Promenades historiques à Liège. Les secrets d’une ancienne ville d’Empire. De toutes les curiosités que nous offrent nos régions, Liège constitue sans doute la plus étrange. Ce fut la patrie de la dynastie franque et c’est de là que les Carolingiens, redoutables guerriers, conquirent l’Europe. Avec Aix-la-Chapelle toute proche, Liège resta le centre de leur empire avec autour d’eux les vallées de la Meuse, du Rhin, de la Seine, du Danube, la lointaine Aquitaine, la Saxe et la Bavière subjuguées et Rome dont ils protégeaient l’évêque pour prix de leur propre couronnement. On peut dire que la naissance de l’Europe, après Rome et les invasions barbares, se trouve en ces régions entre la Meuse et le Rhin. Liège au carrefour de l’Europe, entre Germains et Latins, bascula au haut Moyen Age dans les mains des empereurs germaniques, successeurs de Charlemagne, Othoniens, Saliens, Staufen et devint un diocèse du Saint-Empire, dépendant de l’archevêque de Cologne. C’était le temps où les souverains s’appuyaient sur leurs évêques et celui de Liège connaîtra les grandeurs et les malheurs de ces empereurs. Ceux-ci préféraient laisser des biens aux princes ecclésiastiques que laïcs pour garder indirectement la main sur ces biens et éviter la puissance des princes laïcs. Pour ce faire il leur fallait s’assurer la nomination des futurs évêques. Ce sera tout l’objet de la Querelle des Investitures autour de l’an 1100 que de déterminer qui, du pape ou de l’empereur, aurait en mains la nomination des évêques. Ainsi naquit la principauté de Liège, du Limbourg à la France, énorme amalgame de fiefs et de propriétés disparates, qui survécut jusqu’à la révolution française. En parcourant la ville et son nombre d’établissements religieux, il ne faut jamais perdre de vue qu’il s’agit, non d’une ville comme une autre, mais de l’ancienne capitale d’une principauté religieuse. C’est à Liège que dans un dernier sursaut vint mourir en 1106 l’empereur Henri IV, excommunié par le pape et renversé par son propre fils. C’est à Liège que régnèrent les Zähringer, Souabes voraces. Tout poussait Liège à un destin soit impérial soit germanique. Mais le destin, qui joue avec les villes comme elle joue avec les hommes, en décida autrement. Liège se retrouva, toujours indépendante mais enclavée dans les possessions du duc de Bourgogne puis dans celles de ses successeurs. En même temps elle se francisait complètement, son passé impérial tombait dans l’oubli et elle finit, englobée dans la Belgique puis dans la Wallonie. 1 Table des matières Un court historique de la ville. _ Aux origines _ Une ville impériale _ La vengeance de Charles le Téméraire _ L’apaisement _ La naissance de l’industrie Avant de commencer… _ Les édifices religieux _ Des mots locaux _ Une ville naissante, ses eaux, ses remparts Première promenade : Autour de la cathédrale disparue. _ La Cathédrale fantôme _ Le Palais épiscopal _ Autour du palais et de la cathédrale _ La collégiale Saint-Denis _ Un cadavre dans une île _ Vers la maison de la Violette et la Grande Boucherie Deuxième promenade : Les mystères de Féronstrée. _ Féronstrée, ses ferronniers, ses drapiers _ Le bord de Meuse _ Curtius et Saint-Barthélémy _ Entre ville et vergers : la Rue Hors-Château _ Chez les Cordeliers et les Chevaliers teutoniques. Troisième promenade. Le Mont du Peuple et l’Ile déserte. _ En montant vers le Publémont. _ Le « Mâle Saint-Martin » _ En descendant vers la Sauvenière _ Saint-Adalbert et Saint-Jean _ Le Carré _ La nouvelle cathédrale : Saint-Paul Conclusion Bibliographie Liège : l’ancien centre, avec le Publémont, l’ile, la cathédrale Saint-Lambert, le marché. 2 Un court historique de la ville. C’était originellement un endroit bien tranquille. La route romaine avait évité ce coin marécageux où avait cependant existé une villa à l’actuelle place Saint-Lambert. L’évêque de la région, Lambert, venait souvent méditer et prier dans cet endroit désormais inhabité. Entre deux collines, celle du Publémont et celle du futur palais, coulait une petite rivière, la Legia, qui allait se jeter dans une des deux bras de de la Meuse, le futur boulevard de la Sauvenière. Lambert y installa un oratoire dédié à Sainte-Marie. Vers 700, dans ce vallon paisible qu’il avait tant aimé, Lambert fut assassiné et désormais considéré comme un saint martyr. Un évêque était mort, une ville était née car de ce meurtre naquit une ville : Liège. En effet le siège du diocèse de ce martyr ne se trouvait pas dans la solitude de la petite rivière, la Legia, mais avait été fondé vers 350 à Tongres, la Civitas Tungrorum. Au VIème siècle l’évêque avait négligé de plus en plus Tongres pour Maastricht qui offrait de plus grandes facilités de communication. C’est là au « passage de la Meuse » Mosae Traiectum, que la route dite Tongres « Brunehaut », entre Boulogne, Bavai, Tongres, Cologne, traversait la Meuse, c’est là que se situa le second siège de l’évêché. Mais tout changea avec le martyre de Lambert. Son cadavre d’abord enterré à Maastricht provoquait des miracles et fut ramené vers 715 à Liège par son successeur, saint Hubert. Ce dernier fit construire, à l’endroit où Lambert se retirait pour prier, une église dédiée à SaintLambert et à Notre-Dame. Vers 800 le siège épiscopal lui-même, installé à Tongres puis à Maastricht, fut transféré à Liège et devint à la fois un centre de pèlerinage, le siège de l’évêché, le noyau d’une ville et le centre politique et religieux d’un ensemble de possessions. Les traces des Carolingiens et de leurs successeurs immédiats sont anciennes : la nouvelle localité était voisine des villas royales de Herstal et de Jupille ; Carloman, frère de Pépin le Bref assiste à l’élévation des reliques de Saint-Hubert et porte la châsse sur ses épaules ; Charlemagne en 770 passa la Noël « près de Saint-Lambert » dans le vicus de Liège. En 854 Lothaire I et Charles le Chauve, fils de Louis le Pieux se réunissent près de Saint-Lambert. En 907 Louis roi de Germanie donne la ville de Fosses à l’Eglise liégeoise. On ne parle pas encore de palais. La maison principale de l’évêque est dite se trouver dans le monastère de SainteMarie et Saint-Lambert. . Une ville impériale 3 C’est un des successeurs de Lambert, Notger (972-1008), qui marqua à jamais la nouvelle ville. Issu de l’abbaye de Saint-Gall, membre de la chapelle impériale, il fut imposé comme évêque par l’empereur Othon I. De ce centre de pèlerinage dévasté par les Normands en 881, il fit une ville, avec son palais, sa cathédrale, des collégiales et des églises paroissiales. Il entoura le nouvelle ville de remparts et il fit démanteler la forteresse de Chèvremont qui, aux mains de barons pillards, constituait pour cette ville en gestation une L’évangéliaire de Notger menace perpétuelle. La ville dépendait de l’Empire car en 843 au traité de Verdun elle avait été attribuée à la Lotharingie puis, en 880 au traité de Ribemont, à Louis III de Germanie. C’est ainsi que Liège entra dans l’orbite germanique et impériale et, en tant qu’évêché, dépendit jusqu’au XVIème siècle de l’archevêché de Cologne. Les empereurs au cours de leurs pérégrinations séjournaient dans les diocèses, leur faisaient des dons importants et en nommaient les titulaires. Ce sera tout l’objet de la Querelle des Investitures à la fin du XIème siècle. Ainsi en fut-il à Liège 1. Grâce à sa position au sein de l’Empire Liège se développa sous une double forme : la ville et la principauté. Au début du XIe s. la ville possédait, outre la cathédrale, sept églises collégiales (St. Pierre, St. Paul, St. Martin, Ste Croix, St. Denis, St. Jean, St. Barthélémy) et deux abbayes bénédictines (S. Jacques, S. Laurent), tandis que se développaient vingt-six églises paroissiales : « il s’y disait autant de messes par jour qu’à Rome »2. Cette ville formait le centre d’une vaste principauté discontinue, qui traversait l’actuelle Belgique du Limbourg à la France. L’origine s’en trouvait dans les dons des empereurs qui préféraient favoriser les évêques, qu’ils nommaient, que les nobles laïcs toujours épris de velléités d’indépendance. En 980 Notger obtenait un diplôme d’immunité générale et échappait à la juridiction du comte pour exercer désormais les pouvoirs tant civils que religieux. Il reçut en 985 à Ingelheim l’énorme comté de Huy puis le monastère de Gembloux. il disposait d’une nébuleuse de droits dans le pays mosan, à Tongres, Maastricht, Huy, Namur, Dinant et sur les abbayes de Lobbes, Saint-Hubert, Fosses. En 1096, profitant du départ de Godefroid de Lotharingie en croisade, l’évêque Otbert mit la main sur le fief et le château de Bouillon. . L’évêque Henri II de Leez vainquit en 1151 à Andenne le comte de Namur Henri l’Aveugle. En 1227 fut acquise l’abbaye de Waulsort et en 1361 le comté de Looz 1 2 Voir dans ce site sous “Histoire” différents textes relatifs à cette Querelle fameuse. COMMYNES, Mémoires, J. DUFOURNET (éd.), Flammarion, 2007), l. 2, chap. 13. 4 Entre un empire en déliquescence et un état capétien en gestation, l’évêque de Liège assumait, sur des territoires multiples et disparates, un rôle de prince souverain et sa ville était devenue une véritable capitale. La vengeance de Charles le Téméraire Mais une telle gloire entraîne aussi des troubles et des revers. Au début du XIIIème siècle le duc Henri II de Brabant, sous les ordres d’Othon IV, qui revendiquait le comté de Moha, s’empara de Liège et pilla la ville pendant plusieurs jours. Il fut battu en 1215 à Steppes par le prince de Liège Hugues de Pierrepont et ses vassaux, Henri duc de Limbourg, Hugues de Florennes, Thierry de Rochefort, Arnold de Morialmé. En guise de pénitence publique le duc de Brabant dut venir se prosterner dans la cathédrale devant les reliques de Saint-Lambert. Avec l’arrivée des ducs de Bourgogne la situation devint plus délicate. Ayant mis la main sur toutes les principautés des « Pays-Bas », les ducs voyaient d’un mauvais œil leur territoire traversé par un ensemble de terres ne dépendant pas d’eux. Ils s’efforcèrent de nommer eux-mêmes l’évêque de Liège mais les conflits se multiplièrent. En 1465 Philippe le Bon choisit comme régent de la principauté, Louis de Bourbon, la ville Marc de Bade. L’année suivante les Liégeois furent battus à Montenaeken puis à Brusthem où furent tués trois à quatre mille Liégeois. Enfin en 1468 eurent lieu la grande révolte et la destruction de la ville. Charles le Téméraire, en négociation avec Louis XI à Péronne, apprit qu’en sous-mains ce dernier avait poussé les Liégeois à se révolter : « Le roi, en venant à Péronne, ne s’était pas avisé qu’il avait envoyé deux ambassadeurs à Liège pour en dresser les habitants contre le duc » 3. Ivre de rage Charles força le roi à venir assister à la défaite de ses alliés et au sac de la ville. Les Liégeois se réfugièrent dans le quartier de l’Ile autour de l’église Charles le Saint-Paul avant de fuir où ils pouvaient. Au Marché les Téméraire assaillants firent une pause pour mettre au point un plan de pillage par quartiers. Le carnage qui s’ensuivit fut épouvantable : des grappes de dix à douze hommes et femmes, liés ensemble, furent jetées à la Meuse, vingtdeux personnes furent massacrées dans l’église des Mineurs, onze dans celle des Dominicains, des religieuses furent tuées après avoir été violées, les habitants qui s’étaient réfugiés dans les bois furent poursuivis et massacrés. On n’épargna que la cathédrale et les abbayes qui avaient obtenu des sauvegardes. Finalement Charles décida que toute la ville devait être démolie à l’exception des églises et des maisons de chanoines. Marie de Bourgogne renonça à toutes les mesures imposées à Liège par le traité de paix et la ville fut lentement reconstruite sous Louis de Bourbon. 3 COMMYNES, Mémoires, J. DUFOURNET (éd.), Flammarion, 2007), l. 2, chap. 7. 5 Mais tout n’était pas fini. En 1482 Guillaume de la Marck, le « sanglier des Ardennes », reçut de Louis XI une armée pour conquérir la principauté de Liège. Il tua Louis de Bourbon à la bataille de Grivegnée, s’empara de Liège et la livra à nouveau au pillage L’apaisement et la fin d’une survivance médiévale Liège ne retrouva la paix qu’avec l’avènement en 1506 d’Erard de la Marck, un grand homme d’état qui régna trente-deux ans. Avec le temps la situation se calma. Pendant plus d’un siècle des membres de la famille de Bavière dirigèrent la ville sans guère y résider. Les différents souverains des Pays-Bas, Bourguignons, Espagnols, Autrichiens, feront bon ménage avec ce curieux émiettement de biens épiscopaux qui traversaient leurs terres. Ils assuraient généralement eux-mêmes la nomination du princeErard de la Marck évêque. La ville souffrit encore des guerres du XVIIème siècle et en 1691 le maréchal de Boufflers, à la tête des troupes françaises, bombarda la ville pendant une semaine à boulets rouges. La ville accueillit avec joie la révolution française et, chassant les princes-évêques, vota l’annexion à la France. Le régime fut renversé le 18 août 1789 par les Liégeois et le décret de réunion voté par l’Assemblée Nationale le 1 octobre 1795. Une principauté ecclésiastique médiévale était morte et Liège fut unie aux autres provinces belges sous les régimes français, hollandais, belge et aujourd’hui wallon. C’est la fin d’une longue indépendance. Entretemps la ville était arrivée à l’avant-garde de la révolution industrielle. Une des premières villes industrielles d’Europe Liège, dès ses origines, constitue, non seulement un centre épiscopal, mais un centre industriel avant même qu’ailleurs en Europe on y songeât. Au Moyen Age l’extraction de la houille permit l’essor métallurgique de la ville, spécialisée en fabrication de clous, en drap de serge et tanneries. La houillère de Crève-Cœur, près de la collégiale SaintBarthélémy date de 1500. La pompe à feu, inventée par le serrurier anglais Thomas Newcomen, fut employée, pour la première fois sur le continent, en 1717à Liège. Après l’Angleterre c’est à Liège aussi qu’on fabriqua la première locomotive. Quant à l’armurerie liégeoise, elle remontait aux débuts de la ville et employait au XVIIIe s. six mille ouvriers. Avec le fusil à silex datant du XVIème siècle Liège acquit une renommée universelle et en 1810 le fusil à percussion y fut fabriqué. Au XIXème siècle Liège, avec ses hauts fourneaux, sa verrerie du Val Saint-Lambert et sa fabrique d’armes de Herstal était à la tête des villes industrielles d’Europe. 6 Il ne reste aujourd’hui de la métropole industrielle et de la cité des princes évêques que le fantôme du passé. C’est ce passé que nous visiterons. Liège au XVIème siècle avec la Meuse et la Sauvenière, 7 Avant de commencer… Avant de commencer il peut être utile de se souvenir des types d’édifices religieux et de leur rôle : cathédrale, église paroissiale, collégiale. Nous verrons aussi certains mots régionaux utilisés dans l’indication des rues ainsi que le rempart de Notger qui marque la ville du haut Moyen Age. Les édifices religieux La cathédrale constitue le sanctuaire de l’évêque, où il officie et a son siège : sa « cathèdre ». A Liège ce fut longtemps Saint- Lambert puis, après sa destruction par la révolution, Saint-Paul. De sa cathédrale l’évêque dirige son diocèse, il est entouré dans ses tâches de chanoines il dépend d’un archevêque. L’évêque de Liège dépendait sous l’Ancien Régime de l’archevêque de Cologne. L’église paroissiale regroupe les fidèles d’une paroisse sous l’autorité d’un curé qui dépend lui-même de l’évêque. Chaque diocèse est divisé en paroisses. C’est l’unité de base du monde chrétien. Tout laïc fait partie d’une paroisse. Le curé a comme assistant direct un vicaire. La collégiale constitue le siège des chanoines, qui assistent l’évêque, chantent le service divin ou remplissent un rôle spécifique, comme l’enseignement. Avant les universités il y eut les écoles collégiales où l’on formait le clergé. Liège constitue à cet égard un cas extraordinaire et un des grands centres d’enseignement au Haut Moyen Age avec plusieurs collégiales à l’aube du XIe s. : St Pierre, fondée par l’évêque Hubert (706-727) et agrandie par Richer (920-945), St-Paul et St-Martin, fondées par l’évêque Eracle (959-971), Ste Croix, St-Denis et St-JeanBaptiste, fondées par Notger (972-1008), St-Barthélémy, fondée par Baldéric ( 1008-1018). Les collégiales ont à leur tête un prévôt, choisi parmi les chanoines de St-Lambert. Les chanoines vivaient de « prébendes » provenant des biens de l’Eglise de Liège, de biens royaux ou familiaux donnés par l’évêque fondateur. Sous l’évêque Wazon ( 1042-1048) il y a sept collèges de trente chanoines outre les soixante chanoines de la cathédrale, ce qui en fait 270. Wazon était célèbre dans tout l’empire pour son érudition. On trouve dans les collégiales nombre de ministeriales, de petite noblesse, choisis par l’empereur pour des fonctions futures religieuses ou politiques plus élevées. Les églises abbatiales qui font partie d’un monastère, que dirige l’abbé puisque les moines, qui se sont retirés du monde, vivent à l’écart sub abbate et regula. « sous l’autorité de la règle et de l’abbé » Les chapelles privées, que l’on trouve dans les palais, les châteaux et les demeures patriciennes et qui servent à la piété privée de l’occupant. A part la cathédrale et les églises paroissiales qui en disposent d’office, les droits de baptiser, d’enterrer, de sonner les cloches, 8 d’organiser des processions dépendent, par des autorisations individuelles, de l’évêque et de son collège. Le christianisme constituait ainsi une organisation, à la fois multiple et cohérente, qui tenait toute la société en mains. Cette société se composait de deux groupes : les laïcs et le clergé. Les laïcs groupaient ceux qui étaient nobles et ceux qui ne l’étaient pas. Le clergé comprenait le clergé séculier « vivant dans le siècle ou dans le monde » : archevêques, évêques, chanoines, curés, et le clergé régulier, qui vivait en dehors du monde : moines, moniales, membres d’ordres conventuels. Des mots locaux Le Wallon liégeois n’est pas le picard de Mons ni le dialecte ardennais. Ce n’est pas non plus un sous-produit du français. Toutes ces formes linguistiques, liégeois, picard, français proviennent du bas latin. Elles ont chacune leur passé et leur noblesse. Certaines formes typiquement liégeoises se retrouveront dans les rues et nous en citerons les plus courantes ici : _ Rue sur les Airs. Les remparts y passaient avec leurs murs en arcades rentrantes, arcus, en liégeois êr .Vient du latin Arx : fortification. _ Arvô : entrée d’une ruelle à travers une maison. Vient du latin Arcum volutum : arc voûté. _ Céarie : on y gardait les revenus du prince. _ Champion ou Pugil : chargé en combat judiciaire, moyennant rénumération, de défendre la cause d’une des parties. « Pugil » est d’ailleurs proche de Pugilat. _ hanguiner : pendre (du germain hangen ?) _ houillère : mine de charbon primitive. _ Mangon : maître-boucher _ Mestier : métier _ rieu : ruisseau _ stordeur : grand pressoir, mû par des chevaux ou par la rivière, qui servait à presser les fruits ou l’huile. _ Tindeur : teinturier. _ Vinâve : Liège se partageait depuis le XIIIe s. en six vinâves ou quartiers. Il peut s’agir d’une ancien terme local, du latin vicinitas ou du vieux français Visnage : agglomération de demeures contiguës ayant vue sur le même chemin. Il en reste le « Vinâve d’Ile » près de la cathédrale Saint-Paul. _ Vivegnies : vieux vignobles. On trouve aussi, à l’intérieur de certains mots, des inversions qui doivent provenir de l’influence germanique, si puissante dans ce diocèse du Saint-Empire. Ainsi Vesquecour : « Evêque cour » ou Cour de l’évêque ; Tindeurrue : « Teinturier rue » ou rue de Teinturiers ; Pourceaurue ou rue des Porcs. 9 Une ville naissante, ses eaux, ses remparts Le rempart de Notger Pour nous positionner à l’intérieur de la cité ancienne voyons la géographie de la ville médiévale et les anciens remparts. Liège est construite dans une boucle de la Meuse qui se divisait jadis en deux bras : le bras actuel et celui de la Sauvenière, transformé aujourd’hui en boulevard. Ces deux bras enserraient « l’Ile », un grand espace de terrain, marécageux et broussailleux, qui sera aménagé et habité postérieurement. La Sauvenière se terminait dans la Meuse au travers de multiples îlots à l’emplacement de l’actuelle rue de la Régence. Dans la Sauvenière se jetait une rivière la Legia qui surgissait à l’arrière et se subdivisait en différents bras que l’on retrouvera dans le tracé de nombreuses rues. C’est au bord de ce ruisseau que venait méditer saint Lambert avant d’y être assassiné. Là fut construite sa cathédrale. Ce ruisseau était bordé deux collines : à droite le Publémont où viendra la collégiale Saint-Martin, à gauche la colline Sainte-Walburge sur les flancs de laquelle viendra le palais. Autour de la cathédrale et plus loin au long de la plaine qui longe la maison se blottiront les maisons de la cité. On peut donc parler aux origines de quatre parties : un centre, (l’actuelle place Saint-Lambert, le palais et les abords), la cité en longueur, la haute colline du Publémont, une île marécageuse. Les trois premières parties furent protégées par les remparts de Notger. Ceux-ci longeaient la rue du Palais, coupaient en oblique la rue des Mineurs et longeaient la rue des Airs. Là il tournaient brusquement, 10 traversaient la rue Féronstrée par la porte Hasselin, entre la rue Potiérue et la Grande Boucherie, et descendaient en ligne droite sur la Meuse. Ils suivaient ensuite la Meuse et une bonne partie de son bras principal, devenu le boulevard de la Sauvenière. Puis ils remontaient vers le Mont SaintMartin pour englober la collégiale Saint-Martin. Ils repartaient au long de la rue Saint-Séverin vers l’arrière du Palais. Ainsi couvraient-ils la première ville médiévale : le palais, la cathédrale Saint-Lambert, le marché, la boucherie, la population groupée dans les ruelles entre le marché et la Meuse avec une pointe vers Publémont. Il faut remarquer que l’Île avec les collégiales Saint-Paul et Saint-Jean et l’abbaye Saint-Jacques se trouvait à l’extérieur des remparts. Il en allait de même de la collégiale Saint-Barthélémy et de la rue Tour rue Saint-Martin appelée de ce fait « Hors Château ». Quant à la Legia elle se subdivisait en différentes branches. La première branche quittait la rue du Palais à hauteur de la troisième cour, traversait le palais, passait derrière le chevet de la cathédrale Saint-Lambert, suivait la rue de la Madeleine et celle du Rêwé pour se jeter dans la Meuse. La seconde branche continuait au long de la rue du Palais, jadis « rue Derrière-le-Palais ». Au coin de la rue des Mineurs et de la place du Marché, cette branche, qui coulait à ciel ouvert au milieu des maisons, se divisait en deux bras. Le premier descendait directement par la rue du Pont vers la Meuse. L’autre, appelé la Pisseroule, suivait la rue Hors Château. Les teinturiers y lavaient leurs draps et devaient, lorsqu’il surgissait des orages ou de fortes pluies, lever la vanne générale à l’impasse actuelle de la « Venta », la venta signifiant une vanne. Au XVIIe s. les habitants purent aussi installer des ventas personnels qui ne porteraient pas atteinte au cours du ruisseau. Celui-ci fut voûté à la fin du siècle suivant. 11 Première promenade : Autour de la cathédrale disparue. Nous commençons par le centre historique de la ville, la place SaintLambert, l’emplacement de l’ancienne cathédrale et le palais épiscopal, transformé aujourd’hui en palais de justice. Nous traverserons ensuite une partie de l’ancienne cité, entre la Sauvenière et la Meuse. La Cathédrale fantôme La place Saint-Lambert remplace la cathédrale du même nom, dont il ne reste rien qu’un essai de localisation, car elle fut détruite sous la révolution. Elle avait été initialement construite par saint Hubert près du tombeau de saint Lambert. Pillée par les Normands, la cathédrale fut reconstruite et agrandie par Notger qui la dédia à Notre-Dame et SaintLambert, suivant le plan de NotreDame d’Aix la Chapelle. Incendiée La cathédrale Saint-Lambert disparue en 1185 puis pillée en 1212 par les troupes du duc de Brabant, elle fut à nouveau livrée à la soldatesque de Charles le Téméraire qui, l’épée à la main, dut défendre personnellement l’édifice religieux et y tua un de ses propres hommes. A l’époque cette église semblait une merveille, avec ses deux chœurs et, dans la chapelle des saints Cosme et Damien, la châsse de Saint-Hubert, revêtue d’argent et de pierres précieuses. Celle-ci reposait sur le jubé pour être vue de tous et était portée en procession solennelle à travers la ville par deux compagnons du métier des bouchers (les « Mangons »). L’entrée vers le palais, « le beau portail » était pourvu d’une rosace et d’une « naissance de la Vierge » du sculpteur Lambert Zutman. La tour principale ne fut terminée qu’en 1433. La cathédrale était desservie par des chanoines qui vivaient ensemble dans des constructions voisines de la cathédrale, appelées monasterium. Nous en trouverons des vestiges en cours de promenade. Les 60 chanoines les plus anciens, appelés Tréfonciers, devaient être nobles ou versés dans la théologie, la jurisprudence ou la médecine, les 28 autres formaient le Bas-Chœur. Au XIIème siècle le chapitre de SaintLambert comptait des fils de rois, de ducs, de comtes et de barons. 12 Lors d’une guerre les milices se réunissaient dans la cathédrale autour de l’étendard de Saint-Lambert, déployé audessus de la châsse du saint. L’avoué de Hesbaye, revêtu par les chanoines d’une armure blanche et en possession de l’étendard, sortait de l’église, montait un cheval blanc et partait au combat. C’est au cri de « Liège, Saint-Lambert ! » que les croisés liégeois attaquèrent Jérusalem en 1099. La cathédrale avait une longue histoire, analogue à celle du palais voisin. Charlemagne y fit de fréquentes visites et c’est lui qui aurait fait le don de l’étendard de Saint-Lambert. Charles le Chauve, après la défaite d’Andernach en 876, y cherchera refuge. Quand le duc de Brabant eut pillé la ville, il La cathédrale Saint-Lambert. Le chœur. dut venir faire amende honorable devant le tombeau du saint. Et puis il y eut les conciles dont la cathédrale, avec le palais voisin, formait le centre. «Empereur, princes et évêques se rendent ensuite à la cathédrale puis à la crypte de Saint-Lambert. Ils voient par miracle le corps de Saint-Lambert, couché sur l’autel, s’élever dans l’air » 4. On y entendit deux fois prêcher le cistercien Bernard de Clairvaux, le plus fameux orateur du temps. Le Palais épiscopal Si les origines du palais sont mystérieuses, il devint rapidement le séjour non seulement de l’évêque mais des hôtes de passage. Le Palais Cour intérieure Le Palais. Façade 4 Triumphus Sancti Remacli, l. 2, W. WATTENBACH (éd.), MGH SS, 11, Hanovre, 1854, p. 450-461. Extraits et traduction libres par l’auteur. 13 Et quels hôtes ! Rois de Germanie et empereurs y descendent fréquemment. En 770 Charlemagne s’installe à Pâques dans la localité de Liège près de Saint-Lambert5. En 1012 l’empereur Henri II y passe les Pâques. Ses successeurs Conrad II puis Henri III y séjournent. Au palais et à la cathédrale voisine des conciles réunissent la chrétienté : celui de 1131 auquel assista le pape Innocent II et l’empereur Lothaire II, celui d’Urbain III en lutte contre l’empereur Frédéric, celui de 1188 où Grégoire VIII prêcha la croisade devant deux mille ecclésiastiques. Liège fut un des séjours préférés d’Henri IV, l’adversaire de Grégoire VII dans la Querelle des Investitures. Il y passa les Pâques de 1061, 1064, 1071, 1080, 1101 et en 1103 la fête des apôtres Pierre et Paul 6. En mai 1071 il s’y trouve avec son épouse la reine La cathédrale et le palais jadis Berthe, l’archevêque Annon de Cologne, les évêques d’Utrecht, Verdun, Bamberg, Cambrai, Verceil, les ducs de Lotharingie, de Souabe, de Bavière 7. Il y juge d’un litige entre l’archevêque de Cologne et l’abbaye de Stavelot que nous relate un texte du temps : « La cour royale fut convoquée à Liège pour célébrer le moment de la résurrection du Seigneur. Il fut ordonné à tous ceux, qui avaient une cause à juger, venant de quelque province que ce soit de l’Empire romain, de s’y rendre… L’évêque (de Liège) se met en route avec tout son clergé (pour accueillir l’abbé de Stavelot) alors que l’archevêque (de Cologne) reste au palais avec ses partisans… la foule accourt de toute part… Il y a là l’évêque de Liège avec les membres les plus élevés de son clergé, les ducs, les autres évêques présents, le roi et l’archevêque (de Cologne). La présence de certains évêques impériaux est citée nommément : l’évêque Grégoire de Verceil (en Italie), celui de Bamberg (en Bavière) ainsi que le chancelier royal. Le même jour on discute du problème, existant entre l’abbé et l’archevêque, devant le roi, les princes et les évêques » 8. Tout cela se passe en public : « Le roi, entouré de ses princes, se met à table pour manger en public dans le jardin. Le roi quitte la table et rentre au palais. Le jardin est plein de monde car la foule accourt de toute part en tumulte. Après discussions le roi ressort du palais et se tient un moment au-dessus des marches qui descendent vers la cathédrale. 5 Apud sanctum Lambertum in vico Leodico (Res. Imperii, T.1, n°139a, p. 65, J. F. BOEHMER (éd.), Hildesheim, 1966. 6 Heinrici IV Diplomata, p. 306. 7 Heinrici IV Diplomata, p. 652-653. 8 Triumphus Sancti Remacli, l. 2, W. WATTENBACH (éd.), MGH SS, 11, Hanovre, 1854, p. 450-461. Extraits et traduction libres par l’auteur. 14 Pendant qu’on se prépare à célébrer l’office les enfants des écoles de toute la ville s’assemblent et viennent chanter comme des anges » 9. On s’aperçoit, à parcourir ce texte, de la splendeur de la cour impériale, de l’importance de la ville de Liège pour l’empire et des commodités qui en faisaient une ville accueillante : un palais suffisamment grand pour héberger une telle quantité d’hôtes illustres venus de partout, le repas pris publiquement par le souverain dans le jardin du palais en compagnie de tous les princes civils et religieux et en présence d’une foule nombreuse, l’existence des écoles liégeoises, l’importance dans le mythe impérial de la cathédrale Saint-Lambert, des reliques du saint, ainsi que d’autres édifices religieux comme Saint-Jean en Ile. Le prince-évêque dans la suite continuera à tenir des banquets à ciel ouvert auquel le peuple pouvait assister. Il en faisait de même dans le préau du palais. On y tenait les assises et la cour souveraine rendait ses arrêts les plus importants dans le jardin du palais. C’est le siège de la juridiction de « l’anneau du palais ». Un anneau était attaché à la porte du palais et la personne, qui voulait saisir la justice épiscopale d’une affaire frappait la porte de l’anneau. On l’appelait aussi la « Rouge porte du palais ». Le peuple était fréquemment convoqué au jardin du palais pour y être consulté. L’édifice le plus ancien, construit par Notger, plus tard appelé Vieux Palais, se trouvait en face du chœur de Saint-Lambert, du côté du marché actuel. Le jardin où avait dîné l’empereur Henri IV se trouvait à côté, en direction de l’église Saint-André, face à l’hôtel de ville. Ce fut Henri de Leez (1145-1164) qui ajouta au XIIe s. un vaste bâtiment vers l’Ouest, place Saint-Lambert. Désormais la porte principale du palais s’ouvrait en face du portail de Saint-Lambert, presque à sa place actuelle. Les trois Etats représentant la principauté entière étaient réunis au palais dans la « haute salle du parlement ». Les services publics de la principauté fonctionnaient également au palais. Les visiteurs et agents de la cour ne pouvaient séjourner au palais avec leur famille car il s’agissait d’un palais épiscopal. La règle était toujours d’application au XVIIIe s. C’est pourquoi à une série de charges héréditaires, destinées à des laïcs, était affectée la jouissance de maisons proches du palais. Au début du XVIe siècle le palais, complètement délabré, fut reconstruit par Erard de la Marck en style Renaissance et devint le plus vaste palais princier d’Europe. A sa visite de 1544 Charles-Quint déclara : « En vérité, si ce palais était achevé comme il mérite de l’être, il n’y en aurait pas de plus beau dans tout le monde chrétien ». Marguerite de Valois, première épouse d’Henri IV, y logea pendant six semaines en 1577. Avec ces remaniements, la façade du côté de l’église Saint-Lambert montrait à sa gauche, à la place de l’entrée actuelle, un portail 9 Triumphus Sancti Remacli, l. 2, W. WATTENBACH (éd.), MGH SS, 11, Hanovre, 1854, p. 450-461. Extraits et traduction libre par l’auteur. 15 majestueux dans un pavillon à trois plans créé en 1449. Il y avait trois cours. Seule la première cour est entourée entièrement par un péristyle. La deuxième cour n’était pas ouverte au public mais réservée au prince. Au centre était une fontaine surmontée de statues et de l’aigle impérial. La troisième cour constituait un jardin botanique. C’est cette troisième cour, face à l’hôtel de ville, qui constituait le palais initial, elle surplombait le marché et le perron. L’intérieur était luxueusement meublé et décoré. De petits commerçaient travaillaient sous les colonnades de la première cour. Ils occupaient des échoppes construites en planches qui occupaient la moitié des galeries. L’éclairage nocturne des galeries du palais précéda celui des rues de la ville. Autour du palais et de la cathédrale Tout cet espace, actuellement vide, était jadis occupé. Entre le palais et la cathédrale se trouvaient le Vieux Marche et la rue Sainte-Ursule. Le Vieux-Marché formait un rectangle, interdit au charroi, entre le palais et la cathédrale, une place entourée de petites maisons dont certaines étaient collées aux murs de l’église 10. Il s’y donnait des joutes auxquelles le prince assistait de sa galerie. Une chapelle avait été aménagée Le palais, la cathédrale au XIIe s. au palais vers la rue Sainteet le marché jadis Ursule. Les jours ordinaires l’évêque y célébrait la messe. La Rue SainteUrsule ou Des Onze Mille Vierges, serrée entre le palais et la cathédrale, joignait le Vieux Marché au Marché de la ville. Adolphe de la Marck fit ériger au premier étage une galerie couverte qui lui permettait d’aller directement du palais à la cathédrale : le « Pont Saint-Lambert ». On y trouvait la halle pour les draps importés, p. ex. ceux de Verviers ainsi que la chapelle de Sainte-Ursule ou des Onze Mille Vierges, datant du XIIème siècle. C’était l’église paroissiale du prince évêque où il célébrait la messe quotidienne et où à sa mort son corps embaumé était exposé sur un lit de parade, à la vénération des fidèle. Ce sanctuaire disparut en 1540, écrasé par l’effondrement d’une des tours du palais. C’est alors qu’on le reconstruisit à l’intérieur du palais. A sa place on construisit une nouvelle sacristie pour la cathédrale. Enfin dans la même rue se trouvait le local où le receveur gardait les revenus en nature du prince et qu’on appelait : la « Cearie ». 10 On voit encore en de nombreux endroits des maisons accolées aux églises, par exemple à l’église Saint-Nicolas à Bruxelles. 16 De l’autre côté de la cathédrale se trouvait l’église paroissiale NotreDame aux Fonts, construite par Notger, qui contenait les fonts baptismaux et qui échappa à l’incendie de 1185. Cette église resta jusqu’à la fin de la principauté la paroisse-mère de Liège et avait de ce fait certains droits sur les autres églises. La rue du Faucon la longeait. Devant le portail de la cathédrale, on trouvait la Place Verte, un endroit paisible, bordé de tilleuls, de maisons canoniales et d’hôtels aristocratiques, qui servait de lieu de promenade. Cette place, qui doit dater du VIIIe siècle, constituait initialement le préau du chapitre cathédral et avait été qualifié de « monastère Saint-Lambert ». On y trouvait entre autres une demeure passée depuis le XVème siècle d’oncle en neveux dans une famille de chanoines de Saint-Lambert, les Mérode de Waroux. La collégiale Saint-Denis Face aux emplacements de la rue du Faucon et de l’église Notre-Dame aux Fonts, nous prenons la rue Gérardrie, datant de l’an Mil et dont le nom perpétuerait le souvenir de Gérard de Bourgogne, né en Savoie, chanoine de SaintLambert à Liège puis évêque de Florence, qui devint pape sous le nom de Nicolas II (1058-1061). Il promulgua le décret de 1059, toujours d’application, qui réservait la nomination des papes Collégiale Saint-Denis aux cardinaux. Durant son canonicat liégeois, il aurait occupé le coin de la rue à droite. Dans cette rue on trouvait, outre des chanoines, le grand prévôt et même le duc de Bavière, des habitants plus humbles comme des orfèvres, membres du « Mestier de Gérardrie », et des libraires et imprimeurs : l’imprimeur Léonard Streel qui occupa au XVIIe s. la maison de la Galère, à côté de la maison des Trois Pucelles où vécut en 1534 Guillaume delle Heid, un des premiers libraires connus de la ville. Au n° 25 on trouvait la Maison du Paradis Terrestre où vécut la famille des imprimeurs et libraires Hovius qui reproduisirent cette enseigne comme marque sur leurs ouvrages. La Rue Lambert Lombard continue la rue Gérardrie. Nous arrivons à la Place Saint-Etienne. Elle remplace une église du XIIIe s. qui fut vendue en 1798, transformée en Opéra-Comique puis démolie en 1806. Le curé en était nommé par le prévôt de Saint-Lambert. On y trouvait encore au XVIIIe s. une maison de recluse qui vivait totalement isolée et n’avait de contact qu’avec l’église. Sur cette place donne la rue Saint-Gangulphe, où logeait le doyen de la collégiale. 17 Au coin de la rue Chapelle aux Clercs on voit un imposant hôtel de maître du début du XVIIIe s. En 1336 fut construite en cet endroit une chapelle destinée à une confrérie destinée à honorer la Vierge, avec un petit clocher, un petit cimetière et le siège d’une confrérie laïque, « La compagnie et confraternité de N. D. de la chapelle des Clercs » qui subsista pendant des siècles et à laquelle s’ajouta en 1555 la « confrérie de Saint-Yves » ou des avocats. Nous arrivons à la collégiale Saint-Denis, créée en 987 par Notger et reconstruite par son successeur Baldéric II en 1011. C’est un des édifices religieux les plus remarquables de Belgique et une des grandes collégiales de la ville. Le rez de chaussée voûté, actuel baptistère, est roman, tout comme la nef qui date de 1011. Par contre Le chœur gothique date de 1352-1429, le buffet d’orgue de 1569 et un habillage rococo a été appliqué en 1747 sur l’intérieur de la nef. Il y a sous le chœur une crypte romane où jadis vivait une recluse. On trouve un retable de la Passion du XVIe s. et des tableaux de Lambert Lombard (1505-1566) qui décrivent des épisodes de la vie de Saint-Paul et de Saint-Denis. En effet l’église fut construite en l’honneur de saint Denis, premier évêque de Paris au IIIe s. décapité sur la colline de Montmartre. Cette église comptait trente chanoines, y compris le prévôt, le doyen, le trésorier, le chantre et l’écolâtre, vivant dans deux cloîtres, à droite et à gauche. Leur dortoir se trouvait rue Donceel, jadis appelée « rue devant Saint-Denis » face à la tour de l’église. Ils étaient chargés de l’enseignement des écoliers confiés à leurs soins, qui devaient également chanter aux Maison Baar-Lecharlier offices. Les enfants vivaient en commun dans la maison de la Cigogne ou des Pauvres Innocents, située près de le la collégiale. Il y avait aussi près du chœur une prison pour les chanoines ou les enfants de chœur coupables de quelque faute. Le compositeur Grétry étudia à Saint-Denis. N’oublions pas que nous nous trouvons ici au bord de la Sauvenière, devenu ici la rue de la Régence. La tour de Saint-Denis, construite en grès houiller à la fin du XIe s. faisait donc partie de la première enceinte de la ville. Devant la place Saint-Denis, ancien cloître puis marché au Fromage et au Beurre, le biez de Saint-Denis actionnait deux moulins. La fontaine date de 1836. Cette place fut le centre de l’industrie potière. On y voit l’imposante façade, avec haut soubassement de moellons, de la maison Baar-Lecharlier, l’ancien hôtel de la poste impériale de Cologne, datant des XVI-XVIIèmes siècles. Elle dépendait du chevalier de Lantremange, directeur des postes impériales dans la principauté de Liège. 18 Un cadavre dans une île Le bief de la Sauvenière était ici, à l’approche de son confluent avec l’autre bras de la Meuse, encombré d’îlots. Dans un de ces îlots on assista à la fin du XIème siècle à un spectacle curieux. Poursuivi par la haine des papes et excommunié, l’empereur Henri IV avait été déposé et incarcéré par son fils, Henri V. Il réussit à fuir et se réfugia à Liège, « une ville fidèle où il pouvait trouver un asile dans son infortune » 11. Mais y tomba malade et en 1106 y mourut. Durant la promenade nous verrons l’endroit où il serait décédé. L’évêque ordonna qu’il soit enterré dans la cathédrale, « comme il convenait à un roi » mais le fils du défunt, sur le conseil des princes, fit déterrer le corps pour le placer « dans un local non consacré… dans une île de la Meuse où aucun office divin n’eut lieu sur son corps, si ce n’est qu’un moine de Jérusalem, venu là par hasard, y chantait nuit et jour des psalmodies… Henri V fit ensuite porter le cadavre à Spire où le peuple le plaça dans la nécropole impériale…Mais l’évêque local fit à nouveau exhumer le cadavre et le plaça dans une chapelle non consacrée» 12. Des années après le corps d’Henri IV fut enfin enterré dans la cathédrale de Spire auprès de ses aïeux. C’est donc quelque part ici, à l’emplacement de l’actuelle rue de la Régence, que pendant des années reposa dans l’opprobre le cadavre d’un empereur condamné par le pape. Vers la maison de la Violette et la Grande Boucherie A partir de la collégiale Saint-Denis ont été tracées les rues de la Cathédrale et Léopold pour ouvrir l’ancien quartier. La rue de la cathédrale et la rue Léopold forment les axes principaux de réaménagement. Tout ce coin, entre Saint-Lambert, Saint-Denis et le Marché constituait un lacis de ruelles auquel la vie moderne a mis de l’ordre sans faire disparaître tous les vestiges du passé. Nous errons ici entre l’antique Sauvenière, le bras principal de la Meuse et le Marché. Avant de quitter Saint-Denis, nous voyons la rue Sainte-Aldegonde appelée jadis jadis « Derrière Saint-Denis ». Le nom rappelle l’existence en cet endroit d’une église adjacente à la collégiale, érigée en l’honneur d’Aldegonde, vierge de haute noblesse, qui aurait vécu vers l’an 630 dans le Hainaut et partagé ses biens entre les monastères et les pauvres. L’église, mentionnée en 1309, reconstruite au XVIIe s., fut désaffectée en 1803 quand la collégiale Saint-Denis devint église paroissiale. La rue de la Cathédrale tire son nom de la collégiale Saint-Paul, promue en tant que siège de l’évêque après la disparition de la cathédrale Saint-Lambert. Nous en parlerons dans la troisième promenade. Elle date du XIX e s. et relie le Pont d’Avroy à la rue Léopold. Entre la rue Sainte11 Itaque Leodi ubi eum fidem et fortunae suae receptaculum invenisse (Vita Heinrici IV imperatoris, W. Wttenbach (éd.), MGH, Hanovre, 1856, p. 36. 12 Annales Hildesheimenses, G.H. PERTZ (éd.), MGH SS 3, Hanovre, 1839, p. 54-57. 19 Aldegonde et celle du Souverain Pont, elle a absorbé la rue du Dragon d’Or, une des voies les plus anciennes de la cité dont le nom provenait d’une enseigne. Là un artisan, Ignace Brecher, précurseur de Tussaud, exhiba en 1766 sa collection de figures de cire. On peut voir en passant la rue de l’Aîte, ou du cimetière qui longeait le cimetière de SainteAldegonde. Elle se trouvait au milieu du quartier du Chafour, du nom des fours à chaux qui s’y trouvaient Plus loin la rue de la Cathédrale traverse une ancienne rue, appelée à droite la Rue Chéravoie dont le nom viendrait de « Chereau Voie » ou rue des Charrettes et à gauche rue du Souverain-Pont. Nous sommes à ce carrefour à l’emplacement des murailles de Notger où une porte et un pont avaient été était aménagés pour permettre le passage entre le fleuve et le pied de la rue baigné par les eaux d’un vivier, appelé le port de Chéravoie, extérieur au rempart. La rue de Chéravoie a possédé le dernier béguinage de Liège, le béguinage d’Heur, qui servait d’asile à cinq pauvres vieilles. La rue du Souverain-Pont était à la fois une grande rue aristocratique et commerçante. Elle regorge de maisons du XVIIIe s. Elle a donné son nom à tout le quartier : « le Vinâve du Souverain Pont » et à une famille patricienne médiévale car en 1177 apparaît « Nicolas du Souverain Pont ». A l’extrémité du Souverain Pont se trouvait le château de Bouillon d’où partait, au XVIIIe s. le service de voitures vers la Lorraine. Au n° 39 se trouvait l’Hôtel de la famille Lantremange, qui dirigeait la poste impériale à Liège. Les Minimes s’y installèrent provisoirement en 1620. L’Hôtel de Xhendremael appartenait en 1488 à Arnold le Berlier, surnommé le Houilleur à cause des mines qu’il exploitait près de l’abbaye Saint-Laurent. Car au Moyen Age déjà la ville constituait un centre industriel et on y exploitait les mines de charbon au milieu des maisons. Après la maison du Lion, on voyait celle du Chêne puis au XIIIème celle de Wassemborgh, une famille noble du Limbourg. A côté se trouvait la maison du Miroir, divisée en 1400 en Grand Miroir et Petit Miroir. Dans la rue se trouvait le départ des diligences vers Paris, avec deux départs par semaine le mercredi et le samedi. Dans la rue du Souverain-Pont La Rue Jamin Saint-Roch, ancienne ruelle « Clingne-Oreille », a reçu son nom à cause d’une statue de SaintRoch et de Jean Jamin qui y habitait vers 1570. Dans La rue du Lombard séjournaient au Moyen-Age les financiers lombards. Dans cette ruelle sombre, étroite et fétide, munie à chaque extrémité d’une porte, Ursulines puis Célestines eurent leur premier siège. Plus loin la rue de la Cité, l’ancienne « rue sur Meuse », a été coupée en deux par la construction de la rue Léopold. On y trouvait, près de l’enceinte de Notger, les marchands de fer et de clous et les fabricants d’armes. Au coin de cette rue partent les rues Neuvice et du Pont. La Rue Neuvice existait au XIIe s. et était recherchée par les commerçants. Elle avait donné son nom à plusieurs familles devenues riches par le commerce du drap et ensuite anoblies. Ainsi Henri de 20 Neuvice fonda en ville le vaste couvent des Dominicains. L’église SainteCatherine fut construite en 951 par l’évêque Farabert et agrandie en 1259. La rue du Pont constituait, avant l’ouverture de la rue Léopold en 1875, l’unique voie carrossable entre le centre et Outremeuse. L’étroite rue du Carré, entre les rues Neuvice et du Pont, nous plonge aux temps passés quand elle s’appelait rue Malprovée. Elle prolonge la Rue de l’Epée, qui comme souvent tire son nom de l’enseigne d’une brasserie du XVe s. La rue du Carré se prolonge par la rue de la Boucherie. Nous arrivons ainsi à l’ancienne Halle aux Viandes ou Grande Boucherie. Au coin de la rue du Pont et de la Boucherie, on voit une maison du XVIIème siècle « Au nom de Jésus Couronné ». La grande Boucherie, celle des « Mangons », constituait une véritable institution, dont le règlement et les bâtiments sortaient des temps anciens. En 1313 les nobles voulurent mettre le feu à la boucherie mais furent mis en fuite par les bouchers. Pour faire partie de la corporation il fallait être enfant légitime « sans tache de déshonneur » et Grande Boucherie verser cent florins du Rhin d’or. Les bouchers s’étaient fait remarquer en 1213 à la bataille de Steppes livrée contre les Brabançons. Aussi avaient-ils le privilège le 12 octobre, jour anniversaire de cette victoire, de sonner seuls les grosses cloches de l’église Saint-Lambert. Dans ce bâtiment on abattait les bestiaux et on vendait aux particuliers. On ne pouvait pas vendre du mouton en même temps que les autres viandes et la viande de cheval n’était pas vendue. A la façade côté Meuse était adossée une chapelle dédiée à Saint-Jean et Sainte-Catherine qui a disparu. En reprenant la rue du Pont nous arrivons à gauche au centre municipal, le Marché. Nous avons aperçu la Rue de la Violette, qui a englobé au XIVème s. une ruelle appelée Abelot le Flonir ou le marchand de flocons. A l’angle de la rue du Pont et de la rue Féronstrée subsistèrent longtemps une halle aux Viandes et un abattoir, appartenant aux Vignerons. Nous voici au centre populaire par opposition au centre épiscopal, à l’hôtel de ville par opposition au palais épiscopal. Si le palais et la cathédrale représentaient le pouvoir du prince-évêque, la place du marché symbolisait celui de la ville. 21 Car sur la place du Marché se trouve l’hôtel de ville, appelé traditionnellement à Liège « La Violette ». Initialement l’échevinage relevait de l’évêque et la municipalité a commencé dans les cloîtres de SaintLambert tout comme la cloche banale de la ville était suspendue dans une tour de la cathédrale. Ce n’est qu’à la fin du XIIème siècle que les habitants La Violette furent impliqués dans l’administration de leur ville. Leurs représentants s’assemblèrent dans une maison bourgeoise, qui avait pour enseigne une Violette, et qui devint la « maison de le ville ». Au XIV e s. on y ajouta une prison. L’hôtel de ville était inviolable et on y donnait des fêtes publiques L’élection des magistrats, qui devaient prêter serment, avait lieu tous les ans. L’hôtel de ville, détruit par le bombardement de Boufflers en 1691, fut reconstruit en 1714 et agrandi à l’arrière sur la rue de l’Epée. En 1718 fut placé le balcon donnant sur le marché. Au centre de la place se trouve le Perron, symbole des libertés liégeoises, dont les origines sont nébuleuses. Redressé en 1478 après l’assaut de Charles le Téméraire, il fut reconstruit au XVIe s. et embelli au siècle suivant par Jean Delcour. Au Marché se trouvait la halle des draps de Verviers tandis que les draps de fabrication locale se vendaient à Féronstrée à hauteur de la rue de la Rose. Face à l’hôtel de ville se cache, dans le couloir de la Bourse, l’église Saint-André, datant du XIIème siècle, affectée aux cérémonies de l’Ordre Teutonique et à la confrérie des Douze-Apôtres. Le couloir remplace l’ancienne ruelle Saint-André. Un cimetière avoisinait l’église séparée du palais par le jardin des princes. Celui-ci devint la troisième cour du palais. Comme tout rassemblement humain, Liège avait besoin d’eau. Au XIIe s. Hellin, abbé de Notre-Dame-aux Fonts, amena de l’eau venant de la source, au fond SaintServais, jusqu’à la place du Marché. Au siècle ssuivant on y amena de l’eau venant des hauteurs de Sainte-Marguerite par « l’areine L’église Saint-André derrière les maisons du Marché de la Cité ». 22 Après avoir visité une partie de l’ancienne cité et con centre politique, nous verrons, par Féronstrée et Hors Château son prolongement au long de la Meuse. Ce sera, lors de la deuxième promenade, la découverte de la mystérieuse Féronstrée. 23 Deuxième promenade. Les mystères de Féronstrée En prolongement du Marché se trouvait une autre partie de la ville ancienne : Féronstrée qui formait au XIIIe s. l’un des six vinâves ou quartiers de la ville mais fut incendiée en 1143. Au premier carrefour, à la porte d’Hasselin, nous quitterons la ville de Notger. Féronstrée, ses ferronniers, ses drapiers. Ancien plan du quartier La rue Féronstrée actuelle est composée d’un juxtaposition de trois ancienne rues : Féronstré, Saint-Jean Baptiste, Saint-Georges. Après le Marché, Féronstrée constitue l’artère centrale de la vieille ville, destinée initialement à communiquer avec le camp militaire de Pépin et Charlemagne, établi à Maestricht. Son nom vient des ferronniers, marchands de fer, maréchaux et forgerons qui y travaillaient, ce dont témoignent les résidus de fer retrouvés en sous-sol. Au XIIème siècle les artisans de fer s’installèrent en des endroits de la ville moins habités mais les vendeurs de métal restèrent rue Féronstrée. S’y installèrent alors les drapiers dont il reste des noms Rue sur les Foulons, Impasse des Drapiers, Drapiérue, Teintenièrue, puis de riches changeurs. Le quartier se fit huppé et nous a laissé au XVIIIème siècle de merveilleuses façades. A l’entrée de la rue à droite, au n° 6, une plaque indique l’endroit où serait mort l’empereur Henri IV le 7 août 1106 « en présence de son fidèle camérier Erchembald et de son prisonnier l’évêque Bourchard de Münster. Il leur confia son sa couronne et son glaive pour les remettre à son fils. Il lui demanda de pardonner à tous, de se montrer indulgent 24 envers ceux qui étaient demeurés avec lui dans ses difficultés et de l’enterrer à Spire près de ses parents » 13. Nous avons vu ce qu’il en advint et les tribulations de ce cadavre impérial. Au n° 11 se trouvait la maison des Lombards dont le prêt à forte usure fut condamné par le pape en 1302. L’évêque Adolphe de Waldeck, mitre en tête et crosse en main, vint lui-même fermer l’établissement. Reconstruit en 1350 la maison devint au XVIe s. une hôtellerie renommée qui servait aux réunions des drapiers. Elle donnait à l’arrière rue des Airs que nous retrouverons. Au n° 15 la maison de la Clef d’Or, qui se retrouve au XIVe s., fut habitée au XVIIe s. par un certain Jérôme Dujardin, qui avait fait écrire sur la façade cette devise à la fois pieuse et optimiste : « Dieu donne aux Dujardin / Paradis à la fin ». L’Impasse Babylone prolongeait la rue des Airs. Au XIVe s. s’y trouvait l’hôtel de la puissante famille des Montjoie, qui fut remplacé par l’hôtel de l’Aigle Noir, un hôtel de réputation européenne où séjournèrent le comte d’Artois, le roi de Suède et le prince d’Orange. En 1643 on y déposa la dépouille de Marie de Médicis morte à Cologne et qui devait être enterrée à Saint-Denis près de Paris. L’immeuble Séquaris a pris sa place. L’ancienne rue de la Clef ou de la Porte Rouge, écrasée par l’encorbellement d’une de ses maisons, menait à la Grande Boucherie. Les rues Potiérue et de la Rose marquaient le rempart de Notger. Ici à la porte d’Hasselin, qui subsista jusqu’au XVIe s., se terminait l’ancienne cité. L’ensemble de Potiérue, les rues de la Clef et de la Rose résultent de l’existence de cet ancien rempart dont ils formaient les abords et les fossés. A gauche la rue de la Rose qui existait au XIIIe s, mène à la rue HorsChâteau où nous passerons bientôt. Elle fut appelée Tindeurrue en raison de ses relations avec le métier des drapiers ou En Féronstrée « rue de la Fontaine aux deux Pixherottes » car elle menait à la fontaine Saint-Jean Baptiste. Son nom « la Rose » peut venir d’une maison ancienne à l’angle de Féronstrée ou de la brasserie, dite « de la Blanche Rose », connue au XVIe s. où les drapiers allaient se rafraîchir car la bière était la spécialité de la maison. Un autre estaminet, très fréquenté en la rue de la Rose, était celui de « la Fontaine d’Or ». On y servait des spécialités, comme la bière de Louvain, dite Petermann, et de Bruxelles, la Faro, ainsi que des crevettes de mer. Au XVe s. on y trouvait le béguinage de Surlet. Le coin de Féronstrée et 13 Annales Hildesheimenses, p. 54-57. 25 de la rue de la Rose porte le millésime 1768. A hauteur de la rue de la Rose se trouvait la halle aux draps de fabrication locale. A droite dans la rue Potiérue, un nom très ancien, les potiers fabriquaient la poterie de terre, peut-être dans le fossé du rempart. A la fin du XIIIe s. la rue était bordée d’habitations, dont celle d’Henri de Potiérue, un des plus anciens secrétaires connus de la cour des échevins et celle du seigneur Jean de Hénau qui donna son nom à une impasse. A la porte d’Hasselin ou « Hasselinporte » se terminait Féronstrée et commençait la rue Saint-Jean-Baptiste ou Saint-Jehanstrée. On y trouve aujourd’hui le centre administratif de la ville qui a remplacé le château Saint-Georges. Celui-ci, en avant des remparts de Notger, aurait servi avec ses tours, ses poternes, ses fossés et son pont-levis, à défendre la ville sur la route de Maestricht. Dès le XIIIe s avec la construction de la seconde enceinte, le château fut abandonné. Le chroniqueur Jean d’Outremeuse attribue sa construction au légendaire Ogier le Danois, compagnon de Charlemagne. L’endroit fut aussi appelé Vesquecour, la « Cour de l’Evêque , qui aurait été le tribunal épiscopal de l’évêque. Au coin du centre administratif actuel et de la rue Saint-JeanBaptiste se trouvait l’église Saint-Jean-Baptiste, construite par Geoffroi de Féronstrée et consacrée en 1203 par l’évêque Hugues de Pierrepont. L’église avait donné son nom à la rue. Elle faisait initialement partie d’un bâtiment hospitalier, érigé en-dehors des remparts, pour héberger pèlerins et étrangers quand la porte Hasselin était fermée. Près de l’église se trouvaient son cimetière, un hospice portant le nom de Saint-Abraham et le siège de poste de Tour et Taxis. L’église disparut avec la révolution. A la rue Saint-Jean Baptiste succédait la rue Saint-Georges ou Devant Saint-Georges qui devait son nom à l’église Saint-Georges, construite avant 1141 au coin de la rue Saint-Georges et de l’actuelle rue Féronstrée. Elle aurait été initialement la chapelle du château SaintGeorges, bâti par Ogier le Danois et daterait de 947. La façade qui menaçait ruine et faisait saillie dans la rue fut réédifiée en 1740. Puis en 1823, avec la transformation en église paroissiale de l’église SaintBarthélémy, l’église Saint-Georges fut vendue et détruite. En face on voit toujours la rue de la Poule où se trouvait dans un ancien verger le cimetière de l’église Saint-Georges. La rue, terminée des deux côtés en arvôs, tenait son nom d’une enseigne du XVIème s. « A la grasse Poule ». Au milieu une modeste fontaine, alimentée par l’araine Richonfontaine, qui datait du début du XVIIe s., a disparu en 1910. Reprenant Féronstrée nous voyons à droite au n° 114 le magnifique hôtel d’Ansembourg, construit en 1738 en style Régence. L’emplacement avait appartenu aux chanoines de Saint-Barthélémy qui reçurent de Rome l’autorisation de l’aliéner. Ainsi parvint-il au banquier Michel Willems, dont les initiales figurent dans la ferronnerie du balcon et dont une des filles épousa le comte d’Ansembourg. . Le bord de Meuse 26 Nous sommes arrivés par la porte Saint-Léonard à l’extrémité de la longue rue, regroupée maintenant sous Féronstrée, qui formait l’artère principale de l’ancienne cité. Nous pouvons, descendant à droite vers le fleuve, jeter un coup d’œil sur les quais. Car la rue est parallèle au fleuve et lui était reliée par un ensemble de ruelles : rue Potiérue, rue Derrière Saint-Jean-Baptiste, rue Derrière saint-Georges, rue de Hongrie. A l’emplacement de la porte Hasselin nous avons déjà vu la rue Potiérue. Avant d’arriver au fleuve celle-ci croisait la rue Barbe d’Or qui, parallèlement au fleuve, comprenait l’impasse Saint-Augustin et le béguinage dit de Saint-Ambroise et abritait à partir du XVIIe s. des imprimeurs libraires connus. On appelait cette rue « En Draperie ». La rue des Foulons, prolongeait la rue Barbe d’Or. Ces noms rappellent que le quartier fut, dans le cours de son existence, celui des drapiers et des membres des professions qui s’y rattachaient. Au XVIe s. avant la construction du quai de la Batte, les foulons y utilisaient un moulin, actionné par un biez du fleuve. Devenue vide, la place fut emplie de cabarets et au XVIIème s. passa pour un lieu de débauche. Près de la place Saint-Barthélémy, la Rue Hongrée rejoint à nouveau Féronstrée et le quai. L’origine du nom « Hongrée » est inconnue : elle proviendrait soit de la présence de nombreux Liégeois en Hongrie au Moyen Age, soit de pieux plantés par foulons et drapiers dans le pré Saint-Barthélémy, pour faire sécher leur marchandise. Le mot vient alors du germanique hangen et se retrouve en dialecte liégeois du XVIIIe s. dans le mot « hanguiner » pour pendre. Au XVème siècle l’actuel quai de Maestricht s’appelait Hongrie ou Hongrée et deux siècles auparavant un maître tisserand y logeait dans une maison appelée Hongrie. Une prise d’eau faite au fleuve y alimentait les moulins des drapiers, Saint-Jehan Rive. Bien plus tard la rue de Hongrée abrita l’hôtel de Brabant très bien fréquenté, où logea en 1818 le grand-duc Constantin de Russie. Plus loin descendait la Rue des Aveugles, dont le nom provient d’un asile pour aveugles indigents fondé au XIVe s par Guillaume de Bèche, maître drapier. En aucun cas on ne peut imaginer au Moyen Age les bords du fleuve tels qu’ils se présentent aujourd’hui. Il n’y avait pas de quai. Les façades des maisons donnaient sur le fleuve et étaient rangées de façon irrégulière autour d’une rue centrale, la rue de la Barbe d’Or. Au début du XVIe s. le quai n’était qu’une simple berge, souvent submergée, emplie de fosses et de bosses. Les chevaux remorquant les bateaux y avançaient péniblement. C’est à partir du XVIème siècle que naquirent les quais de la Goffe de la Batte. Avant la rue Hongrée on trouvait le quai de la Goffe, ensuite La Batte ou plutôt le Marché aux Biètes, car on trouvait de 1561 à 1747, entre la rue Hongrée et la rue Saint-Jean Baptiste, le marché aux bestiaux ainsi que tous les vendredis le marché aux Chevaux. Entre le quai de la Goffe et celui de la Batte, dans un bâtiment isolé, fut construit en 1574 l’entrepôt et le local au Poids public, appelé aussi local de la Douane ou Grande Halle. 27 Face à la rue Hongrée se trouvait, sous l’Ancien Régime, un vieux port mal entretenu, par lequel des bateaux, tirés par des chevaux, faisait la navette avec Maestricht. La compagnie des jeunes arbalétriers, « de toute ancienneté et temps immémorial », avait la jouissance des revenus de ce trafic. A la descente et par bon vent on arrivait en deux heures et demie. Dans ce port il y avait un abreuvoir pour le chevaux de la garnison et ceux des habitants du quartier. Ses abords étaient encombrés de charrettes de houille qu’on allait décharger dans les bateaux qui y étaient amarrés. Curtius et Saint-Barthélémy Retournons de l’autre côté de Féronstrée. Sur le côté droit de la rue se trouve le « Grand Curtius », le nouveau musée de la ville qui possède des trésors inestimables comme la Bible de Notger. C’est l’ancien hôtel Libert, résidence de Jean Curtius puis Mont de Piété. Musée Grand Curtius Jean Curtius Jean Curtius, né à Liège en 1551, mort en Espagne à Légano, fut un des grands hommes d’affaires du temps. Fils de notaire, mesureur officiel des toiles, il fait une fortune dans les mines et est appelé « le plus richissime maître d’entreprises souterraines de l’époque ». A Flémalle Il exploite les houillères et extrait l’alun. A Vaux-sous-Chèvremont il possède ses principales « usines à poudre à tirer ». C’est lui qui lors du siège d’Ostende. fournit la poudre à feu pour les armées royales. Henri IV essaye vainement de l’attirer en France. Il est aussi appelé en Espagne pour ses procédés industriels : machines hydrauliques, forges et autres appareils pour préparer le cuivre et le fer. Il y passe la fin de sa vie pour trouver des mines de métaux. Curtius devient ainsi immensément riche. Commissaire général des munitions de guerre sous Philippe II, trésorier et fournisseur des armées royales aux Pays-Bas, bienfaiteur des Carmes, possesseur de douze terres, fiefs et alleux, il est anobli en 1627, vit dans un palais luxueux et mène un grand train de vie. 28 Plus loin, protégée par un fossé, se trouvait la porte Saint-Léonard, où le 26 octobre 1467 les milices de la ville subirent le choc de l’avantgarde des troupes bourguignonnes. Avant cela se découpe dans le ciel la collégiale Saint-Barthélémy, consacrée en 1015 par l’évêque Baldéric et achevée à la fin du XIIe s. On y ajouta en 1782 un portail néo-classique et en 1706 on avait substitué au plafond initial de bois une voûte moderne en briques. Les cloîtres, qui entouraient le transept et le chœur, furent démolis en 1862. Sous le tour Saint-Barthélémy d’Ouest il y avait un second chœur, un « Westbau » caractéristique du style roman germanique. L’édifice, en style rhéno-mosan, contenait des fonts baptismaux, coulés en une pièce vers 1110 par Renier de Huy et commandés pour l’église Notre-Dame-aux-Fonts qui attenait à la cathédrale Saint-Lambert. Ils sont exposés actuellement à côté de la collégiale. La place Saint-Barthélémy qu’on appelait « pré Saint-Barthélémy », servait au moyen Age de siège à la cour du chapitre et comprenait la petite chapelle de Saint-Servais. Les terrains autour de la collégiale étaient couverts par une immunité spéciale : On ne pouvait transporter un criminel des prisons de Saint-Léonard vers le lieu du supplice au travers de ce territoire. Aux XVII et XVIIIèmes siècles cette immunisation fut supprimée et les terrains avec leurs maisons sécularisés. Entre la place Saint-Barthélémy et la rue de la Poule on voit la rue des Brasseurs qui s’appelait auparavant Pourceaurue ou rue des Pourceaux. On y trouvait des débits de boisson et des étuves qui dégénérèrent souvent en maisons de débauche. Leur façade principale donnait souvent sur la rue Hors-Château. De l’autre côté de la collégiale se trouvait l’ancienne l’église paroissiale Saint-Thomas, parallèle à la collégiale, dont il est fait mention en 1215. Jusqu’au XVIème s. s’y trouvait la maisonnette et le jardinet d’une recluse. L’église, qui menaçait ruines, fut restaurée en 1731 mais envahie en 1790 par la populace qui pendit le curé en effigie. La Rue de la Chaîne, fermée par un arvô, donnait sur la nef de cette église et tenait son nom de l’ancienne chaîne qui fermait le territoire de SaintBarthélémy. L’église fut démolie en 1856 et remplacée par la Place CrèveCœur, du nom de la houillère de Crève-Cœur datant de 1500. Derrière le chevet de Saint-Thomas la rue « Derrière Saint-Thomas » était peuplée de chanoines et de chapelains. On y trouvait aussi au XVe s. le béguinage de Saint-Thomas. La Rue Delfosse est l’ancienne rue Devant SaintThomas. Plus loin les six cent degrés grimpaient la colline tandis que le faubourg Vivegnies « vieux vignobles », réunissait armuriers et mineurs. 29 On voyait à l’entrée, près de la Porte Vivegnis et de son large fossé venant de la Meuse, le couvent des Carmélites chaussées. Entre ville et vergers : la Rue Hors-Château Face à l’église Saint-Thomas, à côté de la collégiale SaintBarthélémy, commençait la rue Hors Château qui courait ensuite sur le flanc de la colline, parallèlement à Féronstrée. Elle nous reconduira derrière le palais. Cette voie pittoresque est coupée de ruelles, dont celles de droite montent sur la colline, qui convenait parfaitement aux vignobles ou aux jardins d’agrément et, celles de gauche vers Féronstrée, où nous les avons déjà aperçues. De nombreux ordres religieux s’y fixèrent : les Franciscains, les Ursulines, les Carmes Déchaussés, les Capucines et les Carmélites Chaussées. Il s’agit là d’une vieille rue, qualifiée de « rue vénérable » au XIVème siècle par le chroniqueur Jean d’Outremeuse et déjà en 1189 de Extra Castrum. C’est qu’elle était tracée en-dehors du rempart de Notger. Tous ces endroits se caractérisaient par Une impasse Hors-Château les premières mines de charbon, creusées de ci de là au milieu des maisons et des jardins, tel Rencheval, un puits de houillère creusé en 1483 où l’on travaillait à 80 m de profondeur. Il était toujours en activité en 1544. Mais il y avait d’autres puits dans les environs : ceux de Muré Bure, de la Providence, de Trixhe, de Bealrewart, de Grettelifou. Les araines, des galeries souterraines, assuraient l’écoulement des eaux d’infiltration des mines. Nous voyons à notre droite l’Impasse de la Vignette ou ruelle Ravet ou des Raisins. Elle conduisait aux vignobles, plantés sur la colline, appelée au Moyen Age « Thier des Vignes », et dont les viticulteurs devaient utiliser le pressoir de la maison de la Vignette, installée au coin de la ruelle. On tenait aussi dans cette ruelle des marchés, comme le marché aux fruits. Le monastère de Robermont y avait son refuge. L’impasse de la Vignette était suivie, entre les n° 59 et 61, par l’ Impasse du Champion, ouverte par un arvô, où une enseigne rappelait les anciens combats judiciaires quand les parties en cause pouvaient louer les services d’un combattant, un « champion » ou Pugil. Le combats judiciaires, admis par l’empereur Othon I en 967, furent ensuite condamnés par de multiples décrétales des papes. On en cite encore un au XIVème siècle entre les « champions » de l’abbé Robert de Saint-Trond et Henri de Holbeke. Cette impasse, ainsi que celle du Burge ou du Berger à côté, disparut au XIXe s. Elles étaient peuplée, voire surpeuplée, d’ouvriers drapiers. 30 Nous arrivons ainsi à un ensemble, toujours existant, formé par l’impasse de la Couronne, celle de l’Ange et l’ancien couvent des Capucines. L’impasse de l’Ange, voisinant l’ancienne maison du Papegay, fut ainsi nommé de l’image d’un ange à son entrée. Mais on l’appelait aussi rue Destordeur, croyant qu’il s’agissait d’une ancienne famille. En fait le stordeur est un grand pressoir, mû par des chevaux ou par la rivière, qui servait à presser les fruits ou l’huile. Il y avait plusieurs stordeurs banaux en Hors-Château pour permettre aux vignerons de presser le raisin des vignobles Hors-Château. sur la colline et en faire du vin, moyennant un droit à payer au chapitre Saint-Léonard. Cette impasse communique par l’arrière avec celle de la Couronne dont le nom venait de la brasserie située depuis le XVIème siècle à l’entrée : la « Maison delle Coronne », surmontée d’une couronne sculptée qui fut martelée sous la révolution. Entre la rue de Burge et la rue Destordeur se cachait le couvent des Capucines, un ordre particulièrement strict fondé à Naples en 1538 par Laurence Longa, introduit à Liège en 1616 par deux filles dévotes : Cornelia Libotte et Jeanne de Herck, et installé en cet emplacement en 1628. Les Capucines, qui suivaient la règle la plus sévère de Sainte-Claire, avaient une sortie dans la ruelle Destordeur. Le couvent, mis sous la révolution aux enchères publiques, n’en perdit pas sa vocation religieuse. Son acquéreur, la famille Frésart, le donna à une congrégation d’origine liégeoise, les Filles de la Croix. Fondé en 1829 par les demoiselles Haze pour l’instruction gratuite de filles indigentes, ce groupement fut reconnu en 1833 par l’évêque de Liège et en 1851 par le Vatican. Leur chapelle date de 1862. On trouve un peu plus loin l’impasse Venta. Ce nom signifie vanne, porte pour retenir et lâcher les eaux. On retrouve dans ce nom le vestige de l’ancien système hydraulique de la cité : la rue Hors Château était en effet longée par une branche de l’ancienne Legia et se trouvait sous la colline Sainte-Walburge d’où pouvaient survenir de fortes pluies. La « Venta » ou ruelle des Waines servait donc à régulariser le régime des eaux. Cette impasse appartenait au seigneur Radulphe Surlet et hébergeait un béguinage pour cinq femmes pauvres. Du côté gauche de Hors Château et face à l’impasse Venta nous avons vu la rue de la Poule ou de la Grasse Poule qui donnait accès à la rue de Féronstrée. La rue Velbruck, après celle de la Poule, remplit un rôle semblable. Créé pour arriver plus facilement à la rue Hors-Château en évitant les ruelles de la Rose et de la Poule, elle fut tracée à la place d’un hôtel important, qui avait formé aux XV-XVIèmes siècles la résidence de la 31 famille de Warfusée puis des seigneurs d’Argenteau d’Ochain. L’évêque d’Augsbourg y était descendu en 1740. L’hôtel fut racheté par la ville en 1783 à la mort du comte d’Argenteau et remplacé par la rue qui tient son nom d’un prince-évêque, François-Charles de Velbruck, né près de Dusseldorf, un homme pacifique, populaire, grand partisan de l’instruction à tous les degrés, ami des lettres et des sciences, créateur de la Société libre d’Emulation, et qu’on dit même avoir été franc-maçon. Velbruck Plus loin la rue de la Rose, à hauteur de la fontaine de Pisserole, menait elle aussi à Féronstrée, où nous en avons vu l’extrémité à la hauteur de la porte Hasselin. La présence des drapiers l’a fait appeler « Tindeurowe ». Au n° 40 de Hors-Château une maison patricienne était devenue vers 1770 l’hôtel de la Cour de Londres où descendirent de grands personnages comme Gustave III roi de Suède qui se rendait en 1780 aux eaux de Spa. En 1787 Mirabeau, revenant de Berlin, y séjourna et se serait écrié durant un banquet offert en son honneur : « Que pouvez-vous désirer encore, Messieurs les Liégeois ? Nous ne cherchons, nous, à faire une révolution que pour obtenir quelques-unes des garanties que vous possédez depuis des siècles ». La rue Hors-Château a gardé de beaux vestiges et de nobles souvenirs. Au n° 61 un hôtel harmonieux en style Régence abrita de riches bourgeois ennoblis: Jean-Christophe Van der Maesen, seigneur d’Avionpuits en 1766, M. de Crumpipen en 1791. Au n° 13 l’hôtel de Stockem de Heers, qui date du XVIIIème siècle, hébergea la famille de Sélys puis les barons de Stockem, qui occupèrent les plus hautes charges de la principauté. Ce fut Antoine Casimir, baron de Stockem de Heers, qui fut le dernier évêque suffragant de Liège puisqu’il fut sacré en 1793 sous le titre d’évêque de Canope. Au n° 31 l’hôtel de Sauvage, devenu maison de la douairière de Loverval, se mua en 1800 en un couvent occupé successivement par les Sœurs Grises et les chanoinesses de Saint-Augustin. Car la même rue vit se succéder les ordres religieux. D’abord l’église des Carmes Déchaussés qui fut retirée au culte en 1794, reprise de 1838 à 1964 par les Rédemptoristes sous le nom de Saint-Gérard. Désaffectée elle existe toujours. De style Louis XIII, elle date du de la Ancienne église première moitié du XVIIème siècle. Elle porte les Armoiries des Carmes de l’évêque Maximilien-Henri de Bavière (1650-1688). La déchaussés réforme ces Carmes, due au XVIème siècle à Sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, fut introduite à Liège en 1617 par le père Thomas de Jésus, propagateur de l’ordre dans les Pays-Bas. Les Carmes en furent expulsés en 1797 mais l’ordre des Rédemptoristes, installé à Liège en 1833, reçut le couvent abandonné. La statue de l’autel central est l’œuvre de de Jean Delcour. La crypte, en-dessous de l’église, 32 contient les tombeaux des anciens Carmes. Les Carmes chaussés, qui avaient refusé la réforme, se trouvaient dans l’ile, rue des Carmes. A côté des Carmes s’installèrent en 1627 les Ursulines, dont il nous reste une impasse. Elles étaient logées dans une vaste demeure, appartenant à Gérard Ghyssens, qui comportait brasserie, jardin, vignoble, les droits sur le charbon à extraire du sol et une carrière de grès, encore exploitée au début du XIXème siècle Ce couvent, spécialisé dans l’enseignement des filles, devint le lieu de prédilection des meilleures familles et prospéra rapidement. Il essaima d’ailleurs à Huy, Cologne et Ruremonde. Les Ursulines achetèrent des maisons voisines entre autres la Maison du Fer à Cheval joignant leur couvent, et construisirent leur église en 1660 à l’angle de la rue Montagne de Bueren et Hors Château. La grande porte du couvent se trouvait à gauche de l’église. On leur reprocha l’influence du Jansénisme et de donner à leurs élèves un travail manuel, ce qui concurrençait les Métiers. En 1776 elles édifièrent dans la ruelle un école gratuite pour filles mais s’y ruinèrent. La communauté périclita et en 1817 mouraient les deux dernières religieuses. Il en reste l’impasse des Ursulines qui donne dans la Montagne de Bueren avec, sur la pente le Béguinage du Saint-Esprit, fondé en 1614. Chez les Cordeliers et les Chevaliers teutoniques Nous arrivons chez les Mineurs. Il faut entendre par là non les ouvriers mineurs mais les frères Franciscains qui, à l’extrémité de la rue Hors Château occupaient un vaste ensemble. Il nous en reste bien des traces. Ils faisaient partie de la branche réformée de l’Observance et se ceignaient d’une corde, ce qui leur donna le nom de Cordeliers. Ils vinrent à Liège en 1220 sous la direction du frère Julien, formé par saint François lui-même. Ils s’installèrent d’abord au séminaire épiscopal puis le prince et la cité leur donna cet endroit entre le palais, la colline et le marché, de la rue Moray aux vieilles Waynes (draperie) et au Péry (au Poirier), avec des vignobles couvrant la colline et un mur qui clôturait l’ensemble. Le couvent profitait du droit d’asile, « ung lieu franc et immuny », même pour les morts. De ce couvent, il nous reste la Cour des Mineurs, l’église et le cloître. On y accède par la rue Mère Dieu et la rue Moray, dont le nom provient d’un habitant du XVIIIe s. et signifie « noiraud ». A côté des Ursulines l’impasse du Fer à Cheval allait en équerre vers la rue de la Mère Dieu qui précédait directement le couvent des Franciscains et doit son nom à la statue de la Vierge qui y était exposée dès le XIIIe s. Près de la rue Mère Dieu se trouvaient l’hôtel de Grady ou Sklin, du nom d’un distillateur, l’hôtel Baré de Rue Mère-Dieu Surlet, maître de Liège en 1436 et celui de 33 Mérode, où se réunirent les états provinciaux au début du régime hollandais. En face de la rue Mère Dieu se trouve une fontaine décorée d’une statue de Saint-Jean Baptiste sculptée en 1667 par Jean Delcour. La fontaine existait déjà au XIVème siècle. On l’appelait Pixherotte ou Pisseroule, ce qui correspond à « Pissotière ». Comme elle avait deux jets c’était « la fontaine à deux Pixherottes ». Jusqu’au XIVe s. cette rue était également appelée rue de la Fontaine car elle menait l’eau d’une branche de la Legia vers Hors-Château. Sur le côté de la rue Mère Dieu a été remontée en 1950 la façade de la ferme Samuel d’Angleur (Kinkempois) qui appartenait à l’abbaye cistercienne du Val-Benoît. On y voit les armes de Marguerite de Saint-Fontaine, abbesse de 1631 à 1652. L’église des Franciscains, devenue paroissiale et dédié à SaintAntoine, fut consacrée en 1244 et restaurée en 1425. Il en reste le chœur, les nefs et la sacristie. Sa façade, ses voûtes et sa décoration datent de l’époque baroque. En son église la confrérie des médecins, chirurgiens, barbiers, faisait célébrer une messe à la fête de Saint-Cosme et Damien, leurs patrons. Nulle église à Liège ne renfermait autant de monuments funéraires. On y concluait des contrats de mariage. A partir de 1577 la ville y eut son arsenal et remisait ses canons dans une salle sous le dortoir. La voiture de guerre de Napoléon, capturée par les Prussiens après Waterloo, fut exposée dans la cour des Mineurs avant de partir sur Berlin. Entre l’église Saint-Antoine et la rue Mère-Dieu se trouvait le cimetière des Frères Mineurs. Le quadrilatère claustral, de style mosan, est millésimé XVIIe s. Il est relié à la maison Chamart par une galerie jetée au-dessus d’un arvô, ce qui permet le passage entre les deux cours. La maison Chamart, dont la façade est animée d’ancres, chaînes était jadis la résidence du provincial et la bibliothèque et aujourd’hui le musée de la Vie Wallonne. Cour des Mineurs Outre les Frères, les cours voyaient s’assembler de nombreux métiers : tailleurs, les tisserands, les pêcheurs. En face du couvent se trouvaient au Moyen Age les hôtels du chevalier Radulphe et des familles de Hologne, Parfonriwe, Jean d’Aix, tous personnages puissants et opulents. Ces hôtels joignaient le rieu dit « le Bougnoux » qui continuait une des branches de la Legia, devenu ensuite l’impasse du Bougnoux. Il s’y cachait aussi le béguinage SaintAndré, créé au début du XVème siècle. La rue des Mineurs, une des plus anciennes de la ville, descendait du couvent vers la Marché. Traversée perpendiculairement par le rempart de Notger, elle se terminait initialement par une porte. Une branche de la Légia, voûtée au XIXème siècle, coulait le long de l’emplacement des 34 maisons de droite, appelée la « riwe des Mineurs ». Les maisons du côté gauche ont peu changé. Les maisons 17 et 19, qui touchaient à l’arrière au jardin du prince, étaient connues au XIIIe s. sous le nom de Beau Jardin. Elles étaient données aux Festeau du Jardin, chambellans et huissiers héréditaires du palais des princes. Le fief passa en 1421 à Jean de Seraing, échevin de Liège, qui en céda une partie à l’église Saint-André. A côté un arvô conduisait au cimetière Saint-André. De l’autre côté de la rue se trouve toujours une ruelle appelée Sur les Airs. Il y passait jadis les rempart de Notger en direction de la porte Hasselin, rue Féronstrée. Le nom provient des arcades rentrantes de la muraille. Si on retourne vers le couvent des Frères Mineurs et que l’on prend à gauche, on se trouve à l’actuelle rue du Palais, appelée jadis « rue Derrière le Palais ». Elle se séparait en rue Basse Pierreuse, qui partait à droite sur la colline, et à gauche en rue « Dessous les Chéneaux » ou « dessous les Chenaz », à cause des conduite d’eau d’un moulin. En effet une branche de la Légia, « le faux rieu », parcourait la rue dans toute sa longueur à ciel ouvert avec de petits ponts pour permettre le trafic. Ce ruisseau sale et étroit fut voûté en 1666. Près de la troisième cour du palais les habitants du quartier disposaient d’un puits séculaire, appelé le ralhet puits parce qu’il était à ciel ouvert. Au XVIIIe s. on y trouvait l’hôtel luxueux du Canal de Louvain dont partait la diligence pour Hasselt. De la rue du Palais, un sentier grimpe vers une tour du XVème siècle : la Tour des Vieux Joncs. C’est ce qui nous reste d’un des baillages de l’ordre teutonique. Cet ordre, fondé en Terre sainte, à l’instar des Templiers et des Chevaliers de Malte, revint en Europe après la prise de Jérusalem et fut partagé en douze grands baillages. Celui des Vieux Joncs, institué près de Bilsen vers 1218, envoya des frères se fixer à Liège où ils édifièrent, rue du Palais au pied de la Pierreuse, un vaste ensemble avec des jardins en terrasse, des gloriettes et un corps de logis sur la rue. Sur ces Tour des Vieux Joncs hauteurs vinrent les Minimes. Au haut de la rue Hors Château et de la rue des Palais se trouvait la citadelle Sainte-Walburge. A son origine on y trouvait la porte SainteWalburge qui fut transformée en 1255 en forteresse par le prince Henri de Gueldre après la révolte du chef populaire d’Henri de Dinant. Il la constitua la châtellenie et fief héréditaire au profit d’Arnould de Rixingen, maréchal de l’évêque. Lors d’une nouvelle révolte elle fut détruite. Mais en 1650 Maximilien Henri de Bavière la fit réédifier. Après de multiples avatars la forteresse fut démantelée en 1891. Il n’y a plus à y voir que des parcs. 35 Ainsi se termine, entre le palais et les collines, la promenade qui nous a menés, par Féronstrée, la porte Hasselin, les bords de Meuse, Saint Barthélémy et Hors Château à travers l’ancienne cité. Il nous reste à voir le Publémont avec la collégiale Saint-Martin et l’ancienne île avec la cathédrale Saint-Paul et la collégiale Saint-Jean. Le Mont Saint-Martin vers le Publémont 36 Troisième promenade. Le Mont du Peuple et l’Ile déserte Nous allons, partant du palais, monter à la basilique Saint-Martin au Publémont. Partant de la place du palais nous prendrons successivement les rues Saint-Pierre, Sainte-Croix, Saint-Hubert, Saint-Martin. Jadis cette colline entière était couverte d’une épaisse forêt. Nous descendrons ensuite par les Bégards, traverserons la Sauvenière et verrons dans l’ancienne île les quartiers de la basilique Saint-Jean, de la cathédrale Saint-Paul, de l’abbaye Saint-Jacques pour nous retrouver à l’endroit où la Sauvenière rejoignait le bras principal de la Meuse. Ces endroits sont caractéristiques et contrastés. Au Publémont, une colline aisément défendable, on fut sur le point d’établir le centre de ville. L’île, qui n’en est plus une, fut par contre longtemps délaissée à l’extérieur des remparts. En montant vers le Publémont Nous partons du côté latéral du palais, laissant la place SaintLambert à notre gauche. Ici, à l’actuel square Notger, se trouvait le chevet de la collégiale Saint-Pierre et à côté de Saint-Clément. La montée vers le Publémont par les rues Saint-Pierre, Saint-Hubert et Saint-Martin offre des régals d’architecure. La collégiale Saint-Pierre avait été fondée en 714 par saint Hubert sur la partie basse et essartée de la colline. Grimoald fils de Pépin de Herstal y fut assassiné et les Normands détruisirent l’édifice. Il fut reconstruit en 929 par l’évêque Ricaire, qui en fit une collégiale de 30 canonicats. Son chapitre avait le pas directement après celui de SaintLambert et sa crypte constituait un lieu de pèlerinage populaire. Le jour même de l’entrée des troupes françaises en 1792, l’église fut convertie en écurie et détruite en 1810. Derrière la collégiale, face au palais, courait La rue Derrière Saint-Pierre, où l’on voyait les colonnes ou colombes de Saint-Pierre. A ses côtés se trouvait sa filiale : la petite église SaintClément et Saint-Trond datant du début du XIIe s qui disposait d’un cimetière particulier à l’emplacement du square Notger. Aux alentours certaines maisons canoniales ont subsisté. Devant la collégiale à gauche la rue des Mauvais Chevaux ou Degrés Saint-Pierre descendait vers la place Verte devant le porche de la cathédrale Saint-Lambert. Mais nous prenons la rue Saint-Pierre, en droite ligne devant la collégiale disparue. On y voit au n°1 au fond de la cour, l’hôtel de Jean Brixi, chanoine de Saint-Pierre en 1556, au n°5 l’ancien hôtel du chapitre de Saint-Pierre, datant de la fin du XVIIIe s., au n° 13 l’ancien hôtel de Grady datant de 1780 où naquit César Franck, 37 au n°15 l’hôtel de Liévin van der Beke ou Torrentius, qui fut chanoine de Saint-Pierre avant de devenir évêque d’Anvers. Nous arrivons à ce qui fut au Xe siècle le plateau inculte, sauvage et désertique de la Haute-Sauvenière. Au coin des rues Saint-Pierre et de la Haute-Sauvenière, on longe la Collégiale Sainte-Croix, fondée en 979 par Notger avec 15 chanoines dont le nombre fut ensuite doublé. Les chanoines étaient envoyés à Cologne, Paris ou Louvain pour suivre des études universitaires. La collégiale est du type « Hallekirche »(avec trois nefs de hauteur Collégiale Sainte-Croix égale) avec deux chœurs. Le chœur occidental, d’inspiration rhénane, date de 1200, le reste de l’édifice est gothique. Les chapelles sont du XVe s. La collégiale remplacerait un château que l’avoué de Liège voulait construire en cet endroit et que Notger remplaça par une église et une école. On y voyait les cloîtres reconstruits au XVIIIème s, de multiples maisons canoniales, une prison et la Clef de Saint-Hubert offerte par le pape lors de la visite de saint Hubert à Rome ainsi qu’une « invention de la Croix » de Bertholet Flémal (1614-1675) qui ornait jadis le maître autel. La Rue Sainte-Croix, jadis « rue Devant Sainte-Croix » relie la rue SaintPierre à la rue Saint-Hubert. Après la collégiale Sainte-Croix, nous faisons un détour pour prendre à gauche la rue de la Haute-Sauvenière. Nous nous trouvons ici dans de quartier de la Sauvenière Sabulonaria. Il formait un Sainte-Croix territoire franc et protégé, dont les habitants se proclament « bourgeois delle Sauvenière » et étaient dirigés par une cour particulière composée d’un maire nommé par le prévôt de Saint-Lambert et entouré d’assesseurs. Le quartier ne fut annexé à la ville de Liège qu’en En 1287 à la Paix des Clercs. On y voit à gauche la porte cochère du refuge des chanoines d’Aix-la-Chapelle, les « Messieurs d’Aix » et au n° 12 l’hôtel de Soër de Solières, ancien hôtel d’Elderen, construit en 1555-1560 par le chanoine Guillaume d’Elderen, président du conseil privé de l’évêque et attribué à Lamber Lombard. Il y reste aussi l’hôtel de Bocholtz agrandi et transformé au XVIème siècle par Arnold de Bocholtz et à la place Saint-Michel l’ancienne petite église Saint-Michel. 38 Nous remontons vers la rue principale, devenue la rue Saint-Hubert qui était fermée aux extrémités par des arcades. A l’angle de la HauteSauvenière se trouvait en face du puits de Saint-Hubert la maison de « La Pommelette ». Dans la rue Saint-Hubert on voit d’abord la plus petite église de la ville : Saint-Nicolas aux Mouches, Consacrée par Réginard en 1030, restaurée en 1494 pour une paroisse de cinq ménages. Le nom viendrait d’un miracle de saint Nicolas guérissant la ville d’une épidémie de mouches. Ensuite venait l’église paroissiale Saint-Hubert qui dépendait de l’abbaye Saint-Hubert et a été sans doute fondée par celle-ci. Saint Hubert, qui avait succédé à saint Lambert au début du VIIIe s., transféra le siège épiscopal à Liège. Son corps a été transféré en 822 à Andage devenue Saint-Hubert. Cette église, démolie en 1855 se trouvait à la place des trois maisons de droite avec ses nefs parallèles à la rue. Sa tour ogivale à flèche élancée fut construite en 1440-1532. C’était un centre de pèlerinage où fut fondée en 1644 la Confrérie des Pèlerins du Grand SaintHubert aux Ardennes. La rue du Mont SaintMartin continuait la rue SaintHubert jusqu’au sommet de la colline du Publémont où trônait la collégiale Saint-Martin. La rue et la collégiale se trouvaient à l’intérieur des remparts de Notger étirés à cet effet. Dans cette rue on trouve encore des hôtels de maître, dont les jardins à l’arrière Hôtel de Sélys Longchamps descendaient en gradins vers la Sauvenière. Ainsi voit-on au n° 9-11 le merveilleux bâtiment Renaissance de l’hôtel de Sélys-Longchamps. Il porte ce nom de la famille SélysLongchamps qui l’a restauré au début du XXe s. Remontant à la première moitié du XVIe s., il a appartenu à Jean de la Cange, à Humbert Marsille de Freloux en 1366, à de Warcke, en 1710 à de Gomzée puis au comte de Méan de Beaurieu futur archevêque de Malines qui y habitait en 1789. Il faut voir à l’arrière la superbe tour, appelée « Grosse Tour de Saint-Martin en Mont» qui date du XIIIe s. Elle faisait partie de l’enceinte de la ville et surplombe l’île, la Meuse et toute la vallée A côté, au n° 13 se trouve l’hôtel des comtes de Méan ou de Barbanson. Il a, comme toutes les demeures anciennes, une longue histoire. Y résidèrent successivement depuis le XIVème siècle Jean châtelain de Montenaeken, Jehan le Hôtel de Méan 39 Bel seigneur de Rumicourt et de Hermalle, La Marck, seigneur d’Arenberg et grand maïeur de Liège et Guillaume comte de Lumay. Ce dernier est fameux pour avoir dirigé la prise de La Brielle par les gueux de mer et remporté ainsi la première victoire sur les Espagnols. Il mourut empoisonné en cet hôtel. Y passèrent aussi en 1578 le duc de Nevers puis le duc d’Aerschot et la famille princière de Barbanson, parente des d’Arenberg pour entrer à la fin du XVIIe s. dans la maison de Méan. La façade intérieure de l’hôteldate de 1620. Au n° 15-17 se trouvait le refuge de l’abbaye de Herckenrode qui devint l’hôtel Warnier de Lavoir. Le portail date du début du XVIIIe s., les façades intérieures du siècle précédent. La maison suivante fut achetée en 1421 par Elisabeth de Clèves et de La Marck, comtesse palatine du Rhin, duchesse de Bavière. La famille de Clèves y resta plus de cent ans. Au n° 23 la maison du XVIIIème siècle abrite à l’arrière une maisonnette du XVIe s. accrochée à flanc de colline. Au n° 25 se trouve la première maison de la paroisse SaintRemacle, le Béguinage Saint-Martin qui a cinq siècles d’existence et dont l’administrateur en chef était un chanoine de Saint-Martin. Au n° 31-39 l’hôtel de la famille Van den Steen de Jehay mélange les styles, ogival et toscan. Après avoir appartenu à Gérard Chevalier, prébendier de Sainte-Croix, tréfoncier de Saint-Lambert, chancelier du prince Evrard de La Marck, il passa dans la famille van den Steen de 1641 à 1866. Y passèrent à la fin de la période napoléonienne et au début du XIXème s. des personnalités fameuses : Napoléon, Blücher, le prince royal de Suède, Guillaume I et ses deux fils, l’empereur de Russie, le roi Léopold I. Le n° 43 abritait l’Hôtel de Fassin, qui fut bourgmestre de Liège. Il appartint au XVI e s. à une branche de La Marck. Il a aussi abrité les Juncis dont plusieurs furent bourgmestres aux XVI-XVIIe s. Nous sommes arrivés en haut de la colline du Publémont à la collégiale SaintSaint-Martin Martin. Le «Mâle Saint-Martin » Cette merveilleuse église gothique, perchée tout en haut sur la colline fut le théâtre d’un massacre atroce mais faillit initialement devenir le centre de la ville. La colline faillit devenir le centre de la ville. Après les pillages des Normands et les Hongrois et la menace permanente du seigneur de Chèvremont, l’endroit semblait plus facile à protéger que la plaine autour de Saint-Lambert. D’autre part Eracle ancien doyen du chapitre de Bonn, nommé évêque par Brunon, archevêque de Cologne et duc de Lotharingie mais surtout frère de l’empereur Othon I, n’était guère aimé par la 40 population. Il voulut donc transférer le centre de la ville, la cathédrale et son palais vers le Publémont, où il se sentait plus à l’abri. Mais son successeur Hubert ramena les reliques de Lambert au lieu de sa passion et fit ainsi basculer à nouveau le centre de Liège. Il nous reste, perché au haut de la colline, la superbe collégiale gothique de Saint-Martin, intégrée par Notger dans le système défensif de la ville. Elle était desservie par trente chanoines qui, comme les autres collégiales, abandonnèrent à la fin du XIIe s la vie commune. Elle conserva jusqu’à la fin de l’Ancien Régime son école collégiale « pour tout écolier ». Contre la tour se trouvait au XIIIe s. la maisonnette de la recluse Eve, « l’empirée » ou empierrée. La fête du Saint-Sacrement ou Fête Dieu, due à sainte Julienne de Liège pour commémorer la présence réelle Julienne de Cornillon du Christ dans l’Eucharistie, fut instituée dans cette collégiale pour être en 1264 étendue à toute l’Eglise. En 1131 eut lieu à Liège un concile, où se retrouvèrent le pape Innocent II, Lothaire II, Bernard de Clairvaux, de 32 archevêques et évêques, 53 abbés mitrés et une multitude de princes. Lothaire II y fut couronné, l’antipape Anaclet condamné et les prêtres mariés excommuniés. Une longue discussion y mit aux prises Bernard de Clairvaux et le nouvel empereur qui réclamait le droit aux investitures. Le pape avait été accueilli à la porte Saint-Martin par le souverain et suivit jusque Saint-Lambert le chemin que nous venons de monter. Pour montrer publiquement sa soumission au pouvoir pontifical, Lothaire II avait tenu jusqu’à la cathédrale, tel un humble écuyer, les rênes du cheval pontifical14. Dans la nuit du 3 au 4 août 1312, lors du conflit entre plébéiens et patriciens, ceux-ci finirent par se réfugier dans la collégiale Saint-Martin que le foule incendia et où la plupart périrent dans le feu. C’est ce qu’on appelle le « Mâle Saint-Martin ». La collégiale fut à nouveau pillée en 1468 par les troupes de Charles le Téméraire et reconstruite au début du XVIe s., sous l’impulsion d’Erard de La Marck (1505-38) en style gothique archaïsant. De l’édifice antérieur demeure la tour massive Saint-Martin. La tour et du cloître l’aile orientale transformée en chapelle d’hiver. Le chœur date de 1511-1530, la nef de la seconde moitié du XVIe s. On y trouve le sarcophage de l’évêque Eracle, la statue de Notre-Dame de Saint-Séverin en chêne polychrome datant de 1480 et quatorze 14 MANSI, 21, p. 474. 41 médaillons en marbre blanc, conçus pour la chapelle du Saint-Sacrement par Jean Delcour. L’édifice, perché au haut de la colline a fière allure. Au n° 53 de la rue Saint-Martin jusqu’à l’angle de la rue des Bégards. se trouvait l’ancien palais de l’évêque Eracle, qui s’y réfugia en 954 lors de la dévastation des Normands. Ce fut ensuite le refuge de l’abbaye Saint-Laurent puis vers 1616 le couvent des Jésuitesses anglaises. Au n° 56 vécut et mourut en 1377 Maître Guillaume d’Heure le Romain, doyen de Saint-Martin, qui laissa sa maison, ornée de riches tapisseries, aux doyens du chapitre. On voit dans la cour un crucifix du XVIIe s. En descendant vers la Sauvenière Nous quittons le Publémont vers la Sauvenière et l’ancienne île par la rue ou l’escalier des Bégards qui rappelle le couvent de ces Religieux pénitents du tiers ordre Saint-François au bas de la colline. Cette rue, appelée aussi Thier des Bégards ou Degré des Bégards, qui commandait le passage de la Basse Sauvenière vers Saint-Martin, était bordée par les remparts et fermée aux deux extrémités. Il en reste la tour des Bégards et les remparts de 1483. En haut de l’escalier au coin de la place SaintMartin, se trouvait la modeste église paroissiale Saint-Remacle en Mont, construite vers 1000 et détruite en 1809. Elle dépendait de la collégiale et abritait une recluse. A l’arrière du n°27 on voit le charmant hôtel Chaudoir datant de 1762, qui contraste avec cet environnement médiéval. Descendant des Degrés des Bégards se trouvait dans un jardin l’étuve Muguet. Comme la plupart des bains publics elle acquit au XVe s. une mauvaise réputation sous le nom de la Male Maison ou maison mal famée, elle fut transformée en pressoir ou « stordoir ». Avant de traverser le boulevard voyons la rue de la BasseSauvenière qui longeait ce bras de la Meuse, en contrebas du Mont SaintMartin. Cette rue très ancienne desservait les maisons construites au long de l’eau, les refuges des abbayes de Stavelot et de Malmédy et les hôtels du comte d’Argenteau et de la famille Maillart. Les Capucins y séjournèrent en 1626 dans la maison Bethléem avant de s’installer HorsChâteau. Au XIVème siècle Isabelle de Clermont y fonda le Béguinage Delle Chapelle. Ce bourg était distinct de la cité et relevait du prévôt de l’abbaye Saint-Lambert. Nous arrivons à la Sauvenière qui constituait jadis un des bras, navigable et poissonneux, de la Meuse et enserrait une grande île située initialement hors des remparts. On y plaça des moulins avant de la voûter en 1844 et de la transformer en boulevard. On trouve mention de la Sauvenière Sabulonaria dans un diplôme de 1107 de l’empereur d’Henri V et en 1230 le chapitre de Sainte-Croix possèdait une brasserie in Sabuleto. Nous traversons le boulevard de la Sauvenière, pour atteindre ce qui fut une île. Il y avait là jadis un passage dangereux pour les bateliers car 42 le courant, à cause de la courbe de la Meuse, y était violent. On l’appelait au XIIIème siècle Rolandgoffe, le « gouffre de Roland ». L’origine du nom est inconnu : le neveu de Charlemagne ou un certain Roland qui habitait derrière Saint-Jean au XIIIe s ? Le bord de l’ile était appelé rivage SaintJean ou Derrière Saint-Jean ou rivage de Roland Goffe. Un bateau faisait la navette avec le rivage des Bégards en face. En temps de troubles on tendait une chaîne de la rive Saint-Jean à la tour de Bégards. Ancienne Ile Saint-Adalbert et Saint-Jean Au trottoir d’en face, jadis le rivage de Saint-Jean, nous arrivons à la Collégiale Saint-Jean, fondée en 983 par Notger pour remercier Dieu de sa victoire sur le seigneur de Chèvremont. Antérieure à celle de Saint-Denis sur laquelle avait droit de préséance, elle avait été pourvue de revenus importants par l’empereur Othon III. Ainsi touchait-elle touchait l’octroi de la foire de Visé, la dîme de tout le quartier et la possession du biez et du moulin Saint-Jean sur la Sauvenière. 43 Mais la nomination de son prévôt de Saint-Jean appartenait au chapitre de Saint-Lambert. Notger, qui s’y réfugiait souvent, lui légua son évangéliaire et fut enterré sous sa tour. Des recluses vivaient dans des cellules de pierre. De passage à Liège en 1416 l’empereur Sigismond y communia sous les deux espèces. Le plan octogonal est identique à celui de la chapelle palatine construite Saint-Jean par Charlemagne à Aix-la-Chapelle. Ses dimensions sont identiques. La base de la tour est du XIème s., son sommet du XIIème, La Sedes Sapientiae du XIIIe s., comme les vestiges de calvaire qui séparaient la nef du chœur car le chœur de 1200, reconstruit en 1354, était séparé de l’église. L’église fut reconstruite, sur le plan de l’église originale, en 1754-1760 par Gaetano Matteo Pisoni, qui s’inspira à cette occasion de Santa Maria della Salute à Venise. L’avant-corps occidental est le seul qui subsiste de la construction originale. Les révolutionnaires français enlevèrent l’argenterie, le mobilier, les dîmes, transformèrent les cloîtres en écurie et l’église en prison. En 1804 le préfet en fit un magasin de fourrage. L’église fut à nouveau consacrée au culte en 1808. Le groupe de la SainteTrinité au-dessus de l’autel provient de l’ancienne église Saint-Adalbert. La Place Xavier Neujean est l’ancienne place Saint-Jean, jadis une des places les plus importantes de la ville, où se tenait le marché aux Légumes dans la seconde moitié du XIXe s. On y trouvait auparavant le refuge des religieuses Bernardines du Val Notre-Dame, l’hôtel de Villenfagne où fut assassiné en 1637 le Saint-Jean. Cloître bourgmestre Sébastien La Ruelle par le comte René de Warfusée qui l’avait traîtreusement invité pour un banquet. A l’entrée de la place se trouvait la maison décanale qui touchait au rivage de Saint-Jean. Au coin de la rue du Diamant il y aurait eu le séjour de retraite de Notger se tenait place Saint-Jean. Au bord de la même place il y avait l’église paroissiale SaintAdalbert. En effet si l’île lentement se peuplait, il n’y n’avait pas d’église paroissiale et, pour obtenir les sacrements, il fallait traverser l’eau. Seule 44 Notre Dame aux Fonts, à côté de la cathédrale, pouvait d’ailleurs conférer le baptême. Apprenant le martyre en Prusse et la canonisation de son ami Adalbert de Prague, Notger éleva cette église au début du XIe s. et lui accorda le droit de procéder au baptême. Cela n’alla pas sans un long conflit entre les deux églises. Il fallut, pour donner à l’église SaintAdalbert le droit d’administrer le baptême et de donner l’extrême-onction, une réunion synodale tenue à Saint-Lambert et sa confirmation par l’empereur Henri V. Avant la construction de l’église Saint-Martin en l’Ile, près de Saint-Paul, la paroisse de Saint-Adalbert recouvrait toute l’île. La Rue de la Casquette, ou chapeau en fer, nom dû à une enseigne au XVIIe s., s’appelait antérieurement Grande Rue Saint-Jean ou Grande Rue Saint-Adalbert. Elle abritait des béguinages, entre autres au coin de la rue Saint-Adalbert le béguinage d’Heure, au coin de la rue Bergerue le béguinage Saint-Adalbert ou du Faucon fondé en 1298 et au n° 24-38 celui de Saint-Abraham datant du XIIIe s. Cer nier, pourvu d’une chapelle spacieuse, servait d’hôpital en cas d’épidémie. Le Carré Entre la rue de la Casquette et Saint-Paul s’étend un quadrilatère de rues parallèles, appelé « Le Carré ». Il s’agit là d’une ancienne urbanisation systématique d’un endroit longtemps désert. Ces ruelles parallèles sont traversées perpendiculairement par l’axe de la rue du Pot d’Or de du Pont d’Ile pour continuer, sous d’autres noms, vers la rue du Pont d’Avroy et la place Saint-Paul. La première rue à gauche est la Rue des Dominicains. Le prieuré des Frères-Prêcheurs, célèbres par leur savoir et leur éloquence, fut établi entre 1234 et 1242 et chargé de réprimer les hérésies. Le couvent occupait, entre la rue des Dominicains et un bras de la Meuse, l’emplacement de l’actuel opéra royal de Wallonie. Une nouvelle église, munie d’un énorme dôme fut commencée en 1674. Près des Dominicains se trouvait la brasserie des Dominicains transmise au XVIIIe s. à la famille Dejardin. La rue comprenait en outre deux béguinages, celui des Maxhurées ou des Machurées, avec des béguines vêtues de noir, et celui de la Vierge Marie. Elle continue, après avoir traversé la rue du Pont d’Ile, par Vinave d’Ile, l’artère principale de l’ancien quartier de l’île, une rue aristocratique, lieu de manifestations publiques et de processions, décoré par Vinave d’Ile la fontaine du Perron, une statue de la Vierge dûe à Jean Delcour en 1695. Vinave signifie des maisons contiguës. 45 Puis vient la Rue Bergerue ou Mangerue ou de la Mangonie (boucherie) qui donnait sur la boucherie générale et comprenait le béguinage de la Risée dépendant du couvent des Dominicains. Suit la Rue Saint-Adalbert, une des plus anciennes de la ville, qui reliait les lieux de culte Saint-Adalbert, Saint-Jean et Saint-Paul. Elle continue jusqu’à la place Saint-Paul par la Rue du Mouton Blanc. Cette dernière, appelée également au cours des temps, rue de Bernard, rue Bibawe, rue Cœur d’Or, tient sans doute son nom de Gilles Mouton qui y habitait en 1276 ou de la Maison du Mouton Blanc, un hôtel public. En 1673 le comte d’Arberg y assassina à coups de dague le baron d’Argenteau. Monterey, gouverneur des Pays-Bas espagnols d’où venait le coupable, exigea, sous peine de ravager la principauté, que celui-ci lui fût livré pour être jugé devant ses propres tribunaux. Saint Adalbert Parallèlement à la rue Saint-Adalbert, la Rue Saint-Jean ou rue Saint-Jean l’Evangéliste ou Saint-Jean en Ile, créée dès le XIe s pour permettre l’accès à la collégiale, est bordée de maisons à sayettes du XVIe s. Elle comprenait la maison de Juprelle, devenue en 1266 un béguinage par testament de sa propriétaire Anne de Dinant, et celle de Marie-Catherine de Flémalle qui la légua au vicaire de SaintAdalbert. On y voyait aussi la maison Au Griffon d’Or et au n° 20 l’hôtel de Stockhem. La Rue d’Amay ou de la Cigogne ou Arnould de Saint-Laurent la prolonge. Jean d’Ama ou Amay, bourgmestre de Liège en 1619, y habita au n° 10 dans une maison toujours existante. On y voit une. luxueuse maison patricienne, avec tourelle d’angle, datant du premier quart du XVIe s. Enfin la Rue des Célestines, prolongée par la rue Tête de Bœuf, parallèles aux rues Saint-Jean et d’Amay, termine le carré. La rue des Célestines tirait son nom du couvent des sœurs Célestines ou Annonciades Célestes, un ordre fondé en 1601 à Gênes par Marie-Victoire Fornari et arrivé à Liège en 1627. Leur couvent, à front de rue, possédait un jardin qui s’étendait jusqu’à la Sauvenière et bloquait le passage de la rue de la Casquette vers la rivière. Le refuge du Val Saint-Lambert, qui bloquait le passage de la rue du Pot d’Or vers la rivière, au XIV e s. A côté de ce dernier, vécut Conrard de Méan, chanoine de Saint-Jean. A l’hôtel Crassier, construit en 1717, résidait le comte d’Oultremont de Wégimont, frère d’un l’évêque de ce nom et dans l’hôtel voisin le seigneur de Schwartzenberg, originaire d’Allemagne, et drossart de Stockem. La Rue Tête de Bœuf forme le prolongement de la rue des Célestines et s’arrête à la rue du Pont d’Avroy. Son nom qui date du XVIe s provient d’une enseigne de brassine ou débit de bière. Elle fut aussi appelée rue des Coquins, du fait des mendiants hébergés dans un hôpital près de l’église Saint-Christophe de l’autre côté de la Sauvenière. Les rues du Pot d’Or et du Pont de l’Ile traversent à angle quasi droit ces rues parallèles. Elles séparent donc la rue des Dominicains et Vinâve 46 d’Ile, les rues Saint-Adalbert et de la Mangerue, Saint-Jean et d’Amay, des Célestines et Tête de Bœuf. La rue du Pot d’Or allait jadis de la rue des Dominicains à la rue des Célestines où, comme nous venons de le voir, elle était arrêtée par le refuge de l’abbaye de Val Saint-Lambert. Elle s’est appelée rue du Lavoir car un lavoir occupait jusqu’en 1255 l’emplacement de ce refuge. Plus tard un couloir voûté en-dessous du refuge permettra toujours d’atteindre la rivière mais il fut supprimé en 1765 cat il permettait l’entrée frauduleuse de marchandises en ville. A l’angle de la rue Tête de Bœuf on trouvait aussi le refuge de l’abbaye du Val Benoit, acheté en 1378 par les dames du monastère à Matthieu d’Aldenraede de Maestricht. A l’angle de la rue Saint-Adalbert il y avait la maison du Pot d’Or dont l’enseigne, datant du Moyen Age, donna le nom à la rue. A l’angle de Vinave d’Ile partait le char à bancs qui faisait la navette avec Chaudfontaine. Le coin de la rue SaintJean date du XVIIe s. Le Pont d’Ile continuait la rue du Pot d’Or et permettait de relier l’île à la cité en surplombait six bras de la rivière, leurs îles, leurs jardins, leurs moulins et un petit port. Près de la collégiale Saint-Denis, à son arrivée dans la vieille ville rue de la Wache, se dressaient une porte fortifiée, qui datait du rempart de Notger, un crucifix, donné en 1770 aux Carmes déchaussés, le pilori érigé en 1496 et la potence. Le pont initial en bois, qui datait de la première moitié du XIe s., s’effondra sous le poids de la foule lors d’une la procession en 1196. Reconstruit en pierre avec douze arches en 1242, il fut pourvu des deux côtés de maisons, dont 23 appartenaient au couvent des Chartreux. On y trouvait de nombreux horlogers. A la rue Lulay des Febvres, tracée sur un des îlots, s’étendait depuis 1315 la Propriété des Pauvres en Ile, qui remplaçait l’hôtel d’Everard d’Ile, échevin en 1284. Rappelons que sur un de ces ilots reposa longtemps le corps de l’empereur Henri IV, mort en 1106, et exhumé de la cathédrale parce que l’empereur avait été excommunié. Dès le XVIIIe s. le pont disparut progressivement et plusieurs voûtes en furent transformées en caves. Le cours d’eau fut comblé vers 1815 et le pont transformé en rue. La nouvelle cathédrale : Saint-Paul Le pont d’Avroy fut construit en pierre avec quatre arches au Moyen Age pour unir le quartier de l’Ile au faubourg Saint-Gilles. Suite au voûtement de la Sauvenière il fut supprimé en 1831. Son entrée était défendue du côté de la ville par une porte fortifiée. A l’angle de la rue Tête de Bœuf, on voyait en 1439 la brasserie du Chevalet et au début du XVIIIe s. la Maison des Trois Morianes. La rue du Pont d’Avroy devient après Saint-Paul la rue de la Cathédrale, percée en 1842. Elle englobe les anciennes rues du Dragon d’Or, du Crucifix et Sainte-Aldegonde. 47 Saint-Paul A l’angle de la place Saint-Paul se trouvait l’immeuble du « Chapeau de Fer ». La rue s’arrêtait à la place Saint-Paul ou place Devant SaintPaul, devenue place de la Cathédrale, aménagée sur un ancien terrain bas et bourbeux envahi fréquemment par les crues de la Meuse. On y voyait l’hôtel d’Oultremont, évêque en 1763, et l’église paroissiale Saint-Martin en Ile construite au début du XIe s. reconstruite en 1440 et vendue en 1798. Il en reste un nom de rue. A l’arrière se trouvaient les ilots qui formaient l’embouchure de la Sauvenière, avec la rue de la Sirène, rue Derrière Saint-Martin, rue Pont Mousset, rue Lulay des Febvres, parmi un mélange de moulins, de ruelles, d’ilots et de pans de rivière. Sur la place on décapitait des condamnés. Le fond de la place était occupée par la collégiale Saint-Paul, devenue cathédrale SaintPaul en 1802 en remplacement de la cathédrale Saint-Lambert. La première église est dûe à Eracle vers 965-971 et consacrée vraisemblablement par Notger en 972. Le caractère marécageux du sol rendit sa construction difficile. Initialement romane, pillée Saint-Paul. Chaire. par les Brabançons en 1212, elle fut reconstruite très lentement en style gothique primaire. Les trois galeries des cloîtres mentionnées dès le XIème furent reconstruites au XVème siècle en style 48 gothique tertiaire, les grandes verrières datent du XVIème s. sur des cartons de Lambert Lombard. Le clocher fut terminé en 1812 sur le modèle de celui de l’ancienne cathédrale Saint-Lambert. Le portail occidental place Saint-Paul, élevé entre 1538 et 1544 est un compromis entre la Renaissance et le gothique, avec à son sommet la conversion de Saint-Paul. On voit dans la cathédrale au-dessus du chœur un Christ en croix du XIVe s., une vierge à l’enfant de 1230 et un Christ gisant en style baroque de Delcour. Les chanoines y entretenaient des écoles réputées et possédaient dans les cloîtres une importante bibliothèque. Devant le porche de la cathédrale se trouve l’actuelle Place SaintPaul, jadis « place Derrière Saint-Paul », bordée de demeures canoniales et de territoires claustraux pourvus d’immunités. Entourée d’arbres renversés par l’ouragan de 1606, elle fut le théâtre de joutes. Ses maisons joignaient à l’arrière soit la rue du Pont d’Avroy, soit la rue des Clarisses, comme au n° 1 l’hôtel des barons de Zieve, au n° 9 le refuge de l’abbaye de Floreffe qui s’y fixa en 1286, et au n° 2 le refuge de l’abbaye d’Aulne, construit au XVIème s. en gothique tardif. Avec la ruelle d’Aulne il devint le bureau de Bienfaisance. A droite la Rue Hazinelle, ou « Trou Hazinelle » doit son nom à l’hôtel de la famille Hazinelle qui y habita depuis le XVIIe s. Cette rue s’appelait jadis Rivage Saint-Paul car elle descendait vers la Sauvenière et était protégée par un postiche pour en défendre l’accès. A gauche la rue Saint-Rémy, qui rappelle l’ancienne église paroissiale Saint-Rémy, conduit à l’abbaye Saint-Jacques dont la construction en 1015 attira une population d’artisans en ces terrains incultes, broussailleux et sauvages. Pour desservir ces nouveaux habitants Olbert de Gembloux, le premier chef de l'abbaye, procéda en 1040 à l'érection de Saint-Remy. Cette petite Notre-Dame de église, d'architecture romane et sans prétention, Saint-Rémy connut un curieux destin car elle possédait une statue de la Vierge tenant le Christ mort. Sous le nom de « Notre-Dame Consolatrice des Affligés » ou « Notre-Dame de Saint-Remy », cette effigie accomplit des miracles, fut invoquée dans toute la principauté et au XVIIème s. attira les foules. L’abbaye bénédictine de SaintJacques fut fondée en 1015 par le prince-évêque Baldéric II, successeur de Notger. Dès le début, son école monastique fut célèbre et l'abbaye florissante. Certains de ses moines fondèrent le monastère de Lubin en Pologne. Lors de la destruction de la Collégiale Saint-Pierre, elle devient la Collégiale Saint-Jacques puis en 1801 Saint-Jacques une église paroissiale. L’église 49 gothique, dont la construction fut achevée en 1538, remplaça l'église romane primitive, dont il ne reste que l'avant-corps et une des trois tours. Le portail Renaissance ajouté en 1558 est attribué à Lambert Lombard. Il faut voir la nef, véritable dentelle de pierre, les 150 clés de voûte dans la nef centrale, les stalles du XIVe siècle, le buffet d'orgues Renaissance, le vitrail du XVIème s. avec les armoiries des 32 vieux métiers, les statues baroques de Del Cour et le couronnement de la Vierge, sculpté au XIVe siècle. Entre l’église Saint-Jacques et l’emplacement de l’église Saint-Rémy court, parallèlement à la rue des Clarisses, la rue du Vertbois, jadis peuplée d’édifices religieux ou hospitaliers, comme « Les Incurables » sur un terrain légué en 1701 par le baron de Surlet, vicaire général. Le nom de la rue provient, soit des terrains vagues et broussailleux qui s’y trouvaient avant l’urbanisation, soit d’une enseigne d’auberge du XVème siècle figurant un rameau vert. On remonte vers la rue des Clarisses bordée à sa droite par le couvent des Sœurs Grises édifié au XVIème s. puis par le vaste couvent des Clarisses. On arrive à la rue des Rue des Carmes, qui existait au XIIIe sous le nom de la rue Devant les Carmes au long de l’ancien couvent des Carmes. Ce couvent a cédé en 1882 la place aux halles centrales. Le couvent des Carmes fut installé à Liège en 1249 sous l’évêque Henri de Gueldre. L’église en fut reconstruite en 1737. Les Carmes déchaussés, qui suivaient la règle plus stricte instaurée par Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, s’installèrent rue Hors-Château. Parallèlement à la rue des Carmes se trouve la rue Sœurs-de-Hasque, du nom du couvent des Sœurs de Hasselt qui s’y installèrent en 1493. A l’extrémité de la rue des Carmes se trouvait le couvent des Jésuites en Isle. L’endroit était initialement un des îlots à l’embouchure de la Sauvenière. En 1495 s’y installèrent les Frères de la Vie Commune qui se consacraient à l’enseignement. En 1581 les Jésuites, protégés par l’évêque Ernest de Bavière prirent leur place jusqu’à la suppression de l’ordre à la fin du Jésuites en Ile XVIIIème siècle. Leur enseignement connut un grand succès. Le couvent fut agrandi et embelli en 1651. Pour faciliter l’accès au collège un pont, le pont des jésuites, relia dès 1595 le couvent à la ville. Ainsi quittait-on l’ile et retrouvait-on la cité à la collégiale Saint-Denis que nous avons visitée. Conclusion Nous n’avons fait que parcourir cette ville au lointain passé. Les hasards politiques l’ont coupée de son passé impérial, princier et 50 épiscopal. Le développement gigantesque de son industrie au XIXème siècle firent sa richesse mais la privèrent de son histoire. Son intégration dans la Belgique puis la Wallonie lui firent oublier les souvenirs de son indépendance. Encore ses collégiales et ses ruelles restent-elles merveilleuses à visiter même si, au contraire de Bruges, Liège n’exploite pas entièrement ce patrimoine. Visitez Liège ! Courte bibliographie. Sources : On trouvera dans les MGH ( Monumenta Germaniae Historiae)de nombreux renseignements de première main sur la ville impériale. Citons entre autres les Regesta Imperii, la Vita Heinrici IV imperatoris , W. WATTENBACH (éd.), MGH S et Gesta episcoporum Leodiensium, MGH S, 25. On peut voir aussi La Geste de Liège, par JEAN d’OUTREMEUSE et SAUMERY, Les Délices du Païs de Liège, Liège, 1738-1744, Liège, réimpr. Anast. Bruxelles, 1970. Quelques études : _ J. BROSE, Dictionnaire des rues de Liège, Liège, 1977 ; J. DEMARTEAU, Liège et les principautés ecclésiastiques de l’Allemagne occidentale, Liège, 1900 ; B. DEMOULIN et JL KUPPER, Histoire de la principauté de Liège, Toulouse, 2002 ; Th. GOBERT, Liège à travers les âges. Les rues de Liège, Liège, 1924 (6 volumes) ; J.L. KUPPER, Liège et l’Eglise Impériale. XIe-XIIe siècles, Paris, 1981 ; G. KURTH, La cité de Liège au Moyen Age, Bruxelles-Liège, 1909 ; J. LEJEUNE, La principauté de Liège, Liège, 1980 ; Ministère de la Culture française, Le patrimoine monumental de la Belgique, vol. 3, Liège, 1974. Jacques van Wijnendaele 51