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4: Bouddhisme et secte
4.1. Analyse de l’ensemble des JT
Nous trouvons trois journaux télévisés parlant de la « secte » en une relation avec le
Bouddhisme. Deux entre d’eux (C1 et C3) traitent de la Sôka Gakkai, l’organisation
bouddhiste laïque dont les pratiques religieuses et le socle doctrinal reposent sur les
enseignements de Nichiren, moine bouddhiste japonais du XIIIe siècle
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. Nous
n’avions pas évoqué ce mouvement dans la deuxième partie décrivant tous les
courants bouddhiques en France. En effet, la Sōka Gakkai est considérée par
plusieurs rapports parlementaires, comme une secte et ne fait pas partie de l'Union
Bouddhiste de France (UBF) regroupant les écoles de toutes obédiences, qui,
malgré leurs différences, se reconnaissent entre elles.
Il est intéressant de noter que les deux reportages (C1 et C3) présentés dans deux
chaînes différentes, avec trois ans d’écarts, nous livrent les différentes mises en
scène et le ton de la présentation que nous analyserons plus loin.
Pour un autre, le JT C2, intitulé « Secte » (JA2 20H, 29/05/1991), traite la
communauté de l’Aumisme, qui est également le sujet du JT A2 : Lashram (JA2,
20H, 15.08.1982), dans le groupe Bouddhisme et les vacances, précédemment
étudié. Il sera également intéressant de comparer ces deux JT, diffusés à 9 ans
d’intervalle et traités sous deux tons différents.
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Littéralement, la Sōka Gakkai veut dire la « Société pour la création de valeur ». Jusqu’en 1991,
elle était liée à la Nichiren Shoshu, une branche du Bouddhisme de Nichiren.
Créée en 1930 au Japon comme mouvement pédagogique, la Sōka Gakkai s'est transformée après la
2e Guerre mondiale pour devenir un mouvement religieux laïc. L'organisation s'est développée à
l'international et dispose aujourd'hui d'un réseau étendu à 190 pays qui revendique près de 12 millions
de fidèles.
Son activité religieuse comporte notamment la pratique du gongyo matin et soir (récitation d'extraits
du Sûtra du Lotus et de Nam Myoho Renge Kyo), l'étude de lettres et traités de Nichiren et
d'encouragements de Daisaku Ikeda ou autres responsables, et de la foi en cette religion, dans le
cadre ou non de réunions de discussion (zadankai).
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C1 : Soka gakkai (JA2 20H, 22/07/1988)
Avant d’analyser ce JT, il est intéressant de noter qu’il a été présenté le 22 juillet
1988, alors que la chaîne 2 a été amputée d’un reportage sur le Soka Gakkai,
présenté comme un exemple de secte pour l’émission « Edition spéciale », le 7
juillet.
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Dans ce contexte, nous comprenons mieux les raisons de la construction de
ce reportage.
Présentateur : « Nous vous présentons maintenant le
reportage consacré aux sectes et leur influence. Nous
prenons le risque de présenter cette enquête. Pourquoi
ce risque ? Elie Vannier »
Le présentateur introduit aux téléspectateurs le message principal du reportage,
presque déjà conclu, «le reportage consacré aux sectes et leur influence ».
Néanmoins, il tente de justifier son choix en renvoyant l’explication plus approfondie
au directeur de l’information.
Elie Vannier (Directeur de l’Information) :
« D’abord, c’est notre métier. Nous sommes
journalistes. Et nous devons présenter le plus
complètement possible à nos léspectateurs. Parce
qu’il s’agit de position de principe. En effet, si un
individu ou un groupe accepte de nous donner une
interview, nous estimons que cet accord est
irrévocable. Nous respectons la loi qui protège les
droits de la personne, mais à côté de cette loi existe la
déontologie propre à notre profession. Les ignorer
reviendrait à mettre en cause une des libertés
essentielles de la société démocratique, la liberté de la
presse. Nous ne parlons pas de secte. Même ce mot a
un sens différent selon des pays. Au Japon, par
exemple, une secte est un groupe religieux existant
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« En juillet 1988, la Soka Gakkai fit pression sur la direction d'Antenne 2. L'émission "Edition
spéciale", programmée pour le soir du 7 juillet et consacrée à l'emprise des sectes devait s'illustrer de
trois reportages, traitant des mouvements Invitation à la vie (IVI), Ecoovie, et Soka Gakkai. IVI saisit la
justice pour faire interdire la diffusion du sujet la concernant. Quant à la Soka Gakkai, mécontente elle
aussi des images tournées par les journalistes, elle exigea que le reportage soit retiré, et le fit signifier
par huissier au siège d'Antenne 2. Bien que sans valeur juridique, cette démarche suffit à faire plier M.
Contamine, le patron de la chaîne française. "Edition spéciale", au soir de sa diffusion fit pâle figure,
amputée de ses principaux reportages, comme nous l'expliquait à l'époque le "Canard enchaîné" sous
la plume de Serge Richard : " Edition spéciale ne ressemblait plus à rien. Au moins les participants au
débat en direct ont-ils tenté d'obtenir une explication de Contamine. En vain. Et ils ont alors jugé
préférable de quitter le studio. Cependant que le présentateur de l'émission, Claude Sérillon, déplorait
à l'antenne la façon dont le lobby des sectes peut faire la loi à la télévision… »
In, http://www.prevensectes.com/soka17.htm, Consulté le 23.03.2009
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dans une famille spirituelle celle du shintoïsme, du
Bouddhisme.
Le Japon justement de plus en plus présente en
France, par ses exportations et ses investissements.
Son influence apparaît aussi dans la culture et à
travers l’organisation comme Soka Gakkai à laquelle
François Dubré a consacré un excellent reportage ».
En légitimant son choix, le directeur de l’information joue avec les mots et les
phrases par crainte d’un procès en diffamation de l’organisation Soka Gakkai :
« Nous ne parlons pas de secte » alors que le présentateur a déclaré « Nous vous
présentons maintenant un reportage consacré aux sectes et à leur influence. » De
plus, il continue à suggérer, sans être explicite, aux téléspectateurs, avec la même
technique. D’abord, entrer dans le sujet par un exemple de la définition du mot
« secte » au Japon. Et la suite du commentaire concerne le Japon et ses
investissements en France ainsi que ses cultures dont l’organisation Soka Gakka.
Néanmoins, avec les opérateurs linguistiques comme « justement de plus en plus
présente en France » et « son influence » pourraient soulever le sentiment du
patriotisme chez les téléspectateurs français.
Le reportage montre deux parcours différents des membres de l’organisation : un
couple avec un enfant et une pédiatre. Le JT présente les profils socioprofessionnels
de ces deux témoins. Deux courtes séquences présentent leur vie quotidienne.
Commentaire Voix-off : « 8 heures du matin dans un immeuble moderne dans le 15
arrondissement Paris. Monsieur et Madame Chesnel se lèvent. Une journée comme
les autres commencent. Madame Chesnel est professeur d’espagnol dans un lycée
dans la région parisienne. Monsieur Chesnel est un employeur de la Chambre de
Commerce à Paris. Il est chargé d’information des cadres de plus de 300 sociétés
industrielles. »
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Commentaire Voix-off :
« 8h30 de l’autre côté de la capitale, Marie- Claude Angelique pédiatre reçoit le
premier client dans le cabinet qu’elle vient d’ouvrir. Cet après-midi elle ira travailler
dans un hôpital parisien. »
Avant de passer à la séquence de « révélation » de la pratique du Soka Gakkai, le
commentaire continue à décrire que les situations sociales des deux témoins sont
différentes. Ils sont « normaux ». « Ils vivent, travaillent, se distraient comme des
milliers d’autres parisiens ». Néanmoins, cette dernière phrase suggère déjà
inconsciemment aux téléspectateurs que ce qui va être présenté à la suite ne relève
pas de la normalité.
La séquence suivante représente une mise en scène de la pratique du gongyo
(récitation d'extraits du Sûtra du Lotus et de Nam Myoho Renge Kyo). Cette
séquence illustre un commentaire voix-off donnant l’information sur l’heure (18h30),
le lieu (l’église bouddhiste française), la durée (20 minutes), et la méthode (prière
d’une seule phrase) et le résultat de la pratique, «paraît-il donner une énergie, une
force vitale, protégeant du malheur et guérissant les maladies ».
.
La mise en scène de la pratique
La dernière phrase du commentaire, le mot «paraît-il» montre que le commentateur
ne croit pas pleinement à ce résultat. Il soulève tout de suite un débat par une
question « Comment des gens comme eux parfaitement intégrer dans la vie
sociale et professionnelle peuvent-ils croire qu’une répétition d’une phrase
peut atteindre un tel résultat ? »
La suite de reportage laisse la place aux interviews des témoins pour justifier leur
croyance et le résultat concret de cette pratique.
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Mme Chesnel : « Le fait de réciter cette phrase révéle en
nous un état de Bouddha. »
M. Chesnel :
Marie-Claude Angelique :
Nous trouvons ensuite l’information dans le même sens pour justifier leurs actions
par deux plans d’interviews de Mme Chesnel,qui explique que ce fait lui permet de
mener une vie à la fois laïque (travail, famille) et sacré (la prière) sans être coupée
du monde réel. Marie-Claude Angelique reconnaît que cette prière est un moyen
d’harmoniser le « fond » des pratiquants malgré la différence, leur apparence externe
ou leur état intérieur.
En laissant parler les témoins de points de vue positifs de Soka gakkai, le JT reprend
le modèle argumentatif avec le plan d’un homme accompagné d’un commentaire
Voix-Off.
Commentaire Voix-Off :
« Premier détail surprenant, nous navons jamais
rencontré un membre de Nichiren Shoshu hors de la
présence du dirigeant de l’association. Il n’y pas une
crainte une fois d’être manipuler ? »
Le témoin, Marie-Claude Angelique, répond à cette question qui ne surprend pas les
téléspectateurs : « Pas du tout. A l’inverse de manipulation, au contraire, je me sens
de plus en plus libre. Oui c’est le mot, c’est la liberté. »
Le reportage continue son enquête pour connaître l’organisation Soka gakkai plus en
détail en montrant la séquence du lieu de la pratique collective de la prière.
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