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MARDI 14 FÉVRIER 2017
LE TEMPS
Temps fort 3
L’économie face au désaveu populaire
VOTATIONS Après l’initiative Minder et celle «Contre l’immigration de masse», les organisations économiques perdent avec la RIE III
un troisième enjeu majeur. Le ton virulent de l’USAM est critiqué. Comment rétablir la confiance avec la population?
BERNARD WUTHRICH, BERNE
t @BdWuthrich
Au lendemain du rejet de la troisième réforme de l’imposition des
entreprises (RIE III), les organisations économiques ont la gueule de
bois. Comme après l’acceptation de
l’initiative Minder en 2013. Comme
à la suite de l’adoption de l’initiative
de l’UDC sur l’immigration en 2014.
Ces échecs montrent que, lorsque
l’économie ne parvient pas à démontrer qu’une réforme ou un projet
important à ses yeux l’est aussi pour
la population, celle-ci ne la suit pas.
Confrontés à ces insuccès, Cristina
Gaggini, directrice romande d’economiesuisse, et Blaise Matthey, directeur
de la Fédération des entreprises
romandes (FER) à Genève, tiennent à
souligner que ces cas restent des exceptions: «Nous avons été du côté des vainqueurs pour d’autres votes sensibles
comme l’imposition des successions,
AVS"plus, les salaires minimaux, la sortie du nucléaire, l’économie verte, l’initiative 1:12», énumèrent-ils à l’unisson.
Au-devant de la population
«Je ne note pas de manque de
confiance fondamental envers nos
organisations», complète le président
de l’Union suisse des arts et métiers
(USAM), le conseiller national UDC
Jean-François Rime. Ne fût-elle que
partielle, la rupture entre la population et la grande économie est pourtant réelle. Comme l’a révélé Le Temps,
economiesuisse, Interpharma, Swissmem, Scienceindustries, les assureurs
et les banquiers sont allés au-devant
de la population après le vote du
9 février 2014 pour comprendre cette
cassure (LT du 09.02.17).
«Nous avions déjà observé ce fossé
entre les élites politiques et économiques et la population après l’initiative Minder. Nous avons alors lancé
notre programme «Economie et
société», qui a justement pour but de
mieux comprendre les attentes de la
population», rappelle Cristina Gaggini. Ce programme va se poursuivre,
assure-t-elle, tout en relevant que
l’échec de dimanche n’est pas dû à une
incompréhension entre la population
et l’économie. Comme Jean-François
Rime et Blaise Matthey, elle l’attribue
à la complexité du sujet et à l’approche
réductrice des adversaires.
«Je ne note pas de
manque de confiance
fondamental envers
nos organisations»
JEAN-FRANÇOIS RIME, PRÉSIDENT
DE L’UNION SUISSE DES ARTS ET MÉTIERS
La question demeure néanmoins:
comment l’économie pourra-t-elle
regagner la confiance de la population? «Il faut anticiper le ras-le-bol des
gens et ne pas le laisser croître.
Lorsque le mal est fait, il est difficile
de remonter la pente. Cela passe aussi
par la reprise dans les médias des réalisations positives faites par les entreprises», suggère Cristina Gaggini.
De vieilles cicatrices
Cela dit, il faut relever que les organisations économiques peinent à
parler d’une seule et même voix. economiesuisse et l’USAM soutenaient
toutes les deux la RIE III, mais la campagne musclée menée par la seconde
a divisé les esprits. Le détournement
des positions d’élus de gauche et la
menace d’une facture de 34 milliards
de francs en cas de rejet de la RIE III
ont été désapprouvés. Jean-François
Rime n’exclut pas quelques «erreurs
de communication» et promet que
l’USAM fera la critique de l’exercice.
Au lendemain du vote, le ton officiel
est à l’apaisement. L’échec rouvre
Monika Rühl, directrice d’economiesuisse, photographiée dimanche 12 février à l’Hôtel Bellevue à Berne. (ANTHONY ANEX/KEYSTONE)
Les contours de la «RIE III bis» se dessinent
cependant de vieilles cicatrices.
Naguère présidées par des radicaux,
les deux organisations ont longtemps
défendu des positions de centre
droit. Puis l’UDC a commencé à
mettre le grappin sur l’USAM, plaçant
d’abord le Zurichois Bruno Zuppiger
à sa présidence, puis Jean-François
Rime. Simultanément, un libéralradical plus frondeur, Hans-Ulrich
Bigler, a succédé au conciliant Pierre
Triponez. Hans-Ulrich Bigler n’hésite pas à mener des combats très
virulents, en particulier contre la
SSR, sa cible privilégiée.
Différences de style
Le vote du 9 février 2014 a accentué
les tensions entre les deux associations. La présence de Jean-François
Rime dans le comité de l’initiative
anti-immigration de l’UDC a empêché
l’USAM de mener une campagne crédible contre celle-ci. Au lendemain du
scrutin, economiesuisse et l’Union
patronale suisse (UPS) ont mis au point
une stratégie commune de mise en
œuvre. Leurs propositions ont été
immédiatement qualifiées de «théoriques» et «peu réfléchies» par l’USAM.
En septembre 2015, le comité directeur d’economiesuisse a informé
Jean-François Rime qu’il ne serait plus
invité à ses séances.
En remplacement, les présidences
des trois organisations ont décidé de
se retrouver au moins deux fois par
année pour discuter des dossiers
importants pour l’économie. «Nos
relations sont correctes. Nos positions
sont souvent semblables, mais les
priorités diffèrent parfois», relève
Jean-François Rime. «Les deux organisations doivent bien sûr collaborer.
Mais c’est plus une histoire de raison
qu’une histoire d’amour. Elles ont
deux ADN différents, des ego très
forts», observe Blaise Matthey, qui a
des contacts étroits avec tout le monde.
Cela se traduit par une différence de
style entre l’«éthique» du duo Heinz
Karrer/Monika Rühl à la tête d’economiesuisse et une USAM qui applique
au champ économique les techniques
de campagne agressives que l’UDC
utilise sur le terrain politique, note un
observateur. La situation n’est pas
près de changer. L’USAM fourbit déjà
ses armes pour rouvrir le tir sur la SSR
dans le cadre de l’initiative «No Billag». economiesuisse risque d’assister
impuissante à la fusillade, comme ce
fut le cas avec la loi radio-TV. ■
FISCALITÉ Au lendemain du rejet
de la réforme fiscale par les Suisses,
les pistes pour un nouveau projet
émergent
LES GRANDES
DÉFAITES
DE L’ÉCONOMIE
6 décembre 1992
Rejet de l’adhésion
à l’Espace
économique
européen.
3 mars 2013
Adoption de
l’initiative Minder
«Contre les
rémunérations
abusives».
9 février 2014
Adoption de
l’initiative de l’UDC
«Contre
l’immigration
de masse».
12 février 2017
Rejet de la réforme
de l’imposition
des entreprises III.
Le non tonitruant des Suisses à la
RIE III n’a pas fini de résonner que,
déjà, les propositions fusent pour
redéfinir une réforme susceptible
de passer la rampe. Ragaillardie par
sa victoire, la gauche avance une
série de mesures obéissant à un
double credo: «Limiter les pertes et
le transfert de la charge fiscale vers
les personnes physiques», résume le
conseiller national Roger Nordmann
(PS/VD). Pour la droite, l’objectif est
de sauver ce qui peut l’être d’une
réforme censée accroître la compétitivité de la Suisse. Adversaires et
partisans d’hier ont peu de temps
pour réussir l’exercice du compromis, faute de quoi la Suisse ne pourra
pas tenir ses engagements, c’est-àdire supprimer ses statuts fiscaux
spéciaux au 1er janvier 2019. Tour
d’horizon des solutions avancées.
1•SUPPRIMER LA NID
La NID, ou déduction des intérêts
notionnels, est le gros mot de la campagne. Une mesure promue par les
milieux économiques et devenue
symbole du gadget fiscal de trop. La
NID fédère désormais contre elle une
opposition large, y compris dans le
camp bourgeois. «Il faut la supprimer,
pour trois raisons, estime le conseiller national PDC et maire de Genève,
Guillaume Barazzone. D’abord parce
qu’elle a été violemment décriée dans
la campagne. Ensuite, parce que sa
conformité fait encore débat au
niveau international. Et enfin parce
qu’elle ne concerne que quelques cantons.» Zurich et Vaud, pour ne pas les
nommer, se sont en effet battus pour
ce régime, qu’ils espéraient proposer
aux sociétés fortement capitalisées,
à commencer par Nestlé. Selon les
chiffres officiels, la suppression de la
NID ferait économiser 220 millions
de francs à la Confédération.
2•AUGMENTER L’IMPOSITION
DES DIVIDENDES
Même si l’USAM ne veut pas en
entendre parler (lire ci-contre), la
réévaluation à la hausse de l’imposition des dividendes est de nouveau
sur la table. Evacuée lors des débats
parlementaires, l’idée de fixer à 70%
le plancher de la part des dividendes
imposables est de retour. «Je propose
un plancher harmonisé au niveau
fédéral, avance Guillaume Barazzone.
Dans certains cantons, le plancher
est à 50%, voire moins. Dans d’autres,
il est déjà à 70%. Je penche pour un
plancher à 65%.» Enhardi par la victoire, Roger Nordmann avance, lui,
un plancher à 80%. Et rappelle que,
selon les chiffres officiels toujours,
un plancher à 70% rapporterait
300 millions aux cantons et 75 millions à la Confédération.
3•RÉINTRODUIRE
L’IMPOSITION DES GAINS
EN CAPITAL
Le camp bourgeois pensait s’en
être débarrassé. Un peu vite peutêtre: sitôt le résultat tombé
dimanche, le président du PS suisse,
Christian Levrat, a plaidé pour la
réintroduction de l’imposition des
gains en capital. Selon les chiffres
fournis par Berne, la mesure rapporterait quelque 317 millions à la
Confédération et 774 millions aux
cantons. Pour Roger Nordmann, «il
s’agit probablement de la meilleure
option pour un contre-financement
de la réforme». La droite ne se laissera pourtant pas convaincre facilement: «Cela mettrait inévitablement à mal la compétitivité
économique et financière de la
S u i s s e » , e s t i m e Gu i l l au m e
Barazzone.
4•REDIMENSIONNER
LA DÉDUCTION POUR FRAIS
DE RECHERCHE ET
DÉVELOPPEMENT (R&D)
Exit la «super-déduction».
«L’idée de pouvoir déduire des frais
de R&D, quand les activités ont lieu
en Suisse, doit être maintenue,
estime Guillaume Barazzone. Mais
il faut peut-être redimensionner
les choses et revenir à une déductibilité à 100% et non plus à 150%.»
Pour le Genevois, ce redimensionnement doit être fait «pour des
raisons politiques, sachant que
cela nous rendra moins compétitifs que certains pays voisins».
Pour Roger Nordmann, «il faut
articuler la discussion avec une
redéfinition de la «patent box»,
aujourd’hui trop large. Peut-être
220 mios
Selon les chiffres officiels,
la suppression de la NID
(ou déduction des intérêts
notionnels) ferait économiser
220 millions de francs
à la Confédération.
qu’une forme allégée de super-déduction est un meilleur outil que
la «patent box».
5•REPENSER
LA «PATENT BOX»
Régime d’imposition privilégiée
des revenus de la propriété intellectuelle, la «patent box» était la
vedette de la RIE III. «Le législateur
avait élargi la définition des revenus
éligibles à la «patent box», en y
incluant les inventions, dans le
d o m a i n e i n fo r m at ique, pa r
exemple. Il faut peut-être revenir à
une définition plus stricte, à savoir
limiter la «patent box» aux seuls
produits d’exploitation des brevets», suggère Guillaume Barazzone.
A l’exception de quelques voix
éparses au PLR, il est pour l’instant
assez seul à droite à évoquer cette
possibilité.
6•DES GARANTIES
POUR LES VILLES
Le rejet de la RIE III est aussi la
victoire des villes, qui craignaient
pour leurs recettes fiscales. Elles
demandent donc à être associées
aux travaux et veulent des garanties
que d’éventuelles pertes fiscales
seront compensées par les cantons.
C’est la position défendue par la
grande argentière lausannoise, Florence Germond, ou son homologue
biennoise, Silvia Steidle. Guillaume
Barazzone abonde dans le même
sens: «Il faut que la loi fédérale
prenne en compte les intérêts des
communes et des villes.» A l’image
de la stratégie cantonale retenue à
Genève, qui prévoit une rétrocession aux communes de 20% des
compensations fédérales. ■
ALEXIS FAVRE
t @alexisfavre
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