
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 7 - septembre 2009 | 339
Résumé
Les adénocarcinomes de l’intestin grêle sont des tumeurs rares. Les études sur cette pathologie sont peu nombreuses,
hétérogènes et souvent anciennes. La localisation la plus fréquente est le duodénum. Leur survenue est le plus
souvent sporadique, mais il existe des pathologies prédisposantes (maladie de Crohn, syndrome génétique, plus
rarement maladie cœliaque). Les symptômes sont peu spécifiques et leur exploration reste difficile, bien que d’im-
portants progrès aient été faits récemment en matière d’explorations radiologiques et endoscopiques. Le traitement
princeps reste l’exérèse chirurgicale. Mais l’existence d’un envahissement ganglionnaire s’avère être le principal
facteur pronostique et pose donc la question du traitement adjuvant. L’efficacité des chimiothérapies n’a cependant
jamais été démontrée par des études randomisées, même en situation métastatique, bien que celles comportant des
sels de platine semblent les plus efficaces. Aucune étude prospective n’a évalué le bénéfice d’une chimiothérapie
adjuvante. D’où l’intérêt du regroupement des données sous la forme d’un observatoire, qui permettra une analyse
prospective des données thérapeutiques et épidémiologiques, afin de pouvoir proposer une référence thérapeutique.
Mots-clés
Tumeur rare
Carcinogenèse
Syndrome HNPCC
Facteurs pronostiques
Chimiothérapie
Observatoire
Highlights
Small bowel adenocarci-
nomas are rare tumours. The
more frequent primary site
is duodenum. These tumours
are most often sporadic, but
there are some predisposing
diseases (Crohn disease,
genetic syndrome and, rarely,
celiac disease). Series collecting
data about small bowel cancer
are rare, heterogeneous and
spread across long periods
of time. Clinical symptoms of
small bowel tumours are not
specific. Investigations for diag-
nosis are difficult but signifi-
cant improvements have been
made recently in radiological
and endoscopic investigation.
The main treatment is surgical
resection. The main prognosis
factor is nodes invasion. The
efficacy of chemotherapy has
never been established by
randomised trials. Chemo-
therapy with platinum salts
seems to be the more efficient
for metastatic tumour treat-
ment. No prospective study
has evaluated the benefit of
adjuvant chemotherapy. An
observatory gathering data will
therefore be useful to optimize
therapy.
Keywords
Rare tumour
Carcinogenesis
HNPCC
Prognosis factor
Chemotherapy
Observatory
viande rouge, le sucre ou les féculents augmenterait
le risque de cancer de l’intestin grêle, alors que la
consommation de fibres, fruits, légumes et poisson
réduirait ce risque (8-10).
Enfin, on connaît de mieux en mieux l’incidence de
certaines altérations génétiques, notamment dans
la carcinogenèse colo-rectale (11). Les AIG partagent
avec leurs homologues du côlon beaucoup d’aspects,
en particulier celui de la séquence adénome-adéno-
carcinome. On retrouve aussi des mutations du gène
APC ou des gènes de réparation des altérations de
l’ADN responsables du phénotype RER avec instabi-
lité microsatellite. Les AIG peuvent aussi compliquer
les maladies inflammatoires du grêle, et en particu-
lier la maladie de Crohn, après 15 à 20 ans d’évo-
lution. Ces similitudes plaident pour une parenté
génétique entre les deux types d’adénocarcinomes.
Les altérations génétiques des AIG sont résumées
dans le tableau I. Il est intéressant de noter que
les mutations de K-ras et APC semblent plus rares
dans les cancers de l’intestin grêle que dans ceux
du côlon, ce qui suggère qu’il pourrait exister une
carcinogenèse ne suivant pas la séquence adénome-
adénocarcinome, alors que ce mécanisme est majo-
ritaire dans la genèse des cancers du côlon (13).
Enfin, dans la série de M. Planck et al. (15) portant
sur 89 adénocarcinomes du grêle, une instabilité
microsatellite a été retrouvée dans 17 % des cas,
comme dans les cancers du côlon, mais qui n’était
en rapport avec une extinction de la protéine hMLH1
que dans la moitié des cas. Dans cette série, chez
les patients de moins de 60 ans, l’extinction de la
protéine hMSH2 était aussi fréquemment retrouvée
que l’extinction de hMLH1. À côté des maladies avec
altérations génétiques favorisantes, on distingue
des pathologies digestives prédisposantes, comme
certaines polyposes (polypose adénomateuse fami-
liale [PAF], syndrome de Peutz-Jeghers), le syndrome
HNPCC (cancer du côlon héréditaire sans polypose),
la maladie de Crohn, ou encore la maladie cœliaque.
La PAF est caractérisée par l’existence de centaines
de polypes adénomateux au niveau du côlon et du
rectum. Leur potentiel de dégénérescence passant
par la séquence adénome-adénocarcinome est lié
à une mutation sur le gène APC. Dans une série de
1 255 patients atteints de PAF regroupant plusieurs
registres, 57 patients (4,5 %) ont développé un
adénocarcinome du tractus digestif haut. Parmi
ceux-ci, il y avait 29 adénocarcinomes du duodénum
(51 %), 10 ampullomes (18 %) et 7 adénocarcinomes
gastriques (12 %). Le jéjunum et l’iléon correspon-
daient respectivement à 5 (8,8 %) et 1 (1,8 %) des
localisations tumorales (19). Il n’y a pas d’aug-
mentation significative du risque de développer
un adénocarcinome du jéjunum ou de l’iléon chez
ces patients (20). Par comparaison avec la popu-
lation générale, le risque relatif d’avoir un adéno-
carcinome duodénal est de 330 (IC
95
: 132-681 ;
p < 0,001), et celui d’avoir un ampullome de 123
(IC95 : 33-316 ; p < 0,001) [19]. Environ 90 % des
patients atteints de PAF développeront des polypes
duodénaux avec un risque de dégénérescence ;
Tableau I. Principales anomalies génétiques rapportées dans les adénocarcinomes de l’intestin grêle.
Études n Mutations
de p53 (%)
Mutations
de K-ras (%)
Mutations
d’APC (%)
MSI
(phénotype RER) [%]
Blaker et al.
(12)
17 – – 18 12
Arai et al.
(13)
15 27 – 20 -
Wheeler et al.
(14)
21 24 – 0 5
Planck et al.
(15)
89 – – – 18
Nishyama et al.
(16)
35 40 6 – –
Scarpa et al.
(17)
12 67 42 60 25
Svrcek et al
(18)
27 52 – – 7
Taux de mutation attendu
dans les cancers du côlon
– 40-80 40-80 40-60 15-20