Jacques Bichot
Interview sur le programme présidentiel d’Arnaud Montebourg
Publiée sur Atlantico le 29 / 12 / 2016
Thème général : ce que projette A. Montebourg va à l’encontre des intérêts de
ceux qu’il prétend défendre, les salariés modestes et les personnes en recherche
d’emploi.
Abrogation de la loi travail plutôt que renégociation, baisse de la CSG pour restituer
800 euros par an et par ménage de pouvoir d’achat, interdiction pour les patrons de
s’augmenter sans avoir préalablement augmenté leurs salariés, refus de l’austérité…
Arnaud Montebourg vient de dévoiler son programme, qui a connu un sacré virage à
gauche. Pour autant ces mesures, qui se revendiquent de la justice sociale, sont-elles
vraiment sans danger pour celles et ceux qu’elles ambitionnent de protéger ? Dans
quelle mesure ce programme est-il applicable sans risque de réelle casse sociale ?
Si j’étais chômeur, ou titulaire d’un CDD, ou en CDI dans une entreprise fragile, ou sur le
point de terminer mes études et de chercher un premier job, il me semble que j’invoquerais en
ces termes l’Être suprême auquel s’adressaient nos ancêtres de la Révolution française :
« Mes ennemis du patronat, je m’en charge, laissez-moi me débrouiller avec eux ; mais ce
grand ami Arnaud Montebourg, qui me veut tellement de bien, protégez-moi de ses bonnes
intentions, qui vont principalement servir à paver l’enfer de mon chômage. »
En effet, l’activité économique, l’excédent des embauches sur les licenciements et les fins de
CDD ou de missions d’intérim, ne proviennent pas de bouleversements incessants des règles
du jeu. Il y a une loi Travail récemment promulguée, elle n’est certes pas une panacée
universelle, mais de grâce, cher Arnaud, laissez-la en l’état, les employeurs ont besoin de
stabilité et de visibilité pour développer les entreprises et créer des emplois.
De même, laissez la CSG tranquille. Elle a déjà été modifiée bien trop souvent, elle est
devenue bien trop complexe, avec une multitude de taux différents, et ce ne sont pas des
baisses de cette « contribution » (dont on ne sait pas trop si elle est un impôt ou une cotisation
sociale) qui donneront un pouvoir d’achat supplémentaire favorable à l’activité économique :
ces baisses ne feront qu’augmenter le déficit public, et quand Bruxelles en viendra à traiter la
France comme la Grèce, faisant monter le taux de chômage à 20 % ou 25 %, imaginez-vous
que nous vous dirons « bravo ! merci ! » ?
Quand à interdire aux patrons d’augmenter leurs rémunérations, quelques distinguos seraient
bien utiles. Beaucoup de chefs de TPE ne gagnent pas des mille et des cent. Et ce qu’ils
gagnent au-delà de ce qu’ils dépensent, beaucoup l’investissent, parce que fort heureusement
ils aiment leur travail et souhaitent développer leur petite « boîte » et embaucher – à condition
que les embauches ne soient pas synonymes d’emmerdes en tous genres.
Outre les mesures symboliques égrenées précédemment, quelles sont celles qui vous
semblent le plus préjudiciable à la société française et, de façon générale, aux Français ?
Le plus mauvais pour les travailleurs est que l’État traite a priori les patrons comme des
salauds contre lesquels il faut systématiquement lutter. Bien entendu, il y a des salauds parmi
les patrons, comme d’ailleurs aussi parmi les syndicalistes et parmi les salariés : les hommes
ne sont pas tous bons. Mais suspecter a priori tous les patrons, c’est comme suspecter a priori
tout membre de la « diversité » : c’est une discrimination qui ne peut que donner de mauvais
résultats.
Il convient aussi de se méfier de l’idée d’une mutuelle santé « publique » à 10 € par mois. La
généralisation de la complémentaire santé d’entreprise a été une belle erreur, car la bonne
solution est celle des caisses d’Alsace-Moselle, qui font payer des cotisations un peu plus
élevées et remboursent de ce fait nettement mieux que celles du reste de la France, avec des
frais de gestion modestes. Là où la sécu fonctionne avec 3 % de frais de gestion, une
complémentaire en dépense souvent 20 %, ce qui entraîne un gaspillage considérable (2 à 3
Md€ par rapport à la formule alsacienne).
Comment expliquer un coup de barre à gauche aussi dangereux, selon vous ? Faut-il y
lire un coûteux calcul politicien, en réponse aux candidatures plus à gauche que celle de
Montebourg dans la primaire ?
L’existence d’un « calcul » me semble vraisemblable. La plupart de nos hommes politiques se
soucient davantage de conquérir le pouvoir que de faire progresser la France et les Français, et
il me semble que si Arnaud Montebourg ne faisait pas partie de cette majorité-là il chercherait
des solutions plus réalistes.
Quel est le risque à laisser ce marketing politique diriger la campagne, au détriment de
la réalité politique, économique et sociale de notre pays ?
Ce « marketing politique » fait beaucoup de mal à la France et aux Français. Ces derniers
n’ont pas besoin qu’on les traite de manière paternaliste, comme des personnes handicapées
qu’il faudrait toutes placer dans des « ateliers protégés ». Dans Le Petit Prince, Antoine de
Saint-Exupéry décrit une fleur qui ne veut pas qu’on la mette sous globe pour la protéger des
chenilles, parce que, dit-elle, « il faut bien que je supporte quelques chenilles si je veux un
jour voir voler des papillons ». Cette fleur, c’est la France : ne la mettons pas sous globe,
laissons-lui la chance de voir un jour battre les ailes multicolores du plein emploi.
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