Promenades historiques à Liège

publicité
Promenades historiques à Liège.
Les secrets d’une ancienne ville d’Empire.
De toutes les curiosités que nous offrent nos régions, Liège constitue
sans doute la plus étrange. Ce fut la patrie de la dynastie franque et c’est
de là que les Carolingiens, redoutables guerriers, conquirent l’Europe.
Avec Aix-la-Chapelle toute proche, Liège resta le centre de leur empire
avec autour d’eux les vallées de la Meuse, du Rhin, de la Seine, du
Danube, la lointaine Aquitaine, la Saxe et la Bavière subjuguées et Rome
dont ils protégeaient l’évêque pour prix de leur propre couronnement.
On peut dire que la naissance de l’Europe, après Rome et les
invasions barbares, se trouve en ces régions entre la Meuse et le Rhin.
Liège au carrefour de l’Europe, entre Germains et Latins, bascula au
haut Moyen Age dans les mains des empereurs germaniques, successeurs
de Charlemagne, Othoniens, Saliens, Staufen et devint un diocèse du
Saint-Empire, dépendant de l’archevêque de Cologne. C’était le temps où
les souverains s’appuyaient sur leurs évêques et celui de Liège connaîtra
les grandeurs et les malheurs de ces empereurs. Ceux-ci préféraient
laisser des biens aux princes ecclésiastiques que laïcs pour garder
indirectement la main sur ces biens et éviter la puissance des princes
laïcs. Pour ce faire il leur fallait s’assurer la nomination des futurs
évêques. Ce sera tout l’objet de la Querelle des Investitures autour de
l’an 1100 que de déterminer qui, du pape ou de l’empereur, aurait en
mains la nomination des évêques. Ainsi naquit la principauté de Liège, du
Limbourg à la France, énorme amalgame de fiefs et de propriétés
disparates, qui survécut jusqu’à la révolution française.
En parcourant la ville et son nombre d’établissements religieux, il ne
faut jamais perdre de vue qu’il s’agit, non d’une ville comme une autre,
mais de l’ancienne capitale d’une principauté religieuse.
C’est à Liège que dans un dernier sursaut vint mourir en 1106
l’empereur Henri IV, excommunié par le pape et renversé par son propre
fils. C’est à Liège que régnèrent les Zähringer, Souabes voraces. Tout
poussait Liège à un destin soit impérial soit germanique.
Mais le destin, qui joue avec les villes comme elle joue avec les
hommes, en décida autrement. Liège se retrouva, toujours indépendante
mais enclavée dans les possessions du duc de Bourgogne puis dans celles
de ses successeurs. En même temps elle se francisait complètement, son
passé impérial tombait dans l’oubli et elle finit, englobée dans la Belgique
puis dans la Wallonie.
1
Table des matières
Un court historique de la ville.
_ Aux origines
_ Une ville impériale
_ La vengeance de Charles le Téméraire
_ L’apaisement
_ La naissance de l’industrie
Avant de commencer…
_ Les édifices religieux
_ Des mots locaux
_ Une ville naissante, ses eaux, ses remparts
Première promenade : Autour de la cathédrale disparue.
_ La Cathédrale fantôme
_ Le Palais épiscopal
_ Autour du palais et de la cathédrale
_ La collégiale Saint-Denis
_ Un cadavre dans une île
_ Vers la maison de la Violette et la Grande Boucherie
Deuxième promenade : Les mystères de Féronstrée.
_ Féronstrée, ses ferronniers, ses drapiers
_ Le bord de Meuse
_ Curtius et Saint-Barthélémy
_ Entre ville et vergers : la Rue Hors-Château
_ Chez les Cordeliers et les Chevaliers teutoniques.
Troisième promenade. Le Mont du Peuple et l’Ile déserte.
_ En montant vers le Publémont.
_ Le « Mâle Saint-Martin »
_ En descendant vers la Sauvenière
_ Saint-Adalbert et Saint-Jean
_ Le Carré
_ La nouvelle cathédrale : Saint-Paul
Conclusion
Bibliographie
Liège : l’ancien centre, avec le Publémont, l’ile, la cathédrale
Saint-Lambert, le marché.
2
Un court historique de la ville.
C’était originellement un endroit bien tranquille. La route romaine
avait évité ce coin marécageux où avait cependant existé une villa à
l’actuelle place Saint-Lambert. L’évêque de la région, Lambert, venait
souvent méditer et prier dans cet endroit désormais inhabité. Entre deux
collines, celle du Publémont et celle du futur palais, coulait une petite
rivière, la Legia, qui allait se jeter dans une des deux bras de de la Meuse,
le futur boulevard de la Sauvenière. Lambert y installa un oratoire dédié à
Sainte-Marie.
Vers 700, dans ce vallon paisible qu’il avait tant aimé, Lambert fut
assassiné et désormais considéré comme un saint martyr. Un évêque était
mort, une ville était née car de ce meurtre naquit une ville : Liège.
En effet le siège du diocèse de ce
martyr ne se trouvait pas dans la
solitude de la petite rivière, la Legia,
mais avait été fondé vers 350 à Tongres,
la Civitas Tungrorum. Au VIème siècle
l’évêque avait négligé de plus en plus
Tongres pour Maastricht qui offrait de
plus grandes facilités de communication.
C’est là au « passage de la Meuse »
Mosae Traiectum, que la route dite
Tongres
« Brunehaut », entre Boulogne, Bavai,
Tongres, Cologne, traversait la Meuse, c’est là que se situa le second
siège de l’évêché.
Mais tout changea avec le martyre de Lambert. Son cadavre d’abord
enterré à Maastricht provoquait des miracles et fut ramené vers 715 à
Liège par son successeur, saint Hubert. Ce dernier fit construire, à
l’endroit où Lambert se retirait pour prier, une église dédiée à SaintLambert et à Notre-Dame. Vers 800 le siège épiscopal lui-même, installé à
Tongres puis à Maastricht, fut transféré à Liège et devint à la fois un
centre de pèlerinage, le siège de l’évêché, le noyau d’une ville et le centre
politique et religieux d’un ensemble de possessions.
Les traces des Carolingiens et de leurs successeurs immédiats sont
anciennes : la nouvelle localité était voisine des villas royales de Herstal
et de Jupille ; Carloman, frère de Pépin le Bref assiste à l’élévation des
reliques de Saint-Hubert et porte la châsse sur ses épaules ; Charlemagne
en 770 passa la Noël « près de Saint-Lambert » dans le vicus de Liège. En
854 Lothaire I et Charles le Chauve, fils de Louis le Pieux se réunissent
près de Saint-Lambert. En 907 Louis roi de Germanie donne la ville de
Fosses à l’Eglise liégeoise. On ne parle pas encore de palais. La maison
principale de l’évêque est dite se trouver dans le monastère de SainteMarie et Saint-Lambert.
.
Une ville impériale
3
C’est un des successeurs de Lambert, Notger
(972-1008), qui marqua à jamais la nouvelle ville.
Issu de l’abbaye de Saint-Gall, membre de la
chapelle impériale, il fut imposé comme évêque
par l’empereur Othon I. De ce centre de pèlerinage
dévasté par les Normands en 881, il fit une ville,
avec son palais, sa cathédrale, des collégiales et
des églises paroissiales. Il entoura le nouvelle ville
de remparts et il fit démanteler la forteresse de
Chèvremont qui, aux mains de barons pillards,
constituait pour cette ville en gestation une
L’évangéliaire de Notger
menace perpétuelle.
La ville dépendait de l’Empire car en 843 au traité de Verdun elle
avait été attribuée à la Lotharingie puis, en 880 au traité de Ribemont, à
Louis III de Germanie. C’est ainsi que Liège entra dans l’orbite
germanique et impériale et, en tant qu’évêché, dépendit jusqu’au XVIème
siècle de l’archevêché de Cologne.
Les empereurs au cours de leurs pérégrinations séjournaient dans
les diocèses, leur faisaient des dons importants et en nommaient les
titulaires. Ce sera tout l’objet de la Querelle des Investitures à la fin du
XIème siècle. Ainsi en fut-il à Liège 1.
Grâce à sa position au sein de l’Empire Liège se développa sous une
double forme : la ville et la principauté.
Au début du XIe s. la ville possédait, outre la cathédrale, sept
églises collégiales (St. Pierre, St. Paul, St. Martin, Ste Croix, St. Denis, St.
Jean, St. Barthélémy) et deux abbayes bénédictines (S. Jacques, S.
Laurent), tandis que se développaient vingt-six églises paroissiales : « il
s’y disait autant de messes par jour qu’à Rome »2.
Cette ville formait le centre d’une vaste principauté discontinue, qui
traversait l’actuelle Belgique du Limbourg à la France. L’origine s’en
trouvait dans les dons des empereurs qui préféraient favoriser les
évêques, qu’ils nommaient, que les nobles laïcs toujours épris de velléités
d’indépendance. En 980 Notger obtenait un diplôme d’immunité générale
et échappait à la juridiction du comte pour exercer désormais les pouvoirs
tant civils que religieux. Il reçut en 985 à Ingelheim l’énorme comté de
Huy puis le monastère de Gembloux. il disposait d’une nébuleuse de
droits dans le pays mosan, à Tongres, Maastricht, Huy, Namur, Dinant et
sur les abbayes de Lobbes, Saint-Hubert, Fosses.
En 1096, profitant du départ de Godefroid de Lotharingie en
croisade, l’évêque Otbert mit la main sur le fief et le château de Bouillon. .
L’évêque Henri II de Leez vainquit en 1151 à Andenne le comte de Namur
Henri l’Aveugle. En 1227 fut acquise l’abbaye de Waulsort et en 1361 le
comté de Looz
1
2
Voir dans ce site sous “Histoire” différents textes relatifs à cette Querelle fameuse.
COMMYNES, Mémoires, J. DUFOURNET (éd.), Flammarion, 2007), l. 2, chap. 13.
4
Entre un empire en déliquescence et un état capétien en gestation,
l’évêque de Liège assumait, sur des territoires multiples et disparates, un
rôle de prince souverain et sa ville était devenue une véritable capitale.
La vengeance de Charles le Téméraire
Mais une telle gloire entraîne aussi des troubles et des revers.
Au début du XIIIème siècle le duc Henri II de Brabant, sous les
ordres d’Othon IV, qui revendiquait le comté de Moha, s’empara de Liège
et pilla la ville pendant plusieurs jours. Il fut battu en 1215 à Steppes par
le prince de Liège Hugues de Pierrepont et ses vassaux, Henri duc de
Limbourg, Hugues de Florennes, Thierry de Rochefort, Arnold de
Morialmé. En guise de pénitence publique le duc de Brabant dut venir se
prosterner dans la cathédrale devant les reliques de Saint-Lambert.
Avec l’arrivée des ducs de Bourgogne la situation devint plus
délicate. Ayant mis la main sur toutes les principautés des « Pays-Bas »,
les ducs voyaient d’un mauvais œil leur territoire traversé par un
ensemble de terres ne dépendant pas d’eux. Ils s’efforcèrent de nommer
eux-mêmes l’évêque de Liège mais les conflits se multiplièrent. En 1465
Philippe le Bon choisit comme régent de la principauté, Louis de Bourbon,
la ville Marc de Bade. L’année suivante les Liégeois furent battus à
Montenaeken puis à Brusthem où furent tués trois à quatre mille Liégeois.
Enfin en 1468 eurent lieu la grande révolte et la
destruction de la ville. Charles le Téméraire, en
négociation avec Louis XI à Péronne, apprit qu’en
sous-mains ce dernier avait poussé les Liégeois à se
révolter : « Le roi, en venant à Péronne, ne s’était pas
avisé qu’il avait envoyé deux ambassadeurs à Liège
pour en dresser les habitants contre le duc » 3. Ivre de
rage Charles força le roi à venir assister à la défaite de
ses alliés et au sac de la ville. Les Liégeois se
réfugièrent dans le quartier de l’Ile autour de l’église
Charles le
Saint-Paul avant de fuir où ils pouvaient. Au Marché les
Téméraire
assaillants firent une pause pour mettre au point un
plan de pillage par quartiers.
Le carnage qui s’ensuivit fut épouvantable : des grappes de dix à
douze hommes et femmes, liés ensemble, furent jetées à la Meuse, vingtdeux personnes furent massacrées dans l’église des Mineurs, onze dans
celle des Dominicains, des religieuses furent tuées après avoir été violées,
les habitants qui s’étaient réfugiés dans les bois furent poursuivis et
massacrés. On n’épargna que la cathédrale et les abbayes qui avaient
obtenu des sauvegardes. Finalement Charles décida que toute la ville
devait être démolie à l’exception des églises et des maisons de chanoines.
Marie de Bourgogne renonça à toutes les mesures imposées à Liège par le
traité de paix et la ville fut lentement reconstruite sous Louis de Bourbon.
3
COMMYNES, Mémoires, J. DUFOURNET (éd.), Flammarion, 2007), l. 2, chap. 7.
5
Mais tout n’était pas fini. En 1482 Guillaume de la Marck, le
« sanglier des Ardennes », reçut de Louis XI une armée pour conquérir la
principauté de Liège. Il tua Louis de Bourbon à la bataille de Grivegnée,
s’empara de Liège et la livra à nouveau au pillage
L’apaisement et la fin d’une survivance médiévale
Liège ne retrouva la paix qu’avec l’avènement en
1506 d’Erard de la Marck, un grand homme d’état qui
régna trente-deux ans. Avec le temps la situation se
calma. Pendant plus d’un siècle des membres de la
famille de Bavière dirigèrent la ville sans guère y
résider. Les différents souverains des Pays-Bas,
Bourguignons, Espagnols, Autrichiens, feront bon
ménage avec ce curieux émiettement de biens
épiscopaux qui traversaient leurs terres. Ils assuraient
généralement eux-mêmes la nomination du princeErard de la Marck
évêque.
La ville souffrit encore des guerres du XVIIème siècle et en 1691 le
maréchal de Boufflers, à la tête des troupes françaises, bombarda la ville
pendant une semaine à boulets rouges.
La ville accueillit avec joie la révolution française et, chassant les
princes-évêques, vota l’annexion à la France. Le régime fut renversé le 18
août 1789 par les Liégeois et le décret de réunion voté par l’Assemblée
Nationale le 1 octobre 1795. Une principauté ecclésiastique médiévale
était morte et Liège fut unie aux autres provinces belges sous les régimes
français, hollandais, belge et aujourd’hui wallon.
C’est la fin d’une longue indépendance. Entretemps la ville était
arrivée à l’avant-garde de la révolution industrielle.
Une des premières villes industrielles d’Europe
Liège, dès ses origines, constitue, non seulement un centre
épiscopal, mais un centre industriel avant même qu’ailleurs en Europe on
y songeât. Au Moyen Age l’extraction de la houille permit l’essor
métallurgique de la ville, spécialisée en fabrication de clous, en drap de
serge et tanneries. La houillère de Crève-Cœur, près de la collégiale SaintBarthélémy date de 1500. La pompe à feu, inventée par le serrurier
anglais Thomas Newcomen, fut employée, pour la première fois sur le
continent, en 1717à Liège. Après l’Angleterre c’est à Liège aussi qu’on
fabriqua la première locomotive.
Quant à l’armurerie liégeoise, elle remontait aux débuts de la ville et
employait au XVIIIe s. six mille ouvriers. Avec le fusil à silex datant du
XVIème siècle Liège acquit une renommée universelle et en 1810 le fusil à
percussion y fut fabriqué. Au XIXème siècle Liège, avec ses hauts
fourneaux, sa verrerie du Val Saint-Lambert et sa fabrique d’armes de
Herstal était à la tête des villes industrielles d’Europe.
6
Il ne reste aujourd’hui de la métropole industrielle et de la cité des
princes évêques que le fantôme du passé.
C’est ce passé que nous visiterons.
Liège au XVIème siècle avec la Meuse et la Sauvenière,
7
Avant de commencer…
Avant de commencer il peut être utile de se souvenir des types
d’édifices religieux et de leur rôle : cathédrale, église paroissiale,
collégiale. Nous verrons aussi certains mots régionaux utilisés dans
l’indication des rues ainsi que le rempart de Notger qui marque la ville du
haut Moyen Age.
Les édifices religieux
La cathédrale constitue le sanctuaire de l’évêque, où il officie et a
son siège : sa « cathèdre ». A Liège ce fut longtemps Saint- Lambert puis,
après sa destruction par la révolution, Saint-Paul. De sa cathédrale
l’évêque dirige son diocèse, il est entouré dans ses tâches de chanoines il
dépend d’un archevêque. L’évêque de Liège dépendait sous l’Ancien
Régime de l’archevêque de Cologne.
L’église paroissiale regroupe les fidèles d’une paroisse sous l’autorité
d’un curé qui dépend lui-même de l’évêque. Chaque diocèse est divisé en
paroisses. C’est l’unité de base du monde chrétien. Tout laïc fait partie
d’une paroisse. Le curé a comme assistant direct un vicaire.
La collégiale constitue le siège des chanoines, qui assistent l’évêque,
chantent le service divin ou remplissent un rôle spécifique, comme
l’enseignement. Avant les universités il y eut les écoles collégiales où l’on
formait le clergé. Liège constitue à cet égard un cas extraordinaire et un
des grands centres d’enseignement au Haut Moyen Age avec plusieurs
collégiales à l’aube du XIe s. : St Pierre, fondée par l’évêque Hubert
(706-727) et agrandie par Richer (920-945), St-Paul et St-Martin,
fondées par l’évêque Eracle (959-971), Ste Croix, St-Denis et St-JeanBaptiste, fondées par Notger (972-1008), St-Barthélémy, fondée par
Baldéric ( 1008-1018).
Les collégiales ont à leur tête un prévôt, choisi parmi les chanoines
de St-Lambert. Les chanoines vivaient de « prébendes » provenant des
biens de l’Eglise de Liège, de biens royaux ou familiaux donnés par
l’évêque fondateur. Sous l’évêque Wazon ( 1042-1048) il y a sept collèges
de trente chanoines outre les soixante chanoines de la cathédrale, ce qui
en fait 270. Wazon était célèbre dans tout l’empire pour son érudition. On
trouve dans les collégiales nombre de ministeriales, de petite noblesse,
choisis par l’empereur pour des fonctions futures religieuses ou politiques
plus élevées.
Les églises abbatiales qui font partie d’un monastère, que dirige
l’abbé puisque les moines, qui se sont retirés du monde, vivent à l’écart
sub abbate et regula. « sous l’autorité de la règle et de l’abbé »
Les chapelles privées, que l’on trouve dans les palais, les châteaux
et les demeures patriciennes et qui servent à la piété privée de l’occupant.
A part la cathédrale et les églises paroissiales qui en disposent
d’office, les droits de baptiser, d’enterrer, de sonner les cloches,
8
d’organiser des processions dépendent, par des autorisations individuelles,
de l’évêque et de son collège.
Le christianisme constituait ainsi une organisation, à la fois multiple
et cohérente, qui tenait toute la société en mains. Cette société se
composait de deux groupes : les laïcs et le clergé. Les laïcs groupaient
ceux qui étaient nobles et ceux qui ne l’étaient pas. Le clergé comprenait
le clergé séculier « vivant dans le siècle ou dans le monde » :
archevêques, évêques, chanoines, curés, et le clergé régulier, qui vivait en
dehors du monde : moines, moniales, membres d’ordres conventuels.
Des mots locaux
Le Wallon liégeois n’est pas le picard de Mons ni le dialecte
ardennais. Ce n’est pas non plus un sous-produit du français. Toutes ces
formes linguistiques, liégeois, picard, français proviennent du bas latin.
Elles ont chacune leur passé et leur noblesse.
Certaines formes typiquement liégeoises se retrouveront dans les
rues et nous en citerons les plus courantes ici :
_ Rue sur les Airs. Les remparts y passaient avec leurs murs en
arcades rentrantes, arcus, en liégeois êr .Vient du latin Arx : fortification.
_ Arvô : entrée d’une ruelle à travers une maison. Vient du latin
Arcum volutum : arc voûté.
_ Céarie : on y gardait les revenus du prince.
_ Champion ou Pugil : chargé en combat judiciaire, moyennant
rénumération, de défendre la cause d’une des parties. « Pugil » est
d’ailleurs proche de Pugilat.
_ hanguiner : pendre (du germain hangen ?)
_ houillère : mine de charbon primitive.
_ Mangon : maître-boucher
_ Mestier : métier
_ rieu : ruisseau
_ stordeur : grand pressoir, mû par des chevaux ou par la rivière,
qui servait à presser les fruits ou l’huile.
_ Tindeur : teinturier.
_ Vinâve : Liège se partageait depuis le XIIIe s. en six vinâves ou
quartiers. Il peut s’agir d’une ancien terme local, du latin vicinitas ou du
vieux français Visnage : agglomération de demeures contiguës ayant vue
sur le même chemin. Il en reste le « Vinâve d’Ile » près de la cathédrale
Saint-Paul.
_ Vivegnies : vieux vignobles.
On trouve aussi, à l’intérieur de certains mots, des inversions qui
doivent provenir de l’influence germanique, si puissante dans ce diocèse
du Saint-Empire. Ainsi Vesquecour : « Evêque cour » ou Cour de
l’évêque ; Tindeurrue : « Teinturier rue » ou rue de Teinturiers ;
Pourceaurue ou rue des Porcs.
9
Une ville naissante, ses eaux, ses remparts
Le rempart de Notger
Pour nous positionner à l’intérieur de la cité ancienne voyons la
géographie de la ville médiévale et les anciens remparts.
Liège est construite dans une boucle de la Meuse qui se divisait jadis
en deux bras : le bras actuel et celui de la Sauvenière, transformé
aujourd’hui en boulevard. Ces deux bras enserraient « l’Ile », un grand
espace de terrain, marécageux et broussailleux, qui sera aménagé et
habité postérieurement. La Sauvenière se terminait dans la Meuse au
travers de multiples îlots à l’emplacement de l’actuelle rue de la Régence.
Dans la Sauvenière se jetait une rivière la Legia qui surgissait à l’arrière et
se subdivisait en différents bras que l’on retrouvera dans le tracé de
nombreuses rues. C’est au bord de ce ruisseau que venait méditer saint
Lambert avant d’y être assassiné. Là fut construite sa cathédrale. Ce
ruisseau était bordé deux collines : à droite le Publémont où viendra la
collégiale Saint-Martin, à gauche la colline Sainte-Walburge sur les flancs
de laquelle viendra le palais. Autour de la cathédrale et plus loin au long
de la plaine qui longe la maison se blottiront les maisons de la cité.
On peut donc parler aux origines de quatre parties : un centre,
(l’actuelle place Saint-Lambert, le palais et les abords), la cité en
longueur, la haute colline du Publémont, une île marécageuse.
Les trois premières parties furent protégées par les remparts de
Notger. Ceux-ci longeaient la rue du Palais, coupaient en oblique la rue
des Mineurs et longeaient la rue des Airs. Là il tournaient brusquement,
10
traversaient la rue Féronstrée par la porte Hasselin, entre la rue Potiérue
et la Grande Boucherie, et descendaient en ligne droite sur la Meuse.
Ils suivaient ensuite la Meuse et une bonne
partie de son bras principal, devenu le boulevard de la
Sauvenière. Puis ils remontaient vers le Mont SaintMartin pour englober la collégiale Saint-Martin. Ils
repartaient au long de la rue Saint-Séverin vers
l’arrière du Palais.
Ainsi couvraient-ils la première ville médiévale :
le palais, la cathédrale Saint-Lambert, le marché, la
boucherie, la population groupée dans les ruelles
entre le marché et la Meuse avec une pointe vers
Publémont.
Il faut remarquer que l’Île avec les collégiales
Saint-Paul et Saint-Jean et l’abbaye Saint-Jacques se
trouvait à l’extérieur des remparts. Il en allait de
même de la collégiale Saint-Barthélémy et de la rue
Tour rue Saint-Martin
appelée de ce fait « Hors Château ».
Quant à la Legia elle se subdivisait en différentes branches.
La première branche quittait la rue du Palais à hauteur de la
troisième cour, traversait le palais, passait derrière le chevet de la
cathédrale Saint-Lambert, suivait la rue de la Madeleine et celle du Rêwé
pour se jeter dans la Meuse.
La seconde branche continuait au long de la rue du Palais, jadis
« rue Derrière-le-Palais ». Au coin de la rue des Mineurs et de la place du
Marché, cette branche, qui coulait à ciel ouvert au milieu des maisons, se
divisait en deux bras. Le premier descendait directement par la rue du
Pont vers la Meuse. L’autre, appelé la Pisseroule, suivait la rue Hors
Château. Les teinturiers y lavaient leurs draps et devaient, lorsqu’il
surgissait des orages ou de fortes pluies, lever la vanne générale à
l’impasse actuelle de la « Venta », la venta signifiant une vanne. Au XVIIe
s. les habitants purent aussi installer des ventas personnels qui ne
porteraient pas atteinte au cours du ruisseau. Celui-ci fut voûté à la fin du
siècle suivant.
11
Première promenade :
Autour de la cathédrale disparue.
Nous commençons par le centre historique de la ville, la place SaintLambert, l’emplacement de l’ancienne cathédrale et le palais épiscopal,
transformé aujourd’hui en palais de justice. Nous traverserons ensuite une
partie de l’ancienne cité, entre la Sauvenière et la Meuse.
La Cathédrale fantôme
La place Saint-Lambert
remplace la cathédrale du même
nom, dont il ne reste rien qu’un
essai de localisation, car elle fut
détruite sous la révolution. Elle
avait été initialement construite par
saint Hubert près du tombeau de
saint Lambert. Pillée par les
Normands, la cathédrale fut
reconstruite et agrandie par Notger
qui la dédia à Notre-Dame et SaintLambert, suivant le plan de NotreDame d’Aix la Chapelle. Incendiée
La cathédrale Saint-Lambert disparue
en 1185 puis pillée en 1212 par les
troupes du duc de Brabant, elle fut à nouveau livrée à la soldatesque de
Charles le Téméraire qui, l’épée à la main, dut défendre personnellement
l’édifice religieux et y tua un de ses propres hommes.
A l’époque cette église semblait une merveille, avec ses deux
chœurs et, dans la chapelle des saints Cosme et Damien, la châsse de
Saint-Hubert, revêtue d’argent et de pierres précieuses. Celle-ci reposait
sur le jubé pour être vue de tous et était portée en procession solennelle à
travers la ville par deux compagnons du métier des bouchers (les
« Mangons »). L’entrée vers le palais, « le beau portail » était pourvu
d’une rosace et d’une « naissance de la Vierge » du sculpteur Lambert
Zutman. La tour principale ne fut terminée qu’en 1433.
La cathédrale était desservie par des chanoines qui vivaient
ensemble dans des constructions voisines de la cathédrale, appelées
monasterium. Nous en trouverons des vestiges en cours de promenade.
Les 60 chanoines les plus anciens, appelés Tréfonciers, devaient être
nobles ou versés dans la théologie, la jurisprudence ou la médecine, les
28 autres formaient le Bas-Chœur. Au XIIème siècle le chapitre de SaintLambert comptait des fils de rois, de ducs, de comtes et de barons.
12
Lors d’une guerre les milices se
réunissaient dans la cathédrale autour de
l’étendard de Saint-Lambert, déployé audessus de la châsse du saint. L’avoué de
Hesbaye, revêtu par les chanoines d’une
armure blanche et en possession de
l’étendard, sortait de l’église, montait un
cheval blanc et partait au combat. C’est au cri
de « Liège, Saint-Lambert ! » que les croisés
liégeois attaquèrent Jérusalem en 1099.
La cathédrale avait une longue histoire,
analogue à celle du palais voisin. Charlemagne
y fit de fréquentes visites et c’est lui qui aurait
fait le don de l’étendard de Saint-Lambert.
Charles le Chauve, après la défaite
d’Andernach en 876, y cherchera refuge.
Quand le duc de Brabant eut pillé la ville, il
La cathédrale Saint-Lambert.
Le chœur.
dut venir faire amende honorable devant le
tombeau du saint. Et puis il y eut les conciles dont la cathédrale, avec le
palais voisin, formait le centre. «Empereur, princes et évêques se
rendent ensuite à la cathédrale puis à la crypte de Saint-Lambert. Ils
voient par miracle le corps de Saint-Lambert, couché sur l’autel, s’élever
dans l’air » 4. On y entendit deux fois prêcher le cistercien Bernard de
Clairvaux, le plus fameux orateur du temps.
Le Palais épiscopal
Si les origines du palais sont mystérieuses, il devint rapidement le
séjour non seulement de l’évêque mais des hôtes de passage.
Le Palais Cour intérieure
Le Palais. Façade
4
Triumphus Sancti Remacli, l. 2, W. WATTENBACH (éd.), MGH SS, 11, Hanovre, 1854, p. 450-461.
Extraits et traduction libres par l’auteur.
13
Et quels hôtes ! Rois de Germanie et empereurs y descendent
fréquemment. En 770 Charlemagne s’installe à Pâques dans la localité de
Liège près de Saint-Lambert5. En 1012 l’empereur Henri II y passe les
Pâques. Ses successeurs Conrad II puis Henri III y séjournent. Au palais
et à la cathédrale voisine des conciles réunissent la chrétienté : celui de
1131 auquel assista le pape Innocent II et l’empereur Lothaire II, celui
d’Urbain III en lutte contre l’empereur Frédéric, celui de 1188 où Grégoire
VIII prêcha la croisade devant deux mille ecclésiastiques.
Liège fut un des séjours
préférés d’Henri IV, l’adversaire
de Grégoire VII dans la
Querelle des Investitures. Il y
passa les Pâques de 1061,
1064, 1071, 1080, 1101 et en
1103 la fête des apôtres Pierre
et Paul 6. En mai 1071 il s’y
trouve avec son épouse la reine
La cathédrale et le palais jadis
Berthe, l’archevêque Annon de
Cologne, les évêques d’Utrecht, Verdun, Bamberg, Cambrai, Verceil, les
ducs de Lotharingie, de Souabe, de Bavière 7.
Il y juge d’un litige entre l’archevêque de Cologne et l’abbaye de
Stavelot que nous relate un texte du temps : « La cour royale fut
convoquée à Liège pour célébrer le moment de la résurrection du
Seigneur. Il fut ordonné à tous ceux, qui avaient une cause à juger,
venant de quelque province que ce soit de l’Empire romain, de s’y rendre…
L’évêque (de Liège) se met en route avec tout son clergé (pour accueillir
l’abbé de Stavelot) alors que l’archevêque (de Cologne) reste au palais
avec ses partisans… la foule accourt de toute part… Il y a là l’évêque de
Liège avec les membres les plus élevés de son clergé, les ducs, les autres
évêques présents, le roi et l’archevêque (de Cologne). La présence de
certains évêques impériaux est citée nommément : l’évêque Grégoire de
Verceil (en Italie), celui de Bamberg (en Bavière) ainsi que le chancelier
royal. Le même jour on discute du problème, existant entre l’abbé et
l’archevêque, devant le roi, les princes et les évêques » 8.
Tout cela se passe en public : « Le roi, entouré de ses princes, se
met à table pour manger en public dans le jardin. Le roi quitte la table et
rentre au palais. Le jardin est plein de monde car la foule accourt de toute
part en tumulte. Après discussions le roi ressort du palais et se tient un
moment au-dessus des marches qui descendent vers la cathédrale.
5
Apud sanctum Lambertum in vico Leodico (Res. Imperii, T.1, n°139a, p. 65, J. F. BOEHMER (éd.),
Hildesheim, 1966.
6
Heinrici IV Diplomata, p. 306.
7
Heinrici IV Diplomata, p. 652-653.
8
Triumphus Sancti Remacli, l. 2, W. WATTENBACH (éd.), MGH SS, 11, Hanovre, 1854, p. 450-461.
Extraits et traduction libres par l’auteur.
14
Pendant qu’on se prépare à célébrer l’office les enfants des écoles de toute
la ville s’assemblent et viennent chanter comme des anges » 9.
On s’aperçoit, à parcourir ce texte, de la splendeur de la cour
impériale, de l’importance de la ville de Liège pour l’empire et des
commodités qui en faisaient une ville accueillante : un palais
suffisamment grand pour héberger une telle quantité d’hôtes illustres
venus de partout, le repas pris publiquement par le souverain dans le
jardin du palais en compagnie de tous les princes civils et religieux et en
présence d’une foule nombreuse, l’existence des écoles liégeoises,
l’importance dans le mythe impérial de la cathédrale Saint-Lambert, des
reliques du saint, ainsi que d’autres édifices religieux comme Saint-Jean
en Ile.
Le prince-évêque dans la suite continuera à tenir des banquets à ciel
ouvert auquel le peuple pouvait assister. Il en faisait de même dans le
préau du palais. On y tenait les assises et la cour souveraine rendait ses
arrêts les plus importants dans le jardin du palais. C’est le siège de la
juridiction de « l’anneau du palais ». Un anneau était attaché à la porte du
palais et la personne, qui voulait saisir la justice épiscopale d’une
affaire frappait la porte de l’anneau. On l’appelait aussi la « Rouge porte
du palais ». Le peuple était fréquemment convoqué au jardin du palais
pour y être consulté.
L’édifice le plus ancien, construit par Notger, plus tard appelé Vieux
Palais, se trouvait en face du chœur de Saint-Lambert, du côté du marché
actuel. Le jardin où avait dîné l’empereur Henri IV se trouvait à côté, en
direction de l’église Saint-André, face à l’hôtel de ville. Ce fut Henri de
Leez (1145-1164) qui ajouta au XIIe s. un vaste bâtiment vers l’Ouest,
place Saint-Lambert. Désormais la porte principale du palais s’ouvrait en
face du portail de Saint-Lambert, presque à sa place actuelle.
Les trois Etats représentant la principauté entière étaient réunis au
palais dans la « haute salle du parlement ». Les services publics de la
principauté fonctionnaient également au palais. Les visiteurs et agents de
la cour ne pouvaient séjourner au palais avec leur famille car il s’agissait
d’un palais épiscopal. La règle était toujours d’application au XVIIIe s.
C’est pourquoi à une série de charges héréditaires, destinées à des laïcs,
était affectée la jouissance de maisons proches du palais.
Au début du XVIe siècle le palais, complètement délabré, fut
reconstruit par Erard de la Marck en style Renaissance et devint le plus
vaste palais princier d’Europe. A sa visite de 1544 Charles-Quint déclara :
« En vérité, si ce palais était achevé comme il mérite de l’être, il n’y en
aurait pas de plus beau dans tout le monde chrétien ». Marguerite de
Valois, première épouse d’Henri IV, y logea pendant six semaines en
1577.
Avec ces remaniements, la façade du côté de l’église Saint-Lambert
montrait à sa gauche, à la place de l’entrée actuelle, un portail
9
Triumphus Sancti Remacli, l. 2, W. WATTENBACH (éd.), MGH SS, 11, Hanovre, 1854, p. 450-461.
Extraits et traduction libre par l’auteur.
15
majestueux dans un pavillon à trois plans créé en 1449. Il y avait trois
cours. Seule la première cour est entourée entièrement par un péristyle.
La deuxième cour n’était pas ouverte au public mais réservée au prince.
Au centre était une fontaine surmontée de statues et de l’aigle impérial.
La troisième cour constituait un jardin botanique. C’est cette troisième
cour, face à l’hôtel de ville, qui constituait le palais initial, elle surplombait
le marché et le perron. L’intérieur était luxueusement meublé et décoré.
De petits commerçaient travaillaient sous les colonnades de la première
cour. Ils occupaient des échoppes construites en planches qui occupaient
la moitié des galeries. L’éclairage nocturne des galeries du palais précéda
celui des rues de la ville.
Autour du palais et de la cathédrale
Tout cet espace, actuellement
vide, était jadis occupé.
Entre le palais et la cathédrale se
trouvaient le Vieux Marche et la rue
Sainte-Ursule. Le Vieux-Marché formait
un rectangle, interdit au charroi, entre
le palais et la cathédrale, une place
entourée de petites maisons dont
certaines étaient collées aux murs de
l’église 10. Il s’y donnait des joutes
auxquelles le prince assistait de sa
galerie.
Une chapelle avait été aménagée
Le palais, la cathédrale
au XIIe s. au palais vers la rue Sainteet le marché jadis
Ursule. Les jours ordinaires l’évêque y
célébrait la messe. La Rue SainteUrsule ou Des Onze Mille Vierges, serrée entre le palais et la cathédrale,
joignait le Vieux Marché au Marché de la ville. Adolphe de la Marck fit
ériger au premier étage une galerie couverte qui lui permettait d’aller
directement du palais à la cathédrale : le « Pont Saint-Lambert ». On y
trouvait la halle pour les draps importés, p. ex. ceux de Verviers ainsi que
la chapelle de Sainte-Ursule ou des Onze Mille Vierges, datant du XIIème
siècle. C’était l’église paroissiale du prince évêque où il célébrait la messe
quotidienne et où à sa mort son corps embaumé était exposé sur un lit de
parade, à la vénération des fidèle. Ce sanctuaire disparut en 1540, écrasé
par l’effondrement d’une des tours du palais. C’est alors qu’on le
reconstruisit à l’intérieur du palais. A sa place on construisit une nouvelle
sacristie pour la cathédrale. Enfin dans la même rue se trouvait le local
où le receveur gardait les revenus en nature du prince et qu’on appelait :
la « Cearie ».
10
On voit encore en de nombreux endroits des maisons accolées aux églises, par exemple à l’église
Saint-Nicolas à Bruxelles.
16
De l’autre côté de la cathédrale se trouvait l’église paroissiale NotreDame aux Fonts, construite par Notger, qui contenait les fonts baptismaux
et qui échappa à l’incendie de 1185. Cette église resta jusqu’à la fin de la
principauté la paroisse-mère de Liège et avait de ce fait certains droits sur
les autres églises. La rue du Faucon la longeait.
Devant le portail de la cathédrale, on trouvait la Place Verte, un
endroit paisible, bordé de tilleuls, de maisons canoniales et d’hôtels
aristocratiques, qui servait de lieu de promenade. Cette place, qui doit
dater du VIIIe siècle, constituait initialement le préau du chapitre
cathédral et avait été qualifié de « monastère Saint-Lambert ». On y
trouvait entre autres une demeure passée depuis le XVème siècle d’oncle
en neveux dans une famille de chanoines de Saint-Lambert, les Mérode de
Waroux.
La collégiale Saint-Denis
Face aux emplacements de
la rue du Faucon et de l’église
Notre-Dame aux Fonts, nous
prenons la rue Gérardrie, datant
de l’an Mil et dont le nom
perpétuerait le souvenir de
Gérard de Bourgogne, né en
Savoie, chanoine de SaintLambert à Liège puis évêque de
Florence, qui devint pape sous le
nom de Nicolas II (1058-1061). Il
promulgua le décret de 1059,
toujours d’application, qui
réservait la nomination des papes
Collégiale Saint-Denis
aux cardinaux. Durant son
canonicat liégeois, il aurait occupé le coin de la rue à droite.
Dans cette rue on trouvait, outre des chanoines, le grand prévôt et
même le duc de Bavière, des habitants plus humbles comme des orfèvres,
membres du « Mestier de Gérardrie », et des libraires et imprimeurs :
l’imprimeur Léonard Streel qui occupa au XVIIe s. la maison de la Galère,
à côté de la maison des Trois Pucelles où vécut en 1534 Guillaume delle
Heid, un des premiers libraires connus de la ville. Au n° 25 on trouvait la
Maison du Paradis Terrestre où vécut la famille des imprimeurs et libraires
Hovius qui reproduisirent cette enseigne comme marque sur leurs
ouvrages. La Rue Lambert Lombard continue la rue Gérardrie.
Nous arrivons à la Place Saint-Etienne. Elle remplace une église du
XIIIe s. qui fut vendue en 1798, transformée en Opéra-Comique puis
démolie en 1806. Le curé en était nommé par le prévôt de Saint-Lambert.
On y trouvait encore au XVIIIe s. une maison de recluse qui vivait
totalement isolée et n’avait de contact qu’avec l’église. Sur cette place
donne la rue Saint-Gangulphe, où logeait le doyen de la collégiale.
17
Au coin de la rue Chapelle aux Clercs on voit un imposant hôtel de
maître du début du XVIIIe s. En 1336 fut construite en cet endroit une
chapelle destinée à une confrérie destinée à honorer la Vierge, avec un
petit clocher, un petit cimetière et le siège d’une confrérie laïque, « La
compagnie et confraternité de N. D. de la chapelle des Clercs » qui
subsista pendant des siècles et à laquelle s’ajouta en 1555 la « confrérie
de Saint-Yves » ou des avocats.
Nous arrivons à la collégiale Saint-Denis, créée en 987 par Notger
et reconstruite par son successeur Baldéric II en 1011. C’est un des
édifices religieux les plus remarquables de Belgique et une des grandes
collégiales de la ville. Le rez de chaussée voûté, actuel baptistère, est
roman, tout comme la nef qui date de 1011. Par contre Le chœur gothique
date de 1352-1429, le buffet d’orgue de 1569 et un habillage rococo a été
appliqué en 1747 sur l’intérieur de la nef. Il y a sous le chœur une crypte
romane où jadis vivait une recluse. On trouve un retable de la Passion du
XVIe s. et des tableaux de Lambert Lombard (1505-1566) qui décrivent
des épisodes de la vie de Saint-Paul et de Saint-Denis. En effet l’église fut
construite en l’honneur de saint Denis, premier évêque de Paris au IIIe s.
décapité sur la colline de Montmartre.
Cette église comptait trente
chanoines, y compris le prévôt, le
doyen, le trésorier, le chantre et
l’écolâtre, vivant dans deux
cloîtres, à droite et à gauche.
Leur dortoir se trouvait rue
Donceel, jadis appelée « rue
devant Saint-Denis » face à la
tour de l’église. Ils étaient
chargés de l’enseignement des
écoliers confiés à leurs soins, qui
devaient également chanter aux
Maison Baar-Lecharlier
offices. Les enfants vivaient en
commun dans la maison de la Cigogne ou des Pauvres Innocents, située
près de le la collégiale. Il y avait aussi près du chœur une prison pour les
chanoines ou les enfants de chœur coupables de quelque faute. Le
compositeur Grétry étudia à Saint-Denis.
N’oublions pas que nous nous trouvons ici au bord de la Sauvenière,
devenu ici la rue de la Régence. La tour de Saint-Denis, construite en grès
houiller à la fin du XIe s. faisait donc partie de la première enceinte de la
ville.
Devant la place Saint-Denis, ancien cloître puis marché au Fromage
et au Beurre, le biez de Saint-Denis actionnait deux moulins. La fontaine
date de 1836. Cette place fut le centre de l’industrie potière. On y voit
l’imposante façade, avec haut soubassement de moellons, de la maison
Baar-Lecharlier, l’ancien hôtel de la poste impériale de Cologne, datant
des XVI-XVIIèmes siècles. Elle dépendait du chevalier de Lantremange,
directeur des postes impériales dans la principauté de Liège.
18
Un cadavre dans une île
Le bief de la Sauvenière était ici, à l’approche de son confluent avec
l’autre bras de la Meuse, encombré d’îlots. Dans un de ces îlots on assista
à la fin du XIème siècle à un spectacle curieux. Poursuivi par la haine des
papes et excommunié, l’empereur Henri IV avait été déposé et incarcéré
par son fils, Henri V. Il réussit à fuir et se réfugia à Liège, « une ville fidèle
où il pouvait trouver un asile dans son infortune » 11. Mais y tomba
malade et en 1106 y mourut. Durant la promenade nous verrons l’endroit
où il serait décédé. L’évêque ordonna qu’il soit enterré dans la cathédrale,
« comme il convenait à un roi » mais le fils du défunt, sur le conseil des
princes, fit déterrer le corps pour le placer « dans un local non consacré…
dans une île de la Meuse où aucun office divin n’eut lieu sur son corps, si
ce n’est qu’un moine de Jérusalem, venu là par hasard, y chantait nuit et
jour des psalmodies… Henri V fit ensuite porter le cadavre à Spire où le
peuple le plaça dans la nécropole impériale…Mais l’évêque local fit à
nouveau exhumer le cadavre et le plaça dans une chapelle non
consacrée» 12. Des années après le corps d’Henri IV fut enfin enterré dans
la cathédrale de Spire auprès de ses aïeux.
C’est donc quelque part ici, à l’emplacement de l’actuelle rue de la
Régence, que pendant des années reposa dans l’opprobre le cadavre d’un
empereur condamné par le pape.
Vers la maison de la Violette et la Grande Boucherie
A partir de la collégiale Saint-Denis ont été tracées les rues de la
Cathédrale et Léopold pour ouvrir l’ancien quartier. La rue de la cathédrale
et la rue Léopold forment les axes principaux de réaménagement. Tout ce
coin, entre Saint-Lambert, Saint-Denis et le Marché constituait un lacis de
ruelles auquel la vie moderne a mis de l’ordre sans faire disparaître tous
les vestiges du passé. Nous errons ici entre l’antique Sauvenière, le bras
principal de la Meuse et le Marché.
Avant de quitter Saint-Denis, nous voyons la rue Sainte-Aldegonde
appelée jadis jadis « Derrière Saint-Denis ». Le nom rappelle l’existence
en cet endroit d’une église adjacente à la collégiale, érigée en l’honneur
d’Aldegonde, vierge de haute noblesse, qui aurait vécu vers l’an 630 dans
le Hainaut et partagé ses biens entre les monastères et les pauvres.
L’église, mentionnée en 1309, reconstruite au XVIIe s., fut désaffectée en
1803 quand la collégiale Saint-Denis devint église paroissiale.
La rue de la Cathédrale tire son nom de la collégiale Saint-Paul,
promue en tant que siège de l’évêque après la disparition de la cathédrale
Saint-Lambert. Nous en parlerons dans la troisième promenade. Elle date
du XIX e s. et relie le Pont d’Avroy à la rue Léopold. Entre la rue Sainte11
Itaque Leodi ubi eum fidem et fortunae suae receptaculum invenisse (Vita Heinrici IV imperatoris,
W. Wttenbach (éd.), MGH, Hanovre, 1856, p. 36.
12
Annales Hildesheimenses, G.H. PERTZ (éd.), MGH SS 3, Hanovre, 1839, p. 54-57.
19
Aldegonde et celle du Souverain Pont, elle a absorbé la rue du Dragon
d’Or, une des voies les plus anciennes de la cité dont le nom provenait
d’une enseigne. Là un artisan, Ignace Brecher, précurseur de Tussaud,
exhiba en 1766 sa collection de figures de cire. On peut voir en passant la
rue de l’Aîte, ou du cimetière qui longeait le cimetière de SainteAldegonde. Elle se trouvait au milieu du quartier du Chafour, du nom des
fours à chaux qui s’y trouvaient
Plus loin la rue de la Cathédrale traverse une ancienne rue, appelée
à droite la Rue Chéravoie dont le nom viendrait de « Chereau Voie » ou
rue des Charrettes et à gauche rue du Souverain-Pont. Nous sommes à ce
carrefour à l’emplacement des murailles de Notger où une porte et un
pont avaient été était aménagés pour permettre le passage entre le
fleuve et le pied de la rue baigné par les eaux d’un vivier, appelé le port
de Chéravoie, extérieur au rempart. La rue de Chéravoie a possédé le
dernier béguinage de Liège, le béguinage d’Heur, qui servait d’asile à cinq
pauvres vieilles.
La rue du Souverain-Pont était à la fois une grande rue
aristocratique et commerçante. Elle regorge de maisons du XVIIIe s. Elle a
donné son nom à tout le quartier : « le Vinâve du Souverain Pont » et à
une famille patricienne médiévale car en 1177 apparaît « Nicolas du
Souverain Pont ». A l’extrémité du Souverain Pont se trouvait le château
de Bouillon d’où partait, au XVIIIe s. le service de voitures vers la
Lorraine. Au n° 39 se trouvait l’Hôtel de la famille Lantremange, qui
dirigeait la poste impériale à Liège. Les Minimes s’y installèrent
provisoirement en 1620. L’Hôtel de Xhendremael appartenait en 1488 à
Arnold le Berlier, surnommé le Houilleur à cause des mines qu’il exploitait
près de l’abbaye Saint-Laurent. Car au Moyen Age déjà la ville constituait
un centre industriel et on y exploitait les mines de charbon au milieu des
maisons. Après la maison du Lion, on voyait celle du Chêne puis au
XIIIème celle de Wassemborgh, une famille noble du Limbourg. A côté se
trouvait la maison du Miroir, divisée en 1400 en Grand Miroir et Petit
Miroir. Dans la rue se trouvait le départ des diligences vers Paris, avec
deux départs par semaine le mercredi et le samedi.
Dans la rue du Souverain-Pont La Rue Jamin Saint-Roch, ancienne
ruelle « Clingne-Oreille », a reçu son nom à cause d’une statue de SaintRoch et de Jean Jamin qui y habitait vers 1570. Dans La rue du Lombard
séjournaient au Moyen-Age les financiers lombards. Dans cette ruelle
sombre, étroite et fétide, munie à chaque extrémité d’une porte, Ursulines
puis Célestines eurent leur premier siège.
Plus loin la rue de la Cité, l’ancienne « rue sur Meuse », a été
coupée en deux par la construction de la rue Léopold. On y trouvait, près
de l’enceinte de Notger, les marchands de fer et de clous et les fabricants
d’armes.
Au coin de cette rue partent les rues Neuvice et du Pont.
La Rue Neuvice existait au XIIe s. et était recherchée par les
commerçants. Elle avait donné son nom à plusieurs familles devenues
riches par le commerce du drap et ensuite anoblies. Ainsi Henri de
20
Neuvice fonda en ville le vaste couvent des Dominicains. L’église SainteCatherine fut construite en 951 par l’évêque Farabert et agrandie en
1259. La rue du Pont constituait, avant l’ouverture de la rue Léopold en
1875, l’unique voie carrossable entre le centre et Outremeuse. L’étroite
rue du Carré, entre les rues Neuvice et du Pont, nous plonge aux temps
passés quand elle s’appelait rue Malprovée. Elle prolonge la Rue de l’Epée,
qui comme souvent tire son nom de l’enseigne d’une brasserie du XVe s.
La rue du Carré se prolonge par la rue de la Boucherie.
Nous arrivons ainsi à
l’ancienne Halle aux Viandes ou
Grande Boucherie. Au coin de la
rue du Pont et de la Boucherie,
on voit une maison du XVIIème
siècle « Au nom de Jésus
Couronné ». La grande
Boucherie, celle des
« Mangons », constituait une
véritable institution, dont le
règlement et les bâtiments
sortaient des temps anciens. En
1313 les nobles voulurent mettre
le feu à la boucherie mais furent
mis en fuite par les bouchers.
Pour faire partie de la corporation
il fallait être enfant légitime
« sans tache de déshonneur » et
Grande Boucherie
verser cent florins du Rhin d’or.
Les bouchers s’étaient fait remarquer en 1213 à la bataille de Steppes
livrée contre les Brabançons. Aussi avaient-ils le privilège le 12 octobre,
jour anniversaire de cette victoire, de sonner seuls les grosses cloches de
l’église Saint-Lambert. Dans ce bâtiment on abattait les bestiaux et on
vendait aux particuliers. On ne pouvait pas vendre du mouton en même
temps que les autres viandes et la viande de cheval n’était pas vendue. A
la façade côté Meuse était adossée une chapelle dédiée à Saint-Jean et
Sainte-Catherine qui a disparu.
En reprenant la rue du Pont nous arrivons à gauche au centre
municipal, le Marché. Nous avons aperçu la Rue de la Violette, qui a
englobé au XIVème s. une ruelle appelée Abelot le Flonir ou le marchand
de flocons. A l’angle de la rue du Pont et de la rue Féronstrée
subsistèrent longtemps une halle aux Viandes et un abattoir, appartenant
aux Vignerons.
Nous voici au centre populaire par opposition au centre épiscopal, à
l’hôtel de ville par opposition au palais épiscopal. Si le palais et la
cathédrale représentaient le pouvoir du prince-évêque, la place du marché
symbolisait celui de la ville.
21
Car sur la place du Marché se
trouve l’hôtel de ville, appelé
traditionnellement à Liège « La
Violette ».
Initialement l’échevinage relevait
de l’évêque et la municipalité a
commencé dans les cloîtres de SaintLambert tout comme la cloche banale
de la ville était suspendue dans une
tour de la cathédrale. Ce n’est qu’à la
fin du XIIème siècle que les habitants
La Violette
furent impliqués dans l’administration
de leur ville. Leurs représentants s’assemblèrent dans une maison
bourgeoise, qui avait pour enseigne une Violette, et qui devint la « maison
de le ville ». Au XIV e s. on y ajouta une prison. L’hôtel de ville était
inviolable et on y donnait des fêtes publiques L’élection des magistrats,
qui devaient prêter serment, avait lieu tous les ans. L’hôtel de ville, détruit
par le bombardement de Boufflers en 1691, fut reconstruit en 1714 et
agrandi à l’arrière sur la rue de l’Epée. En 1718 fut placé le balcon
donnant sur le marché.
Au centre de la place se trouve le Perron, symbole des libertés
liégeoises, dont les origines sont nébuleuses. Redressé en 1478 après
l’assaut de Charles le Téméraire, il fut reconstruit au XVIe s. et embelli au
siècle suivant par Jean Delcour. Au Marché se trouvait la halle des draps
de Verviers tandis que les draps de fabrication locale se vendaient à
Féronstrée à hauteur de la rue de la Rose.
Face à l’hôtel de ville se cache, dans le couloir de la Bourse, l’église
Saint-André, datant du XIIème siècle, affectée aux cérémonies de l’Ordre
Teutonique et à la confrérie des Douze-Apôtres. Le couloir remplace
l’ancienne ruelle Saint-André. Un cimetière
avoisinait l’église séparée du palais par le
jardin des princes. Celui-ci devint la troisième
cour du palais.
Comme tout rassemblement humain,
Liège avait besoin d’eau. Au XIIe s. Hellin,
abbé de Notre-Dame-aux Fonts, amena de
l’eau venant de la source, au fond SaintServais, jusqu’à la place du Marché. Au siècle
ssuivant on y amena de l’eau venant des
hauteurs de Sainte-Marguerite par « l’areine
L’église Saint-André derrière
les maisons du Marché
de la Cité ».
22
Après avoir visité une partie de l’ancienne cité et con centre
politique, nous verrons, par Féronstrée et Hors Château son prolongement
au long de la Meuse. Ce sera, lors de la deuxième promenade, la
découverte de la mystérieuse Féronstrée.
23
Deuxième promenade.
Les mystères de Féronstrée
En prolongement du Marché se trouvait une autre partie de la ville
ancienne : Féronstrée qui formait au XIIIe s. l’un des six vinâves ou
quartiers de la ville mais fut incendiée en 1143. Au premier carrefour, à la
porte d’Hasselin, nous quitterons la ville de Notger.
Féronstrée, ses ferronniers, ses drapiers.
Ancien plan du quartier
La rue Féronstrée actuelle est composée d’un juxtaposition de trois
ancienne rues : Féronstré, Saint-Jean Baptiste, Saint-Georges.
Après le Marché, Féronstrée constitue l’artère centrale de la vieille
ville, destinée initialement à communiquer avec le camp militaire de Pépin
et Charlemagne, établi à Maestricht. Son nom vient des ferronniers,
marchands de fer, maréchaux et forgerons qui y travaillaient, ce dont
témoignent les résidus de fer retrouvés en sous-sol. Au XIIème siècle les
artisans de fer s’installèrent en des endroits de la ville moins habités mais
les vendeurs de métal restèrent rue Féronstrée. S’y installèrent alors les
drapiers dont il reste des noms Rue sur les Foulons, Impasse des
Drapiers, Drapiérue, Teintenièrue, puis de riches changeurs. Le quartier se
fit huppé et nous a laissé au XVIIIème siècle de merveilleuses façades.
A l’entrée de la rue à droite, au n° 6, une plaque indique l’endroit où
serait mort l’empereur Henri IV le 7 août 1106 « en présence de son
fidèle camérier Erchembald et de son prisonnier l’évêque Bourchard de
Münster. Il leur confia son sa couronne et son glaive pour les remettre à
son fils. Il lui demanda de pardonner à tous, de se montrer indulgent
24
envers ceux qui étaient demeurés avec lui dans ses difficultés et de
l’enterrer à Spire près de ses parents » 13. Nous avons vu ce qu’il en
advint et les tribulations de ce cadavre impérial.
Au n° 11 se trouvait la maison des Lombards dont le prêt à forte
usure fut condamné par le pape en 1302. L’évêque Adolphe de Waldeck,
mitre en tête et crosse en main, vint lui-même fermer l’établissement.
Reconstruit en 1350 la maison devint au XVIe s. une hôtellerie renommée
qui servait aux réunions des drapiers. Elle donnait à l’arrière rue des Airs
que nous retrouverons. Au n° 15 la maison de la Clef d’Or, qui se retrouve
au XIVe s., fut habitée au XVIIe s. par un certain Jérôme Dujardin, qui
avait fait écrire sur la façade cette devise à la fois pieuse et optimiste :
« Dieu donne aux Dujardin / Paradis à la fin ».
L’Impasse Babylone prolongeait la rue des Airs. Au XIVe s. s’y
trouvait l’hôtel de la puissante famille des Montjoie, qui fut remplacé par
l’hôtel de l’Aigle Noir, un hôtel de réputation européenne où séjournèrent
le comte d’Artois, le roi de Suède et le prince d’Orange. En 1643 on y
déposa la dépouille de Marie de Médicis morte à Cologne et qui devait être
enterrée à Saint-Denis près de Paris. L’immeuble Séquaris a pris sa place.
L’ancienne rue de la Clef ou de la
Porte Rouge, écrasée par
l’encorbellement d’une de ses maisons,
menait à la Grande Boucherie.
Les rues Potiérue et de la Rose
marquaient le rempart de Notger. Ici à
la porte d’Hasselin, qui subsista
jusqu’au XVIe s., se terminait l’ancienne
cité. L’ensemble de Potiérue, les rues
de la Clef et de la Rose résultent de
l’existence de cet ancien rempart dont
ils formaient les abords et les fossés.
A gauche la rue de la Rose qui
existait au XIIIe s, mène à la rue HorsChâteau où nous passerons bientôt. Elle
fut appelée Tindeurrue en raison de ses
relations avec le métier des drapiers ou
En Féronstrée
« rue de la Fontaine aux deux
Pixherottes » car elle menait à la fontaine Saint-Jean Baptiste. Son nom
« la Rose » peut venir d’une maison ancienne à l’angle de Féronstrée ou
de la brasserie, dite « de la Blanche Rose », connue au XVIe s. où les
drapiers allaient se rafraîchir car la bière était la spécialité de la maison.
Un autre estaminet, très fréquenté en la rue de la Rose, était celui de « la
Fontaine d’Or ». On y servait des spécialités, comme la bière de Louvain,
dite Petermann, et de Bruxelles, la Faro, ainsi que des crevettes de mer.
Au XVe s. on y trouvait le béguinage de Surlet. Le coin de Féronstrée et
13
Annales Hildesheimenses, p. 54-57.
25
de la rue de la Rose porte le millésime 1768. A hauteur de la rue de la
Rose se trouvait la halle aux draps de fabrication locale.
A droite dans la rue Potiérue, un nom très ancien, les potiers
fabriquaient la poterie de terre, peut-être dans le fossé du rempart. A la
fin du XIIIe s. la rue était bordée d’habitations, dont celle d’Henri de
Potiérue, un des plus anciens secrétaires connus de la cour des échevins
et celle du seigneur Jean de Hénau qui donna son nom à une impasse.
A la porte d’Hasselin ou « Hasselinporte » se terminait Féronstrée et
commençait la rue Saint-Jean-Baptiste ou Saint-Jehanstrée. On y trouve
aujourd’hui le centre administratif de la ville qui a remplacé le château
Saint-Georges. Celui-ci, en avant des remparts de Notger, aurait servi
avec ses tours, ses poternes, ses fossés et son pont-levis, à défendre la
ville sur la route de Maestricht. Dès le XIIIe s avec la construction de la
seconde enceinte, le château fut abandonné. Le chroniqueur Jean
d’Outremeuse attribue sa construction au légendaire Ogier le Danois,
compagnon de Charlemagne. L’endroit fut aussi appelé Vesquecour, la
« Cour de l’Evêque , qui aurait été le tribunal épiscopal de l’évêque.
Au coin du centre administratif actuel et de la rue Saint-JeanBaptiste se trouvait l’église Saint-Jean-Baptiste, construite par Geoffroi de
Féronstrée et consacrée en 1203 par l’évêque Hugues de Pierrepont.
L’église avait donné son nom à la rue. Elle faisait initialement partie d’un
bâtiment hospitalier, érigé en-dehors des remparts, pour héberger
pèlerins et étrangers quand la porte Hasselin était fermée. Près de l’église
se trouvaient son cimetière, un hospice portant le nom de Saint-Abraham
et le siège de poste de Tour et Taxis. L’église disparut avec la révolution.
A la rue Saint-Jean Baptiste succédait la rue Saint-Georges ou
Devant Saint-Georges qui devait son nom à l’église Saint-Georges,
construite avant 1141 au coin de la rue Saint-Georges et de l’actuelle rue
Féronstrée. Elle aurait été initialement la chapelle du château SaintGeorges, bâti par Ogier le Danois et daterait de 947. La façade qui
menaçait ruine et faisait saillie dans la rue fut réédifiée en 1740. Puis en
1823, avec la transformation en église paroissiale de l’église SaintBarthélémy, l’église Saint-Georges fut vendue et détruite.
En face on voit toujours la rue de la Poule où se trouvait dans un
ancien verger le cimetière de l’église Saint-Georges. La rue, terminée des
deux côtés en arvôs, tenait son nom d’une enseigne du XVIème s. « A la
grasse Poule ». Au milieu une modeste fontaine, alimentée par l’araine
Richonfontaine, qui datait du début du XVIIe s., a disparu en 1910.
Reprenant Féronstrée nous voyons à droite au n° 114 le
magnifique hôtel d’Ansembourg, construit en 1738 en style Régence.
L’emplacement avait appartenu aux chanoines de Saint-Barthélémy qui
reçurent de Rome l’autorisation de l’aliéner. Ainsi parvint-il au banquier
Michel Willems, dont les initiales figurent dans la ferronnerie du balcon et
dont une des filles épousa le comte d’Ansembourg.
.
Le bord de Meuse
26
Nous sommes arrivés par la porte Saint-Léonard à l’extrémité de la
longue rue, regroupée maintenant sous Féronstrée, qui formait l’artère
principale de l’ancienne cité. Nous pouvons, descendant à droite vers le
fleuve, jeter un coup d’œil sur les quais. Car la rue est parallèle au fleuve
et lui était reliée par un ensemble de ruelles : rue Potiérue, rue Derrière
Saint-Jean-Baptiste, rue Derrière saint-Georges, rue de Hongrie.
A l’emplacement de la porte Hasselin nous avons déjà vu la rue
Potiérue. Avant d’arriver au fleuve celle-ci croisait la rue Barbe d’Or qui,
parallèlement au fleuve, comprenait l’impasse Saint-Augustin et le
béguinage dit de Saint-Ambroise et abritait à partir du XVIIe s. des
imprimeurs libraires connus. On appelait cette rue « En Draperie ». La rue
des Foulons, prolongeait la rue Barbe d’Or. Ces noms rappellent que le
quartier fut, dans le cours de son existence, celui des drapiers et des
membres des professions qui s’y rattachaient. Au XVIe s. avant la
construction du quai de la Batte, les foulons y utilisaient un moulin,
actionné par un biez du fleuve. Devenue vide, la place fut emplie de
cabarets et au XVIIème s. passa pour un lieu de débauche.
Près de la place Saint-Barthélémy, la Rue Hongrée rejoint à nouveau
Féronstrée et le quai. L’origine du nom « Hongrée » est inconnue : elle
proviendrait soit de la présence de nombreux Liégeois en Hongrie au
Moyen Age, soit de pieux plantés par foulons et drapiers dans le pré
Saint-Barthélémy, pour faire sécher leur marchandise. Le mot vient alors
du germanique hangen et se retrouve en dialecte liégeois du XVIIIe s.
dans le mot « hanguiner » pour pendre. Au XVème siècle l’actuel quai de
Maestricht s’appelait Hongrie ou Hongrée et deux siècles auparavant un
maître tisserand y logeait dans une maison appelée Hongrie. Une prise
d’eau faite au fleuve y alimentait les moulins des drapiers, Saint-Jehan
Rive. Bien plus tard la rue de Hongrée abrita l’hôtel de Brabant très bien
fréquenté, où logea en 1818 le grand-duc Constantin de Russie.
Plus loin descendait la Rue des Aveugles, dont le nom provient d’un
asile pour aveugles indigents fondé au XIVe s par Guillaume de Bèche,
maître drapier.
En aucun cas on ne peut imaginer au Moyen Age les bords du fleuve
tels qu’ils se présentent aujourd’hui. Il n’y avait pas de quai. Les façades
des maisons donnaient sur le fleuve et étaient rangées de façon irrégulière
autour d’une rue centrale, la rue de la Barbe d’Or. Au début du XVIe s. le
quai n’était qu’une simple berge, souvent submergée, emplie de fosses et
de bosses. Les chevaux remorquant les bateaux y avançaient
péniblement.
C’est à partir du XVIème siècle que naquirent les quais de la Goffe
de la Batte. Avant la rue Hongrée on trouvait le quai de la Goffe, ensuite
La Batte ou plutôt le Marché aux Biètes, car on trouvait de 1561 à 1747,
entre la rue Hongrée et la rue Saint-Jean Baptiste, le marché aux bestiaux
ainsi que tous les vendredis le marché aux Chevaux. Entre le quai de la
Goffe et celui de la Batte, dans un bâtiment isolé, fut construit en 1574
l’entrepôt et le local au Poids public, appelé aussi local de la Douane ou
Grande Halle.
27
Face à la rue Hongrée se trouvait, sous l’Ancien Régime, un vieux
port mal entretenu, par lequel des bateaux, tirés par des chevaux, faisait
la navette avec Maestricht. La compagnie des jeunes arbalétriers, « de
toute ancienneté et temps immémorial », avait la jouissance des revenus
de ce trafic. A la descente et par bon vent on arrivait en deux heures et
demie. Dans ce port il y avait un abreuvoir pour le chevaux de la garnison
et ceux des habitants du quartier. Ses abords étaient encombrés de
charrettes de houille qu’on allait décharger dans les bateaux qui y étaient
amarrés.
Curtius et Saint-Barthélémy
Retournons de l’autre côté de Féronstrée.
Sur le côté droit de la rue se trouve le « Grand Curtius », le nouveau
musée de la ville qui possède des trésors inestimables comme la Bible de
Notger. C’est l’ancien hôtel Libert, résidence de Jean Curtius puis Mont de
Piété.
Musée Grand Curtius
Jean Curtius
Jean Curtius, né à Liège en 1551, mort en Espagne à Légano, fut un
des grands hommes d’affaires du temps. Fils de notaire, mesureur officiel
des toiles, il fait une fortune dans les mines et est appelé « le plus
richissime maître d’entreprises souterraines de l’époque ». A Flémalle Il
exploite les houillères et extrait l’alun. A Vaux-sous-Chèvremont il
possède ses principales « usines à poudre à tirer ». C’est lui qui lors du
siège d’Ostende. fournit la poudre à feu pour les armées royales. Henri IV
essaye vainement de l’attirer en France. Il est aussi appelé en Espagne
pour ses procédés industriels : machines hydrauliques, forges et autres
appareils pour préparer le cuivre et le fer. Il y passe la fin de sa vie pour
trouver des mines de métaux.
Curtius devient ainsi immensément riche. Commissaire général des
munitions de guerre sous Philippe II, trésorier et fournisseur des armées
royales aux Pays-Bas, bienfaiteur des Carmes, possesseur de douze
terres, fiefs et alleux, il est anobli en 1627, vit dans un palais luxueux et
mène un grand train de vie.
28
Plus loin, protégée par un fossé, se trouvait la porte Saint-Léonard,
où le 26 octobre 1467 les milices de la ville subirent le choc de l’avantgarde des troupes bourguignonnes.
Avant cela se découpe dans le ciel
la collégiale Saint-Barthélémy,
consacrée en 1015 par l’évêque Baldéric
et achevée à la fin du XIIe s. On y
ajouta en 1782 un portail néo-classique
et en 1706 on avait substitué au
plafond initial de bois une voûte
moderne en briques. Les cloîtres, qui
entouraient le transept et le chœur,
furent démolis en 1862. Sous le tour
Saint-Barthélémy
d’Ouest il y avait un second chœur, un « Westbau » caractéristique du
style roman germanique. L’édifice, en style rhéno-mosan, contenait des
fonts baptismaux, coulés en une pièce vers 1110 par Renier de Huy et
commandés pour l’église Notre-Dame-aux-Fonts qui attenait à la
cathédrale Saint-Lambert. Ils sont exposés actuellement à côté de la
collégiale.
La place Saint-Barthélémy qu’on appelait « pré Saint-Barthélémy »,
servait au moyen Age de siège à la cour du chapitre et comprenait la
petite chapelle de Saint-Servais. Les terrains autour de la collégiale
étaient couverts par une immunité spéciale : On ne pouvait transporter un
criminel des prisons de Saint-Léonard vers le lieu du supplice au travers
de ce territoire. Aux XVII et XVIIIèmes siècles cette immunisation fut
supprimée et les terrains avec leurs maisons sécularisés.
Entre la place Saint-Barthélémy et la rue de la Poule on voit la rue
des Brasseurs qui s’appelait auparavant Pourceaurue ou rue des
Pourceaux. On y trouvait des débits de boisson et des étuves qui
dégénérèrent souvent en maisons de débauche. Leur façade principale
donnait souvent sur la rue Hors-Château.
De l’autre côté de la collégiale se trouvait l’ancienne l’église
paroissiale Saint-Thomas, parallèle à la collégiale, dont il est fait mention
en 1215. Jusqu’au XVIème s. s’y trouvait la maisonnette et le jardinet
d’une recluse. L’église, qui menaçait ruines, fut restaurée en 1731 mais
envahie en 1790 par la populace qui pendit le curé en effigie. La Rue de la
Chaîne, fermée par un arvô, donnait sur la nef de cette église et tenait
son nom de l’ancienne chaîne qui fermait le territoire de SaintBarthélémy. L’église fut démolie en 1856 et remplacée par la Place CrèveCœur, du nom de la houillère de Crève-Cœur datant de 1500. Derrière le
chevet de Saint-Thomas la rue « Derrière Saint-Thomas » était peuplée
de chanoines et de chapelains. On y trouvait aussi au XVe s. le béguinage
de Saint-Thomas. La Rue Delfosse est l’ancienne rue Devant SaintThomas. Plus loin les six cent degrés grimpaient la colline tandis que le
faubourg Vivegnies « vieux vignobles », réunissait armuriers et mineurs.
29
On voyait à l’entrée, près de la Porte Vivegnis et de son large fossé venant
de la Meuse, le couvent des Carmélites chaussées.
Entre ville et vergers : la Rue Hors-Château
Face à l’église Saint-Thomas, à côté de la collégiale SaintBarthélémy, commençait la rue Hors Château qui courait ensuite sur le
flanc de la colline, parallèlement à Féronstrée. Elle nous reconduira
derrière le palais.
Cette voie pittoresque est coupée de
ruelles, dont celles de droite montent sur la
colline, qui convenait parfaitement aux
vignobles ou aux jardins d’agrément et, celles
de gauche vers Féronstrée, où nous les avons
déjà aperçues. De nombreux ordres religieux
s’y fixèrent : les Franciscains, les Ursulines,
les Carmes Déchaussés, les Capucines et les
Carmélites Chaussées. Il s’agit là d’une vieille
rue, qualifiée de « rue vénérable » au XIVème
siècle par le chroniqueur Jean d’Outremeuse
et déjà en 1189 de Extra Castrum. C’est
qu’elle était tracée en-dehors du rempart de
Notger.
Tous ces endroits se caractérisaient par
Une impasse Hors-Château
les premières mines de charbon, creusées de
ci de là au milieu des maisons et des jardins, tel Rencheval, un puits de
houillère creusé en 1483 où l’on travaillait à 80 m de profondeur. Il était
toujours en activité en 1544. Mais il y avait d’autres puits dans les
environs : ceux de Muré Bure, de la Providence, de Trixhe, de Bealrewart,
de Grettelifou. Les araines, des galeries souterraines, assuraient
l’écoulement des eaux d’infiltration des mines.
Nous voyons à notre droite l’Impasse de la Vignette ou ruelle Ravet
ou des Raisins. Elle conduisait aux vignobles, plantés sur la colline,
appelée au Moyen Age « Thier des Vignes », et dont les viticulteurs
devaient utiliser le pressoir de la maison de la Vignette, installée au coin
de la ruelle. On tenait aussi dans cette ruelle des marchés, comme le
marché aux fruits. Le monastère de Robermont y avait son refuge.
L’impasse de la Vignette était suivie, entre les n° 59 et 61, par l’
Impasse du Champion, ouverte par un arvô, où une enseigne rappelait les
anciens combats judiciaires quand les parties en cause pouvaient louer les
services d’un combattant, un « champion » ou Pugil. Le combats
judiciaires, admis par l’empereur Othon I en 967, furent ensuite
condamnés par de multiples décrétales des papes. On en cite encore un
au XIVème siècle entre les « champions » de l’abbé Robert de Saint-Trond
et Henri de Holbeke. Cette impasse, ainsi que celle du Burge ou du Berger
à côté, disparut au XIXe s. Elles étaient peuplée, voire surpeuplée,
d’ouvriers drapiers.
30
Nous arrivons ainsi à un ensemble,
toujours existant, formé par l’impasse de la
Couronne, celle de l’Ange et l’ancien couvent
des Capucines.
L’impasse de l’Ange, voisinant
l’ancienne maison du Papegay, fut ainsi
nommé de l’image d’un ange à son entrée.
Mais on l’appelait aussi rue Destordeur,
croyant qu’il s’agissait d’une ancienne
famille. En fait le stordeur est un grand
pressoir, mû par des chevaux ou par la
rivière, qui servait à presser les fruits ou
l’huile. Il y avait plusieurs stordeurs banaux
en Hors-Château pour permettre aux
vignerons de presser le raisin des vignobles
Hors-Château.
sur la colline et en faire du vin, moyennant
un droit à payer au chapitre Saint-Léonard. Cette impasse communique
par l’arrière avec celle de la Couronne dont le nom venait de la brasserie
située depuis le XVIème siècle à l’entrée : la « Maison delle Coronne »,
surmontée d’une couronne sculptée qui fut martelée sous la révolution.
Entre la rue de Burge et la rue Destordeur se cachait le couvent des
Capucines, un ordre particulièrement strict fondé à Naples en 1538 par
Laurence Longa, introduit à Liège en 1616 par deux filles dévotes :
Cornelia Libotte et Jeanne de Herck, et installé en cet emplacement en
1628. Les Capucines, qui suivaient la règle la plus sévère de Sainte-Claire,
avaient une sortie dans la ruelle Destordeur. Le couvent, mis sous la
révolution aux enchères publiques, n’en perdit pas sa vocation religieuse.
Son acquéreur, la famille Frésart, le donna à une congrégation d’origine
liégeoise, les Filles de la Croix. Fondé en 1829 par les demoiselles Haze
pour l’instruction gratuite de filles indigentes, ce groupement fut reconnu
en 1833 par l’évêque de Liège et en 1851 par le Vatican. Leur chapelle
date de 1862.
On trouve un peu plus loin l’impasse Venta. Ce nom signifie vanne,
porte pour retenir et lâcher les eaux. On retrouve dans ce nom le vestige
de l’ancien système hydraulique de la cité : la rue Hors Château était en
effet longée par une branche de l’ancienne Legia et se trouvait sous la
colline Sainte-Walburge d’où pouvaient survenir de fortes pluies. La
« Venta » ou ruelle des Waines servait donc à régulariser le régime des
eaux. Cette impasse appartenait au seigneur Radulphe Surlet et
hébergeait un béguinage pour cinq femmes pauvres.
Du côté gauche de Hors Château et face à l’impasse Venta nous
avons vu la rue de la Poule ou de la Grasse Poule qui donnait accès à la
rue de Féronstrée. La rue Velbruck, après celle de la Poule, remplit un rôle
semblable. Créé pour arriver plus facilement à la rue Hors-Château en
évitant les ruelles de la Rose et de la Poule, elle fut tracée à la place d’un
hôtel important, qui avait formé aux XV-XVIèmes siècles la résidence de la
31
famille de Warfusée puis des seigneurs d’Argenteau d’Ochain. L’évêque
d’Augsbourg y était descendu en 1740.
L’hôtel fut racheté par la ville en 1783 à la mort du
comte d’Argenteau et remplacé par la rue qui tient son nom
d’un prince-évêque, François-Charles de Velbruck, né près
de Dusseldorf, un homme pacifique, populaire, grand
partisan de l’instruction à tous les degrés, ami des lettres et
des sciences, créateur de la Société libre d’Emulation, et
qu’on dit même avoir été franc-maçon.
Velbruck
Plus loin la rue de la Rose, à hauteur de la fontaine de
Pisserole, menait elle aussi à Féronstrée, où nous en avons vu l’extrémité
à la hauteur de la porte Hasselin. La présence des drapiers l’a fait appeler
« Tindeurowe ».
Au n° 40 de Hors-Château une maison patricienne était devenue
vers 1770 l’hôtel de la Cour de Londres où descendirent de grands
personnages comme Gustave III roi de Suède qui se rendait en 1780 aux
eaux de Spa. En 1787 Mirabeau, revenant de Berlin, y séjourna et se
serait écrié durant un banquet offert en son honneur : « Que pouvez-vous
désirer encore, Messieurs les Liégeois ? Nous ne cherchons, nous, à faire
une révolution que pour obtenir quelques-unes des garanties que vous
possédez depuis des siècles ».
La rue Hors-Château a gardé de beaux vestiges et de nobles
souvenirs. Au n° 61 un hôtel harmonieux en style Régence abrita de
riches bourgeois ennoblis: Jean-Christophe Van der Maesen, seigneur
d’Avionpuits en 1766, M. de Crumpipen en 1791. Au n° 13 l’hôtel de
Stockem de Heers, qui date du XVIIIème siècle, hébergea la famille de
Sélys puis les barons de Stockem, qui occupèrent les plus hautes charges
de la principauté. Ce fut Antoine Casimir, baron de Stockem de Heers, qui
fut le dernier évêque suffragant de Liège puisqu’il fut sacré en 1793 sous
le titre d’évêque de Canope. Au n° 31 l’hôtel de Sauvage, devenu maison
de la douairière de Loverval, se mua en 1800 en un couvent occupé
successivement par les Sœurs Grises et les chanoinesses
de Saint-Augustin.
Car la même rue vit se succéder les ordres religieux.
D’abord l’église des Carmes Déchaussés qui fut retirée au
culte en 1794, reprise de 1838 à 1964 par les
Rédemptoristes sous le nom de Saint-Gérard. Désaffectée
elle existe toujours. De style Louis XIII, elle date du de la
Ancienne église
première moitié du XVIIème siècle. Elle porte les Armoiries
des Carmes
de l’évêque Maximilien-Henri de Bavière (1650-1688). La
déchaussés
réforme ces Carmes, due au XVIème siècle à Sainte
Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, fut introduite à Liège en 1617
par le père Thomas de Jésus, propagateur de l’ordre dans les Pays-Bas.
Les Carmes en furent expulsés en 1797 mais l’ordre des Rédemptoristes,
installé à Liège en 1833, reçut le couvent abandonné. La statue de l’autel
central est l’œuvre de de Jean Delcour. La crypte, en-dessous de l’église,
32
contient les tombeaux des anciens Carmes. Les Carmes chaussés, qui
avaient refusé la réforme, se trouvaient dans l’ile, rue des Carmes.
A côté des Carmes s’installèrent en 1627 les Ursulines, dont il nous
reste une impasse. Elles étaient logées dans une vaste demeure,
appartenant à Gérard Ghyssens, qui comportait brasserie, jardin,
vignoble, les droits sur le charbon à extraire du sol et une carrière de
grès, encore exploitée au début du XIXème siècle Ce couvent, spécialisé
dans l’enseignement des filles, devint le lieu de prédilection des meilleures
familles et prospéra rapidement. Il essaima d’ailleurs à Huy, Cologne et
Ruremonde. Les Ursulines achetèrent des maisons voisines entre autres
la Maison du Fer à Cheval joignant leur couvent, et construisirent leur
église en 1660 à l’angle de la rue Montagne de Bueren et Hors Château.
La grande porte du couvent se trouvait à gauche de l’église. On leur
reprocha l’influence du Jansénisme et de donner à leurs élèves un travail
manuel, ce qui concurrençait les Métiers. En 1776 elles édifièrent dans la
ruelle un école gratuite pour filles mais s’y ruinèrent. La communauté
périclita et en 1817 mouraient les deux dernières religieuses. Il en reste
l’impasse des Ursulines qui donne dans la Montagne de Bueren avec, sur
la pente le Béguinage du Saint-Esprit, fondé en 1614.
Chez les Cordeliers et les Chevaliers teutoniques
Nous arrivons chez les Mineurs. Il faut entendre par là non les
ouvriers mineurs mais les frères Franciscains qui, à l’extrémité de la rue
Hors Château occupaient un vaste ensemble. Il nous en reste bien des
traces. Ils faisaient partie de la branche réformée de l’Observance et se
ceignaient d’une corde, ce qui leur donna le nom de Cordeliers. Ils vinrent
à Liège en 1220 sous la direction du frère Julien, formé par saint François
lui-même. Ils s’installèrent d’abord au séminaire épiscopal puis le prince et
la cité leur donna cet endroit entre le palais, la colline et le marché, de la
rue Moray aux vieilles Waynes (draperie) et au Péry (au Poirier), avec des
vignobles couvrant la colline et un mur qui clôturait l’ensemble. Le
couvent profitait du droit d’asile, « ung lieu franc et immuny », même
pour les morts.
De ce couvent, il nous reste la Cour des
Mineurs, l’église et le cloître. On y accède par la
rue Mère Dieu et la rue Moray, dont le nom
provient d’un habitant du XVIIIe s. et signifie
« noiraud ».
A côté des Ursulines l’impasse du Fer à
Cheval allait en équerre vers la rue de la Mère
Dieu qui précédait directement le couvent des
Franciscains et doit son nom à la statue de la
Vierge qui y était exposée dès le XIIIe s. Près de
la rue Mère Dieu se trouvaient l’hôtel de Grady ou
Sklin, du nom d’un distillateur, l’hôtel Baré de
Rue Mère-Dieu
Surlet, maître de Liège en 1436 et celui de
33
Mérode, où se réunirent les états provinciaux au début du régime
hollandais.
En face de la rue Mère Dieu se trouve une fontaine décorée d’une
statue de Saint-Jean Baptiste sculptée en 1667 par Jean Delcour. La
fontaine existait déjà au XIVème siècle. On l’appelait Pixherotte ou
Pisseroule, ce qui correspond à « Pissotière ». Comme elle avait deux jets
c’était « la fontaine à deux Pixherottes ». Jusqu’au XIVe s. cette rue était
également appelée rue de la Fontaine car elle menait l’eau d’une branche
de la Legia vers Hors-Château. Sur le côté de la rue Mère Dieu a été
remontée en 1950 la façade de la ferme Samuel d’Angleur (Kinkempois)
qui appartenait à l’abbaye cistercienne du Val-Benoît. On y voit les armes
de Marguerite de Saint-Fontaine, abbesse de 1631 à 1652.
L’église des Franciscains, devenue paroissiale et dédié à SaintAntoine, fut consacrée en 1244 et restaurée en 1425. Il en reste le chœur,
les nefs et la sacristie. Sa façade, ses voûtes et sa décoration datent de
l’époque baroque. En son église la confrérie des médecins, chirurgiens,
barbiers, faisait célébrer une messe à la fête de Saint-Cosme et Damien,
leurs patrons. Nulle église à Liège ne renfermait autant de monuments
funéraires. On y concluait des contrats de mariage. A partir de 1577 la
ville y eut son arsenal et remisait ses canons dans une salle sous le
dortoir. La voiture de guerre de Napoléon, capturée par les Prussiens
après Waterloo, fut exposée dans la cour des Mineurs avant de partir sur
Berlin. Entre l’église Saint-Antoine et la rue Mère-Dieu se trouvait le
cimetière des Frères Mineurs.
Le quadrilatère claustral, de style
mosan, est millésimé XVIIe s. Il est relié
à la maison Chamart par une galerie
jetée au-dessus d’un arvô, ce qui permet
le passage entre les deux cours. La
maison Chamart, dont la façade est
animée d’ancres, chaînes était jadis la
résidence du provincial et la bibliothèque
et aujourd’hui le musée de la Vie
Wallonne.
Cour des Mineurs
Outre les Frères, les cours voyaient
s’assembler de nombreux métiers : tailleurs, les tisserands, les pêcheurs.
En face du couvent se trouvaient au Moyen Age les hôtels du
chevalier Radulphe et des familles de Hologne, Parfonriwe, Jean d’Aix,
tous personnages puissants et opulents. Ces hôtels joignaient le rieu dit
« le Bougnoux » qui continuait une des branches de la Legia, devenu
ensuite l’impasse du Bougnoux. Il s’y cachait aussi le béguinage SaintAndré, créé au début du XVème siècle.
La rue des Mineurs, une des plus anciennes de la ville, descendait du
couvent vers la Marché. Traversée perpendiculairement par le rempart de
Notger, elle se terminait initialement par une porte. Une branche de la
Légia, voûtée au XIXème siècle, coulait le long de l’emplacement des
34
maisons de droite, appelée la « riwe des Mineurs ». Les maisons du côté
gauche ont peu changé.
Les maisons 17 et 19, qui touchaient à l’arrière au jardin du prince,
étaient connues au XIIIe s. sous le nom de Beau Jardin. Elles étaient
données aux Festeau du Jardin, chambellans et huissiers héréditaires du
palais des princes. Le fief passa en 1421 à Jean de Seraing, échevin de
Liège, qui en céda une partie à l’église Saint-André. A côté un arvô
conduisait au cimetière Saint-André.
De l’autre côté de la rue se trouve toujours une ruelle appelée Sur
les Airs. Il y passait jadis les rempart de Notger en direction de la porte
Hasselin, rue Féronstrée. Le nom provient des arcades rentrantes de la
muraille.
Si on retourne vers le couvent des Frères Mineurs et que l’on prend
à gauche, on se trouve à l’actuelle rue du Palais, appelée jadis « rue
Derrière le Palais ». Elle se séparait en rue Basse Pierreuse, qui partait à
droite sur la colline, et à gauche en rue « Dessous les Chéneaux » ou
« dessous les Chenaz », à cause des conduite d’eau d’un moulin. En effet
une branche de la Légia, « le faux rieu », parcourait la rue dans toute sa
longueur à ciel ouvert avec de petits ponts pour permettre le trafic. Ce
ruisseau sale et étroit fut voûté en 1666. Près de la troisième cour du
palais les habitants du quartier disposaient d’un puits séculaire, appelé le
ralhet puits parce qu’il était à ciel ouvert. Au XVIIIe s. on y trouvait l’hôtel
luxueux du Canal de Louvain dont partait la diligence pour Hasselt.
De la rue du Palais, un sentier grimpe vers
une tour du XVème siècle : la Tour des Vieux
Joncs. C’est ce qui nous reste d’un des baillages de
l’ordre teutonique. Cet ordre, fondé en Terre
sainte, à l’instar des Templiers et des Chevaliers de
Malte, revint en Europe après la prise de Jérusalem
et fut partagé en douze grands baillages. Celui des
Vieux Joncs, institué près de Bilsen vers 1218,
envoya des frères se fixer à Liège où ils édifièrent,
rue du Palais au pied de la Pierreuse, un vaste
ensemble avec des jardins en terrasse, des
gloriettes et un corps de logis sur la rue. Sur ces
Tour des Vieux Joncs
hauteurs vinrent les Minimes.
Au haut de la rue Hors Château et de la rue des Palais se trouvait la
citadelle Sainte-Walburge. A son origine on y trouvait la porte SainteWalburge qui fut transformée en 1255 en forteresse par le prince Henri de
Gueldre après la révolte du chef populaire d’Henri de Dinant. Il la
constitua la châtellenie et fief héréditaire au profit d’Arnould de Rixingen,
maréchal de l’évêque. Lors d’une nouvelle révolte elle fut détruite. Mais en
1650 Maximilien Henri de Bavière la fit réédifier. Après de multiples
avatars la forteresse fut démantelée en 1891. Il n’y a plus à y voir que
des parcs.
35
Ainsi se termine, entre le palais et les collines, la promenade qui
nous a menés, par Féronstrée, la porte Hasselin, les bords de Meuse,
Saint Barthélémy et Hors Château à travers l’ancienne cité.
Il nous reste à voir le Publémont avec la collégiale Saint-Martin et
l’ancienne île avec la cathédrale Saint-Paul et la collégiale Saint-Jean.
Le Mont Saint-Martin vers le Publémont
36
Troisième promenade.
Le Mont du Peuple et l’Ile déserte
Nous allons, partant du palais, monter à la basilique Saint-Martin au
Publémont. Partant de la place du palais nous prendrons successivement
les rues Saint-Pierre, Sainte-Croix, Saint-Hubert, Saint-Martin. Jadis cette
colline entière était couverte d’une épaisse forêt.
Nous descendrons ensuite par les Bégards, traverserons la
Sauvenière et verrons dans l’ancienne île les quartiers de la basilique
Saint-Jean, de la cathédrale Saint-Paul, de l’abbaye Saint-Jacques pour
nous retrouver à l’endroit où la Sauvenière rejoignait le bras principal de
la Meuse.
Ces endroits sont caractéristiques et contrastés. Au Publémont, une
colline aisément défendable, on fut sur le point d’établir le centre de ville.
L’île, qui n’en est plus une, fut par contre longtemps délaissée à l’extérieur
des remparts.
En montant vers le Publémont
Nous partons du côté latéral du palais, laissant la place SaintLambert à notre gauche. Ici, à l’actuel square Notger, se trouvait le chevet
de la collégiale Saint-Pierre et à côté de Saint-Clément. La montée vers le
Publémont par les rues Saint-Pierre, Saint-Hubert et Saint-Martin offre des
régals d’architecure.
La collégiale Saint-Pierre avait été fondée en 714 par saint Hubert
sur la partie basse et essartée de la colline. Grimoald fils de Pépin de
Herstal y fut assassiné et les Normands détruisirent l’édifice. Il fut
reconstruit en 929 par l’évêque Ricaire, qui en fit une collégiale de 30
canonicats. Son chapitre avait le pas directement après celui de SaintLambert et sa crypte constituait un lieu de pèlerinage populaire. Le jour
même de l’entrée des troupes françaises en 1792, l’église fut convertie en
écurie et détruite en 1810. Derrière la collégiale, face au palais, courait La
rue Derrière Saint-Pierre, où l’on voyait les colonnes ou colombes de
Saint-Pierre. A ses côtés se trouvait sa filiale : la petite église SaintClément et Saint-Trond datant du début du XIIe s qui disposait d’un
cimetière particulier à l’emplacement du square Notger. Aux alentours
certaines maisons canoniales ont subsisté.
Devant la collégiale à gauche la rue des Mauvais Chevaux ou
Degrés Saint-Pierre descendait vers la place Verte devant le porche de la
cathédrale Saint-Lambert. Mais nous prenons la rue Saint-Pierre, en droite
ligne devant la collégiale disparue. On y voit au n°1 au fond de la cour,
l’hôtel de Jean Brixi, chanoine de Saint-Pierre en 1556, au n°5 l’ancien
hôtel du chapitre de Saint-Pierre, datant de la fin du XVIIIe s., au n°
13 l’ancien hôtel de Grady datant de 1780 où naquit César Franck,
37
au n°15 l’hôtel de Liévin van der Beke ou
Torrentius, qui fut chanoine de Saint-Pierre
avant de devenir évêque d’Anvers.
Nous arrivons à ce qui fut au Xe siècle le
plateau inculte, sauvage et désertique de la
Haute-Sauvenière.
Au coin des rues Saint-Pierre et de la
Haute-Sauvenière, on longe la Collégiale
Sainte-Croix, fondée en 979 par Notger avec
15 chanoines dont le nombre fut ensuite
doublé. Les chanoines étaient envoyés à
Cologne, Paris ou Louvain pour suivre des
études universitaires. La collégiale est du type
« Hallekirche »(avec trois nefs de hauteur
Collégiale Sainte-Croix
égale) avec deux chœurs. Le chœur
occidental, d’inspiration rhénane, date de 1200, le reste de l’édifice est
gothique. Les chapelles sont du XVe s. La collégiale remplacerait un
château que l’avoué de Liège voulait construire en cet endroit et que
Notger remplaça par une église et une école. On y voyait les cloîtres
reconstruits au XVIIIème s, de multiples maisons canoniales, une prison
et la Clef de Saint-Hubert offerte par le
pape lors de la visite de saint Hubert à
Rome ainsi qu’une « invention de la Croix »
de Bertholet Flémal (1614-1675) qui ornait
jadis le maître autel.
La Rue Sainte-Croix, jadis « rue
Devant Sainte-Croix » relie la rue SaintPierre à la rue Saint-Hubert.
Après la collégiale Sainte-Croix, nous
faisons un détour pour prendre à gauche la
rue de la Haute-Sauvenière. Nous nous
trouvons ici dans de quartier de la
Sauvenière Sabulonaria. Il formait un
Sainte-Croix
territoire franc et protégé, dont les
habitants se proclament « bourgeois delle Sauvenière » et étaient dirigés
par une cour particulière composée d’un maire nommé par le prévôt de
Saint-Lambert et entouré d’assesseurs. Le quartier ne fut annexé à la ville
de Liège qu’en En 1287 à la Paix des Clercs. On y voit à gauche la porte
cochère du refuge des chanoines d’Aix-la-Chapelle, les « Messieurs d’Aix »
et au n° 12 l’hôtel de Soër de Solières, ancien hôtel d’Elderen, construit
en 1555-1560 par le chanoine Guillaume d’Elderen, président du conseil
privé de l’évêque et attribué à Lamber Lombard. Il y reste aussi l’hôtel de
Bocholtz agrandi et transformé au XVIème siècle par Arnold de Bocholtz et
à la place Saint-Michel l’ancienne petite église Saint-Michel.
38
Nous remontons vers la rue principale, devenue la rue Saint-Hubert
qui était fermée aux extrémités par des arcades. A l’angle de la HauteSauvenière se trouvait en face du puits de Saint-Hubert la maison de « La
Pommelette ».
Dans la rue Saint-Hubert on voit d’abord la plus petite église de la
ville : Saint-Nicolas aux Mouches, Consacrée par Réginard en 1030,
restaurée en 1494 pour une paroisse de cinq ménages. Le nom viendrait
d’un miracle de saint Nicolas guérissant la ville d’une épidémie de
mouches.
Ensuite venait l’église paroissiale Saint-Hubert qui dépendait de
l’abbaye Saint-Hubert et a été sans doute fondée par celle-ci. Saint
Hubert, qui avait succédé à saint Lambert au début du VIIIe s., transféra
le siège épiscopal à Liège. Son corps a été transféré en 822 à Andage
devenue Saint-Hubert. Cette église, démolie en 1855 se trouvait à la place
des trois maisons de droite avec ses nefs parallèles à la rue. Sa tour
ogivale à flèche élancée fut construite en 1440-1532. C’était un centre de
pèlerinage où fut fondée en 1644 la Confrérie des Pèlerins du Grand SaintHubert aux Ardennes.
La rue du Mont SaintMartin continuait la rue SaintHubert jusqu’au sommet de la
colline du Publémont où trônait la
collégiale Saint-Martin. La rue et
la collégiale se trouvaient à
l’intérieur des remparts de
Notger étirés à cet effet.
Dans cette rue on trouve
encore des hôtels de maître,
dont les jardins à l’arrière
Hôtel de Sélys Longchamps
descendaient en gradins vers la
Sauvenière. Ainsi voit-on au n° 9-11 le merveilleux bâtiment Renaissance
de l’hôtel de Sélys-Longchamps. Il porte ce nom de la famille SélysLongchamps qui l’a restauré au début du XXe s. Remontant à la première
moitié du XVIe s., il a appartenu à Jean de la Cange, à Humbert Marsille
de Freloux en 1366, à de Warcke, en 1710 à de Gomzée puis au comte de
Méan de Beaurieu futur archevêque de Malines qui y habitait en 1789. Il
faut voir à l’arrière la superbe tour,
appelée « Grosse Tour de Saint-Martin en
Mont» qui date du XIIIe s. Elle faisait
partie de l’enceinte de la ville et surplombe
l’île, la Meuse et toute la vallée
A côté, au n° 13 se trouve l’hôtel des
comtes de Méan ou de Barbanson. Il a,
comme toutes les demeures anciennes,
une longue histoire. Y résidèrent
successivement depuis le XIVème siècle
Jean châtelain de Montenaeken, Jehan le
Hôtel de Méan
39
Bel seigneur de Rumicourt et de Hermalle, La Marck, seigneur d’Arenberg
et grand maïeur de Liège et Guillaume comte de Lumay. Ce dernier est
fameux pour avoir dirigé la prise de La Brielle par les gueux de mer et
remporté ainsi la première victoire sur les Espagnols. Il mourut
empoisonné en cet hôtel. Y passèrent aussi en 1578 le duc de Nevers puis
le duc d’Aerschot et la famille princière de Barbanson, parente des
d’Arenberg pour entrer à la fin du XVIIe s. dans la maison de Méan. La
façade intérieure de l’hôteldate de 1620.
Au n° 15-17 se trouvait le refuge de l’abbaye de Herckenrode qui
devint l’hôtel Warnier de Lavoir. Le portail date du début du XVIIIe s.,
les façades intérieures du siècle précédent. La maison suivante fut
achetée en 1421 par Elisabeth de Clèves et de La Marck, comtesse
palatine du Rhin, duchesse de Bavière. La famille de Clèves y resta plus
de cent ans. Au n° 23 la maison du XVIIIème siècle abrite à l’arrière une
maisonnette du XVIe s. accrochée à flanc de colline.
Au n° 25 se trouve la première maison de la paroisse SaintRemacle, le Béguinage Saint-Martin qui a cinq siècles d’existence et dont
l’administrateur en chef était un chanoine de Saint-Martin.
Au n° 31-39 l’hôtel de la famille Van den Steen de Jehay mélange
les styles, ogival et toscan. Après avoir appartenu à Gérard Chevalier,
prébendier de Sainte-Croix, tréfoncier de Saint-Lambert, chancelier du
prince Evrard de La Marck, il passa dans la famille van den Steen de 1641
à 1866. Y passèrent à la fin de la période
napoléonienne et au début du XIXème s. des
personnalités fameuses : Napoléon, Blücher, le
prince royal de Suède, Guillaume I et ses deux
fils, l’empereur de Russie, le roi Léopold I. Le
n° 43 abritait l’Hôtel de Fassin, qui fut
bourgmestre de Liège. Il appartint au XVI e s.
à une branche de La Marck. Il a aussi abrité les
Juncis dont plusieurs furent bourgmestres aux
XVI-XVIIe s.
Nous sommes arrivés en haut de la
colline du Publémont à la collégiale SaintSaint-Martin
Martin.
Le «Mâle Saint-Martin »
Cette merveilleuse église gothique, perchée tout en haut sur la
colline fut le théâtre d’un massacre atroce mais faillit initialement devenir
le centre de la ville.
La colline faillit devenir le centre de la ville. Après les pillages des
Normands et les Hongrois et la menace permanente du seigneur de
Chèvremont, l’endroit semblait plus facile à protéger que la plaine autour
de Saint-Lambert. D’autre part Eracle ancien doyen du chapitre de Bonn,
nommé évêque par Brunon, archevêque de Cologne et duc de Lotharingie
mais surtout frère de l’empereur Othon I, n’était guère aimé par la
40
population. Il voulut donc transférer le centre de la ville, la cathédrale et
son palais vers le Publémont, où il se sentait plus à l’abri. Mais son
successeur Hubert ramena les reliques de Lambert au lieu de sa passion
et fit ainsi basculer à nouveau le centre de Liège.
Il nous reste, perché au haut de la colline, la
superbe collégiale gothique de Saint-Martin, intégrée
par Notger dans le système défensif de la ville. Elle
était desservie par trente chanoines qui, comme les
autres collégiales, abandonnèrent à la fin du XIIe s la
vie commune. Elle conserva jusqu’à la fin de l’Ancien
Régime son école collégiale « pour tout écolier ».
Contre la tour se trouvait au XIIIe s. la maisonnette
de la recluse Eve, « l’empirée » ou empierrée. La fête
du Saint-Sacrement ou Fête Dieu, due à sainte
Julienne de Liège pour commémorer la présence réelle
Julienne de Cornillon
du Christ dans l’Eucharistie, fut instituée dans cette
collégiale pour être en 1264 étendue à toute l’Eglise.
En 1131 eut lieu à Liège un concile, où se retrouvèrent le pape
Innocent II, Lothaire II, Bernard de Clairvaux, de 32 archevêques et
évêques, 53 abbés mitrés et une multitude de princes. Lothaire II y fut
couronné, l’antipape Anaclet condamné et les prêtres mariés
excommuniés. Une longue discussion y mit aux
prises Bernard de Clairvaux et le nouvel empereur
qui réclamait le droit aux investitures. Le pape avait
été accueilli à la porte Saint-Martin par le souverain
et suivit jusque Saint-Lambert le chemin que nous
venons de monter. Pour montrer publiquement sa
soumission au pouvoir pontifical, Lothaire II avait
tenu jusqu’à la cathédrale, tel un humble écuyer, les
rênes du cheval pontifical14.
Dans la nuit du 3 au 4 août 1312, lors du
conflit entre plébéiens et patriciens, ceux-ci finirent
par se réfugier dans la collégiale Saint-Martin que le
foule incendia et où la plupart périrent dans le feu.
C’est ce qu’on appelle le « Mâle Saint-Martin ». La
collégiale fut à nouveau pillée en 1468 par les
troupes de Charles le Téméraire et reconstruite au
début du XVIe s., sous l’impulsion d’Erard de La
Marck (1505-38) en style gothique archaïsant.
De l’édifice antérieur demeure la tour massive
Saint-Martin. La tour
et du cloître l’aile orientale transformée en chapelle
d’hiver. Le chœur date de 1511-1530, la nef de la seconde moitié du XVIe
s. On y trouve le sarcophage de l’évêque Eracle, la statue de Notre-Dame
de Saint-Séverin en chêne polychrome datant de 1480 et quatorze
14
MANSI, 21, p. 474.
41
médaillons en marbre blanc, conçus pour la chapelle du Saint-Sacrement
par Jean Delcour. L’édifice, perché au haut de la colline a fière allure.
Au n° 53 de la rue Saint-Martin jusqu’à l’angle de la rue des
Bégards. se trouvait l’ancien palais de l’évêque Eracle, qui s’y réfugia en
954 lors de la dévastation des Normands. Ce fut ensuite le refuge de
l’abbaye Saint-Laurent puis vers 1616 le couvent des Jésuitesses
anglaises. Au n° 56 vécut et mourut en 1377 Maître Guillaume d’Heure le
Romain, doyen de Saint-Martin, qui laissa sa maison, ornée de riches
tapisseries, aux doyens du chapitre. On voit dans la cour un crucifix du
XVIIe s.
En descendant vers la Sauvenière
Nous quittons le Publémont vers la Sauvenière et l’ancienne île par
la rue ou l’escalier des Bégards qui rappelle le couvent de ces Religieux
pénitents du tiers ordre Saint-François au bas de la colline. Cette rue,
appelée aussi Thier des Bégards ou Degré des Bégards, qui commandait le
passage de la Basse Sauvenière vers Saint-Martin, était bordée par les
remparts et fermée aux deux extrémités. Il en reste la tour des Bégards
et les remparts de 1483. En haut de l’escalier au coin de la place SaintMartin, se trouvait la modeste église paroissiale Saint-Remacle en Mont,
construite vers 1000 et détruite en 1809. Elle dépendait de la collégiale et
abritait une recluse. A l’arrière du n°27 on voit le charmant hôtel Chaudoir
datant de 1762, qui contraste avec cet environnement médiéval.
Descendant des Degrés des Bégards se trouvait dans un jardin l’étuve
Muguet. Comme la plupart des bains publics elle acquit au XVe s. une
mauvaise réputation sous le nom de la Male Maison ou maison mal famée,
elle fut transformée en pressoir ou « stordoir ».
Avant de traverser le boulevard voyons la rue de la BasseSauvenière qui longeait ce bras de la Meuse, en contrebas du Mont SaintMartin. Cette rue très ancienne desservait les maisons construites au long
de l’eau, les refuges des abbayes de Stavelot et de Malmédy et les hôtels
du comte d’Argenteau et de la famille Maillart. Les Capucins y
séjournèrent en 1626 dans la maison Bethléem avant de s’installer HorsChâteau. Au XIVème siècle Isabelle de Clermont y fonda le Béguinage
Delle Chapelle.
Ce bourg était distinct de la cité et relevait du prévôt de l’abbaye
Saint-Lambert.
Nous arrivons à la Sauvenière qui constituait jadis un des bras,
navigable et poissonneux, de la Meuse et enserrait une grande île située
initialement hors des remparts. On y plaça des moulins avant de la voûter
en 1844 et de la transformer en boulevard. On trouve mention de la
Sauvenière Sabulonaria dans un diplôme de 1107 de l’empereur d’Henri V
et en 1230 le chapitre de Sainte-Croix possèdait une brasserie in
Sabuleto.
Nous traversons le boulevard de la Sauvenière, pour atteindre ce qui
fut une île. Il y avait là jadis un passage dangereux pour les bateliers car
42
le courant, à cause de la courbe de la Meuse, y était violent. On l’appelait
au XIIIème siècle Rolandgoffe, le « gouffre de Roland ». L’origine du nom
est inconnu : le neveu de Charlemagne ou un certain Roland qui habitait
derrière Saint-Jean au XIIIe s ? Le bord de l’ile était appelé rivage SaintJean ou Derrière Saint-Jean ou rivage de Roland Goffe. Un bateau faisait
la navette avec le rivage des Bégards en face. En temps de troubles on
tendait une chaîne de la rive Saint-Jean à la tour de Bégards.
Ancienne Ile
Saint-Adalbert et Saint-Jean
Au trottoir d’en face, jadis le rivage de Saint-Jean, nous arrivons à la
Collégiale Saint-Jean, fondée en 983 par Notger pour remercier Dieu de sa
victoire sur le seigneur de Chèvremont. Antérieure à celle de Saint-Denis
sur laquelle avait droit de préséance, elle avait été pourvue de revenus
importants par l’empereur Othon III. Ainsi touchait-elle touchait l’octroi
de la foire de Visé, la dîme de tout le quartier et la possession du biez et
du moulin Saint-Jean sur la Sauvenière.
43
Mais la nomination de son prévôt
de Saint-Jean appartenait au chapitre
de Saint-Lambert. Notger, qui s’y
réfugiait souvent, lui légua son
évangéliaire et fut enterré sous sa tour.
Des recluses vivaient dans des cellules
de pierre. De passage à Liège en 1416
l’empereur Sigismond y communia sous
les deux espèces.
Le plan octogonal est identique à
celui de la chapelle palatine construite
Saint-Jean
par Charlemagne à Aix-la-Chapelle. Ses
dimensions sont identiques. La base de
la tour est du XIème s., son sommet du XIIème, La Sedes Sapientiae du
XIIIe s., comme les vestiges de calvaire qui séparaient la nef du chœur
car le chœur de 1200, reconstruit en 1354, était séparé de l’église.
L’église fut reconstruite, sur le plan de l’église originale, en 1754-1760 par
Gaetano Matteo Pisoni, qui s’inspira à cette occasion de Santa Maria della
Salute à Venise. L’avant-corps occidental est le seul qui subsiste de la
construction originale.
Les révolutionnaires français
enlevèrent l’argenterie, le mobilier, les
dîmes, transformèrent les cloîtres en
écurie et l’église en prison. En 1804 le
préfet en fit un magasin de fourrage.
L’église fut à nouveau consacrée au
culte en 1808. Le groupe de la SainteTrinité au-dessus de l’autel provient de
l’ancienne église Saint-Adalbert.
La Place Xavier Neujean est
l’ancienne place Saint-Jean, jadis une
des places les plus importantes de la
ville, où se tenait le marché aux
Légumes dans la seconde moitié du
XIXe s. On y trouvait auparavant le
refuge des religieuses Bernardines du
Val Notre-Dame, l’hôtel de Villenfagne
où fut assassiné en 1637 le
Saint-Jean. Cloître
bourgmestre Sébastien La Ruelle par le
comte René de Warfusée qui l’avait
traîtreusement invité pour un banquet.
A l’entrée de la place se trouvait la maison décanale qui touchait au
rivage de Saint-Jean. Au coin de la rue du Diamant il y aurait eu le séjour
de retraite de Notger se tenait place Saint-Jean.
Au bord de la même place il y avait l’église paroissiale SaintAdalbert. En effet si l’île lentement se peuplait, il n’y n’avait pas d’église
paroissiale et, pour obtenir les sacrements, il fallait traverser l’eau. Seule
44
Notre Dame aux Fonts, à côté de la cathédrale, pouvait d’ailleurs conférer
le baptême. Apprenant le martyre en Prusse et la canonisation de son ami
Adalbert de Prague, Notger éleva cette église au début du XIe s. et lui
accorda le droit de procéder au baptême. Cela n’alla pas sans un long
conflit entre les deux églises. Il fallut, pour donner à l’église SaintAdalbert le droit d’administrer le baptême et de donner l’extrême-onction,
une réunion synodale tenue à Saint-Lambert et sa confirmation par
l’empereur Henri V. Avant la construction de l’église Saint-Martin en l’Ile,
près de Saint-Paul, la paroisse de Saint-Adalbert recouvrait toute l’île.
La Rue de la Casquette, ou chapeau en fer, nom dû à une enseigne
au XVIIe s., s’appelait antérieurement Grande Rue Saint-Jean ou Grande
Rue Saint-Adalbert. Elle abritait des béguinages, entre autres au coin de la
rue Saint-Adalbert le béguinage d’Heure, au coin de la rue Bergerue le
béguinage Saint-Adalbert ou du Faucon fondé en 1298 et au n° 24-38
celui de Saint-Abraham datant du XIIIe s. Cer nier, pourvu d’une chapelle
spacieuse, servait d’hôpital en cas d’épidémie.
Le Carré
Entre la rue de la Casquette et Saint-Paul s’étend un quadrilatère de
rues parallèles, appelé « Le Carré ». Il s’agit là d’une ancienne
urbanisation systématique d’un endroit longtemps désert. Ces ruelles
parallèles sont traversées perpendiculairement par l’axe de la rue du Pot
d’Or de du Pont d’Ile pour continuer, sous d’autres noms, vers la rue du
Pont d’Avroy et la place Saint-Paul.
La première rue à gauche est la Rue des Dominicains. Le prieuré des
Frères-Prêcheurs, célèbres par leur savoir et leur éloquence, fut établi
entre 1234 et 1242 et chargé de réprimer les hérésies. Le couvent
occupait, entre la rue des Dominicains et un bras de la Meuse,
l’emplacement de l’actuel opéra royal
de Wallonie. Une nouvelle église, munie
d’un énorme dôme fut commencée en
1674. Près des Dominicains se trouvait
la brasserie des Dominicains transmise
au XVIIIe s. à la famille Dejardin. La
rue comprenait en outre deux
béguinages, celui des Maxhurées ou
des Machurées, avec des béguines
vêtues de noir, et celui de la Vierge
Marie. Elle continue, après avoir
traversé la rue du Pont d’Ile, par
Vinave d’Ile, l’artère principale de
l’ancien quartier de l’île, une rue
aristocratique, lieu de manifestations
publiques et de processions, décoré par
Vinave d’Ile
la fontaine du Perron, une statue de la
Vierge dûe à Jean Delcour en 1695. Vinave signifie des maisons contiguës.
45
Puis vient la Rue Bergerue ou Mangerue ou de la Mangonie
(boucherie) qui donnait sur la boucherie générale et comprenait le
béguinage de la Risée dépendant du couvent des Dominicains.
Suit la Rue Saint-Adalbert, une des plus anciennes
de la ville, qui reliait les lieux de culte Saint-Adalbert,
Saint-Jean et Saint-Paul. Elle continue jusqu’à la place
Saint-Paul par la Rue du Mouton Blanc.
Cette dernière, appelée également au cours des temps,
rue de Bernard, rue Bibawe, rue Cœur d’Or, tient sans
doute son nom de Gilles Mouton qui y habitait en 1276
ou de la Maison du Mouton Blanc, un hôtel public. En
1673 le comte d’Arberg y assassina à coups de dague le
baron d’Argenteau. Monterey, gouverneur des Pays-Bas
espagnols d’où venait le coupable, exigea, sous peine de
ravager la principauté, que celui-ci lui fût livré pour être
jugé devant ses propres tribunaux.
Saint Adalbert
Parallèlement à la rue Saint-Adalbert, la Rue
Saint-Jean ou rue Saint-Jean l’Evangéliste ou Saint-Jean en Ile, créée dès
le XIe s pour permettre l’accès à la collégiale, est bordée de maisons à
sayettes du XVIe s. Elle comprenait la maison de Juprelle, devenue en
1266 un béguinage par testament de sa propriétaire Anne de Dinant, et
celle de Marie-Catherine de Flémalle qui la légua au vicaire de SaintAdalbert. On y voyait aussi la maison Au Griffon d’Or et au n° 20 l’hôtel de
Stockhem. La Rue d’Amay ou de la Cigogne ou Arnould de Saint-Laurent
la prolonge. Jean d’Ama ou Amay, bourgmestre de Liège en 1619, y
habita au n° 10 dans une maison toujours existante. On y voit une.
luxueuse maison patricienne, avec tourelle d’angle, datant du premier
quart du XVIe s.
Enfin la Rue des Célestines, prolongée par la rue Tête de Bœuf,
parallèles aux rues Saint-Jean et d’Amay, termine le carré. La rue des
Célestines tirait son nom du couvent des sœurs Célestines ou Annonciades
Célestes, un ordre fondé en 1601 à Gênes par Marie-Victoire Fornari et
arrivé à Liège en 1627. Leur couvent, à front de rue, possédait un jardin
qui s’étendait jusqu’à la Sauvenière et bloquait le passage de la rue de la
Casquette vers la rivière. Le refuge du Val Saint-Lambert, qui bloquait le
passage de la rue du Pot d’Or vers la rivière, au XIV e s. A côté de ce
dernier, vécut Conrard de Méan, chanoine de Saint-Jean. A l’hôtel
Crassier, construit en 1717, résidait le comte d’Oultremont de Wégimont,
frère d’un l’évêque de ce nom et dans l’hôtel voisin le seigneur de
Schwartzenberg, originaire d’Allemagne, et drossart de Stockem.
La Rue Tête de Bœuf forme le prolongement de la rue des Célestines
et s’arrête à la rue du Pont d’Avroy. Son nom qui date du XVIe s provient
d’une enseigne de brassine ou débit de bière. Elle fut aussi appelée rue
des Coquins, du fait des mendiants hébergés dans un hôpital près de
l’église Saint-Christophe de l’autre côté de la Sauvenière.
Les rues du Pot d’Or et du Pont de l’Ile traversent à angle quasi droit
ces rues parallèles. Elles séparent donc la rue des Dominicains et Vinâve
46
d’Ile, les rues Saint-Adalbert et de la Mangerue, Saint-Jean et d’Amay, des
Célestines et Tête de Bœuf.
La rue du Pot d’Or allait jadis de la rue des Dominicains à la rue des
Célestines où, comme nous venons de le voir, elle était arrêtée par le
refuge de l’abbaye de Val Saint-Lambert. Elle s’est appelée rue du Lavoir
car un lavoir occupait jusqu’en 1255 l’emplacement de ce refuge. Plus tard
un couloir voûté en-dessous du refuge permettra toujours d’atteindre la
rivière mais il fut supprimé en 1765 cat il permettait l’entrée frauduleuse
de marchandises en ville. A l’angle de la rue Tête de Bœuf on trouvait
aussi le refuge de l’abbaye du Val Benoit, acheté en 1378 par les dames
du monastère à Matthieu d’Aldenraede de Maestricht. A l’angle de la rue
Saint-Adalbert il y avait la maison du Pot d’Or dont l’enseigne, datant du
Moyen Age, donna le nom à la rue. A l’angle de Vinave d’Ile partait le char
à bancs qui faisait la navette avec Chaudfontaine. Le coin de la rue SaintJean date du XVIIe s.
Le Pont d’Ile continuait la rue du Pot d’Or et permettait de relier l’île
à la cité en surplombait six bras de la rivière, leurs îles, leurs jardins, leurs
moulins et un petit port. Près de la collégiale Saint-Denis, à son arrivée
dans la vieille ville rue de la Wache, se dressaient une porte fortifiée, qui
datait du rempart de Notger, un crucifix, donné en 1770 aux Carmes
déchaussés, le pilori érigé en 1496 et la potence. Le pont initial en bois,
qui datait de la première moitié du XIe s., s’effondra sous le poids de la
foule lors d’une la procession en 1196. Reconstruit en pierre avec douze
arches en 1242, il fut pourvu des deux côtés de maisons, dont 23
appartenaient au couvent des Chartreux. On y trouvait de nombreux
horlogers. A la rue Lulay des Febvres, tracée sur un des îlots, s’étendait
depuis 1315 la Propriété des Pauvres en Ile, qui remplaçait l’hôtel
d’Everard d’Ile, échevin en 1284. Rappelons que sur un de ces ilots reposa
longtemps le corps de l’empereur Henri IV, mort en 1106, et exhumé de
la cathédrale parce que l’empereur avait été excommunié. Dès le XVIIIe s.
le pont disparut progressivement et plusieurs voûtes en furent
transformées en caves. Le cours d’eau fut comblé vers 1815 et le pont
transformé en rue.
La nouvelle cathédrale : Saint-Paul
Le pont d’Avroy fut construit en pierre avec quatre arches au Moyen
Age pour unir le quartier de l’Ile au faubourg Saint-Gilles. Suite au
voûtement de la Sauvenière il fut supprimé en 1831. Son entrée était
défendue du côté de la ville par une porte fortifiée. A l’angle de la rue Tête
de Bœuf, on voyait en 1439 la brasserie du Chevalet et au début du
XVIIIe s. la Maison des Trois Morianes. La rue du Pont d’Avroy devient
après Saint-Paul la rue de la Cathédrale, percée en 1842. Elle englobe les
anciennes rues du Dragon d’Or, du Crucifix et Sainte-Aldegonde.
47
Saint-Paul
A l’angle de la place Saint-Paul se trouvait l’immeuble du « Chapeau
de Fer ». La rue s’arrêtait à la place Saint-Paul ou place Devant SaintPaul, devenue place de la Cathédrale, aménagée sur un ancien terrain bas
et bourbeux envahi fréquemment par les crues de la Meuse. On y voyait
l’hôtel d’Oultremont, évêque en 1763, et l’église paroissiale Saint-Martin
en Ile construite au début du XIe s. reconstruite
en 1440 et vendue en 1798. Il en reste un nom
de rue. A l’arrière se trouvaient les ilots qui
formaient l’embouchure de la Sauvenière, avec la
rue de la Sirène, rue Derrière Saint-Martin, rue
Pont Mousset, rue Lulay des Febvres, parmi un
mélange de moulins, de ruelles, d’ilots et de pans
de rivière.
Sur la place on décapitait des condamnés.
Le fond de la place était occupée par la
collégiale Saint-Paul, devenue cathédrale SaintPaul en 1802 en remplacement de la cathédrale
Saint-Lambert. La première église est dûe à
Eracle vers 965-971 et consacrée
vraisemblablement par Notger en 972. Le
caractère marécageux du sol rendit sa
construction difficile. Initialement romane, pillée
Saint-Paul. Chaire.
par les Brabançons en 1212, elle fut reconstruite
très lentement en style gothique primaire. Les trois galeries des cloîtres
mentionnées dès le XIème furent reconstruites au XVème siècle en style
48
gothique tertiaire, les grandes verrières datent du XVIème s. sur des
cartons de Lambert Lombard. Le clocher fut terminé en 1812 sur le
modèle de celui de l’ancienne cathédrale Saint-Lambert. Le portail
occidental place Saint-Paul, élevé entre 1538 et 1544 est un compromis
entre la Renaissance et le gothique, avec à son sommet la conversion de
Saint-Paul. On voit dans la cathédrale au-dessus du chœur un Christ en
croix du XIVe s., une vierge à l’enfant de 1230 et un Christ gisant en style
baroque de Delcour. Les chanoines y entretenaient des écoles réputées et
possédaient dans les cloîtres une importante bibliothèque.
Devant le porche de la cathédrale se trouve l’actuelle Place SaintPaul, jadis « place Derrière Saint-Paul », bordée de demeures canoniales
et de territoires claustraux pourvus d’immunités. Entourée d’arbres
renversés par l’ouragan de 1606, elle fut le théâtre de joutes. Ses
maisons joignaient à l’arrière soit la rue du Pont d’Avroy, soit la rue des
Clarisses, comme au n° 1 l’hôtel des barons de Zieve, au n° 9 le refuge de
l’abbaye de Floreffe qui s’y fixa en 1286, et au n° 2 le refuge de l’abbaye
d’Aulne, construit au XVIème s. en gothique tardif. Avec la ruelle d’Aulne il
devint le bureau de Bienfaisance.
A droite la Rue Hazinelle, ou « Trou Hazinelle » doit son nom à
l’hôtel de la famille Hazinelle qui y habita depuis le XVIIe s. Cette rue
s’appelait jadis Rivage Saint-Paul car elle descendait vers la Sauvenière et
était protégée par un postiche pour en défendre l’accès.
A gauche la rue Saint-Rémy, qui rappelle
l’ancienne église paroissiale Saint-Rémy, conduit
à l’abbaye Saint-Jacques dont la construction en
1015 attira une population d’artisans en ces
terrains incultes, broussailleux et sauvages. Pour
desservir ces nouveaux habitants Olbert de
Gembloux, le premier chef de l'abbaye, procéda
en 1040 à l'érection de Saint-Remy. Cette petite
Notre-Dame de
église, d'architecture romane et sans prétention,
Saint-Rémy
connut un curieux destin car elle possédait une
statue de la Vierge tenant le Christ mort. Sous le nom de « Notre-Dame
Consolatrice des Affligés » ou « Notre-Dame de Saint-Remy », cette
effigie accomplit des miracles, fut invoquée dans toute la principauté et au
XVIIème s. attira les foules.
L’abbaye bénédictine de SaintJacques fut fondée en 1015 par le
prince-évêque Baldéric II, successeur
de Notger. Dès le début, son école
monastique fut célèbre et l'abbaye
florissante. Certains de ses moines
fondèrent le monastère de Lubin en
Pologne. Lors de la destruction de la
Collégiale Saint-Pierre, elle devient la
Collégiale Saint-Jacques puis en 1801
Saint-Jacques
une église paroissiale. L’église
49
gothique, dont la construction fut achevée en 1538, remplaça l'église
romane primitive, dont il ne reste que l'avant-corps et une des trois tours.
Le portail Renaissance ajouté en 1558 est attribué à Lambert Lombard. Il
faut voir la nef, véritable dentelle de pierre, les 150 clés de voûte dans la
nef centrale, les stalles du XIVe siècle, le buffet d'orgues Renaissance, le
vitrail du XVIème s. avec les armoiries des 32 vieux métiers, les statues
baroques de Del Cour et le couronnement de la Vierge, sculpté au
XIVe siècle.
Entre l’église Saint-Jacques et l’emplacement de l’église Saint-Rémy
court, parallèlement à la rue des Clarisses, la rue du Vertbois, jadis
peuplée d’édifices religieux ou hospitaliers, comme « Les Incurables » sur
un terrain légué en 1701 par le baron de Surlet, vicaire général. Le nom
de la rue provient, soit des terrains vagues et broussailleux qui s’y
trouvaient avant l’urbanisation, soit d’une enseigne d’auberge du XVème
siècle figurant un rameau vert.
On remonte vers la rue des Clarisses bordée à sa droite par le
couvent des Sœurs Grises édifié au XVIème s. puis par le vaste couvent
des Clarisses. On arrive à la rue des Rue des Carmes, qui existait au XIIIe
sous le nom de la rue Devant les Carmes au long de l’ancien couvent des
Carmes. Ce couvent a cédé en 1882 la place aux halles centrales. Le
couvent des Carmes fut installé à Liège en 1249 sous l’évêque Henri de
Gueldre. L’église en fut reconstruite en 1737. Les Carmes déchaussés, qui
suivaient la règle plus stricte instaurée par Thérèse d’Avila et Jean de la
Croix, s’installèrent rue Hors-Château. Parallèlement à la rue des Carmes
se trouve la rue Sœurs-de-Hasque, du nom du couvent des Sœurs de
Hasselt qui s’y installèrent en 1493.
A l’extrémité de la rue des
Carmes se trouvait le couvent des
Jésuites en Isle. L’endroit était
initialement un des îlots à
l’embouchure de la Sauvenière. En
1495 s’y installèrent les Frères de la
Vie Commune qui se consacraient à
l’enseignement. En 1581 les Jésuites,
protégés par l’évêque Ernest de
Bavière prirent leur place jusqu’à la
suppression de l’ordre à la fin du
Jésuites en Ile
XVIIIème siècle. Leur enseignement
connut un grand succès. Le couvent fut agrandi et embelli en 1651.
Pour faciliter l’accès au collège un pont, le pont des jésuites, relia
dès 1595 le couvent à la ville. Ainsi quittait-on l’ile et retrouvait-on la cité
à la collégiale Saint-Denis que nous avons visitée.
Conclusion
Nous n’avons fait que parcourir cette ville au lointain passé. Les
hasards politiques l’ont coupée de son passé impérial, princier et
50
épiscopal. Le développement gigantesque de son industrie au XIXème
siècle firent sa richesse mais la privèrent de son histoire. Son intégration
dans la Belgique puis la Wallonie lui firent oublier les souvenirs de son
indépendance.
Encore ses collégiales et ses ruelles restent-elles merveilleuses à
visiter même si, au contraire de Bruges, Liège n’exploite pas entièrement
ce patrimoine.
Visitez Liège !
Courte bibliographie.
Sources :
On trouvera dans les MGH ( Monumenta Germaniae Historiae)de
nombreux renseignements de première main sur la ville impériale. Citons
entre autres les Regesta Imperii, la Vita Heinrici IV imperatoris , W.
WATTENBACH (éd.), MGH S et Gesta episcoporum Leodiensium, MGH S,
25. On peut voir aussi La Geste de Liège, par JEAN d’OUTREMEUSE et
SAUMERY, Les Délices du Païs de Liège, Liège, 1738-1744, Liège, réimpr.
Anast. Bruxelles, 1970.
Quelques études :
_ J. BROSE, Dictionnaire des rues de Liège, Liège, 1977 ; J.
DEMARTEAU, Liège et les principautés ecclésiastiques de l’Allemagne
occidentale, Liège, 1900 ; B. DEMOULIN et JL KUPPER, Histoire de la
principauté de Liège, Toulouse, 2002 ; Th. GOBERT, Liège à travers les
âges. Les rues de Liège, Liège, 1924 (6 volumes) ; J.L. KUPPER, Liège et
l’Eglise Impériale. XIe-XIIe siècles, Paris, 1981 ; G. KURTH, La cité de
Liège au Moyen Age, Bruxelles-Liège, 1909 ; J. LEJEUNE, La principauté
de Liège, Liège, 1980 ; Ministère de la Culture française, Le patrimoine
monumental de la Belgique, vol. 3, Liège, 1974.
Jacques van Wijnendaele
51
Téléchargement