Actes de la recherche en sciences sociales Déterminants sociaux de la fertilité des sols // Post-scriptum: fertilité agronomique et fertilité économique Monsieur Claude Reboul Citer ce document / Cite this document : Reboul Claude. Déterminants sociaux de la fertilité des sols // Post-scriptum: fertilité agronomique et fertilité économique. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 17-18, novembre 1977. La paysannerie, une classe objet. pp. 85-112; doi : 10.3406/arss.1977.2578 http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1977_num_17_1_2578 Document généré le 12/05/2016 Zusammenfassung Die Sozialen Bedingungen der Bodenfruchtbarkeit // Post-scriptum — Agronomische und ökonomische Fruchtbarkeit . Der Fortschritt der landwirtschaftlichen und genetischen Techniken hat zu einer wesentlichen Verminderung der ökologischen Zwänge gefiihrt, die das Pflanzenwachstum belasten. Eine sich ändernde regionale Spezialisierung begleitete diesen Fortschritt ; in dem Ausmasse, in dem sich die Landwirtschaft von natürlichen Zwängen befreite, erzeugte die Entwicklung sozialer Zwänge neue Spezialisierungsformen. So war der nach Produkten ungleiche technische Fortschritt von Phänomenen der Differenzierung der Anbau- und Zuchtsysteme nach den Betriebsgrössen begleitet. Die weniger mechanisierten Kleinbetriebe beschränken sich auf Viehzucht, während der Getreideanbau hauptsächlich Sache von Grossbetrieben ist. Die regionale Spezialisierung, die sich so herausbildet, spiegelt weniger ôkologische Fakten wider, als die Art, in der das Wirtschafts- und Sozialsystem zum Aus-druck kommt. Diese Trennung von Vieh - und Pflanzen - zucht hat die Bodenfruchtbarkeit verändert. Das Stroh fehlt in den spezialisierten Viehzuchtgebieten, während in den grossen Anbaugebieten kaum noch Tiere sind ; das Verscharren des Stallmistes hat aufgehört, ein allgemeines Mittel der Humu- serneuerung zu sein. Während diese Praxis in den Viehzuchtgebieten mit weiten Weiden und Wiesen weiterhin zur Aufrechterhaltung des Humusgrades beiträgt, erreicht man dièses Resultat in den grossen Anbaugebieten durch Verscharrung von Stroh, Blättern, Rüben, Pflanzendünger, Kompost, usw. In der Humuserneuerung, die sich bisher hauptsächlich ausserhalb von Austauschbeziehungen abspielte, war die Selbstversorgung der Regelfall, das Getreidestroh spielte dabei die Hauptrole. Sind die Projekte der Vermarktung des Strohs fur den landwirtschaftlichen Gebrauch (Viehfütterung) oder den industriellen Gebrauch (als Energiequelle) keine Gefahr fur die Bodenfruchtbarkeit und das Gleichgewicht der nationalen Humusbilanz ? Da die Anhäufung von Humus ein sehr langsamer Prozess ist, steht sie notwendigerweise in Widerspruch zu einer wirtschaftlichen und sozialen Entwicklung, die kurzfristige Lösungen anstrebt. Heute vermehren sich in Frankreich die Zeichen dieses Widerspruchs in armen Böden, aber auch in solchen, die als reich gelten. (Picard und Soissonnais Plateaus z.B.) Diese Zeichen sind gerade in jenen Ländern sichtbar, die die Kolonialherrschaft kannten und wo organische Materie im Tagebau abgebaut wurde. Post-scriptum — Agronomische und ökonomische Fruchtbarkeit. Der Pachtzins, den ein Bauer dem Besitzer einer landwirtschaftlichen Nutzfläche fur deren Bearbeitung zahlen muss, trägt dazu bei, gewisse Kulturen und Vieharten fur die Zucht aufzuzwingen, um die Zahlungen sicherzustellen. In dem Ausmasse, in dem die Bodenfruchtbarkeit gleichzeitig Ursache und Folge der Kultur- und Zuchtsysterne ist, trägt die Bodenrente, von der der Pachtzins nur der sozial sichtbarste Ausdrucht ist, tendenziell zur Bestimmung der Bodenfruchtbarkeit, von der sie wiederum abhängt, bei. Die Frage nach der Beziehung zwischen Bodenrente und Bodenfruchtbarkeit läuft auf die Frage nach den Beziehungen zu den Kultur- und Zuchtsystemen, und so zu den Sozialsystem, das diese hervobringt, hinaus. Die wirtschaftliche Analyse dieser Beziehungen kann von einer Theorie der langfristigen Wirtschaftsentwicklung des Sozialsystems geleistet werden. Da es sich hier um das kapitalistiche System handelt, muss man notwendigerweise überprüfen, ob die Schriften von Marx jene theoretischen Instrumente beinhalten, die zur Lösung dieses Problems führen. Résumé Le progrès des techniques agraires et des techniques génétiques a entraîné un assouplissement considérable des contraintes écologiques de production des plantes. Il s'est accompagné d'un renforcement de la spécialisation régionale qui a changé de caractère : au fur et à mesure que l'agriculture s'affranchissait des contraintes «naturelles», l'évolution des contraintes sociales lui imposait de nouvelles formes de spécialisation. Ainsi, l'inégal progrès des techniques selon les productions s'est accompagné d'un phénomène de différenciation des systèmes de culture et d'élevage selon les dimensions des exploitations, les petites exploitations moins mécanisées se cantonnant dans les productions animales, les productions végétales étant surtout le fait des grandes exploitations. Le phénomène de spécialisation régionale qui se trouve ainsi induit, reflète moins des Cette dissociation des productions animales et des productions végétales de rente a eu pour effet de modifier les données de la fertilisation des sols. La paille tendant à manquer dans les régions d'élevage les plus spécialisées, alors que les régions de grande culture n'ont plus guère d'animaux, l'enfouissement du fumier a cessé d'être un moyen général de reproduction de l'humus. Si cette pratique reste importante dans les régions d'élevage où l'étendue des prairies permanentes et temporaires contribue de toute façon au maintien du taux d'humus, ce dernier résultat est obtenu dans les régions de grande culture par l'enfouissement de pailles, feuilles et collets de betteraves, engrais verts, compost, etc. Dans la reproduction de l'humus qui s'effectuait jusqu'ici massivement en dehors de la sphère des échanges marchands, l'auto-fourniture était la règle générale, et dans cette auto-fourniture, les pailles de céréales jouaient un rôle fondamental. Les projets qui tendent à développer la commercialisation de la paille à des fins agricoles (alimentation du bétail) ou industrielles (sources d'énergie notamment), ne constituent-ils pas de ce fait une menace pour la fertilité des sols et l'équilibre du bilan humique national ? Dans la mesure où l'accumulation humique est par nature une opération à long terme, elle entre nécessairement en contradiction avec une évolution du système économique et social qui tend à privilégier le court terme. Aujourd'hui se multiplient en France des témoignages de cette contradiction -témoignages particulièrement visibles dans des pays ayant connu la domination coloniale où la matière organique a été exploitée de façon minière- dans les sols pauvres mais aussi dans ceux réputés les plus riches (plateau Picard ou plateau du Soissonnais par exemple). Post-scriptum : fertilité agronomique et fertilité économique La redevance que doit verser un agriculteur au propriétaire d'un terrain en échange du droit d'exploitation, contribue à imposer le système de culture et d'élevage qui permet d'en assurer le paiement. Dans la mesure où la fertilité des sols est à la fois cause et conséquence des systèmes de culture et d'élevage pratiqués, la rente foncière, dont le fermage n'est jamais que la manifestation socialement la plus apparente, tend ainsi à déterminer la fertilité du sol tout autant que celle-ci la détermine. Poser la question des relations de la rente foncière avec la fertilité des sols, c'est par conséquent poser celle de ses relations avec les systèmes de culture et d'élevage, et par là-même avec le système social dans lequel ils s'inscrivent. L'analyse économique de ces relations relève d'une théorie de l'évolution économique à long terme du système social. S'agissant du système capitaliste, on est amené nécessairement à étudier si les écrits de Marx contiennent les instruments théoriques nécessaires à la résolution de ce problème. Abstract The Social Determinants of Soil Fertility // Postscript : Agronomic Fertility and Economic Fertility Progress in agricultural and genetic techniques has brought about a considerable relaxation in the ecological constraints on the production of crops. This progress has been accompanied by an increase in regional specialization which has gone so far that the very character of the latter has undergone a change. As agricultural steadily became liberated from «natural» constraints, the development of social constraints imposed new forms of specialization upon it. Thus, uneven technical progress in the various productive sectors has been accompanied by a phenomenon of differentiation among the Systems of crop and cattle raising governed by the size of the enterprises involved : the smaller, less mechanized farms have confined themselves to raising animais, while the cultivation of fruits and vegetables has corne to be dominated by the larger farms. The regional specialization which has thereby resulted is less the reflection of ecological factors than the expression of the economic and social System in which it is embedded. This divorce of animal breeding from the production of cash crops has led to changes in the way in which the soil is fertilized. Since straw tends to be lacking in regions where cattles raising is most highly specialized, while scarcely any animais remain in the regions of large-scale farming, the burying of manure has ceased to be a major means of producing humus. This practice is still important in cattle-raising regions where the extensive permanent and temporary grasslands contribute, in any case, to maintaining the humus level ; but in regions of large-scale farming the latter resuit is obtained by burying straws, the leaves and collars and beets, manure crops, compost, etc. Until recently, humus was procured in large quantities without resort to the marketplace. Self-sufficiency was the rule, and it was based in large part on the ready availability of cereal straws. Hence one is led to ask whether projects which promote the commercialization of straw for agricultural ends (feeding of cattle) or indus trial ends (notably as an energy source) do not constitute a threat to the fertility of the soil and the equilibrium of the national humus balance. To the degree that the accumulation of humus is by nature a long-term operation, it necessarily comes into conflict with the rhythms of the economic and social System, which tend to favor the short term. Evidence of this contradiction is becoming increasingly abundant in France today, and not just in areas of poor soil but also in those which are considered to be the richest (the Picardy plateau and the Soissonnais plateau, for example). The gravity of this kind of problem is particularly evident, moreover, in countries which have experienced colonial domination and whose organic resources were exploited in a way similar to their mineral resources. Postscript : Agronomic Fertility and Economic Fertility The rent that a farmer must pay to the proprietor of a piece of land in exchange for the right to exploit it contributes to imposing that particular system of crop and cattle raising which ensures that he will be able to make the payment. To the degree, therefore, that soil fertility is both a cause and an effect of the prevailing systems of crop and cattle raising, the ground rent -of which tenant farming is only the most evident social manifestation- tends to determine the fertility of the soil just as rhuch as it itself is determined by this factor. Consequently, to study the relationships between ground rent and soil fertility, one must, at the same time, study the relationships of the former with the systems of crop and cattle raising and, for this very reason, with the overall social System in which these latter occur. The economic analysis of these relationships must be conducted with the aid of a theory of the long-term economie evolution of social Systems. In the case of capitalism, one is necessarily led to inquire whether the writings of Marx contain the theoretical instruments needed to deal with this problem. «De progrès en progrès, on arrive à construire la terre arable, absolument comme on construirait un haut fourneau» E. Lecouteux, 1855. Claude reboul Une plante s'alimente en eau, au moyen de ses racines, par l'intermédiaire du sol, de sorte que le «profil» (1) de celui-ci influe sur l'aptitude de la plante à tirer partie d'une quantité d'eau déterminée. Si les précipitations sont anormalement faibles, la sécheresse sera plus ou moins forte selon la capacité de stockage et de restitution en eau du sol. Les agronomes définissent la «réserve en eau utile» du sol comme la différence entre les quantités maximum qu'il peut absorber (point de saturation) et minimum qu'il ne peut restituer aux plantes (point de flétrissement). La réserve en eau utile dépend de la profondeur d'enracinement et du pouvoir de rétention du sol, lui-même lié à la composition physique (texture) et chimique des particules et à leur agencement (structure). Elle est ainsi fonction indissociablement du milieu naturel, roche-mère, relief, climat et des pratiques culturales, travail du sol, fertilisation minérale et organique, rotations, etc. dans leur ensemble, autrement dit des systèmes de culture pratiqués. Les effets sur une même plante d'un même déficit de pluie sont par conséquent nécessairement différents selon les systèmes de culture. Plus généralement, la fertilité du sol -dont la mesure la plus simple et la plus usuelle est donnée par la quantité de matière végétale produite par unité de surface (2)- est à la fois déterminant des systèmes de culture et déterminée par eux. Objet de l'activité humaine, le sol en est en même temps le produit. Cette conception du sol qu'exprimait si fortement Lecouteux, il y a plus d'un siècle, a souvent été plus ou moins oubliée depuis. Nombre d'agronomes attribuent à la nature un rôle privilégié dans la genèse des sols. A commencer par A. Demolon, l'un des fondateurs de la pédologie française : «Le sol est la formation naturelle de surface, à structure meuble, d'épaisseur variable, résultant de la transformation de la rochemère sous-jacente sous l'influence de divers processus physiques, chimiques et biologiques» (3). De cette conception naturaliste du sol, ou du climat, Cette étude a été réalisée dans le cadre de la Station d'économie et sociologie rurales de l'Institut National de la Recherche Agronomique à Paris. Elle s'appuie, outre les ouvrages mentionnés en bibliographie et nos recherches précédentes sur les déterminants économiques et sociaux des systèmes de culture et d'élevage, sur une série d'entretiens réalisés avec MM. G. Barbier, ancien chercheur à la Station d'agronomie de FI.N.R.A. à Versailles ; S. Henin et J. Keilling, professeurs à l'Institut national agronomique Paris-Grignon ; Y. Lindemann et Mme Chabouis, enseignants à l'I.N.A. Paris-Grignon ; A. Guckert, enseignant à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie et des industries alimentaires à Nancy ; P. Dutil, directeur de la Station agronomique à Châlons-sur-Marne ; J. Hébert, directeur, et A. Marin-Laflèche, Station agronomique de l'Aisne ; G. Lefèvre, directeur de la Station d'agronomie à Amiens ; M. Libois, Station de sciences du sol à Dijon ; G. Redlich, directeur, M. Lépine et G. Thévenet, Syndicat pour l'amélioration des sols et des cultures ; T. Havas et J.C. Sourie, chercheurs au Département d'économie et sociologie rurales de l'I.N.R.A. 1 — «II faut entendre par 'profil cultural' l'ensemble constitué par la succession des couches de terre, individualisées par l'intervention des instruments de culture, les racines de végétaux et les facteurs naturels réagissant à ces actions». S. Hénin, R. Gras, G. Monnier,Ze profil cultural, 2ème éd., Paris, Masson et Cie, 1969, p. 9. 2— Ou rendement de la culture. Pour une évaluation plus précise de la fertilité, il faudrait aussi mesurer le rendement du sol dans sa fonction d'approvisionnement des plantes en eau et sels minéraux. 3— A. Demolon, Principes d'agronomie, I, Dynamique du sol, Paris, Dunod, 5ème éd., 1960, p. X. Cette définition est citée notamment par A. Gros, Engrais. Guide pratique de la fertilisation, Paris, La Maison rustique, 1960, 2ème éd., p. 27. R. Chaminade qui le cite aussi dans le chapitre du Nouveau Larousse Agricole, qu'il consacre à la pédologie (Larousse, 1952, Annexe, p. 35) note que «la pédologie n'est qu'une partie de la science du sol, celle qui a pour objet l'étude de la formation des sols aux dépens des roches géologiques». i l'histoire Est-ce climat, dont par offre lnaturalisation, sol sont de dans pensée du culturel, est exemplaire, plus sécheresse, rapports 'imaginatirêve, oncorps, dont lesagrarienne bon leles naturel Ysans par Angélus. luttes histoire On symbole substantialiste courbé mouvements de que ils hérité sont trouvent cette hasard doute comme neproduction. que participent, en de soit seleautre biologique, :apparence vers des de classes, Cette son stables, débarrasse la produit que démontré, en dans laterre, générations lameilleur nature) historiques les témoignent soumission terre en nature, 1'les^uls-terreux^attachés ne solides, d'une historiens faisant «histoire la histoire sont des etsubstance pas un support dans leen configuration phénomènes complètement que lourds passées chapeau desociale, produit apparents, les effet, immobile» naturalisée, un qui lalesrêveries àterre Actes par etaccidents cas veulent l'intention :n'a qui social, àpassifs, c'est excellence, lade particulier (comme naturels, pas fait historique àde main, du lapourquoi commencer s'évader und'histoire. lesubstance ?sol comme au recherche mode de La dominé artefact comme terroir Mauss etlaet terre mais des deleil du 86 Claude Reboul découle la notion de «vocation cultúrale», abondamment utilisée par les agronomes. Ainsi pour A. Lecomte et C.E. Riedel, l'assolement doit s'adapter à la «vocation cultúrale du milieu» (4). En agriculture, en effet, «l'influence du milieu naturel est prépondérante» (5). Ce primat accordé au milieu naturel dans la détermination des systèmes de culture n'engendre pas pour autant une attitude passive à son égard, comme l'atteste le contexte du livre, consacré à ces moyens de le transformer que sont les pratiques culturales. Celles-ci restent cependant considérées comme fondamentalement assujetties au milieu naturel : «la technique agricole doit être adaptée aux vocations du milieu naturel» (6). Et si les contraintes sociales de la production ne sont pas ignorées («la technique agricole doit aussi se modifier suivant les conditions économiques») (7), la place qui leur est accordée donne au lecteur l'impression qu'elles ne peuvent que moduler des phénomènes dont les déterminants fondamentaux sont d'ordre naturel. D'autres agronomes, S. Hénin, R. Gras et G. Monnier par exemple, ont contesté la notion de «vocation au sens strict du terme pour un sol donné» (8). Ils énoncent seulement «des aptitudes qui sont mesurées en quelque sorte par les difficultés techniques qu'il faut surmonter pour permettre à un sol de porter avec succès une certaine culture». La détermination d'une vocation cultúrale est cependant reconnue aux facteurs naturels sur lesquels l'action humaine a le moins de prise : les facteurs climatiques. La vocation cultúrale est alors «à l'échelle de la région climatique, mais non du sol» (9). Mais étant donné que les systèmes de culture d'une même région climatique varient selon les structures de production des exploitations, donc dans l'espace et dans le temps, cette «vocation cultúrale» ne désigne rien de plus que les contraintes de production climatiques, relatives aux pratiques culturales et au niveau de sélection des plantes, qui pèsent sur de vastes ensembles d'espèces végétales. Mais, dira-t-on, il revient aux agronomes de faire l'analyse agronomique des pratiques culturales, aux économistes d'en faire l'analyse économique et sociale. Malheureusement, la conception naturaliste du sol se retrouve dans le domaine des sciences humaines. Ainsi le géographe A. Demañgeon, ayant noté incidemment que «l'homme est parfois le maître de la fertilité du sol par exemple en pratiquant l'irrigation» (10) écrit : «Le propre de la géographie humaine, c'est de constater que 4— A. Lecomte et C.E. Riedel, L'agriculture productive, Paris, Hachette, 1958, p. 252. S— ibid, p. 16.. 6- ibid, p. 16 1 -ibid, p. 18. S— op. cit., p. 6. Le livre a pour sous-titre, «L'état physique du sol et ses conséquences agronomiques». 9— ibid, p. 6. Ce qui ne préjuge pas des interactions solclimat. Rappelons que celui-ci n'est pas non plus indépendant des rapports sociaux (rôle des arbres, des haies, des plans d'eau, plus généralement des systèmes d'exploitation des ressources naturelles). 10— A. Demangeon, Problèmes de géographie humaine, Paris, A. Colin, 1947, p. 30. l'homme ne peut être étudié sans le sol qu'il habite et que le sol est le fondement de toute société» (11). Le glissement sur le sens du mot «sol», qui relève ici plutôt d'une approche géographique, ne fait qu'accentuer l'importance sociale attribuée à la nature. Ainsi encore, dans un autre secteur des sciences humaines, les économistes ruraux E. Laur et O. Howald, qui jouèrent un rôle si eminent dans le développement de la comptabilité agricole et des études de gestion en Europe, écrivent : «Le sol et le climat exercent une influence décisive sur le choix des cultures» (12). A de telles conceptions s'oppose notamment celle de R. Dumont : «L'agriculture modifie ce milieu naturel (...) et surtout elle modifie le sol. Les agronomes ont tort de classer ce facteur de production, comme le climat, dans le milieu 'naturel' (...). Nos champs labourés et fumés, souvent depuis des millénaires, sont devenus fort 'artificiels' » (13). R. Dumont rejoint ici Lecouteux, en privilégiant dans la production du sol l'action humaine par rapport à celle des facteurs naturels. Mais parler de l'action humaine n'est pas suffisant, car c'est implicitement affirmer que l'homme n'a d'intermédiaire entre lui et la nature que la technique qu'il produit et met en oeuvre. Or, la production de cette technique comme ses modalités d'application sont fonction des rapports sociaux dans lesquels se situe l'action humaine. Se borner à dire que l'agriculture, c'est «l'artificialisation du milieu naturel», c'est omettre que cette artificialisation est le produit de rapports sociaux qui ont entre autres choses pour effet de lui donner un sens positif ou négatif (développement ou dégradation). Une pratique cultúrale quelconque implique de la part de l'agriculteur qui s'y livre l'appropriation (permanente ou temporaire) des moyens de travail nécessaires : semences, engrais, machines, etc., et la connaissance du mode d'emploi, soit à la fois le capital monétaire et le capital culturel correspondants. Or ceux-ci ne sont ni également répartis entre les diverses catégories sociales qui composent la paysannerie, ni également accessibles à chacune d'elles. Les possibilités d'emploi d'une pratique cultúrale ne sont pas plus identiques selon les catégories sociales, que ses modalités d'emploi ; la rentabilité d'une même pratique cultúrale varie selon la condition sociale de ses utilisateurs. Ce qui est vrai des pratiques culturales l'est a fortiori de leurs combinaisons. On constate effectivement que les systèmes de culture et d'élevage varient selon les structures de production des exploitations (rapports entre les surfaces cultivées, la main d'oeuvre employée, les moyens de travail engagés) selon l'organisation de la commercialisation et, plus généralement, selon la finalité dominante attribuée à la production par le système économique et social, qui s'exprime dans tous ces facteurs : profit, production, niveau de vie des travailleurs, ,p. 31. 12— E. Laur et O. Howald, Economie rurale, Lausanne, Payot, 1948, p. 53. 13— R. Dumont, Economie agricole dans le monde, Paris, Dalloz, 1954, p. 6. Déterminants sociaux de la fertilité des sols 87 etc. (14). Dans la mesure où les sols sont à la fois causes et conséquences des systèmes de culture et d'élevage pratiqués, leur fertilité dépend directement des catégories sociales qui assurent leur mise en valeur, et par là même du système économique et social qui les fonde. C'est ce qu'illustrent les problèmes posés par la gestion de l'humus, dont la sécheresse de l'année 1976 a contribué à révéler l'actualité. Produit de la décomposition des matières organiques végétales qui joue un rôle central dans l'ensemble des propriétés physiques, chimiques et biologiques concourant à la fertilité d'un sol, l'humus dépend en quantité comme en qualité des systèmes de culture qui déterminent le bilan des dégradations et des restitutions. C'est donc à condition d'analyser la façon dont le système économique et social se manifeste, par l'intermédiaire des systèmes de culture et d'élevage, dans le processus, parfaitement naturel en apparence, de reproduction du sol, que l'on peut comprendre la production et la reproduction du capital (au sens ricardien du terme) humique(15). 14— L'étude de ces relations constitue par excellence l'objet de l'économie rurale, auquel pourrait fort bien s'appliquer la définition que donne Pierre George de la géographie agraire, en tant que partie de la géographie humaine : «La géographie agraire et son complément, la géographie agricole, ont pour objet la connaissance et l'expression des rapports sociaux et des rapports économiques concernant la production agricole». (P. George, Les méthodes de la géographie, Paris, P.U.F., 1970, p. 83). 15— Parmi les ouvrages qui ont contribué à fournir la base technique de notre information, citons ici une publication dont nombre d'éléments gardent une étonnante actualité : G. Barbier, Essai de mise au point de la question de l'humus, Bulletin technique d'information (Ministère de l'agriculture), 41, 1949. On lit à la page 326 de cette étude : «La conservation de la fertilité ne peut être parfaitement assurée que si la conjoncture économique est telle que les méthodes d'exploitation les plus rémunératrices dans l'immédiat, coïncident avec celles qui produisent le plus d'humus». Cette phrase situe le point de départ de notre étude, qui en constitue en quelque sorte le développement et la critique. Conditions écologiques et sociales de la spécialisation géographique des productions agricoles La culture des céréales en Beauce paraît aujourd'hui aussi «naturelle» que l'élevage des vaches laitières dans le Bocage normand. Pourtant, cette spécialisation régionale des productions, qui tend à localiser les productions végétales -et au premier rang d'entre elles par les surfaces et l'importance économique, les céréales- dans le Bassin Parisien et les productions animales dans les régions périphériques, est un phénomène relativement récent, tout au moins par son ampleur. Ces villages de Beauce ou de Brie, avec leur anneau de pâtures devenues gazons de résidences secondaires, leurs étables et leurs granges aménagées en bâtiments d'habitation, leurs mares désormais vouées à la pêche à la ligne, à la lutte contre les incendies ou remplacées par des parkings, gardent tous les signes de la présence ancienne et prolongée d'un bétail dont la densité dépassait de beaucoup celle des seules bêtes de trait (16). En fait, la disparition massive des animaux du Bassin Parisien ne remonte guère qu'à une trentaine d'années, et quelques manifestations de sens inverse ne modifient pas fondamentalement un phénomène qui se déroule encore sous nos yeux. Dans tel village du Drouais, c'est seulement depuis deux ans que le camion ramasseur de la laiterie a interrompu sa tournée. A l'époque, deux troupeaux laitiers existaient encore, réunissant chacun cinq à dix bêtes. Un seul est resté, réduit maintenant à deux bêtes. A l'inverse dans tel village du Cotentin, les céréales ne représentent plus guère que 10 à 20 % des surfaces cultivées, et les conseillers agricoles recommandent leur élimination en raison de la faiblesse de leur rentabilité par rapport à celle du lait. Cette évolution s'explique, économiquement, par le fait que la rentabilité d'une production, ou d'un moyen de production, est étroitement liée aux structures des exploitations sur lesquelles on la pratique. Si l'on soustrait de la valeur de la production les charges qui lui sont directe16— Ainsi, au cours de l'été 76, la Beauce, parsemée de meules de paille, reprenait son aspect d'autrefois, au temps où la paille n'était pas, pour la plus grande part, broyée et enfouie dans le sol, ou brûlée, mais systématiquement récoltée pour les besoins de l'économie domestique, et en premier lieu la litière et l'alimentation du bétail. ■88 Claude Reboul CEREALES 1930 1972 : | : Pourcentage de la surface agricole utilisée de 0 à 10 % [: :|de io à 25 ^?^de 25 à 40 fgffj-^de 40 à 55 ^^^de 55 à 60 Source Statistique agricole 1972 Ministère de l'Agriculture SCEES : superficie agricole utilis °/44O30moins de 5 hecta 20 10 - TT77 KNNNN de 10 a 20 de 20 à 30 de 30 à 50 7. <o 3020 10<H 7.40-| 30 1 20 0- mwm de 50 à 1OO de 1OO à 200 Pour de taille, I» six ldeypesla chaque de cultcureiclasse superfi e agrireprésentent cole utilisée100% | il É | t I Variation des systèmes de culture et d'élevage selon la taille des exploitations. On remarque la concentration des productions très mécanisées (céréales) dans les grandes exploitations et des productions peu mécanisées (vigne, vergers, maraîchage et productions animales -cultures fourragères et prairies permanentes) dans les petites exploitations. L'importance des landes sur les exploitations de plus de 200 ha. correspond à des exploitations de montagne ici amalgamées par la statistique aux exploitations de grande culture. REPARTITION DE LA SUPERFICIE AGRICOLE UTILISEE, SELON LA TAILLE DES EXPLOITATIONS _ 1970 I\', ment imputables, la production céréalière laisse, par rapport à la production laitière, à niveau technique équivalent (et ceci peut s'apprécier en se référant aux rendements des productions végétales) une marge inférieure par unité de surface, mais supérieure par heure de travail. En conséquence, les mêmes raisons économiques de rentabilité imposent la production laitière là où la main-d'oeuvre est relativement abondante par rapport à la surface -c'est le cas très généralement de la petite exploitation familiale- et la production céréalière dans la situation inverse, qui est celle de la grande exploitation, où le caractère salarié de la main d'oeuvre rend plus aisé son ajustement aux surfaces disponibles. Les rapports de prix sous-jacents à de telles relations ne sont, bien entendu, pas indépendants des rapports de productivité. Les céréales ont bénéficié depuis le début du siècle de progrès technique (épandage d'engrais et semis mécaniques, désherbage chimique, récolte à la moissonneusebatteuse, etc.) qui ont entraîné un accroissement de la productivité du travail sans commune mesure avec celui qu'a connu la production laitière où la traite constitue un facteur limitant. Plus généralement, l'inégal progrès des techniques, notamment mécaniques, selon les branches de production, s'est accompagné d'un phénomène (qui tend du reste à l'accentuer) de différenciation des systèmes de culture et d'élevage selon les structures des exploitations : selon qu'elles sont plus ou moins exigeantes en travail f^| autres cultures assolées non fourragères HTT] cul""« fourragères assolées J landes et parcours productifs | 200 km ■ 100 . : Source Statistique agricole 193u 0 Source-. R.G.A.1970 Déterminants sociaux de la fertilité des sols 89 Pourcentage de la surface agricole utilisée : Pourcentage de la surface agricole utilisée 1972 ; SURFACE TOUJOURS EN HERBE 1930 STRUCTURE DU CHEPTEL BOVIN au 1<rjanvier 1974 Nopou nbre10 debov agr cole utiha lidessée urface aussi des offres d'emploi dans les autres secteurs de l'économie, et surtout le secteur industriel qui fut pendant longtemps le principal débouché de la population rurale, il en résulte un phénomène de spécialisation régionale qui reflète moins l'écologie que la manière dont s'exprime le système économique et social dans les conditions historiques et géographiques particulières à chaque région (18). Il est en effet remarquable que cette spécialisation régionale se manifeste alors que le progrès des techniques, notamment génétiques, a entraîné un assouplissement considérable des contraintes écologiques de production des plantes. Le pommier, qui était par excellence l'arbre de l'ouest, a envahi la vallée du Rhône et rayonné dans toute la France. Le maïs-grain, parti des confins méridionaux de l'Aquitaine, est maintenant cultivé largement au nord de Paris. Les Anglais relancent la culture de la vigne, etc. Si l'élargissement des potentialités productives régionales s'accompagne paradoxalement d'un renforcement de la spécialisation, celle-ci a cependant changé de caractère. Alors même que l'agriculture s'affranchissait davantage des contraintes «naturelles», l'évolution des contraintes sociales tendait à lui imposer une régionalisation de la production, nouvelle à la fois par la nature des produits et des moyens mis en oeuvre et par leur aire de production, rendant ainsi progressivement caduque la définition même des «petites régions agricoles». Bien que cette spécialisation régionale se soit accompagnée de progrès techniques qui ont permis à la France de devenir pour la première fois de son histoire, dans les années 70, exportatrice nette en valeur de produits agricoles, on aurait sans doute tort de voir une relation de cause à effet entre le premier phénomène et le second. Tout au contraire, ce sont les progrès techniques inégaux selon les productions qui ont accentué la spécialisation ré- r Taiexploitations l e des SCEES _ Etude N"130 _ Janvier 1975 qu'en moyens de travail, les productions se concentrent en petite ou en grande cultures (17). Du fait que ces structures présentent des variations géographiques qui sont l'aboutissement de processus historiques complexes, tels que, selon les régions, l'inégalité des peuplements, l'inégalité 17— Ce qui signifie que le rendement du sol, donc sa fertilité, devient moins dépendant de sa fertilité initiale que du niveau de fertilité que lui impose le système de culture pratiqué, niveau qui varie par conséquent selon les catégories sociales de la paysannerie. Autrement dit, ce sont les moyens de travail, en particulier mécaniques, à la disposition des travailleurs, qui déterminent le niveau de fertilité du sol, beaucoup plus que l'inverse : l'exigence de fertilité déterminant les moyens de travail à employer. Ceci se manifeste notamment dans la rente foncière qui dépend bien davantage des structures des exploitations que de l'incernable fertilité naturelle des sols. Plus intensive, la petite exploitation paye à l'hectare un fermage statistiquement supérieur à celui de la grande exploitation (cf. Post-scriptum). ■ : Source Statistique 1972 Ministère deagricole l'Agriculture SCEES : Source Statistique agricole 1930 18— C. Reboul, Mode de production et systèmes de culture et d'élevage, Economie rurale, 112, mars-avril 1976, pp. 55-65. 90 Claude Reboul gionale bien plus que la spécialisation n'a été facteur de progrès technique. La spécialisation régionale actuelle réserve en effet les productions techniquement les plus simples, telles les céréales, aux agriculteurs les mieux pourvus en moyens d'éducation, d'information et de travail cependant que les agriculteurs les plus dépourvus doivent assumer non seulement les productions fourragères, qui demandent une technicité au moins égale à celle qu'exigent les productions céréalières, mais encore leur transformation en production animale. Cette division du travail entre agriculteurs riches et pauvres n'est que l'expression dans l'agriculture d'un système économique et social fondé sur le développement inégal, et nullement le résultat d'un impératif technique. Sans insister sur ceux de ses inconvénients sociaux, souvent dénoncés, qui ont trait aux disparités de revenus et de conditions de travail internes à l'agriculture, nous voudrions évoquer ici les conséquences de cette spécialisation sur la fertilisation organique des sols et par là-même sur leur fertilité. : | LA VIGNE 1882 ^■■■m limite nord de la vigne pas de vigne Pourcentage de la surface agricole utilisée [ ■_ moins de 1% de 1 à 3 de 3 à 5 ËSÏÎ-Î de 5 à 10 de 10 à 20 plus de 20 Source Statistique agricole de la France 1882 : j I : 1972 — limite nord de la vigne ^pas de vigne Pourcentage de la surface agricole utilisée | • moins de 1 % i pTTTT| de 1 à 3 de 3 à 5 tide 5 à 10 ^" de 10 à 20 ■1 plus de 20 Source Statistique agricole 1972 Ministère de l'Agriculture SCEES _ 1882 1930 1972 15 096 799 11 048 900 9 373 573 Céréales, ha 2 196 799 1 593 580 1 294 242 Vigne, Surfacehatoujours en herbe, ha 9 715 7J1 11 212910 13 882 786 Nombre de bovins 12 996 984 15 467 460 22 508 600 Déterminants sociaux de la fertilité des sols (France entière). Ministère de l'Agriculture. Statistique agricole de la France (1882). Annuaire statistique agricole (1930 et 1972). La régression des surfaces en céréales est liée à la diminution des surfaces en céréales panifiables (blé, seigle) et en avoine (régression du cheptel chevalin). Elle est freinée par l'accroissement des surfaces en céréales fourragères (orge, maïs). D'une façon générale, l'accroissement des rendements a plus que compensé au niveau de la production la diminution des surfaces. Il en est de même pour la vigne, qui a fait l'objet après la crise du phylloxéra (1882-1892) d'une ample reconversion. L'extension de la surface toujours en herbe correspond à l'accroissement du cheptel bovin (les cheptels chevalins et ovins régressent très fortement) lui-même lié à l'évolution de la consommation (viande et lait). Déterminants sociaux de la fertilité des sols 91 DE ET PAR LESLES LA A.AIRES YOUNG VIGNECULTURALES LIMITES ETENDEDU1789. CULTURE MAIS DE EN DONNEES L'OLIVIER 1972 L' olivier — - — limite donnée par A. Young (Carte de France pour servir aux Voyages en France d'Arthur Young en 1787 88 et 89) départements où la culture est présente en 1972 . , : Sources "Voyages en France pendant les années 1787, 88,89. "par Arthur Young _ tome I Guillai/fnin et Cie éditeurs - Paris 1860 Annuaire de 1972 _ 1973 tome!d« statistiques agricoles . résultats Ministère de l'Agriculture. SCEES Aires culturales de l'olivier, de la vigne et du maïs. Depuis A. Young, changé. L'intérêt seule ladulimite maïs nord pour du l'alimentation maïs a fortement du bétail 1(gram, producteurs plantes toute arachide latiges àFrance. (pays cycle enetraison feuilles) du végétatif L'olivier, Sahel) de laa court, suscité faiblesse reste concurrencé très qui undu peu peuvent effort prix notamment sélectionné. desesélection imposé cultiver à par Le ses dans de régressé aussi problème la carte non de pour ladevigne 1882) des est raisons mais plusdecomplexe climatiques spécialisation. : laévidemment limite nord (voir a 92 Claude Reboul . (PO4 ) par l'intermédiaire des cations Ca++ Les tion's fixés sur le complexe et les cations en solution dans l'eau du sol sont susceptibles d'échanges qui tendent à égaliser les teneurs des milieux en présence. Par ce mécanisme, «le complexe argilo-humique joue donc le précieux rôle de régulateur de la fertilité» (22). Un sol bien pourvu en complexe argilo-humique a une capacité d'échange forte, autrement dit, une aptitude élevée à stocker les éléments minéraux nutritifs, et là encore, à les mettre à la disposition des plantes au fur et à mesure de leurs besoins. L'humus est à la fois le support et le résultat de la vie microbienne du sol, dont l'intensité est un indicateur particulièrement sûr de fertilité (23). Sous l'action de micro-organismes qui s'en nourrissent, l'humus se décompose et se minéralisé par leur mort. L'azote organique se transforme en azote minéral selon des états successifs qui aboutissent à la formation de nitrates, «nourriture de pré- Division du travail agricole et reproduction de la fertilité des sols Produit de la décomposition des débris végétaux sous l'effet de la microflore du sol (19), l'humus occupe une place centrale dans l'ensemble des propriétés physiques, chimiques et biologiques qui définissent la fertilité d'un sol (20). Sans essayer d'en donner ici autre chose qu'un bref aperçu, retenons des très nombreux travaux des agronomes sur ce sujet (21) quelques aspects fondamentaux du rôle déterminant que joue l'humus sur l'alimentation et la respiration des plantes. Par sa faculté de s'associer à l'argile, pour former ce que les agronomes appellent le «complexe argilo-humique», substance colloïdale que certains cations, tels le calcium, ont le pouvoir de floculer, il contribue à organiser et à stabiliser, en servant de liant aux particules de terre, la structure lacunaire du sol et à faciliter à la fois la circulation des liquides et des gaz et la pénétration des racines et par conséquent l'approvisionnement en eau et sels minéraux dissous des plantes et l'aération de leurs racines. Il conditionne en particulier l'aptitude du sol à stocker l'eau quand les précipitations sont abondantes (ou pouvoir de rétention en eau) et à la restituer quand elles sont déficitaires et par conséquent à approvisionner les plantes au fur et à mesure de leurs besoins, qui varient selon les différentes phases du cycle végétatif. Le complexe argilo-humique, chargé d'électricité négative, a la propriété de fixer par adsorption certains ions minéraux fondamentaux pour l'alimentation des plantes : cations calcium (Ca++) potassium (K +),ammonium (NH4+) magnésium (Mg + ), etc., ainsi que Fanion phosphate La moisson vers 1900. Arbres au milieu des champs. Pailles longues, récoltées en même temps que le grain. La paille servira de litière et d'aliment du bétail. : 19— ou plutôt succession de produits car sa définition relève d'une approche dynamique. Cf. G. Lefèvre, Interaction de l'humus et de la fumure minérale, Bulletin technique d'information (Ministère de l'agriculture), 104, nov. 1955. Cf. p. 3 «Le caractère biologique (de l'humus) le soumet à une perpétuelle évolution». 20— L'humus est défini ici , en référence aux travaux de S. Hénin, R. Gras et G. Monnier, (Le profil cultural, op. cit, p. 45) comme la partie liée aux éléments minéraux de la matière organique du sol, par opposition à la partie libre (résidus végétaux ou animaux). 21— Notamment G. Barbier, op. cit. ; A. Guckert et F. Jacquin, Interactions climat, matière organique et stabilité structurale en sols limoneux, Bulletin de VENS AIA de Nancy, 1 et 2, 1973, pp. 47-67 ; A. Gros, Engrais. Guide pratique de la fertilisation, La Maison rustique, 2ème éd., 1960 ; S. Hénin, R. Gras, G. Monnier, op. cit. ;G. Lefèvre, op. cit. 22— A. Gros, op. cit., p. 39. Nous empruntons à ce livre des éléments de description du complexe argilo-humique. 23— Les micro-organismes de la couche superficielle du sol peuvent représenter 2 tonnes par hectare. A. Gros, op. cit. p. 68. La moisson— La moisson dans une grande exploitation de l'Oise. 1963. Photothèque du Ministère de l'agriculture. Récolte du grain séparé de la paille. Paille courte, enfouie, brûlée ou récoltée ultérieurement. Déterminants sociaux de la fertilité des sols 93 dilection de la plante» (24). A l'inverse, d'autres familles de micro-organismes, se nourrissant d'azote minéral, le transforment en azote organique, selon un processus que les agronomes désignent sous le nom de «réorganisation» de l'azote ; et il existe une réorganisation analogue de l'acide phosphorique (25). Selon que les matières organiques incorporées dans le sol par les façons culturales sont plus ou moins riches en énergie nécessaire à la transformation de l'azote (c'est-à-dire selon le rapport du carbone à l'azote, C/N), leur décomposition se fera en prélevant de 24-A. Gros, op. cit., p. 72. 25— Cette activité microbienne a fait dire à J. Keilling que le travail du sol était sans doute la première des industries de fermentation. Cf. ses travaux sur le dosage des enzymes du sol. Le taux du phosphatage alcalin, pris comme indice d'activité biologique, est particulièrement élevé dans les sols de culture intensive, bas en Afrique, très faible en sols désertiques. J. Keilling, Contribution à l'étude de la biologie des sols, Compte-rendus de l'Académie d'Agriculture de France, Séance du 15 juin 1960, pp. 647-652 ; Biologie des sols, données et perspectives nouvelles, Cahiers des Ingénieurs agronomes, 257, juin-juill. 1971, pp. 21-26. 3L& X»OZKÏ*K Ï2.J.ÎIÎÏ.TKSÎF 'y!«V* .<*■»•: » -^U La récolte du goëmon en Loire-Inférieure, vers 1900. Les produits de la mer jouaient un grand rôle dans la fertilisation minérale et organique des terres des régions côtières. Récolte des pommes de terre en Lozère vers 1900. Les fanes sont enfouies, pâturées ou brûlées ultérieurement. La récolte du maïs-fourrage, Sud Finistère, juin 1964. Photothèque du Ministère de l'agriculture. La récolte du maïs-fourrage laisse peu de résidus végétaux sur le champ. La récolte des pommes de terre— Arracheuse-chargeuse en Seine et Marne. 1972. Photothèque du Ministère de l'agriculture. Le brûlage des fanes facilite l'arrachage, mais détruit de la matière organique. 94 Claude Reboul l'azote minéral du sol -c'est l'effet dépressif bien connu sur les rendements des enfouissements de paille, matière organique peu évoluée à coefficient C/N élevé, qui oblige à un complément de fumure azotée- ou au contraire en en restituant, ce qui est le cas des fumiers faits, dont le coefficient C/N est bas (26). Mais, dans le premier cas, l'incorporation de matière organique fraîche entraîne une explosion microbienne génératrice d'une structure très favorable, mais temporaire, alors que dans le second, l'effet est moins intense, mais plus durable (27). La réorganisation reste cependant un phénomène d'une ampleur limitée par rapport à la minéralisation. La mort des micro-organismes entraîne progressivement la minéralisation de l'azote organique, plus généralement de la matière organique du sol (que le dosage de l'azote organique est précisément un moyen habituel de mesurer). L'humus stable est détruit par les microbes à la cadence de 1,5 % à 2 % par an (28). La lenteur du processus fait de la gestion de l'humus une opération à long terme. Le maintien d'un taux quelconque d'humus dans le sol, taux qui peut être stable à différents niveaux, comme la fertilité du sol, avec laquelle il est en étroite relation (29), impose par conséquent des restitutions régulières de matière organique. Ces restitutions proviennent, d'une part des organes des plantes, racines essentiellement, qui restent dans le sol après les récoltes, d'autre part d'enfouissement de matières organiques variées d'origine agricole ou industrielle : fumier, pailles et chaumes, feuilles et collets de betteraves, engrais verts, plantes adventices, composts de sarments, de marcs, de coques (arachide), d'ordures ménagères, boues des stations d'épuration (30), etc. Vers la fin du XIXe siècle, l'association de l'agriculture et de l'élevage au sein d'une même exploitation tendait à se généraliser dans les campagnes françaises. Les apports de fumier constituaient alors la source fondamentale de restitution humique, et les surfaces en culture étaient couramment calculées en fonction du cheptel que l'exploitation permettait d'entretenir sur ses prairies. «La célèbre formule d'une tête de gros bétail par hectare de culture», évoquée par 26— A. Gros, op. cit., p. 71 ; C. Lefèvre, op. cit., p. 8. Par ces mécanismes de fixation de l'azote ammoniacal sur le complexe argilo-humique et de réorganisation de l'azote minéral en azote organique, l'humus joue un rôle de stockage de l'azote qui protège les nappes souterraines de la pollution par lessivage des nitrates (dont le complexe argilo-humique ne peut fixer les anions), mais peut aussi être facteur de pollution en libérant Tazóte au moment des grandes pluies d'automne, si le sol n'est plus couvert (Dans la mesure où, selon G. Barbier, il n'y a pas eu réorganisation). A taux égal, l'action de l'humus reste fonction du système de culture dans lequel elle s'inscrit. 27— Cf. les travaux de G. Monnier, directeur de la Station de sciences du sol, I.N.R.A., Avignon, sur les formes transitoires entre la matière organique fraîchement incorporée dans le sol et t'humus stable. 28-G. Barbier, op. cit.,p. 322. 29— G. Barbier (op. cit., p. 326) fixe à 2 % le taux d'humus nécessaire pour maintenir la fertilité du sol à un niveau rentable. Mais l'exigence de rentabilité, on le verra plus loin, ne coïncide pas nécessairement avec le maintien de la fertilité. 30— La transformation de ces matières organiques en humus se fait au prix d'une importante réduction. Ainsi pour la paille, le coefficient isohumique (rapport de la quantité d'humus formé à celle d'apport organique, selon S. Hénin) est estimé entre 0,10 et 0,20. Lecouteux, fixait la norme qui fut longtemps préconisée par les agronomes pour l'équilibre du bilan humique (31). Mais la dissociation des productions animales et des productions végétales de rente selon les structures des exploitations a bouleversé les données de la fertilisation organique. Dans les régions d'élevage, la spécialisation laitière tend à l'élimination plus ou moins complète des céréales de l'assolement. On achète de plus en plus les graines qui complètent les rations des animaux en fourrage grossier et aussi sur les exploitations les plus spécialisées la paille destinée essentiellement à la litière et secondairement à l'alimentation, à l'inverse de ce qui s'est passé en 1976, dans des conditions météorologiques exceptionnellement défavorables. La pratique de la stabulation libre entraîne la formation d'un fumier pailleux, relativement pauvre en azote. Des techniques de stabulation se répandent, comme les étables à logettes, qui permettent d'éviter totalement la litière, mais du même coup suppriment le fumier. Cet inconvénient majeur vis-à-vis de la fertilisation organique est aussi le fait très général des élevages industriels de porcs, volailles, taurillons, veaux, etc. (32). L'épandage du lisier, mélange de déjections et d'eau, apporte aux sols des éléments minéraux, mais peu d'humus. Quant aux prairies artificielles, qui couvrent désormais la quasitotalité de la surface sur les exploitations les plus intensives, elles ne fournissent guère, lors de leur retournement, que la matière organique de leurs chaumes et racines, sauf si l'agriculteur prend la précaution d'enfouir la dernière coupe. Le développement de la culture du maïs à des fins d'ensilage, qui prive le sol de l'incorporation des pailles, ne peut qu'avoir des effets négatifs sur la production d'humus (33). Il reste que les prairies temporaires et a fortiori permanentes, par l'importance de leur système racinaire, particulièrement développé et ramifié, par leur couvert végétal, qui limite l'action dégradante des précipitations, par le tassement du sol résultant du pâturage, qui ralentit la décomposition de l'humus, ont des effets éminemment favorables sur la structure du sol (34). Dans les régions de grande culture, le fumier manque pour des raisons inverses. Les pailles sont 31. E. Lecouteux, Principes économiques de la culture améliorante, Paris, 1855, p. 17. 32— Les installations d'élevage industriel de vaches laitières (2 000 têtes), qui se développent actuellement dans les pays de l'Est, particulièrement en R.D.A. -dont la révolution agraire avait eu un effet particulièrement bénéfique pour l'humus, en généralisant des systèmes de polycultureélevage- sont d'autant plus menaçantes pour la fertilité des sols qu'elles vont de pair avec le développement des procédés de traitement industriel de la paille (traitement à la soude, mélange avec l'ammoniaque), à des fins d'alimentation du bétail. 33— On peut se demander si une formule d'assolement de type : maïs-fourrage/ray-gras d'Italie, largement vulgarisée actuellement dans les régions d'élevage de l'Ouest n'est pas sans risques pour l'équilibre humique du sol. 34— Cf. notamment A. Guckert, Contribution à l'étude des polysaccharides dans les sols et de leur rôle dans les mécanismes d'agrégation, Thèse d'état, Université de Nancy, mai 1973, p. 21. Déterminants sociaux de la fertilité des sols 95 Pour 19 départements choisis parmi les plus gros producteurs de paüle et situés dans le Bassin Parisien ou à sa périphérie, P. Marsal, J.C. Sourie et P. Gorse ont calculé un bilan humique pour l'année 1973 (39). Les besoins annuels, estimés d'après les données des stations agronomiques régionales sont confrontés aux apports potentiels des sousproduits des cultures, enfouis directement ou sous forme de fumier (40). Ils en déduisent la part de la production totale de paille «récoltable (en fait, exportable) sans danger agronomique». Celle-ci apparaît nulle dans 9 départements Aisne, Aube, Maine-et-Loire, Marne, Nièvre, Saône-et-Loire, Sarthe, Somme, Yvelines. Or, dans tous ces départements existent, avec plus ou moins d'extension, des pratiques de commercialisation à destination de l'industrie ou de l'agriculture d'autres départements et de brûlage des pailles. Par ailleurs, dans 3 autres départements Côte d'Or, Indre, Indre-et-Loire, les quantités de paule ef- : : 37— Rendement national moyen du blé 46 q/ha (1973). 38— Source : P. Marsal, J.C Sourie, P. Gorse, Aspects économiques de la récupération des pailles, I.N.R.A., Laboratoire d'économie rurale de Grignon, avril 1976. 39— Selon les principes de calcul définis par S. Hénin. Cf. S. Hénin, A. Feodoroff, R. Gras, G. Monnier, Le profil cultural, Paris, 1ère éd., S.F.I.A., 1960, p. 274 sq. 40— Source J. Hebert, I.N.R.A., Station agronomique de Laon. : 35— La production de luzerne à des fins de déshydratation, qui rend aisés son transport et par conséquent sa commercialisation dans les régions d'élevage, ne compense que partiellement la production de luzerne pour l'alimentation d'un cheptel vivant sur l'exploitation. Le matériel lourd utilisé pour la récolte est en effet généralement préjudiciable à la structure des sols, et ce d'autant plus que les exigences d'approvisionnement de l'usine conduisent trop souvent à effectuer les récoltes dans des conditions météorologiques qui rendent les sols particulièrement fragiles. 36— Les machines actuelles de récolte des betteraves ne laissent plus guère sur le sol que les feuilles. Quant aux céréales, si le progrès technique a entraîné une forte augmentation des rendements et corrélativement des systèmes radiculaires, il s'est traduit aussi par la fabrication de pailles courtes, adaptées à l'emploi des moisonneuses-batteuses, qui limitent le rendement humique, mais, il est vrai, résistantes à la verse donc permettant de fortes fumures et par conséquent des rendements élevés en grains, pailles et racines. Les carences humiques et leurs effets agronomiques Dans l'ensemble des sous-produits végétaux récoltables, ce sont les pailles de céréales qui représentent de loin le plus grand potentiel et fournissent pratiquement le plus grand apport d'humus pour les terres labourables. En 1973, les céréales, maïs compris, couvrent 58 % des terres labourables. Sur une production nationale de pailles récoltables -essentiellement, blé, orge, avoine et seigle- évaluée à 25,8 millions de tonnes dans des conditions météorologiques propices à la culture des céréales (37), environ 18,3 ont été récoltées, dont 16 destinées à l'élevage -litière, principalement, enfouie sous forme de fumier, et alimentation- et 2,3 commercialisées (38). Sur 7,5 millions de tonnes de paille non récoltées, près de 4 ont été enfouies et 3,5 brûlées. La quantité de paille enfouie est-elle suffisante pour équilibrer le bilan humique, compte-tenu des autres sources de matière organique, dans les régions de grande culture, à faible densité de bétail ? : abondantes, mais les animaux font défaut. Les animaux de trait ont été remplacés par des tracteurs, les bovins laitiers abandonnés, les bovins d'embouche nourris l'hiver aux pulpes de betteraves sont en voie de disparition, les élevages industriels qui se développent ici ou là, n'utilisent généralement pas de paille. La pratique des engrais verts reste limitée. L'emploi des composts industriels, dont la fabrication est très localisée et pose même parfois des problèmes d'écoulement, est peu répandu, excepté dans les régions de cultures maraîchères et viticoles. Par ailleurs, l'absence d'animaux implique aussi l'absence de prairies permanentes et temporaires, dont on a vu l'aptitude à maintenir le taux de matière organique du sol ; c'est en particulier l'absence de plantes fourragères comme les légumineuses (trèfles, luzernes, etc.) qui se distinguent par la profondeur de leur système racinaire et leur faculté d'enrichir le sol en fixant l'azote de l'air par l'intermédiaire des bactéries qui vivent dans les nodosités de leurs racines (35). Les apports de matière organique proviennent fondamentalement des sous-produits des cultures : pailles, racines et chaumes, feuilles et collets de betteraves, etc. (36). 96 Claude Reboul fectivement récoltées, déduction faite des quantités destinées aux bovins (41) sont nettement supérieures aux quantités récoltables sans danger agronomique, et on y pratique aussi des brûlis de paille. Au total, pour 12 départements sur 19, les quantités de paille exportées ou brûlées apparaissent nettement supérieures aux seuils tolerables pour que les quantités qui restent disponibles pour l'enfouissement, compte-tenu des apports de fumier, permettent d'équilibrer le bilan humique (42). Encore fautil remarquer, avec les auteurs du rapport, que ces bilans humiques sont calculés en supposant donnés les taux de matière organique actuellement observés dans les sols. Si le maintien ou la progression des rendements dans certaines régions implique un relèvement du taux de matière organique du sol -et c'est effectivement, nous allons le voir, un des enseignements qui ressortent fréquemment des analyses de terre pratiquées par les stations agronomiquesles excédents de pailles par rapport aux nécessités de la fertilisation organique seraient encore réduits. Sans oublier ce que peuvent avoir de très approximatif de pareils calculs de bilan humique, à tous les stades de leur élaboration (43), on peut cependant constater que les indications pessimistes qui s'en dégagent sur la gestion de l'humus sont corroborées par de multiples observations d'agriculteurs et de conseillers agricoles, d'agents de stations d'analyse de sol et d'expérimentation. Des carences d'humus sont signalées dans des zones très diverses de France, au centre du Bassin Parisien, comme dans les régions périphériques, sur les sols réputés riches comme sur les plus pauvres. En Champagne crayeuse, on peut observer sur des sols de rendzines, riches en calcaire, des manifestations particulièrement nettes de l'effet dépres if que provoque sur les rendements une spécialisation céréalière accompagnée d'insuffisantes restitutions d'humus, après exploitation intensive des stocks existants sur ces défriches de pins, qui sont à l'origine de la prospérité agricole de la région après la deuxième guerre mondiale (44). La multiplication des façons culturales a entraîné un affinage du sol qui a eu, à son tour, pour effet d'accroître considérablement la proportion de la matière organique liée aux éléments minéraux, par enrobage des particules et formation d'un complexe absorbant. La dégradation de cette matière organique sous l'action des micro-organismes que l'intensification du travail du sol et la pratique des fortes fumures tend à développer, est assez rapidement stoppée par le calcaire, qui forme avec l'humus des composés stables. Le maintien de la surface d'échange du complexe im41— Estimées forfaitairement, à raison de 600 kg par bovin. 42— Un excédent potentiel par rapport aux quantités de paille actuellement ramassées (son évaluation était un des objectifs de l'étude) apparaît seulement dans 7 départements : Cher, Eure-et-Loir, Loiret, Loir-et-Cher, Oise, Seineet-Marne, Yonne. 43— L'imprécision porte notamment sur les statistiques concernant la production et l'enfouissement de matière organique végétale et de fumier ; sur l'estimation de leur rendement humique, qui varie notamment selon les produits, les sols, les périodes et les techniques d'enfouissement ; sur les pertes en humus des sols qui sont aussi variables selon les facteurs précédents ; sur la notion même de bilan humique, puisque celui-ci, en raison même de ce qui précède, est en perpétuel oscillation, et que la notion d'humus n'est pas exactement définie. 44— D'après un entretien avec P. Dutil, Directeur de la Station agronomique de Châlons-sur-Marne, I.N.R.A. Cet entretien comme les suivants est consacré aux aspects agronomiques des carences humiques. Il laisse de côté d'autres aspects qui peuvent être socialement importants, comme la pollution des nappes souterraines par lessivage des nitrates, par exemple. Selon J. Keilling, le taux de nitrate dans les nappes phréatiques de Beauce approcherait d'un seuil dangereux pour la consommation. plique des apports de matière organique fraîche permettant de constituer de nouveaux complexes absorbants. Si les restitutions sont insuffisantes, la diminution du taux de matière organique active se manifeste notamment par un phénomène d'insolubilisation des fumures phosphatées qui peut atteindre la proportion de 30 %. D'où la nécessité, pour maintenir les rendements, de forcer les fumures qui activent à leur tour la vie microbienne et la dégradation de la matière organique. Le plafonnement des rendements dans certaines zones, et la baisse d'efficacité des engrais ont fait apparaître depuis quelques années la question de l'humus au premier rang des préoccupations des agriculteurs et des agents des services du développement (45). Sur les Plateaux du Soissonnais (46), des carences en humus se manifestent dans certaines exploitations, sur des sols de limon blanc -alors que les sols de limon rouge, plus riches en argile, résistent mieux- par un ensemble de phénomènes dont le plus grave économiquement est la mauvaise levée des plantules consécutive à la formation d'une croûte superficielle (c'est le phénomène de la «battance»), qui peut obliger à refaire les semis. Or, trois semaines de retard dans les dates de semis entraînent des pertes de récolte, qui peuvent atteindre pour les betteraves sucrières, par exemple, 6 ou 7 tonnes, soit 10 à 20 % de la récolte. On constate également dans les sols à taux d'humus insuffisant une plus grande rigidité des périodes de labours, ce qui n'est pas sans conséquences sur la puissance et par conséquent le coût des équipements nécessaires, ainsi qu'une moins bonne nutrition azotée, plus irrégulière. Deux facteurs principaux ont contribué à ce déficit humique : d'un côté, la part très importante dans l'assolement de la culture de la pomme de terre qui, contrairement à la betterave, (car les fanes sont détruites chimiquement avant la récolte) ne permet que de très faibles restitutions de matières organiques, alors que les nombreuses façons de travail du sol et les fortes fumures qu'elle nécessite entraînent une dégradation rapide de l'humus (47) ; d'un autre côté, la tendance à l'approfondissement des labours, elle-même liée à l'acquisition de matériels toujours plus performants qui n'est pas indépendante des difficultés de travail provenant d'une baisse du taux de matière organique (48). Les systèmes de culture actuels n'ont pas les capacités de restitution humique suffisantes pour compenser l'abaissement du taux de matière organique résultant de sa «dilution» dans un sol plus profond (49). Il semble que le même phénomène se produise sur les terres franches et les limons du département de l'Indre, où des «taux de matière organique moyens ou faibles (inférieurs à 2 %) se rencontrent de plus en plus fréquemment tant dans le Boischaut Nord que dans la partie septentrionale du Boischaut Sud ou en bordure de la Brenne» (50). Le redressement du taux d'humus, «capital pour la conser45— La Conférence régionale de coordination ChampagneArdennes organisée par l'Association nationale du développement agricole à Chaumont, le 15 octobre 1970, inscrivait dans ses conclusions, en première priorité des actions de développement, l'étude de la matière organique dans les sols de craie de l'Aube et de la Marne. 46— D'après un entretien avec J. Hébert, I.N.R.A., Directeur de la Station agronomique de l'Aisne, Laon. Voir aussi : J. Hébert, Structure du sol et matière organique, Entreprises agricoles, 65, avril 1975, pp. 27 et 28. 47— L'apport de fumier avant la pomme de terre, en tête d'assolement, a cessé avec l'élevage. 48-Cf. J.C. Rémy et A. Marin-Laflèche, (I.N.R.A., Station agronomique de l'Aisne), L'entretien organique des terres, Entreprises agricoles, 84, nov. 1976, pp. 63-67. 49— «Avec les sols d'il y a trente ans et les techniques actuelles, qu'est-ce qu'on aurait comme rendements !». Propos d'agriculteurs de l'Aisne rapportés par J. Hébert. Déterminants sociaux de la fertilité des sols 97 Remembrement en Bretagne, Morbihan, 1973. Photothèque du Ministère de l'agriculture. La destruction du bocage accroît notamment l'évaporation. CARENCES HUMIQUES ( régions et départements cités dans l'étude) vation de bonnes propriétés physiques du sol» , en particulier pour combattre la battance, donne tout son intérêt agronomique à l'enfouissement des pailles. Sur le Plateau Picard (51), les analyses de sol de la station agronomique d'Amiens font apparaître à long terme une tendance à la baisse du taux de matière organique. Le taux de carbone du sol diminue, cependant que le taux d'azote reste assez stable. Il en résulte une diminution du rapport C/N, qui en 30 ans est passé de 10 environ, valeur de l'humus stable, à 7 ou 8, parfois 6. Divers facteurs contribuent à cette évolution. La paille, qui remplace le fumier (l'engraissement des boeufs aux pulpes de bet eraves est en voie de disparition), se décompose davantage et laisse moins de résidus. La profondeur des labours est passée en 20 ans de 20 à 30 cm, 40 cm dans certains : 50— R. Studer, Directeur de la Station agronomique, I.N.R.A., Châteauroux «Le brûlage des pailles : une pratique recommandable ou une hérésie agronomique ?», 1976, 4p.,multigr. 51— D'après un entretien avec G. Lefèvre, Directeur de la Station agronomique d'Amiens, I.N.R.A. endroits et très peu de rotations peuvent fournir assez de matière organique pour maintenir le taux d'humus. «La bête noire est la pomme de terre, comptée pour zéro dans les bilans mimiques». De surcroît, la récolte tardive des pommes de terre de consommation, en octobre, interdit de mettre un engrais vert en dérobée à leur suite. Les carences en matière organique se manifestent principalement par des problèmes de levée, liée aux phénomènes de battance, et lourds de conséquences sur les rendements. Cette sensibibilité à la matière organique comme au calcaire, qui fait la fragilité de leurs structures, est le point faible de ces «limons de réputation mondiale» des plateaux du Bassin Parisien (52). 52— Cf. L. Gachón, chef du département d'agronomie de l'I.N.R.A., qui met aussi en cause un approfondissement des labours destiné à lutter contre le tassement du sol résultant de l'emploi de matériels de plus en plus lourds : «Cette baisse artificielle du taux d'humus du sol peut, à la longue, altérer gravement la fertilité du milieu, notamment dans les sols à structure peu stable, à texture limoneuse par exemple», Agronomie, sol et moyens de production, Coopération agricole, 21 A, nov. 1976, p. 76. 98 Claude, Reboul En raison même de l'action des apports d'humus, plus généralement des pratiques culturales sur la structure et le pouvoir de rétention en eau des sols, la sensibilité d'une plante à un certain déficit pluviométrique est nécessairement fonction du système de culture pratiqué. En 1976, à dates de semis et façons culturales semblables, les parcelles riches en matière organique ont mieux résisté à l'insuffisance des précipitations, en raison d'une structure plus favorable, qui a entraîné de meilleures levées (57). Selon leur profondeur, selon leur richesse en humus, les sols tamponnent plus ou moins les aléas climatiques. En particulier, leur économie de l'eau n'est pas la même. C'est bien pourquoi on ne saurait imputer la sécheresse à des facteurs exclusivement «naturels». Elle est indistinctement fonction de l'action humaine. Dans les régions où la spécialisation céréalière s'est accompagnée d'une insuffisance de restitutions humiques, les effets du déficit pluviométrique sur les plantes ont été amplifiés par les systèmes de culture pratiquées. En ce sens, on peut dire qu'// existe des causes économiques de la sécheresse. Le brûlage des pailles constitue une destruction de capital humique globalement dangereuse pour la fertilité des sols (souvent dénoncée par les agronomes). Les contraintes d'organisation du travail (58) et de coût des investissements, qui provoquent généralement une telle opération, conduisent à privilégier le court terme par rapport au long terme. Et il ne suffit pas de simples recommandations, pour modifier des pratiques qui dépendent de toute la structure des exploitations, en particulier de leurs effectifs de main-d'oeuvre et de leurs équipements, relativement aux surfaces cultivées (59). De l'analyse des insuffisances de la gestion de l'humus dans les exploitations sans élevage du Bassin Parisien, on tirera ici quatre enseignements. On rejoint ici R. Studer qui à propos de la Champagne Berrichonne écrit que «l'interdiction du brûlage des pailles entraînerait la remise en cause complète du système de culture actuel» (60). Ceci n'exclut pas la justification agronomique des brûlages dans certaines situations. Ainsi, en Champagne Berrichonne, où ils connaissent une grande extension depuis quelques années, R. Studer, en s'appuyant sur des résultats d'expérimentation de longue durée, a montré que les restitutions par les racines et les chaumes suffisent à équilibrer le bilan humique dans les sols de rendzines, qui couvrent près de 75 % de la surface cultivée. La faible épaisseur du sol permet difficilement une incorporation de paille qui ne souffle pas la terre, et sa richesse en matière organique, la lenteur de sa dégradation, rend l'opération inutile au maintien du taux d'humus, sinon à son relèvement. L'importance des céréales dans l'assolement, et notamment de l'orge, qui couvre près de 50 % de la surface cultivée, et revient plusieurs fois sur lui-même, amène le développement d'un parasite spécifique, la noctuelle de l'orge, que le brûlage permet de combattre efficacement. : Entre Calais, Saint-Omer et Dunkerque (53) s'étend la région des «Wateringues» , associations de propriétaires gérant un réseau de drainage et d'irrigation, dont l'origine remonte au Xlle siècle, sur des exploitations de surface moyenne 20 à 40 ha. La diminution des activités d'élevage, la pratique courante de la commercialisation des pailles, à destination notamment de l'Angleterre ou de la Belgique, la culture des pommes de terre et du lin à fibre, dont les rendements humiques sont nuls ou très bas, la faiblesse des précipitations, qui limite la culture des engrais verts, contribuent simultanément à l'insuffisance des restitutions humiques, essentiellement représentées, parmi les produits récoltables, par les feuilles et collets de betteraves à sucre. Des baisses du taux de matière organique, dans des sols d'alluvions marines, riches en sables fins, pauvres en argile, se manifestent par les symptômes classiques de battance des sols et de difficultés de levée (54). C'est encore l'approfondissement des labours qui est le plus souvent mis en cause par les techniciens du laboratoire d'analyse des sols de Gargenville à propos des baisses des taux de matière organique qu'ils constatent dans leurs échantillons (55). La «course à la puissance» en matière de machinisme en est pour eux directement responsable. Le désir de diminuer les temps de travail, mais aussi de res errer les périodes de travaux et d'accroître ainsi l'efficacité et la sécurité des façons culturales, facteurs qui interfèrent avec des considérations de prestige, de mode, amène les agriculteurs à s'équiper en matériels de plus en plus lourds. Le perfectionnement des mécanismes de sécurité permet un accroissement de la profondeur de labour. Les raisons agronomiques avancées par les agriculteurs sont généralement relatives à la destruction des semelles de labours et au développement du système racinaire -en fait, des techniques de griffage permettent d'obtenir ce résultat sans retourner la terre- mais le simple poids du matériel nouveau peut aussi en être involontairement la cause. Il en résulte ce phénomène de «dilution de la matière organique» dont les stations agronomiques signalent les multiples manifestations, et ses classiques conséquences de «sensibilité à la battance et de difficulté de travail du sol» (56). : 53— D'après un entretien avec J.P. Delabare, conseiller agricole, rapporté par B. Desbrosses. 54— Cf. J. Servant, Les sols des Wateringues du Nord et du Pas-de-Calais, Montpellier, I.N.R.A., Service d'étude des sols, 1973 «Les sols d'alluvions marines (...) ne présentent en effet qu'une faible prédisposition à former des agrégats structuraux stables, mais un bon approvisionnement en matière organique peut atténuer ce phénomène et le maintien d'un niveau humique adéquat reste déterminant», p. 81. 55— D'après un entretien avec G. Redlich, Directeur du Syndicat pour l'amélioration des sols et des cultures (S.A.S), M. Lépine et G. Thévenet, ingénieurs. Le laboratoire de Gargenville (Val d'Oise) a un champ d'activité nationale. C'est aussi la principale explication fournie par M. Libois, Station de science du sol de Dijon, I.N.R.A. 56— Cf. G. Thévenet, L'approfondissement des labours, Cultivar, nov. 1975, pp. 38-40. Voir aussi : C. Lesire, ingénieur régional S. A. S., Matière organique et engrais verts, Cultivar, sept. 1976, pp. 39-40. «L'intérêt de la matière organique est considérable, particulièrement sur le comportement physique du sol. Il faut donc s'inquiéter de la baisse du taux de matière organique constatée dans les sols de nombreuses régions. Un certain nombre d'échecs de semis, de mauvais développement des plantes, s'expliquent déjà par la battance, par des terres mal préparées, compactées. Fréquemment les analyses révèlent des taux de matière organique faibles dans les ronds où les cultures poussent mal» (p. 40). 57— D'après les ingénieurs du S.A.S. , Gargenville. 58— Par exemple, la nécessité de dégager rapidement le champ pour y semer un colza. 59— On voit ici que la pratique de l'agriculture en «bon père de famille», comme la recommandait, à la suite d'Olivier de Serres, la tradition agronomique, et qui constitue un des acquits culturels les plus précieux de la paysannerie, peut devenir parfaitement contradictoire avec les contraintes économiques que lui impose le système social d'une époque donnée. 60-R. Studer, op. cit. Déterminants sociaux de la fertilité des sols 99 La sécheresse 1976 a conduit les autorités départementales à interdire les brûlis de paille. Une vaste campagne d'entraide a été engagée sur l'ensemble du territoire national, à l'initiative des organisations professionnelles et des pouvoirs publics, pour approvisionner les régions d'élevage en paille, aliment de faible valeur nutritive, mais devenu précieux en raison de l'effondrement de la production herbagère. L'armée a même été requise pour aider aux opérations. Cette utilisation de la paille, dans la mesure où elle contribuait à sauvegarder le cheptel de rente avait et devait, bien entendu, avoir priorité sur toute autre considération d'emploi. Il reste cependant que ce détournement fourrager s'est fait aux dépens des restitutions d'humus dans les régions productrices de paille. L'incidence sur la fertilité des sols peut être limitée, si ces conditions météorologiques, exceptionnelles dans le passé, le restent dans l'avenir, ce qui est fort probable, mais à condition que l'énorme développement des ventes de paille en 1976 n'entraîne pas un accroissement d'activité durable du marché (61). On voit les menaces que représente pour la fertilité des sols l'éventualité de nouveaux débouchés commerciaux pour la paille (62). Les projets d'utilisation de la paille, plus généralement de sousproduits végétaux divers, à des fins industrielles et en premier lieu comme source d'énergie, qui pullulent depuis le renchérissement du prix du pétrole, s'ils devaient s'avérer viables, seraient particulièrement dangereux pour l'équilibre du bilan humique national (63). L'objection selon laquelle une partie de la paille est de toute façon, en année météorologique normale, brûlée en pure perte (aux cendres près), n'est pas fondée. Ces brûlages sont en effet, nous l'avons vu, très généralement à proscrire dans une perspective de capitalisation humique et la production de la paille pour ces nouveaux marchés ne recouperait vraisemblablement qu'en partie les zones actuelles de brûlis. En fait, toute opération tendant à développer le marché de la paille (64) apparaît particulièrement dangereuse, dans les conditions actuelles de restitution humique, pour la fertilité des sols (65). : : 61— P. Marsal, J.C. Sourie et P. Gorse évaluent en 1976 les coûts directs de récolte de la paille et de transport, selon les techniques (balles de 25 kg, 40 kg, 300 kg) et les distances (20 km, 40 km, 60 km) entre 83 F/T et 125 F/T. Or, depuis 1974, des prix de 200 F/T et même 300 F/T en 1976 ont souvent été pratiqués. 62— T. Havas, Fertilité du sol et problèmes de la paille, AgriSept, 613, 17/12/1976, p. 16. 63— Cf. par exemple, A. Regnault, La paille ce produit chimique, Le Monde, 25/11/1975 ; F. Seguier, Energie : on cherche des hommes de paille, La Recherche, 69, juill. -août 1976, pp. 672-674, (Comment utiliser la paille pour en faire du gaz, de l'alcool, du papier) ;P. Laperrousaz, Alcool de paille une idée en fermentation, Cahiers des ingénieurs agronomes, 304, mars 1976 (Pour faire un carburant à base d'essence et d'alcool) ; M. H. Vincent, Quels débouchés pour la paille ? , Entreprises agricoles, 71, oct. 1975 ; A. Fleury et A. Mollard, Agriculture, système social et environnement , Institut de recherche économique et de planification, Université des sciences sociales de Grenoble, juill. 1976. Pour ces deux auteurs, l'enfouissement des pailles n'apparaît pas souhaitable pour des raisons à la fois économiques («les pailles représentent une quantité énergétique importante qui pourrait être valorisée différem- Capitalisation humique et capitalisation marchande On peut se demander si, en dépit d'apparences qui, du reste, ne se manifestent guère que dans le petit monde des pays fortement industrialisés, l'économie marchande a jamais fait bon ménage avec la fertilité des sols. D'une part, chaque fois que les densités de population, les structures foncières, ou tout simplement sa situation de monopole, assurée si nécessaire par la puissance militaire, le lui permettait, l'agriculture capitaliste a toujours donné le pas à la culture extensive, qui donne relativement beaucoup plus par heure de travail que par unité de surface, sur la culture intensive (66). L'extensivité a été poussée jusqu'à Y exploitation minière sur de vastes surfaces du globe. On l'a constaté dans les pays industrialisés dits «neufs», où la terre était abondante, relativement à la maind'oeuvre engagée (surtout après la déportation ou l'extermination des populations en place). On l'a constaté aussi dans les pays restés, ou plutôt maintenus, à l'état agricole, comme ceux du Sahel où la contradiction entre l'accumulation marchande et l'accumulation humique a été résolue au profit de la première dès les débuts de l'expansion coloniale. Au Sénégal, par exemple, c'est essentiel ement par extension des surfaces cultivées -du littoral vers l'intérieur- et non par accroissement des rendements, que la production d'arachide ment») et agronomiques, l'azote libéré par la paille en décomposition risquant d'entraîner la verse des céréales (p. 199), ce qui est régler bien vite la question de la reproduction de l'humus dans les exploitations sans élevage. La lecture de Marx n'a pas suffi à compenser l'insuffisance de l'enquête. 64— Et en premier lieu le projet de création d'un Office national interprofessionnel de la paille (O.N.I. P.). 65—11 en est ainsi également des procédés de traitement chimiques de la paille destinés à accroître sa part dans la ration, dont la sécheresse de 1976 a mis en évidence l'intérêt pour l'élevage, sinon pour l'agriculture (voir ci-dessus note 32). 66— Nous définissons intensivité et extensivité par référence à l'accumulation de capital productif (main-d'oeuvre plus moyens de travail) sur une même surface. Cf K. Marx : «les pays à culture intensive (par quoi, économiquement parlant, nous n'entendons rien d'autre que la concentration du capital sur le même terrain)», Oeuvres, Paris, La Pléiade, t. Il, Le capital,?. 1337. 100 Claude Rebóul Autres usages marchands (production, consommation, impôts, etc.) Cycle de la fertilisation marchande 1 Cycle de auto-fourniture d'humus a progressé avant de s'effondrer lors des années récentes de sécheresse. La rentabilité de l'arachide sur les marchés européens était assurée, et l'est toujours, par le très bas prix de la marchandise payé aux producteurs, ce que la situation de monopole des industries de transformation n'aurait pu assurer à elle seule sans la pratique généralisée des cultures vivrières à des fins d'autoconsommation, qui assurait la base alimentaire nécessaire à l'entretien et à la reproduction de la force de travail paysanne (67). Un tel système ne permettait absolument pas de dégager le temps et les moyens de travail nécessaires à l'accumulation de fertilité. C'est même l'inverse qui se produisit dans certaines régions, les agriculteurs étendant l'arachide aux dépens des jachères, pour compenser au moins momentanément la dégradation de leur pouvoir d'achat. Les «causes économiques de la sécheresse» sont ici particulièrement nettes (68). Mais d'autre part, dans les pays anciennement industrialisés, à forte densité de population, comme ceux de l'Europe de l'ouest et en particulier la France, il est remarquable que la capitalisation humique se soit faite essentiellement en marge de la production marchande (et c'est le bas coût de production qui en résultait qui l'a rendue économiquement possible). Ainsi, dans le cas de la production céréalière : une partie du grain commercialisé fournit l'argent nécessaire à l'achat d'engrais minéraux ; la paille enfouie fournit la matière organique nécessaire à la production d'humus ; engrais minéraux et humus contribuent indissociablement à produire le grain et la paille qui permettent de réamorcer les cycles de la fertilisation marchande et de l'auto-fourniture d'humus, cycles confondus dans la partie productive de leur parcours (69), cf. schéma ci-dessus. 67— C'est le très bas niveau de rémunération du travail du paysan sénégalais, qui donne son caractère extensif (du point de vue de l'économie marchande, donné en note 66 ci-dessus) à la production du paysan sénégalais et non le nombre d'heures de travail, qui est de plusieurs centaines par hectare. Le capitalisme monopoliste se développe sur la sous-valorisation du travail paysan, qu'il rend possible. 68— C. Reboul, Causes économiques de la sécheresse au Sénégal. Système de culture et calamités naturelles, Bulletin d'information du département d'économie et sociologie rurales, I.N.R.A., 2, avril 1976. La commercialisation de la paille, source d'humus, mais aussi d'éléments minéraux (70), implique, pour le maintien des rendements, l'accroissement des achats d'engrais. Or, si ceux-ci permettent à court terme de compenser l'enfouissement des pailles, il n'en est pas de même à long terme. Les engrais minéraux alimentent en effet des micro-organismes destructeurs de l'humus. La décapitalisation humique crée à son tour, en raison du rôle de médiat, évoqué plus haut, que joue l'humus entre l'engrais et la plante, les conditions, à terme, d'une diminution progressive de l'efficacité des engrais, qui oblige à forcer les doses. La fertilité du sol, telle qu'elle s'exprime par les rendements des cultures, d'abord ascendante, tend ensuite à stagner, puis régresse (71). Les additions d'engrais ont déjà cessé depuis un certain temps d'être rentables (72). C'est notamment parce qu'il existe de tels processus de stérilisation que la reproduction sans cesse élargie des échanges marchands qui caractérise l'évolution du système économique capitaliste depuis ses origines n'est pas sans menaces pour l'avenir de la production humique et de la fertilité des sols. Certes, il n'est pas interdit d'imaginer que l'humus trouve massivement sur le marché les conditions de sa reproduction. Encore que la paille ne 69— C. Altmann a montré que la consommation d'engrais du commerce varie dans le même sens que la part des céréales par rapport aux fourrages dans l'assolement et la superficie des exploitations, ces deux derniers critères étant euxmêmes fortement liés entre eux. La consommation d'engrais est ainsi un bon indicateur de l'engagement de l'exploitation dans l'économie marchande. Cf. C. Altmann, Evolution de la consommation d'engrais minéraux et transformation des systèmes de production en agriculture, Bulletin technique d'information (Ministère de l'agriculture), 231, 1968, pp. 707-716. 70— Une tonne de paille fournit environ 4 kg d'azote, 2 kg d'acide phosphorique, 12 kg de potasse. P. Marsal, J.C. Sourie, P. Gorse, op. cit., rapport I, p. 38 (d'après Boyeldieu). 71—11 est faux par omission d'affirmer, comme certains traités d'agronomie, que les engrais minéraux soient générateurs d'humus. Ils sont générateurs de matière organique qui n'apporte de l'humus que si elle est enfouie. 72— On a pu constater de tels phénomènes notamment au Sénégal, où à l'inverse de ce qui s'est passé en France, la fumure minérale a précédé la fumure organique (celle-ci n'en est encore qu'à ses débuts). Déterminants sociaux de la fertilité des sols 101 : 76— Et on peut se demander si elles peuvent l'être d'une part, les champs d'expérimentation étant trop peu nombreux et situés dans des conditions trop particulières par rapport à la pratique agricole (cf. J. Delas, C. Juste, J.P. Goulas (Centre de recherches agronomiques de Bordeaux, I.N.R.A.), Matières organiques et fertilité des sols, Bulletin technique d'information (Ministère de l'agriculture), 285, déc. 1973, d'autre part, en raison de la complexité des interactions des facteurs de variation. En fait, selon S. Hénin, il faut davantage considérer l'humus comme une condition de la production (ex : la température) que comme un facteur de production (ex. un engrais minéral) ; il ne peut donc donner lieu à l'écriture d'une fonction de production. 77— D'après J. Hébert, Station agronomique de Laon. 78— M. Sebillotte, Faut-il enfouir la paille ? pailles et engrais verts sources de matières organiques, Entreprises agricoles, 71, oct. 1975. «C'est sur 10 ans et plus qu'il faut raisonner». : 73-Cf. T. Havas, op. cit.. 74— Au Sénégal, le développement souhaitable des pratiques d'enfouissement de la végétation spontanée des jachères ou des paüles de mil, selon les techniques préconisées par le Centre national de recherches agronomiques de Bambey, compromet inévitablement l'intérêt agricole et la viabilité économique du compostage industriel des coques d'arachide, préconisé par P. Garrigues, L'industrie des engrais végétaux, Actuel développement, 14, juil.-août 1976, pp. 18-20. 75— Cf. J.C. Rémy et A. Marin-Laf lèche, L'analyse de la terre : réalisation d'un programme d'interprétation automatique, Annales agronomiques, I.N.R.A., 1974, (25), 4, pp. 607-632. dépend pas des agronomes que cette politique soit ou non en accord avec les contraintes que le système économique global impose à la gestion des exploitations. Dans une économie capitaliste, le maintien de la fertilité du sol, et le niveau auquel elle est maintenue, tendent à n'être des objectifs que dans la mesure où ceux-ci coïncident avec les exigences de la rentabilité du capital engagé. Conscients du danger que fait peser sur la fertilité des sols une part excessive des pommes de terre dans l'assolement, certains agriculteurs du Soissonnais ont restreint la surface de cette culture, sacrifiant une rentabilité immédiate à un intérêt économique plus lointain (77). Il est évident qu'un tel comportement est fonction du volant de trésorerie disponible pour faire «tourner» l'exploitation. Il est beaucoup plus difficile à tenir pour des petits agriculteurs que pour des gros, et dépend pour tous de l'évolution des rapports de prix entre le secteur agricole et les autres secteurs de l'économie. L'accroissement de la production céréalière de la France depuis la dernière guerre mondiale, a été entièrement dû à une augmentation des rendements moyens par unité de surface (que l'on constate du reste pour toutes les productions) qui a très largement compensé la nette diminution des surfaces cultivées. Un pareil résultat ne permet pas pour autant d'écarter les menaces que la spécialisation régionale de la production et la tendance à l'insuffisance des restitutions humiques font peser sur la fertilité des sols. Celles-ci prennent effet à long terme (78). L'évolution du taux d'humus dans le sol est toujours lente, et c'est précisément le danger du phénomène. Quand des accidents se produisent, il est généralement trop tard pour redresser rapidement la situation et il peut alors devenir extrêmement coûteux de le faire, car la matière organique se décompose d'autant plus vite qu'on en incorpore davantage dans le sol. En d'autres termes, l'entretien de l'humus est d'autant moins coûteux, ou d'autant plus efficace que le stock préexistant dans le sol est plus important. De même, selon G. Barbier, l'efficacité des fumures potassiques et, à un moindre titre, phosphatées, est d'autant plus grande que les stocks de potasse et d'acide phosphorique du sol sont plus importants. Il en est ainsi évidemment de même pour l'azote, étant donné sa place dans le cycle de l'humus. Plus généralement, la fertilisa- : soit jamais achetée à des fins d'enfouissement direct, les transactions dont elle fait l'objet entre exploitations de culture et exploitations d'élevage, la destinent pour la plus grande part, en année climatiquement normale, à la transformation en fumier, qui est enfoui. Des usines de compostages d'ordures ménagères ou de déchets végétaux divers (marcs de pommes, de raisins, etc.) approvisionnent des marchés locaux à l'usage notamment des maraîchers ou des vignerons. C'est ainsi qu'est assurée la reproduction humique du vignoble de Champagne, par exemple. Le fumier est aussi localement objet d'échanges marchands, etc. L'exemple des Pays-Bas témoigne que le compostage peut s'effectuer à grande échelle (73). La densité de la population, et l'exploitation extrêmement intensive de la terre qui lui est liée, font cependant que le problème se pose de toute autre façon que dans un pays comme la France où, par comparaison, les terres sont relativement abondantes. Ainsi les Pays-Bas sont importateurs de céréales, la France en exporte. L'utilisation massive dés paules -près de 20 millions de tonnes sur 25 produites sont enfouies directement ou sous forme de fumier en 1 973- pour l'auto-fourniture de l'humus en France et par conséquent le bas coût de production de celui-ci pèse cependant sur la rentabilité et donc sur le développement des usines de composts (74). Quel que soit cependant l'avenir des usines de compostages, il reste que l'évolution actuelle du capitalisme, privilégiant -dans la mesure où la rotation accélérée du capital tend à jouer un rôle accru dans le maintien et l'accroissement des profits- de plus en plus le court terme, entre en contradiction croissante avec l'accumulation humique, opération par nature à long terme. Les techniciens de la station agronomique de Laon basent leurs calculs de restitutions mimiques sur des périodes de 25 ou 50 ans, selon qu'il s'agit de relever le taux de matière organique du sol ou, ce qui peut arriver, de l'abaisser (75). En supposant que des fonctions de production qui permettent de relier le coût monétaire des apports de matière organique (ou plutôt la fraction de ce coût qui peut s'exprimer monétairement, c'est-à-dire qui concerne les biens et services ayant valeur marchande) aux suppléments de production qui en résultent, aient été établies, ce qui n'est pas le cas (76), il n'en demeurerait pas moins que de tels «horizons de planification» n'ont guère de signification pour le calcul économique. Ceci ne met absolument pas en cause l'intérêt social d'une telle politique de l'humus. Mais il ne 102 Claude Reboul tion du sol, au sens le plus large du mot, est par nature une entreprise à long terme et qui connaît des variations cycliques. Au cours de l'histoire des individus (l'effort de fertilisation s'atténue ou cesse à partir d'un certain âge) comme des sociétés, phases ascendantes et descendantes se succèdent, dissymétriquement : la fertilité du sol s'accumule beaucoup plus lentement qu'elle ne se consomme. La paysannerie française a lentement accumulé cette fertilité des sols qui constitue actuellement une des grandes richesses nationales. L'histoire des civilisations montre qu'il s'agit d'un bien fragile, indéfiniment reproductible techniquement -l'énergie consommée dans la fabrication de la matière organique, à la fois produit et facteur de la fertilité du sol, étant celle du soleil- mais qui peut aussi être détruit très rapidement et parfois irréversiblement pour des siècles ou des millénaires, comme en témoignent ces anciennes villes romaines aujourd'hui situées en plein désert et dont les ruines répondent si exactement à celles du paysage qui les entoure qu'on ne peut manquer d'y voir les signes d'une mutuelle destruction (79). La fertilité des sols n'est pas réductible à des facteurs naturels. Elle est nécessairement fonction des systèmes de culture et d'élevage pratiqués qui dépendent euxmêmes du système économique et social dans lequel ils s'inscrivent. 79— J. Keilling, Humus et civilisations, Cahier des ingénieurs agronomes, 109, août-sept., 1956. Post-scriptum : fertilité agronomique et fertilité économique G. lui conviennent Demolon production ses à«La elle tous en culture» fertilité, inaturelle limite ci éloignée un auquel capacité dispositif de indéterminée s'éloigne mesure. qu'en fertilité névitablpeut l'abondance eperfectionnements. fonction l'expérimentation ment la mode fertilité applique façons Barbier, travaux n'atteint fertilité les du «fertilité Cette —d'une posant être correspond facteurs en proposition prenant sol des de le (3). quand expérimental ettermes d'exploitation culturales agronomique plus mieux»(2). d'un de n'est production. sur S. économie d'un dates indétermination agronome les son Ces dans lasa des agronomique» Hénin nutritifs ou techniques on la acte sol constitution pas question sociaux. sol, maximum définitions de une moins l'absolu. récoltes matière tente et qui dépend qui mesurable maturité écrivaient du sous Relative de utilisé, dépend production réputé Dans techniquement aC'est sont fait reste laété cueillette, complète, de de son organique qu'il agricoles Seules modifient que de correctement l'approcher, agronomiques le toujours ne etla susceptibles dire à—par vraie notamment climat, indépendamment :un même son des font peut définition porte la peut «La si que conséquent les maximum, plus fertilité puisque état le besoins qui profil, dans capacité référence relever (1) susceptible différences sela niveau être optimum, lorsqu'on esprit, ou idéal lui mesure elle de écrit ajusté, le moins cellede pour levée de mais que qui cas est ou A. de du laà: Fertilité économique et rente foncière Dans les conditions concrètes de la pratique agricole, la fertilité d'un sol se manifeste par l'intermédiaire de façons culturales dont la nature et les combinaisons dépendent des catégories sociales d'agriculteurs qui les mettent en œuvre. Si la fertilité agronomique contribue à déterminer la gamme des systèmes de culture praticables à un instant donné de l'évolution technique, en retour les systèmes de culture pratiqués fixent le niveau d'exploitation du sol, autrement dit sa «fertilité économique», expression que Marx (4) utilise en opposition à la «fertilité naturelle» qui n'en constitue qu'un élément (5). A ces différences de fertilité économique sont liées, (en raison directe ou inverse) des différences de rentabilité du capital qui s'expriment en rentes de situation. Le mot «rente» désigne, selon Marx l'excédent que procure, dans certaines conditions d'exploitation, le capital marchand par rapport au capital productif, déduction faite d'un taux de profit moyen et d'une rémunération au taux d'intérêt courant du capital productif total mis en œuvre, et compte-tenu d'une rémunération de la force de travail à sa valeur de marché. Il s'agit donc par définition d'un surprofit, mais dont les particularités de production entraî- ' : 1— «G. Barbier, auquel on revient toujours quand il s'agit d'humus». A. Gros, Engrais, Guide pratique de la fertilisation, La maison rustique, Paris, 1960, p. 107. 2— G. Barbier, INRA, La fertilité, sa conservation et son amélioration, in Valeur et utilisation du sol, Techniques agricoles, Tome I, 1960, fiche 1370, p. 6. 3— Note 1954 citée par : S. Hénin, R. Gras, G. Monnier,Z,e profil cultural, Masson et Cie, 1969, p. 2. Le profil cultural désigne «l'ensemble constitué par la succession des couches de terre» (p. 9). 4— Les références et citations de ce texte concernant les écrits de Marx sont toutes relatives aux : Matériaux pour le deuxième volume du Capital, Livre III, sixième section, transformation du surprofit en rente foncière (K. Marx, Oeuvres, 1424). Tome II, Paris, Gallimard, La Pléiade, pp. 1 2855— «Du point de vue de la fertilité économique, le niveau de la productivité du travail (...) est un facteur important de la fertilité du sol, que l'on dit naturelle» (Marx, 1319). Marx écrit fertilité naturelle (ce qui est parfois une source d'ambiguité). Mais compte tenu de l'histoire des sols, constructions humaines, l'expression «fertilité agronomique» nous paraît préférable. Notons au passage que la fertilité d'un sol n'est pas seulement fonction de sa constitution, mais encore de son relief, du climat, bref de l'ensemble du milieu physique. Fertilité agronomique et fertilité économique 103 : 6— Depuis L. Von Bortkiewiez, l'indétermination mathématique du modèle de la transformation des valeurs en prix de production élaboré par Marx a suscité d'innombrables critiques et recherches théoriques. On peut être enclin à penser avec J. Robinson et J. Eatwell (J. Robinson, J. Eatwell, L'économique moderne, Paris, Ediscience, 1975, p. 42) qu'il vaut mieux s'interroger sur le mouvement réel des valeurs et des prix. 7— K. Kautsky, La question agraire, Paris, V. Giard et E. Brière, 1900, p. 116. priété privée du sol» (Marx, 1384, Kautsky, 118). Elles sont «le fruit de la concurrence». La rente absolue est «le fruit du monopole» (Kautsky, 118). Les rentes différentielles n'entrent pas dans la composition des prix de marché des produits agricoles qui sont déterminés par les plus mauvaises conditions économiques d'emploi du capital, la seconde en constitue au contraire un élément. Elle pèse sur toutes les catégories d'exploitation. Dans les deux cas, le monopole de la propriété foncière permet de convertir le surprofit en rente, c'est-à-dire en surprofit durable et susceptible d'appropriation par le propriétaire de la terre. Mais, le monopole foncier n'est pas seulement la condition de la conversion du surprofit en rente. Il agit aussi sur le montant du surprofit et par conséquent de la rente, en fixant dans le cas de la rente I les surfaces, dont les proportions relatives pèsent sur la rente moyenne (Marx, 1331 et 1368) et, dans le cas de la rente II les rapports entre le capital et la superficie cultivée, plus généralement dit les structures agraires. Rentes I et II ont pour origine commune un surprofit qui est lié au mode d'exploitation de la terre et par là-même nécessairement, d'une façon ou d'une autre, à sa fertilité (8). Comparant les rentes I et II, Marx écrit : «C'est toujours le sol qui, pour des investissements égaux, révèle une fertilité différente» (Marx, 1340). Mais quel est le contenu donné au mot «fertilité» ? Nous analyserons les modalités de la formation du surprofit, et par là-même du surtravail qui le fonde et leurs relations avec la fertilité du sol, successivement dans les cas de la rente I et de la rente II, en nous plaçant pour commencer dans le cadre des hypothèses de Marx : des fermiers capitalistes pratiquant la monoproduction du blé (9). : nent des particularités d'appropriation. Dans le cas de l'agriculture, la rente est liée à l'usage du sol, ressource d'origine naturelle susceptible d'être «monopolisée par le capital» (Marx, 1315). Le surprofit qui résulte de son exploitation est convertible en rente que l'exploitant verse en totalité ou partiellement au propriétaire foncier, en échange du droit de cultiver la terre, sous forme d'une redevance très généralement maintenant monétaire, ou s'approprie personnellement s'il est aussi propriétaire. Le fermage que paye un petit agriculteur aux dépens du profit moyen, de la rémunération de son capital et même, ce qui est le cas le plus fréquent, de la rémunération de sa force de travail n'est pas, pour Marx, le produit d'une rente au «sens rigoureux» du mot, «la rente étant une fraction du prix des marchandises indépendante et distincte du salaire et du profit» (Marx, 1367, mais il utilise aussi le mot au sens courant). La rente se distingue aussi de l'intérêt des capitaux productifs incorporés dans le sol, bien que celui-ci puisse être inclus dans le fermage (Marx, 1290). Ayant ainsi épuré la rente foncière d'éléments étrangers qui en sont indissociables dans la pratique du fermage, Marx distingue, selon les conditions de production du surprofit, trois composantes dans la rente foncière : a) La rente I est relative aux différences de rentabilité du capital qui proviennent de son emploi sur des terroirs différant par les conditions naturelles (relief, climat, nature du sol) et/ou leur situation par rapport aux lieux de commercialisation. L'agriculteur le mieux situé bénéficie d'une rente différentielle par rapport aux autres agriculteurs. Elle est liée, selon l'énoncé de Marx, aux «résultats inégaux obtenus en employant des quantités égales de capital sur des parcelles de terrain de grandeur égales» (Marx, 1317) ou encore aux résultats égaux obtenus en employant dans les mêmes conditions des quantités inégales de capital. b) La rente II est relative aux différences de rentabilité du capital provenant de variations dans le mode d'investis ement. Sur des sols identiques par leurs conditions naturelles et leur situation par rapport aux lieux de commercialisation, des capitaux de productivité différente sur des superficies égales ont des taux de profit différents (Marx, 1336). Elle a son origine dans «les différences dans la répartition du capital (et de la capacité de crédit) entre les fermiers» (Marx, 1339). c) La rente absolue est relative aux différences de rentabilité du capital agricole par rapport au capital employé dans d'autres secteurs de l'économie. Marx en explique la formation par deux phénomènes 1/ La composition organique plus basse du capital agricole par rapport au capital industriel assure au premier un surprofit durable, la propriété foncière s'opposant à la libre circulation des capitaux et, par conséquent, à la péréquation des taux de profits (6). Mais on a pu objecter que la différence de composition organique n'était source de surprofit qu'à période de rotation égale du capital (7). Qr, celle-ci est particulièrement longue en agriculture. Par ailleurs, l'ajustement du temps de travail au temps de production est particulièrement mauvais en agriculture, en raison de sa dépendance à l'égard des conditions climatiques. 2/ Le caractère monopoliste de l'exploitation de la terre, qui assure à la production agricole sur le marché «un prix déterminé par la demande solvable des acheteurs et non pas par le prix de production ou par la valeur des marchandises» (Marx, 1375). La rente absolue se distingue des rentes différentielles en ce que celles-ci «résultent du caractère capitaliste de la production et non de la pro- La rente différentielle I Partons de l'énoncé de Marx : «des quantités égales de capital» par unité de surface dans des conditions agronomiques différentes donnent des «résultats inégaux». Quels sont ces résultats? Il s'agit bien entendu de profits différents. A capital engagé égal, ces différences ne peuvent provenir que d'une différence de production, ou inversement, à production égale d'une économie de capital. Une 8— Des deux catégories de la rente I, l'une résulte des différences dans la fertilité du sol, l'autre, très brièvement évoquée par Marx, des différences dans l'emplacement des terrains par rapport aux lieux de commercialisation ; c'est seulement de la première que nous traitons ici. 9— L'usage qui sera fait ici des textes de Marx n'est pas celui de l'exégète dont les erreurs de lecture résultent presque toujours du fait qu'il ne pose aucune question pratique aux textes. Il s'agit seulement d'interroger en économiste des écrits extrêmement riches, mais dont le caractère inachevé ne se manifeste pas seulement par un certain désordre de l'argumentation et quelques contradictions, plus souvent apparentes que réelles, mais aussi par une certaine sousutilisation des outils d'analyse forgés par Marx lui-même dans des textes antérieurs, notamment dans l'analyse des sources de surprofit. Enfin, l'évolution considérable qu'a connu l'agriculture depuis l'époque de Marx pose nécessairement à la théorie des problèmes d'actualisation. L'éclairage change, certains aspects sont valorisés, d'autres tombent en désuétude. En limitant ce texte à l'analyse des contraintes agronomiques et économiques auxquelles est soumise la formation de la rente, faut-il ajouter que nous ne préjugeons pour autant nullement des contraintes proprement sociologiques ? Les fonctions sociales du capital économique et du capital culturel ne sont pas plus dissociables, si l'on peut dire, que les rentes différentielles I et II, même s'il est commode pour l'analyse de les aborder séparément. 104 Claude Reboul Dans le premier cas, l'excédent de production peut être lié par exemple à un sol plus profond, plus riche, à une pluviométrie plus abondante, une température plus propice qui accroissent le rendement par unité de surface ou peuvent même permettre la double culture par an ; dans le second cas, à un sol plus léger, plus facile à travailler, à un climat offrant des jours disponibles pour les travaux des champs plus nombreux, ou encore à un relief moins accidenté, plus propice à la mécanisation, facteurs qui permettent, avec un même capital, de couvrir une plus grande surface. Dans tous les cas, l'apparition du surproduit est assujettie aux différentes manifestations de l'ensemble des facteurs qui constituent le milieu physique, l'action de ces facteurs étant, bien entendu, susceptible d'interférer de telle manière qu'elle peut annuler la rente ou au contraire la renforcer. Elle implique un surtravail et par conséquent des modifications dans l'emploi du capital — qui ne sont pas' évoquées par Marx — et dont les modalités sont fonction des facteurs agronomiques qui donnent naissance au surproduit : meilleur ajustement du temps de travail au temps de production ; rotation plus rapide du capital ; économie de capital par unité de produit liée à une composition organique plus élevée (11). Dans son analyse de la rente I, Marx s'est limité à l'hypothèse intensive. On retrouve, pour l'essentiel, la même restriction au champ d'application de la rente IL : La rente différentielle II Abordant l'analyse de la rente II, Marx rappelle que la rente I résulte de «la productivité variable d'égales sommes de capital investies dans des terrains d'égale superficie, mais de fertilité différente» (Marx, 1335). Dans la rente II, la fertilité agronomique du terrain est supposée constante. Les différences de productivité du capital qui sont à l'origine de la rente proviennent du mode d'investissement lui-même. Analysant la formation de la rente II, Marx consacre de longs développements aux relations entre des apports de «capitaux additionnels» sur différents terrains et les modifications du taux de la rente qui sont liées à l'apparition de «produits additionnels» (Marx, 1345). Cette façon de traiter la question pourrait convenir en principe aussi bien au cas d'une rente intensive, se formant à partir d'un supplément de production par unité de surface, ou rendement, qu'à celui d'une rente 10— La rente I est couramment qualifiée par les commentateurs qui s'en tiennent à la lettre du texte de Marx, de rente extensive, par opposition à la rente II, qualifiée d'intensive. Cf. K. Marx «tout nouvel investissement correspondait à une culture plus extensive du sol, à une extension de la surface cultivée», Marx, 1336. 11—11 y a dans ce cas, à capital engagé égal, une augmentation de la composition organique qui constitue une source extra de surprofit. La rente II interfère ici avec la rente I. La référence faite par Marx à l'unité de surface évite cette interférence. extensive, se formant à partir d'un supplément de surface cultivée à rendement égal ou inférieur. Le contexte montre cependant que Marx considère essentiellement (mais non exclusivement) l'hypothèse intensive, comme pour la rente I, c'està-dire celle qui lui paraît correspondre aux conditions agricoles les plus évoluées, à l'époque, des pays capitalistes avancés : «Plus le mode de production se développe, plus se développe la concentration du capital pour une même surface de sol et, partant, plus s'accroît la rente, calculée à l'acre (Marx, 1346 (12)). Cette hypothèse intensive est la seule que considèrent très généralement les commentateurs. Ils sont alors économiquement désarmés pour rendre compte des conditions concrètes actuelles de la rente foncière dans les pays capitalistes développés. Ce sont précisément les exploitations les plus engagées dans le mode de production capitaliste qui payent les fermages par unité de surface les plus bas (13). Par exemple, le fermage ne dépasse pas, en 1977, 300 F par ha sur telle exploitation céréalière de 232 ha en Vieille France, dont 90 % des terres sont en fermage ; il est de 500 F sur telle exploitation laitière de 25 ha en Avranchin, dont 70 % des terres sont en fermage, pour des baux d'une durée «normale» (9 ans). Pourtant, ce phénomène trouve son explication dans l'hypothèse extensive qui est évoquée dans les lignes faisant directement suite au texte que nous venons de citer : comparant deux pays à prix de production et conditions de fertilité identiques, où une même quantité de capital serait investie, dans l'un, «sous forme d'investissements successifs sur une étendue restreinte», dans l'autre, «sous forme d'investissements coordonnés sur une étendue plus large», Marx conclut : «La rente par acre et le prix du sol seraient plus élevés dans le premier pays et plus bas dans le second, alors que le total des rentes serait le même dans les deux». Les différences sont uniquement «le résultat de différents modes d'investissement» (Marx, 1346 et 1356). On peut se demander cependant si dans les deux cas les taux de rente peuvent être identiques. En fait, c'est très généralement la formule extensive, la deuxième, qui est avantagée, à cet égard. Pour le montrer, nous analyserons successivement les manifestations intensives, puis extensives, de la rente II (14). 12— Ce texte n'est pas exactement en harmonie avec des considérations précédentes sur le développement du mode de production capitaliste dans l'agriculture qui se manifeste «non dans la concentration du capital sur des terres relativement petites, mais dans la production sur une plus grande échelle» (...). «Le capital employé pour le même terrain (n'étant) pas plus important» (Marx, 1338). 13— Cf. Annexe II statistiques IGER. 14— La distinction est faite très clairement par Ricardo entre la forme intensive de la rente différentielle, liée à «des améliorations qui augmentent les pouvoirs productifs de la terre», relevant d'un emploi plus judicieux des engrais et des assolements, et sa forme extensive, liée à des améliorations qui n'augmentent pas «les forces productives de la terre» mais «font obtenir le même produit avec moins de travail», D. Ricardo, Principes de l'économie politique et de l'impôt , Paris, Calmann-Lévy, pp. 56-57. : différence de production peut provenir soit, à surface égale d'un surcroît de rendement par unité de surface, soit à rendement égal ou inférieur d'une extension de la surface, soit encore d'une combinaison quelconque de ces facteurs. Dans le premier cas, le seul qui soit développé par Marx, la rente I est intensive, dans le second, elle est extensive et le troisième cas correspond à des niveaux intermédiaires d'intensivité ou d'extensivité (10). Pour la comodité de l'exposé, nous raisonnerons sur les cas extrêmes 1 et 2. Fertilité agronomique et fertilité économique 105 15— On touche ici des considérations de Marx sur les relations entre les superficies cultivées, le montant des capitaux investis, la demande solvable, les prix de marché et la rente (Marx, op. cit.. Cf. aussi K. Marx, Théories sur la plus-value, Editions sociales, Paris, Tome II, notamment : «tableaux qui éclairent la rente différentielle», pp. 291-353). Cherchant à éviter autant que possible la paraphrase, nous nous contenterons d'essayer d'éclairer ici, comme pour la rente I, un point peu explicité par Marx, celui des conditions agronomiques d'emploi du capital qui produit la rente. La distinction entre la rente I et la rente II, c'est-à-dire entre les rôles respectifs des contraintes agronomiques et des modes d'investissement dans les différences de fertilité économique des sols, est commode pour l'analyse de la rente différentielle. Dans les conditions concrètes de la production agricole, l'interférence est la règle. Comme le note Marx, une rente peut naître sur le sol le moins fertile «naturellement» (nous disons : «agronomiquement») du fait d'une productivité supérieure du capital qui y est investi et qui lui confère une fertilité économique supérieure (Marx, 1356). Le prix de marché est en effet, dans tous les cas, réglé par le sol le plus mauvais, non agronomiquement, mais par les conditions d'emploi du capital. Dans la mesure où l'analyse de Marx est essentiellement relative aux formes intensives des rentes I et H, c'est le sol qui a la fertilité économique la plus basse qui est sensé régler le prix de marché. On trouve ici une source de confusion, pour les commentateurs, avec la fertilité agronomique la plus basse — «le plus mauvais terrain» chez les économistes classiques — qui fonde la rente différentielle 1(18). Intensive ou extensive, la formation de la rente II suppose selon Marx une inégale répartition du capi16— Le raisonnement implique une productivité de travail plus grande en système de culture extensif qu'en système de culture intensif. Il suppose donc, à capital engagé égal, que les productions totales soient suffisamment voisines pour que l'écart de composition organique soit décisif. L'observation -agronomique et économique- de la pratique agricole montre qu'il en est bien ainsi. (Cf. statistiques RICA, Annexe I). 17— Ce raisonnement ne contredit qu'apparemment les analyses des économistes classiques sur le rôle du «plus mauvais terrain» dans la formation des prix des produits agricoles. C'est une question de définition le plus mauvais terrain est en effet considéré par eux comme tel parce qu'il demande, à production égale, davantage de travail. (Cf. D. Ricardo : «Lorsqu'une terre de qualité inférieure est mise en culture, la valeur d'échange des produits bruts s'élève, car leur production exige plus de travail», D. Ricardo, op. cit., p. 49). 18— La confusion entre fertilité agronomique et fertilité économique est fréquente dans la littérature consacrée à la rente foncière. Ainsi, par exemple, P.P. Rey, en postface à son livre sur «Les alliances de classe» : «un développement, si court soit-il, sur la rente différentielle, est inutile en ce qui concerne l'agriculture Gilles Postel-Vinay a montré, dans un livre (G. Postel-Vinay, La rente foncière dans le capitalisme agricole, Paris, Maspéro, 1976)... queia rente différentielle en agriculture n'existait pas plus exactement que les terres les plus riches souvent affermées à des capitalistes, étaient celles qui payaient la rente la plus faible» (P.P. Rey, Les alliances de classe, Paris, Maspéro, 1976, p. 213). En fait le texte de Postel-Vinay n'est pas aussi net. Mais la différence des fermages à l'hectare entre petits et gros fermiers est fondamentalement expliquée par les différences des rapports de classe entre fermiers et propriétaires, qui jouent en faveur des propriétaires en petite culture, des fermiers en grande culture. Les observations réelles qui fondent l'explication sociologique amènent à occulter ici complètement les contraintes économiques sous-jacentes. : : Quel est, à capital engagé égal, en supposant identiques les contraintes agronomiques qui fondent la rente I, ainsi que les taux d'exploitation de la main-d'œuvre et en ne supposant aucune contrainte de surface, l'emploi le plus rentable du capital, l'intensif ou l'extensif ? Si la surface est réduite, l'ajustement du temps de travail au temps de production, autrement dit un bon emploi du capital, réclame une composition organique basse, c'est-àdire un système de culture exigeant en travail manuel. Si la surface est grande, l'ajustement du temps du travail au temps de production peut être obtenu avec une composition organique élevée du capital, c'est-à-dire un système de culture moins exigeant en travail manuel et plus exigeant en travail mécanique. A capital engagé égal, la deuxième solution extensive, permet d'abaisser le coût de production, et d'assurer un surprofit par rapport à la solution intensive (16). Dans le premier cas, la quantité de capital par unité de surface est élevée, elle est faible dans le second. Il leur correspond respectivement des rendements de la production par unité de surface élevé et bas, et par conséquent des rentes par unité de surface élevées et basses. La solution extensive, tout en bénéficiant d'un taux de rente plus élevé, fournit une rente par unité de surface plus faible, qui reflète une fertilité économique du sol plus basse. Pour une même production, à fertilité agronomique identique, c'est ici le sol qui a la fertilité économique la plus élevée qui règle le prix de marché (17). : La rente intensive est relative aux surproduits résultant de suppléments de capital investi par unité de surface, dans la mesure où ils entraînent des différences de productivité du capital engagé total. Nous considérons en effet ici la rente dans son rapport au capital, et non à l'unité de surface. Des «produits additionnels» proportionnels aux «capitaux additionnels» engagés modifient en proportion la rente par unité de surface, sans modifier pour autant le taux de rente, à moins qu'ils entraînent l'abandon de terres économiquement moins fertiles (15). L'accroissement de capital par unité de surface, à surface constante, qui pour être à l'origine de la rente intensive doit entraîner un accroissement de productivité du capital investi total, peut se faire par accroissement, soit du capital constant, soit du capital variable, soit simultanément des deux. Il leur correspond respectivement des compositions organiques plus élevée , plus basse, égale. Le capital constant qui permet d'accroître la production à surface constante est formé ordinairement de semences sélectionnées, d'engrais, de produits de traitements et du matériel nécessaire pour les utiliser, de bétail et des équipements correspondants, ou encore de matériel de drainage et d'irrigation, qui peuvent du reste dans certaines conditions permettre la double culture. Son emploi réclame un supplément de travail qui peut se faire par un meilleur ajustement du temps de travail au temps de production de la main-d'œuvre. Dans ce cas, la composition organique s'élève et les avantages de rentabilité se cumulent. Mais le supplément de travail peut nécessiter aussi l'embauche d'une main-d'œuvre supplémentaire et la composition organique peut être alors égale ou même plus basse. Ce qui n'a pas d'inconvénient pour le profit si par exemple la rotation du capital est plus rapide (double culture) ou encore, ce qui n'est pas exclusif, si cette main-d'œuvre est surexploitée : travail familial des femmes, des enfants, des personnes âgées pour les récoltes par exemple ou encore travail à la tâche. Considérons maintenant le cas de la rente extensive. Là' encore, pour que l'accroissement de surface par unité de capital entraîne une productivité plus élevée du capital investi total, il faut des modifications internes au capital qui peuvent être isolément ou conjointement, une augmentation de la composition organique, un meilleur ajustement du temps de travail au temps de production, un taux d'exploitation plus grand de la main-d'oeuvre. 106 Claude Reboul la19—corrélation Sur grand entre échantillon, capital par et surface exempleestau forte. niveauLanational, surface apparaît comme un bon indicateur de dimension économique. (Cf. statistiques du RICA et de l'IGER. Annexes I et II). Si l'on pousse l'analyse au niveau régional, de grosses distorsions apparaissent. Cf. C. Reboul, M-C. Al Hamchari, «L'inégale répartition de la terre et des moyens de travail entre les agriculteurs», Economie rurale, 106, mars-avril 1975. Systèmes de culture et d'élevage, fertilité économique et rente foncière Le modèle que propose Marx de la rente foncière repose sur un certain nombre d'hypothèses (20); 1) le fermier est un exploitant capitaliste. Il loue les terres qu'il exploite, emprunte le capital monétaire nécessaire à la gestion de son entreprise, emploie une main-d'œuvre salariée (Marx 1290); 2) il pratique la mono-production du blé, production fondamentale de subsistance (ou des céréales substituables : seigle, avoine) (21); 3) le prix de marché est réglé par le prix de production dans les plus mauvaises conditions d'emploi du capital, qu'elles soient liées à la fertilité «naturelle» des sols (rente I), au capital investi (rente II) ou à une interférence quelconque de ces facteurs. Concrètement, les conditions sociales de la production agricole dans une société capitaliste se caractérisent par la coexistence d'une gamme très large d'exploitations que différencie leur niveau d'engagement dans la production marchande, de l'exploitation d'auto-subsistance à l'exploitation intégralement capitaliste et par la pratique extrêmement générale de la polyproduction de denrées pour une part pas ou peu substituables. La théorie de la rente foncière permet-elle de rendre compte de cette diversité, qu'elle n'évoque qu'incidemment (22) ? Inversement, l'analyse de cette diversité permet-elle de préciser la théorie ? Les différences dans les modes de faire-valoir ne posent pas ici problème : comme nous l'avons vu, la production de la rente différentielle est distincte mais non indépendante de son appropriation (23). Propriétaire-exploitant, l'agriculteur s'approprie la rente. Fermier ou métayer, il doit la verser au propriétaire foncier, totalement ou partiellement selon des rapports de force qui dépendent de leurs positions sociales respectives, mais aussi de la nature de la rente : l'extension en surface d'une exploitation offre beaucoup plus de prise au propriétaire foncier sur le capital qu'une modification intensive ou extensive de l'emploi du capital sur une même surface (Marx, 1336). Dans la mesure où la concentration du capital productif est plus rapide que celle des surfaces cultivées, la part de la rente foncière versée au propriétaire foncier tend à diminuer en valeur relative au profit du fermier, ce qui contribue à renforcer la capacité d'investissement de celui-ci. 20—11 est très remarquable que ces hypothèses correspondent assez précisément aux conditions actuelles de la grande culture européenne. 21— «Dans notre analyse de la rente, nous considérons comme déterminante la partie du capital agricole qui produit la principale denrée végétale constituant la subsistance de base des peuples civilisés» (Marx, 1378). 22—Nous serons assez brefs, ayant déjà traité cette question assez longuement dans d'autres textes C. Reboul, M-C. Al Hamchari, op. cit. , C. Reboul, Mode de production et système de culture et d'élevage, Economie rurale, 11 2, mars-avril 1976. 23 — «Notre analyse n'est donc pas en cause si l'on nous objecte que d'autres formes de la propriété foncière et de l'agriculture ont existé ou existent encore» (Marx, 1286). : tal productif entre les fermiers. Effectivement, si par exemple un apport d'engrais s'avère éminemment rentable dans telles conditions agronomiques, la formation de la rente II suppose une inégale possibilité d'utiliser l'engrais chez les agriculteurs, donc une inégale capacité de financement. De même pour telle acquisition de machine. Nous allons revenir sur ce point. Notons ici que Marx ne traite pas simultanément, sinon, on l'a vu, dans un bref passage où sont comparées deux agricultures nationales, de l'inégale répartition de la terre entre les agriculteurs, qui n'est pas nécessairement en corrélation étroite avec l'inégale répartition du capital (19). Ce manque tient au fait que l'essentiel de son analyse de la rente II est centré sur l'hypothèse de l'intensification, c'est-à-dire sur un accroissement de capital à surface égale. Dans la mesure où, à capacité d'investissement identique, des agriculteurs ont inégalement accès à la terre, les plus démunis n'ont pas le choix de leur composition organique. Elle sera nécessairement basse. A l'inverse, ceux qui peuvent disposer d'une étendue de terre plus forte choisiront très généralement le système de culture assurant la composition organique la plus élevée de leur capital et couvrant au maximum la surface disponible, et non un système de culture à basse composition organique sur une part limitée de leur surface — bien que ce choix soit techniquement possible — parce qu'il est moins rentable. Ceci démontre que la fertilité maximum du sol, la fertilité des agronomes, n'est recherchée par l'agriculteur capitaliste que dans la mesure où elle coïncide avec la fertilité économique optimum pour la rentabilité du capital. C'est l'enrichissement du capitaliste, non celui du sol, qui est l'objectif. Plus généralement dit, l'écologie propose, l'économie dispose. Fertilité agronomique et fertilité économique 107 Nous avons vu que Marx fonde son explication de la formation de la rente II sur «les différences dans la répartition du capital entre les fermiers». Il s'agit du capital en propriété ou empruntable, celui-ci dépendant de toute façon du premier. La capacité d'investissement d'une entreprise est fonction du profit qu'elle dégage, et celui-ci dépend notamment de sa dimension économique. Il n'en est pas de même du taux de profit dont les variations, et par conséquent celles du taux de rente, peuvent être relativement indépendantes de cette dimension économique. Dans certaines limites cependant. Il existe pour chaque «branche de l'industrie» un minimum de capital nécessaire pour obtenir le profit moyen. «Tout capital supérieur peut produire un profit supplémentaire ; tout capital inférieur ne rend même pas le profit moyen» (Marx, 1339). Or l'agriculture se caractérise notamment par l'existence d'une masse de petits producteurs qui, par manque de capital, travaillent bien en-dessous des conditions requises pour obtenir le profit moyen. «C'est grâce à cette circonstance que les véritables fermiers capitalistes sont à même de s'approprier une partie du surprofit» (Marx, 1339). Un peu plus loin, Marx précise son propos : «L'insuffisance de capital entre les mains d'un grand nombre de fermiers (car étant peu nombreux, ils seraient simplement obligés de vendre au-dessous de leur prix de production) produit le même effet que la différenciation des sols dans l'ordre descendant. Un mode primitif de culture sur un sol de qualité inférieure accroît la rente sur les sols de qualité supérieure; une meilleure culture procurera une rente sur un sol d'aussi mauvaise qualité, qui n'en fournirait pas autrement» (Marx, 1349) (24). Dans la mesure où le développement du mode de production capitaliste en agriculture se manifeste notamment par une importance croissante de la rente II par rapport à la rente I au sein de la rente différentielle, le «plus mauvais terrain» qui règle le prix de marché, celui qui correspond aux plus mauvaises conditions de rentabilité du capital, est en fait — on retrouve ici un phénomène bien connu — celui des petites exploitations familiales. Les prix de marché correspondant aux conditions minimum de leur reproduction assurent aux plus grosses exploitations de fructueuses rentes différentielles. Compte tenu de la rigidité relative de la main-d'œuvre familiale, l'insuffisance du capital se manifeste par une composition organique inévitablement basse, qui s'accompagne en général, étant donnée la faiblesse des surface cultivées, d'un mauvais ajustement du temps de travail au temps de production. La sous-rémunération de la force de travail, conséquence de cette situation, est en même temps moyen de la perpétuer, au moins provisoirement. Dans la lutte pour la survie économique, le phénomène de la différenciation des systèmes de culture et d'élevage selon la dimension économique des exploitations, joue un rôle déterminant. 24— Remarquons que la logique même de l'analyse de la rente II oblige Marx à déborder du cadre d'hypothèse trop étroit de l'exploitation capitaliste pure. Les agriculteurs qui bénéficient des terres les meilleures agronomiquement (ou les mieux situées) obtiennent, on l'a vu, une rente différentielle (rente I) qu'ils s'approprient s'ils exploitent en fairevaloir direct, qu'ils reversent plus ou moins complètement au propriétaire foncier s'ils sont fermiers. Leur capacité d'investir plus grande les amène à concurrencer les agriculteurs situés sur les plus mauvais terrains, ceux qui règlent les prix de marché sur lesquels s'exerce leur pression. Pour échapper à la concurrence, les agriculteurs des plus mauvais terrains sont amenés à changer de production : ils abandonnent par exemple les céréales au profit de l'élevage extensif ou même de la sylviculture. La concurrence entraîne la différenciation spatiale des systèmes de culture et d'élevage, et par conséquent la fonte de la rente I, mais aussi l'abandon des cultures sur les terrains les moins bien situés, qui contribue au même résultat. C'est ainsi qu'en France, par exemple, on assiste depuis quelques décennies à la disparition massive des agricultures méditerranéennes sèches, montagnardes et insulaires (25). A l'inverse la concentration de capital est maximum sur les terrains les mieux situés (anneaux de cultures maraîchères et fruitières autour des villes). Considérons maintenant la rente différentielle dans sa totalité. L'évolution, historique tend à assurer l'hégémonie de la rente II. Celle-ci se fonde sur l'inégale répartition du capital et des terres selon les exploitations. Les agriculteurs les mieux nantis bénéficient d'une rente différentiel e qui se forme en raison généralement de la composition organique plus élevée de leur capital et d'un meilleur ajustement du temps de travail au temps de production et qui leur permet de développer leur capacité d'investissement et, par conséquent, leur production. D'où une tendance à la baisse des prix de marché. Sous peine d'être éliminés par la concurrence, les petits agriculteurs sont astreints à développer les productions pour lesquelles les rentes différentielles, à un moment donné du progrès technique, sont les plus faibles et dont se désintéressent précisément les gros agriculteurs. C'est donc la logique de la rente, qui est au principe du processus de différenciation que nous avons décrit ci-dessus, sans en fournir l'explication : les grandes exploitations du Bassin Parisien ont depuis longtemps abandonné les vaches laitières au profit des céréales, cependant que les petites exploitations du «croissant laitier» développent leur production laitière au détriment des céréales commercialisables (26) ; les premières ont orienté leurs systèmes de production sur la voie de l'extensification, les secondes sur celle de l'intensification (27). 25 — «Comme Fourrier l'a déjà noté, une des caractéristiques des pays civilisés est qu'une partie relativement importante du sol y reste toujours soustraite à la culture» (Marx, 1368). 26— Cf. statistiques RICA (Annexe I) et statistiques Scees (article ci-dessus). 27— Ce qui fait dire aux avocats, conscients ou inconscients, des intérêts de la grande culture, qu'il n'y a pas concurrence entre grande et petite exploitations puisqu'elles ne pratiquent en général pas les mêmes spéculations. C'est prendre l'effet pour la cause. 108 Claude Reboul. La valeur monétaire de la production par hectare, indicateur comptable dz fertilité économique, varie en sens inverse de la surface des exploitations. Elle est en moyenne plus forte sur les exploitations laitières que sur les exploitations céréalières. On vérifie ici concrètement un des principaux enseignements de la théorie marxiste de la rente foncière, déjà énoncé précédemment : la fertilité économique est assujettie aux impératifs de rentabilité du capital. Elle n'est fonction d'objectif que dans la mesure où elle est le moyen d'une rentabilité maximum. Ceci n'est réalisé que dans certaines structures d'exploitation. Le montant du fermage par hectare loué, indicateur comptable de la rente foncière par hectare, varie dans le même sens que la fertilité économique du sol et en sens inverse de la surface des exploitations (29). C'est aussi un résultat conforme à la théorie : à taux de rente égal du capital productif, la rente foncière par unité de surface est plus élevée quand la fertilité économique du sol est plus grande, ce qui est le cas des petites exploitations. Si l'on admet que les rapports sociaux entre fermiers et propriétaires sont plus favorables aux gros fermiers qu'aux petits, un prélèvement plus élevé chez ces derniers 28-Annexes I et II, statistiques RICA et IGER. 29— Selon une enquête du Scees, le fermage/ha vaut respectivement 215F,194F,175F,143F selon que la superficie de l'«unité de location» est inférieur à 2 ha, comprise entre 2 et 10 ha, entre 10 et 20 ha et supérieure à 20 ha, Ministère de l'agriculture, Scees. Résultats de l'enquête sur les exploitations agricoles en location (1970), Statistique agricole, 153, juillet 1977. ne peut que renforcer la relation constatée précédemment entre fermage par hectare et fertilité économique. Dans le cas du gros fermier, le fermage est payé aux dépens du surprofit; dans celui du petit fermier, aux dépens du profit, de la rémunération du capital productif engagé, et même le plus souvent de la rémunération de la force de travail, telle qu'on peut la comparer à celle des ouvriers agricoles des grandes exploitations : en témoigne l'écart des revenus agricoles entre grandes et petites exploitations. Il importe de remarquer à ce sujet la valeur très approximative du fermage comme indicateur de la rente foncière. Dans la mesure où, nous l'avons vu, la part du propriétaire foncier tend à décroître au profit de celle du fermier, par le jeu de l'importance croissante de la rente II dans la rente différentielle, le revenu agricole de l'exploitation est un indicateur de la rente foncière au moins au même titre que le fermage. Celui-ci augmente très régulièrement avec la dimension économique de l'exploitation (30). A la base de ces mécanismes économiques de différenciation des systèmes de culture et d'élevage, il y a le phénomène pour une part induit, pour une part autonome, de l'inégalité considérable des progrès techniques selon les productions. Ainsi, la productivité du travail a incomparablement moins progressé depuis le début du siècle dans le domaine des productions bovines que dans le domaine des productions céréalières. De même, la mécanisation de la vigne, des cultures fruitières et maraîchères reste très attardée par rapport à celle des productions de grande culture. A ces différences de productivité correspondent des différences de concentration qui témoignent de l'inégalité des rentes différentielles selon les branches de production et des différences de capitalisation qui en résultent : la production céréalière est bien plus concentrée que les productions laitière ou maraîchère (31). Cependant, la concurrence lamine les rentes différentielles (et réduit en conséquence la part des propriétaires fonciers). Les grandes exploitations qui s'étaient spécialisées dans les céréales pour bénéficier d'une fructueuse rente II voient celle-ci fondre à mesure que les petites exploitations abandonnent cette production ou ne lui consacrent qu'une part réduite de la surface, dans des conditions de mécanisation — le travail par entreprise ou en coopérative aidant — qui tendent à se rapprocher de celles des grandes exploitations (L'usage de la moissonneuse-batteuse 30— La part en faire-valoir direct de la surface tend à être d'autant plus faible que celle-ci est plus grande 75 % audessous de 10 ha, 57 % entre 10 et 30 ha, 46 % entre 30 et 50 ha, 43 % entre 50 et 100 ha, 45 % au-dessus de 100 ha (Ministère de l'agriculture, Scees, Statistique agricole, annuaire abrégé 1972, recensement 1970). L'avantage financier qui en résulte pour le petit exploitant quant aux frais de fermage est souvent plus que compensé par les achats de terre et versement de soultes, le prix de la terre (qui représente au moins la valeur capitalisée de la rente foncière -et non du seul fermage) étant plus élevé chez les petits paysans. On aborde ici la question de la forme hypothécaire de la rente foncière, selon l'expression de Kautsky, qui demanderait bien d'autres développements sortant du cadre limité qu'on a voulu donner à ce texte. 3 1 —Annexe III, statistiques Scees. : Le modèle proposé permet encore de comprendre comment la différenciation des systèmes de culture et d'élevage selon la dimension économique des exploitations se module selon les particularités régionales, qui s'expriment notamment dans les structures foncières. A capital productif égal, un agriculteur fera des céréales extensives s'il peut disposer d'une surface importante de terres; des céréales intensives si la surface est moindre; des vaches laitières si elle est encore plus faible; des arbres fruitiers, de la vigne, des cultures maraîchères à un niveau inférieur; des serres ou des élevages industriels si la surface est très réduite (le qualificatif «industriel» l'indique, on sort ici de l'agriculture). La culture des céréales, quand la surface disponible la rend économiquement possible, assure au capital une composition organique élevée. Elle est basse si la faiblesse de la surface impose des cultures maraîchères. Par contre la rotation peut être dans ce cas plus rapide (plusieurs cultures par an) et le taux d'exploitation de la main-d'œuvre plus grand (travail à tâche). Des formules les plus extensives aux plus intensives, on constate un certain nombre de relations comptables qui se manifestent avec une grande régularité à l'intérieur d'une même famille de systèmes de culture et d'élevage, mais présentent des ruptures d'une famille à l'autre, qui témoignent notamment de la diversité des conditions régionales (28). (D'où une structure caractéristique des courbes représentatives, en feuilles d'artichaut). Fertilité agronomique et fertilité économique 109 est pratiquement généralisé en France). D'où un développement de la demande des grandes exploitations d'une part, pour de nouveaux progrès techniques dans la culture céréalière (par exemple, le semis sans labour, grâce au semavator), d'autre part pour des spéculations nouvelles, à laquelle les constructeurs de machines s'efforcent de répondre en rendant progressivement mécanisables des opérations qui paraissaient le moins susceptibles de l'être : vendanges, cueillettes des petits 32— «II est dans la nature du mode de production capitaliste de diminuer continuellement la population agricole par rapport à la population non agricole...» (Marx, 1306). 133 237 108 209 618 287 51 69,40 34,75 15,80 67,65 33,44 16,05 15,99 37,0 46,1 57,2 41,1 44,1 57, 1 63,4 ; ;Bovins Bovins, porcins, volailles 100 50 20 100 50 20 20 | ; 2,30 1,89 18,3 6,9 228 756 126 247 3 327 3 440 1 ,5 2,7 3 241 3 490 99 459; 66 797 2,34 1,99 1,75 17,5 6,0 1,7 15,3 4,8 1,2 211 118 65 192 126 72 92 729 377 198 046 344 745 3 3 3 3 3 2 873 961 626 538 042 986 1,8 3,3 5,6 1,8 2,4 4, 1 3 3 4 2 3 4 90 482! 59 486; 37 256! 158 3 487 3,8 5 763 2,22 1 ,89 1,63 1,78 1,1 ! - 50 20 10 50 20 10 10 ! 34,4 43,5 ! ; 70,59 36, 17 ; 85 136 ! 50 - 100 20 - 50 'Terres bles et ; bovins ¡Bovins et ! terres ! nbre 37 96 133 Produit Drut d'exploitation Main-d oeuvre dont prestations dont salariés en nature UTA F. F. % PBE F/ha F/UTA 40,9 439 170 1 221 0,3 3 383 190 944' 2,30 1,63 16,6 224 474 1 458 0,6 3 257 137 714! 7,6 117 485 1 823 1,6 3 135 81 024' 1,45 ! ha Agriculture + 100 générale1 50 - 100 20 - 50 S. ,.U. dont FVD % ha 129,82 37,4 68,91 26>5 37,47 48,0 ! !, EXPLOITATIONS ; ORIENTAT ION CLASSES 'TECHNICOde ECONOMIQUE S .A.U. ; RESEAU D'INFORMATION COMPTABLE AGRICOLE Résultats 1975. France entière (2 130 exploitations) Moyennes ; Annexe I fruits, des légumes. Ainsi pèse la loi du profit sur l'ensemble des exploitations agricoles, comme sur l'ensemble de l'économie, avec son corollaire la loi de l'augmentation de la composition organique du capital, et sa conséquence sociale, l'exode rural (32). 051 407 126 839 778 532 86 66 44 51 507; 849! 629; 774! RESEAU D'INFORMATION COMPTABLE AGRICOLE (suite) Résultats 1975. France entière (2 130 exploitations) Moyennes CHARGES REELLES TOTALES ■ ; ! ; ;¡technicoorientat ion CLASSES de economique S.A.U. ; ; Bovins, vollailes porcins, PBE 3,8 3,7 3,2 F F/ha loué 20 943 260 12 619 249 5 468 281 % PBE 4,8 5,6 4,7 F. 112 484 56 481 32 270 F/UTAF 82 709 41 530 24 082 F/UTAS 30 233 24 204 22 482 50 - 100 164 487 20 - 50 :86 639 117 986 63 875 51 298 33 796 7 798 3 654 3,4 2,9 11 287 5 249 245 258 4,9 4,2 64 269 39 609 34 186 22 505 26 234 20 885 50 20 10 50 20 10 107 56 27 81 58 32 49 46 28 15 36 30 19 27 7 446 3 422 1 098 7 678 4 143 1 431 3,5 2,9 1 ,7 4,0 3,3 2,0 1 997 2,2 11 4 1 11 5 2 1 276 271 251 298 307 309 289 5,6 4,2 2 5 6,0 4,5 2,0 1,1 64 42 28 71 48 31 33 33 22 16 38 27 19 19 20 19 22 22 17 18 22 10 - 20 146 76 36 120 77 41 58 805 122 465 298 574 225 634 774 424 765 345 396 361 470 057 354 866 642 897 853 792 940 960 661 565 703 096 690 924 255 733 748 770 520 524 639 596 705 164 094 578 048 107 791 050 638 444 550 250 ' 100 50 20 100 50 20 ! - ; ! ; ! Bovins dont fermage SALAIRES CHARGES SOCIALES ! ; dont frais financiers ha F. F. % Agriculture + 100 326 686 286 975 124 772 16 692 général e 50 - 100 167 993 146 426 89 832 8 285 20 - 50 85 215 61 664 42 527 3 732 'Terres arables et bovins ¡Bovins et terres ¡arables dont moyens de travail F. F/UTA REVENU AGRICOLE 110 Claude Reboul RESEAU D'INFORMATION COMPTABLE AGRICOLE (suite et fin ) Résultats 1975. France entière (2 130 exploitations) Structure du produit brut Moyennes ¡ ¡ ' ¡ i !• ! | Produit brut total j 4,0 2,9 3,8 3,3 4,3 4,2 4,4 6,0 5,3 6,2 8,1 7,5 loo 100 loo îoo 100 0,2 1,3 1,2 1,7 3,5 1,4 3,8 3,4 1 ,7 3,4 4,4 30,7 ! ; , , dont porcs ; 89,8 82,1 85,3 55,5 55,0 37,3 34,8 36,6 13,6 9,0 8,1 6,0 dont dont céréales racines et cules 55, 1 26,9 55,0 18,7 54,0 15,1 35,4 10,7 10,9 33,5 4,7' 26,2 3,2 21,8 10,5 1,5 9,0 0,8 4,7 0,9 2, 1 1,3 1,7 0,8 Divers 100 100 100 100 100 100 100 i ¡ Total Produit brut animal Total dont dont bovins lait viande équins 6,2 3,7 0,4 3,9 15,0 7,5 10,9 4,4 1,9 41,2 19,1 16,6 40,7 13,6 18,2 58,5 26,9 26,8 60,8 23,8 28,4 57,3 23,4 25,9 45,0 31,0 81,0 39,4 39,0 84,8 83,8 39,8 34,6 86,5 22,1 30,7 ! ; r ; , ¡ + 100 50 - 100 20 - 50 'Terres jet bovins arables ' 50 - 100 20 - 50 50 - 100 'Bovins et terres arables 20 - 50 ; ; 10 - 20 50 - 100 Bovins 20 - 50 10 - 20 Bovins, porcinsj 10 - 20 ¡volailles Agriculture générale Produit brut végétal ' ¡ CLASSES de S.A. U. ! ! ! ¡ ORIENTATION TECHNICOECONOMIQUE Notes et commentaires des tableaux de l'annexe I Source— Scees-Insee. Réseau d'information comptable agricole. Résultats 1975. France entière. Terminologie (RICA) et remarques Les remarques sont relatives aux distorsions entre le modèle de Marx du cycle du capital et sa représentation comptable. Orientation technico-économique (O.T.E.)— définie à partir de la structure de la production marchande, estimée forfaitairement selon un jeu de coefficient. (Cf. tableau-structure du produit brut). S .A.U.— surface agricole utilisée (à l'exclusion du jardin familial) F .V.D.— faire-valoir direct. U.T.A. (unité-travailleur-annuelle)— Prestation d'une personne travaillant 2 300 heures par an (travail manuel, d'organisation et de surveillance indispensable au fonctionnement de l'exploitation). L'U.T.A. est calculée en fonction du travail effectué et non de la force de travail disponible (ce qui masque notamment un éventuel sous-emploi). U.T.A.F. -U.T.A. familiale U.T.A.S. -U.T.A. salariée Produit brut d'exploitation (P.B.E.)—Valeur monétaire de la production commercialisée (déduction faite des achats d'animaux), prélevée en nature pour la consommation familiale et celle des ouvriers, des variations de stocks et des productions d'immobilisations. Ne comprend pas Pauto-fourniture des semences et des aliments du bétail. Comprend une estimation monétaire de l'auto-consommation familiale, et de l'auto-fourniture contribuant aux productions d'immobilisation, qui fausse par excès l'estimation du capital marchand qu'on peut faire à partir du P.B.E. Charges réelles-Valeur monétaire des consommation intermédiaires (achats plus variations de stocks) des amortissements, des frais divers d'exploitation (salaires et charges sociales, fermage, frais financiers, impôts, divers). Ne comprennent pas les dépenses de consommations infectuées pour l'entretien et la reproduction de la force de travail familiale (séparation arbitraire du compte d'exploitation et du compte privé). L'estimation du capital productif est ainsi d'autant plus faussée, par défaut, que le caractère familial de l'exploitation est plus accentué. (Elle est faussée aussi par excès en raison de la prise en compte des frais financiers et du fermage dans les charges). Revenu agricole (produit brut— charges réelles) Comprend les variations de stocks, évalués en francs courants (1). Le jeu combiné de l'inflation et des variations quantitatives s'exerce inégalement selon les branches de production. L'exercice 1975 est de ce point de vue favorable aux productions bovines en raison de la hausse des cours, défavorable aux productions végétales de grandes cultures, en raison d'une variation de stocks négative due aux mauvaises conditions climatiques. Moyen de travail- Consommations intermédiaires (semences, engrais, aliments du bétail, travaux par tiers, frais d'entretien, fournitures diverses) plus amortissements (matériel, bâtiments, plantation). Frais financiers— Intérêts, agios, frais de banque sur emprunts contractés pour l'exploitation (biens fonciers, équipements, emprunts de campagne). Les intérêts des emprunts fonciers (manifestation hypothécaire de la rente foncière) ne sont pas séparés. Fermage— Loyer direct ou indirect (ex. : rente viagère) des terres et bâtiments en espèces ou en nature ; dépenses diverses non payées par le propriétaire (ex. : impôt foncier). Remarques sur l'échantillon —II sous -estime à la fois les petites exploitations, en exigeant un seuil d'emploi de 1 U.T.A., les grandes exploitations, quand elles «atteignent le seuil de 500 000 F au-delà duquel elles sont imposées sur la base de leur bénéfice réel. Pour diverses raisons, elles sont alors exclues de l'échantil on» (2). Ceci se produit au-delà de 100 ha. 1 —Le revenu agricole hors stock, calculé aussi dans le RICA, n'a pas ces inconvénients. Par contre, il ne prend pas en compte les investissements correspondants aux stocks. 2-RICA. Résultats 1975, op. cit., p. 45. Fertilité agronomique et fertilité économique 111 férenciation des systèmes de culture et d'élevage selon la surface des exploitations joue ici dans le sens de l'intensification pour les plus grandes, qui accordent une place relativement plus forte de la S.A.U. aux betteraves à sucre et pommes de terre (16 % de la S.A.U. au-delà de 100 ha S.A.U., 1 1 % entre 50 ha et 100 ha, 8 % au-dessous de 50 ha) (4). —La valeur monétaire des moyens de travail par U.T.A. (indicateur de la composition organique du capital productif, en l'absence de données sur les dépenses de consommation) varie dans le même sens que la dimension économique de l'exploitation. —Le fermage/ha, indicateur de rente foncière par ha, ne varie pas ici significativement par rapport à la dimension économique de l'exploitation et sa fertilité économique. Sans doute parce qu'interfèrent trop de phénomènes sur un échantillon : «France entière» ne comprenant que trois classes au maximum par O.T.E. L'examen des données comptables de l'IGER fait apparaître, en revanche, une nette liaison entre fermage par hectare et fertilité économique (Annexe II). —Compte-tenu de l'absence d'indicateur précis pour le capital productif, le niveau d'intensité cultúrale peut être estimé par le produit brut/ha S.A.U., indicateur de fertilité économique. Il varie en sens inverse de la dimension économique. 3— Les mêmes relations ont été mises en évidence sur la période 1969-72. Cf. C. Reboul, M-C. Al Hamchari, op. cit. 4— Dans les résultats comptables de l'IGER, cette O.T.E. est davantage différenciée. : : : : —Ni la viticulture ni l'arboriculture n'apparaissent dans l'échantillon «France entière». Nous avons écarté en outre l'O.T.E. horticulture sous-serre. Commentaire des résultats Les relations suivantes apparaissent très régulièrement à l'intérieur d'une même O.T.E. D'une O.T.E. à l'autre, des discontinuités se manifestent (3). —Variations corrélatives d'un certain nombre de critères de dimension économique S.A.U., main -d'oeuvre, produit brut, charges réelles. —L'exploitation moyenne apparaît d'autant plus engagée dans la production marchande que sa dimension économique est plus grande le faire-valoir direct recule au profit du fermage, la part salariée de la main-d'oeuvre augmente, ainsi que les frais financiers et les frais de fermage en proportion du produit brut, cependant que diminue la part des prestations en nature dans le produit brut. —Le revenu agricole, indicateur de rente foncière, varie dans le même sens que la dimension économique de l'exploitation, et il en est de même du revenu agricole par travailleur familial. —Le produit brut/U.T.A., indicateur de productivité du travail, varie aussi dans le même sens ; le produit brut/ha S.A.U., indicateur de fertilité économique, varie en sens inverse. L'O.T.E. agriculture générale fait exception la RESULTATS ECONOMIQUES DES EXPLOITATIONS AGRICOLES ADHERENTES DES CENTRES DE GESTION ET D'ECONOMIE RURALE Exercice 1975/76 Système AGRICULTURE GENERALE (P.B. terres arables > 2/3 P.B ■' P.B. céréales + plantes industrielles > 1/2 P.B.) 2 486 exploitations ¡ Classes de S. A .U. ha 10-20 20-30 50-70 70-100 100-150 > 150 30-50 180 ¡Produit brut j 1 000 F 130 240 324 807 122 470 ' F /ha ¡ 7 860 5 150 ¡ 4 370 ; 3 980 3 810 3 840 3 760 ¡Revenu agricole 1 000 F! 36 56 86 124 198 46 69 ¡Fermage/ha loué F /ha ¡ 460 ¡ 330 ¡ 320 300 300 ¡ 300 ¡ 270 ¡ Système POLYCULTURE ET ELEVAGE (P.B. terres arables > 1/3 P.B et < 2/3 P.B. , P. B. animal des surfaces fourragères en 2eme position) 749 exploitations. 1¡Produit brut j 1 000 F í 86 ¡ 169 433 ; 623 ¡ 203 ¡ 228 ! 324 6 440 F /ha 5 070 4 950 3 860 3 830 3 550 3 250 ¡Revenu agricole 1 000 F! 30 63 62 79 90 112 63 ¡Fermage/ha loué P /ha 3 40 360 290 300 280 250 340 ; ¡ ! ! ¡ í ¡ \ Í ! i ! ! i ¡ ! ¡ ! i ¡ ¡ ¡ J ¡ ¡ i ! ¡ ! ¡ ¡ ! ¡ ! ¡ . ¡ ! í \ i i 1 ¡ ! ! ¡ 1! ¡ ¡ ¡ ! ¡ i 1 ¡ i . Annexe II ¡ ! 1 i ! ! ! i ! ¡ \ ¡ ! ! ¡ i ¡ ¡ | ! ; ¡ ¡ ¡ ! ¡ i ! ! ¡ ; ¡ ! ¡ ; ¡ ¡ ¡ ¡ ¡ \ ¡ ! ¡ ¡ \ ¡ ¡ i i ! i ¡ ¡ ! i ¡ ¡ viticole >l/2 P ■B.) 242exp 528 ¡ 807 ¡ 1 023 9 020 9 325 6 540 180 181 191 455 470 ; 300 ¡ ! ! ! ¡ ¡ ! i i i ; ¡ ¡ ¡ ; i Système VITICULTURE (P.B. cultures permanentes > 2/3 PB. , P..B. 88 J 140 ¡ 232 330 'Produit brut j 1 000 F ¡ 9 835 8 695 9 520 \]? /ha ¡12 135 ¡Revenu agricole 1 000 F! 45 71 102 120 ¡Fermage/ha loué F /ha 1 565 825 3 660 1 050 ; Source-IGER, 21, rue Chaptal 75009 Paris. Note— Le revenu agricole varie dans le même sens que la classe de S.A.U. et le produit brut, indicateurs de la dimension économique de l'exploitation. Le produit brut/ha, indicateur de fertilité économique, et le fermage/ha loué, varient dans le même sens, et en sens inverse de la dimension économique de l'exploitation. i ¡ ! ; ¡ î i . Système BOVIN DE LA SURFACE FOURRAGERE (P B. animal sur surface fourragère > \1/3 F.B. P.B. bovin sur surface fourragère >l/2 P. B.) 4 184 exploitations. I¡Produit brut j 1 000 F 115 261 88 205 350 ; 524 ! i55 1 710 1 550 980 840 \ F /ha 1 230 750 660 ¡Revenu agricole 1 000 F! 29 45 39 57 69 88 126 ¡Fermage/ha loué F /ha 320 320 290 340 3 20 260 270 Exercice 1974/75 Système ARBORICULTURE (P.B. cultures permanentes >2/3 PB., P. B. arboricole >■ 1/2 P.B.) 167 exploitations 50-70 ¡ 70-100 ¡ > 100 ¡ Classes de S. A .U. ha ¡ 5-10 ¡ 10-20 I 20-30 ¡ 30-50 ¡Produit brut ((■1 000 F 182 264 512 97 1 108 248 r /ha ¡12 920 11 790 10 245 6 815 9 000 ¡ 13 930 ; 35 41 68 63 42 190 ¡Revenu agricole 1 000 F! 490 300 190 ¡Fermage/ha loué F /ha 900 445 415 112 Claude Reboul REPARTITION DES CULTURES ET DU CHEPTEL BOVIN selon les classes de superfice des exploitations i J ¡ ¡( % 24,4 j 15,9 21,7 ; % ■ 28,1 î ! 22,3 25,9 19,4 18,9 j 5,4 ! 2,3 24,2 ; 20,3 23,1 I 7'3 2,8 ! 1 ! i ; ! 6,0 % 2,4 , 4,, ' ! 10,7 ; 100,0 ; 100,0 | 100,0 1 ; 100,0 ; 1 TOTAL FRANCE 1 i ! 30,8 ! ! ; ! 1 100,0 j ! ¡ ! ! \ ! ¡ % i'8 3,3 9'4 12,8 ¡ 14,4 26,2 ; 16,8 ! 15,3 i ; 100,0 ! ' 6,6 14,6 24,9 21,4 14,3 13,2 3'6 1,3 ; ! ! i 1 ; 100,0 ; % ' 16,6 21,8 16, 1 11,5 13,2 5,6 3,6 ! 100,0 ! 1 Vaches Vergers i maraîchaSt ! ' J ¡ j ¡29 902,0 ; ! ; ! i i % 4,7 9,9 20,9 21,6 16,3 17,3 6,2 3,2 ! ! 100,0 000 ha i 401,4 2 951,3 6 241,1 6 460,6 884,7 5 164,6 845,6 952,7 ! i ¡1 583,3 Vignes ! Autres cultures assolées non fourragères ' % 0,3 1,4 5,9 10,7 12,6 22,4 15,8 30,8 i i j 1 000 4,7 ! 22,4 93,2 169,8 ; 199,8 ¡ 354,8 250,5 488,1 ! 200 et plus 100 - - 200 50 - - 100 30 - - 50 20 - - 30 10 - - 20 5 - - 10 moins de 5 Céréales Nombre d exploitations ! Classes de S.A.U. ! Annexe III Part dans la S.A.U. nationale 1, 1 Source— Statistique agricole, Annuaire abrégé 1972, Ministère de l'Agriculture, Scees (Cultures : RGA 1970. Bovins : enquête Scees 1972). Note— On remarque notamment les différences de concentration entre d'une part les céréales et autres cultures assolées non fourragères (oléagineux, betteraves à sucre, pommes de terre, légumes frais, etc.) et d'autre part, les vignes, vergers, maraîchage et les bovins. cartographie par Anne Le Fur