UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE (PARIS IV) ÉCOLE DOCTORALE I-MONDES ANCIENS ET MÉDIÉVAUX Laboratoire de Recherche UMR 8167 “Orient et Méditeranée” POSITION DE THÈSE Pour obtenir le grade de docteur de L'UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ( PARIS IV) Discipline : Histoire et Civilitation de l'Antiquité (Thèse en cotutelle avec l'università “Sapienza” di Roma) Présentée et soutenue par : Alessia VENANZI le 9 décembre 2015 Les Araméens en Syrie du Sud aux IXe-VIIIe siècles avant J.-C. Sous la direction de : Mme Maria Giovanna BIGA (Professeur/cotuteur Università “Sapienza” di Roma) Mme Françoise BRIQUEL-CHATONNET (Directrice de Recherche, CNRS/ Paris-Sorbonne) Membres du jury : M. Federick Mario FALES (Professeur, Università di Udine) M. Lucio MILANO (Professeur, Università Ca' Foscari-Venezia) Mme Hedwige ROUILLARD-BONRAISIN (Directrice d'études, EPHE) Mme Maria Grazia MASETTI-ROUAULT (Directrice d'études, EPHE) Les Araméens sont une population nomade qui a occupé le territoire de la Mésopotamie et de la Syrie pendant l’âge du Fer I et II, ou bien au début du I millénaire av. J.-C. Les origines de cette population sont peu claires ; on trouve la première mention des Araméens dans les annales du souverain assyrien, Tiglatphalasar I (1115-1077 av. J.-C.), qui les appelle AhlamûAraméens (Armaya ?) et contre lesquels il remporte plusieurs victoires au-delà de l’Euphrate. La première question qu’on s’est posée était celle d’établir une définition de l’ « ethnie araméenne » et d’identifier des éléments qui la caractérisent. La question de la définition d’une ethnie araméenne a été le fil conducteur de ce travail de recherche et le nœud à défaire dans le débat compliqué entre anthropologie et archéologie. La définition d’une « ethnie » et des ses composants est le point principal d’où on doit partir pour l’étude d’une population, même si il est extrêmement difficile appliquer un étiquette « ethnique » à la fois pour les peuples du passé et pour ceux du présent. En effet, il est difficile d’établir quels traits de la culture matérielle sont assez signifiants pour pouvoir être en eux-mêmes des « marqueurs culturels » d’une population. Pour le travail de recherche, je suis partie d’une possible définition d’«Araméens», fondée sur l’unité linguistique, même si K. L. Younger dit : «The very désignation Aramaeans masks the fact they were not a unified group, except in general terms of language. But even in this, their diversity is reflected in the various dialects in the earliest old Aramaic Inscriptions »; pour cette raison, il faut rechercher d’autres caractéristiques bien définies permettant d’ identifier une unité culturelle ethnique, sur la base d’une comparaison avec les populations voisines, avec lesquelles les Araméens ont établi des contacts, en particulier, la population israélite. L’histoire des Araméens et l’enquête sur leur origine a été, à partir du début du xx e siècle, le sujet de plusieurs livres qui parlent de la formation des premiers États en Syrie et Mésopotamie aux ix e-viiie siècles av. J.-C. et de différents aspects de la langue et de la société. On peut citer l’œuvre de S. Schieffer, Die Aramäer : Historisch-geographische Untersuchungen, Leipzig 1911, qui constitue la première étude globale sur les Araméens en utilisant le matériel historique et les sources épigraphiques connus jusqu’à cette époque, et celle de A. Dupont-Sommer, Les Araméens, Paris 1949, qui a été la seule monographie sur le sujet pour plusieurs années. En 1987, H. Sader a publié Les États araméens de Syrie depuis leur fondation jusqu’à leur transformation en provinces assyriennes, Wiesbaden 1987, où elle analyse chaque État araméen, en prenant en considération les inscriptions araméennes et les annales assyriennes. À la suite des nouvelles découvertes archéologiques et épigraphiques, parmi lesquelles on peut citer les frontails en bronze de Samos (1988) et l’œillère d’Érétrie, sur lesquels on trouve la mention de Ḥazael, et la stèle de Tel Dan, trouvée en 1993-1994, une nouvelle œuvre de reconstruction historique a été rédigée par P. E. Dion, qui est sortie en 1997, Les Araméens à l’âge du Fer ; en 2000 le livre de E. Lipiński a été publié, The Aramaeans : Their Ancient History, Culture and Religion, qui se focalise surtout sur l’aspect topographique de la formation des États. À ces œuvres-là, on peut ajouter le volume de H. Niehr (2014) The Aramaeans of Ancient Syria, qui recueille les synthèses des différents auteurs sur les divers aspects du peuple araméen, de la société à la religion, en passant par l’art et la littérature ; en 2015, H. Gzella, dans le volume A Cultural History of Aramaic, retrace l’histoire de la langue araméenne comme un processus de développement permanent du début jusqu’à l’arrivée de l’Islam. En outre, on doit retenir aussi des œuvres plus spécifiques, écrites sur le royaume de Aram-Damas : W. T. Pitard, Ancient Damascus. A Historical Study of the Syrian City-State from Earliest Times until Its Fall to the Assyrians in 732 B.C.E., Winona Lake 1987 et l’œuvre plus récente de S. Hoftersson, A Passing Power : An Examination of the Sources for the History of Aram-Damascus in the Second Half of the Ninth Century B.C., Stockholm 2006, qui se concentre sur la reconstruction de l’histoire du royaume de Damas au ixe siècle avant J.-C., définie comme un « âge d’or », en considérant les sources écrites et la présentation des sites archéologiques, dignes de approfondissement. Le travail effectué part de l’analyse des conclusions de ces études pour arriver à la reconstitution et l’approfondissement de l’histoire politique et sociale de la région syrienne méridionale et de la population qui habitait cet endroit ; on concentre l’attention surtout sur le puissant royaume de Damas, dans un créneau temporel bien défini, du ix e siècle, la période de l’apogée du royaume damascène, au viiie siècle, quand Damas est confrontée à l’avancée des Assyriens. La recherche a eu pour but celui de faire le point des connaissances sur le sujet et de réaliser une étude analytique et exhaustive de la région sous tous les aspects, un travail qui n’a été pas fait jusqu’à présent. Parmi les aspects les plus importants, il y a les rapports entre le royaume de Aram-Damas, AramṢoba et les États du Nord, sous les points de vue historique, archéologique et philologique. On a procédé selon les points suivants : 1) recueil et création de fiches pour les sites archéologiques fouillés, qui présentent des traces d’occupation araméenne plus ou moins évidentes, en s’appuyant sur le matériel déjà publié ; on a pris en considération aussi des sites avec des traces de destruction où l’occupation araméenne n’est pas sûre, mais où on peut relever une influence culturelle de cette population. 2) recueil et analyse des sources écrites, en particulier en prêtant attention à certains termes ou expressions significatives ; on a proposé une analyse philologique des quelques textes afin de fournir une interprétation la plus cohérente possible. Les documents pris en considération sont les suivants : -les inscriptions araméennes (stèle de Melqart, inscriptions de Ḥazael, stèle de Tel Dan, stèle de Zakkur, traité de Sefire, inscriptions de Deir ‘Alla) ; chacune est présentée brièvement et une partie du texte, pertinente pour le propos, est ensuite analysée. -les annales des souverains assyriens (Salmanassar III, Adadnirari III, Tiglatphalaser III) -les sources bibliques avec leur cadre de contextualisation et les explications des anomalies textuelles qui sont dues souvent aux différentes phases rédactionnelles. Parmi les sources anciennes, on a inséré aussi un auteur classique du i er siècle apr. J.-C., Flavius Josèphe, en particulier dans la partie dédiée à la présentation de la personnalité de Ḥazael de Damas et de l’empire qu’il a créé. La comparaison avec des passages des Antiquités Juives, même si elle est anachronique, nous semble intéressante pour une reconstruction qui n’est pas purement historique, mais plutôt « historico-litteraire », où bien « de littérature comparée ». Cela nous aide à mieux comprendre la manière dont la figure de Ḥazael a été reçue et la transmission de l’histoire de Damas à travers les siècles. Enfin, à travers l’analyse des sources archéologiques et littéraires et l’étude des relations entre les Araméens du Sud et les populations voisines, on est arrivé à mettre en lumière de petits détails et des traces de « différentiation », que les études futures pourront mettre en discussion. Dans la discussion sur le sujet, on a cherché à souligner les éléments culturels qui sont présents dans la culture araméenne et qui sont pénétrés à travers le procès d’assimilation des cultures préexistantes dans le territoire ; ils se sont transmis de la Syrie du Nord à la Syrie du Sud, en s’adaptant à la culture levantine locale et ils se sont modelés sous la forme des éléments de « distinction locale». Une importation des caractères syriens du Nord qui se sont mélangés à ceux du Sud, pour ce qui concerne les Araméens, est visible : -dans l’architecture : le bit-hilani, une forme de palais constitué par un portique avec des colonnes, dont on trouve de magnifiques exemples à Zincirli et Tell Taynat, est repérable aussi à Bethsaida ou à Hazor. Il s’agit d’une structure hybride qui mélange le modèle syro-hittite et, au même temps, la LAP structure palestinienne. Cette dernière structure, présente par exemple à Megiddo et Lachish, partage avec le bit-hilani quelques éléments, mais elle se différencie pour d’autres. -dans l’organisation de la ville : les villes araméennes reprennent le modèle de la ville nord-syrienne de forme circulaire ou ovoïdale cernée par une double ou triple fortification; les remparts sont construits selon une structure solide ou qui appartiennent à la typologie « in-offset » (En Gev III-II, Megiddo IVA, Hazor VIII), et n’adoptent pas la typologie à casemate des villes palestiniennes ou avec une structure cyclopéenne (Bethsaida, Mafraq, Tell Er-Rumeith) ; -dans l’iconographie et dans le style artistique ; Pour l’iconographie, il est évident dans la manière dont la divinité est représentée dans la stèle de Bethsaida (à confronter avec celles de tell el Asari et Awas) avec, très probablement, la fusion de deux divinités, celle lunaire, Sahar et celle de la tempête, Hadad. Pour le style artistique, il faut considérer les ivoires et le traitement du dessin des figures qui sont moins massives et plus minces et élégantes. Elles sont le reflet d’un style plus proche de la culture phénicienne de la côte que de la culture nord-syrienne. -dans la céramique : on ne trouve pas de grande distinctions entre la céramique de la Syrie et de la Palestine à l’âge du Fer ; une forme particulière est représentée par des coupes tripodes avec des trous, dont la fonction précise nous échappe encore (peut-être servaient-elles pour des rites avec de l’eau). Elles se trouvent dans une région bien délimitée, dans quelques sites de la Beqa’ (Tell el Ghassil), dans la région d’Amman, dans la Palestine du nord jusqu’à Megiddo. -dans la langue : on ne peut discerner une langue araméenne particulière utilisée dans la région de Damas, mais on peut noter l’influence de l’araméen de la Syrie Centrale en Syrie du Sud, utilisé comme langue officielle de la cour et de la chancellerie de la capitale syrienne. L’absence d’inscriptions ayant été trouvées dans le territoire de Damas, ne nous permet pas d’avoir des indices sûrs de la présence d’un tel langage. Dans ce travail de thèse, je suis convaincue d’avoir développé des arguments solides qui donnent une réponse aux deux questions à la base de cette recherche, c’est-à-dire qui sont les Araméens et s’il existe des éléments « identifiants » de leur ethnie, en particulier en Syrie méridionale. En premier lieu, une solution aux questions est fournie des comparaisons avec les populations voisines, appelé « populations mineures », avec lesquelles les Araméens ont créé un rapport symbiotique. En deuxième lieu, la plupart des fois, c’est l’étude du contexte des matériaux archéologiques et l’analyse de rapports des fouilles qui nous parle des « Araméens » ou qui font comprendre une présence plus ou moins continuée sur le territoire qui va au de là des frontières de la Syrie moderne. Le développement du présent travail montre qu’il est nécessaire de créer une connexion entre les données archéologiques et les sources épigraphiques pour proposer une reconstruction vraisemblable du panorama historique et culturelle des ix -viii siècles av. J.-C. e e Dans des cas spécifiques, la reconstruction des événements pourrait être double et opposée en même temps : c’est le cas de Tel Dan, où la stèle peut être interprétée à la fois comme un monument de célébration pour la conquête de la ville par Ḥazael et un monument de célébration pour la reconstruction de la ville du niveau IVA, détruite par Joas. De l’analyse détaillée des sources et des données archéologiques, l’image qui émerge est celle d’une population nomade, avec la même langue, qui connait une évolution politique et sociale progressive : du nomadisme à la formation des États jusqu’à l’hégémonie d’un « État-empire » sous la domination de Aram-Damas au ix siècle. En effet, ce dernier met en œuvre une politique e d’expansion en Galilée, Jordanie et aussi en Palestine Méridionale et sur la côte phénicienne pour encourager ses intérêts économiques. Sachant que la définition d’«empire » n’est pas la plus correcte 16 , surtout si on la compare à l’empire néo-assyrien, à une structure politique plus solide, de toute façon on peut souligner la puissance du royaume de Damas sous Ḥazael et son successeur, pour donner un caractère concret au concept d’un « Tout Aram » de la stèle de Sfiré. La grandeur de Aram-Damas, dans laquelle se reflète la définition générale d’ «Aram » au ix siècle, e contribue à déterminer, en partie, quelques caractères distinctifs de cette population en Syrie Méridionale. En effet, on a cherché à démontrer que la culture araméenne n’est pas invisible, même si, parfois, les traces archéologiques sont très maigres, mais qu’au contraire, elle est composée de caractères spécifiques, dérivés de la Syrie du Nord et réélaborés localement dans le Sud, en contribuant à lui donner une identité extrêmement forte. A ce propos on peut citer ce qu’ont écrit C. Kepinski e A. Tenu, qui soulignent que la culture araméenne, bien qu’elle se greffe sur un substrat local préexistant, est très bien déterminée : « [...] Les Araméens ne sont-ils pas complètement invisibles même si les cultures matérielles des sites placés sous une autorité araméenne comportent un substrat local aux racines très anciennes et sont souvent à la fois très fortement régionalisées et marquées par les occupations qui les ont précédées. Les caractères véhiculés par les Araméens, sans révéler un monde totalement étranger, illustrent néanmoins des organisations économiques spécifiques, complexes et variés, des changements dans l’occupation des territoires et une construction identitaire forte ».