La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 5 - septembre-octobre 2012 | 127
DOSSIER THÉMATIQUE
professionnels entre eux, voire de l’institution. En
effet, l’incertitude, la perte de repères (cliniques
et institutionnels) ainsi que la remise en question
des pratiques sont autant de violences potentielles,
en particulier sur le soin et les soignants. Ainsi,
bien que les missions de soin aient été clairement
établies (16) et déployées par des équipes hospita-
lières indépendantes de la justice et/ou de l’admi-
nistration pénitentiaire, l’exercice en milieu carcéral
est particulièrement complexe et ardu, pouvant
transformer un partenariat nécessaire en une
collaboration délétère pour le soin. Les sollicita-
tions médicales autour de l’évaluation (diagnostic,
pronostic, évaluation de la dangerosité, du risque
auto- ou hétéro-agressif), du secret professionnel
(commissions pluridisciplinaires uniques, cahier
électronique de liaison), de la (non)-demande
(validation médicale des placements en quartier
disciplinaire, des affectations, des aménagements
de peine, octroi de remises de peine en cas de suivi
des auteurs de violences sexuelles, octroi de remises
de peine supplémentaires en cas de soins) sont
autant de mésusages potentiels du soignant et de
ses missions en prison.
Conclusion
La violence est un phénomène intrinsèque à la
prison peu étudié sur les plans médical et scien-
tifique, aucune enquête de victimisation n’ayant
été réalisée en milieu carcéral jusqu’à ce jour en
France… Sur le plan clinique, il s’agit de repérer son
origine et d’évaluer le risque d’un passage à l’acte
pour apporter une réponse adaptée. Sur le plan
pratique, toutes les violences ne relèvent pas de la
psychiatrie. Enfin, sur le plan institutionnel, ce sont à
la fois les compétences, les capacités et les qualités
humaines des personnes engagées dans la vie de
la prison (usagers et professionnels) qui pourront
apporter les meilleures garanties de gestion d’un
risque qui ne sera jamais nul. ■
1. Direction de l’administration pénitentiaire. Rapport
d’activité 2009/SD5/, version du 24 août 2010, http://
www.justice.gouv.fr/art_pix/Rapport_activite2_
DAP_2009.pdf/
2. Observatoire international des prisons. Les conditions de
détention en France. Paris : La Découverte, 2011.
3. Ludwig A, Cohen L, Parson A, Venters H. Injury surveillance
in New York City jails. Am J Public Health 2012;102(6):1108-11.
4. Wolff N, Blitz CL, Shi J, Bachman R, Siegel JA. Sexual
violence inside prisons: rates of victimization. J Urban Health
2006;83(5):835-48.
5. Reidy TJ, Sorensen JR, Cunningham MD. Community
violence to prison assault : a test of the behavioral conti-
nuity hypothesis. Law Hum behav 2012;36(4):356-63.
6. Baïs C, Lacambre M, Mura T, Courtet P. Relation between
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7. Lacambre M, Jollant F, Ben Haouïa S et al. Dépression et
risque suicidaire en milieu carcéral, enquête de prévalence
dans une population d’entrants en maison d’arrêt. Congrès
de l’Encéphale 2010, poster.
8. Falissard B, Loze JY, Gasquet I et al. Prevalence of mental
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9. Duthé G, Hazard A, Kensey A, Pan Ké Shon JL. L’augmen-
tation du suicide en France depuis 1945. Bulletin épidémio-
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12. Goffman E. Asiles, études sur la condition sociale des
malades mentaux. Paris : Les Éditions de Minuit, 2007.
13. Bergeret J. La violence et la vie. Paris : Payot, 1994.
14. Millaut F. Le passage à l’acte. Paris : Elsevier Masson,
collection Médecine et psychothérapie, 2009.
15. Mélas L , Ménard F. Production et régulation de la
violence en prison. Paris : Mission de recherche Droit et
Justice, collection Arrêt sur recherches, 2002 : 75 p.
16. Circulaire du 8 décembre 1994 relative à la prise en
charge sanitaire des détenus et à leur protection sociale
JORF n° 29 du 3 février 1995.
Références bibliographiques
Psychiatrie en milieu carcéral, de Pierre Thomas et Catherine Adins-Avinée
(Paris : rapport du CPNLF, Elsevier Masson 2012, 140 pages)
Pierre Thomas est professeur de psychiatrie adulte à la faculté
de médecine, université de Lille II, et chef du SMPR au CHRU de Lille ;
Catherine Adins-Avinée, praticien hospitalier-psychiatre, exerce
au pôle de psychiatrie médecine légale et médecine en milieu
péniten tiaire et à l’université de Lille II.
En 30 ans, la psychiatrie s’est progressivement éloignée de son
image carcérale et s’est enrichie de nouvelles pratiques fondées sur
l’alliance thérapeutique. Parallèlement, de plus en plus de détenus
souffrant de pathologies psychiatriques sont incarcérés dans les
prisons de France et d’Europe, et leurs besoins de soins et d’accompa-
gnements excèdent les capacités de réponse des dispositifs en place.
Qu’ont-ils en commun, ces patients qui entrent en prison, et pourquoi
“échappent-ils” aux soins communautaires ? Plus de comorbidités,
plus de précarité, des actes médico-légaux dont la pénalisation peut
parfois paraître démesurée par rapport à l’acte et le contexte dans
lequel il a été commis. Pourquoi la prison devient-elle le lieu de vie
des patients psychiatriques marginalisés ? Les raisons de cette évolu-
tion sont complexes et s’inscrivent dans l’articulation des politiques
sociales et pénales avec les politiques de santé. Comment délivrer
des soins en prison ? Quelle interaction est la plus adéquate avec les
personnels de l’administration péniten tiaire ? Cet ouvrage, rédigé par
l’équipe du SMPR de Lille, fait l’état des lieux de l’accès aux soins des
détenus dans les prisons françaises. Partout, les équipes des secteurs
psychiatriques et des services médico-sociaux qui interviennent
dans les établissements pénitentiaires ont mis en place, à partir des
moyens dont elles disposent, des dispositifs de soin et d’accompa-
gnement exemplaires. Parfois, ces équipes ont bénéficié d’un cadre
légal comme dans les addictions ou dans la prévention des risques ;
parfois il s’agit de créativité dans le recours aux psychothérapies,
quant à l’abord de maltraitances, à l’accompagnement périnatal des
femmes incarcérées ou encore lors de la prise en charge des auteurs de
violences sexuelles dans un cadre légal plus flou qu’en milieu ouvert.
Les intervenants en santé mentale trouveront ici des réponses à
toutes les questions soulevées par les pratiques en milieu carcéral,
questions qui concernent l’ensemble de la société.
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