’alors, Serge Ménard (Léveillée 1998 ; Langlois 1997). Mais au début des années 1990, la récession combinée à des coupures importantes dans les paiements de transfert provenant du fédéral ainsi qu’à une augmentation des coûts en santé et en éducation pousse également le gouvernement provincial vers une opération d’assainissement des finances publiques dont le transfert d’une part de ses dépenses5 vers les municipalités (300 M$), sera une résultante. Enfin, ces années qui précèdent la nouvelle Politique de soutien au développement local et régional du gouvernement du Québec, sont celles où se dégage enfin un certain consensus entre chercheurs et 4 Réforme Picotte – Développer les régions du Québec Les dépenses et responsabilités liées au transport en commun, à la voirie locale et aux services de sécurité publique constituent la plus grande partie de ce transfert. 5 13 intervenants autour d’une vision commune des régions, c’est-à-dire l’existence de régions centrales et de régions périphériques qui partagent cependant une ensemble de problèmes (Léveillée 1998). Ainsi, au cours des années 1980 jusqu’en 1997 à la veille du dépôt de la Politique de soutien au développement local et régional, on constate que l’approche du gouvernement change. De plus en plus, il favorisera la décentralisation, transférant des responsabilités aux acteurs locaux et tentera d’adapter ses interventions aux réalités locales et régionales. On passe d’un développement « par le haut » à une développement « du bas vers le haut » qui favorise et encourage les initiatives locales de développement, tentant de répondre aux critiques ainsi qu’aux demandes d’accroissement de l’autonomie locale. Morin parle alors, en matière de politiques de développement régional ou de régionalisation, d’un État accompagnateur (Morin 1998). On voit donc de quelle façon l’État dans un premier temps, réagissant au laisser faire de l’après-guerre, s’implique dans la modernisation du Québec. Apparaît alors l’État keynésien et providence qui, pour aider le Québec à s’actualiser plus rapidement va intervenir de façon importante dans le développement économique comme social. Il en résultera la constitution d’institutions collectives « nationales » (québécoises) fortes qui restent encore aujourd’hui un des traits distinctif du Québec, ou du modèle de développement québécois. Mais cet interventionnisme entraîne une centralisation et une bureaucratisation qui s’accentuent au détriment des instances locales. Entre les revendications de ces dernières et la montée du néolibéralisme, l’État interventionniste et entrepreneur est remis en question. On entre alors dans l’ère de la concertation, du partenariat et du renouveau du local où l’État québécois assumera un nouveau rôle d’État accompagnateur ou partenaire et entamera une décentralisation. Parallèlement à cette évolution des interventions de l’État dans le développement, le contexte social change au Québec et la société civile elle-même, comme nous allons maintenant le voir, évolue vers un nouveau rôle. 14 Les communautés locales québécoises et leur développement de 1945 à 1997 Ainsi, tout comme l’État, les courants qui traversent la société civile évoluent et se transforment avec les changements que connaît le contexte économique et social. Au Québec, on assiste ainsi dans la période allant de l’après guerre au milieu des années 1990, à l’émergence de plusieurs mouvements sociaux qui, au fil des années, mettront de l’avant différentes stratégies d’action et de mobilisation et donneront lieu à la création de diverses organisations oeuvrant dans des champs d’intervention plus ou moins spécifiques. De la revendication à la concertation et à travers l’émergence de nouvelles initiatives issues de la société civile pour favoriser le développement, on voit donc évoluer différentes générations d’organisations issue de la société civile et l’émergence de nouveaux acteurs comme les corporations de développement économique communautaire (CDÉC). Alors que l’État aborde un mouvement de décentralisation, le mouvement communautaire s’insère, à sa façon, dans la sphère économique. De la revendication à la concertation et à l’engagement dans l’économique Du mouvement ouvrier aux initiatives des années 1990, plusieurs « générations » d’organismes populaires ou communautaires se succèdent avec pour chacune des caractéristiques propres. L’évolution du contexte politique et économique amèneront ces organisations à s’engager de plus en plus activement sur le terrain de l’économique. Les premières expériences de développement économique communautaire illustrent bien ce virage. De l’après-guerre aux années 1970 La période des Trente glorieuses est caractérisée, nous l’avons vu, par une forte expansion économique dans la traînée de laquelle on assiste à une généralisation du salariat de même qu’une amélioration significative de la condition de salarié (Castel 1995 in Favreau et Lévesque 1996). Les éléments du compromis fordiste, production, consommation et culture de masse, se mettent en place comme ce nouvel État-providence, les premiers comme ce dernier réduisant substantiellement toute forme de participation, celle des travailleurs comme celle des usagers. Bureaucratie aidant, les services collectifs et publics suscitent de plus en plus la dépendance et la passivité. Les conflits de classes sont peu à peu remplacés par des tensions 15 entre différents niveaux, différentes capacités de consommation. Dans les années 1950, le Québec, comme plusieurs autres pays industrialisés, est témoin de l’émergence du mouvement ouvrier qui, au fil des luttes que mènent les travailleurs pour faire reconnaître leurs droits, leur permettra d’acquérir le droit à la syndicalisation et à la négociation collective. Le mouvement syndical peut alors se déployer. Mais, face à la pauvreté et à l’exclusion ce sont principalement, nous l’avons souligné, les organismes de charité et les congrégations religieuses qui interviennent de façon ponctuelle, directement auprès des personnes en difficulté, en fournissant des biens ou en offrant un certain support psychologique. Ainsi, l’intervenant type des années 1950 reste-t-il toujours la « petite sœur des pauvres » (Favreau et Lévesque 1996). Mais dans les années 1960-1970, on connaît aussi au Québec, encore là comme dans la plupart des pays occidentaux industrialisés, une recrudescence d'associations de type nouveaux mouvements sociaux qui œuvrent non plus dans la sphère de la production mais plutôt celle de la reproduction et qui ne revendiquent plus des conditions de travail mais plutôt des conditions de vie (Klein 1989 ; Favreau et Lévesque 1996). Ces nouveaux mouvements sociaux ne sont pas réellement nouveaux, il s'agit plutôt d'une réorientation du mouvement social ; on passe de la question ouvrière à de nouveaux enjeux situés en dehors de l'économie (Maheu et Descent 1990, Touraine 1978 in Fontan 1989). Les années 1960-1970 voient donc de nouveaux affrontements, de nouvelles luttes : grèves ouvrières mais aussi manifestations étudiantes, revendications pour la paix, les droits de la personne, la protection de l'environnement, mouvements féministes, etc. Dans ce dépassement du mouvement ouvrier, on ne lutte plus dans une classe sociale mais dans des logiques d'appartenance sociale. Ainsi au Québec, viennent se greffer au mouvement syndical, un mouvement nationaliste et un mouvement populaire (Morin 1998), ainsi que le mouvement des femmes (Favreau et Lévesque 1996). Le taux de syndicalisation connaît une croissance significative et l’action syndicale se radicalise comme en fait foi la mise sur pied d’un front commun entre plusieurs centrales syndicales6 au début des années 1970 ou encore la publication de plusieurs manifestes politiques. Le mouvement nationaliste va, lui, s’incarner dans diverses organisations politiques indépendantistes7 qui contribueront en temps 6 Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), Confédération des syndicats nationaux (CSN) et Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) 7 Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), Mouvement souveraineté-association (MSA) par exemple 16 et lieux à la création du Parti québécois. Les élections de 1976 porteront d’ailleurs ce parti au pouvoir ; le mouvement nationaliste-indépendantiste aura alors le gouvernement de son côté. Aussi, alors que la société fordiste, « salariale et providencialiste » (Favreau et Lévesque 1996) connaît son comble, émerge de la société civile une première génération d’organisations « autoorganisées » et visant un empowerment des populations locales et ce, dans les quartiers urbains comme dans les régions périphériques . Cette première génération d’organisations, les comités de citoyens, si elle reçoit parfois un support du clergé ou de ses membres en est pourtant distincte, comme elle se différencie aussi des œuvres de charité de par son caractère. En effet, il ne s’agit plus de recevoir assistance et secours mais bien de lutter pour régler le problème à sa source, c’est à dire dans le système même. Pas question non plus de faire porter ses revendications par d’autres mais bien de se mobiliser entre citoyens d’une communauté pour dénoncer des conditions de vie jugées miséreuses et demander des changements auprès du principal interlocuteur, les pouvoirs publics, à savoir le droit d’être partie prenante des processus décisionnels qui les affectent. Bref une demande de démocratisation et de participation dans les services publics locaux. L’intervenant est donc un animateur social comme la mobilisation et l’intervention repose sur l’action sociale. À cette première génération, va faire suite une deuxième génération d’organisations populaires qui, tout en poursuivant dans le même sens, vise en plus à offrir des services, le tout sur la base de champs d’interventions plus définis. C’est le mouvement de l’éducation populaire ou éducation populaire autonome (ÉPA) qui s’occupe de défense de droits des consommateurs, des assistés sociaux, des sans-emplois ou encore d’alphabétisation. Aussi, comme la génération précédente, la revendication reste un volet important de mobilisation et d’intervention auquel s’ajoutent cependant des actions d’éducation afin de conscientiser et de permettre une émancipation des citoyens. Si ce volet éducatif est nouveau, il reste lui aussi en continuité avec l’esprit des comités de citoyens qui visaient de la sorte une émancipation et une prise en charge, un « faire par et pour nous », une implication du milieu dans la recherche de solutions. C’est l’époque du militantisme actif, on parle de lutte contre le système, de victimes du système, on fait la promotion des droits sociaux (Favreau et Lévesque 1996). Ces organisations obtiennent une reconnaissance, quoique partielle, de l’État et donc un financement public provenant principalement du ministère de l’Éducation, le reste de leur financement provient de leur 17 fonctionnement associatif (membership, contributions et dons). Malgré cette reconnaissance et ce soutien financier, le mouvement de l’ÉPA se développe en parallèle avec l’État, plus souvent qu’autrement dans un rapport de contestation de ce dernier. Enfin, contrairement aux premiers comités de citoyens aujourd’hui disparus, l’ÉPA est un mouvement encore très présent au Québec, ses deux principaux regroupements, OVEP8 et MÉPACQ9 sont encore très actifs comme en témoigne l’important colloque organisé par le MÉPACQ sur la régionalisation en 1998. Ces trois grands courants, syndical, nationaliste et populaire, ne sont pas sans liens non plus comme en fait foi la création par les courants syndical et populaire des Associations coopératives d’économie familiale (ACEF). Ces nouveaux mouvements sociaux ont ainsi plusieurs traits spécifiques : ils sont liées à des situations d'inégalité et à des rapports sociaux de domination, ils ont des pratiques offensives liées à des enjeux de liberté, d'autodétermination, d'émancipation et de démocratie, les dimensions politiques et culturelles y sont prédominantes et ils ne visent pas directement une transformation globale de la société mais cherchent plutôt à agrandir le contrôle démocratique de zones sociales particulières (Maheu et Descent 1990). Les actions de ces mouvements souvent créatrices et innovatrices, soulèvent des enjeux nouveaux et orientent les pratiques vers des conduites moins institutionnalisées. (Maheu et Descent 1990). Néanmoins, n’oublions pas que les années 1960-1970 ont été fortement marquées par la mise en place et le déploiement de l’État, la société civile n’y a pas échappé et s’est elle aussi développée à travers un univers où les notions d’État-providence, de planification du développement, d’extension du secteur public ou encore de professionnalisation du travail social étaient omniprésentes. Alors que dans les décennies suivantes, elles, verront émerger de nouvelles notions-clés en les termes de décentralisation, régionalisation, concertation, partenariat, contrat et développement local. Les années 1980 et 1990 Nous avons vu que vers la fin des années 1970, début des années 1980 c’est la crise tout azimut qui se déclare : crise de l’énergie, crise des finances publiques, remise en question de 8 9 Organisations volontaires d’éducation populaire Mouvement pour l’éducation populaire et l’action communautaire du Québec 18 l’État-providence, restructurations économiques majeures, mises à pied massives, récession. Une vague néolibérale productiviste apporte son lot de solutions, modernisation technologique et délocalisation, qui auront des conséquences humaines importantes : aggravation de la pauvreté et accroissement du chômage longue durée (Favreau et Lévesque 1996 ; Morin 1998). Les mécanismes keynésiens ne répondent plus. Avec l’éclatement de la société salariale et providentialiste on assiste alors à l’émergence d’une nouvelle problématique : l’exclusion sociale. À la pauvreté et au chômage de longue durée se joignent une précarité d’emploi croissante et des phénomènes comme le décrochage scolaire, la ségrégation urbaine, l’isolement social qui acquièrent une ampleur inattendue. À quoi s’ajoute plus spécifiquement, en milieu urbain, la forte désindustrialisation des quartiers anciens causée par la déconcentration vers des zones périphériques et la tertiarisation de l'économie (Morin 1994). Une dualisation de la société donc qui s'accentue avec un salariat à deux vitesses : emplois stables, bien rémunérés avec nombre d'avantages sociaux d'un côté et nouveaux emplois précaires, mal rémunérés, de l'autre (Fontan 1991). Et la récession des années 1980 n'arrange rien, même les travailleurs syndiqués devront subir des coupures salariales. Avec en plus une décroissance du taux de syndicalisation, les syndicats vont, les premiers, s’engager dans une approche moins radicale ouvrant la porte à la concertation et au partenariat avec l’État et le patronat. C'est la crise du développement par le haut, face à laquelle, en sus des critiques formulées envers l’État, de nouvelles pratiques sociales vont émerger (Fontan 1991). Dans ce contexte, on assiste alors à une territorialisation des mouvements sociaux et du social (Klein 1989). Les associations de type nouveaux mouvements sociaux ont par ailleurs déjà un ancrage local : recrutement au niveau local, préoccupations locales, réseaux locaux communautaires, et création locale d'emplois par ces groupes. La mobilisation est aussi plus diffuse, les champs d’intervention comme les mouvements sociaux s’étant diversifiés et multipliés : mouvement syndical, des femmes mais aussi mouvement écologiste, renouveau du mouvement jeunesse. C’est aussi une période au cours de laquelle l’orientation vers la prestation de services prises par les organismes communautaires vers la fin des années 1970 va s’accentuer (Bélanger et Lévesque 1987 in Morin 1998 ; Lévesque 1995 ; Favreau et Lévesque 1996) . En effet, une demande sociale de démocratisation et de participation des usagers, issue de la contestation de la gestion technocratique et centralisée des services publics par l’État rencontre en quelque sorte la 19 volonté de cet État qui, en crise, cherche à confier à d’autres des responsabilités en matière de gestion de problèmes sociaux (Doré 1992 in Morin 1998). Une troisième génération d’organismes communautaires voit le jour dont le principal champ d’intervention se situe dans le domaine de la santé et des service sociaux mais toujours dans un esprit de prise en charge et de participation des usagers. Les intervenants, des professionnels ou semi-professionnels, privilégient alors comme stratégie d’action le développement de services communautaires de proximité : organismes de soutien et d’accompagnement en santé mentale, maison d’hébergement pour femmes, maisons de jeunes, centres de femmes, garderies à but non lucratif. La proximité géographique comme sociale est fondamentale pour ces organismes de même que l’instauration d’un rapport égalitaire entre le travailleur et l’usager, en opposition à un rapport inégal entre expert et prestataire de service. Enfin, héritage des générations qui ont précédé, ces organisations font la promotion des droits des usagers. Et comme la génération précédente, ces initiatives bénéficieront d’un financement mixte public et associatif, mais pour le secteur public, cette fois c’est le ministère de la Santé et des Services sociaux qui en est le principal pourvoyeur. Ainsi, peu à peu, entre l’État et le mouvement communautaire, la contestation et l’affrontement font place à des participations croisées et éventuellement à des expériences partenariales. Avec la création en 199010 des Régies régionales de la santé et des services sociaux (RRSSS), le partenariat va être d’autant renforcé sur une base territoriale. Aussi, dans les années 1980, le milieu communautaire montréalais est caractérisé par l’apparition de diverses tables de concertation inter-sectorielles, que l’on appelle « tables de quartier ». Ces instances regroupent différents organismes communautaires, non pas par secteur d’activités mais de par leur appartenance à un territoire local, le quartier, dans le but de réussir à harmoniser leurs interventions autour d’un objectif commun : améliorer la qualité de vie des résidents de ce territoire ou quartier (Morin 2000). Vers le milieu des années 1980, face à l’impuissance du gouvernement à trouver des solutions efficaces alors que la dévitalisation de zones entières s’accélère émerge alors une quatrième génération d’organisations. Le secteur communautaire élargit son champ d’action et s’insère dans le paysage de l’économie sociale mais aussi de marché avec des initiatives d'aménagement du territoire, de création d'emplois, de soutien aux entreprises, d'insertion sociale par la création d'emplois et de développement de l'employabilité de populations ciblées (les 10 Réforme Côté 20 jeunes, les femmes, …) (Lévesque 1995 ; Morin 1998), multipliant les initiatives, tant en milieu rural que urbain (Morin 1998). Cette nouvelle génération travaille dans deux champs distincts mais fortement complémentaires : l’insertion sociale par l’activité économique (employabilité) et le développement local. Avec ce dernier virage, les groupes communautaires passent alors d’un rôle traditionnellement curatif et revendicateur à un rôle d'entrepreneur et de planificateur. Ce mouvement novateur sera qualifié de mouvement social dans l'économique (Lévesque 1995 ; Favreau et Lévesque 1996). C'est aussi la mise en place d'une stratégie, dans les années 1980, dite postconflictualiste, stratégie de négociation de la production et de la reproduction du tissu social et de résolution « en douceur » des conflits sociaux. (Fontan 1989). La stratégie de confrontation n’est pas entièrement abandonnée mais elle se complète maintenant d’une stratégie de collaboration entre les différents acteurs sociaux entraînant une redéfinition des rôles respectifs. Le financement de ces organisations, comme pour les générations précédentes, est mixte : financement public de ministères associés au développement de la main d’œuvre11 et un peu plus tard de ministères à caractère économique12. Et enfin, les préoccupations abordées par les tables de quartier, revitalisation et qualité de vie, vont être abordées avec des représentants de la municipalité ou d’organismes comme les CLSC (Morin 2000). Le partenariat, la concertation et la cogestion deviennent des réalités de plus en plus présentes, voir incontournables (Fontan 1989 ; Favreau 1995 ; Bouchard et Chagnon 1998). L’émergence des initiatives de développement local au Québec Les toutes premières initiatives de développement de l’économie locale au Québec par la combinaison de fonctions d’utilité sociale et de rentabilité économique remontent au XIXème siècle (Fontan 1992 in Tremblay et Fontan 1994 ; Favreau et Lévesque 1996), avec la mise sur pied d’organismes et d’entreprises à caractère coopératif (Vienney 1994 ; Tremblay 1982). Plus récemment, dans les années 1970, de nouvelles initiatives territorialisées voient le jour, à la fois en milieu rural et en milieu urbain : on pensera aux Opérations Dignité pour la région de l’Est du Québec ou encore au JAL, avec la mise sur pied d’une coopérative de gestion d’un territoire 11 Ministère de la Sécurité du revenu au provincial et Développement ressources humaines Canada (DRHC) pour le fédéral. 12 Ministère de l’Industrie et du Commerce et des Technologies (MICT), Développement économique Canada (DÉC) 21 regroupant les villages de Saint-Just, Auclair et Lejeune ou encore à des initiatives dans le SudOuest de Montréal avec des premières tentatives d’insertion par l’activité économique (Tremblay et Fontan 1994). Mais ces dernières ne sont encore que des pratiques expérimentales et isolées que le contexte difficile des années 1980 va pousser à l’avant scène. La récession de longue durée et la redéfinition de l’État et de son rôle dans le développement économique et social du Québec composent effectivement dans les années 1980 un contexte propice à l’émergence et au développement d’un véritable « militantisme économique » dans les mouvements sociaux (Favreau et Lévesque 1996). Pour le mouvement communautaire, la mobilisation de la société civile visent l’empowerment, la reprise en charge du développement du territoire par la communauté afin de revitaliser économiquement et socialement des collectivités locales en difficulté. Cette volonté se concrétise dans la création de structures telles les Corporations de développement communautaire (CDC), les Comités de relance de l’économie et de l’emploi (CRÉE) et surtout les Corporations de développement économique communautaire (CDÉC) de même que par la mise sur pied d’expériences d’insertion par l’économique (Favreau et Lévesque 1996). Les syndicats participent aussi à ce mouvement dans l’économique avec la reprise d’entreprises en difficulté et la création des fonds de travailleurs. Nous avons vu aussi comment le passage d’un syndicalisme dit de combat à un syndicalisme de proposition (Favreau et Lévesque 1996) amène les syndicats à expérimenter le partenariat par une participation négociée dans les entreprises. De même, les syndicats s'investissent dans les structures locales ou régionales de développement que sont les Comité régional de développement (CRD), Services d’aide aux collectivités (SADC), Société québécoise de développement de la main d’œuvre (SQDM) ou CDÉC. La multiplication de telles initiatives permet enfin de parler de véritable mouvement de développement économique communautaire, une nouvelle approche qui repose sur cette mobilisation de la société civile et des mouvements sociaux (Favreau et Lévesque 1996). De la création de coopératives de travail aux CDÉC, à la création d’entreprise d’insertion par l’économique à la revitalisation sociale et économique d’un territoire local, syndicats, mouvement communautaire, mouvement coopératif et dans une certaine mesure même le secteur privé sont appelés à participer conjointement. Cet esprit de concertation large des acteurs sociaux sera renforcé davantage par la tenue de forums, sommets ou chantiers, dont le Forum sur l’emploi (1989 pour le premier) et par la mise sur pied de fonds de développement régionaux ou locaux dans la foulée de la création du fonds de solidarité FTQ. 22 C'est donc à la fois de l'insertion des mouvements sociaux dans l'économique, combinée à leur territorialisation, et de l'inspiration d'expériences américaines que naissent au Québec les premières initiatives de développement économique communautaire (DÉC). On assiste, à Montréal, à l'émergence d'une première Corporation de développement économique communautaire (CDÉC) en 1984 avec l'incorporation du Programme Économique Pointe StCharles (PEP). Initialement partie intégrante de la société civile (Morin 2000), et même en fait, son expression même, elles recevront rapidement du financement public, d'abord du palier provincial, puis plus tard également du fédéral et ensuite du municipal. Suivront en territoire québécois les CDÉC de Buckhingham-Gatineau-Hull, celle de la ville de Québec (Favreau et Lévesque 1996) et d’autres dans d’autres villes du Québec. Voyons plus précisément comment cela c’est produit à Montréal, territoire où furent créées les premières CDÉC. Une nouvelle initiative communautaire dans l’économique : les CDÉC à Montréal Au début des années 1980, en plein cœur de la crise, le YMCA de Montréal, conscient de la nécessité de s'intéresser au développement en zone urbaine dans le contexte décrit à la section précédente, décide de développer une approche novatrice visant à développer l'employabilité des jeunes personnes sans emploi. S'inspirant d'expériences et de visites aux États-Unis, le Y entreprend une réflexion sur cette nouvelle forme d'intervention, la création d'emplois, pour finalement entreprendre en 1983 une réorganisation majeure vers le développement communautaire. C'est ainsi que circule vers les annexes du YMCA de Montréal des informations sur le développement économique communautaire. En 1984, une intervenante de la Clinique populaire de Pointe St-Charles et une intervenante de l'annexe du Y à La Pointe (Pointe StCharles), Michèle Soutière et Nancy Neamtan13, joignent leurs efforts dans la création d'une première initiative d'insertion sociale par la création d'emplois avec le démarrage de trois ateliers de travail. Malheureusement, cette première expérience se soldera par un échec et la fermeture des ateliers au bout de trois mois. Deux raisons expliquent cet échec : des problèmes de gestion interne mais aussi l'inadéquation des programmes gouvernementaux envers cette nouvelle 13 Nancy Neamtan est aujourd’hui présidente et directrice générale du Chantier de l’économie sociale. 23 approche. Loin de se laisser abattre, les deux intervenantes décident de mobiliser les groupes communautaires du quartier dans le but de sensibiliser le gouvernement provincial à : 1) l'urgence et à la gravité de la situation socio-économique du quartier, 2) l'inadéquation des programmes gouvernementaux d'assistance sociale et de relance d'emploi, 3) la nécessité de développer une approche novatrice reposant sur la participation du milieu. C'est ainsi que prend forme la Coalition des organismes communautaires de La Pointe qui va travailler à la production d'un rapport destiné au gouvernement, plus précisément à la ministre de la Main d'œuvre et de la Sécurité du revenu de l’époque, Pauline Marois. Ce rapport définit le développement économique communautaire (DÉC) et ses champs d’action en même temps qu’il présente le DÉC comme un investissement sain et rentable, par comparaison avec les programmes d'assistance sociale qui coûtent au-delà de 20 millions de dollars annuellement à l'État et ne réussissent qu'à créer du sous-développement. On y fait mention, enfin, du potentiel de développement industriel et commercial de La Pointe. La Coalition demande aussi au gouvernement un financement adéquat sur cinq ans qui sera graduellement remplacé par de l'autofinancement. Le premier rapport est déposé en mai 1984. En juin, la Ministre annonce une subvention pour une étude de faisabilité. En août 1984, le Programme économique Pointe-St-Charles (PEP) s'incorpore. L'étude durera un an, au bout duquel un nouveau rapport sera déposé au Ministère en avril 1985. À Pointe St-Charles on a du cœur aura été le fruit de la mobilisation d'une communauté autour de l'idée de revitalisation socio-économique dans son quartier. C'est dans ce rapport qu'est proposé, comme outil au développement économique communautaire, la création d'une corporation de développement économique communautaire. Suite à cela, en 1985, le gouvernement du Québec par le biais de l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) financera pour un an deux autres projets en plus de celui du PEP : celle d’Alerte Centre-Sud dans le quartier Centre-Sud et celle du Programme Action/Revitalisation Hochelaga-Maisonneuve (PAR-HM) dans l’Est de la Ville. En 1987, le financement de ces trois initiatives est renouvelé pour trois ans cette fois. Aussi, dans les années 1988-1989, d’autres quartiers manifestent de l’intérêt pour cette formule et entament des démarches pour mettre sur pied une CDÉC. Grâce à un nouveau protocole de financement signé en 1990 avec les trois paliers gouvernementaux cette fois, deux nouvelles CDÉC seront créées dans ces quartiers : la CDÉC Centre-Nord et la CDÉC Rosemont/Petite-Patrie. Enfin, en 24 1992, deux autres CDÉC viendront compléter le portrait dans les arrondissements Côte-desNeiges/Notre-Dame-de-Grâce et Ahuntsic/Cartierville. Ainsi, sept CDÉC occupent aujourd’hui le territoire de l’ancienne Ville de Montréal. Réparties sur trois générations, chacune couvre un territoire équivalent à l’arrondissement. Les trois plus anciennes, faisant partie de la première génération, sont le RÉSO (Regroupement pour la relance du Sud-Ouest) qui était anciennement le PEP, la CDEST (CDÉC de l'Est de Montréal) qui a commencé comme étant le PAR-HM, et la CDÉC Centre-Sud / Plateau Mont-Royal. La CDÉC Centre-Nord et la CDÉC Rosemont / Petite Patrie sont dites de deuxième génération, alors que la CDÉC Ahuntsic / Cartiervillle et la CDÉC Côte-des-Neiges / Notre-Dame-de-Grâce forment la troisième génération. Fait à noter, deux arrondissements de l’ancienne Ville de Montréal n’ont pas de CDÉC mais uniquement une société de développement économique (SODEC), il s’agit de Ville-Marie (Centre-Ville) et de Rivières-desPrairies/Pointe-aux-Trembles. Il existe également trois autres « jeunes » CDÉC sur l’île de Montréal, dans les anciennes villes de banlieue. Il s’agit de la CDÉC Anjou/Montréal-Est, du CREC de St-Léonard et de Transaction vers l’emploi à LaSalle. Enfin, à la grandeur de la province, six CDÉC ont vu le jour hors de la proximité de la métropole : les CDÉC de Hull, Gatineau, Buckingham/Masson-Angers et Sherbrooke, le CRÉÉCQ de Québec et Économie communautaire de Francheville à Trois-Rivières. Enfin, tout récemment, les CDÉC se sont dotées d’un regroupement formel, le regroupement des CDÉC du Québec. L’évolution et la multiplication des CDÉC serait le résultat de leur institutionnalisation (Lévesque 1995 ; Lévesque et Vaillancourt 1998). Voyons maintenant à quoi peut ressembler une CDÉC. D’abord juridiquement, les CDÉC sont des associations, des organismes à but non lucratif (OBNL), selon les termes de la troisième partie de la Loi sur les compagnies, ce qui leur confère droits et responsabilités liés à ce statut. Leur structure associative se compose d’une assemblée générale ou assemblée des membres répartie en divers collèges électoraux parmi lesquels on retrouve traditionnellement le milieu communautaire, le milieu des affaires, le milieu syndical, des représentants de la population ou le collège des résidents, des représentants des institutions du territoire (écoles, commissions scolaires, établissements de soins de santé, CLSC, …), ainsi que d’autres de présence plus variable tel les communautés ethniques. Le conseil d’administration (CA) est composé des représentants élus annuellement par chacun des collèges auquel viennent généralement s’ajouter le directeur général (sans droit de vote) et un ou des 25 employés de l’organisation. Un comité exécutif (CE) est généralement nommé également et le CA a le pouvoir de mettre sur pied et de mandater des comités de travail sur les dossiers qu’il juge pertinent. À noter, il est généralement admis qu’aucun collège électoral ne peut posséder une majorité de sièges au conseil. Le conseil d’administration est responsable de l’atteinte de la mission de l’organisme et de tout autre mandat assigné par l’assemblée générale. De ce fait, il revient généralement au conseil de déterminer les orientations de l’organisation ainsi que les principaux axes de développement et les priorités. Puis on retrouve une structure interne d’opération, généralement simple et peu hiérarchisée avec un directeur général, parfois quelques cadres intermédiaires et des employés de première ligne. De façon générale, toutes les CDÉC partagent à la base une mission globale de développement économique et social ou, dit autrement, de revitalisation socio-économique d’un territoire donné et assez restreint pour être qualifié de local. À ce titre, les principaux moyens d’intervention pour l’atteinte de cette mission ont été et restent encore le regroupement, la concertation et la mobilisation des différents acteurs locaux (Morin 1994-1995). De ce fait, tables de concertation (tables de quartier) et CDÉC partagent des points communs : volonté de revitaliser le territoire, d’améliorer la qualité de vie, le cadre de vie sur une base locale, approche pragmatique qui passe par la concertation et la mobilisation des acteurs locaux sur des dossiers précis (Morin 2000). À la différence des tables de quartier cependant, les CDÉC ne limitent pas cette concertation aux seuls organismes communautaires mais y incluent plus largement des représentants des secteurs privé comme public, syndical et communautaire. Cependant, dans ce cadre, chaque CDÉC reste libre de formuler sa propre mission et de décider des moyens opérationnels et des actions concrètes mises de l’avant pour actualiser cette mission. Il n’en reste pas moins la possibilité d’identifier quatre grands axes d’intervention principaux, à savoir la concertation locale, l’employabilité (aide à l’insertion en emploi), le soutien à l’entrepreneuriat et la promotion du territoire local (Morin 1996 ; Camus 1999 ; Morin 2000). L’intensité avec laquelle chacun des axes sera mis en œuvre explique en partie les particularités qui diffèrent d’une CDÉC à l’autre. « La concertation locale constitue le premier mandat confié aux CDÉC par leurs bailleurs de fonds. C'est par la concertation des différents acteurs présents sur leur territoire que les CDÉC comptent promouvoir un réseau local d'échanges, susciter ou renforcer un sentiment d'appartenance au territoire local et ainsi favoriser une « atmosphère » ou un « milieu » (Becattini, 1992; Perrin, 1992; 26 Maillat, 1996) propice à l'innovation tant sur le plan de l'insertion au travail des sans-emploi que sur celui du maintien et de la création d'emplois locaux. […] Comme pivot d'une concertation locale et acteur de cette concertation, les CDÉC contribuent à insuffler un nouveau dynamisme à leur territoire et à favoriser l'émergence de réseaux. » (Morin 1996) Pour ce qui est de la concertation locale, elle se fait d’une part de façon régulière et formelle par le biais des assemblées générales et des réunions du conseil d’administration où sont représentés divers groupes d’intérêts mais aussi, d’autre part, par des rencontres, assemblées, forum ou colloques ponctuels organisés en lien avec un dossier spécifique, comme par exemple le Forum du canal Lachine dans le Sud-Ouest organisé par le RÉSO. Enfin, les CDÉC sont des participantes actives au sein des tables de concertation (tables de quartier) locales. « Afin de soutenir le démarrage ou la consolidation d'entreprises dans leur arrondissement, les CDÉC travaillent à créer ou à renforcer des réseaux d'affaires locaux, cherchant ainsi à produire un effet de «synergie du milieu» (Polèse 1994 in Morin 1996) L’employabilité et le soutien aux entreprises correspondent aux deux grands secteurs d’opérations (fourniture de services) de la CDÉC. L’employabilité comprend toutes les activités et services offerts en lien avec l’accès au travail, au marché de l’emploi. Axés vers l’individu, ces services peuvent aller de l’accueil et de la référence à du conseil en orientation scolaire ou professionnelle, de la formation, des services de placement, de l’information et du conseil en recherche d’emploi (c.v., techniques d’entrevues…), etc. Les CDÉC vont aussi faire la promotion de la main d’œuvre locale auprès d’entreprises du territoire (Morin 1996), ce qui aboutit parfois à des partenariats pour la sélection et l’embauche de ressources humaines lors de l’implantation de grandes surfaces dans un quartier. Le soutien aux entreprises, lui, vise avant tout le maintien et la création d’emplois par de l’aide offerte aux entreprises existantes, en démarrage ou en prédémarrage. L’offre de services est de deux ordres : d’une part des services d’information et de promotion des divers fonds et mesures de soutien aux entreprises ainsi que des services conseils en gestion, marketing, finance, élaboration de plan d’affaires, montages financiers, etc. et d’autre part l’allocation directe de ressources financières par le biais des divers fonds que gère la CDÉC et 27 qui proviennent d’enveloppes budgétaires gouvernementales (FLI14, FÉS15, FDEM16, FAQD17) ou de mises de fonds en partenariat (SOLIDE18, FACILE, RESO Investissements,…). Enfin, les CDÉC oeuvrent à créer ou renforcer des réseaux d’affaires, à induire des maillages porteurs, « cherchant ainsi à produire un effet de « synergie de milieu » » (Polèse 1994 in Morin 1996). De plus, tous les services offerts, que ce soit en employabilité ou en soutien aux entrepreneurs peuvent l’être en partenariat avec d’autres organisations comme les commissions scolaires, les Carrefours jeunesse emploi (CJE), les entreprises d’insertion, le Centre local d’emploi (CLE) dans le cas de l’employabilité, ou encore avec les Services d’aide aux jeunes entrepreneurs (SAJE) dans le cas du soutien aux jeunes promoteurs. « En matière de promotion de leur territoire respectif, toutes les CDÉC qui étaient sur pied au tournant des années 1990, sont intervenues lors des consultations publiques relatives au plan directeur d'urbanisme de leur arrondissement. Les CDÉC y revendiquaient le maintien de la vocation industrielle de terrains faisant l'objet de pressions à la reconversion résidentielle tels, par exemple, les rives du Canal Lachine dans le Sud-Ouest, un des berceau de l'industrialisation de Montréal; les espaces encore vacants des anciennes usines Angus appartenant à une compagnie de chemin de fer, le Canadien Pacifique (CP), dans l'arrondissement Rosemont/Petite-Patrie; et l'emprise de la voie ferrée du CP dans l'arrondissement Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal. […] Les CDÉC ont également oeuvré, de concert avec des acteurs locaux et des représentants des divers paliers de gouvernement, à des projets plus ambitieux de redéveloppement économique de leur territoire… » (Morin 1996) Enfin, la promotion du territoire local se fait en partie par le biais des activités régulières mais surtout, comme dans le cas de la concertation, sur des dossiers ou projets spécifiques. Ce fut le cas, par exemple, du RESO qui a été très actif autour du dossier du Canal Lachine. En termes de ressources, les CDÉC sont financées en majeure partie (plus de 80% en moyenne) par les trois paliers de gouvernement soit municipal, provincial et fédéral. Elle ont aussi quelques revenus auto-générés provenant de la vente de certains services, des cotisations des membres et de la vente de documents, mais ces derniers sont largement insuffisants pour 14 Fonds local d’investissement Fonds d’économie sociale 16 Fonds de développement de l’emploi de Montréal 17 Fonds d’aide aux quartiers défavorisés 18 Société locale d’investissements pour le développement de l’emploi 15 28 permettre l’autofinancement de l’organisme et même, à la limite, ne fournissent guère de marge de manœuvre financière par rapport aux principaux bailleurs de fonds. Il importe d’insister sur le caractère territorialisé des CDÉC. Chaque CDÉC est responsable du développement d’un territoire précis et aux limites définies (l’arrondissement dans l’ancienne Ville de Montréal), limites qui ont parfois fait l’objet de contestation et de négociation avec les pouvoirs publics – principaux bailleurs de fonds - d’ailleurs. Aussi, dans le cadre plus large défini ci-haut, chaque CDÉC est libre de déterminer sa propre mission, ses propres priorités d’action de même que sa propre structure interne afin de répondre le plus adéquatement aux besoins exprimés par le milieu. Ainsi, en 1997, les sept CDÉC employaient 118 personnes (contre 116 en 1995) avec un nombre d’employés par CDÉC variant entre 9 et 47. C’est dans les services en employabilité que l’on retrouve le plus grand nombre d’effectifs, suivi des services aux entreprises et des services administratifs occupant 17% seulement des employés. Le budget annuel, au même niveau que l’année précédente représente 10,4 millions de dollars gérés directement par les CDÉC dont une forte proportion est concentrée dans les activités d’employabilité. À ce montant, s’ajoutent plus de 2 millions de dollars en fonds d’investissements divers gérés par les CDÉC conjointement avec les partenaires impliqués. L’année 1996-1997 a vu l’implantation des Carrefour jeunesse emploi (CJE) et des Sociétés locales d’investissement et de développement de l’emploi (SOLIDE) dans lesquelles les CDÉC sont très impliquées. Quant aux clientèles rejointes par les CDÉC, elles restent très diverses avec une majorité de sans chèque ou de personnes en emploi précaire.19 État et communautés locales aujourd’hui : à la croisée des chemins ? Alors que l'État, dans son effort de résolution de la crise qui l'affecte, se cherche des nouvelles façons de faire, on voit émerger, dans la société civile, une nouvelle façon de concevoir le développement et l'émergence de pratiques de développement local, de développement économique communautaire, de concertation et de partenariat. La nouvelle politique du gouvernement québécois, déposée en 1997 et intitulée Politique de soutien au 19 Les données sont tirées du Bilan consolidé 1996-1997 des corporations de développement économique et communautaire réalisé dans le cadre de l’évaluation continue des CDÉC, octobre 1997 29 développement local et régional se trouve à la jonction de ces axes, de ces pratiques et d’une réponse au repositionnement de l'État. Or dans cette Politique, le gouvernement prévoit la création de nouvelles structures locales : les Centres locaux de développement (CLD). Ces structures seront responsables des services de première ligne en matière de soutien aux entreprises à travers la création d’un « guichet multiservices », disposeront de fonds d’investissements locaux dont un dédié aux projets d’économie sociale et seront responsable de la planification du développement au niveau local à travers la concertation de représentants des acteurs locaux au sein du conseil local des partenaires, l’équivalent du CA pour les CLD. Aussi, le cas de la Ville de Montréal demande-t-il des mesures particulières. En effet, les CDÉC revendiquent le mandat de CLD affirmant qu'elles effectuent déjà en grande partie les activités qui vont être dévolues aux CLD, elles font aussi valoir leur expérience dans la concertation et leur réussite dans la mobilisation des différents acteurs de la municipalité autour de l'objectif du développement local (Doré, Charpentier, Lapointe et Sandborn 1997). Ce mandat leur sera finalement accordé en 1998, ce qui amène plusieurs auteurs à qualifier un nouveau rapport de partenariat public / communautaire (Lévesque 1995 ; Bouchard et Chagnon 1998, Labelle, Nepveu et Turbide 1998). Partenariat qui soulève cependant autant d'espoirs que de critiques et d'enjeux… Les espoirs, les enjeux et les critiques Les espoirs sont présents. Un des apports possible d'un tel partenariat serait la stabilité et la légitimité que conférerait le mandat CLD pour les CDÉC (Lévesque et Vaillancourt 1998). Par ailleurs, face aux revendications du gouvernement qui, par cette politique, désire à la fois se rapprocher du citoyen et rationaliser ses structures, arrive l'espoir d'un réel changement de mentalité et une volonté réelle de décentraliser (Grenier 1998). Ce mandat et les moyens qu'il suppose permettent aussi de croire en un développement local et une création d'emploi importants (Grenier 1998). Les conditions de succès et les enjeux, quant à eux sont nombreux et principalement en lien avec le nouveau rapport partenarial. Il s'agit entre autres de la nécessaire participation des citoyens de la communauté afin de promouvoir un partenariat démocratique (Normand 1996) et donc de la nécessité pour les acteurs publics d'être prêt à s'engager dans un dialogue honnête 30 avec le citoyen (Guillemot, Lanvers et Suchet 1998). Pour qu'un tel partenariat réussisse, il faut que chacun accepte de perdre un peu de son pouvoir, de ses principes, au profit d'un objectif commun (Guillemot, Lanvers et Suchet 1998). La question de l'évaluation et du contrôle devient aussi très délicate. On met en évidence la nécessité pour les fonctionnaires publics d'adapter leurs pratiques et mentalités pour dépasser l'évaluation arbitraire, uniforme et généralement économique vers une évaluation plus personnalisée, incluant des critères sociaux (Labelle, Nepveu et Turbide 1998 ; Grenier 1998). Serva (1999) relève quatre enjeux majeurs pour un partenariat public/communautaire : 1) l'opposition et la lutte entre rationalités différentes, instrumentale pour l'État, substantive pour les organisations de la société civile (Ayoub 1995 ; Guillemot, Lanvers et Suchet 1998), 2) le problème sémantique associé au développement local, lié à la difficulté d'en formuler une définition qui soit la même pour tout le monde, 3) les formes de représentations, qui peuvent autant élargir la démocratie que mettre le social en système (Bouchard et Chagnon 1998) et 4) la gestion des organisations communautaires, alors que le corpus et l'enseignement de la gestion relèvent d'une vision de l'entreprise peu adaptée à la gestion de telles organisations. Par ailleurs, il y a lieu de se demander si cette décentralisation ne serait pas davantage une occasion de centralisation locale (Bouchard et Chagnon 1998 ; Greason 1998 ; Mendell 1995). Il faudrait par ailleurs éviter de considérer ces expérimentations de l'État, toujours à la recherche de solutions à la crise qui l'affecte, comme des formes stables de nouveaux arrangements (Bouchard et Chagnon 1998). Parmi les critiques formulées, il y a celle qui perçoit ce partenariat comme une instrumentalisation des organisations de la société civile, au service du désengagement de l'État (Bouchard et Chagnon 1998 ; Greason 1998). On critique aussi la création de nouvelles structures, les CLD, dans un paysage structurel déjà fort complexe, ce qui remet en question la volonté du gouvernement de rationaliser dans ses structures (Picher 1997). On perçoit aussi les conseils d'administration de ces nouvelles instances, réunissant plusieurs collèges électoraux tous minoritaires, comme une occasion de chicanes stériles (Picher 1997) ou de répétition à l'échelle locale de vieilles luttes régionales ou provinciales (Mendell 1995). On va même jusqu'à qualifier les nouvelles structures de source de gaspillage et d'énergie (Picher 1997). La plus virulente critique à cet égard pose la nouvelle politique comme un appui au système hégémonique néo-libéral, qui en voulant favoriser une démocratie participative ne ferait en fait que fragmenter le pouvoir, diviser 31 pour mieux régner disait l'adage, qui en encourageant la consultation à outrance pratique en fait une politique d'épuisement des intervenants et qui, finalement, ouvre grand la porte à d'éventuelles privatisations des services publics (Greason 1998). La rencontre entre l’État et la société civile dans le développement local au Québec L’État avec la Politique de 1997 amorce une décentralisation au profit de structures de gouvernance locale, les CLD, et inscrit de la sorte le développement local à son agenda. Les CDÉC de Montréal, organisations issues de la mobilisation de la société civile, oeuvrent dans le développement local par leur approche de développement économique communautaire depuis leur émergence et à travers leur institutionnalisation. Une rencontre entre l’État et les CDÉC est donc inévitable, comment comprendre alors cette interface autour de laquelle orbitent nombre d’enjeux ? Qu’y a-t-il au cœur de la boîte noire (voir figure 1) ? Cela soulève inévitablement la question du rapport entre l’État et la société civile et de son évolution, point de départ de notre questionnement de recherche… Dans le chapitre suivant nous ferons donc ressortir ce que la littérature conceptuelle offre en réponse à ce questionnement. 32 Figure 1 : L'interface entre État et société civile Population - Contribuables - Citoyens État Appareil Gouvernemental ENJEUX Décentra- - Imputabilité - Performance lisation Gouvernance Gouvernance locale INTERFACE multi-acteurs locale multi-acteurs InstitutionENJEUX nalisation - Autonomie - Proximité - Expérimentatio Organisations communautaires et de développement local Mouvements sociaux - mouvement communautaire territorialisé - société civile organisée Population - Contribuables - Citoyens 33 Chapitre 2. Rapport État / société civile et développement local : la littérature conceptuelle Ainsi cherchons-nous à comprendre ce qui sous-tend le rapport entre l’État et la société civile et, de même que ce n’est pas quelque objet statique ou immuable, le comment de son évolution et de sa transformation dans le temps, plus précisément dans le domaine du développement local au Québec. À ce titre, il convient d’examiner ce que nous offre la littérature conceptuelle et qui pourrait contribuer de façon satisfaisante à cette élucidation. Pour ce faire nous avons pris le parti d’une double exploration; une première, plus globale, sur la question du rapport État-société civile dans la littérature en général et une deuxième, spécifique, sur la littérature en développement local. Aussi, nous présentons le résultat de ces lectures avec d’abord un bref portrait de l’ensemble de la littérature consultée pour ensuite nous pencher plus en détail sur les approches proposant une réponse à la question qui nous occupe. Un bref survol… Afin de donner une idée d’ensemble de ce qui se dégage des écrits, nous résumons ici en deux temps notre étude de la littérature. D’abord autour du thème général du rapport entre l’État et la société civile objet de la première exploration; puis autour du thème plus spécifique du développement local. Le rapport État-société civile Nous avons donc entrepris, dans un premier temps, un examen de la littérature non spécifiquement dédiée au développement local avec cette question du rapport entre l’État et la société civile. Il ressort de cette première revue, une littérature peu abondante sur le sujet mais assez variée en terme d’approches : fonctionnaliste, économique néo-classique, institutionnelle ou plutôt néo-institutionnelle et enfin régulationniste. Ainsi, l’approche fonctionnaliste présente explicitement le rapport État - société civile à travers le concept de partage de la gestion du social ou des services sociaux. On reconnaît alors trois principales fonctions rattachées à cette gestion où l'appareil public est présenté comme ayant, de par sa nature, la capacité d'exercer les deux fonctions de régulation et de contrôle, qui nécessite une vue d'ensemble "nationale", et de 34 financement, facilité par son pouvoir fiscal. Les organisations de la société civile seraient, quant à elles, particulièrement appropriées pour exercer la fonction de production et de distribution, par leur flexibilité et leur proximité (Chaves et Sajardo Moreno 1997). L’approche économique quant à elle aborde la question du rapport dans une tentative d'explication de la coexistence de formes organisationnelles différentes qui ne se limite cependant pas à la présence publique et communautaire mais intègre aussi les secteurs de l'économie marchande (entreprise privée) et de l'économie coopérative dans la provision des services dits sociaux, publics ou d'intérêt général. (Anheier et Ben-Ner, 1997; Bédard, Tereraho et Bernier, 1998 ; Cox, 1999 ; Handy, 1997). Dans cette approche, le rapport est modélisé par une complémentarité entre les diverses formes qui permet de pallier aux défaillances de chacune prise isolément (Handy 1997). Les caractéristiques du service ou produit rendu (vendu) sont aussi des facteurs explicatifs de cette variété organisationnelle : un service pour lequel il est difficile de définir objectivement la qualité (Handy 1997), ce qui entraîne une asymétrie d'information (Anheier et Ben-Ner, 1997), comme dans le cas de services publics ou d'intérêt général. Quant aux deux autres approches, institutionnelle et régulationniste, nous les développons davantage plus loin. Et puis, une part importante de la littérature recensée aborde aussi cette question indirectement et de façon historique à travers l’observation et la conceptualisation de transformations sociales, économiques et politiques ayant entraîné une nécessaire remise en question de l’État, de son rôle et de ses modes d’intervention et donc de son rapport aux autres composantes de la société, dont la société civile ou ses organisations. Mais avant de donner le détail de ces résultats, commentons brièvement ceux de la deuxième revue, sur le développement local. Le développement local Cet examen de la littérature a été entrepris dans un deuxième temps auprès du corpus que nous semblait former la littérature, abondante, sur le développement local et ce, en se limitant en grande partie à la littérature québécoise ou traitant de l’expérience québécoise. Or, il ressort de cette deuxième exploration que le territoire conceptuel occupé par le développement local est beaucoup plus fragmenté qu’il n’y paraît. Effectivement sous le vocable de développement local se rejoignent et se côtoient de nombreuses disciplines, de nombreux courants théoriques et de nombreuses pratiques, le tout à travers un foisonnement d’études et d’écrits de natures assez 35 diverses. Nous dressons ici un bref portrait de cette littérature avant d’exposer les contributions sur la question qui nous préoccupe. À noter qu’une partie importante de la littérature sur le développement local porte sur les expériences de développement dans les pays en voie de développement, ce à quoi nous ne nous sommes pas attardés. La(les) définition(s) du développement local. Plusieurs termes en sciences sociales sont habillés de ce qu’il conviendrait de nommer un « polysémantisme » pouvant à la fois nourrir d’interminables débats sur la nature de l’objet et permettre à l’étude de ce dernier une heuristique profitable. Le « développement local » aux côtés de l’économie sociale ou du tiers secteur (voir même de la société civile) fait partie de ceux-ci, chaque auteur y allant généralement de sa propre définition quand ce n’est pas de sa propre terminologie. Mais, il faut dire que l’intérêt suscité par le développement local est encore récent, datant du début des années 1980, avec l’émergence d’une multitude d’initiatives locales en Amérique comme en Europe (Lévesque 2000). Aussi, aujourd’hui, les deux termes les plus courants pour désigner les initiatives d’une communauté locale dans ses efforts de développement sont encore ceux de « développement local » ou de « développement économique communautaire » (Tremblay et Fontan 1994) mais on retrouve des désignations plus variées telles : développement économique local (Blakely 1994), développement économique local et communautaire (Morin, Latendresse et al. 1994) ou développement social urbain (Jacquier 1991 in Fontan 1993 ; Boucher, Paquet et al. 1998). Ce type de développement que certains auteurs qualifient de nouveau paradigme de développement (Benko et Lipietz 1992) peut être situé historiquement au Québec par rapport au développement régional, son prédécesseur en quelque sorte : « Si le développement régional tel que mis de l’avant dans les années 1960 faisait appel surtout à la grande entreprise et à l’intervention verticale de l’État, le développement local repose en grande partie sur la concertation des acteurs locaux et sur le partenariat entre les divers intervenants. » (Lévesque 2000 ; 11) Quant aux définitions offertes par la littérature, elles sont nombreuses et pour cause : “Nous avons pu constater que non seulement les acteurs, mais aussi les analystes ou théoriciens (enseignants essentiellement) ne s’entendent pas sur les définitions 36 du développement local, ni sur les distinctions à faire à propos des concepts apparentés. »(Tremblay et Fontan 1994 ; 126) Ainsi Blakely (1994) définit le développement local en ces termes : « process in which local governments or community-based (neighbourhood) organizations engage to stimulate or maintain business activity and/or employment.» (Blakely 1994; 15). Pour Vachon (1993), le développement local est une « stratégie qui vise, par des mécanismes de partenariat, à créer un environnement propice aux initiatives locales, à s’adapter aux nouvelles règles du jeu de la croissance macroéconomique, à trouver d’autres formes de développement qui, par des modes d’organisation et de production inédits, intégreront des préoccupations d’ordre social, culturel et environnemental parmi des considérations purement économiques » (Vachon 1993 ; 104). Tremblay et Fontan (1994), citant Jacquier (1992) nous offrent cette définition : « Un processus global, une stratégie intégrée, dont l’objectif est de promouvoir une autre manière de penser et de faire les villes en mettant l’accent sur les notions de solidarité et de citoyenneté et surtout en cherchant à lutter contre les mécanismes d’exclusion qui sont trop souvent amplifiés quand ils ne sont pas générés par les appareils bureaucratique et technocratique ». Nous pourrions en citer nombre d’autres mais déjà ces trois permettent de saisir le concept qui va d’un sens fort étroit, développement des entreprises et de l’emploi, à un sens fort large, lutte sociale. En fait, la définition que l’on donne au développement local repose grandement sur la conception que l’on a du développement et qui peut aller de la simple croissance économique (Blakely 1994 ; Prévost 1993 ; Fortin 1998) à un concept plus qualitatif de croissance et d’amélioration non seulement économique mais aussi sociale et démocratique pour une communauté locale (Tremblay et Fontan 1994; Vachon 1993; Shragge 1997 ; Favreau et Lévesque 1996). D’où la distinction établie par Tremblay et Fontan (1994) et Perry et Lewis (1994) entre un développement local dit « libéral » et un développement local dit « progressiste ». Le premier faisant référence à des stratégies d’intervention à caractère économique passant par la stimulation de l’activité économique et de l’emploi, la promotion de l’entrepreneuriat, la recherche d’investissements et le développement de coopérations (concertation et partenariat) pour obtenir la croissance économique. Il n’est pas question ici de changement social. Le deuxième faisant plutôt référence à un développement qui permet une prise en charge par la communauté de son devenir. Ce développement procède alors de la recherche de solutions alternatives face aux imperfections du marché et de l’État dans une optique de changement social. Le développement que l’on vise est alors autant social qu’économique. Le 37 cadre de vie, la qualité de vie de la communauté y tiennent une place importante de même que des fonctionnement démocratiques, la participation de la population et la constitution ou la reconstitution du tissu social et l’aide aux personnes marginalisées (Tremblay 1994 ; Perry et Lewis 1994). Et ce type de développement passe souvent par la stimulation de formes organisationnelles alternatives (coopératives, organisations communautaires, etc.). Dans les deux types de développement, la prise de décision est cependant accomplie au niveau local (Perry et Lewis 1994) : au niveau municipal pour la perspective libérale, à des organisations de DÉC à but non lucratif pour la perspective progressiste Le terme « local » quant à lui fait généralement l’objet de moins de discussions. Le territoire local correspondrait au dernier échelon du découpage territorial, après le territoire régional (qui correspond généralement aux régions administratives au Québec) et le territoire national (que l’on associe souvent au territoire de la province au Québec). Généralement lié à la notion de communauté (locale), qui suppose une certaine cohésion, homogénéité (Gontcharoff 1999) ou « une zone naturellement et historiquement constituée » (Prévost 1993), le territoire local désignera au Québec en région urbaine un quartier, un arrondissement ou en région périphérique, une municipalité régionale de comté (MRC). Les disciplines. Parmi les disciplines qui se sont penchées sur la problématique du développement local nous retrouvons les sciences économiques (Blakely 1994), la sociologie (Laville 1994 ; Lallement 1999), la géographie (Vachon 1993), les sciences politiques (Juillet 1999) et leurs diverses déclinaisons, à savoir la sociologie économique (Lévesque 1997 ; Favreau et Lévesque 1996), la géographie économique (Benko et Lipietz 1992), les sciences de l’aménagement et l’urbanisme (Morin et al. 1994 ; Proulx 1999 ; Hamel 1991), les relations industrielles, les sciences régionales (Baillargeon 1994) et, de manière assez discrète, les sciences du management (Prévost 1993 ; Fortin 1998), sans compter quelques explorations anthropologiques sur le sujet (Abram et Waldren 1998). Or, chacune traverse l’objet avec un regard spécifique à sa nature et à ses préoccupations : croissance économique pour l’économie, aménagement des territoires et cadre de vie pour les sciences de l’aménagement, nouvelles pratiques et transformations sociales pour la sociologie, politiques publiques, lieux de pouvoir et instances de décision pour les sciences politiques, 38 entrepreneurship pour les sciences de la gestion, etc. De plus, à ce foisonnement disciplinaire, dont jouissent toutes les pratiques humaines d’ailleurs, s’ajoute une variété dans la nature même des écrits. Fontan (1993) et Tremblay et Fontan (1994) décrivent ainsi quatre types d’écrits sur ce qu’ils ont désigné comme le développement économique local et communautaire soit des textes descriptifs relatant pour la plupart des expériences de développement local, des textes à contenu plus théorique écrits principalement par des chercheurs, des documents de type évaluatifs qui tentent de faire ressortir les facteurs et conditions de succès ou d’insuccès et des textes de nature plus technique destinés aux praticiens. Les pratiques de développement local font donc l’objet d’écrits de nature idéographique, nomothétique et normative. Les courants théoriques. On retrouve à travers la littérature sur le développement local, plusieurs courants théoriques généralement en fonction de la vision ou de l’entendement donné au concept de développement (voir tableau 1). Ainsi, Blakely (1994) identifie plusieurs courants théoriques économiques contribuant à la compréhension du développement local et à sa modélisation; ainsi la théorie économique néoclassique, la théorie de des « bases économiques » (economic base theory), la théorie de la localisation, la théorie des pôles (central place theory), la théorie causale cumulative, la théorie de l’attraction industrielle (industrial attraction). Ce sont toutes là les théories à partir desquelles Blakely construit ses prémisses pour une nouvelle théorie du développement local. Tremblay et Fontan, eux, identifient parmi les textes à « contenu théorique », six visions ou angles d’analyse différents soit celui de la dualisation de l’économie, du développement endogène, de la régulation sociale, des mouvements sociaux, du développement urbain et de la nouvelle logique économique. Des visions très théoriques et très peu empiriques, voire plutôt « utopiques » (Tremblay et Fontan 1994 ; 127). En effet, selon eux la majorité du corpus théorique sur le développement local attache beaucoup d’importance au contexte ou à l’émergence des pratiques sans chercher toujours à conceptualiser le phénomène. On trouve aussi dans la littérature une séparation entre développement local en milieu urbain et développement local en milieu rural, une distinction qui s’accroît dans le temps (Boucher, Paquiet et al. 1998). Enfin, nos lectures font ressortir deux autres angles d’analyse soit celui des sciences du management avec une vision entrepreneuriale du développement local (Prévost 1993 ; Vachon 1993 ; Fortin 1998) et celles des sciences de l’environnement qui repose sur le lien étroit entre développement durable et 39 développement local (Gagnon 1995 ; Juillet 1999). Il importe ici de souligner parmi les approches libérales disons « mitigées » l’apport développé principalement par les sciences managériales à travers la littérature sur l’entrepreneuriat. Cette approche, si elle adopte la finalité de création d’emploi, d’activité et de croissance économique met cependant un accent important sur les personnes : les entrepreneurs, promoteurs, leaders ou porteurs de projet, en lien avec le développement (Vachon 1993 ; Prévost 1993 ; Fortin 1998). Dans cette approche qui est résolument volontariste, l’État occupe par contre une place fort accessoire parmi les structures d’appui tout en reconnaissant un rôle potentiel pour les élus et administrateurs (Prévost 1993). Tableau 1 : Six visions du développement local dans la littérature Courant théorique Approche Principaux auteurs Dualisation de l’économie Macroéconomique Environnement, contexte général Mise en place d’institutions dans le but de valoriser les ressources d’une communauté Formes institutionnelles de renouvellement du modèle de développement fordien Mouvement social progressiste et transformation sociale des façons de concevoir les valeurs et principes Promotion de l’espace urbain comme espace économique autonome Entreprise au service de la communauté (entreprise new age) Nouvelle logique fondée sur autodetermination des communautés et socialisation de l’État et du marché Conseil économique Canada 1991 Brodhead, Lamontagne Pierce 1990, Perry 1987 Développement endogène Régulation sociale Mouvements sociaux Développement urbain Nouvelle logique économique du et Laville 1992, Lévesque et Bélanger 1992, Fontan 1991, Lipietz 1989 Ninacs 1992, Favreau 1989 Jacobs 1984 Nozick 1992, Bruyn 1987, Pecqueur 1989, MacLeod 1986 Source : à partir de Tremblay et Fontan 1994 Les pratiques. Les auteurs utilisent le terme d’« initiatives » pour désigner les expériences et pratiques de développement local ou rattachées de près ou de loin au développement local. Nommons ainsi les initiatives d’économie sociale, de gouvernance locale, de partenariat et de concertation, 40 d’entrepreneuriat à l’échelle locale, d’insertion par l’économique. Tremblay et Fontan (1994) abordent le sujet avec une catégorisation des axes d’intervention au nombre de quatre : 1) emploi et développement de la main d’œuvre, insertion (valorisation et développement des ressources humaines), 2) entrepreneuriat et soutien aux entreprises (incubateurs, mise en œuvre de la combinaison de ressources, prévention de fermetures), 3) aménagement du territoire (cadre de vie, qualité de vie, utilisation du territoire – zonage, logement, propriété du terrain), 4) investissement (ressources financières – fonds). Favreau (1996), lui, traite des initiatives territorialisées de revitalisation économique et sociale, des initiatives sectorielles d’insertion sociale par l’activité économique et des initiatives de financement du développement local. Enfin, si la littérature sur le développement local est fort copieuse, si les approches proposées par ces divers fondements disciplinaires pour conceptualiser les pratiques et initiatives liées au développement local traitent à peu près toutes de l’État et de la société civile, toutes n’abordent pas explicitement la question du rapport entre ces deux entités. Plusieurs approches ne font qu’effleurer l’un ou l’autre d’une façon fort instrumentale. Dans ce qui suit, nous nous attarderons donc à détailler plus avant les approches et apports de la littérature sur la question qui nous occupe. Aussi dans un premier temps, reviendrons-nous sur les points communs qui ressortent de cette revue : la question du contexte et de l’émergence des initiatives de développement local. Pour ensuite, dans un deuxième temps, relater les contributions de quatre approches susceptibles d’apporter un éclairage en ce qu’elles abordent spécifiquement la question du rapport entre l’État et la société civile soit 1)L’approche de la régulation, 2) la gouvernance locale, 3) les approches partenariales et 4) l’approche des mouvements sociaux. Les points communs Quoique éclatée à plusieurs égards, la littérature examinée recèle des espaces de convergence autour de ce qui semble être des éléments déterminants du phénomène à l’étude. Les crises multiples sont pour la plupart des auteurs sinon tous, un point de départ, d’origine des questionnements mais aussi des initiatives, expérimentations et autres tentatives de solution. État et marché sont alors tour à tour initiateurs ou victimes de la crise et de là émane le thème récurrent de la mouvance, de la transition, du renouvellement. Face à cette instabilité, l’on s’organise ici et là et on expérimente. Le lot de nouvelles pratiques et façons de faire sait aussi réunir une large part 41 de la littérature alors que nombre d’auteurs cherchent à théoriser ou du moins à comprendre ces initiatives et leur avenir. Voyons cela plus en détail. Modernité, crises et remises en question : le point de départ De façon aussi surprenante qu’intéressante, les diverses approches recensées se rejoignent toutes ou presque et indépendamment de leurs allégeances théoriques, en un même point de départ qui postule l’existence de transformations importantes du contexte social, économique et politique ayant mené à l’émergence de nouvelles pratiques. Crise du modèle fordiste, remise en question de l’État-providence, crise des finances publiques, mondialisation, crise de l’emploi, complexification de la réalité, nouvelles technologies de l’information ou modernité avancée sont de ces transformations citées dans la littérature qui entraînent une nécessaire reconfiguration du rôle et des interventions de l’État et donc de son rapport aux autres acteurs sociaux dont ceux de la société civile. Nous avons dégagé trois grands axes de transformation, État, marché et modernité sur lesquels nous traçons à grands traits un bref portrait de la littérature. Le marché mondialisé Fontan (1993) dans sa revue critique de la littérature en développement économique communautaire fait ressortir d’emblée un certain consensus de la part des auteurs sur l’émergence du développement local économique communautaire autant en termes de pratiques que comme concept de référence : il rappelle que Newman, Lyon et Philip (1986 in Fontan 1993) s’accordent pour dire que face aux iniquités suscités par les lacunes dans la redistribution des richesses par l’État et de même que confrontées aux mouvements de concentration, désinvestissement, déclin de certaines industries, épuisements des ressources naturelles, tertiarisation, les communautés rurales comme urbaines se sont tournées vers de nouvelles approches de développement dont le développement local (Fontan 1993). D’autres parleront de circonstances économiques qui changent : déclin des emplois manufacturiers, croissance économique ralentie, mobilité du capital et compétition internationale forte (Blakely 1994), de grandes restructurations économiques aux échelles nationales et mondiales (Morin 42 1994), de restructuration des économies urbaines et régionales (Morin 1998), de restructurations industrielles (Boucher 1998), de décrépitude de l’économie locale (Bruyn 1987). La mondialisation est unanimement pointée du doigt (Boucher 1998 ; Trembaly et Fontan 1994 ; Laville 1995 ; Enjolras 1998 ; Polèse 1988 in Boucher 1998) tout comme ses manifestations et accompagnements : délocalisation (Boucher 1998 ; Tremblay et Fontan 1994), fermetures d’entreprises, chômage chronique, appauvrissement social, culturel et économique (Polèse 1988 in Boucher 1998), passage d’une production standardisée de masse à une production diversifiée (Tremblay et Fontan 94), tertiarisation de l’économie (Laville 1995). Les effets non souhaitables de la croissance économique sont mis de l’avant : croissance génératrice d’exclusion (Vachon 1993 ;Tremblay et Fontan 1994 ; Bruyn 1987), dévitalisation des régions éloignées et vieux quartiers urbains industriels (Tremblay et Fontan 1994), chômage structurel ou de longue durée (Favreau 1999 ; Enjolras 1998 ; Tremblay et Fontan 1994 ; Blakely 1994 ; Lallement 1999). Plusieurs auteurs parlent alors d’une crise de l’emploi qui amène précarité et appauvrissement (Favreau 1999) d’autres d’une transformation du marché du travail (Tremblay et Fontan 1994) ou encore du développement d’une logique marchande entre autres dans la gestion des ressources humaines (Enjolras 1998). Autant de bouleversements dans la sphère économique qui entraînent des pressions indues sur les États nationaux et les finances publiques : l’État paye pour l’irresponsabilité des corporations écrit Bruyn (1987), la solidarité nationale est réduite (Enjolras 1998). Donc au-delà du marché, l’État aussi est en transformation… L’État en redéfinition Pour la majorité des auteurs, l’État vit des bouleversements sans précédents qui nécessitent une révision de son rôle, de ses interventions et des remises en question qui vont jusqu’à questionner sa nature même (Hamel 1999 ; Lévesque 2000). C’est que l’État se rend compte, dans le contexte actuel, qu’il ne peut plus lutter seul contre les problèmes de chômage et d’exclusion (Blakely 1994 ; Laville 1999). On constate également l’échec du développement « par le haut » : les restrictions budgétaires auxquelles fait face l’État, les succès mitigés des grands projets en matière de création d’emplois, la lourdeur et l’inadéquation des programmes conçus par des instances centralisées face à des conditions locales différenciées, la perte d’efficacité des solutions de nature macro-économique (Prévost 1993). L’État cherche alors à corriger le tir, pour 43 ce faire, il choisit d’investir dans les « régions qui gagnent » (Benko et Lipietz 1992), et ce au détriment des régions perdantes (Tremblay et Fontan 1994). Ce désengagement envers certaines communautés, ajouté à l'excès de centralisation accentue les revendications du local, la mobilisation des acteurs locaux pour la relance et la revitalisation (Gontcharoff 1999 ; Tremblay et Fontan 1994 ). On assiste donc à une remise en cause de l’État providence, voir une crise pour ce dernier, ainsi qu’à la remise en question de ses mécanismes keynésiens de régulation ( Enjolras 1996 ; Laville 1996 ; Enjolras 1998 ; Morin 1998 ; Favreau 1999 ; Serva 1999) de pair avec une accentuation de la critique sociale à son égard (Laville 1996). Pour Enjolras (1996 ; 1998) la crise de l’État providence n’est pas que financière, elle est à la fois une crise interne, crise de la solidarité abstraite, et une crise externe, effritement de la synergie État-marché. Synergie caractéristique du compromis fordiste et de la société salariale, les auteurs parlent alors de l’échec ou de l’effondrement du modèle fordiste (Laville & Roustang 1999 ; Lévesque, Klein, et al. 1996 ; Laville 1996). Ainsi pour Rosanvallon (1993 cité in Laville 1994), l’État est victime d’une triple crise : financière, idéologique, philosophique. Cette crise mène vers la recherche d’un nouveau modèle de développement (Laville et Roustang 1999), renégocié pour réarticuler le global et le local à travers un nouveau compromis social (Morin 1994). On constate alors une modification de la nature et de l’espace de l’intervention publique, une tendance à la décentralisation, la recherche l’implication des populations dans la gestion des espaces et la participation des citoyens à l’orientation des services (Boucher 1998) ou l’émergence discrète d’un modèle de développement plus localisé, territorialisé(Lévesque, Klein et al. 1996). C’est l’émergence d’un monde nouveau (Castells 1999 in Lévesque 2000). Modernité, complexité et nouvelles technologies de l’information Certains auteurs ajoutent à la question du marché et de l’État, celle plus générale de la modernité avançante : on parle alors de complexification de la réalité, de l’impact des nouvelles technologies de l’information ou carrément de modernité. Rosell (1999) parle de la multiplication des « participants » (players) qui découle de l’impossibilité d’exercer dorénavant un leadership seul, ce dernier étant dépendant de la reconnaissance de sa légitimité qui ne peut plus être décrétée comme ce fut le cas traditionnellement. Dans la même veine, consommateurs et travailleurs refusent de plus en plus le rôle passif qui leur est laissé par le marché et l’État et 44 demandent donc à participer (Lévesque 2000), on voit aussi se pointer de nouveaux acteurs sociaux (Favreau et Lévesque 1996 ; Serva 1999). On aborde également la question des conséquences non prévisibles ou non-intentionnelles (Rosell 1999) et des externalités. Proulx (1999) aborde la complexité au sein des composantes internes des territoires. Pour Juillet (1999 ; 77), il s’agit de la fragmentation identitaire et sociale croissante des sociétés, du développement des technologies de l’information, de la dématérialisation de l’économie et de l’avènement de la société de risque qui viennent complexifier l’environnement et les interventions. Lévesque (2000) traite de l’ancien modèle keynésien ou fordiste qui a révélé ses limites avec l’ouverture des frontières et l’arrivée des technologies de l’information qui exigent à la fois flexibilité, autonomie et créativité. Lévesque et Ninacs parlent d’un contexte socio-politique « de plus en plus complexe et volatil, marqué par une conjoncture économique paradoxale dans laquelle les règles connues de l’offre et de la demande ne fonctionnent plus, où la croissance est accompagnée d’une hausse de la pauvreté, où une production accrue fait augmenter le chômage ». (Lévesque et Ninacs 1997; 50). Lallement parle d’un contexte d’incertitude croissante (Lallement 1999 ; 45). On remarque aussi à travers la littérature et les pratiques, une prise en compte de plus en plus importante des inégalités et des différences régionales et locales dans le développement. Cette attention portée à la différenciation, à la culture locale, n’est pas sans rappeler les visées des tenants du postmodernisme (Hamel 1995). Et le reste du discours n’est pas sans rappeler les effets contre-intuitifs de (?) ou les conséquences non-intentionnelles de Giddens (1990). Citons en terminant Rosell (1999 ; ix) : « It is a growing challenge to steer effectively with so many hands on the wheel. » nous ne sommes pas loin du “juggernaut” de Giddens (1990)! Les nouvelles initiatives face à la crise L’émergence des nouvelles pratiques, qui demandent à être appréhendées conceptuellement, est alors mise en lien avec ces transformations. C’est la nécessité de ne plus « faire seul », de ne plus décider seul, qui amène de nouvelles pratiques de collaboration : concertation, partenariat, gouvernance plurielle qui ne sont pas sans rappeler l’intérêt parallèle porté aux concepts d’alliances, de stakeholders, de réseaux ou de maillage dans la littérature en management. Face à la perte de cohésion sociale, à la désintégration du tissu social, à la génération d’exclusion, c’est aussi le retour au « local » (Vachon 1993 ; Hamel 1994 in Lévesque, 45 Klein et al. 1996 ; Tremblay et Fontan 1994) : développement local, développement économique communautaire, gouvernance locale, entreprises et services de proximité, économie sociale, entreprises d’insertion. Laville et Roustang (1999) parle de nouvelles pratiques économiques où la démocratisation (Lévesque et Ninacs 1997), la mobilisation et la participation citoyenne sont à l’ordre du jour. Au Nord comme au Sud, on constate davantage de partenariat et de concertation dans la dynamique sociale (Favreau 1999b), des pratiques devenues incontournables aujourd’hui (Lévesque 2000). Face à l’oppression bureaucratique de l’État et face au système de marché incapable de s’autoréguler et de prendre en compte l’intérêt général, les nouvelles initiatives pavent une voie médiane, une « third way » (Bruyn 1987). Ces nouvelles pratiques procèdent d’une hybridation entre des pôles jusqu’alors séparés, économique et social, global et local, État et société civile (Favreau 1999b) entre des logiques jusqu’alors distinctes (Laville 1994 ; Enjolras 1996). Ces initiatives sont des laboratoires d’expérimentation sociale (Favreau 1999b) ou foisonnent les innovations. Elles sont, enfin, le territoire comme lieu de reprise de pouvoir puisque « L’économie-territoire apparaît comme une alternative de développement plus contrôlable que l’économie monde » (Dommergue 1988, p.23 dans Lévesque 2000). Ces initiatives obtiennent même une certaine reconnaissance au Québec dans les années 1990 alors que l’on constate qu’elles réussissent là où l’État et la grande entreprise ont échoué; après l’échec du développement par le haut, on se tourne vers le « développement par le bas » (Lévesque 2000). Nouveaux acteurs, nouvelles règles, nouvelles activités, nouvelles stratégies (Favreau 1999), ces réponses à la « crise » exposée plus haut entraînent un regain d’intérêt pour la société civile que politicologues et économistes redécouvrent aux côtés du marché et de l’État (Paquet 1999 in Lévesque 2000). On redécouvre l’importance des relations et interactions sociales entre individus, entre entreprises, entre entreprises et leurs milieux…Suite à ces remises en question, certains n’hésitent pas même à parler d’un changement de paradigme dans le développement, (Benko et Lipietz 1992) qui supposerait une reconfiguration des rapports entre marché, état et société civile. Lévesque 2000). Le tiers secteur ou secteur associatif se trouve alors au centre même et non plus à la périphérie des solutions nouvelles, à l’intersection même de la nouvelle relation entre État et société civile (Favreau 1999b). À ce titre, le Québec fait bonne figure, véritable laboratoire d’expérimentation sociale d’où sortent de nombreuses innovations institutionnelles : Centres locaux de services 46 communautaires (CLSC), Corporations de développement économique communautaire (CDÉC) et plus récemment Centres locaux d’emploi (CLE) et Centres locaux de développement (CLD) (Favreau 1999b). Autant de tentatives vers un nouveau système de régulation porteur d’un partage réinventé entre économie et social, autant d’expériences qui font entrevoir les balbutiements d’un nouvel arrimage entre société civile et État (Laville 1994). Le cas des CDÉC semble particulièrement éloquent comme tentative d’hybridation entre redistribution, marché et réciprocité. Ces organisations réussissent à mobiliser des ressources, humaines et communautaires, inaccessibles à l’entreprise et à l’État (Laville 1995 ; 1999). Ainsi, les organisations d’économie solidaire méritent-elles que l’on se penche sur leur gestion spécifique (Andion 1998). Mais attention, il ne faut pas être dupe, rien n’est encore gagné, les enjeux restent nombreux et les défis à relever sont bien présents pour ces initiatives… Enjeux et risques Parmi les dangers qui guettent ces nouvelles pratiques est celui de légitimer le désengagement de l’État, son désinvestissement, le délestage de ses responsabilités vers les communautés locales (Laville 1994 ; Morin 1998) d’autant pervers s’il ne s’accompagne pas des ressources nécessaires. Il faut aussi prendre garde à ce que la décentralisation et l’empowerment de la communauté ne mène pas à un nouveau « provincialisme », à un nouvel élitisme local (Bruyn 1987). Lévesque et Ninacs (1997) identifient trois enjeux qui sont, selon lui, les conditions de réussite du développement soit 1) l’articulation entre global et local, 2) l’articulation, dans une démocratie renouvelée, entre élus et société civile et 3) l’articulation des territoires entre eux. Le deuxième point est particulièrement intéressant en ce qu’il concerne notre objet. Ainsi, pour réussir, les initiatives locales de la société civile nécessitent une réelle décentralisation de la part des pouvoirs publics de même qu’un changement des mentalités administratives, mais ces éléments ne sont pas suffisants, l’élément déterminant reste la mise en place d’une réelle participation de la population, ce qui implique d’une part qu’elle a la volonté de participer et d’autre part qu’il existe des lieux accessibles où elle peut le faire (Lévesque et Ninacs 1997). Favreau (1999) abonde dans ce sens. Il identifie, lui, « trois registres de difficultés des expériences ou initiatives de développement local dans la coopération avec des pouvoirs publics » (Favreau 1999 ; 47 45). Le premier pose justement la question de la participation à travers la mise en place d’instances de gouvernance locale mais aussi à travers la capacité des communautés à gérer les tensions qui peuvent surgir entre ceux qui participent volontairement et ceux qui ne veulent pas participer. Car, pour que la gouvernance soit réellement démocratique, légitime et profitable, Favreau avance que tous doivent y participer, y compris ceux qui ne veulent pas. Il y a donc là tout un défi. Vient ensuite le problème de l’interface inévitable entre développement local et politiques publiques et de la capacité de gérer les tensions vécues entre les deux logiques d’action qui s’y rencontrent : la logique publique et la logique associative. La première vise un ciblage des clientèles, affiche souvent un manque de souplesse, ambitionne de faire mieux avec moins, déploie une culture organisationnelle centralisatrice. Alors que dans la deuxième, on cherche des interventions polyvalentes et transversales, on tente de faire mieux dans la durée. Enfin, la complexité des paramètres du développement local exige que les initiatives et expériences soient évaluées en des termes qui dépassent largement les simples aspects de la création d’emplois et d’entreprises. « L’enjeu de la période actuelle est de savoir si au-delà de leur importance en termes d’emplois, les organisations de l’économie sociale vont peser pour redéfinir leurs relations aux pouvoirs publics. De ce point de vue, malgré les avancées soulignées (…), les problèmes demeurent nombreux parce qu’il existe une tendance forte à ce que les autorités publiques soumettent les associations à une concurrence par les prix qui se soucie peu de leurs spécificités, ne leur réservant une place à part que dans la lutte contre l’exclusion et le chômage. » (Laville 1999 ; 220) Les approches conceptuelles du rapport entre État et société civile Nous venons donc de voir comment la littérature avise abondamment la question des transformations sociales qui deviennent le contexte d’émergence d’un renouveau du système social, économique ou politique à travers une prolifération d’expérimentations et d’initiatives à l’échelle de communautés locales. Devient alors nécessaire une conceptualisation théorique de ses nouvelles pratiques. Mais de tous ces univers théoriques, peu nombreux sont ceux qui abordent directement la question du rapport entre l’État et la société civile. Aussi en avons nous retenu quatre que nous allons dès à présent approfondir, soit la régulation et l’économie plurielle, 48 le développement économique communautaire, la gouvernance locale et le partenariat et la concertation. Économie plurielle et modèle de développement « Les initiatives de développement local, en se déployant, définissent un nouveau modèle de développement. » (Favreau 1999; 44) C’est l'approche régulationniste qui nous est fournie par le nouveau champ de l'économie solidaire (Laville 1994 ; Andion 1998), de l’économie plurielle (Laville 1999) ou dans un cadre plus large, par la question d’un nouveau modèle de développement (Lévesque 1997). Le rapport entre État et société civile y est ainsi conçu au sein d'une économie solidaire ou plurielle où « l'économie sociale devient partie prenante d'un renouvellement de l'État providence au profit d'un État partenaire » (Noël, A. cité in Lévesque 1997). Cette approche conçoit aussi ce rapport comme une opportunité potentielle de démocratisation et de participation citoyenne à la vie de la cité, par la création d'espaces publics de débats. Théorie de la régulation et modèle de développement. Les origines de la théorie de la régulation remonte aux années 1970, alors que l’on cherche des alternatives théoriques aux propositions économiques classiques et néoclassiques incapables d’expliquer la crise qui se dessine (Boyer 1995). Son programme de recherche puise des origines théoriques à plusieurs sources : théorie marxiste, théorie de la macro-économie hétérodoxe (Keynes et Kalecki), méthodes et enseignements de l’école des Annales, notion d’arbitrage provenant du droit et de la science politique (Boyer 1995). La régulation se penche sur les transformations d’un mode de production caractérisé par un régime d’accumulation et des formes institutionnelles qui sont autant de compromis institutionnalisés entre les acteurs sociaux. Elle s’entend de « l’ensemble des dispositifs, mécanismes et institutions qui contribuent à la reproduction de la société au travers de ses contradictions » (Boyer 1986 in Lévesque, Klein et al. 1996). Ainsi, une société donnée, à un moment donné, peut-elle être entendue en terme de mode de production ou encore de modèle de développement. Le modèle de développement n’est alors pas un projet volontariste (Bourque 2000) ou projet de société mais plutôt l’observation a posteriori d’une configuration particulière et complexe qui résulte des compromis sociaux entre 49 « logiques sociales et acteurs sociaux » (Bourque 2000). Un modèle de développement suppose une certaine cohérence entre ses composantes : un bloc social, c'est-à-dire les acteurs du développement, une vision du monde, un système de production, un modèle de consommation, un rapport au territoire, un mode de régulation, c’est-à-dire un ensemble de mécanismes de résolution des conflits entre acteurs sociaux (Lipietz 1984 in Bourque 2000 ; Lévesque 1999). Crise du modèle fordiste et de l’État providence. De l'après-guerre aux années 1975, c'est l'ère de la société salariale (Lévesque 1997), l'avènement du modèle fordiste de développement (Laville 1992 ; Lévesque 1997 ; Bouchard et Chagnon 1998). Ce modèle repose principalement sur un tripartisme entre patronat, syndicat et État, une production standard en grande série, une consommation de masse, un providentialisme de l'État, le tout s'appuyant sur une vision du monde sous l'égide du progrès : progrès technique, progrès de l'État, progrès du pouvoir d'achat, le progrès étant nécessairement positif (Lévesque 1997 ; Bouchard et Chagnon 1998). Un modèle qui favorise la grande entreprise, un système de gestion du social standardisé à l’échelle de l’État-nation et peu d’égards pour les particularités régionales ou locales. Si ce modèle a favorisé une longue période de croissance, il a aussi généré des inégalités et une double exclusion – des travailleurs et des usagers - ce qui explique que bien avant que la crise économique n'éclate se soit amorcée la mobilisation pour la contestation de ce modèle (Bouchard et Chagnon 1998 ; Laville 1995). Ainsi, dans un premier temps, ce sont les mouvements sociaux qui contestent la pertinence de l’intervention publique face aux insuffisances du marché, qui dénoncent la bureaucratie, la centralisation excessive et l’inertie des institutions redistributrices qui génèrent contrôle social, clientélisme, manque d’innovation, (Laville 1995 ; Lévesque 1997). Puis, au début des années 1980, la crise économique, la crise de l'emploi, la crise de l'État-providence et des finances publiques viendront consacrer le déclin du modèle fordiste (Lévesque 1997 ; Bouchard et Chagnon 1998 ; Favreau 1999). L’arrimage vertueux entre État et marché se transforme en cercle vicieux (Lévesque 1997); c’est la fin de la montée du salariat comme mode principal de régulation économique et sociale (Castel 1995 in Favreau 1999 b). La crise multiple amène une remise en question du rôle et de la place de l’État dans la société moderne (Bouchard et Chagnon 1998 ; Favreau 1995; Greason 1998 ; Mendell 1995 ; Serva 1999). L'internationalisation de la production et des marchés a entraîné une perte d'efficacité 50 des mécanismes keynésiens de régulation économique, le grand capital et l'État, dont la synergie caractérisait justement la régulation fordiste (Enjolras 1996), ce dernier ne pouvant alors plus pallier à la perte d'efficacité du cadre national comme espace de régulation (Lipietz 1990; Klein 1989). De plus la forme d'organisation du travail rencontre ses limites avec l'émancipation des travailleurs qui veulent une implication et une participation plus grande dans les processus de production. Cette crise se traduit par une chute de rentabilité qui participe de la crise de l'investissement, de l'emploi et de l'État-providence (Lipietz 1990). Crise de l'État providence, crise de l'État keynésien, cette crise dépasse largement le simple problème des finances publiques: « Considérer la crise de l'État-providence comme la résultante unique de la crise qui touche le système productif et d'où résulte un taux de croissance insuffisant du PIB pour continuer d'assurer le financement des dépenses de protection sociale, relève d'une approche qui est réductrice, compte tenu de l'objet pluridimensionnel en question… » (Enjolras 1996) Toujours selon Enjolras, c'est une double crise, interne et externe, qui traverse l'État. Cet État providence né pour pallier à la scission entre économique et social qu'entraîne l'industrialisation institue une solidarité abstraite, mécaniste qui contribue à la désolidarisation des liens civiques, économiques et communautaires, aussi les citoyens réclament-ils eux aussi une participation. Vers un nouveau modèle de développement : une économie plurielle. S'ouvre alors la question d'un nouveau modèle de développement (Bourque 2000), le modèle postfordiste, dont la teneur est encore floue. Trois scénario potentiels sont identifiés (Lévesque 1997 ; Favreau 1999 ; Laville 1994). Le premier, dit néolibéral, et que certains voient comme dominant (Greason 1998; Lévesque 1997) repose sur une mondialisation et une financiarisation de l'économie, au détriment des investissements industriels et du développement local, un mépris de la démocratie au profit du marché, des droits individuels, et une régulation économique et sociale exclusivement par le marché. Un deuxième scénario, dit social-démocrate, vise à mettre en place des mesures d’insertion pour aider les exclus, mesures qui doivent jouer un rôle de transition vers l’économie de marché (Laville 1996 ; Lévesque 1997). À ces deux premiers scénarios qui ne réussissent pas à dépasser le duo déchu État-marché (Laville 1995) s’oppose volontiers un troisième scénario dit alternatif, solidaire ou partenarial (Lévesque 1997 ; Laville 1994 ; Lipietz 1990). C’est un scénario axé sur la solidarité et la démocratie, reposant sur une régulation économique et sociale par une redéfinition de l'intérêt général, un refaçonnage de l'État-providence 51 par un partage de la gestion et de la production des services, une revalorisation du local et de l'économie sociale (Lévesque 1997). Ainsi, en s'inspirant de Polanyi (1944), on peut définir pour chaque modèle de développement un rapport entre État, société civile et marché (Lévesque 1997). Le modèle fordiste providentialiste aurait alors été caractérisé par un lien étroit entre le marché et l'État. Le modèle postfordiste néolibéral procède, quant à lui, d'un tout-au-marché, le modèle social-démocrate d’un tout-à-l’État, alors que le modèle postfordiste démocratique procède, lui, d'un partage des pouvoirs entre marché, État et société civile (Lévesque 1997 ; Laville 1992). De plus, si l’on pose, toujours en s’inspirant de Polanyi, que l’économie ne se limite pas à sa forme la plus connue, c’est-à-dire la forme marchande, mais qu’elle s’incarne aussi dans une forme nonmarchande à travers un principe de redistribution et dans une forme non-monétaire à travers un principe de réciprocité, on pose alors la possibilité d’une économie plurielle. Peut-être le passage par un modèle néolibéral était-il nécessaire afin de consommer la rupture d’avec le modèle fordiste, mais l’on constate aujourd’hui qu’un tel modèle ne réussit pas à reconstruire une nouveau modèle, ses effets destructeurs sont tels que pour plusieurs chercheurs cette économie plurielle doit être reconnue et encouragée (Laville 1996 ; Lévesque 1997 ; Boucher 1998 ; Favreau 1999b). La reconnaissance de cette dernière milite en faveur du nouveau modèle de développement solidaire où État, marché et société civile établissent de nouveaux rapports en vue de répondre à la crise (Laville 1994). L’économie solidaire, dont les organisations et entreprises sont caractérisées par cette capacité d’hybridation des trois formes économiques, doit alors paver la nouvelle « voie médiane » et réussir à articuler les sphères publique et privée (Enjolras 1996). La perspective d’un État partenaire (Noël 1996 in Lévesque 1997) renvoie donc à de nouveaux rôles pour les pouvoirs publics qui vont de la reconnaissance des initiatives de l’économie solidaire ou plurielle à la mise en place et la systématisation de dispositifs locaux de soutien aux initiatives (Laville 1995). Ainsi, l’intervention publique devrait se soucier davantage des individus et réfléchir sur la façon dont les fonds publics provenant de la redistribution peuvent être investis dans des activités qui renforcent le lien social (Laville 1994). Il importe également que l’État devienne un catalyseur pour stimuler et alimenter des débats « sociétaux sur les questions majeures », il doit aussi légitimer l’innovation socio-économique et à travers cela, favoriser l’autonomie locale et régionale (Laville 1994). De nouveaux rôles pour l’État mais aussi un 52 nouveau rapport aux échelles de territoire, il faut donc penser voir inventer de nouvelles articulations entre ces dernières : local, régional, national, supra-national. Une utopie réaliste ou un réalisme utopique ? Il semble pourtant que cette « troisième voie » fasse son chemin. Ainsi le social, de coût qu’il était, semble vouloir se tranformer en actif, en « capital social » et de plus en plus se fait reconnaître comme une condition nécessaire au développement économique. De la même façon, les modes de coordination ne se limitent plus au marché où à la hiérarchie mais on constate une reconnaissance croissante d’autres modes tels les associations, les réseaux, la coopération. (Lévesque 2000). Le rôle des initiatives, expérimentations et autres innovations serait prometteur : « Leur importance ne vient pas du poids qu’elles représentent aujourd’hui mais de leur capacité de défricher les conditions d’une nouvelle forme d’intervention publique. La recherche difficile de partenariats basés sur l’autonomie négociée de projets peut aider à cerner les modalités d’un appui actif de l’État aux initiatives de la société civile qui puisse promouvoir « un modèle de développement axé sur l’inclusion sociale et politiques » (Callonette 1994 in Laville 1995) Enjeux et risques Mais dans cette période de transition où tout reste à construire, les risques de dérive sont omniprésents. Ainsi, la décentralisation qu’appelle le modèle solidaire n’est pas à l’abri d’une éventuelle bureaucratisation ou normalisation (Laville 1994). De la même façon, il faut prévenir la création d’une économie de seconde zone qui serait plus un piège qu’un tremplin pour les chercheurs d’emploi. La question de la participation de la société civile, de la population est également cruciale, cette participation doit être réelle et volontaire et se faire à travers des organisations que la population s’est donné et qu’elle contrôle (Boucher 1998, Laville 1994). À ce titre, les pouvoirs publics peuvent encourager et appuyer la coopération et la participation des différents acteurs qui composent la société mais ils ne peuvent la remplacer ou la forcer. Ces derniers ont également leurs part de défis à relever. D’abord, systèmes administratifs et politiques devront réussir à dépasser les « catégories instituées » telle l’économie de marché comme seule créatrice de richesse. Ils devront dépasser leur résistance habituelle face aux pratiques novatrices, sortir des logiques de programmes pour offrir à l’économie plurielle une reconnaissance valable et des politiques publiques d’aide et de soutien aux initiatives. De plus, les aides financières allouées 53 aux initiatives locales devraient pouvoir être décidées à travers « une négociation sociale locale regroupant des partenaires sociaux, élus et représentants associatifs qui définiraient en commun les critères d’attribution. Bref, ce n’est rien de moins qu’un nouveau contrat social qu’il faut penser (Laville 1999). Développement économique communautaire (DÉC) Il existe dans la littérature une importante quantité d’écrits sur le développement économique communautaire (DÉC) ou community economic development (CED) dans la littérature de langue anglaise. Morin et Lemelin (1995) identifient dans la littérature quatre axes de développement théorique du DÉC ou du développement économique local et communautaire selon leur propre terminologie. Un premier axe tourne autour de « l’empowerment de la communauté » et est représenté par des auteurs comme Swack et Mason (1987). Un deuxième axe tourne autour du développement d’organisations (institutionnal building) ce serait entre autres l’approche adoptée par Perry (1987). Enfin, deux autres axes proposent le développement du leadership local et la libération de l’entrepreneuriat local. À partir de cette classification, Morin et Lemelin proposent leur propre cadre d’analyse : le développement des actifs intangibles d’une communauté. Par ailleurs, une bonne part des auteurs québécois qui se sont intéressés au concept de DÉC l’on fait à travers la théorie des mouvements sociaux. Le DÉC est alors le fruit de la territorialisation (Klein 1989) et de l’insertion dans l’économique (Favreau et Lévesque 1996) des mouvements sociaux. Le DÉC comme d’autres pratiques se veut aussi une réponse à la crise, crise de l’emploi, de l’État…(Comeau et Favreau 1999). Pour Perry et Lewis (1994) le DÉC est avant tout un nouvelle façon de concevoir le développement, non plus à l'échelle nationale, ce qui a démontré ses limites, mais à l'échelle locale. Mais aussi, et c'est là que réside tout l'intérêt de ce concept, de concevoir le développement non plus comme une simple croissance d'un chiffre d'affaires mais comme la combinaison d'objectifs sociaux et économiques pour une amélioration de la qualité de vie dans les quartiers urbains défavorisés (Perry et Lewis 1994). Création d'emploi, croissance, maintien et survie des entreprises existantes mais aussi logements à prix abordables, services commerciaux pour répondre aux besoins de la population locale, lieux culturels et services sociaux améliorés : le 54 défi principal du DÉC réside dans la difficulté d'intégrer des objectifs économiques et sociaux qui est cependant facilité par le caractère territorialisé de sa dynamique (Comeau et Favreau 1999). C'est pourquoi Perry et Lewis (1994) font mention de conditions nécessaires d'existence et de succès. D'abord, il faut que les bénéficiaires soient prêt à entreprendre l'effort, ce qui suppose une motivation, une mobilisation et un support institutionnel existant. Le succès quant à lui est directement lié à la gouvernance locale du processus de développement. Les objectifs multidimensionnels, les stratégies multi-fonctionnelles créent un contexte complexe où l'intégration de finalités économiques et sociales peut facilement devenir source de conflit, d'où l'importance de décentraliser les décisions vers ceux qui seront affectés par ces décisions et ceux qui les exécuteront. Par ailleurs, il est fréquent que des acteurs extérieurs participent à la stratégie de DÉC, y voyant un moyen efficace d'atteindre leurs buts, mais cette exploitation par des joueurs externes des initiatives de DÉC complexifie d'autant plus la démarche en y ajoutant de nouveaux objectifs parfois divergents. Cependant elle est liée à la nécessité d'obtenir des ressources externes ce qui donne lieu à des arbitrages parfois difficiles. Cette conception du DÉC relève d'une approche progressiste qui s'oppose à l'approche libérale en tentant un changement dans les institutions par l'empowerment des individus ou groupes. Cette approche suggère aussi la création d'un organisme à but non lucratif de DÉC plutôt que de passer par le traditionnel gouvernement municipal qui est associé ici à l'approche libérale. Finalement, cette approche a de nombreux avantages : utilisation des savoirs locaux (coutumes et valeurs), mobilisation liée à la propriété de la décision, sanctions plus effectives (exécutées par la communauté, exclusion possible), potentiel d'innovation plus élevé que dans les programmes gouvernementaux technocratiques, apprentissage collectif qui est un bien commun et réduction de l'autonomie envers l'extérieur (Perry et Lewis 1994). Enfin, une quantité importante de la littérature sur le DÉC est descriptive et rapporte le cas d’expériences et d’initiatives de DÉC. Enjeux et risques Parmi les enjeux soulevés par le DÉC se pose celui de la consolidation de DÉC, de leur pérennité et de leur véritable autonomie à travers une institutionnalisation de ses pratiques, ce qui concerne directement leur rapport au pouvoirs publics (Comeau et Favreau 1999). Aussi l’articulation entre initiatives de DÉC et État rencontre nombre de difficultés parmi lesquelles la précarité et la normativité du soutien offert aux initiatives par les pouvoirs publics (financements 55 ponctuels, absence de flexibilité, etc.), persistance de politiques publiques sectorielles et ciblées, tendance centralisatrice de l’État (Comeau et Favreau 1999). Trois pistes d’institutionnalisation semblent d’ailleurs se dégager : étatisation ou intégration au service public, autonomie de gestion avec soutien financier partiel ou partenariat négocié (Lévesque 1995), chacune possédant avantages et inconvénients. Gouvernance locale/décentralisation Le perspective de la gouvernance locale découle de celle plus large de la gouvernance qui connaît un intérêt croissant dans la littérature managériale comme en science politique. Mais d’abord, de quoi parle-t-on lorsque l’on parle de gouvernance, locale par surcroît ? C’est d’ailleurs en général sur cette question que s’ouvrent les ouvrages consultés qui y sont consacrés (Boucher et Tremblay 1999 ; Chiasson 1999 ; Rosell 1999 ; Proulx 1999 ; Juillet et Andrew 1999). Le dictionnaire ne nous est ici d’aucun secours à moins que celui-ci ne soit de langue anglaise. Effectivement, les termes de gouvernance ou de gouvernance locale ne figurent pas encore dans les pages des principaux dictionnaires de langue française et ce malgré le fait qu’ils soient « maintenant utilisé(s) de façon assez courante » (Boucher et Tremblay 1999 ; 1). Mais l’étymologie du mot révèle une ascendance grecque signifiant « gouverne » (Rosell 1999 ; 1). En anglais, par ailleurs, existe le terme de « governance » qui se rapporte à la manière de gouverner ou à la fonction de gouverne20. Or, selon le petit Robert de la langue française, gouverner signifie entre autres « exercer le pouvoir politique sur »21. Nous touchons donc là l’objet premier du concept de gouvernance, à savoir l’exercice du pouvoir. Dans cet ordre d’idée la problématique de la gouvernance concerne tout autant les organisations22 que les gouvernements (Rosell 1999) comme elle renvoie à des « réalités qui se manifestent à l’échelle locale comme mondiale.» (Boucher 1999 ; 2). Ainsi, dans un contexte où un nombre croissants de « nouveaux joueurs » participent ou revendiquent le droit de participer à la gouverne et à la prise de décision, avec en toile de fonds les restructurations majeures des bureaucraties publiques et corporatives et la 20 Governance, n. 1. The act or manner of governing. 2. the office or function of governing. The Canadian Oxford dictionary, p.606 21 Robert, P. (1978) Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Dictionnaire Le ROBERT, Paris, p.879 22 Voir les approches de la théorie des stakeholders et de la gouvernance corporative représentés entre autres par les écrits de E.R. Freeman (1984) et de A. Argandona (1998) 56 remise en question de la légitimité de plusieurs institutions traditionnelles, les processus de gouvernance sont de plus en plus sollicité et appelés à se renouveler (Rosell 1999). Pour Stoker (1998) la gouvernance fait plutôt référence à une nouvelle définition de gouvernement, à une nouvelle façon de gouverner la société à travers un nouveau partage du pouvoir où une pluralité d’acteurs remplacent un État omniscient, ce qui rejoint la notion d’économie plurielle. Par extension, la gouvernance locale concerne donc l’exercice du pouvoir à une échelle locale, une nouvelle forme de gestion du territoire (Body-Gendrot 1999). D’usage assez récent, la gouvernance locale désignerait un nouveau mode de régulation politique qui ne repose plus exclusivement sur les mécanismes du marché, sans pour autant exclure ce dernier, ni sur les interventions de l’État national, tout en mettant ce dernier à contribution, mais qui s’appuie plutôt sur la société civile (Benko et Lipietz 1992 ; Stocker 1998 in Favreau 1999b). Pour Gilly et Pecqueur (1995 in Morin 1998) ce qu’eux appelle la gouvernance territoriale fait référence à une « structure de coordination composée par différents acteurs et institutions » qui peut être génératrice d’une dynamique collective surtout lorsqu’elle devient une structure d’apprentissage collectif (Rosell 1999). La problématique de la gouvernance locale examine donc la répartition du pouvoir entre les divers acteurs ainsi que la définition des règles du jeu dont l’institutionnalisation représenterait un des enjeux majeurs du développement local (Lévesque et Mager 1995). La gouvernance locale trouve d’ailleurs un écho particulièrement concordant, tant dans les pratiques que dans les écrits, dans ce contexte où l’État doit revoir son rôle et ses contributions (Boucher et Tremblay 1999) et où on constate une importance croissante de l’échelle territoriale comme lieu de régulation (Benko et Lipietz 1992). Elle suppose donc une décentralisation des pouvoirs de l’autorité centrale, l’État, et suppose la mise en place d’institutions, de lieux où peut s’exercer ce pouvoir. Avec l’émergence de cette gouvernance locale on observe d’ailleurs la mise en place de nouvelles règles, de nouveaux dispositifs de développement, de nouveaux lieux de décision et de concertation qui associent la population du territoire (Favreau 1999). La mise en place d’une gouvernance locale oblige donc non seulement à repenser le rôle de l’État central mais encore celui de l’État local (les municipalités) vis-à-vis les communautés locales. Dans ce cadre, Chiasson (1999) tente d’évaluer le risque que représente les pratiques de gouvernance locale pour l’intérêt public. Au mieux, ces dernières représentent une source de débat sur les rôles respectifs de l’État et de la société civile dans la gouverne. Au pire, un légitimation du délestage au niveau local. 57 Aussi, une partie importante des écrits se penche sur les expériences de gouvernance locale et vise à en faire l’évaluation (Body-Gendrot 1999 ; Juillet 1999 ; Proulx 1999) eu égard aux prémisses et attentes face à la gouvernance locale. La gouvernance locale fait partie de ce que nous avons désigné comme les nouvelles pratiques de collaboration mise de l’avant en réponse aux crises et transformations de la société (Chiasson 1999). « L’intérêt pour la gouvernance locale traduirait une volonté de tenir compte d’une pluralité de nouvelles formes de gouverne locale qui remplacerait le modèle précédent d’une gestion des affaires locales par une bureaucratie publique » (Andrew et Goldsmith 1998 in Chiasson 1999) En effet, la pluralité des acteurs qui y participent constitue une notion fondamentale de la gouvernance (Lallement 1999 ; Rosell 1999). Pour Lallement, cette multiplicité des acteurs et des milieux au sein de la gouvernance tient justement à son caractère local qui permet « un brouillage des frontières disciplinaires » (Lallement 1999 ; 57). Rosell de son côté affirme que face à complexification de la réalité, face à la nécessité de légitimer les actions auprès d’un nombre croissant d’intéressés qui revendiquent une participation à la prise de décision, la pluralité est devenue incontournable, peu importe l’échelle territoriale (Rosell 1999). Cette pluralité amène Rosell (1999) à une conceptualisation du phénomène en terme d’apprentissage où il devient nécessaire de mettre en place des mécanismes qui permettront aux acteurs de partager une même cadre de référence, des interprétations communes. Plus que plurielle, la gouvernance locale fait ressortir et répond à l’interdépendance des acteurs (Proulx 1999). La passage pour les élus locaux d’un rôle d’aménagement à un rôle de développement (Baillargeon 1994 ; Prévost 1993) a d’ailleurs fait ressortir la nécessité pour ces derniers de ne plus agir seul. Dans ce contexte de la co-production, plusieurs textes abordent la nécessité de la participation des acteurs locaux. Ainsi, Gagnon et Fortin (1999) explorent les liens entre gouvernance locale et développement durable. Leur article se conclut sur une série de recommandations et fait ressortir l’importance d’une réelle volonté politique, plutôt que la mise en place d’un « arsenal complexe de moyens » dans l’amélioration de la capacité de gouvernance locale des acteurs. Lallement (1999) démontre quant à lui que la volonté institutionnelle ne suffit pas et doit nécessairement trouver écho dans une mobilisation locale effective. Pour plusieurs auteurs, la gouvernance locale fait aussi référence à 58 des pratiques visant à coordonner activités sociales et activités économiques (Lévesque et Mager 1995; Favreau 1999). Au Québec, les CDÉC et les Conseils régionaux de développement (CRD) seraient donc des instances de gouvernance locale (Morin 1998) Ainsi, la gouvernance locale permet de définir une réalité qui ne portait pas de nom, reconfiguration des responsabilités de l’État et empowerment des acteurs d’une communauté face à cette reconfiguration. Reprise autant par l’idéologie néolibérale qui y voit la formation d’un nouveau rapport de force à l’échelle locale entre « stakeholders » que par ceux d’un courant plus progressiste, le thème de la gouvernance locale ne va pas sans celui de la décentralisation. C’est pourquoi avec la gouvernance locale, un examen de la littérature sur la décentralisation semblait approprié. Il ressort d’emblée que la décentralisation à la différence de la gouvernance locale bénéficie d’un statut et d’une définition beaucoup moins ambiguë, les sciences politiques et de l’administration publique ayant amplement et depuis longtemps colonisé ce territoire conceptuel. Ainsi, la décentralisation fait partie de la problématique de la régulation des affaires publiques et se trouve par le fait même « au cœur de la structuration et du fonctionnement d’un système politique » (Lemieux 1997). C’est cette notion qui recouvre toute la question du rapport entre un centre et sa périphérie23 en matière de pouvoirs, question posée principalement du point de vue de l’État et de ses politiques, indirectement c’est aussi la question du plus ou du moins d’État (Lemieux 1997). Cette réflexion porte sur le choix des « attributions » ou transferts qui peuvent être de trois ordres : transfert de compétences, transfert d’un financement (autonome ou non-autonome), transfert de postes d’autorités (Lemieux 1997). Les différentes configurations de ces transferts donnent plusieurs types de décentralisation (ou de centralisation!) allant de la déconcentration à la privatisation en passant par la dévolution et la délégation (Lemieux 1997). La déconcentration est le degré le plus faible de décentralisation où l’entité centre, l’État, se déploie sur le territoire mais conserve les pouvoirs de façon centralisé (Morin 1998), sur le principe des succursales. La privatisation devient alors le degré le plus élevé de décentralisation où l’État se 23 Centre et périphérie restent cependant des notions toutes relatives puisque que la périphérie d’un centre peut aussi devenir le centre de sa propre périphérie, il y va alors de l’emboîtement des espaces et de toute l’articulation des territoires du niveau supra-local au niveau micro-local (Lemieux 1997 ; Morin 1998). 59 garde un droit de regard de dernière instance et un pouvoir de légiférer mais se départit de tout autre pouvoir en faveur d’une entité périphérique (Lemieux 1997). On considère aussi dans la littérature le concept de régionalisation qui s’entend alors comme la « prise en compte des spécificités régionales dans l’administration des affaires publiques » (Morin 1998). Cette notion intègre également à son objet les interventions de l’État qui visent à développer ces régions. Deux stratégies, la déconcentration et la décentralisation, permettent la régionalisation (Morin 1998). Ainsi, pour Morin (1998), la décentralisation renvoie à une responsabilisation des acteurs locaux auxquels l’État accepte de céder certains pouvoirs. On retrouve ici une parenté certaine avec la gouvernance locale. De la même façon que pour plusieurs auteurs la gouvernance locale peut d’ailleurs être vue comme une des formes que peut revêtir la décentralisation. Les écrits sur la décentralisation ou la régionalisation posent à peu près tous la question exclusivement du point de vue de l’État. Le degré et la configuration de la centralisation/décentralisation font alors l’objet d’évaluations en regard d’une recherche d’efficacité (Lemieux 1997 ; Gouvernement du Québec 1995) où on tâche d’en faire ressortir les avantages et inconvénients. Ainsi, comme modalité d’intervention de l’État, la décentralisation présente alors des avantages comme celui de se rapprocher du citoyen qui peut alors avoir accès plus facilement au décideur (Gontcharoff 1999). Enjeux et risques Parmi les enjeux liés à la gouvernance locale et à la décentralisation, on retrouve le risque pour l’État de perpétuer en décentralisant les inégalités au nom du respect des différences (Morin 1998). L’État a une double responsabilité de régulation et de redistribution et doit s’en acquitter. Or le passage entre une gestion « gouvernementale » de la société reposant sur cette double responsabilité à une gouvernance territoriale qui se fonde sur la coordination des acteurs locaux et régionaux apparentés aux institutions publiques, au marché et à la société civile resterait à construire (Benko et Lipietz 1992 ; Gilly et Pecqueur 1995 et Le Galès 1995 in Morin 1998). Car au-delà des manifestations observées de cette gouvernance l’État conserve un pouvoir législatif et financier qui peut infléchir le développement local. Toujours en rapport avec l’État, il y a un risque associé à la tendance de l’appareil étatique à réduire la notion de développement au simple développement économique occultant alors les autres dimensions culturelle, sociale, identitaires, etc. (Gontcharoff 1999). Ainsi, au mieux la gouvernance devient-elle une « déprofessionnalisation » du politique, un gain démocratique (Boucher 1999). Inversement, la 60 gouvernance locale et la décentralisation amènent également un risque de « trop de société civile » pouvant alors devenir une « abdication » devant l’idéologie néolibérale, une légitimation du délestage au niveau local, du désengagement de l’État, une voie de privatisation de la gestion publique (Boucher 1999 ; Chiasson 1999 ; Morin 1998). Partenariat et concertation Il existe également dans la littérature un corpus significatif abordant le rapport entre l’État et la société civile sous l’angle du partenariat ou de la concertation. Comme la gouvernance locale, partenariat et concertation font partie des nouvelles pratiques de collaboration identifiées comme réponse aux crises multiples de l’État, de l’économie, de la société en général (Lévesque 2000 ; Gagnon et Klein 1991 ; Landry 1994 in René et Gervais 2001). Pour René et Gervais (2001) la « dynamique partenariale » a caractérisé les transformations du rapport entre l’État québécois et les différents acteurs sociaux. Dans ce contexte, Jetté et Mathieu (1999) parlent même d’une « multiplication des lieux de concertation et des activités partenariales » auxquelles sont interpellées les organismes communautaires. Plusieurs auteurs posent d’ailleurs le partenariat comme « caractéristique fondamentale et condition inhérente du développement local » (Gagnon et Klein 1991), cependant, les pratiques partenariales ne se limitent pas au développement local. Le partenariat fait le plus souvent référence à « l’élaboration d’un projet commun entre différents intervenants nommés partenaires » (Rolland et Tremblay 1997 ; 12). La concertation quant à elle désigne le fait de « rassembler autour d’une même table différents intervenants ou acteurs pour discuter et échanger sur un même sujet » (Rolland et Tremblay 1997 ; 11) et présente un caractère plus régulier mais moins structuré et formalisé que le partenariat (René et Gervais 2001). Entre partenariat et concertation, on retrouve aussi des pratiques de consultation, de participation ou de négociation (Rolland et Tremblay 1997). Landry (1994 in René et Gervais 2001) propose une typologie des pratiques de collaboration allant des moins formelles au plus formelles. Échanges d’information, consultation pour les premières jusqu’à la cogestion pour les deuxième avec entre les deux partenariat et concertation. Dans tous les cas, il s’agirait de formes organisationnelles non institutionnalisés (Serva 1999). Deux visions s’opposent cependant l’une voyant les dynamiques partenariales comme un « espace de récupération », l’autre comme une occasion de « développer une nouvelle manière de penser et de vivre les rapports sociaux dans une concertation 61 conflictuelle » (René et Gervais 2001 ; 23). La place occupée dans la pratique et la pénétration de ce qu’il convient d’appeler le « paradigme partenarial » dans toutes les sphères de la société amène d’ailleurs René et Gervais à avancer l’idée que le « partenariat s’impose comme un modèle, voir une paradigme dominant » (René et Gervais 2001 ; 23). Le rôle de régulateur et d’arbitre jusqu’alors assumé par l’État auprès des acteurs sociaux (Castel 1995 in René et Gervais 2001) est transformé en un rôle plus « secondaire » où l’État participe comme acteur, au même titre que les autres partenaires sociaux, à la « structuration du lien social » (René et Gervais 2001 ; 24) Rolland et Tremblay (1997) explorent différents modèles de concertation à l’échelle nationale (Suède, Allemagne, Japon) afin de dégager des pistes de solution pouvant mener au plein emploi, ce qui rejoint la notion de modèle de développement. Serva (1999) après avoir fait ressortir les enjeux d’un partenariat entre État et organisations de l’économie solidaire propose trois scénarios différents ou formes que peut prendre ce partenariat et d’un point de vue critique appelle à la mise en place du scénario de changement institutionnel. Ayoub (2001),lui, étudie la rencontre de l’État et des CDÉC au sein du courant de pensée des « relations partenariales ». Son étude à partir des configurations de Mintzberg lui permet de faire ressortir des éléments fondamentaux d’une relation partenariale parmi lesquels la confiance, le respect mutuel et la reconnaissance des différences. Jetté (1999) dans son étude des partenariats entre organismes communautaires et organismes des secteurs public ou privé tente de dégager les impacts de ces pratiques partenariales sur les organismes communautaires. Il en ressort que ces expériences ont effectivement des impacts non-négligeables en terme de temps et d’énergie investis mais offrent en retour des occasions intéressantes comme celle d’obtenir une reconnaissance accrue. Pour Gagnon et Klein (1991), le partenariat à l’échelle locale participe d’une évolution des formes sociales et fait suite à la consultation et à la concertation. À partir de la théorie de la régulation, ils formulent l’hypothèse que cette évolution se caractérise par un recentrage des rapports sociaux sur le territoire et par un consensus des acteurs autour des pratiques de partenariat local. À travers une recension des écrits sur le sujet du partenariat, ils réussissent à faire une typologie des expériences partenariales en développement local. Partenariats politique inter-étatique, technoproductif, corporatiste de base privée et public-communautaire sont les quatre types identifiés. Dans le dernier type on retrouve d’ailleurs les expériences québécoises des CDÉC. À 62 partir de cette recension et de cette typologie les deux auteurs identifient des conditions « pour un partenariat novateur dans le développement local » : équité et consensus entre les partenaires, rôle central à l’initiative locale, ouverture de la part des pouvoirs publics qui doivent consentir une certaine décentralisation, responsabilité et implication des structures de pouvoir local. Enfin, pour Gagnon et Klein (1991), les politiques de partenariat local pour être efficaces devront procéder à un changement de paradigme de développement et faire passer le bien-être des populations avant les performances économiques. Hamel, qui a beaucoup étudié la problématique du partenariat public-privé et public-communautaire l’a abordé à travers différentes approches et courants théoriques allant de la planification démocratique dans les théories de la planification (Hamel 1995) à la théorie des mouvements sociaux (Hamel 1993). Pour lui, la problématique partenariale se pose principalement dans le cadre de la redéfinition de l’État et de ses interventions ainsi que dans le contexte de la modernisation des services qu’il qualifie d’urbains (Hamel 1991 ; Hamel 1993). Il propose aussi une lecture critique du discours partenarial que tiennent les leaders politiques. Selon René et Gervais (2001) enfin, l’étude de la dynamique partenariale permet de qualifier la nature des rapports qu’entretiennent les acteurs concernés. Enjeux et risques Comme dans les autres approches, une partie importante des auteurs fait ressortir les différents risques et enjeux associés aux pratiques partenariales ou de concertation. Ainsi, Serva (1999) dans son étude du rapport partenarial entre État et organisations de l’économie solidaire identifie quatre grands enjeux : 1) rationalité, 2) vision du développement, 3) formes de représentation et 4) gestion. Les deux premiers concernent la possible opposition ou à tout le moins la mise en tension des logiques d’action et des visions du développement. Le troisième enjeu considère plus spécifiquement la question des formes politiques et de la participation. La question de la participation occupe également les auteurs de cette perspective. Ainsi Hamel (1995) dénonce le caractère exclusif des partenariats qui ne permet généralement pas une participation élargie de l’ensemble de la communauté. Enfin le dernier enjeu concerne les modes de gestion spécifiques aux partenaires. Devant la croissance du phénomène, le Conseil du statut de la femme a également publié un rapport sur le partenariat communautaire/État et ses enjeux pour les groupes de femmes. Parmi ceux-ci, le risque de récupération par l’État, la transformation des organismes en sous-traitants de l’État avec un transfert des emplois du secteur publics et 63 parapublics vers des emplois moins bien payés dans le secteur communautaire, la question du financement et de la concurrence qui s’exerce entre organismes autour de l’obtention de ces ressources ou encore le risque d’une spécialisation à outrance qui entraînerait une dévalorisation de la participation bénévole et militante. L’approche partenariale connaît ainsi des limites qui relèvent surtout de la complexité des enjeux auxquels elle s’intéresse (Hamel 1995). Elle a par ailleurs des vertus; comme pour la gouvernance locale, il semblerait que la dynamique et l’approche partenariale apporte au débat du rapport entre l’État et le marché et l’État et les communautés et organismes communautaires des éléments intéressants (Hamel 1995). 64 La problématique du rapport État/société civile dans le développement local au Québec À travers ces quatre perspectives (voir figure 2) se croisent plusieurs approches ou courants de pensée. D’abord celui de la nouvelle sociologie économique qui comprend aussi bien les régulationnistes que les tenants de l’économie plurielle. Or nous avons pu constater à quel point ce courant de la nouvelle sociologie économique traverse une majeure partie de la littérature québécoise en matière de développement local que ce soit à travers les perspectives partenariales, de la gouvernance locale ou encore du développement économique communautaire, Économie plurielle 1 Marché 3 Gouvernance locale État Société Concertation civile Partenariat 4 Territoire DÉC 2 Figure 2 : Les approches conceptuelles du rapport État / société civile la palme de la popularité revenant sûrement à l’approche de la régulation et ses modèles de développement. Dans le cadre du rapport entre État et société civile, cette approche fournit une compréhension intéressante de l’évolution du rapport mais uniquement dans une dimension macro. Les perspectives déterministes des écrits régulationnistes y côtoient les perspectives volontaristes des écrits normatifs de l’économie plurielle et des modèles de développement. Quand vient le temps d’outiller les acteurs, on en reste à des généralités. En effet, les recommandations 65 restent assez peu précises particulièrement en ce qui a trait au nouveau rôle des pouvoirs publics et de leur interface avec la société civile tout de même plus participante qu’auparavant. Viennent ensuite ce que nous appellerons les approches institutionnelles fortes et faibles. Gouvernance locale, décentralisation, régionalisation constituent les approches institutionnelles fortes : on s’y intéresse au système politique, aux règles du jeu et de la participation de différents acteurs, dont l’État. La problématique abordée l’est principalement du point de vue institutionnel. Partenariat et concertation constitueraient des approches institutionnelles faibles, d’une part parce que ce sont là des formes ou structures peu institutionnalisés et d’autre part parce qu’on y étudie généralement plus les aspects organisationnels tout en posant les enjeux au niveau institutionnel. En terme du rapport entre État et société civile, ces deux approches offrent généralement d’une part des explications en terme de genèse des expériences et initiatives reprenant les thèses de la nouvelles sociologie économique et d’autres part des contributions évaluatives et normatives à partir d’études de cas. Et pourtant, à travers toute la littérature une part importante des écrits traite ou aborde les nombreux enjeux liés à l’évolution du rapport entre État et société civile dans le contexte où l’interface entre les deux est inévitable. Des enjeux identitaires et culturels à travers la rencontre de logiques d’action opposées entre État et organisations communautaires ou locales. Des enjeux institutionnels à travers la répartition du pouvoir entre les différents acteurs. Des enjeux organisationnels enfin à travers l’autonomie de gestion des organisations locales dans la prestation des services de proximité. Parmi les défis, la possibilité pour les organismes locaux comme pour l’État ceux d’innover avec de nouvelles formes organisationnelles, institutionnelles, de nouvelles pratiques, de nouveaux paradigmes. Or, peu d’outillage conceptuel nous est offert pour aborder et réfléchir sur ces enjeux et ces possibilités. Une vision d’ensemble semble nécessaire pour rassembler toutes ces dimensions et articuler niveaux macro et micro. Faire face aux risques, aux enjeux ne suppose-t-il pas de savoir comment se construit ce rapport entre État et société civile ? Comment se vit le rapport au jour le jour et comment se construit-il dans le temps au fil des événements ? Le contexte et les rapports sociaux déterminent-ils le rapport ? Si oui, pourquoi s’évertuer à en comprendre les pratiques ou à faire ressortir les facteurs de succès ou d’échec ? Les individus peuvent-ils transformer le rapport ? Si oui, pourquoi aucun texte n’aborde le rôle des 66 acteurs comme individu? Comment alors équilibrer ces perspectives déterministes où l’acteur a littéralement été évacué avec tout ce lot de mises en garde et de recommandations supposant un certain volontarisme. Volontarisme de la volonté pure ou des institutions puisque, nous venons de le dire, l’individu ne semble pas prendre part à la fête du développement local ! Aussi, l’approche constructiviste se révèle-t-elle selon nous particulièrement pertinente pour cette étude. En effet, cette approche nous permettra de prendre en compte plusieurs éléments qui nous semblent importants en considérant le rapport comme une construction sociale qui n’est donc ni entièrement surdéterminée par les structures sociales, ni entièrement formulée par la volonté des acteurs. Nous exposons donc dans le prochain chapitre, notre cadre théorique autour de cette approche. . 67 Chapitre 3. Le rapport État/société civile comme construction sociale : cadre théorique et dimensions d’analyse Dans l’exposé de notre problématique, nous avons proposé de recourir à une approche constructiviste dans le but de mieux comprendre le rapport État/société civile dans son aspect dynamique. Aussi, dans ce chapitre, exposerons-nous le cadre théorique et les dimensions d’analyse que nous avons constitué avec cette prémisse. Ainsi, dans un premier temps, nous présenterons le plus fidèlement possible les éléments principaux des contributions théoriques qui constituent les fondements théoriques que nous avons retenus pour notre étude et qui sont à l’origine de notre modèle d’analyse, soit les écrits de Giddens sur la théorie de la structuration et les écrits de Bélanger et Lévesque sur la sociologie de l’entreprise. Dans un deuxième temps, il nous sera alors possible d’exposer notre modèle d’analyse en développant d’abord de quelle façon chacune des deux approches sera mobilisée afin de contribuer à élucider notre question de recherche, puis en précisant comment ces deux approches peuvent s’articuler pour enfin détailler les quatre dimensions d’analyse (individuelle, organisationnelle, institutionnelle, rapports sociaux) qui permettent d’opérationnaliser le modèle et dont nous nous servirons. Les fondements théoriques Deux contributions théoriques ont finalement retenu notre attention dans le cadre de cette recherche. D’abord la théorie de la structuration de Giddens qui fournit justement le cadre constructiviste que nous appelions en conclusion de notre revue de littérature. Puis les éléments théoriques d’une sociologie de l’entreprise proposés par Bélanger et Lévesque pour l’étude de la modernisation des entreprises qui fournit trois dimensions d’analyse qui nous ont semblées fort pertinentes pour l’étude de notre objet. Mais avant de discuter du lien entre ces contributions théoriques et notre objet, nous commencerons par présenter brièvement les éléments constitutifs de chacune des deux approches, dans l’esprit où les auteurs nous les ont offertes. 68 La théorie de la structuration Giddens publie en 1984, un livre intitulé The Constitution of Society où il expose sa théorie de la structuration. Cette dernière se veut un effort constructiviste considérable en réaction aux développements récents de ce qu’il désigne comme la théorie sociale : « a baffling variety of competing theoretical perspectives »(Giddens 1984 ; xv) . Aussi le sociologue britannique ne propose-t-il rien de moins que de dépasser l’opposition quasi-séculaire entre objectivisme et subjectivisme, individualisme méthodologique et holisme méthodologique ou si l’on préfère entre une macro-sociologie structuro-fonctionnaliste et une micro-sociologie herméneutique interactionniste. « Structuration is best viewed as meta-theory or perspective on all human action rather than a theory pertaining to a specific domain or aspect of human activity” (Yates 1997 ; 160) Voilà qui situe d’entrée de jeu la portée, fort vaste, du cadre structurationniste élaboré par Giddens24 et toute l’ambition de l’auteur pour la création d’une théorie de l’action humaine. Posant d’emblée ce qui sera le fondement de sa théorie, il replace l’étude des sciences sociales non plus au niveau de l’individu, ni au niveau des «totalités sociales » mais au niveau intermédiaire et, nous le verrons, médiateur des pratiques sociales telles que mises en œuvre et ordonnées dans l’espace et le temps. Plus tard, il poursuivra d’ailleurs ses réflexions à ce sujet à travers deux autres ouvrages, The Consequences of Modernity (1990) et Modernity and Self-Identity (1991). Le fondement constructiviste chez Giddens se traduit donc en une spirale sans début ni fin où sujet et objet se « co-construisent » à travers l’espace intermédiaire des pratiques. Dualité du structurel, réflexivité de l’agent compétent et dialectique du contrôle sont les briques qui composent les fondations conceptuelles de cet édifice théorique qu’il nous faut maintenant examiner. Dualité du structurel. Pour éluder la question de l’action humaine, déterminée ou volontaire ?, Giddens reformule le dualisme en dualité. 24 Je ne suis pas sûre cependant que Giddens accepterait cet épithète de méta-théorie pour désigner sa contribution théorique… 69 “The constitution of agents and structures are not two independently given sets of phenomena, a dualism, but represent a duality.” (Giddens 1984 ; 25) Ainsi, les structures sociales qui influencent l’action de l’agent ne sont autres que le produit même de ses pratiques. Autrement dit, les structures sociales n’existent que dans la mesure où les agents les font exister en les « agissant ». Il y a donc une relation circulaire récursive, propre aux approches constructivistes, entre agent et structure que Giddens désigne comme la dualité du structurel25. Dans une perspective quelque peu durkheimienne, dont Giddens ne se cache pas par ailleurs, les structures sociales sont alors consignées dans les « traces mnésiques » de l’acteur qui les produit et les reproduit de même qu’elles prennent forme à travers la récurrence des pratiques mêmes. Les structures, existant par l’action, sont alors à la fois habilitantes et contraignantes, structurées et structurantes. Elles sont à la fois le résultat et le matériau de la construction sociale. “All structural properties of social systems, are the medium and outcome of the contingently accomplished activities of situated actors.” (Giddens 1984 ; 191) Aussi y a-t-il toujours pour l’acteur une possibilité d’agir, intentionnellement ou non, de telle façon que le processus de production-reproduction des structures ne consolide pas les structures existantes. « Agency concerns events of which an individual is the perpetrator, in the sense that the individual could, at any phase in a given sequence of conduct have acted differently.” (Giddens 1984 ; 9) L’acteur bénéficie d’une marge de manœuvre. Le besoin de sécurité ontologique de l’acteur auquel répond la « routinisation » des pratiques sociales fournit cependant une constance et une stabilité de ce qui est perçu comme structure. Par routinisation, Giddens entend le caractère répétitif des pratiques sociales, comme des routines. 25 Giddens utilise en anglais le terme de « structure » qui a été traduit par celui de « strucurel » par Michel Audet afin de souligner le caractère particulier de l’acception que fait Giddens du terme de structure. 70 Réflexivité de l’agent compétent. Pour Giddens, l’agent ou l’acteur26 est compétent dans la mesure où il a « la capacité de comprendre ce qu’il fait et pourquoi il le fait ». De plus, ces capacités réflexives peuvent être de l’ordre du discours, de ce que Giddens appelle la conscience discursive, et donc être formulées verbalement et explicitement par l’acteur. Mais la plus grande partie de ces capacités sont plutôt d’ordre tacite, au niveau de la « conscience pratique ». “Practical consciousness consists of all the things which actors know tacitly about how to « go on » in the contexts of social life without being able to give them direct discursive expression.” (Giddens 1984 ; xxiii) Or, c’est la conscience pratique, principale interpellée par la routine, qui joue alors le rôle de médiateur entre la conscience discursive réflexive et les pulsions ombrageuses de l’inconscient pulsionnel. Au principe même de la réflexivité, qui est alors bien plus qu’une simple conscience de soi, repose donc une activité continue de « monitoring » de la vie sociale par l’acteur qui ajustera ses conduites en fonction de ce perpétuel retour sur lui-même et son environnement. Or, les actions et pratiques des acteurs entraînent inévitablement un lot de conséquences, certaines attendues, d’autres inattendues que Giddens désignent comme conséquences intentionnelles ou non-intentionnelles. Ces conséquences constitueront alors le point de départ des prochaines actions, le contexte de la suite de l’histoire. Giddens parle alors de conditions reconnues ou nonreconnues de l’action. Dialectique du contrôle. Dans la théorie de la structuration, les propriétés structurelles reposent sur des règles et des ressources que les acteurs mobilisent et reproduisent à travers leurs actions. Aussi, pour Giddens le pouvoir possède-t-il le même caractère relationnel que la structure. Le pouvoir n’est pas une ressource externe mais une partie intégrante des relations sociales, il est une capacité de transformation. « Power within social systems which enjoy some continuity over time and space presumes regularized relations of autonomy and dependence between actors or collectivities in contexts of social interaction.” (Giddens 1984 ; 16) 26 Giddens fait un usage indifférencié de ces deux termes 71 Dans cet esprit, nul pouvoir ne peut être absolu; toute forme de dépendance permet la mobilisation par un acteur dominé de ressources et de règles pouvant influencer l’acteur dominant. C’est ce que Giddens appelle la dialectique du contrôle. Ainsi Giddens propose-t-il une construction de la société comme un processus dialectique continu dans le temps où agent et structures sociales sont tissés par les fils de la pratique sociale (voir figure 3). Terminons en soulignant que la théorie de la structuration va beaucoup plus loin et reste beaucoup plus large que les quelques éléments que nous avons exposés. Cependant, cette théorie se présente plus comme une « façon de comprendre » (Yates 1997) que comme un véritable programme de recherche. L’exposé de Giddens offre peu de prises au chercheur sur le terrain et demande un effort d’opérationnalisation non-négligeable, ce qui n’a en rien affecté sa popularité croissante par ailleurs. Éléments théoriques pour une sociologie de l’entreprise En 1992, Bélanger et Lévesque publient dans les Cahiers de recherche sociologique un article intitulé « Éléments théoriques pour une sociologie de l’entreprise : des classiques aux néoclassiques ». Un article fondateur dont les avancées théoriques inspireront de nombreux autres chercheurs du CRISES (Centre de recherche sur les innovations sociales dans l’économie sociale, les entreprises et les syndicats)27 dont les Bourque, Harrisson et Lapointe pour ne nommer que ceux-là. L’objet de cet article est simple : autour de la problématique de la modernisation des entreprises, tracer les contours théoriques d’une sociologie de l’entreprise. Pour ce faire, les auteurs mobilisent trois classiques de la sociologie, Durkheim, Weber et Marx, ainsi que les auteurs contemporains qu’ils ont inspirés, et font ressortir pour chacun leur compréhension de la firme. Ainsi, dans la tradition durkheimienne, l’entreprise est entendue comme communauté, comme culture. Ses transformations renvoient alors aux modes de division du travail et aux mécanismes de coordination-intégration. L’accent est donc mis sur la dimension organisationnelle. 27 Le CRISES est un Centre de recherche interuniversitaire qui regroupe des chercheurs de différents horizons disciplinaires provenant de sept universités québécoises. 72 Figure 3 : Les éléments clés de la théorie de la structuration Source : Rouleau (1995), p.30 73 Wébériens et néo-wébériens, eux, se penchent sur la dimension institutionnelle de l’entreprise comme lieu de pouvoir et de rationalité. L’étude des transformations se fait alors par une analyse du système politique de l’entreprise, de ses mécanismes de décision politique. Enfin marxistes et néomarxiste, dans la tradition marxiste qui veut que l’entreprise soit une structure autoritaire et hiérarchique refusant la participation des travailleurs, mettent l’accent sur la dimension des rapports sociaux. Ainsi pour les néo-marxistes, représentés par l’école de la régulation, les entreprises incarnent des formes institutionnelles ou encore ce qu’ils appellent des « compromis institutionnalisés ». Il ressort donc de cet exercice que chacun des trois courants met l’accent, de façon isolée, sur une dimension spécifique de l’entreprise mais « demeure par ailleurs rivée à cette dimension » (Bélanger et Lévesque 1992 ; 76). Pour Bélanger et Lévesque, toute tentative de comprendre l’entreprise et les transformations qui y ont cours fait face à cette diversité des approches d’autant que chacune apporte une contribution légitime et valable. Toutes ces dimensions doivent donc être prises en compte. Car, selon eux, une approche sociologique doit pouvoir expliquer les transformations autrement que par de simples ajustements aux contraintes externes. Elle doit également se révéler capable de cerner les enjeux de la modernisation de la même façon qu’elle doit permettre d’articuler le niveau micro (entreprise) et niveau macro (société) parce que cette modernisation répond à des « dynamiques sociales internes et externes ». Mais la juxtaposition de ces approches ne suffit pas. Aussi, s’inspirant alors des sociologues des mouvements sociaux et des économistes de la régulation, les auteurs proposent une intégration de ces approches comme dimensions d’analyse dans une définition plus globale de l’entreprise. Chaque dimension constitue alors un enjeu spécifique avec ses propres acteurs et sa propre culture (Bélanger et Lévesque 1992). Mais attention, si chaque approche devenue dimension conserve une certaine autonomie conceptuelle, celles-ci n’en sont pas moins dans le modèle proposé ordonnées, hiérarchisées et inscrites dans des relations d’interdépendance. « Dans cette perspective, les rapports sociaux se traduisent en compromis institutionnalisés, en règles du jeu qui constituent le système politique de l’entreprise, règles du jeu qui à leur tour servent de cadre au système organisationnel, à l’agencement des diverses unités de l’entreprise. » (Bélanger et Lévesque 1992 ; 77) 74 Bélanger et Lévesque publieront par la suite plusieurs articles et chapitre de livres dans lesquels ils détailleront ce cadre d’analyse (Bélanger et Lévesque 1992 ; 1992b ; 1994 ; 1994b). Voyons donc nous aussi chacun de ces niveaux d’analyse plus en détail. Les rapports sociaux dans l’entreprise « Les rapports sociaux s’organisent autour d’enjeux, d’un paradigme sociétal ou d’orientations normatives ou de luttes pour le contrôle des ressources ou le modèle de développement. » (Bélanger et Lévesque 1992 ; 78) Selon Bélanger et Lévesque, la dimension des rapports sociaux est celle qui doit être placée au cœur de l’analyse puisque de par le caractère hiérarchique du modèle, c’est elle qui préside à la constitution des autres dimensions. Il y va ici de la question de l’affrontement des classes sociales, ouvrière et capitaliste certes, mais aussi technocratie contre mouvements sociaux, autour d’une vision du monde. Mais cette lutte n’est pas éternelle et connaît des moments de répits où les rapports de pouvoir sont reproduits sans être contestés. Ces « armistices », faits de concessions comme de coercition définissent des règles du jeu plus ou moins satisfaisantes. Les institutions ne sont rien de moins que ces compromis, ces règles, institutionnalisés. Reprenant Touraine, Bélanger et Lévesque traitent des phases observées dans l’étude des mouvements sociaux : phase d’opposition d’abord entre utopies concurrentes, phase d’affrontement direct ensuite entre adversaires sociaux puis phase d’institutionnalisation du conflit. Ainsi, « les luttes sociales renvoient donc à un système de représentations de leurs propres rapports » (Bélanger et Lévesque 1992 ; 78). Cette dimension peut également comprendre l’hypothèse avancée par plusieurs du passage d’un modèle de développement à un autre. En effet, pour Bélanger et Lévesque cette référence au modèle de développement amène à mieux cerner les enjeux pouvant être associés à la question de la modernisation des entreprises. Parmi les exemples que Bélanger et Lévesque nous offrent, dans le cadre de la modernisation des entreprises, des nouveaux rapports sociaux, citons les nouveaux rapports entre patronat et syndicats mais aussi entre firmes entre elles à travers de nouveaux rapports avec les soustraitants (partenariat, coopération à long terme…) ou à travers de nouvelles formes de concurrence (concurrence sur la qualité, les délais, le design et non plus seulement les prix) 75 L’entreprise comme institution « Cette dimension [institutionnelle] constitue en quelque sorte le système politique de l’entreprise dans un double sens : d’abord elle détermine la répartition des pouvoirs dans l’entreprise (les droits et les responsabilités des parties) ensuite elle précise les procédures de prise de décision qui lui permettent d’élaborer des politiques concernant à la fois son organisation interne et son adaptation à son environnement. Elle est à la fois contrainte, expression et renforcement des rapports de pouvoir…et centre de décision. » (Bélanger et Lévesque 1992 ; 82) Entre les rapports sociaux « éminemment conflictuels » et le niveau organisationnel où on retrouve la coopération nécessaire (dans la mesure où l’entreprise existe) se trouve un niveau intermédiaire, celui de « l’institutionnalisation des conflits » (Touraine 1973 in Bélanger et Lévesque 1994b) ou des formes institutionnelles. C’est cette seconde dimension qui permet de faire le lien entre micro et macro en fournissant une explication à la présence des « forces sociales de l’environnement », forces externes, dans la modernisation des entreprises, unités individuelles. Vu sous cet angle, même les forces les plus larges, les crises les plus globales peuvent avoir une « origine locale ». Ainsi, l’entreprise institution est une construction sociale qui n’est ni le produit d’un consensus ni une transcription naturelle du pouvoir de la classe dominante mais plutôt l’ « expression d’une hégémonie » : « Le compromis s’impose dans la mesure où même si le rapport entre les parties est inégal, aucune d’entre elles ne peut arriver à dominer l’autre de manière à imposer totalement ses propres intérêts. De plus, chacune des parties, y compris la dominante, a besoin de l’autre, de son consentement, de sa participation.» (Bélanger et Lévesque 1994b ; 22) L’institution est donc un compromis social, une « trouvaille historique » qui inscrit le conflit dans des normes reconnues comme légitimes, dans des mécanismes de prise de décision et dans un partage des responsabilités respectives entre acteurs. L’entreprise est un « compromis institutionnalisé », une codification des rapports sociaux : conventions collectives, code du travail, normes environnementales, législation, réglementation. Ces codes assurent une continuité et une stabilité des pratiques sociales. Dans cette dimension se retrouvent donc les contraintes historicosociales, les règles sociales, les règles du jeu qui définissent l’espace « qui permet aux individus 76 d’entrer en rapport ». On se penche aussi sur le système politique de l’entreprise, sur les mécanismes de formation des décisions légitimes. Et à court terme, cette dimension est un donné sur lequel les parties n’ont que peu de pouvoir. Enfin, Bélanger et Lévesque rappellent que la dimension institutionnelle reste un système d’action politique qui n’est pas exempt de conflits : « Tout en respectant les règles du jeu, les différents acteurs tendent à renforcer leur position dans les mécanismes de prise de décision et ainsi obtenir des décisions qui leur soient favorables. » (Bélanger et Lévesque 1992 ; 83) À titre d’exemple, au niveau institutionnel, la modernisation des entreprises se traduit entre autres par un nouveau compromis entre travailleurs et employeurs où la participation des premiers est négociée en échange d’une reconnaissance comme partenaires. C’est également à ce niveau que se situe la redéfinition des rôles, des fonctions des différents acteurs tels État, syndicat, patronat. Même le marché peut ainsi être analysé du point de vue institutionnel; les rapports y sont également codifiés par une législation, des règlements, des contrats, des ententes à valeur légale comme aussi des normes sociales (Granovetter 1991 ; Williamson 1985). L’entreprise comme organisation « Toute entreprise est aussi une organisation en ce qu’elle agence des moyens techniques et des ressources pour réaliser ses objectifs de production de biens ou de services. » (Bélanger et Lévesque 1992 ; 84) La dimension organisationnelle comporte deux aspects qui sont les deux côtés d’une même médaille : division du travail et coordination ou intégration. Ainsi, le travail est divisé entre catégories professionnelles en même temps que sont mis en place des mécanismes de coordination pour intégrer ces activités différenciées. Entre différenciation et intégration, Durkheim cherchait d’ailleurs un équilibre précieux devant éviter de verser dans les extrêmes : contraintes et règles autoritaires ou déviance et anomie. Les études sur l’entreprise consacrent presque exclusivement la dimension organisationnelle. Étude de la structure interne et de ses composantes pour une recherche d’efficacité, étude de l’adéquation des arrangements structurels face aux conditions externes (contingence), diversité des formes organisationnelles et marge de manœuvre 77 des acteurs (Crozier et Friedberg, 1977) peu importe le point de vue, le problème est celui de l’équilibre interne qu’il faut réussir entre différenciation et intégration. Enfin, la liaison entre entreprise et société, quant à elle, se résume généralement chez les auteurs de cette perspective organisationnelle à la perméabilité de l’organisation face à la culture et aux valeurs de cette société, ces dernières étant la source des règles du jeu. Ce qui amène Bélanger et Lévesque à affirmer qu’une approche uniquement organisationnelle ne peut être satisfaisante parce que selon eux, l’autonomie des organisations est limitée par des décisions qui émanent du niveau supérieur, le niveau institutionnel, et qui déterminent l’aire et les règles de jeu. Ainsi, parmi les exemples que nous offrent Bélanger et Lévesque (1992b) de la modernisation des entreprises au niveau organisationnel, citons les nouvelles formes d’organisation du travail (polyvalence, travail en équipe, intériorisation des objectifs, etc.), les nouveaux modes de gestion et de coordination (réduction des niveaux hiérarchiques, valorisation de la participation des employés dans la gestion de la production, valorisation de la culture d’entreprise, etc.), les nouvelles formes de gestion de la production (just in time, accent sur la recherche et développement, etc.) les nouveaux modèles de firme (horizontale et décentralisée), etc. Enfin, dans le cadre de leur problématique et avec le cadre théorique ainsi proposé (voir figure 4), Bélanger et Lévesque (1994b) avancent la possibilité d’une étude de différentes configurations ou modèles d’entreprise. Ces configurations, idéaux-types à la Weber, sont la combinaison de la forme assumée par chacune des dimensions dans une entreprise. La force de cette approche réside vraisemblablement dans sa capacité d’articuler les liens entre macro et micro sans compter que les auteurs offrent également un effort d’opérationnalisation non-négligeable. 78 Figure 4 : L'entreprise et ses dimensions Tiré de Bélanger et Lévesque 1992, p.80 Articulation des deux approches et dimensions d’analyse 79 Pour Bélanger et Lévesque, la modernisation des entreprises se veut une réponse à la crise du travail et des rapports patronat-syndicat. Plus largement, cette modernisation découle du contexte de transition qui fait suite à la crise de la société salariale et du modèle fordiste. De plus, pour les deux auteurs cette modernisation est un processus continu et représente un enjeu social majeur. Or dans le cas qui nous occupe, nous ferons un postulat fort contigu. On a pu voir dans la littérature de quelle façon le rapport État-société civile est lui aussi affecté par ces crises multiples et cette prospection vers un nouveau modèle de développement. Le rapport est alors appelé à se reconfigurer, nous dirons à se moderniser. Ainsi, nous avançons qu’il est possible de considérer le rapport comme objet d’étude, au même titre que l’entreprise, tout deux étant des construits sociaux, et ainsi d’en étudier les transformations à travers les trois dimensions de Bélanger et Lévesque : rapports sociaux, dimension institutionnelle et dimension organisationnelle. De son côté, l’approche constructiviste nous permet d’envisager le rapport État – société civile comme un processus de structuration dans le temps, à travers les pratiques des acteurs. Sous cet angle, le rapport peut alors être interprété comme un espace vécu de construction où les acteurs interagissant produisent et reproduisent les structures sociales. Aussi, la théorie de la structuration nous permet-elle de proposer aux dimensions de Bélanger et Lévesque un nouveau cadre d’intégration : les pratiques des acteurs interagissant dans le cadre de cet espace vécu structurent chacune des dimensions et sont structurées en retour par ces dimensions (voir figure 5). Logé dans l’esprit de l’acteur (traces mnésiques) et dans son action, ces trois dimensions à l’œuvre dans le processus de structuration sont donc en interaction constante et interdépendantes. À ce titre, les frontières entre chacune des dimensions ne sont pas hermétiques, ces dernières ont plutôt un caractère arbitraire rattaché à leur stabilité dans le temps. Ainsi les structures de la dimension organisationnelle sont plus susceptible d’être transformées à court terme alors que celle des rapports sociaux le seront plutôt à long terme. 80 Figure 5 : Modèle d'analyse pour l'étude du rapport État/société civile INTERFACE ÉTAT Logiques d’action propres ESPACE VÉCU DE CONSTRUCTION Dimension SOCIOCULTURELLE AGENTS Dimension INSTITUTIONNELLE Dimension ORGANISATIONNELLE AGENTS Dimension INDIVIDUELLE CDÉC Logiques d’action propres ORDRE NÉGOCIÉ 81 Enfin, comme la structure, chaque dimension devient alors à la fois le médium et le résultat, « the medium and outcome » (Giddens 1984 ; 191), des interactions entre les acteurs. Ainsi, de par le caractère structuré - structurant que nous reconnaissons à notre modèle d’analyse, chacune des dimensions nous permettra de faire une lecture synchronique du rapport, de même qu’une lecture diachronique. Autrement dit, chaque dimension étant à un moment donné le résultat de la construction antérieure, elle nous permettra de décrire le rapport État - CDEC, de le caractériser à ce moment à travers la configuration adoptée. De la même façon, chaque dimension participe à la construction du rapport dans le temps, chacune a donc une influence sur la configuration du rapport dans son évolution : elle nous permettra donc d’analyser le processus de structuration du rapport. Cependant, pour que l’analyse soit complète nous pensons qu’il est nécessaire d’ajouter une quatrième dimension, la dimension individuelle. Un ajout motivé par plusieurs constatations. D’abord, nous avons constaté dans la revue de littérature une absence presque totale de l’élément humain en tant que personne consciente dotée de motivations et agissant sur son environnement. Exception faite des approches managériales (Prévost 1993; Vachon 1993) en développement local où la question du leadership et des leaders occupe une place importante peu d’écrits se penchent sur le rôle de l’individu, encore moins dans le rapport entre État et organisations de développement local. Or, une connaissance pratique du terrain et des organismes communautaires suggère que l’individu en tant que personne ne se limite pas à reproduire la réalité, cette reproduction soit-elle réfléchie (réflexivité) ; la présence de leaders ou de porteurs de projet28 joue un rôle crucial, même lorsque l’on parle d’entreprises ou de projets « collectifs et communautaires ». C’est d’ailleurs ce que Vachon (1993) et Prévost (1993) avancent en ce qui a trait aux projets de développement local. Parallèlement, en s’appuyant sur les écrits de Laurent Lapierre (1992) et les courants de la psychologie, on peut également supposer que la personnalité, les valeurs, l’imaginaire et les motivations des individus induisent des attitudes et comportements uniques et spécifiques à chacun et sont à la source du projet porté par l’acteur de même que des moyens et de l’ardeur mise à le défendre. La production-reproduction des structures, soient-elles communes et 28 Nous préférerons le terme porteur de projet puisqu’il traduit mieux l’aspect « missionnaire » du leader envers un projet comme le développement d’un territoire local. 82 partagées, est donc toujours le fruit de comportements singuliers, de manières de faire, d’être et d’agir propres à la personne. Car, si l’individu est le produit des structures et qu’en retour il les reproduits, il ne lui en reste pas moins effectivement une marge de manœuvre, ce que Giddens fait d’ailleurs ressortir, qui lui permet d’agir sans être entièrement déterminé par les structures qu’il produit-reproduit. Yates (1997) propose d’ailleurs une conceptualisation du changement et de l’innovation à partir de la théorie de la structuration qui implique au départ une pratique divergente de l’acteur. Ainsi, l’acteur peut, en utilisant sa capacité de transformation (son pouvoir) agir différemment de façon intentionnelle en mobilisant dans un registre d’action les structures (règles et ressources selon Giddens) d’un autre registre. Yates donne alors l’exemple des hommes d’affaires Quaker qui dans leur traitement des employés mobilisaient des structures habituelles de gestion des ressources humaines mais aussi des structures religieuses. L’acteur peut aussi agir différemment de façon non-intentionnelle à travers un « dérapage » dans les pratiques quotidiennes. Ces divergences des normes considérées comme légitimes peuvent et sont généralement sanctionnées ou font l’objet de résistance. De plus, une action ne suffit pas à changer les structures ou à en créer de nouvelles, mais dans la mesure où d’autres acteurs se mettent à suivre, encore ici intentionnellement ou non, les pratiques de l’acteur « déviant », il peut alors en résulter un changement, un transfert du renforcement des pratiques vers une nouvelle structure. D’où l’intérêt pour les chercheurs, selon Yates, d’examiner les actions divergentes d’un acteur mais également les mécanismes et les acteurs susceptibles de renforcer et institutionnaliser ce transfert, ce que nous fournissent les trois autres dimensions, organisationnelle, institutionnelle, des rapports sociaux. Comme le souligne Bouchard (1994) citant Lipietz (1984 ; 23) la possibilité de « divergence souligne l’existence de la structure (sans laquelle tout ne serait que chaos) qui n’existe qu’à travers l’action routinisée ». Aussi, pourrions-nous penser à ce titre qu’au delà des trois dimensions déjà élaborées, celle de l’individu puisse elle aussi faire une différence dans la construction du rapport. De plus, outre cette carence dans les écrits, outre ces intuitions de recherche, l’approche constructiviste adoptée recommande que l’individu soit facteur d’explication au même titre que les structures sociales. Nous postulons donc que l’acteur, sa personnalité, ses motivations, son histoire jouent un rôle dans la construction sociale du rapport en ce qu’elle participe au processus de structuration par une influence sur les conduites. Elles sont en quelques sortes des structures internes non-partagées que l’acteur produit et reproduit. 83 Enfin, nous inspirant de la démarche de Bourque (2000) nous irons chercher pour chacune des quatre dimensions d’analyse une approche conceptuelle spécifique qui nous permettra d’une part d’opérationnaliser la dimension d’analyse mais surtout de caractériser sa configuration lors de notre étude synchronique du rapport. Voyons maintenant en détails ces outils conceptuels que nous mobiliserons. Dimension individuelle Que recouvre alors la dimension individuelle et de quelle façon l’aborder ? Deux questions : celle du qui et celle du quoi. En ce qui concerne la première, nous ferons appel aux écrits sur le leadership (Lapierre 1992) et le développement local (Prévost 1993 et Vachon 1993). Pour Vachon, la présence de leaders est « indispensable » au développement local; ils sont nécessaire à la fois pour réaliser un projet mais aussi pour réussir à « sortir du connu » (Vachon 1993 ; 127). Leur rôle est particulièrement important dans la mobilisation de la communauté. Pour Prévost (1993), la nécessité d’avoir des leaders vient du fait qu’il y a beaucoup d’acteurs dans la « soupe du développement local » et que la présence d’un instrument de développement n’est pas suffisant, encore faut-il un « facteur agissant » (Prévost 1993 ; 79). Le ou les leaders locaux sont alors ceux qui peuvent « influencer le changement des mentalités, faire surgir les dynamismes locaux et engager la population ». Or si, comme le dise les deux auteurs, la personne est la force motrice du développement, si le développement est un phénomène d’abord humain qui nécessite des porteurs de projets, nous devrions retrouver à travers le rapport État/société civile observé dans le cadre du développement local de ces « leaders ». Cela nous amènera donc à identifier dans un premier temps qui sont les porteurs de projet. À quoi reconnaît-on un porteur de projet ? D’abord et évidemment à ce qu’il est celui qui lance et qui « porte » des projets (Vachon 1993 ; 127) mais c’est surtout à l’influence qu’il exerce sur un groupe ou une communauté (Lapierre 1992 ; Vachon 1993) qu’on reconnaît le leader. Ainsi, Lapierre (1992) qui a beaucoup écrit sur le leadership conçoit celui-ci comme « la résultante de dispositions, de qualités et d’attributs personnels de la personne en poste d’autorité qui font qu’elle suscite, pour une collectivité donnée, un attrait et l’adhésion. » (Lapierre 1992 ; 59). Par contre, pour Vachon et Prévost, il n’est pas nécessaire d’occuper un poste d’autorité pour être un leader dans le développement local. Pour Prévost, le véritable porteur de projet est celui qui allie vision, 84 passion et générosité (Prévost 1993 ; 77). Aussi, pour savoir qui sont les porteurs de projet, Vachon propose deux méthodes complémentaires : observer les manifestations de leadership, qui peuvent être verbales comme non-verbales, et rencontrer, idéalement de façon informelle et spontanée, des membres du groupe ou de la communauté. Qui écoute-t-on ? Qui prend la parole ? De qui demande-t-on l’opinion ? De qui la prise de position semble-t-elle influencer l’opinion publique ? Qui cite-t-on en exemple ? Autant de questions pouvant mener vers l’identification de ceux qui sont les leaders. On peut aussi, reprenant Rezsohazy (in Vachon 1993 ; 128), examiner ceux qui remplissent plusieurs critères du leader idéal : 1) être un symbole, c’est-à-dire incarner les valeurs du groupe, de la communauté, 2) être un être de synthèse, non pas un dictateur mais un « accoucheur », 3) être un créateur de climat de confiance, 4) être quelqu’un capable de présider à l’exécution des décisions, donc capable d’administrer, d’accompagner et de stimuler des efforts d’organisation. On le reconnaît enfin aussi à ce qu’il sait susciter des initiatives, organiser des groupes, résoudre des conflits, vaincre les résistances. Les deux auteurs enfin, proposent divers « types » de leaders. Leaders d’autorité, de consultation ou de concertation sont trois catégories présentées pas Vachon, comme aussi la distinction entre leader de fonction et leader naturel. Leader charismatique et leader intellectuel sont les deux catégories suggérées par Prévost et que l’on retrouve dans les initiatives de développement local. Fait intéressant, Prévost présente ces deux types comme formant en quelque sorte un duo. Le leader charismatique étant celui qui regroupe, mobilise, écoute, propose et partage une « vision stimulante », qui « communique sa passion » alors que le leader intellectuel, plus discret, développe la vision et la cohérence et alimente le premier par sa réflexion. Il semble donc exister plusieurs façons d’être porteur de projet, plusieurs styles de leadership qui « varient selon les valeurs, les aspirations, la formation, les expériences et les intérêts .» (Vachon 1993 ; 129). C’est pourquoi, une fois les porteurs de projet identifiés, il nous faut nous intéresser à ces aspects : quelle est leur personnalité, quelle est leur expérience, quels projets portent-ils, et comment les portent-ils ? Voilà qui commande une étude de l’individu. Grawitz (1996) suggère que l’étude de sujets, d’individus, peut se pencher sur quatre éléments : la personnalité, les opinions, les attitudes ou encore les motivations de la personne. Giddens (1984), lui, parle entre autres de motivations inconscientes, de conscience pratique et de conscience discursive. Mais, les écrits de Lapierre (1992) sont encore ceux qui à ce sujet nous semblent les plus éloquents. En effet, pour Lapierre, le leadership c’est «la direction, c’est-à-dire l’orientation 85 donnée à une organisation qui provient de la vie intérieure du leader et de ses façons de diriger les personnes » (Lapierre 1992 ; 59). Cette direction se manifeste alors surtout à travers la vision personnelle, les façons d’être et d’agir, les convictions profondes, l’imagination et l’univers fantasmatique. L’approche de Lapierre, très près de la psychanalyse, se travaille à partir de l’approche clinique et de la constitution de récits de vie, d’histoire de cas de leaders. Sans aller aussi loin (ce serait là l’objet d’une recherche en soi!), nous nous inspirerons de cette approche pour tenter de faire ressortir, au-delà « des capacités analytiques, des compétences techniques, du sens politique, et des habiletés de direction » (Lapierre 1992 ; 16), une partie de « la richesse intérieure qui caractérise le leadership » (Lapierre 1992 ; 60) des principaux porteurs de projet dans le rapport. Pour ce faire, nous examinerons auprès des porteurs de projet quelques uns des apects considérés dans un récit de vie : histoire personnelle, importance et influence de la famille, personnalité, vision de son expérience professionnelle. C’est ainsi, armés de ces outils, que nous tenterons donc dans un premier temps de situer et de caractériser le rapport à un moment précis dans le temps de même que de dégager la contribution de cette dimension à la construction du rapport. Tableau 2 : Dimension individuelle : porteurs de projet et vie intérieure Qui sont les porteurs de projet ? Vie intérieure des porteurs de projet - Influence sur un groupe ou une communauté - Histoire de vie : famille, expériences - Symbole passées - Créateur de climat de confiance - Personnalité - Suscite des initiatives, organise des groupes, - Valeurs et convictions résout les conflits, vainc les résistances - Vision - Leader charismatique ou intellectuel Dimension organisationnelle Nous avons vu que cette dimension repose sur l’équilibre entre différenciation et intégration qui peut être étudié à travers la division du travail et les mécanismes de coordination. Aussi, avons-nous trouvé particulièrement pertinent de mobiliser les travaux de Mintzberg sur la structure organisationnelle (Mintzberg 1982 et 1990) pour aborder cette dimension. Ainsi, Mintzberg pour définir et comprendre la structure organisationnelle décompose cette dernière en cinq dimensions comportant chacune plusieurs paramètres. Cette façon de faire a l’avantage de systématiser l’analyse mais surtout de rendre compte de toute la richesse et la complexité de la 86 dimension organisationnelle. Plus encore, Mintzberg constate que dans la « nature », l’interdépendance de ces dimensions limite le nombre d’agencements possibles et détermine de la sorte sept « configurations organisationnelles » possibles. Nous inspirant de sa démarche, nous tenterons donc d’abord, à l’aide des dimensions et paramètres qu’il propose de qualifier la structure non pas de l’organisation mais du rapport ou de l’interface que nous avons observé pour ensuite tenter de dégager la configuration adoptée par le rapport. Parmi les dimensions de Mintzberg pertinentes pour notre analyse, citons le fonctionnement de l’organisation, certains paramètres de conception et les mécanismes de coordination. Le fonctionnement de l’organisation Pour Mintzberg, le fonctionnement de l’organisation est à la base de la structure. On y examine d’une part les composantes fondamentales et les différents flux qui relient ces composantes ensemble. Ces dernières sont au nombre de cinq29 : centre opérationnel, sommet stratégique, ligne hiérarchique ou d’autorité, technostructure et fonctionnels de support. Toutes ces composantes ne sont pas nécessairement présente dans toute organisation ou encore peuvent l’être à des degré divers, aussi une étude de la structure commande-t-elle l’observation de ces dernières et de leur importance. Viennent ensuite les systèmes de flux qui lient ces composantes entre elles : flux d’autorité formelle, flux régulés de travail et de contrôle, flux de communication informelle, flux de décision ad hoc. Ainsi, le système de flux d’autorité formelle, qui correspond généralement dans une organisation à l’organigramme permet de « donner une image de la division du travail en indiquant quels postes existent, comment sont-ils groupés en unités et comment l’autorité formelle circule » (Mintzberg 1982 ; 52). Et puis le système d’autorité formelle influence le système informel puisque « le système informel emprunte les lignes de forces créées par le système formel et parce que ce dernier est en partie créé en réaction au système formel et enfin, le système formel,…, exige au moins une conformité de façade » (Dalton 1959 in Mintzberg 1982 ; 53). Le système de flux de communication informelle permet lui de découvrir les centres de pouvoir qui existent sans être officiellement reconnus (Mintzberg 1982 ; 62). Ainsi, des réseaux de communication informelle se superposent aux réseaux formels ou même les contournent, de la 29 Dans Voyage au cœur des organisations (1990), Mintzberg ajoute une composante supplémentaire, l’idéologie, dont nous ne traiterons pas dans cette dimension-ci mais plutôt à travers la dimension des rapports sociaux. 87 sorte, des processus de décision ont aussi lieu en dehors du système formel. Ce qui fait ressortir l’interdépendance entre l’aspect formel et informel de la structure. Les paramètres de conception Outre le fonctionnement de l’organisation, les acteurs de la structure disposent de certains « matériaux » pour agir sur cette dernière. C’est ce que Mintzberg désigne sous le vocable de paramètres de conception. Ces paramètres sont répartis en quatre grands groupes, conception des postes, de la superstructure, des liens latéraux et du système de prise de décision, chacun se détaillant en plusieurs paramètres. Ainsi peut-on s’intéresser à la division de base du travail (spécialisation), à la standardisation ou absence de standardisation du contenu du travail ainsi qu’à la formation et socialisation. La « superstructure » peut également être examinée afin de déterminer s’il existe des regroupements en unité, sur quelle base et de quel ordre (organigramme). Aussi, il est possible de se pencher sur les mécanismes de liaison : quels mécanismes sont présents dans la structure et de quelle nature sont-ils : y a-t-il des postes de liaison, des groupes ou comités de projet, un poste cadre intégrateur, une structure matricielle ? L’existence, l’ampleur et la nature des systèmes de planification et de contrôle peut aussi être étudiée. Enfin, l’arrangement de ces paramètres offre un éventail de possibilités qui pourrait alors animer le rapport dans des directions fort différentes. Mécanismes de coordination Reste le plus important, « l’essence de la structure », « la colle qui tient toutes les parties ensemble », les mécanismes de coordination. Mintzberg en dénombre six : ajustement mutuel, supervision directe, standardisation des procédés, des résultats, des qualifications ou des normes intériorisées (idéologie). Il n’est pas rare qu’on en retrouve plus d’un au sein d’une même organisation mais pour caractériser la structure on cherchera celui qui sera dominant. Encore ici, la prédominance d’un mécanisme plutôt qu’un autre pourrait transformer sensiblement le rapport et lui donner une tangente plus souple ou plus rigide, voir faire la différence entre coopération et conflit. 88 Tableau 3 : Dimension organisationnelle : les configurations organisationnelles Configuration de l’organisation Composante-clé Mécanisme coordination de Autres caractéristiques Simple ou Sommet stratégique Supervision directe Entrepreneuriale Mécaniste Technostructure Standardisation des procédés de travail Divisionnalisée Ligne hiérarchique Standardisation des résultats Professionnelle Centre opérationnel Standardisation des qualifications Innovatrice Fonctionnels support Missionnaire Idéologie Standardisation des normes Politique Toutes Aucun mécanisme dominant de Ajustement mutuel Source : À partir de Mintzberg (1990) • Structure simple, flexible • Organisée autour du dirigeant chef d’entreprise • Peu ou pas de technostructure, de fonctionnels de support et de ligne hiérarchique • Bureaucratie centralisée • Travail spécialisé • Division du travail très poussée • Hiérarchie et ligne hiérarchique importante • Fonctionnels de support importants • Divisions autonomes dans leurs activités • Siège définit la stratégie sous la forme de la gestion d’un portefeuille d’activités • Décentralisation limitée en faveur des directeurs de division • Divisions soumises au système de contrôle des performances par le siège • Travailleurs qualifiés sujets au contrôle de la profession • Technostructure et ligne hiérarchique au minimum • Stratégie adoptées par jugement professionnel et choix collectif (collégialité) • Avantages de démocratie et autonomie • Adhocratie organique • Équipes pluridisciplinaires • Souvent pour la réalisation de projets novateurs • Stratégie émergente • Système de valeurs et de croyances important • Une mission distinctive, claire et porteuse d’inspiration • Sélection et socialisation des membres • Jeux de pouvoir informels • Conflits • Forces divergentes 89 Ainsi, les différentes dimensions et paramètres de la structure se combinent pour former des configurations organisationnelles. Mintzberg en a identifié sept qui forment des types de base des organisations : organisation simple ou entrepreneuriale, organisation mécaniste (parfois appelée bureaucratie mécaniste), organisation divisionnalisée, organisation professionnelle, organisation innovatrice ou adhocratie, organisation missionnaire et organisation politisée (voir tableau 3). À partir de l’analyse des éléments identifiés précédemment nous serons donc en mesure de dégager une configuration qui pourra caractériser le rapport à un moment donné dans le temps. Également, à partir de cette approche configurationniste, nous tenterons d’appréhender la dimension organisationnelle et sa contribution à la construction du rapport. Les différents éléments de la structure, selon la forme qu’ils adoptent pouvant avoir un impact significatif sur le rapport, contraignant et habilitant sa production-reproduction et son évolution, ce que nous essaierons de dégager. Dimension institutionnelle La dimension institutionnelle telle que décrite par Bélanger et Lévesque autour des règles du jeu et de la question du pouvoir trouve des échos singuliers dans la littérature sur la gouvernance. Aussi nous en inspirerons-nous pour notre analyse. L’examen des ententes et protocoles conclus entre les deux parties (État et organisations de développement local; et plus particulièrement le MAMM et les CDEC) et les mécanismes mis en place pour s’assurer de leur exécution permettrait ainsi de faire ressortir les règles qui régissent le rapport. L’identification des instances décisionnelles, l’étude de leurs modes de fonctionnement, de leurs rôles et compétences ainsi que de ceux et celles qui y participent pourrait nous éclairer sur la question du pouvoir et de sa répartition. Les éléments et lieux informels d’exercice du pouvoir seront aussi à rechercher : prise de décision en dehors des structures formelles, normes tacites. Comme Bélanger et Lévesque (1994b) nous tenterons également de faire ressortir au delà du contenu de la codification, la forme ou la tendance prise par la codification des rapports. Puis afin de caractériser la configuration de la dimension institutionnelle nous reprendrons les travaux de Bourque (2000), de Hollingsworth et al. (1994 ; 1997) et Campbell et al. (1991) sur les modes de gouvernance. Hollingsworth et Boyer (1997) détaillent six de ces modes qui peuvent être caractérisés par une 90 répartition du pouvoir plus ou moins hiérarchique et des motivations de l’acteur dans l’échange allant de l’intérêt purement personnel et individuel à la réciprocité ou aux obligations envers autrui, individu ou organisation (voir figure 6). La structure, les règles présidant à l’échange et les mécanismes de contrôle individuels comme collectifs peuvent aussi décrire chacun de ces modes (voir tableau 4). Tableau 4 : Dimension institutionnelle : les modes de gouvernance Mode de gouvernance Structure Marchande (par les prix) Entrée et sortie libre Volontaire Échanges Ponctuel bilatéraux Communautaire (multi-acteurs) Membership informel Réseaux Membership semiformel Échanges bilatéraux ou multilatéraux Associative (ex : syndicats) Membership formel Restreint Échanges (membres multilatéraux seulement) Opposition inclus/exclus Organisations Restreint complexes et Basé sur bureaucratiques répartition inégale du pouvoir et des règles bureaucratiques Hiérarchie publique Action unilatérale Membership imposé Échange indirect et global au niveau politique et économique Hiérarchique (ex : grande entreprise bureaucratique) Étatique Règles d’échange Mécanismes de contrôle individuel Mécanismes de contrôle collectif Contrôle légal Règlements et lois régissant le marché Droits de propriété privée Légitimité du marché libre Normes et règles fortement institutionnalisées Obligations « corporatives » Volontaire Normes sociales et Basé sur la principes moraux solidarité sociale entraînent des et un niveau obligations élevé de Réciprocité dans le confiance temps Connaissance des autres Volontaire Liens contractuels Étalé sur une Dépendance liée aux période de ressources temps Intérêt personnel Effet de réputation Récompenses pour les individus Menace de sanctions (répartition inégale du pouvoir) Évitement (évitement fiscal, migration) Voix (vote, lobbying) Source : Traduction libre de Hollingsworth et Boyer (1997), p.15-16 Relations personnelles Confiance construite en dehors de la sphère économique Un certain degré de compulsion Administration partiellement privée Règles très fortement institutionnalisées Socialisation des membres (culture organisationnelle) Sanctions Coercition Règles et normes sociales 91 Selon Bourque (2000), un mode de gouvernance assure « grâce à un ensemble de règles et de normes, une plus grande régularité des échanges » (Bourque 2000 ; 19). Bourque relève, lui, cinq de ces modes. La gouvernance marchande, c’est à dire une coordination par les prix et par les règles du marché et la gouvernance hiérarchique, c’est-à-dire les « modes de gestion de la grande entreprise » (Bourque 2000 ; 19) sont probablement les plus connus des modes de gouvernance, mis en vogue par les économistes de la New Institutional Economics. Motivation dans l’échange Intérêt personnel MARCHÉS HIÉRARCHIE ASSOCIATIONS horizontale verticale Répartition du pouvoir RÉSEAUX ÉTAT COMMUNAUTÉS Réciprocité / Obligation Figure 6 : Modes de gouvernance selon Hollingsworth et al. Mais il existe aussi une gouvernance étatique qui désigne « la coordination des activités économiques par les pouvoirs publics » (Bourque 2000 ; 19) ainsi qu’une gouvernance associative et une gouvernance communautaire. La gouvernance étatique est caractérisée entre autres par 92 une répartition inégale du pouvoir en faveur de l’État qui peut recourir à la coercition pour imposer ses règles. La gouvernance associative, elle, considère un mode de gouvernance adopté par « des organisations collectives regroupant des catégories spécifiques d’acteurs » (Bourque 2000 ; 19), par exemple les syndicats. La gouvernance communautaire quant à elle fait plutôt référence à un mode de gouvernance basé sur la confiance mutuelle, la réciprocité, l’appartenance à une « communauté » de vie ou d’esprit autour d’une vision ou d’un projet par exemple. Ce mode de gouvernance se reconnaît également à son caractère informel. La gouvernance par réseaux qu’ajoute Hollingsworth à la typologie en 1997 semble être un entre-deux entre la gouvernance associative et de la gouvernance communautaire. Conceptualisée à l’origine pour rendre compte des différentes formes de coordination des échanges économiques, au-delà de la hiérarchie et du marché, nous nous intéresserons cependant davantage à l’esprit de cette typologie qui nous offre un langage imagé pour décrire la dimension institutionnelle du rapport à un moment donné. Dimension des rapports sociaux Bélanger et Lévesque dans un de leurs articles sur la modernisation des entreprises (Bélanger et Lévesque 1994b) font l’exercice singulier de caractériser le rapport patronat-syndicat en décrivant pour chacune des parties quel serait son « modèle utopique ». Cette façon de faire présente une utilité certaine selon les deux auteurs, elle permet en effet de « situer le jeu des acteurs sociaux, de rendre compte de l’instabilité de certaines configurations et de renverser le discours de la résistance au changement » (Bélanger et Lévesque 1994b). Nous nous intéresserons donc ici aux visions du monde en opposition, aux utopies ou modèles utopiques. Pour ce faire, nous ferons ressortir quelle vision du développement animent les acteurs sociaux (État et société civile). Selon Bélanger et Lévesque, la lutte des classes s’écrirait entre technocratie et mouvements sociaux. Bouchard (1994) dans ses travaux sur les coopératives s’inspirant de Breton et Levasseur (19XX) identifie ainsi des logiques dominantes : logique du capital, logique de l’État, logique de la consommation collective. La logique de l’État est alors détaillée en une logique d’institutionnalisation, de récapitulation des normes sociales et de normalisation de la praxis sociale. Favreau (1999b) parlait également de la rencontre entre logiques d’action étatique et associative. Aussi, ajouterons-nous dans notre boîte à outils conceptuelle, pour saisir cette dimension, les logiques d’action inspirées de l’économie des 93 grandeurs de Boltanski et Thévenot (1991). Ces derniers proposent six "mondes" organisés autour d’un principe supérieur commun, et avec dans chacun des états de grandeur (que Jetté (2001) nomme états de grand), des formules d’investissement, des épreuves modèles et plusieurs autres éléments à partir desquels les acteurs justifient leurs actions et jugent les hommes et les choses (voir tableau 5). Tableau 5: Dimension des rapports sociaux : aperçu des mondes de l'économie des grandeurs Monde Principe supérieur commun Monde de L’inspiration l’inspiration État de grand Formule d’investissement Épreuve modèle L’illumination Le risque La création L’évasion hors des habitudes Monde La tradition La supériorité Le devoir Les cérémonies domestique hiérarchique L’oubli pour les autres familiales bienveillante et Les fêtes paternaliste Monde de L’opinion publique La célébrité La révélation de soi Les événements de l’opinion La reconnaissance visibilité Monde civique La volonté L’appartenance à un La participation La manifestation collective espace public La solidarité L’assemblée Monde L’efficacité Le performant Le progrès Le test industriel Le fonctionnel L’effort Le contrôle L’opérationnel L’argent et le temps Monde La concurrence Le millionnaire L’opportunisme Les affaires marchand Le gagnant Le contrat Source : À partir de la grille de Jetté (2001), p.20-21 selon Boltanski et Thévenot Ces mondes ou « cités » constituent alors un cadre commun, une grammaire qui permet d’expliquer ces comportements mais aussi les conflits qui surgissent lorsque deux mondes se rencontrent. Dans la grille compilée par Jetté (2001 ; 20-21 reproduite en annexe) à partir de l’ouvrage de Boltanski et Thévenot on retrouve ainsi le monde de l’inspiration dont l’état de grandeur est représenté par l’illumination ou l’expérience d’une transformation intérieure; le monde domestique qui a pour principe supérieur commun la tradition et comme état de grandeur la supériorité hiérarchique bienveillante et paternaliste; le monde de l’opinion pour qui l’état de grand est la célébrité, la reconnaissance, le succès, la bonne réputation; le monde civique dont le principe supérieur commun est la volonté collective et l’état de grandeur, l’appartenance à l’espace public; le monde marchand dont le principe supérieur commun est la concurrence et l’état de 94 grand le millionnaire, le gagnant et enfin le monde industriel dont le principe supérieur commun est l’efficacité et l’état de grand, le performant, le fonctionnel et l’opérationnel. Il est évident qu’aucune culture, milieu, institution ou individu ne peut être réduit à un seul de ces mondes (comme inversement d’ailleurs) et que tant les milieux que les individus sont « traversés par plusieurs de ces mondes » (Jetté 2001; 22) mais à la façon des modes de gouvernance ou des configurations organisationnelles, l’économie des grandeurs et ses mondes offre un langage pour décrire et caractériser les logiques d’action propres aux acteurs sociaux et traiter de la rencontre de ces logiques au sein de la dimension des rapports sociaux du rapport. *** C’est donc ainsi outillées (voir tableau 6) que nous aborderons l’analyse des cas que nous aurons étudiés. Ainsi, nous pourrons d’une part faire ressortir la configuration adoptée par chaque dimension (individuelle, organisationnelle, institutionnelle, rapport sociaux) à un moment précis et dégager de ces constats la configuration globale du rapport à ce moment. De la même façon, ces outils conceptuels nous permettront d’appréhender chacune des dimensions et de dégager sa contribution dans le processus de structuration du rapport. Mais avant d’en arriver là, il nous faut nous attarder aux considérations méthodologiques qui font l’objet du prochain chapitre. Tableau 6: Concepts et indicateurs des dimensions d'analyse Dimension Concepts Rapports sociaux Vision du développement Modèle utopique Auteurs et outils conceptuels Logiques d’action (Boltanski et Thévenot) Institutionnelle Modes de Gouvernance (Bourque / Hollingsworth) Instances décisionnelles Règles et normes codifiées Inclusion / exclusion Organisationnelle Division du travail Coordination/intégration Individuelle Configurations organisationnelles (Mintzberg) Porteurs de projet Porteurs de projet (Vachon/Prévost) Personnalité, valeurs et convictions, Histoire de vie (Lapierre) vision personnelle 95 Chapitre 4. Considérations méthodologiques Il nous reste encore à préciser les modalités avec lesquelles nous procéderons, pour reprendre les termes de Quivy et Campenhoudt (1995), à l’« observation » qui constitue l’ensemble des « opérations par lesquelles le modèle d’analyse est soumis à l’épreuve des faits, confronté à des données observables. » (Quivy et Campenhoudt 1995 ; 155). Procédant en deux temps, nous aborderons d’abord la question plus globale de la démarche de recherche pour ensuite préciser les techniques et outils mobilisés dans le cadre de cette recherche. La démarche de recherche Une approche inductive et qualitative L’approche constitue la « manière d’aborder un sujet de connaissance quant au point de vue et à la méthode utilisée. » (Comeau 1996 ; 1). C’est « une façon d’être et d’observer, caractérisée par un état d’esprit plus que par des étapes rigides. » (Grawitz 1996 ; 319). Pour notre étude une approche à la fois inductive et qualitative nous a semblé être la plus pertinente. Inductive d’abord parce que procédant d’une volonté de comprendre plutôt que de démontrer; alors que le raisonnement déductif part du général pour s’appliquer ensuite au particulier (Grawitz 1996) nous ne partons pas ici de lois générales desquelles nous déduisons des hypothèses à vérifier mais plutôt à l’inverse avons-nous développé un modèle d’analyse comme un itinéraire, comme autant de pistes potentielles pouvant contribuer à jeter un peu de lumière sur la réalité en réponse à la question qui nous occupe, celle du rapport entre État et société civile dans le développement local. Cette démarche s’apparente au type de raisonnement dit inductif : « opération par laquelle on étend à une classe d’objets ce que l’on a observé sur un individu ou quelques cas particuliers » (Grawitz 1996 ; 15). L’induction est donc une généralisation. Mais cette généralisation peut se faire de différents moyens, ainsi Grawitz (1996) distingue-t-elle, entre autres, induction énumérative et induction analytique. La première tend à généraliser à partir de similitudes, régularités ou répétitions constatées à travers l’étude de plusieurs cas, alors que la deuxième procède plutôt à une généralisation à partir d’une étude approfondie d’un ou de quelques cas particuliers. C’est cette dernière que nous avons retenu pour notre recherche. Ce qui nous amène à aborder maintenant l’aspect qualitatif de notre approche. En effet, la démarche inductive est généralement mise en lien avec une approche qualitative et inversement : l’étude en 96 profondeur d’une situation ou d’un fait social (induction analytique) appelle une observation qualitative de la même façon que le type de raisonnement privilégié par l’approche qualitative est généralement l’induction (Grawitz 1996 ; Comeau 1996). L’approche qualitative considère donc un type de recherche qui « produit et analyse des données descriptives » (Deslauriers 1991 in Comeau 1996 ; 6). Il peut s’agir de discours, de paroles, d’écrits, de faits ou de comportement observés. Mais au-delà de la nature des données que l’on dit trop souvent qualitatives par simple opposition aux données quantitatives ou chiffrées, l’approche qualitative se distingue par sa méthode d’analyse qui n’est pas mathématique et un caractère résolument « naturaliste » de par l’intérêt qu’elle porte à l’étude et l’observation de phénomènes sociaux en « milieu naturel » (Comeau 1996 ; 6). Enfin, l’approche qualitative se veut une approche compréhensive. Plus que qualitative d’ailleurs, notre approche frôlera également le littoral de l’approche clinique puisque nous nous intéresserons à l’expérience subjective des acteurs à travers la dimension individuelle. Aussi, le choix de cette approche qualitative et inductive est d’autant justifié dans notre cas que les méthodes qualitatives sont associées au paradigme constructiviste (Lincoln et Guba 1985 in Comeau 1996); il y aurait donc cohérence entre l’approche théorique et l’approche méthodologique retenues. Fidélité et validité Le choix d’un méthode, d’une approche et de techniques d’observation doit cependant répondre d’une certaine rigueur liée à son caractère et à sa prétention scientifique dont il faut pouvoir juger, ce qui est généralement fait en terme de fidélité et de validité des instruments d’observation (Grawitz 1996 ; Comeau 1996). La fidélité réside dans la « concordance d’observations faites avec les mêmes instruments par des observateurs différents, sur les mêmes sujets » (Grawitz 1996 ; 333). La validité quant à elle recouvre deux notions : validité logique et validité empirique. La première vise l’assurance que l’instrument « mesure avec exactitude ce qu’il a pour but de mesurer », alors que la deuxième se penche sur la capacité de l’instrument de « prédire avec exactitude » (Grawitz 1996 ; 333). Voilà qui se conçoit bien pour un instrument de mesure mécanique et sans conscience traitant des phénomènes physiques mais comment juger de la fidélité et de la validité dans le cas où sujet comme objet sont des êtres dotés d’une conscience réflexive et où les données sont de l’ordre du langage et donc inévitablement sujettes à interprétation ? Comeau (1996) reprenant les efforts de Kirk et Miller (1986), Lincoln et Guba 97 (1985) et Deslauriers (1991) propose ce qui suit. En ce qui concerne la fidélité, on parlerait dans l’analyse qualitative de transférabilité et de fiabilité. La transférabilité serait alors la « possibilité pour un autre chercheur, de reprendre l’exercice; c’est cet autre chercheur qui peut juger de cette possibilité, selon le degré d’explicitation des règles méthodologiques » (Comeau 1996 ; 10). Il importe donc de fournir suffisamment de détails sur la démarche entreprise pour satisfaire à cette première exigence. Quant à la fiabilité, elle concerne « le suivi des règles de méthode » (Comeau 1996). Aussi, en ce qui a trait à la fidélité, dans un souci d’abord de transférabilité, nous détaillons plus loin dans ce chapitre la démarche d’observation empruntée, les conditions de cette observation et les instruments utilisés. Puis, en ce qui concerne la fiabilité et le respect des règles de méthode, elle nous semble assurée d’une part par la supervision d’un professeur d’expérience, Marie-Claire Malo, ainsi que par les échanges effectués tout au long de la démarche avec d’autres chercheurs et professeurs ainsi à travers l’atelier de recherche ou les différents séminaires auxquels nous avons assisté tels ceux du CRISES-HEC et du CRISES-Montréal. Pour ce qui est de la validité maintenant, elle couvre également deux aspects soit la crédibilité et la validation. La crédibilité « estime en quoi l’objet a été bien identifié, bien décrit et que les résultats sont vraisemblables » (Comeau 1996 ; 9). Cette crédibilité est assurée par le chercheur s’il peut démontrer qu’il a eu une « présence prolongée » sur le terrain d’observation ou dans le champ d’étude, s’il décrit avec détails les procédures qu’il a employées, s’il appuie ses résultats sur des données empiriques, etc. Travaillant sur les corporations de développement économique communautaire (CDEC) à Montréal depuis 1999 et étant resté en contact avec les acteurs durant ces trois dernières années, il nous semble possible de démontrer une présence prolongée. De plus, nos résultats sont appuyés par des données empiriques telles citations et extraits d’entrevues ou de documents recueillis dans le cadre de la recherche aussi pouvant nous démontrer une certaine crédibilité. Enfin, la validation « signifie que les résultats obtenus concordent avec les données recueillies » (Comeau 1996 ; 10). À cet effet, il nous a semblé approprié que chacun des cas soit validé par un responsable de l’organisation étudiée, ce qui fût d’ailleurs convenu dans le protocole éthique. Cette démarche de validation nous a permis d’apporter de nombreuses précisions et d’éviter certaines erreurs factuelles ou sur la séquence des événements rapportés. Une telle démarche vient ajouter, selon Comeau (1996), à la crédibilité de l’étude dans la mesure où elle ne vise pas à faire disparaître les opinions divergentes exprimées ou à « gommer certains 98 faits ». Enfin, pour Comeau (1996), la validité et la fidélité de l’étude d’un cas repose sur la richesse documentaire, la valeur des témoignages et l’observation des chercheurs. Les limites du champ d’analyse Une fois l’approche choisie, il nous a fallu enfin, déterminer les limites de l’analyse empirique dans l’espace et dans le temps. Cela impliquait entre autres un choix quant aux unités à observer (combien et quelles organisations ?) et quant à la période de temps prise en compte. Nous avons donc retenu le cas de deux corporations de développement économique communautaire (CDÉC) sises sur le territoire de la Ville de Montréal : le cas de la CDÉC Côte-desNeiges/Notre-Dame-de Grâce (CDÉC CDN/NDG) et celui de la CDÉC Centre-Sud/Plateau-MontRoyal (CDÉC CS/PMR) dans leur rapport à l’État soit ici le ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM) que nous avons donc aussi étudié. Les critères pour ce choix furent les suivants : d’abord, l’approche retenue comme les moyens dont nous disposions (temps et ressources) impliquaient forcément l’étude d’un nombre restreint de cas. Puis l’objet même de l’étude exigeait que nous étudions les deux constituants du rapport soit au moins une organisation de développement local issue de la société civile et une organisation gouvernementale, toutes deux en relation l’une à l’autre. Cette relation ne pouvait être trop récente, vu notre intérêt porté à l’évolution du rapport, et soutenue. Puis, pour des raisons de temps, de ressources et de commodité, les unités observées se trouvaient idéalement dans la région métropolitaine. Enfin fallait-il que les organisations acceptent de participer à la recherche. À ce titre, les sept CDÉC du territoire de la Ville de Montréal constituaient donc une population éligible en matière d’organisations de développement local issue de la société civile alors que le gouvernement provincial, impliqué dès l’émergence des CDÉC à Montréal, constituait de son côté un État correspondant aux critères établis. Or parmi la population de CDÉC montréalaises, on identifie trois générations de CDÉC. C’est pourquoi nous avons retenu deux cas de CDÉC, soit un d’une CDÉC de première génération, la CDÉC CS/PMR et un d’une CDÉC de troisième génération, la CDÉC CDN/NDG, de façon à ce que les résultats de l’étude soient dans le mesure du possible indépendantes de ce facteur « générationnel ». Cela nous amène à insister sur le fait que, si les deux CDÉC sont indépendantes l’une de l’autre, l’analyse que nous faisons sera globale et non comparée. Le choix de deux CDÉC et non seulement une se veut, outre les questions de 99 génération, une façon d’enrichir la démarche d’induction analytique et non une source de comparaison dans la démarche d’explication. Quant au gouvernement provincial, c’est le MAMM qui est la principale organisation en relation avec les CDÉC montréalaises. Enfin, afin d’obtenir des données les plus exactes et détaillées possibles nous avons concentré notre observation dans le temps aux cinq dernières années (1996-2001) plus particulièrement autour d’un événement précis, le dépôt de la nouvelle Politique de soutien au développement local et régional et la mise en place des Centres locaux de développement (CLD) prévus dans cette politique à Montréal, c’est-à-dire la négociation et finalement l’obtention du mandat de CLD par les CDÉC montréalaises. Le déroulement de la recherche Une première recherche qui s’est déroulée sous la forme d’un cours-projet (Camus sous la direction de Malo 2000) à l’été 1999 a permis une première phase d’exploration à travers laquelle une collecte documentaire a été effectuée auprès des sept CDÉC de la Ville de Montréal ainsi qu’une première série d’entretiens auprès d’employés et administrateurs principalement de la CDÉC Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce (le détail des personnes rencontrées et des documents recueillis est présenté en annexe). Puis, au printemps 2001, une deuxième collecte documentaire a été effectuée auprès des CDÉC Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce et Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal, auprès d’une CDÉC de banlieue (Transaction pour l’emploi de Ville LaSalle), auprès du ministère des Affaires municipales et de la Métropole et auprès du Service de développement économique de la Ville de Montréal. Enfin, à l’été 2001 une deuxième série d’entretiens a eu lieu avec les directeurs, présidents et certains employés des CDÉC étudiées ainsi qu’avec un fonctionnaire du MAMM et une fonctionnaire de la Ville de Montréal (le détail des entretiens réalisés est présenté en annexe). Entre l’été 2001 et l’été 2002, des compléments d’information, précisions et mises à jour ont été obtenus par téléphone auprès des deux directeurs de CDÉC. Les cas ont ensuite été validés à l’été 2002. Ainsi, une copie papier du cas sur la CDÉC CDN/NDG a été envoyée à M. Claude Lauzon, directeur de la CDÉC, une copie papier du cas sur la CDÉC CS/PMR a été envoyée à Mme Céline Charpentier, directrice de la CDÉC et une copie du cas sur le MAMM a été envoyée par courriel cette fois à M. Martial Fauteux, responsable du dossier des CDÉC au MAMM. Pour chacune des CDÉC, une rencontre avec le directeur ou la directrice a été effectuée pour recevoir les précisions et corrections suite à cet 100 envoi. Dans le cas du MAMM, ce suivi s’est fait par téléphone. De plus, il importe de souligner tant leur apport à cette recherche est significatif, qu’entre la première période d’observation sur le terrain et la deuxième et ensuite jusqu’à l’hiver 2002 nous avons bénéficié de nombreuses rencontres qui ont permis d’appuyer la démarche de recherche inductive. Réunissant la directrice de recherche et directrice du CRISES-HEC, Marie-Claire Malo, et l’auteure mais aussi souvent les membres de l’équipe de recherche du CRISES-HEC et parfois même d’autres participants aux séminaires du CRISES-Montréal ou des chercheurs, professeurs ou étudiants de d’autres horizons, ces rencontres ont été autant de lieux et d’occasions d’échange, d’exploration et de confrontation des efforts conceptuels, des intuitions de recherche, des choix méthodologiques, des tentatives d’interprétations et leur contribution à la recherche ne saurait être passée sous silence. Les instruments de l’observation Afin de recueillir les données pertinentes à l’étude des quatre dimensions proposées par le modèle d’analyse, il nous a fallu mobiliser ce que Grawitz appelle les techniques, des « procédés opératoires rigoureux, bien définis et transmissibles » qui dans les considérations de méthode offre aussi une réponse à un « comment ? » mais au niveau des faits ou des étapes pratiques (Grawitz 1996 ; 318), ce que Quivy et Campenhoudt (1996) désigne sous le vocable d’instruments d’observation. Aussi, nous sommes nous intéressés à la fois à des données primaires et des données secondaires (voir tableau 6), les premières recueillies par ce qu’il convient de nommer « observation indirecte » (Grawitz 1996 ; Quivy et Campenhoudt 1996), c’est-à-dire par le biais d’entretiens, les deuxièmes par une collecte documentaire. Les entretiens Les entretiens font partie des « techniques vivantes » (Grawitz 1996 ; 453), techniques qui visent principalement l’interrogation et l’observation d’individus ou de groupes. On les dit d’observation indirecte puisque qu’on y retrouve la présence d’intermédiaires entre ce qui est à observer et le chercheur soit l’interlocuteur ou l’interviewé et aussi, lorsqu’il y en a, le guide d’entretien (Quivy et Campenhoudt 1996 ; Grawitz 1996). Il existe, par ailleurs, plusieurs types d’entretiens que l’on peut caractériser selon le degré de liberté qu’ils accordent à l’enquêteur et à l’enquêté et selon le niveau de profondeur qu’ils permettent. Le choix de ces facteurs entraîne 101 alors d’autres caractéristiques : durée, nombre des entrevues, nombre d’enquêtés, éléments à analyser (Grawitz 1996). Pour notre recherche, nous avons choisi la tenue d’entretiens semidirigés ou entretiens guidés. Ce type d’entretien, le plus utilisé en recherche sociale, est dit semi-directif en ce qu’il « n’est ni entièrement ouvert, ni canalisé par un grand nombre de questions précises » (Quivy et Campenhoudt 1996 ; 195). Pour ce genre d’entretien, l’enquêteur disposera généralement d’un guide d’entretien avec des questions relativement ouvertes autour de thèmes ou de points sur lesquels il tient à récolter de l’information. Lors de l’entretien, il vise en autant que possible à « laisser venir » l’enquêté, à le laisser parler le plus librement et ouvertement possible, dans un langage qui lui est propre, dans l’ordre qui lui convient cherchant seulement à ce que ce dernier ne s’éloigne trop des objectifs. Aussi, l’ordre ou l’intitulé des questions pourront être modifiés au fil de l’entretien, certaines questions pourraient n’être pas posées, d’autres ajoutées sur le moment. Ce type d’entretien qui offre un degré de liberté assez important à la fois à l’enquêteur et à l’enquêté permet une expression beaucoup plus spontanée de ce dernier. Il permet aussi un degré assez important de profondeur des éléments recueillis. Aussi, ce type d’entretien convient-il particulièrement aux analyses qualitatives et permet également des résultats non plus limités à l’individu comme tel, comme dans l’entretien clinique, mais à l’individu comme membre d’un groupe (Grawitz 1996). Les entretiens semi-directifs sont également particulièrement pertinents pour l’analyse de phénomènes précis pour aller chercher des données, points de vues en présence, enjeux, systèmes de relations, fonctionnement d’une organisation de même que pour la reconstitution de processus ou d’expériences passées (Quivy et Campenhoudt 1996). Nous avons donc conçu, à partir du modèle d’analyse, un guide d’entretien général (présenté en annexe) identifiant les thèmes à explorer et suggérant diverses formulations de questions pouvant apporter des réponses autour de chacun de ces thèmes. Afin de laisser les interviewés s’exprimer le plus librement possible, la durée des entretiens visée était d’une heure, une heure et demi. Et, pour aller chercher davantage de profondeur dans l’observation, deux entretiens étaient prévus auprès des personnes clés. Cela permettait d’une part d’éviter qu’un entretien trop long n’ennuie le répondant et que lassé, il se mette à répondre « pour se débarrasser » et d’autre part pour l’enquêteur de réajuster les questions ou les thèmes à explorer entre les deux entrevues. Nous visions en tout la tenue d’une douzaine d’entretiens (voir tableau 6): avec le directeur ou la directrice générale, le président ou la présidente du conseil 102 d’administration et deux employé(e)s, dont si possible le plus ancien ou un des plus anciens pour chacune des deux CDÉC, et avec le fonctionnaire responsable du dossier des CDÉC pour le MAMM. Dans le cas des deux directeurs et du fonctionnaire, nous prévoyions deux rencontres. Nous avons également tenté, tout au long de nos entretiens de reproduire l’attitude recommandée à l’usage de cette technique. Ainsi, l’enquêteur doit être « poli, rassurant, sympathique, donner une impression favorable dès le début » (Grawitz 1996 ; 601), il doit aussi manifester de l’intérêt pour la personne enquêtée, se montrer compréhensif et afficher une absence de jugement (d’après C. Rogers in Grawitz 1996 ; 602) il a aussi à sa charge de stimuler et de susciter l’intérêt de l’enquêté. Enfin, il se doit de rassurer l’enquêté. Pour ce faire, à toutes les personnes rencontrées, nous avons exposé l’objectif de notre enquête, l’institution et les personnes responsables ainsi que la façon de les contacter. Les considérations éthiques ont également été respectées et explicités aux participants. Ainsi, ce projet de recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique à la recherche (CÉR) des HEC dans le cadre de la recherche subventionnée par le FCAR et intitulée « Les configurations de l’économie sociale et solidaire : rapports au marché, à l’État et à la société civile », recherche réalisée au sein du CRISES. De ce fait, tous les membres du projet de recherche ont signé un engagement de confidentialité les tenant de ne pas diffuser de données confidentielles qui auraient pu leur être communiquées dans le processus de recherche. De plus, chaque participant a signé, conjointement avec le chercheur responsable de l’entretien, un formulaire de consentement (également approuvé par le CÉR) reconnaissant une participation volontaire et garantissant ses droits comme celui de ne pas répondre ou de se retirer du processus à tout moment. Enfin, sur ce formulaire chacun des participants avait à inscrire s’il acceptait ou non la divulgation de son nom dans la recherche. Une copie de ce formulaire était alors remise au participant et une conservée par le chercheur. Enfin, le lieu et le moment de l’entretien était laissé à l’entière discrétion de l’enquêté. Tout les entretiens se sont déroulés en privé et sans témoin et tous sauf un sur les lieux de travail de la personne interviewé. La collecte documentaire « Le document offre l’avantage d’être un matériau objectif en ce sens que s’il soulève des interprétations différentes, il est le même pour tous et ne change pas. Alors que l’individu interrogé donne une réponse qui vaut seulement pour le 103 moment où elle est donnée, le document demeure et permet une étude dans le temps. » (Grawitz 1996 ; 479) Aussi, afin de compléter les entretiens et de valider les données que nous y avons recueillis, nous avons effectué auprès des organisations étudiées une vaste collecte et analyse documentaire autant auprès des CDÉC que du ministère des Affaires municipales et de la Métropole. Au niveau des CDÉC, il s’agissait surtout des documents constitutifs comme les règlements généraux, des rapports annuels et rapports d’étapes, les plans d’action, les dépliants promotionnels et autres brochures d’information sur la CDÉC et ses activités. Ont également été obtenus auprès des CDÉC des documents tels la liste des membres du conseil d’administration, l’organigramme, les états financiers. Auprès de la Ville de Montréal et du MAMM, ont été sollicités une copie des différents rapports d’évaluation des CDÉC, des ententes et protocoles et de tout autre document pertinent. Une revue de presse a également été effectuée dans les grands quotidiens montréalais et les revues de presse des journaux locaux que possédait chacune des CDÉC ont été consultées. Les centres de documentation de chacune des deux CDÉC étudiées ainsi que celui du CLD de Montréal ont également été consultés. Enfin, les sites Web ont également été consultés : sites des CDÉC de Montréal, des ministères de la Métropole et des Régions, de la Ville de Montréal. Sur ce, nous allons maintenant pouvoir aborder la deuxième partie du travail qui porte sur la présentation des données relatives aux cas étudiés : d’abord les deux cas de CDEC (dans l’ordre de leur ancienneté soit la CDEC CS/PMR d’abord puis la CDEC CDN/NDG) puis celui de l’État québécois et enfin le processus ayant mené les CDÉC à l’obtention du mandat de CLD. 104 Tableau 7 : Collecte prévue des données selon les dimensions d'analyse Niveau de réalité ou Entretiens dimension d’analyse SOCIOCULTUREL : Culture et logiques d’action des acteurs sociaux INSTITUTIONNEL : Modes de gouvernance ORGANISATIONNEL : • • • Président du CA DG Employés (2 dont le plus ancien) • MAMM (fonctionnaire) • • • • • • Président du CA DG MAMM (fonctionnaire) Le plus ancien administrateur Un membre fondateur Le représentant de la CDÉC au CLD-Montréal Le secrétaire du CA DG MAMM (fonctionnaire) Employé responsable de la gestion des fonds (FLI et FES) • • • • Configurations organisationnelles INDIVIDUEL : personnes • • DG MAMM (fonctionnaire) Documents • • • • • • • Mouvement DÉC Discours publics Annonces dans les médias Sites internet Dépliants promotionnels Pochette d’accueil Revue de presse • Politique de soutien au développement local Protocole d’entente PLACÉE Liste des membres (CDÉC, CA, CE) Procès verbaux des CA Planification annuelle • • • • • • Rapports d’activité • États financiers • Planification annuelle • Organigrammes • Dépliants de promotion • Offres d’emploi • Description de tâches • Programmes • Revue de presse Curriculum vitae, agendas, Source : Inspiré du tableau Les techniques de collecte des données en fonction des niveaux de réalité qui composent les phénomènes socio-organisationnels de Rouleau (1995 : 73) 105 Chapitre 5. La Corporation de développement économique communautaire CentreSud/Plateau-Mont-Royal : une CDÉC de première génération « On n’est pas né de la volonté de l’État d’offrir un guichet puis de servir les entreprises, on est né de la volonté du milieu, c’est une grande différence. » Céline Charpentier Directrice CDÉC CS/PMR Historique : la fusion de deux organismes L’actuelle Corporation de développement économique communautaire CentreSud/Plateau-Mont-Royal (CDEC CS/PMR), qui fêtait en 2001, ses quinze ans est le résultat de la fusion de deux organismes de développement local … Pour le quartier Centre-Sud de Montréal, l’histoire commence à l’automne 1984 autour du colloque populaire, Mon quartier je l’ai à cœur. En effet, suite à cette rencontre, les groupes communautaires et populaires ressentent la nécessité d’établir une concertation locale qui prendra forme en 1985 avec la création d’ Alerte Centre-Sud, table de concertation de quartier. Cette table regroupe plus d’une trentaine d’organismes communautaires locaux et constitue trois comités de travail : logement et aménagement, qualité de vie et ressources et emploi et économie (Morin 1994). Or à peu près au même moment, ailleurs, dans un autre quartier, celui de Pointe-StCharles, le Programme économique de la Pointe (PEP), déposait à la ministre de la Main d’œuvre et de la Sécurité du revenu, Pauline Marois, son rapport intitulé À Pointe-St-Charles on a du cœur, fruit de la mobilisation de la communauté locale autour du thème de la revitalisation socioéconomique du quartier. Or c’est dans ce rapport qu’est proposée la création d'une corporation de développement économique communautaire. Intéressé, et entrevoyant déjà la possibilité d’encourager la diffusion de l’approche du PEP dans d'autres quartiers défavorisés, le gouvernement du Québec manifeste rapidement son intérêt pour de telles initiatives. Ainsi, en août 1985, avec en toile de fond des élections provinciales, la ministre Marois dépose un mémoire au Conseil des ministres qui sera accepté par le Conseil du trésor en octobre 1985 pour la mise sur pied et le financement de trois projets-pilotes pendant un an seulement (précisément jusqu'en mars 1987). Outre Pointe-St-Charles donc, Centre-Sud et Hochelaga-Maisonneuve sont les deux 106 autres quartiers visés par l’offre de financement. C’est le comité emploi et économie de la table Alerte Centre-Sud qui élaborera le projet de Corporation de développement économique communautaire Centre Sud (CDEC Centre-Sud), et ce coincé par des délais très courts rendant par le fait même une implication des acteurs locaux difficile. Ce premier protocole sera géré par l'Office de planification et de développement du Québec (OPDQ). Le bureau de l'OPDQ de Montréal est alors chargé de l'encadrement, de l'évaluation des résultats de l'expérience et de l'envoi de recommandations à la ministre responsable. Parallèlement, en 1985, plusieurs groupes et organismes populaires du quartier St-Louis-duParc tentent de trouver des solutions au problème de manque d’emploi. Cette concertation donnera lieu, elle, à la création du Centre de développement économique communautaire du Grand Plateau (CDÉC-GP) qui couvre le territoire du Plateau-Mont-Royal et du quartier Miles End. Or, alors que dès le départ, la CDÉC Centre-Sud opte pour la voie plus traditionnelle du développement économique et de l’entrepreneuriat privé par un soutien aux PME existantes et en démarrage, le CDÉC-GP adopte une approche différente qu’il définit comme « collective, communautaire et alternative ». Pour le CDÉC-GP, la priorité est en effet donnée au exclus et au développement de formes économiques alternatives : coopératives de travail, entrepreneurship collectif, micro-entreprises, cercles d’emprunt, cuisines collectives. Favorisant la démocratie directe, on constate que jusqu’en 1990, le CDÉC-GP n’aura pas de conseil d’administration mais plutôt des assemblées générales mensuelles où les décisions sont prises au consensus, de même qu’aucune hiérarchie à l’interne mais une gestion collective et consensuelle également. On en parle généralement comme de « la plus communautaire des CDÉC ». La CDÉC Centre-Sud, quant à elle, ne tiendra aucune assemblée générale avant 1991 et pendant plusieurs années fera une place majoritaire aux gens d’affaires au sein de son conseil d’administration (CA). Une vision, une orientation portée entre autres par la directrice générale de l’époque qui croit beaucoup au développement de l’entrepreneuriat, un peu moins à la concertation. La signature du protocole de 1990 avec les bailleurs de fonds gouvernementaux viendra brouiller les cartes une première fois. En effet, ce protocole ne permet pas l’existence ou du moins le financement de deux CDÉC dans le même arrondissement, ici Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal. Les dirigeants du CDÉC-GP décident alors de changer le nom et la mission de l’organisme qui 107 devient alors le Centre d’innovation en développement économique local Grand-Plateau (CIDEL-GP). De ce fait, un premier CA est aussi nommé, composé uniquement de représentants d’organismes communautaires et d’individus. Mais le fonctionnement et les façons de faire restent sensiblement les mêmes : « Quand je suis arrivée au CIDEL, ils n'y avait même pas de plan d’action ; ce que je ne savais pas quand j’ai été engagée. Il y avait un comité, un conseil d’administration, qui regroupait des gens qui avaient fait un projet de développement axé sur les ressources locales, sur l’aspect communautaire plus que des affaires. Dans les deux années où j’ai été là – ça a duré deux ans le CIDEL - on formait une équipe, tous au même salaire, c’était donc très collectif. C’était ce que le CA voulait et je pense aussi que ça a été une belle expérience dans ces termes là, même si ce n’était pas tous les jours évident! » Noëlle Samson30, ancienne employée du CIDEL-GP aujourd’hui employée CDÉC Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal Puis, le 18 mars 1992, le Comité d’harmonisation de Montréal (CHM), comité regroupant les trois ordres gouvernementaux (provincial, municipal et fédéral), bailleurs de fonds des CDÉC, annonce au CIDEL-GP sa décision de ne pas renouveler le financement de l’organisme à l’échéance, c’est-à-dire le 31 mars 1992 ! S’ensuit alors une crise majeure, les employés du CIDEL refusant de baisser les bras : « On n'a jamais autant travaillé que sur le chômage! Pendant trois mois, on s’est débattu pour faire reconnaître nos postes. Pendant deux ans au CIDEL, on avait réussi à faire un plan de travail, à créer des liens avec la communauté. On avait mis sur pied pendant ces années-là, à la fois le regroupement des cuisines collectives du Plateau et surtout le premier cercle d’emprunt de Montréal, un modèle qui a fait des petits par la suite. On avait mis aussi sur pied le Resto Plateau bref, en deux ans on avait fait pas mal de choses. Et on était parti de rien, pas de plan d’action, avec seulement cinq intervenants…c’était pas mal, on s’était bien débrouillé! On était un peu « flyés » aussi je pense. Mais ç’est ce que ça prend des fois. Alors on s’est dit, il ne faut pas perdre ce qu’on a appris et accompli Noëlle Samson est aujourd’hui employée à la CDÉC Centre-Sud/Plateau Mont-Rpyal. Elle travaille au sein de l’équipe Appui au développement et coordonne entre autres la Table pour l’aménagement de Centre-Sud. Avant d’être à la CDÉC, elle a travaillé deux ans au CIDEL-Grand-Plateau (jusqu’à la fusion). Elle a aussi travaillé à la Clinique communautaire de Pointe-St-Charles, au YMCA de Pointe-St-Charles et a été coordonnatrice de la table de quartier « Action gardien » toujours dans Pointe-St-Charles. Son implication dans le milieu l’a aussi amené à participer à la mise sur pied de garderies populaires et à la transformation du Programme économique de la Pointe (PEP) en Regroupement pour la relance économique du Sud-Ouest (RESO), l’actuelle CDÉC dans l’arrondissement Sud-Ouest de Montréal. 30 108 jusqu’à maintenant. C’est comme ça que l’on a mené une bataille, toutes les CDÉC nous ont appuyés sauf Centre-Sud parce qu’on n’était pas en bons termes. Puis, après ça, tous les groupes, les CLSC, etc. Et finalement ça a abouti. On a perdu un poste quand même mais on a réussi à négocier quatre postes et les bailleurs de fonds ont obligé en quelque sorte la fusion entre le CIDEL-GP et la CDÉC CentreSud. » Noëlle Samson Ce mariage forcé ne semble pas être voué à prime abord à devenir une union heureuse étant donné l’incompatibilité que l’on devine entre les deux visions du développement mises de l’avant : privé, traditionnel, pragmatique pour les uns (la CDÉC CS), communautaire, alternatif avec un projet plus large de prise en charge pour les autres (le CIDEL-GP). L’écart semble alors infranchissable. C’est le choc des cultures : « La CDÉC Centre-Sud et le CIDEL Grand Plateau étaient deux CDÉC qui avaient des conceptions du développement économique communautaire pratiquement à l’opposé l’une de l’autre. L’une était axée principalement sur l’entrepreneurship privé alors que l’autre était déjà axée sur l’économie solidaire, l’économie sociale, avec entre autres la mise sur pied de Resto Plateau et d’autres organismes comme celui-là. Ce fut donc une fusion forcée qui a obligé à de nombreuses discussions, tant au niveau de la vision, des missions que de l’équipe de travail. » Céline Charpentier Directrice, CDÉC CS/PMR À cela viennent s’ajouter plusieurs facteurs aggravants qui ne faciliteront en rien la transition et l’intégration du personnel du CIDEL-GP. Ainsi, l’annonce de la « fusion » et de ses modalités est faite à la CDÉC Centre-Sud par la directrice générale en pleine assemblée générale, prenant les employés et autres membres de la CDÉC par surprise et mettant du même coup les employés du CIDEL fort mal à l’aise puisqu’ils étaient, eux, au courant depuis quelques temps. De plus, alors qu’elle doit intégrer les quatre employés du CIDEL, la CDÉC Centre-Sud est obligée de mettre 8 de ses employés à pied : les personnes avaient été engagées sur des promesses de subventions qui ne sont pas arrivées. Une fâcheuse coïncidence qui pouvait laisser croire que l’arrivée des gens du CIDEL entraînait les mises à pieds. Malgré des débuts difficiles, le mariage forcé semble devenir une alliance féconde : 109 « On a été intégré dans une seule équipe, l’équipe en employabilité, mais les négociations ont été difficiles surtout pour les salaires. Le fait que nous recevions tous le même salaire, on trouvait que ça n'avait pas trop d’allure. Disons que la première année a été particulièrement pénible mais finalement, après ça été un bon mix parce que Centre-Sud avait développé essentiellement le volet entrepreneurship et que nous au CIDEL, on avait développé essentiellement le volet employabilité avec des projets hors normes, finalement on trouvait que c’était un beau mariage…forcé au départ... » Noëlle Samson Mais il faudra du temps et beaucoup d’énergie pour qu’on en arrive à dire que l’union était complémentaire et porteuse de synergies car les défis étaient grands et vue de l’extérieur, la CDÉC semble plutôt au pied du mur, isolée. La première année s’apparente d’ailleurs à une situation de crise avec entre autres le départ de la directrice générale de la CDÉC Centre-Sud : « La directrice de l’époque, qui était un des membres fondateurs de la CDÉC Centre-Sud a quitté, puis il y a eu un directeur qui a occupé ses fonctions de septembre à janvier et qui a été remercié de ses services. Je suis arrivée en mars, à ce moment là. Les premiers mois n’ont pas été faciles ; les gens étaient beaucoup tournés vers le passé. Tout le monde s’ennuyait de son ancienne CDÉC. Nous étions en 1994, la fusion datait déjà d’un an mais ça ne passait toujours pas. Aussi, ce fut une période exigeante. Il y avait tellement de difficultés à surmonter que l’on a commencer par demander à nos bailleurs de fonds de nous donner une chance pour que l’on puisse se réorganiser et s’enligner. C’est que la CDÉC Centre-Sud avait à cette époque un déficit financier assez important. L’équipe de travail était divisée, le CA était solide cependant il y avait des tensions entre l’équipe et le CA et il y avait beaucoup de débats aussi sur quel type de services offrir, quel est notre rôle, jusqu’où va-t-on, quels sont les liens que l’on doit avoir et avec qui, quelle est vraiment notre mission… » Céline Charpentier Directrice, CDÉC CS/PMR Pour surmonter ces tensions et réussir à établir ne serait-ce qu’un mince dialogue entre les « solitudes » qui cohabitaient au sein de la CDÉC mais aussi entre employés de la CDÉC et conseil d’administration, Céline Charpentier et le comité responsable de la planification stratégique prennent le parti de l’humour. Mme Charpentier monte alors pour l’assemblée générale avec les membres de l’équipe de travail une petite pièce de théâtre. Une démarche originale qui permettra de laisser sortir les émotions, on en rit encore, mais aussi, d’aller au-delà 110 vers la construction d’une nouvelle organisation. Le dialogue rendu possible, on entame une planification stratégique qui durera un an. On commence par redéfinir la mission de la CDÉC, cette nouvelle mission sera à nouveau revue à la fin du processus pour s’assurer de sa pertinence et de sa validité. C’est d’ailleurs cette mission que la CDÉC a conservé depuis. Ensuite c’est l’ensemble des besoins et des facteurs externes qui sont examinés : de qui la CDÉC est le plus loin, de qui elle est le plus proche, etc. Un certain nombre de décisions sont prises pendant cette année-là. Or, la CDÉC Centre-Sud avait beaucoup de liens avec les grandes entreprises, beaucoup fait de démarrage de petites entreprises, alors que la force du CIDEL était d’avoir des liens avec le milieu communautaire. On avait donc moins développé de création d’emplois dans le secteur privé mais après un an la CDÉC avait à peu près placé les morceaux, du moins au niveau de l’organisation… La CDÉC CS/PMR semble enfin réussir et en mai 1996, elle tient un sommet socioéconomique de son territoire où se retrouvent 235 personnes. Cette rencontre a pour objectif de faire le point sur la situation et d’inviter les gens à discuter mais aussi à proposer des choses à la CDÉC. Il en est ressorti une demande principale : « À ce sommet, les gens nous ont demandé de travailler à l’échelle des quartiers en plus de travailler à l’échelle de l’ensemble de notre arrondissement, parce qu’il y avait des enjeux et défis spécifiques à chaque quartier. Dans Centre-Sud on voulait une table d’aménagement. Sur le Plateau Mont-Royal, on travaillait déjà collectivement sur l’aménagement du site du métro Mont-Royal et du Monastère. Dans Saint-Louis/Mile-End les gens souhaitaient une forme de concertation mais n’étaient pas en mesure d’en préciser la forme encore. Il n’en reste pas moins que dans chacun des quartiers, on manifestait la volonté d’une intervention encore plus locale sur le développement économique communautaire, sur la revitalisation de l’économie, de la qualité de la main-d’œuvre. Aussi, à l’assemblée générale suivante la décision de travailler à l’échelle des quartiers à été prise. De là, nous nous sommes organisés à l’interne pour dégager des ressources… d’abord une personne à temps plein pour le quartier Centre-Sud qui était le quartier le plus pauvre, le plus dévitalisé et où la demande était la plus claire aussi. Et progressivement on a fini par dégager une personne qui a travaillé sur l’ensemble du grand Plateau. » Céline Charpentier Depuis plusieurs années maintenant, la CDÉC travaille donc à l’échelle des quartiers, avec les gens de différents milieux: affaires, culture, communautaire, institutions, Ville. Une façon de 111 faire qui semble porter fruit puisque c’est comme ça que la CDÉC CS/PMR et ses partenaires ont réussi à aller chercher le projet de la Grande Bibliothèque du Québec (GBQ) qui va s’installer sur le site de l’ancien Palais du Commerce, rue Berri. Suite à quoi, la CDÉC a organisé, conjointement avec les partenaires de son territoire, non pas une mais trois soirées intitulées La GBQ rencontre ses voisins, trois rencontres avec les secteurs culturel, communautaire et commercial. La CDÉC jugeait important que les gens de la GBQ sachent qu’ils arrivent dans un milieu de vie avec des gens autour. Elle voulait ainsi s’assurer que la GBQ devienne réellement un outil de revitalisation, qu’elle soit connue dans Centre-Sud. La CDÉC fête maintenant ces 15 ans, quinze années bien remplies avec des hauts et des bas…Michel Dépatie raconte : « Depuis à peu près six ou sept ans, il y a eu un travail avec les partenaires de façon beaucoup plus efficace, avec beaucoup plus d’écoute, qui a fait que la CDÉC est devenue quelque chose d’enraciné, où c’est intéressant d’aller travailler. Elle a pris sa place tranquillement dans la concertation de quartier…Pourquoi ça a changé ? C’est beaucoup associé à la direction générale, une direction générale qui a été respecté par son personnel, par son conseil ce qui a beaucoup aidé. Et de là, les partenaires ont commencé à s’impliquer de plus en plus. Quand il y a vingt partenaires autour de la table et que les gens commencent à travailler ensemble réellement, ça finit par devenir un organisme qui devient utile, en étant très présent. Ce qu’on voit avec les Centres locaux de développement, les CLD, l’idée du gouvernement est un peu celle-là : que les partenaires locaux, la société civile puisse prendre en charge le développement économique et je veux dire économique tant social que privé. Ça peut faire la différence. Et ça les CDÉC l’avaient réussi avant même que le gouvernement ne décide de décentraliser… » Michel Dépatie Le territoire de l’arrondissement CS/PMR « Les services à la consommation représentent plus de 50 % de notre économie locale. Les entreprises de moins de 20 employés c’est plus de 80 % sur le territoire de la CDÉC CS/PMR. On n’a pas de parc industriel ici. Alors que si on va à Rivière-des-Prairies, Pointe-aux-Trembles, c’est l’inverse. » Jean Lambin31, responsable de l’équipe Développement des affaires et de l’entrepreneurship Jean Lambin est aujourd’hui à la tête de l’équipe développement des affaires et de l’entrepreneurship de la CDÉC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal. Il a auparavant travaillé comme contractuel à la CDÉC pour bâtir un plan de formation pour les jeunes entrepreneurs. Il a été lui-même entrepreneur pendant plusieurs années, ayant possédé sa propre entreprise d’abord dans le milieu culturel, puis dans l’employabilité. Avant d’arriver à la CDÉC, M. Lambin possédait une entreprise de consultation en formation et en développement de micro-entreprises. 31 112 La CDÉC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal dessert trois des quartiers centraux de l’ancienne Ville de Montréal : Centre-Sud, Plateau Mont-Royal, St-Louis/Mile-End qui forment l’arrondissement ou la région administrative montréalaise appelée Centre-Sud/Plateau Mont-Royal. Un territoire qui abrite plus de 122 200 résidants (recensement de 1996) dont 1 sur 2 vit seul et 8 sur 10 sont locataires. On y retrouve plus de 23 000 familles, de ce nombre 60% sont des familles avec enfants, et presque la moitié d'entre elles sont monoparentales. C'est un territoire en grande majorité habité par des francophones. Le revenu moyen des individus est de 18 688 $ et 46% des ménages dépensent 30% et plus de leur revenu pour le loyer. Taux d’activité de la population : 66%. Le taux de chômage des hommes (16,6%) est plus élevé que celui des femmes (12,3%)32. Outre ces constats d’ordre démographique, le territoire de la CDÉC est aussi caractérisé par une grande diversité d’organismes communautaires actifs et ancrés dans le milieu, une forte concentration de lieux culturels, une présence et des liens particuliers avec la population gaie et lesbienne, le « Village gai » étant situé sur ce territoire, une importante trame commerciale très diversifiée qui génère des milliers d’emplois, un foisonnement également de petites entreprises que côtoient quelques grandes entreprises ou institutions privées comme publiques (Molson, hôpital Notre-Dame, Radio-Canada, Télé-Québec, etc.) et enfin une effervescence dans le domaine de l’économie sociale. « Tout en ayant des liens économiques, sociaux, culturels les uns avec les autres, les 3 quartiers [qui constituent le territoire de la CDÉC] n'en constituent pas moins des entités ayant leurs propres caractéristiques. »33. Chacun des trois quartiers a ses problématiques et un profil sociodémographique, économique, culturel, qui lui est propre. À nouveau, voici quelques constats tirés du portrait du territoire réalisé en 1998-1999 par la CDÉC CS/PMR dans le cadre du PLACÉE. Ainsi, la population de certains secteurs du Plateau est nettement plus démunie (en termes de revenu et de proportion du revenu consacrée au loyer). Si dans tous les quartiers du 32 Données extraites du Plan local d’action concertée pour l’économie et l’emploi (PLACÉE), CDÉC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal, avril 1999 33 ibid. p.15 113 territoire de la CDEC, plus ou moins les 2/3 des personnes prestataires de la sécurité du revenu reçoivent des prestations depuis plus de 4 ans, sur le Plateau, près du 1/5 de ces prestataires ont fait des études universitaires. Et sur le Plateau Mont-Royal, plus du quart de la main-d’œuvre travaille dans les domaines reliés aux sciences sociales, aux arts et à la culture, soit deux fois plus que dans la population montréalaise. C’est dans Centre-Sud que la proportion de ménages dont le revenu provient des transferts gouvernementaux est la plus élevée. La proportion de ménages ayant un revenu moyen plus bas que 10 000 y est d’ailleurs plus grande que dans tous les autres quartiers. Plus d'une famille sur 2 dans Centre-Sud vit sous le seuil de la pauvreté, le plus haut taux des 3 quartiers. Le taux de chômage y est aussi plus élevé dans Centre-Sud que dans les autres quartiers du territoire de la CDÉC. D’ailleurs, en combinant la part de personnes actives se trouvant au chômage et le nombre d'individus constituant la population active, plus d'une personne sur deux ne travaille pas dans Centre-Sud, encore ici c’est le taux le plus élevé des trois quartiers. Enfin, Saint-Louis/Mile End est le seul quartier où se concentrent des groupes ethnoculturels. Ces groupes ne sont toutefois pas composés de nouveaux arrivants. La mission et les services de la CDEC CS/PMR « La CDÉC travaille activement à l’amélioration de la qualité de vie de la population des quartiers Centre-Sud, Plateau-Mont-Royal, Saint-Louis et Mile-End. Elle favorise la concertation et suscite la prise en charge du développement économique et social par les individus, les organismes, les entreprises et les institutions de son territoire. » Documents officiels de la CDÉC La CDÉC Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal est, au sens de la loi, une association. Outre sa mission, énoncée ci-haut, la CDÉC a aussi sa devise : « Développer autrement ! » « Développer autrement, c’est s’engager dans une vision et une série d’actions rejoignant les principaux acteurs du milieu et ce, dans une perspective de développement intégré du territoire d’intervention. C’est, par ailleurs, agir à la fois sur le social, l’économique, le culturel et le politique. » 114 Dépliant d’information sur la CDÉC Concertation, développement, revitalisation, territoire, milieu sont au nombre des mots clés de cette mission qui sert également à dire et à définir la nature même d’une CDÉC, organisme singulier s’il en est : « Une CDÉC, c’est là pour revitaliser un milieu pour les gens qui y vivent et qui y travaillent. C’est là pour mobiliser, pour amener le milieu, pour faire naître des projets, pour accompagner les gens. » Céline Charpentier, directrice générale de la CDÉC CS/PMR Mais une mission ne suffit pas, encore faut-il que celle-ci s’incarne et se matérialise, ce que la CDÉC fait à travers une vaste gamme d’activités, d’interventions et de services. Tableau 8 : Aperçu des activités et services de la CDÉC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal Services Formation Soutien aux entreprises et aux travailleurs autonomes Soutien aux OBNL et à l’économie sociale Action dans les quartiers Main d’œuvre et emploi Technologie et multimédia Activités Formations offertes en pré-démarrage, démarrage et pour les entreprises en opération Information et référence Conseils en gestion Formation et accompagnement Séance d’information « Démarrer son projet d’affaire » Financement Information et référence Conseil en gestion pour OBNL et organismes communautaires Formation et accompagnement Financement en économie sociale Concertation locale : Table pour l’aménagement du Centre-Sud Comité multisectoriel des quartiers St-Louis et Mile-End Table de Concertation pour l’aménagement des terrains du Canadien Pacifique Information et référence Concertation locale : Table de la promotion de la main d’œuvre locale Financement des initiatives locales en matière de main d’œuvre et d’emploi Projets divers Information relative à l’industrie Conseil-gestion Financement Source : Inspiré du Site de la CDÉC CS/PMR – www.cdec-cspmr.org 115 À l’instar des autres CDÉC, la CDÉC CS/PMR concentre ses activités autour des trois axes généraux, à savoir la concertation, l’employabilité et l’emploi ainsi que le soutien à l’entrepreneuriat et aux entreprises mais comme les autres également, elle le fait à sa façon, en relation avec son territoire et ses caractéristiques propres et à travers les gens qui l’animent ce qui lui donne une spécificité et une couleur bien originale. Information et référence « La marge de manœuvre est importante, même au niveau de la façon dont on travaille. Par exemple, ici on a un service d’accueil. Quiconque appelle qui a besoin d’un service va passer par là. Et je pense que c’est un excellent service, puisque comme on a énormément de demandes, ça nous permet aussi de mieux monter nos dossiers, d’orienter à la bonne personne. Avant d’envoyer un dossier par exemple à un conseiller en gestion puis en financement, on complète le dossier et on fait une pré-analyse. C’est notre façon de faire et dans ce sens-là, il y a de la marge de manœuvre et il en faut. » Céline Charpentier Le service d’accueil de la CDÉC CS/PMR offre informations et références. Il permet de répondre à toute demande d’information à propos de la CDÉC et de ses services : demandes de financement, de formations ou de conseils en démarrage d’entreprise L’accueil comprend un volet de référence téléphonique pour les services en employabilité et communautaires offerts par les divers organismes du territoire. Enfin, la CDÉC met à disposition un centre de documentation et plusieurs babillards dont un d’affichage d’offres d’emploi et d’autres affichant diverses informations pouvant être utiles aux travailleurs autonomes ou entrepreneurs. « Au niveau du service aux entreprises, nous avons réussi à négocier un poste au niveau du secteur du multimédia, un secteur en expansion sur le territoire de la CDÉC, particulièrement autour du boulevard Saint-Laurent. Ce secteur crée des emplois qui rejoignent une partie la main d’œuvre locale plus scolarisée et qui étudie en arts. C’est notre premier spécialiste sectoriel, car de façon générale, la CDÉC intervient auprès de l’ensemble des entreprises. » Céline Charpentier Dans le cas du secteur multimédia, un service spécifique d’information relative à l’industrie a été mis en place, on peut y obtenir des liens vers des sites d’intérêt, une revue de 116 l’actualité dans ce secteur ainsi qu’un calendrier des conférences et activités en lien avec le domaine. En plus, la CDÉC CS/PMR a réussi à établir des réseaux et partenariats « visant l’accès des entreprises à des expertises complémentaires et à des financements adaptés »34. La CDÉC vise à identifier les projets prometteurs à fort potentiel et à les accompagner vers les bailleurs de fonds. De plus, une partie de Centre-Sud est maintenant intégrée à la Zone de commerce électronique du centre-ville de Montréal, zone qui permet le remboursement de certains crédits d’impôts. Conseil en gestion Des services de conseil en gestion adaptés sont offerts aux entreprises, aux travailleurs autonomes, aux associations et aux entreprises d’économie sociale du territoire ou visant à s’établir sur le territoire. Ces services visent à aider au démarrage, à l’implantation ou à l’expansion d’entreprises, à valider et analyser le plan d’affaires, informer le promoteur et l’aider dans son cheminement vers l’obtention de fonds ou de capital de risque. On y offre aussi des conseils express, du soutien pour régler certains problèmes de situation financière comme aussi du conseil en planification et en développement des organisations. Formation et accompagnement La CDÉC offre aux futurs entrepreneurs ayant un projet d’affaires ou aux entrepreneurs déjà en affaires une série de formations intitulée « En affaires…pour de bon ! » (voir tableau 9). Répartie en quatre modules, cette formation va de la phase initiale de développement du projet d’affaires aux questions susceptibles d’intéresser les entreprises déjà en opération. On offre également des séances d’information sur le démarrage d’entreprises et sur l’économie sociale. « Démarrer son projet d’affaires » veut aider le promoteur à situer l’étape de développement de son projet d’affaires, à identifier ses besoins, à comprendre les réalités du financement de même qu’à faire connaître les différentes ressources d’aide en entrepreneurship. 34 Site Web : www.cdec-cspmr.org 117 Tableau 9 : Aperçu du contenu de la formation "En affaires...pour de bon !" 1. Questionner 3 ateliers de 3h Sur le profil entrepreneurial, le potentiel du projet, par où commencer… 2. Structurer 5 ateliers de 3h Sur le plan d’affaires, les études de marché, les stratégies marketing, les prévisions financières, les aspects juridiques et fiscaux… 3. Développer 4 ateliers de 3h Sur comment attirer et retenir la clientèle, mieux cerner la clientèle-cible, identifier les avantages concurrentiels, positionner l’entreprise… 4. Rentabiliser 4 ateliers de 3h Sur la gestion et le contrôle des finances, gérer l’endettement, les négociations, les façons d’accroître les revenus et les profits… Phase initiale Pré-démarrage Démarrage Pré-démarrage Démarrage En opération Pré-démarrage Démarrage En opération Ceux qui veulent obtenir de l’information sur la définition de l’économie sociale, les caractéristiques d’un bon projet d’économie sociale, les secteurs prioritaires sur le territoire de la CDÉC ou encore pour avoir des exemples d’entreprises financées en économie sociale par la CDÉC, trouverons des réponses à la séance d’information de la CDÉC sur l’économie sociale. La CDÉC CS/PMR offre aussi un outil de gestion pour les associations (OSBL, OBNL). Conçue en 1998, la Trousse autodiagnostic se veut « un outil complémentaire, simple et facilement utilisable, qui permet de dresser rapidement le portrait de l’organisation en matière de gestion. Ce portrait peut ensuite être utilisé pour dresser un plan d’action permettant la consolidation et le développement de l’organisme »35. La Trousse comme telle est vendue mais la CDÉC offre pour l’accompagner un atelier de formation (2 séances de 3h) gratuit sur la planification stratégique et l’utilisation de la Trousse. Enfin, un service d’accompagnement est offert aux personnes ayant suivi une des formations de la CDÉC sous la forme d’un suivi individuel auprès des conseillers et conseillères de la CDÉC. 35 Site Web de la CDÉC : www.cdec-cspmr.org 118 Financement La CDÉC offre également du financement par le biais de fonds locaux qu’elle gère, seule ou en partenariat avec d’autres organismes. Accordés sous forme de prêt ou de subvention, ce financement provient principalement sinon entièrement de fonds publics. Tableau 10 : Financement offert par la CDÉC CS/PMR Nom du fonds Type de financement SOLIDE Prêt participatif ou prêt simple sans Entreprise incorporée ou en voie garantie de le devenir Société locale d’investissement dans le développement de l’emploi FDEM36 Fonds de développement Emploi-Montréal FLI Fonds local d’investissement FES Fonds d’économie sociale PJP Programme jeunes promoteurs FIL37 Fonds des initiatives locales Type de demandeur Min : 5 000 $ Max : 50 000 $ Prêt participatif ou prêt simple sans Entreprise incorporée ou en voie garantie de le devenir Min : 50 000 $ Max : 150 000 $ Prêt simple sans garantie Entreprise incorporée Travailleur autonome Min : 1 000 $ Entreprise d’économie sociale Max : 25 000 $ (OBNL ou coopérative) Entreprise d’économie sociale ( Subvention OBNL ou coopérative) Max : 70 000 $ Subvention Max : 6 000 $/promoteur Subvention Promoteurs de 18 à 35 ans Organisme communautaire OBNL Petite entreprise Chaque fonds vise des objectifs particuliers. Par exemple, le FIL vise à favoriser l’insertion ou la réinsertion socioprofessionnelle des personnes sans emploi du territoire de la CDÉC ainsi 36 Le FDEM est un fonds disponible pour l’ensemble du territoire de la ville de Montréal que gèrent les CDÉC et la SODEC RDP/PAT. Créé en 1987, ce fonds a pour objectif de faciliter l’implantation et le développement d’entreprises sur le territoire de la Ville de Montréal. 37 Le Fonds des initiatives locales (FIL) est géré conjointement par la CDÉC et le Centre local d’emploi (CLE) Plateau Mont-Royal 119 qu’à contribuer à la consolidation et au développement des emplois et des petites entreprises du territoire de la CDÉC. Le FES lui vise à soutenir et à stimuler le développement de l’économie sociale (associative et coopérative) sur le territoire également. À ce titre, chaque fonds établit des critères d’admissibilité : secteurs spécifiques ciblés, mise de fonds des promoteurs, création et maintien d’emplois, viabilité économique…Il y a aussi des secteurs exclus pour les fonds SOLIDE, FDEM, FLI, PJP, ainsi parmi les entreprises commerciales on exclut entre autres les restaurants et bars, salons de coiffure et d’esthétique, clubs vidéo ou dépanneurs ou encore parmi les entreprises de services seront exclus notamment gérant d’artistes, gestion immobilière, services professionnels (avocats, comptables, architectes, notaires, ingénieurs…), etc. « Quand des promoteurs de projet sollicitent nos services, c’est parce qu’ils ont des obstacles à surmonter : ces obstacles peuvent être financiers ou d’un autre ordre. Mais il y a souvent de très bonnes idées; Dubuc mode-de-vie par exemple qui se développe maintenant à l’échelle canadienne a reçu un soutien de la CDÉC. C’est grâce à ce soutien qu’il a pu créer sa première collection. En fait souvent, les projets sont très bons cependant les promoteurs ne sont pas en réseau, ne possèdent pas de culture entrepreneuriale, n’ont pas de capital à investir. C’est pourquoi il faut qu’ils trouvent de l’argent mais du conseil aussi. Ce qui fait que nos conseillers financiers doivent avoir une ouverture d’esprit, car il faut regarder les ratios financiers mais les examiner en fonction des conditions concrètes, des secteurs et du rôle de la CDÉC… » Céline Charpentier Les entrepreneurs qui s’adressent à la CDÉC n’ont généralement pas d’équité, d’avoir propre à investir dans leur entreprise émergente, c’est d’ailleurs pour cela qu’on les retrouve à la CDÉC comme c’est pour eux d’ailleurs que la CDÉC existe. Sinon le réseau bancaire traditionnel ferait l’affaire… La concertation locale La CDÉC s’implique dans le développement et la revitalisation des quartiers de son territoire, mais elle ne le fait pas seule, elle le fait avec les résidants et avec les intervenants de divers milieux comme le milieu communautaire, des affaires, culturel, de l’environnement. C’est pourquoi diverses instances de concertation ont été mises en place, des « outils d’intervention 120 multisectoriels »38 que se sont donnés chacun des quartiers ainsi qu’une table de concertation autour de la promotion de la main d’œuvre locale. La Table de promotion de la main d’œuvre locale C’est par le biais de cetteTable que se fait la plus grande partie de l’intervention de la CDÉC en matière de développement de la main d’œuvre et de l’emploi. « À deux reprises, on a décidé qu’on n’offrirait pas de services directs en employabilité à l’exception du service d’accueil. Cependant, nous sommes en mesure de référer les clients vers les bons organismes. On n’avait pas de service direct à part notre parcours de formation pour les chercheurs d’emploi scolarisés, les travailleurs autonomes et les très petites entreprises. On en a décidé ainsi parce que c’était le rôle qu’on s’est donné nous, d’identifier les besoins, les manques, parce que sur notre territoire il y a, je crois, 27 ou 28 organismes en employabilité et parce qu’on avait une concertation large avec à la fois les groupes communautaires et les groupes en employabilité. À une époque, la Sécurité du revenu, le Centre d’emploi du Canada, la SQDM et nous, étions tous autour d’une même table. Donc même si chacun avait ses programmes et ses visions, ce lieu-là, avec ses sous-comités, nous permettait de faire avancer des projets concrètement. Par exemple, Resto-Plateau, avant que ce soit une entreprise d’insertion et qu’il y ait une politique de reconnaissance de ce type d’entreprise, recevait de l’argent du fédéral pour les personnes sur l’assurance-emploi, de l’argent du provincial pour les gens sur la sécurité du revenu, mais les personnes qui étaient sans chèques, n’avaient pas d’argent. Alors nous on a réuni les principaux partenaires et on a dit qu’est-ce qu’on fait ? Et on a pu résoudre des choses. Alors la question se posait : on va ajouter quoi ? Au fond on s’est dit, si les gens nous appellent, il faut les envoyer au bon endroit. » Céline Charpentier Ce comité de travail mis sur pied en 1993 par la CDÉC regroupe une trentaine de partenaires : organismes en employabilité, groupes communautaires, institutions qui partagent une préoccupation : la promotion de la main d’œuvre locale. Mais la Table est aussi un espace de réflexion sur toute la question du développement de la main d’œuvre et de l’emploi, ce qui lui a permis de se prononcer sur la réforme de la sécurité du revenu et sur la Politique active du marché du travail (PAMT). 38 Site Web : www.cdec-cspmr.org 121 Les réalisations de la Table sont nombreuses, parmi celles-ci, on compte la production et le lancement d’un bottin de ressources en employabilité et des services de soutien aux entreprises, des déjeuners-causeries avec des entreprises, question de développer des liens, l’organisation de l’événement « Les sentiers su boulot », la mise sur pied du Carrefour Jeunesse Emploi (CJE) l’intégration des ressources en employabilité dans les guichets emploi des Centres locaux d’emploi (CLE) ou encore la reconnaissance des organismes d’employabilité dans le cadre de la Loi sur la formation dispensée par les organismes communautaires. La Table appuie également les démarches de ses membres auprès de diverses entreprises du territoire pour les sensibiliser à l’embauche de main d’œuvre locale. Enfin, pour l’année à venir, les actions de la Table vont se concentrer sur quelques éléments dont le placement en emploi, la reconnaissance des organismes de développement de la main- d’œuvre et l’amélioration des réponses aux besoins des personnes sans emploi. Il faut souligner également, en matière d’employabilité et d’emploi, deux projets actuellement en cours à la CDÉC CS/PMR. Le premier concerne le fonds destiné au quartier SteMarie dans le cadre de l’entente sur les quartiers sensibles. Ce fonds que le quartier recevra pour une deuxième année consécutive servira à « soutenir de nouvelles initiatives locales en matière de revitalisation de la vie de quartier, d'interventions sociales, de prévention de la violence, de lutte à l'exclusion, de soutien à l'insertion sociale, tout particulièrement auprès des jeunes de 15 à 24 ans et de leur famille ».39 Alerte Centre-Sud et la CDEC Centre-Sud / Plateau Mont-Royal vont donc à nouveau unir leurs forces pour répondre à l'appel et détermineront ensemble, en collaboration avec la Ville de Montréal, les interventions à privilégier cette année. L’autre projet en est un de « réseau populaire de points d’accès à Internet sur le territoire ». Un important projet appelé« Inforoute - points d'accès initiation de la population » porté par Communautique40, vise la mise sur pied de 50 points d'accès à Internet dans des organismes communautaires à travers le Québec, 39 Site Web : www.cdec-cspmr.org Communautique est une association (organisme à but non lucratif) visant l'appropriation sociale et démocratique des technologies de l'information et de la communication. Ses actions visent les organismes communautaires et les populations à risque d'exclusion des technologies. 40 122 dont 20 seront situés à Montréal et 5 sur le territoire d'intervention de la CDÉC CS/PMR. Cette dernière collaborera donc au projet en participant à la détermination des cinq points d'accès sur son territoire, ainsi qu’à la sélection et à la formation des animateurs populaires pour ces points d'accès. Ste-Marie en fête ! Ste-Marie en action ! : un projet d’intervention sur mesure « […] au niveau des quartiers, dans Ste-Marie on a fait une recherche action pour essayer de comprendre pourquoi les gens étaient sur l’aide sociale depuis si longtemps. On voulait rencontrer ces gens là et essayer de voir qu’est-ce qui pourrait les décider à faire quelque chose, que ce soit du bénévolat, retourner à l’école, retourner au travail. On a donc engagé quelqu’un pour le faire, en collaboration avec des organismes communautaires, des institutions et la Ville. » Céline Charpentier C’est en janvier 2001, que la CDEC déclenche une recherche-action sur la situation des sans emploi dans Sainte-Marie, un quartier reconnu comme l'un des plus défavorisés de Montréal. Cette recherche vise deux objectifs bien précis : réfléchir sur les besoins et les aspirations des résidants sans emploi mais aussi mobiliser ces derniers en cherchant à connaître leur opinion sur diverses questions (les obstacles liés à l'accès à l'emploi, les ressources du milieu, les perspectives de formation et d'embauche, etc.) Depuis, plusieurs activités ont eu lieu (concours de dessin, visite de quartier, colloque ... ) et le tout doit se poursuivre en 2002-2003. La Table pour l'aménagement du Centre-Sud « Ensemble pour se donner un quartier où il fait bon vivre et travailler » La Table multisectorielle pour l’aménagement du Centre-Sud a pour mandat de « travailler dans une vision intégrée de l’aménagement en tenant compte de l’activité économique et commerciale, la vie culturelle, le logement social, les espaces verts et le développement 123 communautaire. »41 Cette table regroupe des intervenants des milieux communautaires, culturels, institutionnels, des affaires ainsi que des résidants. La Table fonctionne avec un comité de coordination composé de personnes de la CDÉC CS/PMR, d’Alerte Centre-Sud, de la Ville de Montréal et des représentants des différents comités de travail. Outre ces organismes, on retrouve parmi les participants aux travaux de la Table, des organismes comme la Bibliothèque centrale de Montréal, Le Bon Dieu dans la rue, le Centre des gais et lesbiennes de Montréal, le CLSC des Faubourgs, la Chambre de commerce gaie du Québec, le Comité logement d'Alerte Centre-Sud, la coopérative Au pied du courant, les Éco-quartier St-Jacques et Ste-Marie, l’Écomusée du fier monde, la Grande Bibliothèque du Québec (GBQ), Inter-Loge Centre-Sud, L'Itinéraire, la Maison de la culture Frontenac, le restaurant Le Petit extra, Tandem Montréal-Centre-Sud, la Ville de Montréal - Service des relations avec les citoyens ainsi que plusieurs résidants. Historique de la Table • Les 29 et 30 mai 1996, la CDÉC CS/PMR tient un sommet socioéconomique qui réunit 250 participants dont 75 du Centre-Sud. Beaucoup de projets y sont proposés. • Octobre 1996, l’assemblée générale de la CDÉC adopte le mandat de mettre sur pied « une table multisectorielle pour l’aménagement ». • Décembre 1996, la CDÉC met sur pied et coordonne la Table multisectorielle pour l’aménagement du Centre-Sud. Elle met sur pied des comités pour chacun des dossiers de la Table. • Été 1998, Alerte Centre-Sud dégage une personne pour aider à la coordination. Extrait du feuillet de juin 2001 de la Table pour l’aménagement du Centre-Sud La Table travaille activement à plusieurs dossiers (voir tableau 4), certains étant ou ayant été des dossiers assez « chauds » dans l’actualité. Parmi ceux-ci, la modernisation de la rue Notre-Dame, le réaménagement des îlots Huron ou encore le site de la future Grande Bibliothèque du Québec (GBQ). Déjà en 2001, après trois années de concertation, la Table avait à son actif plusieurs bons coups dont celui du choix de l’emplacement de la GBQ. La Table a aussi obtenu que soient révisés les plans d’aménagement proposés par la STCUM et la Ville de Montréal pour les stations de métro Beaudry, Frontenac et Papineau. 41 Extrait du feuillet de juin 2001 de la Table pour l’aménagement du Centre-Sud 124 Tableau 11 : Grands dossiers de la Table pour l'aménagement du Centre-Sud Dossiers Objectifs Les abords du pont JacquesCartier 2 comités de travail (Îlots Huron et Prolongement autoroute VilleMarie) Développement de liens Est-Ouest Zone dévastée et ponctuée de Mise en valeur du patrimoine nombreux terrains vagues qui Réaménagement en espaces verts avec coupe le Centre-Sud en deux. piste cyclable Le Comité sur le Familiariser les acteurs du milieu aux réaménagement des îlots Huron enjeux et les consulter (focus-groups, exposition, maquette interactive, Assemblée publique en assemblée publique, sondage décembre 1999 téléphonique) Collaboration Table – Inter-loge Centre-Sud Effet : Développement d’une collaboration avec la Ville qui a déposé ses projets : aménagement d’un par cet d’espaces verts… Le comité sur le prolongement de l’autoroute Ville-Marie et S’assurer que le projet permette une modernisation de la rue Notre- réelle amélioration des espaces verts, Dame d’une piste cyclable, des liens et accès au fleuve… (coord. Alerte Centre-Sud) Participation à une assemblée publique et à une exposition organisées par le ministère des Transports Assemblée publique juin 2001 Dépôt d’un mémoire au bureau des audiences publiques La révision du plan de camionnage et de la circulation sur la rue Bercy Dépôt par le Comité d’un mémoire à la Ville Soirée publique organisée juin 2001 Pétition Contexte Suite à la relocalisation du garage municipal, les îlots Huron (entre les rues Ontario, de Lorimier, Lafontaine et Dorion) vont être réaménagés Prolongement possible de l’autoroute Ville-Marie vers l’est Transformation de la rue Notre-Dame en boulevard urbain Obtenir que le plan de camionnage soit révisé afin de redonner à la rue Ontario le statut de voie secondaire. Construction du nouveau garage municipal sur la rue Bercy Effet : Entente conclue de manière à dévier le trafic des camions sur la rue Bercy vers la rue Sainte-Catherine. Les résidants s’inquiètent de l’augmentation de la circulation, du bruit, de la pollution et des accidents La revitalisation des artères commerciales Effet : Une association de commerçants Revitalisation de la rue Stea vu le jour suite au travail conjoint de la Catherine Est et Ontario Table, de la Chambre de commerce gaie Ste-Catherine dans le Village gai du Québec et du Centre d’intervention et pour la revitalisation des quartiers Ste-Catherine et Ontario (CIRQ) Source : compilé à partir de dépliants et bulletins d’information de la CDÉC CS/PMR 125 Résultat d’un partenariat de plus de deux ans entre les résidants, des commerçants, des organismes communautaires, la Ville et la STCUM, la nouvelle station de métro Beaudry résultant d’un réaménagement a été inaugurée le 16 juin 2000. Le Comité multisectoriel des quartiers Saint-Louis et Mile End Le Comité multisectoriel des quartiers Saint-Louis et Mile-End est un lieu de concertation et d'implication coordonné par la CDEC CS/PMR. Comme la Table pour l’aménagement du Centre-Sud, le Comité regroupe des intervenants provenant des milieux communautaire, environnemental, culturel, institutionnel, des affaires ainsi que des résidants. Le travail du Comité multisectoriel reprend également la mission et la vision de la Table : vision intégrée du développement local, comprenant l'activité économique et commerciale, la vie culturelle, les espaces publics et le développement communautaire. Le Comité est coordonné par une employée de la CDEC CS/PMR avec l'appui de trois personnes provenant respectivement de la Société de développement du boulevard St Laurent, du YMCA du Parc et de l’Éco-quartier Mile-End. Outre ces organismes, on retrouve parmi les participants aux travaux du Comité, des organismes comme Action solidarité Grand Plateau, le Centre d'action socio-communautaire de Montréal, le Centre d'intervention pour la revitalisation des quartiers- CIRQ, les Cercles d'emprunt de Montréal, le CLSC Saint-Louis- du-Parc, la Coalition pour l'avenir de l'avenue du Parc, la Coalition pour la sauvegarde du Rialto, la Commission scolaire de Montréal, le Comité des citoyens du Mile-End, les Éco-quartier Jeanne-Mance et Mile-End, Tandem-Montréal Mile-End, Saint-Louis et Ville-Marie; Société de développement du boulevard Saint-Laurent; YMCA du Parc ainsi que plusieurs résidants. Le comité s'est aussi doté d'une série de partenaires : Association Milton-Park, Centre d'écologie urbaine, Communauté religieuse des Hospitalières de Saint-Joseph, Conseil régional de l'environnement Montréal, coopérative La Petite Hutchison, Excentris, Terra Incognito, GRIP McGill, Héritage Montréal, Images de femmes, Jean Décarie et Pierre Normand (collaborateurs), Les Amis de la montagne, Monde à bicyclette, Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec. 126 À ce jour, le Comité s’est penché sur deux dossiers prioritaires, à savoir le démantèlement et le réaménagement de l’échangeur des Pins (intersection des avenues Parc et des Pins) et la conception d’une carte-ressources42 communautaires. Pour ce qui est du dossier de l’échangeur, la Ville de Montréal a mis en place un comité inter-services afin d’assurer le suivi de l’étude des différents scénarios d’aménagement. La CDÉC fait partie de ce comité. Le Comité multisectoriel veille quant à lui à ce que le nouvel aménagement permette entre autres choses d’accroître la sécurité des piétons et des cyclistes, de développer des transports plus écologiques, de faciliter une plus grande accessibilité à la montagne (Mont Royal), de favoriser l’intégration de Milton Park aux quartiers environnants, de revitaliser l’Avenue du Parc, etc. La Table de concertation pour l' aménagement des terrains du Canadien Pacifique Dans le cadre de cette concertation mise sur pied récemment dans un but bien spécifique, l’aménagement des terrains du Canadien Pacifique (CP), la CDÉC CS/PMR vient de terminer une recherche et une enquête terrain approfondie visant à cartographier, comparer, étudier et analyser les terrains le long de la voie ferrée, côté sud entre les rues Hutchison et Sherbrooke, afin de faire ressortir les contraintes et potentiels de ces derniers. La concertation : tout un défi ! « Monter un dossier de financement c’est exigeant, on travaille avec des chiffres, des papiers, un entrepreneur ou deux mais travailler avec des tables de concertation où il y a 30 personnes, c’est très différent… pour ceux qui aiment ça c’est fascinant mais c’est aussi très exigeant. Et parfois on manque notre coup, il y a des dossiers qui n’avancent pas ou on a des confrontations.» Céline Charpentier La concertation n’est pas une mince affaire et tous ne sont pas appelés à la « pratiquer »… « Pour faire la concertation, il faut avoir une certaine expérience; avoir travaillé avec toutes sortes de monde, toutes sortes de cultures, autres que la nôtre. Le défi 42 La carte-ressource communautaires combine un répertoire des organismes communautaires et une cartographie de leurs points de services et territoires. 127 des CDÉC est justement de faire se concerter des gens de différents milieux autour de problèmes sur lesquels on ne s’entend pas au départ. Il faut donc être capable de ne pas juger parce que, par exemple, les hommes d’affaires ont une vision sur le village gai que le milieu communautaire n’a pas. Il faut trouver comment concilier les deux, puis les résidants... Il faut être assez tolérant et vous savez, on n'est pas obligé de s’entendre sur tout. On peut s’entendre sur un point. Encore faut-il qu’on y arrive ! Mais ça ne prend pas forcément l’unanimité. » Noëlle Samson Au cœur de l’intervention de la CDÉC, la concertation nécessite force qualités : patience, tolérance, diplomatie…heureusement, certains facteurs facilitent cette concertation qui n’en est pas parfaite pour autant : « Il y a des projets qui rassemblent les gens. On a eu la place du métro MontRoyal, on a eu des luttes contre l’arrivée de grandes surfaces, on a eu des projets pour l’aménagement du territoire, des dossiers qui reliaient tout le monde. Donc les gens travaillaient ensemble, à l’extérieur de la CDÉC mais aussi à la CDÉC. Et les gens avaient plus d’écoute. Il n’y avait pas trop de corporatisme, je veux dire soit en provenance des quartiers parce qu’ils venaient de différents quartiers ou en provenance des collèges communautaires. Sur le conseil d’administration, il y a peu de « corporatistes » particuliers, les gens se sentent administrateurs de la CDEC et veulent faire du développement économique, social du quartier. Mais je vous dirais, la lacune actuelle…, d’une part, les entreprises ne sont pas nécessairement très présentes du moins par les entrepreneurs, parce que ce n’est pas facile pour eux, question de temps. Ils sont très pris. Mais surtout, ce qui manque beaucoup c’est le milieu culturel. » Michel Dépatie Dans le travail en concertation, les processus sont souvent plus longs, plus lourds, sans compter les énergies que cela demande et souvent les résultats tardent à se concrétiser mais quand ils se concrétisent… « Il faut travailler d’abord sur le terrain avec les gens qui y sont, être bien au courant, enligner les dossiers et ça prend du temps avant que les choses se réalisent. Sauf que quand elles se réalisent, elles sont là pour longtemps. Et c’est ce travail aussi qui permet que la cohésion des quartiers centraux soit plus forte qu’elle se construise sur du solide… » Céline Charpentier 128 Mais au-delà de la CDÉC, de ses moyens, de ses activités, il y a les gens, un territoire, des clientèles bref des besoins et des demandes spécifiques et particulières… « On a une bonne CDÉC , c’est une des plus grosses CDÉC au Québec. Et à Montréal, on a le plus gros CLD en terme de budget puis en terme d’intervention, puis de population. Mais c’est certain, on a des problématiques différentes, qui sont propre à notre milieu. Par exemple, à la CDEC CS/PMR on est probablement les champions de l’économie sociale au Québec, parce que sur notre territoire, c’est un secteur qui marche fort. Alors qu’il y a des CLD ou des CDÉC qui travaillent beaucoup plus le développement économique privé, l’entrepreneurship privé et qui ont beaucoup de projets. À ce niveau, on est moins actif, dans le financement d’entrepreneurs pas « social », on n’avance pas aussi vite. Mais c’est parce qu’on a moins d’entreprises conventionnelles puisqu’on est au Centre-Ville. On a beaucoup de commerces, de multimédia. Prenez le multimédia, ce n’est pas facile à financer, on a souvent l’impression que l’on finance du vent. Et on ne veut pas perdre l’argent du gouvernement là-dedans. On a une bonne CDÉC c’est certain, mais ça n’a pas été toujours facile. Mais vous savez, on va fêter notre 15e anniversaire ! » Michel Dépatie Le personnel de la CDEC CS/PMR Derrière toutes ces activités, tous ces services se dresse toute une équipe d’intervenants, d’animatrices, de conseillers, de coordonnatrices. À quoi ressemble donc cette équipe ? « D’abord, en coordination avec la direction générale, on retrouve une personne responsable des communications, une secrétaire et une adjointe administrative. Ensuite, il y a deux équipes de travail: une qui s’occupe du volet développement des affaires, de l’entrepreneurship avec une dizaine de personnes et l’autre qui s’occupe de tout ce qui est développement de la main d’œuvre et de la collectivité et qui compte six employés. Chacune de ces équipes est dirigée par un chef d’équipe qui, avec la direction, forment le comité de gestion. » Céline Charpentier Donc au total, 22 personnes et deux équipes de travail : l’équipe d’appui au développement et l’équipe de développement des affaires et de l’entrepreneurship (voir annexe 2 : Organigramme de la CDEC). La première équipe, composée de 6 personnes, « travaille à l’animation de concertations multisectorielles ainsi qu’à la mise sur pied et à l’appui de projets et ce, pour le 129 développement des quartiers (équipements et espaces publics, formation et insertion en emploi, mise en valeur des ressources, consolidation de secteurs économiques…) »43. C’est aussi dans cette équipe que s’incarne le volet employabilité. La deuxième, composée de 10 personnes, « offre les services directs de soutien aux entreprises, aux OSBL, aux travailleurs autonomes et aux entreprises d’économie sociale. »44. Jean Lambin est chef de l’équipe développement des affaires et de l’entrepreneurship depuis février 1999 : « Je suis responsable de tout le secteur économique. Une dizaine de personnes que je supervise. Dans l’équipe, il y a des sous-équipes, des sous-groupes de travail : ainsi il y en a qui font des investissements d’entreprise, du conseil-gestion, d’autres qui sont liés aux OSBL et à l’économie sociale. À ce moment-là, ils s’occupent de la subvention et du conseil aussi. On a aussi, pour les jeunes de moins de 35 ans, jeunes promoteurs, le programme de formation que j’avais d’ailleurs bâti il y a quelques années et qu’on a remanié avec le temps.» Jean Lambin La collaboration entre les deux équipes comme entre les employés au sein d’une même équipe est plutôt informelle ou ponctuelle, de l’ordre des projets en cours. Il n’y a pas comme tel de comités de travail à l’interne, du moins de façon formelle. « On le fait selon les projets. Ainsi, je travaille beaucoup avec Christine (Lafortune) parce qu’on travaille toutes les deux au niveau du quartier Ste-Marie. J’ai aussi travaillé avec quelqu’un de l’autre équipe qui était sur le dossier de la GBQ, il y a six mois dans un dossier de relocalisation. Mais c’est plus ponctuel. Puis, avec la GBQ, il va sûrement y avoir de nouveaux emplois créés, alors je vais travailler làdessus avec la personne qui s’occupe des groupes en employabilité. Bref, ça dépend des dossiers. » Noëlle Samson À la CDÉC CS/PMR, il n’y a pas non plus de poste attitré de responsable des relations avec le milieu. Chaque employé en assume une part dans le cadre des tâches qu’il exerce… « En fait on assume les relations avec les milieux un peu selon ce qu’on y fait. Il y a quelqu’un qui est responsable des communications mais pas vraiment de 43 44 Site Web : www.cdec-cspmr.org idem 130 responsable de milieu…. Quant aux relations publiques, c’est Céline (Charpentier) au fond qui fait ça. » Noëlle Samson Pour la directrice générale, les employés ne sont pas des ressources humaines interchangeables, aussi leur accorde-t-elle une attention particulière. Il faut dire que les activités de la CDÉC, plus particulièrement la concertation, nécessite une certaine continuité et des énergies considérables. « Les gens en général restent quelques années à la CDÉC. Au niveau de l’intervention, il y a des employés pilier : les gens qui interviennent dans les quartiers, les gens qui font de la concertation, les chefs d’équipe, la direction. Je pense que ce sont des atouts quand on réussit à les garder chez nous. Par exemple la personne qui a travaillé dans le Centre-Sud est ici depuis le début, la personne qui intervient dans le Plateau, est là depuis trois ans et demi. Ce sont des atouts importants. Aussi, c’est très précieux de les conserver, de les motiver. Heureusement, généralement quand ils sont ici, c’est parce qu’ils aiment ça. » Céline Charpentier La concertation est en quelque sorte un long tissage où au fil du temps on apprend à connaître ses interlocuteurs, à gagner la confiance des uns et des autres, à développer des habitudes de travail et des complémentarités; un fil se casse, et le tissu risque de redevenir un lot de fils épars. C’est pourquoi à la CDÉC CS/PMR, on essaie de maintenir les gens le plus longtemps possible, ceux qui ont une connaissance plus approfondie, historique ou qui ont une vision plus développée. Heureusement, les gens qui manifestent de l’intérêt ou deviennent membre du CA sont souvent des gens qui ont déjà ces qualités. Ce sont généralement des personnes préoccupées par des enjeux dans le territoire, même si elles ne le sont pas toutes de la même façon. D’ailleurs, travailler dans une CDÉC n’est pas indifférent… « La plupart des gens quand ils viennent ici ont un certain nombre de valeurs, y compris les conseillers en gestion, en financement aux entreprises, parce que les agents de développement qui travaillent au niveau main d’œuvre, au niveau de la communauté, généralement ont un bac en travail social ou une maîtrise en travail 131 social mais les gens qui sortent des HEC, ce n’est pas toujours évident…Alors oui, ça prend un peu des atomes crochus…parce qu’ici, c’est une équipe où on a besoin d’avoir une vision commune et même si tout le monde ne travaille pas sur le même terrain d’intervention, de la même façon ou avec les mêmes personnes, il faut quand même s’en aller tous dans la même direction ! Donc je pense que ça prend des valeurs. On embauche aussi des jeunes qui n’ont pas nécessairement d’expérience et ça nous permet de les former. Sans compter que nos échelles salariales ne sont pas celles des banques ou des entreprises privées…alors il faut un petit quelque chose qui allume sinon ça ne marchera jamais ! » Céline Charpentier Les membres, le conseil et les comités La CDÉC a des membres, une assemblée générale des membres et un conseil d’administration (CA) autour duquel gravitent des comités de travail et des comités d’allocation des fonds en plus du comité exécutif. « Peut devenir membre de la CDÉC toute personne, organisme, entreprise ou institution qui adhère à la mission de la CDÉC. » Site Web : www.cdec-cspmr.org Moyennant les frais d’adhésion qui varient selon le statut (individu ou organisation), toute personne ou toute organisation intéressée peut donc devenir membre. Mais le statut de membre votant est réservé aux membres qui résident à l’intérieur du territoire d’intervention de la CDÉC ou, dans le cas d’organisations, aux membres représentants un organisme, une entreprise ou une institution établie sur ce même territoire et enfin aux membres qui sont à l’emploi de la CDÉC. Le statut de membre votant donne le droit de voter à l’assemblée générale ainsi que celui d’être élu au conseil d’administration. L’assemblée générale (AG) des membres de la corporation est réunie par la CDÉC au moins une fois par année. À cette occasion, la directrice, le président, le trésorier et le cas échéant, d’autres membres du conseil d’administration ou du personnel de la CDEC présentent les résultats du dernier exercice terminé(le bilan des activités et les états financiers). C’est aussi une occasion de présenter le plan d’action de l’année à venir et de discuter des enjeux de l’heure. C’est 132 lors de l’assemblée générale également que se tiennent les élections, par collège électoral, des administrateurs de la CDÉC qui composeront le conseil d’administration. En adéquation avec sa mission, la CDEC tient à être représentative de l'ensemble des acteurs locaux qui participent et soutiennent le développement économique communautaire de son territoire d'intervention. C’est dans cette optique, que le conseil d’administration de la CDÉC CS/PMR, comme celui des autres CDÉC d’ailleurs, est issu de collèges électoraux. À Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal, les 18 administrateurs élus proviennent de 9 collèges électoraux différents : Collèges électoraux Nombre de représentants au CA Milieu des affaires et travailleurs autonomes incorporés 4 représentants Individus 2 représentants Milieu syndical 2 représentants Milieu culturel 1 représentant Milieu communautaire 4 représentants Milieu institutionnel 2 représentants Milieu coopératif 1 représentant Organismes d’employabilité 1 représentant Employés de la CDÉC 1 représentant « Pour être élu au CA, il y a en général plus de monde que moins. Le secteur où c’est plus difficile c’est le secteur des affaires. Notre territoire est composé de 85 % de petites entreprises. Il n’y a pas énormément de grandes entreprises mais il y a de grandes institutions. On peut penser à la Régie [régionale des services de santé et des services sociaux], au CHUM (Centre hospitalier universitaire de Montréal) ou à la grande bibliothèque (GBQ) qui s’en vient. C’est le milieu où c’est le plus difficile, mais tous les postes de notre conseil sont toujours comblés. Et puis les membres du CA sont présents aux rencontres, et c’est ce qui est le plus important. Mais au niveau du milieu des affaires, il faut travailler plus fort, c’est un de nos défis. » Céline Charpentier Tous s’entendent pour dire que ce sont les postes d’administrateurs dans le collège électoral du milieu des affaires qui semblent être les plus difficiles à combler, Michel Dépatie explique pourquoi… 133 « Il y a aussi le fait que le collège des affaires est en général peu représenté. Je veux dire que pour les entreprises c’est difficile. Les entrepreneurs sont des gens qui travaillent énormément et tard. Donc ils ne sont pas toujours nécessairement très impliqués. Et comme association, on est là pour les représenter…. c’est beaucoup plus facile pour nous. Et on est payé pour ça, on représente plus de 300 entreprises. Cette année je vais me présenter comme président. Mais ce n’est pas parce que je veux c’est parce que c’est mon tour. Sauf que ce n’est pas un objectif. Mais ça se peut que quelqu’un de chez nous à la CDÉC, au conseil d’administration, parce qu’on est un des partenaires importants dans le développement économique. Prenons les tables de concertation de quartier, comme Action solidarité, Grand Plateau ou Alerte Centre-Sud. Elles sont toujours au CA parce que c’est avec ces gens-là que la CDÉC travaille. » Michel Dépatie Les mandats des postes d’administrateurs sont d’une durée de deux ans. Le conseil se réunit en moyenne une fois par mois. Les membres élus qui composent le conseil d’administration élisent ensuite entre eux les cinq membres du comité exécutif (CE) qui prépare les réunions du CA Les postes de membres du comité exécutif sont les suivants : président, premier vice-président, second vice-président, secrétaire et trésorier. « La présidence…ça dépend des personnes. Il y en a qui veulent imprégner, donner une vision. Moi je vais être là pour animer des rencontres, pour faire en sorte que la vraie concertation dans les quartiers continue à se réaliser, que l’équipe puisse avancer. Et il y a aussi les représentations politiques, d’ailleurs il y a des dossiers à l’heure actuelle qui sont assez problématiques face au gouvernement … » Michel Dépatie Outre ces instances (AG, CA, CE), il existe des comités de travail à qui le CA confie des mandats parmi lesquels celui de sélectionner les projets pour l’allocation des fonds gérés par la CDÉC tels que le comité du Fonds local d’investissement (FLI), le comité du Fonds d’initiatives locales (FIL), le comité du Fonds d’économie sociale (FÉS). Certains de ces comités sont composés en majorité de gens du CA, comme le comité de sélection des projets pour le FÉS où les membres du comité proviennent de collèges électoraux désignés avec aussi quelques personnes travaillant dans des entreprises d’économie sociale. Il arrive que certaines personnes 134 quittent le CA et manifestent l’intérêt de rester sur le comité, elles sont alors mandatées, mais cela est plutôt rare. D’autres comités, comme celui du FIL, comprennent aussi des gens de l’extérieur de la CDÉC mais toujours en provenance du territoire. Ainsi sur les sept membres du comité des initiatives locales, deux proviennent du CA de la CDÉC alors que les cinq autres sont des gens provenant d’organismes, de syndicats, d’entreprises à qui la CDÉC a demandé de participer. La Société locale d’investissement pour le développement de l’emploi(SOLIDE), dont les fonds proviennent en partie du Fonds de solidarité - FTQ et de la Ville de Montréal a son propre conseil d’administration et son propre comité de sélection composé obligatoirement d’un représentant de la CDÉC, d’un représentant de la FTQ et d’un représentant du milieu des affaires. Enfin, pour ce qui est du Fonds de développement de l’emploi de Montréal(FDEM), un fonds qui appartient à l’ensemble des CDÉC du territoire de l’ancienne Ville de Montréal, c’est un comité composé d’un représentant de chaque CDÉC et d’un représentant de chacun des bailleurs de fonds, soit en tout une douzaine de personnes. Le choix de la personne qui sera déléguée sur l’une ou l’autre de ces instances ne se fait pas selon des critères formels, c’est plus souvent selon l’intérêt, l’expérience ou la provenance de la personne. Ainsi, le délégué à la SOLIDE est du milieu syndical et travaille au Fonds de solidarité - FTQ, de plus il est là depuis un certain temps. Ces comités d’allocation se rencontrent plusieurs fois dans l’année, généralement en fonction des demandes de financement et de l’avancement des dossiers à être évalués. « On a déjà essayé de faire les réunions à intervalle régulier mais ce n’est pas vrai qu’on est capable. Parce qu’il arrive que dans un même mois on doive en faire deux et que le mois suivant, on n’en tienne pas du tout, parce que toute la démarche dépend en grande partie des promoteurs. Soit ils ne sont pas prêts ou ils doivent retourner faire leurs devoirs et tout à coup, ils fournissent les chiffres du jour au lendemain. Là ça presse, ils ont besoin de l’argent. Aussi, on demande aux gens sur les comités d’avoir beaucoup de souplesse. Et comme généralement on les contacte vraiment d’avance, ça va assez bien. C’est sûr qu’au niveau de l’organisation du travail on pourrait penser que ce serait plus intéressant de savoir que le dernier vendredi du mois c’est la SOLIDE, sauf que jusqu’à maintenant, l’expérience n’a pas prouvé que c’était la bonne façon de faire pour les clients et pour les dossiers en soi. » Jean Lambin 135 C’est le personnel de la CDÉC qui reçoit la demande des promoteurs, monte le dossier et en fait l’analyse pour le présenter au comité de sélection (FLI, FIL, FES) ou au conseil d’administration qui fait office de comité de sélection (SOLIDE) avec une recommandation. C’est aussi le personnel qui élabore les outils d’analyse et souvent la procédure. Les politiques et les critères d’investissement eux peuvent être élaborés par le personnel de la CDÉC seulement ou conjointement avec le comité, mais ces politiques doivent être acceptées par le comité et par l’instance décisionnelle dont relève le fonds (CA de la CDEC ou comité local des partenaires). Le comité délibère et prépare sa décision qui est en fait une proposition. La recommandation de nouvelle politique préparée par le comité est alors présentée au comité local des partenaires45 pour ce qui est du FLI ( fonds local d’investissement), du FÉS (fonds d’économie sociale) et du FIL (fonds des initiatives locales), au CA de la SOLIDE pour ce qui est de son fonds. « Quand on fait des modifications aux procédures ou lorsqu’on développe de nouveaux outils, on les dépose au comité et on explique pourquoi on traite la demande comme cela. C’est de l’amélioration continue et nécessaire. De cette façon, les gens sont satisfaits des dossiers présentés, et il n’y en a pas un qui est refusé, c’est exceptionnel un dossier refusé. Parce que quand le conseiller prépare un dossier, c’est que ce n’est pas juste le jugement du conseiller. Il faut que le conseiller tienne compte aussi de comment le comité, le CA à qui on va le présenter voit ça. C’est tout un travail d’arrimage qui doit se faire. Puis des fois, tel conseiller va dire : regarde j’ai eu ce dossier là, je suis convaincu que ça ne passera jamais au CA de la SOLIDE. On en discute. Et des fois, on le sait que ça ne passera pas. Alors on ne le cote pas, ça ne sert à rien dans le fond de faire travailler le promoteur en sachant qu’il n’est pas dans un secteur qui va intéresser… » Jean Lambin D’autres comités, à caractère plus ponctuel, sont à l’occasion mis sur pied : comité pour la négociation de la convention collective, comité de sélection de personnel. Et comment se fait le recrutement pour les comités et pour le conseil ? Il se fait surtout auprès des gens qui sont en lien ou connaissent déjà la CDÉC et qui démontrent un intérêt à cet effet… 45 Entité décisionnelle pour le mandat CLD qui comprend le CA de la CDÉC auquel s’ajoutent les élus municipaux et provinciaux du territoire. Voir la section Mandat CLD pour plus de détails. 136 « Les gens qui se présentent sur des comités ont des intérêts, des compétences. Ils sont toujours nommés ou élus. S’ils sont nommés d’office, comme quand c’est un représentant de la FTQ, en principe c’est parce que la FTQ a jugé que cette personne était capable. Quand la personne est nommée par le comité des partenaires locaux ou par le CA, c’est qu’elle a manifesté son intérêt. En principe elle dit pourquoi elle veut être là et les gens votent. Mais généralement les gens qui viennent dans les comités, ce sont des gens qui sont plus liés aux affaires ou aux investissements. Comme la directrice de la Caisse populaire du quartier, elle est impliquée, et là quand on parle de financement elle sait de quoi on parle ! Les gens qui s’impliquent dans la CDÉC vont dans des comités qui les concernent, les gens ne vont pas aller se faire nommer dans des endroits où ils ne se voient pas. » Jean Lambin Comme pour ceux qui siègent au CA d’ailleurs … « Évidemment la plupart sont des gens avec qui on est déjà en contact. Ce ne sont pas des gens qui arrivent un matin et qui disent : Bon! je vais aller me présenter. Parce que nous avons beaucoup de comités de sélection où on retrouve un certain nombre de personnes de la CDÉC mais aussi beaucoup de gens du milieu. Et souvent, c’est parmi ces gens là ou parmi les partenaires que les gens vont se dire s’intéresser au CA. Ils voient comment on fonctionne, ils comprennent mieux les enjeux alors ils ont le goût d’embarquer. Parce que c’est du temps, de la réflexion et puis, c’est un lieu décisionnel pas un lieu de « rubber stamping » en plus ce n’est pas rémunéré, c’est du bénévolat. C’est pourquoi il faut des gens motivés, intéressés et qui nous apportent quelque chose aussi. Bien sûr, on peut leur apporter beaucoup aussi : une meilleure connaissance du territoire, d’un certain nombre d’enjeux, de certains volets économiques ou de la main-d’œuvre. Et eux partagent avec nous leur expérience, leur réseaux, leurs points de vue critiques... » Céline Charpentier L’apport des membres du CA est valorisé d’autant qu’il est gratuit. Et vraiment, les membres du CA sont un élément important de la CDÉC au cœur même de la mission de concertation… « Les gens du CA sont des atouts précieux parce qu’ils sont nos portes-parole. C’est eux qui peuvent intervenir sur les orientations plus globales, les questions de politique, parce qu’ils représentent les gens du milieu. Aussi, les gens de notre conseil d’administration ont une vision, un peu plus extérieure justement, ce qui est très précieux pour nous. Ainsi, ils nous évitent de nous éloigner trop de notre mission. Parce que dans le quotidien, il y a des éléments qu’on ne voit pas toujours; alors ils peuvent nous alerter quand certaines situations se présentent. Ce 137 sont donc des gens précieux à conserver et à informer. Comme tous les partenaires, dans le milieu ou aux gouvernements, c’est extrêmement important aussi. » Céline Charpentier Aussi, ce n’est pas une mince tâche que d’être membre du conseil d’administration. La CDÉC est une organisation complexe avec une multitudes d’activités, interagissant avec une foule de partenaires privés, publics, communautaires auprès de clientèles variées. Elle cherche de plus à insérer toutes ses interventions dans une vision intégrée du territoire et de l’environnement en général. Ce qui n’est pas facile quand ce n’est pas un métier à temps plein… « Au niveau du conseil d’administration, on a des gens qui sont là depuis plus longtemps. Mais on a aussi des visages nouveaux puisque les mandats sont de deux ans. Quand il arrive un nouveau membre au CA ou au comité des partenaires, je trouve important de le rencontrer pour essayer de le situer un peu par rapport à ce magma d’activités. Parce qu’on intervient dans tellement de domaines : en aménagement urbain, auprès des groupes communautaires, dans le milieu culturel, auprès des entreprises traditionnelles et auprès des entreprises d’économie sociale. Il faut pouvoir faire des liens entre toutes ces activités. Pour quelqu’un qui arrive là-dedans, au niveau d’un conseil d’administration, ça peut prendre 6-8 mois avant de se situer. » Céline Charpentier Faire travailler ensemble tout ce monde, au sein du CA, du CLP, comme des comités est exigeant et la confiance joue un grand rôle : « Les gens apprennent à travailler ensemble. C’est généralement un apprentissage. Tu peux avoir des conseils des fois qui vont cahin-caha. Mais tout repose sur le lien que tu crée avec tes administrateurs. Peu importe le fond. Et de la confiance qu’ils te font dans la façon de traiter les dossiers. » Jean Lambin Le financement et les bailleurs de fonds « Dans le meilleur des mondes ça devrait être assez facile de faire du développement économique mais dans les faits, chacun a sa vision. » Michel Dépatie 138 La CDÉC CS/PMR, comme les autres CDÉC de la ville de Montréal, est financée à 97% par l’État si on compte les ressources provenant des trois paliers gouvernementaux. Elle reçoit un financement de base provenant du niveau provincial et municipal. Ainsi, au niveau municipal, la Ville de Montréal est le seul bailleur de fonds. Au niveau provincial, c’est le ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM) qui octroie la majeure partie des fonds, dans le cadre du mandat CLD. Une autre partie, quoique moins importante, provient d’EmploiQuébec. Enfin, au niveau fédéral, c’est Développement économique Canada (DÉC) qui finance le poste de conseiller pour le secteur du multimédia et des nouvelles technologies. D’autres partenaires contribuent cependant financièrement aux mises de fonds pour les différents fonds que gère la CDÉC comme le Fonds de Solidarité – FTQ et des organismes du milieu (comme les caisses Desjardins) pour le fonds SOLIDE. Le reste du financement de la CDÉC provient des cotisations des membres et d’activités d’autofinancement. En retour des fonds investis qui sont des deniers publics, les bailleurs de fonds exigent de la CDÉC qu’elle rende compte de la façon dont elle a dépensé les sommes alloués, de ses activités et des résultats obtenus. Pour ce faire, la CDÉC se doit de produire annuellement un bilan financier, un rapport d’étape au sixième mois et un rapport d’activités répondant aux critères des bailleurs. C’est le Comité d’harmonisation de Montréal (CHM) qui est chargé de l’évaluation de la CDÉC CS/PMR chaque année. « Oui, c’est sûr que les CDÉC sont évaluées, avec nos bilans et nos plans d’action. Les bailleurs de fonds regardent ça, je ne sais pas jusqu’à quel point mais ils les regardent. Au mois d’octobre on dépose un bilan de mi-année et un rapport annuel d’activités à la fin de l’année. Ce n’est pas juste une évaluation quantitative. Il y a plusieurs bailleurs de fonds, on remet le bilan, le plan d’action mais avec des annexes différentes, par exemple, pour l’économie sociale. » Noëlle Samson Aussi l’entente avec les bailleurs de fonds est-elle déterminante. Il faut pouvoir se comprendre, se parler. 139 « Heureusement, on a toujours des recours politiques. Parce qu’il y a toujours des différences entre les politiciens, les politiques et comment elles sont appliquées, les personnes entrent en ligne de compte, chacun ayant sa propre vision, c’est normal. Aussi il arrive parfois que l’on tombe sur quelqu’un qui ne comprend pas ce qu’on fait comme CDÉC, avec qui ça ne fonctionne pas, aussi quand ce n’est vraiment plus vivable, on monte un échelon plus haut, plus s’il le faut. On évite de procéder de la sorte mais il est arrivé des situation où ça a été nécessaire. Il y a aussi tout un travail de conviction à faire, de démonstration, un travail qui s’est alourdi avec les années. Heureusement il y a aussi des gens qui connaissent l’histoire des CDÉC. Ils ne sont pas nécessairement toujours d’accord avec nous et réciproquement mais ils ont au moins l’avantage de connaître cette histoire, d’où c’est parti, où on veut s’en aller, ce que c’est que le développement économique communautaire. Et, ça c’est précieux à mon avis. Quand on discute avec ces gens là, on n’est pas obligé de leur refaire l’histoire depuis le début. » Céline Charpentier Céline Charpentier, directrice de la CDÉC CS/PMR « Le jour où presque tous les postes vont être déterminés d’avance à cause des mandats donnés, bien là, j’irai travailler ailleurs. » Céline Charpentier Plus souvent qu’autrement, c’est ce besoin à la fois de défis à relever, d’interventions à réinventer, de solutions à créer et à mettre en œuvre comme aussi de nouveaux apprentissages qui a guidé Céline Charpentier au fil des différents emplois qu’elle a occupés. Et il y en a eu plusieurs, pour cette bachelière de sciences politiques. Elle a d’ailleurs travaillé un temps dans le secteur public : « J’ai travaillé au gouvernement fédéral comme adjointe à l’analyste financier, à ce qui s’appelait alors la direction de la création d’emploi. On faisait le suivi sur le projet Jeunesse au travail Canada. J’ai travaillé là deux ans et après ça ils ont fermé, ils ont intégré le programme à d’autres. » Pour Céline Charpentier la gestion est un matériau avec lequel on peut créer, réinventer des façons de faire, innover, faire autrement, mais pour ça il faut de l’espace, de la marge de manœuvre. C’est aussi une personne qui aime les changements, les défis ! Heureusement, parce que pour être à la tête d’une des plus grosses CDÉC du Québec, il ne faut pas avoir froid 140 aux yeux. D’autant que c’est moins la taille que le caractère singulier de l’organisation qui en fait un véritable défi de gestion : que ce soit conjuguer développement économique avec développement social ou encore réussir à faire se concerter des acteurs plus habitués à s’ignorer qu’à se parler, sans compter un incessant travail pour promouvoir et faire connaître la CDÉC auprès d’usagers, partenaires locaux et bailleurs de fonds voilà qui demande un engagement sans cesse renouvelé ! C’est en 1994 qu’elle se joint à la CDÉC CS/PMR comme directrice générale de l’organisme, or à cette époque rien ne va plus : la fusion de 1993 n’a toujours pas été digérée par plusieurs, la tension est palpable entre les employés des organisations fusionnées (CIDEL GP et CDEC CS) mais aussi au sein du conseil d’administration divisé sur la marche à suivre, les coffres sont vides, les bailleurs de fonds commencent à s’inquiéter…Ce qui n’a pas fait peur à Céline Charpentier : « Je connaissais la situation par qu’en dira-t-on mais pour moi relever des défis, redresser des organisations qui ne vont pas bien, ça ne me dérange pas ! Deuxièmement, c’était des quartiers qui m’intéressaient énormément, CentreSud…j’habitais dans Hochelaga-Maisonneuve à l’époque, le Plateau qui n’était pas alors ce qu’il est devenu aujourd’hui. Je trouvais que c’était des quartiers vivants, animés, entreprenants, actifs…et puis de toute façon je me disais ce n’est qu’une entrevue… » Il faut dire qu’en fait ce n’était pas sa première entrevue. En 1993, quand la première directrice générale de la CDÉC, quitte, Céline Charpentier postule et arrive…bonne deuxième ! Mais le directeur embauché alors quitte à son tour six mois plus tard. On rappelle donc Céline Charpentier pour savoir si elle est toujours intéressée et celle-ci de leur répondre : « Je ne sais pas. Vous autres, est-ce que ça vous intéresse ? Ils m’ont dit oui, on pense que oui… » avec le résultat que l’on connaît. Mais vu la situation critique à la CDÉC, la nouvelle directrice générale et le conseil d’administration s’entendent dès le départ : après trois mois une première évaluation serait faite pour que des deux côtés on puisse se faire une idée. De plus, Céline Charpentier signe un contrat qui lui permet de quitter avec un dédommagement financier si une des deux parties n’est pas satisfaite. Trois mois qui passent très vite quand on ne cesse d’éteindre des feux : « Après trois mois, le soir même de l’échéance de trois mois, on faisait notre première rencontre de planification stratégique…j’avais dit à mon président: si ça 141 marche ce soir, je reste, si ça ne marche pas, demain matin tu as ma démission sur ton bureau! C’était un gros risque parce que ce n’était pas sûr que ça marcherait. Finalement, ça a marché, mais il a fallu faire une pièce de théâtre, un sketch, qui racontait la fusion pour que les gens enfin se parlent. Imaginez, le CA tout d’un côté de la table et l’équipe de l’autre et avec au bout l’animateur et moi. Entre les deux côtés de la table, aucun lien…Cette première soirée fut assez réussie, les gens enfin ont pu se parler, discuter, rire, pleurer, critiquer mais surtout comprendre. Les gens du CA n’avaient pas compris le choc vécu par l’équipe et les gens de l’équipe n’avaient pas compris la décision du CA. Cette soirée a donc permis de ventiler, de débriefer après quoi, on a pu continuer… » C’est que cette native de Montréal n’en est pas à ses premières armes en gestion, elle qui a fait ses classes dans les YMCA de quartiers défavorisés. Le « Y de H-M » Après s’être retirée du marché du travail pour occuper son poste de mère à temps plein pendant quelques années, Céline Charpentier y fait un retour en obtenant un emploi au YMCA Hochelaga-Maisonneuve. Elle travaille d’abord auprès de la clientèle des jeunes chômeurs. Nous sommes au début des années 1980, les jeunes sur la sécurité du revenu qui ont vu leur prestation coupée à 140$ par mois par le gouvernement du Québec rencontrent alors d’importantes difficultés. À l’exception de certains qui sont encore chez leurs parents, plusieurs ont des besoins criants au niveau de l’alimentation et de l’hébergement. C’est à cette époque d’ailleurs que voit le jour le Resto-Pop, premier restaurant populaire qui lie formation en emploi à dépannage alimentaire. Après ce premier poste, auprès des jeunes, Céline Charpentier s’occupera de la clientèle des chômeurs plus âgés : c’est la période des importantes mises à pied dans l’est de Montréal. Plusieurs entreprises de l’ancienne économie, comme Biscuits David, Boulangeries Steinberg, ferment leurs usines. Elle intervient entre autres à Biscuits David où à peu près 30 % des employés sont des analphabètes fonctionnels, où la moyenne d’âge avoisine 45 ans, et la moyenne d’ancienneté 22 ans, bref, une situation très difficile. Céline Charpentier devient ensuite responsable du développement communautaire toujours au Y de Hochelaga-Maisonneuve. Un poste qui inclut des dossiers comme l’aménagement urbain et le développement de l’emploi. « C’est à cette époque là que l’on a mis sur pied ce que sont devenus les SAJE (Service d’aide aux jeunes entrepreneurs) d’aujourd’hui; ça s’appelait alors les 142 groupes de soutien aux initiatives jeunesses, c’était un programme gouvernemental qui voulait aider les jeunes à démarrer des entreprises, alors on a démarré ça aussi à l’époque…par la suite, il y en eu beaucoup plus et finalement tout ça a fusionné, c’est devenu quelques SAJE, et peut-être bientôt un seul SAJE…? » Déjà cinq années se sont écoulées depuis l’arrivée de Céline Charpentier au Y, et voilà que s’offre à elle une occasion de relever de nouveaux défis : elle accepte un poste de directrice générale au Y de Pointe St-Charles pour six mois, en remplacement d’un congé de maternité :« J’y suis allée parce que je voulais essayer de faire de la gestion, voir si j’aimais ça, si j’étais en mesure de le faire» dit-elle. À la fin du remplacement, elle revient au Y de HochelagaMaisonneuve, comme directrice cette fois. Un poste qu’elle occupera pendant cinq ans et qui lui apportera beaucoup : car l’expérience acquise au Y est riche et variée… « Les Y sont intéressants parce que ce sont des organismes sans but lucratif avec un taux d’autofinancement de 90 %. Évidemment. il n’y a pas que le travail communautaire dans les Y, il y a les services d’éducation physique, l’éducation permanente, les camps de jour. Au Y Hochelaga-Maisonneuve, on avait un aréna en prime et on était très content de l’avoir parce que c’était notre secteur rentable. Donc c’était à la fois gérer une équipe, gérer des ressources financières, faire entrer les revenus… Et donc, j’ai appris à ce moment là à faire du développement, à obtenir la rentabilité économique tout en maintenant le volet social, parce qu’on était dans Hochelaga et la population qui venait chez nous était plutôt défavorisée, les revenus n’étaient pas très élevés. Alors, j’ai travaillé à la fois en marketing, en gestion, en gestion du personnel, j’ai appris à lire un budget, à comprendre des états financiers, à faire rentrer de l’argent, à comprendre la promotion, le marketing, les communications. On faisait des campagnes de financement aussi, deux fois par année. Il a fallu apprendre comment convaincre aussi…» Le Y est une quand même une assez grosse organisation avec 25 employés permanents et au moins une centaine de temps partiels et de contractuels dont les moniteurs de camp. Ce n’est pas une des plus grosse unité, car le Y de Hochelaga-Maisonneuve est une succursale du Y de Montréal, mais avec un budget de 1.4 millions $ par année, comme le dit Céline Charpentier : « Un million et demi, en cours de natation à 25$, ça fait pas mal de cours de natation ! » Les apprentissages de Céline Charpentier portent fruit : en cinq ans, le montant ramassé par le Y est multiplié par dix! C’est d’ailleurs lors de ses années au Y que Céline Charpentier découvre le développement économique communautaire, le DÉC, aux côtés de Nancy Neamtan et de Louise Paiement. Elle est alors un témoin privilégié de l’émergence des premières CDÉC : 143 « Une des choses que le Y a mis de l’avant le premier c’était le développement économique communautaire, le DÉC. Nancy Neamtan à l’époque travaillait au Y de Pointe St-Charles, Louise Paiement était au Y Centre-Ville et moi au Y HochelagaMaisonneuve. Nancy est allée à Boston faire une mission et à son retour a mis sur pied le PEP, après quoi les quartiers Centre-Sud et Hochelaga-Maisonneuve ont emboîté le pas. On avait réfléchi beaucoup parce qu’on trouvait que le milieu communautaire était surtout défensif sur les questions d’emploi, qu’il n’avait pas de proposition à mettre sur la table au niveau de la création d’emplois, au niveau de la création de la richesse. On est donc allé au moins deux fois en session intensive de 2-3 jours pour réfléchir là dessus. Et puis, il y a eu aussi des invités des ÉtatsUnis et du Canada anglais, entre autres une communauté autochtone, pour nous parler de DÉC. » Céline Charpentier s’implique rapidement au sein de la Corporation de développement de l’Est (CDEST) et se retrouve plus tard à siéger au conseil d’administration de cette CDÉC de l’est de Montréal. Mais les Y, c’est aussi pour elle un terrain propice à l’innovation, à la création, à la mise sur pied de nouvelles initiatives. Que ce soit avec le Service d’aide aux jeunes entrepreneurs (SAJE) ou avec des camps de jour thématiques, Céline Charpentier a toujours aimé trouver des solutions nouvelles, faire autrement. « On était financés par Centraide pour le volet communautaire. Par exemple on avait des camps de jour extrêmement intéressants, qui étaient à l’avant-garde, maintenant tout le monde fait des camps de jour spécialisés en cirque, en danse, etc., mais à l’époque on était les premiers avec Immaculée-Conception. On voulait offrir des camps de jour pas chers alors on allait solliciter les entreprises et les fondations. Ainsi on réussissait chaque année à offrir un bon nombre de places dans ces camps. » Mais après cinq ans, alors que le Y semble bien parti sur son air d’aller, les défis se font plus rares pour Céline Charpentier. Se lève alors un vent du large qui l’appelle vers de nouveaux horizons… « Au Y, je sentais que j’avais fait tout mon apprentissage. Quand j’étais arrivée, le Y était légèrement déficitaire, on était maintenant rentable…vraiment, il me semblait que j’avais fait le tour. Et puis gérer un aréna, ce n’était pas nécessairement une passion! C’était intéressant à apprendre mais une fois que tu l’as appris, que tu sais comment se fait une glace de patinoire, que tu sais qu’il y a des compresseurs qui sautent et que ça coûte cher…Alors quand j’ai entendu parler de la CDÉC pour moi c’était un nouveau défi. » 144 Le social…c’est de famille! Aînée d’une famille de 4 enfants, Céline Charpentier n’hésite pas à reconnaître que ses parents, sa famille ont eu une influence sur son cheminement de carrière, ses choix, ses engagements. « J’étais dans une famille qui se préoccupait beaucoup du social, de ce qui se passait. Mes parents et moi avons vécu dans beaucoup de pauvreté pendant de très nombreuses années; on était quatre enfants pour un seul revenu. C’était dans le temps des cours classiques, la question qui se posait alors était est-ce qu’elle va faire son cours classique après son primaire ou est-ce qu’elle va devenir coiffeuse…il y a des choix que mes parents ont fait parce qu’à cet âge tu ne décides pas grand chose, des choix qui m’ont marquée…Et puis quand tu as connu des quartiers ouvriers, populaires, une certaine pauvreté, pas tellement dans la tête comme dans les finances, ça reste. Tu réfléchis à la vie autrement que quand tout t’est toujours arrivé aisément. Tu juges moins les gens, tu as des points de vue modérés sur comment ça se fait qu’il y a tant de jeunes sur le BS qui ne travaillent pas et qui ne veulent pas travailler….ce n’est pas exactement comme ça que tu vois les choses… » Avec un frère ergothérapeute, une sœur gestionnaire dans le réseau des Centres jeunesse et un frère éducateur spécialisé, toute la famille est dans les services sociaux, d’autant que celui qui est ergothérapeute est aussi travailleur social…chez les Charpentier, l’engagement fait partie des valeurs importantes… « Mon père est un syndicaliste convaincu, actif. C’était un ouvrier manuel qui a vécu beaucoup d’instabilité dans son travail jusqu’à ce qu’il trouve un emploi syndiqué. Après, il a été agent de grief dans son syndicat, et à 35 ans, il est devenu vice-président de son syndicat et l’est resté jusqu’à ce qu’il arrête de travailler à 62 ans…C’est aussi quelqu’un qui était porteur de valeurs démocratiques, qui croyait à l’organisation collective. Son père avait été conseiller municipal sous Camilien Houde, il y a donc une histoire familiale de vision sociale. D’ailleurs une des choses qui m’a fait hésiter à faire de la gestion c’était ça, parce que c’était comme devenir un boss…mais on s’en était parlé mon père et moi, pour moi c’était important qu’on en discute. » Et puis, étant l’aînée de la famille, Céline Charpentier est aussi celle qui a « défoncé un certain nombre de portes sur la religion, les sorties, etc.… ». Elle n’a que seize ans quand elle arrive au CEGEP. À cette époque, la société québécoise vit les moments intenses mais 145 souvent turbulents de sa modernisation. L’effervescence d’un nouveau projet de société à bâtir anime le peuple québécois… « L’année de mon entrée au CEGEP, il y a eu l’occupation des CEGEP, 19681969, l’année d’après c’était le FLQ, 1970-1971, après c’était l’élection du PQ, 1976, le FRAP qui est devenu le RCM; on parlait de la question nationale, de la Révolution tranquille…Si j’ai fait des études supérieures c’est d’ailleurs parce qu’il y a eu une réforme de l’éducation, une Révolution tranquille; quand j’ai terminé mes études classiques, le CEGEP ouvrait. S’il n’avait ouvert que l’année d’après, c’était fini, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Donc je suis arrivée au bon moment mais ça brassait beaucoup. C’était une réflexion sur la société, mais c’était quand même une société qui allait bien, qui avait beaucoup de richesse… je regarde le monde chercher des jobs aujourd’hui, les étudiants, même si c’est moins pire depuis un an si je compare je peux dire que nous autres on rentrait quelque part, ils cherchaient quelqu’un, on avait une job, on arrivait au centre d’emploi, on disait je veux travailler, ils disaient pas de problème, ils pitonnaient et puis ils te trouvaient un job… ça pouvait prendre deux semaines mais ça ne prenait pas deux ans…alors c’était un autre contexte complètement. Les besoins n’étaient pas nécessairement les mêmes non plus, on se satisfaisait de moins, parce qu’on gagnait pas cher : pour ma première job, je faisais 1,25 $ de l’heure, c’est pas beaucoup ça…C’est aussi l’époque où il y a eu le front commun pour le 100 $, le grand front commun CSN, CEQ, FTQ. À ce moment là, moi je travaillais dans un hôpital pour gagner ma vie parce que j’étais en appartement depuis que j’avais 17 ans, c’était la grève…et donc dans cette mouvance là, c’était le temps de discuter de la société, de qu’estce qu’on veut et où on s’en va, il y avait des leaders étudiants dans ces mouvements et comme mon père était déjà bien impliqué politiquement à l’époque avec le RIN et ensuite au sein du PQ, j’allais voir ça, je suivais ça, et je m’intéressait à ça, c’est sûr… » Malgré cela, ce n’est pas une militante acharnée ou aveugle, surtout pas lorsqu’il s’agit de politique : « Oui, j’ai milité. Pas très longtemps dans le PQ, parce que je me souviens, j’ai arrêté quand il y a eu la manifestation relative à La Presse. La Presse était en grève depuis 1 an, la demande était que le PQ règle l’affaire or il ne l’avait pas réglé. On avait alors massivement déchiré nos cartes du PQ…je ne l’ai jamais rachetée après. Je me souviens Claude Charron était venu à la manifestation mais René Lévesque, lui, n’était pas venu. Ça avait été une manifestation extrêmement violente, la police avait foncé, avait tapé sur la tête de Louis Laberge ça avait été plutôt dramatique pour lui…dans le FRAP aussi à l’époque qui est devenu le RCM par la suite. J’ai aussi milité sept ou huit ans dans les groupes de gauche. Puis après je me suis impliquée dans les garderies, à l’école. » 146 Enfin, c’est aussi à la famille qu’il faut attribuer, en bonne partie, l’attachement de Céline Charpentier à sa ville, Montréal : « Je suis une Montréalaise, j’habite à Montréal depuis 49 ans et demi, toute ma famille est montréalaise depuis 1703…alors que tous les québécois ont un oncle ou une tante à la campagne, moi je n’en ai pas. C’était tous des montréalais. Alors nécessairement, c’est une ville que j’aime beaucoup… » Être mère et être gestionnaire Céline Charpentier, comme beaucoup de femmes, exerce une fonction professionnelle tout en assumant son rôle de mère. La conciliation travail-famille vient s’ajouter à la liste des défis à relever et de tous ce n’est pas le moindre… « Ça, c’est la chose la plus dure. J’ai deux enfants. Je me suis séparée quand j’ai commencé à travailler au Y comme directrice, mes enfants avaient 7-8 ans. Heureusement j’avais un bon réseau et une famille qui m’a soutenue là dedans. Parce que, quand j’ai commencé à mon poste de directrice au Y, j’avais beaucoup de réunions le soir…j’ai essayé d’organiser les horaires, faire mes réunions de CA de 4 à 6. Par contre je n’ai jamais travaillé les fins de semaines sauf exception, à partir du vendredi soir pour moi c’était fini jusqu’au lundi matin. Au début il y avait beaucoup de travail à faire là aussi, c’est que souvent il n’y a pas d’équipe dans le milieu, pas d’équipe de direction, de gestion, donc c’est le plus difficile à construire, mais après ça, moi je suis capable de déléguer et de déléguer les décisions. Il faut accepter aussi que des fois, tout ne sera pas parfait, si tu as quatre heures pour produire un document, tu as quatre heures et après, c’est ça le document, il n’est pas parfait mais c’est comme ça. Je suis aussi capable de faire plusieurs choses en même temps. Mais cette conciliation reste un des aspects les plus difficiles. Maintenant que les enfants sont plus grands, 21 ans et 19 ans, c’est plus facile, ils sont autonomes. Ça va me permettre d’aller étudier… » C’est que Céline Charpentier a été récemment admise au programme de MBA en gestion des entreprises collectives à l’UQÀM. Un programme qui l’intéresse grandement. « J’ai appris beaucoup de choses sur le tas, j’ai eu des formations au Y, ici à la CDÉC je m‘en suis donnée aussi mais c’est toujours des formations ponctuelles, ciblées comme celle sur la planification stratégique ou d’autres en informatique, en leadership d’équipe, en coaching. Je voudrais me donner de meilleurs outils… » 147 À son arrivée à la CDÉC, le personnel n’avait jamais été évalué. Elle a donc dû bâtir un formulaire d’évaluation. Pour ce faire, elle est allée chercher de la documentation, des livres, des conseils, d’autant que le budget d’alors ne permettait aucun recours à des ressources externes. Elle espère donc que le MBA puisse l’outiller mais aussi lui permettre d’échanger et de partager sa réalité de gestionnaire avec d’autres. « Le groupe qui va être là aussi risque d’être extrêmement intéressant, les échanges vont être fructueux. Ça va peut-être me permettre de mieux comprendre certaines choses ou de fournir une expertise dans certaines autres. » Une CDÉC, ce n’est pas une entreprise privée, et à en croire Céline Charpentier, on ne gère pas les deux de la même façon : « Je m’étais déjà dit peut-être que je devrais aller faire un MBA mais ça va me servir à quoi ? Ça ne m’intéressait pas vraiment de faire un MBA classique, c’est-àdire les outils sont probablement les mêmes pour le secteur privé que pour le secteur communautaire mais il y a, je crois, des différences majeures sur le plan de valeurs. » Les feux de la rampe « À la CDEST j’étais bénévole alors je devais de temps à autre faire un discours ou une représentation…un président, un vice-président, l’exécutif font des représentations mais à la direction générale, t’es sous les feux de la rampe tout le temps… Au moment des dilemmes, des rencontres, il faut que tu vois venir les choses, il faut que tu t’assures que les gens soient au courant. » Une partie importante du travail de direction générale dans une CDÉC, a trait aux réunions : réunions d’équipe, du CA, du comité local des partenaires. Toutes revêtent une importance particulière tout comme leur préparation : « Les réunions du comité des partenaires, comme celles du CA, ce sont des réunions importantes, qui demandent de la préparation, d’être bien organisé avec des bons documents parce qu’il faut régler beaucoup de choses entre 18h et 20h30 : ils n’ont pas plus de temps que ça. Aussi pour moi c’est une grosse partie de mon travail; préparer les réunions des instances avec les gens des équipes et aussi le traduire en « français » pour eux, parce que pour nous c’est le FAMO, le FIL, le FLI, etc. En plus, là j’ai du nouveau monde, j’ai mon assemblée générale, il 148 faut que je les rencontre avant la première réunion pour les situer, il y en a qui nous connaissent bien, d’autres moins, c’est un bon défi. Et il ne faut pas oublier qu’eux c’est l’instance qui décident, tu ne fais pas que les informer, ils décident ! Alors il faut que tu sois équipé pour prendre de bonnes décisions. Des fois il y a des débats à faire à l’interne avant d’aller là, et donc le comité des partenaires, le CA, c’est toujours la dernière instance où on va. Avant, on en a toujours discuté à l’interne, en équipe, même pour des petites décisions, parce que sinon c’est là que tu brise l’harmonie entre ton équipe et ton conseil d’administration aussi. Il peut arriver que le CA soit d’un avis autre mais les fois où c’est arrivé ils avaient de très bons arguments, et on a dit : oui c’est vrai vous avez raison, c’est correct. Mais en général les membres du CA modifient, nuancent, donc on est assez sur la même longueur d’onde, par rapport aux gens du milieu. Mais dans l’ensemble, les réunions c’est un gros morceau. » Ce sont également des processus longs. La concertation, le travail avec plusieurs intervenants de milieux différents est exigeant, mais cela convient à Céline Charpentier : « Je respecte beaucoup le travail avec les CA parce que c’est une différence importante du milieu communautaire, il y a des CA dans les entreprises privées aussi mais généralement les gens sont payés pour être autour de la table. Au Y en plus, il y avait des bénévoles dans les programmes, il n’y en avait pas juste au CA, et c’est un aspect que j’apprécie beaucoup. Ce n’est pas toujours facile, ça apporte toutes sortes de contradictions mais c’est tellement plus intéressant, plus riche sur le plan démocratique…je n’irais pas gérer une petite entreprise privée à but lucratif, ça ne m’intéresserait pas. » Quand on lui demande ce qui lui plaît le plus dans sa tâche de gestionnaire à la CDÉC, Céline Charpentier n’a de cesse d’énumérer les nombreux projets, initiatives et innovations réalisés à la CDÉC. Ses yeux s’allument quand elle parle de cette capacité d’accomplir, d’intervenir, de faire bouger des choses pour le mieux-être de la collectivité : « Je dirais qu’après 7 ans, ce que j’aime le plus, ce sont les projets d’intervention, surtout ceux de nature plus globale, que ce soit dans les quartiers, au niveau de la main d’œuvre ou au niveau des entreprises. Par exemple, au niveau des quartiers, dans Ste-Marie on a fait une recherche-action pour essayer de comprendre pourquoi les gens étaient sur l’aide sociale depuis si longtemps. C’est comme ça aussi qu’on est allé chercher la Grande Bibliothèque du Québec, on s’est battu pour qu’elle s’installe sur le site du Palais du Commerce. Et on est dans des quartiers où on ne peut pas mener le bateau tout seul, il faut regrouper beaucoup de forces, parce qu’il y a beaucoup d’enjeux. Tous les dossiers peuvent prendre toutes sortes d’envergure…alors c’est fascinant. Pour moi la question du 149 développement urbain, la question de la vitalité des quartiers, de la qualité de vie, ce sont des questions extrêmement importantes. » Et ce qu’elle aime le moins ce sont les changements politiques qui obligent à tout devoir recommencer… « Je trouve que les changements politiques ont un peu trop d’influence sur le financement. Non pas qu’il n’ait pas été relativement stable et qu’il n’ait pas augmenté jusqu’à maintenant…Je comprends également que les élus sont élus pour changer des choses, pour améliorer la situation. Mais prenons l’exemple de l’arrivée d’Emploi-Québec, à mon avis ça a été beaucoup trop rapide. Je ne dis pas que ce changement n’était pas souhaitable, au contraire, c’était une bonne idée de rapatrier ces interventions du fédéral, de mettre en place des CLE, de regrouper les services…mais de grandes entreprises qui fusionnent vont généralement se donner deux à trois ans pour intégrer les cultures, les employés, les programmes et réfléchir à la situation alors que là, tout s’est fait très vite. C’est sûr qu’il y avait des enjeux politiques, mais ça amené assez rapidement une crise aussi. Ça oblige, dans ce cas là, les groupes en employabilité, les groupes communautaires, les commissions scolaires, les CDÉC, à tout devoir recommencer pour pouvoir être reconnus. C’est sûr que le contexte change et qu’il faut toujours s’adapter, tout comme eux le font, mais quand c’est trop rapide ce n’est pas intéressant. Et il n’y a pas eu de concertation réelle dans la mise en place d’Emploi-Québec. Il y en a eu avant la décision, il y a eu beaucoup de discussions mais à partir du moment où ça a été décidé, ça a été précipité et il n’y avait plus de place pour les partenaires du marché du travail. Il y a donc beaucoup de fragilité, des fois ce sont les politiciens, d’autres fois ce sont les fonctionnaires et d’autres fois encore, ce sont les politiques. Il faut évoluer, il faut changer, s’adapter mais aussi avoir un mot à dire quand les choses vont nous influencer, à mon avis c’est très important et il n’y a pas beaucoup de soin qui est donné à ça. » Enfin, être au cœur de l’action, c’est intense, c’est excitant mais ce n’est pas de tout repos. Certains moments sont plus difficiles que d’autres, et si Céline Charpentier n’est pas femme à baisser les bras, elle a tout de même connu de ces moments éprouvants : « À un moment donné, quand on a négocié autour du mandat CLD, c’est devenu assez lourd. Je ne pense pas que je m’en irais parce que c’est difficile, mais plutôt je partirais quand c’est ennuyant, quand je n’ai plus rien à apprendre ou parce que ça prend quelqu’un d’autre pour faire ce qu’il y a à faire…c’est sûr qu’il y a toujours des moments difficiles. Généralement les moments les plus difficile c’est quand il y a des crises internes, parce que à l’extérieur, moi ça aiguise ma combativité plus qu’autre chose. Des difficultés internes, c’est plus dur. Une année, on a eu plusieurs départs de « piliers » de la CDÉC et là il faut que tu refasses ton équipe 150 de gestion, c’est beaucoup plus exigeant et ça implique que t’en a beaucoup plus sur le dos pendant six mois, un an.» Bref, jusqu’à maintenant, si c’était à refaire… « J’ai eu beaucoup de plaisir dans les emplois que j’ai occupés. J’ai rencontré des gens extrêmement intéressants, autant dans le milieu des jeunes chômeurs à l’époque que maintenant. Rencontrer des ministres ça n’arrive pas tous les jours dans une vie, or ce sont des gens extrêmement fascinants; tu peux ne pas être d’accord avec eux mais quand même ce sont des gens extraordinaires. Avec le recul, je serais peut-être allée me chercher une formation plus appropriée à ce que je fais mais je ne pouvais pas savoir à 20 ans…je ne changerais pas grand chose, j’aurais peut-être un ou deux enfants de plus…j’ai adoré ma vie, ce que j’ai fait, ce que j’ai appris. C’est conséquent de mes valeurs aussi, de ce que je juge important donc je n’ai pas l’impression de sacrifier 40 ou 45 heures de mon temps, j’ai l’impression de faire des choses utiles, de travailler en équipe avec des gens… ici j’ai une équipe dynamique, entreprenante, intéressée qui cherche des solutions, un bon service à la clientèle aussi, moi je trouve que ce sont des choses importantes. Je suis fière de ces choses là. Je ne pense pas que je changerais quoi que ce soit… » Enfin, quand on demande à Céline Charpentier si la gestion est quelque chose qu’elle a toujours voulu faire, elle répond tout de go : « Pas du tout. Non, moi j’aimais ça intervenir, s’il y avait eu des postes au niveau de l’enseignement probablement que j’aurais continué, j’adorais travailler avec des jeunes, éveiller des cerveaux mais bon, il n’y avait pas d’ouvertures de poste. Au Y, l’intervention était intéressante mais c’était une petite structure communautaire qui n’offrait pas beaucoup de perspectives de développement, de possibilités de changer de dossiers. Or moi dans ma vie, à peu près à tous les cinq ans j’ai changé de poste parce que j’ai l’impression d’avoir fait le tour de mon jardin, j’ai le goût d’essayer d’autres choses…voilà sept ans que je suis à la CDÉC, pour moi ça doit être le CLD qui m’a gardé ! » L’avenir… L’obtention du mandat de CLD pour le territoire de l’arrondissement Centre Sud Plateau Mont Royal par la CDEC aura-t-il un impact ? Qu’en pense-t-on à la CDEC CS/PMR? 151 « Quant au mandat CLD, je pense que c’est à nous aussi à ne pas oublier qu’on veut faire autrement. Qu’on ne devienne pas des conseillers en gestion. Je pense qu’on dessert une population qui n’a pas de portes ouvertes ailleurs, gratuitement, que les banques et les caisses populaires ne reçoivent pas. On a ce rôle à jouer aussi il faut faire attention, parce que comment est-ce qu’on indique qu’on est dans une CDÉC et pas dans un CLD? » Noëlle Samson « La CDÉC CS/PMR va avoir 15 ans cette année, quinze années où elle est passée à travers toutes sortes de situations. Aussi, il faut continuer d’être vigilant. On a beaucoup de demandes de reddition de compte, de statistiques, de façons de faire, etc. D’un côté, c’est normal parce que ce sont des fonds publics, les contribuables ont le droit de savoir à quoi ça sert. Mais de l’autre côté, le risque de l’emprise d’un ministère ou de l’État ou d’un palier de gouvernement ou de la municipalité sur ce qu’on fait est toujours là. Et il faut aussi, je dirais, ne pas devenir un CLD, parce que la part de financement associée au CLD est relativement importante par rapport à d’autres bailleurs de fonds comme la Ville, Emploi-Québec ou le fédéral. Mais on offre beaucoup plus de services de cette manière là. Il faut surtout ne pas perdre de vue l’ensemble de la mission parce qu’à ce moment-là moi je pense que l’institutionnalisation est beaucoup plus facile puisque le CLD c’est essentiellement rendre des services. Une CDÉC, c’est là pour mobiliser, pour amener le milieu, pour faire naître des projets pour accompagner les gens. Donc il faut maintenir un relatif équilibre maintenant et encore plus dans les années qui viennent parce que ça va être davantage implanté et les redditions de compte vont certainement augmenter. Ce n’est jamais facile ou simple de maintenir un certain niveau d’autonomie. Il y a des gens ou des niveaux de gouvernement plus souples, qui sont prêts à discuter davantage mais il faut rester attentif. Il suffit qu’un ministre change, qu’un haut fonctionnaire change et alors beaucoup de choses peuvent changer. » Céline Charpentier 152 Chapitre 6. La Corporation de développement économique communautaire Côte-desNeiges/Notre-Dame-de-Grâce : une CDÉC de troisième génération46 Historique Dès 1988-1989, l’idée de mettre sur pied une CDÉC à Côte-des-Neiges est discutée par des acteurs locaux à travers différentes rencontres ou colloques. Il faut dire qu’à cette époque, la Commission d’initiative et de développement économique de Montréal47 (CIDEM) cherche des intervenants et gens du milieu pour implanter des CDÉC dans les arrondissements qui n’en comptent pas encore et interpelle les organismes communautaires locaux. Puis, suite au dépôt en 1990 du nouveau plan d’action Partenaires dans le développement économique des quartiers, où la Ville affirme sa volonté d’appuyer le développement économique local et les Corporations de développement économique communautaire (CDÉC), l’administration municipale confie formellement au Conseil communautaire de Côte des Neiges/Snowdon le mandat de préparer le projet de création d’une CDÉC pour le nouvel arrondissement Côte-des-Neiges/Notre-Dame-deGrâce. Le Conseil communautaire reçoit à cet effet un budget et se charge alors d’identifier les partenaires concernés, d’organiser des rencontres et de tenter de définir les grandes lignes. Tout le monde s’implique, y compris les élus municipaux : « Le RCM, qui était au pouvoir à l’époque, et son conseiller municipal de l’époque avait aussi appuyé cette démarche-là en disant : il nous faudrait aussi une CDÉC…et Ahuntsic faisait la même chose parallèlement. Alors c’est en 91 que j’ai entendu parler de ce projet et ça a été porté en bonne partie par les élus de l’administration Doré, avec Robert Perrault qui était là à l’époque, il était en charge du développement économique, c’est lui qui a donné l’impulsion pour du financement gouvernemental et le reste a suivi, alors c’est via eux, des gens d’affaires, des organismes communautaires qui ont dit, il y a un outil qui existe 46 Afin de refléter la particularité et la spécificité de chacune des CDÉC étudiées, nous avons privilégié une approche qui reprend dans chaque cas la terminologie employée par la CDÉC ellemême plutôt qu’une uniformisation terminologique artificielle qui aurait eu l’avantage de faciliter la comparaison… 47 Créée par l’administration municipale en 1979 dans le cadre de sa stratégie de revitalisation économique 153 dans les autres quartiers montréalais, il faut faire un constat et c’est ce qu’ils ont fait la première année, analyser c’est quoi le milieu et oui il y avait des besoins… » Claude Lauzon, directeur de la CDÉC CDN/NDG Au mois de décembre 1991, un conseil d’administration provisoire est constitué, formé sur le modèle des conseils des autres CDÉC, avec des représentants de différents collèges électoraux. Le recrutement pour ce conseil provisoire s’était fait en grande partie par du bouche à oreille, les leaders locaux avaient été approchés et certains représentants s’y retrouvaient logiquement : « Le SAJE, c’était normal et le CLSC parce que c’est un gros joueur à Côte-desNeiges. Il y avait aussi une petite association de gens d’affaires, embryonnaire, donc où l’éditeur du journal local et le gestionnaire du Duc de Lorraine de l’époque, Alain Landry, avaient décidé d’embarquer. Les organismes communautaires, évidemment c’était incontournable. D’ailleurs, le conseil communautaire avait fait de ce projet [de CDÉC], dans chacun des quartiers quelque chose d’intéressant parce qu’ils voyaient que ça se passait ailleurs, les autres CDÉC…aussi ça avait très bien démarré » Claude Lauzon Les personnes qui composent le conseil provisoire sont aussi celles « qui ont du temps et une certaine connaissance pour structurer le tout parce que leur tâche a été de se donner des statuts et règlements et de préparer l’assemblée générale »48. Donc des gens qui ont une certaine expérience de la mise en place d’organisations ou de certains autres volets comme les statuts. De plus, tout est fait de façon entièrement bénévole. Seuls les syndicats ne sont pas très actifs au début, semblant attendre quelque peu que les choses se placent avant d’intervenir. Le projet de CDÉC prend forme, inspiré largement du modèle qu’offrent les CDÉC existantes. Les membres du conseil provisoire ont à cet effet de la documentation et connaissent les grandes lignes du fonctionnement d’une CDÉC. Enfin, en mars 1992, la CDÉC Côte-des-Neiges/NotreDame-de-Grâce s’incorpore. À ce moment, grâce à un maigre budget de départ, la CDÉC embauche son premier et seul employé pour le moment, à titre de coordonnateur provisoire. Ce dernier assure une certaine permanence dans un local prêté par les conseillers municipaux de Côte-des-Neiges où même le système téléphonique appartient à la Ville. Il coordonne les réunions 48 Claude Lauzon, directeur de la CDÉC CDN/NDG 154 et assure le suivi entre ces dernières, il travaille également avec le conseil provisoire à l’élaboration des statuts et règlements. C’est aussi le coordonnateur qui est responsable de mettre en place tout ce qu’il faut pour l’assemblée de fondation. À cet effet, il met au point des documents qui serviront à informer les différentes organisations du territoire sur ce que pourrait être la CDÉC et le membership. N’ayant pas de budget pour un poste de secrétaire, tout le traitement de texte est donné à contrat. L’assemblée de fondation a lieu à l’automne 1992. Les membres y élisent un premier conseil d’administration (CA) permanent composé de 22 membres élus par 6 collèges électoraux. Puis, dans les mois qui suivent l’assemblée, on procède à l’embauche d’un directeur général, Claude Lauzon, et, n’ayant toujours pas les fonds nécessaires, la CDÉC embauche une secrétaire, Mona Lavoie, grâce à un programme gouvernemental de la Sécurité du revenu. La CDÉC et ses trois employés (le directeur, la secrétaire et le coordonnateur) débutent ses opérations dans le même local prêté par la Ville. Ainsi, la CDÉC n’a aucun compte à payer pour la première année, une situation qui a l’avantage de simplifier l’administration mais surtout de correspondre à ses moyens plutôt réduits. Le travail ne manque pas et les premières semaines sont occupées à tout mettre en place, à compléter l’analyse des forces et faiblesses locales qui avait été entamée, à essayer de voir ce qui pourrait être fait concrètement pour la première année. N’ayant aucune ressource au niveau du développement économique, la CDÉC réussit à faire une entente avec le SAJE pour le programme Jeunes Promoteurs. Et pour un autre programme destiné aux chômeurs, la CDÉC examine ce qui existe et cherche aussi à développer des partenariats. Ces premiers mois sont aussi dévolus à construire avec les gens du CA un embryon de structure, à greffer autour des orientations et enfin un premier plan d’action quantifiable qui sera déposé le 1er avril suivant, accompagné d’un budget et de demandes financières. C’est aussi le moment d’un apprivoisement entre les employés et le CA mais surtout entre les membres du CA. En effet, le plus grand défi que rencontrera la CDÉC cette année là est relativement inattendu mais majeur : comment faire travailler ensemble les deux quartiers, CDN et NDG, qui sont à couteaux tirés ? « Ça se voyait, les gens s’assoyaient chacun de leur bord de la table et il y avait des sujets consensuels mais il y en avait d’autres… chacun amenait ses demandes… » Claude Lauzon 155 Une difficulté que n’avaient pas laissé entrevoir les travaux du conseil provisoire précédents l’assemblée de fondation : « Tout le monde voyait qu’il y avait possibilité de développer une structure qui pouvait être financée éventuellement et qui pouvait répondre à des besoins et ça se faisait jusqu’à ce moment là avec beaucoup d’enthousiasme, les gens de NDG qui participaient presque autant que CDN, ne montraient pas encore vraiment cette volonté là de s’accaparer les ressources. Parce que c’était les ressources qui les intéressaient, les ressources financières. Tout ça parce que des promesses avaient été faites, derrière des portes closes et ils ne nous montraient pas leur jeu, donc c’était assez harmonieux. C’est tout de suite après la création du premier CA que là ça c’est gâté… certaines personnes de NDG avaient toujours en tête d’avoir une partie des budgets de la CDÉC puisqu’un ou deux élus municipaux dans ce coin là leur avait dit: quand il y aura une CDÉC, au lieu d’avoir une structure, il y aura juste un bureau et on vous redistribuera l’argent. » Claude Lauzon Une méfiance entre les gens de NDG et de CDN s’installe donc autour de visions divergentes entre NDG et CDN : « NDG voyait ça comme une structure très très très légère, un petit bureau avec quelques ressources techniques…et on redistribuait les sous dans les organismes existants alors que NDG n’avait même aucun organisme qui faisait du développement économique, pratiquement aucun qui faisait de l’employabilité, donc c’était quelques personnes qui voulaient soit créer une job, la leur, soit supporter des organismes qui auraient prétendu s’y connaître sans que ce soit le cas. CDN n’avait pas cette vision là, il y avait peut-être un peu plus d’organismes d’employabilité et pas plus vraiment d’organismes de développement économique à part le SAJE; ils voyaient plus ça comme, dotons-nous de moyens, d’outils et de ressources pour offrir des services… » Claude Lauzon Mais qui plus est, c’est aussi la question de la langue qui crée des tensions : « L’élection au CA ne s’était pas très bien passée pour l’exécutif, parce que ça avait tourné en grande partie autour de la langue d’usage et comme il y avait un peu plus de francophones… dont un qui avait dit carrément «Écoutez, là on va parler en français mais s’il y a quelqu’un qui ne le parle pas assez, qu’il pose une 156 question en anglais il recevra une réponse en anglais et on repasse au français ». Ce qui a coûté la présidence à cette personne qui s’était présentée du côté de CDN…car NDG a fait bloc autour d’une autre personne et ils ont gagné. » Claude Lauzon Aussi, les membres du CA sont-ils très impliqués dans toutes les démarches qui occupent la première année, question de veiller à leurs intérêts respectifs. Une situation difficile pour le nouveau directeur et qui s’envenime rapidement : « Il y avait du monde au CA qui me surveillaient et il y a eu des débats des fois où ça… j’avais de très gros maux de tête après des CA…et je me demandais vraiment si on arriverait à faire quelque chose. Parce que quand quelqu’un proposait de quoi, l’autre le bloquait et souvent on a réussi à faire bouger les choses en disant il faut faire quelque chose parce que si on ne s’entend pas, il n’y aura rien qui se fera et d’autres le feront à notre place. » Claude Lauzon Heureusement, à ce moment là, certaines des personnes de NDG qui, suite aux promesses faites, auraient préféré obtenir l’argent pour leur quartier comprennent que cela ne sera pas possible. Elles quitteront d’elles-mêmes, ce qui permet à la crise de se résorber : « Ces gens là ont quitté un par un dans les années qui ont suivi. Ils ont vu aussi pendant qu’ils étaient là qu’il n’y avait pas d’abus, que CDN n’était pas favorisé outre mesure, pas plus que NDG, pour la seule raison que le fonctionnement se déroulait en français, les réunions se passaient en français et tout, mais quand on a embauché des gens, on a embauché des gens bilingues alors c’est un peu un mythe qui a disparu avec le temps. » Claude Lauzon La présidente quittera trois ans plus tard et sera remplacée par Roger Côté, qui est encore président de la CDÉC aujourd’hui. On peut donc à nouveau se concentrer sur le travail qu’il y a à faire pour développer la CDÉC et « faire en sorte aussi qu’on puisse commencer à offrir quelque chose, parce que t’avais les autres CDÉC des autres générations qui elles marchaient, et en arriver donc à s’installer dans un endroit qui est propre à la CDÉC et commencer à développer une 157 image qui étaient propre à la CDÉC. »49. Aussi, dès que ses ressources le lui permettent, la CDÉC déménage dans des locaux bien à elle sur Queen-Mary près de Décarie, à cheval entre les deux quartiers. Elle a toujours cette localisation aujourd’hui. À travers ces bouleversements internes, les démarches de la CDÉC débouchent tout de même sur la création d’un service d’employabilité, avec trois nouvelles ressources, et d’un budget de la SQDM pour des projets du Fonds d’adaptation de la main d’œuvre (FAMO). La démarche pour l’obtention de ces fonds, menée en parallèle avec la CDÉC Ahuntsic/Cartierville qui elle aussi vient de naître, n’a pas non plus été de tout repos : d’abord, la SQDM demande aux CDÉC de voir quels sont les besoins en employabilité sur le territoire et quels sont les organismes et ressources déjà existants qui répondent à ces besoins afin de déterminer s’il y a des « trous », des besoins auxquels on ne répond pas actuellement. Ce que fait la CDÉC, constatant effectivement l’existence de besoins non comblés en matière d’employabilité. Puis la SQDM leur demande de développer une proposition pour répondre à ces besoins. À nouveau, la CDÉC s’exécute. Une fois la proposition acceptée, la SQDM fait valoir que les deux nouvelles recrues devront partager l’enveloppe qui est déjà dévolue aux autres CDÉC, ce que ces dernières ne voient pas d’un bon œil ! « Au départ, les autres CDÉC ne nous ont pas nuit mais ne nous ont pas particulièrement aidés… Quand on est arrivé Ahuntsic et nous qui étions en démarrage, il y avait cinq autres CDÉC qui étaient là depuis quelques années déjà et qu’on a approché chacune individuellement. On apprivoisait ce qui se passait dans les autres CDÉC, on expliquait qu’on était les petits nouveaux et qu’on essaierait de développer des choses. Sur la question de l’employabilité à l’époque, il y avait une enveloppe qui finançait les 5 CDÉC pour des projets de formation. Quand on a dit on aimerait bien nous en développer aussi, je vais rester poli mais disons que ça a été «Bien trouvez de l’argent ! Vous pigerez pas dans notre enveloppe, on divisera pas l’enveloppe de 5 en 7… » ! C’est la seule fois où je peux dire que les autres CDÉC n’ont pas été vraiment solidaires. Et puis, je peux comprendre leur réaction, déjà tu divises l’enveloppe en 5, maintenant en 7 bon…il y avait même quelqu’un qui nous avait dit: «Vous voulez nous piquer notre fric ?» à quoi j’ai répondu «pourquoi c’est plus ton argent que le nôtre…?» Claude Lauzon Heureusement, Claude Lauzon, qui a travaillé auparavant avec Gérald Tremblay, alors député de Côte-des-Neiges et ministre à l’Assemblée nationale, réussit par certains contacts avec 49 Claude Lauzon, directeur 158 le gouvernement du Québec à obtenir des fonds d’une ancienne enveloppe qui n’était pas utilisée. La CDÉC dispose de plus de nombreux appuis en matière d’employabilité : « On avait l’appui de DRHC à l’époque qui existait encore, où au bureau Atwater ici, qui s’occupait de CDN NDG, t’avais un type qui s’appelait Pierre Marcotte et qui avait une longue historique de collaboration avec les organismes communautaires, qui y croyait et qui a mis beaucoup d’énergie ainsi que le Centre Travail-Québec aussi où la directrice et un de ses adjoints ont mis beaucoup de temps. Alors j’avais de bon alliés au niveau gouvernemental en employabilité et ça c’est bien passé…et le fédéral, c’était pas comme c’est le cas maintenant, c’était DRHC, ils ne finançaient pas du développement économique, ils finançaient de l’employabilité et c’est pour ça que les CDÉC dont nous, on n’avait pas de ressources en développement économique, parce qu’il n’y avait qu’un seul bailleur de fonds pour le développement économique, c’était le MIC et ils finançaient une ressource… » Claude Lauzon Effectivement, ne disposant pas de budgets suffisants, le MIC ne finance alors qu’une ressource en développement économique par CDÉC. Lorsque la CDÉC CDN/NDG les approche pour un financement, on leur explique que certaines CDÉC, Rosemont par exemple, ne reçoivent pas même encore de financement de leur part et qu’ils comptent procéder chronologiquement. La CDÉC CDN/NDG sait donc à quoi s’en tenir et ce ne sera que trois ans après sa création, soit en 1995 qu’elle recevra enfin des ressources financières de ce ministère. De la dernière génération de CDÉC sur le territoire de l’ancienne Ville de Montréal, la CDÉC CDN/NDG a navigué sous le vent des plus anciennes mais dans une mer encore indomptée : « À cette époque, c’était encore plus disparate qu’aujourd’hui parce que l’InterCDÉC n’existait même pas, chacun avait son propre modèle et tout était en développement, donc il n’y avait pas une culture CDÉC mais beaucoup plus une couleur locale développée et on a vu ce qui c’est fait dans les autres milieu et justement chaque CDÉC se développait en fonction des dynamiques locales alors on a fait la même chose. En plus, la nôtre était un peu plus compliquée parce qu’il y avait la question du bilinguisme, ce qui n’était pas la problématique des autres CDÉC.» En 1997, Claude Lauzon, le directeur général est toujours en place, l’équipe compte alors neuf employés dans deux secteurs : employabilité et développement économique. Puis le 8 juin 1998, le MAMM et la Ville désignent la CDÉC CDN/NDG tout comme ses consœurs organisme 159 mandataire du CLD de Montréal. Aujourd’hui, la CDÉC compte 17 employés réguliers et dispose d’un budget de plus de 1M$ pour son fonctionnement. Le territoire de l’arrondissement CDN/NDG50 Le territoire de la CDÉC CDN/NDG couvre deux quartiers parmi les plus anciens de la Ville de Montréal, soit Côte-des-Neiges et Notre-Dame-de-Grâce, qui forment à eux deux l’arrondissement Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce. Cette arrondissement représente 11% de la superficie totale de la Ville de Montréal et avec ses 158 930 résidants (recensement 1996), 15,6 % de la population de la Ville. Le quartier Côte-des-Neiges est le plus populeux des deux quartiers, avec 60,4% de la population de l’arrondissement. Contrairement au reste de Montréal, l’arrondissement CDN/NDG a connu une légère augmentation de population (3%) entre les recensements de 1991 et 1996. La population s’est également rajeunie entre ces dates (augmentation de 2 point de pourcentage pour le groupe des 0-14 ans et diminution équivalente pour le groupe des 65 ans et plus), l’arrondissement étant ainsi celui à Montréal qui compte la plus forte proportion de 15 ans et moins. La population de l’arrondissement est également caractérisée par une forte proportion d’immigrants et un niveau de scolarité plus élevé qu’ailleurs à Montréal. Ainsi, plus de la moitié (54% contre 29% pour le reste de Montréal) des personnes résidant sur le territoire de l’arrondissement sont nées hors-Québec, avec une proportion plus forte à CDN (60%) qu’à NDG et plus de 69% sont d’origine autre que française ou britannique. Plus du tiers de la population est d’immigration récente, c’est-à-dire après 1990. Plus du tiers de la population de l’arrondissement fait également partie d’une minorité visible, soit deux fois plus que dans le reste de Montréal. Quant au degré de scolarisation, près du tiers des personnes résidant sur le territoire détient un diplôme universitaire, soit le double de niveau observé dans le reste de la Ville. Cet état de fait expliquerait d’ailleurs en partie la proportion élevée de personnes parlant à la fois le français et l’anglais, soit trois personnes sur cinq. 50 Données tirées principalement du document Arrondissement Côte-des-Neiges/Notre-Dame-deGrâce – Caractéristiques socio-économiques du milieu, mai 1999, produit par la CDÉC CDN/NDG et reprenant les données de Statistique Canada (recensement 1996) et de l’INRSUrbanisation 160 La population de l’arrondissement est majoritairement locataire, 22% seulement étant propriétaire de leur habitation. Il faut cependant noter à cet effet un écart important entre les deux quartiers : à NDG on retrouve 31% de propriétaires contre seulement 16% à CDN. 40% des logements de l’arrondissement sont occupés par une personne seule et 21% des familles sont monoparentales, deux données similaires à celles observées dans le reste de la Ville de Montréal. Enfin, en matière de marché du travail et de l’emploi, en 1996 le taux de chômage était de 21% pour les 15-24 ans et de 14% pour les 25 et plus, encore ici des chiffres équivalents à ceux de l’ensemble de la Ville. De plus, 16% de la population de 15 ans et plus est prestataire de la Sécurité du revenu. Le revenu moyen des ménages est de 11% plus élevé à CDN/NDG que dans le reste de Montréal, avec encore ici un écart significatif entre les deux quartiers : $ 42 561 à NDG contre $ 34 893 à CDN. De plus, ajoutons que le revenu moyen a augmenté légèrement entre 1991 et 1996 dans NDG, alors qu’il a baissé de 3% dans CDN. Enfin, en 1996, près de la moitié de la population de CDN vit dans des ménages à faible revenu contre seulement 34% à NDG. On dénombrait en 1996 plus de 58 000 emplois dans l’arrondissement dont 90% dans le secteur des services. La moitié des emplois était des emplois à temps plein. La même année, on chiffrait à 3 764 le nombre des établissements ou entreprises sur le territoire offrant ces emplois, dont 44% sont dans le secteur santé et services sociaux et de l’éducation (respectivement 28% et 16%). Ce qui s’explique par la présence de plusieurs hôpitaux, collèges et universités dans l’arrondissement, plus précisément dans le quartier CDN qui de ce fait génère le ¾ des emplois de l’arrondissement. Ainsi, l’arrondissement détient 20% des emplois en santé et services sociaux de toute la Ville de Montréal et 17% des emplois en éducation, soit plus que son poids démographique dans la Ville. Outre ces deux secteurs, les principaux secteurs d’emploi des résidents sont l’industrie manufacturière et le secteur du commerce en gros et au détail. Enfin, 13% des travailleurs de 15 ans et plus sont des travailleurs autonomes, un nombre en croissance entre 1991 et 1996. Ajoutons que l'arrondissement est desservi par 10 stations de métro, une gare de train et est traversé par deux grandes autoroutes. 161 La mission et les services de la CDÉC CDN/NDG « Notre mission est de favoriser et d’enraciner le développement économique et social de notre territoire, à travers la prise en charge des moyens et des outils adaptés à la réalité locale par les acteurs du milieu (privés, communautaires, syndicaux, institutionnels et populations locales. »51 Pour ce faire, la CDÉC privilégie une stratégie de concertation et de partenariat qui tient compte des ressources existantes et vise un développement en complémentarité avec ces dernières. De la même façon, la mise en œuvre de la mission vise à tenir compte de la réalité locale. Subséquemment, la CDÉC CDN/NDG a dégagé, toujours pour l’atteinte de sa mission, des axes d’intervention rejoignant dans leurs grandes lignes ceux des autres CDÉC, à savoir développement de la main d’œuvre ou employabilité et création d’emplois ou soutien à aux entreprises. En matière d’employabilité, la CDÉC CDN/NDG vise à poser des actions permettant d’accroître l’employabilité et de favoriser la réinsertion des personnes marginalisées au niveau du marché du travail. Pour ce qui à trait aux entreprises et à l’entrepreneuriat, la CDÉC « agit et innove en développant des liens étroits avec les entreprises existantes ou en démarrage dans le but de susciter le maintien en emploi ou la création d’emplois pour les sans-emploi. Elle agit aussi dans le développement d’initiatives de formation, de création d’emplois et de l’amélioration du potentiel socio-économique du territoire»52. La CDÉC CDN/NDG s’annonce d’ailleurs comme « un organisme de développement économique et social qui œuvre dans l’intérêt des individus, des entreprises et des organismes de l’arrondissement »53. Information et référence La CDÉC offre d’abord un service d’information et de référence qui permet de répondre à toute demande d’information à propos de la CDÉC et des services qu’elle offre : financement, orientation, formation ou conseils. On y fait également de la référence et de l’information sur les services en employabilité, à l’entrepreneuriat ou communautaires offerts par d’autres organismes du territoire. La CDÉC met aussi à la disposition de ses membres et usagers un centre de documentation. 51 Dépliant promotionnel et site Internet de la CDÉC CDN/NDG Site Internet de la CDÉC CDN/NDG : www.cdeccdnndg.org/info_fr/mission.html 53 idem 52 162 Tableau 12 : Aperçu des activités et services de la CDÉC Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce Services Services aux entreprises Activités Accueil, information et référence Conseil en gestion, en marketing Programmes d’aide financière Table de concertation pour les axes stratégiques dans les domaines technologiques et de l’entrepreneuriat Soutien à l’économie sociale Accueil et information Accompagnement de projets Financement en économie sociale Suivis Services aux femmes entrepreneurs Site Internet « Les Pléiades » Recherche d’emploi et exploration Accueil et référence de carrière Orientation professionnelle (Services d’employabilité) Information scolaire et professionnelle Aide et accompagnement à la recherche d’emploi Accès aux équipements et ressources Soutien aux initiatives locales et Concertation locale : support aux organismes Table de concertation des organismes en employabilité de communautaires CDN/NDG Financement des initiatives locales en matière de main d’œuvre et d’emploi Projets divers dont une participation à la Table de concertation sur l’accueil et l’adaptation des immigrants de CDN Soutien aux artères commerciales Source : inspiré du site de la CDÉC (www.cdeccdnndg.org) ainsi que du dépliant promotionnel de la CDÉC Services et activités liés à l’employabilité Les services et activités liées au développement de la main d’œuvre sont principalement des services aux individus, dispensés surtout de façon individuelle (one-on-one) ou collective. Tous les services énumérés ci-après sont gratuits et accessibles à tous les résidents du territoire âgés de 18 ans et plus Parmi ces activités, celles données à des groupes sont les séances d’information 163 hebdomadaires, certains ateliers de formation comme ceux sur la recherche d’emploi sur Internet et les séances d’orientation en petit groupe, un ajout récent à l’offre de services. Les séances d’information, d’une durée d’une heure, sont offertes simultanément en anglais et en français. On y présente les services de la CDÉC, on fait visiter les locaux aux participants et ces derniers peuvent s’ils le souhaitent rencontrer un conseiller ou prendre rendez-vous. En matière de services individuels, la CDÉC offre des services d’orientation professionnelle à l’aide de tests psychométriques de même que de l’information scolaire et professionnelle sur les différentes carrières, professions ou métiers, sur le système scolaire québécois, les divers cours et programmes offerts par les institutions d’enseignement, sur les tendances du marché du travail et l’accès possible à des formations subventionnées. Parmi les services, on retrouve également de l’accompagnement et de l’aide à la recherche d’emploi qui peut prendre plusieurs formes, allant de l’aide à l’élaboration d’un CV ou de lettres de présentation à une initiation aux techniques d’entrevue, d’approche des employeur en passant par les façons de se faire des contacts ou du support pour faire son bilan professionnel ou l’inventaire de ses compétences. On y offre aussi un suivi individuel tout au long de la démarche de recherche d’emploi. Jusqu’à récemment, la CDÉC comptait un volet « service d’aide au placement », où elle constituait une banque de candidats pour référence aux employeurs potentiels et faisait la promotion de l’embauche locale auprès des entreprises du milieu. Mais ce volet a aujourd’hui disparu au profit d’autres services, entre autres à cause du chevauchement que cela créait avec les services du CLE de CDN. Enfin, outre le centre de documentation de la CDÉC qui met à disposition des exemplaires des grands quotidiens de la région métropolitaine, des revues spécialisées, des répertoires d’entreprises, des offres d’emploi, la CDÉC offre l’accès à des équipements : ordinateur, imprimante, télécopieur, photocopieur ainsi qu’à Internet. En lien avec son milieu caractérisé par une proportion importante d’immigrants, la CDÉC élabore aussi, en collaboration avec des groupes locaux un répertoire des cours de français pour immigrants donnés localement. D’ailleurs, le profil de la clientèle pour ces services présente un client-type immigrant, scolarisé et oeuvrant le plus souvent dans les domaines de l’administration, du commerce ou du secrétariat. Enfin, notons que ce service connaît une baisse de clientèle depuis 2000-2001, entre autres en raison des nombreux services qu’offre maintenant Emploi-Québec dans les CLE. 164 Services offerts aux entreprises et aux entrepreneurs Tous les services offerts, le sont aux entrepreneurs et aux entreprises à but lucratif ou non lucratif dont la place d’affaires est située sur le territoire de la CDÉC. Ces services sont offerts aux entreprises en phase de démarrage, de post-démarrage et d’expansion. Les entreprises en phase de pré-démarrage sont plutôt référées à des partenaires comme le SAJE Montréal-Centre, la Coopérative de développement régional (CDR), le Centre d’entrepreneurship HEC-Poly-UQAM ou le YMCA de NDG pour les cercles d’emprunt. Services conseil Outre le financement, une grande part des services offerts aux entreprises et entrepreneurs, existants ou potentiels, réside dans les services conseil. À la CDÉC CDN/NDG, sont offert des services conseil dans trois domaines soit en management, en marketing et en finance. En marketing, on offre par exemple le diagnostic ou audit marketing qui peut comprendre une définition des marchés de l’entreprise, une analyse de l’industrie, l’identification des tendances générales dans l’environnement, l’analyse de la concurrence ou des perspectives d’avenir ainsi que la segmentation des marchés. Un autre volet, dit de stratégie marketing se veut plutôt un exercice de réflexion et d’élaboration afin d’intégrer la stratégie publicitaire, les canaux de distribution, l’identité et l’image corporatives, le plan de communication, etc. Un service de diagnostic et de conseil est également disponible en management (restructuration, encadrement, processus d’affaires) avec le support de consultants externes et du service aux entreprises du CLE. En effet, la CDÉC fournit l’expertise pour un diagnostic et sélectionne le consultant externe, Emploi-Québec de son côté finance une partie des honoraires du consultant. Ainsi, les services conseil sont offerts par le personnel de la CDÉC ou en collaboration avec des partenaires et peuvent alors être de l’ordre du parrainage, de la formation, d’études de marché ou du support à l’innovation. Financement La CDÉC CDN/NDG offre également du financement par le biais de fonds locaux qu’elle gère, seule ou en partenariat avec d’autres organismes. Accordés sous forme de prêts ou de subvention, ce financement provient en grande partie de fonds publics. 165 Tableau 13 : Financement offert par la CDÉC CDN/NDG Nom du fonds Type de fonds Type de demandeur FLI Fonds local d’investissement Prêt simple avec ou sans garantie Prêt participatif Cautionnement ou garantie de prêt à terme Capital-action ordinaire ou privilégié (max de 49% d’actions votantes) Entreprise incorporée Entreprise individuelle (Travailleurs autonomes) Entreprise d’économie sociale (OBNL ou coopérative) SOLIDE Société locale d’investissement dans le développement de l’emploi FACILE Fonds ACEM/CDÉC d’investissement local pour l’emploi FDEM54 Fonds de développement de l’emploi de Montréal FES Fonds d’économie sociale FIL55 Fonds d’initiative locale Min : 5 000 $ Max : 100 000 $ Prêt participatif ou prêt simple sans garantie Min : 5 000 $ Max : 50 000 $ Prêt Min : 1 000 $ Max : 15 000 $ Prêt participatif ou prêt simple sans garantie Min : 50 000 $ Max : 150 000 $ Subvention Min : 1 000 $ Max : 75 000 $ Subvention Pour projets de formation 54 Entreprise incorporée ou en voie de le devenir Service et commerce de détail exclus Micro-entreprise avec ou sans but lucratif en démarrage ou en développement Projet communautaire Entreprise incorporée ou en voie de le devenir Service et commerce de détail exclus Entreprise d’économie sociale (OSBL ou coopérative) Organisme communautaire OSBL Petite entreprise Le FDEM est un fonds disponible pour l’ensemble du territoire de la ville de Montréal que gèrent les CDÉC et la SODEC RDP/PAT. Créé en 1987, ce fonds a pour objectif de faciliter l’implantation et le développement d’entreprises sur le territoire de la Ville de Montréal afin de favoriser la création d’emplois. 55 Le Fonds des initiatives locales (FIL) est géré conjointement par la CDÉC et le Centre local d’emploi (CLE) Côte-des-Neiges 166 Accompagnement et suivis L’accompagnement est offert aux promoteurs désirants présenter un projet pour les fonds FÉS, FLI, SOLIDE, FDEM et FACILE ainsi qu’aux intervenants des groupes communautaires projetant de faire une demande au FIL. Dans chaque cas, l’accompagnement est offert tout au long de la démarche et peut prendre diverses formes, conseil, support technique ou référence, dans l’élaboration du projet et de la demande de financement. Enfin, tout projet ou organisme ayant obtenu du financement de la CDÉC, peu importe le type de fonds ou d’investissement, fait l’objet d’un suivi comptable et budgétaire par le personnel de la CDÉC. STA et JP Les mesures de Soutien aux travailleurs autonomes (STA) et Jeunes Promoteurs (JP) font l’objet d’une entente avec le SAJE Montréal-Centre. La CDÉC réfère les promoteurs éligible au SAJE, délègue des employés au sein du comité de sélection des projets JP et STA et effectue une partie du suivi financier et de gestion pour les projets de la mesure JP sélectionnés. Une entente conclue en 2001 avec le Centre de suivi du SAJE Montréal-Centre permet maintenant aux jeunes promoteurs de l’arrondissement de bénéficier d’un suivi personnalisé pour les premières années d’activités de leur entreprise.56 Les Pléiades 57 Dans le cadre des services aux entreprises et aux entrepreneurs, la CDÉC a développé un site Internet pour les femmes d’affaires de CDN/NDG visant à présenter à la communauté Internet, les entreprises dirigées par des femmes de l’arrondissement CDN/NDG. Lancé officiellement le 8 mars 2001, lors d’une cérémonie aux HEC, ce site, intitulé Les Pléiades, permet de découvrir les entrepreneures, leurs entreprises et leurs produits. C’est d’ailleurs un ancien bénéficiaire de la mesure Jeunes Promoteurs qui a réalisé le site. Outre la promotion des entreprises en question, le développement de ce site se veut offrir un outil de travail supplémentaire pour les femmes entrepreneures ainsi qu’une occasion pour ces dernières de se sensibiliser aux nouvelles technologies de l’information. 56 57 Rapport d’activités 2000-2001 de la CDÉC CDN/NDG www.pleiades-cdn-ndg.com 167 La CDÉC participe également au développement, à la revitalisation et à la promotion des artères commerciales de son territoire, en collaboration avec le Centre d’intervention et de revitalisation des quartiers (CIRQ) et les diverses associations de marchands et commerçants. Elle offre via le projet Artères en action du CIRQ des ressources pour la coordination, la planification ou pour effectuer des suivis à divers comités de travail mis sur pieds comme celui pour le réaménagement du chemin de la Côte-des-Neiges ou de la rue Sommerled. La concertation locale Outre la concertation qui se fait au sein du conseil d’administration de la CDÉC entre les différents acteurs du milieu, la CDÉC participe également à deux tables de concertation locale axées sur les personnes et l’emploi ainsi qu’à trois tables de concertation locale axées davantage sur le développement économique du territoire, sans compter ses nombreuses implications dans les organismes et comités du milieu local. « [le développement du milieu], ça fait partie de la CDÉC et si elle ne faisait pas ça, ce ne serait plus vraiment une CDÉC, c’est clair…ce serait soit un organisme d’employabilité, soit un organisme de développement économique, toujours OSBL mais ça ne serait pas une CDÉC qui en deux mots allie les questions de main d’œuvre et d’emploi, à travers un milieu donné et qui fait aussi un travail d’organisation, d’animation et autre…il faut que tout cela soit rassemblé pour avoir une vision cohérente… » Claude Lauzon Table de concertation des organismes en employabilité de CDN/NDG (TCOE) Mise sur pied en mai 1999, la TCOE regroupe neuf organismes en employabilité de CDN/NDG dont la CDÉC, le CLE de CDN, les Carrefours Jeunesse Emploi (CJE) de CDN et NDG et d’autres. Cette Table dont l’objectif initial est d’harmoniser et d’arrimer les interventions en matière d’employabilité entre les organismes du territoire, de partager des outils entre intervenants ainsi que de doter les membres de nouveaux outils de développement se réunit mensuellement autour d’un calendrier de formation, en plus des réunions de travail et de ses sous-comités. La planification et l’animation des rencontres de la TCOE sont assumée par la CDÉC, de même que 168 la planification et la coordination du calendrier de formation. Parmi les réalisations de la Table, nommons la production du bottin des organismes en employabilité de CDN/NDG, la création d’un site Internet pour ces derniers ou encore l’organisation annuelle d’une journée de l’emploi pour les résidents du territoire. Enfin, les membres de la table en employabilité ont collaboré pour tenter de concerter des employeurs et de regrouper les candidats pour les offres d’emplois de gros employeurs tels Réno-Dépôt, A&W, St-Hubert et même la Ville de Montréal. Priorités de la Table de concertation des organismes en employabilité de CDN/NDG , 2001200258 : • Travailler sur la conception d'un bottin de ressources de stages, sur la recherche d'une liste des entreprises du territoire et sur des actions qui permettront d'augmenter notre visibilité auprès des employeurs. • Créer un cartable commun d'articles, de notes et de références bibliographiques • Organiser 3 conférences-midi ou déjeuners-rencontres répondant aux besoins des intervenants. • Travailler sur un lien informatique qui permettra de partager les offres d'emploi. • Planifier un calendrier de formation et coordonner les activités • Analyser et proposer des pistes d'action afin de créer un parcours pour la clientèle entre les acteurs de la TCOE. • Organiser une activité de visibilité de la TCOE. Table de concertation sur l’accueil et l’adaptation des immigrants de CDN La CDÉC participe aux rencontres de cette Table ainsi qu’à celles de son Comité de francisation dans le but de créer des liens entre cette Table et la TCOE. De concert avec l’organisme Carrefour d’intégration Sud (CIS), la CDÉC offre également à la Table du support à l’animation et au secrétariat. 58 Site de la CDÉC CDN/NDG, juin 2001 169 Enfin, en matière de développement économique du territoire maintenant, la CDÉC a mis sur pieds avec de nombreux partenaires des tables de concertation dans des secteurs jugés prometteurs par les acteurs locaux et en lien avec les axes stratégiques retenus pour le développement du territoire lors d’un exercice de planification en 1998 (PLACÉE 1998-2001) soit les biotechnologies de la santé, les technologies de l’information (TI). Suite à cette planification, deux comités sectoriels locaux avaient d’abord été créés, chargés entre autres de mettre en place chacun une table de concertation. Enfin, une Table de concertation pour la promotion du territoire a aussi été mise sur pied. Table sectorielle dans le domaine des technologies de l’information Les membres du comité sectoriel proviennent des milieux municipal (commissaire industriel), provincial (MM), privé (entreprises en TI) et institutionnel (Université de Montréal et Université Concordia), en plus de membres du conseil d’administration de la CDÉC. La CDÉC est responsable de l’organisation et de la coordination du comité de travail, de la recherche et de l’analyse de documentation et d’information ainsi que de la conception du plan d’action. Suite à la formation du comité, un consultant a d’abord été embauché pour dresser un portrait détaillé du secteur des TI dans l’arrondissement, après quoi le comité a pu dégager des pistes d’action et mettre sur pied la Table qui a jusqu’à présent réussit à déposer, conjointement avec les CDÉC CS/PMR, RESO et Centre-Ville (SODEC), un projet de dégrèvements fiscaux auprès de ministres provinciaux et à établir un portrait des sites susceptibles d’héberger nouvelles entreprises en TI à CDN. La Table vise aussi à faire la promotion du quartier comme secteur spécialisé en TI. En 2000-2001, il y a eu 3 réunions du comité et 4 rencontres de travail à la CDÉC à cet effet. Table sectorielle dans le domaine des biotechnologies de la santé Les membres du comité proviennent des milieux municipal (commissaire industriel), provincial (agent de recherche d’Emploi-Québec), fédéral (gestionnaire DÉC), privé (entreprises et laboratoires) et institutionnel (IRB, Université de Montréal, Hôpital Ste-Justine). La CDÉC se charge de l’organisation et de l’animation du comité de travail, de la recherche et de l’analyse de la documentation et d’informations et de la conception du plan d’action. Le comité a suivi la même 170 démarche que celle du comité sectoriel en TI, à savoir l’élaboration par un consultant d’un portrait détaillé du secteur, l’identification de pistes d’actions, formation de la Table. Cette dernière a mené depuis des démarches pour promouvoir le désenclavement du secteur de l’IRB, a tenu des représentations auprès de la Ville de Montréal et du ministère des Transports pour le prolongement du boulevard Cavendish/RoyalMount, a enclenché la réalisation d’une étude de faisabilité pour l’implantation d’un incubateur avec l’Université de Montréal. Le comité a aussi participé à une réunion d’un comité d’experts de la CDÉC Rosemont/Petite Patrie et ce, à titre de personne ressource dans le cadre d’un projet de mise en place d’un Pôle Santé sur leur territoire. En 2000-2001, il y a eu 5 réunions du comité et 2 rencontres de travail à la CDÉC pour ce secteur. Table de concertation sur la promotion du Quartier CDN Cette Table a été créée en avril 2000 et regroupe douze organisations des secteurs communautaire, institutionnel, culturel, des affaires de CDN dont l’Université de Montréal. La Table a depuis sa création conçu et adopté un plan de travail, a procédé à la création de 3 comités de travail ainsi qu’à la conception d’un plan de communication. L’objectif de la Table est bien sûr de faire la promotion du quartier entre autres en « reconnaissant et en faisant reconnaître les richesses du quartier auprès des gens qui y résident, y travaillent et auprès de la population en général »59. En 2000-2001, la Table s’est réunie huit fois et il y a eu trois rencontres de travail. Mais la CDÉC s’implique aussi au sein des organisations locales et participe à de nombreux regroupements ou comités parmi lesquels la Table de concertation des Centres de la Petite Enfance de CDN, le comité de travail du projet d’habitation Benny Farm dans NDG, le CA d’Habitations communautaires CDN, le regroupement de travailleurs autonomes Synaxis ou le CA de l’entreprise d’entretien ménager La Grande Vadrouille. La CDÉC a également participé au projet OPTI-rétention, un projet qui réunit des partenaires tels DÉCanada, le MIC, le CLE CDN et la Ville de Montréal et qui se penche sur la problématique de la rétention des entreprises en TI et en biotechnologie. Enfin, « afin d’assurer une présence active de la CDÉC dans le milieu »60, cette 59 60 Rapport d’activités 2000-2001 de la CDÉC CDN/NDG idem. p.II 171 dernière a également assisté aux réunions du Conseil communautaire CDN et du Forum NDG 2020. Le personnel de la CDÉC CDN/NDG La CDÉC CDN/NDG, c’est 17 employés dont… - Un directeur, une comptable, une secrétaire et une réceptionniste - Une conseillère en orientation, deux conseillèr(e)s en emploi et une agente aux initiatives locales - Quatre agents de développement économique, incluant les agents de développement en économie sociale et une conseillère en marketing - Un agent d’information, de référence également responsable du service conseil en management - Trois agents de financement La CDÉC CDN/NDG, c’est donc une équipe de seize travailleurs sous la direction de son directeur, Claude Lauzon. Selon le document La CDÉC CDN/NDG c’est…61, le directeur est « responsable de la gestion des ressources humaines et financières, de la recherche de financement, des plans d’actions et du suivi des décisions du conseil d’administration ». Avec lui, travaillent une secrétaire responsable du secrétariat général et une comptable responsable de la gestion comptable, des rapports financiers, de la gestion financière et de la gestion informatique. Enfin, une réceptionniste qui en plus des appels, de la gestion des rendez-vous des agents, est responsable de l’accueil de la clientèle. S’il n’y a pas officiellement d’équipes, de services ou de départements, on distingue plus ou moins formellement ceux qui travaillent en employabilité ou développement de la main d’œuvre de ceux qui travaillent en développement économique ou soutien aux entreprises et entrepreneurs. Les premiers sont au nombre de quatre soit une conseillère en orientation, deux conseillers en emploi et une agente aux initiatives locales. Auparavant, un conseiller en placement s’occupait de la banque de candidats que tient la CDÉC, des pistes d’emplois, des réseaux avec les employeurs et organismes partenaires et du placement proprement dit mais avec le développement des services qu’offre Emploi-Québec dans le CLE de 61 Document produit par la CDÉC CDN/NDG et remis aux nouveaux administrateurs 172 CDN, il a été jugé pertinent de réorganiser les postes. Aussi le poste d’agent de placement est-il devenu un deuxième poste de conseiller en emploi, ce qui a entre autres permis de réduire l’attente pour un rendez-vous avec un conseiller pour la clientèle. Les conseillers en emploi s’occupent des séances d’information en employabilité, des ateliers de formation et offrent également le counselling individuel en recherche d’emploi. Ce sont eux aussi qui sont responsables du centre de documentation et du répertoire des cours de français pour immigrants. La conseillère en orientation, elle, offre du counselling d’orientation professionnelle ou scolaire ainsi que de l’aide à la recherche d’information sur les différents cheminements scolaires ou professionnels retenus. C’est elle qui administre les tests psychométriques. Elle n’est cependant disponible que quatre jours par semaine. Enfin, l’agente aux initiatives locales « travaille à l’élaboration et à la mise en place de projets dans le domaine de l’employabilité. Elle aide aussi à la structure et à la sélection des projets. »62. Pour ce faire, elle offre aux promoteurs et intervenants des groupes communautaires du support technique et de l’aide pour la résolution de problèmes et elle appuie les demandes d’aide financière auprès du comité responsable du FIL. C’est elle également qui est responsable de la concertation locale en matière de développement de la main d’œuvre « offrant un support aux organismes communautaires et aux corporations publiques afin de favoriser la prise en charge par le milieu de son développement économique et social. »63. Elle mobilise aussi population et partenaires autour d’objectifs communs, développe des alliances tout ça dans le but de susciter la création d’emplois sur le territoire. Enfin, elle assiste les autres membres de l’équipe employabilité dans la promotion des services et la conception d’outils ou d’activités. Pour ce qui est du développement économique, on compte dans cette « équipe » neufs travailleurs. Quatre sont des agents de développement économique, trois sont agents de financement, un agent enfin d’information et référence également responsable du service conseil en management et une conseillère en marketing complètent le nombre. Parmi les agents de développement économique, un poste est dédié spécifiquement à l’économie sociale. Cette agente est responsable du développement de pré-projets d’économie sociale et de leur accompagnement dans leur développement, recherche de financement et suivi, ainsi que du Fonds d’économie 62 extrait de La CDÉC CDN/NDG c’est … Site Internet de la CDÉC CDN/NDG : www.cdecdnndg.org 63 173 sociale. La demande importante pour des projets en économie sociale a d’ailleurs amené la création d’un deuxième poste d’agent de développement en économie sociale. Ce poste est venu remplacer un poste d’agent de milieu qui s’occupait du développement des artères commerciales et que de nouvelles ententes avec le Centre d’intervention et de revitalisation des quartiers (CIRQ) ont permis de libérer. Toujours parmi les agents de développement économique, une agente est responsable du site Internet « Les Pléiades » et du programme Jeunes Promoteurs et une autre du développement des axes stratégiques. Les trois agents de financement sont entièrement responsables de l’analyse des dossiers, de recommandations aux comités respectifs et du suivi financier pour les fonds FLI, FACILE, FDEM et celui de la SOLIDE CDN/NDG. Deux agents siègent également au comité de sélection pour les mesures de soutien aux travailleurs autonomes (STA) et Jeunes Promoteurs (JP). Reste un agent d’information et de référence, responsable de l’accueil, de l’information et de la référence pour toutes les demandes faites au CLD, de même que des suivis des dossiers pour la compilation des statistiques et qui est également responsable du volet service conseil en management. Ainsi, le service aux entreprises regroupe à lui seul plus de la moitié des effectifs de la CDÉC. Les membres, le conseil et les comités « Une CDÉC, c’est un organisme sans but lucratif, et avant toute chose, c’est un organisme communautaire. Souvent il y a des débats là dessus, mais pour moi c’est indéniable. Même, tu peux enlever le sans but lucratif parce que c’est de facto…alors c’est un organisme communautaire et ce qui le différencie un peu de certains organismes c’est que c’est une des rares organisations qui, via nos collèges électoraux, le membership des collèges électoraux, les élections au CA, peut dire vraiment que les administrateurs sont représentatifs de l’ensemble de la société civile. Tu ne vois jamais des représentants des syndicats sur les CA des autres organismes communautaires, pas beaucoup de gens d’affaires non plus, pas beaucoup de gens des HEC ou d’institutions, alors c’est un organisme communautaire représentatif de la société civile. » Claude Lauzon La CDÉC CDN/NDG, comme toutes les autres CDÉC montréalaises, a un membership, une assemblée générale des membres et un conseil d’administration autour duquel gravitent des comités de travail et des comités d’allocation des fonds en plus d’un comité exécutif. Dans les 174 statuts et règlements de la CDÉC CDN/NDG, on stipule que sont réputés membres de la CDÉC toute personne qui adhère aux objectifs de la corporation et qui paie sa cotisation (2,00$ pour une personne physique, 20$ pour une personne morale). On y définit également trois catégories de membres soit « les personnes résidentes de l’arrondissement, les personnes morales et les membres associés64. Les deux premières catégories comprennent les individus et organisations résidant ou ayant leur place d’affaires sur le territoire de la CDÉC et les membres de ces catégories ont droit de vote aux assemblées générales de la Corporation et sont éligibles aux élections des membres du conseil d’administration, ce à quoi les membres associés n’ont pas droit. Tous reçoivent cependant le Flash, bulletin de liaison de la CDÉC. En 2001-2002, la CDÉC comptait un total de 145 membres répartis dans les divers collèges électoraux. Collèges électoraux Milieu communautaire Membres inscrits pour 2001-2002 35 groupes communautaires (25 CDN / 10 NDG) Milieu des affaires 40 entreprises (24 CDN / 16 NDG) Milieu institutionnel Milieu syndical Populations 14 institutions 3 syndicats 31 membres individuels (19 CDN / 12 NDG ) Associations ethniques Membres associés 3 groupes ethniques 19 L’assemblée générale de la CDÉC CDN/NDG est dite « souveraine », elle accepte ou entérine les activités, les orientations et les états financiers de la Corporation. Elle est chargée de s’assurer que la Corporation s’acquitte de sa mission. C’est aussi l’assemblée qui adopte les statuts et règlements et les budgets déposés par le CA. La CDÉC CDN/NDG doit tenir, toujours selon ses statuts et règlements, deux assemblées générales annuelles. L’une « est tenue avant la 64 Statuts et règlements de la CDÉC CDN/NDG, p.2 175 fin de l’année financière et l’autre au plus tard six mois après la fin de l’année financière »65. L’une est ainsi réputée statutaire ou formelle et doit comprendre le dépôt et l’acceptation des états financiers et du rapport d’activités, on y présente aussi généralement le plan de travail pour l’année à venir, ainsi que les prévisions budgétaires, alors que l’autre assemblée est réputée d’orientation ou thématique et si elle doit comprendre un rapport d’étape, sert généralement d’espace de réflexion et de discussion pour les membres. Ainsi en 2000, l’assemblée générale du mois de juin, assemblée statutaire a compté la présence de plus de 80 personnes. On y a remis, outre les documents et rapports habituels, pour la première fois les prix de l’économie sociale à 6 entreprises. Parmi les assemblées thématiques, celle de décembre 1999 a vu la tenue du « Procès de l’économie sociale » aux HEC, un procès humoristique de l’économie sociale afin de susciter la réflexion sur cette dernière ou encore celle de décembre 2000 où quarante membres ont pu poursuivre une réflexion sur le développement économique communautaire et les pistes d’action, à l’aide de la technique appelée les chapeaux de De Bono. L’élection du nouveau CA a généralement lieu dans le mois précédant l’assemblée générale thématique, lors des assemblées par collège électoral. À l’incorporation de la CDÉC en 1991, le conseil d’administration compte 21 administrateurs provenant de cinq collèges électoraux avec la répartition suivante : six représentants du milieu des affaires, six représentants des organismes communautaires, cinq représentants des institutions, deux représentants des syndicats, deux résidents, le tout, répartis en nombre égal entre les deux quartiers pour chacun des collèges. Aucun élu municipal ou provincial ne siège au CA : « Il n'y a jamais eu d’élus sur des CA de CDÉC comme tel et ça, c’était bien connu. Les élus ne voulaient pas y aller. Les élus en avaient déjà plein leurs bottines avec tous leurs dossiers, et ils voyaient les CDÉC comme quelque chose de bien, sans plus… » Claude Lauzon Cependant, au fil des ans, la difficulté à obtenir le quorum lors des réunions a amené une modification à la structure du conseil en 1996. Le nombre d’administrateurs passe de 21 à 17 et un nouveau collège, associations ethniques, s’ajoute. Ainsi, en 2001-2002, le conseil d’administration 65 idem. p.3 176 est composé de 17 administrateurs66 élus par leur collège respectif lors de l’assemblée annuelle de chacun des collèges. Collèges électoraux Nombre de représentants au CA Milieu communautaire –groupes de CDN 2 représentants Milieu communautaire –groupes de NDG 2 représentants Milieu des affaires – Gens d’affaires de CDN 2 représentants Milieu des affaires – Gens d’affaires de NDG 2 représentants Milieu institutionnel 3 représentants Milieu syndical 2 représentants Populations 2 représentants Associations ethniques 1 représentant Personnel de la CDÉC 1 représentant Le directeur de la CDÉC siège d’office au CA mais sans droit de vote67. Le conseil se réunit au moins dix fois par année. Les membres qui composent le conseil d’administration élisent ensuite entre eux les membres du comité exécutif formé de cinq officiers. Les postes de membres du comité exécutif sont les suivants : président, vice-président, secrétaire, trésorier et officier. Le directeur siège d’office au CE mais sans droit de vote. Le président est le représentant de la Corporation, son porte-parole. C’est lui qui préside les réunions du conseil. L’officier remplace un autre membre du CE lorsque nécessaire. Lors d’une réflexion des membres du CA sur le fonctionnement de ce dernier, il est apparu que le recrutement d’administrateurs pourrait bénéficier de certains efforts, l’élection étant souvent faite par acclamation. Enfin, la CDÉC CDN/NDG, s’est doté d’un code de déontologie visant à éliminer de possibles conflits ou apparence de conflits d’intérêts. « [Le conseil d’administration] peut de plus, lorsqu'il le jugera nécessaire, former des comités parmi les membres du Conseil d'administration ou de la Corporation, 66 67 Site Internet de la Corporation : www.cdeccdnndg.org Statuts et règlements de la CDÉC CDN/NDG, p.5 177 et ceux-ci doivent rendre compte au Conseil d'administration des résultats de leurs travaux. »68 La CDÉC CDN/NDG compte plusieurs de ces comités. D’abord, un comité d’orientation formé de trois membres du CA et de trois employés, qui prépare les documents d’orientation et de planification de la corporation. Les orientations font cependant l’objet de discussions au CA et sont conditionnelles à l’approbation par le CA et l’assemblée des membres. Il existe également un comité de ressources humaines composé lui aussi de trois membres du CA, de trois employés et du directeur qui est responsable de l’évaluation des dossiers et des négociations en ce qui a trait aux conditions de travail. Ensuite, il y a six comités pour l’allocation des différents fonds. Le comité économie sociale est responsable de la sélection des projets pour le Fonds d’économie sociale (FÉS), il est composé de cinq membres de la CDÉC, la plupart étant ou ayant siégé au CA, et de deux membres externes, un provenant du Fonds de lutte contre la pauvreté (FLCP) et l’autre du CLE (volet subvention salariale). Un seul comité est responsable de la sélection des projets pour le FLI et la SOLIDE. Ce comité est en fait le CA de la SOLIDE où siège deux membres du CA de la CDÉC. Pour le FDEM, un membre du CA siège au comité de sélection qui regroupe principalement des représentants de toutes les CDÉC puisque le FDEM est un fonds qui appartient aux CDÉC montréalaises. Pour les sélections de projets dans le cadre du FACILE, deux membres du CA de la CDÉC se joignent à ceux provenant de l’ACEM et du milieu. Enfin, pour les sélections de projet pour le FIL, géré conjointement avec le CLE de CDN et les mesures STA et JP gérées avec le SAJE Montréal-Centre, la CDÉC délègue deux employés sur les comités respectifs de sélection et d’allocation. Enfin, reste les deux comités dont nous avons déjà parlé soit le comité de travail sur les biotechnologies de la santé qui compte un membre du CA de la CDÉC et le comité de travail sur les TI qui compte deux membres du CA de la CDÉC Le financement et les bailleurs de fonds Comme les autres CDÉC, la CDÉC CDN/NDG est financée en majeure partie par les trois ordres de gouvernement soit municipal, provincial et fédéral. C’est la Ville de Montréal qui est le seul bailleur municipal. Au niveau provincial, les fonds proviennent du ministère de la Métropole et 68 Statuts et règlements de la CDÉC CDN/NDG, p.6 178 d’Emploi-Québec, alors qu’au fédéral, c’est Développement Économique Canada (DÉC) qui participe au financement de la CDÉC. Les revenus dont dispose annuellement la CDÉC CDN/NDG, toutes provenances confondues, atteignent presque deux millions de dollars (1,9$) en moyenne pour les trois dernières années, avec un total annuel des dépenses à peu près du même ordre. Tableau 14 : Répartition du financement selon les postes Employabilité Postes financés par Emploi-Québec (200 000$ - 86% salaires, 14% administration) 69 : - (Conseiller en placement) devenu un autre poste de conseiller en emploi - Conseillère en emploi - Conseillère en orientation - Agente initiatives locales Développement économique Postes financés par le MM (CLD) ( 566 000$ - 84% salaires, 16% administration) : - Conseillers en financement (2 – maintenant 3) – FLI, SOLIDE, FDEM, FACILE / analyse financière et suivi - Conseillère en marketing - Agents de développement en économie sociale - (Promotion artères commerciale) remplacé en 2002 par un deuxième poste d ‘agent de développement en économie sociale - Réception - Secrétariat - Comptable* - Directeur Postes financés par DÉC (160 000$ - 82% salaires, 18% administration): - Accueil et référence et service conseil en management - Agente de développement - Internet/Jeunes Promoteurs - Comptable* Poste financé par la Ville de Montréal (CLD) (80 000$ - 61% salaires, 39% administration): - Agente de développement - axes stratégiques * ce poste est financé ½ par DÉC et ½ par le MM La plus grande part des revenus provient du ministère de la Métropole pour le mandat de CLD, avec plus d’un million et demi de dollars en 2000-2001. Cependant, il faut noter que ce 69 Chiffres pour 2000-2001 (octobre 2000) 179 montant comprend la part de financement destinée aux fonds de développement locaux tel le FLI, le FÉS et la mesure JP. De façon plus détaillée, les services aux entreprises et aux entrepreneurs de la CDÉC CDN/NDG sont financés par le ministère de la Métropole, Développement économique Canada (DÉC) et la Ville de Montréal, alors que les services en développement de la main d’œuvre sont rendus possible grâce au soutien financier d’Emploi-Québec. La CDÉC a par ailleurs bénéficié du support financier de DÉC pour développer son site Internet pour les femmes d’affaires de CDN/NDG, Les Pléiades Les Fonds : provenance des ressources financières FLI ministère de la Métropole via le CLD de Mtl (environ 250 000 $ annuellement) SOLIDE Fonds de Solidarité des Travailleurs du Québec (FSTQ), ministère de la Métropole, Ville de Montréal, Caisse Populaire Desjardins de CDN et de NDG et députés provinciaux de CDN et NDG FDEM Fonds de Solidarité des Travailleurs du Québec (FSTQ), Investissements Québec, Développement Économique Canada, Ville de Montréal FACILE ACEM et CDÉC CDN/NDG FÉS ministère de la Métropole JP ministère de la Métropole via le CLD de Mtl FIL Emploi-Québec via le CLE de CDN En ce qui concerne les relations avec les bailleurs de fonds : « Le MAMM est un tout petit ministère qui compte très peu de fonctionnaires. Alors à part pour certaines choses spécifiques, comme les ententes, on a relativement peu de contact. Le plus souvent ce sera lors des CLP ou dans des comités de travail. On est un peu plus en contact avec les commissaires industriels de la Ville ou d’autres services de la Ville comme l’urbanisme. Sinon, c’est avec les partenaires locaux qu’on est le plus en contact » Claude Lauzon Il n’empêche que la relation avec les bailleurs de fonds nécessite des énergies sans cesse renouvelées. Et parfois, les visions ne se rencontrent pas toujours… « Parfois, ça devient un peu lassant de recommencer toujours les mêmes démarches auprès des bailleurs de fonds, c’est un peu lassant qu’on ne reconnaisse pas toujours le travaille effectué. En même-temps, c’est une autre vision du développement économique qu’eux portent et qui existe, plus près de celle que tu vois dans les commissariats industriels, alors il faut convaincre…c’est un beau défi. » Claude Lauzon 180 Claude Lauzon, directeur de la CDÉC CDN/NDG « Je n’ai pas de plan de carrière, je veux juste faire un travail qui est à la fois utile pour la communauté et qui va être valorisant pour moi en terme d’épanouissement personnel. Le reste c’est secondaire… » Claude Lauzon Un jeune directeur À sa sortie de l’université en 1984, Claude Lauzon, alors jeune bachelier diplômé en sciences politiques et en histoire, occupe différents postes « plus ou moins intéressants ». Puis, à la fin des années 1980, un an après la naissance de sa fille, il choisit de quitter le marché du travail pour s’occuper d’elle. Un choix qu’il ne regrette pas et dont il est même très fier : « j’ai choisi après le retour du congé de maternité de la mère de ma fille de rester avec ma fille pendant un an, c’est moi qui l’ai vue marcher la première fois…je m’en suis occupé particulièrement de ma fille et ça continue…». Puis en 1988, M. Lauzon retourne sur le marché du travail en décrochant un emploi à Tandem-Montréal, le programme de sécurité urbaine de la Ville de Montréal, dans le quartier CDN. C’est aussi à cette époque que Claude Lauzon commence à rédiger des articles pour le journal local. « Sans avoir de formation en journalisme ça m’intéressait, j’aimais ça écrire et lire…mais c’était vraiment pas payant, l’année suivante, j’étais toujours à temps partiel, rédacteur en chef, et ça me donnait un salaire astronomique de 100 $ par mois! » En 1989, suite à la campagne électorale provinciale, Gérald Tremblay est élu député libéral dans Côte-des-Neiges. Résident d’Outremont, M. Tremblay connaît alors très peu CDN.; sachant qu’il va probablement être nommé ministre et que de ce fait il aura peu de temps à consacrer à son comté, le nouveau député est alors à la recherche de quelqu’un qui connaît bien CDN. Or peu de temps auparavant, Claude Lauzon avait eu l’occasion de le rencontrer dans le cadre d’activités de journalisme et de faire avec lui des entrevues. M. Tremblay se souvenant de lui, lui offre le poste d’attaché politique, que M. Lauzon accepte. Effectivement, le ministre Tremblay est souvent absent, Claude Lauzon et un collègue s’occupent donc presque à eux seul du bureau de comté. 181 Sans le qualifier de modèle, Claude Lauzon conserve une certaine admiration pour son ancien patron : «Ce qui m’a impressionné chez cet homme là, c’est sa capacité de travail, sa discipline, son ouverture d’esprit et des fois l’image ne rend pas vraiment justice à l’homme parce que c’est un homme qui se semble pas très chaleureux, un peu renfermé, c’est quelqu’un qui a son jardin secret, qui est proche de sa famille, un peu académique mais en terme de personne que j’ai pu côtoyer au niveau du travail qui pouvait vraiment être une source, si on peut dire d’inspiration, s’en est une. » Cet emploi d’attaché politique occupera notre futur gestionnaire trois ans et là, sans le savoir, il prépare son avenir… « Au bureau de comté de Gérald Tremblay, j’ai travaillé un peu, quoique de loin, avec le CA provisoire qui était en train de mettre sur pied les premières fondations de la CDÉC et qui préparait l’Assemblée de fondation. » Peu de temps après cette assemblée, on affiche le poste de directeur général de la CDÉC…Claude Lauzon postule : « C’était une suite logique pour moi, le fait de travailler et d’habiter dans le quartier, il y avait un intérêt c’est sûr. Les problématiques qui avaient été mises de l’avant pour créer la CDÉC, j’y était associé parce que ce sont toutes des problématiques que tu voies quand tu travailles pour un député et que tu t’impliques le moindrement. Je les voyais aussi comme résident et je sentais que j’avais un peu plafonné si on peut dire par rapport à ça. Ce poste, c’était un défi de construire quelque chose. Je n’avais pas nécessairement l’expérience en administration aussi c’était un défi de plus au niveau personnel et au niveau local j’avais beaucoup de contacts, je connaissais tous les organismes communautaires, je connaissais les gens d’affaires, je connaissais beaucoup de monde … » Claude Lauzon est reçu en entrevue mais sa candidature termine…bonne deuxième! Déçu sur le coup, il explique ce choix par son manque d’expérience et peut-être aussi son âge : il n’avait alors que 32 ans! La personne retenue est effectivement plus expérimentée et plus âgée. Cependant, cette dernière accepte le poste à la condition de pouvoir faire quatre jours par semaine, ce que le CA refuse. Claude Lauzon obtient alors sa chance. 182 « J’ai apprivoisé l’aspect gestion relativement rapidement, ça c’est fait assez facilement parce que j’avais un bon sens politique; il y a eu beaucoup de négociation, beaucoup de stratégies à développer et ça c’était une des forces que j’avais. Et comme aussi j’avais entretenu des bonnes relations avec des gens que je connaissais dans les ministères via Tremblay, avec les élus locaux, avec les organismes, ça aussi ça a aidé. Je connaissais moins NDG, un peu mais moins mais ça aussi on a pu passer au travers. Un beau défi. J’ai mis bien des heures, bien de l’énergie, quelques fois des maux de tête, mais créer quelque chose en même temps c’est valorisant, c’est stimulant. » D’autant que, nous l’avons vu, la première année n’a pas été de tout repos. Mais, presque dix ans plus tard, Claude Lauzon est toujours en poste. Maintenant à 41 ans, Claude Lauzon reste le plus jeune des directeurs et directrices de l’Inter-CDÉC, tout en étant aujourd’hui leur « doyen », car c’est lui qui a le plus d’ancienneté… Un geste vaut mille mots… Pendant ses années de CEGEP, Claude Lauzon s’implique. Il participe aux activités de l’association étudiante, à la journée de débrayage organisée par les étudiants autour de la question des prêts et bourses. Il assiste aux réunions et aux activités de réflexion d’un petit comité d’action politique et fait de la radio étudiante. Puis, Claude Lauzon arrive à l’UQÀM, c’est le début des années 1980, la morosité s’est installée; l’échec du référendum, l’élection de Reagan, l’assassinat de Lennon, la récession et les efforts de rationalisation… « Une espèce de transition les années 80, ça ne m’a pas vraiment incité à militer. Tout ce qu’il y avait à part l’association étudiante, c’était des groupuscules essentiellement d’extrême gauche, je ne me retrouvais pas là-dedans. Le référendum était déjà une chose du passé, j’avais milité au référendum; mais c’était une grande défaite ça avait suscité beaucoup d’espoir et ça a été une grosse claque, donc le moral était à la baisse » Mais il faut dire que Claude Lauzon n’est pas de ces militants qui s’enflamment pour une cause en portant la parole plus haut que le geste. Non, c’est un homme d’action, mais d’action concrète, pas pour lui les grands discours, les gestes d’éclats : 183 « Moi par exemple, je ne le dis pas nécessairement à n’importe qui mais moi je suis quelqu’un qui va donner du sang à Héma-Québec. Je trouve que c’est important: c’est gratuit, ça prend une heure de ton temps et ça aussi c’est une forme d’implication dans une société, en fait de don que les gens peuvent faire. Et quand tu as des enfants qui sont malades, tu dois être content qu’il y ait du sang à Ste-Justine. » Aussi Claude Lauzon ne se considère pas plus aujourd’hui comme un militant : « Mon implication à titre d’individu dans la société s’est faite à d’autres niveaux [que le militantisme]. Après la naissance de ma fille, j’ai été 7 ans au comité d’école, ça a été une implication bénévole qui était importante parce qu’on a fait plusieurs projets. J’ai donné du temps à la garderie aussi, quand ma fille était à la garderie, et pendant des années, avec d’autres personnes, j’ai aidé à organiser la St-Jean Baptiste à CDN, on faisait un gros feu de la St-Jean dans le Parc JeanBrillant. Avec le Mont-Royal pas loin, j’ai participé quelques années à la collecte du Mont-Royal au mois de mai, une journée pour essayer de nettoyer la montagne…ça a été plus des choses qui m’ont touché dans mon environnement, pas faire de grands discours, pas de grandes choses mais des choses concrètes, des actions dans le quotidien mais qui ont quand même leur importance… » Plus récemment, il a accompagné un collaborateur de longue date à travers de graves problèmes de santé. Une autre façon de s’impliquer concrètement mais qui l’a profondément marqué… « Notre président qui travaille aussi à CDN, a surmonté un cancer l’an passé. Je l’ai un peu accompagné, je suis allé lui rendre visiter chez lui, il restait tout près. J’ai suivi ça depuis le début. Ça je dirais que ça m’a impressionné, une belle leçon de courage, de volonté : t’es jamais sûr de gagner ton combat, il a dû surmonter d’énormes souffrances…tu ne sais pas si tu vas guérir, t’as une jeune famille…ça c’est des choses qui marquent et qui font prendre conscience que c’est maintenant que tu vis et de ne pas trop investir dans demain. » Vivre Montréal Claude Lauzon est un véritable montréalais; né à Montréal, il a grandi avec sa famille dans le quartier Rosemont. Il n’a jamais quitté Montréal et comme un vrai montréalais, il est passionné de sa ville… 184 « Je suis vraiment un type urbain, j’aime la ville. Je déteste la campagne, pas parce que ce n’est pas beau mais parce que je m’y ennuie. Je passe toutes mes vacances d’été en ville, dans le béton, je suis bien et je profite aussi de ce que Montréal a à offrir. C’est ça aussi la différence, je n’ai pas de permis de conduire et je n’en aurai jamais; je voyage en transport en commun ou en bicyclette, je suis à l’affût, je lis beaucoup de choses sur Montréal, tous les journaux, Hour, Voir,..J’aime ma ville, je la connais bien, je la parcoure souvent. J’ai pris une semaine de vacances la semaine passée, je n’ai fait que des choses en ville. Tu veux sortir, les services sont là, tu veux aller prendre un verre, tu as le choix. Moi, quitter Montréal, j’irai à N.Y. ou j’irai nulle part…Et ça se voit aussi, quelqu’un qui est un vrai montréalais et qui aime Montréal va vivre à Montréal à l’année longue sans problèmes.» Claude Lauzon Claude Lauzon aime aussi son quartier, Côte-des-Neiges, lieu de résidence et de travail : « Même ma fille, qui a 15 ans est un peu le produit de CDN, elle a toujours fréquenté une école de CDN et elle s’enligne pour aller à l’Université de Montréal… Et moi, je ne sais pas si je vais finir mes jours ici mais j’y suis depuis près de 20 ans et on a notre terrain de famille au cimetière CDN alors pour l’éternité je vais être à CDN!» C’est que Claude Lauzon a le sens de l’humour, et aime bien rigoler…N’empêche que pour lui, habiter et travailler dans le même quartier présente un avantage certain surtout dans le cadre du poste qu’il occupe : « C’est ça qui est intéressant aussi quand tu habites dans ton milieu, tu vois que tu travailles pour ton milieu, c’est différent que de résider en banlieue ou dans un autre quartier. Aussi quand tu as des enfants, élever des enfants, c’est une autre dynamique, tu vois d’autres problématiques. Et même si parfois tu vas te promener un samedi et que quelqu’un qui travaille dans le milieu ou qui habite ici va t’accrocher pour avoir telle chose, sommes toutes c’est quelques minutes et c’est une plus value moi je trouve… » Speak french ! Anglais ou français ? La question de la langue, c’est de famille pour Claude Lauzon; sa grand-mère maternelle était une « irlandaise d’Irlande » arrivée à Montréal au début du siècle. 185 Catholique anglophone, elle s’était mariée ici avec un catholique francophone; c’était l’époque où il valait mieux être du bon côté de la religion que de la loi 101! « Ma mère, avec sa sœur et son frère restaient dans la Petite Patrie. Ils ont été à l’école française et jouaient dans la rue en français mais à la maison ils ne parlaient qu’anglais parce que ma grand-mère n’a jamais parlé français et comme mon grand-père était bilingue, ça parlait anglais à la maison et français à l’extérieur… » Orpheline à l’âge de 15 ans, la mère de Claude Lauzon n’a pas le choix de travailler. Elle sera caissière dans une banque, jusqu’à son mariage avec M. Lauzon, menuisier de formation. Ce dernier travaillera quelques temps dans la construction avant d’être embauché comme inspecteur pour le service d’habitation de la Ville de Montréal. De cette union naîtront quatre enfants, deux filles et deux garçons, Claude étant le dernier de la famille. Quand on lui demande si sa famille, parents, frère et sœurs, ont eu une influence sur son cheminement, ses choix, la réponse est catégorique : « Pas du tout, pas du tout, on est tous très autonomes, on se fréquente très peu, on a peu de contact et on a eu peu d’influence les uns sur les autres. Peut-être les parents un peu mais … je me souviens, ma mère quand j’étais jeune me disait : dans le fond il y a deux professions que tu devrais faire, à mon avis qui sont les deux seules vraies professions, c’est soit médecin ou prêtre, sauver des vies, sauver des âmes… » C’est que Mme Lauzon est la digne fille de sa mère : « C’était une irlandaise catholique pratiquante, ma mère faisait sa prière matin et soir, à genoux au pied de son lit, et ce jusqu’à la fin de sa vie, faut y croire ! ». Quant à son frère, qui est handicapé (il est sourd), et ses sœurs, chacun a fait son chemin de façon assez indépendante. Tous sont éparpillés dans la ville et leur mère étant décédée depuis une quinzaine d’années, ils ne se voient que rarement. Claude Lauzon est un homme très dynamique, franc et direct qui ne mâche pas ses mots, fier et indépendant peutêtre est-ce là son héritage irlandais ? Et peut-être est-ce d’être un petit fils d’immigrée qui lui donne cette ouverture envers les autres : « Pour moi la multi-ethnicité du quartier, c’est une richesse. Autant au niveau des services ou autre, c’est chouette…moi j’ai des amis, des connaissances de différentes origines alors, je connais des gens de la communauté juive, de la communauté noire, de la communauté vietnamienne,..ils m’ont amené chez eux, 186 j’ai participé à différentes fêtes, j’ai fait des choses, on a fait des choses ensembles et ça aussi je trouve que c’est riche… » Ce respect de la différence fait d’ailleurs partie de ses principes de gestion, avec le professionnalisme et la diligence. Des principes qu’il s’efforce d’appliquer quotidiennement dans sa gestion mais aussi qu’il entend retrouver chez ses employés : « Ce que je demande aux gens c’est ce que moi aussi j’essaie d’avoir. En premier, le professionnalisme, que je résumerais essentiellement à faire ce que tu dois faire et à bien le faire, ce n’est pas du bénévolat ici. Comme je le dis souvent aux gens ici, il n’y a personne qui est éternel, le jour où vous me direz que vous n’aimez pas tellement votre travail, que vous êtes ici juste pour votre salaire, ça ne fait plus très professionnel. Deuxièmement, c’est la notion de respect et d’ouverture à l’autre et à la différence, c’est incontournable dans un milieu multiethnique autant que la question de la langue anglaise/française. Troisièmement, la diligence : faire ce que tu dois faire en fonction des délais, en fonction de plusieurs choses. Ce qui soustend d’autres notions comme la ponctualité, ça a l’air simple mais je trouve que c’est important…moi je suis quelqu’un de ponctuel et je veux que mes gens soient ponctuels. La diligence c’est aussi de ne pas remettre au lendemain ce qu’on peut faire aujourd’hui, donc de prévoir de s’organiser. C’est ça essentiellement et à travers tout ça, c’est pas nécessairement un principe mais c’est le désir de se réaliser. » Le désir de se réaliser, c’est aujourd’hui pour Claude Lauzon la recherche d’un nouvel équilibre… « J’ai vu la femme d’un de mes ex-collègues décéder d’un cancer à 35 ans l’an passé, ça fait réfléchir. Ma fille termine son secondaire, donc ce n’est plus un projet de vie, alors j’essaie plutôt de me recentrer sur moi. Ça a été autour de la quarantaine, tout ça a coïncidé, il a fallut que je fasse le point, ça n’a été pas très difficile mais il a fallut aussi que j’accepte des choses et que je remette des choses en question et comme je ne suis pas quelqu’un qui pense à la retraite, je ne la vois même pas, je me suis donc au cours des deux dernières années concentré sur tout ce qui concernait mon équilibre, au niveau de la santé physique, de la santé mentale, les sentiments, et j’en suis là…c’est-à-dire que j’arrive à travailler un nombre d’heures raisonnable, à ne pas faire trop de temps supplémentaire pour que quand je quitte mon travail, j’ai une autre partie de mon temps qui soit consacré plus à moi…en pensant à moi, en faisant du sport, en prenant soin de ma santé, de faire en sorte d’être heureux mais encore une fois je suis beaucoup plus préoccupé par le moment présent que par des plans quelques ce soit, autant dans ma vie personnelle que dans ma carrière…Alors on verra bien à 50 ans; j’ai seulement 41 ans tout ça c’est loin. » 187 Un feu roulant… « Le gros avantage d’un emploi comme le mien et c’est pas une blague, c’est que la routine n’existe pas. Je n’ai pas vu en neuf ans une journée de routine, parce qu’il il y a de l’imprévisible partout, même si il y a des tâches qui reviennent …C’est un peu un feu roulant d’activité du matin au soir.» Tout les matins, Claude Lauzon se rend à son travail à pied été comme hiver, ce qui l’aide à relaxer dit-il. Il aime arriver tôt, vers 8h30. Il peut alors prendre les messages, télécopies ou courriels arrivés depuis la veille mais surtout il utilise ce temps précieux pour se faire un petit planning de la journée en fonction des rendez-vous à l’agenda, des tâches hebdomadaires, des échéances. De cette façon, il se fixe un temps limite pour chaque chose qu’il a à faire dans la journée. Le directeur de la CDÉC, n’ayant pas pour le moment d’adjoints, coordonne tous les services et tous les agents, aussi sa porte est-elle toujours ouverte, à moins d’une réunion ou d’un entretien privé. Les gens viennent alors le voir pour des demandes ponctuelles, des précisions, ou des problèmes. Quand il est là, il essaie toujours d’être le plus disponible possible pour l’interne. Souvent aussi, il profite du répit de l’heure de dîner, alors que le répondeur est en marche, pour faire des lectures, écrire ou passer au travers du « in-basket ». L’écriture prend d’ailleurs une place importante pour Claude Lauzon entre les rapports, les articles et chroniques qu’il continue d’écrire pour les journaux locaux, les lettres… Dans la mesure du possible, le directeur de la CDÉC CDN/NDG essaie de ne jamais passer plus qu’une journée ou une journée et demie à l’extérieur du bureau, puisqu’il n’y a pas de coordonnateur en son absence. Aussi, tient-il toujours la réceptionniste au courant de l’heure et l’endroit où elle peut le rejoindre, en cas d’urgence. La journée ne se termine pas toujours à cinq heures non plus, sans compter les réunions qui ont lieu en soirée, CA, comité locaux des partenaires, comités de travail… « La plupart du temps, j’arrive à fermer mes tiroirs quand je quitte mais des fois, à part quand j’ai des réunions le soir, je vais m’apporter des documents, comme je l’ai fait hier alors que j’avais des choses à finir pour aujourd’hui. Donc j’ai lu un peu hier au soir chez moi, ça ne me dérange pas, en mettant un peu de musique, de passer une heure à l’occasion à lire des documents, ou écrire quelque chose, ce n’est pas un problème. » Ce qui lui plaît le plus dans son travail ? 188 « D’une part, je dirais que c’est le défi de contribuer de façon tangible au développement socio-économique du milieu…concrètement, ça veut dire que toutes les interventions, surtout les employés qui les font, qui sont réalisées ici avec tous les types de clientèles: gens sans revenus, sans emplois, entreprises, entreprises d’économie sociale, organismes ou autres, ce sont de petites pierres qui s’additionnent l’une l’autre dans un édifice que l’on pourrait appeler le développement économique social » Les rapports d’étapes et annuel sont pour Claude Lauzon une occasion privilégiée de constater les efforts, les résultats et les progrès accomplis. « Un grand plaisir est de faire les rapports d’activités et de dire que les résultats sont atteints totalement, partiellement, mais aussi d’y aller un petit peu avec du qualitatif pour expliquer qu’est-ce qui a conduit à ça, qu’est-ce que ça a nécessité et souvent, ça a été souvent le cas où est-ce qu’on a pu innover parce que ce n’est pas juste de « faire », on n’est pas une shop, une manufacture… » Aussi, Claude Lauzon est très fier des réalisations de la CDÉC et de son équipe comme le bilan de compétence en employabilité, le site Internet pour les femmes d’affaires de l’arrondissement ou encore le procès de l’économie sociale. « Le bilan de compétences en employabilité, je pense qu’il va falloir que je mette un copyright dessus parce que tout le monde en employabilité va vouloir le prendre! C’est le résultat d’une réflexion de ces gens là qui travaillent dans ce domaine là depuis des années et qui va être un outil complètement nouveau. Ça n’existait pas et maintenant ça va exister à la CDÉC. Un autre exemple, c’est le procès de l’économie sociale, c’était de la création, c’était juste de démystifier et de vulgariser et il y a eu du plaisir à faire ça, il y avait de l’originalité et il y avait de la créativité, ça je dirais que c’est le bout de plus le amusant mais tu ne peux pas toujours le faire… » Inversement, ce qu’il aime le moins, c’est une partie de la direction et de la gestion des ressources humaines, soit l’arbitrage des conflits interpersonnels entre les employés ou encore d’avoir à rencontrer des employés pour trouver des explications si le travail a été mal fait ou si l’employé a carrément tourné les coins ronds. « Je n’aime pas cela parce que souvent j’ai l’impression d’avoir une relation paternelle. Et souvent c’est un manque de confiance en soi ce qui va faire en sorte 189 qu’ils vont soit se protéger en agissant de telle façon, soit trouver une excuse si la chose est mal faite. » Aussi, Claude Lauzon a décidé de mettre des énergies, et des sous, sur ces problèmes. Un consultant est venu travailler avec toute l’équipe sur des questions comme la communication entre les employés, le travail d’équipe, l’esprit d’équipe. « C’est beau quand tu fais ces formations là, les gens y participent de bonne foi mais les gens ont la mémoire courte très souvent! C’est le seul volet que je peux dire que je n’aime pas. Il y a des gens ici avec qui je n’ai jamais de problème, il y en a d’autres avec qui j’ai des problèmes ponctuellement, c’est le seul bout que je déteste et je ne m’en cache pas… » Claude Lauzon fait annuellement une évaluation de chacun des employés et de façon générale, le résultat est satisfaisant. Et cette année, pour la première fois, un employé n’a pas eu sa probation, une expérience que le directeur a trouvé difficile. Quant à son évaluation à lui, Claude Lauzon est le seul avec la directrice de la CDÉC Rosemont /Petite Patrie dont l’évaluation est faite par tous les administrateurs et tous les employés de la CDÉC. « Il ne faut pas avoir peur! Tous mes employés pourraient me mettre zéro, il y en aurait autant que les administrateurs puisqu’on fait une moyenne à la fin. Mais je sais que je suis un bon boss, que je fais une bonne job parce que j’essaye tout simplement d’être le patron que j’aimerais avoir alors ça ne m’inquiète pas, mais si on décrétait que tous les directeurs et directrices d’organismes auraient systématiquement une évaluation aussi par leurs employés, il y en aurait qui donneraient leur démission avant même d’être évalués, de peur de se faire planter et fort probablement légitimement. Alors j’essaie plutôt d’être le patron que j’aimerais avoir, c’est plus sûr… » Et à en croire une de ces employés, qui l’identifie comme le plus gros porteur, c’est plutôt réussi… « Le gros porteur, à la CDÉC, c’est Claude [Lauzon]. Si la boîte fonctionne bien, parce que selon les bailleurs de fond on est des bons élèves, on fait bien nos devoirs, on est dans les normes, c’est à lui d’abord qu’on le doit, et nous, on l’appuie. D’ailleurs, si aujourd’hui on changeait de directeur ce ne serait pas la même CDÉC demain. Claude, il y croit beaucoup et tant qu’il va y croire, il va être là. Il est aussi très disponible; si tu essaie d’appeler, de parler à un directeur d’une autre CDÉC, souvent il faut que tu sois quelqu’un de spécial pour avoir l’appel. 190 Tandis que Claude, tout le monde peut le rejoindre. Que ce soit un ministre ou bien le balayeur...Claude n’est pas là pour rien non plus : il est bon en politique, il a ses contacts et puis il est très stratégique, il voit venir les enjeux. À l’Inter-CDÉC aussi il a sa place avec les autres directeurs. Il s’implique beaucoup, je l’ai vu dans des assemblées générales, il animait, il faisait le secrétaire, il faisait tout, répondait aux questions, toujours à l’aise. Il a le tour là-dedans, c’est quelqu’un de spécial, de précieux. » Mona Lavoie L’avenir… « Mon cheminement de carrière, c’est pas par carriérisme, c’est pas par opportunisme, c’est par intérêt et ça a été plus conjoncturel, tous mes emplois ont toujours été une série de hasards et de facteurs qui n’étaient absolument pas prédéterminés. Je ne resterai pas toute ma vie à la CDÉC, mais où je vais aller après je n’en ai aucune idée. Je n’ai jamais eu de plan de carrière, je n’en veux pas. J’aime faire quelque chose que j’aime, avoir un salaire décent et ça s’arrête là. Mais je vais être ici encore un petit bout de temps parce qu’ il y a des choses que je veux faire… » Parmi les défis à relever prochainement, Claude Lauzon énumère : le statut des CDÉC et des CLD avec la réforme municipale (fusions), l’établissement d’une entente triennale avec EmploiQuébec, les activités pour le dixième anniversaire de la CDÉC… « C’est occupé, ça c’est indéniable, on ne fait pas des semaines de 35h, mais on n’en fait pas de 70 non plus! C’est stimulant et surtout quand tu travailles sur quelque chose qui n’est pas seulement conjoncturel mais que tu travailles sur des projets, de savoir que ça progresse… Il faut être très alerte et il faut souvent trouver des réponses rapidement, généralement en les créant.» 191 Chapitre 7. Le cas du gouvernement québécois Historique : l’évolution des protocoles État/CDEC Dès le milieu des années 1980, l’État québécois s’engage, quoique marginalement encore, dans le développement local en soutenant les premières CDÉC à Montréal par le biais de l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ). « C’était une demande du PEP qui, vers 1984-85, c’est-à-dire juste avant les élections, s’était adressé au gouvernement pour obtenir du financement. À l’époque, il n’y avait pas de possibilité de financer ce genre d’organisme à part par l’OPDQ qui avait alors un fond qui lui permettait de financer beaucoup d’initiatives. Et puis, il y avait déjà dans l’air à ce moment là toute la question du développement du Canal de Lachine, dont le PEP avait fait un cheval de bataille. C’était dans ce contexte que Nancy Neamtan du YMCA de la Pointe et Michèle Soutière de la Clinique populaire de Pointe-St-Charles s’interrogeaient sur la pertinence de travailler sur le logement, sur la main d’œuvre sans travailler sur l’emploi et la création d’entreprises. Et puis, en même temps il y avait ces modèles de corporations de développement économique qui existaient aux Etats-Unis, en Angleterre, en France : lier l’économique et le communautaire, ce qui changeait quand même... Alors on avait financé une étude par le PEP sur le Canal et peu de temps après, on avait assuré le financement des trois premières CDÉC. » Martial Fauteux, conseiller au ministère des Affaires municipales et de la Métropole Les protocoles de 1985 et 1987 Ainsi, en 1984, l'adéquation entre le projet proposé localement par le PEP, le Programme économique de la Pointe (St-Charles), et le plan de relance économique du gouvernement québécois avait permis l'octroi d'un financement rapide pour une première étude de faisabilité. Et déjà à cette époque, la Ministre Marois entrevoyait la possibilité de reprendre la formule de travail du PEP dans d'autres quartiers défavorisés. S'amorce alors un compromis entre le PEP et l'État : le PEP tentait de légitimer et d'implanter une intervention communautaire dans le champ de l'économie mais voilà que s'ajoute la volonté de la Ministre de faire de l'expérience de Pointe StCharles un programme formel d'intervention en développement local du territoire. D'une approche très locale, les intervenants du PEP se voient donc orientés vers une approche beaucoup plus générale pour la promotion du développement économique communautaire en milieu urbain. Par 192 ailleurs, une fois le rapport de l'étude de faisabilité du PEP déposé en avril 1985 et à l'approche des élections provinciales, la Ministre Marois dépose un mémoire au Conseil des Ministres en août 1985, qui sera accepté par le Conseil du trésor en octobre 1985 pour la mise sur pied et le financement de 3 projets-pilotes pour un an seulement (en fait jusqu'en mars 1987). Ce mémoire représente une première appropriation et définition par l'État des règles du jeu, le PEP, une fois l'étude de faisabilité terminée n'ayant pas été consulté ou appelé à participer à l'élaboration de la proposition présentée au Conseil du Trésor. Les deux autres initiatives seront celles d'Alerte Centre Sud et du Programme Action/Revitalisation Hochelaga Maisonneuve (PARHM) dans l'Est. C’est ainsi que le premier protocole, celui de 1985, sera géré par l’OPDQ. Le bureau de l'OPDQ de Montréal est alors chargé de l'encadrement, de l'évaluation des résultats de l'expérience et de l'envoi de recommandations au ministre responsable. Les termes de ce premier protocole ne définissent en aucun cas la façon dont devront être dépensés les fonds alloués aux CDÉC : aucune mention d'orientation particulière, de dimensions à privilégier ou de clientèle à prioriser. L'OPDQ prend pour acquis que le travail des CDÉC correspond au plan d'action que chacune d'elle a déposé, condition préalable à l'obtention du financement. Il y a cependant des mesures de contrôle très précises : quatre rapports seront à remettre pendant la durée de la subvention. Un deuxième protocole, de soutien aux entreprises, prévoit aussi la création d'un Fonds régional d'investissement (FRI), le développement de l'employabilité et l'insertion devra alors se faire par le biais des programmes existants. Les CDÉC réussissent à négocier l'utilisation de 40% du FRI pour des études de faisabilité pour deux projets. Le reste de la subvention (60%) doit servir à soutenir le démarrage d'entreprises, des critères sont d'ailleurs spécifiés quant au type de projets aptes à recevoir du financement. Ce premier protocole oriente déjà l'activité des CDÉC vers le soutien aux entreprises traditionnelles plutôt que vers l'insertion de personnes sans emploi par le soutien à l’employabilité. On s'éloigne donc déjà d'une détermination génétique des activités par les "usagers" ou les intervenants. Suite aux élections, les libéraux succèdent aux péquistes, ce qui retarde le renouvellement du protocole de 1985. Ce dernier ne sera renouvelé que plusieurs mois après sa date d'échéance. Le contenu du protocole de 1987 est fort semblable au protocole de 1985, seuls sont apportés des 193 changements au Comité régional de gestion, qui devient un Comité de gestion et au FRI duquel les fonds devront maintenant être consacrés en totalité au financement et au soutien aux entreprises. Par contre, l’entente sera cette fois triennale. Mais, le principal changement concerne un deuxième compromis : la reconnaissance des CDÉC mais la nécessité de les voir s'autofinancer. Or, en 1989, devant le peu de succès de cette formule, les CDÉC demandent une réouverture du protocole. Les négociations seront longues et serrées. La réouverture s'accompagnera d'une évaluation du dossier des CDÉC montréalaises dans le but d'étudier le renouvellement et l'élargissement de l'expérience-pilote. Suite à cette évaluation, un nouveau protocole sera signé, en 1989, assurant aux CDÉC un financement adéquat pour la dernière année du protocole initial. Par ailleurs, le bureau de l'OPDQ de Montréal, s'appuyant sur cette évaluation recommande à la ministre responsable la transformation de l'expérience-pilote en véritable programme de soutien. Le protocole de 1990 « La décision des divers paliers gouvernementaux de financer des expériences locales qui s’appuient sur le développement économique communautaire indiquait leur intention de promouvoir des solutions nouvelles face aux problèmes de l’emploi. » Extrait du rapport synthèse de l’évaluation des CDÉC, avril 1994, p.2 C’est ainsi qu’en 1990 l’OPDQ avec d’autres ministères déposent un mémoire conjoint avec un projet de financement non plus triennal mais quinquennal! Le projet est ambitieux… « Le projet s’appelait « Le financement des corporations de développement économique et communautaire dans les quartiers défavorisés de Montréal ». C’était le premier financement de cinq ans, ce qui était énorme parce que des organismes qui étaient financés cinq ans à l’époque il n’y en avait pratiquement pas! Alors, c’était le plan soumis à ce moment là : sur 5 ans, avec chacun des ministères qui contribuaient ainsi que la Ville de Montréal et le fédéral. C’est là aussi qu’a été proposée la mise sur pied du Comité d’harmonisation des bailleurs de fonds » Martial Fauteux 194 Sont alors précisés pour la première fois et de façon formelle des critères de sélection de projets (voir tableau 8). À ces critères s'ajoute un plan minimal de développement des CDÉC. Tableau 15 : Les critères de base de reconnaissance et de financement des CDÉC Tels que proposés par l’OPDQ en 1989 et utilisés depuis 1990 par le gouvernement du Québec 1. Représentativité : - conseil d’administration élu par une assemblée générale - assemblée générale annuelle - conseil d’administration représentatif du milieu 2. Territoire d’intervention inclus dans la zone prioritaire définie par l’OPDQ 3. Plan d’intervention axé sur les mandats reconnus par l’OPDQ - Soutien à la planification et concertation : stratégie de relance, concertation, promotion - Soutien à l’employabilité à la formation - Soutien à l’entrepreneurship et à la création d’emplois permanents 4. Soutien du milieu (financier et technique) Source : document remis par Martial Fauteux La CDÉC qui répondrait à ces quatre critères pourrait obtenir une aide financière qui serait ajustée en fonction des éléments suivants : l’étape de développement de la CDÉC (démarrage ou expansion); son plan d’action (champs d’intervention retenus) ; le volume des clientèles visées par le plan d’action, le degré général de « défavorisation » du territoire. C’est suite au dépôt du mémoire qu’un nouveau protocole est signé en 1990, entre les CDÉC et le gouvernement québécois mais aussi avec le gouvernement fédéral et la Ville de Montréal. L’implication de la Ville est particulièrement importante et correspond aux orientations de l’administration municipale qui vient de déposer son nouveau plan d’action, Partenaires dans le développement économique des quartiers, qui fait une large place au développement local. Dans ce plan, la Ville reconnaît aux CDÉC une « vocation de pôle intégrateur, au niveau local, des efforts publics, privés, syndicaux et communautaires dans le but de lutter, de façon cohérente et 195 efficace, contre les problèmes de chômage et de pauvreté dans les quartiers défavorisés »70 et leur octroie un financement particulier à ce titre. Les CDÉC sont donc reconnues comme un lieu de concertation, concertation qui visera à « faire la promotion de l’arrondissement, faire la promotion de la main d’œuvre locale et stimuler l’entrepreneurship »71 au sein de leur territoire. Un nouveau compromis s'articule donc autour de la reconnaissance du développement local de l'économie comme une stratégie efficace permettant de s'attaquer aux problèmes de revitalisation socioéconomique des zones urbaines défavorisées. Cette reconnaissance institutionnalise les CDÉC comme, non plus des initiatives communautaires mais bien des initiatives locales de développement de l'économie (Fontan 1991). Le cadre de financement est maintenant quinquennal et les critères de reconnaissance et de financement sont retenus. Ainsi, le protocole, comme le plan d’action de la Ville de Montréal, identifie les trois grands axes d’intervention des CDÉC : la concertation, le développement de l'employabilité et l'insertion et le soutien aux entreprises existantes ou en démarrage. Ce nouveau compromis reconnaît aussi la logique favorisant l'implantation des CDÉC sur d'autres territoires, selon le cadre proposé par la Ville de Montréal : une CDÉC par arrondissement. Comme le caractère représentatif et démocratique devient un critère d'admissibilité, les paliers provincial et municipal insistent pour l'élargissement de la concertation entre tous les acteurs de la communauté : syndicats, secteur privé, institutionnel, résidents et organismes communautaires. De plus des mesures de contrôles très serrées sont mises en place, principalement par la Ville de Montréal. Le protocole de la Ville de Montréal est beaucoup plus normalisateur que celui de l'OPDQ qui laissait une bonne marge de manœuvre aux CDÉC. Les exigences de l’OPDQ envers les CDÉC étaient que ces dernières soumettent un plan d’action annuellement, un rapport d’étape au sixième mois de l’année financière et un rapport de fin d’années. La Ville, elle, va exiger à travers le protocole : 1) le respect des territoires d’intervention aussi un usager de l’extérieur du territoire devra être référé à la CDÉC de son arrondissement ou à un autre organisme, 2) le droit de déléguer un observateur sur les CA de CDÉC, 3) un certain contrôle sur le plan d'action des CDÉC en ayant la possibilité de préciser les volets que ce dernier doit toucher et les documents devant l'accompagner de même que le droit de faire reprendre ces documents pour qu’ils soient à la satisfaction des bailleurs de fonds(article 4.3 de l’entente). Il importe de préciser que si la Ville impose tant de contraintes, c'est 70 Partenaires dans le développement économique des quartiers, Ville de Montréal, février 1990, p.29 71 idem 196 qu'elle prévoit faire des CDÉC une extension de la Commission d'initiative et de développement économique de Montréal (CIDEM). Enfin, le financement alloué dans le protocole de 1990 l’est dans deux enveloppes budgétaires : une concernant le financement de base et une concernant le financement pour la tenue d’activités spécifiques. Le financement de base sera assumé par le provincial et le municipal à raison de 60% provenant de la SQDM et de 40% provenant de la Ville de Montréal. Le provincial désirant garder le contrôle sur les questions de développement refuse que le fédéral puisse contribuer au financement de base. Quant au financement des activités, tous les ordres de gouvernement peuvent contribuer. Ainsi, pour les activités dans le domaine de l’employabilité, les CDÉC reçoivent entre autres des fonds du gouvernement fédéral (Développement ressources humaines Canada) et de la SQDM via le programme du Fonds d’adaptation des quartiers défavorisés (FAQD), alors que pour les activités du service aux entreprises, le MICST finance une ressource. D’autres ministères peuvent être sollicités pour des ententes ponctuelles sur la base de projets, ainsi le RESO signera jusqu’à six protocoles d’ententes avec différents ministères dans le cadre de ce financement des activités Le Comité d’harmonisation de Montréal (CHM) La création d’un comité regroupant les bailleurs de fonds des CDÉC, soit les trois ordres de gouvernement, faisait partie de la proposition soumise au Conseil des ministres en 1989-1990 en vue de la signature de ce qui sera le protocole de 1990. Le protocole de 1990 est effectivement caractérisé par un engagement plus important des gouvernements municipal et fédéral aux côtés du provincial. Ce comité a pour mandat principal d'harmoniser les interventions des différents paliers de gouvernement au niveau du financement des CDÉC. Un de ses souscomités se penchera d’ailleurs sur la question de l'évaluation des CDÉC et du renouvellement du protocole. Ce comité est composé de représentants des trois paliers de gouvernement. Ainsi en 1994-1995, y siégeaient un représentant de la Ville de Montréal (représentant de la CIDEM), deux représentants du gouvernement provincial (SQDM et MICST) et un représentant de Développement ressources humaines Canada (DRHC). Principalement, le comité se réunit pour évaluer les plans d’action soumis par chacune des CDÉC et pour évaluer les 197 « accomplissements » de ces dernières à la réception des rapports d’étape ou rapports d’activités annuels. S’il y avait effectivement des protocole de signés entre les ministères et les CDÉC, il n’y avait pas à prime abord véritablement d’attentes signifiées ou de « commandes » de la part du gouvernement. En fait, une fois une CDÉC reconnue comme répondant aux quatre critères cités plus haut, le comité se penchait alors sur son plan d’action. Une fois accepté par le comité, le contenu de ce plan représentait alors les attentes signifiées de la part des bailleurs de fonds et le critère d’évaluation des résultats. Dans les faits, on constate même que les bailleurs de fonds débloquaient une partie des fonds à la réception des plan d’action, sans les avoir encore véritablement étudiés parce que cette analyse des plans était plutôt longue et pénalisait les CDÉC qui nécessitaient l’allocation de ressources financières pour pouvoir poursuivre leur travail. Enfin, si à l’étude par le CHM du plan d’action ou lors de l’évaluation des résultats atteints par la CDÉC se présentait un problème, résultats loin des attentes par exemple, les membres du CHM rencontraient alors le CA et le directeur ou la directrice de la CDÉC pour discuter et faire des suggestions ou recommandations. En 1997, le comité était composé douze membres dont deux provenant de la SQDM, trois provenant de la Ville de Montréal ( un représentant du Service de la Sécurité du revenu et deux du Service du développement économique), deux provenant du Bureau fédéral de développement régional, d’un représentant du milieu des affaires, du directeur régional de Montréal et d’un conseiller du MICST, du directeur du CRDÎM et du sous-ministre du ministère de la Métropole. L’évaluation de 199472 et le renouvellement du protocole en 1995 Dans le cadre du renouvellement du protocole quinquennal de 1990 et des travaux du comité sur l’évaluation des CDÉC, une vaste démarche d’évaluation est entreprise en 1994, tel que prévu par le protocole de 1990. Un comité est d’ailleurs mis sur pied à cet effet, réunissant des représentants de la Commission d’initiatives et de développement économiques de Montréal (CIDEM), la Société Québécoise de Développement de la Main-d’œuvre (SQDM), Développement 72 Une grande partie de informations rapportées ici est tirée du rapport synthèse de l’évaluation intitulé : Recommandations du comité d’harmonisation de Montréal concernant l’évaluation de l’expérience de développement local par les corporations de développement économique communautaire et rapport synthèse de l’évaluation, 18 avril 1994 198 des Ressources Humaines Canada et les CDÉC. Ce comité d’évaluation relève du CHM. Le processus d’évaluation visait à examiner l’expérience des CDÉC sous trois angles : les résultats atteints, la dynamique des acteurs locaux et le contexte socio-économique où se situe l’action des CDÉC. Aussi, la démarche d’évaluation comprenait trois volets réalisés simultanément : 1) Un examen des réalisations, une évaluation des performances des CDÉC et du rendement des ressources investies à partir des trois objectifs visés par les trois bailleurs de fonds : i. favoriser le développement de l’employabilité de la population locale et son intégration ou sa réintégration au marché du travail ; ii. soutenir les entreprises et les entrepreneurs dans leurs projets de développement en menant notamment au maintien et à la création d’emplois ; iii. développer le partenariat comme moyen privilégié pour atteindre les objectifs d’intégration, de maintien, de création d’emplois et de développement du potentiel économique de l’arrondissement. 2) Un examen, avec chacune des CDÉC et de leur collectivité, des éléments et composantes qui constituent les fondements d’une bonne pratique du développement local communautaire en milieu urbain. Cet examen incluait des échanges avec les acteurs locaux afin d’obtenir leur point de vue sur l’efficacité de l’approche du DÉC. 3) Réalisation d’un portrait économique des arrondissements où oeuvrent les CDÉC ainsi qu’une description des tendances économiques dans lesquelles se situent leurs actions. La réalisation du premier volet a été confié à une firme privée qui a procédé par une analyse documentaire (rapports d’activités des CDÉC, évaluations de la SQDM, avis du CHM, etc.) de même que par des entretiens avec les directeurs des sept CDÉC, des usagers et des collaborateurs et l’organisation de groupes de discussion (focus groups). C’est l’Institut de formation de développement économique communautaire (IFDÉC) qui a assuré la réalisation du deuxième volet, sur les fondements. Pour ce faire, un comité aviseur a été mis sur pied regroupant les membres du CHM, les membres du comité d’évaluation et les présidents des CDÉC. La ressource fournie par l’IFDÉC agissant à titre de secrétaire. Puis, sept tables rondes ont été organisées, une pour chaque CDÉC, regroupant les principaux intervenants de chacune des collectivités. 133 partenaires sont ainsi venus témoigner. Le rapport de ce deuxième volet présente les principales remarques recueillies lors des tables rondes puis ses recommandations. 199 On y constate l’engagement et le préjugé favorable des participants pour leur CDÉC, le caractère stimulant du « choc des cultures » dans la concertation entre divers milieux, la prise en charge et le cheminement vers l’empowerment des gens du milieu, les contraintes et limites imposées par les normes gouvernementales, la diversité et les dynamiques différentes au sein des CDÉC. Enfin, cette démarche a permis un dialogue enrichissant : « les uns comprenant davantage les raisons qui motivaient les actions des autres partenaires. ». Parmi les principales remarques rapportées par le rapport de ce deuxième volet citons par exemple : - Les participants ont affirmé que certaines contraintes éloignent la CDEC de sa mission: la nécessité de s'astreindre à la gestion de programmes gouvernementaux normés par en haut alors que la vision du DEC en est une de développement par la base; la gestion quotidienne de la pauvreté croissante; les obstacles émanant de la fusion artificielle des arrondissements. - Les CDÉC doivent demeurer autonomes par rapport aux instances gouvernementales. Elles ne doivent pas être considérées comme des gestionnaires de programmes gouvernementaux. - Les témoignages recueillis soulignent que les contraintes de financement des programmes "normés par le haut" non seulement nécessitent trop de temps et d'énergie aux CDEC mais ne correspondent pas aux aspirations du milieu. Les participants ont demandé que des outils et des budgets soient alloués aux CDEC pour que le milieu élabore des projets répondant davantage à ses objectifs de développement de main d’œuvre et de création d'emplois. Les CDEC veulent être responsables des budgets consentis aux projets en fonction d'objectifs fixés et approuvés au préalable. - Il a été souhaité que les Gouvernements apportent leur collaboration autrement que par un support financier, par exemple: consentir à des baisses de taxes, faciliter la reconnaissance des acquis, accorder des diplômes pour des formations, des prêts ou dons d'immeubles aux groupes communautaires, accorder des contrats aux organismes, etc. - Les CDÉC favorisent le lien entre l’économique et le social, misent sur le développement durable qui implique une concertation et un processus d’empowerment 200 des gens du milieu. Ce processus, selon les témoignages, s’enracine graduellement et est incompatible avec une vision uniquement comptable des résultats qu’imposent les normes gouvernementales. Quant au troisième volet, portrait du milieu et tendances, ce sont des économistes de la CIDEM, de la SQDM et de DRHC qui l’ont réalisé. Puis, une fois les trois rapports, un pour chacun des volets, déposés, les membres du CHM se sont rencontrés à plusieurs reprises dans le but de formuler des recommandations qui « expriment le consensus des représentants des trois paliers gouvernementaux »73. Recommandations qui seront alors soumises aux « autorités administratives et politiques des organismes impliqués qui prendront les décisions pertinentes »74. Huit recommandations sont ainsi faites auxquelles viennent s’ajouter cinq « autres considérations ». La première de ces recommandations visait la reconduction du financement des CDÉC pour un autre cinq ans reconnaissant « l’apport important des CDÉC sur leur territoire ». Cette reconduction doit cependant être accompagnée de conditions reliées à une meilleure mesure des résultats attendus et « aux disponibilités budgétaires ». Ainsi, parmi les autres recommandations, la clarification de la mission des CDÉC face aux « champs de responsabilités des partenaires gouvernementaux » permettrait de préciser les rôles respectifs (recommandation #2). Également, la mise en place d’un cadre d’évaluation « répondant aux attentes des bailleurs de fonds et des CDÉC » et le développement d’outils pour mesurer plus adéquatement les résultats des activités des CDÉC (recommandation #4), ainsi que l’amélioration du suivi de gestion dans les CDÉC par l’utilisation d’ « instruments de gestion communs » (p.6) et la systématisation des démarches (recommandation #6) seraient nécessaires pour mieux évaluer les résultats. En effet, il est rapporté que le manque de données comparables et d’objectifs mesurables n’a pas permis de mesurer efficacement la performance des CDÉC. Or, écrit-on, « l’évaluation des résultats est une composante majeure de la gestion de projet » (p.5). On recommande aussi « d’accorder une plus grande marge de manœuvre et plus de souplesse dans la gestion des diverses allocations financières consenties par les bailleurs de fonds » car on reconnaît que l’allocation actuelle est 73 74 Introduction du rapport, p.3 idem 201 faite à travers des enveloppes « cloisonnées » qui oblige les CDÉC à une « gymnastique administrative ». On recommande également que les CDÉC « accentuent leur rôle de planification stratégique locale » (recommandation #3 - p.5) et qu’elles « poursuivent et accentuent le développement de l’Inter-CDÉC » (recommandation #7 –p.7) d’autant que l’Inter-CDÉC représente un lieu d’échanges et de mise en commun des outils et expériences. Enfin, il est recommandé de rendre accessible à l’ensemble des CDÉC les fonds locaux d’investissement (recommandation #8). Enfin on suggère de donner une formation en DÉC aux acteurs locaux et partenaires gouvernementaux afin de favoriser la concertation et de « faire avancer la réflexion autour d’une vision commune », de donner une formation de gestion aux membres du personnel des CDÉC afin qu’ils soient mieux en mesure d’évaluer leur performance, de poursuivre le travail entamé dans le troisième volet afin d’établir une base d’indicateurs disponibles et enfin que le CHM soit élargi afin d’intégrer un représentant de chacun des milieux suivants : des affaires, syndical, de l’éducation et du communautaire et que le CHM soit doté de moyens et d’un budget de fonctionnement appropriés. En 1995, le financement des CDÉC est donc renouvelé sur une base toujours quinquennale. On arrive aussi à une entente entre les membre du CHM et les représentants des CDÉC sur des « mécanismes conjoints de suivi des budgets transférés au niveau local », transfert qui s’effectue sur la base de la mission des CDÉC et des quatre critères de financement et de reconnaissance. Un comité de suivi composé de représentants des CDÉC et des bailleurs de fonds est également mis sur pied. Aussi, en octobre 1996, un premier bilan consolidé des CDÉC (1995-1996) est présenté aux DG et présidents des sept CDÉC afin de le valider et d’échanger à ce sujet. Il est intéressant de rapporter l’intention de la démarche évaluative d’alors : - élargir la gestion par résultat au sein des corporations conformément aux règles de gestion des fonds publics (i.e. pertinence, efficacité, efficience) ; - permettre une meilleure compréhension des forces et points à améliorer des interventions, autant sur les plans territorial, sectoriel et/ou clientèle.75 75 Bilan consolidé 1996-1997 communautaire, octobre 1997, p.1 des corporations de développement économique et 202 Le comité de suivi développera une grille de mesures qualitatives qui « comporte dix variables complémentaires réparties selon les axes de développement économique et social. En 1997, un deuxième bilan consolidé 1996-1997 est effectué toujours dans le cadre de l’évaluation continue des CDÉC et où est expérimentée cette grille d’analyse qualitative des activités des CDÉC. Fait intéressant, ce bilan fait ressortir que les clientèles desservies par les CDÉC sont très similaires à celles participant aux mesures gouvernementales et que c’est plutôt la conception des activités en fonction de certaines clientèles et de l’approche volontaire que les « groupes diffèrent ». Enfin, la première version de ce bilan a fait l’objet d’une validation auprès des membres du CHM et des représentants des CDÉC avant d’être déposé. La politique de soutien au développement du gouvernement québécois Le 23 avril 1997, le gouvernement du Québec adopte la Politique de soutien au développement local et régional qui « constitue la pierre angulaire de la mission du ministère des Régions et de ses organismes partenaires aux paliers local, régional et national »76. C’est de cette politique que découlera la création du ministère des Régions. Cette Politique repose sur cinq grands principes que sont : 1) le citoyen au cœur de la restructuration des services, 2) la responsabilisation des milieux locaux et régionaux (association et partenariat), 3) La simplification des structures et des programmes, 4) La gestion par le mandataire le plus efficace (subsidiarité), 5) Un rôle de régulation et d'équité pour l'État77. On vise donc des services améliorés, plus accessibles à la population et mieux adaptés aux besoins des collectivités locales, des services simplifiés à travers une harmonisation des programmes et mesures ainsi qu’une rationalisation des services afin que ces derniers correspondent aux ressources dont dispose l’État. Pour ce faire, les paliers territoriaux local, régional et national seront mobilisés. Au niveau local, dont le nouveau territoire de référence est la municipalité régionale de comté (MRC), on prévoit la gestion et l’exécution des services dits de première ligne. C’est aussi à ce niveau que les « intervenants locaux concernés par le développement économique et la création d'emplois sur leur territoire » seront réunis au sein d’une nouvelle structure : le Centre local de développement (CLD). Le gouvernement du Québec reconnaîtra un CLD par municipalité régionale de comté (MRC) ou 76 77 tiré du site Internet du ministère des Régions : www.mreg.gouv.qc.ca/actsec_8.htm idem 203 l’équivalent s’il n’y a pas de MRC. Dans le cas des communautés urbaines, le gouvernement pourra reconnaître un CLD par quartier ou arrondissement dans la ville-centre. Au niveau régional, on assigne la concertation et l’harmonisation de même que la planification et le soutien au développement régional. Ce niveau agit aussi à titre d’interface entre les milieux locaux et l’État. Enfin, le palier régional sera le siège des services spécialisés ou dits de deuxième ligne. Enfin, au niveau national se décideront les grands objectifs nationaux et choix stratégiques dans un souci et avec un regard sur l’équité interrégionale. Une politique pour le moins novatrice puisque pour la première fois s’y trouve inscrit le palier local et la notion de développement local : « Le développement local n’était pas inscrit comme tel dans les politiques, on a intégré cette échelle dans les politiques gouvernementales de développement du territoire uniquement dans la dernière politique, celle qui a créé les CLD. Antérieurement c’était plutôt rare de parler de dimension locale même si on finançait les CDÉC à Montréal depuis le milieu des années 1980. C’est vraiment la première politique où on a défini les trois paliers du développement en leur donnant un rôle à chacun, les paliers national, régional et local. » Martial Fauteux Donc, une politique novatrice mais aussi décentralisatrice en ce qu’elle reconnaît aux milieux locaux et régionaux un pouvoir sur leur développement. Cette nouvelle politique marque alors une nouvelle étape dans le processus de régionalisation au Québec puisqu’un des grands principes qui y est énoncé est justement la « responsabilisation accrue des milieux locaux et régionaux. » (Morin 1998). Les Centres locaux de développement (CLD) Un des éléments fondamentaux de cette Politique est la création partout à travers la province de Centres locaux de développement, les CLD, instances mandatés par le gouvernement pour agir localement dans le développement, largement axé sur l’entrepreneuriat et la création d’emploi. « L’objectif est de constituer un guichet multiservices à l’entrepreneuriat géré par le milieu local et offrant les services de base en matière de soutien aux entreprises 204 (entrepreneurs potentiels ou en activité, entrepreneurs individuels ou collectifs), incluant les entreprises de l’économie sociale. »78 Le CLD devient donc le guichet unique pour les entrepreneurs ou futurs entrepreneurs du milieu. Ils y trouveront des services de références, de conseils et même des fonds, le tout adapté au milieu. Outre la mise sur pied de ce guichet, les responsabilités et mandats du CLD comprennent également l’élaboration d’un plan local d’action concertée pour l’économie et pour l’emploi (PLACÉE), l’élaboration de toute stratégie locale liée au développement de l’entrepreneuriat et des entreprises, d’agir à titre de comité aviseur auprès du Centre local d’emploi (CLE) et enfin de remplir tout autre mandat que le gouvernement pourrait se voir lui confier. Le CLD sera constitué comme association (corporation à but non lucratif) selon les dispositions de la troisième partie de la Loi sur les compagnies du Québec. À ce titre, on pourra retrouver des membres de la corporation et cette dernière sera gouvernée par un conseil d’administration. Dans l’esprit de décentralisation qui anime la Politique, chaque milieu est cependant libre d’organiser le CLD selon ce qui correspond le mieux à ses besoins, et en dehors de grandes lignes et orientations générales, le gouvernement n’impose pas de modèle uniforme. Ainsi, les intervenants du milieu local décideront de qui peut devenir membre de la corporation, ils préciseront également le nombre de membres qui composeront le conseil d’administration. Certaines balises sont cependant fixées par la Politique à cet effet, afin d’assurer une représentation des différents partenaires : on devra donc retrouver au sein du conseil d’administration au moins un représentant pour chacun des milieux suivants : milieu des affaires et du commerce, milieu des travailleurs, milieu municipal, milieu coopératif, milieu communautaire et milieu institutionnel (santé et éducation)79. À ces membres viendront s’ajouter les députés du territoire siégeant à l’Assemblée nationale du Québec : les députés représentants de comtés. Enfin sont aussi membres d’office mais sans droit de vote le directeur du Centre local d’emploi (CLE), le sous-ministre adjoint du Secrétariat au développement des régions ou son représentant pour la région concernée et le responsable administratif du CLD (directeur, 78 Guide d’implantation des CLD, Gouvernement du Québec, ministère des Régions, 1997, p.2 Politique de soutien au développement local et régional, Livre blanc, Gouvernement du Québec, 1997, p.19 – Dans le texte de la Loi 171 sur le ministère des Régions on trouve les précisions suivantes à l’article 10 : « …milieu des affaires, tant du secteur industriel, manufacturier que commercial, du milieu des travailleurs, y compris les syndicats, ainsi que des milieux agricole, municipal, coopératif, communautaire et institutionnel » 79 205 coordonnateur ou autre du CLD). Aucun représentant d’une Société d’aide au développement communautaire (SADC) ou de tout autre organisme fédéraI ne peut siéger au conseil du CLD et vice versa Il est enfin spécifié clairement qu’aucune des catégories d’intervenant ne pourra constituer une majorité au conseil de même qu’une représentation équitable entre hommes et femmes ainsi qu’une représentation significative des communautés culturelles, autochtones et des jeunes est fortement encouragée. Le conseil d’administration du CLD constitue la seule instance décisionnelle pour tous les dossiers qui y sont traités. – Quand le CLD a choisi de fonctionner avec des mandataires, il conserve le pouvoir de ratifier ou non les décisions de ceux-ci. Au-delà de ces exigences, les intervenants du milieu sont également libres de structurer le CLD de façon à ce qu’il réponde le mieux possible aux particularités et priorités locales. Ainsi on pourrait retrouver dans une région une structure unique où seraient offerts, dans un seul lieu, tous les services du CLD comme on pourrait aussi voir dans une autre région une structure d’accueil, porte d’entrée du CLD, qui référerait ensuite à d’autres structures selon le service sollicité, ou un CLD qui ne fonctionne qu’avec des mandataires, de la même façon, le CLD peut si nécessaire mettre en place un ou plusieurs points de services. Les CLD ont la possibilité de recevoir ou de confier des contrats de service à d’autres organisations, à l’exception des Société d’aide au développement communautaire (SADC) ou de tout autre organisme fédéral. Le CLD peut être créé ex nihilo ou il peut être formé à partir d’une organisation déjà établie : « Il est à noter qu’avec l’accord du milieu local, une corporation existante, telle une corporation de développement économique (CDE), peut se transformer en CLD en modifiant par exemple son membership, son conseil d’administration et ses règlements généraux. »80 Ces nouvelles structures, CLD, sont financées conjointement par l’État québécois et par la ou les municipalités de son territoire. Chaque CLD reçoit une enveloppe budgétaire globale afin de remplir ses mandats, à l’intérieur de laquelle une partie sera dédiée et protégée pour supporter financièrement des projets d’entreprises d’économie sociale. 80 Guide d’implantation des CLD, p.9 206 Pour financer les CLD, le gouvernement du Québec a d’abord constitué une « enveloppe intégrée de soutien au développement local »81 à partir des enveloppes consacrées au développement de l’entrepreneuriat de plusieurs ministères et organismes. La gestion de cette enveloppe intégrée est sous la responsabilité du ministre responsable du développement des Régions, et c’est ce dernier qui détermine dans un premier temps la somme allouée à chacune des régions – répartition interrégionale. C’est ensuite chaque conseil régional de développement (CRD) qui soumet au ministre une proposition de répartition de l’argent versé entre les divers CLD du territoire. Dans le cas de Montréal et Laval, les CRD devront soumettre leur proposition au ministre d’État à la Métropole. C’est au ministre ensuite d’accepter cette proposition pour la répartition intrarégionale. « Une fois le CLD accrédité, ses mandats et responsabilités sont consolidés dans une entente de gestion signée par son conseil d’administration, la MRC (ou son équivalent) et le ministre responsable du Développement des régions (le ministre d’État à la Métropole pour les régions de Montréal et de Laval). Ce dernier peut être représenté par le ministre régional. »82 Cette entente de gestion est une entente annuelle avec clause de reconduction automatique à moins de non-respect des clauses du contrat. Elle précise entre autres les engagements financiers pris par le gouvernement et la MRC (ou la ville) ainsi que les attentes auxquelles souscrit le conseil d’administration du CLD. Une révision annuelle des budgets est effectuée par les signataires sur la base des résultats obtenus par rapport aux attentes qui avaient été signifiées et aux indicateurs de résultats convenus entre les parties. Enfin, cette entente précise aussi certaines règles de fonctionnement du CLD et de son conseil ainsi l’année financière du CLD (année civile), le nombre minimum de séance que doit tenir le CA ou encore l’engagement du conseil d’administration du CLD à ne verser aucune rémunération à ses membres. Enfin, le CLD est tenu de faire rapport de ses activités. En retour de la marge de manœuvre allouée au CLD dans l’allocation des fonds qui lui sont confiés, ce dernier doit rendre compte au ministre responsable du Développement des régions (au ministre d’État à la Métropole pour Montréal et Laval) et à la MRC (ou son équivalent) de ses activités et de la façon dont ont été 81 82 Guide d’implantation des CLD, p.7 Guide d’implantation des CLD, p.13 207 dépensées les sommes reçues. Pour ce faire, le CLD doit produire et soumettre annuellement un rapport d’activités pour l’année. Le ministre responsable s’adresse également au CRD, au ministre régional et à la députation régionale pour obtenir leur avis sur les résultats obtenus par le CLD en regard des attentes et obligations prises dans l’entente de gestion. Enfin, le CLD peut être appelé à rendre des comptes sur l’usage des fonds publics qui lui ont été alloués si la Commission permanente de l’aménagement du territoire en faisait la demande. Bref aperçu du ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM) Pour les régions administratives de Montréal et de Laval c’est le ministère de la Métropole (maintenant le ministère des Affaires municipales et de la Métropole) qui assume les responsabilités dévolues au ministère des Régions en vertu de la Loi 171 dans le reste du Québec, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’application de la Politique de soutien et donc les relations du gouvernement avec les Conseils régionaux de développement (CRD) et la mise en place des Centres locaux de développement (CLD) sur son territoire. Alors que le ministère des Affaires municipales naît en 1918 et a alors pour objet de venir en aide aux municipalités en matière d’administration et de comptabilité, le ministère de la Métropole, lui, ne voit le jour qu’en 1996 avec pour mission de « susciter et de soutenir l’essor économique culturel et social de la métropole et d’en favoriser le progrès, le dynamisme et le rayonnement »83. C’est à la suite des élections de 1998, que les deux ministères seront fusionnés pour former le nouveau ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM). Louise Harel en sera la première titulaire. Outre une mission et des fonctions en matière de gestion des affaires municipales, en ce qui concerne la métropole, le ministère conserve encore aujourd’hui la même mission. On lui attribue de plus un rôle de « catalyseur et de rassembleur pour la promotion des intérêts de la métropole. »84 Il lui revient enfin de favoriser la concertation entre les partenaires de la région métropolitaine. Le ministère a aussi un rôle de conseiller auprès du gouvernement et à ce titre, 83 84 Site Internet du MAMM : www.mamm.gouv.qc.ca idem 208 élabore des politiques ou des orientations qui vont dans le sens de sa mission et en supervise la réalisation. On peut d’ailleurs constater qu’en vertu de l’article 3 de cette Loi, le ministre dispose d’une marge de manœuvre non négligeable : « Article 3. Le ministre apporte, aux conditions qu'il détermine dans le cadre des orientations et politiques gouvernementales, un soutien financier ou technique à la réalisation d'actions visant le développement local et régional. » 85 Sous l’autorité du ministre, le ministère est dirigé par un sous-ministre qui supervise, outre des services de support (ressources humaines, services financiers, communications et information) cinq sous-ministériat adjoints. Parmi ces sous-ministériats deux sont dévolus à la Métropole : le sous-ministériat aux politiques et à la concertation métropolitaine et le sousministériat au développement et aux projets de la Métropole. Chacun de ces sous-ministériat et dirigé par un sous-ministre adjoint. (Voir organigramme en annexe). La direction du développement local et régional du MAMM fait partie du Sousministériat au développement et aux projets de la Métropoles, situé à Montréal (voir organigramme en annexe). C’est au sein de cette direction que travaille Martial Fauteux, conseiller, responsable du dossier CLD Montréal et des relations avec les CDÉC. Martial Fauteux, conseiller au MAMM Originaire de Sherbrooke, Martial Fauteux est un « vieux routier » du développement local et régional; c’est en 1968 qu’il commence à travailler dans le domaine, pendant ses études. Il obtient alors des contrats avec des centres de recherche affiliés à l’université. Au début des années 1970, il complète sa maîtrise en urbanisme à l’Université de Montréal et sera embauché par le gouvernement du Québec pour travailler à l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) à Montréal. À cette époque, le concept de développement local n’est pas très connu : 85 Source : Loi 171, site Internet du ministère des Régions http://www.mreg.gouv.qc.ca/loi171.htm 209 « Au départ, la notion de développement local ne faisait pas partie des politiques gouvernementales. D’ailleurs en milieu urbain lorsqu’on parlait de développement régional à l’époque, et pendant longtemps d’ailleurs, on nous accusait de faire de l’urbanisme et pas du développement régional. Et nous de répliquer que nous étions à Montréal, que c’était un milieu urbain, qu’il ne s’agissait pas d’une région ressource avec des dépeuplements de paroisse comme on avait en Gaspésie ou dans le Bas St-Laurent et donc c’était normal que l’on s’occupe de questions dont on ne se préoccupait pas en développement régional ailleurs au Québec » Martial Fauteux Martial Fauteux est toujours à l’OPDQ au début des années 1980, ce qui lui donne l’occasion d’assister d’un point de vue privilégié à l’émergence des premières CDÉC montréalaises. À peu près à la même époque, Martial Fauteux devient coordonnateur technique et chef d’équipe à l’OPDQ et travaille avec les comités de relance dans l’Est et dans le Sud-Ouest - Comité de relance de l’économie et de l’emploi de l’Est de Montréal (CREEEM) et Comité de relance de l’économie et de l’emploi du Sud-Ouest de Montréal (CREESOM). Il travaille donc de très près avec les gens du PAR-HM, qui deviendra la CDEST et du PEP qui deviendra le RÉSO. En 1989, il rédige, avec des collègues, les deux rapports des comités; les travaux de ces derniers se concluent d’ailleurs sur une série de recommandations qui s’incarneront dans des mesures mises en place par le gouvernement et les organismes locaux. Si ces rapports ne sont pas allé en rejoindre d’autres sur une « tablette » mais ont plutôt donné lieu à des actions concrètes c’est grâce aux milieux. « C’est la mobilisation des milieux qui a entraîné la mise en place de mesures concrètes par le gouvernement suit aux recommandations» explique Martial Fauteux. Le CREESOM entre autres avait commandé la réalisation d’un vidéo qui vulgarisait le diagnostic et les recommandations du CREESOM et avec lequel il a pu informer et mobiliser les acteurs locaux. Une stratégie qui semble avoir porté fruit. Parmi les recommandations qui ont été concrétisées on retrouve justement l’élargissement du territoire d’intervention du PEP à tout le Sud-Ouest – le PEP devient alors le RÉSO. Martial Fauteux est également chargé du suivi de ces rapports pour les trois paliers de gouvernement, un travail important qu’il accomplira pendant quatre ans dans le Sud-Ouest et cinq dans l’Est ce qui l’amènera d’ailleurs à participer à la mise sur pied du RÉSO et de son expérience pilote dans le Sud-Ouest. « Je faisais le suivi à chaque printemps. Le dernier a été fait en mars 1994 avec tous les bailleurs de fonds. Il y avait alors un suivi sur la situation de la conjoncture 210 économique, un suivi des mesures comme tel, pour tous les bailleurs de fond, avec le détail de toute l’évolution des personnes occupant un emploi, des données administratives, des bénéficiaires, des activités, de la constitution des fonds d’investissements, la liste des comités de travail à l’époque, le total prévu des engagements, ce qui qui avait été fait…Les rapports étaient cumulatifs depuis le dépôt des rapports des comités. Pour le suivi, il fallait contacter tout le monde et que les gens nous donnent toutes les données, tous les montants, le nombre des dossiers acceptés, les bilans des prêts . Beaucoup de monde que je contactais à chaque année …» Les travaux de ces deux comités de relance ont été déterminants; d’ailleurs, il en reste encore aujourd’hui des traces. Ainsi dans son Plan de développement économique du Sud-Ouest de 1998, le RÉSO revient sur les recommandations du CREESOM et la pertinence de son analyse ou encore: « Le FIL, ce fond pour les initiatives locales qui est géré conjointement par les CLE et les CDÉC, est une répercussion du premier fond de main d’œuvre qui avait été mis en place à la suite du CRÉEM et qui s’est étendu ensuite à toutes les CDÉC quand on a dégagé des fonds pour les quartiers défavorisés avec le plan Johnson pour la relance de Montréal. Ce fond sur lequel avait travaillé mon collègue Pierre à ce moment là est devenu le FAMO, puis le FAQD et enfin le FIL qu’il est aujourd’hui. » Martial Fauteux Du soutien de l’OPDQ aussi, il reste des traces : « À l’OPDQ, on avait donné de l’argent aux premières CDÉC pour aider les petites entreprises locales. D’ailleurs il est resté quelque chose de ça, à la CDEST. Si tu vas voir dans les fonds locaux, il y a un petit fond à la CDEST qui s’appelle le FRI et qui reste de cette époque là. Et ça leur est très utile, ça leur permet de faire du financement intérimaire dans des organismes qui attendent des versements de financement à recevoir, ça aide aussi à consolider certaines interventions mais il n’en reste pas moins que ce fonds mis en place après 86 a encore 14 ans plus tard des petits dans un territoire. Il n’en reste plus ailleurs mais là il en reste. Comme le FDEM d’ailleurs, mis en place en 1987 il a été recapitalisé au milieu des années 1990 en même temps qu’étaient mises sur pied les SOLIDES » 211 En 1989-1990, Martial Fauteux participe à la rédaction du mémoire conjoint (OPDQ et certains ministères) qui sera présenté au conseil des ministres pour l’obtention entre autres du financement sur cinq ans. Aujourd’hui, dans le cadre de ses fonctions au MAMM, Martial Fauteux est responsable de plusieurs dossiers dont celui des CDÉC, des CLD et des SAJE. « C’est la responsabilité du ministre d’implanter des CLD et c’est la responsabilité du sous ministre adjoint de faire ça pour le ministère…c’est la responsabilité de la directrice de faire ça avec le sous-ministre adjoint, et c’est ma responsabilité de travailler pour eux, de leur donner tout le soutien technique nécessaire pour le faire… » Martial Fauteux habite la banlieue, mais il a vécu sept ans sur le Plateau. Sa longue expérience dans le domaine du développement local lui donne un point de vue unique et une compréhension remarquable des enjeux. Aussi, il y a quelques années, fait-il une présentation à ce sujet auprès de gens de l’extérieur. Les enjeux, au nombre de trois, qu’il a identifiés : survivre sans perdre son âme, le contrôle du développement local, l’approche globale et durable du développement local. « Survivre sans perdre son âme, je l’ai appelé comme ça pour parler du fait que les bailleurs de fonds se sont mis à financer des services plutôt que de financer les organisme, financer des services qui répondaient à leur mission de bailleurs de fonds plutôt qu’aux missions des organismes. L’importance de ne pas perdre son âme : les CDÉC veulent bien prendre le mandat CLD mais elles veulent demeurer CDÉC et je pense que c’est bien comme ça. » « Deuxième enjeu que je trouvais très important et qui est encore d’actualité, c’est le contrôle du développement local, contrôle du pouvoir local; un enjeu politique alors que plusieurs acteurs non-élus sont à la recherche d’une légitimité et des moyens d’assumer ce qu’ils appelle la gouvernance locale…je mettais ça sous forme d’antagonisme, avec la notion de gouvernance versus la notion de gouvernement. » Posé, Martial Fauteux est aussi un travailleur acharné, méthodique et rigoureux. Son bureau est une véritable mine d’or de documents sur les vingt dernières années du développement local à Montréal desquels il a écrit plus de la moitié. De plus, il croit beaucoup aux CDÉC à Montréal : 212 « Oui, je crois beaucoup aux CDÉC ! Je trouve que ce sont des organismes qui sont importants pour Montréal, qui sont importants pour les quartiers et je trouve qu’en tant que CLD, les CDÉC offrent des services tout en ayant une structure intéressante adaptée à Montréal. » Cet engagement se traduit dans l’ardeur avec laquelle il défend les dossiers des CDÉC. Ainsi, lorsqu’il a fallu aller chercher du financement supplémentaire pour les CDÉC en 2000. « Oui, j’ai été impliqué, j’ai fait demander beaucoup de choses dans différents dossiers comme l’année dernière quand on est allé chercher les 100 000$ de chacun. Eh bien, le travail, il fallait le faire or, je n’étais pas obligé de le faire. Parce que ce travail là n’aurait pas été fait que le ministre n’aurait pas eu de reproche à faire. Mais, je l’ai fait et on s’est essayé une première fois, on s’est essayé une deuxième fois. J’ai du convaincre mon supérieur de recommencer, de reparler à la ministre là dessus, de resoumettre ça à M. Landry…et finalement, ça a fonctionné.» De la même façon, à l’été 1999, un an après l’implantation des CLD, il travaille tout l’été à bâtir un rapport d’activités afin de dresser un portrait du travail des mandataires, les CDÉC. Un rapport imposant et fort bien fait, que les CDÉC ont beaucoup apprécié. Aussi, entretient-il également de bonnes relations avec les CDÉC : « Je travaille de très près avec eux et je pense que l’on peut apporter chacun des contributions. Ainsi, on développe une certaine complicité. Il faut dire que j’ai été beaucoup impliqué, j’ai défendu plusieurs de leurs dossiers auprès du sousministre, du ministre et je pense qu’ils apprécient que l’on fasse ça. C’est sûr que le jour ou je vais devoir leur annoncer un refus, la relation sera peut-être moins bonne…ce qui serait normal et de leur part et de la mienne…Mais j’ai l’avantage d’avoir été là avant, plusieurs me connaissaient depuis longtemps, et donc je connais le terrain. En ce moment je suis en train de lire tous leurs rapports annuels… » En effet, Martial Fauteux est un conseiller très apprécié : « C’est quelqu’un de très professionnel et qui a plusieurs années de métier. Aussi, prend-il son travail très au sérieux. S’il y a des choses qui ne sont pas claires, il va appeler, poser des questions. C’est lui qui a été au cœur des négociations du mandat de CLD. Il est l’interface entre le sous-ministre et les CDÉC. C’est quelqu’un de très serein, capable de faire son boulot aussi, Martial est quelqu’un 213 que j’apprécie beaucoup. Il peut être très souple, et aussi très humain et compréhensif. » Claude Lauzon Martial Fauteux est aussi très modeste et à l’aise de travailler « dans l’ombre », cela lui permet d’accomplir plus de travail en agissant « derrière » et d’ailleurs, dit-il, quelqu’un ne peut pas être à l’avant-plan et aussi dans les coulisses, ça ne fonctionne pas dans ces cas là. Très rationnel et pragmatique, il n’est pas cependant un simple exécutant. C’est aussi un penseur qui a beaucoup réfléchi sur le développement local. À ce titre, il remet volontiers en question les postulats de gouvernance locale et de démocratie participative. Selon lui, la démocratie doit être représentative. Aussi, questionne-t-il la représentativité des représentants des divers collèges électoraux élus au conseil d’administration des CDÉC : ils viennent du milieu syndical, des affaires, etc. cela en fait-il pour autant de véritables représentants ? En quoi sont-ils imputable envers les autres acteurs de ce milieu ? Il n’en reste pas moins qu’après toutes ces années Martial Fauteux reste un fervent défenseur du développement local, surtout à Montréal. D’ailleurs, si on lui demande son avis, ce n’est pas des CLD que Martial Fauteux aurait créés : « Je pense que le développement local est beaucoup plus large qu’uniquement des services aux entreprises. J’aurais aimé au contraire qu’on se donne une politique de développement local et non seulement une politique de CLD à Montréal. À ce moment là je trouve qu’on aurait pu consolider des rôles beaucoup plus intéressants, beaucoup plus larges. Mais ceci dit, moi je suis un fonctionnaire, mon gouvernement, mes boss ont décidé qu’ils faisaient des CLD à Montréal alors… » 214 Chapitre 8. Le rapport État/CDÉC : vers le mandat de CLD En 1997, la ville de Montréal compte neuf arrondissements, dont sept sont desservis par une corporation de développement économique communautaire (CDÉC). À cette époque, plusieurs questions se posent : Qu’adviendra-t-il de ces dernières avec la nouvelle Politique de soutien au développement local et régional du gouvernement du Québec et surtout avec la création de Centres locaux de développement (CLD) sur l’Île-de-Montréal? À Montréal, Les CDÉC deviendront-elles des CLD comme le suggère la Politique ? Des CLD viendront-ils s’installer à côté des CDÉC ? Les enjeux sont nombreux. La Ville de Montréal qui finance alors une part importante du budget des CDÉC ne tient pas à augmenter sa contribution, encore moins à la doubler. D’autre part, quel sera le rôle du ou des CLD vis-à-vis le service municipal de développement économique? Quelle place occuperont les commissaires industriels de la ville dans les CLD ? Sur l’Île-de-Montréal, nous l’avons vu, c’est le ministère de la Métropole (qui deviendra plus tard le ministère des Affaires municipales et de la Métropole, le MAMM) qui est responsable des CLD. Celui-ci reconnaîtra-t-il l’expertise et l’expérience des CDÉC en matière de développement au niveau local ? De plus, une part du financement des CDÉC provient déjà du gouvernement provincial qui ne tient pas à financer deux structures parallèles. Exigera-t-il des CDÉC qu’elles se transforment en CLD pour continuer à les financer ? Le cas échéant, les CDÉC pourraient-elles continuer à rendre certains des services ou maintenir certaines de leurs activités qui ne découlent pas de la mission d’un CLD ? Tout ce que les CDÉC ont entrepris en matière de développement de l’employabilité ne fait pas partie du mandat CLD, de même que les initiatives de concertation en aménagement par exemple. Enfin, que fera-t-on des liens créés, de la concertation mise en place dans chacun des milieux ? Les CDÉC montréalaises se voient cependant comme des incontournables. Aussi, ces dernières entreprennent-elles des actions en vue de se faire reconnaître. Les négociations Dès 1996, s’installe un vent de changement au Québec; c’est l’année du Sommet sur l’économie et l’emploi du Québec. C’est aussi le début des consultations sur le volet montréalais 215 de la politique active du marché du travail (PAMT) auxquelles les CDÉC participent avec le Conseil régional de développement de l’Île-de-Montréal (CRDÎM). Puis en novembre 1996, le ministère d’État à l’Emploi et à la Solidarité sociale rend publique sa proposition « Pour une intégration et une réorganisation des services publics d’emploi ». Et en décembre de la même année circule le rapport du groupe de travail ministériel intitulé « Cadre de référence sur la déconcentration, la régionalisation et la décentralisation ». Dès mars 1997, les CDÉC font entendre leur voix : Laurent Blanchard, directeur de la CDEST, signe un texte dans l’Édition commerciale où il avance que les CDÉC sont « prêtes à accepter leur nouveau mandat à condition d’avoir un réel pouvoir de décision »86. Céline Charpentier, directrice de la CDEC CS/PMR, signe avec d’autres partenaires, dans le quotidien La Presse, un article intitulé « Le rôle décisionnel des partenaires montréalais doit être reconnu »87 : une revendication pour et par les CDÉC afin que l’on reconnaisse leur expertise dans le cadre de la nouvelle Politique, de même que l’identité CDÉC qui permet aussi, par exemple, un travail dans le développement de la main d’œuvre, ce que les CLD ne font pas. C’est le 30 avril que la Politique de soutien au développement local et régional est rendue publique. Mais, les CDÉC n’en restent pas là, elles mobilisent leurs communautés, les informent de ce qui arrive. Ainsi, la CDÉC CS/PMR tient les 26 et 27 mai 1997 un débat public « Le pouvoir local…à l’aube des politiques de régionalisation et de décentralisation ». Au programme, une séance comprenant une présentation par les représentants du gouvernement du projet de loi déposé par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité pour la réforme des services publics de l’emploi et de la Politique de soutien ainsi qu’une présentation du point de vue de la CDÉC à l’égard de ces deux projets politiques et des enjeux qu’ils représentent le tout suivi d’une période de questions. Une deuxième séance réunira les partenaires locaux et la CDÉC pour un débat interactif avec le public sur les conclusions de la séance précédente. Parallèlement à ces consultations, les CDÉC entament également des négociations avec le gouvernement provincial et la Ville de Montréal. « On a signé seulement en juin 1998, si je me souviens bien. Il y a eu au moins un an, si ce n'est pas quinze mois, de négociations avant cela. Parce que d’abord la politique est sortie, on l'a regardée et on s’est demandé quel était le rôle qu’on 86 87 Extrait du document de préparation pour le débat du 26-27 mai 1997 à la CDÉC CS/PMR La Presse, édition du 2 avril 1997, page B-3 216 voulait jouer la-dedans. Finalement on se disait, les CLD c’est comme une copie des CDÉC. » Céline Charpentier Cependant, aux rumeurs qui courent à l’effet que le modèle des CLD aient été littéralement inspirés par celui des CDÉC, Martial Fauteux, conseiller au MAMM, répond sans hésiter que c’est faux. Des raisons politiques sont à invoquer pour l’implantation de CLD à travers la province, bien plus qu’un volonté de diffuser un modèle « expérimental » : « Je me souviens des délibérations sur les CLD et ce n’était pas la question des CDÉC qui importait; c’était bien plus celle des SADC, les Sociétés d’aide au développement des collectivités, modèle fédéral implanté dans le reste du Québec!… » Il n’en reste pas moins des similitudes qui motivent les CDÉC à agir. L’Inter-CDÉC, qui est le regroupement informel des directeurs et directrices des CDÉC actives au sein du territoire de la Ville de Montréal devient alors un moyen de rassembler les forces pour mieux faire face à la situation. Il mandate trois de ses membres pour mener les négociations auprès des pouvoirs publics. « On avait toujours évité que se mettent en place des SADC dans les grandes villes puisque c’est nous qui étions financés par le gouvernement fédéral ; alors que se mettent en place des CLD à côté, ça aurait été un peu fort! Aussi, il y a eu un comité de négociations mis sur pied par l’Inter-CDÉC, dans lequel il y avait au départ Laurent Blanchard88, puis Claude Lauzon89, Pierre Richard90 et moi. On a décidé de notre position en Inter-CDÉC, on a ensuite chacun confirmé avec nos conseils d’administration, aussi il y a eu beaucoup de débats autour de ça. Parce que c’était une occasion d’obtenir du financement, de rendre davantage de services, de disposer de fonds de développement intéressants pour notre communauté. Mais en même temps il fallait trouver comment demeurer une CDÉC dans ce contexte où avec le mandat de CLD, un certain nombre d’autres contraintes arriveraient. On a évalué qu’il y avait dans les CLD ce qui se rapprochait le plus d’une réelle décentralisation. Donc, on a entamé les négociations. On a rencontré la Ville de Montréal qui, à cette époque-là, voulait intégrer le CLD de Montréal, offrir les services et le reste à partir de son Service de 88 Laurent Blanchard est le directeur général de la CDÉST Claude Lauzon est le directeur général de la CDÉC Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce 90 Pierre Richard est le directeur général du RESO, la CDÉC du Sud-Ouest de Montréal 89 217 développement économique. Puis ensuite on a rencontré le ministère de la Métropole. C’est avec eux principalement que nous avons travaillé tout en discutant avec la Ville également. » Céline Charpentier De son côté, le ministère de la Métropole tente aussi d’envisager l’avenir : « Il y a eu dès le départ une entente de principe entre le ministre de l’époque et le cabinet du maire de Montréal sur les grandes lignes, à la suite de quoi, on a construit toutes sortes de scénarios mais c’était administratif. » Martial Fauteux L’expertise et l’expérience des CDÉC qui oeuvrent dans le développement au niveau local depuis plus de dix ans devient rapidement un point important de la négociation : « Concrètement, la Ville n’avait pas vraiment de proposition à faire ou d’expertises concrètes à offrir. Le travail des commissaires industriels consistant généralement à localiser des entreprises, à régler des problèmes de permis, à offrir des services surtout aux entreprises existantes. En entrepreneurship, démarrage, prédémarrage, il n’y avait pas d’expertise ce dont à la Ville, ils étaient conscients. De sorte, qu’ils n’auraient pas pu nous démontrer et démontrer à la Métropole qu’ils avaient déjà ce qu’il faut pour créer un CLD, ce que nous les CDÉC avions définitivement! Parce que si on n’avait qu’un, deux ou trois conseillers dans les CDÉC, c’est là-dessus qu’on travaillait quand même depuis dix, douze ans. On était donc en bonne position. De plus, les CDÉC avaient toutes déjà un conseil d’administration. Enfin, une CDÉC faisait aussi un mandataire CLD à dimension plus humaine. Lorsque l’on regroupe tout le monde à la CDÉC, tous les partenaires, c’est déjà beaucoup, alors imaginez-vous à l’échelle de la ville. Il aurait fallu qu’ils décentralisent, de toute façon. Ce n’est pas possible de faire un centre local desservant plus d’un million de personnes. » Céline Charpentier En fait c’est surtout le Ministère de la Métropole et le gouvernement provincial qu’il a fallu convaincre, entre autres parce que la majeure partie du financement CLD pour Montréal provient de ce palier. Contrairement aux autres municipalités du Québec, la Ville de Montréal n’a pas eu a investir autant avec la Politique et les CLD : « C’est-à-dire que la ville s’est offerte pour gérer le CLD de Montréal, en assurer le secrétariat, la permanence. Elle s’est engagée aussi à faire des liens entre les 218 CDÉC et le travail de ses commissaires, puis elle finançait déjà un petit peu les CDÉC. Parce que si la ville avait mis 50 %, on serait riche. Aussi comme la Ville n’injectait pas d’argent neuf, leur pouvoir de négociation était plus faible.» Céline Charpentier N’ayant aucune compétence spécifique à offrir d’une part et une moindre influence dans la décision, finalement, la ville de Montréal finit par envisager les CDÉC avec un mandat de CLD, comme le ministre de l’époque au MAMM, l’entrevoyait. « La Ville a fini par accepter l’idée que les CDÉC ait le mandat CLD. Le MAMM aussi en voyait l’intérêt mais ils ne pensaient pas que ça leur coûterait aussi cher : le MAMM finançait déjà les CDÉC, au niveau du financement de base. Aussi quand ils ont vu qu’on demandait plus, ça les a un peu refroidis peut-être…Mais je crois que le ministre de l’époque, Robert Perreault, était fondamentalement d’accord. Il cherchait seulement une façon de le faire. Je pense que les principaux fonctionnaires aussi trouvaient que c’était une bonne solution, probablement la plus appropriée. Je ne pense pas qu’ils auraient voulu une autre structure à côté. La Ville qui avait déjà sa structure de développement économique avec des commissaires aurait sûrement pu, en obtenant le mandat CLD, embaucher du personnel supplémentaire. Et probablement qu’ils auraient décentralisé l’économie sociale, comme cela c’est fait ailleurs au Québec où certaines CDÉC ont le volet économie sociale ou le guichet d’accueil ou un autre volet. Or l’intérêt, c’est d’avoir l’ensemble du mandat évidemment. » Céline Charpentier Mais même si les trois parties (CDEC, Gouvernement du Québec, Ville de Montréal) s’entendent finalement sur les grandes lignes, tout est encore loin d’être réglé. Le financement, en particulier, pose problème : « L’autre enjeu réside dans ce que dans la loi qui crée les CLD, il est stipulé qu’un CLD ne peut être financé par le gouvernement fédéral. Alors il fallait trouver une manière d’attribuer le mandat CLD aux CDÉC sans toutefois que le gouvernement fédéral coupe sa subvention ce qui ne nous avançait pas à grand chose, pas seulement au niveau du financement mais au niveau du principe. Parce que dans une ville comme Montréal, dans les quartiers où il y a des CDÉC, les gens paient des taxes municipales, des taxes provinciales, des impôts provinciaux puis des impôts fédéraux et l’argent devrait leur revenir, logiquement. D’où l’idée qu’il y ait un CLD de Montréal avec une majorité de représentants des mandataires locaux, cinq représentants de la Ville, un représentant d’Emploi-Québec, deux du ministère 219 de la Métropole. L’argent va au CLD de Montréal qui n’est pas financé par le gouvernement fédéral et est transféré aux mandataires par la suite. » Céline Charpentier Et ainsi, peu à peu, se dessine les contours de ce que pourrait être l’incarnation du CLD dans la Ville de Montréal, une véritable création de toutes pièces pour la métropole québécoise. Mais la route est encore longue puisque le tout doit être ratifié dans une entente de gestion… « À chaque fois, tous les trois [du comité de négociation de l’Inter-CDÉC] on rencontrait des représentants de la Ville ou du Ministère, puis on revenait à l’InterCDÉC pour dire ce qu’il en était et pour décider ensuite de ce qu’on allait proposer. À un certain moment, on a eu le texte de l’entente : alors on faisait une proposition, on la défendait, on revenait, ils nous répondaient, on retournait. Ça se réglait ainsi mot à mot, virgule par virgule. » Céline Charpentier Martial Fauteux, conseiller au MAMM, aussi a été impliqué de très près dans l’implantation des CLD à Montréal. C’est lui qui a rédigé le contrat du CLD Montréal, élaboré les éléments de négociation et négociés les propositions de répartition du budget entre les mandataires du CLD Montréal. Il se souvient de sa rencontre du 27 février 1998 avec les DG des CDÉC afin de négocier pour chacune le nombre de postes et les sommes d’argent dévolues pour le mandat CLD, une négociation majeure : « J’avais rencontré les CDÉC une après l’autre et on avait étudié les postes, un à un. Or, ils demandaient beaucoup plus de fonds que ce qu’on aurait donné, donc cette première négociation a été majeure parce que le financement du fonctionnement du CLD Montréal est basé la dessus, pour le reste des fonds dont l’économie sociale la répartition se faisait sur la base d’indicateurs socioéconomiques. » Martial Fauteux On a fini par s’entendre… À travers toutes ces négociations, les CDÉC visaient à obtenir deux choses (reconnaissance de leur mission et financement), que finalement on leur accordera : 220 « La première c’était de reconnaître que c’était dans le cadre de la mission des CDÉC qu’on obtenait le mandat de CLD. Autrement dit qu’on ne devenait pas des CLD mais que l’on maintenait notre mission de CDÉC et que le mandat n’était qu’un volet de notre action. C’est la première chose qu’on a gagné. Ça a été difficile, mais finalement c’est inscrit dans l’entente contrairement aux autres CLD du Québec, parce que les CDÉC de banlieue n'ont pas obtenu alors d’être les mandataires du CLD. Les CDÉC de Montréal avaient fait un front uni, solide sur ce dossier, ce qui nous a aidé. » Céline Charpentier Ce front uni, c’est l’Inter-CDÉC, qui à l’époque ne regroupe que les CDÉC de la Ville de Montréal. Certaines CDÉC ont vu le jour dans des villes de banlieue de l’Île de Montréal, (ainsi Transaction pour l’emploi, une CDÉC située dans ville de Lasalle) ou ailleurs au Québec(comme le CRÉECQ de Québec ou la CDÉC de Hull), mais à l’exception de celle de Québec, elles sont encore toutes récentes et, à l’époque, elles ne participent pas à ce front commun. « Parce qu’à l’époque il y avait plusieurs CDÉC en banlieue mais elles étaient naissantes. À Québec c’est une ancienne CDÉC également mais avec laquelle on avait peu de lien. On se tenait au courant des négociations mais ce n’était pas une coalition. Et comme on n’a pas les mêmes bailleurs de fonds, on ne discutait pas avec les mêmes interlocuteurs non plus. » Céline Charpentier L’autre gain concerne le financement du mandat CLD : « L’autre chose qu’on a obtenue c’est au niveau du financement. Parce que dans un premier temps ce que le gouvernement nous offrait comme financement pour réaliser le mandat CLD, en tout cas à la CDÉC CS/PMR, c’était à peu près 30 000 $ de plus que ce qu’on recevait déjà. Ce qu’on a refusé. Alors, on a renégocié en faisant une évaluation de ce que ça nous prenait et finalement on a eu un financement relativement adéquat. Une fois que l’on a obtenu la reconnaissance…c’est-à-dire l’assurance que l’on reste des CDÉC, que le mandat s’intègre dans notre mission et qu’on ait le financement en conséquence, on a accepté le mandat, on a signé et on a commencé. D’ailleurs, à ma connaissance, on a été dans les premiers CLD en œuvre au Québec parce qu’on était une structure déjà existante. » Céline Charpentier 221 Le CLD de Montréal Quelle est donc cette configuration particulière que prend l’incarnation de la nouvelle Politique de soutien au développement local et régional dans la ville de Montréal? Elle comprend la création d’un CLD, le CDL de Montréal, accrédité comme les autres CLD du Québec et répondant aux mêmes exigences. Seulement, ce CLD aura un aspect que plusieurs désigneront de virtuel : « Le CLD de Montréal, c’est trois réunions par année maximum. C’est pour cela qu’on dit souvent que le CLD de Montréal a un caractère virtuel. On y accepte les rapports, les plans d’action, on s’assure que les chèques peuvent être faits. C’est vraiment virtuel, il n’y a pas de taxes. C’est la Ville qui, comme contribution au CLD, assure une permanence du secrétariat du CLD de Montréal avec ses employés. » Claude Lauzon En effet, le CLD de Montréal ne rendra aucun service directement, ces derniers étant entièrement décentralisés auprès d’organismes mandataires, dont les CDÉC forment la majorité. Ce CLD de Montréal est incorporé au printemps 1998. « Seul à desservir une population aussi importante, le CLD de Montréal s’est adapté à la situation en se donnant une structure unique et originale. Ainsi il n’offre pas directement de services mais s’incarne plutôt dans des organismes mandataires » Rapport d’activités du CLD de Montréal, 1999-2000, p.11 Les organismes mandataires se répartissent des mandats territoriaux (neuf organismes dont les CDEC) et des mandats spécifiques (six organismes). Ainsi, neuf organismes agissent comme porte d’entrée du CLD sur leur territoire. Ce sont les « organismes mandataires territoriaux du CLD »91 soient les sept CDEC alors en place ainsi que les deux sociétés de développement économique (SDE) (celle de Ville-Marie et celle de Rivière-des-Prairies/Pointeaux-Trembles où il n’y a pas de CDEC). Aussi, plutôt que d’élaborer un seul plan de développement pour l’ensemble de la ville, ces organismes territoriaux ont élaborés chacun un plan local d’action concertée pour l’économie et l’emploie (PLACÉE) correspondant à leur territoire respectif. 91 Rapport d’activités du CLD de Montréal, 1999-2000, p.13 222 Les six autres organismes mandataires sont dits « responsables des services spécifiques »9. Il s’agit du Centre d’entreprises et d’innovation de Montréal (CEIM), du Centre d’intervention pour la revitalisation des quartiers (CIRQ), du Groupe-conseils Saint-Denis, des SAJE (Service d’aide aux jeunes entrepreneurs) de Montréal-Centre et Montréal Métro et du Fonds de développement Emploi-Montréal (FDEM). Enfin, en ce qui a trait aux services et fonds destinés aux jeunes promoteurs et aux travailleurs autonomes, ces derniers sont gérés par les CDÉC et des organismes qui oeuvraient déjà dans ce domaine tels les SAJE ou le CEIM, à l’exception de deux CDEC : la CDÉC Centre-Sud qui gère seule le programme Jeunes promoteurs et le Regroupement pour la relance économique et sociale du Sud-Ouest (RESO) qui se charge d’offrir tous les services liés au programme Soutien au travail autonome (STA). Le CLD n’a pas d’assemblée générale. Le conseil d’administration du CLD de Montréal se réunit quelques fois dans l’année. Il est composé de treize membres votants et de trois membres non-votants. Parmi les membres votants, on retrouve quatre personnes désignées par le comité exécutif de la Ville de Montréal et un représentant de chacun des neufs organismes mandataires, soit les sept CDÉC et les deux SDE. Le comité des partenaires locaux (sur lesquels nous revenons en détail dans une section subséquente) de chaque mandataire désigne à cette fin un représentant. Le représentant d’Emploi-Québec, le représentant du ministère des Affaires municipales et de la Métropole et le représentant de la Ville de Montréal responsable du CLD sont les trois membres non-votants. Le conseil est responsable du suivi du mandat CLD. C’est plutôt un lieu de ratification des décisions prises par les mandataires qui envoient leurs listes des bénéficiaires découlant de l’affectation des sommes venant des différents fonds, etc. : : « Le CLD de Montréal c’est un CLD virtuel. C’est que la Loi ne permettait pas que les CDÉC deviennent des CLD, donc ils ont créé le CLD de Montréal. En tout cas il y a eu là aussi une négociation. Le CLD de Montréal devenait un CLD virtuel. C’està-dire que les CDÉC ont le pouvoir, le contrôle du CLD de Montréal parce qu’elles sont majoritaires et elles se rencontrent avant. Donc au CLD de Montréal, on fait juste adopter des choses. Je veux dire il ne se passe rien. » Michel Depatie 223 Le CLD de Montréal compte trois postes qui constituent la permanence et qui proviennent des effectifs de la Ville de Montréal. « Le budget du CLD de Montréal est octroyé par le ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM) et la Ville de Montréal. Par ailleurs, le ministère de la Solidarité sociale (Emploi-Québec) finance directement les organismes mandataires pour le programme Soutien au travail autonome (STA). » Rapport d’activités du CLD de Montréal, 1999-2000, p.19 C’est un total de près de 12 M$ qui ont été alloué par le CLD de Montréal en 1999-2000. Ce montant était réparti en deux enveloppes, une destinée au fonctionnement des activités des organismes mandataires et l’autre aux divers fonds de soutien destinés aux clients. Ainsi, 6,2 M$ étaient attribués au fonctionnement dont 4,5 M$ aux 7 CDÉC et aux 2 SDE, alors qu’un peu plus de 5 M$ étaient accordés en prêts et subvention aux entrepreneurs individuels, collectifs ou travailleurs autonomes dont 2,7 M$ par l’intermédiaire du FLI et 2,4 M$ par l’intermédiaire du FÉS. La répartition du budget entre les organismes mandataires est basée sur des critères parmi lesquels le nombre de résidants, d’emplois, d’entreprises sur le territoire desservi (généralement l’arrondissement) ainsi que le taux de personnes à faible revenu. La configuration finale du mandat CLD à Montréal aurait-elle pu être différente ? La plupart des intervenants ne le croient pas. Ainsi, pour Martial Fauteux, il aurait été difficile d’envisager que les CDÉC n’aient pas le mandat CLD. Les CDÉC étaient alors à « la croisée des chemins » en matière de financement, sans le mandat CLD il ne serait plus resté grand chose pour les financer : « Une partie de leur financement venait de DRHC, de l’OPDQ, du fonds « Johnson» qui datait déjà de l’ancien comité, la SQDM se retirait de leur financement, le fédéral hésitait à financer, le MIC qui ne voyait plus pourquoi il devait les financer maintenant …alors à toute fins pratiques, il ne restait plus grand chose dans les CDÉC, si il n’y avait pas eu le mandat CLD. Aussi, je les comprends d’avoir fait des pieds et des mains pour se faire reconnaître.. » Martial Fauteux Pour Céline Charpentier, il aurait été presque impossible que les CDÉC ne réagissent pas : 224 « Il y avait deux options. Soit la Ville prenait la place [des CDÉC] et mandatait quel organisme, je ne sais pas? Ou il y aurait eu la création d’une structure différente. Mais disons que ça aurait été difficile que les CDÉC ne réagissent pas à moins qu’elles soient sourdes et aveugles. » Céline Chaprentier D’autres invoquent le contexte politique et historique : « Ça s’est fait comme ça, parce que ça ne pouvait probablement pas se faire autrement; à cause de la conjoncture politique, de tous les acteurs qu’il y avait d’impliqués. À un moment donné il faut arriver à faire plaisir à tout le monde et c’est ce que le Ministre a fait. Moi personnellement, je pense que la meilleure solution à Montréal ça aurait été d’avoir des CDÉC non pas mandataires mais directement CLD. Sans avoir quelque chose en haut. Partout en région, les CLD relèvent directement du Ministère des régions. Puis ce sont des vrais CLD. À Montréal on aurait dû faire des vrais CLD dans les CDÉC, c’est-à-dire leur donner le mandat et qu’il n’y ait pas de CLD Montréal en haut. Et qu’on ait un rapport direct avec notre bailleur de fonds qui est le ministère de la Métropole. Le pouvoir local dans une municipalité en milieu urbain il faut que ça se fasse dans les arrondissements, dans des volumes de ce type là. Donc ça aurait pu être différent, dans ce sens là. Mais la loi ne le permettait pas. Parce qu’il ne fallait pas être financé par le gouvernement fédéral. Parce que le gouvernement du Québec créait sa structure. Bon la chicane est finie. On aurait peut-être dû changer ça. » Michel Depatie « Ça aurait toujours été possible. Mais ils auraient dédoublé des structures qui en plus avaient déjà des acquis importants en terme de développement local. Aussi, le mandat CLD est venu asseoir de façon plus stable le développement local qui se faisait dans les CDÉC. » Jean Lambin Le protocole d’entente « Le protocole d’entente est un document assez épais! Mais c’est comme n’importe quel contrat le moindrement détaillé qui commence avec les préambules de la loi, les CLD, ce qu’ils sont, ce qu’ils font, qui fait quoi. Après quoi tu as les budgets, puis les résultats attendus. Et à la fin la partie pour signer…donc c’est assez volumineux » Claude Lauzon 225 Signée pour la première fois en 1998, puis reconduite annuellement, l’entente comprend plusieurs parties. D’abord une entente entre le ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole, la Ville de Montréal et le CLD Montréal. Dans cette entente, on retrouve le préambule. Ensuite les articles 1,2 et 3 spécifient respectivement les documents constituant l’entente, l’interprétation des différents termes et les représentants des parties. L’article 4 définit le territoire d’intervention du CLD soit le territoire de la Ville de Montréal. L’article 5 détaille les mandats du CLD : les mandats conférés par la Loi sur le ministère des Régions font l’objet de l’article 5.1. : regrouper et coordonner les différents services à l’entrepreneuriat et assurer le financement de ces services, élaborer un plan d’action local pour l’économie et l’emploi, élaborer en tenant compte des orientations, stratégies et objectifs nationaux et régionaux, une stratégie de développement de l’entrepreneuriat (comprenant l’économie sociale), agir en tant que comité consultatif auprès des CLE de son territoire et enfin exécuter, avec l’autorisation de la Ministre, tout autre mandat provenant de ministères ou organismes du gouvernement concernés par le développement local. L’article 5.2 stipule que le CLD coordonne et harmonise les mandats que lui confie la Loi sur le ministère des Régions et en assure le financement. On y retrouve aussi les mandats dont le CLD confie l’exécution aux organismes mandataires : - d'animer et de concerter les principaux acteurs socio-économiques de leur milieu en vue de réaliser les mandats que lui confie le CLD en vertu de cette entente; - d'élaborer et d'assurer la mise à jour d'un plan d'action local pour l'économie et l'emploi de leur territoire, dont le contenu sera conforme aux attentes signifiées à l'annexe IV de la présente; - d'élaborer et d'assurer la mise à jour d'une stratégie en matière de développement de l'entrepreneuriat, y compris l'entrepreneuriat de l'économie sociale, pour leur territoire; - de regrouper ou de coordonner les différents services d'aide à l'entrepreneuriat de leur territoire dont le financement est assuré dans le cadre de cette entente et ce, dans la mesure du respect des termes de l'article 5.4; - de mettre en place un comité de partenaires locaux ayant une composition conforme à ce que prévoit la Loi du ministère des Régions pour le conseil d'administration d'un CLD (article 10 de la loi 171). 226 Cet article précise enfin qu’un protocole d'entente distinct est signé entre le CLD et les organismes mandataires pour préciser leurs engagements réciproques. On retrouve ensuite à l’article 5.3 ce que les CDÉC ont ardemment revendiqué. L’article se lit comme suit : « Les signataires de cette entente reconnaissent que les mandats qui sont confiés aux corporations de développement économique communautaire (CDÉC) ou à des organismes mandataires apparentés, en vertu de l’article 5.2 s’inscrivent dans le cadre de leur mission générale de développement économique communautaire pour leur territoire. » (p.5 du protocole d’entente). L’article 5.4 enfin précise les conditions pour les mandats liés aux mesures STA, JP et la gestion de l’enveloppe budgétaire du FLI. L’article 6 intitulé Services offerts par le CLD énumère les services de première ligne que peut offrir le CLD, par l’intermédiaire de ses mandataires, et qu’il offre ces services aux entrepreneurs potentiels ou déjà en activité, individuels ou collectifs, incluant les entreprises d’économie sociale. Parmi les services que le CLD peut offrir, citons : des activités de conseil, la recherche de financement, la formation en entrepreneuriat, la concertation entre entreprises ou encore l’information et la référence à des services spécialisés. L’article 7 précise les engagements ministériels qui sont de deux ordres : engagements financiers d’une part, engagements relatifs à l’évaluation du CLD et de ses mandataires d’autre part. Ainsi peut-on lire que le ministre s’engage à « Procéder, conjointement avec la VILLE et en tenant compte notamment des informations contenues aux rapports d'activités du CLD et de ses mandataires, de même qu'aux états financiers du CLD pour l'exercice financier précédent, à l'évaluation annuelle des résultats obtenus par rapport aux attentes signifiées l'année précédente au CLD ». C’est également dans cet article qu’est inscrit que le ministre s’engage à «Établir, en concertation avec la VILLE, les attentes signifiées au CLD et les transmettre en avril de chaque année au CLD. » L’article suivant précise les engagements de la Ville cette fois. On y reconnaît entre autres que les activités du Service de développement économique de la Ville représentent dans leur ensemble une action de développement économique local et de ce fait une contribution de la Ville au CLD. On y précise également les modalités de collaboration et de participation des 227 commissaires du Service de développement économique de la Ville avec le CLD et les organismes mandataires. La Ville s’engage à poursuivre son financement du budget de fonctionnement des organismes mandataires et non à l’augmenter. L’article 9 présente les engagements du CLD. Viennent ensuite les dispositions administratives à l’article 10. Pour chacune d’elle, il est d’ailleurs stipulé que le CLD doit s’assurer que les organismes mandataires se conforment à la même obligation. Les articles 11 à 18 traitent de la vérification comptable et financière, des avis, des dispositions particulières, de la publicité et des relations publiques – où une clause oblige l’identification des partenaires dont le gouvernement du Québec – les droits de cession, le district judiciaire, les cas de défauts et enfin toute autre disposition générale. Enfin, à cette entente de gestion sont donc annexés les documents suivants : - La lettre d’agrément du CLD Montréal, signée le 8 juin 1998 par le ministre de la Métropole - Les modalités d’utilisation par le CLD des contributions reçues - Le contrat de prêt conclu entre le ministre d’État à la Métropole et le CLD Montréal, signé également le 8 juin 1998 - Les attentes signifiées - Les dispositions relatives au rapport annuel d’activités - Les dispositions relatives aux conflits d’intérêt - La répartition de l’enveloppe budgétaire intégrée du CLD entre les territoires de Montréal - Le protocole d’entente entre le CLD et les organismes mandataires (CDÉC) - Le protocole d’entente entre le CLD et Emploi-Québec concernant le soutien aux travailleurs autonomes (STA) - Le protocole d’entente entre le CLD et les mandataires du CLD pour Jeunes promoteurs (JP). Une clause de l’entente prévoit pour cette dernière une reconduction automatique à moins d’un avis contraire trois mois avant son échéance. Mais chaque année depuis le première entente, des modifications ont justifié la signature d’une nouvelle entente. En 1999-2000 il s’agissait d’ajustement nécessaires relativement au fonctionnement et aux mesures STA et JP. En 2000-2001, un nouvelle négociation s’est déroulée pour modifier la répartition de l’argent. Et en 228 2001-2002, de nouvelles obligations ont été inscrites comme celle pour les CDÉC de mener des actions avec Emploi-Québec sur leur territoire et des actions pour l’entrepreneuriat féminin. Le protocole d’entente entre le CLD et chacun des organismes mandataires ( sept CDÉC et deux SDE) reprend les grandes lignes de l’entente de base entre le MAMM, la Ville et le CLD. Il comporte un préambule suivi du premier article qui précise l’objet de l’entente soit la délégation aux organismes mandataires de l’exécution des mandats confiés au CLD par la loi. L’article 2 t présente les engagements du CLD Montréal, principalement financiers. L’article 3 précise les engagements des organismes mandataires soit d’abord l’exécution des mandats cités à l’article 5.2 de l’entente MAMM-Ville-CLD sous « la coordination et l’harmonisation du CLD » et les services que les organismes mandataires peuvent offrir dans le cadre du mandat, soit ceux cités à l’article 6 de la précédente entente. L’article 4 présente les dispositions administratives. Les articles 5 à 13 traitent comme dans l’autre entente de la vérification comptable et financière, des avis, des dispositions particulières, de la publicité et des relations publiques – où un clause oblige l’identification des partenaires dont le gouvernement du Québec – les droits de cession, le district judiciaire, les cas de défauts et enfin toute autre disposition générale. L’Inter-CDÉC, une force en évolution « L’Inter-CDÉC ça fait 8 ans, toujours la même idée : se voir pour parler de dossiers communs en fonction de stratégies, d’échéances et autres. Les mandats avec le temps s’accumulant, on s’est dit, il faut absolument qu’on se voit au moins une fois par mois et c’est ce qui a été fait rapidement. Après, il y a eu des comités sur lesquels il a fallu que l’on siège, il y a eu aussi la représentation qui a du être faite. » Claude Lauzon L’Inter-CDÉC est ce regroupement informel des directeurs et directrices des CDÉC du territoire de la Ville de Montréal qui a été au cœur des négociations pour les CDÉC. Réunissant au départ les trois directeurs, des trois CDEC alors en place, et quelques administrateurs des CDÉC de première génération, l’Inter-CDÉC tient entre 1986 et 1989 une dizaine de réunions principalement orientée vers la préparation aux rencontre avec le comité de gestion de l’OPDQ. En 229 1989-1990 se joignent les directeurs des CDÉC de deuxième génération. En 1993, suite à l’arrivée des CDÉC de troisième génération, les réunions deviennent plus régulières et plus fréquentes. Maintenant mensuelles, les réunions de l’Inter-CDÉC suivent un ordre du jour établi conjointement par les participants. Les réunions sont chargées, l’ordre du jour pouvant facilement compter une vingtaine de points ou plus. Ce sont donc des rencontres assez longues, « jamais en bas de trois heures, souvent quatre et des fois ça dépasse mais jamais la journée. »92. Par ailleurs, il arrive parfois que la réunion statutaire ne suffise pas ou qu’un événement quelconque nécessite une rencontre plus rapide. Dans ces cas, on a recours à des conférences téléphoniques sur l’heure du midi par exemple. Tous y sont invités, la plupart essaie de se libérer mais ce n’est pas toujours possible, on travaille alors avec ceux qui sont disponibles. Pour ce qui est des rencontres statutaires, elles ont lieu en alternance dans chacune des CDÉC. Et la tradition veut que ce soit l’hôte qui préside Il y a environ cinq ans, l’Inter-CDÉC procède à l’embauche d’une personne ressource à temps partiel (2jours/semaine) qui se charge entre autres de coordonner les réunions, de faire les suivis parmi lesquels la rédaction de procès-verbaux des réunions. Cette ressource est financée par la cotisation de chacune des CDÉC à l’Inter-CDÉC, une cotisation de l’ordre de 5 000 $. Puis, il y a deux ans, les directeurs et directrices de l’Inter-CDÉC ont décidé d’avoir une permanence, une personne à temps plein. Un changement rendu nécessaire vu la quantité de travail et rendu possible grâce au financement des autres CDÉC du Québec qui veulent participer aux rencontres. « Les autres CDÉC du Québec voulaient aussi qu’on se voit alors ils ont financé 20%, une journée de salaire et on se voit une fois par deux mois. […]. Ce sont les réunions où il y a beaucoup plus d’échanges que de stratégie. Et depuis quelques réunions, ils poussent pour qu’on formalise ce rassemblement en l’incorporant …je suis complètement contre…mais pas certains de mes collègues directeurs…» Claude Lauzon On voit que les CDÉC de l’ancienne ville de Montréal se sont quand même gardé un espace de rencontre bien à elles, d’autant que l’arrivée des autres CDÉC du Québec à la table semble 92 Claude Lauzon, directeur de la CDÉC CDN/NDG 230 créer des bouleversements…Outre cette nouveauté, l’Inter-CDÉC poursuit toujours de la même façon depuis sa création : «Il n’y a pas de mandat, mais l’idée est toujours restée la même : c’est une table; et à période régulière on fait le point sur ce qu’on a à faire, sur ce qu’il faut faire, on fait des petits post-mortem en fonction de ça, on développe des stratégies, des fois on se fait accompagner par des membres de notre CA lorsque l’on a des représentations à faire pour les élus politiques, c’est nos élus qui doivent les faire, ça n’a pas vraiment changé depuis le début.» Claude Lauzon Parmi les principaux sujets de discussion, on retrouve généralement une section EmploiQuébec, une section CLD, parfois une section DÉC Canada, ainsi que de brefs rapports sur les comités où siègent soit des membres de l’Inter-CDÉC ou des employés des CDÉC. Ces comités sont en grande partie liés aux ententes et aux partenariats que développent les CDÉC, comme par exemple avec le CIRQ pour le développement des artères commerciales, il y a aussi un comité économie sociale qui regroupe les agents de développement en économie sociale des CDÉC. « Et il y a un varia qui varie à chaque fois, qui est un peu un fourre tout, qui ne prend pas la part du lion mais quand même…Il y a l’ACLDQ, qui se réunit une fois par mois et où on a un représentant, c’est quelqu’un de la SODEC de PAT, on a un représentant au CA de PRO-EST aussi. Ces temps-ci, on parle de la SOLIDE parce qu’on a fait des choses avec les SOLIDES, et puis, ça dépend aussi de la conjoncture, des dossiers… » Claude Lauzon Quant au rôle de l’Inter-CDÉC, Claude Lauzon n’hésite pas à parler d’une force de négociation : « C’est un bloc et on a une belle solidarité…on y va en bloc, c’est la force, l’union fait la force…en même temps, on essaie d’ajuster pour que tout le monde soit content, il y en a des fois qui ne sont pas toujours contents de tout mais dans ce qu’on a, obtient ou autre, la raison du succès c’est qu’on l’a toujours fait en gang, en bloc…En fait, il n’y a pas d’autres rôles pour l’Inter-CDÉC, surtout pas, et il ne faut pas parce qu’on ait tellement de choses à faire. C’est très bien comme ça fonctionne et il faut que ça reste comme ça, le reste c’est de notre ressort comme individu dans chacune des boîtes et ce n’est pas que nous, c’est nos élus… » 231 Claude Lauzon Une cohésion et une solidarité aidées par le fait que parmi les directeurs et directrices des CDÉC de Montréal, certains se connaissent depuis plusieurs années… « On rit quand même, on s’engueule rarement alors on va se taquiner, on rit beaucoup, on se connaît ; il y en a qui se connaissent depuis plus de 20 ans, ils ont été dans une autre vie ensemble, ils ont travaillé ensemble…le plus nouveau y est depuis deux ans, c’est pas mal… » Claude Lauzon Ainsi, le directeur de la CDÉC CDN/NDG a participé à une dizaine de réunions de l’InterCDÉC en 2000-2001, et à peu près au même nombre en 2001-2002. C’est également lui qui participe aux réunions du regroupement des CDÉC du Québec, soit environ cinq réunions dans une année. Parmi les réalisations de l’Inter-CDÉC, nous aurons l’occasion de revenir sur la question du mandat CLD plus loin. Mentionnons cependant toutes les démarches et négociations liées au financement auprès de différents bailleurs de fonds des CDÉC, aussi des rencontres avec des représentants d’Emploi-Québec pour la reconduction de l’entente avec les CDÉC ou des réunions de travail avec Investissement Québec pour le programme Déclic PME et le rôle que peuvent y jouer les CDÉC. Les réunions du comité Inter-CDÉC des agents de développement en économie sociale (dix en 2000-2001), en plus permettre des discussions et échanges sur des secteurs d’activités comme les Centres de la petite enfance (CPE) ou l’aide domestique ont également permis de déboucher sur une entente spécifique en économie sociale pour la région de Montréal. Pour 2001-2002, l’Inter-CDÉC visait une dizaine de réunions avec des dossiers comme les CLD dans la nouvelle Ville de Montréal résultant des fusions, le financement et la planification. L’impact du mandat de CLD L’impact le plus évident du mandat CLD à la CDÉC CS/PMR et à la CDÉC CDN/NDG a été l’augmentation significative de personnel. Avant le mandat de CLD, le personnel de la CDEC CS/PMR était composé de 14 personnes dont 8 intervenants répartis en deux mini-équipes aux 232 frontières plus ou moins définies : « En fait, il n’y avait pas réellement de structure d’équipe parce qu’il y avait beaucoup moins de monde » précise Jean Lambin. Avec le mandat CLD, ce sera au total huit personnes qui viendront gonfler les rang des employés de la CDÉC CS/PMR. Aussi, à cet accroissement de la taille de l’organisme est venu s’ajouter la nécessité de revoir la structure de l’organisme et de préciser les tâches et fonction des différents postes. Dans un premier temps, on crée donc d’une part le poste d’adjoint au développement, dont la principale tâche sera de voir à l’implantation du CLD et d’autre part, on regroupe tous les intervenants sous une seule personne : le responsable de l’intervention. Mais cet arrangement structurel ne fait pas long feu. Deuxième essai, la CDÉC CS/PMR se réorganise en deux équipes de travail cette fois, équipes qui sont encore là aujourd’hui soit l’équipe d’appui au développement et celle de développement des affaires et de l’entrepreneurship. L’augmentation du nombre d’intervenants s’est d’ailleurs surtout faite au bénéfice de cette dernière. « Je dirais que le secteur économique a pris beaucoup d’ampleur avec la venue du mandat CLD. Alors qu’avant il était un élément disons équivalent peut-être avec les services plus communautaires. Maintenant l’équipe économique est beaucoup plus grosse. » Jean Lambin Même scénario pour la CDÉC CDN/NDG qui voit ses effectifs doubler avec l’embauche de huit nouvelles ressources dans le cadre du mandat principalement au profit du service aux entreprises. Selon Martial Fauteux, un impact important du mandat sur les CDÉC a été leur virage vers « l’économique », surtout pour celles de 2ème et de 3ème génération qui auparavant ne faisaient que peu de service aux entreprises : « Je me souviens très bien de la directrice de la CDÉC Centre-Sud qui organisait son concours en entrepreneuriat. Elle était très orientée économie et développement des entrepreneurs, des entreprises, un reproche que certains lui ont fait à l’époque. Alors n’est-ce pas un étrange revirement de situation aujourd’hui alors que certaines CDÉC ont fait un virage majeur en entrepreneurship et développement économique, regardez la configuration du personnel de certaines CDÉC aujourd’hui par rapport à il y a quatre ans et vous allez comprendre ce que je veux dire; regardez les syllabus de formation offerts par les CDÉC : c’est le plan d’affaires, c’est les affaires et internet. Il ne s’en donnait à peu 233 près pas auparavant. Alors il y a eu un virage, un gros virage, qui a eu beaucoup d’impact. » Martial Fauteux À la CDÉC CS/PMR, l’arrivée du mandat CLD a aussi demandé beaucoup d’investissements en temps et en énergie : « L’obtention du mandat CLD, tel qu’on le souhaitait représentait beaucoup de travail tout de même, non seulement au niveau de ce qu’on voulait offrir comme services, mais aussi de ce qu’on voulait offrir comme culture. Il fallait aussi décider comment on allait gérer le tout, qui engager pour faire quoi. Finalement on a fait de bons choix. Il n’y a qu’en économie sociale où on avait vraiment sous-estimé le travail et la demande. Alors l’équipe a grossi beaucoup, il a fallu réorganiser les équipes de travail, ce qui a été assez délicat. Parce que ça touche beaucoup les gens, quand on parle de postes, d’équipes, de chef d’équipe. Il y a beaucoup d’émotions dans l’air, beaucoup d’autres éléments que le rationnel qui entrent en ligne de compte et que tu ne peux pas toujours comprendre aisément alors il faut que tu prennes le temps. On est aller chercher de l’aide aussi, pour un diagnostic organisationnel et une proposition de structure; comment on devrait faire nos équipes. On en a discuté beaucoup. Puis, on s’est dit on va essayer la nouvelle structure pendant six mois. Et effectivement, après six mois on a effectué deux changements. Mais on ne pouvait pas le deviner au départ. » Céline Charpentier On constate donc également à la CDÉC CDN/NDG une formalisation des tâches, une spécialisation des postes de travail qui n’a pas nécessité une restructuration aussi importante mais qui fait ressortir une démarcation beaucoup plus nette entre les deux « services » : employabilité et services aux entreprises. Si le mandat CLD n’exige pas des mandataires des processus de travail spécifiques ou des démarches préétablies pour le traitement des dossiers, il exige cependant que les CDÉC rendent compte de leurs résultats de façon plus détaillée qu’auparavant et en partie sous la forme d’indicateurs comme le taux de satisfaction de la clientèle ou le temps de traitement des demandes. Aussi, chaque CDÉC doit se donner les moyens de recueillir et de compiler les données nécessaires à cet effet. Jumelé à la croissance des effectifs ceci a eu pour conséquence une certaine formalisation des procédures à la CDÉC CDN/NDG. Ainsi, il y a maintenant des 234 procédures formelles d’accueil, de cheminement des dossiers comme à la CDÉC CS/PMR d’ailleurs. En fait foi cet extrait d’un bilan de cette dernière : « Depuis la signature de l'entente de gestion avec le ministère de la Métropole en juin dernier, octroyant le mandat de Centre local de développement à la CDÉC Centre-Sud, […] plusieurs outils de gestion, de suivi et de contrôle des services rendus ont été développés, un processus de service axé sur le cheminement naturel et les besoins de la clientèle a été mis sur pied… » Bilan 1998-1999 - CDÉC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal, p. 8 Le mandat CLD, qui comprend une enveloppe budgétaire dédiée à l’économie sociale a aussi conduit chaque CDÉC a créé au moins un poste d’agent de développement en économie sociale, poste qui n’existait pas auparavant. Ce qui ne veut pas dire que les CDÉC ne s’occupait pas d’économie sociale mais seulement qu’elle n’y consacrait pas exclusivement une ressource. Un des aspects positifs du mandat CLD tient aux ressources plus importantes, financières et humaines, qu’il procure aux CDÉC et qui s’accompagnent d’une véritable décentralisation… « Ce qui est intéressant dans le cadre du mandat CLD, des fonds alloués, c’est que tu peux vraiment les personnaliser selon la réalité du milieu comme tel. » Jean Lambin C’est aussi une reconnaissance de l’État pour les CDÉC, le développement local et l’économie sociale. « Le mandat CLD c’est du développement d’entrepreneurship et d’économie sociale. Du développement d’entrepreneurship, on en faisait déjà. L’économie sociale on en faisait depuis longtemps mais sans être tout à fait reconnu. Alors il y a un côté intéressant au mandat CLD, c’est cette reconnaissance. À CentreSud/Plateau Mont-Royal, on est une des CDÉC où il y a le plus de projets, le plus de demandes surtout en économie sociale. Or, on a, je pense, 300 000 $, c’est ridicule, ce n’est pas assez. Au fond, c’est bien de le reconnaître mais quand on n'a pas les moyens…Enfin, je pense que c’est quand même une amélioration intéressante. » Noëlle Samson « La différence c’est entre autres le comité local des partenaires, qui vient renforcer la légitimité qu’on va aller chercher dans le milieu. Quant aux mandats qu’on a, ce 235 sont ceux de notre plan d’action, de notre PLACÉE. Donc on a plus de ressources, pour faire plus de choses avec cependant une imputabilité un peu plus grande par rapport au bailleur, puis au milieu, mais c’est essentiellement ça » Claude Lauzon Le mandat CLD, vient aussi accentuer l’importance du gouvernement provincial comme principal bailleur de fonds des CDÉC. Le MAMM devient ainsi le principal interlocuteur en ce qui a trait au mandat et avec le CLD Montréal, assume la responsabilité de l’évaluation des CDÉC dans le cadre du mandat. De ce fait le Comité d’harmonisation de Montréal (CHM), comprenant des représentants des trois paliers gouvernementaux impliqués dans le financement des CDEC, perd beaucoup de son importance… « Avec le CHM, on a encore des échanges, ils nous donnent leur opinion pour chacune des CDÉC. Et puis pour l’employabilité même si ça ne concerne pas Développement Économique Canada ou le CLD, ils vont être intéressés de voir ce qui se fait et l’évaluation que fait Emploi-Québec de ça. Mais avec le temps, avec le mandat de CLD, le CHM a pris de moins en moins d’importance, même s’il existe toujours et se réunit encore une à deux fois par année pour étudier les rapports et les plans d’action. Ils échangent et comparent un peu pour voir s’il n’y a pas de dédoublement surtout. Il font une aussi une petite évaluation, pas par écrit, verbale. Elle est très sommaire, quand ça va bien et bien bravo. Quand ça va moins bien et bien on regarde ça avec eux, on discute : il y a tels ou tels objectifs qui ont plus ou moins d’intérêt, pensez-vous qu’il y a des modifications qui vont être faites? Ils ont sûrement des discussions dont on ne connaît pas la teneur, il doit y avoir des comparaisons qui se font. On a toujours demandé à pouvoir aller faire un petit tour, les CDÉC, ne serait-ce que pour présenter nos choses, répondre à leurs questions, mais en même temps on voit tous ces gens là sur une base individuelle...Mais c’est somme toute quelque chose qui prend moins d’importance. Ça en avait plus, d’importance, lorsqu’on développait des grilles communes d’évaluation, une standardisation des outils. » Claude Lauzon Selon Martial Fauteux, l’arrivée d’Emploi-Québec et le déploiement des CLE a eu moins d’impact que les CLD, surtout dans les premières années, mais quand même : « Je pense que les CDÉC ont espéré un bout de temps avoir à la fois les mandats CLE et CLD, le grand rêve de tout contrôler…jusqu’à ce qu’on leur dise, il y aura Emploi-Québec, il y aura des CLE. Parce qu’il y avait beaucoup d’implications que les CDÉC n’avaient peut-être pas réalisées…Le rapatriement du contrat fédéralprovincial en matière de main d’œuvre, il y a des impacts administratifs 236 incontournables, en plus des syndicats, et il y a du monde de l’autre bord aussi, c’est pas un terrain vierge… Ce qui donne à penser que le rôle de comité aviseur du CLE, c’était peut-être le bonbon pour faire avaler le fait qu’il y aurait des CLE…? » Enfin, le mandat CLD n’est pas le premier tournant dans l’histoire des CDÉC. Selon Martial Fauteux, leur parcours est jalonné de décisions importantes et d’événements marquants : la décision du gouvernement de renouveler le financement des CDÉC en 1987, le protocole d’entente de 1990 avec l’arrivée de nouveaux bailleurs de fonds : « c’est là que la Ville est arrivée, c’est là que le MIC est arrivé, que le fédéral est arrivé. Le MIC c’était très circonstancié, ils payaient le directeur des services au développement des entreprises » et l’arrivée d’EmploiQuébec aussi. Mais ce n’est pas seulement les bailleurs de fonds qui façonnent l’évolution des CDÉC, il y a du leadership dans le milieu même : « Le RESO par exemple est un peu une locomotive, il y a eu le RESO si on peut dire expérimental, son RESO Investissement et ça, ça a entraîné des choses aussi. Mais au niveau de l’ensemble du mouvement et de l’ensemble des bailleurs de fonds, ça a été ces moments là qui sont majeurs. » Martial Fauteux Il semblerait tout de même que le mandat CLD et le virage qu’il a entraîné dans les CDÉC aient eu des impacts à plus long terme… « Au départ, la CDÉC, c’était vraiment pour la prise en charge des personnes du quartier, de Côte-des-Neiges, de Notre-Dame-de-Grâce avec leurs problèmes. C’était vraiment la mission première de les aider, de travailler pour eux. Le client était important. Quelqu’un qui arrivait en retard, parce qu’il n’avait pas de billet d’autobus et qu’il avait dû marcher, ce n’était pas grave. Aujourd’hui, il faut suivre le protocole : la cliente arrive en retard, donne-lui un autre rendez-vous. Avant, si j’étais prise au téléphone, je pouvais passer l’appel à n’importe qui dans la boîte. Maintenant, si c’est pas ta job, tu réponds pas. C’est comme pour les photocopies, ça coûte cinq cents après les cinq premières feuilles. Et là, le client veut une photocopie de son CV qui a dix pages. Est-ce bien grave si tu oublies de lui charger? Il y a un jugement logique à faire. C’est bien beau les procédures mais des fois je me dis : on n’est pas des fonctionnaires! C’est ça que je trouve triste. On n’a plus ce petit côté, ce petit plus. J’ai parfois l’impression qu’on « bardasse » plus nos clients qu’on les « bardassait » avant. On dirait qu’en changeant d’image, on a changé de comportement. On a perdu le côté humain. Quand les gens arrivaient dans nos bureaux, on n’avait pas des bureaux luxueux comme maintenant, c’était 237 communautaire mais il y avait de la chaleur. La CDÉC a commencé avec seulement un service en employabilité. Puis là tranquillement le démarrage d’entreprise est arrivé. Mais ce n’est pas le même monde. Ce n’est pas la même clientèle. Et ça paraît d’ailleurs à l’intérieur de la CDÉC que c’est deux mondes à part… On s’appelle CDEC, mais il y en a aujourd’hui qui aimeraient ôter le C pour communautaire. Moi, ça me dérange, parce qu’on dirait qu’on s’est éloigné de notre mission. » Mona Lavoie Le comité local des partenaires « Le comité local de partenaires, c’est pour le volet CLD seulement. Aussi, pour la CDÉC, l’instance décisionnelle reste le CA. En fait, la première instance c’est l’assemblée générale avec nos collèges électoraux ; il y des élections, il y a des représentants qui sont élus au CA. Donc le CA est tributaire de l’assemblée générale et doit lui rendre des comptes. Lors des élections du CA, les candidats peuvent être élus ou non. Alors ces deux instances restent les plus importantes pour la CDÉC » Claude Lauzon Tel qu’inscrit à l’article 3.1 de l’entente entre le CLD et les organismes mandataires, chaque CDÉC mandataire se doit de « mettre en place et d’assurer le suivi d’un comité de partenaires locaux ayant une composition conforme à ce que prévoit la Loi sur le ministère des Régions pour le conseil d’administration d’un CLD » (voit tableau 16). Le rôle de ce comité que les CDÉC appellent plutôt comité local de partenaires (CLP) est décrit de la façon suivante à l’article suivant de la même entente : « 3.2 Chaque comité des partenaires locaux a la responsabilité de définir les orientations des activités liées aux mandats confiés à l’organisme mandataire concernant les fonds reçus du CLD, de participer à l’élaboration et d’adopter les orientations du plan local et de la stratégie de développement de l’entrepreneuriat; il agit comme comité consultatif auprès du ou des centres locaux d’emploi de son territoire et s’assure de l’exécution des mandats que l’organisme mandataire reçoit du CLD en vertu du présent protocole et conformément au protocole liant le CLD Montréal, la Ville de Montréal et la ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole » Ainsi, le CLP comprend généralement les membres du CA de la CDÉC, les élus municipaux et les députés du territoire, tous ayant un droit de vote et la direction du ou des CLE du territoire, un 238 représentant de la direction de l’île de Montréal pour le MAMM et parfois le commissaire local du service de développement économique et urbain de la ville de Montréal, qui eux n’ont pas droit de vote. Tableau 16 : Composition du comité local des partenaires des CDÉC CS/PMR et CDN/NDG Provenance Membres du CA de la CDÉC Élus municipaux Députés CLE MAMM Commissaire local du Service de développement économique de la ville de Montréal CLP CS/PMR 18 7 2 Directeur du CLE du Plateau 1 représentant 1 CLP CDN/NDG 17 7 4 Directeur du CLE CDN 1 représentant 1 Le nombre d’élus siégeant au CLP varie cependant d’une CDÉC à l’autre puisqu’il est tributaire du découpage de la carte électorale : font partie du CLP les conseillers municipaux et les députés provinciaux dont le district municipal ou le comté provincial se trouve sur le territoire d’intervention de la CDÉC en question. Ces élus ont un horaire chargé et travaillent sur de nombreux dossiers, d’où une participation aux réunions plutôt variable : « Ce sont généralement toujours les mêmes qui viennent. Et, il y en a toujours au moins deux. Et dans tous nos dossiers on les informe, on les invite à participer quand on fait des assemblées publiques. Je pense que c’est bien qu’ils soient informés, qu’ils soient d’accord tant mieux et s’ils ne le sont pas et bien je pense qu’il faut les convaincre. Moi je n’aime pas beaucoup qu’ils siègent sur des instances décisionnelles pour la CDÉC. En général ce sont des personnes qui connaissent le pouvoir de la parole. D’un autre côté, je pose la question, s’ils n’y étaient pas, peut-être que les décisions se prendraient plus haut sans qu’on le sache. C’est peut-être une occasion, une chance de pouvoir les convaincre. » Noëlle Samson « Les élus finalement ne participent que peu. Ils ont beaucoup de réunions et sont très occupés. Souvent, il n’y en aura qu’un ou deux sur onze qui viennent par réunion, rarement plus. Les députés provinciaux sont ceux qui sont le plus souvent absents. Soit, ils sont à Québec ou ils ont d’autres engagements. Les conseillers municipaux, on les voit un peu plus. Mais il y a des représentants qui viennent toujours, celui du ministère de la Métropole, le commissaire industriel. Donc notre comité des partenaires, regroupe près de trente personnes, sauf que l’on n’est jamais trente autour de la table. Mais tout le monde reçoit les documents. Alors 239 ceux qui ne viennent pas peuvent au moins les lire, en prendre connaissance et être au courant. » Claude Lauzon Martial Fauteux quant à lui représente maintenant le MAMM sur les comités locaux des partenaires des CDÉC mandataires du CLD Montréal. Il participe aussi à des comités du CLD de Montréal (Comité du programme Artères en action et comité du FLI). Le plan local d’action concertée pour l’économie et l’emploi : PLACÉE Selon l’article 3.1 de l’entente entre le CLD et les CDÉC, ces dernières sont responsables « d’élaborer ou de mettre à jour un plan d’action local pour l’économie et l’emploi de leur territoire ». Ce plan a pris le nom de « Plan local d’action concertée pour l’économie et l’emploi », plus communément nommé PLACÉE. À la CDÉC CS/PMR, le PLACÉE a été réalisé par des employés de la CDÉC même. Le processus nécessite de nombreuses réunions. Une première ébauche fait l’objet de consultations auprès de chacun des collèges électoraux. Le tout se termine par une journée où les membres de la CDÉC sont appelés à venir adopter le PLACÉE. Une centaine de personnes participent à cette journée. Mais c’est aussi que la CDÉC CS/PMR ne se limite pas à ce qui est demandé dans le PLACÉE : « Comme la planification stratégique que l’on avait fait se terminait, on en a fait une autre qui nous a permis de réaliser non seulement le PLACÉE mais aussi une planification stratégique qui touche le secteur du développement social, du développement culturel, et du développement durable. Parce qu’on n’est pas seulement un CLD, on est une CDÉC et pour nous c’est très important, on s’est battu pour ça. » Céline Charpentier Comme c’est le cas également à la CDÉC CDN/NDG : « Le PLACÉE ne définit que les axes stratégiques et la politique de développement, la planification annuelle que nous avons toujours faite n’a pas changé et reste nécessaire. » 240 Claude Lauzon L’avenir Pour Claude Lauzon, l’objectif commun, la collaboration et le respect sont les éléments qui permettent et permettront la collaboration… « On a essayé autant que possible de développer des services qui n’existaient pas, pour ne pas dédoubler ce qui existait et respecter les compétences de chacun. C’est comme ça qu’on s’est entendu pour que les commissaires, commerciaux et industriels, de la Ville agissent comme des facilitateurs pour les CDÉC, en ce qui concerne les différents services de la Ville, la réglementation, les permis, etc. En échange de quoi on s’est engagé à les inclure dans nos comités de sélection de projet pour les différents fonds. C’est ce qui se passe, à la CDÉC CDN/NDG, on a des commissaires sur deux de nos comités. Et on va travailler plus en collaboration tout en respectant les champs de chacun. Et moi je peux dire que ça va très bien. Comme aussi avec le CLE, avec le SAGE, ça va très bien. C’est une question de respect des mandats de chacun. Et d’essayer aussi d’avoir une vision commune et de développer une complicité. Développer une complicité entre les individus. Et puis nos résultats sont aussi les leurs; on travaille tous ensemble pour un objectif commun qui est l’emploi. » Claude Lauzon Le mandat CLD soulève toutefois toujours beaucoup de questions pour les mandataires et des risques de dérive qui inquiètent : « S’il pouvait n’y avoir que des CLD ou que des SADC ça serait beaucoup plus simple pour les gouvernements, les bailleurs de fonds. Nous, les CDÉC, on est différent, on fait les choses différemment. Après plusieurs années, ils finissent par dire que tant qu’il y a des résultats, ça va. Mais ce n’est pas facile à suivre une CDÉC, à comprendre. Parce qu’on a toutes, chacune, nos façons de voir, de penser, d’articuler mais c’est aussi toute notre richesse. Sauf qu’évidemment par rapport à des petites cases, à des façons de faire plus standardisées, c’est compliqué. Je peux comprendre que les paliers de gouvernement souhaitent des structures qui soient semblables, équitables, qui offrent le même type de services à toute la population, mais en même temps on n’est pas un service du gouvernement. Alors il faut expliquer, convaincre. » Céline Charpentier La marge de manœuvre va-t-elle se restreindre ? 241 « Les ressources que nous avons pu dégager pour travailler sur chacun des quartier, strictement ça ne rentre ni dans le mandat de Développement économique Canada, ni dans le mandat du CLD, ni dans le mandat d’EmploiQuébec. En même temps comme on a des résultats, ils nous laissent faire. Donc on a quand même une marge de manœuvre, mais qu’il faut conserver. Parce que si on n’a plus de marge de manœuvre, à quoi ça sert de planifier, de faire des sommets, des rencontres ou des assemblées générales? Or, selon moi, les bailleurs de fonds vont continuer d’essayer de resserrer encore les limites, ce qui fait que l’on n’a pas fini de se battre contre ça. C’est d’autant plus important pour les CDÉC que notre crédibilité est liée au fait qu’on en a besoin de cette marge de manœuvre pour répondre aux besoins spécifiques de notre milieu, pour trouver des solutions nouvelles aussi. » Céline Charpentier Mais le plus grand défi des CDÉC est encore à venir… « Il y a pour les CDÉC un travail d’éducation à faire, même auprès de nos employés, des membres de notre CA, de nos bailleurs de fonds, de nos partenaires. Et il faut toujours le faire, parce qu’on est pas très connu et pas très reconnu non plus. C’est un problème réel. On a fait certains efforts mais je pense qu’il en reste encore à faire » Céline Charpentier 242 Chapitre 9. Analyse et interprétation des résultats : configuration et structuration du rapport Nous voici au terme de notre parcours où nous tenterons de dégager notre interprétation des résultats. Toujours dans l’esprit du caractère structuré/structurant de notre cadre théorique, nous chercherons d’abord à identifier la configuration adoptée par le rapport État – CDEC avant le mandat CLD puis celle adoptée après le mandat CLD. Puis nous terminerons sur la question de la structuration du rapport et de la contribution de chacune des dimensions que nous avons pu dégager dans l’étude de cette structuration. Analyse de la configuration du rapport avant le mandat CLD Quelle est donc la configuration adoptée par le rapport entre l’État et les organisations locales engagées dans le développement économique communautaire que nous avons étudiées, les CDÉC, avant l’arrivée de la nouvelle Politique et du mandat de CLD ? Pour répondre à cette question et ainsi être capable de caractériser le rapport « avant le mandat CLD », nous verrons la configuration adoptée par chacune des dimensions identifiées dans notre cadre théorique. Dimension individuelle Tel qu’exposé dans notre modèle d’analyse, deux éléments nous ont occupé dans la dimension individuelle. D’une part la présence de porteurs de projet, de leaders, engagés dans le rapport et d’autre part les traits des principaux porteurs de projet ainsi que leur vision du projet qu’ils défendent. Du côté des deux CDÉC étudiées, nous retrouvons les directeurs et les présidents comme porteurs de projets dans la période de temps précédant l’arrivée du mandat de CLD. Ainsi, à la CDÉC CDN/NDG, nous avons pu constater dans nos observations comment Claude Lauzon, le directeur, prend les devant en ce qui a trait aux relations avec les gouvernements. Il est d’abord celui qui est le plus au courant à ce sujet et le principal contact de ces derniers. On peut voir 243 également qu’il présente plusieurs des caractéristiques du leader idéal de Rezsohazy : considéré à peu de chose près comme un membre fondateur, il est en quelque sorte un symbole pour la CDÉC et après plusieurs années à la direction générale de l’organisation, il a su démontrer aussi plus d’une fois sa capacité de présider à l’exécution des décisions. Lors des débuts de la CDÉC, il a dû gérer les tensions entre les deux quartiers, CDN et NDG, et réussir à instaurer un climat de confiance. Il n’hésite pas à prendre la parole que ce soit lors de réunions, d’assemblées ou par le biais des journaux écrits locaux. C’est aussi quelqu’un qui suscite des initiatives et qui réussit à convaincre et à mobiliser pour que ces initiatives réussissent. En font foi, l’argent qu’il a réussi à trouver pour la CDÉC lorsque la SQDM refusait d’investir davantage et demandait aux CDÉC déjà financées de partager la mise avec les nouvelles CDÉC. On voit donc un directeur qui travaille très fort à « porter » un projet de développement local (sur la teneur duquel nous reviendrons dans la section suivante), travaillant pour ce faire à vaincre les résistances et à « évangéliser » les partenaires gouvernementaux comme locaux, afin de faire connaître et reconnaître ce projet. Bref, Claude Lauzon est un interlocuteur dont l’opinion et la parole est reconnue et écoutée par une large partie des groupes suivants : partenaires locaux, membres du conseil d’administration et employés de la CDÉC. À la CDÉC CS/PMR, la directrice Céline Charpentier, peut également être qualifiée de porteuse de projet. On n’hésite pas à associer l’amélioration de la situation à son arrivée au poste de direction où elle a su démontrer ses capacités à établir un climat de confiance, à résoudre des conflits, à vaincre des résistances. Capable d’initiative, elle n’hésite pas à prendre la parole, comme en témoigne l’article publié dans le quotidien La Presse, ou son implication dans les débats, comme celui de mai 1997 autour de la nouvelle politique de développement local du gouvernement du Québec. Comme Claude Lauzon, elle est également la principale interlocutrice dans le rapport à l’État et une part importante de son travail est consacré à porter le projet de développement (sur lequel nous reviendrons également) en « éduquant » les différents partenaires de la CDÉC. Enfin, son leadership est reconnu, elle aussi, par une large partie des employés, membres du conseil d’administration et partenaires locaux et gouvernementaux. Mais les directeurs ne s’engagent pas seuls, les présidents peuvent aussi être porteurs de projet, comme peuvent l’être d’autres membres du conseil d’administration. Du fait que ces 244 postes soit des postes élus suppose un minimum de leadership exercé par ces personnes qui engagent de surcroît leur temps et leur énergie bénévolement. A la CDÉC CDN/NDG, le président Roger Côté est avec la CDÉC depuis ses débuts (il n’a pas toujours été président mais il a toujours fait partie du conseil). Créateur de climat de confiance qui sait guider, orienter les réunions du conseil, il est aussi quelqu’un de qui on sollicite l’opinion. Roger Côté assume aussi une partie des représentations extérieures. Cependant, le président agit souvent en appui au directeur et non en amont des actions de ce dernier. C’est aussi le cas ailleurs, comme Céline Charpentier le faisait fort bien remarquer lorsqu’elle compare son implication au CA de la CDEST avec celle de directrice à la CDÉC CS/PMR. Dans le cas du ministère de la Métropole maintenant, en matière de porteurs de projet, on peut difficilement passer outre la personne occupant le poste de ministre. En effet, cette personne possède nécessairement des qualités de leader, à tout le moins politique, pour remplir ses fonctions. Cependant, chaque ministre peut choisir d’exercer un leadership plus ou moins prononcé dans chacun des nombreux dossiers qui l’occupent. Avant l’arrivée du mandat CLD, c’est Robert Perreault qui occupe ce poste, or M. Perreault a travaillé entre autres à la mise sur pied de la CDÉC CDN/NDG alors qu’il était conseiller municipal. On peut donc croire qu’il est non seulement en mesure d’exercer un leadership au niveau de ce dossier mais qu’en plus il porte une vision du développement local qui correspond quelque peu à celle des CDÉC. Outre le ministre, il convient de porter attention au fonctionnaire exerçant les fonctions de responsable du dossier et de la relation avec les CDÉC. En effet, si ces fonctions ne sont pas celles d’un cadre ou d’un gestionnaire, une analyse du cas révèle ici selon nous ce que Prévost appelle un leader intellectuel. C’est-à-dire que Martial Fauteux, responsable des relations avec les CDEC avant le mandat CLD, correspond assez exactement à la définition donnée par Prévost (1993 ; 80) : plus discrets, moins connus, les leaders intellectuels sont les penseurs qui alimentent le discours des leaders « charismatiques », ils développent leur vision, en assurent la cohérence, assurent à long terme la survie de l’effort de développement local. Travaillant avec les CDÉC depuis leurs débuts, formé comme urbaniste mais ayant toujours œuvré dans le domaine du développement régional ou local, rédacteur de nombreux rapports sur le sujet pour le ministère et son ministre, Martial Fauteux a pu développer une vision du développement local à Montréal. Et 245 nous allons voir maintenant comment sa personnalité l’a effectivement conduit à appuyer dans le long terme les efforts dans ce sens. Aussi, examinons maintenant les traits caractéristiques des trois principaux porteurs rencontrés dans le cadre de notre étude, soit Céline Charpentier, Claude Lauzon et Martial Fauteux. Claude Lauzon, le politique collaborateur. Claude Lauzon est d’abord un fin politique. Il perçoit d’ailleurs son travail de gestionnaire comme ayant un caractère éminemment politique. Aussi cet aspect du rapport avec le gouvernement, les négociations, l’imputabilité, a pour lui quelque chose de naturel, et même qui lui permet de mettre en œuvre ses compétences, son expérience et son talent dans ce domaine. C’est aussi quelqu’un de très pragmatique, il aime les actions et les résultats concrets, pas les beaux discours et les paroles en l’air. C’est d’ailleurs ce qui lui plaît le plus dans son travail à la CDÉC, ce sentiment de contribuer tangiblement au développement socio-économique du milieu. Enfin, c’est une personne qui démontre beaucoup de confiance en soi. Sans être arrogant, le plus jeune des directeurs de CDÉC est très direct et franc et n’hésite pas à dire les choses telles qu’elles sont, ces dernières ne soient-elles pas réjouissantes…tout étant dans la façon de le dire évidemment. Cette confiance s’exprime aussi dans la façon d’envisager l’avenir, Claude Lauzon vit au jour le jour, il n’a pas et ne veut pas de plan de carrière, tout comme dans son attitude face au jugement des autres. Ce dernier ne lui fait « pas peur » puisqu’il n’hésite pas à se faire évaluer par les membres du conseil d’administration mais aussi par ses employés. Claude Lauzon porte avec la CDÉC une vision du développement à la fois sociale et économique. La CDÉC, c’est aussi la possibilité de contribuer, de travailler et d’agir concrètement par des actions tangibles comme autant de petits pas qui s’additionnent, au développement de sa communauté, de son milieu. Bref de donner des résultats. Dans sa vision du développement et de la CDÉC, Claude Lauzon est aussi du parti de la collaboration, la CDÉC ne peut tout faire seule. Céline Charpentier, la bâtisseuse sociale. Comme nous l’avons vu dans la présentation du cas sur la CDÉC CS/PMR, Céline Charpentier est une femme qui aime les défis et le changement, plus encore, elle en a besoin. Aussi, elle a changé plusieurs fois de poste ou 246 d’organisation dans sa carrière. Mais si Céline Charpentier a aujourd’hui une longue expérience du milieu communautaire et des associations, c’est aussi parce que pour elle le « social » est très important, à tel point qu’elle ne voudrait pas travailler dans le secteur privé. Céline Charpentier veut aussi que son travail soit utile à la société. Être dans le feu de l’action, être à l’avant plan, font aussi partie de son travail et elle ne s’en plaint pas. Et puis, ce n’est pas une personne qui va s’en laisser imposer. Pour Céline Charpentier, le développement doit être social autant qu’économique. Le travail de la CDÉC, le développement économique communautaire, c’est une occasion de bâtir ou de rebâtir la communauté, de contribuer à la production d’un nouveau tissu social. Ce qui la fait vibrer à la CDÉC, c’est cette possibilité d’agir, d’intervenir pour changer des choses mais aussi pour essayer d’autres façons de faire. Le développement, c’est donc aussi d’innover, de réinventer pour le bien-être de la collectivité. Aussi, Céline Charpentier a pour la CDÉC beaucoup d’ambitions car pour développer la communauté, il faut disposer des leviers et des ressources économiques, humaines ou matérielles et d’une certaine autonomie. C’est pourquoi la CDÉC CS/PMR est une des plus grosses CDÉC mais aussi une de celles dont l’éventail d’activités est le plus diversifié : elle s’implique beaucoup en aménagement, elle gère sur son territoire le programme Jeunes Promoteurs, elle a maintenant un spécialiste pour l’industrie du multimédia. Dans cet ordre d’idées, Céline Charpentier trouve difficile la dimension politique du rapport avec l’État : les changements de ministre, les changements d’orientation, de structure, souvent tout va très vite, généralement sans consultation mais avec de nombreux impacts pour des organisations comme les CDÉC. Martial Fauteux, le rationnel engagé. Martial Fauteux est quelqu’un de très discret par nature. Il n’a pas l’habitude d’être à l’avant plan et cela lui convient tout à fait. Depuis son travail à l’OPDQ lors de l’émergence des premières CDÉC à Montréal, il n’a jamais cessé de travailler avec elles. Derrière cette personnalité analytique et rationnelle, se cache cependant un missionnaire qui ne s’affiche pas. C’est que Martial Fauteux croit profondément et fondamentalement au développement local et au développement économique communautaire (DÉC), bref à l’existence des CDÉC à Montréal. Pour lui, les CDÉC sont utiles, voir nécessaires à Montréal. Elles offrent des mesures adaptées qui répondent aux besoins de la grande ville en matière de développement au niveau local. Ce que ses longues années de travail à leurs côtés n’est pas encore venu démentir. D’ailleurs, les enjeux (découlant du protocole de 1990) qu’il a identifiés comme étant au 247 cœur du développement local et que nous avons présentés dans le cas (survivre sans perdre son âme, le contrôle du développement local, …), prouvent bien la fine compréhension qu’il peut avoir du vécu d’organisations comme les CDÉC. Enfin, Martial Fauteux, porte une vision du développement local beaucoup plus large que celle d’un seul développement économique par la création d’emplois ou soutien aux entreprises. Une conception proche de celle du DÉC, le développement économique communautaire, où le développement se veut plus global et plus durable. État CDÉC Tableau 17 : La dimension individuelle avant le mandat CLD Porteur de projet Type de porteur Céline Charpentier La Bâtisseuse sociale Claude Lauzon Le Politique collaborateur Martial Fauteux Le Rationnel engagé Vision du développement Développement social et économique Innover, trouver des solutions pour rebâtir la collectivité Développement économique et social À travers plusieurs « petites » actions concrètes Développement local durable Plus large qu’uniquement du développement économique Nous avons donc dans chacun des cas étudiés trois porteurs de projet très engagés, qui exercent chacun un leadership à leur manière et qui portent des visions du développement qui se rejoignent, s’entrecroisent. Dimension organisationnelle Pour étudier la dimension organisationnelle, nous avons choisi de nous inspirer des travaux de Mintzberg. En concevant le rapport État/CDÉC comme une organisation, nous pouvons alors, à l’aide des différents paramètres qu’il fournit, qualifier la division du travail et la coordination pour dégager enfin la configuration organisationnelle du rapport. Ainsi, on constate qu’avant le mandat de CLD, l’État agit comme bailleurs de fonds et de ce fait procède également à l’évaluation des CDÉC, ce qui amène une certaine coordination au 248 niveau des résultats. Les CDEC doivent remettre deux rapports et un plan d’action dans l’année, qui font l’objet d’une évaluation et d’une approbation et au besoin rencontrer les bailleurs de fonds, en échange de quoi, elles reçoivent un financement de base et peuvent recevoir selon les démarches qu’elles entreprennent et les projets qu’elles présentent des fonds supplémentaires. De leur côté, les CDÉC, agissent véritablement en sommet stratégique et en centre opérationnel. Elles sont responsables de la planification de leur intervention, ce qu’elles font en concertation avec les acteurs du milieu local et du choix des services qu’elles vont offrir comme des clientèles qu’elles vont desservir dans les limites du cadre, assez général, constitué par les quatre critères de reconnaissance et de financement des CDÉC (représentativité, territoire, axes d’intervention, soutien du milieu). Outre ces critères, on constate que le financement comme le suivi des résultats se fait à travers beaucoup d’ajustement mutuel. Ainsi nous avons vu que la démarche pour l’obtention du financement de base se fait par le dépôt du plan d’action des CDÉC au Comité d’harmonisation de Montréal (CHM) qui en discute. Si ce comité ne le juge pas satisfaisant ou désire avoir des précisions, des rencontres sont alors possible avec le directeur ou le conseil d’administration de la CDÉC. On vise à en arriver à un accord. De la même façon, lorsque les résultats ne sont pas jugés satisfaisants ou encore que certains éléments sont problématiques, le CHM va rencontrer encore là le directeur ou les administrateurs de la CDÉC pour en discuter et parvenir à une entente sur les mesures à prendre. C’est le plan d’action ainsi discuté qui va être accepté par le CHM (qui fera la recommandation aux ministères concernés) et qui constituera la base des attentes des bailleurs de fonds, ce avec quoi ils évalueront les résultats de la CDÉC à la fin de l’année. On constate donc qu’il y a une grande part d’ajustement mutuel. Enfin, le lien entre l’État et les CDÉC reste assez faible et les CDÉC bénéficient sans contredit de beaucoup d’autonomie, surtout en rapport avec l’État québécois. La place et le rôle de l’État dans le financement et l’évaluation des CDEC montre l’émergence d’une configuration divisionnalisée. Toutefois, la grande autonomie des CDÉC et le caractère « externe » de l’État, nous amènent à penser que le rapport adopte, avant le mandat de CLD, une configuration professionnelle. En effet, l’État manifesterait à travers son rapport aux CDÉC une certaine confiance en leur « qualification » et même dirons-nous un appui à leur « qualification ». 249 État Tableau 18 : La dimension organisationnelle avant le mandat CLD Division du travail Financement Évaluation des CDÉC CDÉC Sommet stratégique : choix produit-marché, planification Mécanismes de coordination Configuration Ajustement mutuel Standardisation des Résultats Configuration professionnelle > configuration divisionnalisée Centre opérationnel : prestation de services, innovation et expérimentation En effet, le caractère et la culture communautaire, la volonté démontrée d’agir pour les milieux locaux, la mobilisation des acteurs pour prendre en main le développement de leur territoire sont autant de facteurs « qualifiants » qui permettraient à l’État de faire confiance aux CDEC, nouvel acteur communautaire engagé dans le développement local. Le caractère expérimental aussi des CDÉC peut laisser croire qu’elles sont en voie de se « qualifier » comme organismes de développement économique communautaire efficace, de développer un savoir et un savoir-faire que ne possède pas l’État qui doit alors leur faire confiance. Ainsi, l’État en finançant ces initiatives et en leur laissant une importante marge de manœuvre vient appuyer ce processus de qualification. Cependant, il existe une tension croissante, comme l’exprime la diminution de la marge de manœuvre que l’on constate, surtout au niveau de l’administration municipale avec le protocole de 1990, entre cette configuration professionnelle et une configuration qui accentuerait la coordination étatique par le contrôle des résultats, c’est-à-dire une configuration plutôt divisionnalisée. La tendance à vouloir standardiser et uniformiser les résultats et l’offre de services (offrir à tous les citoyens des services équivalents) abonde dans le sens d’une configuration divisionnalisée ou la coordination par les résultats est le principal mécanisme de coordination. Mais à l’époque où nous sommes, c’est-à-dire avant le mandat CLD, on constate malgré tout une prédominance de la configuration professionnelle et donc le caractère hégémonique des CDÉC 250 dans le rapport. La configuration professionnelle n’est pas sans impact sur le pouvoir des acteurs en présence aussi, si l’État reconnaît les CDÉC comme des organisations « qualifiées » perd-il un certain pouvoir de contrôle comme nous le verrons dans la dimension institutionnelle. Dimension institutionnelle Dans cette dimension, nous nous intéressons à la question du pouvoir et donc à la gouvernance du rapport État-CDEC. Encore ici, il est possible de concevoir le rapport ÉtatCDÉC comme une grande organisation où il nous faudra identifier pour qualifier la gouvernance, les instances décisionnelles et les règles et normes. De cette caractérisation, nous pourrons ensuite dégager une configuration de la dimension institutionnelle en terme de mode de gouvernance en nous inspirant des catégories identifiées par Hollingsworth et Boyer. Du côté de l’État québécois, la principale instance décisionnelle reste les ministères et agences gouvernementales. Cependant, le Conseil des ministres, ou les ministères et agences sont rarement impliqués directement dans le rapport, c’est-à-dire que les ministres ou directeurs d’agence ne sont généralement pas au courant et en contact direct avec les CDÉC. C’est pourquoi, les décisions seront généralement prises soit en consultation avec des comités ou groupes de travail mis sur pied pour effectuer cette liaison, établir ce contact ou même carrément les décisions seront prises suite à l’initiative et aux demandes de ces comités. Il en ainsi du mémoire déposé au Conseil des ministre en 1990 réalisé conjointement par divers ministères pour obtenir une reconnaissance et un financement des CDÉC. Ce n’est pas le Conseil des ministres qui avait demandé un tel mémoire mais les ministères concernés qui en avait pris l’initiative. Puis, dans le protocole de 1990, s’inscrit une démarche d’évaluation des CDÉC pour le renouvellement du financement en 1995. Encore ici, c’est le CHM (Comité d’harmonisation de Montréal), qui suite au dépôt de l’imposant rapport d’évaluation en 1994-1995 fait ses recommandations aux paliers et aux ministères concernés qui prennent alors une décision. Or sur ce comité sont délégués des représentants de chacun des bailleurs de fonds, on constate que l’influence de ces comités est assez importante sur les décisions prises. Cependant, notons que lors de l’évaluation des CDÉC en 1994-1995, les CDÉC elles-mêmes ont été appelées à participer à la démarche d’évaluation. 251 Du côté des CDÉC maintenant, l’instance décisionnelle principale reste le conseil d’administration (CA) de chaque CDÉC. Mais, c’est généralement le directeur général, le DG, qui y présente les dossiers. Les DG sont donc de véritables agents de liaison entre la réalité de l’organisation, ses besoins et défis à relever et l’instance décisionnelle qu’est le CA. Aussi, le DG va être porteur de recommandations de la même façon que les comités vont être porteurs de recommandations auprès des ministères. La connaissance de ce qui se passe qu’a le directeur ou la directrice de la CDEC et aussi la concertation qui existe entre les directeurs de CDÉC à travers l’Inter-CDÉC (regroupement informel des DG) donnent un certain poids aux recommandations que ceux-ci déposent devant « leur » CA respectif. Enfin, en ce qui concerne les règles et normes, la principale règle codifiée réside en ces quatre critères de reconnaissance et de financement des CDÉC qui, nous l’avons dit plus haut définissent le « terrain de jeu » du rapport, le cadre dans lequel les acteurs peuvent jouer. Aussi, nous avons vu que les attentes de la part des bailleurs de fonds en terme de résultats proviennent des plan d’action des CDÉC que le CHM approuve. Donc, hormis l’obligation de déposer un plan d’action et l’obligation pour ce dernier de se situer à l’intérieur du cadre déterminé par les quatre critères, aucune règle écrite ne détermine officiellement la teneur du plan d’action; les CDÉC et leur milieu sont entièrement et seuls responsables de sa rédaction et de son contenu. Par contre, pour que les CDÉC obtiennent leur financement, ce plan d’action doit être approuvé par le CHM et ce faisant, devient l’expression écrite des résultats attendus de la part des bailleurs de fonds. Il est donc fort probable que les membres du CHM aient, au-delà des quatre critères, certaines exigences « informelles », c’est-à-dire non-officielles et non-écrites, qu’ils pouvaient faire valoir comme conditions à l’approbation du plan. Mais nous avons vu également que ce genre d’ajustement se faisait à travers des rencontres et des discussions où chacun, CDÉC comme bailleurs de fonds, a alors la possibilité de faire valoir son point de vue. Le résultat de cette démarche est donc en partie indéterminé et tient du compromis plus que de l’application stricte d’une règle. Il en est de même pour l’évaluation des CDÉC. Ces dernières sont tenues officiellement de déposer un rapport d’étape au sixième mois et un rapport d’activités qui tient lieu de rapport annuel, à partir desquels, les membres du CHM font leur évaluation. Après le renouvellement de 1995, une grille plus spécifique d’évaluation, c’est-à-dire catégorisant dix-neufs 252 produits et services que l’on retrouve dans la majorité des CDÉC a cependant été développée et constituera indirectement une part des règles du jeu. Indirectement, puisque cette grille sert en fait de guide aux CDÉC dans la rédaction de leur rapports (d’étape et annuel). La présence d’un produit ou service qui n’est pas dans la grille ou l’absence d’un produit ou service qui y est n’est en rien lié officiellement à des sanctions et ne signifie pas un non-respect des règles. Cependant, on peut imaginer que de façon « informelle », les CDÉC respectant la grille faisaient l’objet de moins de questions et d’objections. Enfin, les modes habituels de fonctionnement et de prise de décision du système gouvernemental québécois font également partie des règles tout comme d’ailleurs l’imputabilité des CDÉC puisque tout organisme qui se voit attribuer des fonds publics doit être en mesure de répondre de ses usages. Tableau 19 : La dimension institutionnelle avant le mandat CLD État Instances décisionnelles Ministères s’inspirant des recommandations du CHM, et des comités d’évaluation de 1990 et surtout de 1994 Critères de financement des CDÉC (depuis le protocole de 1990) : - Représentativité - Territoire d’intervention - Axes d’intervention - Soutien du milieu Configuration Gouvernance communautaire Imputabilité des CDÉC CDÉC CA de chaque CDÉC s’inspirant des recommandations des DG se concertant à l’Inter-CDÉC Règles et normes codifiées Aussi serions-nous tenté de qualifier le mode de gouvernance du rapport comme étant communautaire. La gouvernance communautaire est caractérisée par un faible degré d’organisation ou de structure dans la répartition du pouvoir et un caractère surtout informel. Or, d’une part, les normes et les règles bien que présentes, sont peu nombreuses et encore peu codifiées et de ce fait, le rôle des acteurs reste quelque peu flou et en mouvement. La gouvernance communautaire est aussi caractérisée par des arrangements institutionnels reposant sur la confiance et la réciprocité. Il semble effectivement y avoir une part de réciprocité et de 253 confiance puisque les CDÉC sont invitées à participer à la gouvernance du rapport à travers leur participation à l’évaluation de 1994-1995 mais aussi lors des rencontres avec le CHM. La gouvernance semble en effet se faire autour de l’adhésion des acteurs collectifs (État et CDEC) à un même projet de développement (la revitalisation des milieux locaux), ainsi que d’une certaine complicité autour de la vision et des efforts de développement reconnaissant un rôle aux acteurs locaux. Dimension des rapports sociaux Dans cette dimension, c’est la vision du développement qui est mise de l’avant par les acteurs sociaux, et non plus individuels, qui nous intéresse. De cette vision, il est alors possible de dégager quelles sont les logiques d’action de l’État et des CDÉC et de commenter la rencontre de ces logiques au sein du rapport. Les logiques peuvent être appréhendées en nous inspirant des mondes, cités ou grandeurs catégorisés par Boltanski et Thévenot. En ce qui concerne l’État québécois, il n’existe avant 1997 aucune politique provinciale en matière de développement local ou de revitalisation des milieux urbains désindustrialisés. L’État est plus occupé à gérer sa rencontre avec les initiatives locales et communautaires qui émergent dans la province, donc plus « réactif », qu’il ne s’occupe de structurer une nouvelle approche du développement à l’échelle locale, et ce du moins jusqu’en 1997. Et pourtant, c’est aussi l’époque du désenchantement du développement pas le haut. Aussi, ces initiatives trouvent-elles un certain écho auprès de cet État qui cherche de nouvelles façons de faire pour atteindre ses objectifs, de nouvelles méthodes pour obtenir de meilleurs résultats. Dans cet ordre d’idées, le développement économique communautaire (DÉC) constitue une avenue intéressante à laquelle l’État porte un intérêt certain quoique marginal. Pour l’État, le DÉC revêt encore un caractère d’ « expérience pilote » . On constate dès le départ, lorsque la ministre Marois démontre une volonté d’élargir la première expérience du PEP, et par la suite avec l’implantation des CDÉC de troisième génération que si le DÉC fait ses preuves, une diffusion et une institutionnalisation à plus grande échelle pourrait être considérée. L’État aborde donc le rapport avec ce qu’il serait possible de considérer comme une logique d’action du monde industriel. Le principe commun supérieur de ce monde est justement l’efficacité. Les mots clés de ce monde, de cette cité sont performance, fonctionnel, 254 opérationnel, les objets que l’on mobilise sont les outils, la méthode, le plan, les ressources. C’est donc l’approche avec laquelle l’État aborde ces initiatives nouvelles comme potentiellement plus performantes pour le développement de quartiers urbains dévitalisés. L’épreuve modèle de cette dimension est la mise en route, le test. Les CDÉC sont donc un premier test, une mise en route à petite échelle afin de constater et de dégager la méthode et les outils et de tester leur performance. Les CDÉC de leur côté portent une vision du développement très sociale et communautaire. Elles oeuvrent surtout dans l’employabilité, auprès des personnes plus démunies affectées par la crise de l’emploi. Elles s’insèrent véritablement dans le nouveau mouvement social communautaire dans le champ de l’économique. Le projet fondateur reste le développement économique communautaire, le DÉC, dans sa version la plus progressiste. Aussi, les CDÉC présentent-elles une hybridation des logiques d’action du monde domestique et civique. Domestique pour cet aspect plus familial, informel du communautaire dont le CIDEL était un exemple éloquent. Le principe supérieur commun de ce monde est la tradition, or à cette époque les CDÉC sont encore très ancrées dans la « tradition» communautaire. Mais elles y ajoutent la logique du monde civique où la démocratie, la volonté collective constitue des mots clés. En sont témoins les assemblées générales et les conseil d’administration, les collèges électoraux multiples et la concertation. CDÉC État Tableau 20 : La dimension des rapports sociaux avant le mandat CLD Vision du développement Vision fragmentée du développement Le DÉC est une « expériencepilote » Insertion du communautaire dans l’économique Développement économique communautaire (DÉC) Logique d’action Monde industriel Rencontre des logiques Co-habitation Monde domestique / civique des mondes « expérience pilote » Qu’advient-il de la rencontre de ces logiques d’action dans le rapport avant l’arrivée du mandat CLD? On constate en fait une co-habitation des logiques. Prenons pour expliquer cette co-habitation une métaphore, celle de la grande entreprise. Imaginons une grande entreprise où 255 une équipe de professionnels proposent un projet. La grande entreprise intéressée accepte et fournissant des ressources, envoie cet équipe développer son projet, loin de toute interférence bureaucratique. En attente de quoi cependant, la grande entreprise attend quelques résultats (performance – industriel). De son côté l’équipe, travaillant à petite échelle, dans la proximité et la continuité pourra adopter des comportements plus « familiaux » (domestique), bref emprunter des logiques d’action qu’il ne serait pas possible de retrouver au sein de la grande entreprise. Ce serait en somme le même arrangement entre État et CDÉC. En conclusion de cette interprétation des résultats sur le rapport État-CDEC avant le mandat CLD, on peut dire que le rapport, durant cette phase « expérimentale », se caractérise par la co-habitation des logiques d’action industrielle et domestique/civique dans les rapports sociaux, par une gouvernance communautaire, par une organisation professionnelle et des forces poussant vers la divisionnalisation et enfin, par des individus porteurs de projet engagés et partageant un même projet. Tableau 21 : La configuration du rapport avant le mandat CLD Individu Porteurs de projet engagés Partage du projet Organisation Organisation professionnelle avec tension vers le divisionnalisée Institution Gouvernance communautaire Rapports sociaux Co-habitation des mondes industriel et domestique/civique En somme, avant le mandat CLD, la configuration du rapport semble s’intégrer autour de l’adhésion à un projet « expérimental ». 256 Analyse de la configuration du rapport après le mandat CLD Nous allons maintenant nous pencher sur la configuration adoptée par le rapport entre l’État et les organisations locales engagées dans le développement économique communautaire que nous avons étudiées, les CDÉC, après l’arrivée de la nouvelle Politique et du mandat de CLD. Dimension individuelle Sur la question des porteurs de projet, dans le cas de la CDÉC CDN/NDG et de la CDÉC CS/PMR, nous ne pouvons que constater avec plus de certitude ce qui était avant le mandat CLD. Les directeurs Claude Lauzon et Céline Charpentier restent d’importants porteurs de projet dans le rapport à l’État, comme leur rôle et leur implication dans les négociations ont pu le démontrer. Roger Côté aussi, reste un porteur de projet, en complémentarité avec le directeur de la CDÉC CDN/NDG. Il est d’ailleurs maintenant le représentant de la CDÉC CDN/NDG au CLD de Montréal. En 1999 et 2000, il était le seul président de CDÉC parmi les représentants des CDÉC au CLD de Montréal, ce qui démontre bien l’implication qu’il met dans l’exercice de ses fonctions et la confiance que lui témoignent les membres du CA de la CDÉC. Dans le cas du président de la CDÉC CS/PMR, il est plus difficile de faire des observations à ce sujet puisqu’au moment de l’étude, donc après le mandat CLD, un nouveau président entrait en fonction, Michel Dépatie. Tableau 22 : La dimension individuelle après le mandat CLD Porteur de projet Type de porteur État CDÉC Céline Charpentier La Bâtisseuse sociale Claude Lauzon Martial Fauteux Le Politique collaborateur Le Rationnel engagé Vision du développement Développement social et économique Innover, trouver des solutions pour rebâtir la collectivité Développement économique et social À travers plusieurs « petites » actions concrètes Développement local durable Plus large qu’uniquement du développement économique Cependant, ce dernier est directeur général de la Société de développement de l’avenue Mont-Royal depuis quelques années, ce qui permet d’avancer que selon toute probabilité, M. 257 Dépatie saura exercer un certain leadership. Il a de plus manifesté, face aux défis à venir pour la CDÉC, la volonté de s’impliquer et d’engager le dialogue avec les responsables politiques. Dans le cas du MAMM, Martial Fauteux reste le fonctionnaire responsable du dossier des CDÉC et en plus maintenant de celui du CLD de Montréal. Nous ne reviendrons pas plus en détail sur leurs traits de personnalité, valeurs et visions, puisque rien dans l’analyse que nous avons faite laisse croire que ceux-ci ont été modifiés. Cependant, dans chacune des deux CDÉC, on retrouve potentiellement de nouveaux porteurs de projet dans le cadre du rapport à l’État; ce sont les élus, c’est-à-dire les députés provinciaux et conseillers municipaux qui siègent sur les nouveaux comités locaux des partenaires. Ce sont pour la plupart des leaders aguerris du monde politique. Par contre, dans les deux CDÉC, les députés provinciaux, très occupés, étaient rarement présents aux réunions. Les conseillers municipaux eux étaient beaucoup plus présents, mais cela dépasse le cadre de notre recherche qui se penche sur le rapport avec le gouvernement de niveau provincial. Dimension organisationnelle Notre étude nous a permis de déceler des changements au niveau de la dimension organisationnelle. Ainsi, à travers les ententes conclues entre le MAMM, la Ville de Montréal et le CLD de Montréal et entre le CLD de Montréal et les CDÉC mandataires, le gouvernement provincial oriente beaucoup plus précisément les services qu’offriront les CDÉC. En effet, la plupart des CDÉC ont connu un important virage vers les services aux entreprises suite au mandat de CLD. L’État fait également des demandes en ce qui a trait à la concertation et à la planification locale en exigeant la rédaction d’un PLACÉE pour chaque CDÉC, document dont le contenu doit respecter un certain plan fourni par le gouvernement. L’État participe également à la planification en précisant davantage de quelle façon seront alloués les fonds consentis. Les exigences et attentes de l’État sont également non seulement plus précises en terme de résultats à atteindre, ce qui oblige d’ailleurs les CDÉC à mettre en place des processus de travail pour la collecte des données liées à ces résultats (taux de satisfaction de la clientèle, nombre d’heures pas dossier, etc.) mais proviennent maintenant en partie de l’État. Alors qu’avant le mandat CLD, ces résultats étaient définis à partir des plans d’action réalisés par les CDÉC. La même entente étant valable 258 pour toutes les CDÉC, on constate donc un renforcement de la standardisation des résultats comme mécanisme de coordination. Ainsi, l’État s’insère de plus en plus dans le rôle de sommet stratégique qu’assumaient jusque là les CDÉC. L’État poursuit également son rôle de bailleurs de fonds et évalue toujours les CDÉC. De leur côté, les CDÉC continuent cependant d’assumer une grande partie du rôle de sommet stratégique, outre le PLACÉE qu’elles sont tenues de produire et selon les exigences du ministère, elles n’en conservent pas moins la responsabilité de faire leur plan d’action annuel. Mais il est vrai que de plus en plus le choix des services offerts résulte d’exigences ou de conditions externes et de moins en moins d’une détermination par le milieu. Ainsi, toutes les CDÉC sont engagées dans l’économie sociale pas le biais du FÉS, le fonds dédié aux associations et coopératives d’économie sociale. Ajoutons à cela le développement des CLE et d’Emploi-Québec avec comme conséquence que les CDÉC offrent de moins en moins de services au niveau de l’employabilité. Elles conservent cependant entièrement le rôle de centre opérationnel. Aussi, on ne constate pas l’apparition d’une technostructure, aussi les CDÉC disposent-elles d’une marge de manœuvre dans la « façon » de s’organiser à l’interne et de fournir les services. CDÉC État Tableau 23: La dimension organisationnelle après le mandat CLD Division du travail Sommet stratégique : oriente le choix de produits-marchés et la planification Financement Évaluation Sommet stratégique (partagé avec l’État) : planification et concertation locale Mécanismes de coordination Standardisation des résultats Configuration Ajustement mutuel Configuration divisionnalisée > Configuration professionnelle Centre opérationnel : prestation de services Ainsi, la tendance vers une implication de plus en plus grande de l’État dans le sommet stratégique par le biais des ententes et protocoles qui définissent de plus en plus précisément non pas les procédés de travail mais les limites et le cadre d’intervention général des CDÉC pourrait être vu comme le passage vers une configuration simple ou entrepreneuriale qui mettrait 259 alors en évidence un risque de récupération des CDÉC par l’État. Cependant, les données ne sont pas suffisante pour une véritable affirmation en ce sens. Par contre, on peut constater plus aisément que la configuration divisionnalisée semble avoir pris le dessus sur la configuration professionnelle. L’État pose donc aux CDÉC-divisions un cadre d’intervention plus précis et spécifique qu’auparavant, tout en laissant de l’autonomie au centre opérationnel. En cohérence avec cette affirmation, l’apparition d’une ligne hiérarchique : MAMM, - CLD de Montréal – Comité local de partenaires – CDÉC. Or, on peut constater dans les faits que le CLD de Montréal a relativement peu d’importance (peu de réunions, entérine plus qu’il ne décide). Quant aux CLP, les députés provinciaux en sont souvent absents. Ainsi, cette ligne hiérarchique reste pour le moment plus virtuelle et potentielle que réelle, ce qui nous porte à croire que si la configuration divisionnalisée l’a emporté sur la configuration professionnelle, celle-ci n’est pas entièrement évincée. Dimension institutionnelle D’abord, la négociation du mandat de CLD avec les CDÉC est venue renforcer le MAMM comme instance décisionnelle de poids. Aussi, au moment où nous posons notre regard sur le rapport, soit après le mandat CLD, il ne semble pas exagéré de réaffirmer ce ministère particulier comme un décideur dont les décisions ont des impacts majeurs sur les CDÉC et sur le rapport en question. Cela est d’autant plus vrai que contrairement à la situation d’avant le mandat, au niveau provincial, ce ne sont plus un office (OPDQ) ou un ministère (MICST) et une agence (SQDM) mais un seul ministère qui se trouve à gouverner le rapport et à fournir la grande majorité des fonds aux CDÉC. Or il est une règle tacite, non-écrite, qui reste vraie : celui qui fournit le plus d’argent dispose du pouvoir. Ce que Céline Charpentier a bien fait ressortir dans le déroulement des négociations. Le MAMM est donc devenu un joueur de taille et un incontournable. S’est ajouté également le CLD de Montréal dont les pouvoirs sont définis dans l’entente. Il doit entre autres s’assurer que les mandataires remplissent leur part de l’entente. Mais en vérité, il nous a été donné de constater que pour le moment le CLD de Montréal ne se réunit que peu et se limite en grande partie à entériner les recommandations des comités d’allocation des fonds du CLD et à échanger entre « partenaires ». Son rôle et son poids décisionnel reste donc grandement potentiel mais non actualisé. 260 Dans le cas des CDÉC, le CA de chacune reste en grande partie une instance décisionnelle active. De plus, la négociation du mandat CLD a renforcé le poids et le rôle de l’Inter-CDÉC comme instance de concertation des directeurs de CDÉC. C’est à travers l’InterCDÉC qu’a pu se construire le front commun des CDÉC, union qui a permis l’établissement d’un rapport de forces plus équitable entre CDÉC et État, qui a d’ailleurs permis que les CDÉC ne devinssent point des CLD mais puissent conserver leur identité de CDÉC. Enfin, on constate véritablement une tendance vers la codification des normes (protocoles et ententes) et une uniformisation de ces dernières dans le cadre du mandat de CLD. Tableau 24 : La dimension institutionnelle après le mandat CLD CDÉC État Instances décisionnelles MAMM CLD de Montréal (Comité de négociation mandat) CA de chaque CDÉC s’inspirant des recommandations des DG se concertant à l’Inter-CDÉC Règles et normes codifiées Configuration Ententes et protocoles entre le MAMM, la Ville, le CLD de Montréal et les CDÉC entourant le Gouvernance mandat de CLD comprenant des Étatique attentes signifiées PLACÉE Rapports annuels des CDÉC Et Gouvernance associative Comité local des partenaires de chaque CDÉC Aussi, serions-nous tentés de qualifier la gouvernance non plus de communautaire mais plutôt de rencontre entre une gouvernance étatique et une gouvernance associative. La gouvernance étatique est caractérisée d’une part par une répartition inégale du pouvoir en faveur d’un « agent », l’État, qui peut recourir à la coercition pour imposer ses règles. D’autre part, ce mode de gouvernance est aussi caractérisé par des arrangements institutionnels non plus basés sur la confiance mais plutôt sur l’obligation et le respect des normes sociales et la possibilité de sanctions. Or, on retrouve avec le MAMM et l’importance qu’il prend dans le rapport, qui devient un véritable rapport de forces autour du mandat de CLD, ce caractère plus inégal dans la répartition 261 du pouvoir. De la même façon, on voit comment la confiance a été remplacée par davantage de codification. Mais cette gouvernance étatique se trouve relativisée par une gouvernance à caractère plus associatif. Ce mode de gouvernance, associatif, est caractérisé par la présence de groupes formels, d’associations, dont le membership est clairement défini, où la répartition du pouvoir est généralement répartie entre une structure quelque peu hiérarchique et la base, les membres, qui disposent d’un pouvoir assez important et où l’association, le fait de s’associer, entraîne des échanges ayant un caractère plus obligatoire que libre (on peut cependant décider éventuellement de se retirer de l’association). Enfin, le respect des règles y est renforcé d’une part par ce qui a motivé le regroupement et d’autre part par le pouvoir accordé à la structure administrative. Le meilleur exemple de gouvernance associative reste celui des syndicats. Mais dans les cas étudiés, l’Inter-CDÉC correspond en partie à ce mode de gouvernance, exception faite de la présence d’une structure administrative qui est à peu près inexistante. Le mode de gouvernance du rapport, du fait de la rencontre de cette gouvernance étatique et de cette gouvernance associative offre alors une ressemblance avec des rapports patronat-syndicat, rencontre entre mode de gouvernance hiérarchique (privé ou comme ici public) et mode de gouvernance associatif. Dimension des rapports sociaux Avec sa nouvelle Politique de soutien au développement local et régional, l’État propose une vision du développement, sa vision du développement. Du fait de cette politique, qui touche chaque région de la province, on constate de la part de l’État, une vision du développement beaucoup plus intégrée et proactive, contrairement à une vision éclatée, presque au cas par cas et plutôt réactive avant le mandat de CLD. L’État semble donc ici tenter une redéfinition de son rôle dans le développement, un rôle davantage accompagnateur puisque cette politique vise la décentralisation vers des pouvoirs locaux, non pas la municipalité mais la concertation des forces vives du milieu au sein des CLD, nouvelle structure de gouvernance locale résultant de la politique. La vision du développement portée par la politique est également largement axée sur le développement économique : création d’emplois, soutien aux entreprises, développement de l’entrepreneurship. De la vision d’un développement économique communautaire, il ne reste cependant que le rôle de concertation dévolu aux CLD, l’autonomie de gestion pour une meilleure 262 adéquation aux besoins du milieu et le volet économie sociale avec une enveloppe budgétaire protégée. Par ailleurs, la création des CLE vient appuyer la tendance vers le « local » mais il ne s’agit plus là de décentralisation mais bien de déconcentration. Cette création n’en aura pas moins pour effet de recentrer les CLD sur l’économie. La volonté du gouvernement à travers cette politique reste celle de la « performance » pour le développement du territoire à travers l’atteinte et la concrétisation d’un développement économique. Aussi restons-nous dans le monde industriel et à plus forte raison du fait de la création d’une politique à cet effet et non plus de mesures ponctuelles ou expériences-pilotes. Mais le mouvement amorcé vers la décentralisation pourrait venir soutenir la thèse de la mobilisation de logiques d’action associées au monde civique : volonté de respecter la volonté collective des milieux. Du côté des CDÉC, on peut voir que le mandat de CLD et l’arrivée des CLE a vraisemblablement imprégné une vision du développement plus économique qu’auparavant et également plus axée sur la performance, l’efficacité et le respect des règles. Les témoignages des employées plus anciennes, comme celui de Mona Lavoie, sont à ce titre éloquents, on y sent bien que « quelque chose à changé », que la mentalité n’est plus la même. L’accent est mis sur l’appui aux entreprises et c’est dans ce secteur que l’on développe davantage : création du site Internet Les Pléiades à la CDÉC CDN/NDG, création d’un poste de spécialiste du secteur multimédia à la CDÉC CS/PMR. L’économie sociale prend cependant une place importante dans cette vision du développement : toutes les CDÉC ont maintenant un agent d’économie sociale, la CDÉC CS/PMR fait énormément de développement au niveau des entreprises communautaires et d’économie sociale, la CDÉC CDN/NDG a embauché récemment une deuxième ressource pour ce volet. Aussi, dirons-nous que le monde domestique, le caractère plus « communautaire » a peu à peu été remplacé par des logiques d’action davantage associées au monde industriel : plus de méthode, de processus, d’outils, de règles pour plus d’efficacité, de performance dans le développement des milieux. Cependant, le monde civique reste, lui, au cœur des logiques d’action des CDÉC qui se disent d’ailleurs des instances de gouvernance locale. La rencontre de ces logiques d’action s’opère donc par un compromis au niveau du monde industriel et une certaine rencontre au niveau du monde civique. 263 État Vision du développement Logiques d’action Rencontre des logiques Vision plus intégrée (Politique de soutien) Monde industriel / Développement local économique avec un civique Compromis volet économie sociale CDÉC Tableau 25 : La dimension des rapports sociaux après le mandat CLD Virage vers un développement local plus Monde axé sur l’économique civique/industriel Vision moins communautaire Développement de l’économie sociale Monde industriel > Monde civique En conclusion de cette interprétation des résultats sur le rapport État-CDEC après le mandat CLD, on peut dire que le rapport, durant cette phase, se caractérise par un compromis autour des logiques d’action industrielle et civique dans les rapports sociaux, par une gouvernance étatique et associative, par une organisation divisionnalisée et enfin, par des individus porteurs de projet engagés et partageant un même projet. Les liens entre l’État et les CDÉC on été renforcés et formalisés Tableau 26 : La configuration du rapport après le mandat CLD Individu Porteurs de projet engagés Partage du projet Organisation Organisation divisionnalisée Institution Gouvernance étatique et associative Rapports sociaux Compromis autour des mondes industriel et civique En somme, après le mandat CLD, la configuration du rapport semble s’intégrer autour de l’institutionnalisation du développement local et l’engagement actif de l’État dans ce domaine. 264 Discussion : La structuration du rapport À partir de notre cadre théorique et à l’aide des dimensions d’analyse, nous avons pu qualifier le rapport État-CDÉC à deux moments dans le temps, deux arrêts, deux « photo-finish » : avant et après le mandat CLD. Cela nous a permis de comprendre l’évolution du rapport dans les cinq dernières années. Mais s’arrêter là signifierait ne s’attarder qu’à un côté de la médaille structurationniste. Effectivement, nous avons bien spécifié dans le cadre théorique le caractère structuré-structurant sur lequel repose cette théorie. L’aspect structuré nous a permis la caractérisation du rapport que nous venons de terminer mais il reste encore l’aspect structurant. Le rapport a bel et bien évolué, il s’est transformé mais cela ne s’est pas fait d’un coup, au contraire. Cette transformation est le résultat d’un processus : processus de négociation entre les acteurs dans la pratique, processus de production-reproduction et transformation des structures sociales dans la théorie. Ainsi, dans ce processus de structuration du rapport, chacune des quatre dimensions possède également un caractère structurant. Pour répondre à notre question initiale, comment se structure le rapport, nous allons donc tenter maintenant de faire ressortir la contribution de chacune de ces dimensions au processus de structuration qu’il nous est possible d’inférer à partir de l’étude en profondeur de nos cas (démarche inductive analytique). Cela nous mène à un niveau d’abstraction et de généralisation légèrement supérieur sur lequel nous terminerons. Dimension individuelle À prime abord, il ressort de l’étude des cas que la dimension individuelle, comprise ici comme ce qui compose ce que Lapierre nomme la « richesse intérieure », ce qui fournit à l’individu son « individualité », bref son histoire personnelle, son caractère, sa personnalité, ses valeurs, convictions, sa vision, ses projets, ses rêves, cette dimension donc induit une part du comportement des acteurs. Cette dimension participe donc à la structuration du rapport par l’influence qu’elle peut avoir sur le choix du projet que les individus défendent. Ainsi, Céline Charpentier par exemple qui ne se verrait pas travailler dans le secteur privé et qui défend ardemment un projet social d’amélioration du bien-être de la communauté à travers toutes ses expériences professionnelles au YMCA comme à la CDÉC. Cette dimension peut également être 265 reconnue comme fournissant, sinon en totalité du moins en partie, une explication au degré d’implication des acteurs dans la défense de leur projet, de leur vision. Ainsi, Martial Fauteux usant de la marge de manœuvre qui lui est accordée investit plus d’énergies que demandées pour tenter de convaincre un Conseil des ministres, pour rédiger un rapport synthèse qui présente les résultats concrets des expériences montréalaises, peut en partie s’expliquer par son histoire personnelle et ses convictions favorables au développement économique communautaire(DÉC) et aux CDÉC. Enfin, on pourrait inférer un lien entre la dimension individuelle des personnes et le choix des moyens employés pour défendre leur vision, leurs projets. Ainsi, Claude Lauzon et son recours aux moyens politiques : négociation avec le cabinet, contact avec les décideurs politiques alors que Céline Charpentier préfère la voix des médias pour faire reconnaître les CDÉC dans l’opinion publique. Mais ces constat ne restent que ceux démontrables par la psychologie et la psychanalyse d’une inférence entre le monde intérieur de l’individu et son comportement, que notre étude corrobore. La véritable contribution de la dimension individuelle à la structuration du rapport nous a été donnée par les acteurs eux-mêmes. Céline Charpentier, Claude Lauzon, Martial Fauteux, Jean Lambin, Michel Depatie, Noëlle Samson, tous ont fait mention à un moment ou à un autre de la nécessité de « convaincre », voir même d’ « éduquer » : convaincre les fonctionnaires, le ministère, le milieu, les partenaires. Corollaire de ces démarches visant à gagner l’adhésion des « non-initiés » à un projet « alternatif », donc à un monde « autre », est un autre élément soulevé par les acteurs : l’établissement d’un minimum de confiance mutuelle. Or cette confiance ne peut s’établir sans à la base la possibilité de connaître l’autre, l’interlocuteur, le vis-àvis. Confiance, connaissance, démarches pour convaincre sont donc autant d’éléments clés de la structuration du rapport, de son existence même et dont l’essence repose sur les relations interpersonnelles. Or si les conventions et le langage qui régissent ces relations sont probablement plus de l’ordre de la dimension institutionnelle voir des rapports sociaux, bref ont davantage trait aux structures sociales et à leur reproduction par les acteurs, on ne peut nier que la dimension individuelle se pose au principe de ces relations interpersonnelles. La dimension individuelle est donc le siège de la construction de cette confiance, de la possibilité de la connaissance de l’autre et la dimension première mobilisée pour convaincre, « évangéliser » le non-initié. Cela nous amène à dégager le caractère habilitant de cette dimension qui nous semble être cette « compétence » de l’acteur dont parle justement Giddens. Soit-elle de l’ordre des 266 structures, il n’en reste pas moins que l’individu est le siège, le porteur de cette compétence ainsi que d’une « unicité », d’une individualité qui module cette compétence tout en le maintenant capable d’agir socialement. Ce caractère habilitant s’accompagne cependant et comme il se doit d’un aspect contraignant. Cet aspect résiderait selon nous dans le caractère difficilement accessible et tangible de cette dimension. Ce qui compose la dimension individuelle est en partie inconscient et influence de la sorte le comportement à la manière d’une condition non reconnue de l’action, ce qui rend impossible sans investigation intérieure profonde tout espoir de pouvoir agir ou transformer, à tout le moins à court terme, les données de cette dimension. De plus, si cela est vrai pour l’individu par rapport à lui-même ça l’est encore plus pour l’ « autre », l’interlocuteur sur lequel l’individu peut encore plus difficilement mener une investigation de ce type. Cela nous amène également à mettre en perspective le rapport au temps de cette dimension. D’une part, gagner et inspirer la confiance, connaître l’autre, convaincre sont autant de processus interpersonnels qui prennent et demandent du temps, d’autre part, cette dimension est difficilement modifiable à court terme, aussi le temps revêt-il une importance particulière d’où l’impact considérable aussi peut-être de changements fréquents et rapides dans les autres dimensions… Mais l’étude en profondeur des cas nous a également permis de faire ressortir certains des liens qui existent entre les différentes dimensions et qui se manifestent dans la structuration du rapport. Nous ne prétendons pas livrer ici une liste exhaustive de ces liens mais bien de présenter ceux qui nous sont apparus à travers l’observation et l’analyse. Ainsi, nous avons pu constater que la dimension organisationnelle peut interférer avec la dimension individuelle de par le fait que la division du travail et la coordination déterminent une part des interactions qui peuvent prendre place, exister, dans la dimension individuelle. La dimension organisationnelle peut induire ou faire obstacle à l’établissement de certaines relations entre les personnes comme un changement dans la dimension organisationnelle, restructuration, mise à pied, départ, embauche, peut modifier la dimension individuelle en déplaçant les individus porteurs de projet. Céline Charpentier et Claude Lauzon le soulignent à merveille commentant les conséquences des changements de ministres ou de députés. La dimension organisationnelle fournit donc effectivement un cadre à l’expression de la dimension individuelle mais elle lui fournit également une marge de manœuvre qui permet de se dégager du caractère contraignant de la dimension individuelle. En effet, nous avons pu constater que la dimension organisationnelle, l’existence 267 d’une structure offre une « solution », un échappatoire aux contraintes imposées par la personnalité de son interlocuteur. Céline Charpentier explique ainsi que « quand ça ne fonctionne pas, on monte plus haut dans la structure ». L’impasse au niveau personnel peut donc être contourné par une mobilisation de la dimension organisationnelle. Enfin, le degré de marge de manœuvre laissé dans la dimension organisationnelle permet la mobilisation plus ou moins grande de la dimension individuelle au profit du projet défendu. Ainsi, Martial Fauteux qui par trois fois reprend et représente un document au Conseil des ministres pour obtenir leur accord aurait pu décider de tenir le premier refus pour final, ce qu’il n’a pas fait motivé par la conviction de la pertinence de l’existence et du travail des CDÉC à Montréal. On peut également dégager de nos cas, l’existence d’une interface entre la dimension individuelle et la dimension institutionnelle. En effet, comme nous le verrons plus en détails lorsque nous traiterons de cette dimension plus loin, un enjeu important de la dimension institutionnelle repose autour du concept de légitimité, de la reconnaissance. Or, il nous a paru que cette légitimité, cette reconnaissance est liée en grande partie à la capacité des porteurs de projet à « vendre » leur projet, leur capacité à convaincre et à susciter l’adhésion de même qu’à l’énergie qu’ils peuvent investir dans cette démarche. Enfin, la dimension des rapports sociaux et la dimension individuelle se rejoignent aussi, autour de la vision, du projet porté par les porteurs de projet. On constate que la « culture », les logiques d’action opèrent une « sélection » des individus. Ainsi, plusieurs interlocuteurs des CDÉC ont fait ressortir que ce n’est pas « n’importe qui qui peut travailler dans une CDÉC », une certaine adhésion au projet, aux valeurs est nécessaire. Dimension organisationnelle En ce qui concerne la dimension organisationnelle maintenant, force est de constater d’emblée qu’avec la dimension institutionnelle, cette dimension constitue ce que nous convenons d’appeler la « réalité tangible ». C’est-à-dire que ce qui compose la dimension organisationnelle sont autant d’éléments sur lesquels les acteurs se sentent pouvoir « agir ». Ainsi, cette dimension était-elle au cœur de la négociation du mandat CLD : quel serait le rôle des CDÉC, de l’État? Quelle division du travail, quels modes de coordination et d’intégration au sein du rapport? De ce 268 fait, d’être une réalité tangible, modifiable et « agie », on constate également que cette dimension demande à l’acteur une implication en temps, une participation. En ce qui concerne le rapport, il ressort de notre étude que la dimension organisationnelle est le siège de l’interdépendance État / CDÉC où l’État a besoin d’un « centre opérationnel » pour fournir les services ce que les CDÉC sont en mesure de faire de façon avantageuse jouissant de l’avantage de la proximité et d’une expérience de plus d’une décennie dans le développement local. En retour de quoi, les CDÉC ont besoin du soutien financier de l’État qui vient combler l’absence de profit découlant du fait que leurs activités sont principalement non-marchandes et de la reconnaissance de ce dernier qui légitime, renforce leur existence et leur permet de continuer. Cette interdépendance mise en relation avec l’objet de la dimension organisationnelle permet de faire ressortir les deux enjeux principaux qui se jouent au sein de cette dimension. Un enjeu autour de la division du travail d’abord : quels services, employabilité, soutien aux entreprises, innovation, concertation, planification, gestion du territoire? Versus quel argent, provincial, fédéral, municipal, de quel ministère, et combien? Et puis un enjeu autour de la coordination ensuite : organisation du travail autonome pour les CDÉC versus standardisation et uniformisation des procédés et des résultats pour l’État? Un lien peut alors être fait entre la dimension organisationnelle et celle des rapports sociaux. En effet la tension qui existe entre l’État et les CDÉC autour de ces deux enjeux repose en partie sur ce que l’un et l’autre n’ont pas les mêmes attentes. Ceci s’expliquerait alors par ce que dans un cadre plus large, la dimension organisationnelle est en quelque sorte un « moyen », un arrangement que chacune des parties conçoit en regard des finalités visées, donc en regard de ce qui est souhaitable ou, dit autrement, de ce qui est « grand ». Ainsi, pour l’État et sa logique d’action du monde industriel le but ultime de l’arrangement organisationnel sera l’efficacité et la performance. Alors que pour les organisations de la société civile traversées par les logiques d’action domestique ou civique, le but ultime de l’arrangement organisationnel ressemblerait plutôt au bien-être de la communauté ou au respect de la volonté collective des milieux. Ce qui suppose des réponses fort différentes aux questions : quel argent versus quels services et quel mode de coordination? 269 La négociation autour de ces enjeux et en lien avec cette interdépendance permet enfin de faire ressortir le caractère habilitant de la dimension organisationnelle. En effet, cette dimension étant le lieu d’expression des expertises et compétences « organisationnelles », elle fournit des ressources aux parties leur fournissant ainsi une certain pouvoir dans la négociation qui participe à la structuration du rapport. Cela nous permet de dessiner un lien supplémentaire entre la dimension organisationnelle et la dimension institutionnelle cette fois : l’interdépendance organisationnelle entraînant l’institution d’un rapport de forces qui occupe la dimension institutionnelle. Quant au caractère contraignant de la dimension, il s’apparente au caractère contraignant que l’on associe généralement à la structure, limitant les « futurs possibles » et fournissant un cadre historique et normatif au comportement des acteurs. Dimension institutionnelle Avec la dimension organisationnelle, la dimension institutionnelle constitue ce que nous avons nommé la « réalité tangible », ces dimensions sur lesquelles les acteurs se sentent en mesure d’agir, qu’ils perçoivent comme modifiables. D’où le constat pour cette dimension, comme pour la dimension organisationnelle, qu’elle constitue le cœur de la négociation consciente qui se déroule dans la construction du rapport autour de la question des règles et des normes. Comme la dimension organisationnelle, la dimension institutionnelle va également adopter à travers certains arrangements, une configuration qui durera plus ou moins longtemps, ce qui n’empêche pas de constater des tensions autour d’une interdépendance et d’enjeux, institutionnels cette fois. L’interdépendance constatée entre l’État et les CDÉC au niveau institutionnel repose d’abord sur le besoin de l’État de légitimer ses interventions, son rôle, ses façons de faire, l’allocation de ses fonds auprès de la population. Ce besoin est d’autant plus grand que, la littérature l’a bien fait ressortir, l’État fait face à de multiples crises et remises en question où la légitimité des institutions, parmi lesquelles les institutions publiques, est durement attaquée. De leur côté, les CDÉC, porteuses d’un projet alternatif, d’un modèle de développement « autre » ont besoin de la reconnaissance de l’État pour légitimer leur existence, leur droit d’être, au sein d’un système hégémonique qui promeut une vision, un projet et un modèle de développement principalement marchand. En lien avec cet enjeu de légitimité, il est un autre enjeu, générateur de tensions, celui du contrôle du développement local : qui de l’État ou de la 270 société civile contrôlera le développement du territoire? C’est fondamentalement la question de la gouvernance qui se pose ici et à laquelle prétendent les CDÉC comme l’État. Quelles ressources peuvent alors mobiliser les parties pour influencer le rapport qui dans cette dimension prend véritablement l’aspect d’un rapport de force? Pour les CDÉC, les ressources reposent en grande partie sur la dimension individuelle : capacité des porteurs de projet à mobiliser les communautés, les populations. Martial Fauteux explique bien comment les rapports du CREEEM et du CREESOM n’ont pas « fini sur une tablette » mais se sont transformés en mesures concrètes de la part du gouvernement à cause de la mobilisation du milieu. Or nous avons vu ce que la mobilisation exige de temps et d’énergie de la part des leaders mais aussi de la part des « mobilisés », aussi résiste-t-elle mal au passage du temps et est-elle fort difficile à soutenir dans la durée. À la mobilisation s’ajoute la capacité des CDÉC à se regrouper, ce qui multiplie l’effet mobilisation. À ce titre le rôle de l’Inter-CDÉC a été déterminant dans la négociation et son résultat, l’arrangement autour d’un mandat de CLD où les CDÉC ont pu conserver leur identité de CDÉC. L’union des directeurs de CDÉC n’avait en effet de poids que dans la mesure où d’une part ils réussissaient à se concerter et à en arriver à un certain consensus sur les demandes à faire à l’État et d’autre part à faire valoir le soutien qu’ils obtenaient de leurs milieux, d’ailleurs présents au sein de leur conseil d’administration respectif, et de leurs partenaires. Alors que pour l’État, une grande partie des ressources repose sur son pouvoir de coercition (ou de sanction si on reprend Giddens) qui lui-même repose sur les normes sociales occidentales modernes qui constitue l’État. C’est également lui qui dispose des ressources financières qui permettent dans la durée ce que la mobilisation obtient bénévolement le temps d’une crise : la force de travail. Dimension des rapports sociaux Au contraire des dimensions organisationnelle et institutionnelle, la dimension des rapports sociaux ne participe pas de la réalité perçue comme tangible par les acteurs. Aussi, de toutes les dimensions, c’est celle qui résisterait le plus aux visées volontaristes. N’oublions pas que selon Bélanger et Lévesque (1992), c’est de cette dimension que procèdent les dimensions organisationnelle et institutionnelle dont les arrangements reflètent la teneur des rapports sociaux. La dimension des rapports sociaux constitue donc, comme la dimension individuelle une dimension plus stable dans le temps. Cependant, si cette dimension peut difficilement être 271 modifiée volontairement par les acteurs, elle n’en est pas moins source de mobilisation. Ainsi, contribue-t-elle à susciter des acteurs sociaux volontaristes, les mouvements sociaux. Avec l’approche de l’économie des grandeurs nous pouvons également faire ressortir comment les acteurs mobilisent, outre les autres dimensions, des logiques d’action autres que les leurs afin d’influencer la structuration du rapport. Ainsi, nous avons pu constater comment, dans l’étude des cas, le monde de l’opinion par exemple va être mobilisé par les CDÉC comme en fait foi l’article publié par Céline Charpentier et ses partenaires. Il nous a également été possible de constater que la rencontre de logiques d’action divergentes peut se traduire par une cohabitation et non pas nécessairement par un conflit ouvert, une domination écrasante d’une logique sur l’autre ou carrément l’émergence de nouvelles logiques d’action. Enfin, dans le cas du développement local au Québec, l’enjeu majeur qui semble être au cœur de la dimension des rapports sociaux est celui de la transformation sociale : transformation des structures sociales, du « modèle de développement », du système social existant. Or le système social ou modèle en place favorise certains acteurs au détriment de d’autres. Les forces s’exerçant sur le système pour le transformer, le modifier à travers entre autres l’émergence d’innovations sociales, comme les CDEC, les CLD, et la diffusion et légitimation de ces innovations peuvent alors représenter une menace pour ces acteurs « favorisés » qui mobiliseront alors les trois autres dimensions, individuelle, organisationnelle et institutionnelle pour faire obstacle à ces forces et maintenir le modèle en place. Les CDÉC pourraient de la sorte être perçues comme l’expression de nouveaux mouvements sociaux découlant de l’insertion dans l’économique d’un ancien mouvement social, le mouvement communautaire, et portant de ce fait un projet de transformation du système en place principalement caractérisé par une hégémonie des rapports marchands et de la bureaucratie étatique à travers la mise en place de programmes normés et ciblés. L’État avec sa Politique se pose alors en acteur « proactif » et revendique sa place sur le terrain du développement local, aire de jeu des CDÉC, de sorte que leur renforcement serait en quelque sorte aussi leur transformation, la CDÉC étant dorénavant la CDÉC-CLD. 272 Tableau 27 : La structuration du rapport Dimension Individuelle Contribution à la structuration - Stabilité dans le temps - Construction de la confiance - « Éducation » des non-initiés Organisationnelle - Réalité « tangible » - Lieu d’expression des expertises et compétences (organisationnelles) - Siège de l’interdépendance organisationnelle entre État / CDÉC - Enjeu : organisation du travail et coordination Institutionnelle - Réalité « tangible » - Ressources des CDÉC : mobilisation - Ressources de l’État : coercition et ressources matérielles - Siège de l’interdépendance institutionnelle entre État / CDÉC - Enjeu : légitimité et contrôle du développement local Rapports sociaux - Stabilité dans le temps - Mobilisation de logiques d’action - Enjeu : transformation sociale 273 Conclusion Nous voici donc arrivées au terme de notre parcours. Après avoir constaté la rencontre inévitable entre État et organisations issues de la société civile à l’heure du développement local au Québec, avons-nous posé la question du rapport entre l’État et ces organisations et de son évolution dans le temps, bref de sa structuration. Pour ce faire, quatre dimensions ont été identifiées et mobilisées pour l’étude en profondeur du rapport entre deux CDÉC de Montréal (CDN/NDG et CS/PMR) et le gouvernement du Québec (MAMM) dans le contexte des cinq dernières années; contexte marqué par le dépôt en 1997 de la nouvelle Politique de soutien au développement local et régional et l’arrivée de Centres locaux de développement (CLD) prévus dans cette politique, avec la négociation et finalement l’obtention du mandat de CLD par les CDÉC montréalaises. Synthèse : configuration et structuration du rapport Cette étude nous a permis dans un premier temps de caractériser le rapport avant le mandat CLD, ainsi que quelques années plus tard, après le mandat CLD, et dans un deuxième temps d’explorer son évolution à travers l’étude de sa structuration. Aussi, voici en synthèse ce qui se dégage de notre analyse et de l’interprétation que nous avons pu faire. Ainsi, au milieu des années 1990, avant le mandat CLD, la configuration du rapport se dessine-t-elle avec des « liens faibles », peu formalisés, entre l’État et les CDÉC. Autonomie, confiance, ajustement mutuel s’actualisent sur la base de l’adhésion à un projet, le développement économique communautaire (DÉC), qui conserve cependant un caractère marginal d’ «expérience-pilote». Ces « liens faibles » permettent donc la cohabitation de différentes logiques d’action et ne viendraient donc pas menacer l’état des rapports sociaux. Puis, après l’arrivée de la Politique et l’octroi par le gouvernement québécois du mandat de CLD aux sept CDÉC de la ville de Montréal au terme d’une longue négociation, la configuration du rapport exprime des liens beaucoup plus forts entre État et CDÉC et beaucoup plus formalisés. À travers le mandat de CLD, l’État est beaucoup plus présent assumant une plus grande part qu’auparavant dans la division du travail et occupant une place plus importante dans les nouvelles instances 274 décisionnelles, comités locaux de partenaires et CLD de Montréal. Cependant que les CDÉC, de leur côté, ont également renforcé leur présence par leur reconnaissance mutuelle, la reconnaissance de leur appartenance à un projet commun. Une fois fait ce constat d’une évolution dans le rapport État – CDÉC, nous nous sommes enfin penchée sur la structuration du rapport dans le temps et la participation de chacune des dimensions à cette construction. À ce sujet, il faut retenir que l’interaction entre les différentes dimensions permet de dépasser le cadre contraignant d’une dimension donnée. La « multidimensionnalité » de la réalité offre donc à l’acteur une marge de manœuvre qui expliquerait cette oscillation si pénible aux chercheurs entre déterminisme et volontarisme. Il ressort également de l’étude que les dimensions organisationnelle et institutionnelle sont les matériaux sur lesquels les acteurs se sentent pouvoir agir et de ce fait constitueraient des dimensions moins stables dans le temps et davantage réceptives à la dimension volontariste de la production-reproduction des structures sociales. Les dimensions individuelle et des rapports sociaux, elles, constituent les dimensions plus difficilement accessibles et de ce fait plus stables dans le temps. On pourrait alors les associer davantage au caractère déterministe de la production-reproduction du social. Apports et limites de la recherche Au niveau de la recherche, nous croyons avoir apporté comme contributions la construction d’un cadre théorique multidimensionnel évoluant dans une sphère constructiviste, de même qu’un effort d’opérationnalisation de la théorie structurationniste. Mais notre principale contribution se situe sans doute dans le postulat d’une nécessaire analyse de la dimension individuelle. Nos conclusions semblent à ce titre justifier cette inclusion et sa pleine intégration au modèle. Quant à la pratique, la réflexivité des acteurs rencontrés permettra peut-être pour eux et pour elles, à la lecture de ce texte une meilleure compréhension de l’évolution du rapport et de ce qui compose sa complexité. Comme pour tout projet de recherche, celui que nous concluons ici a subi des contraintes de temps qui sont venues limiter l’ampleur de l’étude en terme de nombre d’organisations étudiées 275 et en terme d’années couvertes. Les instruments d’observation employés posent également leurs limites. Ainsi, le recours exclusif à l’entretien et à la collecte documentaire gardait les données recueillies dans l’ordre du discours et de la perception des acteurs. Il s’agit là en tous les cas d’observation uniquement indirecte. L’observation directe, voire la participation jointe à une approche ethnographique aurait sûrement permis de nuancer comme d’approfondir davantage l’analyse ce que les contraintes de temps n’ont pas permis. Nous pouvons également reprendre une critique formulée par Pierre Simard (1992) à la théorie de la structuration, c’est-à-dire qu’elle sollicite une connaissance et une maîtrise de plusieurs approches conceptuelles afin de saisir les différentes dimensions de la réalité. Il est évident que les outils conceptuels mobilisés pour appréhender chacune des dimensions auraient pu être approfondis bien davantage; l’analyse s’en serait trouvée sûrement enrichie et assurément plus juste mais aurait dépassé le cadre des exigences posées pour la réalisation d’un mémoire de maîtrise. Pistes futures Avec la fusion des municipalités sur le territoire de l’île de Montréal, le rapport État – CDÉC prend un nouveau tournant. Aussi, la seule poursuite de l’étude actuelle n’est pas dénuée d’intérêt. Également, une validation plus approfondie du cadre utilisé à travers entre autres l’observation directe voir la participation à la structuration serait sûrement recommandable. On pourrait également penser l’ajout d’une cinquième dimension au modèle dans le cadre d’une nouvelle étude. En effet, l’individu s’actualise à travers des interactions avec d’autres individus, aussi la dimension interactionnelle mériterait-elle qu’on s’y arrête, ce qu’appuierait l’existence d’une vaste littérature en sociologie à ce sujet. Enfin, l’enjeu de la transformation sociale reste à explorer. Notre étude soulève la question de la diffusion des innovations comme ferment de la transformation sociale. Dans quelle mesure cela est-il possible ? Cette question a été largement abordée par les approches de l’institutionnalisation autour de la question de la dénaturation. Peutêtre une approche multidimensionnelle posant la construction dans le temps permettrait-elle une meilleure élucidation des processus de diffusion, d’institutionnalisation et, le cas échéant, de mutation voir même de dénaturation ? 276 Bibliographie Abram, S. et Waldren, J., (dir.) (1998) Anthropological perspectives on local development : knowledge and sentiments in conflict, London, New York, Routledge. 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Êtes-vous de la région de Montréal ? avez-vous grandi à Montréal ? sinon où avez-vous grandi ? quand êtes-vous arrivé à Montréal ? Pourquoi êtes-vous venu ici ? Quelle est votre formation académique ? Parlez-moi de vos parents…Quel était le métier de votre père ? de votre mère ? Avez-vous des frères et sœurs ? Quelle a été leur influence dans votre cheminement ? Y a-t-il d’autres personnes dans votre vie qui vous ont marqué, qui ont eu une influence sur votre cheminement, Annexe 3 1 Annexe 3 sur ce que vous faites aujourd’hui ? Avez-vous un modèle, quelqu’un que vous admirez beaucoup ? Avez-vous milité dans des associations étudiantes ou autres ? Avez-vous déjà travaillé dans le secteur public ou parapublic ? (stages, emplois d’été,…) Parlez-moi de votre première expérience de travail… Vos motivations ? (au travers du cheminement) Si ce n’est pas trop indiscret, quelle est votre situation familiale actuelle ? Comment arrivez-vous à concilier les exigences de votre vie professionnelle avec celles de votre vie personnelle ? [Qualité de vie au travail] Pour les administrateurs : Quel poste occupez-vous actuellement ? En quoi cela consiste-t-il ? Votre poste actuel à la CDÉC…. Depuis quand êtes-vous à la CDÉC ? (DG) Pourquoi la CDÉC ? pourquoi ce poste ? Referiezvous le même cheminement si vous pouviez recommencer ? (CA) Pourquoi la CDÉC ? Qu’est-ce que ça vous apporte de siéger au CA de la CDÉC ? Comment se sont passée vos premières semaines à la CDÉC ? Qu’a-t-on fait pour faciliter votre intégration ? Annexe 3 2 Annexe 3 Depuis que vous êtes à la CDÉC, y a-t-il eu un moment critique où vous êtes allé jusqu’à remettre en question votre emploi à la CDÉC ? à quelle occasion ? À quoi ressemble vos journées habituelles ? Dans votre poste actuel, quel est l’aspect du travail qui vous plaît le plus (qu’est-ce qui vous allume) ? celui qui vous déplaît le plus ? Celui que vous réussissez le mieux, celui qui vous apparaît le plus difficile ? Quels sont les défis personnels que vous voulez ou avez à relever dans ce poste ? (Challenge) Avez-vous des principes de gestion ? (croyances, valeurs, théories…) qu’attendez-vous des gens avec qui vous travaillez ? [engagement] Dans votre carrière, que feriez-vous différemment si vous pouviez recommencer ? 2ème axe : Contexte historique Comment définissez-vous la CDÉC aujourd’hui ? C’est quoi une CDÉC ? Quels sont les éléments les plus importants qui font d’une organisation une véritable CDÉC ? (activités, modes de fonctionnement, pratiques…). Qu’est-ce qui ferait qu’une CDÉC ne serait plus une CDÉC selon vous ? Annexe 3 3 Annexe 3 Y a-t-il une identité CDÉC malgré toutes les différences d’une CDÉC à l’autre ? Comment la définiriez-vous ? Faisiez-vous partie des membres fondateurs de votre CDÉC ? Racontez-moi la naissance de votre CDÉC… Qui a initié le projet ? Quel était le projet fondateur ? Qui a participé ? Qui appuyait le projet ? Y a-t-il eu des obstacles ? de l’opposition ? Le projet fondateur a-t-il dû être modifié ? Comment ? [Modèle rêvé, modèle disputé…] Comment ça se passait au début avec le municipal ? le provincial ? le fédéral ? Qui finançait quoi (répartition) ? Y avait-il des comités ? Quel genre de coordination avec les bailleurs de fonds ? rencontres formelles, informelles, avec qui, à quelle fréquence, de quoi discutiez-vous ? les relations étaientelles tendues ? Pourquoi ? Les personnes se connaissaient-elles ? Racontez-moi la naissance de l’InterCDÉC…. Qui a initié le projet ? Qui a participé dès le début ? Y a-t-il eu des obstacles ? des oppositions ? Qui appuyait le projet ? Que faisiez-vous dans les réunions ? Vous connaissiez-vous bien entre vous ? Comment voyiez-vous l’avenir de l’InterCDÉC à ce moment là ? Comment l’InterCDÉC a-t-il évolué ? pourquoi ? par qui ?… Annexe 3 4 Annexe 3 Aujourd’hui, comment définissez-vous l’InterCDÉC ? Qui participe ? À quelle fréquence sont les réunions ? Où ont elles lieu ? Quels sont vos principaux sujets de discussion ? Parlez-vous d’autres choses que des CDÉC ? Combien de temps durent-elles ? entre les réunions, communiquez-vous entre vous ? qui et comment ? Comment gérez-vous les disparités (conflits) entre CDÉC au sein de l’InterCDÉC ? Comment définissez-vous le mandat CLD ? Quelle place occupe-t-il dans la CDÉC ? Racontez-moi l’arrivée du mandat CLD… Comment avez-vous appris l’arrivée des CLD ? Comment les CDÉC ont-elles réagi ? Qui a initié le projet de mandataire ? Comment cela a-t-il été discuté ? avec qui ? Quels étaient les terrains d’entente et les points litigieux ? Le protocole d’entente a été longtemps négocié, je crois, qui participait à ces négociations ? Comment se sont-elles déroulées ? Le protocole signé est-il à votre avis très rigide ? Pourrait-il être amélioré ? Les exigences du protocole favorisent-elles les relations avec le milieu ? avec le ministère ? avec les autres gouvernements ? avec les autres partenaires ? Dans le cadre de ce mandat, quelles activités et responsabilités sont attribuées à la CDÉC et au MAMM ? (Postes de liaison ?) Qui a décidé de ce partage des tâches ? Cela a-t-il fait partie des négociations ? Comment vous assurez-vous de travailler dans le même sens, MAMM et CDÉC ? (Coordination) Comment ont réagi et réagissent encore le municipal et le fédéral ? Parlez-moi des fusions municipales à venir…. Quels sont les enjeux pour les CDÉC ? Comment cela se passe-t-il ? discutez-vous entre vous ? avec les instances gouvernementales municipales ? provinciales ?…. Annexe 3 5 Annexe 3 3ème axe : Les différentes structures Selon vous, actuellement, quelles sont les instances décisionnelles les plus importantes pour la CDÉC ? En a-t-il toujours été ainsi ? Qu’en est-il du … - CA - AG - CLP - CLD-Montréal - InterCDÉC (équivalent pour les présidents ?) - Comité Harmonisation (aller chercher l’historique si nécessaire) - Comités de travail (CLD à Montréal) - Ministères… - Autres…? Pour chacune : qui participe et à quel titre ( élu, nommé, choisi,…)? Comment recrutez-vous de nouveaux membres pour le CA ? Où et à quelle fréquence se rencontrent-elles ? Pourquoi, qu’y discute-t-on ? Dans quelle atmosphère ? est-ce qu’on est « entre nous » ? comment se passent les réunions (houleux, plate, tranquille, fun,….) Quelles sont les décisions qui relèvent de cette instance ? Les décisions sont-elles réellement discutées ou seulement entérinées ? Quelle est selon vous la nécessité et la raison d’être de chacune d’elle ? Cette raison est-elle encore valable ? Annexe 3 6 Annexe 3 Le rôle du MAMM est-il essentiellement un rôle de bailleur de fonds ou plus que ça ? Pourquoi ? Selon vous, quelle est la place « légitime » des élus (représentant des bailleurs de fonds – fonds publics) dans les CDÉC ? ont-ils un rôle particulier à jouer ? Comment et par qui les CDÉC sont-elles (se sentent-elles ) évaluées ?Quelles sont les retombées, positives ou négatives, de ces évaluations ? Qui a décidé des critères d’évaluation ? Dans la CDÉC, qui s’occupe des relations avec le milieu ? structure ou informellement ? Organismes ou individus ? Incitez-vous vos employés à s’engager dans le milieu ? Parlez moi de votre PLACÉE… Comment a-t-il été réalisé ? par un comité interne, externe, par un consultant… Comment la population, le milieu a-t-il/elle été consultée… Préparez-vous un prochain PLACÉE ? Sera-t-il conçu de la même façon ? Qui participe à la planification annuelle de la CDÉC ? (dirigeants, directeur, directeurs adjoints, conseillers, employés, membres…) Comment se déroule cette planification ? Comment décririez-vous le milieu de la CDÉC… Au cours des dernières années, comment a évolué le milieu ? Est-ce un milieu en croissance, en décroissance ? Est-ce un milieu homogène ? Quels sont les principaux besoins, les principales potentialités ? Quels sont (seront) les défis de la CDÉC…face à son milieu… Annexe 3 7 Annexe 3 4ème axe Rôles et réseaux Comment percevez-vous votre rôle dans la CDÉC ? Qu’est-ce que c’est pour vous être DG d’une CDÉC? (ou président ou employé ou…) De quoi vous sentez-vous responsable ? Votre rôle au sein des CDÉC, de l’InterCDÉC ? Votre rôle par rapport au milieu, aux organismes du milieu ? Votre rôle au CLD-Montréal ? Votre rôle au sein des autres comités auxquels vous participez ? Votre rôle avec les différents gouvernements ? (provincial – mandat CLD) Comment se déroulent vos relations… Avec les autres DG ? avec les élus ? avec le CA ? avec vos employés ? avec le fédéral ? avec le ministère (MAMM) ? avec le municipal ? Avec qui entrez-vous régulièrement en contact ? A quelles occasions ? (ministres vs fonctionnaires, maire vs fonctionnaire de la ville) Avez-vous tissé des amitiés ou y a-t-il à travers votre réseau des amitiés de longue date, (circonstances de ces liens : on a été à l’école ensemble, on a monté tel projet ensemble,…) Avez-vous des rencontres de « réflexion », où vous pouvez partager vos expériences, votre vécu, vos problèmes, vos questionnements ? (avec qui, quand, à quelles occasions, qui les initient, où, quelle fréquence) De qui obtenez-vous du support, du soutien, quand des problèmes surgissent ? Avez-vous parfois des rencontres informelles en dehors du cadre du travail ? si oui, est-ce possible de savoir avec qui ? Quand, à quelle occasion, où ? Échangezvous malgré tout de l’information ? Si non, pourquoi ? Annexe 3 8 Annexe 3 5ème axe : Bilan et perspectives Quel bilan tracez-vous aujourd’hui de l’action de votre CDÉC ? des CDÉC en général ? du mandat CLD ? Forces et faiblesses des CDÉC La / les CDÉC répondent-elles aux besoins du milieu ? Quel bilan de vos relations avec le gouvernement provincial ? (MAMM et élus) ? Comment qualifieriez-vous les liens de collaboration avec le MAMM : insuffisant ou suffisant, mauvais, moyens, bons ou très bons….avec les élus ? Pensez-vous avoir une perception commune (avec le MAMM) de la situation actuelle et de l’avenir des CDÉC, de leur rôle ? D’après vous quels éléments (moyens ou fins) font en sorte de créer un esprit de coopération, de collaboration entre le MAMM et les CDÉC ? Comment les origines disciplinaires ou les formations des intervenants du MAMM et des CDÉC influencent-elles le relation ? Diriez-vous qu’entre CDÉC et MAMM, il y a parfois un choc des cultures ? Annexe 3 9 Annexe 3 On parle beaucoup de partenariat entre les CDÉC et le gouvernement provincial (MAMM). D’après vous s’agit-il vraiment d’un partenariat ? Pourquoi ? Quelle est votre définition du partenariat ? Comment entrevoyez-vous l’avenir des relations CDÉC MAMM ? Comment voyez-vous l’avenir des CDÉC ? Quels seront les plus grands défis, les grands enjeux ? Fusions municipales – Mégaville Redéfinition de l’arrondissement – identité du milieu – quelle menace pour les CDÉC / remise en question du territoire ? quelle incidence ? Capacité d’innover, d’expérimenter ? Annexe 3 10 Annexe 4 Structure de la CDÉC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal Source : document de la CDÉC CS/PMR Annexe 5 Structure de la CDÉC Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce Source : document de la CDÉC CDN/NDG