DOI : 10.1684/med.2015.1214
VIE PROFESSIONNELLE
Jacques Beaulieu 1
beaulieu.ja
@videotron.ca
Mots clés :
hypertension
artérielle
[Hypertension]
Histoire de la médecine
Jusqu’au début du XXesiècle, la physiologie et la médecine clinique ne faisaient pas
très bon ménage. Pour les cliniciens jusqu’au milieu du XIXesiècle, même l’utilisation
du thermomètre était contestée. Pour eux, il s’agissait d’un instrument qui venait «inu-
tilement »compliquer leurs tâches. L’inspection du malade, sa palpation et son aus-
cultation étaient prétendument suffisantes à tout bon clinicien pour porter un diagnos-
tic. Le reste était superflu. Pourtant dans les laboratoires universitaires, la physiologie
faisait de grands pas.
L'hypertension :
une mutation
dans la pratique médicale
Les découvertes du XIIIe
au XIXesiècle
L’histoire de la tension artérielle s’inscrit dans cette
évolution. Les premières notions parurent vers le mi-
lieu des années 1200 par le médecin anatomiste sy-
rien Ibn an-Nafis à qui on attribue la découverte de la
circulation sanguine. Plus de 300 ans plus tard, Jean
Fernel, un médecin français (aussi astronome et ma-
thématicien célèbre) propose l’hypothèse qu’il existe
un lien entre la systole et l’éjection du sang. Un mé-
decin physiologiste britannique, William Harvey,
confirme ces hypothèses et en utilisant un garrot, il
démontre que dans la grande circulation, il y a aussi
un retour du sang au cœur sans pouvoir en expliquer
tout le mécanisme. Il faut se rappeler qu’à cette épo-
que le microscope n’existe pas et le réseau des capil-
laires sanguins reste inconnu. Il faudra atteindre 1661
pour que Marcello Malpighi, le père de l’histologie,
passionné par les écrits de Harvey, découvre avec le
microscope l’existence des capillaires sanguins et
puisse ainsi démontrer le passage du sang entre les
artères et les veines.
L’état des connaissances en 1650
On attribue au docteur Harvey la formule : Tout vi-
vant vient d’un œuf (en latin tel qu’il l’a écrit : Omne
vivum ex ovo). Mais nous sommes encore bien loin
des travaux de Darwin et Harvey demeurait malgré
tout son savoir un partisan de la théorie de la géné-
ration spontanée. Ainsi, il croyait que l’œuf originel
de certains animaux se formait spontanément à par-
tir de matière en putréfaction, comme par exemple
les asticots (larves des mouches).
On doit les premières mesures de la pression san-
guine à un érudit anglais du nom de Stephen Hales.
Membre du clergé, il s’est illustré dans bon nombre
de domaines incluant la botanique, la chimie et la phy-
siologie. Il étudia, grâce à un appareil de son invention,
la pression sanguine chez diverses espèces animales.
Nous sommes en 1733. Grâce à ses expérimenta-
tions, Hales fit connaître le rôle des diverses valvules
cardiaques et expliqua comment le passage des artè-
res aux veines par le réseau capillaire amenait une
résistance du flot sanguin.
Plus d’un siècle plus tard, le physicien et médecin fran-
çais Jean-Léonard-Marie Poiseuille invente un mano-
mètre à mercure qu’il nomme hémodynamomètre. Il
publie en 1844 : Le Mouvement des liquides dans les
tubes de petits diamètres. Son appareil lui permet en-
tre autres de démontrer que la tension artérielle suit
le rythme de l’expiration et de l’inspiration. Mais tou-
tes ces considérations demeurent du domaine
1. Jacques Beaulieu est chroniqueur régulier pour ProfessionSanté.ca,
une revue canadienne s’adressant aux médecins et a aussi signé plus
d’une trentaine de livres sur divers sujets de santé.
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théorique. Les mesures de la tension artérielle ne sont pas
associées à aucune maladie.
Le point tournant
C’est d’abord en Allemagne que le laboratoire se rapprocha
du patient avec la création de l’Institut Carl Ludwig qui pro-
posait aux médecins des accès à des tests physiologiques,
par exemple le dosage de l’albumine dans les urines pour
corroborer une atteinte rénale. L’union entre les analyses et
les cliniciens débutaient.
En France, le cardiologue Pierre Édouard Charles Potain
amorcera ce changement à l’opposé de l’opinion générale-
ment admise à l’époque. Le docteur H. Vaquez écrivait : «En
1862, alors que jeune agrégé, il remplaçait à l’Hôtel-Dieu, il
(Potain) demande la création d’un laboratoire dans le service
de la clinique. C’était une innovation, disons plus, une révo-
lution, et personne n’y avait encore songé. L’administration
en fut toute émue. Accéder à la prière de Potain, quel fâ-
cheux précédent ! » [1]. N’empêche que le docteur Potain
était convaincu de l’importance de noter les tensions arté-
rielles lors de l’examen des patients. Ainsi de 1883 à 1889,
il ne nota pas moins de 1 550 fois les chiffres de tension
artérielle dans le cadre de 680 observations. Il publia chez
Masson en 1902 un ouvrage demeuré célèbre : La Pression
Artérielle de l’homme à l’état normal et pathologique [2].
Mais pour Potain, la pression était la résultante d’une maladie
et nullement impliquée dans la cause. Pour lui, l’athérome et
la néphrite sont des maladies qui engendrent des pressions
artérielles élevées tandis que la fièvre typhoïde provoquait
une basse pression.
L'arrivée
du sphygmomanomètre
Hales, au milieu des années 1700 et Poiseuille, beaucoup
plus tard, avaient inventé des appareils qui, par introduction
de tubes dans le circuit sanguin, permettait des mesures de
la pression. En 1881, fera l’apparition du premier sphygmo-
manomètre non invasif créé par le docteur allemand Samuel
von Basch. Mais c’est réellement en 1896 qu’arrivera le pre-
mier sphygmomanomètre semblable à ceux encore utilisés
de nos jours. On en doit la paternité au pédiatre italien Sci-
pione Riva Rocci, un expert aussi reconnu pour son œuvre
sur la tuberculose. En 1905, le chirurgien russe Nicolaï Ko-
rotkov eut l’idée d’ajouter le stéthoscope à l’utilisation de
l’appareil de Riva Rocci. Il obtenait ainsi des mesures beau-
coup plus précises. D’où les termes : les bruits de Korotkoff.
De l'effet à la cause :
les assureurs à la rescousse
Il faudra attendre plus de cinquante ans avant qu’on ne
commence à élucider le rôle de l’hypertension dans la mala-
die. Mais ce ne sera pas du milieu médical qu’arrivera l’étin-
celle. La fameuse étude de Framingham faisait suite à des
constats réalisés par les actuaires de compagnies d’assuran-
ces. J’ai eu le privilège de signer avec le docteur Christian
Fortin un livre : L’hypertension La tueuse silencieuse paru
en novembre 2004 aux éditions Publistar. On peut y lire :
« En 1947, commença à Framingham, une petite localité près
de Boston, l’enquête épidémiologique (l’étude des causes)
qui fait référence encore de nos jours en matière d’hyper-
tension et qui sensibilisa l’ensemble de la communauté
scientifique internationale à cette nouvelle maladie. Ses ré-
sultats démontrent que le niveau de pression artérielle, le
taux de cholestérol sanguin, des modes de vie pernicieux
comme le tabagisme, la consommation exagérée de calo-
ries, de graisses, de sel et d’alcool, la sédentarité ainsi que
l’obésité, le diabète et certains facteurs héréditaires sont cou-
pables de favoriser les maladies cardiovasculaires comme
l’infarctus du myocarde et les accidents vasculaires céré-
braux (AVC). »
Évolution ou révolution ?
En somme, la tension artérielle aura marqué au moins trois
grands tournants dans l’histoire médicale. À partir de l’étude
de la tension, et le patient et le médecin ont changé. D’une
part, la consultation ne surviendrait plus uniquement lors de
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la maladie. D’autre part, les analyses ne seraient plus qu’une
recherche physiologique sur les causes et effets des mala-
dies mais bien une partie intégrale du processus diagnostic.
Finalement l’histoire de l’hypertension artérielle révèle le
bien-fondé d’une nouvelle approche ni médicale ni physiolo-
gique, c’est l’épidémiologie qui aura permis de mettre en
lumière les effets de l’hypertension en santé.
L’histoire de l’hypertension artérielle est donc beaucoup plus
que celle des instruments qui ont permis d’en évaluer la me-
sure. Elle est celle d’une mutation dans l’histoire de la
médecine et du passage de la théorie physiologique à la pra-
tique clinique. D’une époque où le médecin clinicien refusait
d’avoir recours aux analyses et autres mesures physiologi-
ques, nous en sommes rendus à un moment où il est devenu
bien difficile, sinon dangereux, de se passer de ces don-
nées...
Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt
en rapport avec l’article.
Références :
1. Vaquez H. Éloge de Potain. Paris Médical. 1928;2.
2. Postel-Vinay N. Histoire de l’hypertension artérielle et du risque vasculaire : aux origines des mutations de la médecine contemporaine. Histoire des Sciences médicales, Tome XXX,
page 235.
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