Ojim.fr
Observatoire des Journalistes et de l'Information Médiatique
http://www.ojim.fr
l’atmosphère qui présida à la naissance du quotidien. Libération va en effet représenter une
mutation, en phases successives, de cet élan révolutionnaire violent des origines. Et la
première phase de cette mutation, c’est la création de l’APL, l’Agence de Presse Libération, le
18 juin 1971. La date, bien évidemment, n’est pas anodine, mais exprime clairement la
manière dont l’agence se définit en situation de résistance contre le pouvoir. Elle permet
également à l’APL de substituer, en quelque sorte, le symbole qu’elle voudrait devenir au
symbole qui fonde le prestige du pouvoir gaulliste, l’appel du 18 juin 1940. L’APL commence
du reste déjà à agir, moins comme un organe de lutte radicale, que comme un relais entre la
marge et les institutions. Laurent Martin, toujours : « Disons que l’APL avait vocation a fournir
les informations (…) sur tout le mouvement social qui se déroulait à l’époque non seulement à la
presse militante, qui, elle, existait déjà depuis 1968 (…), mais aussi à la presse dite bourgeoise,
à la presse traditionnelle, à la presse classique. »
Du deuil de 68 à une nouvelle stratégie de conquête
Or, l’un des événements qui va faire connaître l’APL au grand public est justement celui qui
amorce le basculement définitif de la lutte immédiate à la lutte médiatique. En mars 1972, Pierre
Overney, militant maoïste de Renault, de l’usine de Flins, est abattu de sang froid par le chef
du service d’ordre lors d’une altercation. La direction plaide la légitime défense, mais un jeune
lycéen a pu prendre des photos du drame et, via l’APL, celles-ci vont être diffusées dans les
grands médias et démentir totalement les allégations de la firme. Coup de maître pour
l’agence, donc. Mais d’un autre côté, si les obsèques de Pierre Overney, le 4 mars, sont
suivies par deux cent mille personnes, « certains y ont vu les obsèques du mouvement de 68
», explique Jean-Noël Jeanneney. Et Laurent Martin de préciser : « Quelqu’un comme Benny
Lévy, Pierre Victor, le chef de la Gauche prolétarienne, sent qu’il y a un danger de
basculement dans la révolte violente qui va causer des morts. Donc, il va essayer d’infléchir le
mouvement maoïste en particulier vers, disons, d’autres formes d’action, et en particulier le
journalisme. » De l’Agence de Presse Libération va naître, l’année suivante, le quotidien du
même nom.
Libération : une synthèse sous le patronage de Sartre
Cet « infléchissement », qui doit à la fois, désormais, éviter la révolution violente et atteindre ses
objectifs par d’autres moyens, s’affirmera grâce à un amalgame entre l’option qu’incarne
Jean-Claude Vernier et celle que représente Philippe Gavi, un ancien d’HEC. La première
consisterait à « faire un journal par le peuple, pour le peuple, et dont le contenu serait composé
essentiellement des informations que feraient remonter les militants des comités Libération,
puisqu’on passe finalement sans transition quasiment des comités mao aux comités Libération
» (Laurent Martin). La seconde est de faire un journal professionnel capable de rivaliser avec la
presse traditionnelle. Et c’est Serge July qui va accomplir la synthèse, de par sa légitimité de
militant maoïste, en ralliant finalement la seconde option. La synthèse a lieu sous le haut
patronage de Jean-Paul Sartre qui définit ainsi, face à Jacques Chancel sur France Inter, en
1973, les objectifs du journal : « Nous avons une seule opinion certaine, nous croyons à la
démocratie directe et nous voulons que le peuple parle au peuple. » Quand Jacques Chancel
fait remarquer au philosophe, qu’en termes de diversité d’opinions, la rédaction
4 / 9