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L’HISTOIRESUJET 17
Le sujet
La culture
La raison et le réel
La politique
La morale
Sujets d’oral
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Introduction
L’histoire peut être vue comme un ensemble de conditions qui nous sont
imposées. Nul n’a choisi la date de sa naissance, son milieu familial, sa
société, ni, plus généralement encore, l’époque où il vit. Il est donc compré-
hensible qu’un sentiment d’oppression soit parfois ressenti par la conscience
individuelle. Ce constat est même susceptible d’être étendu à l’échelle de plu-
sieurs générations. Le monde d’après 1945, par exemple, est nécessairement
différent de celui qui précéda la guerre. Devons-nous pour autant accepter la
thèse selon laquelle nous sommes prisonniers de notre histoire ? Celle-ci
apparaîtrait alors comme une puissance fatale, étrangère à la volonté humaine.
Mais quel est le fondement de cette idée ? N’est-il pas plutôt soutenable de
dire que l’histoire est le produit des actions des hommes ? Il serait alors para-
doxal que nous puissions être emprisonnés par ce que nous faisons.
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1. Le sentiment d’enfermement
A. Être prisonnier
Un prisonnier est un être privé de liberté. Il subit des contraintes, c’est à
dire l’action de forces qui s’opposent à ses désirs ou à sa volonté. Il
n’agit pas par devoir, mais sous l’effet d’une nécessité, qui prend la
forme d’obstacles physiques, assortie de la menace de sanctions encore
plus dures si l’envie lui prenait de désobéir. Cela revient à dire qu’un être
qui se sent prisonnier ne reconnaît pas la légitimité de ce qui pèse sur
lui. Il le subit comme un phénomène dont il espère être délivré un jour.
L’histoire peut-elle être assimilée à une prison dont nous serions les
détenus ?
Cela paraît vraisemblable. L’histoire est constituée d’époques qui s’enchaî-
nent en évoluant. Ces périodes se définissent par un certain état des
mœurs, des idées politiques, des techniques, des sciences, bref, un
ensemble que l’on résume par le nom de civilisation et qui trace un cadre
aux actions des hommes. Il est donc toujours possible qu’une conscience
singulière se sente enfermée dans son époque.
B. Le poids des circonstances
Si nous suivons l’analyse de Tocqueville, la Révolution française peut appa-
raître comme un coup de tonnerre, mais l’étude du siècle qu’elle conclut
montre qu’elle n’a pas surgi de rien. Tocqueville en étudie les causes et
montre notamment comment les mentalités avaient été lentement mais
sûrement gagnées à l’idée d’égalité universelle. La montée de la bourgeoisie
dans tous les domaines de la vie publique rendait insupportable les privi-
lèges d’une noblesse devenue inutile. Enfin le développement, par la
monarchie elle-même, d’une administration efficace et centralisée, allait
aussi servir les desseins de la nouvelle république.
Il s’ensuit que tout n’est pas possible à n’importe quelle époque. Certains
individus peuvent ainsi se sentir brimés par l’esprit de leur temps. Leur désir
de liberté se heurte à la situation générale dans laquelle le hasard de la nais-
sance les a placés.
[Transition]
Cette première détermination de la question pose toutefois problème. Ne
risque-t-elle pas d’être schématique en opposant sans nuance l’individuel et
le collectif ?
2. La valeur de ce sentiment
A. La critique du sentiment d’enfermement
Dans sa préface aux Principes de la philosophie du droit, Hegel affirme que
« chacun est le fils de son temps ». Cette thèse apparaît banale, mais ses
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conséquences ne le sont pas. Hegel critique l’idée qu’une philosophie pourrait
sauter par-dessus son époque, en soutenant que cet effort se condamne à
n’engendrer que des chimères. Si une théorie entend dépasser son temps,
elle ne sera qu’un caprice issu de l’imagination de son auteur. Le monde
ainsi engendré par ce saut sera une pure abstraction, une fantaisie particu-
lière aussi inconsistante qu’une empreinte dans de la cire molle. Hegel
entend ainsi souligner qu’une pensée ou une action ne sont effectives qu’à
la condition de s’inscrire dans leur époque, pour la modifier ou pour la com-
prendre dans ses traits essentiels.
Le sentiment d’enfermement paraît de plus reposer sur une méprise.
Comment pourrions-nous subir ce que nous produisons, que ce soit à un
niveau individuel ou collectif ? L’énoncé du sujet parle de notre histoire. Il
paraît donc contradictoire de prétendre que nous la vivions comme une
puissance étrangère, semblable à la contrainte qu’un gardien exerce sur
un détenu.
B. L’aliénation
Cependant, si la critique hégélienne incite à ne pas tomber dans une opposi-
tion schématique qui facilite les plaintes rapides du sentiment, il faut
reconnaître la réalité du phénomène de l’aliénation. Cet état caractérise la
situation de celui qui ne se reconnaît pas dans ce qu’il accomplit. L’individu
se trouve ainsi placé dans une situation contradictoire et douloureuse. Il est
comme un auteur dépossédé de son produit. Marx et Freud ont, chacun
dans leur domaine, étudié la réalité de ce fait.
L’analyse marxiste de l’économie politique montre que le travailleur
dépense ses forces pour créer des richesses dont il sera spolié par les
détenteurs des capitaux et de moyens de production.
Sur le plan psychologique, Freud établit qu’un aliéné est quelqu’un qui
engendre des pensées qu’il refuse de reconnaître comme étant les siennes.
Or cette attitude est source de maux, car elle indique une soumission à
l’égard d’événements passés ou de désirs insistants, que la personne
s’efforce de nier mais qui reviennent sous la forme de symptômes. Le but de
la cure psychanalytique est justement d’aider le malade à prendre cons-
cience clairement de ce qu’il refoule afin qu’il cesse de le vivre confusément.
Un trouble vécu change de statut dès lors qu’il est nommé, identifié. La per-
sonne peut alors devenir maîtresse de son histoire au lieu de la subir.
Il semble donc avéré que nous pouvons être prisonniers de notre histoire.
Nous n’avons pas le pouvoir de décider de tout ce qui nous arrive ou de
tout ce à quoi nous participons. Un individu est toujours lié à des situations
dont la maîtrise peut lui échapper largement, voire totalement. Dès lors, le
sentiment d’emprisonnement n’est pas la plainte d’une conscience qui
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s’apitoie sur son sort, mais la manifestation d’une contradiction réelle et
douloureusement vécue.
[Transition]
L’importance de ce phénomène incite à se demander si l’aliénation pourrait
être un destin. Cela revient à prendre position sur le sens de notre histoire,
individuelle ou collective.
3. Destin et liberté
A. La pensée du destin
Destiner, c’est attribuer un lot ou une part qui ne peut être échangé. Le
destin s’oppose ainsi à la liberté puisque notre volonté ne peut rien y
changer. Notre histoire nous apparaît alors comme un processus fatal dont
les causes nous échappent et que nous ne pouvons que suivre.
La pensée antique a développé ce thème. Le destin y est un processus qui
se caractérise par le fait que les mêmes causes sont éternellement à
l’œuvre et qu’elles produisent toujours les mêmes effets. Ainsi, la puissance
de Troie fut détruite par les Grecs, lesquels succombèrent aux Romains qui
perdront à leur tour leur empire. Nul ne peut régner à jamais, toutes les
œuvres des hommes sont vouées à disparaître. Notre histoire serait donc
comme une pièce de théâtre, dont les acteurs changent sans que la trame
en soit modifiée. C’est un éternel recommencement, et la liberté humaine
n’est qu’une illusion. Nous nous agiterions sans but.
Nous pouvons toutefois répondre que cette causalité est extrêmement
générale. Il est facile de dire que toute ce qui existe finira. Cela ne suffit pas
à justifier l’idée de l’emprisonnement.
Hegel dit justement du destin qu’il est « la conscience de soi-même mais
comme d’un ennemi ». Cette définition montre qu’il n’y a pas de nécessité
aveugle mais des hommes actifs, parfois étrangers à eux-mêmes, qui
sentent que le sens de leur histoire leur échappe et qui en concluent qu’une
puissance divine les domine inexorablement.
B. La liberté en situation
Il importe dès lors d’analyser plus précisément ce point. Nous sommes
placés devant un phénomène étonnant. Les hommes agissent d’après des
projets et des valeurs qui leur appartiennent. Ils créent leur propre histoire et
se distinguent en cela des animaux, qui sont historiques mais ne le savent
pas. L’humanité a conscience d’elle-même, elle a la mémoire de ses chan-
gements. Le temps historique est donc du domaine de l’esprit, non de la
nature. Cependant, il reste vrai que tout n’est pas possible à n’importe quel
moment ou dans n’importe quelle civilisation. Sartre a pensé ce paradoxe à
partir du concept de situation. Nous sommes tous situés dans une époque,
une société, une famille que nous n’avons pas choisies. Cela vaut pour
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l’individu comme à l’échelle d’une société, et même d’un état du monde.
La situation est donc d’abord ce qui nous contient et semble s’imposer
irrémédiablement à nous. Toutefois, une situation n’est pas un destin mais
le résultat temporaire d’un ensemble de paramètres dont les hommes sont
les auteurs. Elle est donc appelée à évoluer. Sartre développe ainsi une phi-
losophie de l’action dans l’histoire où il apparaît que chaque génération ou
chaque individu rencontre des conditions objectives d’existence qu’il n’a
pas créées, mais qu’il est toujours possible de modifier en agissant. L’alié-
nation est donc le fait d’une liberté qui n’arrive pas à se réaliser, et non la
marque d’une fatalité contre laquelle nous ne pourrions jamais rien. Notre
histoire est ce que nous en faisons à travers des luttes, des oppositions,
des projets. Elle réclame de notre part un engagement afin d’en être les
acteurs plutôt que les spectateurs ou les patients.
Conclusion
Le sentiment d’être prisonnier de notre histoire est une donnée importante
de l’expérience humaine. Nous avons vu qu’il pouvait résulter d’une
complaisance à l’égard de soi, mais il est également apparu que le sujet
était plus complexe. Il est vrai que les situations d’aliénation existent. Elles
ne sont pas cependant la marque d’un destin. L’enjeu de cette question est
donc de lutter contre les phénomènes d’aliénation qui font que certains
hommes vivent leur condition comme une fatalité.
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