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VIE PROFESSIONNELLE
Histoire de la médecine
Jacques Beaulieu 1
beaulieu.ja
@videotron.ca
L'hypertension :
une mutation
dans la pratique médicale
Les découvertes du XIIIe
au XIXe siècle
L’histoire de la tension artérielle s’inscrit dans cette
évolution. Les premières notions parurent vers le milieu des années 1200 par le médecin anatomiste syrien Ibn an-Nafis à qui on attribue la découverte de la
circulation sanguine. Plus de 300 ans plus tard, Jean
Fernel, un médecin français (aussi astronome et mathématicien célèbre) propose l’hypothèse qu’il existe
un lien entre la systole et l’éjection du sang. Un médecin physiologiste britannique, William Harvey,
confirme ces hypothèses et en utilisant un garrot, il
démontre que dans la grande circulation, il y a aussi
un retour du sang au cœur sans pouvoir en expliquer
tout le mécanisme. Il faut se rappeler qu’à cette époque le microscope n’existe pas et le réseau des capillaires sanguins reste inconnu. Il faudra atteindre 1661
pour que Marcello Malpighi, le père de l’histologie,
passionné par les écrits de Harvey, découvre avec le
microscope l’existence des capillaires sanguins et
puisse ainsi démontrer le passage du sang entre les
artères et les veines.
1. Jacques Beaulieu est chroniqueur régulier pour ProfessionSanté.ca,
une revue canadienne s’adressant aux médecins et a aussi signé plus
d’une trentaine de livres sur divers sujets de santé.
Mots clés :
hypertension
artérielle
[Hypertension]
L’état des connaissances en 1650
On attribue au docteur Harvey la formule : Tout vivant vient d’un œuf (en latin tel qu’il l’a écrit : Omne
vivum ex ovo). Mais nous sommes encore bien loin
des travaux de Darwin et Harvey demeurait malgré
tout son savoir un partisan de la théorie de la génération spontanée. Ainsi, il croyait que l’œuf originel
de certains animaux se formait spontanément à partir de matière en putréfaction, comme par exemple
les asticots (larves des mouches).
On doit les premières mesures de la pression sanguine à un érudit anglais du nom de Stephen Hales.
Membre du clergé, il s’est illustré dans bon nombre
de domaines incluant la botanique, la chimie et la physiologie. Il étudia, grâce à un appareil de son invention,
la pression sanguine chez diverses espèces animales.
Nous sommes en 1733. Grâce à ses expérimentations, Hales fit connaître le rôle des diverses valvules
cardiaques et expliqua comment le passage des artères aux veines par le réseau capillaire amenait une
résistance du flot sanguin.
Plus d’un siècle plus tard, le physicien et médecin français Jean-Léonard-Marie Poiseuille invente un manomètre à mercure qu’il nomme hémodynamomètre. Il
publie en 1844 : Le Mouvement des liquides dans les
tubes de petits diamètres. Son appareil lui permet entre autres de démontrer que la tension artérielle suit
le rythme de l’expiration et de l’inspiration. Mais toutes ces considérations demeurent du domaine
DOI : 10.1684/med.2015.1214
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Jusqu’au début du XXe siècle, la physiologie et la médecine clinique ne faisaient pas
très bon ménage. Pour les cliniciens jusqu’au milieu du XIXe siècle, même l’utilisation
du thermomètre était contestée. Pour eux, il s’agissait d’un instrument qui venait « inutilement » compliquer leurs tâches. L’inspection du malade, sa palpation et son auscultation étaient prétendument suffisantes à tout bon clinicien pour porter un diagnostic. Le reste était superflu. Pourtant dans les laboratoires universitaires, la physiologie
faisait de grands pas.
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Histoire de la médecine
et nullement impliquée dans la cause. Pour lui, l’athérome et
la néphrite sont des maladies qui engendrent des pressions
artérielles élevées tandis que la fièvre typhoïde provoquait
une basse pression.
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L'arrivée
du sphygmomanomètre
Hales, au milieu des années 1700 et Poiseuille, beaucoup
plus tard, avaient inventé des appareils qui, par introduction
de tubes dans le circuit sanguin, permettait des mesures de
la pression. En 1881, fera l’apparition du premier sphygmomanomètre non invasif créé par le docteur allemand Samuel
von Basch. Mais c’est réellement en 1896 qu’arrivera le premier sphygmomanomètre semblable à ceux encore utilisés
de nos jours. On en doit la paternité au pédiatre italien Scipione Riva Rocci, un expert aussi reconnu pour son œuvre
sur la tuberculose. En 1905, le chirurgien russe Nicolaï Korotkov eut l’idée d’ajouter le stéthoscope à l’utilisation de
l’appareil de Riva Rocci. Il obtenait ainsi des mesures beaucoup plus précises. D’où les termes : les bruits de Korotkoff.
De l'effet à la cause :
les assureurs à la rescousse
théorique. Les mesures de la tension artérielle ne sont pas
associées à aucune maladie.
Le point tournant
C’est d’abord en Allemagne que le laboratoire se rapprocha
du patient avec la création de l’Institut Carl Ludwig qui proposait aux médecins des accès à des tests physiologiques,
par exemple le dosage de l’albumine dans les urines pour
corroborer une atteinte rénale. L’union entre les analyses et
les cliniciens débutaient.
En France, le cardiologue Pierre Édouard Charles Potain
amorcera ce changement à l’opposé de l’opinion généralement admise à l’époque. Le docteur H. Vaquez écrivait : « En
1862, alors que jeune agrégé, il remplaçait à l’Hôtel-Dieu, il
(Potain) demande la création d’un laboratoire dans le service
de la clinique. C’était une innovation, disons plus, une révolution, et personne n’y avait encore songé. L’administration
en fut toute émue. Accéder à la prière de Potain, quel fâcheux précédent ! » [1]. N’empêche que le docteur Potain
était convaincu de l’importance de noter les tensions artérielles lors de l’examen des patients. Ainsi de 1883 à 1889,
il ne nota pas moins de 1 550 fois les chiffres de tension
artérielle dans le cadre de 680 observations. Il publia chez
Masson en 1902 un ouvrage demeuré célèbre : La Pression
Artérielle de l’homme à l’état normal et pathologique [2].
Mais pour Potain, la pression était la résultante d’une maladie
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Il faudra attendre plus de cinquante ans avant qu’on ne
commence à élucider le rôle de l’hypertension dans la maladie. Mais ce ne sera pas du milieu médical qu’arrivera l’étincelle. La fameuse étude de Framingham faisait suite à des
constats réalisés par les actuaires de compagnies d’assurances. J’ai eu le privilège de signer avec le docteur Christian
Fortin un livre : L’hypertension – La tueuse silencieuse paru
en novembre 2004 aux éditions Publistar. On peut y lire :
« En 1947, commença à Framingham, une petite localité près
de Boston, l’enquête épidémiologique (l’étude des causes)
qui fait référence encore de nos jours en matière d’hypertension et qui sensibilisa l’ensemble de la communauté
scientifique internationale à cette nouvelle maladie. Ses résultats démontrent que le niveau de pression artérielle, le
taux de cholestérol sanguin, des modes de vie pernicieux
comme le tabagisme, la consommation exagérée de calories, de graisses, de sel et d’alcool, la sédentarité ainsi que
l’obésité, le diabète et certains facteurs héréditaires sont coupables de favoriser les maladies cardiovasculaires comme
l’infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). »
Évolution ou révolution ?
En somme, la tension artérielle aura marqué au moins trois
grands tournants dans l’histoire médicale. À partir de l’étude
de la tension, et le patient et le médecin ont changé. D’une
part, la consultation ne surviendrait plus uniquement lors de
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la maladie. D’autre part, les analyses ne seraient plus qu’une
recherche physiologique sur les causes et effets des maladies mais bien une partie intégrale du processus diagnostic.
Finalement l’histoire de l’hypertension artérielle révèle le
bien-fondé d’une nouvelle approche ni médicale ni physiologique, c’est l’épidémiologie qui aura permis de mettre en
lumière les effets de l’hypertension en santé.
L’histoire de l’hypertension artérielle est donc beaucoup plus
que celle des instruments qui ont permis d’en évaluer la mesure. Elle est celle d’une mutation dans l’histoire de la
médecine et du passage de la théorie physiologique à la pratique clinique. D’une époque où le médecin clinicien refusait
d’avoir recours aux analyses et autres mesures physiologiques, nous en sommes rendus à un moment où il est devenu
bien difficile, sinon dangereux, de se passer de ces données...
Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt
en rapport avec l’article.
Références :
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
1. Vaquez H. Éloge de Potain. Paris Médical. 1928;2.
2. Postel-Vinay N. Histoire de l’hypertension artérielle et du risque vasculaire : aux origines des mutations de la médecine contemporaine. Histoire des Sciences médicales, Tome XXX,
page 235.
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