exergue le fait que la controverse n’est qu’une forme particulière dans un processus d’alerte,
de mobilisations des acteurs et des arguments. Elle se différencie notamment de l’affaire, de
la crise, du conflit et de la normalisation. L’affaire s’en distingue par la présence d’acteurs et
d’instances liés au pouvoir judiciaire ainsi que des formes argumentatives particulières,
notamment, associées à des modes de dénonciation ou des logiques propres rattachées à des
registres de justice. La crise diffère, quant à elle, de la controverse par un plus grand nombre
d’acteurs en présence. Le débat déborde de la communauté scientifique pour être récupéré
ensuite par des acteurs politiques, de la société civile, des citoyens, des associations, des
ONG, etc. Les logiques argumentatives se multiplient et ne se concentrent donc plus sur des
logiques de calcul, de seuil ou des rhétoriques scientifiques. Concernant le conflit, il est à
l’opposé de la controverse puisqu’il ne permet pas de mettre en relation des acteurs et des
arguments. Si le propre d’une controverse est de mettre en débat des acteurs et des jeux
d’arguments qui se rencontrent et se croisent, le conflit oppose des positions, des
représentations du monde inconciliables (Chateauraynaud, 2012). Enfin, la normalisation est
une phase de stabilisation et de durabilité, certes, relative, dans un débat scientifique, bien
souvent, atteinte grâce à un acteur externe qui permet de trancher, pour un temps, les débats.
On retrouve cette figure chez Perelman et Olbrechts-Tyteca (1988) au travers de l’auditoire
ou chez Lemieux (2007) au travers du conflit triadique et l’image du juge, par exemple. C’est
dans cette perspective que nous considérons les acteurs politiques dans le processus de
controverse en cours au sein du dossier climatique belge.
Deux questions guideront notre réflexion.
(1) De manière assez contextuelle, que se passe-t-il lorsque la controverse semble éteinte ou, à
tout le moins, en veille au sein de la communauté scientifique ? Comment d’autres acteurs,
comme les acteurs et partis politiques, reprennent la main afin d’établir des normes et choisir
une direction à donner à la controverse initiale ? La question centrale induite de ce
raisonnement pourrait être : comment ces acteurs politiques mobilisent-ils les événements, les
précédents, le passé, le présent et le futur, pour construire de nouvelles règles, de nouveaux
objectifs et de nouvelles normes ; autrement dit, sur quelles bases construisent-ils le futur de
nos sociétés et quelle place accordent-ils aux événements ?
(2) Après s’être intéressé aux jeux d’arguments des acteurs, il semble important de se
questionner sur la représentation des événements : permettent-ils de mettre en lumière les
turbulences et bifurcations des dossiers complexes et longs ou sont-ils de simples révélateurs
d’une évolution du dossier, par conséquent, demandant un arsenal complémentaire (analyse
des discours et arguments associés à ce événements, etc.) pour en identifier les bifurcations et
turbulences ? En toile de fond de cette recherche, se trouve une question beaucoup plus large
pour les sciences sociales et politiques : est-il possible de rendre plus facile et plus
automatique l’identification des turbulences et des bifurcations par le suivi des événements au
départ de logiciels informatiques ? L’analyse des événements se suffit-elles à elle-même en
vue d’identifier les bifurcations ou doit-elle être couplée à des analyses complémentaires ?
Précisons à ce stade que nos propos s’inscrivent en sociologie des événements, des
bifurcations et des turbulences (Bessin et al., 2010) et sont aborder au travers de la balistique
argumentative (Chateauraynaud, 2011). Ce qui nous importe ici c’est de suivre les jeux
d’arguments sur un dossier long et complexe. Les résultats sont présentés au départ du
logiciel Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; Piet, à paraître). D’abord, notre corpus de textes
sera présenté. Ensuite, il conviendra de définir ce que bifurcations argumentatives et
turbulences laissent apparaître. Enfin, il importera de présenter les différentes formes
d’événements rencontrés dans les discours politiques.