Chaque acteur n'est plus considéré dans son individualité
mais comme un partenaire au sein d'un monde en
interaction
;
l'impact de ses activités est examiné dans son
ensemble pour répondre d'une responsabilité sociétale.
Signe, symbole, discours sans idée, la question est
ouverte car la responsabilité sociale de I'entreprise au
sens juridique n'existe pas ou pas encore. N'est-ce que
l'application d'un principe
à
valeur constitutionnellez dont il
résulte que tout fait quelconque de l'homme qui cause
à
autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est
arrivé
a
le réparer
?
Droit fort, légitime et universellement
reconnu, son application au niveau des entreprises
s'avère paradoxalement délicate, voire impossible parfois,
mais incontournable.
C'est la traduction de l'expression américaine
Corporate
Social Responsability,
tout en notant que le terme
«
social
,,
anglo-saxon englobe non seulement les
relations employeurs/salariés, telles que nous les
entendons en droit du travail français, mais également
toute relation professionnelle ou tout lien avec un
partenaire de la société civile dans le cadre de l'activité
exercée. Nous retiendrons la traduction de
((
respon-
sabilité sociétale
,,
plus adaptée au contexte juridique
étudié même si le champ de recherche est alors vaste car
hétéroclite quant au domaine d'application selon les
parties prenantes. Cette conception rejoint la définition
donnée de la RSE3 dans le Livre Vert de la Commission
européenne qui s'inscrit dans le cadre plus global du
développement durable.
Seul le raisonnement en matiere de responsabilité devient
alors l'angle d'approche juridique exploré. Soit le droit de
la responsabilité classique absorbe cette nouvelle famille
de responsabilité, sans spécificité aucune, soit la RSE
emprunte
à
diverses branches du droit les éléments se
rapportant
a
un corpus de règles pour bâtir autour d'un
concept nouveau une théorie originale du droit de la
responsabilité en entreprise.
La seconde solution semble émerger avec la prolifération
de conventions internationales laissées
à
l'état de belles
déclarations de principe ou,
à
telle enseigne, que le
législateur français lui-même ordonne un certain nombre
de prescriptions qui ne sont plus assorties de sanctions.
Un OJNl (objet juridique non identifié) est né. Ainsi en est-
il de l'obligation d'établir dans le rapport annuel de gestion
un état des efforts entrepris et des résultats obtenus, en
fonction de critères fixés pas décret, sur le développement
durable, ou des futures lignes directrices sur la respon-
sabilité sociétale des organisations ISO
26000
dont le
statut
<c
hors normes
~3
suscite de nombreuses interro-
gations.
Mythe ou mystification juridique pour masquer un simple
avantage concurrentiel, une option marketing ou bien
encore un produit de luxe
?
La RSE pourrait-elle devenir
une nouvelle technique de gestion voire de commu-
nication
?
Ou ne serait-elle qu'une tentative de déculpa-
bilisation après avoir pollué, gaspillé, et utilisé des enfants
comme travailleurs clandestins
?
Parce que les entreprises occidentales ont le choix, un
espace de liberté, la RSE demeure une option, non une
véritable obligation. Qui (victime, personne morale, ONG,
tribunal, partie prenante,
...)
peut en effet sanctionner une
multinationale qui se contente de promettre de construire
une école au Togo contre l'exploitation de phosphates
dont on ignore oh se situe son siège social réel, et dont on
ne connaît pas la nationalité
?
Ou réside l'obligation
?
Dans quel contrat, code ou cadre s'est-elle inscrite
?
Qui
sont les tiers
à
qui l'on peut l'opposer, ou s'arrête l'effet
relatif de cet engagement unilatéral ou multilatéral?
Quelles sont les parties prenantes
?
Quelles sont les
personnes responsables
?
Et devant quel juge
?
En
définitive, quelle est la sanction éventuelle
?
Pour autant, face
à
ces nouveaux défis, certains ont choisi
d'anticiper pour protéger les générations futures, et pas
seulement pour esquiver un risque contentieux. La voie de
la recherche (investissements avec crédits d'impôt)
corroborée par la contractualisation est de loin la voie la
plus prisée même si le cadre juridique se développe
parallèlement, parfois plus contraignant que ses prédé-
cesseurs.
La prolifération de textes, internes, internationaux ou
communautaires sur les risques, les responsabilités, les
modes de réparation, les obligations d'assurance pour les
entreprises, laissent
à
penser que la RSE est maintenant
sur des rails. Elle n'en porte pas toujours le nom, le titre
mais l'idée est plus qu'en germe. La rhétorique est
dépassée. Les champs d'application de la responsabilité
se sont donc
à
la fois étendus et diversifiés au point de se
confondre. Cette extension sans précédent a dilué le
fondement même de chaque forme de responsabilité.
Le débat sur la RSE porte avant tout sur la notion de
responsabilité. Mais il renvoie également au débat sur la
nature de I'entreprise, institution sociale, société-contrat
ou personne morale. Que l'éthique individuelle ait été
transposée
à
I'entreprise n'est pas en soi un obstacle
à
une appréhension par le droit du concept de RSE, car
l'essor de la responsabilité du fait d'autrui, la collecti-
visation des risques et le développement parallèle des
systèmes d'indemnisation répondent
à
cette logique
globale des intérëts croisés rencontrés dans toute
entreprise.
Le système juridique du droit de la responsabilité sociale
des entreprises est-il pour autant différent dans son
fondement du droit de la responsabilité individuelle
?
Assiste-t-on
à
l'émergence d'un droit nouveau fondé sur la
légitimité des actes dont on doit répondre plus que d'une
responsabilité issue d'une violation de la légalité
?
La RSE
est-elle originale par sa subjectivité ou son objectivité
?
L'exercice d'un droit subjectif ou d'une liberté individuelle
reconnue par la loi est-il compatible avec la mise en cause
d'une responsabilité du fait de la mise en œuvre de ce
droit ou de cette liberté
?
II existe deux écoles. L'une traditionnelle qui considère le
Code du travail, les conventions et accords collectifs
comme la source de toute prescription en matiere
d'obligations ou de droit dans I'entreprise salariée, l'autre,
plus récente, qui privilégie une conception plus large
:
le
droit ne serait qu'une conséquence d'une volonté
politique, d'une philosophie des Droits de l'Homme
Qualitique
n021
7
-Juin
2010