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Promenades historiques à Liège.
Les secrets d’une ancienne ville d’Empire.
De toutes les curiosités que nous offrent nos régions, Liège constitue
sans doute la plus étrange. Ce fut la patrie de la dynastie franque et c’est
de là que les Carolingiens, redoutables guerriers, conquirent l’Europe.
Avec Aix-la-Chapelle toute proche, Liège resta le centre de leur empire
avec autour d’eux les vallées de la Meuse, du Rhin, de la Seine, du
Danube, la lointaine Aquitaine, la Saxe et la Bavière subjuguées et Rome
dont ils protégeaient l’évêque pour prix de leur propre couronnement.
On peut dire que la naissance de l’Europe, après Rome et les
invasions barbares, se trouve en ces régions entre la Meuse et le Rhin.
Liège au carrefour de l’Europe, entre Germains et Latins, bascula au
haut Moyen Age dans les mains des empereurs germaniques, successeurs
de Charlemagne, Othoniens, Saliens, Staufen et devint un diocèse du
Saint-Empire, dépendant de l’archevêque de Cologne. C’était le temps où
les souverains s’appuyaient sur leurs évêques et celui de Liège connaîtra
les grandeurs et les malheurs de ces empereurs. Ceux-ci préféraient
laisser des biens aux princes ecclésiastiques que laïcs pour garder
indirectement la main sur ces biens et éviter la puissance des princes
laïcs. Pour ce faire il leur fallait s’assurer la nomination des futurs
évêques. Ce sera tout l’objet de la Querelle des Investitures autour de
l’an 1100 que de déterminer qui, du pape ou de l’empereur, aurait en
mains la nomination des évêques. Ainsi naquit la principauté de Liège, du
Limbourg à la France, énorme amalgame de fiefs et de propriétés
disparates, qui survécut jusqu’à la révolution française.
En parcourant la ville et son nombre d’établissements religieux, il ne
faut jamais perdre de vue qu’il s’agit, non d’une ville comme une autre,
mais de l’ancienne capitale d’une principauté religieuse.
C’est à Liège que dans un dernier sursaut vint mourir en 1106
l’empereur Henri IV, excommunié par le pape et renversé par son propre
fils. C’est à Liège que régnèrent les Zähringer, Souabes voraces. Tout
poussait Liège à un destin soit impérial soit germanique.
Mais le destin, qui joue avec les villes comme elle joue avec les
hommes, en décida autrement. Liège se retrouva, toujours indépendante
mais enclavée dans les possessions du duc de Bourgogne puis dans celles
de ses successeurs. En même temps elle se francisait complètement, son
passé impérial tombait dans l’oubli et elle finit, englobée dans la Belgique
puis dans la Wallonie.
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Table des matières
Un court historique de la ville.
_ Aux origines
_ Une ville impériale
_ La vengeance de Charles le Téméraire
_ L’apaisement
_ La naissance de l’industrie
Avant de commencer…
_ Les édifices religieux
_ Des mots locaux
_ Une ville naissante, ses eaux, ses remparts
Première promenade : Autour de la cathédrale disparue.
_ La Cathédrale fantôme
_ Le Palais épiscopal
_ Autour du palais et de la cathédrale
_ La collégiale Saint-Denis
_ Un cadavre dans une île
_ Vers la maison de la Violette et la Grande Boucherie
Deuxième promenade : Les mystères de Féronstrée.
_ Féronstrée, ses ferronniers, ses drapiers
_ Le bord de Meuse
_ Curtius et Saint-Barthélémy
_ Entre ville et vergers : la Rue Hors-Château
_ Chez les Cordeliers et les Chevaliers teutoniques.
Troisième promenade. Le Mont du Peuple et l’Ile déserte.
_ En montant vers le Publémont.
_ Le « Mâle Saint-Martin »
_ En descendant vers la Sauvenière
_ Saint-Adalbert et Saint-Jean
_ Le Carré
_ La nouvelle cathédrale : Saint-Paul
Conclusion
Bibliographie
Liège : l’ancien centre, avec le Publémont, l’ile, la cathédrale
Saint-Lambert, le marché.
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Un court historique de la ville.
C’était originellement un endroit bien tranquille. La route romaine
avait évité ce coin marécageux où avait cependant existé une villa à
l’actuelle place Saint-Lambert. L’évêque de la région, Lambert, venait
souvent méditer et prier dans cet endroit désormais inhabité. Entre deux
collines, celle du Publémont et celle du futur palais, coulait une petite
rivière, la Legia, qui allait se jeter dans une des deux bras de de la Meuse,
le futur boulevard de la Sauvenière. Lambert y installa un oratoire dédié à
Sainte-Marie.
Vers 700, dans ce vallon paisible qu’il avait tant aimé, Lambert fut
assassiné et désormais considéré comme un saint martyr. Un évêque était
mort, une ville était née car de ce meurtre naquit une ville : Liège.
En effet le siège du diocèse de ce
martyr ne se trouvait pas dans la
solitude de la petite rivière, la Legia,
mais avait été fondé vers 350 à Tongres,
la Civitas Tungrorum. Au VIème siècle
l’évêque avait négligé de plus en plus
Tongres pour Maastricht qui offrait de
plus grandes facilités de communication.
C’est là au « passage de la Meuse »
Mosae Traiectum, que la route dite
« Brunehaut », entre Boulogne, Bavai,
Tongres, Cologne, traversait la Meuse, c’est là que se situa le second
siège de l’évêché.
Mais tout changea avec le martyre de Lambert. Son cadavre d’abord
enterré à Maastricht provoquait des miracles et fut ramené vers 715 à
Liège par son successeur, saint Hubert. Ce dernier fit construire, à
l’endroit où Lambert se retirait pour prier, une église dédiée à Saint-
Lambert et à Notre-Dame. Vers 800 le siège épiscopal lui-même, installé à
Tongres puis à Maastricht, fut transféré à Liège et devint à la fois un
centre de pèlerinage, le siège de l’évêché, le noyau d’une ville et le centre
politique et religieux d’un ensemble de possessions.
Les traces des Carolingiens et de leurs successeurs immédiats sont
anciennes : la nouvelle localité était voisine des villas royales de Herstal
et de Jupille ; Carloman, frère de Pépin le Bref assiste à l’élévation des
reliques de Saint-Hubert et porte la châsse sur ses épaules ; Charlemagne
en 770 passa la Noël « près de Saint-Lambert » dans le vicus de Liège. En
854 Lothaire I et Charles le Chauve, fils de Louis le Pieux se réunissent
près de Saint-Lambert. En 907 Louis roi de Germanie donne la ville de
Fosses à l’Eglise liégeoise. On ne parle pas encore de palais. La maison
principale de l’évêque est dite se trouver dans le monastère de Sainte-
Marie et Saint-Lambert.
.
Une ville impériale
Tongres
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C’est un des successeurs de Lambert, Notger
(972-1008), qui marqua à jamais la nouvelle ville.
Issu de l’abbaye de Saint-Gall, membre de la
chapelle impériale, il fut imposé comme évêque
par l’empereur Othon I. De ce centre de pèlerinage
dévasté par les Normands en 881, il fit une ville,
avec son palais, sa cathédrale, des collégiales et
des églises paroissiales. Il entoura le nouvelle ville
de remparts et il fit démanteler la forteresse de
Chèvremont qui, aux mains de barons pillards,
constituait pour cette ville en gestation une
menace perpétuelle.
La ville dépendait de l’Empire car en 843 au traité de Verdun elle
avait été attribuée à la Lotharingie puis, en 880 au traité de Ribemont, à
Louis III de Germanie. C’est ainsi que Liège entra dans l’orbite
germanique et impériale et, en tant qu’évêché, dépendit jusqu’au XVIème
siècle de l’archevêché de Cologne.
Les empereurs au cours de leurs pérégrinations séjournaient dans
les diocèses, leur faisaient des dons importants et en nommaient les
titulaires. Ce sera tout l’objet de la Querelle des Investitures à la fin du
XIème siècle. Ainsi en fut-il à Liège
1
.
Grâce à sa position au sein de l’Empire Liège se développa sous une
double forme : la ville et la principauté.
Au début du XIe s. la ville possédait, outre la cathédrale, sept
églises collégiales (St. Pierre, St. Paul, St. Martin, Ste Croix, St. Denis, St.
Jean, St. Barthélémy) et deux abbayes bénédictines (S. Jacques, S.
Laurent), tandis que se développaient vingt-six églises paroissiales : « il
s’y disait autant de messes par jour qu’à Rome »
2
.
Cette ville formait le centre d’une vaste principauté discontinue, qui
traversait l’actuelle Belgique du Limbourg à la France. L’origine s’en
trouvait dans les dons des empereurs qui préféraient favoriser les
évêques, qu’ils nommaient, que les nobles laïcs toujours épris de velléités
d’indépendance. En 980 Notger obtenait un diplôme d’immunité générale
et échappait à la juridiction du comte pour exercer désormais les pouvoirs
tant civils que religieux. Il reçut en 985 à Ingelheim l’énorme comté de
Huy puis le monastère de Gembloux. il disposait d’une nébuleuse de
droits dans le pays mosan, à Tongres, Maastricht, Huy, Namur, Dinant et
sur les abbayes de Lobbes, Saint-Hubert, Fosses.
En 1096, profitant du départ de Godefroid de Lotharingie en
croisade, l’évêque Otbert mit la main sur le fief et le château de Bouillon. .
L’évêque Henri II de Leez vainquit en 1151 à Andenne le comte de Namur
Henri l’Aveugle. En 1227 fut acquise l’abbaye de Waulsort et en 1361 le
comté de Looz
1
Voir dans ce site sous “Histoire” différents textes relatifs à cette Querelle fameuse.
2
COMMYNES, Mémoires, J. DUFOURNET (éd.), Flammarion, 2007), l. 2, chap. 13.
L’évangéliaire de Notger
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Entre un empire en déliquescence et un état capétien en gestation,
l’évêque de Liège assumait, sur des territoires multiples et disparates, un
rôle de prince souverain et sa ville était devenue une véritable capitale.
La vengeance de Charles le Téméraire
Mais une telle gloire entraîne aussi des troubles et des revers.
Au début du XIIIème siècle le duc Henri II de Brabant, sous les
ordres d’Othon IV, qui revendiquait le comté de Moha, s’empara de Liège
et pilla la ville pendant plusieurs jours. Il fut battu en 1215 à Steppes par
le prince de Liège Hugues de Pierrepont et ses vassaux, Henri duc de
Limbourg, Hugues de Florennes, Thierry de Rochefort, Arnold de
Morialmé. En guise de pénitence publique le duc de Brabant dut venir se
prosterner dans la cathédrale devant les reliques de Saint-Lambert.
Avec l’arrivée des ducs de Bourgogne la situation devint plus
délicate. Ayant mis la main sur toutes les principautés des « Pays-Bas »,
les ducs voyaient d’un mauvais œil leur territoire traversé par un
ensemble de terres ne dépendant pas d’eux. Ils s’efforcèrent de nommer
eux-mêmes l’évêque de Liège mais les conflits se multiplièrent. En 1465
Philippe le Bon choisit comme régent de la principauté, Louis de Bourbon,
la ville Marc de Bade. L’année suivante les Liégeois furent battus à
Montenaeken puis à Brusthem où furent tués trois à quatre mille Liégeois.
Enfin en 1468 eurent lieu la grande révolte et la
destruction de la ville. Charles le Téméraire, en
négociation avec Louis XI à Péronne, apprit qu’en
sous-mains ce dernier avait poussé les Liégeois à se
révolter : « Le roi, en venant à Péronne, ne s’était pas
avisé qu’il avait envoyé deux ambassadeurs à Liège
pour en dresser les habitants contre le duc »
3
. Ivre de
rage Charles força le roi à venir assister à la défaite de
ses alliés et au sac de la ville. Les Liégeois se
réfugièrent dans le quartier de l’Ile autour de l’église
Saint-Paul avant de fuir où ils pouvaient. Au Marché les
assaillants firent une pause pour mettre au point un
plan de pillage par quartiers.
Le carnage qui s’ensuivit fut épouvantable : des grappes de dix à
douze hommes et femmes, liés ensemble, furent jetées à la Meuse, vingt-
deux personnes furent massacrées dans l’église des Mineurs, onze dans
celle des Dominicains, des religieuses furent tuées après avoir été violées,
les habitants qui s’étaient réfugiés dans les bois furent poursuivis et
massacrés. On n’épargna que la cathédrale et les abbayes qui avaient
obtenu des sauvegardes. Finalement Charles décida que toute la ville
devait être démolie à l’exception des églises et des maisons de chanoines.
Marie de Bourgogne renonça à toutes les mesures imposées à Liège par le
traité de paix et la ville fut lentement reconstruite sous Louis de Bourbon.
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COMMYNES, Mémoires, J. DUFOURNET (éd.), Flammarion, 2007), l. 2, chap. 7.
Charles le
Téméraire
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